Comme Un Trait de Lumiere

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    Chris et Kessani Iwen

    Comme un trait de LumireRoman

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    A tous ceux qui savent que le cur est la demeure du Divin.

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    Si votre foi tait forte, vous diriez cette montagne : Transporte-toi dici l-bas, et elle sy

    transporterait ; et rien ne vous serait impossible . Matthieu 17 : 20.

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    Jtais en vacances dans un petit village prs de Cahors, dans le sud de la France. Jtais l depuis

    quelques jours, et il me restait encore trois bonnes semaines avant de devoir retourner vers mon existence

    de citadin. Javais pour moi tout seul la grande maison familiale. Une assez belle villa pourvue dune

    grande cour, dun joli jardin et dune modeste piscine, bien lintimit derrire une grande clture dedeux mtres de hauteur. Il y avait six ou sept autres maisons aux alentours, chacune protge aussi par

    une clture, et ctait cela le village. Je rencontrais parfois quelques-uns de mes voisins lorsque je sortais

    me promener dans les bois qui jouxtaient le village. On se disait poliment bonjour, sans plus. Un endroit

    dune grande tranquillit. Ah ! Pas de tlvision. Pas de radio. Et il pouvait se passer des jours et des jours

    avant quune voiture ne traverst la rue du village

    Je mtais couch comme dhabitude, une heure tardive. En me rveillant vers la fin de la matine, je

    fus extrmement troubl. Je ne reconnaissais pas les lieux. Je crus dabord que javais une sortedamnsie. Cette ide minquita pendant quelques secondes, mais bientt lvidence simposa moi. La

    veille, je mtais couch dans ma chambre. Dans mon lit. Ma grande chambre, avec sa massive armoire

    ancienne, son lit dpoque qui grinait un peu quand je bougeais, son lustre scintillant qui se balanait

    lorsquun petit coup de vent sengouffrait par la fentre, son odeur de vieil esthtique avec ses notes

    suaves Et voici que ce matin, je me rveillais dans un autre dcor. Jtais sur une simple natte, dans une

    pice vide et circulaire. Je me levai. Je navais plus mon pyjama. Jtais habill dun genre de toge-

    soutane beige, avec une ceinture blanche la taille.

    Jinspectai rapidement mon nouvel environnement. Il y avait une fentre assez haute, par laquelle

    sinfiltrait un grand flot de lumire malgr le rideau de lianes. Je vis la porte. Elle tait ferme. Tout cela

    mintriguait beaucoup et meffrayait aussi. Etais-je victime dun kidnapping ? Etais-je dans un rve

    plus vrai que nature ? Je fis quelques pas vers la porte et la porte souvrit avant que jaie pu poser la

    main sur la poigne. Un homme se planta sur le seuil. Il me regardait en souriant.

    - Bonjour mon ami, me dit-il.

    Il tait habill avec une toge-soutane lui aussi. Identique la mienne. Avec la mme ceinture la taille.

    Il avait peu prs ma taille, cest--dire environ un mtre soixante dix. Ce simple dtail, peut-tre puril,

    me rassura un peu Il tait noir, des traits plutt africains, avec un grand bouquet de cheveux sur la tte.

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    - Bonjour, rpta-t-il.

    - Bonjour, rpondis-je.

    Il fit un geste qui minvita sortir. Je mavanai prudemment. Lorsque je mis mon nez dehors, je vis

    un tonnant dcor. Il y avait une grande cour, au centre de laquelle se trouvaient deux chaises en vis--vis.

    A loppos de la case de laquelle je venais de sortir, cest--dire lautre extrmit de la cour, il y avaitune autre case. Je me retournai pour examiner la case dans laquelle javais t, puis jexaminai lautre

    case. Elles semblaient identiques. Lhomme me dsigna la case oppose.

    - Jhabite l-bas.

    Je hochai la tte, ne sachant pas comment ragir. Etrangement, je me sentais bien. Mieux que jamais

    en ralit. Linquitude et la frayeur staient vite dissipes. Je me sentais en confiance. Le soupon dun

    kidnapping tait bien loin.

    - Qui tes-vous ?- Je suis leMatre.

    Lhomme mentrana vers les deux chaises. Lorsque nous fmes installs lun en face de lautre, il prit

    la parole.

    - Tu te demandes peut-tre o tu es ?

    - Oui, acquiesai-je.

    - Tu es dans ma retraite, au cur de la fort des abeilles, quelque part dans la virginit de la fort du

    Quafrie.

    Je levai la tte pour regarder autour de moi. Lendroit tait entour dune paisse fort. Et malgr tous

    les efforts que je fis pour discerner un sentier quelconque, je ne vis rien. La fort tait dense et semblait

    former une clture hermtique autour de la retraite. La cour tait circulaire, et elle tait habille dune

    agrable pelouse verte. Il se dgageait de toute cette atmosphre une grande vitalit. Mon attention revint

    celui qui stait prsent comme leMatre. Il mavait lair jeune. Peut-tre la trentaine.

    - Comment suis-je arriv ici ?

    - Je tai tlport.

    - Hein ?

    - Tu as bien entendu.

    Comme pour me convaincre le plus rapidement possible, il tendit sa main devant mes yeux, la paume

    ouverte. Sa main tait vide. Puis, je vis comme un petit flash lumineux, et une montre se matrialisa sur

    sa paume. Lobjet tait venu de nulle part. Il navait fait aucun geste suspect, et les manches de sa toge-

    soutane ne tombaient pas plus loin que ses coudes. Il me donna la montre. Je lexaminai. Ctait la

    mienne ! Je la tins fermement entre mes doigts.

    - Mais mais balbutiai-je.

    - Cest ta montre.

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    - Vous venez de la tlporter ?

    - Oui. Et je tai tlport, comme je viens de le faire pour ta montre.

    Il claqua des doigts, et la montre disparut. Je le regardai, interloqu.

    - Tu nauras pas besoin de ta montre ici.

    Il se cala confortablement sur sa chaise, puis il croisa les bras.- Pourquoi mavez-vous fait venir ?

    - Pour deux raisons.

    Il prit une grande inspiration. Puis il expira doucement. Je ne voyais rien, mais je sentais une grande

    nergie rayonner de lui. Un Matre !

    - Quelles sont ces deux raisons,Matre ?

    Je lappelais Matre. Comment pouvais-je faire autrement ?

    - Voici la premire raison : stimuler ton dveloppement spirituel en te livrant quelques clefs. Et voici laseconde raison : stimuler le dveloppement spirituel des gens travers le compte-rendu que tu feras de

    nos entretiens.

    Il me fit un clin dil.

    - Au fil des jours je tenseignerai les principales bases de la science de lEveil, tu en sauras chaque jour

    davantage, et lorsque tu partiras dici, tu en sauras assez pour pouvoir raliser lEveil sans avoir besoin de

    la guidance rapproche dun Eveill. Lenseignement que tu recevras ne sera pas complexe. Tu auras

    simplement rapporter nos entretiens, tu nauras pas relater tout un rcit. Ce sera plus simple crire

    pour toi.

    Ah ! Je nallais donc pas passer le reste de ma vie ici. Cette information me mit en confiance.

    - Est-ce que mon sjour sera long ?

    - Non. Une demi-dizaine de jours suffiront largement.

    Je fus soulag. Jallais pouvoir profiter du reste de mes vacances

    - Lenseignement que tu recevras ici sera simple. La simplicit a toujours t le meilleur vhicule des

    ralits ternelles. Autant que ce sera possible, je mefforcerai de te donner des dmonstrations pratiques

    de ce que je tenseignerai. Tes oreilles entendront. Tes yeux verront. Et ton cur reconnatra.

    -Matre, comment vais-je pouvoir me rappeler de tout ce que vous me direz ?

    - Je graverai les choses fermement dans ta mmoire. Si je peux te tlporter, je peux aussi graver des

    choses dans ta mmoire.

    Naturellement, imprimer des informations dans ma mmoire ne devait pas tre plus difficile que me

    tlporter.

    Je baissai les yeux. Une rougeur de honte me recouvrit le nez. Je pensais que prsenter cette

    exprience comme authentique mexposerait au jugement des sceptiques et pourrait mme nuire ma

    carrire professionnelle Par contre, prsenter les choses comme une fiction ne pouvait pas engager ma

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    rputation. Je me dis que je rapporterais les choses en prsentant lensemble comme un roman. Un roman

    spirituel

    - Ce nest pas grave si tu prsentes cette exprience comme un roman spirituel. Si un livre sait vivifier

    lamour, lespoir et la comprhension dans le cur de lhomme, alors peu importe sous quel genre on le

    range. Un roman spirituel, cela est mme une bonne ide, car les gens louvriront en sattendant dj ytrouver un enseignement de vie, et pas une littrature de violence et de mort.

    Le Matre avait lu dans mes penses. Je le remerciai de soutenir ainsi ma dcision silencieuse. Ma

    honte disparut.

    Ma honte ne fut pas la seule disparatre. LeMatre aussi disparut.

    Alors que je me retournais dans tous les sens, cherchant le Matre, une petite phrase rsonna dans ma

    tte :

    - Notre premier entretien commencera dans deux heures. Ah bon , pensai-je. Javais donc deux heures de libert devant moi

    Je repensai aux mots duMatre : et pas une littrature de violence et de mort . En parlant, le Matre

    introduisait une inhabituelle magie dans ses mots, une magie qui en faisait comprendre le sens avec plus

    de vivacit. Quelque chose que je serais malheureusement bien incapable de reproduire dans ces lignes

    Quand jentendis les mots violence et mort , je songeai tous ces romans que javais lus, et qui

    multipliaient les meurtres, les conflits, les vengeances et les colres Je napprciais pas vraiment ce

    genre de romans, ou alors je leur tmoignais une affection un peu nvrotique et en mme temps jaurais

    eu honte de lire quelque chose qui ne contenait pas de violence et qui aurait pu simplement inspirer de

    lamour et de la compassion

    Il y avait dans mon esprit un incomprhensible programme qui mobligeait, insidieusement,

    dprcier tout ce qui pouvait inciter simplement au bonheur, ce bonheur sans histoire qui naissait de la

    simplicit et de lhumilit Javais en stock, quelque part dans mes neurones, tout un tas de qualificatifs

    dsobligeants pour ce genre de choses

    Etrange structure de mon esprit Quelque chose en moi aimait lnergie de noirceur de certains

    romans, mais ce quelque chose ntait pas vraiment moi. Ctait ce moi en colre. Ce moi violent. Ce moi

    mesquin. Ce moi susceptible. Ce moi mprisant. Ce moi malheureux qui voulait que le reste du monde

    connaisse le mme sentiment de muette dtresse Ce moi qui aurait bien voulu punir, avilir, rabrouer,

    dominer, rabaisser, ridiculiser, dtruire, et qui nhsitait pas agir en ce sens chaque fois que la

    situation semblait lui assurer une certaine impunit et souvent avec une satisfaction amre Ce moi

    qui se moquait de cet trange et timide dsir de paix et damour

    Je chassai toutes ces penses dun mouvement de tte. Je ntais pas l pour ressasser de mauvaises

    penses. Ce lieu devait probablement tre un lieu saint Ici, je pouvais me regarder dans les yeux et

    assumer mon dsir de bonheur simple et humble, sans en avoir honte, sans en avoir peur Ici, je pouvais

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    laisser tomber ma carapace de guerrier battu et mavancer les pieds nus, sans craindre le regard moqueur

    des autres si je voulais me mettre chanter tue-tte mon espoir de vie heureuse et sans dtour

    Ici ? Un endroit plutt impressionnant

    Je nosais pas me lever de ma chaise. Tout ce dcor tait intimidant. Ce ntait pas tous les jours que je

    pouvais me sentir encercl par une fort dense peut-tre remplie de fauves et de btes froces. Ce ntaitpas tous les jours que je pouvais entendre autour de moi un profond silence, peupl de milliers

    dintelligences invisibles.

    Ma toge-soutane tait belle. Genre de robe qui devait me donner lapparence dun moine ou dun cur.

    Le tissu doux et soyeux ne se froissait pas. Un genre de soie peut-tre je ne connaissais rien aux

    textiles. Deux heures, et pas le courage de me lever pour aller faire un petit tour de reconnaissance.

    Je jouai avec le bout de cordelette qui dpassait de ma ceinture Je mennuyais un peu. Pour tromper

    lennui, je me dis que le mieux serait de faire un peu le point sur moi-mme. On ntait jamais assezpassionn par soi-mme. Je me penchai en avant et me calai la tte dans les deux mains, en appui sur le

    menton. A demi pli en deux, les coudes sur les cuisses, les yeux dans le vague Ma position favorite

    pour rflchir sans effort.

    Alors que jallais me lancer dans lexploration dlectable de mes souvenirs, jentendis un cri lointain.

    Un trange cri, qui semblait provenir des entrailles de la fort. Un cri dchirant, qui exprimait la fois

    terreur et frayeur

    Je me redressai.

    Ce cri tait vraiment bizarre. En mme temps lointain et proche. Ne lavais-je pas entendu juste l, au

    creux de mon oreille ? Ne lavais-je pas entendu comme un cho plongeant vers moi, par-dessus des

    centaines de kilomtres de vgtation sauvage ?

    Soudain je ralisai que jtais bien incapable didentifier lorigine de ce cri. Un cri humain ou un cri

    animal ?

    Je me levai enfin de ma chaise, dun bond. Le cri venait de se reproduire, avec une plus grande nettet.

    Une onde cristalline transperant lair, comme une lame de vaisseau sur le flot des eaux. Un cri ni trop

    fort, ni vraiment faible. Quelque chose comme une intensit surnaturelle

    Puis tout redevint calme et paisible.

    Quest-ce que ctait ?

    Une norme muraille invisible de scurit me recouvrit. Je ne vis rien, mais je me sentis pntrer dans

    un enclos sacr et inviolable. Ou plutt cest linvisible protection qui me prit dans son sein. Lair autour

    de moi paraissait plus clair, plus lumineux. Les arbres derrire les cases semblaient plus vivants Je

    ntais pas seul, mme si personne ne se prsenta.

    Je me rassis.

    En quelques poignes de secondes, je venais de traverser ce qui devait probablement tre une preuve

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    secrte, ou une mystrieuse attaque. Javais entendu le cri de lenfer et lenvie de partir dici ne stait pas

    saisie de moi. Javais eu peur, mais ma peur stait estompe quand javais compris que jtais entre les

    mains dun Matre. Dans la lumire duMatre rien ne pouvait marriver. Aucune force dans cette fort ne

    pouvait percer cet invisible bouclier de protection que je percevais autour de moi. Jtais hors de tout

    danger.Javais pens victoire trop tt !

    Brusquement, la clart du jour disparut ! Ctait la nuit ! La nuit noire ! Lobscurit tait si dense que

    jtais incapable de voir mes doigts alors que je les agitais devant mon nez.

    Est-ce que jtais dans un rve ? Tout a me semblait si rel pourtant ! Ce devait tre un cauchemar. Je

    fermai les yeux. Mais quoi cela pouvait-il servir, dans cette paisse obscurit ?

    Le cri indescriptible se mit rugir tout autour de moi. Un vent glacial et brlant me fouettait le corps et

    tournoyait au-dessus de ma tte. Jouvris les yeux, et je vis que la retraite du Matre tait entoure degrandes flammes rouges.

    Jclatai de rire !

    a ne pouvait pas tre rel ! a ne devait pas tre rel !

    Alors que je niais la ralit de ce que je voyais, un grand trait enflamm bondit par-dessus les arbres et

    sabattit mes pieds. Le choc fut brutal et je fus ject de ma chaise. Je me retrouvai affal par terre

    Ctait bien rel !

    Je me mis trembler de tous mes os.

    -Matre, laide !!!!

    Je criai de toutes mes forces.

    Alors que les mots sortaient de ma bouche, je sentis quelque chose bouger dans mon cur. Ctait

    comme un ptale de fleur qui souvrait. Comme un soleil qui se levait et dardait ses rayons pour dissiper

    les brumes de laube nouvelle Une grande vague de paix sexhala de ma poitrine et se rpandit tout

    autour de moi.

    Souffles par cette mystrieuse nergie qui irradiait de mon cur, les tnbres et les flammes se

    dissiprent. La virginale clart du jour se dploya nouveau, et le sentiment de protection revint. Mais ce

    sentiment tait diffrent. La premire fois je me sentais protg de lextrieur Cette fois, je sentais que

    jtais protg de lintrieur. Quelque part dans mon cur, jtais reli lnergie duMatre, et je savais

    que cette nergie pouvait me protger, si je le demandais sincrement

    Tout tait rentr dans lordre.

    Le silence et lintense tranquillit de lendroit simposrent nouveau.

    Jtais fatigu. La fin de matine ne devait plus tre bien loin, et je navais pas pris de petit-djeuner.

    Je commenais avoir faim. Une ide saugrenue me traversa lesprit. Je me recueillis et dis :

    -Matre, jai faim. Sil vous plat, veuillez apaiser ma faim.

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    Jattendis quelques secondes. Je regardais tantt mes pieds, tantt sur la chaise en face. Je me disais

    quun plat allait probablement se matrialiser devant moi

    Mais il ny eut rien.

    Rien ?

    Pas vraiment. Une sensation de satit me gonfla lestomac, et une sensation de vigueur pntra moncorps. Ma prire avait t exauce, mais pas de la manire dont je my attendais. Tout ce qui comptait,

    ctait que je navais plus faim. Jallongeai les jambes et je madossai ngligemment sur le dossier de la

    chaise. Les mains croises sur le ventre, la tte un peu penche en arrire, les yeux ferms, je me lanai

    dans un petit somme

    Avant de mengouffrer dans le sommeil, je me dis que mon ide de prsenter cette aventure comme un

    roman spirituel tait dcidment une bonne ide. Tout ce qui mtait arriv depuis ce matin tait du

    domaine de lincroyable, de limpossible. Mme si javais eu le courage de prsenter tout cela sous lesigne de lauthenticit, tout le monde aurait trouv commode de considrer tout a comme une fiction

    tout le monde, mme ceux qui taient les plus enclins admettre que la ralit dpassait la fiction

    Je dormis

    Je ne sais pas combien de temps je dormis. A mon rveil, jtais frais et dispos.

    Quand jouvris les yeux, je vis que leMatre tait assis en face de moi.

    - Notre premier entretien peut commencer, dit-il avec un air dtach.

    Je me rajustai.

    - Attendez,Matre jai vcu des choses

    - Oh, ctait trois fois rien. Oublie a.

    - Est-ce quil sagissait dun test ?

    - Ctait ton premier apprentissage. Tu as appris faire appel laide de Dieu. Certes, ma prsence a

    grandement amplifi les choses, mais lnergie de Dieu est venue ton aide avec une intensit dtermine

    par lintensit mme de ton appel intrieur. Telle est laide de Dieu.

    - De Dieu ?Matre, jai cru que laide venait de vous

    - Quelle diffrence ?

    - Seriez-vous Dieu,Matre ?

    Jtais prt mincliner tout bas et lui baiser les pieds sil me rpondait oui.

    LeMatre secoua la tte en signe de dngation.

    - Je ne suis pas Dieu , dit-il en appuyant sur le mot. Mais ma divinit intrieure est si pleinement

    veille quon peut dire juste titre que je suis un missaire de Dieu parfaitement habilit parler et

    agir en son nom, parce que lnergie de Dieu peut scouler librement travers moi, sans entrave.

    - Un missaire de Dieu ?

    - Oui, un missaire de Dieu. Cest--dire un fils de Dieu ayant russi veiller la divine lumire que

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    Dieu a mise dans son me.

    Je minclinai tout bas, sans pour autant lui baiser les pieds. Jtais profondment impressionn.

    - Mais toi aussi, comme tout le monde, tu es potentiellement un missaire de Dieu.

    Je regardai le Matre avec de gros yeux. Moi ? Jtais pourtant si je nosais pas penser si

    stupide mais je ltais quand mme. Je me sentais profondment incapable de devenir un jour quelquechose comme missaire de Dieu. A peine pouvais-je esprer devenir le chef de mon service et encore je

    men sentais incapable la plupart du temps. Le Matre me prit les mains dans ses mains, puis il me

    regarda droit dans les yeux. Son regard tait si surhumain, et si humain en mme temps.

    - Tu es pleinement digne de devenir un missaire de Dieu, me dit-il. Ncoute pas ton ego, coute

    seulement ton cur.

    - Mon cur me dit quun tel rve est trs au-del de ma porte

    - a, cest ton motionnel qui te le dit. Va plus en profondeur !LeMatre posa une main sur ma poitrine.

    Il avait raison. Quelque chose de trs profond en moi me disait que jtais digne de devenir un jour un

    missaire de Dieu. Mieux que cela, jtais destin devenir un jour un missaire de Dieu. Ce ntait pas

    un vague espoir. Ctait une certitude. Une calme et invincible certitude, qui se riait bien de mes doutes et

    de mes faiblesses. Mais je ntais pas le seul. Tous les tres taient destins la mme ralisation.

    Ctait incroyable.

    LeMatre ta la main, et je retrouvai mes faiblesses et mes doutes habituels.

    - Chaque chose en son temps, me dit-il. Cest lheure de notre premier entretien.

    Je ne dis mot, mais je lui tais reconnaissant de mavoir permis de contacter en moi cette certitude

    concernant la nature profondment divine de mon destin, et du destin de tous les tres. Je savais

    maintenant quau-del de mes motions, il y avait un cur fermement tabli dans la paisible force de

    lternit.

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    Notre premier entretien allait donc commencer. LeMatre se pencha vers moi et tendit un doigt. Avecson index, il me donna une petite tape sur le front, entre les deux sourcils. Au dpart rien de spcial ne se

    produisit. Puis quelque chose apparut au centre de mon champ de vision. Au dbut ctait comme un petit

    point lumineux, puis la chose grandit et devint bientt un grand cran tout blanc. Lcran tait transparent

    et se superposait ma vision normale. Il semblait tellement rel, et pourtant jtais certain quil ntait pas

    vraiment l. En quelque sorte il tait dans mon esprit

    - Ferme les yeux, dit leMatre.

    Je fermai donc les yeux. Et derrire mes paupires closes, je ne voyais plus que lcran. Au bout de

    quelques secondes, des images commencrent apparatre. Ce ntait pas comme au cinma. Les images

    mouvantes avaient du relief, de la profondeur. Et je me sentais comme plong au milieu des scnes Je

    compris rapidement que lcran tait en train de me montrer une histoire. En mme temps que je voyais

    les images et entendais les conversations des personnages, je comprenais le sens de tout ce que je

    percevais. Je savais que lhistoire qui se droulait sous mes yeux tait absolument relle authentique.

    Ctait lhistoire dune femme atteinte dun cancer gnralis. Elle sappelait Marthe, elle avait trente

    cinq ans et travaillait comme comptable dans une entreprise qui recyclait des matriaux et en faisait de

    nouveaux emballages pour des produits divers. Le cancer avait commenc par des signaux anodins, cest-

    -dire par de simples pisodes de fatigue chronique. Une violente rupture affective, et un profond

    sentiment de culpabilit vis--vis de lchec de sa relation, taient, pensait-elle, la cause de sa fatigue

    Puis, durant des mois et des mois, elle navait pas su voir que son tat de sant se dgradait. A coup de

    cafs corss et de remontants sur-vitamins, elle naviguait au-del de ses limites

    Puis un jour, la fatigue avait t si grande quelle neut mme pas la force de se prparer sa tasse de

    caf matinale. Couche dans son lit, elle passa ses derniers mois en revue. Elle avait mis sa fatigue sur le

    compte dune espce de dpression bnigne. Une dpression qui tait une consquence de son chec

    sentimental, et quelle pensait pouvoir radiquer en redoublant dardeur au travail Elle se sentait seule,

    et elle perdait de plus en plus le got de la vie. Seulement voil, aujourdhui, en plus de la fatigue

    habituelle quelle combattait quotidiennement, il y avait une sourde douleur dans tout son corps

    - Ce nest peut-tre pas quune dpression, se dit-elle

    Rassemblant tout ce qui lui restait de forces, elle se saisit du tlphone et appela une ambulance. En

    quelques mots, elle expliqua sa condition et signala que la porte de son appartement serait ouverte. Lesambulanciers auront la transporter depuis sa chambre

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    Tout se passa trs vite. Les ambulanciers, avec lefficacit de professionnels et la douceur dhommes

    de compassion, la transportrent lhpital. Un mdecin vint lexaminer et la fit admettre aussitt. En

    regardant Marthe dans les yeux, avec une certaine tristesse qui voulait se cacher derrire un masque

    doptimisme, le mdecin dit simplement

    - Je vais moccuper de vous- Quest-ce que jai, docteur ?

    - Je ne le sais pas encore, il me faudra des examens dtaills. Mais cest bien que vous ayez dcid de

    demander de laide

    Le mdecin ne le dit pas haute voix, mais je lentendis penser mais je crains quil ne soit trop

    tard Marthe sendormit dans son brancard en tenant la main du mdecin. Elle tait inconsciente quand

    on la mit dans un lit, dans une chambre individuelle. La journe passa la nuit passa, puis le lendemain,

    le mdecin se prsenta son chevet avec un grand bloc-note.- Alors, docteur ?

    Je vis la mine du mdecin se dcomposer un instant, puis retrouver son impassibilit de surface.

    - Cest un cancer trs avanc

    Au mot cancer, les yeux de Marthe semburent de larmes. Ses oreilles bourdonnrent. Sa conscience

    se brouilla. Comme dans un rve, elle entendit des bribes de mots Hospitalisation longue

    chimiothrapie courage famille Je pouvais sentir toute la dtresse motionnelle de Marthe. Jtais

    la fois si proche et si loin delle. Je vivais ses motions, sans souffrir sa maladie

    Je vis les jours scouler les uns la suite des autres. Le corps de Marthe se transformait. Sa beaut

    initiale avait progressivement disparu. Des rides. Des membres presque dcharns. De grosses cernes

    sous les yeux. La chute de cheveux Puis des plaies suintantes, des plaques rougetres Marthe

    assistait, impuissante, la dcrpitude de son corps. Elle se sentait devenir si laide, si repoussante, si

    faible

    En mme temps que son corps senfonait dans la difformit et dans la mort, sa conscience semblait

    adopter les mmes caractristiques. Quand je lentendis se plaindre un jour en disant Oh, que suis-je

    devenue , je compris seulement alors quelle stait profondment identifie son corps physique.

    Son corps, ctait elle. Et elle, ctait son corps.

    Le mdecin luttait de toute sa science contre la maladie de sa patiente. Mais la maladie tait la plus

    forte Rprimant une larme au coin de lil, le mdecin venait prendre des nouvelles de Marthe tous les

    matins, et essayait de la rconforter. Lui mme avait aussi besoin de rconfort, car il ntait pas facile

    pour un mdecin de se confronter si durement aux limites de son savoir-faire

    Les infirmires aussi se relayaient au chevet de Marthe. Alors quelle contemplait le passage du temps

    travers la fentre et le tremblement des feuillages des arbres dehors, Marthe reut la visite de lune de

    ces infirmires quelle commenait bien connatre. Linfirmire tait habille en civil aujourdhui. Ce

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    dtail montra Marthe que la jeune dame venait la voir en tant quamie

    Linfirmire sassit sur la chaise et resta un long moment sans rien dire. Marthe ne voulait pas la

    regarder. Elle sobstinait contempler le paysage derrire la fentre. Elle tait consciente que sa mort

    approchait. Je ne sais pas ce qui se produisit, mais ma vision se modifia un peu. Je vis derrire

    linfirmire une entit lumineuse, si prodigieuse que sa clart illuminait toute la chambre. Je compris quelentit ntait pas visible pour les deux femmes Un Ange ? Comment lappeler autrement ? Tant il se

    dgageait de cet tre un amour dune si vive intensit, dune qualit tellement pure

    Je sus. Je sus que lAnge avait toujours t l. Marthe, beaucoup trop bouleverse par sa maladie,

    ntait pas rceptive lamour que lAnge dversait tous les jours sur son tre Linfirmire par contre

    tait sensible lAnge. Certes, dune manire bien subconsciente, mais suffisamment pour quelle puisse,

    en quelque sorte, servir de pont entre Marthe et lAnge. Inspire par lAnge, linfirmire prit la parole. Sa

    voix tait douce et faisait chaud au cur.- Tu sais Marthe, lme est saine jamais. Essaie de penser un peu plus ton me, et un peu moins

    ton corps.

    Le timbre dlicat de la voix de linfirmire donnait une certaine force ses paroles. Marthe se tourna

    vers son amie.

    - Tu crois vraiment que lme existe ?

    - Oui, bien sr, rpondit linfirmire.

    Alors que linfirmire confirmait sa conviction, lAnge intensifia son rayonnement et fit passer un

    surplus dnergie dans la voix de la jeune dame. Marthe resta silencieuse un long moment. Quelque chose

    en elle venait de bouger. Pas grand-chose mais lespace dune seconde, elle avait senti toute la sincrit

    de linfirmire, toute la force paisible de sa conviction, toute la magie de la vrit de lme Pour la

    premire fois depuis de longs mois, elle eut un instant de paix intrieure

    - Je vais mourir

    - Ton corps va mourir. Mais toi, tu rejoindras la lumire. Il ne peut en tre autrement.

    - Jaimerais te croire

    - Alors crois-moi. Cest un choix, et cest le choix qui tapportera la paix que tu dsires tant en cet

    instant.

    Marthe ferma les yeux Il ny avait aucun doute possible, en cet instant, lAnge et linfirmire ne

    faisaient plus quun. A travers la sensibilit spirituelle de linfirmire, lAnge pouvait sadresser

    directement Marthe et la prparer au passage de la vie physique la vie spirituelle Marthe respira

    profondment, puis elle rouvrit les yeux. Son regard tait diffrent.

    - Je fais le choix de te croire.

    Un profond soulagement se lisait sur son visage et dans ses yeux. Son corps tait malade et allait

    mourir. Mais elle, elle tait jamais saine et sauve. Dans quelques jours, elle quitterait son corps et

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    rejoindrait la lumire. Dans quelques jours, elle quitterait la maladie et simmergerait dans la plnitude

    dun immortel bien-tre

    Les jours scoulrent lentement. Marthe tait diffrente. La maladie navait plus le pouvoir

    dassombrir sa conscience. Elle se sentait entoure dune grande lumire, et elle se savait en scurit au-

    dedans delle. Plus lidentification son corps sestompait, moins elle ressentait les douleurs de sa chair.Une espce de dtente intrieure se dployait en elle. Je la vis mourir, un soir de quitude. Sans effort,

    elle quitta son corps et lAnge lembrassa de toute sa lumire. Elle regarda une dernire fois son ancienne

    enveloppe charnelle, puis, en prenant la main de lAnge, elle monta vers sa nouvelle existence.

    Lcran devint nouveau tout blanc. Lhistoire stait teinte dans une dernire inspiration de lumire.

    - Tu peux ouvrir les yeux.

    LeMatre me regardait en souriant. Je sentis une profonde gratitude monter dans mon cur. Lhistoirede Marthe mavait profondment touch. Tout avait t si rel, et lcran trange tait all tellement droit

    lessentiel. Un puissant courant de lumire faisait vibrer tout mon corps. Je pouvais encore ressentir

    lamour si vaste de lAnge

    -Matre, quand cela sest-il produit ?

    - Marthe a trpass il y a quelques semaines seulement, me prcisa le Matre. Elle a eu le bonheur de

    mourir en paix, en sachant quelle ntait pas son vtement de chair. Et surtout en sachant quelle tait en

    ralit un enfant du Divin.

    - Il y a tant de gens qui meurent sans prendre conscience de cela

    - Et cependant ce nest pas si dramatique, puisque les Anges accueillent tous les trpasss avec le

    mme amour. Et cest la force de cet amour qui dvoile dans la conscience du trpass le souvenir dtre

    avant toute chose un enfant du Divin. Il serait trs salutaire que, mme immergs dans lincarnation

    physique, les humains comprennent quils ne sont pas le corps mortel. Si cette comprhension imprgnait

    la conscience collective, les souffrances motionnelles issues des problmes relevant du corps, et la peur

    de la mort, qui mine lexistence de beaucoup, disparatraient. Les gens sauraient quil faut prendre soin du

    corps, parce que le corps est un prcieux outil de lme, mais ils sauraient aussi quil ne faut pas

    sidentifier au corps, parce que le corps nest pas soi. Lme est toujours ternellement saine et belle, et

    cest ainsi que chacun devrait apprendre se sentir : sain et beau, mme si le corps physique se prsente

    diffremment

    -Matre, comment amener les gens cette comprhension ?

    LeMatre ne rpondit pas tout de suite.

    Derrire ses yeux, je pouvais dceler un monde de conscience si diffrent du mien. Je pris le temps de

    boire le paisible silence de lenvironnement dans lequel javais t invit. Mon cur se sentait chez lui,

    dans cet endroit si simple. La nudit du bonheur tait vidente, et aussi vivifiante. Ici, je respirais la paix.

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    Ici, je vivais un peu de la vie duMatre.

    LeMatre reprit la parole.

    - Nous stimulons, dans ce dessein, les tmoignages dexpriences hors du corps.

    - Les expriences aux frontires de la mort ?

    - Oui, entre autres, mais pas seulement. Ces tmoignages disent tous la mme chose : lme nest pasle corps mortel ; et dans la mort, seul le corps dense perd la vie, tandis que lme poursuit paisiblement

    son chemin, pleinement vivante, vers dautres dimensions. Les tmoignages se multiplient, et cela nourrit

    la prise de conscience des gens.

    - Mais, Matre, il y aura toujours des gens pour rejeter les tmoignages. Tant quil ny aura pas de

    preuves scientifiques, certains refuseront toujours daccorder foi ces choses. Dailleurs, il y a des

    scientifiques qui nhsitent pas rduire ces expriences de simples dysfonctionnements du cerveau

    - Je sais cela, mon ami. Quelle chose trange en effet que de se fermer ainsi la sincrit, lintelligence et la force du tmoignage authentique de ses semblables. Quelle chose trange que ce

    dsir de tout rduire au matriel chez lhomme. Mais la peur seule nourrit de telles attitudes. La peur de

    poser le pied dans un domaine que la raison ne domine pas, et ne saura jamais dominer. Mais nous ne

    sommes pas court dides pour conduire les gens en douceur vers une profonde prise de conscience de

    la vrit. Tous ceux qui veulent rellement savoir sils sont ou pas le corps mortel, peuvent, au fond de

    leur cur, nous poser la question. Et ils auront une rponse, un jour ou lautre.

    Je regardais leMatre, les yeux carquills. Avais-je bien entendu ? Les gens pouvaient vraiment leur

    parler ? Mais qui tait ce nous que leMatre utilisait ?

    -Matre, pourquoi dites-vous nous ?

    - Nous, les Matres et les Anges qui veillons sur lhumanit.

    La vision de lAnge qui tait venu au secours de Marthe me revint immdiatement en mmoire. Je

    compris que les Anges taient toujours auprs de nous, et que les Matres taient certainement lcoute

    de nos questionnements Lvidence simposa ma conscience : lhumanit tait entoure de tant

    damour, et cependant son cur tait si ferm

    - A prsent, je te demande de fermer encore les yeux et douvrir lesprit.

    Jobis la demande du Matre. Jeus attendre moins longtemps que la premire fois. Lcran se

    dploya trs vite, et les scnes se mirent en place immdiatement. Jtais un peu plus habitu cette

    impression de profondeur, et surtout cette sensation dtre littralement plong dans les images. Tout en

    me glissant dans la nouvelle histoire, je me dis que japprciais beaucoup lapproche du Matre. Me faire

    toucher de lesprit une brve histoire, et ensuite men dlivrer lhumble message. Ctait un genre

    denseignement par paraboles, sauf que les paraboles taient des morceaux de vies authentiques.

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    La nouvelle histoire se dploya devant mes yeux ferms. Il sagissait dun homme dune quarantainedannes. Ses yeux gris et son regard dur tmoignaient dune volont de fer. Par quelque espce de magie,

    je pouvais lire dans cet homme. Il sappelait Pierre. Il tait habit par un profond sentiment dabsence de

    valeur personnelle. Un sentiment hrit dune enfance difficile. Grandir en tant gros, boutonneux et

    maladroit attirait souvent sur soi le mpris et la moquerie des autres, et on pouvait, comme Pierre, finir

    par croire quon ne valait rien Ce sentiment suscitait en lui un dsir intense. Le dsir de se construire

    une vraie personnalit. Le dsir de devenir quelquun . Son pre, pensant contrebalancer limpact des

    mesquineries que Pierre subissait de la part des autres, lui avait enseign tre fort

    - Tu comprends, Pierre, disait le pre, il faut travailler dur et alors tu imposeras le respect tous.

    Pierre acquiesait, parfois les larmes aux yeux.

    - Ceux qui se moquent de toi aujourdhui, se courberont devant toi lavenir. Un homme est ce quil

    ralise de ses mains !

    Et Pierre schait ses larmes, en se promettant de raliser quelque chose de grand de ses mains, en se

    promettant de devenir quelquun de grand, devant qui lon se courberait de respect et dadmiration. Son

    pre tait quelquun de modeste, mais Pierre serait beaucoup plus grand que son pre

    Et Pierre tait devenu quelquun. Il avait fait de longues tudes et dcroch de grands diplmes. Il

    avait fond une entreprise, dans le domaine de lindustrie chimique, qui faisait travailler une centaine de

    personnes. Il tait riche, et donc respect. Par ses employs. Par ses clients. Par son entourage. Par sa

    femme et son fils

    Une scne particulire se prsenta devant ma vision. Pierre tait au volant de sa voiture. Il roulait

    doucement, tout en parlant haute voix derrire les vitres fermes. Il tait seul dans la voiture, et je

    compris quil parlait au tlphone. Un tlphone mains libres . Un sourire un peu sardonique au coin

    des lvres, il hochait la tte. Il tait en train de parler avec sa secrtaire.

    - Non monsieur, il dit quil va porter plainte, rpondait la voix de la secrtaire travers lappareil.

    - Cest ce quon va voir, dclara Pierre. Il ne sait pas qui je suis.

    Pierre nexprima pas lensemble de sa pense. Je pouvais voir dans son esprit la totalit de ce quil

    sous-entendait. Il tait quelquun. Quelquun de puissant. Quelquun dimportant. Il avait plus de valeur

    que ce pauvre petit employ qui croyait pouvoir lui causer des problmes. Il avait des relations. Il tait un

    homme accompli, qui avait ralis le rve de sa vie. Un homme heureux et influent.

    La secrtaire reprit la parole.- Monsieur, en vrifiant, le contrat nexigeait pas

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    - Peu importe ! coupa violemment Pierre.

    - Ce que je veux dire, monsieur, cest quil a toutes les chances de gagner si on allait au procs.

    - Il ne gagnera pas ! Prvenez lavocat. Cest tout !

    Pierre coupa la communication.

    Ma comprhension nentra pas dans les dtails de laffaire. Mais je vis quun employ stait plaint decertaines exigences, et comme il refusait de les respecter, il fut renvoy, sans indemnit daucune sorte.

    Pierre voulait faire un exemple ou expdier rapidement une affaire qui lagaait un peu et qui risquait

    de gnrer chez les autres employs des ractions nfastes la bonne marche de lentreprise. Lemploy

    menaait de porter plainte si des indemnits ne lui taient pas verses. Pierre refusait de cooprer, ou de

    cder. Peu importe que lemploy ait raison, il tait hors de question de faire montre de faiblesse

    Stupfait, je vis les choses se drouler sous mes yeux. Grce ses relations, Pierre russit mme faire

    dbourser son ex-employ un ddommagement pour avoir nui lquilibre de lentreprise ! Le pauvrehomme connut des jours trs difficiles, mais cela naffecta en rien le puissant Pierre. De sa victoire au

    procs, Pierre tira une raison de plus pour nourrir son sentiment de puissance. Plus que jamais, il tait

    quelquun !

    Puis un jour, alors quil tait au sommet de sa gloire, il mourut dune crise cardiaque. Il faisait son

    jogging dans limmense jardin de sa proprit prive, et la mort le frappa sans avertissement. La tension

    du travail et la graisse des festins avaient fini par avoir raison de son illusoire sentiment de puissance.

    Sa mort fut clbre dignement. Sa riche veuve lui offrit les funrailles dun prince Mais, plusieurs

    jours aprs sa mort, je vis Pierre, sous sa forme subtile, rder autour de sa maison, autour de sa voiture,

    autour de son entreprise Incapable de se saisir de quoi que ce soit, incapable de communiquer avec qui

    que ce soit, je le vis rapidement plonger dans une intense dtresse motionnelle. Ce ntait pas tant le fait

    quil soit mort qui le chagrinait. Ctait le fait que, dans sa nouvelle condition, il ne pouvait plus jouir de

    ses biens si chrement acquis.

    Incapable de disposer de ses biens, inexistant pour ses anciennes relations qui lui vouaient respect et

    admiration, Pierre se convainquit progressivement quil ntait plus rien. Rien ! Il se sentait misrable. Il

    se sentait ridicule. Il se sentait faible. Il se sentait moins que rien : sa seule existence amoindrissait selon

    lui lclat clinquant des richesses du monde A plusieurs reprises, un Ange vint lui pour essayer de

    laider, mais Pierre tait tellement satur de son sentiment de misre quil fut mme incapable de

    percevoir la prsence de lAnge. Sil ne pouvait jouir des biens matriels, et sil ne pouvait lire le respect

    et ladmiration dans le regard que les gens posaient sur lui, alors il ntait rien

    Entour de la prsence de lAnge, sans quil ait jamais pu la percevoir, Pierre en vint progressivement

    abandonner son attachement aux biens matriels et au regard des gens. Il finit par se dire que la perte de

    sa condition sociale, par la ralit de la mort, ne signifiait peut-tre pas lannihilation de sa propre

    existence Le jour o il baissa les bras et leva les yeux au ciel en implorant de laide, il vit lAnge, qui

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    avait toujours t l, merger ct de lui. LAnge embrassa lhomme genou et laida se relever.

    Lamour inconditionnel de lAnge froissa un peu mon sens de la justice. Je pensais que ce Pierre devait

    payer pour ses mauvaises actions, et quil ne mritait certainement pas lamour dun Ange. Sur cette

    pense, les scnes se volatilisrent et lcran disparut. Jouvris les yeux. Le Matre me questionna du

    regard, avec une grande tendresse.

    -Matre, cet homme na pas mrit laide de lAnge !

    - Personne ne mrite lamour des Anges, et pourtant tout le monde est digne de lamour de Dieu.

    Je ne comprenais pas.

    Le Matre laissa scouler un peu de silence. Peut-tre pour me permettre de rflchir ce que je

    venais de voir. Il me semblait que Pierre avait agi dune mauvaise manire. Et dans ma comprhension

    limite des choses, les gens qui faisaient du mal devaient le payer un jour ou lautre Quun Angevienne si spontanment en aide quelquun comme Pierre me choqua un peu. Mais je me souvins que

    Pierre ntait pas mchant par nature, cest son exprience de la vie qui lavait conduit dvelopper une

    certaine duret de caractre. Le fait de voir les choses sous cet angle me calma un peu Lorsque mon

    motion retomba, leMatre reprit la parole.

    - Pierre a t la victime dune illusion, et cette illusion a gauchi sa conscience. Tout comme Marthe

    croyait tre son corps physique, Pierre croyait tre sa personne sociale. A bien des gards, cette illusion l

    est souvent plus difficile abandonner que lautre. A cause de leur attachement aux biens matriels et au

    statut social, nombre de trpasss souffrent mille frustrations et angoisses en tournant, longtemps encore

    aprs leur mort, autour de ce quils ne peuvent plus possder.

    - Cela doit tre terrible

    - Oui.

    - O en est Pierre aujourdhui ?

    - Il ne sidentifie plus son ancienne personne sociale.

    Jtais nouveau parfaitement en paix au-dedans de moi.

    Le soleil filait lentement dans le ciel. La temprature ici tait douce et constante. De temps en temps,

    une petite brise soufflait dans les arbres, et on entendait alors un lger bruissement. Encore une fois, je fus

    frapp par la simplicit des lieux. Comment le Matre vivait-il ? Avait-il des loisirs ? Cultivait-il un

    champ dans les alentours ? Les questions montaient dans mon esprit, puis repartaient sans trouver de

    rponses

    - Les biens matriels sont des outils de survie et de confort, reprit le Matre. De simples outils, rien

    dautre. Mais il existe en ltre humain une croyance subconsciente. La croyance que le bonheur se trouve

    dans laisance matrielle et la russite sociale. Celui qui est habit dune telle croyance et qui na pas

    daisance matrielle et de russite sociale, dveloppera spontanment un sentiment de mal-tre, convaincu

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    quil ne saurait tre heureux dans ces conditions.

    - Mais,Matre, comment peut-on ne pas tre malheureux quand on souffre de faim et quand on couche

    mme le sol ?

    - En sachant se satisfaire de peu et en comprenant que le bonheur trouve sa source au-dedans de soi,

    pas dans les choses extrieures. Cest le fait de croire quon trouvera le bonheur dans les biens matrielset la russite sociale, qui pousse nombre de personnes accumuler plus de biens quils nen ont

    rellement besoin pour survivre dcemment.

    - Do vient cette croyance que le bonheur se trouve dans les biens matriels et la russite sociale ?

    - Cette croyance se construit dune manire simple. La possession des objets matriels et ladmiration

    du regard des autres, suscitent en lhomme un certain plaisir motionnel. Sans une certaine intelligence du

    cur, lhomme confond ce plaisir motionnel et le bonheur authentique. Il lui suffit dune observation

    rudimentaire pour se rendre compte que ce plaisir motionnel est conditionn par la possession matrielleet ladmiration de ses semblables. A partir de l, il naura pas dautre choix que dessayer de possder

    davantage et de briller davantage aux yeux des autres. Tout ce processus na pas besoin dtre conscient

    pour se cristalliser et devenir la ligne directrice de lexistence dune personne

    - Mais tout le monde nest pas avide de richesse matrielle et de prestige social.

    - Pas tout le monde en effet. Nanmoins nombreux sont les hommes de modeste condition qui

    soupirent denvie devant la gloire matrielle des autres. Lapparente absence davidit de certains cache

    seulement un sentiment dincapacit. Lhomme mesure llvation de la gloire, et il mesure leffort

    fournir ou les difficults surmonter, et il prend conscience quil nest probablement pas la hauteur. Et

    alors il affiche lapparence dune personne qui nest pas intresse par la gloire matrielle Pourtant, la

    moindre occasion, il essayera de briller aux yeux de ses amis, et il manifestera spontanment avec son

    syndicat pour demander une augmentation de son salaire

    Dentendre le Matre prononcer le mot syndicat me surprit. Je limaginais bien loin des ralits

    sociales de lexistence citadine. L, dans sa retraite, en plein cur dune fort inconnue, il ne devait pas

    capter le journal de 20h. Mais ma surprise tait ridicule. Le Matre mavait montr, par un procd pour

    moi incomprhensible, la vie de deux citadins

    -Matre, est-ce que tout a veut dire quon ne doit pas chercher laisance matrielle ?

    - Il faut chercher raliser des conditions de vie dcentes et confortables. Mais il faut cesser de croire,

    mme au niveau du subconscient, que cest dans laisance matrielle et la russite sociale quon trouvera

    le bonheur authentique. Pendant un temps, la gloire matrielle pourra enivrer quelquun de plaisir, mais le

    moment vient toujours o le vide intrieur ne peut plus tre occult par les clats de la densit.

    - Le vide intrieur ?

    LeMatre prit son temps pour me rpondre. Jen profitai pour mieux lobserver. Il semblait si humble,

    et en mme temps si puissant. Sa peau noire, lgrement ambre, paraissait luire au soleil. Sa grosse

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    vain. Il entoura la lampe de divers objets, posant sur elle de jolies nappes, lui accrochant de belles

    guirlandes en vain, une fois de plus. La lampe tait le seul objet vraiment immobile de la pice. Cela

    drouta beaucoup lesprit, qui tait habitu manier des objets qui pouvaient aisment se dplacer. Cela

    prit du temps, mais lesprit finit par comprendre ce quil convenait de faire. La lampe ntait pas

    dplacer ou dcorer, elle tait allumer. Il concentra sur la lampe tout son dsir de clart et tout sonamour de la lumire, et la lampe salluma. Alors la lumire inonda la pice et remplit lesprit dune

    indicible flicit. La lampe, qui avait toujours t teinte, salluma pour lternit

    La vision se dissipa.

    Je voulus rouvrir les yeux, mais mes yeux taient rests ouverts pendant tout ce temps. Ma vision

    normale revint au bout de quelques secondes. LeMatre hochait la tte.

    - Est-ce que tu as compris ?

    Je ne voulais pas risquer dinterprter les choses de travers. Je voulais recevoir lexplication duMatre.- Je nai pas bien compris,Matre.

    - Je vois, dit-il en souriant.

    Puis il expliqua la vision.

    - Le bonheur authentique est ltat de plein dploiement de la lumire dans lme. Cet tat de lumire

    nest rien dautre que la consquence naturelle de lactivation de la divinit intrieure. La pice

    symbolisait lme, et la lampe reprsentait le noyau ternel de lme, sa divinit intrieure. Les objets

    divers reprsentaient tous les paramtres du transitoire, du relatif, du prissable. Dplacer les objets en

    croyant faire la lumire dans la pice, cest comme se sculpter un beau corps en croyant ainsi sapprocher

    du bonheur, cest comme se btir une grosse fortune en croyant ainsi toucher le bonheur du doigt, cest

    comme soupirer aprs la belle maison que lon na pas en se disant quon serait heureux si on lavait

    - Donc si on veut vraiment raliser le bonheur, il faut chercher veiller la divinit intrieure ?

    - Oui. Il nexiste pas dautres solutions. Le bonheur authentique est un attribut de la divinit intrieure,

    et il na rien voir avec le transitoire et le prissable.

    - Mais comment veiller la divinit intrieure ? Dailleurs, la divinit nest-elle pas dj prsente chez

    tout le monde ?

    - Tu demandes comment veiller la divinit intrieure, et je rpondrai ta question. Ensuite tu

    confonds le fait que la divinit soit prsente dans le cur de chacun, et le fait quelle soit veille ou

    teinte. La lampe a toujours t prsente dans la pice, mais il a fallu lallumer, puisquelle tait teinte.

    - Alors,Matre, comment veiller la divinit intrieure ?

    - Comment veiller la divinit intrieure et comment raliser le bonheur inconditionnel, sont deux

    questions identiques. Pour te rpondre en peu de mots, je te dirais que la voie rside dans le dtachement

    et dans lamour. Tu es ici pour en savoir un peu plus sur cette fameuse voie qui conduit lEveil.

    - LEveil ? Quest-ce que lEveil ?

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    Javais souvent entendu parler de cette notion un peu floue, que je trouvais relativement complexe et

    abstraite. Mon interrogation tait charge de perplexit et de nervosit. Je croyais devoir me rsigner ne

    jamais comprendre ce que cette notion voulait vraiment dire. Mais voil, jtais en face dun Matre, donc

    de quelquun qui avait videmment ralis lEveil. LeMatre dissipa mon interrogation en quelques mots.

    - LEveil authentique est simplement lactivation de la divinit intrieure. Rien de bien mystrieux envrit. Toute autre ralisation, si cela est appele Eveil, est seulement Eveil relatif, pas Eveil authentique.

    Lme est une pure entit nergtique extraordinairement simple, alors lEveil authentique est aussi un

    pur tat nergtique extraordinairement simple. Mais la notion de simplicit peut tre relative

    LeMatre se leva.

    Notre premier entretien prenait fin.

    - Cest fini pour aujourdhui, confirma-t-il.

    Sans avertir, il disparut subitement sous mes yeux. Je navais aucune ide de lendroit o il aurait bienpu se tlporter. Un tel Matre devait probablement avoir des occupations mystrieuses dune grande

    importance Je me retrouvais seul, dans cet endroit que je ne connaissais pas. Javais un peu peur : il

    pouvait arriver nimporte quoi. Que devais-je faire prsent ? Je navais pas demand venir ici et ici

    tait peut-tre un endroit dangereux. LeMatre tait-il vraiment parti pour le reste de la journe ? Nallait-

    il pas revenir ?

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    Quelques minutes passrent, puis je commenai minquiter. A en juger par la position du soleil dansle ciel, la journe serait encore longue. Puis il y aurait la nuit. Je me levai et regardai autour de moi. Les

    deux cases. Les deux chaises. La grande cour. La barrire de la fort. Rien dautre. Vraiment rien

    dautre ?

    Jallai vers ma case. Jy rentrai et en inspectai rapidement la composition. Il ny avait l quune grande

    pice vide, avec une simple natte au milieu. Je sortis et fis le tour de la case. A larrire, une petite bande

    de verdure sparait la case de la fort. De plus en plus inquiet, jentrepris de faire le tour de la cour, en

    marchant sur le primtre.

    Il fallut environ cinq minutes. Jtais pass derrire la case du Matre. Pris de curiosit, javais fait le

    tour de la case et javais jet un coup dil travers le rideau de lianes. Je vis leMatre assis sur sa natte,

    inond de lumire. Je me reculai sur la pointe des pieds. Il devait tre en mditation, ou quelque chose du

    genre

    Je ne trouvai rien de mieux qualler me rasseoir sur ma chaise, au beau milieu de la cour. Quallais-je

    donc faire de ma journe ? Pendant mon sjour dans le petit village prs de Cahors, je dpensais mon

    temps entre les promenades, les siestes, la lecture, les siestes, la nourriture, les siestes et les bains dans la

    piscine. Ici, il ny avait aucune trace de lecture. Pire encore, aucune trace de nourriture. Je commenais

    avoir peur de mourir de faim. LeMatre soccuperait-il de ma sustentation ? Devais-je aller frapper la

    porte de sa case pour me renseigner sur ce point ?

    Je meffondrai sur ma chaise, la tte dans les mains. Je venais de prendre conscience quil ny avait pas

    trace de toilettes et de douches dans cette retraite. Comment le Matre vivait-il, sans toilettes et sans

    douches ? Si lui pouvait se passer de telles choses, ce ntait pas mon cas.

    Je me redressai subitement.

    Je venais dentendre un bruit

    Tendant loreille, je pus localiser la source du bruit insolite. Je me retournai.

    Un petit homme, peine un mtre cinquante, marchait tranquillement dans ma direction. Il portait une

    espce de short et des chaussures en raphia paissi avec des lanires. Torse nu, le crane pourvu dune

    petite chevelure crpue qui sarrangeait en petites vagues sur sa tte, il souriait en hochant rythmiquement

    la tte, me faisant de grands gestes.

    Un goodman, cest--dire un individu de lune de ces rares ethnies qui navaient quasiment pas t

    dformes par lgrgore occidental.Je me levai. Quand lhomme fut quelques pas de moi, il sarrta et me regarda un long moment.

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    - Do you speak english ? me demanda-t-il.

    Jcarquillai les yeux de surprise. Comment un goodman de la fort quafrinaise pouvait-il parler

    anglais ? Ma surprise tait si grande que je restai bouche ouverte, incapable de formuler la moindre

    rponse. Le goodman claqua des mains, comme pour me rveiller. Puis il dit.

    - Vous ne comprenez peut-tre pas langlais. Alors parlez-vous franais ?La situation tait vraiment cocasse.

    - Vous allez me rpondre la fin ?

    - Euh je suis franais

    - Ah ! Trs bien.

    Lhomme savana et me tendit la main.

    - Je mappelle Twavagano, mais tu peux mappeler Twav.

    - Moi cest Christian, fis-je en lui serrant la main.- Christian comment ?

    - Christian Carter.

    - Pour un franais, vous avez un nom bien anglais.

    Je haussai les paules.

    Je me grattai la tte, perplexe. Que se passait-il donc ?

    - Vous non, nous ferions mieux de nous tutoyer. Tu veux bien me suivre ?

    - Te suivre o ? rpondis-je, intrigu.

    Twav me fixa en riant.

    - Si tu restes ici, tu vas crever la dalle. Chez le Matre, il ny a rien manger il ny a mme pas de

    petites commodits usuelles. Pour vivre dans cet endroit, il faut tre un Matre trs avanc. Tu nes pas un

    Matre, nest-ce pas ?

    Twav engagea la marche sans attendre mon vidente rponse. Je le suivis.

    A ct de ma case, entre deux arbres, il y avait un petit passage cach par une fausse barrire dherbes

    hautes. Nous marchmes dans la fort pendant quelques minutes. Le sentier entre les arbres tait bien

    dgag. Twav marchait dun pas tranquille, se retournant de temps en temps pour mobserver. La densit

    de la fort au-dessus de nos ttes tait telle que les rayons du soleil filtraient difficilement travers les

    feuillages. Mais lair tait tellement pur et vivifiant quil semblait habit dune discrte lumire.

    Je me sentais en confiance. Surpris, mais en confiance.

    - Twav comment se fait-il que tu saches parler franais ?

    Il leva la main et pointa du doigt la direction de la retraite, derrire nous.

    - Cest leMatre qui nous a appris langlais et le franais.

    - Nous ?

    - Oui, nous. Nous formons un petit village pas bien loin de la retraite duMatre. Chacun dentre nous a

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    t choisi par leMatre lui-mme, il y a de cela trois quarts de sicle. Nous sommes une quinzaine. Tiens,

    voil le village.

    Je ne sais pas ce qui me frappa le plus. Les trois quarts de sicle dont parlait Twav, ou bien le village

    qui affichait en son centre une petite chapelle dapparence chrtienne ? De lendroit do nous mergions,

    la chapelle tait la premire chose quon voyait. Elle tait entoure par une vingtaine de cases, quiressemblaient aux deux cases de la retraite duMatre.

    Les cases taient disposes de manire circulaire, et il y avait quelques dizaines de mtres entre les

    cases et la chapelle. La chapelle avait une configuration trs pratique. Elle avait six faces, telle un

    hexagone, et une porte sur chacune des faces. On pouvait y entrer et en sortir presque dans toutes les

    directions.

    Twav nous fit traverser le village de part en part. Au passage, je jetai un coup dil dans la chapelle.

    Des gens, des goodmans comme Twav, taient en train dy mditer, agenouills et accouds sur des prie-dieu. Il me sembla que les prie-dieu taient disposs en cercle autour dune grande croix nue.

    Twav et moi arrivmes dans une sorte de clairire. Le sol y tait nu et ferme, sans la moindre trace

    dherbes ou de cailloux. Quelques nappes blanches taient tendues par terre, et il y avait sur les nappes

    des victuailles. Des fruits de toutes sortes.

    - Nous pouvons nous asseoir l. Nous pouvons commencer manger.

    Nous nous assmes au bord dune nappe. Tout a paraissait vraiment dlicieux.

    - Twav, les autres ?

    - Ils sont en train de mditer. Ils viendront bientt nous rejoindre.

    Je commenai manger une banane. Elle tait excellente. Puis une papaye. Dlicieuse. Et encore une

    banane

    - Tu mas dit que leMatre vous avait choisis il y a de cela soixante-quinze ans ?

    - Oui.

    - Quel ge as-tu ?

    - Jai quatre-vingt-dix ans. Quand leMatre ma choisi, javais quinze ans.

    - Mais on te donnerait peine une trentaine dannes

    - Eh oui, fit Twav en avalant un morceau de mangue.

    Jtais trs impressionn. Ces goodmans taient-ils donc des Matres ?

    - Comment fais-tu pour rester aussi jeune ?

    Twav sarrta de manger et posa sur moi un regard scrutateur. Puis il se dcida me rpondre.

    - Le Matre nous a enseign la mditation silencieuse du cur, et il nous a donn linjonction de

    mditer tous les jours, plusieurs heures par jour. La discipline du Matre tait si ferme quaucun de nous

    ne pouvait ngliger sa pratique quotidienne, mme pas une seule fois. Certains ont mis une vingtaine

    dannes, dautres ont mis moins dune dizaine dannes, mais nous avons tous fini par ouvrir notre cur.

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    gouffre bant que je ne voulais pas franchir. Le gouffre de la crdulit Je navalerai pas nimporte

    quoi ! me disais-je intrieurement. Si Twav affirmait avoir quatre-vingt-dix ans, pourquoi pas ? Mais il

    tait hors de question pour moi de croire quelquun sur parole

    - Est-ce que tu penses quil est impossible davoir quatre-vingt-dix ans et den paratre seulement

    trente ?- Euh non, je pense que cest possible.

    - Ah ! Seulement, tu ne crois pas que jy sois parvenu.

    Je ne voulais pas dclencher des rapports conflictuels avec mon nouvel ami. Aprs tout, il semblait

    bien que jallais dpendre de Twav et de son clan pour ce qui tait de mes besoins alimentaires Je

    prfrai commencer croquer une autre banane plutt que dessayer de rpondre sa remarque. Comme

    a, sil me jetait hors de son village, jaurais au moins mang assez de fruits pour tenir quelques heures

    avant de meffondrer de faimTwav se frotta les mains, comme sil venait de conclure une belle affaire.

    - Cest pas important tout a, dit-il. Peu importe que tu me crois ou pas. La vraie question nest pas l,

    elle est ailleurs.

    - Et cest quoi la vraie question ?

    Il se remit manger, sans me rpondre. Peut-tre le ferait-il dans un moment. Jattendais.

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    Je me sentais un peu frustr. Jtais un peu du. Mon scepticisme tait surtout un dsir de voirquelque chose dtonnant, une provocation pour susciter chez mon nouvel ami un dploiement de

    puissance. Jesprais que Twav allait me faire une dmonstration de quelque chose de remarquable, car je

    ne doutais pas quil soit pourvu de capacits hors-normes. Je navais pas besoin quil me dmontrt

    chacune des affirmations quil pouvait faire sur ses capacits. Sil avait lvit devant moi, jaurais admis

    quil ait vraiment quatre-vingt-dix ans, sans avoir besoin de preuves supplmentaires

    Twav se mit rire. Je ne compris pas pourquoi.

    - Toi, tu veux voir des choses tonnantes !

    Je baissai les yeux. Ctait absolument vrai. Javais soif de spectaculaire.

    - Un goodman qui parle franais, ce nest pas assez tonnant ?

    Jclatai de rire. Je trouvai ce trait dhumour absolument magnifique. Il avait raison. Dentendre un

    goodman parler franais sortait tellement du cadre troit de mes prjugs que cen tait un vrai miracle.

    Mais ce miracle-l mavait paru peine insolite, tant la rencontre avec le Matre mavait transport vers

    dautres hauteurs.

    Twav devint subitement srieux. Son ton devint presque solennel.

    - Il faudra bien quun jour les hommes entendent le cri de leur cur. Le refus dadmettre lexistence

    des capacits suprieures en lhomme, devrait cder la place lacceptation de leur existence. Et le dsir

    dtre tmoin de la manifestation de ces capacits, devrait cder la place au dsir de les dvelopper soi-

    mme. Et lorsque la comprhension juste du potentiel humain sera acquise, le dsir de dvelopper les

    capacits suprieures deviendra simplement le dsir de raliser lEveil. Et ce dsir dEveil renferme dans

    sa main la soif de libert et de bonheur.

    Je hochai la tte sans rien dire, un peu honteux. Je me reconnaissais en partie, en trs petite partie, dans

    ces paroles. Hier encore je pouvais me compter parmi ceux qui imposaient des limites aux possibilits

    humaines. Je voulais bien admettre par exemple quune personne puisse tre capable de conserver sa

    srnit devant lincendie de sa prcieuse maison, ce qui serait dj vraiment extraordinaire, mais il

    mtait impossible dadmettre quune personne puisse par exemple faire bouger un objet par la seule

    volont Comme beaucoup, jtais capable dadmettre que les possibilits psychologiques puissent tre

    tendues, et en mme temps je me refusais adopter la mme attitude par rapport aux possibilits

    nergtiques. Un homme dont le sourire serait fermement ancr au cur, et qui vivrait dans lnergie de

    la joie profonde, cela me paraissait possible. Mais javais peur doser imaginer quun homme puissemarcher sur leau ou voler dans les airs. Javais peur de cela, et surtout je refusais cela Ctait hier.

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    Jtais plong dans mes penses. Twav men sortit en claquant des mains devant mes yeux.

    - Reviens parmi nous.

    Je sursautai presque.

    - Dis moi, Twav, tu as dit que vous avez tous fini par atteindre louverture du cur quest-ce que

    cela veut dire ?- Ah ! Enfin une vraie question.

    Il me donna une petite tape amicale sur lpaule. Ma question semblait le ravir.

    - Le mot cur dont je parle dsigne la divinit intrieure. Certes, le cur nest pas exactement la

    divinit intrieure, mais ce nest pas grave, tu apprendras les nuances plus tard. Louverture du cur dont

    je parle est une ouverture nergtique, cest le premier grand niveau dactivation de la divinit intrieure.

    Cest le premier grand niveau de lEveil. Il existe un premier petit niveau , mais il est facultatif et non-

    transcendant, donc je ne vais pas my attarder.- Mais, quest-ce que a signifie concrtement ?

    - Celui qui a ralis louverture du cur a atteint de ce fait la paix intrieure.

    Il se gratta la tte, comme si sa rponse ne lui suffisait pas vraiment. Il affina ses propos.

    - Disons que lorsquelle est active au premier grand niveau, la divinit intrieure rayonne

    spontanment la paix. Cette paix est ternelle et constante, donc elle ne varie pas en fonction de ceci ou

    cela. Cest la paix intrieure. Cependant, avoir cette paix nempche pas de ragir motionnellement aux

    choses. Mais plus aucune motion ne peut alors troubler cette paix intrieure, et toutes les motions

    apparaissent la surface de la conscience comme des vagues superficielles qui ont vite fait de se dissiper

    une fois apparues.

    Il me fit signe dtendre la main. Lorsque je le fis, il posa un doigt sur ma paume ouverte. Je sentis un

    courant dnergie scouler de son doigt et pntrer dans ma main. Le courant dnergie remonta le long

    de mon bras et sengouffra au centre de ma poitrine. L, il se produisit comme une explosion silencieuse.

    Quelque chose se dilata subitement et se dploya au-del des limites de mon propre organisme. Je me

    sentis extraordinairement vaste, et dans cette vastitude je ressentais une paix et une joie intenses plus

    intenses que tout ce que je pouvais imaginer.

    Jtais grand comme lunivers, et mon corps physique navait jamais t quune petite coquille

    donnant lillusion de contenir linfini de mon tre. Jtais dans un tat de bonheur absolu Mais

    subitement je me sentis rtrcir, et je revins aux limites de mon corps dense. La paix et la joie que javais

    ressenties sestomprent, et je retrouvai mon tat habituel, ou presque car il me restait encore un peu de

    cette paix

    Je regardai Twav avec de grands yeux dadmiration. Sil pouvait crer en moi une telle exprience

    extatique, dun simple doigt, alors il tait absurde que je puisse douter de lui lorsquil affirmait avoir

    quatre-vingt-dix ans. Il venait de me faire toucher du doigt une exprience intrieure absolument

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    bouleversante. Javais dj lu des rcits sur de telles expriences extatiques, mais ctait vraiment quelque

    chose den vivre une soi-mme.

    Des larmes de bonheur se mirent couler le long de mes joues.

    - Tu viens de faire lexprience de lextase divine, me dit Twav.

    - Est-ce que cest dans cet tat que tu vis en permanence ?- Oh, non. Mon tat permanent est une paix intrieure intense, mais je peux entrer en extase volont.

    Et je peux susciter lextase volont chez quelquun dautre. Mais la paix intrieure et le contrle de

    lextase ne sont pas les seuls attributs de lEveill du premier grand niveau. Au premier grand niveau

    dEveil, la divinit intrieure dispose dun certain degr de puissance nergtique.

    - Puissance nergtique ?

    - Un certain degr de matrise de lnergie, si tu prfres. La matire dense nest dailleurs quun

    aspect de lnergie. LEveill ne dispose pas vraiment dune certaine quantit de pouvoirs nergtiquesspcifiques. Il est simplement capable de faire une quantit incroyable de choses avec la seule et mme

    divinit intrieure

    - Je croyais quil existait diffrents pouvoirs plus ou moins spcifiques, comme la tlpathie, la

    tlkinsie Quest-ce quil en est ? Est-ce que tous ces pouvoirs existent quand mme de faon

    diffrencie ?

    - Il existe diffrents pouvoirs psychiques que lon peut isoler les uns des autres. Mais on ne saurait

    confondre la psych et la divinit intrieure. Laissons la psych o elle se trouve. Tu peux te reprsenter

    la divinit intrieure comme une force unique, ternelle, irradiant naturellement la paix et la joie, et

    capable dexcuter nimporte quelle tche. Depuis le fait de susciter lextase jusquau fait de voler dans

    les airs, et au-del De lactivation de la divinit intrieure dcoulent naturellement le bonheur

    authentique et la puissance authentique.

    Twav se joignit les mains et appuya ses paroles dun hochement de tte.

    - Cette activation est lEveil, et lEveil est la porte de ton amour. Il suffit daimer vraiment. Daimer

    de tout son cur.

    Twav leva les yeux vers le ciel, derrire moi. Il me fit un signe de tte et je me retournai.

    Cest alors que je vis.

    Je les comptai. Ils taient quatorze.

    Quatorze personnes se mouvant paisiblement dans les airs. Ctait un spectacle absolument

    extraordinaire. Ils taient debout dans les airs, et avanaient dun bloc, comme poss sur un invisible tapis

    volant. Ils ne faisaient aucun bruit. Je mtais imagin que des hommes volants sy prendraient forcment

    comme Superman. Mais ce que je voyais avait une bien plus grande lgance.

    Certains dentre eux taient habills comme Twav, cest--dire un simple short gris et des chaussures

    en raphia. Dautres portaient une toge-soutane comme la mienne, avec une ceinture la taille. Les toges

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    tremblaient lgrement, secoues par la petite brise qui soufflait de temps en temps. Certains croisaient

    les mains derrire le dos, dautres taient simplement bras ballants

    Ils se posrent doucement sur la clairire, autour des nappes garnies de fruits. Ils ne semblaient pas

    spcialement faire attention moi. Lun deux, une femme, vint se poser ct de Twav et moi. Elle se

    joignait nous. Elle tait aussi grande que Twav. Ses cheveux, trs boucls, paraissaient bien longs et luitombaient en cascade sur les paules. Ses traits taient dune grande finesse, et son corps tait sculpt

    dune manire trs harmonieuse. Comme elle portait un short, ses seins gnreux sexposaient pleinement

    mon regard troubl Elle tait belle.

    Je baissai les yeux, fort gn.

    - Je vois que je te plais, dit-elle.

    Je voulus disparatre sous terre. Ce ntait pas possible. Je la voyais pour la premire fois, et dj mon

    cur battait la chamade Une affection passionne, soudaine et inexplicable, courait dans mes veines etchavirait mon cur Je navais quune seule envie, la prendre dans mes bras et peut-tre plus que

    cela. Javais honte de moi. Avoir un coup de foudre, dans une situation aussi incroyable !

    - Je mappelle Nlinda.

    Son nom rsonna telle une mlodie anglique dans mes oreilles. Je me crus en apesanteur.

    Elle me tendit la main.

    Je ne voulus pas la serrer, de peur de mvanouir de ravissement.

    Devant mon attitude, Twav clata de rire.

    - Eh bien Christian ? Elle te fait de leffet ce point ?

    - Oui, soufflais-je voix basse

    Nlinda se glissa ct de moi. Elle me frlait littralement.

    - Et voil, dit-elle avec enthousiasme.

    - Apparemment tu lui plais aussi, me dit Twav en me faisant un clin dil.

    Jtais totalement confus.

    Sans avertir, elle menlaa de ses bras dlicats. Elle dposa sur ma joue un lger baiser. Mon corps fut

    secou par une trange lectricit. Je repliai les jambes, pour cacher une bosse qui venait de se soulever

    quelque part Ctait vraiment bte.

    - Je reviendrai quand tu seras moins excit, dit Nlinda.

    Elle se leva et marcha jusqu lextrmit de la clairire. Elle alla sasseoir avec un autre groupe.

    - Respire profondment.

    Twav me tapotait un peu dans le dos.

    - Que se passe-t-il ? Pourquoi elle me fait un tel effet ?

    - Tu es en affection devant elle.

    - Mais cest la premire fois que je la vois.

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    - Et alors ? H ! Regarde autour de toi. Regarde toi. Avec tout ce que tu as vcu aujourdhui, tu es bien

    plus sensible aux radiances subtiles de la personnalit. Quest-ce que tu ressens mon gard ?

    Il carta les bras, comme pour me prsenter sa personne.

    - Je ressens une grande affinit comme si tu tais mon frre bien-aim de longue date.

    - Ce que tu ressens ne vient ni de mon apparence physique, ni de mes paroles Ma personnalitpossde un rayonnement subtil, et tu ressens directement ce rayonnement. Comme ce rayonnement est

    assez proche des caractristiques, peut-tre subconscientes, que tu apprcies, alors tu prouves pour moi

    une grande sympathie. Cest normal.

    Je secouai la tte.

    - Je ne comprends pas trs bien.

    - La personnalit notre structure psychologique. La somme de nos qualits, de nos dfauts, de nos

    programmes mentaux Tout a rayonne quelque chose. Dordinaire il faut plusieurs mois dinteractionquotidienne avec une personne pour percevoir sa personnalit dans sa vrit, et alors on peut affectionner

    plus ou moins la personne, ou prouver plus ou moins de laversion pour la personne. Laffection que

    lon prouve a trois composantes. Une composante fraternelle. Une composante amicale. Et une

    composante conjugale.

    Je me demandais sil tait srieux pour la dernire composante.

    - Twav, jai limpression que Nlinda suscite en moi les trois espces daffection

    - On dirait bien, surtout la troisime.

    Il dit cela en dsignant du doigt la fameuse bosse.

    Je respirai profondment et mefforai de penser autre chose. La bosse se dgonfla et je pus

    reprendre une position assise normale. Nlinda ntait pas visible de ma position. Dailleurs, je nosais

    pas la chercher des yeux, je craignais de rencontrer le regard des autres membres du groupe. De toutes les

    faons, comme ils taient tous des Eveills de premier grand niveau, ils devaient dj savoir ce qui se

    passait

    - Tu plais aussi Nlinda.

    - Tu crois ?

    - Cest vident. Percevoir directement la personnalit lun de lautre, cela facilite beaucoup les

    relations surtout les relations affectives.

    - Est-ce que vous formez des couples ?

    - Non, nous nen sommes plus l. En un sens nous sommes au-del de laffection, nous avons vaincu

    les dpendances et les fragilits affectives. Parce que nous avons ouvert notre cur, nous avons lamour

    au-dedans de nous. Nous le donnons volontiers, mais nous navons pas besoin den recevoir de

    lextrieur. Donc nous navons pas besoin dtablir avec une personne des relations affectives privilgies

    pour nous assurer lexclusivit de son sentiment.

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    - Donc aucune chance avec Nlinda

    Je ramenais pitoyablement les choses mes pauvres petits besoins affectifs Je me disais que je serais

    bien malheureux si Nlinda ne rpondait pas positivement mon dsir frachement clos Twav essaya

    de me rassurer.

    - Ne tinquite pas, Nlinda sera daccord de nouer avec toi une relation affective, mais cela ne sepassera pas selon les paramtres auxquels tu es habitu.

    - Cest--dire ?

    - Nlinda sera pleinement daccord pour avoir avec toi des instants de partage de lamour mais pas

    exclusifs, et pas de la nature que tu peux timaginer.

    - Twav, je ne comprends rien ce que tu mexpliques.

    Twav se pencha vers moi, comme pour me faire une confidence.

    - Elle te plat, donc tu as certainement envie de sortir avec elle, nest-ce pas ?- Oui

    - Pour toi, cela veut dire, entre autres, avoir des rapports sexuels avec elle, nest-ce pas ?

    - Euh oui.

    - Et cela veut encore dire que, du moment quelle sortirait avec toi, il serait mal venu quelle sorte

    simultanment avec quelquun dautre, nest-ce pas ?

    - Euh oui

    - Eh bien, cela ne se passera pas tout fait comme a. Il y aura bien entre vous une certaine intimit

    relationnelle, mais ce sera pour Nlinda sans possessivit et sans attachement. Elle partagera de lamour

    avec toi, et elle aura des contacts dme me avec toi mais, tu sais, ici nous avons tous des contacts

    dme me les uns avec les autres, sauf que ces contacts nont rien voir avec ta conception du rapport

    sexuel, et nous navons pas besoin dtre exclusifs et de recourir des organes physiques. Lamour est

    une nergie libre, il ne sagit pas dun sentiment attachant.

    Ses paroles taient un peu difficiles entendre pour moi, car je tenais beaucoup la perspective dun

    rapport physique et peut-tre exclusif avec Nlinda mais elles taient aussi nigmatiques. Je me

    demandais ce que pouvait tre cette chose, le contact dme me dont ces gens semblaient se contenter

    en lieu et place du rapport sexuel. Etait-ce vraiment mieux que le bon vieux rapport sexuel ? Etait-ce

    vraiment mieux que de faire lamour, si tant est quavoir un rapport sexuel avec quelquun soit faire

    lamour ? Sagissait-il, pourquoi pas, de quelque chose comme lamour distance, une relation sans

    contact physique, et peut-tre toute en paroles et en signes ? Ou alors tait-il vraiment question de

    quelque chose que je ne pouvais peut-tre pas imaginer ?

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    Le repas tait fini, et Twav me fit comprendre que je devais demeurer seul pour le reste de la journe.Ce ntait pas une mise lcart, mais seulement une occasion de me recueillir dans locan de mon cur.

    Je pouvais flner autant que je voulais, visiter nimporte quelle case, explorer les environs ma guise. Il

    massura que je navais rien craindre si je ne mloignais pas seul de plus de cinq kilomtres du village

    et de la retraite du Matre. Mme si je rencontrais un fauve, je ne devais pas en avoir peur, car dans le

    primtre dcrit, le rayonnement des Matres rendait les animaux doux et amicaux. Il me montra ma case

    et mexpliqua que je devais dormir l, car le lit y serait plus confortable pour moi, et il me dit que je

    devais rejoindre chaque matin la retraite duMatre, et revenir au village aprs lentretien. Il mavertit que

    ctait l la dmarche gnrale, mais quen pratique les choses pouvaient se montrer moins prvisibles. Je

    naccordai pas de limportance son avertissement, car jtais convaincu quici limprvisible nexistait

    pas.

    - Aujourdhui, me dit Twav, nous devons passer beaucoup de temps en mditation dans la chapelle.

    Demain deux dentre nous devrons aller en mission, pour secourir un village qui se trouve soixante

    kilomtres dici.

    - Ah ? Et quel est le problme de ce village ?

    - Xcident.

    - Hein ? Cest quoi Xcident ?

    - Xcident est une puissante entit subtile dont le passe-temps favori est de semer la souffrance ici et l

    sur la plante

    - Pourquoi ce Xcident sen prend-il ce village ?

    - Pour nous tester.

    - Vous tester ? Comment a ?

    - Nous sommes lune des rares communauts de Matres qui existent sur la plante, et nous tendons

    une protection spciale au-dessus de certains petits villages. Nous ne pouvons pas protger lensemble de

    la plante contre Xcident, mais nous essayons dattnuer les dgts Xcident cherche o nous tendons

    prcisment notre manteau et value autant quil peut la solidit de notre protection, car il sait que le jour

    o nous cesserions de protger les humains, il pourrait prendre le plein contrle de la plante, et

    lhumanit naurait alors plus aucun espoir de raliser le bonheur inconditionnel un jour du moins tout

    espoir serait repouss plusieurs millions dannes.

    - Cesseriez-vous un jour de protger des humains ?- Non. Notre vu est mme dtendre le manteau de notre cur toute lhumanit, et de faire en sorte

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    que tous les hommes vivent dans la paix et dans laisance, et puissent se consacrer efficacement la qute

    de lEveil. Nous russirons, car Dieu lui-mme dsire que nous y parvenions.

    Twav nallait pas men dire plus. Il rejoignit les autres, qui taient dj runis dans la chapelle.

    Le reste de la journe scoula tranquillement. Je me promenais dans les environs, et jessayais en

    mme temps de rflchir tout ce que javais appris depuis mon rveil ce matin. Pour moi, tout cela taitimmense, et je ne voyais pas comment jallais pouvoir le raconter sans me cacher derrire la licence de la

    fiction. Je soupirai. Le Matre lui-mme mavait mis laise depuis le dbut en soutenant lide de

    prsenter les choses comme une fiction. Je pensais tous ceux qui osaient prsenter un vcu

    extraordinaire comme un rcit authentique, ils avaient un courage que je ne possdais pas

    Javais pens exposer les choses comme un roman spirituel. Lide folle dopter pour une

    prsentation sous la forme dun roman daventure me traversa. Mais ce que je vivais ntait pas une

    aventure ou une intrigue de roman palpitant. Ctait certainement une histoire de paix et damour qui nese souciait que de parler au cur. Selon toute vraisemblance, jtais l pour recevoir un enseignement

    spirituel transmettre, pas pour vivre une aventure extraordinaire raconter. De toutes les faons, il ny

    aurait pas beaucoup dvnements rocambolesques raconter, par contre il y aurait beaucoup de pierres

    de vie rapporter. Les choses semblaient avoir t organises pour purer mon sjour et le concentrer sur

    limportant

    Le lendemain. Alors que je mtirais dans mon lit et mapprtais ouvrir les yeux, je me retrouvai

    directement sur ma chaise, face auMatre. Dcidment !

    - Tu es ponctuel.

    LeMatre dcocha ce trait dironie tout en souriant.

    Ses cheveux ne formaient plus une grande couronne sur sa tte. Ils tombaient sur ses paules, et ils

    paraissaient plus friss que crpus. Ce dtail me fit sourire. Avec cette coiffure, le Matre paraissait

    relativement androgyne. Mais je navais pas le temps de me perdre dans une inutile contemplation de

    menus dtails, ou dans des changes sur des choses sans importance. Le Matre ne voulait pas perdre de

    temps en salamalecs.

    - Est-ce que tu es prt ?

    Je neus mme pas le temps douvrir la bouche pour rpondre. Lcran habituel envahit rapidement

    mon champ visuel, et je fermai les paupires pour mieux mimmerger dans lhistoire qui allait se drouler

    sous mes yeux, et que jallais vivre dune manire trs intime, par un inexplicable processus dont le

    Matre avait le secret.

    La premire scne qui se forma dans mon esprit se droulait dans un parc parisien. Il y avait l cinq

    amis qui staient donns rendez-vous. Ils paraissaient, chacun, trs heureux dtre l. Je compris quils

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    ne staient jamais rencontrs avant. Ils staient connus par internet, et un rve commun les avait runis.

    Ils voulaient fonder un club international Le projet tait encore un peu flou, mais son bauche se

    dessinait dj dans leur esprit.

    Assis en cercle autour dun petit panier damuse-gueules, presque indiffrents au soleil qui frappait de

    toutes ses forces et la foule qui allait et venait en jacassant, ils taient en train de faire connaissance. Ilsse regardaient avec cette flamme dans les yeux, qui tmoignait de la joie quils avaient partager un

    grand projet commun

    - Moi cest Tom, fit lun des cinq. Je suis amricain et jai trente cinq ans.

    Tom sortit un bout de papier de sa poche et le tendit aux autres. Le bout de papier passa dune main

    lautre, et chacun hochait la tte, les yeux remplis dadmiration.

    - Cest top !

    - Cest gnial !- Vraiment super !

    - Impeccable !

    Le bout de papier finit sa course ct du panier.

    - Moi cest Pedro, fit un second. Je suis pruvien et jai vingt-huit ans.

    Pedro sortit lui aussi un bout de papier. Les ractions furent les mmes, et le bout de papier termina

    son priple au-dessus de lautre bout de papier.

    - Salut, moi cest George. Je suis franais et jai trente ans.

    George brandit firement son bout de papier et le donna circuler. Aprs que chacun ait lu et hoch la

    tte dadmiration, le bout de papier fut dpos au-dessus des deux premiers.

    Juan, lespagnol, et Malick, le nigrian, se prsentrent aussi. Ils avaient tous les deux trente deux ans,

    et leurs bouts de papier reurent le mme accueil rjoui de la part du groupe. Lcran opra un zoom

    arrire sur limage. La scne devint petite, nimbe dans une sorte despace blanc. Tout plongea dans un

    grand silence, et ma comprhension se dploya spontanment.

    Ces cinq jeunes avaient le rve dannihiler le racisme en faisant la dmonstration de la richesse

    extraordinaire que recelait chacune des cultures de la plante. Ils voulaient fonder un groupe artistique,

    faisant de la musique et dessinant des tableaux, en mariant toute la beaut des diffrentes cultures.

    Chacun deux avait des talents musicaux et plastiques dune grande qualit

    Le groupe ntait pas complet. Ils devaient encore rechercher prs dune vingtaine de personnes,

    chacune dote des prcieux talents artistiques ncessaires au projet. Les bouts de papier taient des

    bauches de chansons et les textes en taient particulirement beaux.

    La scne changea, et je vis deux des membres du groupe, Tom et George, assis dans un grand bureau,

    devant un personnage qui paraissait trs important. Les deux jeunes adultes taient habills en costume-

    cravate, et ils discutaient, sur un ton de dfrence, avec le personnage en costume gris. Entre deux

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    Alors que je mefforais de comprendre le sens de cette histoire, je vis se dessiner dans mon esprit une

    scne extraordinaire. En fait, je ne la voyais pas vraiment, mais je la ressentais intensment. Comme un

    amoncellement de dguisements lourds, je sentais que des masses informes sagrippaient des mes et

    essayaient de les absorber. Ces masses informes taient autant didentits relatives et sous leur emprise

    les mes plongeaient dans une espce de lthargie et doubliUn kalidoscope traversa mon esprit. Des personnages des mots et des sentiments. Des masques

    parlants.

    - Je mappelle Robert Brewer, je suis un grand crivain

    - Je mappelle Jean Chacri, je suis un grand homme politique

    - Je mappelle je suis

    -