COMME LES CHUTES D’EAU DÉJÀ TREMBLENT DEDANS ......Comme les chutes d'eau déjà tremblent...

4
Comme les chutes d'eau déjà tremblent dedans la source est une exposition rétrospective autant que prospective, ouverte. On y (re)trouve des œuvres de la collection de la ville de Vénissieux, créées entre 1993 et 2016, mises en relation avec de nouvelles œuvres - souvent inédites - des mêmes artistes. Cet élargissement du regard, à partir du lieu d'exposition et de son histoire, procède par associations et relations : analogies, proximité des pratiques, questionnements communs ou diversité des mediums (vidéo, installation, peinture, photographie, sculpture ou dessin). Construite sur les relations changeantes et subjectives que les œuvres entretiennent entre elles, l’exposition propose une nouvelle expérience autour de la collection municipale. Elle souligne aussi l’importance du rapport entre le visiteur et l’œuvre, sa versatilité, prenant au pied de la lettre l’aphorisme de Marcel Duchamp, selon lequel « C’est le regardeur qui fait l’œuvre » (1965). Depuis les années 90, Yves Bélorgey peint un infini continent de vitres, balcons, poteaux, dalles : ces éléments qui composent le vocabulaire architectural du mouvement moderne et de la charte d’Athènes 1 . Parcourant les banlieues d’Europe avec un appareil photo, il peint ensuite à l’atelier ces paysages démesurés, en retirant toute présence humaine. Et si ses dessins paraissent plus documentaires, ses peintures laissent affleurer une poésie de cette architecture des utopies irréalisées. Pour l’exposition, Yves Bélorgey a peint Le Brabant, un immeuble du 19ème arrondissement de Paris. Avec ses couleurs vives et une touche visible et personnelle qu’on peut apprécier en s’approchant, cette façade frontale s’impose par un équilibre entre la grille architecturale, les arbres décharnés par l’hiver, et les reflets pâles qui la rendent vivante. Karim Kal explore méthodiquement les marges urbaines et leur apparente uniformité, pour les faire émerger de l’anonymat. Ses œuvres récentes, des photographies de nuit à la limite de l’abstraction, ne révèlent de l’obscurité que des détails choisis, illuminés par un flash. Ces prises de vues de grand format, exemptes de présence humaine, sont paradoxalement très immersives en dépit de leur radicalité. L’artiste met notamment en lumière des archétypes de la frontière EXPOSITION DU 4 FÉVRIER AU 29 AVRIL 2017 COMME LES CHUTES D’EAU DÉJÀ TREMBLENT DEDANS LA SOURCE VERNISSAGE LE VENDREDI 3 FÉVRIER À 18H30 Bertille Bak : Sans titre / Série n°11 (détail), 2015. Stylo à bille noir sur papier. 20 x 300 cm. Collection ville de Vénissieux. Bertille Bak, Yves Bélorgey, Zoé Benoit, Alain Bernardini, Matt Coco, Cécile Dupaquier, Anne-Valérie Gasc, Juliette Goiffon & Charles Beauté, Suzanne Husky, Karim Kal, Camille Llobet, David Posth-Kohler, Ernesto Sartori, Efrat Shvily, Mirjana Vodopija. Artistes de la collection Karim Kal : La Tour, 2011. Tirage jet d'encre sur Hahnemühle Museum Etching contrecollé sur Dibond. 139 x 99 cm. Collection ville de Vénissieux. Yves Bélorgey : Le Brabant, 22-28 avenue Simon Bolivar, Paris 19ème, décembre 2016 - janvier 2017. Peinture sur toile. 243 x 243 cm. Collection de l’artiste.

Transcript of COMME LES CHUTES D’EAU DÉJÀ TREMBLENT DEDANS ......Comme les chutes d'eau déjà tremblent...

  • Comme les chutes d'eau déjà tremblent dedans la source est une exposition rétrospective autant que prospective, ouverte. On y (re)trouve des œuvres de la collection de la ville de Vénissieux, créées entre 1993 et 2016, mises en relation avec de nouvelles œuvres - souvent inédites - des mêmes artistes. Cet élargissement du regard, à partir du lieu d'exposition et de son histoire, procède par associations et relations : analogies, proximité des pratiques, questionnements communs ou diversité des mediums (vidéo, installation, peinture, photographie, sculpture ou dessin).

    Construite sur les relations changeantes et subjectives que les œuvres entretiennent entre elles, l’exposition propose une nouvelle expérience autour de la collection municipale. Elle souligne aussi l’importance du rapport entre le visiteur et l’œuvre, sa versatilité, prenant au pied de la lettre l’aphorisme de Marcel Duchamp, selon lequel « C’est le regardeur qui fait l’œuvre » (1965).

    Depuis les années 90, Yves Bélorgey peint un infini continent de vitres, balcons, poteaux, dalles : ces éléments qui composent le vocabulaire architectural du mouvement moderne et de la charte d’Athènes 1 . Parcourant les banlieues d’Europe avec un

    appareil photo, il peint ensuite à l’atelier ces paysages démesurés, en retirant toute présence humaine. Et si ses dessins paraissent plus documentaires, ses peintures laissent affleurer une poésie de cette architecture des utopies irréalisées. Pour l’exposition, Yves Bélorgey a peint Le Brabant, un immeuble du 19ème arrondissement de Paris. Avec ses couleurs vives et une touche visible et personnelle qu’on peut apprécier en s’approchant, cette façade frontale s’impose par un équilibre entre la grille architecturale, les arbres décharnés par l’hiver, et les reflets pâles qui la rendent vivante.

    Karim Kal explore méthodiquement les marges urbaines et leur apparente uniformité, pour les faire émerger de l’anonymat. Ses œuvres récentes, des photographies de nuit à la limite de l’abstraction, ne révèlent de l’obscurité que des détails choisis, illuminés par un flash. Ces prises de vues de grand format, exemptes de présence humaine, sont paradoxalement très immersives en dépit de leur radicalité. L’artiste met notamment en lumière des archétypes de la frontière

    EXPOSITION DU 4 FÉVRIER AU 29 AVRIL 2017

    COMME LES CHUTES D’EAU DÉJÀ TREMBLENT DEDANS LA SOURCE

    VERNISSAGE LE VENDREDI 3 FÉVRIER À 18H30

    Ber

    tille

    Bak

    : Sa

    ns ti

    tre /

    Séri

    e n°

    11 (d

    étai

    l), 2

    015.

    Sty

    lo à

    bill

    e no

    ir su

    r pap

    ier.

    20 x

    300

    cm

    . Col

    lect

    ion

    ville

    de

    Vén

    issi

    eux.

    Bertille Bak, Yves Bélorgey, Zoé Benoit, Alain Bernardini, Matt Coco, Cécile Dupaquier, Anne-Valérie Gasc, Juliette Goiffon & Charles Beauté, Suzanne Husky, Karim Kal, Camille Llobet, David Posth-Kohler, Ernesto Sartori, Efrat Shvily, Mirjana Vodopija.

    Artistes de la collection

    Karim Kal : La Tour, 2011. Tirage jet d'encre sur Hahnemühle Museum Etching contrecollé sur Dibond. 139 x 99 cm. Collection ville de Vénissieux.

    Yves Bélorgey : Le Brabant, 22-28 avenue Simon Bolivar, Paris 19ème, décembre 2016 - janvier 2017. Peinture sur toile. 243 x 243 cm. Collection de l’artiste.

  • et de la délimitation (murs nus, rivage sans horizon) : autant d’éléments architecturaux signifiants, isolés du continuum urbain. Pour l’exposition, il présente pour la première fois en France La grotte, une image de ce lieu incongru d’Alger, perdu au milieu des habitations très denses du quartier de Belcourt. Cette cavité, autrefois beaucoup plus isolée, a abrité Cervantès dans sa tentative d’évasion

    vers l’Espagne en 1577. L’auteur et soldat resta captif à Alger de 1575 à 1580, et a tiré de cette expérience la matière première de son chef-d’œuvre, Don Quichotte.

    Bertille Bak s’intéresse aux communautés et à l’action du temps sur le contexte et les liens qui les unissent. À Bangkok avec les délogés, à New-York en explorant la culture des émigrés polonais ou en banlieue parisienne avec les Tsiganes, elle s’implique personnellement au plus proche de ses sujets, avec humour et délicatesse, comme dans le film Figures imposées présenté en 2015 à Vénissieux. Originaire d’Arras, elle a longuement arpenté les corons de Barlin - voués à la disparition - et en a fait des relevés précis pour

    en consigner la mémoire. Patiemment, elle en a tracé les contours : chaque brique, chaque porte ou fenêtre des corons. Elle a laissé cependant de grands pans de l’œuvre inachevés, comme si leur incomplétude, leur précarité, faisaient de ces maisons les témoins d’une attente, l’expérience d’un temps dont le passage se teinte d’une perte de sa mesure, un temps étirable, réversible, explorable, entre passé, présent et disparition.

    Les œuvres de Zoé Benoit entretiennent également des liens avec l’architecture. Elle a développé une approche artistique liée au son, à la captation et au document, autant qu’à une faculté d’immersion proche de l’ethnographie. Du couvent de la Tourette à Mayotte, en passant par Taïwan ou Alger, le rapport au lieu (ou à l’esprit des lieux) se dessine et se révèle dans ses œuvres. Attentive aux signes et aux rencontres, elle crée à partir du réel et ses œuvres semblent répondre à cette idée d’Edouard Glissant d’une « pensée archipélique ». Ouverte au détail, à

    un monde multiple, diffracté, changeant et signifiant, cette pensée de l’archipel s’oppose à une vision que le poète appelle « continentale », de système. Pour l’exposition, Zoé Benoit a créé une nouvelle œuvre qui rappelle les vitrines de musées et qui mêle des objets aux formes étranges, inspirées d’instruments de musiques vernaculaires et des paroles recueillies lors d’entretiens menés à Mayotte.

    Artiste voyageur lui aussi, attentif à l’inhabituel, ouvert à l’accidentel et aux rencontres improbables, David Posth-Kohler apprend volontiers des techniques traditionnelles auprès des artisans locaux, ou leur commande des travaux qui relèvent du détournement. Il collectionne des objets qui résonnent avec sa propre pratique

    plastique, et il tient depuis plusieurs années un journal photographique, dont il se sert parfois comme source, mais qui connait aussi sa vie propre : une œuvre en contrepoint, cachée comme une rivière souterraine. Riche de ces relevés et de ces observations, il opère dans ses œuvres une synthèse stimulante entre des savoir-faire vernaculaires et des objets mondialisés et paradigmatiques.Son œuvre Mañana joue précisément sur le rapport ironique et politique du détournement : ce plateau, que l’artiste a importé depuis la Belgique à Cuba, a été décoré à la main par un peintre en lettre spécialisé dans les slogans révolutionnaires. Ce mot « mañana » qui signifie « demain » renvoie inévitablement à la vanité de tout système. Alain Bernardini, quant à lui, déjoue dans ses œuvres les stéréotypes du « monde du travail », comme on le désigne aujourd’hui. Avec ses vicissitudes, ses rapports de camaraderie ou de force, sa dimension humaine et – souvent - son absurdité. En 2005, avec la complicité de salariés vénissians (jardiniers municipaux, agents techniques ou administratifs de la Ville, ouvriers des entreprises du territoire), il a mis en scène et photographié chacun sur son lieu de travail, dans une posture qui évoque le jeu, la pause, le refus : une transgression en douceur. Loin de glorifier la figure anonyme du travailleur productiviste, ces images décalées révèlent la personnalité de chacun et font émerger l’individualité, la réalité de

    Alain Bernardini : Tu m'auras pas 13, Graftech UCAR, 2005. Impression numérique sur bâche. 180 x 240 cm. Collection ville de Vénissieux.

    Juliette Goiffon et Charles Beauté : Management visuel # 1, 2016. Laiton. 99 x 77 cm. Collection ville de Vénissieux.

    Anne-Valérie Gasc : Target Shooting Collector, sept. 2009. Impression en 100 ex. 28,7 X 41 cm. Editeur : uls print - 02.Collection ville de Vénissieux. Don Pascale Triol.

  • la vie des salariés. Le titre de cette série, le familier Tu m’auras pas, rappelle le jeu enfantin du chat perché, ce qui explique le travailleur juché sur sa machine, mais résonne aussi de façon plus grinçante et humoristique, comme un défi à l’autorité.

    Juliette Goiffon & Charles Beauté se sont également intéressés au salariat, et au « nouveau management », notamment dans leur récente exposition au centre d’art la Halle des Bouchers de Vienne, intitulée Muda Muri Mura 2. Ici, ils détournent un schéma logique et le vident de son texte. Dénué de lisibilité, cet organigramme se voit promu au rang de « mystère », comme un message primitif devenu indécodable. Sa résistance à l’interprétation, le laiton qui le constitue et sa couleur or, le font miroiter intemporellement et ne renvoient à rien de familier.

    Presque aussi codées et paradoxales, les œuvres d’Ernesto Sartori sont inspirées de multiples phénomènes et références souvent très éloignées les unes des autres : des données scientifiques, statistiques, historiques ou des emprunts à la culture populaire. Les titres énigmatiques de ses œuvres se présentent comme des indices et individualisent aussi chaque sculpture ou peinture, qui rassemblées peuvent néanmoins être considérées comme un continuum. Ce foisonnement et cette entropie nous donnent l’impression d’être un lecteur perdu (avec bonheur) dans un livre de Thomas Pynchon 3 et nous invite à examiner chaque détail, figuratif ou abstrait, chaque structure, et l’articulation complexe de chaque élément, aussi divers et imprévisible que le monde lui-même.

    Les œuvres d’Anne-Valérie Gasc subliment toutes les formes de destructions : disparition, effacement, incendie, inondation… L’artiste s’est particulièrement intéressée au « foudroyage intégral », cette technique qui permet d’abattre des immeubles entiers, comme le furent les tours du quartier Démocratie à Vénissieux le 11 octobre 1994. Elle a rassemblé les images aériennes de cet évènement inouï, et les a compilées dans un livre intitulé Various Small Sparks (and Rodeo).Une autre forme de destruction est évoquée directement avec Target Shooting Collector. Dans cette œuvre, l’artiste nous place dans la position du tireur en passe de faire disparaitre un animal qui nous apparait dans sa beauté délicate et sa vulnérabilité. Proche du style des gravures anciennes et des illustrations naturalistes du XVIIIème siècle, l’œuvre rappelle par cette référence le lien entre l’exploration, l’exploitation et la destruction du monde. Tournées elles aussi vers le monde contemporain et ses paradoxes, les œuvres de Suzanne Husky témoignent de sa pratique du documentaire et de son activisme. Aux côtés des ZAD (zones à défendre) et des Black Lives Matter (mouvement

    contre les violences policières racistes aux Etats-Unis), elle mène actuellement un projet avec l’artiste Stéphanie Sagot : le Nouveau ministère de l’agriculture. Sous cette bannière, les artistes tournent en ridicule les stratégies de l’agro-alimentaire mondialisé, la logique des fermes-usines, et la destruction de l’environnement et des cultures vernaculaires au profit de la (sur)production de masse. Inspirée des poteries révolutionnaires de 1789, ses vases de la série ACAB (graffiti souvent croisé dans la rue : « All the Cops Are Bastards ») mettent en scène les forces de l’ordre, prêtes à disperser les manifestants, bien que fondues dans un décor végétal luxuriant et faussement apaisé.

    Cécile Dupaquier, dans sa sculpture Objet de restructuration mentale (et à l’instar de La grotte de Karim Kal), s’intéresse à la trace et à l’absence, au plein et au vide. C’est une œuvre en creux, révélant une forme qui évoque l’empreinte d’un corps. Entre architecture et sculpture, ses œuvres sont parfois habitables - ou utilisables - et entretiennent un rapport symbolique ou phénoménologique très direct avec le corps du visiteur.

    Matt Coco procède par déconstruction et redonne inlassablement, en retour, de l’épaisseur au réel. Dans ses œuvres, une réalité plus vive émerge sans cesse d’une autre. Cette

    David Posth-Kohler : Mañana, 2015. Plateau McDonald’s. Peinture Glycéro. 39 x 26 x 3,4 cm. Collection ville de Vénissieux.

    Ernesto Sartori : Chez Gary et Duane, avec Hervé, 2010-2011. Peinture et pigments sur bois. 51 (H) x 103,5 (L) x 60 (l) cm. Collection ville de Vénissieux.

    Cécile Dupaquier : Objet de restructuration mentale (version portable), 2001. Polystyrène et revêtement en mousse. 90 x 90 x 185 cm. Collection ville de Vénissieux.

  • progression des formes, avec l’utilisation de matériaux très simples, opère par glissement : traduction d’un son en image, d’une image en volume, d’un medium à l’autre, parfois jusqu’à la disparition complète de la forme initiale. Et ce, jusqu’au nom de l’artiste, lui aussi modifié.Pour l’exposition, Matt Coco a été invitée à Vénissieux, le temps d’une courte résidence. Elle a installé un atelier temporaire dans les coulisses de l’Espace arts plastiques et réalisé une sculpture présentée au sol, faite de multiples volumes à la fois très délicats, organiques, qui évoquent un chantier de fouilles archéologiques. Ces « objets séquences » disposés

    comme un paysage de signes sont considérés par l’artiste comme une partition, potentiellement sonore. Dans le panorama urbain photographié par Camille Llobet, les toits du quartier de Faliro - construit durant la période de la dictature des colonels en Grèce - apparaissent dans leur immensité et une continuité très resserrée. L’artiste a recherché le moment et l’angle, depuis le quartier voisin de Kastra, qui font de cette image un immense tissu d’habitations, de détails et de plans architecturaux, dont la densité fini par étourdir le regard et parait plate, brouillée et floue.

    Efrat Shvily est artiste et journaliste ; ses études en sciences politiques et ce deuxième métier ont nourri sa pratique de la photographie et de la vidéo depuis les années 90. Avec la série New Homes In Israël And The Occupied Territories (Nouvelles habitations en Israël et dans les territoires occupés), elle présente des prises de vues des constructions en cours dans les colonies israéliennes en Palestine. Dans ces images, les maisons et les chantiers nous apparaissent abandonnés et fantomatiques : ce calme absolu souligne l’étrangeté de cette occupation et de ce développement urbain fortement politique. Efrat Shvily oppose ainsi une dimension critique de la photographie à un usage géopolitique de l’architecture.

    Professeure d’Université, designer pour la télévision nationale croate, Mirjana Vodopija est surtout connue pour ses œuvres lumineuses, qui font parfois appel à une technologie très poussée, ou à l’inverse se présentent avec une grande simplicité de moyens. Avec ses LEDs soudées directement sur des fils de cuivre tendus, l’installation de 1997 présentée dans l’exposition évoque une partition musicale. Sa fragilité et une grande économie de moyens lui confèrent un caractère modeste et poétique, comme si ces lumières étaient des offrandes de l’ère numérique ou un code mystérieux, suspendu à un fil.

    Le titre de l’exposition, emprunté à Edouard Glissant dans sa Philosophie de la relation parue en 2009, entend mettre en lumière la temporalité particulière d'une collection, du travail de chaque artiste, et l'impermanence qui qualifie toute relation dans la durée. Comme le remarquait Héraclite, on n'entre jamais deux fois dans le même fleuve ; similairement, on n’établit jamais deux fois la même relation avec une œuvre. Ainsi, une collection est vivante, elle se déploie dans la durée, dans différents lieux. Notre regard sur elle évolue avec l’Histoire de l’art récente et – parfois, ses modes - mais aussi avec notre propre expérience ou même notre humeur du moment. Si une collection est constituée d’œuvres, elle l’est aussi par les interstices existant entre celles-ci. Ces espaces et ces liens invisibles font d’elle une entité dont la diversité même constitue l’unité, et qu’on pourrait appeler « archipel » : îles reliées par des eaux changeantes.

    Xavier Jullien, commissaire de l’exposition.

    Camille Llobet : Kastra-Faliro, 2010-2012. Tirage numérique pigmentaire sur baryté, contrecollé sur Dibond. 80 x 150 cm. Collection ville de Vénissieux.

    Efrat Shvily : Ma’aleh Adumim, 1998. Photographie. 24 x 30 cm. Collection ville de Vénissieux.

    1 En 1933, la charte d’Athènes a fixé des standards qui se voulaient universels en termes d’architecture et d’urbanisme. Aujourd’hui datée et décriée par certains architectes, elle a cependant eu une influence majeure, qu’on retrouve dans le monde entier dans les bâtiments des années 50 à 70. La ville de Brasilia est souvent considérée comme l’aboutissement le plus complet et radical de cette architecture.2 Muda Muri Mura est une devise adoptée par Toyota, qui consiste à éliminer tout gaspillage, toute perte de matière, d’énergie ou de temps.3 Thomas Pynchon est un écrivain connu notamment pour son roman L’arc en ciel de la gravité paru en 1973. Tentaculaire et incroyablement documentée, son écriture fleuve emporte le lecteur d’un personnage à l’autre, mélangeant les genres et les époques.