Comité d’experts pour la Codification progressive du Droit international. · Le Comité...

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1M ^ t^ îq u è \u Conseil, aux C. 207. M. Si. 1927. V. 1 Membres de la Société et à d’autres gouvernements .] 1 • yo V/ - Genève, le 20 avril 1927. SOCIÉTÉ DES NATIONS Comité d’experts pour la Codification progressive du Droit international. RAPPORT AU CONSEIL DE LA SOCIÉTÉ DES NATIONS. Adopté par le Comité à sa troisième session, tenue en mars~avril 1927. LA NATIONALITÉ DES SOCIÉTÉS DE COMMERCE ET LEUR PROTECTION DIPLOMATIQUE. Le Comité d’experts pour la codification progressive du droit international a reçu pour mandat : 1° De dresser une liste provisoire de matières de droit international dont la solution par voie d’entente internationale paraîtrait le plus souhaitable et réalisable ; 2° Et, après communication de ladite liste aux gouvernements des Etats, membres ou non de la Société par le Secrétariat aux fins d’avis, d’étudier les réponses et 3° De faire rapport au Conseil sur les questions ayant obtenu le degré de maturité suffisant et sur la procédure qui pourrait être suivie en vue de la préparation de confé- rences éventuelles pour leur solution. En exécution de ce mandat, le Comité avait chargé un sous-comité ; « D’examiner, en vue de solutions internationales conventionnelles, la question de la nationalité des Sociétés de commerce, ainsi que celle de la détermination de l’Etat auquel appartient, à leur égard, le droit de protection diplomatique. » Le Sous-Comité, composé de M. R undstein , rapporteur, et de MM. G uerrero et S chücking, a soumis au Comité un rapport exposant les raisons qui militent à l’appui de sa conclusion que la matière figure parmi celles dont la réglementation, par un accord interna- tional, est désirable et réalisable actuellement. Au sujet de ce rapport, M. Schücking a présenté des observations qui ont donné lieu, de la part de M. Rundstein, à des remarques. Ledit rapport, avec les observations et remarques qui viennent d’être mentionnées, a été examiné par le Comité d’experts. La nature de la question générale et des questions particulières qui s’y rattachent ressort de ce rapport. Celui-ci contient l’exposé des principes qui seraient à appliquer, ainsi que des solutions particulières qui découlent de ces principes. Le Comité estime que cet exposé indique les questions à résoudre en vue d’arriver à une réglementation par voie d’accord international, questions qui sont toutes subordonnées à la question plus large qui vient d’être citée. s- d'N . 1.375 (F.) 1.150 (A.) 5/27 lmp. d’AmbilIy. Publications de la Société des Nations V. QUESTIONS JURIDIQUES 1927. V. 12.

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1M ^ t^ îq u è \u Conseil, aux C. 207. M . Si. 1927. V.1 Membres de la Société et à

d’autres gouvernements.] 1 • yo V/ -

Genève, le 20 avril 1927.

SOCIÉTÉ DES NATIO NS

Comité d’experts pour la Codification progressive

du Droit international.

RAPPORT AU CONSEIL DE LA SOCIÉTÉ DES NATIONS.

Adopté par le Comité à sa troisième session, tenue en mars~avril 1927.

LA NATIONALITÉ DES SOCIÉTÉS DE COMMERCE

ET LEUR PROTECTION DIPLOMATIQUE.

Le Comité d’experts pour la codification progressive du droit international a reçu pourmandat :

1° De dresser une liste provisoire de matières de droit international dont la solution p a r voie d ’entente internationale paraîtrait le plus souhaitable et réalisable ;

2° Et, après communication de ladite liste aux gouvernements des Etats, membres ou non de la Société par le Secrétariat aux fins d ’avis, d’étudier les réponses et

3° De faire rapport au Conseil sur les questions ayant obtenu le degré de m aturité suffisant et sur la procédure qui pourrait être suivie en vue de la préparation de confé­rences éventuelles pour leur solution.

En exécution de ce mandat, le Comité avait chargé un sous-comité ;

« D’examiner, en vue de solutions internationales conventionnelles, la question de la nationalité des Sociétés de commerce, ainsi que celle de la détermination de l’E ta t auquel appartient, à leur égard, le droit de protection diplomatique. »

Le Sous-Comité, composé de M. R u n d s t e i n , rapporteur, et de MM. Gu e r r e r o et Schücking, a soumis au Comité un rapport exposant les raisons qui militent à l’appui de sa conclusion que la matière figure parmi celles dont la réglementation, par un accord interna­tional, est désirable et réalisable actuellement.

Au sujet de ce rapport, M. Schücking a présenté des observations qui ont donné lieu, de la part de M. Rundstein, à des remarques.

Ledit rapport, avec les observations et remarques qui viennent d ’être mentionnées, a été examiné par le Comité d ’experts.

La nature de la question générale et des questions particulières qui s’y rattachent ressort de ce rapport. Celui-ci contient l’exposé des principes qui seraient à appliquer, ainsi que des solutions particulières qui découlent de ces principes. Le Comité estime que cet exposé indique les questions à résoudre en vue d’arriver à une réglementation par voie d ’accord international, questions qui sont toutes subordonnées à la question plus large qui vient d’être citée.

s- d'N . 1.375 (F.) 1.150 (A.) 5/27 lmp. d ’AmbilIy.

Publications de la Société des Nations

V. QUESTIONS JURIDIQUES 1927. V. 12.

Le Comité a appris que cette matière vient d ’être mise au programme des conférences de droit international privé que le Gouvernement des Pays-Bas se propose de convoquer e t qu ’un questionnaire concernant la matière a déjà été envoyé à un certain nombre de gouvernements.

Considérant, en conséquence, qu’au cas où le Gouvernement des Pays-Bas poursuivrait prochainement cette initiative, prise après la dernière session du Comité, la communication de cette matière aux gouvernements, d’après la résolution de l’Assemblée du 22 septembre 1924 pourrait apparaître comme devenue superflue, le Comité a décidé de transmettre le rapport de son Sous-Comité au Conseil, en exprimant l’avis que cette matière, dans les limites indiquées par le rapport, figure parmi celles qu’il est désirable et actuellement réalisable de régler par voie de convention internationale, soit de la manière envisagée par le Gouvernement des Pays-Bas, soit, si cette initiative n’a pas de suite prochaine, d’une autre manière que le Conseil puisse juger appropriée.

Le Comité croit devoir ajouter qu’il n ’entend pas se prononcer ni pour ni contre les solutions de problèmes spéciaux proposées par le Sous-Comité. Dans l’état actuel de ses travaux, le Comité n’a pas à présenter des conclusions de cette nature. Sa mission consiste plutôt à attirer l ’attention sur certaines questions de droit international dont la solution par voie d ’entente internationale paraît souhaitable et réalisable.

Le rapport du Sous-Comité, avec les observations et remarques s’y rattachant, est jo in t à la présente communication.

Genève, le 2 avril 1927.(Signé) Hj. L. H a m m a r sk jô ld ,

Président du Comité d’experts.

Annexe.

RAPPORT DU SOUS-COMITÉ.

Rapporteur : M. R u n d s t e i n . Membres : M. Gu e r r e r o ,

M. Sc h ü ck in g .

« Est-il possible, sans se heurter à des obstacles d’ordre politique ou économique, de formuler, par voie de convention, des règles internationales concernant la nationalité des sociétés de commerce, ainsi que la détermination de l’Etat auquel appartient à leur égard le droit de protection diplo­matique ? »

[C .P.D . I. 69.]I. L a M é t h o d e .

Le problème posé ici exige un examen des questions préalables concernant l’analyse des obstacles d ’ordre politique et économique qui se heurteraient à une solution conventionnelle ayant pour but d ’obliger les E ta ts contractants de considérer ou de ne pas considérer comme nationale une société de commerce.

Il est évident que la forme extérieure sous laquelle les sociétés de commerce peuvent agir ne répond pas toujours aux réalités politiques et économiques : telle société créée sous le régime de la législation du pays A appartiendra par la majorité des actionnaires aux citoyens du pays B, sera constituée grâce aux capitaux étrangers, subira l’influence puissante de per­sonnes sur lesquelles la maîtrise du pays A serait inefficace. Les sociétés de capitaux ne peu­vent pas être confinées dans les limites territoriales, les frontières n ’existant pas pour elles. Il semblerait donc que les Etats, signataires d’une convention future, seraient dessaisis de la possibilité d’exercer une influence sur la qualification de ces sociétés, même si leur a c t iv i té était considérée comme nuisible à l’industrie et au commerce national. Si la régie i n t e r n a t i o n a l e fait constater qu’une société est nationale, il serait inadmissible de la traiter d’une m anière q u i serait en contradiction avec les dispositions d e la législation territoriale : une d is c r im i ­nation équivaudrait à la lésion des obligations internationales.

Si on est donc forcé de reconnaître un certain groupement comme portant le c a ra c tè re indélébile d ’une « société nationale », on n’a pas l a possibilité juridique de le traiter diffé­remment, même si ses agissements, son influence, sa structure personnelle et sa gérance annoncent le caractère « étranger ». Bien entendu, les Etats sont libres d e faire des c o n v e n t io n s

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sur la reconnaissance et l’établissement des sociétés ; ils se lient très souvent par des traités je commerce qui contiennent des clauses concernant la situation juridique de sociétés. Mais ces obligations internationales ayant un caractère bilatéral et basées sur des concessions mutuelles sont dépourvues de caractère général ; au surplus, elles opèrent d’ores et déjà aVec une notion de la « nationalité » comme avec un critère donné et bien constaté; elles passen t outre aux conditions d ’après lesquelles la création d ’une société dans un des deux Etats contractants doit être considérée comme nationale en laissant le cours libre aux dispo­sitions de la législation territoriale. Leur but est plutôt de former des règles prévoyant la re c o n n a is s a n c e des sociétés ou leur admission aux opérations commerciales, à l’exercice de l'industrie, leur taxation, etc., sur le territoire de parties contractantes. Les formulés en usage et les clauses se rapportant à ces dispositions ont — avec quelques nuances condition­nées par la particularité des circonstances — une teneur presque uniforme ; il est à supposer que, par voie de ces clauses habituelles, un droit commun pourrait se former.

Tout cela est bien loin de la constatation de règles qui pourraient servir de critère pour la détermination juridique de la nationalité à laquelle la législation particulière aurait à se plier d’une façon immuable et rigide.

Il serait utile de rappeler en ce lieu la situation politique et économique qui s’est produite à la su ite des événements de la guerre mondiale. Les principes directeurs qui, en temps de paix, o n t servi à déterminer la nationalité des sociétés ont été tracés par la législation et la jurisprudence d’avant-guerre. Abstraction faite du système de l’autorisation gouverne­mentale éliminant le doute sur le caractère national d’une société, on appliquait généralement le systèm e du domicile (système du siège social). Si, autrefois, on a incliné vers le système qui fa it dépendre la nationalité du lieu du centre d ’activité (d’exploitation), cette théorie ne t ro u v a i t pas de partisans dernièrement. Maintes législations étaient uniformes quant à la reconnaissance de dépendance mutuelle de la loi de constitution et du siège de la société. On ne peu t pas affirmer que, par cette pratique, une règle coutumière de droit international fut créée, une règle qui obligerait les E tats à déterminer la nationalité des sociétés d ’une façon rigide. Ce serait aller trop loin, en supposant que, dans la période d’avant-guerre, la maî­trise d’un E ta t — quant à la détermination de la nationalité — se régla nécessairement sur le siège social e t réel des sociétés comme sur un point unique de rattachement avec le terri­toire ; une telle règle coutumière n’existait point. Tout au plus pouvait-on parler d ’une règle généralement admise pour la détermination de la nationalité ; mais cette règle ne pouvait pas être élevée au rang d’un droit commun international (voir M a m e lo k , Die Staatsange- hôrigkeit der juristischen Personen, 1918, page 16: «Es handelt sich hier um allgemeines, nicht aber um seiner Quelle nach gemeines Recht ».). E t si l’on peut se rallier au principe général que l’attribution de la capacité juridique à une personne morale est préjudicielle pour l’attribution de la nationalité, cette règle a une valeur strictement interprétative ; elle est applicable in dubio, sans être sanctionnée par une coutume internationale (voir N e u - m e y e r dans les Mitteilungen der Deutschen Gesellschaft für Volkerrecht, T. 2, 1919, page 155).

Quels furent les changements produits à l’égard de ces conceptions par les événements de la guerre ?

On connaît bien les péripéties de la législation exceptionnelle et de la jurisprudence de tribunaux qui ont rompu avec les traditions d’avant-guerre. La personnalité juridique des sociétés a été mise en question parce qu’on cessa de se tenir à leur unité abstraite : on substitua la na tiona lité des associés à la nationalité de la société ; on a fait des recherches sur les activités individuelles qui se cachaient sous l’être juridique totalement distinct de ceux qui font vivre et agir la société. On accepta la thèse qu’une société comme un groupement des individus ne peu t être que le reflet de leur activité. On opéra avec la construction des personnes inter­posées et on essaya de fonder les constructions ad casum par une différence entre les notions du droit privé et celles du droit public. En reconnaissant le principe qu’une société est un être moral distinct et indépendant de ses associés et que la nationalité de ceux-ci ne peut pas être identifiée avec la nationalité du groupement, on se laissa guider par des dispositions du droit public, rendant par là même les critères du droit privé inopérants et sans efficacité juridique. En dernière analyse, on a supposé que « derrière la fiction du droit privé se dissimule vivante et ag issante la personnalité ennemie elle-même » (Cour de Paris, 27. II. 1917, Cl u n e t 1917, page 1457), en fixant par la voie des méthodes du droit public le caractère étranger d’une société reconnue jusqu’à présent comme nationale. Par ces procédés, on a fait ressortir une notion jusqu’à présent inconnue, étrangère aux constructions en cours, savoir, la conception anglaise du « contrôle » comme signe distinctif de la nationalité.

Ce serait peu dire, si l’on qualifiait les constructions rapidement caractérisées par nous comme des notions pathologiques. Car une telle qualification ne dirait rien sur la vitalité et l’applicabilité future de telles notions, même si elles étaient d ’une valeur négative. Le patho­logique d’hier peut devenir le normal de demain. Même si-l'on constate que la législation et la jurisprudence d’après-guerre font retour aux conceptions traditionnelles^ il est légitime de se demander si les constructions basées sur les mesures de guerre resteraient sans influence sur le développement prochain de la conception de la nationalité, si elles n’écarteraient pas cette conception même, en introduisant des critères sans cohérence avec les notions ci-devant en vogue. C’est le point principal où les obstacles d’ordre économique, qui sont en eux-mêmes des obstacles politiques, pourraient faire écrouler un règlement international en le rendant irréalisable et même indésirable. Il n ’échappe pas à la doctrine moderne que l'expérience de la guerre peut avoir un contre-coup sur la législation et la jurisprudence futures.

Cela étant, on peut admettre que les circonstances présentes ne sont pas propices à un règlement général qui lierait les Etats-sans leur laisser uiïe liberté d’agir, une liberté dictée

par les besoins économiques. Il est vrai qu’on peut constater, dès à présent, dans la jurispru-dence française et anglaise, un retour aux principes anciens (la jurisprudence de quelqUestribunaux arbitraux mixtes sur la nationalité des sociétés reste encore sous l’influence des dispositions des traités de paix et, en niant même la notion de la nationalité, opère avec la conception du « contrôle » sans préjudice à la question principale du critère à appliquer dans des conditions normales). La jurisprudence française d’après-guerre se rallie aux conceptions traditionnelles en adm ettant que « la nationalité d’une société pas plus que celle d’un individu ne se détermine également ni par ses affinités ni par ses tendances ; elle est en principe celle du pays où la société a été constituée et à la législation duquel elle a conformé ses statuts » (arrêts de la Cour de Paris du 17 décembre 1919 et de la Cour de cassation du 28 juillet 1919). Un revirement analogue est à constater dans la jurisprudence anglaise : l’arrêt de la Chambre des Lords dans l’affaire bien connue de Daimler C° v. Continental Tyre and Rubber C°, du 30 juin 1916, a été ajusté aux besoins de la guerre ; la guerre passée, on est revenu aux princi­pes généralement admis en temps de paix, et déjà la Section 2 du « Treaty of Peace Order 1919 » contient la directive :

« The expression « nationals » in relation to any State in c lu d e s ....... a companyor corporation incorporated therein according to the law of th a t State. »

Mais cette renonciation aux principes généralement admis pendant la guerre veut-elle dire que les E ta ts seraient prêts à une fixation uniforme des directives correspondant aux notions ayan t eu cours en temps de paix ? Voudront-ils se lier les mains e t faire dépendre leur législation des principes du droit in ternational en matière de nationalité ?

La réponse à donner dépend de la manière par laquelle on pourra concevoir l ’impor­tance et l’extension des règles à formuler pour constater d ’une façon générale la notion de la nationalité des personnes juridiques.

Si cette notion pouvait être formulée d’une manière qui ne restreindrait pas la liberté d ’action des E ta ts en leur pe rm ettan t de contrôler à leur gré la constitution des sociétés de commerce v ivant e t agissant sous la protection de la loi territoriale, la réponse serait affir­mative. P a r contre, si le règlement à proposer pouvait faire croire qu’il retrancherait la liberté des E ta ts en matière de législation, il est bien douteux que l’œuvre de codification puisse être tentée e t achevée.

E ta n t donné l’allure protectionniste des législations territoriales, on se heurte à des obstacles bien prononcés concernant la libre constitution des sociétés de commerce, princi­palem ent dans les cas où il y a des susceptibilités sur la provenance des capitaux, sur le con­trôle éventuellement subi par une société prima fade nationale, sur l’importance de l’indus­trie faisant l’objet d ’exploitation ou, enfin, sur le caractère des sociétés mêmes, si elles sont soumises à un régime spécial (sociétés d ’intérêt général pour l ’économie nationale ou atta­chées à la défense du pays, mesures à prendre à l’égard des « key-industries »). On a discuté m aintes fois la possibilité de conciliation des critères de la nationalité de telle manière que les notions d ’avant-guerre et la conception nouvelle du « contrôle » puissent être jointes e t combi­nées pour tenir compte à la fois des nécessités du temps de paix e t du tem ps de guerre. (Voir Cuq, La nationalité des sociétés, 1921, page 11 ; L even , De la nationalité des sociétés et du régime des sociétés étrangères en France, 1926, page 123 et suivantes). M. L yon-C aen, dans la préface à la monographie de M. L e v e n a fait rem arquer que cette conciliation semble difficilement admissible.

Je partage cette opinion et je suis d ’avis qu’une admission des critères qui concilieraient des notions opposées serait nuisible : elle affecterait le développement des relations inter­nationales et la coopération des peuples. En tenan t compte des tendances de l ’économie natio­nale des E ta ts et de leurs besoins particuliers, nous n ’écartons pas le point de vue international de l’interdépendance des E ta ts sans laquelle un essor économique serait impossible. Il faudrait choisir une des deux possibilités : ou l’on retourne aux critères d’avant-guerre, en tenant compte des modifications dictées par les besoins impérieux du tem ps nouveau ; ou bien on laisse régner une notion de « contrôle » créée par la législation exceptionnelle de la guerre qui fait dépendre la « nationalité » d’appréciations de fa it et du pouvoir discrétionnaire difficiles à soum ettre à un régime uniforme ; la sécurité si nécessaire dans les relations internationales ne pourrait être garantie.

Cette notion nouvelle du « contrôle » ne peut pas servir de « standard » pour un règlement international. Il ne vaudra it pas la peine de faire caractériser par une norme quelconque cette conception si élastique et équivoque, car on doit avouer qu’il serait la négation d’une règle bien définie en laissant tou te la liberté aux E ta ts contractants pour son application ; au sur­plus, cette notion équivaudrait à la négation fondamentale de la personnalité juridique des sociétés de commerce, en éliminant le besoin d ’application du principe de nationalité.

En supposant donc que le règlement international puisse être fondé sur le maintien des principes formulés par la pratique d ’avant-guerre, il fau t souligner que la reconnaissance de ces principes, ayan t un caractère strictem ent formel, ne pourrait pas restreindre la liberté des E ta ts quan t à la sauvegarde des intérêts v itaux de leur économie nationale. J ’ai déjà men­tionné cette condition fondamentale sans laquelle un règlement international serait irréali­sable e t je veux, par conséquent, esquisser les contours auxquels une convention future aurait à s’adap ter pour ne pas faire échouer l ’œuvre de règlement international.

Adm ettons qu ’une règle est posée, déterm inant la nationalité des sociétés de commerce. En to u t cas cette règle devrait rester m uette sur les conditions intrinsèques auxquelles serait soumise la constitution d ’une société d ’après la législation territoriale. C’est-à-dire, le règle­m ent international fu tu r ne se ra ttacherait pas à la façon d ’agir que le législateur de chaque

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g ta t trouverait nécessaire pour déterminer si une société peut être constituée, enregistrée, autorisée et liée par les points d’attache de telle ou telle autre qualification à la loi locale dont il dérive son existence» et, par conséquent, sa soi-disant « nationalité ». Un règlement inter­national pourrait uniquement déterminer que si cette création est accomplie, les signes dis­tinctifs de la nationalité s’attacheront aux qualifications juridiques à formuler. De telle sorte, la législation intérieure est libre de dire : « La constitution de sociétés de commerce n ’est soumise à aucune restriction quant à la nationalité des associés ; elle est nationale, même si tous les sociétaires ou le capital entier sont étrangers, pourvu qu’elle soit créée conformément à la loi locale et que son siège social soit réel et effectif ». Ou, par contre : « Pour être natio­nale e t pour pouvoir être attachée à la loi locale, la société doit observer des dispositions spéciales ; elle ne pourrait pas être créée et son existence ne serait que de fait, si les conditions ayant pour bu t d’exclure le contrôle ou la prédominance étrangère n ’étaient pas observées ». Par conséquent, la loi locale est autorisée à ordonner que les parts des sociétaires soient nomi­natives et ne peuvent appartenir que pour une partie déterminée et même minime aux étran ­gers ; ou plutôt que la direction et la gérance de la société doit répondre aux conditions garan­tissant la possibilité de l’influence réelle des ressortissants propres sur l’activité du groupe­ment. Quant aux sociétés d’intérêt général, elle peut dicter des mesures propres à éviter le contrôle étranger. La loi locale peut, enfin, éliminer le principe de l’« anonymat libre » pour faire dépendre la création de certaines sociétés d’une autorisation gouvernementale. Telles restrictions — dont les formules ne sont p a s à analyser ici — se trouvent en maintes législa­tions (Grande-Bretagne, Suède, Suisse, projets français, etc.). Elles seraient, en principe, illimitées, pourvu que les raisons d’interdépendance et de coopération ou les conséquences fâcheuses des mesures retorsionnelles de la part des autres E ta ts ne dictassent une modération avisée. Mais elles ne violent aucun principe coutumier du droit international, car on ne pro­nonce pas une prohibition générale excluant tous les étrangers du droit de participation à toutes les sociétés constituées d ’après la loi locale. Du re s te , les traités de commerce font obs­tacle à l’application d’un tel principe xénophobe.

Mais, quelles que soient ces restrictions, quelle que soit leur étendue et leur intensité, elles restent sans aucune influence sur le règlement international de la nationalité, é tan t bien entendu que ce règlement soit conçu comme se pliant aux conditions préalables déjà établies et fixées par la loi locale. Ces conditions matérielles sont à respecter par un règlement formel se rapportant au critère de la constitution des sociétés, préalablement supposé comme conforme aux dispositions de la loi locale. De même, les dangers imminents d ’une notion si difficile à saisir, comme celle du « contrôle », restent écartés. C’est la méthode depuis longtemps en vogue dans les traités de commerce qui, en réglant la reconnaissance des sociétés, la font dépen­dre de leur constitution, valablement accomplie conformément aux lois en vigueur et de leur domicile dans le territoire des Parties contractantes ; quelles que soient ces lois, quelles que soient les conditions autorisant le choix du domicile, tout cela est indifférent au principe géné­ral à proclamer.

11 serait donc indésirable et même nuisible d'instituer des règles sur la nationalité des sociétés et ayant pour objet la fixation de conditions intrinsèques uniformes pour toutes les législations. L ’attitude prise par la Convention du 13 octobre 1919 portant réglementation de la navigation aérienne n’est pas à recommander pour une convention ayant à fixer le droit commun pour des sociétés de commerce en général. Ladite convention (article 7) ne laisse pas aux E tats intéressés une liberté absolue pour fixer la nationalité des sociétés, proprié­taires des aéronefs. La convention détermine elle-même les conditions que la loi locale devrait immédiatement introduire afin qu’une société de cette espèce put être qualifiée de nationale. Cette méthode adaptée au régime spécial de la navigation aérienne ne peut pas être appliquée d’une manière générale. Les dangers en seraient trop grands.

Le choix de la méthode fait, il faut procéder à l’analyse de la question principale : si et par quelle manière la notion de la « nationalité » des sociétés peut faire l'objet d’un règlement international.

II. L e P r o b l è m e .

Ce serait aller trop loin, si, dans le cadre de ce rapport, j ’essayais de discuter les contro­verses doctrinales ayant tra it à la question principale ; si la notion de la nationalité peut être appliquée aux personnes morales en général et spécialement aux sociétés de commerce quali­fiées d’entités juridiques possédant une personnalité propre. Ce terme est généralement employé dans le langage courant des conventions internationales, des lois, de la jurisprudence et de la doctrine. Mais cet usage ne peut pas servir de preuve que cette notion répond à la réalité des choses, car, en vérité, il existe une distance considérable entre la nationalité des personnes physiques et la nationalité des entités juridiques, douées d ’une personnalité propre. En exami­nant la doctrine courante, on y remarque qu’en dehors des théories reconnaissant l’identité de la notion en matière de nationalité des personnes physiques et des personnes juridiques (voir, par exemple, Isa y , Die Staatsangehôrigkeit der juristischen Personen, 1907, page 67), on se prononce :

1° Pour l’application analogue de la conception. On opère alors avec une transposition de la conception généralement appliquée aux personnes physiques en le modifiant conformé­ment à la nature différente des sociétés et des associations. En établissant le lien juridique d’un groupement de droit privé avec un E ta t déterminé, on dit que la société a une natio­nalité bien définie pour indiquer qu’elle est, entre les législations des différents pays, celle qui doit régler le contrat social et les rapports juridiques qui en dérivent.

2° Pour la négation générale de l ’idée de la nationalité en son application aux personnes juridiques. Ce point de vue ne dépend guère de la construction par laquelle on conçoit la personnalité juridique même. Soit en acceptant le systèm e de la fiction (L a u r e n t) , soit en se prononçant pour le systèm e ramenant le droit de la personne morale aux droits individuels (V a r e i l le s -S o m m iè r e s ) , on n’hésite pas de dire que la personne morale ne peut posséder aucune nationalité, « car elle n ’est qu ’un procédé intellectuel, qu’une image de notre cerveau • seuls, les associés ont une nationalité » (V a r e i l le s -S o m m iè r e s ) . E t même en reconnaissant la réalité des personnes morales e t en élim inant la théorie de la fiction, on se prononce pour la négation de l ’idée de la nationalité, en la qualifiant de notion inutile et même dangereuse. Il y a une distance considérable entre la nationalité des personnes et la nationalité des sociétés! P i l l e t ( Traité pratique de droit international privé, T. II, pages 770 e t suivantes) fait valoir que l ’analogie généralement acceptée est ici un pur travail de doctrine ; l ’attribution d'une nationalité aux personnes juridiques est estim ée comme artificielle (voir M a r t in - A c h a r d

La nationalité des sociétés anonymes, 1918, pages 34 e t suivantes). Ce que l ’on appelle nationa­lité des sociétés n ’est, en réalité, qu’une espèce de domicile. Je ne veux pas m ’engager dans l ’analyse de cette théorie négative sur la prétendue nationalité des sociétés ; il suffît de faire observer que l ’acceptation de la conception de domicile en ce domaine comporte l ’acceptation de la théorie de jus soli comme d’un critère général pour en qualifier le lien existant entre l ’E tat et le groupement qui subira nécessairement la maîtrise de l ’E ta t auquel il doit son exis­tence. M ichoud (La théorie de la personnalité morale, 1924, T. II, page 344) a fa it observer judicieusement que, pour les personnes morales, domicile et nationalité ne font qu’un.

Quelles que soient les doctrines ayant cours dans la législation et dans la doctrine, il nous paraît utile de retenir la notion de la nationalité en la considérant comme une conception commode pour traduire certaines solutions reconnues avantageuses.

En réalité, dans les conflits des lois, provenant de la situation juridique des sociétés, on a en premier lieu à examiner si une société est étrangère ou nationale ; le « status » de chaque société forme un faisceau de droits e t d’obligations dérivant d’une source définie et exerçant son empire sur les fonctions et les agissements de l’entité juridique. Il ne s’agit pas de phéno­mènes juridiques disparates et séparés ; l’unité de la situation juridique reste invariable, même si, en réalité, nous observons des actes juridiques séparés variant suivant le pays de leur créa­tion ou de leur exécution. A cette unité sont liés certains droits acquis dont la protection est à sauvegarder même en dehors de la souveraineté de l’E ta t auquel ressort une personne juridique. Les limites de cette protection peuvent varier (clause de l’ordre public e t de l’appli­cation exclusive des lois territoriales). Néanmoins, l ’attitude du législateur compétent ayant à procéder à la solution des questions juridiques liées à l’existence et aux fonctions des per­sonnes juridiques dépendra toujours de ce problème : quelle est la souveraineté à laquelle est soumis le « status » de telle personne morale ?

Ici la différence principale se dessine et se prononce nettement. Avons-nous affaire au « status » qui est à qualifier comme le faisceau des obligations et des droits soumis à la souve­raineté de notre E ta t propre, ou d’un E ta t qui n ’est pas le nôtre ? Quels sont les signes distinc­tifs et les points de rattachement qui perm ettent de lier ce « status » à un des E ta ts étrangers, membre de la famille des E tats ? (Car on sait bien que, dans le meilleur des mondes, cette famille ne se compose pas de deux membres et qu’elle est très nombreuse.)

On voit que nous n ’avons pas affaire à une simple quéstion de l’applicabilité des lois. D’ailleurs, on pourrait prétendre que chaque rapport juridique singulier porte la marque et la distinction caractéristique de la nationalité. Un contrat de vente conclu entre deux Anglais domiciliés en France et devant y être exécuté doit-il être qualifié de contrat ayant la « natio­nalité française » ? Une construction semblable ne serait pas admissible. N e u m e y e r (Inter­nationales Verwaltungsrecht, T. I, pages 107 et 108) a fait observer que telle ne pourrait pas être la vraie signification de la conception de la nationalité en matière de personnes morales ; ce serait l’application simple de la théorie de S a v i g n y sur le lieu de la situation des rapports de droit en question (op. Cuq, l. c. page 50 : « Mais peut-on traiter la nationalité comme un effet du contrat de société ? »). La question du rattachement d’une personne morale à une certaine souveraineté étatique n’est pas une solution finale d’un problème de conflits de lois à régler ; c’est, par contre, un point de départ à retenir avant qu’on procède à la solution des questions spéciales. Une société ressortissant du pays A et faisant ses opérations dans le pays B pourrait-elle être qualifiée comme possédant la nationalité de ce dernier pays de ce chef que certains rapports juridiques y sont nés et exécutés sans qu’ils concernent d’aucune manière le territoire ou les habitants "du pays A ?

Certainement, les législations particulières ne connaissent pas de dispositions spéciales tra itan t ex professo les questions d ’acquisition, de changement et de perte de nationalité de personnes morales, à l’instar des normes concernant les personnes physiques. La nécessité de telles règles serait, en fait, bien problématique ; si la nationalité des personnes physiques est la supposition de certains rapports auxquels seront liés des effets juridiques, si de même elle est la condition de certains droits et obligations existants quant aux personnes à qualifier comme ressortissants, la situation est différente pour les personnes morales. La loi sur la nationalité des personnes physiques ne s’applique pas évidemment aux sociétés de commerce ; car leur origine et leurs fonctions ont un caractère profondément différent. Il y a des droits et des obligations qui ne peuvent être appliqués qu’aux personnes physiques. Quant à celles- ci, on peut poser des règles indépendantes pour déterminer le principe même donnant suite aux conséquences nécessairement liées à la notion principale (par exemple, droits et devoirs civiques). P ar contre, quand il s’agit de personnes morales, le centre du problème gît dans la caractéristique des effets juridiques qui sont à accepter, en supposant la transposition des

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points de rattachement déjà reconnus comme existants à l’égard des personnes physiques. Exemple : un national peut acquérir des immeubles dont l’acquisition est prohibée aux étrangers ou dépend de l’observation de certaines conditions (autorisation du gouvernement). Si nous disons que certaines sociétés commerciales ont droit à l’acquisition d’immeubles, tandis que, pour les autres, cette possibilité est exclue, cette différenciation peut être liée à la circonstance qu’on présuppose les sociétés démunies de ce droit comme des étrangers-, a contrario, toutes les autres sociétés sont nationales sans que la loi ait besoin d’instituer des règles expresses sur la nationalité elle-même.

Par cette voie à’opposition des effets juridiques se forme la notion de la nationalité : pour être reconnue comme une personne jouissant de la capacité juridique, pour être admise à l’exercice du commerce et de l’industrie, pour pouvoir acquérir des immeubles, avoir un libre et facile accès aux tribunaux, être libéré du paiement de caution judiciaire, être soumis à un certain mode de taxation normale, jouir de la protection diplomatique, un groupement doit répondre à certaines conditions. Ces conditions ne sont pas analogues aux suppositions qu’on pourrait appeler comme causa efficiens de la nationalité des personnes physiques (nais­sance, mariage, légitimation, naturalisation). Elles sont connexes avec l’origine même du groupement ; les groupements constitués d’après une certaine législation par une marque distinctive (siège, principal établissement, etc.), seront reconnus comme « nationaux ». Si nous supposons que ces conditions ne sont guère réalisées, le groupement peut être dénué de toute existence juridique (en l’absence, bien entendu, des accords internationaux ou des dispositions contraires de la législation territoriale). On parle dans ce cas des « sociétés ressortissantes de puissances étrangères ». Les notions couramment liées à la nationalité des personnes physiques ont fait l’entrée par voie de transposition générale et d’opposition spéciale. On procède par la méthode d ’opposition, si l’on qualifie les points de rattachement des sociétés étrangères (cf., par exemple, l’article 28 du Code civil espagnol, qui dispose que les associations jouiront de la nationalité espagnole en vertu de la reconnaissance par la loi de leur domicile e t fait valoir en même temps la situation différente des associations domiciliées à l’étranger). Mais il serait inutile de formuler spécialement des règles se rattachant à la nationalité, é tan t donné que la reconnaissance des sociétés par la loi n’est pas réglée uniquement dans ce but. La ques­tion de la nationalité est d’ailleurs traitée incidenter : on ne règle pas des prémisses, mais des effets. Si, par exemple, la loi française du 22 novembre 1913 reconnaît le changement de nationalité des sociétés anonymes (voir de même l’article 31 de la loi du 1er mars 1925 insti­tuant les sociétés à responsabilité limitée), elle ne s’occupe point des détails concernant les modes de ce changement, bien que, quant aux personnes physiques, les questions d’expatria­tion et de changement de nationalité soient réglées expressément et minutieusement. Le droit anglais se contente de dire que toute corporation qui n’est pas domiciliée en Angleterre est, à l’égard du droit civil anglais, réputée corporation étrangère (voir J e n k s , Digeste de droit civil anglais, T. I, 1923, page 6, article 20). Cette définition suffit pour la détermination des effets juridiques sans qu’il soit besoin de faire des règles minutieuses sur l’étendue de la notion de nationalité, sur son acquisition et sa perte. Dans l’affaire bien connue delà «Bank of United States» (v. D e v e a u x ), le « Chief Justice » Ma r sh a l l , en déniant la nationalité des sociétés (« th a t invisible, intangible and artificial being, tha t mere legal entity, a corporation aggregate, is certainly not a citizen »), observa en même temps qu’une corporation peut pos­séder, quant à ses buts spéciaux, le caractère du ressortissant (« as endowed for this specialpurpose with the character of the citizen »). Je crois que le problème de la nationalité, par sa transposition dans ce domaine spécial, peut être considéré comme satisfaisant aux exigences de la logique juridique uniquement sous l’angle de ce « special purpose ».

III. L es S ol u tio n s .

§ 1.

L’existence d ’un groupement doué de la personnalité morale ne peut pas être mise en dehors et être indépendante d’un système juridique quelconque. Je ne veux pas insister sur le point de savoir si la loi crée la personnalité ou fixe seulement les conditions d’après lesquelles cette personnalité devrait être reconnue : pour les buts de la codification, nous nous contentons de constater qu’une société ne peut avoir la personnalité que par l’application de la loi compé­tente. On ne pourrait pas soutenir la thèse qu’une société constituée au Pôle Nord eût sa propre personnalité, si le système juridique auquel cette constitution devrait être soumise ne peut être fixé d ’avance. Pour nos buts, les recherches sur la nature de la personnalité sont de même à éliminer ; en réservant cette étude pour les philosophes et les sociologues, nous disons simplement que, pour les juristes, toute personnalité —■ ta n t individuelle que collective — est artificielle. D ’après le point de vue pragmatiste du droit américain, « la personnalité n’est pas une chose en soi, une entité juridique, mais plutôt une méthode de raisonnement, un moyen de mettre l’unité dans la logique du droit » (voir L e p a u l l e , De la condition des sociétés étrangères aux Etats-Unis d’Amérique, 1923, page 30).

Or, la capacité d’un groupement de pouvoir exister et agir comme une unité douée de la personnalité et la loi qui confère cette capacité sont deux notions intimement liées l’une à l’autre. Aucune société ne peut naître, être constituée, agir et fonctionner sans obéir à la loi à laquelle elle est soumise dès son existence. M. A nzilotti a fait judicieusement observer :« la persona giuridica intanto esiste ed ha una determinata nazionalitâ, in quanto v ’e unadata legislazione che le dà vita ».

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La loi de la constitution est donc une prémisse nécessaire de la nationalité dont elle détermine les conditions.

Mais cette lex constitutionis est-elle la marque distinctive unique qui, tan t pour les buts du règlement existant que pour les desseins de la codification future, peut jouer un rôle décisif ?

On doit observer d’abord que la loi de la constitution n ’est pas identique à la loi du lieu de la constitution. Il importe peu que la société soit créée dans l’E ta t A, en se conformant aux exigences, tan t formelles que matérielles, de la législation de l’E ta t B, pour qu ’elle soit consi­dérée comme possédant la nationalité de ce dernier, si elle n’est pas liée par les rattachements de fait (par exemple, siège, centre d’exploitation, souscription du capital, etc.) au territoire de cet E tat. Constituée d’après la loi B et ayant son siège social dans le pays A, elle ne pourrait pas jouir de la nationalité de ce pays, car il n ’existe aucun point d’attache au territoire du pays B se rapportant à l’application de la loi compétente.

L ’article 230, alinéa 4, du Code de commerce italien considère les sociétés constituées en pays étrangers comme sociétés nationales, même pour la forme et la validité de leur acte constitutif (bien qu’encore passé en pays étranger), si elles ont en Italie leur siège et leur établissement principal ; elles restent assujetties à toutes les dispositions de la loi italienne (cf. article 172 de la loi belge sur les sociétés commerciales, article 110 du Code de commerce portugais, § 239 du Code de commerce roumain). La législation de la République Argentine, qui ignore la notion de la nationalité et se tient au signe distinctif du domicile, admet la for­mule analogue (article 286 du Code de commerce modifié par la loi du 23 septembre 1897 ; voir l’affaire de la succursale de la Banque de Londres et Rio de la Plata) ; l’attitude du droit argentin s’explique par la substitution de la notion du domicile à celle de la nationalité ; pa rtan t de l’idée que les personnes juridiques doivent leur existence aux lois du pays qui les autorise, on a soutenu la thèse qu’elles ne sont ni nationales ni étrangères (voir Zeballos, De la condition dans la République Argentine des sociétés organisées en pays étrangers ; Clunet, 1906, pages 604 et suivantes).

Il est évident que ni la loi du lieu de la constitution ni la loi de la constitution ne sont par elles-mêmes les points d’attache autonomes. Elles décident exclusivement sur la question de la nationalité ; si un E ta t décidait de la loi à appliquer, sans tenir compte des rattachements reconnus par un autre E ta t comme applicables, cela équivaudrait à une limitation de la souveraineté de ce dernier Etat.

La maîtrise d’E ta t sur l’existence et les fonctions d’une société est liée aux signes matériels par lesquels s’effectue le rattachement de la loi compétente à certains rapports ayant lieu en territoire ou concernant le territoire respectif, en quelque manière que ce soit. Si la loi assimile un être moral aux personnes physiques au point de vue de la capacité juridique (ou si l’on veut des droits acquis par effet même de son existence), cette capacité n’existe pas en dehors du territoire soumis à la domination d’une loi déterminée.

Une personne physique est soumise à son statu t personnel, même si elle réside en dehors de son pays natal. Pour une personne morale, cette soumission dépend du lieu où se trouve concentrée la vie du groupement, où agissent les pouvoirs sociaux sans lesquels l’existence du groupement ne peut pas être conçue. La résidence en dehors du pays du siège social implique son adaptation à la législation du pays respectif du siège nouveau et élu ; ce pays regar­dera la personne morale comme une succursale ou comme une société étrangère, en présuppo­sant sa nationalité d’origine. Si elle veut résider en dehors de son pays d’origine, elle doit se plier aux conditions dressées par la loi du lieu où elle désire s’établir en son indépendance juridique.

Le point de rattachement, abstraction faite de l’élément de l’intention, se base donc sur un fait matériel dont la qualification juridique dépend de la législation compétente.

Cette législation est libre, dans le ressort de son territoire, de déterminer les conditions qualifiant ce fait matériel d’après les signes distinctifs qu’elle trouve bons et utiles. C’est le siège social, le centre d ’exploitation, le lieu de la constitution, la souscription de capitaux, etc., qui peuvent être considérés comme des faits matériels m ettant en mouvement le jeu des lois territoriales. L ’intention seule ne joue pas de rôle décisif ; si nous nous tenons, par exemple, à la détermination du siège social, cette détermination serait sans efficacité juridique, si elle ne correspondait à aucune réalité. L ’autonomie des volontés auxquelles la société doit sa constitution ne peut dépasser les bornes considérées par la loi comme limitant les dispositions des parties en question.

Si nous qualifions le point de rattachement des sociétés comme analogue au domicile des personnes physiques non corrompu par des intentions frauduleuses quelconques, c’est le siège social d’une société qui doit être considéré comme une liaison nécessaire sur laquelle se base l’unité de la loi de constitution en concordance avec le fait matériel de l’établissement. Ce domicile correspond au centre des intérêts d’une société et c’est avec raison que Cuq (I.e., page 65) fait remarquer que «pas plus une société qu’un individu ne peut se constituer artificiellement un domicile qui ne correspondrait pas au centre de ses intérêts ».

E t, réciproquement, il ne serait pas admissible d ’affirmer qu’une société, en faisant l’élec­tion de son domicile, c’est-à-dire de son siège social, pourrait être constituée c o n f o r m é m e n t à une législation différente de celle qui est d’autorité dans le lieu dudit domicile. S e ra i t - i l admissible qu’une société se constituât en pays B et qu’agissant de telle façon, elle fût libérée de s’adapter aux normes de la législation B concernant la constitution des sociétés ? Il est évident que l’on ne peut séparer les conditions de l’établissement d’une société de la l é g is la t io n à laquelle est soumise sa constitution. La théorie bien connue du siège fictif est la meilleure preuve de cette thèse. De même, une société constituée conformément à la législation du pays A ne pourrait être considérée comme soumise (quant à sa constitution) à la l é g is la t io n

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du pays B, pour cette raison unique qu’elle y veut prendre son siège social sans obéir aux lois de sa constitution.

L’indissolubilité de ces deux éléments est évidente. Si nous nous prononçons pour le siège social comme élément matériel, notre point de vue s’explique par le motif que cet élé­ment est reconnu comme décisif, aussi bien par la doctrine et la jurisprudence que par la pra­tique des traités. Le point de rattachement trouvant son expression dans le centre de l’exploi­tation est trop flottant et peu déterminé ; les raisons de son rejet sont bien connues. De même, tous les critères complexes (soit alternatifs, soit cumulatifs, par exemple siège ou centre, siège et centre) nous semblent peu propres à servir de base à une codification. Tous les autres cri­tères (autorisation gouvernementale, lieu de souscription des capitaux) ne peuvent pas escomp­ter une approbation générale.

D e telle sorte, on pourrait poser la règle générale que la nationalité des sociétés de com­merce se détermine d’après la loi de leur constitution (le lieu où l’acte même de la constitution est passé étan t indifférent) et d’après le siège social réel dont la qualification juridique est soumise à la loi susmentionnée de leur formation. Le fait matériel du domicile est obligatoire­ment lié à la loi portant le règlement de l’existence même de la société, c’est-à-dire, le siège social originaire ne peut être que dans le pays où la société a été constituée. Il ne pourrait pas exister une liberté de choix suivant laquelle le siège serait à déterminer d ’après une légis­lation autre que celle de la constitution même. Les E tats seraient donc internationalement liés de telle façon qu’une détermination du siège social en dehors du domaine et de la maî­trise de la loi de la constitution serait inadmissible : cette détermination est à borner par les limites de la souveraineté territoriale.

En acceptant la théorie de M. P illet (voir sa monographie Des personnes morales en droit international privé, 1914, pages 133, 134), nous disons que la loi de la constitution considéra le siège social comme juridiquement adéquate à cette loi. Par application de cette théorie, on peut écarter de même l’emploi de la notion de la nationalité en disant que la loi du pays de constitution, où se trouve nécessairement le siège social d’une société, « donne naissance au droit acquis à la personnalité civile » ( P illet , /. c., page 134).

Nous avons précédemment fait remarquer que les chances d’un règlement international dépendraient de ce que les points d ’attache déterminant la nationalité possèdent un caractère strictement formel. Le critère projeté ci-dessus répond à ces exigences : la liberté des Etats, quant au règlement de la constitution des sociétés et des conditions juridiques y rattachées, n’est nullement restreinte ; la restriction unique de nature formelle n ’est donnée qu’en matière de détermination du siège social : celui-ci ne peut être constitué qu’en se conformant au ressort de la loi du lieu où ce siège devrait être nécessairement situé ; et la loi de la situation serait identique avec la loi de la constitution.

Donc, il serait internationalement interdit de considérer comme nationales des sociétés constituées d’après une loi déterminée, si leur siège réel n’est soumis à cette loi. Si une société peut choisir son siège à son gré dans le territoire de l’E ta t dans lequel elle est constituée, cette liberté cesse en dehors du territoire : si le siège statutaire ne correspond à aucune réalité et est différent du siège réel, cette possibilité doit être limitée aux confins territoriaux ; dans ce cas, elle peut même prévaloir sur la situation de fait (voir, par exemple, § 24 du Code civil allemand). Mais ce serait anormal, si une législation quelconque conférait la qualification nationale à une société ayant son siège social dans un pays étranger et soumis aux lois du propre pays du chef de sa constitution, qui y fu t originairement achevée. Ce serait une source des conflits intolérables.

La discordance entre le siège effectif et les dispositions statutaires, sans tenir compte de la réalité des choses, doit être internationalement écartée. C’est pourquoi la disposition du paragraphe 23 du Code civil allemand autorisant la qualification « nationale », même dans le cas où le siège social est situé en dehors d’Allemagne, peut être conçue uniquement comme d’importance juridique pour les rapports rattachés au territoire allemand ou aux effets juri­diques y localisés (voir Is a y , /. c. page 184); son étendue internationale est bien problématique et c’est avec raison que M. N e u m e y e r se prononce contre l’applicabilité générale d’un tel principe, en le considérant comme un empiétement sur la souveraineté étrangère (Internatio­nales Verwaltungsrecht, I, page 129 ; Mitteilungen der Deutschen Gesellschaft fur Volkerrecht, T. II, page 159).

Le principe général est à reconnaître même dans le système de l’autorisation : un E ta t ne considérerait comme valable une autorisation donnée par le gouvernement étranger que si elle s’appliquait à une société créée dans cet E ta t et y ayant son siège social. La compétence internationale de ce gouvernement étranger serait à rejeter (Cf. M ic h o u d , I. c.,T. II, page 325, N° 1). Un règlement international conçu de cette façon écarterait certainement les conflits positifs et négatifs provenant de la double nationalité ou de l’apolidie des sociétés ; ces conflits pourraient provoquer l’incertitude de la qualification juridique des sociétés ou de leur traite­ment comme sociétés de fait soumises nécessairement à une liquidation. Les conflits entre le siège social et le siège statutaire, ou entre le siège et le centre d’exploitation, y seraient éliminés.

Il convient enfin de noter que le critère proposé pour un règlement international n’est pas contraire à la doctrine et à la pratique moderne des Etats-Unis. D’après la théorie clas­sique, on considère une société comme étrangère lorsqu’elle a été constituée par un E ta t autre que celui ou siège le tribunal saisi du litige. La notion de la nationalité n’est donc pas basée sur le domicile ; la loi de la constitution est le point de rattachement exclusif (voir L e p a u l l e ,

c-, pages 63, 64). Supposons qu’en vertu du principe de la territorialité des lois, le domicile de la société soit toujouis situé dans le pays de sa constitution, même si, en réalité, il se trouve

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ft l’étranger ; son domicile restera tou jours rivé à l’E ta t ou elle a été créée (L e p a u l le , i c pages 70, 71). Un lien effectif entre la création e t le domicile ne semble pas exister. Cette dis­cordance entre le droit e t le fait est corrigé par le développement moderne des idées américaines sur la notion du domicile qui est considéré comme lié d’une manière effective à la loi de la création. H e n d e r s o n (The Position of Foreign Corporations in American Constitutional Law 1918, pages 191 e t suivantes) fa it observer : « For constitutional purposes i t seems necessary th a t some fu rther criterion th an the S tate of incorporation be adopted to determine citizenship and domicile ». Le cas normal, c’est la création d’une société e t la soumission de son siège réel aux lois su ivant lesquelles la société fu t constituée. Les cas anorm aux sont à écarter : une société est créée dans un E ta t A, mais il est s ta tué que son domicile peu t se trouver dans tous les autres E ta ts , excepté l’E ta t de sa constitution ; ou le siège réel d ’une société ne correspond pas aux lois de sa constitution (« whose principal office is in another State than th a t of its incorpo­ration »). L ’admissibilité de telles sociétés, connues aux E tats-U nis sous le nom de tramp ou migratory corporations, ne p o u rra it pas être reconnue. H e n d e r s o n fait valoir l’importance du principe que « only such corporations could do business in the State as were incorporated under the law of the ir physical domicile ».... De même, le projet de « Uniform Corporation Law», élaboré par les « Commissioners on Uniform State Laws », s ta tue le principe général en recon­naissant que le lien territoria l en tre le siège et la loi compétente de la constitution doit être présent (« the principal business office to be within the State of incorporation ») ; les sociétés étrangères qui ne répondraient pas à cette exigence ne seraient pas reconnues (voir Report of the Commissioner of Corporation on State Laws concerning Foreign Corporations, 1915).

Le règlement que nous nous sommes permis d’esquisser diffère des projets acceptés par l’Institut de droit international et par le Congrès international des sociétés commerciales tenu à Paris en 1889, en tan t que la liaison nécessaire entre la loi compétente et le fait matériel du domicile n’est pas suffisamment soulignée par ces projets. Le projet de l’Institu t (Annuaire 1891, Session de Hambourg, Rapport de M. Lyon-Caen sur le conflit des lois relatives aux socié­tés par actions, pages 152-161) considère comme le pays d ’origine le pays dans lequel a été établi sans fraude le siège social légal (article Y, pages 171, 172, voir aussi le Traité de Monte­video, article 5, « Les lois du pays de leur domicile »). Le renvoi à l’article I des règles votées par l’Institut ne donne pas d’explication sur le point décisif du rapport nécessaire entre la loi de constitution et le siège social : on y a fait mention uniquement des sociétés « constituées conformément aux lois de leur pays d ’origine ». Mais il serait possible qu’un E ta t permît à une société de fixer dans son territoire son siège social, qui, dans ce cas, serait le siège légal (d’après les lois de ce pays), e t la loi de la constitution se contenterait d’un enregistrement formel et de la fixation d’un domicile statutaire ne correspondant pas à la réalité. Ce serait un cas typique de double nationalité. C’est pourquoi la détermination du pays d’origine doit tenir compte de deux moments que nous considérons comme décisifs ; le terme « pays d ’origine » reste équivoque, car ce pays ne peut pas être déterminé par le siège, cette dernière notion dépendant des qualifications de la loi compétente. D ’autre part, la loi de la constitution est par elle-même insuffisante, si elle ne renvoie pas à la notion de fait (domicile effectif) soumise à cette loi et liée au régime territorial. Le siège « légal » étant, par exemple, statutaire et ne correspondant pas à la réalité n ’est pas une notion sur laquelle un règlement international pourrait se baser.

Le droit anglais, par exemple, en reconnaissant le principe du siège social, fait valoir que l ’enregistrement, c ’est-à-dire la soumission d’un groupement à la loi de création, ne pourrait être décisif sans exceptions. D icey e t K eith (Conflict of Laws, 1922, page 165) font observer: « .... but the registration of the com pany is not for all purposes of itself decisive. The ques­tion in each case is : where is the real business of the company carried on ? According to the answer to that question, the com pany’s domicile must, in the main, be determined ». Le conflit entre le siège réel et le siège statutaire qui est à considérer comme légal est évident : et le droit anglais ne reconnaît pas les effets décisifs à un domicile institué par l ’enregistrement d’une société (registered office), si, pour les buts de la taxation ou pour la détermination de la compétence judiciaire, on doit tenir compte des autres signes distinctifs : « Hence, a corpo­ration moreover, will be considered domiciled, or resident, in a country for one purpose and not for another, and hence, too « the great uncertainty as to the facts which determine the domicile, or residence of a corporation » (D icey et Keith , o. c. page 154). De même W estlake fait remarquer que l ’incorporation, c ’est-à-dire la constitution d’une société « is not conclu­sive of its residence » (Private International Law, 1905, page 361).

C’est pourquoi la formule proposée par le Congrès international des sociétés par actions, tenu à Paris en 1889, est préférable. D ’après la résolution de ce congrès, la nationalité d’une société par actions sera déterminée par la loi du lieu où elle aura fixé son siège social. Le siège social d’une société ne p eut être que dans le pays où elle aura été constituée.

De telle sorte, la relation nécessaire serait nouée entre la loi de constitution et le siège dépen­dant des qualifications juridiques de cette loi. Par ces motifs, nous devons rejeter la solution proposée par le deuxième Congrès des sociétés par actions tenu à Paris en 1900, la résolution portant sur la détermination de la nationalité par voie du principal établissement (centre d ’exploitation) ou par voie du siège réel fixé par les statuts représente un systèm e intermédiaire avec tous les défauts d’un règlement transactionnel ; car laisser la liberté d ’une option (exploi­tation ou siège) équivaudrait à sanctionner l ’incertitude et l ’arbitraire. D ’un autre côté, la fixation du siège par les statuts, m êm e si on le considère comme réel, ne donne pas les garanties nécessaires ; il faudrait dire que le siège déterminé par les statuts devrait être conforme aux exigences de la loi de la constitution e t ne pas se trouver dans un autre pays que celui du régime de la société même.

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§ 2.Les solutions visées ci-dessus se rapportent aux sociétés commerciales douées d ’une

p e rs o n n a l i té juridique. Quand i l s’agit de sociétés de personnes, on n ’ignore pas que, dans m a in te s législations, on ne leur reconnaît pas cette qualification juridique. Les « partnerships » de d r o i t anglais, les sociétés en nom collectif du droit allemand (offene Handelsgesellschaften ne s o n t pas dotées d ’une personnalité juridique. La notion de la nationalité est-elle admissible dans ces cas et le règlement international ne doit-il pas envisager des différences éventuelles pour écarter les conflits ?

Le problème principal, si une société est douée d ’une personnalité civile, est à résoudre d’après la loi à laquelle le groupement en question est soumis. C’est une règle bien établie du droit international privé que la capacité spéciale reconnue à une collectivité ne peut dépendre que de la loi compétente, c’est-à-dire de la loi qui régit la constitution de groupement : (( Whether a partnership is a corporation depends on the law of the country in which it is formed » (D ic e y et K e it h , page 511).

L e renvoi à cette loi compétente pourrait-il résoudre la question de la nationalité ? Une so lu tion semblable ne nous paraît pas raisonnable, car, premièrement, les lois territoriales ne s’o c c u p e n t pas de la nationalité des groupements sans une propre personnalité e t , deuxième­ment, il s’agit d’un règlement international auquel la loi territoriale devrait se plier.

Pour les buts d ’un tel règlement, il serait nécessaire d ’assimiler les groupements sans personnalité aux associations douées de cette personnalité. Il n’existe aucune raison d’adopter une règle spéciale pour les sociétés de personnes, même si leur personnalité juridique n'est pas donnée. Les deux points de rattachement — la loi de la constitution et le siège réel sont donnés à l’instar de ces groupements qu’on construit comme des unités juridiques. Nous nous prononçons pour la règle générale conçue dans le projet de M. d e B u s t a m a n t e de la manière suivante (article 18) :

« Les sociétés civiles, commerciales ou industrielles, qui ne sont pas anonymes, auront la nationalité du lieu où siège habituellement leur administration ou direction principale. »

Il est entendu que ce siège ne peut être que dans le pays où ces sociétés ont été constituées. En outre, on doit envisager que les sociétés en nom collectif, n’ayant pas dans certains

pays une personnalité indépendante, possèdent néanmoins des privilèges qu’on rattache d’ordinaire à l’idée de la personnalité : on ne peut pas les traiter différemment des sociétés dont la constitution juridique est conçue par supposition de leur personnalité immanente (cf. sur la nationalité des sociétés en nom collectif d ’après le droit allemand : W ie l a n d , Handelsrecht, T. I, 1921, pages 617-619).

La solution proposée ne lim iterait en aucune manière la liberté des législations spéciales quant a u x conditions intrinsèques d ’après lesquelles une société de personnes p eu t être créée en acquérant la qualité de société nationale . On a proposé pour le droit français (qui e s t en général favorable à la reconnaissance d ’une personnalité propre de telles sociétés) que, pour être française, une société de personnes do it comprendre au m oins en m ajorité des associés français e t avoir des gérants de nationalité française (proposition de M. L y o n -C a e n , voir Leven, Le. ,pages 58, 59). Le règlem ent in ternational n ’em piétera pas sur cette liberté, car les dispositions territoriales auraient à déterm iner les conditions fondam enta les de la cons­titution des sociétés de personnes, de m êm e q u ’en matière de création des sociétés de capitaux, elles pourraient faire dépendre leur form ation de la m ajorité de cap itaux souscrits par les nationaux ou de leur présence dans le corps adm inistratif de ces sociétés.

Le législateur n ’irait certainement pas jusqu’à défendre généralement à tous étrangers ou à certains étrangers de constituer dans le territoire respectif des sociétés de personnes ; il dira uniquement que si les étrangers se proposent de les constituer, ils ne pourront le faire qu'avec participation de nationaux.

C’est pourquoi tous les critères tendant à déterminer la nationalité des sociétés de person­nes par la nationalité des associés sont à rejeter. Même si la société n’est pas un être juridique distinct, on ne peut ajuster la nationalité d ’après le critère énoncé ci-dessus, les associés pouvant avoir les patries les plus diverses. On connaît un cas jugé par le tribunal de la Seine (arrêt du 13 mars 1915) où la société constituée en France se composait d ’un Danois, d’un Allemand et d’un Anglais. M. W e iss a fait remarquer avec justesse : « Regardera-t-on la nationalité du plus grand nombre ? celle des gérants ? les capitaux exposés par chacun ? et à quel moment se placera-t-on pour envisager l’une ou l’autre de ces circonstances ? Mais il y aurait là une source de difficultés inextricables, sans parler de préjudice souvent grave que ce système fera éprouver à la minorité » (Traité, I I , page 416).

D’ailleurs, un tel critère ne peut pas avoir d’autorité pour un E ta t tiers, si les associés d’une société en nom collectif ou en commandite sans personnalité juridique, constituée à l’étranger, ne sont pas ses propres ressortissants. De quelle manière pourrait être déterminée par le droit anglais la nationalité d’une société en nom collectif, constituée en Allemagne et se composant des associés dont quelques-uns sont Suisses et d ’autres Italiens ? Si l’on ne se tient pas au siège de cette société, tous les autres points de rattachement manqueront leur coup. Le critère ci-dessus énoncé pourrait être admis dans les cas où tous les associés sont d ’une même nationalité, et ce n’est que pour les questions où la législation territoriale favorise les propres ressortissants en discriminant les étrangers (par exemple en matière de cautio judica- tum solvi, cf. l’arrêt du Reichsgericht allemand, T. 36, N° 100, de l’acquisition des immeubles ou dans les cas où la société se constitue pour frauder les dispositions prohibitives de la loi ; cf. l’arrêt de la Cour suprême de Pologne, I I Ie Chambre, du 12 novembre 1921).

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Je ne crois pas qu’il serait utile de régler internationalement des situations si singulières • le principe général doit être identique pour toutes les sociétés, sans discerner leurs qualités quant à l’attribution de la personnalité civile. P ar cette voie, toute incertitude dans les rap­ports internationaux devrait être éliminée ; par contre, l’application du principe autrefois énoncé par la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse (arrêt du 11 novembre 1892, C l u n e t ,

1893, page 640) que la nationalité d’une société en nom collectif est déterminée par celle de ses associés crée la possibilité de conflits les plus indésirables et amènerait des situations difficiles et même inextricables.

§ 3.

Serait-il nécessaire de statuer expressément, dans un règlement futur, sur la nationalité des filiales et succursales des sociétés étrangères ?

Si l’on considère une filiale comme un groupement formellement indépendant de la société-mère, la question de la nationalité ne demande pas de solution spéciale : la filiale aura la nationalité réglée par la loi de sa constitution et conforme à son siège social réel ; au point de vue formel, elle possède une existence propre et jouit d’une vie juridique autonome (voir P il l e t , Traité, T. II, page 794).

Mais quand nous avons affaire à des agences dépendantes des sociétés étrangères, sans une existence propre et distincte, elles n’ont point de nationalité indépendante. Leur nationalité sera celle de la société dont elles dépendent. Ce serait de même le cas, si la société ne possédait pas de personnalité juridique (voir l’affaire Rodocanachi Sons et C°, v. the United States, Moo re , International Arbitrations, III, pages 2359, 2360: « ...where a firm has a main house in one country with branches in other countries, the analogy between a corporation and a partnership is complete, and the country where the main house is situated gives the firm the impress of nationality »).

La loi du pays où cette succursale serait à établir déterminera les conditions de son admission, en faisant la distinction entre les succursales des sociétés nationales et les branches et divisions des groupements étrangers. Elle demandera parfois la preuve que la société-mère est constituée d’après la loi du pays d’origine (par exemple, le droit autrichien, polonais, suisse, etc.), en soulignant par là même leur caractère étranger : elle pourrait demander qu’il y ait un régime de réciprocité. Ces dispositions considèrent la nationalité comme une question préalable et s’occupent principalement de l’admission et de l’enregistrement des succursales désirant faire des opérations dans le pays autre que celui de leur constitution et de leur princi­pal établissement. Ces problèmes ne regardent pas la question de la nationalité proprement dite. La loi territoriale est, en outre, libre de statuer sur les conditions spéciales d’organisation d’une succursale (nécessité d ’avoir un capital distinct, un agent responsable, etc.).

En se prononçant pour une solution strictement formelle, nous ne pouvons pas partager l’opinion d ’après laquelle la nationalité des filiales ayant un caractère autonome pourrait être réglée différemment, si leurs fonctions dépendent et sont en réalité intimement liées à l’existence d ’une société-mère étrangère. On affirme que si une filiale créée directement par une société étrangère reste sous le contrôle de celle-ci, elle doit être regardée comme partageant la nationalité de l ’établissement central, même si sa constitution se conforme aux exigences de la législation territoriale ; par conséquent, on veut résoudre la question de la nationalité d’après le degré d’indépendance que possède l’établissement d’une filiale. Si l’indépendance de la filiale, dit Cuq (l. c., page 30) est complète, il y a, en réalité, fondation d’une société nouvelle dont la nationalité se déterminera d’après les critères usuels. Sinon, la nationalité de l’établis­sement principal devrait être maintenue pour la filiale ayant un caractère accessoire.

Les éléments de cette appréciation nous semblent bien peu précis et l’on retournerait au principe du « contrôle » que nous estimons peu approprié pour un règlement futur.

Quel que soit le caractère intrinsèque d’une société commerciale, fondée dans un pays déterminé et y ayant son siège social réel, aucun doute sur sa nationalité ne peut être soulevé. Si l’on veut parfois procéder par la voie de défense des désignations nationales ou territoriales (société française, suisse...), ces mesures ne se rapportent pas au qualificatif proprement dit de la nationalité même : elles ne peuvent être construites que dans les cadres des dispositions spéciales concernant la concurrence déloyale pour prévenir certaines équivoques nuisibles à l’économie nationale. Mais une filiale constituée d’après la loi territoriale ne cesse pas d’être une société de nationalité bien déterminée, bien qu’on lui défende d’user de certaines désigna­tions dans sa raison sociale pour les buts n’ayant rien de commun avec son statu t personnel.

§ 4 .

La question du changement de la nationalité des sociétés de commerce n ’est pas suscep­tible de règlement uniforme par voie de convention générale. On n’ignore pas les n o m b r e u s e s controverses se rapportant au problème soulevé souvent dans la doctrine et la jurisprudence : une société comme personne juridique a-t-elle droit au changement de sa nationalité et, le cas échéant, le changement accompli, doit-elle être considérée comme dissoute ou, par contre, conserve-t-elle sa personnalité originaire qui ne cesse pas d’exister ? E n acceptant l ’h y p o th è s e visée en deuxième lieu, on suppose que la même société, en changeant sa nationalité, va simplement poursuivre son activité à l’étranger. Autrement dit, la controverse se r a t t a c h e au problème suivant : une société peut-elle se transformer quant à sa nationalité, sans se dissoudre ? (voir P e r r o u d , Du changement de nationalité d’une société anonyme ; C l u n e t ,

1926, pages 561 et suivantes).

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Nous ne nions pas la gravité et l’importance pratique de cette question qui a occupé tan t de fois les tribunaux (voir Reichsgericht, T. VII, page 68 ; Cour de cassation française, 26. XI. 1894 : D a l l o z , 1895,1,57,29 ; III. 1898 ; D a l l o z , 1899,1,595; arrêt de la Chancery Division dU 31. VII. 1909, ex parte Fox in re Irrigation C° of France Ltd.). Il serait de grande impor­tance de pouvoir fixer la situation juridique en déterminant si, oui ou non, la société conserve son ancienne nationalité jusqu’à l’accomplissement des formalités exigées par la législation étrangère adoptée par elle et fait subsister sa personnalité indépendamment du changement accom pli . Mais je ne crois pas qu’une convention multilatérale puisse se prononcer pour la solution de ce problème de telle ou d ’autre manière. Si l’on se prononce pour la prohibition absolue du changement de la nationalité, une telle prohibition équivaudrait à une dissolution forcée d’une société désirant se soustraire au régime de la législation à laquelle elle a été soumise lors de sa constitution. J e ne vois pas la nécessité de faire adopter une telle mesure prohibitive par voie de convention. Si l’on se prononce pour l’admissibilité du changement (en observant natu re llem ent les dispositions concernant l’unanimité des associés, le règlement des dettes, etc.), la question de savoir si l’ancienne personnalité ne cesse pas de subsister, bien que la n a t io n a l i té en soit changée, doit être solutionnée par les législations territoriales respectives ; les effets juridiques liés aux dispositions en vigueur dans le pays de la nationalité précédente et de la nationalité nouvelle ne peuvent pas provoquer des conflits sérieux. Si le pays d’ancienne n a t io n a l i té regarde le changement comme provoquant la dissolution de la Société, son patri­moine pourra être transféré à la société nouvelle, les sociétaires n’étant pas limités quant aux modes et conditions de la liquidation. Si, en même temps, le pays de la nouvelle nationa­lité reconnaît la subsistance de la personnalité existant antérieurement au changement, la question de la responsabilité pour les dettes de société encourues pendant son existence dans le pays de son origine ne se présenterait pas ; car, ou la société est déjà liquidée ou la société possède la nationalité nouvelle et succède à titre universel à la société dissolue dans le pays d’origine, et est donc responsable des dettes encourues.

Les dangers de la « discontinuité » de la personne civile peuvent se produire dans le cas où le changement de la nationalité est accompli in jraudem legis : si le siège social est transporté pour éluder les dispositions de la loi locale et si ce transport ne répond à aucune réalité, la législation du pays où la société a été constituée possédera des moyens efficaces pour obvier à ces inconvénients. L ’adaptation d’une société à une législation autre que celle du pays de sa constitution et de son siège social n’est pas efficace ipso jure : elle doit y élire de même son siège social réel et effectif en brisant tous les liens de droit et de fait qui fo n t liée à la législa­tion de sa constitution originaire. La jurisprudence française, qui a élaboré avec un soin minutieux la théorie du siège fictif, a souvent déclaré françaises de prétendues sociétés étran­gères qui se sont constituées en fraude de la loi française avec un siège fictif à l’étranger (cf. Gain, La nationalité des sociétés avant et depuis la guerre 1914-1918. Paris 1924, page 94).

Si une régie était posée d ’après laquelle la nationalité dépend simultanément de deux facteurs décisifs — de la loi de constitution et du siège social réel —, le changement de la natio­nalité, ne tenant pas compte du transfert et de la fixation effective du siège à l’étranger, ne serait pas reconnu tan t dans le pays de la fondation originaire que dans celui de sa constitu­tion nouvelle.

Il serait donc suffisant de dire que le changement de la nationalité d ’une société de com­merce est à reconnaître par les parties contractantes sous la condition que, simultanément avec l’adaptation de la société aux exigences de la législation de l’E ta t à laquelle elle sera soumise, son siège social réel y serait effectivement transféré. La fiction de l’établissement nouveau ne produira pas d’effets juridiques et la nationalité d’origine ne changerait pas de même, la nationalité nouvelle n’étan t pas acquise (cf. P e r r o u d , l. c., page 567). Un change­ment sans modification du siège est nul ; il faut aussi satisfaire aux conditions de la loi étran­gère, qui va devenir le nouveau s ta tu t de la société ; ces conditions n ’étant pas remplies, la société se dissout.

Quant aux questions de subsistance de personne civile, de la dissolution de la société, de sa continuité ou discontinuité, elles ne pourraient pas être envisagées par un règlement international.

Il faut, en outre, faire observer que le changement de la nationalité provenant des ces­sions ou annexions territoriales ne se prête pas à un règlement uniforme. Ces espèces échappent à des règles générales, la liberté des parties contractantes y devant être gardée et réservée. Pourtant, il ne serait pas sans intérêt de faire observer que tan t dans les conventions qui se rattachent au changement de la nationalité des personnes morales que dans la jurisprudence Y re la tive , le changement reconnu en vertu de la cession n’entraîne pas la dissolution des sociétés : elles subsistent comme telles bien que leur allégeance politique soit changée (voir Convention entre l’Allemagne et la France relative à leurs possessions dans l’Afrique équa­toriale du 4 novembre 1911, article 5, § 2, § 3 ; décisions de la Commission financière réunie à Paris, en 1913, pour fixer le sort des sociétés atteintes par le démembrement de la Turquie ; article 54, § 3, du Traité de Versailles ; article 75 du Traité de Saint-Germain ; dans une con­vention conclue entre la Pologne et l’Autriche au sujet des entreprises de production et de transpo rt, annexe C à la Convention commerciale signée à Varsovie, le 25 septembre 1922, le Gouvernement autrichien a accordé à certaines sociétés dont le siège se trouve sur le terri­toire de la République Autrichienne le droit de transporter leur siège social sur le territoire polonais ; à l ’occasion de ce transport une liquidation ne peut être opérée, les sociétés trans­férées conservent leur personnalité et acquièrent une nationalité nouvelle sans être dissoutes).

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Ce point de vue est accepté par la jurisprudence américaine : elle reconnaît le principe général que les changements territoriaux entraînent le changement de la nationalité (voir les arrêts : D artm outh College v. Woodward, 4, Wheat. 636 ; Martinez v. Associacion de Senoras 213. U.S. 20 (1909) et une note de M o o r e , Digest, I I I , page 804).

§ 5.

Le critère de la nationalité ainsi déterminé, la question se présente ainsi : Serait-il de même nécessaire de déterminer l’E ta t auquel — le cas échéant — appartiendrait le droit de la protection diplomatique ? Serait-il utile d’insérer dans une convention internationale une clause s’y rapportan t ?

Le projet N° 16 sur la « Protection diplomatique », élaboré à la demande du Conseil direc­teur de l’Union panaméricaine, résoud cette question d ’une manière très simple, en statuant, dans l’article 9 (voir Codification du droit international américain, 1925, pages 55, 56), ce qui suit :

« Toute république américaine a le droit de protéger diplomatiquement non seule­m ent ses nationaux, mais aussi les compagnies, corporations ou autres personnesjuridiques qui, d’après ses lois, ont la nationalité du pays. »

La disposition ainsi conçue ne présuppose pas la détermination de la nationalité d ’une façon fixée internationalement ; elle renvoie aux critères de la nationalité qui ont trouvé leur expression juridique dans la législation des E tats particuliers, parties à la Convention. D’où les conflits possibles, si ces critères ne sont pas conformes ; le droit à la protection peut deve­nir problématique s’il est disputé entre deux E tats intéressés dont chacun considère la société comme possédant la nationalité de son pays. Si l’on se prononce pour la détermination générale e t uniforme de la nationalité, réglée par voie de convention, les difficultés ci-dessus énoncées pourraient être évitées entièrement.

D ’autre part, le règlement de la protection diplomatique à l’égard des sociétés ne pour­rait être identique à celui à accorder aux personnes physiques. On sait que, dans le cas de changement de nationalité, le droit à l’intervention est perdu, si la protection fu t dénuée de son caractère « national » en vue de la circonstance que la personne lésée acquiert une autre nationalité que celle existant à l’époque où s’est produit l’acte ou le fait donnant lieu à la réclamation (voir B o r c h a r d , Les principes de la protection diplomatique des nationaux à l'étranger, Bibliotheca Visseriana, T. III, page 46). Or, la manœuvre bien connue du siège fictif peut donner l’apparence que la société est de nationalité déterminée, bien qu’en réalité la situation juridique se présente différemment. Dans ce cas, on ne peut pas parler d’un changement de nationalité proprement dit ; la nationalité « simulée », cachant l ’allégeance réelle, subsiste dès l’existence juridique de la société. Auquel E ta t appartiendrait alors le droit à la protection diplomatique ?

La formule excluant la protection dans le cas généralement accepté du changement de nationalité serait inapplicable. Si l ’on ne détermine pas par la voie de la fixation internatio­nale des signes distinctifs de la nationalité, le conflit entre la nationalité réelle et apparente conduirait à des conflits subséquents qui ne seraient pas du domaine du droit international privé, mais pourraient donner lieu à des différends d ’ordre politique. Le pays, considérant la société étrangère comme nationale à raison de son siège fictif, procédera à son annulation ou liquidation forcée ; tandis que le pays d’origine regardera telles mesures comme incompa­tibles avec les dispositions de sa législation propre, d’après laquelle la société a été constituée (cf., par exemple, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 9 novembre 1922, S i r e y 1923,333: « ... que le siège social véritable d’une société n’étant pas forcément dans le pays où les statuts l’indiquaient et que les tribunaux auraient le pouvoir de déterminer le lieu où se trouvait le siège effectif de la société »). De même, des conflits peuvent se produire à l ’o c c a s io n de l’auto­risation d’une société étrangère nécessaire pour la possibilité de faire des opérations dans un autre E tat, si cet autre E ta t ne veut pas accorder l’autorisation désirée pour la raison que le siège social a été intentionnellement établi à l’étranger pour éluder la loi locale.

On pourrait éviter les conflits susmentionnés, si l’on acceptait une réglementation uni­forme des qualifications de la nationalité corporative. La simple transposition des régies propres à la protection des personnes physiques serait inadmissible et même nuisible en vue des conflits politiques qui pourraient surgir.

Il est bien entendu que le règlement international n’affecterait en rien les conditions de la protection qui serait même à accorder aux sociétés d’une nationalité déterminée ; ces condi­tions dépendront exclusivement de la législation de l ’E ta t intéressé (voir article 2, § 2 du pro­je t américain).

Si la détermination de l’E ta t auquel appartiendra le droit de la protection diplomatique est fixée parallèlement à la détermination de la nationalité des sociétés, d’après une norme à préciser par voie de convention générale, la question suivante se pose : la renonciation au droit de la protection stipulée par une société étrangère, dans un contrat ou dans une conces­sion, doit être considérée comme valable et excluant la protection ou, par contre, ces stipu­lations comme dénuées de valeur juridique doivent-elles être regardées comme nulles et non avenues ?

Les stipulations dites clauses de Calvo, connues dans le s Etats américo-latins, ont donne lieu à maintes difficultés, notamment quand on a eu à trancher'des questions s e ^ r a t t a c h a n t aux sociétés acceptant ces restrictions. Au point de vue de la construction juridique, l ’appli­cation de cette clause semble bien douteuse.

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Dans l’affaire de « North and South American Construction Company », une société américaine renonça, dans un contrat conclu avec le Gouvernement chilien, à invoquer la protection du pays de son origine. L ’article 18 du contrat (voir M oore, International Arbi­trations, III, pages 2318 et suivantes) a eu la teneur suivante :

« The contractor or contractors will be considered for the ends of the contract as Chilian citizens. In consequence, they renounce the protection which they might ask of their respective Governments, or which these might officiously lend them in support of their pretension. »

Les arbitres, en reconnaissant cette clause comme dénuée de validité, ont fait observer que le contrat a créé une juridiction spéciale pour connaître des différends entre le Gouver­nement du Chili et la société (article 49 : «... arbitrators named, one by the Ministry of Indus­try and Public Works, another by the Supreme Court of Justice, and the third by the con­tractor »). E tan t donné que le Gouvernement chilien a supprimé cette juridiction spéciale par un acte unilatéral, cette suppression devrait avoir pour effet la restitution du droit de protection ( « ... has recovered its entire right to invoke or accept the mediation or protection of the Government of the United States »).

Si nous supposons que cette clause lie la société à l’égard de son contractant (le Gouver­nement chilien), elle devrait rester sans effet à l’égard du Gouvernement des Etats-Unis. Le droit à la protection et la possibilité de le faire valoir n ’appartenant pas aux citoyens mêmes, la renonciation auxdits droits ne peut produire aucune obligation d’abstention de la part de l’E tat dont une société relève du chef de sa nationalité. Le gouvernement peut procéder ex ofjicio sans attendre une demande de la société lésée. Une société ne peut pas disposer de droits qui ne lui appartiennent pas et ne sont pas de son ressort. D ’au tan t plus qu’une société ne peut disposer de la nationalité à son gré ; elle n’est pas autorisée à dire que, malgré son caractère étranger, elle consent à être traitée comme nationale en ce qui concerne les droits de protection diplomatique. La validité d ’une telle clause équivaudrait à la reconnaissance d’une double nationalité, tandis qu’en réalité, elle doit être interprétée comme conférant une compétence extraordinaire au gouvernement local (par exemple, la soumission incondition­nelle à la compétence des tribunaux du gouvernement contractant, sûretés à fournir, dépôt des capitaux servant aux opérations de la société, revision de la comptabilité et son contrôle par les organes locaux (voir L e v e n , /. c., pages 413-415).

Et c’est avec raison que le cas de la « North and South American Construction Company » a été résolu en rejetant les exceptions du Gouvernement chilien et en reconnaissant que la clause du contrat n’a pas causé la perte de la nationalité américaine (« it is undeniable... that the memorialist is a company which... has neither relinquished nor lost its quality of American citizenship, even when it conditionally agreed to be considered as a Chilian citizen for the ends of the contract and not to invoke or accept the protection of its own Govern­ment », M o o r e , I.e., I l l , page 2321). Par conséquent, le droit à la protection diplomatique fut sauvegardé (sur la clause de renonciation à la protection diplomatique dans l’affaire de l'« Orinoco Steamship Company » et la décision du surarbitre B a r g e , v . S c e l l e dans la Revue de droit international, 1911, pages 179 et suivantes).

Le problème principal, à savoir si les sociétés peuvent en général jouir de la protection diplomatique, n ’est pas controversé dans la pratique internationale. Ce problème se posa à l’occasion de conventions d’arbitrage se rapportant aux réclamations de particuliers, sans que les sociétés y eussent été visées expressément (voir les espèces citées par d e L a p r a d e l l e et P o l i t i s , Recueil des arbitrages internationaux, T. I, page 447 ; T. II, pages 134, 353). Il y a des conventions arbitrales qui mentionnent expressément les réclamations entamées par des corporations ou compagnies au même chef que celles des personnes physiques (voir Traité du 8 février 1853 entre Etats-Unis et Grande-Bretagne, d e L a p r a d e l l e - P o l i t i s , I, pages 662- 663 ; Commission mixte de Washington, Colombia, Etats-Unis, du 18 mai 1866, I. c., II, page 462 ; Commission mixte de Guayaquil, 17 août 1856, II, page 422 ; Commission mixte de Lima du 4 décembre 1868 et du 28 février 1870 ; Convention de Santiago du 17 avril 1870, v. C alvo , T. VI, page 359). Il faut admettre que même dans le silence du compromis, les réclamations de sociétés sont à traiter comme implicitement comprises dans celles de natio­naux. En général, la règle posée par M o o r e (Digest, T. VI, pages 641-642) que « the corporation is recognised as having, for the purposes of diplomatic protection, the citizenship of the country in which it is created » doit être reconnue comme admise par la pratique et la jurisprudence internationale.

Si le critère de la nationalité était réglé uniformément par voie de convention générale, ks questions controversées se rapportant à l’admissibilité de la protection seraient écartées. La loi de la constitution et le siège social réel étan t la base solide de la nationalité, l’étendue de la protection pourrait être strictement limitée. Toutes les prétentions à la nationalité des associés seraient à éliminer, un point de vue maintes fois reconnu par la pratique des chan­celleries, mais donnant lieu néanmoins à des controverses (voir pour la pratique américaine Henderson, l. c., pages 52-54). Il est entendu que la reconnaissance du droit de protection diplomatique à l’égard de sociétés ne préjuge en rien la protection des particuliers intéressés de quelle manière que ce soit à ces groupements. Mais, dans ces cas, il ne s’agit pas de la pro­tection des sociétés comme telles ; c’est l’intérêt individuel qui donne lieu à l’action diploma­tique. Si un E ta t dont relève la société lèse les droits d’un associé du chef de sa nationalité étrangère, le pays dont celui-ci est ressortissant est autorisé à faire valoir les réclamations y relatives, malgré le fait que la société est de la nationalité du pays qui applique les mesures

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vexatoires. Une telle intervention ne se rapporte pas au problème de la protection de sociétés comme des unités indépendantes et autonomes. Mais, en ce qui concerne les réclamations des sociétés comme telles, on a reconnu le principe que, présentées ou soutenues par les g0u. vernements, elles ne seraient admissibles que dans les cas où la société a été constituée d’après les lois de l ’E ta t réclamant et avait le siège social dans son territoire.

Toutefois, on a vu les gouvernements hésiter et même refuser la protection diplomatique du chef qu’une société, fondée par l’E ta t intéressé, é tait exclusivement composée des citoyens de pays étrangers (voir l’affaire de l’« Orinoco Steamship Co » ; dans la première phase de cette affaire, le Gouvernement britannique a refusé son intervention pour une société enregistrée à Londres, parce que tous les actionnaires étaient de nationalité américaine et, peut-être parce que cette société a renoncé, dans le contrat conclu avec le Gouvernement vénézuélien^ au droit de protection). Mais, généralement, on ne tient pas compte de la nationalité des associés ; dans l'affaire Henry Chauncey v. Chile (Commission mixte chileno-américai ne), il fut jugé que la société « Allsop et C° », étant constituée au Chili et y ayant son domicile légal comme personnalité civile, ne peut pas demander la protection américaine pour cette raison que les associés possédaient la nationalité des Etats-Unis (voir Moo r e , Digest, III, pages 802-803 : « it was held th a t the firm was to be considered for international purposes as a citizen of Chile and was therefore incapable of prosecuting through its representative a claim against Chile as a citizen of the U.S.A. before an International Commission »). De même, dans l’affaire bien connue du navire Antioquia appartenant à une société colombienne, « Com- pana Unida de Navigaciôn por vapor en el Rio Magdalena », le Gouvernement américain refusa son appui malgré le fait que tous les sociétaires étaient de nationalité américaine (Moo re , Digest, VI, page 645 : « the association as entity was assimilated to a citizen of Colombia » ; de même le cas de « Compana Salitrera del Peru », l. c., page 646 : « even if all the individual members of the corporation were duly qualified American citizens, they could not present their complaint in their individual names as owner, but must present them as belonging wholly to the corporation as owner »). La pratique américaine a suivi le point de vue exposé dans l’arrêt Canada Southern Railway v. Gehhard (1883) 109 U.S. 527 (« distinction between a corporation and its shareholders »), en faisant valoir que le transfert des actions ne peut pas influer sur la nationalité originaire d’une société (« but the mere transfer of shares between individuals does not affect the complete subjection of the corporation itself to the Government which created it »). L’admissibilité de l’intervention équivaudrait à l’empiétement sur la souveraineté dont relève la société créée conformément à la législation de l ’Etat compétent.

Cette construction a été acceptée dans l’affaire «The Rosario Nitrate Co., Ltd. », jugée le 22 novembre 1895 par le tribunal anglo-chilien (voir L e v e n , l. c., page 262) et dans la sentence de la Commission mixte néerlando-vénézuélienne rendue en 1902, affaire Baarch et Romer.

Toutefois, la pratique n’est pas stable et bien établie : les gouvernements font souvent des démarches malgré le fait que les sociétés ne relèvent pas d’eux du chef de leur constitution et domicile. On peut rappeler ici l’affaire de la «Vacuum Oil Co. » qui fut une société anonyme hongroise avec siège à Budapest. Le Gouvernement des Etats-Unis est intervenu auprès du Gouvernement autrichien du chef que cette société é tait une création de la « Standard Oil Co. », une Corporation américaine. Le Gouvernement autrichien n’a pas trouvé cette démarche justifiée, estimant que l’intervention pourrait provenir uniquement du gouvernement dans le territoire duquel se trouve le domicile de la société. Une situation analogue se présenta dans l’affaire de la « Limanova », société autrichienne à responsabilité limitée, à laquelle des capitaux français étaient intéressés. Cette société s’étant plaint à cause de certaines mesures du Gouver­nement autrichien, le Gouvernement français a fait savoir de ce chef des prétentions ; mais le Gouvernement autrichien souleva de nouveau la question de la compétence e t de légitimation ad causam, en la déniant à l’E ta t protecteur, étant donné la nationalité autrichienne de la société (voir J a c o bi , La condition juridique des sociétés anonymes étrangères. International Law Association, XXVII, Conférence 1912, page 379). Enfin dans les affaires M. Murdo (arbitrage entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, d’une part, et le Portugal, d’autre part) et « El Triunfo Co., Ltd. » (arbitrage entre les Etats-Unis et le Salvador), on a vu que les sentences ont dévié de la doctrine acceptée dans le cas Antioquia (voir Moo r e , Arbitrations II, pages 1865-1899 ; Digest, VI, pages 647-651). Il s’agissait, dans ces cas, de concessions injustement révoquées ou de manœuvres frauduleuses (une faillite fictive) ; de même les sociétés à l’égard desquelles la protection ne pourrait pas être invoquée ont transféré leurs droits aux sociétés nationales.

E tan t donné l’enchevêtrement des droits individuels et collectifs dans les cas où la protec­tion est invoquée, il est parfois difficile de déterminer les limites dans lesquelles la protection diplomatique peut être considérée comme légitime et relevant de la compétence de l’E tat ayant juste titre au droit d’intervention. Si l’on affirme que les sociétés ne peuvent être qualifiées comme revêtues du caractère national réel et si l’on y substitue la notion simple du domicile, on pourrait croire que la notion particulière de protection serait inapplicable ; on rejetterait donc la construction subtile des droits collectifs autonomes, qui autoriserait une intervention indépendante de la protection des droits individuels ; et ce n’est qu’en tenant compte de la nationalité des associés qu’on baserait sur eux le droit de la protection. Ce serait donc un abus de parler de ce droit en considérant qu’il s’étend à la collectivité qui peut être étrangère, même si tous les associés sont des ressortissants propres (voir P il l e t , Traité, IL page 782). A l’occasion de la jurisprudence arbitrale qui se prononça maintes fois pour l’ap­plication simple et pure de ce droit, d e L a pr a d e l l e et P olitis ont soulevé des doutes très sérieux en soutenant la thèse qu’il serait difficile, à l’égard de cette protection, de tenir compte

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d’une personnalité morale, création abstraite du droit, dérobant sous le paravent d ’une n a t io n a l i té théorique la nationalité réelle des personnes vivantes. Par conséquent, on veut su b s t i tu e r à la protection diplomatique proprement dite la protection législative concernant ]e d ro i t à l’accès aux tribunaux, aux droits civils, à l ’application des lois nationales, etc. (voir Recueil, II, pages 590-592).

Est-ce que cette substitution n’est pas apparente et ne cache-t-elle pas un simple jeu de m ots ?

Si une société nationale reconnue et admise aux opérations dans un pays étranger éprouve un dommage de la part de ce pays ou de ses ressortissants et ne trouve pas une satisfaction à ses revendications légitimes (par exemple déni de justice), est-ce que l’E ta t dont elle relève n’est pas autorisé à intervenir ? Si elle souffre de chicanes, si on lui applique un traitem ent discriminatoire, est-ce que l’E ta t dont elle relève doit rester tranquille, sans s’émouvoir et sans faire valoir des droits qui lui sont réservés en vertu des traités en vigueur, de ce chef unique que la société est une création abstraite de droit ?

Quelle serait en réalité, la différence entre la protection législative et la protection diplo­matique ? Elle échapperait à une qualification à formuler d’une manière stricte et claire.

Nous ne voulons pas nier qu’en acceptant l’analogie de la protection diplomatique à l’égard des personnes physiques avec celle des personnes morales, nous n ’échappons pas à quelques difficultés de construction théorétique et d ’application pratique. C’est notamment le cas quand il s’agit de sociétés de personnes dont la personnalité juridique n’est pas reconnue par quelques législations. Il serait étrange de voir une société en nom collectif, ne jouissant pas d’après la loi de sa constitution d’une personnalité indépendante, invoquer la protection de l’E ta t dont elle relève, si elle se compose de citoyens de l’E ta t dans le territoire duquel elle fait des opé­rations et contre lequel elle a recours à l’aide et à l’assistance diplomatique en raison des mesures jugées par elle comme injustes et vexatoires. De même la situation serait identique dans les cas où ladite société jouirait de la personnalité civile, étan t donné que l’activité du groupement ne serait, en réalité, qu’un reflet fidèle des activités individuelles.

En vue des difficultés de construction qui se présentent dans les cas de la nationalité des associés non conforme à la nationalité du groupement, la pratique est hésitante.

Dans l ’affaire Ruden et Cle, tranchée par la Commission m ixte américo-péruvienne (Commission m ixte de Lima, convention du 4 décembre 1868), la Commission a jugé qu’elle est incompétente pour statuer sur les demandes de la société en nom collectif qui, constituée et domiciliée au Pérou, relève de la législation de ce pays ; elle ne peut se prononcer que sur les réclamations d’un des associés de nationalité américaine (voir d e Lapradelle et P olitis, Recueil, II, pages 588 et suivantes ; Voir de même l’affaire L.S. Hargous v. Mexico, Moore, Arbitrations, III, pages 2327 et suivantes). On a fait remarquer que l ’arbitre, en accueillant la demande d’un associé américain d’une société péruvienne, a écarté la conception abstraite de la personnalité de la société pour ne plus voir que la personne réelle de l ’associé (/. c., page 592). Des difficultés pouvaient se produire, si la société était américaine et que tous les associés jouissaient de la nationalité péruvienne. C’est pourquoi on est peu favorable à l ’extension de la protection diplomatique aux sociétés de personnes (voir Moore, Digest, VI, pages 640, 641).

On n’a pas vu la question tranchée par la sentence arbitrale rendue dans l’affaire Cane- varo (arrêt du 3 mai 1912), où le conflit proprement dit ne se présenta pas. Le tribunal, en établissant que la société « José Canevaro y Hijos » était péruvienne à un double titre (par son siège social et par la nationalité de tous ses membres), n ’avait pas besoin de trancher une question controversée ; la simple constatation lui sembla suffisante. Mais il faut observer que quoique cette société f û t douée, d ’après la loi péruvienne, d’une personnalité distincte, le tribunal insista sur la nationalité des associés et l’accentua expressément. Il ne s’expliqua pas sur le cas où la nationalité des associés ne serait pas conforme à la nationalité du grou­pement.

Faudrait-il faire adopter des règles expresses pour ces cas spéciaux, en tranchant les difficultés qui s’élèvent en vue des différences entre la nationalité des associés et la nationalité du groupement ? Voudrait-on admettre que la protection ne serait licite que dans la situation où l’on pourrait constater la conformité de deux nationalités ou au moins la prépondérance des droits et des intérêts des associés d ’une nationalité identique à celle de la société en question ? Ce serait le retour aux critères rejetés par la théorie et la pratique, quant à la détermination de la nationalité d’une société de personnes d’après la nationalité des associés ou de leur majorité. Une fois qu’on se décide à déterminer la nationalité par voie de règlement in te rna tiona l, les distinctions à faire entre les sociétés de personnes et de capitaux doivent être éliminées. Néanmoins, l’E ta t dont la protection est invoquée n’est pas obligé de donner suite à une demande soulevée : les questions s’y rattachant ne limitent pas les pouvoirs de l’E ta t . Si une société de personnes ne se compose pas de ses ressortissants ou s’il a raison de supposer que des intérêts sérieux ne sont pas en jeu, il serait toujours libre de refuser l’inter­vention. Dans les cas de sociétés de capitaux, il serait de même possible de faire une distinc­tion entre l’intérêt collectif de la société et les intérêts individuels des associés, une méthode qui ne serait pas généralement à appliquer dans les cas de protection des sociétés de personnes. En outre, la détermination de l’E ta t auquel appartiendrait la protection se rapporte à la fixation des droits de l’E ta t y relatifs envers les autres E tats et ne concerne guère le rapport entre l’E ta t et la société invoquant la protection, ce rapport n’étant pas susceptible, par sa nature même, de règlement international. C’est pourquoi nous nous prononçons pour la fixa­tion d’une règle générale, sans y faire des distinctions entre les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux.

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IV. Co n c l u sio n s .

Les principes exposés ci-dessus doivent être considérés comme pouvant servir de base à l’élaboration de règles sur lesquelles se fonderait une codification future et qui pourraient être incorporées dans des conventions internationales. Nous laissons suivre ces règles :

1.

Les E ta ts parties à la convention sont d ’accord que la nationalité des sociétés de com­merce est à déterminer par la loi d’une des Parties contractantes à laquelle a été soumise leur constitution et par le siège social réel établi dans le territoire de l’E ta t de leur cons­titution.

2 .La détermination de la nationalité ainsi conçue ne porte aucune atteinte à la liberté

des E tats contractants de statuer sur les conditions formelles et matérielles auxquelles serait soumise la constitution des sociétés de commerce, ces règles dépendant entièrement de la législation territoriale.

3.

Dans les rapports entre les Parties contractantes, la qualification juridique du siège social se déterminera d ’après les dispositions de la législation territoriale dont relève la constitution de la société.

Toutefois, le siège statutaire devant se rattacher au territoire de la constitution de société, les Parties contractantes auront la liberté de qualifier un siège social comme fictif et artificiel, si le rattachement avec le territoire d’un E ta t contractant ou d’un E ta t tiers est établi frauduleusement p o u r . éluder^les dispositions impératives de la législation compé­tente ou si le siège réel et effectif ne se trouve pas dans le pays de la constitution.

La déchéance de la nationalité du chef d ’un siège fictif et artificiel ordonnée par un des Etats contractants sera reconnue par les autres E tats contractants. Les effets juridiques de cette déchéance seront déterminés d ’après les dispositions en vigueur dans les E tats contrac­tants dont les tribunaux et les autorités administratives seront saisies en vue du règlement des sanctions s’y rattachant.

4.

Le critère de la nationalité de sociétés de commerce déterminé d’après les dispositions de cette convention s’appliquera à leurs succursales, agences, établissements subsidiaires et auxiliaires ne jouissant pas d ’une existence autonome ou indépendante, même si elles sont situées en dehors de l’E ta t d’origine de la société principale.

5.

Le changement volontaire de la nationalité des sociétés de commerce doit être reconnu dans les rapports entre les parties contractantes s’il est conforme aux dispositions de la loi de leur constitution et si par le transfert réel de leur siège social elles acquièrent une nouvelle nationalité en s’adaptant à la législation dont elles relèveront désormais.

6.Le droit de protection diplomatique et d’intervention en faveur des sociétés de commerce

appartient à l’E ta t dont elles sont ressortissantes conformément aux dispositions de cette Convention.

7 .

Si une société de commerce de quelque manière que ce soit renonce à invoquer la protec­tion diplomatique de l’E ta t dont elle relève, cette renonciation ne porte aucune atteinte aux pouvoirs y relatifs de l’E ta t protecteur.

8 .

Les dispositions précédentes se rapportent aux sociétés de commerce quelles que soient leurs formes juridiques admises par la législation territoriale.

Toutefois, les Parties contractantes se réservent expressément le droit d’excepter l’appli­cation des règles ci-dessus énoncées aux sociétés de commerce étrangères ne jouissant pas d’une personnalité juridique.

9 * .

Il est entendu que rien n’oblige un E ta t contractant d’appliquer les dispositions précé­dentes aux sociétés de commerce relevant des Etats qui ne sont pas parties à cette convention.Varsovie, le 7 octobre 1 9 2 6 . (Signé) S. R u n d s t e i n ,

Rapporteur.

* Dans les recommandations du Comité économique de la Société des Nations concernant l’octroi de g a r a n t ie s légales, administratives, fiscales et juridiques, nécessaires aux ressortissants, firmes ou sociétés en vue de faciliter la coopération économique entre les peuples (voir H o ijer , Le Pacte de la Société des Nations, 1926, pages 439-441) se trouve la disposition suivante :

« Article 9. — Il est entendu que, dans les présents articles, rien n ’oblige un E ta t à en accorder le bénéfice a une société dont il serait prouvé que le contrôle financier est aux mains de ressortissants d’un E ta t qui n a pas accepté les présentes recommandations, ou dont le siège effectif est situé sur le territoire d ’un tel Etat '

Serait-il nécessaire de ressusciter la notion du « contrôle » ? Il ne nous semblerait pas utile de faire a d m e t t re que, dans le cas de la rétorsion, un E ta t n ’acceptant pas le règlement sur la nationalité, appliquerait Iui- même la notion susvisée.

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T e x t e d e s c o n c lu sio n s m o d if ié e s a la su it e d e s d is c u s s io n s au Co m ité .

1.

Les E tats parties à la convention sont d ’accord que la nationalité des sociétés de com­merce est à déterminer par la loi d ’une des Parties contractantes à laquelle a été soumise leur constitution et par le siège social réel qui ne peut être établi que dans le territoire de l 'E tat de leur constitution.

2 .

La détermination de la nationalité ainsi conçue ne porte aucune atteinte à la liberté des Etats contractants de statuer sur les conditions formelles et matérielles auxquelles serait soumise la constitution des sociétés de commerce, ces règles dépendant entièrement de la législation territoriale.

3.

Dans les rapports entre les Parties contractantes, la qualification juridique du siège social se déterminera d ’après les dispositions de la législation territoriale dont relèvent la constitution et le siège social de la société.

Toutefois, le siège statutaire devant se rattacher au territoire de la constitution de société, les Parties contractantes auront la liberté de qualifier un siège social comme fictif et artificiel, si le rattachement avec le territoire d ’un E ta t contractant ou d’un E ta t tiers est établi frauduleusement pour éluder les dispositions impératives de la législation compé­tente oïl si le siège réel et effectif ne se trouve pas dans le pays de la constitution.

La déchéance de la nationalité du chef d ’un siège fictif et artificiel sera reconnue par chaque E ta t signataire en tan t que, dans les relations entre eux, les jugements rendus seront réciproquement reconnus et exécutés.

4.

Succursales, agences, établissements subsidiaires et auxiliaires ne jouissant pas d ’une existence autonome ou indépendante, même si elles sont situées en dehors de l’E ta t d’origine de la société principale, ont la même nationalité que celle-ci.

5.

(supprimé).

6.

Le droit de protection diplomatique et d ’intervention en faveur des sociétés de commerce appartient à l’E ta t dont elles sont ressortissantes conformément aux dispositions de cette Convention.

7.

Si une société de commerce de quelque manière que ce soit renonce à invoquer la protec­tion diplomatique de l’E ta t dont elle relève, cette renonciation ne porte aucune atteinte aüx pouvoirs y relatifs de l ’E ta t protecteur.

8 .

Les dispositions précédentes se rapportent aux sociétés de commerce quelles que soient leurs formes juridiques admises par la législation territoriale.

9.

(supprimé).

20 —

OBSERVATIONS DE M. SCHÜCKING

SUR LE RAPPORT DE M. R u NDSTEIN

I. Tout en me ralliant aux principes exposés par M. Rundstein dans son excellent rapport sur les règles internationales applicables à la nationalité des sociétés de commerce et au droit de protection diplomatique à leur égard et en acceptant en général ses conclu- sions, je me permets de présenter quelques observations concernant certaines règles «sur lesquelles se fonderait une codification future et qui pourraient être incorporées dans des conventions internationales ».

II. Ad Article premier (voir rapport, p. 16). — En acceptant la théorie de M. Pillet, M. Rundstein pose la règle générale que la nationalité des sociétés de commerce se détermine d ’après la loi de leur constitution et d’après le siège social réel dont la qualification juridique est soumise à la loi susmentionnée de leur formation. Je me rallie sans restriction à ces critères projetés qui ne restreignent la liberté des E tats que pour la détermination du siège social. Celui-ci ne peut être constitué qu’au lieu où ce siège devrait être nécessairement situé (voir art. 3). Tout en partageant la conception et la conclusion du rapporteur, je me permets de faire observer que l’un des deux critères acceptés, c’est-à-dire la notion du « siège social réel », a besoin d’être interprété par le droit national en question.

Le siège social réel se trouve, selon l’opinion unanime, en doctrine et en jurisprudence, au siège de l’administration de la société de commerce. Si les organes administrateurs d’une société sont situés dans le même pays, il n ’y a pas de difficulté pour déterminer la nationalité de la société en question. Des controverses ne peuvent surgir que dans les cas, d ’ailleurs assez fréquents, dans lesquels les organes importants de la société se trouvent en pays différents. Il se peut, par exemple, comme l’observe judicieusement Ernst I s a y dans son étude sur la nationalité de la personne morale (Die Staatsangehôrigkeit der juristischen Person, pages 105 et ss.), que le conseil de surveillance et l’assemblée générale des actionnaires, dans une société anonyme, siègent dans des pays différents. Selon l’opinion courante, on admet souvent pour ces cas que la société dispose de plusieurs « sièges socials réels ». Mais on a généralement peur d ’en tirer les conséquences en ce qui concerne la nationalité de la société. Du fait qu’on accepte qu’il y ait plusieurs sièges sociaux du chef que les organes de société siègent dans des pays différents, on ne peut pas conclure que la société dispose de plusieurs natio­nalités. Selon les auteurs et la jurisprudence, la nationalité se détermine d ’après le siège social réel où les affaires d’administration les plus importantes sont réglées. En effet, on ne reconnaît donc pour ces questions un rapport avec la nationalité qu’en ce qui concerne l’existence d’un siège social réel et effectif (cp. M a r b u r g , Staatsangehôrigkeit und feindlicher Character juristischer Personen. Vôlkerrechtliche Monographien hrsg. von Schücking, Strupp und Wehberg, Heft 7, pages 27 et ss.). La convention proposée par M. Rundstein, qui cherche à exclure la double nationalité, est donc en concordance avec la doctrine et la jurisprudence qui ne reconnaît qu’un siège social et effectif pour la réglementation en con­nexion avec la nationalité.

M. Rundstein a très bien prévu la difficulté qui s’oppose à une détermination nette et toujours égale de la notion « siège social et effectif » par le droit international. Selon l’opinion de l’éminent rapporteur, la qualification juridique du siège social se détermine d ’après les dispositions de la législation territoriale dont relève la constitution de la société. Il est donc donné un pouvoir discrétionnaire à chaque E ta t pour déterminer par sa propre législation et jurisprudence la notion « siège social effectif » pour les cas dans lesquels la constitution de la société relève de sa propre législation territoriale. Dans tous les autres cas, l’E ta t susvisé est tenu à reconnaître la définition donnée par l’E ta t dans lequel la société a été constituée. Il va sans dire que cette solution, admise par une convention internationale, ne pourrait pas être écartée par une clause quelconque d ’ordre public en vigueur dans un des E tats signataires de la Convention.

En généra], la détermination de la notion « siège social effectif » ne se prête donc pas à des conflits de lois, si on accepte la solution prévue par le projet de M. Rundstein. Mais il se peut quand même que des difficultés surgissent. Les cas mentionnés dans la bibliographie juridique ne sont pas rares qui démontrent que la notion « siège social effectif » doit être interprétée par la jurisprudence nationale et internationale. I s a y (op. cit.) et M a m e l o k (Die Staatsangehôrigkeit der juristischen Person) citent le cas, bien connu dans la pratique du droit commercial, que le Conseil de surveillance ou le Comité administratif d ’une société anonyme siègent dans le pays A, tandis que l’Assemblée générale est convoquée dans le pays B. Naturellement, un conflit de lois ne peut surgir, selon le projet de M. Rundstein, que s’il y a en même temps double constitution de la société anonyme dans les deux pays où est convoquée l’Assemblée générale et où le Conseil de surveillance ou le C om ité administratif siège. Selon l’opinion dominante qui nous semble justifiée par le motif que le « siège social effectif » devrait se trouver au lieu du centre permanent d ’administration, le « siège social effectif » se détermine d’après le siège social du Conseil de surveillance ou du Comité administratif.

Une opinion qui permet d’admettre que la jurisprudence internationale p o u r r a i t s’engager dans une autre voie est exprimée dans l’arrêt N° 7 de la Cour permanente de Justice internationale. Bien que cet arrêt se rapporte à la question de savoir à quel lieu

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je « contrôle » d ’une société anonyme s’effectue, il est bien possible, d ’après les motifs de cet a r r ê t , que les mêmes raisons soient invoquées pour le siège social effectif comme pour le c o n t rô le . La Cour s’exprime de l a manière suivante (p. 69) :

« Les deux organes de la société qui, selon les thèses opposées des parties, entrent en ligne de compte pour le contrôle sont : le Conseil de surveillance et l’Assemblée des actionnaires. En effet, l’un et l’autre de ces organes peuvent, selon les circonstances, exercer une influence décisive. Toutefois, il convient de tenir compte en première ligne des actionnaires, car ce sont eux qui, d’après le droit allemand, aussi bien que sous le régime d ’autres législations, exercent, réunis en . assemblée générale, le pouvoir suprême de la société. C’est de l’assemblée générale, organe constituant, qu’émanent directement les pouvoirs du conseil et, directement ou indirectement, ceux de la direction. »

Je ne crois pas devoir exagérer l’importance de cette controverse, vu que, d’après le projet de M. Rundstein, il est entendu que chaque E ta t a la liberté de déterminer le contenu de la notion « siège social effectif » d ’après sa propre conception législative ou juridictionnelle. Naturellement, il se peut bien qu’une « société de commerce » qui repré­sente une unité économique soit considérée par les deux E tats dans lesquels elle a été constituée comme propre ressortissante, vu que le critérium formel du siège social effectif est différent dans les deux Etats. Bien que cette société soit matériellement une « unité économique », elle doit alors être considérée formellement comme deux sociétés établies en différents pays. Pour le tiers E tat, la difficulté est de savoir à laquelle des deux sociétés, qui représentent une unité économique, il doit imputer un acte. Souvent, la notion de siège social effectif, tel qu’il est établi dans le tiers E tat, indiquera à quel lieu et dans quel pays il doit considérer situé le siège social effectif d ’une société commerciale étrangère qui est soumise, au point de vue juridique, à sa propre législation ou juridiction.

Il y a encore d ’autres possibilités à envisager, mais elles ne donnent pas lieu à des difficultés de fond. Il se peut, par exemple, que des sociétés de commerce soient dirigées par des comités administratifs dans différents pays, par une assemblée des actionnaires et soient constituées en même temps en différents pays. C’est le cas, si je suis bien renseigné, de la Banque Ottomane, dont un des deux comités administratifs se trouve en Angleterre, l’autre en France. Une interprétation correcte conduirait au résultat qu’il s’agit de deux sociétés de commerce avec une assemblée d’actionnaires identique. Les résolutions prises à cette assemblée d ’actionnaires sont des résolutions identiques pour les deux sociétés de commerce qui sont établies en différents pays.

Si l’article 187 du Code commercial du Portugal admet que les membres d ’une société anonyme établie dans un pays dans lequel l’assemblée générale ne siège pas peuvent convo­quer des assemblées particulières de membres, un conflit de nationalité, comme le pense11. Isay (op. cit.) ne se posera pas. Le centre d ’administration de la société de commerce en son ensemble n ’est pas atte in t par cette disposition d ’ordre uniquement nationale.

S’il y a des difficultés qui ne sont pas complètement résolues par la formule rédigée, la jurisprudence nationale et internationale appliquera et interprétera la notion « siège social réel établi » dans un sens qui permettra peut-être d ’espérer une application et une interprétation uniformes. L ’absence d ’un droit commercial international ne permet mal­heureusement pas l’admission d ’une formule plus nette dans une convention internationale sur la nationalité des sociétés.

Dans d ’autres domaines du droit se trouvent des obstacles analogues pour une inter­prétation et une application uniformes d ’une règle de droit internationale devant protéger les intérêts internationalement reconnus. Par exemple, selon le droit des gens coutumier, chaque E ta t reconnu a un droit au pavillon. Toutefois, les législations et jurisprudences nationales ne peuvent pas être restreintes par le principe posé en droit international et tendant à créer des règles de droit qui témoignent d ’une application et interprétation non uniforme du principe émis par le droit international (voir L a b a n d , Das Staatsrecht des Deutschen Reiches, 5 Aufl., Bd. 3, pages 265 et ss.).

Ad Article 2. — En ce qui concerne la pensée émise par le rapporteur dans l’article 2, je me permets de présenter la seule observation que, sauf erreur, elle doit être définie de la manière suivante : L ’article 2 ne porte que sur un des deux critères établis dans l’article premier, c’est-à-dire sur la « constitution des sociétés de commerce ». En conséquence, on doit conclure qu’il ne peut y avoir atteinte ou dérogation de ce chef vis-à-vis de l’autre critère émis dans l’article premier (siège social réel), qui reste comme critère matériel obligatoire, bien que les E ta ts contractants auront toute liberté pour statuer sur les condi­tions formelles et matérielles desquelles dépendrait la constitution des sociétés de commerce. Cette interprétation de l’article 2 est d ’ailleurs en concordance avec la disposition de l’alinéa 2 de l’article 3, qui n ’est d ’ailleurs que la conséquence du critère « siège social réel » prévu dans l’article premier. Dans l’alinéa 2 de l’article 3, il est question de la qualifi­cation d’un siège social comme fictif et artificiel. Dans ce dernier cas seulement, les Etats ont la liberté de faire abstraction du critère matériel obligatoire tel qu’il a été interprété Par la législation et la jurisprudence d’une des parties contractantes.

Ad Article 3. — Bien que je puisse approuver pleinement les alinéas 1 et 2 de l’article 3, je me vois obligé de formuler des réserves en ce qui concerne le principe émis dans l’alinéa 3. Cette disposition a une portée extrêmement vaste, en ce sens qu’elle permet à chaque E ta t

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d ’ordonner la déchéance de la nationalité parce qu’une société prétend être rattachée à un E ta t particulier ; la disposition a, en outre, pour effet juridique que la déchéance doit être reconnue par tou t autre E ta t contractant, même par l’E ta t dont la société est considérée comme ayan t sa propre nationalité. Certainement, une disposition qui permet à chaque Etat d ’ordonner la déchéance de la nationalité du chef de la prétention d ’un siège fictif et artificiel pour son propre domaine semble tout à fait en concordance avec une des conceptions fondamentales du droit des gens : l’autonomie législative et administrative de chaque E ta t D ’autre part, une disposition qui ordonne la déchéance de la nationalité dans tous les E ta ts contractants peut être justifiée, si elle est commandée par l’E ta t auquel la société en vue prétend avoir soumis sa constitution et rattaché son siège social réel, ou par l ’E ta t auquel n ’a pas été soumise sa constitution et auquel la société prétend être rattachée par son siège social réel.

La conception juridique selon laquelle la déchéance de la nationalité dans tous les E ta ts contractants peut être ordonnée, si elle est commandée par l’E ta t auquel la société prétend avoir soumis sa constitution et rattaché son siège social réel, fu t acceptée par différentes jurisprudences nationales, lors de la nationalisation des sociétés commerciales en Russie. P ar exemple, arrêt du tribunal de la Seine du 12 mai 1925 (Comp. d ’assurances réunies l’Union et « Le Phéass espagnol » c. Swerinoje Strachowoje Obschtestwo) ; arrêt du Tribunal fédéral suisse du 10 décembre 1924 (Banque internationale commerciale de Pétrograd c. Hausner). (Voir sur l’argument W o h l , Die Nationalisierung der Bankak- tiengesellschajten in Sowjetrussland und ihre Rechiswirkung im Ausland. Ostrecht, T. I, pages 26 et ss.)

La disposition contenue dans l’article 3 du projet permet, comme je viens de le dire, une application trop large du pouvoir discrétionnaire de chaque E ta t d’ordonner la déchéance de nationalité des sociétés de commerce. Chaque E ta t pourrait obliger, d’après le texte du projet, tous les autres E tats contractants de reconnaître la déchéance ordonnée. D ’ailleurs, le texte donne lieu à des divergences de vue sur les conséquences d ’une déchéance. Est-ce que la déchéance ordonnée aura pour conséquence qu’elle sera reconnue simplement comme avenue dans le domaine de l’E ta t qui l’a ordonnée ou est-ce que ses effets juridiques auront nécessairement comme résultat une annulation complète de la société commerciale? Vu que les conséquences juridiques de la res judicata prononcée par les tribunaux administratifs et civils en droit administratif international et droit de procédure interna­tional ne sont pas unanimement réglées par le droit international, il dépendra de chaque législation et jurisprudence nationale de tirer des conséquences juridiques d ’un arrêt étranger prononçant la déchéance de la nationalité du chef d ’un siège fictif et artificiel. Les jurisprudences nationales accordent des effets très variés à la reconnaissance de la chose jugée dans un pays étranger et donnent F exequatur d ’un arrêt étranger dans des conditions très variables (Voir, par exemple, A. C a v a g l i e r i , La cosa giudicata e le questioni di stato. Padova 1909). Pour arriver à un résultat uniforme dans tous les pays signataires de la convention sur la réglementation internationale de la nationalité de la société commerciale, il serait indispensable que le « Projet d ’une Convention relative à la recon­naissance et l ’exécution de décisions judiciaires », qui a été élaboré comme modèle de « traité-type » à la cinquième Conférence de La Haye de droit international privé (1925) entrât en vigueur dans lesdits pays (Voir Actes, pages 97 et ss. Documents, pages 459 et ss.).

Je me prononce pour une importante restriction de la règle émise par l’éminent rapporteur dans l’alinéa 3 de l’article 3. J ’estime que la déchéance de la nationalité ne doit avoir un caractère constitutif pour les autres parties contractantes et ne devra être « reconnue » par elles que si la déchéance est commandée par l’E ta t auquel a été soumise sa constitution et auquel la société prétend être rattachée par son siège social réel ou par l ’E ta t auquel n ’a pas été soumise sa constitution et auquel la société prétend être rattachée par son siège social réel.

Cette réglementation prévoit très bien le cas selon lequel un jugement étranger ne se tient pas dans les limites admises par la convention. Dans ce cas, le jugement étranger ne doit pas être reconnu dans d ’autres Etats. Selon l’article 1, alinéas 1 et 2 du projet du texte de la convention, « l’autorité des décisions judiciaires... sera reconnue dans l’autre E tat... que, pour le litige en question, les règles de compétence judiciaire internationales, admises par le droit de l’E ta t dans lequel la décision est invoquée, n ’excluent pas la juridiction de l’autre E ta t ; que la reconnaissance de la décision ne soit pas contraire à l’ordre public ou aux principes du droit public de l’E ta t où la décision est invoquée ».

En même temps, j ’exprime le vœu qu’il soit créé une pratique internationale et uniforme que les E tats signent la convention concernant la reconnaissance et l’exécution de décisions judiciaires. Cela est nécessaire s’ils veulent réglementer au point de vue international les effets de la reconnaissance d ’un siège effectif et la déchéance d ’un siège artificiel et fictif d ’une société commerciale étrangère.

Ad Article 7. — En ce qui concerne l’article 7, je me permets de faire observer que cet article ne contient que l’expression d ’une règle unanimement admise dans la doctrine du droit des gens. L ’exercice du droit de protection diplomatique étant l’expression du pouvoir discrétionnaire de l’E tat, elle ne peut être limitée par la volonté d’une p e r s o n n a l i t é tierce qui n ’est pas sujet de droit en droit international.

Cette règle de droit est même applicable à la personnalité au profit de laquelle un droit de protection doit être exercé. I l ne serait donc pas nécessaire de consacrer un principe d’u n ordre si universel dans une convention qui n ’a pas pour objet de r é g l e m e n t e r

le droit de protection diplomatique en général, si, dans la pratique, des difficultés ne s’é t a i e n t pas élevées, comme le démontre l’éminent rapporteur aux pages 13 et suivantes. Vu ces difficultés, il serait peut-être utile d ’insérer l ’article 7 dans une convention future.

Ad Article 8. — La disposition contenue dans l’alinéa 2 de l’article 8 me semble être une restriction du principe émis dans l’alinéa 1 de l’article 8. Pouvant réserver l’application des règles se rapportant aux sociétés de commerce étrangères aux sociétés de commerce jo u is san t d’une personnalité juridique, les E tats qui ne connaissent dans leurs législations que des sociétés de commerce jouissant de la personnalité juridique seront mieux protégés par la convention que les E ta ts qui adm ettent dans leurs législations des sociétés commer­ciales qui n’ont pas le caractère de personnalité juridique. La conception exprimée dans l'alinéa 2 de l’article 8 est, en outre, en contradiction avec les tendances de la doctrine et de la jurisprudence moderne en droit commercial qui cherchent à appliquer des règles aussi uniformes que possible à toutes les sociétés de commerce. (Voir, à cet effet, spéciale­m ent W i e l a n d , Handelsrecht, page 434 : « Die Bezeichnung Handelsgesellschaft » ist nicht ein blosser Sammelname, sondern begriffficher Mittelpunkt sàmtlicher unter diesem Ausdrucke zusammengefasster Vereinigungen zum Zwecke gemeinsamen Handelsgewerbebetriebes. ») Je me prononce donc pour la suppression de l’alinéa 2 de l’article 8.

L’alinéa 2 de l’article 8 n ’est d ’ailleurs nullement justifié par le rapporteur lui-même. Dans l’exposé, page 10, il rejette tous les critères tendant à déterminer la nationalité des personnes par la nationalité des associés. Je ne crois pas non plus utile de distinguer, dans une convention qui a pour bu t de formuler des règles internationales concernant la nationalité des sociétés de commerce et non des personnes morales, entre personnes morales et autres sociétés de commerce. Il faut les concevoir sous un angle unique.

Ad Article 9. —- Vu que la future convention n’aura force obligatoire qu’entre les parties contractantes, je ne crois pas nécessaire et utile qu’une disposition spéciale y soit insérée qui exprime explicitement que la convention n ’aura pas d ’effets vis-à-vis des sociétés de commerce relevant des E tats qui n ’y sont pas partie.

(Signé) S c h ü c k i n g .

REMARQUES DE M. RUNDSTEIN SUR LES OBSERVATIONS DE M. SCHÜCKING.

Si je désire faire quelques remarques sur les observations de M. Schücking, c’est premièrement pour exprimer mes remerciements les plus sincères à l’éminent membre de notre Sous-Commission, dont la critique lucide et profonde a grandement contribué à l’éclaircissement des controverses difficiles à résoudre. E t deuxièmement, en parlant pro domo, je voudrais moi-même élucider quelques thèses de mon rapport qui pourraient donner occasion à des malentendus et à des interprétations se prêtant aux doutes.

1. Le cas de plusieurs sièges sociaux ou de pluralité d’organes (dédoublement du conseil d'administration sous forme de « comités administratifs ») reste — selon mon avis — sans aucune influence sur le fondement du critère principal de la nationalité (article 1 du projet). M. Schücking a fait observer avec juste raison que, du fait qu’on accepte plusieurs sièges sociaux, on ne conclut pas que la société dispose de plusieurs nationalités. Le danger d ’un tel conflit n ’existant point, je crois que le critère liant la loi de la constitution avec le siège réel établi dans le territoire de l’E ta t de la constitution ferait éliminer l’application d’une loi non conforme à la qualification susvisée ; les sièges « supplémentaires » seront subordonnés au siège principal (Cf. les observations de M. H a t s c h e k , Vôlkerrecht, 1923, pages 217, 218 : « Massgebend ist also der Gesichtspunkt, ob das Gründungstatut die Zugehôrigkeit der Juristischen Person zu einem Staate dadurch bestimmt, dass es den Sitz der juristischen Person bestimmt »).

Certainement, la théorie acceptée maintes fois par la théorie et jurisprudence française sur le « domicile élu » d ’une société commerciale ne pourrait pas être reconnue comme raisonnable (voir les affaires de la « West Canadian Collieries Ltd », Tribunal de Commerce de Lille du 21 mai 1908, et de « La Huelva Central Copper Mining C° », arrêt de la Cour de Cassation du 6 juillet 1914. Cf. Su r v il l e , Cours élémentaire de droit international privé, 1925, page 724). Un règlement international ne pourrait pas approuver la thèse jurisprudentielle d’après laquelle la soumission sous une loi déterminée donnerait néanmoins droit au choix du siège qui ne serait pas constitué dans le territoire de l’E ta t dont la société en question dépend dès son origine et dès sa constitution.

Je ne veux pas contester la possibilité de quelques formes « pathologiques » : par exemple, la Grande Compagnie de Suez a une nationalité autre que celle du pays suivant la législation duquel elle s’est constituée ; la Banque d ’E ta t de Maroc fut créée en 1906 sous le régime de la loi française, mais son siège social et sa direction ont été établis à Tanger (voir de même le cas de la « Deutsch-Niederlândische Telegraphengesellschaft », C u q , page 26). Mais le régime anormal dans les cas visés ci-dessus résulte des situations exceptionnelles et ce sont souvent des conventions diplomatiques qui donnent sanction à la prépondérance d ’une toi à appliquer — d’une loi qui ne correspond pas à l’harmonie nécessaire de la lex constitu­tions avec le siège réel.

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2. M. le professeur Schücking soulève, dans ses observations lumineuses, des objections très sérieuses et remarquablement documentées sur la rédaction de l’alinéa 3 de l’article 3 de mon projet.

Je veux préalablement remarquer que, selon mon avis, la reconnaissance internationale de la déchéance ne se rapporte qu’à la reconnaissance et la constatation de la « mort » d’une société agissant frauduleusement ; les effets juridiques de cette déchéance sont soumis exclu­sivement à la loi territoriale respective, sans préjuger de la reconnaissance générale de mesures ordonnées par les autorités compétentes.

Je suis d ’accord avec M. le professeur Schücking que la question de déchéance est inti­mement liée au problème de la reconnaissance et de l’exécution des décisions judiciaires étrangères ; mais je ne vois pas une contradiction avec le projet de la cinquième Conférence de La Haye (article 1, alinéa 1), si les E tats respectifs, en reconnaissant la compétence d’un d ’eux (bien entendu, uniquement dans le cas d ’un siège fictif et artificiel), reconnaissent de même la déchéance prononcée et ordonnée légalement. Il ne s’agit donc pas d’une exclusion des règles de la compétence judiciaire internationale, car cette compétence est reconnue réciproquement.

La question principale dépend de la solution du problème : est-ce qu’une société de commerce ayant un siège fictif doit être réputée déchue de sa personnalité juridique et par conséquent inexistante : 1° dans le pays d ’origine ? 2° dans le pays au mépris des lois duquel elle a été établie ? 3° dans les E tats tiers ? (voir le questionnaire N ° 5 du Gouvernement des Pays-Bas relatif à un projet de convention concernant les personnes morales étrangères, Documents préliminaires I. Sixième Session de la Conférence de La Haye de droit inter­national privé).

Je suis d ’avis qu’un règlement international ne pourrait pas reconnaître comme suffisant la compétence exclusive du pays d ’origine. Supposons le cas qu’une société soit constituée en Grande-Bretagne pour échapper aux dispositions impératives de la loi française. Son siège à Londres est fictif, en réalité le siège social se trouve à Paris et le conseil d ’administration, composé uniquement de Français, se réunit dans cette même ville. Les tribunaux français reconnaissent que la société — nonobstant la forme « anglaise » -— est en réalité française et ordonnent par conséquent sa liquidation et dissolution (voir le cas de la Société du Moulin Rouge à Paris, P illet- N ib o y e t , page 304).

Pourrait-on admettre que ladite société dût exister quand même en Angleterre et que la déchéance « française » resterait sans aucun effet juridique en dehors du territoire français, si l’arrêt du tribunal français constate les agissements frauduleux et prononce la nullité dont la conséquence immédiate est la dissolution d’un corps moral, c’est-à-dire la déchéance de sa personnalité juridique? La société respective ne possédait à Londres aucun patrimoine, elle ne possédait même pas de bureaux (un siège administratif sensu stricto) et son siège social était en réalité le bureau d ’un « solicitor » bienveillant qui lui a accordé son hospitalité bien suspecte. Est-ce qu’uniquement la décision des autorités anglaises quant à la déchéance pourrait prétendre à une reconnaissance exclusive et générale ? Est-ce que l’intérêt de l’E ta t où la société agit réellement et veut exister comme telle (malgré sa forme étrangère) ne doit pas prévaloir ? La décision des autorités d’un tel E ta t doit-elle avoir un caractère strictement territorial ? Voilà le problème principal, dont s’ensuit l’importance des solutions qui pourraient être prises en cette matière par notre Comité.

Certainement, comparaison n ’est pas toujours raison : si je me permets d ’attirer l’at­tention sur les dispositions du projet d’une convention élaboré par l’Institut de droit international sur la condition juridique des associations internationales (Annuaire, tome XXX, pages 385 et suivantes), dont l’article 18 se rapporte à la question de la déchéance, je fais cela avec la réserve sous-entendue que la situation juridique n’est pas analogue et que la déchéance dans le cas de l’article 18 ne concerne pas le fraus legis.

3. En ce qui concerne l’alinéa 2 de l’article 8 de mon projet, je suis d ’avis qu’une réserve y mentionnée serait utile. Certains E tats pourraient demander que la nationalité des sociétés non douées de la personnalité juridique fût traitée différemment ; il peut s’agir, par exemple, de la question d’acquision d’immeubles.