Comment créer du désir sur de petits espaces urbains? Urban Lifestyle Point (ULP)

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Les Cahiers nouveaux N° 80 Décembre 2011 66 66-73 Chantal Scoubeau Université de Mons Faculté Warocqué d’économie et de Gestion Professeur Jean-Luc Calonger 01 Haute école provinciale de Hainaut Condorcet Professeur Comment créer du désir sur de petits espaces urbains ? Urban Lifestyle Point (ULP) Préférer l’humain au design ! Les opérations de revitalisation et régénéra- tion urbaines entreprises ces dernières années représentent des investissements importants effectués dans nos villes. Malgré cela, nombre de centres-villes restent fragmentés et ponctués d’espaces inutilisés. Pire, bon nombre de ces opérations destinées à dynamiser les zones urbaines génèrent des espaces publics «vides». À la recherche d’un «geste fort architectural», de nombreux projets de rénovation urbaine sont surtout préoccupés par l’esthétique et les lignes épurées. Les beaux espaces ne font pas toujours des espaces vivants. Le geste fort architectural est rarement adopté par la population susceptible d’utiliser les lieux, car souvent antinomique avec ses aspirations réelles. Cela ne signifie pas pour autant que l’aspect visuel doit être négligé, mais l’esthétique ne doit pas primer au détriment de l’utilisation qui peut être faite du lieu. Bien qu’ils s’en défendent, de nombreux auteurs de projets sont peu ou mal armés pour penser l’espace en plaçant l’utilisateur au centre de la réflexion et de l’action. Ils privilégient la vue d’avion, éventuellement la vue d’hélicoptère mais jamais ou très rarement la vue du sol. En découlent l’émergence et la prolifération de lieux qui peuvent être à l’origine très «beaux» mais déserts, non appropriés par la population et ra- pidement dégradés. La multiplication de ce type d’espaces crée des ruptures dans les noyaux urbains et génère une absence préoccupante de liens entre les quartiers et les communautés. Cette spirale des espaces urbains sans identité alimente le manque d’attractivité d’un quartier et par voie de conséquence pénalise la ville dans son entièreté. Avant toute chose, il s’agit de comprendre pourquoi un espace urbain est sous utilisé au- jourd’hui et de définir ce qui serait susceptible de le rendre attrayant demain et après-demain. 01 Président de l’Association du Management de Centre- Ville asbl (AMCV).

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"Préférer l’humain au design! Les opérations de revitalisation et régénération urbaines entreprises ces dernières années représentent des investissements importants effectués dans nos villes. Malgré cela, nombre de centres-villes restent fragmentés et ponctués d’espaces inutilisés. "...

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66-73Chantal ScoubeauUniversité de MonsFaculté Warocqué d’économie et de GestionProfesseur

Jean-Luc Calonger01 Haute école provinciale de Hainaut CondorcetProfesseur

Comment créer du désir sur de petits espaces urbains ?Urban Lifestyle Point (ULP)

Préférer l’humain au design !

Les opérations de revitalisation et régénéra-tion urbaines entreprises ces dernières années représentent des investissements importants effectués dans nos villes. Malgré cela, nombre de centres-villes restent fragmentés et ponctués d’espaces inutilisés. Pire, bon nombre de ces opérations destinées à dynamiser les zones urbaines génèrent des espaces publics «vides». À la recherche d’un «geste fort architectural», de nombreux projets de rénovation urbaine sont surtout préoccupés par l’esthétique et les lignes épurées. Les beaux espaces ne font pas toujours des espaces vivants. Le geste fort architectural est rarement adopté par la population susceptible d’utiliser les lieux, car souvent antinomique avec ses aspirations réelles. Cela ne signifie pas pour autant que l’aspect visuel doit être négligé, mais l’esthétique ne doit pas primer au détriment de l’utilisation qui peut être faite du lieu.

Bien qu’ils s’en défendent, de nombreux auteurs de projets sont peu ou mal armés pour penser l’espace en plaçant l’utilisateur au centre de la réflexion et de l’action. Ils privilégient la vue d’avion, éventuellement la vue d’hélicoptère mais jamais ou très rarement la vue du sol. En découlent l’émergence et la prolifération de lieux qui peuvent être à l’origine très «beaux» mais déserts, non appropriés par la population et ra-pidement dégradés. La multiplication de ce type d’espaces crée des ruptures dans les noyaux urbains et génère une absence préoccupante de liens entre les quartiers et les communautés. Cette spirale des espaces urbains sans identité alimente le manque d’attractivité d’un quartier et par voie de conséquence pénalise la ville dans son entièreté.

Avant toute chose, il s’agit de comprendre pourquoi un espace urbain est sous utilisé au-jourd’hui et de définir ce qui serait susceptible de le rendre attrayant demain et après-demain.

01Président de l’Association du Management de Centre-Ville asbl (AMCV).

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Afin d’effectuer cette analyse et d’assurer la convivialité de l’espace de manière pérenne, il est impératif d’interroger les utilisateurs potentiels de l’espace sur leurs besoins et leurs envies… leurs désirs ! C’est de la population que doit venir l’impulsion et c’est en répondant à ses aspirations qu’un espace urbain pourra, en im-pliquant les différentes communautés, exister, s’intégrer sur le long terme dans la vie du quar-tier et évoluer au fil du temps. La valeur d’un espace du domaine public peut être générée par la qualité de son environnement physique, par des services ou des animations mais également et surtout par la fréquentation, l’appropriation, le sentiment de fierté, de respect et d’appar-tenance à cet espace. Ces différents éléments sont d’ailleurs étroitement liés. Une population, une communauté ne peut pleinement s’identi-fier à un espace que si celui-ci lui renvoie une image positive. Ce constat fait d’identification de besoin, de de-mande, de désir nous renvoie inévitablement vers une discipline dont ces notions sont des concepts clés : le marketing. Une recherche menée depuis deux ans par l’AMCV sur les méthodes et concepts américains et australiens de Place Making et Place Management nous a permis d’identifier que la spécificité et l’efficacité de ces techniques de gestion étaient liées à l’adaptation et l’utilisation d’outils marketing à l’aménagement urbain.

Des techniques marketing au servicedes espaces urbains

Il y a déjà longtemps que la non prise en compte du «consommateur» a causé des problèmes dans d’autres secteurs qui sont donc passés assez rapidement d’une approche basée sur le «produit conçu» à une approche beaucoup plus sociétale. Cette transition est également à réaliser sur les espaces publics afin de les rendre plus attractifs aux yeux des utilisateurs.

Si on adapte l’approche du marketing sociétal (Kotler 2009) au développement urbain, on peut définir la gestion sociétale d’un espace comme un concept qui pousse le gestionnaire de l’espace à identifier les besoins, désirs et intérêts de ses cibles marketing (les habitants, les travailleurs, les visiteurs, les investisseurs…) afin de leur dé-livrer un niveau de satisfaction effectif supérieur à celui offert par les concurrents, c’est-à-dire les autres espaces, et ce, de manière à conserver, voire améliorer, le bien-être des utilisateurs et de la société en général.

Le passage à une logique sociétale implique le développement d’une vision stratégique (de long terme) de l’espace étudié et l’intégration d’un ensemble de techniques marketing permettant de générer de la valeur pour les utilisateurs.

Le principe est en fait de penser un espace urbain comme s’il était un concept commercial et de tendre vers le développement de ce que l’on ap-pellera un ULP (Urban Lifestyle Point).

Revenons tout d’abord sur les origines de l’ap-proche. L’ULP est, en fait, une évolution d’un concept vieux de plus de 50 ans et développé, à l’origine, par les responsables de la communica-tion des entreprises afin de se créer une image et une position particulière sur les marchés par le biais d’une proposition tout à fait spécifique faite au consommateur : l’USP (Unique selling proposi-tion). L’USP est donc une offre unique faite, pour un produit ou un service, de manière à différencier le fournisseur des concurrents en place. Cette offre particulière fait référence à une supériorité fonctionnelle en ce sens qu’elle propose soit la meilleure qualité, soit le meilleur service, soit le prix le plus bas ou encore la technologie la plus avancée (De Pelsmacker et al., 2005). Cet élé-ment unique et distinctif est la base de toutes les campagnes de communication développées par la marque et doit constituer, de par sa corres-pondance aux attentes du consommateur, un argument de poids pour l’attirer vers le produit et la marque. On peut citer de nombreux exemples de cette approche : Red Bull «donne des ailes», M&M’s «fond dans la bouche, pas dans la main», BMW «the ultimate driving machine»… Toutes ces propositions répondent tellement bien aux besoins et attentes des consommateurs qu’elles poussent celui-ci à se diriger vers la marque et deviennent à long terme un avantage compétitif décisif pour le fournisseur (Marion et al., 2003).

USPUniquesellingProposition

Communication concept

USPUniquesellingProposition

Retailconcept

ULPUrbanLifestylePoint

PlaceManagementConcept

De l’USP à l’ULP, adaptation d’un concept marketing à la gestion d’espace.

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Cette notion a récemment été transposée dans le domaine de la distribution et a conduit à la créa-tion d’USP (Unique Selling Points) définis dans ce cadre comme des lieux de vente correspondant aux attentes du consommateur et permettant la création d’une atmosphère de consommation tout à fait spécifique, unique (citons en exemples les Starbucks Cafés ou Abercrombie & Fitch). Le dé-veloppement de ces USP utilise les techniques du marketing expérientiel et facilite, par ce biais, la fidélisation du consommateur tout en allongeant la durée de présence sur le lieu de vente et donc, souvent, les dépenses du consommateur. Il y a création de valeur sur le lieu non plus uniquement par la proposition de biens ou services mais éga-lement par le développement d’une expérience de consommation et d’achat (Dioux & Dupuis, 2005).

Enfin, la dernière évolution du concept nous permet de l’appliquer aux espaces urbains en créant des ULP (Urban Lifestyle Point) que l’on définit alors comme des espaces réappropriés par les utilisateurs, habitants, travailleurs, visi-teurs… à la suite d’une gestion spécifique visant à leur conférer de la valeur au sens «humain» du terme. L’aménagement et la gestion d’un espace doivent répondre à des besoins, des attentes, des désirs. Ils doivent prendre en compte les condi-tions de vie, les habitudes, les comportements, les systèmes de valeur des usagers potentiels (résidents, travailleurs, visiteurs occasionnels ou récurrents, commerçants, etc.). L’approche de la population est avant tout culturelle. La transformation d’un espace urbain en un lieu de rencontre et d’échange est donc directement liée à la population susceptible de le fréquenter et à la façon de le fréquenter. Il peut s’agir d’une place, d’un square ou de tout autre espace urbain bénéficiant d’une certaine centralité en adéqua-tion avec une population cible. Si l’idée est simple,

sa concrétisation l’est beaucoup moins. Une création de valeur sur un espace urbain implique de construire cet espace comme un véritable «produit», comme un «concept commercial».

Ce management différent de l’espace utilise et adapte les techniques du marketing expérientiel afin d’obtenir des effets identiques à ceux ob-tenus dans la distribution comme par exemple (Dioux & Dupuis, 2005) : l’attraction (l’organisation d’événements tels que des concerts gratuits, une exposition… génère du trafic sur le lieu et invite les visiteurs à y passer plus de temps), la curiosité ( l’installation de sculptures particulières peut attirer les visiteurs, les pousser à observer davan-tage leur environnement), le «statut» (la nature de l’aménagement du lieu peut susciter un sentiment de valorisation chez le visiteur), la théâtralisation (l’utilisation d’écrans plasma géants, la diffusion de sons, les lumières peuvent accroître le temps dépensé dans l’espace et attirer les visiteurs), l’ap-propriation (la mise à disposition de mobilier urbain mobile peut permettre aux visiteurs de réorganiser l’espace comme ils le souhaitent et donc de se l’ap-proprier, ce qui peut faciliter les échanges sociaux).

On essaye donc de créer ou recréer, à l’instar de ce qui est fait pour l’expérience de consommation dans la distribution, une expérience de vie dans les espaces urbains.

Les approches de management urbain sont cependant très différentes notamment dans les buts qu’elles poursuivent puisqu’au contraire de ce qui se passe au niveau des USP, on n’essaye nullement de diviser mais plutôt d’unifier. Ainsi l’ULP défend le principe de l’intégration sociale et tend à favoriser les échanges entre populations issues d’origines sociales, culturelles, ou socio-professionnelles différentes. Un ULP doit devenir un lieu de destination et d’intégration. Destination car il répond à un positionnement socioculturel hyper segmenté avec une population cible et des objectifs précis. Intégration car construits et développés comme des espaces de convivialité et d’appropriation socioculturelle. Ces valeurs cultu-relles permettent d’éviter les clivages classiques générateurs de «repli sur soi». La conception, la mise en œuvre et la gestion d’un ULP exigent une souplesse ainsi qu’une intensité de moyens et de compétences, difficiles à envi-sager sur un espace du domaine public dans le cadre d’une gestion communale. Il est primordial d’identifier au démarrage du projet les parte-naires susceptibles de le financer.

Processus de mise en œuvre

La mise en œuvre d’ULP implique une métho-dologie rigoureuse qui se déroule en six étapes à l’image de la construction d’une USP. Dans un premier temps, le travail consiste à comprendre le fonctionnement du quartier à travers son identité, sa fréquentation et les lieux de «centralité» sus-ceptibles de donner lieu à la mise en place d’un ULP. Ensuite, il convient de procéder au balisage

La place communale de La Louvière, un espace récemment rénové qui ne demande qu’à vivre.© AMCV

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02Outil construit par la ville de Tournai (BE) partenaire du Projet européen Lively Cities, mené dans le cadre d’INTERREG IVB NWE.

des objectifs, l’identification des principaux acteurs et l’appropriation du projet par ceux-ci ainsi que l’établissement des priorités d’action et la nature des concepts à développer. Enfin, les dernières étapes sont celles de la concrétisation opérationnelle des ULP.

Les 6 étapes de la mise en oeuvre

L’analyse de la situation d’origineDans cette phase préliminaire, le gestionnaire de l’espace doit rassembler un maximum d’informa-tions de manière à identifier les caractéristiques de l’espace. Cette phase primordiale de recherche est fondamentale afin de définir ultérieurement la stratégie à mettre en place au sein de l’espace étudié. Comme lors des approches commerciales, en effet, toute prise de décision doit être basée, notamment, sur une analyse approfondie des éléments constitutifs de l’espace à «vendre» aux utilisateurs. On se doit donc d’étudier aussi bien l’utilisation actuelle de l’espace que les infras-tructures disponibles ou encore les événements organisés ou spontanés présents. Différents outils existent pour ce faire (PPS Inc, 2005). On peut tout d’abord envisager de rassembler les utilisateurs (par exemple, les habitants) afin de discuter avec eux de l’usage qu’ils font de l’espace. La difficulté dans ce cas tient à la mobilisation des utilisateurs et à la difficulté éventuelle de modération de la réunion de groupe organisée. On peut aussi administrer des questionnaires ou uti-liser des techniques plus originales permettant de rassembler des photos de la vie de l’espace ou des «tops» et «flops» identifiés.02 Une autre technique est celle de l’observation du comportement des individus à différentes heures de la journée afin d’identifier ce qu’ils font dans l’espace ; s’ils s’y ar-rêtent, s’ils ne font que passer, s’ils y sont seuls ou s’y regroupent… Des grilles d’observation peuvent être utilisées et permettre une formalisation de l’approche. On peut également faire du comptage

afin de rassembler des données numériques ou encore du tracking pour identifier les flux de circulation vers et dans l’espace. À toutes ces données, il faut encore rajouter les contraintes à respecter et les éventuels obstacles qui pour-raient être présents sur le site (par exemple, des bâtiments classés…).

L’analyse des besoins et désirs des différents utilisateursComme nous l’avons vu au niveau de la descrip-tion de l’USP, l’important dans le développement du concept est qu’il colle aux besoins et attentes des utilisateurs afin qu’inévitablement ils soient attirés par l’espace. Il est donc primordial d’ana-lyser les différents types d’utilisateurs potentiels de l’espace afin de sélectionner ceux que l’on veut y retrouver et de se positionner par rapport à eux. Nous proposons alors, à nouveau, d’utiliser des concepts chers aux entreprises, à savoir l’analyse du comportement du consommateur et la segmen-tation. Développés sur la base de la définition de Kotler (2009), les buts de l’analyse du comporte-ment sont d’étudier comment les utilisateurs choi-sissent et utilisent l’espace, seuls ou en groupes, et d’identifier leurs besoins et désirs de manière à les satisfaire ultérieurement. Par ce moyen, on vise à permettre une meilleure intégration sociale des différents publics de l’espace. Ces analyses de comportement peuvent se faire sur la base de l’observation, de l’administration de question-naires, d’interviews ou de réunions de groupe et peuvent éventuellement être envisagées en même temps que l’étape précédente afin de ne pas lasser les utilisateurs par une multitude de rencontres et réunions qui risqueraient d’entamer la patience et la bonne volonté des utilisateurs contactés.

L’analyse de l’environnementL’espace étudié devra s’intégrer dans un envi-ronnement plus large ayant ses propres carac-téristiques. L’analyse de cet environnement doit permettre, plus tard, de positionner le nouvel espace comme différent et complémentaire à ceux déjà existants (et donc unique !). Le but est toujours de créer de la valeur et une expérience particulière de vie.Tous les éléments liés à l’environnement doivent donc être pris en compte et, par exemple, lors de l’identification des flux entrants, on doit égale-ment identifier leurs sources et donc aussi l’im-pact des éléments extérieurs sur la vie de l’espace (présence de magasins, d’écoles…).

Ces premières étapes constituent en fait ce que l’on nomme en gestion une analyse SWOT (Strenghts/Weaknesses – Opportunities/threats

– analyse forces/ faiblesses-opportunités/me-naces). Les forces et faiblesses constituent les éléments propres à l’espace et donc internes au sujet d’étude alors que les opportunités et les menaces sont, elles, liées à son environne-ment. Le but de cette analyse va être de mettre en évidence les différentes actions possibles de manière à profiter des forces internes pour réagir aux menaces ou profiter des opportunités pour compenser les faiblesses ou valoriser les forces.

Sydney, Darling Harbour, un espace dédié à la famille et aux enfants.© AMCV

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maintien de la propreté, garantie de sécurité…) et bien entendu par les campagnes de communica-tion qui seront lancées autour du projet.

Un positionnement recouvre donc trois idées (Marion et al., 2003) : une intention (position vou-lue, souhaitée dans l’esprit de l’utilisateur), un pro-cessus (lié à la mise en œuvre d’actions inspirées de la position visée) et enfin, un résultat (place occupée dans l’esprit de la cible). L’intention est généralement traduite au travers d’un «positio-ning statement» (Marion et al., 2003), c’est-à-dire l’énoncé de la position voulue qui est une réponse à trois questions : pour qui ? (cible), quoi ? (que pro-posons-nous) et pourquoi ? (quel est notre élément de différenciation). Par exemple, dans le cas d’Ac-timel : «pour toute la famille, Actimel est le geste santé du matin qui aide à renforcer l’organisme». Le processus mis en place par les gestionnaires permet, s’il est correctement adapté, de passer de l’intention au résultat. Selon Kotler (2009), les qua-lités d’un bon positionnement sont : la pertinence, la crédibilité, la faisabilité, la communicabilité et la possibilité de défense.

Dans le contexte de management urbain, le positionnement peut être développé autour de 4 aspects principaux (PPS 2005) : l’identité, la convivialité (capacité à créer des liens entre les différents groupes de population présents),

La segmentation, le ciblage et le positionnementLa connaissance issue des premières étapes de la démarche permet de réaliser ce que l’on appelle une segmentation, c’est-à-dire l’identification de groupes homogènes d’utilisateurs ayant les mêmes attentes et les mêmes besoins et vers qui l’on pourra communiquer de la même façon. Comme c’est le cas pour une entreprise qui ne vise pas toujours l’entièreté du marché mais se centre sur quelques segments porteurs, le gestionnaire de l’espace ne doit pas absolument attirer tous les segments potentiels. Il peut cibler certains segments et par ce biais atteindre des objectifs différents et créer une identité à l’espace.

Les étapes précédentes ont conduit le gestion-naire de l’espace à avoir une connaissance appro-fondie de l’espace, de ses utilisateurs actuels et potentiels ainsi que de ses points forts et faibles. Sur cette base, il doit choisir un positionnement, c’est-à-dire la manière dont il veut que les utilisa-teurs perçoivent l’espace. Si l’on en croit Al Ries et Jack Trout (2001), le positionnement n’est pas lié à ce que l’on fait sur l’espace mais plutôt à ce que l’on fait à l’esprit de l’utilisateur. Une image mentale relative au lieu sera créée et renforcée par les aménagements urbains qui seront propo-sés (choix du mobilier, présence ou non d’espaces verts, de points d’eau, organisation des flux…), par la gestion journalière de l’espace (animations,

Méthodologie de travail d’un Urban Lifestyle Point (ULP).© AMCV

Mise en place

Identité du quartier

Financement

Positionnement

Partenaires

Concepts à développer

Faisabilité Brand Advocates

Gestion Fréquentation

ULP

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l’accessibilité et liens avec les zones limitrophes ainsi que l’utilisation de l’espace et du type d’activités développées. L’identité tient au confort et à l’image du lieu. Elle va dépendre des aména-gements (sièges, protections contre les intempé-ries), de l’existence d’une équipe de management quotidien de l’espace, du niveau de sécurité garanti… La sociabilité tient à la volonté de créer des groupes, de la mixité sociale, culturelle, de tranches d’âges… L’accessibilité est liée à la visibi-lité de l’espace, à son adaptation aux personnes à mobilité réduite, à sa correspondance aux flux de circulations utilisés par les individus… Le mélange de ces différents éléments confère à l’espace une image particulière et permet d’influencer la repré-sentation mentale des divers utilisateurs.Lieux de rencontre, d’intégration et d’échange, les ULP doivent être conçus sur base du comporte-ment des usagers potentiels de l’espace et non pas sur des critères démographiques, de richesse ou d’opinion. Le travail de positionnement du concept est une démarche spécifiquement em-pruntée au concept des euro-socio-styles (GfK). En synthèse, on peut déterminer quatre grands types de positionnement d’espace : mirage, oasis, sobriété et métamorphose.L’espace mirage correspond à une population à la recherche de l’avoir. Fait de matérialisme, de rêve, de frustration et de manque de confiance, ce comportement génère la recherche d’espaces branchés, «fun» ayant une image forte.À l’inverse du positionnement précédent, l’espace oasis vise une population à la recherche de l’être. Ce comportement est celui de la recherche de l’harmonie, de l’équilibre et de la stabilité. Il cor-respond généralement à une population bénéfi-ciant d’une certaine confiance en soi aspirant à de l’authenticité et de la sérénité.Les espaces sobriété sont faits de paix et de sécu-rité. Ce type d’espace doit être fonctionnel, simple avec une forte identité locale. La population qui le fréquente est caractérisée par la prudence, le respect des traditions et la recherche du calme. Enfin, les espaces métamorphose typés nou-velles technologies peuvent être assimilés à la recherche d’une vie passionnante. Ils sont syno-nymes de dynamisme, liberté, risque et plaisir. Les dimensions culturelles et artistiques de ces

De haut en bas :Sydney Harbour Foreshore Authority, pas d’ULP sans une équipe de gestion professionnelle et un partenariat équilibré et évolutif. De gauche à droite : Malcolm Snow, Ian Kelly, James Smart et Jean-Luc Calonger (AMCV).© AMCV

Montréal, quartier des spectacles, la vie entre les événements.© AMCV

New York, Flatiron, un espace réapproprié par la population dans le cadre d’une gestion stricte et de proximité.© AMCV

Méthodologie de travail d’un Urban Lifestyle Point (ULP).© AMCV

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ULP sont essentielles à leur développement et à leur appropriation par la population cible. Par ailleurs, l’analyse d’espaces au succès indé-niable révèle assez clairement que les activités pratiquées sur les ULP sont identiques quels que soient les positionnements. À savoir : manger, ap-prendre, se détendre, jouer, s’amuser, regarder un spectacle, partager des moments de convivialité, se rencontrer !

Financement et partenariatLe développement du positionnement choisi implique généralement de nombreux investisse-ments, tant en personnel (management team) qu’en matériel ou encore en communication. Ces coûts doivent être analysés et une étude de faisabilité économique doit être faite afin de cerner l’ampleur de l’investissement nécessaire et de s’assurer de la compatibilité du projet avec les sources de financement possibles. La recherche de parte-naires financiers publics et privés (même si ce n’est pas toujours la tendance dans nos régions) doit permettre de rassembler les sommes nécessaires à l’implémentation du concept. Attention qu’il ne suffit pas de démarrer un projet pour réussir mais que le positionnement de l’espace dans l’esprit des utilisateurs est une démarche qui doit être pensée à long terme et donc, il faut absolument envisager le financement sur une longue période sous peine de voir tous les efforts anéantis si le niveau de qualité de l’espace se détériore par manque d’entretien ou de moyens dans la gestion.

Mise en place et gestion de l’espaceL’installation et la gestion journalière de l’espace requièrent une équipe performante et multidisci-plinaire ainsi que la répartition des responsabilités entre les différentes parties prenantes. Cette

mise en place implique également le lancement de campagnes de communication éventuellement ciblées en fonction des choix réalisés au préalable par le gestionnaire. Différents outils peuvent être utilisés, ils seront choisis en fonction de la cible et du message à diffuser. En terme de communi-cation, il est également conseillé de communiquer pendant l’entièreté de la démarche afin d’impliquer et de motiver les parties prenantes, de faciliter la modification éventuelle de leurs habitudes et de limiter l’impact négatif que les inévitables travaux d’aménagement peuvent avoir sur les utilisateurs.

Les différentes étapes que nous venons de dé-tailler doivent permettre de mener à bien l’aména-gement ou le réaménagement d’un espace urbain. Il faut cependant être attentif au fait que, comme signalé, le travail de gestion de l’espace ne s’ar-rête pas là et doit conduire les gestionnaires à une remise en question régulière conduisant éven-tuellement à un repositionnement. On appelle repositionnement (Marion et al., 2003) le proces-sus qui consiste à faire évoluer l’espace vers une position plus enviable et à traduire cette intention stratégique par de nouveaux choix. Cette volonté d’évolution peut notamment être suscitée par un souhait d’attirer des clients ayant des carac-téristiques différentes ou encore de s’adapter à l’évolution des utilisateurs actuels. Ce reposi-tionnement peut également être, dans certains cas, une réponse à l’évolution de l’environnement et notamment des espaces en concurrence aux yeux des utilisateurs. Un ULP est par définition un espace en perpétuel mouvement qui évolue en s’améliorant au fil du temps.

Sydney, espace de convivialité, jeu d’échecs géant à la disposition de la population.© AMCV

New York, Bryant Park, le mobilier léger et mobile permet à la population de s’approprier totalement l’espace à disposition en l’aménageant selon son humeur.© Bryant Park Corporation

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En conclusion

Le développement d’ULP implique une dimension stratégique et une dimension opérationnelle. Il nécessite une évaluation permanente génératrice d’un repositionnement souple et progressif afin d’éviter des phénomènes de rupture. La bonne gestion d’un ULP sur le long terme passe par un travail quotidien, coordonné, professionnel et pluri-disciplinaire sur l’espace défini, permet-tant de développer et de structurer l’image du quartier, d’en assurer sa promotion, et de garantir la bonne utilisation de l’espace.Le succès de l’ULP se mesurera à :

— son appropriation par les usagers habituels de l’espace (résidents, population active, touristes, navetteurs…) et sur le long terme ; il ne doit pas être un effet de mode ;

— la qualité et la force de l’image qui émanera du quartier ;

— la réussite de sa fonction «convivialité» ;— l’utilisation qui sera faite de l’espace ;— la valeur des activités proposées ;— ses facilités d’accès et de parking ;— son aptitude à être un lien avec les quartiers qui l’entourent ;

— sa capacité de renouvellement et d’innovation en continu.

Bruxelles, quartier européen, la dalle du Parlement européen (et sa minéralité) est visiblement moins attractive que les espaces de jeux pour enfants du voisinage pour passer un instant de détente.© AMCV

Bibliographie

DE PELSMACKER, GEUENS & VAN DEN BERGH, Marketing Communications – A European perspective, Prentice Hall, 2005.

DIOUX J. & DUPUIS M., La distribution, Pearson éducation, Paris, 2005.

KOTLER P., Marketing Management, Pearson éducation, Paris, 2009.

MARION G. et al., Antimanuel de marketing, éditions d’Organisation, Paris, 2003.

MICHON C., Le Marketeur, Pearson éducation, Paris, 2003.

PROJECT FOR PUBLIC SPACES, Inc, How to turn a Place around, 2005.

RIES A. & TROUT J., Positioning – The battle for your mind, McGraw-Hill, New York, 2001.

Expériences pilotes

15 expériences pilotes d’ULP (Urban Lifestyle Point) sont lancées dans 4 pays du Nord-Ouest de l’Europe : à Aberdeen en écosse, Brighton en Angleterre, Eindhoven aux Pays-Bas, Lille en France et dans 5 villes wallonnes – La Louvière et Tournai, partenaires du projet et Wavre, Namur et Louvain-la-Neuve, expériences tests de l’AMCV.

Ces expériences pilotes sont mises en œuvre grâce au projet européen LICI – Lively Cities, dans le cadre du programme INTERREG IV B ENO cofinancé par la Wallonie et le FEDER. L’AMCV (Association du Management de Centre-Ville) est chef de file du projet aux côtés de deux partenaires wallons, la Ville de Tournai et la gestion de centre-ville de La Louvière.