Comment gérer l’arrêt d’une corticothérapie ?

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Comment gérer l’arrêt d’une corticothérapie ? Jean-Marc Kuhn, Gaëtan Prévost CHU de Rouen, service d’endocrinologie, diabète et maladies métaboliques, 76230 Bois-Guillaume, France Correspondance : Jean-Marc Kuhn, CHU de Rouen, service d’endocrinologie, diabète et maladies métaboliques, 147, avenue du Maréchal-Juin, 76230 Bois-Guillaume, France. [email protected] Disponible sur internet le : 6 mars 2014 Presse Med. 2014; 43: 453459 ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com PATHOLOGIE DES SURRÉNALES Dossier thématique 453 Mise au point Key points How to manage the interruption of a treatment with anti-inflammatory corticosteroids? A prolonged treatment with anti-inflammatory corticoste- roids induces an inhibition of ACTH secretion from pituitary corticotroph cells. An abrupt interruption of such a treatment potentially leads to the risk of an acute adrenal failure, in particular in stressing situations. The inertia in reactivation of the secretion of the stimulating hypothalamic factors (CRH and AVP) and consecutively of ACTH can be responsible for an inability to adapt the secretion of glucocorticoids in response to stress. A short-time treatment (< 3 weeks) with anti-inflammatory corticoids does not expose to this risk. On the contrary, a more prolonged treatment, especially with high daily doses, needs to perform an evaluation of the level of corticotroph secretion. This evaluation should be done before to consider that either stopping the treatment is out of risk or if the initiation of a substitutive treatment with hydrocortisone is required. The measurement of morning plasma cortisol level already provides a significant information. As to whether that is needed, a dynamic evaluation can be performed. Among the available tests, the Synacthen W test, easy to perform and using at best 1 mg of b 1-24 ACTH, appears the most finely informative to answer this question and to choose the most adapted follow-up. Points essentiels Le traitement prolongé par corticoïdes anti-inflammatoires est responsable d’une mise au repos de la sécrétion cortico- trope hypophysaire. L’interruption brutale de la corticothérapie expose potentiel- lement au risque de survenue d’une défaillance surrénalienne aiguë, en particulier si le patient est soumis à un stress d’intensité importante. L’inertie de la remise en route de la sécrétion des facteurs hypothalamiques stimulateurs (CRH et AVP), d’une part, et de l’ACTH (et consécutivement surrénalienne), d’autre part, risque de ne pas permettre d’adapter la sécrétion glucocorticoïde aux nécessités de réponse au stress. Si un traitement par corticoïdes de durée brève (< 3 semaines) n’expose pas à ce risque, leur administration sur une période plus prolongée, et a fortiori si la posologie est élevée, rend nécessaire d’évaluer la qualité de la sécrétion corticotrope. Ceci doit être effectué avant de considérer que l’arrêt est dénué de risque ou au contraire qu’il existe potentiellement et qu’il est nécessaire de mettre en route, en relais, un traitement de substitution par hydrocortisone. La mesure de la cortisolémie matinale possède déjà une valeur diagnostique importante. Elle sera complétée, si néces- saire, par une évaluation dynamique. Parmi les différentes investigations disponibles, le test au Synacthène W , de réalisation aisée et utilisant au mieux 1 mg de b 1-24 ACTH, apparaît celui qui permet de répondre le plus finement à cette question et de choisir l’attitude pratique la plus adaptée. tome 43 > n84 > avril 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.01.007

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Presse Med. 2014; 43: 453–459� 2014 Elsevier Masson SAS.Tous droits réservés.

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com PATHOLOGIE DES SURRÉNALES

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Key points

How to manage the interrupanti-inflammatory corticostero

A prolonged treatment with aroids induces an inhibition of Acorticotroph cells.An abrupt interruption of such a

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stopping the treatment is out osubstitutive treatment with hydThe measurement of morning pprovides a significant informaneeded, a dynamic evaluation cAmong the available tests, theperform and using at best 1 mgmost finely informative to answthe most adapted follow-up.

tome 43 > n84 > avril 2014http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.01.007

Comment gérer l’arrêt d’une corticothérapie ?

Jean-Marc Kuhn, Gaëtan Prévost

CHU de Rouen, service d’endocrinologie, diabète et maladies métaboliques,76230 Bois-Guillaume, France

Correspondance :Jean-Marc Kuhn, CHU de Rouen, service d’endocrinologie, diabète et maladiesmétaboliques, 147, avenue du Maréchal-Juin, 76230 Bois-Guillaume, [email protected]

Disponible sur internet le :6 mars 2014

tion of a treatment withids?

nti-inflammatory corticoste-CTH secretion from pituitary

treatment potentially leads tolure, in particular in stressing

secretion of the stimulatingVP) and consecutively of ACTHlity to adapt the secretion ofress.eks) with anti-inflammatory

is risk. On the contrary, a more with high daily doses, needsevel of corticotroph secretion.before to consider that eitherf risk or if the initiation of arocortisone is required.lasma cortisol level already

tion. As to whether that isan be performed.

SynacthenW

test, easy to of b1-24 ACTH, appears the

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Points essentiels

Le traitement prolongé par corticoïdes anti-inflammatoiresest responsable d’une mise au repos de la sécrétion cortico-trope hypophysaire.L’interruption brutale de la corticothérapie expose potentiel-lement au risque de survenue d’une défaillance surrénalienneaiguë, en particulier si le patient est soumis à un stressd’intensité importante.L’inertie de la remise en route de la sécrétion des facteurshypothalamiques stimulateurs (CRH et AVP), d’une part, et del’ACTH (et consécutivement surrénalienne), d’autre part, risquede ne pas permettre d’adapter la sécrétion glucocorticoïde auxnécessités de réponse au stress.Si un traitement par corticoïdes de durée brève (< 3 semaines)n’expose pas à ce risque, leur administration sur une périodeplus prolongée, et a fortiori si la posologie est élevée, rendnécessaire d’évaluer la qualité de la sécrétion corticotrope. Cecidoit être effectué avant de considérer que l’arrêt est dénué derisque ou au contraire qu’il existe potentiellement et qu’il estnécessaire de mettre en route, en relais, un traitement desubstitution par hydrocortisone.La mesure de la cortisolémie matinale possède déjà unevaleur diagnostique importante. Elle sera complétée, si néces-saire, par une évaluation dynamique.Parmi les différentes investigations disponibles, le test auSynacthèneW, de réalisation aisée et utilisant au mieux 1 mg deb1-24 ACTH, apparaît celui qui permet de répondre le plus finementà cette question et de choisir l’attitude pratique la plus adaptée.

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Les corticoïdes de synthèse sont, en raison de leurs pro-priétés anti-inflammatoires ou immuno-suppressives, utilisésen traitement prolongé dans de nombreuses maladies chroni-ques. Une fois l’évolutivité de l’affection contrôlée et, a fortiori,lorsque les différents critères de surveillance sont en faveur del’extinction du processus causal, l’arrêt de la corticothérapiepeut être envisagé. Cette option peut également être prise encas de survenue d’effets indésirables graves ou d’absence debénéfice sur l’affection en cours.L’interruption d’un traitement corticoïde prolongé expose àplusieurs risques potentiels qui incluent la réactivation de lamaladie traitée, l’apparition d’un syndrome de sevrage encorticoïdes (traduction d’une vraisemblable dépendance àleurs effets psychostimulants et anti-asthéniques qui se démas-quent lors de l’arrêt du traitement) et le déficit corticotrope quiest susceptible de se révéler par sa complication majeure :l’insuffisance surrénale aiguë. L’insuffisance corticotrope est, eneffet, une conséquence du puissant effet de rétro-régulationnégative exercé par le corticoïde, utilisé à dose pharmacolo-gique, sur la synthèse hypothalamique des neuro-hormonesstimulantes de la sécrétion d’ACTH. S’y adjoignent un effetinhibiteur direct sur l’activité sécrétoire des cellules corticotro-pes hypophysaires et une inertie de la récupération fonction-nelle hypothalamo-hypophysaire après suspension del’influence frénatrice du médicament. Il faut rappeler que lacorticothérapie prolongée est, en termes de fréquence, lapremière cause d’insuffisance corticotrope.

Pourquoi et quand détecter le risque dedéfaillance surrénalienne ?La gravité de la décompensation aiguë d’une insuffisancesurrénalienne, entité à bien différencier du syndrome desevrage en corticoïdes (encadre 1), justifie le dépistage du

Encadre 1

Symptômes du sevrage en corticoïdes, à différencier desmanifestations annonciatrices d’une défaillance surrénalienneaiguë

Symptômes du sevrage en corticoïdes :

� asthénie ;

� léthargie ;

� dépression ;

� anorexie ;

� amaigrissement ;

� nausées ou vomissements ;

� myalgies ;

� arthralgies ;

� céphalées ;

� fébricule.

déficit corticotrope préalablement à la décision d’arrêt d’untraitement prolongé par corticoïdes, même si le risque dedéfaillance aiguë est faible. Sa fréquence a en effet étéévaluée à moins de 1 % des cas sur d’importantes cohortesde patients qui ont reçu une corticothérapie prolongée et ontété soumis au stress majeur d’une intervention chirurgicaleeffectuée sous anesthésie générale [1,2].Le risque d’insuffisance surrénale secondaire au déficit en ACTHest classiquement fonction de la durée du traitement parcorticoïdes, de la dose quotidienne employée, mais égalementde la puissance relative du stéroïde utilisé, des modalités et dela voie d’administration et, paramètre d’évaluation malaisée,de la sensibilité individuelle du patient. Schlaghecke et al. [3]ont évalué l’influence de la posologie et de la durée de lathérapeutique sur les réponses hypophysaires et surrénalien-nes à l’administration de rhCRH synthétique chez 279 patientsayant reçu un traitement chronique par corticoïdes anti-inflam-matoires. La proportion de réponses jugées faibles ou nulles à lastimulation par 100 mg de rhCRH n’apparaît pas significative-ment liée à la dose quotidienne (5 à 30 mg de prednisone/jour) ou à la durée (jusqu’à 15 ans) du traitement. Sur la basedes études publiées, il est proposé de considérer commesuspects d’insuffisance corticotrope potentielle :� les patients dont les manifestations cliniques évoquent un

syndrome de Cushing iatrogène ;� ceux qui ont reçu une dose � 20 mg de prednisone (ou

équivalent) par jour pendant plus de 3 semaines ;� et enfin les patients dont le traitement oral par corticoïdes a

été fractionné en deux prises (dont une vespérale) pendantquelques semaines, quelle qu’en soit la posologie.

L’interruption du traitement doit, dans ces situations, êtreprécédée d’une évaluation fonctionnelle du système hypotha-lamo-hypophyso-cortico-surrénalien. Éventuelle exception àcette règle, les patients pour lesquels il est envisagé uneréduction par paliers très progressifs de la corticothérapie(tableau I), sur une période prolongée, qui permet à la foisde prévenir la réactivation de la maladie traitée et d’éviterl’apparition de signes de déficit en glucocorticoïdes endogènes.

Tableau I

Paliers de décroissance d’une corticothérapie anti-inflammatoiresi option d’un sevrage progressif sur une durée prolongée

Prednisone ouéquivalent (mg/j)

Palier dedécroissance (mg)

Durée dupalier (semaines)

> 40 5 à 10 1 à 2

20 à 40 5 1 à 2

10 à 20 2,5 2 à 3

5 à 10 1 2 à 4

< 5 0,5 2 à 4

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En revanche, les patients dont la durée de traitement estinférieure à 3 semaines (quelle que soit la dose quotidienne)et ceux dont la corticothérapie est effectuée en alternance unjour sur deux n’apparaissent pas exposés au risque de décom-pensation surrénalienne à l’arrêt des stéroïdes anti-inflamma-toires. Une exploration systématique de l’intégrité de lafonction corticotrope n’apparaît donc pas justifiée dans ces cas.Demeurent les situations intermédiaires (7,5 à 20 mg de pre-dnisone en prise matinale unique ou une dose < 10 mg avec aumoins une prise vespérale) où l’incertitude sur ce risque justifiela réalisation d’investigations destinées à dépister un potentieldéficit corticotrope. Ainsi, lorsqu’un arrêt de la corticothérapieest envisagé, une posologie < 7,5 mg/j en termes d’équiva-lent en dose quotidienne de prednisone autorise l’interruptiondu traitement sans exploration préalable, une dose quotidien-ne > 20 mg impose la mise en route d’un traitement substitutiftandis que la réalisation d’une exploration fonctionnelle sur-rénalienne est justifiée pour les posologies intermédiaires.Cette attitude doit cependant être modulée en fonction de lanature du corticoïde utilisé.La prise en compte de la nature du corticoïde utilisé a en effetson importance. Comme illustré dans le tableau II, l’effetfrénateur exercé sur la sécrétion corticotrope, qui est fonctionde la demi-vie et de la puissance biologiques, oscille entre 1 et35 selon la molécule considérée. L’estimation du potentielfrénateur en « équivalent prednisone » permet de s’affranchirde la majeure partie ces particularités moléculaires.Au-delà du seuil de 3 semaines, la durée du traitement n’apparaîtpas influencer le risque de déficit corticotrope. L’influence de ceparamètre a été évaluée dans l’étude de Schlaghecke et al. [3] oùles patients ont été répartis en fonction de la durée du traitementpar corticoïdes anti-inflammatoires qui a varié de moins d’unmois à plus de 2 ans. Les proportions de réponses normales,faibles ou absentes à l’administration de rhCRH sont similairesquel que soit le groupe considéré. Une corticothérapie prolongéesur plus de 3 semaines, notamment si la posologie utilisée

Tableau II

Demi-vie biologique et puissance frénatrice respectives descorticoïdes par référence à ceux de la cortisone (demi-vie =8 à 12 heures, puissance frénatrice = 1)

Corticoïdes Demi-vie (heures) Puissance frénatrice

Cortisone 8–12 1

Cortisol 8–12 1,25

Prednisone 12–36 3–5

Prednisolone 12–36 3–5

Triamcinolone 12–36 3–5

Dexaméthasone 36–54 5–35

9a-fluorohydrocortisone 8–12 10–15

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est > 7,5 mg de prednisone par jour, justifie la réalisationd’une exploration de la fonction corticotrope avant d’effectuerl’interruption du traitement.

Quelles investigations endocriniennesutiliser ?La mesure, dans les conditions basales, du taux matinal ducortisol plasmatique peut s’avérer d’intérêt comme examende première ligne pour le dépistage de l’insuffisance cortico-trope. Une cortisolémie < 138 nmol/L (5 mg/dL) est haute-ment prédictive de déficit en ACTH [4]. À l’inverse, cetteprobabilité est très faible pour une valeur > 365 nmol/L(13,2 mg/dL). Cette méthode impose la réalisation d’unprélèvement sanguin au laboratoire, contrainte qui peutêtre évitée par la détermination du taux de cortisol salivaire.Chez le patient traité par corticoïdes, une concentration mati-nale de cortisol salivaire < 5 nmol/L (0,18 mg/dL) rend hau-tement probable l’existence d’un déficit corticotrope, alorsqu’un chiffre > 16 nmol/L (0,58 mg/dL) apparaît l’exclure [5].La sécrétion des androgènes surrénaliens étant sous la dépen-dance de celle de la cellule corticotrope hypophysaire s’est fortlogiquement posé la question de l’intérêt de leur mesure enpathologie impliquant l’ACTH. Sans surprise, les taux plasma-tiques de base de DHEA et de DHEA sulfate (DHEA-S) sontsignificativement inférieurs aux normes pour la tranche d’âgeconsidérée en cas de déficit corticotrope [6,7]. Sans qu’ellesupplante ceux du cortisol, les résultats de cette mesure,facultative, peuvent venir étayer le diagnostic fonctionnelsurrénalien.La détermination du taux d’ACTH plasmatique n’a pas d’intérêtpour dépister l’insuffisance corticotrope post-corticothérapie.Associé à un effondrement de la cortisolémie, un taux basd’ACTH ne ferait que confirmer l’origine hypothalamo-hypo-physaire du déficit. De même, la mesure du cortisol libreurinaire des 24 heures est dénuée d’intérêt dans ce contexte.Des résultats sans équivoque sur les taux hormonaux de basepermettront de choisir, lors de l’arrêt de la corticothérapie,l’attitude pratique adaptée à la situation fonctionnelle : sub-stitution ou non par hydrocortisone. Dans les autres cas, lerecours à des explorations hormonales dynamiques est néces-saire. Le « Gold Standard » reste l’hypoglycémie insulinique, quiinduit de façon reproductible [8] la sécrétion des neuro-pepti-des stimulateurs de la synthèse et de la libération d’ACTH. Cetest qui explore l’ensemble de la cascade hypothalamo-hypo-physo-surrénalienne a plusieurs inconvénients. Il est mal sup-porté, potentiellement dangereux en cas de déficit corticotropeet ne peut être réalisé qu’en milieu hospitalier. Des alternativesont donc été développées et validées par référence aux résul-tats de l’hypoglycémie insulinique.Le test à la métopirone (dans sa version longue ou dans saversion en prise unique vespérale plus aisément réalisée) seheurte au double inconvénient de l’indisponibilité d’obtention

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des comprimés en officine libérale et de nécessiter desdosages d’ACTH et/ou de 11 désoxycortisol plasmatique. Parailleurs, la réalisation du test long nécessite l’hospitalisation dupatient.Le test à la CRH court-circuite l’étage de l’hypothalamus et estjugé sur l’ascension post-stimulative des taux plasmatiquesd’ACTH et de cortisol. L’élévation de la cortisolémie induite parl’administration de CRH est bien corrélée à celle obtenue au coursde l’hypoglycémie insulinique [9]. Une réponse < 377 nmol/L(13,7 mg/dL) témoigne d’une insuffisance surrénalienne secon-daire au déficit en ACTH. Quoique fiable, l’emploi de ce test setrouve réduit par son coût lié notamment au prix d’achat dusécrétagogue et à la multiplicité des dosages qu’il impose. Cecien limite l’utilisation en pratique clinique.C’est donc sur la base du test à la b1-24 ACTH (test au Synacthè-neW) que repose, en pratique, l’évaluation dynamique de lafonction corticotrope au moment où se pose la question del’interruption d’une corticothérapie. Il s’agit d’une évaluationindirecte de l’activité sécrétoire de la cellule corticotrope hypo-physaire liée au constat que la réponse surrénalienne à lastimulation par SynacthèneW est proportionnelle à son contactpréalable avec l’ACTH endogène. Ce fait, lié à la régulationpositive de l’ACTH sur l’expression de ses propres récepteurssurrénaliens, explique que l’amplitude de la réponse surréna-lienne au SynacthèneW fournisse une information pertinentesur le retentissement d’une corticothérapie prolongée sur lafonction corticotrope. Le test classique évalue l’ascension de lacortisolémie 60 minutes après injection intraveineuse de250 mg de SynacthèneW. Il existe une corrélation étroiteentre les pics de cortisolémie obtenus après ce test et l’hypo-glycémie insulinique [10]. La récente méta-analyse de Kazlaus-kaite et al. [4] conclut que la probabilité d’un déficit corticotropeest inférieure 5 % si l’ascension du taux de cortisol plasmatiqueest > 600 nmol/L (21,7 mg/dL) et au contraire supérieure à83 % si le pic n’atteint pas 440 nmol/L (15,9 mg/dL). Ces seuilspeuvent être respectivement ajustés à 550 (19,9 mg/dL) et400 nmol/L (14,5 mg/dL), selon la méthode de dosage utiliséepour mesurer le taux de cortisol plasmatique. Le test auSynacthèneW présente les avantages de la simplicité de réali-sation, d’une excellente tolérance, de pouvoir être effectué enambulatoire et sans influence de l’horaire de prélèvement surle résultat. Au demeurant, il s’agit d’un test pharmacologique,les taux plasmatiques de b1-24 ACTH atteignant plusieurs mil-liers de pg/mL dans les minutes qui suivent l’injection [11]. Adonc été évalué l’intérêt diagnostique d’un test au Synacthè-neW beaucoup plus proche de la physiologie. L’injection de 1 mgde b1-24 ACTH au cours du test au SynacthèneW « Low Dose »,qui a montré son intérêt dans le suivi des syndromes de Cushing[12,13], est suivie d’un pic plasmatique moyen d’1-24ACTH,100 fois inférieur à celui du test standard, puis d’une ascensionde la cortisolémie qui culmine 30 minutes après l’injection. Lesvaleurs atteintes sont similaires à celles de la 30e minute du

test standard [11]. C’est donc préférentiellement par le test auSynacthèneW 1 mg avec mesure du cortisol plasmatique ousalivaire, et éventuellement de la DHEA [7], 30 minutesaprès l’injection, que devrait s’effectuer l’évaluation de lafonction corticotrope lorsque les résultats des mesures debase laissent un doute sur son intégrité. Ce test est utilisableaussi bien chez l’adulte que chez l’enfant [14]. On ne peut queregretter l’absence de disponibilité d’un conditionnement duSynacthèneW en flacons de 1 mg. Cela oblige en effet à desmanipulations de dilution susceptibles de limiter, en pratique,l’utilisation de ce test.Le recours à l’hypoglycémie insulinique ou au test à la méto-pirone ne doivent s’envisager qu’en troisième ligne, aprèsréalisation des mesures de base et une première évaluationdynamique, si l’ascension de la cortisolémie au cours du test auSynacthèneW s’inscrit entre 440 (15,9 mg/dL) et 600 nmol/L(21,7 mg/dL). Les tests au glucagon ou au GHRP-6 [15] qui ontété évalués ne sont pas employés compte tenu de leur moindresensibilité.

En pratiqueLa corticothérapie peut être interrompue, sans qu’une évalua-tion hormonale préalable soit nécessaire, si la posologie utiliséea été < 7,5 mg de prednisone par jour et la durée de lathérapeutique inférieure à 3 semaines.Pour les corticothérapies utilisées à doses supérieures et/ouplus prolongées, il faut effectuer une mesure des taux hormo-naux de base : cortisol plasmatique ou salivaire matinal(� DHEA plasmatique). Selon le résultat, trois situations sontpossibles :� la corticothérapie peut être interrompue sans compensation

hormonale si cortisol plasmatique > 365 nmol/L (13,2 mg/dL) ou cortisol salivaire > 16 nmol/L (0,58 mg/dL) ;

� il faut à l’inverse initier une substitution par hydrocortisone sicortisol plasmatique < 138 nmol/L (5 mg/dL) ou cortisolsalivaire < 5 nmol/L (0,18 mg/dL). Celle-ci repose sur la prisequotidienne de 15 à 20 mg d’hydrocortisone en deux à troisprises, posologie qui sera portée à la hausse en casd’apparition d’un syndrome de sevrage en corticoïdes ouen situation de stress. Avec la possibilité d’en réduire laposologie en fonction des résultats des bilans de surveillance,ce traitement de substitution sera maintenu jusqu’à lanormalisation de la fonction corticotrope ;

� une évaluation fonctionnelle dynamique est nécessaire sicortisol plasmatique compris entre 138 (5 mg/dL) et365 nmol/L (13,2 mg/dL) ou cortisol salivaire compris entre5 (0,18 mg/dL) et 16 nmol/L (0,58 mg/dL). Cette évaluationrepose, de façon optimale, sur la réalisation d’un test auSynacthèneW 1 mg. Une ascension du taux de cortisolplasmatique au-dessus de 600 nmol/L (21,7 mg/dL) ou ducortisol salivaire au-dessus de 20 nmol/L (0,72 mg/dL) [16]permet l’arrêt de la corticothérapie sans introduction d’une

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Tableau III

Substitution de couverture en hydrocortisone à proposer lors d’unstress chirurgical programmé, en prévention d’une défaillancesurrénalienne chez le patient récemment sevré en corticoïdes

Type d’intervention Dose quotidienne(en équivalent

hydrocortisone) (mg)

Durée dutraitement (h)

Stress mineur(cure de hernie inguinale)

25 24

Stress modéré(cholécystectomie)(hystérectomie)

50 à 75 24 à 48

Stress majeur(colectomie)(pancréato-duodénectomie)

100 à 150 48 à 72

Arr êt de la cor

(pr edn isone 5

Initi ation d'un

par hydro

Cor tiso lémie

< 138

< 5

138 à

5 à 1

β1-24 AC

< 440

< 15,9

> 440 à > 15,9 à

Hypogly

ou

Métopi

Réponse

ins uffisante

Subs titution

par

hydro cortisone

Figure 1

Étapes de la démarche pratique lors du sevrage en corticoïdesCortisolémie en nmol/L (chiffre supérieur) et en mg/dL (chiffre inférieur).

Comment gérer l’arrêt d’une corticothérapie ?Pathologie des surrenales

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substitution par hydrocortisone. À l’inverse, un pic de cortisolplasmatique < 440 nmoL (15,9 mg/dL) ou de cortisol salivai-re < au seuil suscité fera maintenir la substitution hormonaleet réévaluer ultérieurement les possibilités de récupérationde la sécrétion hypophysaire d’ACTH.

Les étapes de la surveillance biologique, qui repose sur ladétermination de la cortisolémie ou du taux de cortisol salivairematinaux (mesures effectuées avant la prise d’hydrocortisone),complétée, si nécessaire, par la réalisation d’un test au Synacthè-neW, sont effectuées à intervalles de 6 à 8 semaines. Le retourdans la norme des critères biologiques de surveillance permet demettre un terme à la substitution en glucocorticoïde.Au demeurant, une réponse normale ne permet pas d’excluretotalement une inertie corticotrope [17] susceptible de serévéler lors de stress, ce qui doit amener à reconsidérerl’intérêt de l’encadrement d’une situation stressante prévisible

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ti cothérapie

-7,5 mg/j )

e sub stituti on

corti sone

matinale

365

3,2> 365

> 13,2

TH

< 600

< 21,7> 600

> 21,7

cémie

rone

Réponse

normale

Pas de tra itement

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(comme une intervention chirurgicale majeure) par unesubstitution glucocorticoïde transitoire. Ceci est d’autant plusjustifié que l’arrêt de la corticothérapie est récent. Si cetteoption est prise, la posologie de la « couverture » en hydro-cortisone ne doit pas être surestimée mais adaptée à l’intensitédu stress (tableau III).Une ascension intermédiaire des concentrations du cortisolplasmatique (440 [16 mg/dL] à 600 nmol/L [21,8 mg/dL]) ousalivaire (12 [0,44 mg/dL] à 20 nmol/L [0,73 mg/dL]) aprèsstimulation par SynacthèneW devra faire réaliser uncomplément d’exploration par test à la métopirone ou parhypoglycémie insulinique pour écarter ou au contraire affirmerun déficit corticotrope et consécutivement pour initier ou nonune substitution par hydrocortisone.En résumé, lorsqu’après une décroissance progressive, la dosequotidienne atteint un équivalent de 5 mg de prednisone etque l’interruption de la corticothérapie est envisagée, sansrisque de récurrence de la maladie qui a justifié sa mise enroute, une évaluation hormonale doit être réalisée. Telles despoupées russes, trois étapes successives peuvent être néces-saires pour choisir de maintenir ou non la substitution parhydrocortisone qui aura pris le relais de la corticothérapie(figure 1). Un premier dépistage est effectué par simplemesure du cortisol matinal. Si nécessaire, une deuxièmeétape comportera la réalisation d’un test au SynacthèneW

(préférentiellement à 1 mg) avec recours éventuel, dans untroisième temps, au test à la métopirone ou par hypoglycémieinsulinique.

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ConclusionL’interruption d’une corticothérapie anti-inflammatoire à dosesfrénatrices et prolongée sur plus de 3 semaines justifie uneévaluation clinico-biologique préalable. La posologie utilisée, laduréed’administration, les répercussionscliniques fournissentdespremiers signes d’orientation. La mesure du cortisol plasmatiquematinal, méthode simple de dépistage, est utile mais n’est infor-mativequedans50à60%descas.L’évaluationdedeuxièmelignepar b1-24 ACTH est simple et bien corrélée aux tests de référence.Une réponse normale autorise l’arrêt de la corticothérapie sansintroduire de substitution glucocorticoïde en gardant présent àl’esprit que cette réponse normale ne permet pas d’excluretotalement une inertie corticotrope susceptible de se manifesteren cas de stress aigu et qui peut justifier la mise en route d’unesubstitution hormonale transitoire si celui-ci est prévisible. Laposologie de ce traitement de « couverture » en hydrocortisone,fréquemment surestimée, doit être adaptée à l’intensité prévi-sibledustress.Si l’informationapportéepar letestauSynacthèneW

estinsuffisante,ellepeutêtrecomplétéeparundestestsexplorantla totalité de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (métopi-rone ou hypoglycémie insulinique). Enfin, lorsque le maintiend’une substitution glucocorticoïde est nécessaire, une réévalua-tion de la fonctionnalité corticotrope sera réalisée à un rythmemaximal bi-annuel jusqu’à sa récupération complète.

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Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflitsd’intérêts en relation avec cet article.

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Comment gérer l’arrêt d’une corticothérapie ?Pathologie des surrenales

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