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Conseil fédératif A1314-CF-058 Échange Analyse de la conjoncture

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Conseil fédératif A1314-CF-058Échange

Analyse de la conjoncture

Alain Marois, Wilfried Cordeau 11, 12 et 13 décembre 2013

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Note liminaire

L’analyse de la conjoncture se veut un exercice de synthèse visant à établir des liens cohérents et pertinents entre des facteurs et éléments ponctuels, historiques ou d’actualité aux fins d’éclairer les instances et les acteurs décisionnels appropriés dans leurs actions et leurs décisions stratégiques. Elle doit permettre à la Fédération de se positionner et d’agir de manière optimale dans un contexte ou une période donnés, en connaissance de cause.

Par conséquent, l’analyse conjoncturelle ne tient pas lieu de plan d’action, mais doit permettre plutôt à la Fédération de porter un regard critique sur le discours et les gestes des principaux acteurs politiques et sociaux, ainsi que sur les événements qui caractérisent l’environnement dans lequel elle est appelée à évoluer et se développer.

Dans un souci de cohérence, ce regard critique prend appui sur les positions et analyses existantes de la Fédération, dont sa Déclaration de principes.

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1. Introduction : un triennat de défis

Le mandat triennal qui s’ouvre promet d’être dynamique. Déjà riche en projets d’après les mandats confiés par le Ve Congrès, il sera certainement jalonné de surprises qui ne manqueront pas de placer la Fédération devant de nouveaux défis, et de la faire grandir encore.

Se projeter sur un horizon de trois années est un exercice bien délicat, mais nécessaire. Même si un triennat peut représenter une éternité dans la vie syndicale, de nombreux indices nous permettent déjà d’anticiper dans quels courants et dans quelle trame de fond la Fédération et ses membres devront relever les grands défis qui les attendent.

D’abord, inévitablement, l’échéance de la convention collective nationale, prévue pour le 31 mars 2015, appellera une grande mobilisation des énergies aux fins de conclure, avec succès, la seconde négociation de la Fédération. À cette grande priorité s’ajouteront la promotion et la défense de l’autonomie professionnelle des enseignantes et enseignants, par lesquelles la Fédération devra continuer de se démarquer. En matière sociopolitique, le triennat sera également riche : d’une part, la Charte des valeurs québécoises donne déjà l’occasion à la Fédération de défendre sa vision de la laïcité, et d’autre part les membres seront appelés à participer à l’élaboration d’une plateforme sociopolitique. Par ailleurs, la vie démocratique ne sera pas en reste, puisqu’en plus des instances régulières et de négociation, une commission itinérante devrait susciter des débats de fond quant à nos pratiques syndicales dès les prochains mois. Enfin, au terme de ce parcours fort rempli, en juin 2016, le VIe Congrès exigera de la Fédération et de ses affiliés de définir de nouvelles orientations politiques et démocratiques pour l’avenir. Il y a donc fort à parier qu’à ce moment-là, les célébrations du 10e anniversaire de la FAE couronneront avec éclat une décennie de dynamisme et d’innovation.

Si la Fédération connaît et maîtrise jusqu’à un certain point son plan de travail, il n’en va cependant pas de même de l’environnement externe dans lequel elle le mettra en œuvre. Toutefois, différents événements prévisibles et plusieurs indicateurs, tendances et courants nous permettent d’identifier les forces externes les plus susceptibles d’influencer et peut-être d’adapter ou de réorganiser notre calendrier de travail, nos actions et nos priorités dans le temps.

L’exercice auquel nous nous livrons ici doit donc nous permettre de déceler, à partir de ces indices, quels éléments sociaux, politiques, syndicaux et économiques garder à l’œil au cours des trois prochaines années afin d’anticiper ces perturbations ou ces opportunités, tout en poursuivant notre mission et nos objectifs syndicaux.

2. Contexte politique et économique : élections et austérité

Depuis une quinzaine d’années, la vie politique provinciale et fédérale nous a presque habitués au cynisme, et la crise financière de 2008 à la morosité. Le manque de ressources, l’atteinte de l’équilibre budgétaire, la priorité au développement économique, le poids de la dette se relaient interminablement comme les mantras d’un mode de fonctionnement politique désormais présenté à la fois comme la normalité et comme une fatalité.

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Il semble donc tout à fait raisonnable de croire que la stagnation économique et l’austérité budgétaire continueront de ponctuer le triennat, et ce, indépendamment de l’issue possible des élections provinciales et fédérales à prévoir dans les deux prochaines années.

a) Scène fédérale   : le spectre de la continuité

Malgré la récente prorogation de la Chambre des communes, le gouvernement conservateur semble déterminé à poursuivre sur sa lancée. Bien que son bilan social et démocratique ne cesse de se détériorer, il ne déroge pas de sa trajectoire idéologique.

Sur le plan économique, l’austérité demeure l’approche privilégiée pour déployer le plan conservateur en matière de services publics et de programmes sociaux, fondé sur la décentralisation, la privatisation ou le démantèlement de fonctions importantes, comme le cas emblématique de Postes Canada1 en fait foi. D’ailleurs, dans cet esprit, il y aura lieu de surveiller les conséquences sur l’emploi et les services publics de la signature récente d’un accord de libre-échange avec l’Union européenne, dont la portée est encore incertaine puisque son texte a été négocié en secret. Au chapitre des droits sociaux et démocratiques, le nouveau discours du trône n’aura pas effacé les projets de lois et les offensives antisyndicales des conservateurs, pas plus qu’il n’aura freiné leur acharnement à vouloir limiter le droit à l’avortement ou empêcher le Québec de sauver son registre des armes d’épaule. Par ailleurs, l’institutionnalisation de l’idéologie conservatrice se poursuit, alors que le financement des organisations non gouvernementales s’articule de plus en plus autour de la mission confessionnelle ou morale de certaines d’entre elles, de même que la liberté de la recherche scientifique gouvernementale est de plus en plus compromise par un musellement idéologique. Bref, il semble que ce pays des droits et libertés continue de s’enfoncer dans le dirigisme d’État au fur et à mesure que les règles démocratiques sont détournées ou instrumentalisées. Et l’image internationale du Canada en prend un coup. Par exemple, de précurseur en matière de protection de l’environnement au tournant du millénaire, le Canada est passé au rang des pays les plus réfractaires sur ce front, comme il l’a encore démontré lors de la Conférence de Varsovie sur les changements climatiques, alors que le dernier rapport du GIEC2 vient pourtant de nous rappeler une nouvelle fois l’urgence d’agir en la matière.

Alors que le Québec, qui demeure la province affichant la plus forte présence syndicale et les plus généreuses couvertures sociales du Canada, semble subir

1 .Depuis 2010, Postes Canada multiplie les licenciements massifs, les fermetures de bureaux et la restructuration des centres de tri, en plus d’accroître la pression sur les facteurs en allongeant les circuits de livraison et les journées de travail. En mars 2013, au nom d’un déficit supposé de 1 G$ d’ici 2020, un rapport du Conference Board proposait de repositionner Postes Canada sur le marché des colis, annonçant une restructuration majeure des fonctions et services, ainsi que des conditions de travail.

2 .Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui relève de l’ONU, a publié le 27 septembre dernier son 5e rapport, établissant que la dégradation du climat était le fait des activités humaines, susceptibles de provoquer un réchauffement allant jusqu’à 5 oC d’ici 2100, et donc des bouleversements météorologiques et écologiques sans précédent dans les prochaines décennies.

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très lourdement les politiques conservatrices, on pourrait se soulager que le règne de Stephen Harper tire à sa fin. Bien qu’encore loin, les élections de 2015 pourraient bien nous réserver quelques surprises. En effet, l’échiquier politique fédéral se redessine tranquillement. Au-delà de ses politiques sociales peu populaires, la crédibilité de Stephen Harper est entachée par le scandale des dépenses du Sénat, et sa ligne de parti semble de plus en plus difficile à tenir face à sa base et à ses députés radicaux. Malgré cela, l’opposition à laquelle il fait face est encore fragile et divisée. Somme toute, bien qu’ils confirment qu’une seconde vague orange sera peu probable, la tendance dans les sondages3 et les résultats des élections partielles du 25 novembre dernier4 laissent à penser que le Nouveau Parti démocratique (NPD) pourrait tout de même conserver une posture appréciable en 2015, si les conservateurs poursuivent leur chute. Quant à lui, le Bloc Québécois peine à placer son message sur la place publique. Son habileté à se réorganiser et à mener la « bataille du Québec » sera garante de sa capacité de survie ou de redevenir une force d’opposition. Certainement, la lutte qu’il disputera influencera de beaucoup la posture de ses adversaires fédéralistes à Ottawa. Enfin, le Parti libéral (PLC) de Justin Trudeau, s’il sort grand vainqueur des élections du 25 novembre et des derniers sondages5, doit encore se réorganiser et s’atteler à la tâche de reconquérir de nombreux châteaux forts à travers tout le Canada, à commencer par le Québec et l’Ontario.

Bref, la lutte électorale qui se jouera en 2015 sera certainement palpitante et remplie de surprises. Cependant, la réorganisation électorale et la division du vote au sein de l’opposition pourraient tout de même profiter encore à Stephen Harper, dont les appuis dans l’Ouest canadien sont plus solides que ceux de ses trois adversaires qui devront se disputer âprement l’Est. Alors que les régionalismes politiques semblent se cristalliser – qui plus est, grâce aux politiques conservatrices elles-mêmes –, il y a fort à parier que c’est encore au Québec et particulièrement en Ontario que se jouera le destin politique du Canada. Il est bien tôt pour dire, cependant, si nous assisterons à un recadrage des intérêts du Québec à Ottawa, ainsi qu’à un repositionnement de la gouverne fédérale vers le centre de l’échiquier politique.

b) Scène provinciale   : le changement dans la continuité?

Inévitablement, la scène provinciale va retenir notre attention. Non seulement parce que c’est là que se situent nos principaux intérêts en matière de conditions de travail, d’éducation et de luttes sociales, mais aussi parce qu’elle va être le théâtre d’une joute importante pour la prochaine négociation nationale.

3 .Le 28 novembre, un sondage Ipsos-Reid donnait au NPD 26 % des intentions de vote à travers le Canada, et 27 % au Québec, où il serait nez à nez avec le Bloc québécois.

4 .Le NPD a maintenu ses appuis dans Bourassa (Montréal) et amélioré son score dans Toronto-Centre, mais enregistré de lourds reculs au profit des libéraux dans les deux circonscriptions manitobaines en lice.

5 .Selon le sondage Ipsos-Reid du 28 novembre dernier, le PLC recueillerait 35 % des appuis à travers le Canada et 33 % au Québec, devançant ses plus proches adversaires de 6 points dans les deux cas.

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Alors qu’il s’enfonçait dans les intentions de vote avant l’été, à cause d’un bilan pour le moins décevant malgré quelques mois seulement d’exercice du pouvoir6, le Parti québécois (PQ) semble avoir décidé de jouer à fond la carte identitaire particulièrement avec la langue française, la laïcité et l’histoire nationale. S’il a choisi de laisser son projet de rénovation de la Charte de la langue française mourir au feuilleton, faute d’intérêt populaire et d’entente avec les partis d’opposition7, sa stratégie se révèle plus efficace avec son projet de Charte des valeurs québécoises. Au bout du compte, l’équipe de Pauline Marois croit pouvoir tirer avantageusement parti de sa situation minoritaire en prenant à témoin la population du manque d’adhésion et de bon sens des partis d’opposition à son projet identitaire. L’effet recherché pourrait bien être de renforcer la position électorale du PQ, soit en laissant à l’opposition l’odieux de provoquer des élections, soit en la forçant à accepter son projet, ce qui placerait le gouvernement en champion de la défense des intérêts du Québec.

Néanmoins, ce calcul politique a déjà des conséquences importantes. D’abord, bien qu’il stimule les débats dans tous les milieux et au sein de toutes les organisations autour d’un enjeu de société, il n’en exacerbe pas moins les antagonismes et crée des lignes de fracture qui n’existaient pas jusqu’ici dans plusieurs mouvements. Ensuite, il tente de masquer un bilan social et économique peu reluisant que la pluie d’annonces récentes8 ne suffira peut-être pas à redorer. Au demeurant, le gouvernement Marois doit encore démontrer qu’il est habile à gouverner dans l’intérêt du bien commun, ce que la situation économique et budgétaire ne concourra pas à lui permettre. Tant et si bien que, selon bien des observateurs, l’hypothèse d’un déclenchement des élections autour du budget en mars prochain s’avère de plus en plus réaliste.

Qu’il ait lieu cet hiver ou plus tard, le prochain scrutin sera très important pour les travailleuses et travailleurs de l’État, puisqu’il déterminera non seulement avec quel parti politique, mais aussi avec quel rapport de force se jouera la négociation des secteurs public et parapublic, selon l’élection d’un gouvernement minoritaire ou majoritaire. Encore une fois, cependant, l’issue de cette élection est bien difficile à prédire, car la carte politique provinciale se redessine elle aussi.

D’abord, fait notable, la stratégie identitaire du parti de Pauline Marois semble avoir favorisé une plus grande unité au sein de son caucus et raffermi l’autorité de la chef du PQ. Toutefois, sur le plan socioéconomique, diverses orientations récentes tendent à éloigner le Parti québécois de la sociale démocratie promise et à le rapprocher du discours de la Coalition Avenir Québec (CAQ). Il en va ainsi de la Charte des valeurs, comme de la taxe et de la gouvernance scolaires, pour ne nommer que ces exemples. Bien stratégiquement, le PQ cherche donc à se repositionner sur l’échiquier électoral. Car même avec près

6 .Citons, par exemple, les reculs successifs sur ses politiques sociales démocrates, les projets d’exploitation gazière et pétrolière, les coupes à l’aide sociale, l’indexation des droits de scolarité et les compressions dans les commissions scolaires, dans les garderies et les centres de la petite enfance.

7 .Déposé le 5 décembre 2012, le projet de loi no 14 a fait l’objet de longues tractations entre le gouvernement et la CAQ afin d’arriver à certains compromis permettant son adoption, mais en vain. Le 14 novembre dernier, la ministre De Courcy, responsable du projet de loi, annonçait son abandon.

8 .Le 27 novembre dernier, la CAQ dévoilait sa compilation des annonces gouvernementales. Depuis la mi-août 2013, le gouvernement aurait fait pas moins de 276 annonces totalisant près de 11 G$.

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du tiers des intentions de vote, on sait, de par le mode de scrutin qui est le nôtre, que ce n’est pas le vote populaire, mais bien les gains de circonscriptions qui font la différence lors d’une élection générale9. Si bien qu’il paraît plus avantageux au PQ de rogner dans les votes caquistes que solidaires, car la reconquête d’anciens comtés détenus par l’ADQ puis la CAQ sera plus susceptible de le rapprocher d’un mandat majoritaire.

Qui plus est, la CAQ a perdu beaucoup de terrain dans les intentions de vote10 et sa stratégie politique semble stagner. Voyant ses adversaires libéraux et péquistes récupérer une partie de ses idées et de son discours identitaire et économique, François Legault doit désormais trouver de nouvelles voies pour proposer à l’électorat une alternative rassembleuse, alors que l’équipe du tonnerre annoncée aux élections de 2012 lui fait défaut. Son Projet Saint-Laurent et ses efforts pour promettre aux familles une réduction de taxes de 1 000 $ ne semblent pas susciter l’intérêt souhaité pour relancer son parti. À ce train-là, sa posture pourrait bien être très difficile au lendemain du prochain scrutin.

Le Parti libéral du Québec (PLQ), quant à lui, projetait jusqu’à récemment l’image d’une unité à toute épreuve. Malgré une décennie de pouvoir et de politiques néolibérales lourdement contestées, malgré la crise sociale dans laquelle il a engagé le Québec au printemps 2012, le Parti libéral a tout de même réussi à opposer au gouvernement péquiste une députation expérimentée et nombreuse. Couronné comme l’homme du renouveau, le nouveau chef du PLQ, Philippe Couillard, donne peut-être l’image d’une rupture avec l’ère de Jean Charest, mais il doit encore asseoir son leadership et son autorité, tout en restant rassembleur auprès de sa députation, avec laquelle il a récemment eu maille à partir en matière de laïcité et de lutte contre le déficit.

Bref, la prochaine élection générale sera rudement disputée, et il est prévisible que certains chefs y joueront leur avenir politique. Fort probablement, l’élection risque de se jouer sur l’identité (langue française, immigration, Charte des valeurs, éventuellement variations sur le thème de la souveraineté) selon la stratégie péquiste, ainsi que sur l’économie et l’équilibre budgétaire, enjeux que le PLQ et la CAQ vont vouloir imposer par tous les moyens. Aussi, compte tenu de la configuration actuelle et des tendances des derniers mois, il reste un risque de porter au pouvoir un second gouvernement minoritaire. Enfin, s’il est bien tôt pour désigner un vainqueur – ce qui n’est pas notre intention – on peut tout de même présumer fortement des priorités et tendances politiques du prochain gouvernement, soit celui avec lequel nous aurons à négocier.

En effet, le repositionnement stratégique et politique des uns et des autres laisse émerger une communauté de vues sur un certain nombre d’enjeux qui nous préoccupent ou nous concernent directement. D’abord, dans le contexte

9 .Le 4 septembre 2012, le PQ a obtenu 32 % des voix, mais 43 % des sièges à l’Assemblée nationale et le PLQ, avec 31 % des voix, a remporté 40 % des sièges. A contrario, la CAQ, avec 27 % des voix, n’a recueilli que 15 % des sièges, et Québec solidaire n’a obtenu qu’à peine 2 % des sièges avec 6 % des voix.

10 .En avril, selon un sondage CROP, la CAQ avait déjà glissé de 26 % à 22 % dans les intentions de vote en un mois. Le 20 novembre, encore selon CROP, la CAQ ne recueillait plus que 17 % des appuis populaires.

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économique actuel et à venir, l’application de mesures d’austérité budgétaire aux employés de l’État et à la classe moyenne risque de rester un mode de gestion privilégié des finances publiques et des services sociaux. De même, la volonté de débureaucratiser les institutions publiques, voire d’y « faire le ménage » est assez partagée par les principaux partis en lice, et si la gestion managériale qui en découle n’est qu’un moyen parmi d’autres d’y parvenir, c’est un moyen auquel ils adhèrent tous. La complaisance fiscale et budgétaire à l’égard du patronat risque fortement de demeurer prioritaire sur le développement social. Enfin, la marchandisation de l’éducation et de l’enseignement supérieur, à plus ou moins grande vitesse et intensité, demeurera à l’ordre du jour, comme nous le verrons.

Ainsi, il est prévisible qu’indirectement, les prémisses de la négociation nationale se joueront dès la prochaine campagne électorale…

c) Situation économique   : l’austérité comme mode de réorganisation

Sans entrer dans les détails ni dans un jargon économiste, force nous est de constater que la reprise économique se fait lente, ce qui n’est pas sans conséquences sur l’échiquier gouvernemental, politique et social.

En effet, le produit intérieur brut (PIB) du Québec semble stagner depuis un an, de même que l’inflation, signes que l’économie générale peine à croître. La chute des mises en chantier depuis 201011 témoigne peut-être d’ailleurs d’un ralentissement d’activité dans certains secteurs clés, de même que le recul de la valeur du dollar canadien12. Par chance, le taux d’emploi se maintient, même si le chômage a connu une légère hausse (environ 0,4 %) dans la dernière année. Bref, sans une lecture scientifique de la situation, on peut constater que la vigueur économique promise par le gouvernement aux investisseurs n’est pas nécessairement au rendez-vous.

Les conséquences en sont prévisibles. Déjà, depuis la reprise des travaux à l’Assemblée nationale, le PLQ et la CAQ mènent une charge sans relâche pour critiquer le bilan économique du gouvernement. Par ailleurs, les prévisions budgétaires de ce dernier, fondées sur la croyance d’une croissance plus forte, ne se sont pas réalisées et les revenus prévus font défaut. Si bien que le gouvernement est de nouveau confronté à une situation de déficit, de l’ordre de 2,5 G$ pour l’année en cours, et de 1,7 G$ pour l’année 2014-2015. Et ce, malgré son exercice de réduction des dépenses publiques. Non seulement le retour à l’équilibre budgétaire doit être repoussé, mais en plus le gouvernement devra faire face à l’imminence d’une récession.

Conséquemment, la question du financement de l’État et des services va s’imposer une nouvelle fois. Dans le contexte électoral, les élites politiques et économiques pourraient de nouveau, au nom de la dette et de la cote de crédit du Québec, réclamer davantage de sacrifices collectifs aux fins d’offrir aux entrepreneurs et aux gros investisseurs internationaux un marché compétitif.

11 .De 51 363 pour l’année 2010, la moyenne est passée à 37 200 en octobre 2013. Le secteur résidentiel est le plus touché par la baisse continue du nombre de mises en chantier (ISQ).

12 .Évalué à 101,11 ¢ US pour l’année 2011, le dollar CAD serait descendu à 96,07 ¢ US en août 2013, et était estimé à 96,49 ¢ en octobre 2013 (ISQ). Début décembre, il passait sous la barre des 94 ¢.

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Ce qui, dans leur esprit, implique de nouvelles réductions au chapitre des dépenses de programmes et de nouveaux assouplissements réglementaires ou fiscaux envers les entreprises. Et la tentation de nouvelles hausses de taxes ou de tarifs pourrait demeurer forte.

Au final, c’est encore d’austérité qu’il risque fort bien de s’agir. Et le mandat qui sera confié au prochain gouvernement à cet égard pourrait bien être interprété comme une obligation de résultats menant à resserrer de nouveau la rémunération des salariées et salariés de l’État au cours de la prochaine négociation. Rappelons que, déjà, au nom de la « sacoche » vide (2005) et de la crise financière (2010), ces derniers ont déjà accusé une perte de pouvoir d’achat d’environ 7 % en dix ans13. Si le spectre du recours à l’arsenal législatif (1982-1983, 2005) revient hanter régulièrement les rondes de négociation qui se font sous le signe de l’austérité, ce modus operandi international des gouvernements néolibéraux doit une fois de plus nous rappeler l’importance que devra revêtir la mobilisation lors des prochaines négociations.

3. Les acquis syndicaux dans la mire

Si, partout en Occident, le mouvement syndical s’interroge depuis trente ans sur les moyens d’amorcer son « renouveau », c’est qu’il subit depuis autant de temps des attaques multiples, récurrentes, insidieuses et sur plusieurs fronts. Au Québec, on pourrait croire que le mouvement résiste tout de même, eu égard au maintien de son taux de syndicalisation et à sa capacité d’accréditer de nouveaux secteurs d’activité.

Ces succès, il faut cependant le rappeler, demeurent le fruit d’efforts considérables réalisés dans un environnement médiatique et politique de plus en plus hostile à la chose syndicale, assimilée et présentée comme un frein continuel au développement économique tel qu’imaginé par les forces néolibérales.

Et puis, de la radio poubelle au gouvernement Harper, on le savait déjà, le syndicalisme n’a pas la cote. Comme si cela n’était pas suffisamment convaincant, le front antisyndical ne cesse de s’élargir et ses attaques de se multiplier, tant sur la scène fédérale, provinciale que municipale. Par ailleurs, lentement mais sûrement, on assiste à l’arrivée progressive du courant « right to work »14 dans la conception patronale, sociale et politique des relations du travail.

Malheureusement, c’est encore dans ce contexte que s’ouvre le triennat et que se prépare notre prochaine négociation nationale. Et les indicateurs nous contraignent davantage au pessimisme qu’au soulagement…

13 .Entre 2003 et 2013, le cumul des diverses augmentations salariales prévues aux conventions collectives porte à un peu plus de 11 % en dix ans la bonification des salaires dans les secteurs public et parapublic (dont l’enseignement public). Pendant ce temps, l’inflation a progressé d’un peu plus de 18 %.

14 .Depuis quelques années, plusieurs États américains adoptent des lois qui ont pour effet d’affaiblir les réglementations du travail et d’affaiblir le mouvement syndical en lui retirant les moyens et leviers fondamentaux qui relèvent de son droit d’association (adhésion, cotisation, etc.). Au nom d’une conception très individualiste et conservatrice du droit au travail (« right to work »), ces lois contribuent à affaiblir le pouvoir de négociation des travailleurs, et ont pour effet de miner la syndicalisation, d’accroître le chômage et de faire pression à la baisse sur les salaires des régions où elles existent. Ce courant gagne le Canada.

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a) L’antisyndicalisme conservateur chemine

D’abord, les politiques du gouvernement Harper, qui minent les droits syndicaux et le régime des relations du travail, ne s’essoufflent pas.

Fidèle à sa stratégie des projets de loi privés15, après le projet de loi no C-37716 qui doit forcer les organisations syndicales à rendre des comptes publiquement sur leurs finances, leurs effectifs et leur gouverne interne, les conservateurs ont doublé la mise avec le projet de loi no C-52517. Nouvelle menace envers le droit d’association, ce dernier vise à rendre plus difficile l’adhésion et l’accréditation syndicales dans les secteurs de juridiction fédérale, et à y faciliter la désyndicalisation. D’emblée, on comprend que de grands secteurs stratégiques sont ciblés (télécommunications, transport aérien) ainsi que le secteur public fédéral, dont certains ont déjà fait l’objet de l’impatience conservatrice lors de conflits de travail. D’ailleurs, l’avenir de Postes Canada est à surveiller, alors que les employés acculés à des conditions de travail désormais insoutenables, vivent maintenant sous la menace de nouvelles coupes draconiennes, si ce n’est d’une restructuration majeure de ce service public18, ce qui, dans les deux cas, pourrait bien faire des émules dans les administrations publiques fédérale comme provinciale.

Une autre stratégie législative chérie par les conservateurs, soit le recours aux projets de loi « mammouths »19, vient de réapparaître sous la forme du projet de loi no C-420. Entre autres, ce dernier restreindrait de manière notable le droit de refuser une tâche en cas de danger pour la santé et la sécurité des travailleurs dans les secteurs de juridiction fédérale, mais surtout, il accorderait à l’employeur public fédéral (l’État et ses appareils) le droit exclusif de déterminer ce qui constitue un service essentiel, ce qui remet en question le droit de grève dans la fonction publique fédérale.

Une autre attaque frontale menée par le gouvernement Harper est celle du dernier budget Flaherty, qui consiste à récupérer 355 M$ d’ici 2018 en abolissant progressivement le crédit d’impôt fédéral sur les placements effectués dans des fonds de travailleurs. Ceux de la Fédération des travailleurs

15 .Les « projets de loi privés » émanent directement de l’initiative de députés et n’engagent pas formellement les partis auxquels ils appartiennent. Comme c’est le gouvernement qui décide quels projets de loi sont appelés, Stephen Harper peut ainsi mener des offensives législatives importantes sans engager la responsabilité de son gouvernement.

16 .Déposé le 5 décembre 2011, le projet de Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières) est désormais entre les mains du Sénat.

17 .Déposé le 5 juin 2013, le projet de Loi modifiant le Code canadien du travail, la Loi sur les relations de travail au Parlement et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (accréditation et révocation — agent négociateur) a fait l’objet d’un débat en deuxième lecture le 29 octobre dernier.

18 .Voir note de bas page no 1.19 .Ce procédé, décrié par les partis d’opposition comme une stratégie d’obstruction parlementaire,

consiste à déposer des projets de loi excessivement denses qui modifient par le fait même des dizaines d’autres lois, ne laissant ainsi que peu de temps aux partis d’opposition pour les analyser, et diviser d’autant leur capacité à intervenir dans les travaux parlementaires.

20 .Déposé le 22 octobre, le projet de Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 mars 2013 et mettant en œuvre d'autres mesures compte 322 pages et 472 articles.

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et travailleuses du Québec (FTQ) et de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), qui comptent parmi les plus importants au Canada, en plus d’être des acteurs majeurs dans l’économie québécoise, pourraient ainsi être compromis, ainsi que de nombreux emplois au Québec.

À ce menu législatif, s’ajoutent les résolutions du dernier congrès du Parti conservateur, qui ne font que confirmer sa politique antisyndicale21.

Enfin, l’avenir de l’assurance-emploi, compromise par une réforme hautement contestable, sera déterminant pour la main-d’œuvre canadienne, particulièrement dans l’Est, qui subit déjà les contrecoups d’une stratégie économique destinée à faire de la flexibilité et de l’employabilité des pivots de la compétitivité du Canada sur le marché international. En ce sens, la pression que causera le nouvel accord de libre-échange avec l’Union européenne sur de nombreuses entreprises devra être surveillée de près, car elle aura certainement un effet sur l’emploi de milliers de travailleuses et travailleurs qui auront besoin de ce programme social en cas de restructurations ou de fermetures.

b) Scènes provinciale et municipale   : vers des moments difficiles?

Pendant ce temps, sur la scène provinciale, certains événements récents retiennent notre attention pour les perspectives qu’ils ouvrent à court et à moyen terme.

Premièrement, les tractations que Régis Labeaume mènera prochainement aux fins de constituer un front uni pour remettre en question les régimes de retraite des fonctionnaires municipaux seront à surveiller de près. En effet, s’il gagne son pari, le maire de Québec pourrait considérablement affaiblir les acquis syndicaux dans le secteur public, ainsi que la valeur des ententes légitimement négociées et conclues avec des gouvernements élus. Au demeurant, l’enjeu des régimes de retraite, comme on le voit un peu partout en Occident, semble bien à l’ordre du jour des relations de travail, s’il n’en devient pas l’un des pivots. Il pourrait bien devenir l’objet de concessions dans des conflits de plus en plus durs et longs, comme l’a montré récemment l’entente de principe conclue chez Kronos, où les salariés passeront d’un régime de retraite à prestations déterminées à un régime à cotisations déterminées22. Alors que les gouvernements s’empressent d’aménager de nouveaux mécanismes pour réduire le coût public des retraites, au nom de la dette et de la capacité de payer de l’État, plus rien ne garantit que le régime des employés de l’État restera longtemps à l’abri des assauts observés dans de nombreuses administrations et entreprises.

21 .Le 2 novembre dernier, les délégués du Parti conservateur ont réaffirmé leur volonté d’obliger les syndicats à exposer leurs états financiers sur la place publique, et remis en question la formule Rand (cotisation syndicale prélevée à la source) ainsi que l’adhésion automatique des travailleurs à un syndicat.

22 .En lock-out depuis le 13 juin 2013, les 320 travailleurs de l’usine Kronos de Varennes ont obtenu des augmentations salariales au niveau de l’inflation majorée de 0,5 % et un meilleur encadrement du recours à la sous-traitance en échange de la mise en place d’un régime de retraite à cotisation déterminée.

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Secondement, si la commission Charbonneau aura pu porter de rudes coups à l’industrie de la construction et miner la confiance publique envers les élus municipaux, c’est désormais tout le mouvement syndical qui risque de subir le discrédit des dernières révélations concernant les liens de certains dirigeants syndicaux avec le crime organisé. Si les gestes posés et dénoncés ne peuvent engager la responsabilité de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) ni du Fonds de solidarité, et s’ils ne doivent pas être généralisés à l’ensemble des dirigeants et des syndicats membres, ils n’en affectent pas moins lourdement l’image publique de la plus grande centrale syndicale et du plus important fonds de travailleurs du Québec. Par extension, les efforts d’éducation et d’intégration syndicales, de rapprochement de la base et de recrutement au sein de l’ensemble des organisations syndicales pourraient bien s’en trouver affectés pour quelques années encore. Le temps nous dira si la nomination d’un nouvel exécutif permettra à la FTQ de rétablir sa réputation.

Malgré tout, la côte que l’ensemble des organisations syndicales aura à remonter pour convaincre l’opinion publique de la justesse de la lutte dans les secteurs public et parapublic en 2015 s’annonce bien raide…

c) Des signes d’espoir?

Cela dit, le mouvement syndical ne s’essouffle pas pour autant et continue de s’organiser et de défendre ses acquis.

Ainsi, la création d’Unifor en septembre dernier, né de la fusion du Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleuses du Canada (TCA-Canada) avec le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), peut être saluée comme l’un des plus importants efforts de regroupement intersyndical des dernières années à l’échelle canadienne23, dont on peut espérer qu’il donnera lieu à de nouveaux rapports de force dans les relations de travail de certaines industries clés. De même, la victoire des syndiqués de certains dépanneurs Couche-Tard laisse entrevoir de nouvelles perspectives pour les conditions de travail au sein du commerce au détail.

Par ailleurs, face aux attaques du Parti conservateur du Canada, nous devons reconnaître la vigueur des luttes menées tant au Québec que dans les provinces maritimes, prélude de nouveaux rapports de solidarité syndicale et ouvrière, comme dans le cas de la réforme de l’assurance-emploi. Quant au projet de loi no C-377, bien qu’il ne soit pas mort au feuilleton à la suite de la dernière prorogation du Parlement canadien, il faudra suivre avec attention la joute qui s’est amorcée entre le Sénat canadien et la Chambre des communes aux fins de l’amender de manière substantielle. Là encore, la vigilance et la mobilisation des organisations syndicales de tout le Canada sera de mise.

Enfin, face à la montée des insatisfactions et à la convergence des intérêts des mouvements sociaux (féministes, écologistes, autochtones, syndicaux, etc.) d’un océan à l’autre, l’ouverture à l’automne 2014 du tout premier Forum social

23 .Fondé le 1er septembre 2013, jour de la fête du Travail, Unifor, qui représente plus de 300 000 membres, est désormais le plus grand syndicat du secteur privé au Canada.

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pancanadien pourrait être l’occasion de raviver l’espoir d’une convergence des luttes contre les politiques néolibérales et conservatrices en cours, et peut-être l’émergence d’un nouveau rapport de force social au sein de la Fédération canadienne.

Mais si la résilience syndicale, bien que mise à rude épreuve, permet des espoirs, la résistance à grande échelle demeure lente à s’organiser, et la solidarité est bien malmenée. Au bout du compte, les espoirs à court terme ne suffisent pas à contrebalancer l’ampleur et la virulence des attaques.

4. Négo 2015 : on met la table…

Combinés, les divers éléments de contexte qui précèdent nous permettent d’imaginer dans quel environnement politique, économique, social et syndical risque de se jouer le rapport de force avec le prochain gouvernement en vue du renouvellement de notre convention collective nationale.

Principalement, il y a fort à parier que la conjoncture économique du Québec et la situation budgétaire du gouvernement serviront de prétextes tout désignés pour amorcer la négociation des secteurs public et parapublic sous le signe de l’austérité. Tous désireux de faire du développement économique une priorité absolue pour le Québec, les trois grands partis politiques provinciaux seront tentés d’inscrire la liberté d’entreprise, la capacité d’attirer les gros investissements internationaux et la réduction du fardeau de la classe moyenne au rang de leurs grands engagements électoraux. Alors qu’ils portent par ailleurs une vision des institutions publiques tournée vers la restructuration au nom de l’efficacité, de la performance et de la rentabilité, il y a bien peu de chances pour que leur discours, dans les prochains mois, reconnaisse la légitimité des revendications des employées et employés de l’État.

Compte tenu de la tendance des dernières années, et de la mauvaise presse qui lui est faite par la commission Charbonneau, le mouvement syndical a tout lieu de croire que l’opinion publique ne lui sera pas d’emblée favorable. De nouveau, il faudra user de stratégie et d’habileté sur le plan des communications et de la mobilisation pour obtenir ce nécessaire appui. À cet égard, les leçons du Printemps étudiant de 2012 pourraient être inspirantes. Néanmoins, elles mèneront à se poser rapidement la question de la solidarité intersyndicale. D’un côté, la FAE devra réfléchir à la pertinence et à la manière de tisser ou non des alliances stratégiques. De l’autre, se posera plus largement la question de la constitution d’un front commun crédible et efficace.

Si la préparation à la prochaine campagne d’allégeance, prévue pour l’été 2014, nous donnera bien vite un aperçu quant au réalisme de ces perspectives, un certain nombre de défis sont déjà a priori à relever pour y parvenir. En effet, le monde syndical a connu quelques remous ces derniers mois. D’une part, le départ de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) du Secrétariat intersyndical des services publics (SISP) au cours de l’automne 2012 a certainement créé un malaise dans le secteur de la santé, mais aussi provoqué une réflexion interne quant à l’avenir de cette structure intersyndicale, et soulevé plusieurs critiques au sein même de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) dans la dernière année. Plus récemment, c’était au tour du Syndicat de

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professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) de quitter ce regroupement intersyndical, le fragilisant un peu plus24. D’autre part, si les retombées des déboires de la FTQ à la commission Charbonneau auprès de l’opinion publique sont encore difficiles à évaluer, elles pourraient tout de même affecter la crédibilité d’un front commun intersyndical. Et ce, même si les membres des secteurs public et parapublic de la FTQ ne sont pas visés par les scandales.

Bref, s’il est trop tôt pour dire quelle sera la meilleure stratégie syndicale à opposer au prochain gouvernement dans la négociation nationale qui attend les 500 000 employées et employés de l’État, il semble cependant évident que la partie devra être rudement disputée. S’il faut d’ores et déjà préparer un contre-discours économique et un argumentaire visant à revaloriser des services publics déjà bien affaiblis, on peut imaginer que l’ampleur des énergies à déployer dépendra quant à elle du rapport de force dont disposera par ailleurs le gouvernement en place, selon qu’il détiendra un mandat majoritaire ou minoritaire. Dans tous les scénarios, la conquête de l’opinion publique s’avère incontournable, et ce, dès les prochaines élections générales, afin de légitimer les revendications syndicales.

En somme, bien qu’il soit encore tôt pour se prononcer sur les enjeux de la prochaine négociation nationale, la mise en place de l’échiquier sur lequel elle se déroulera nous permet déjà d’en identifier quelques pivots. Il sera opportun de mener une analyse plus poussée d’ici quelques mois, dès lors que seront mieux connus les enjeux économiques du prochain budget provincial, l’état des réflexions sur l’avenir du SISP, les enjeux du maraudage de 2014, les perspectives d’alliances de toutes sortes, la capacité de la FTQ de sauver son image publique, et surtout, l’issue de la prochaine élection provinciale! Ce portrait, peut-être plus complet, permettra alors à la Fédération de jeter les bases de sa propre stratégie et de sa propre ligne de conduite pour assurer le succès de la seconde négociation nationale de sa jeune histoire.

5. L’éducation en mouvement

Si, politiquement, économiquement et syndicalement, les trois prochaines années s’annoncent riches en rebondissements et en débats sociaux, l’éducation ne sera certainement pas en reste. Car, faut-il le rappeler, dans le contexte de mondialisation et d’économie du savoir au nom desquels les gouvernements sont décidés à se livrer une compétition sans borne, les systèmes d’enseignement et la réussite éducative se situent au cœur des stratégies de redéploiement de la main-d’œuvre et du développement économique moderne.

Tant et si bien que l’optimisation du second portefeuille de l’État demeurera stratégique pour les gouvernements à venir, dont tout porte à croire qu’ils poursuivront l’œuvre de restructuration des institutions d’enseignement, de leurs contenus, de leurs ressources et de leurs finalités pour mieux placer le Québec, nous dira-t-on encore, sur le terrain mouvant de l’économie du savoir.

24 .Au cours de la négociation 2010, le SISP, alors composé de la CSQ, la FIQ, le SPGQ, le SFPQ et l’APTS revendiquait la représentation de 300 000 personnes syndiquées, dont près de 265 000 dans les secteurs public et parapublic. À l’été 2012, avant le départ de la FIQ (62 000 membres), le SISP comptait 345 000 membres. Avec le départ du SPGQ (25 000 membres) en décembre 2013, le SISP n’en représenterait plus que 260 000.

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Divers grands chantiers devront retenir notre attention dans cet esprit, même si certains s’annoncent plus rapides ou plus avancés que d’autres. Toutefois, les occasions de poursuivre le développement de notre pensée fédérative en matière de conditions de travail et d’enseignement ne manqueront pas. Et la plupart permettront certainement de compléter notre interprétation générale des grands bouleversements que connaît le monde de l’éducation depuis plusieurs années, à la lumière de courants qui ne sont pas nécessairement propres au Québec. Bref, la poursuite de notre critique de la marchandisation de l’éducation en cours sera bien servie par les dossiers et enjeux qui nous attendent dans le domaine de l’enseignement public. Et ce, alors que 2015-2016 marquera le 20e anniversaire des États généraux sur l’éducation…

a) 20 ans plus tard   : l’éternel chantier de la lutte contre le décrochage scolaire

Quel qu’en soit le prochain titulaire, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) aura certainement pour priorité la lutte au décrochage scolaire. En effet, tous les partis politiques en lice disent faire de cet enjeu social leur principal cheval de bataille en matière d’éducation, même si leur conception de la problématique et leurs pistes de solution diffèrent de manière importante. À tout le moins, tous disent vouloir ajouter des ressources professionnelles et accroître l’accès aux services complémentaires pour les élèves en difficulté.

Dans les faits, l’expérience nous l’a démontré, il faudra demeurer très critique envers les recettes connues et les stratégies à la pièce que risquent de nous apporter une approche dite nationale de lutte contre le décrochage25 qui, dans la foulée d’une certaine vision de la solidarité sociale, tend à ajouter plus d’intervenants extérieurs au monde de l’éducation que de ressources dans l’école ou dans les communautés pour accompagner les élèves dans leur cheminement scolaire. Ainsi, l’individualisation de la responsabilité de l’échec et du succès scolaire risque fort bien de demeurer le pivot des mesures de soutien à la persévérance scolaire, et continuer d’accroître la pression sur les élèves et les enseignantes et enseignants, tout en ouvrant largement la porte à des solutions empruntées des milieux économiques, qui servent directement leurs intérêts. À cet effet, la présence de plus en plus manifeste de banquiers et de philanthropes bienveillants dans les arcanes de la lutte contre le décrochage doit d’autant plus nous inquiéter quant au devenir précis des orientations et programmes gouvernementaux en la matière que certains d’entre eux ont déjà démontré leur talent pour s’aménager des passerelles d’action et s’arroger des responsabilités qui finissent par échapper aux pouvoirs publics. Bref, la tendance à communautariser et à privatiser la lutte contre le décrochage, au nom du village africain qu’il faut réunir pour élever un enfant, pourrait fort bien s’accentuer et justifier avec elle son lot de nouvelles pratiques contestables dans le milieu de l’éducation, comme on a pu le voir par exemple aux États-Unis26.

25 .MELS. La ministre Marie Malavoy annonce l’élaboration de la première politique nationale de lutte contre le décrochage scolaire, communiqué de presse du 5 novembre 2012.

26 .Sous la pression des réformes successives des administrations W. Bush et Obama, la philanthropie et le financement privé sont l’un des piliers de la restructuration du système public d’éducation, au nom de la recherche d’une performance qui a conduit le système à accroître la compétition entre les établissements et les individus, etc. Voir à ce sujet l’édition spéciale sur l’école américaine de la revue L’Autonome (mai 2012).

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À court terme cependant, le plan ministériel annoncé par la ministre Malavoy devrait retenir notre attention et certainement structurer nos analyses et nos actions pour le prochain triennat. Surtout, c’est au chapitre de l’opérationnalisation et des moyens qui seront mis à la disposition des équipes-écoles, dans un contexte de déficit et de restrictions budgétaires, que nous aurons à intervenir pour nous assurer que les enseignantes et enseignants, ainsi que les élèves, puissent compter sur le soutien et les ressources nécessaires et suffisants. Et ce, d’autant plus que l’ajout de 600 professionnels de l’éducation promis par le Parti québécois aux dernières élections se fait encore attendre. De même, la mise en place des maternelles 4 ans continuera de mériter, malgré les critiques de certains groupes, des ressources et une organisation scolaire ordonnée et rigoureuse, ce que nous aurons à surveiller activement.

Au-delà de son opérationnalisation, la vision organisationnelle que le plan de lutte contre le décrochage scolaire portera, les priorités et directives qu’il mettra de l’avant mériteront un examen approfondi dans un contexte de mise en place d’une gestion managériale dans les structures scolaires, à l’heure où la ministre annonce un nouvel engagement en matière de diplomation. À la veille de la négociation nationale, il faudra nous assurer que ses nouvelles cibles de persévérance scolaire27 ne serviront pas de prétexte pour renforcer les mécanismes d’imputabilité dans les écoles et accroître davantage la charge de travail du personne enseignant, ou empiéter encore sur leur autonomie professionnelle.

b) Les structures scolaires et l’autonomie professionnelle dans la tourmente

D’ailleurs, la défense de l’autonomie professionnelle et la remise en question des structures scolaires seront des questions prioritaires. À cet égard, la mise en place d’un « groupe d’experts chargé d’étudier le financement, l’administration, la gestion et la gouvernance des commissions scolaires »28, dans la foulée du bras de fer opposant la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ) et le gouvernement sur les hausses de taxes scolaires mérite notre intérêt.

En effet, alors que seule la CAQ appelle clairement à l’abolition des commissions scolaires, ses principaux adversaires ne favorisent pas pour autant le statu quo, si bien qu’avec leur appui, l’occasion fournie par la crise de la taxe scolaire de revoir les structures scolaires est unique pour le gouvernement. À cet égard, le programme du Parti québécois, quant à lui, prévoit déjà un assouplissement des structures scolaires29, notamment par

27 .Le 5 novembre dernier, Mme Malavoy annonçait : « D’ici 2020, nous voulons faire en sorte que deux étudiants sur trois obtiennent leur diplôme dans les temps requis, que 80 % des étudiants l’obtiennent avant l’âge de 20 ans. » (MELS).

28 .MELS. Mme Pauline Champoux-Lesage présidera le groupe d’experts chargé d’étudier le financement, l’administration, la gestion et la gouvernance des commissions scolaires, communiqué de presse du 14 novembre 2013.

29 .Programme du PQ, proposition 6.1.k (2011) : « Allègera les structures scolaires, en particulier le ministère de l’Éducation, de façon à accroître d’autant les ressources financières et humaines dédiées à nos enfants de même que l’autonomie de nos écoles. »

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l’abolition des directions régionales du MELS, une hypothèse qui sera par ailleurs étudiée par le comité d’experts. De plus, faut-il le rappeler, Mme Malavoy avait appuyé sans réserve le projet de loi no 8830 lorsqu’elle était dans l’opposition officielle, parce qu’il assurait une meilleure régulation du système. Si l’assouplissement (lire débureaucratisation) des services31 et l’introduction d’une culture du résultat32 comptent parmi les autres préoccupations péquistes qui trouvent un écho favorable dans l’opposition, le rapport du comité, attendu pour mai 2014, risque fort de résonner comme la promesse de changements radicaux et de hanter les prochaines élections scolaires, prévues en novembre.

Étant donné la relative communauté d’esprit qui prévaut à l’Assemblée nationale, la question n’est donc pas de savoir si ce débat passera la rampe du prochain gouvernement, mais plutôt comment les décisions auxquelles il donnera lieu seront prises et présentées à la population, et s’il pourrait s’agir d’un enjeu électoral. Car, créée de toute pièce par le gouvernement lors du budget qu’il a déposé en novembre 201233, la crise des taxes scolaires ouvre par une voie bien subtile et bien inhabituelle, mais tout aussi menaçante, la question de la légitimité des conseils des commissaires scolaires et de leur élection, et par extension de la structure des commissions scolaires telle qu’on la connaît. Mais à défaut d’une joute en bonne et due forme sur l’abolition des commissions scolaires, l’attaque que subissent actuellement ces dernières servira certainement à accroître le courant managérial dans la structure scolaire et à justifier un peu plus de décentralisation au profit de cette plus grande autonomie des établissements que promettent les trois principaux partis politiques. Ainsi, demeurant vif, le débat sur la structure scolaire pourrait bien continuer au cours des trois prochaines années de servir de prétexte public à la crise administrative interne qui est recherchée pour asseoir une restructuration managériale du service public d’éducation, et continuer d’empiéter sur l’autonomie professionnelle du personnel enseignant.

Pendant ce temps, cette dernière subira probablement de nouveaux assauts politiques alors que les initiatives visant une professionnalisation de l’enseignement pourraient se multiplier. À cet égard, il faudra surveiller de près l’aboutissement des démarches en cours visant à créer un ordre professionnel

30 .Alors minoritaire, le gouvernement libéral avait déposé le 13 mai 2008 le projet de Loi modifiant la Loi sur l’instruction publique et la Loi sur les élections scolaires. Adoptée à l’unanimité le 28 octobre suivant avec l’appui du Parti québécois (l’ADQ s’y étant opposée, car elle maintenait les commissions scolaires), cette loi introduit dans la LIP les conventions de gestion et les ententes de partenariats, ainsi que les obligations et responsabilités y attenant, à chaque échelon de la structure scolaire.

31 .Programme du PQ, proposition 7.1.b (2011) : « Procédera à une réorganisation majeure de l’État visant à débureaucratiser, à le réorienter vers les services aux citoyens, en réduisant les niveaux hiérarchiques. »

32 .Programme du PQ, proposition 7.1.c (2011) : « Introduira une véritable culture des résultats dans les réseaux publics, par exemple en conditionnant l’octroi et le niveau des budgets et des primes au rendement par les résultats obtenus en matière de satisfaction de la clientèle et d’augmentation de la productivité de chacun des ministères, organismes et sociétés d’État. »

33 .Le budget présenté par le ministre Nicolas Marceau le 20 novembre 2012, prévoyait une économie de 150 M$ dans le programme de péréquation scolaire, notamment par l’élimination à terme de l’aide financière pour les commissions scolaires ayant un taux de taxation foncière inférieur à 0,35 $ par 100 $ d’évaluation (soit le maximum permis). La voie à suivre était ainsi suggérée dans le Plan budgétaire : « Les commissaires, afin de maintenir l’équilibre budgétaire, devront réduire les dépenses sans affecter les services aux élèves. Alternativement, ils pourraient choisir de hausser les revenus. Il s’agit de choix difficiles, mais tous les élus doivent y faire face. » (Plan budgétaire 2013-2014, p. A.32).

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des enseignants orthopédagogues, qui pourrait ouvrir une brèche plus large dans l’autonomie professionnelle de l’ensemble du corps enseignant. Par ailleurs, il faut prendre acte de la volonté de certains partis politiques de constituer un ordre professionnel des enseignants, car cela pourrait également devenir à plus ou moins brève échéance un enjeu électoral, dans la mesure où il constitue un élément clé du modèle américain que certains d’entre eux tentent d’importer en tout ou en partie. Sans nécessairement suivre le même objectif, force est de constater que la pression causée par les chercheurs universitaires, et pas seulement des sciences de l’éducation, fait écho à celles et ceux qui réclament un plus grand contrôle et une régulation du système fondés sur l’évaluation et l’émulation des pratiques enseignantes. En effet, un certain courant administratif, en quête d’efficacité organisationnelle, doublé d’une tendance et d’une pression mondiales34, tend à appuyer de telles réformes. En définitive, les menaces à l’autonomie professionnelle pourraient bien se multiplier, se diversifier et prendre des formes et voies nouvelles.

c) Des priorités financières à discuter

Le projet de loi no 6335 déposé à la mi-novembre par la ministre Malavoy pour contraindre les commissions scolaires à rembourser 100 M$ aux contribuables surtaxés constitue un véritable coup de force. S’il sert des intérêts électoralistes jusqu’à un certain point, il n’effacera pas ni ne comblera les compressions de plus de 600 M$ vécues dans le réseau depuis trois exercices budgétaires. Il faudra donc s’inquiéter, dans ce bras de fer qui ne fait que commencer, des impacts supplémentaires non seulement sur les services aux élèves ou sur les conditions de travail et d’exercice des personnels de l’éducation, mais également sur la fragilisation du réseau public qui devra, d’une manière ou d’une autre, trouver des solutions soit dans la recherche de nouveaux revenus, fussent-ils privés, soit dans la réorganisation (lire réduction) de leurs dépenses. En fin de compte, c’est la persévérance scolaire recherchée qui risque encore de faire les frais de cette situation, n’en déplaise à la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB)36.

Si le financement des commissions scolaires sera au cœur des enjeux de l’éducation dans les prochains mois, l’ensemble des priorités budgétaires qui présidera à la gouverne du second portefeuille de l’État continuera de commander un regard et un débat publics critiques. Les besoins sont criants dans tout le réseau scolaire, et les ressources et services attendus, déjà

34 .Dans sa stratégie et sa vision de l’éducation, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) mise sur des politiques qui, au nom d’une plus grande efficacité, revendiquent des assouplissements dans les conditions de travail du personnel enseignant, notamment en remettant en question la permanence au profit de mécanismes d’évaluation et de certification récurrents, gérés par des administrations décentralisées. (OCDE, 2005)

35.Déposé le 14 novembre 2013, le projet de Loi sur le financement de certaines commissions scolaires pour les exercices financiers 2014-2015 et 2015-2016 devra faire l’objet d’une consultation et d’une étude détaillée dans les prochains mois ou semaines.

36 .En octobre dernier, la présidente de la CSMB, Mme Lamarche-Venne, se félicitait que sa commission scolaire ait réussi à atteindre cette année le plus haut taux de diplomation de son histoire (79,7 %), malgré des compressions de 15 M$ ces dernières années : « Nous, on dit, que oui, c’est possible de faire plus avec moins. Ce n’est pas politically correct de le dire, mais on en fait la preuve », confiait-elle à Lisa-Marie Gervais, du journal Le Devoir, le 22 octobre 2013.

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compromis par des coupes directes depuis 2010, sont désormais concurrencés par des choix ou des non choix discutables. D’abord, l’implantation effrénée de l’École 2.037 et particulièrement des tableaux numériques, avec son lot de problèmes techniques et logistiques, mobilise des fonds et des énergies dont plusieurs estiment jusqu’à un certain point qu’ils auraient été mieux investis dans les services aux élèves et le soutien aux enseignantes et enseignants. Ensuite, le désengagement important des administrations scolaires dans le maintien des infrastructures au cours des dernières décennies s’avère désormais d’autant lourd de conséquences qu’en plus de mettre la santé et la sécurité des élèves et des personnels en danger et de désorganiser les activités scolaires normales, il finit par priver le réseau de sommes colossales qui lui auraient permis de continuer à assurer un enseignement de qualité, assorti de services suffisants. De plus, les sommes annoncées par le gouvernement en la matière38, dans le contexte du resserrement du Plan québécois des infrastructures dont elles découlent, seront par ailleurs nettement insuffisantes à court terme pour combler les besoins déjà identifiés. Si l’entretien du parc immobilier des commissions scolaires est désormais urgent et incontournable, force est de constater que, faute de prévoyance, il coûtera bien cher au réseau et aux contribuables au cours des prochaines années. Et ce, dans un contexte où la pression démographique amorcée depuis quelques années à la faveur du regain de la natalité et de l’immigration, est appelée à se poursuivre et à exiger de ce dernier un développement continu dans certaines régions39.

Ainsi, dans un contexte budgétaire appelé à demeurer difficile, les choix de gestion et les priorités politiques et administratives qui régiront les dépenses et les investissements dans le monde scolaire continueront, malgré le discours public, à influencer les conditions de travail des personnels et les conditions d’apprentissage des élèves. Ce faisant, ils interpelleront notre organisation à plusieurs égards, et conditionneront par ailleurs les revendications et les luttes que nous aurons à mener.

d) Une nouvelle tournure au débat sur le financement des écoles privées?

De son côté, la légitimité du financement public des écoles privées pourrait bien être remise en question par de nouveaux joueurs, non seulement à cause de

37 .Lancé à la suite du discours d’ouverture de la 39e législature de l’Assemblée nationale prononcé par Jean Charest le 23 février 2011, le programme L’École 2.0 : La classe branchée, au coût de 240 M$ sur 5 ans, « vise l’acquisition des technologies nécessaires pour rendre l’enseignement primaire et secondaire interactif pour les élèves de la formation générale des jeunes. » (MELS, 2012)

38 .En octobre dernier, lors du lancement de la politique économique de son gouvernement, Marie Malavoy annonçait son plan d’action en matière d’infrastructures scolaires : 46,5 M$ consacrés à l’assainissement de 19 écoles (dont 16 à Montréal) touchées par des problèmes de moisissures; 30 M$ destinés à la détection des problèmes de qualité de l’air dans les écoles du Québec; 324,7 M$ d’ici 2017 « en soutien à des travaux de réparation, d’amélioration ou de réfection des établissements scolaires, à l’échelle du Québec ». (MELS, 11 octobre 2013)

39 .Selon les dernières données (ISQ, MELS), la pression causée par la natalité et l’immigration va continuer de se faire sentir dans certaines régions et de nécessiter des aménagements dans les infrastructures. Sur le territoire couvert par les accréditations de la FAE, d’ici juillet 2016, c’est surtout le niveau primaire qui connaîtra une pression à la hausse de ses effectifs, principalement dans les régions de Montréal, Granby, Vaudreuil et l’Outaouais. Les effectifs du secondaire, quant à eux, s’annoncent stables, ou pourraient accuser de légères baisses.

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ses effets négatifs sur le système d’éducation public, mais aussi à cause du débat sur la laïcité.

En effet, malgré son propre programme politique, le Parti québécois a manqué une occasion unique, à travers son projet de Charte des valeurs québécoises, de remettre en question le financement public des écoles à vocation confessionnelle, ce qui aurait été une amorce importante. À sa décharge, il pourrait bien plaider son état de gouvernement minoritaire pour justifier, au nom d’une proposition rassembleuse, une telle prudence, mais force est d’admettre que cette même situation n’a guère refroidi ses ardeurs lorsqu’il a proposé, à l’encontre de la majorité parlementaire, l’interdiction des signes religieux ostentatoires pour tous les employés et toutes les employées de l’État. Non seulement, au final, les écoles privées ne sont-elles pas menacées d’une révision profonde de leur financement public, mais qui plus est seraient-elles totalement exemptées des obligations de la Charte des valeurs québécoises, privilège dont ne jouiraient même pas les garderies privées subventionnées. Si on peut s’interroger sur la distance qui semble exister sur cette question entre la base militante du PQ et ses dirigeants, il nous faut donc remarquer qu’à moyen terme le lobby des écoles privées subventionnées semble encore jouir d’une bonne protection parlementaire, puisque ni le PQ ni le PLQ ni même la CAQ, qui proposait à sa création la révision de leur financement public, ne semblent disposés à rouvrir ce dossier. Pourtant, la société civile n’a pas manqué de souligner cette contradiction gouvernementale dans le débat sur la Charte des valeurs québécoises, et le financement public des écoles confessionnelles y produit certainement un malaise, qui pourrait peut-être resurgir lors de la prochaine campagne électorale.

Enfin, quant aux écoles dites « passerelles », bien que la ministre De Courcy avait promis qu’elles feraient l’objet d’un projet de loi spécifique, force est de constater que celui-ci ne figurera pas au menu parlementaire avant plusieurs mois, si une élection ne vient pas tout simplement l’enterrer d’ici-là. En effet, Mme De Courcy attendait l’adoption du projet de loi no 14 sur la Charte de la langue française avant de s’attaquer plus particulièrement aux écoles passerelles, or celui-ci, faute d’entente avec les partis d’opposition, a été abandonné, reléguant d’autant la question des écoles passerelles aux calendes grecques. Pourtant, il s’agit d’un autre enjeu sur lequel le gouvernement aurait pu compter, sur le principe à tout le moins, sur des appuis majoritaires.

e) Éducation des adultes   : les plans sortiront-ils des cartons?

En matière d’éducation des adultes, deux enjeux retiendront notre attention.

D’abord, la ministre De Courcy a lancé le 12 septembre dernier le plan d’action gouvernemental en matière d’immigration qui prévoit réviser le système et les priorités de sélection des personnes immigrantes. Ce plan laisse croire à plus d’intervention en amont du processus de sélection, ainsi qu’à un rehaussement des mesures de francisation, notamment par le resserrement des critères de sélection linguistique, assorties d’une enveloppe supplémentaire de 13,5 M$. Il semble que l’offre de francisation évoluera donc d’ici deux ans. Si cette orientation peut nous permettre de croire à une amélioration des ressources et de la capacité de francisation à moyen terme, les défis qu’il reste à relever à

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court terme ne trouvent pas nécessairement les réponses attendues compte tenu de la faible concertation interministérielle dont semble encore faire preuve la politique gouvernementale. Quant aux moyens mis à la disposition du système public d’éducation pour réaliser ses objectifs, ils ne précisent pas les modalités selon lesquelles les ressources seront réparties dans les milieux, ni s’ils régleront les difficultés connues en matière d’accompagnement et de suivi.

Ensuite, le plan d’action en matière d’alphabétisation, de plus en plus urgent40, se fera attendre encore jusqu’à l’automne 2014, moment auquel la ministre Malavoy entend présenter la nouvelle politique sur l’éducation des adultes et la formation continue, au lieu du plan annoncé et reporté à plusieurs reprises depuis dix ans. Ici, l’influence importante des milieux économiques sur la définition des priorités et moyens que prévoira cette politique risque de se faire de nouveau sentir, car à l’heure où l’employabilité redéfinit nombre de programmes gouvernementaux, la tendance à l’utilitarisme est à la hausse et frappe de plein fouet les adultes qui veulent compléter leur formation de base. Par ailleurs, quel qu’en soit le contenu, cette politique devra certainement reposer sur des moyens concrets et précis et s’accompagner de ressources probantes pour atteindre ses objectifs, ce qui aura un impact déterminant sur les conditions dans lesquelles les enseignantes et enseignants de l’EDA pourront réaliser leur mandat.

f) Programmes et contenus   : une brèche dans la réforme?

Quelques travaux menés depuis un an par le MELS peuvent nous laisser (enfin!) supposer des brèches importantes dans le sacro-saint temple de la réforme.

Dans un premier temps, l’introduction d’un nouveau programme annuel pour les maternelles  4 ans à temps plein en milieu défavorisé (TPMD), qui prône le recours à des approches pédagogiques variées, tantôt axées sur le jeu, tantôt explicites, dans le respect de l’autonomie professionnelle  des enseignantes et enseignants est, en soi, une excellente nouvelle. Quant aux programmes d’histoire, les travaux du comité mis en place par la ministre « sur le renforcement de l’enseignement de l’histoire nationale au primaire et au secondaire » sont porteurs d’espoir quant à la dénonciation en règle de l’approche socioconstructiviste radicale des programmes de formation de l’école québécoise qu’ils soutiennent. Afin d’en illustrer des bribes, il suffit de citer quelques extraits du document de consultation aux pages 6 et 9 qui stipulent que « sur le plan intellectuel, le programme actuel se distingue en s’appuyant sur une interprétation plutôt stricte d’une approche pédagogique, l’approche par compétences, qui, pour le meilleur et pour le pire, influence fortement le contenu du curriculum » et que « sur la scène québécoise et internationale, une littérature scientifique abondante témoigne des limites des programmes fondés sur une version radicale de l’approche par compétences41 ».

40 .Selon les dernières données, l’analphabétisme (grande difficulté à lire et à comprendre une information écrite ou le sens d’un énoncé) toucherait près de la moitié (49 %) de la population adulte (16 à 65 ans) du Québec, dont 16 % souffrirait d’analphabétisme complet et 33 % d’analphabétisme fonctionnel.

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Les travaux de ce comité déboucheront dès ce printemps sur un certain nombre de mesures, dont l’impact sur les conditions et l’organisation du travail devra être soigneusement analysé. Surtout, c’est le retour annoncé à l’enseignement et à l’évaluation de connaissances plus formelles qui méritera notre attention, notamment quant à savoir s’il pourrait constituer une réelle brèche pour l’ensemble des disciplines des programmes de formation ou s’il n’est appelé qu’à demeurer un cas isolé, spécifique à l’histoire ou, plus largement aux sciences humaines.

Quant au dossier de la généralisation de l’enseignement intensif de l’anglais, il ne mourra pas au feuilleton. D’une part, parce que cette orientation, bien que revue par la ministre Malavoy lors de son entrée en poste, demeure active sous une forme ou une autre dans les programmes et cartons des trois principaux partis politiques de l’Assemblée nationale, et d’autre part, parce que l’École nationale d’administration publique (ENAP) finira bien par publier le bilan que lui a commandé la ministre quant aux mesures libérales en matière d’enseignement de l’anglais au primaire42.

g) La pression numérique en continu

Élément moins politisé, mais tout aussi fondamental de la marchandisation de l’éducation et de la redéfinition des pratiques et contenus d’enseignement, le mouvement pour l’intégration des technologies de l’information ne cessera de pousser l’école vers une redéfinition de son organisation et de ses finalités. Si l’utilisation des Technologies de l’information et de la communication (TIC) est, en quelque sorte, dans l’ADN de l’école depuis sa création aux temps immémoriaux, dans la mesure où chaque époque a connu ses changements technologiques, le virage numérique à proprement parler s’accélère sans arrêt depuis le rapport de la Commission des États généraux sur l’éducation et l’implantation de la réforme Marois. Les investissements publics dans les appareils et logiciels informatiques et électroniques sont désormais considérables et occupent des espaces importants dans les budgets et les préoccupations des administrations scolaires. Si le transfert d’une partie croissante des apprentissages vers les outils numériques est clairement à l’agenda pédagogique, ses bienfaits sont encore contestés et nuancés, car les études scientifiques peinent à suivre le mouvement. Surtout, on constate que c’est sur le terrain de la compétition scolaire que se transpose l’informatisation de l’éducation, alors que chaque année, les écoles se disputent la palme de « l’innovation pédagogique » en intégrant les derniers gadgets de l’industrie dans leurs classes, ce qui peut donner une impression de modernité avant-gardiste aux parents. Pendant ce temps, l’implantation des tableaux numériques dans les écoles publiques demeure chaotique et soulève son lot de questionnements techniques, financiers et pédagogiques.

41 .MELS. Document de consultation – Pour le renforcement de l’enseignement de l’histoire nationale au primaire et au secondaire, novembre 2013, p. 6 et p. 9.

42 .Le 7 mars 2013, Mme Malavoy annonçait des assouplissements au programme libéral d’enseignement intensif de l’anglais en 6e année du primaire, et confiait à l’ENAP le mandat de mener un bilan de ce dernier, ainsi que de l’implantation de la mesure visant l’enseignement de l’anglais dès la première année.

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Ceci dit, le Québec n’est pas le seul dans cette situation. Certes, les lobbies électroniques, assoiffés de lucratifs contrats publics, ont démontré depuis longtemps leur vigueur dans ce domaine43. Mais la tendance est mondiale désormais, et la pression est forte pour que les économies nationales soient les plus performantes possible sur le terrain numérique. Aucun effort n’est ménagé pour accroître les compétences numériques, voulues comme universelles. Nul doute, donc, que la pression continuera de s’exercer sur l’école dans les prochaines années pour sensibiliser et former davantage le personnel enseignant et les élèves aux nouvelles exigences des appareils, des langages et des logiciels électroniques, les plaçant dans une dynamique d’adaptation constante et d’intégration toujours plus poussée des savoir-faire plutôt que des savoirs à travers les multiples plateformes proposées. Ce faisant, les conséquences sur l’autonomie professionnelle et sur les conditions de travail du personnel enseignant, ainsi que les qualités pédagogiques supposées de ce mouvement continu devraient faire l’objet d’une attention particulière.

h) Garder l’enseignement supérieur à l’œil

S’il nous apparaît plus éloigné de nos préoccupations principales, il pourrait être fort utile pour l’avenir de garder à l’esprit les changements qui s’opéreront très prochainement dans le monde collégial et universitaire. En effet, bien que la mission et les pratiques de l’enseignement supérieur et de l’enseignement public ne soient pas les mêmes ni totalement interdépendantes, il n’en demeure pas moins que le premier influence très souvent le second.

Or, compte tenu de la pression marchande qui s’exerce sur l’enseignement supérieur, deux phénomènes devront retenir notre attention. D’abord, il faut constater que la recherche d’une main-d’œuvre toujours plus flexible et polyvalente impose déjà à l’enseignement supérieur une reconfiguration des domaines de formation et de recherche44. Ce faisant, la pression qui s’exerce sur la définition des profils de formation scolaire d’accès aux études supérieures pourrait s’accroître, et par conséquent influencer de nouveau les programmes et pratiques de l’enseignement secondaire et de la formation professionnelle. Ensuite, dans la foulée du Sommet sur l’enseignement supérieur de février dernier, l’arrivée de « l’assurance-qualité »45 par la porte de l’université pourrait fort bien, puisqu’elle relève du même discours et du même esprit, créer une pression supplémentaire en faveur d’un accroissement de

43 .En 2012, il avait été révélé qu’un ancien membre du cabinet de Jean Charest était devenu lobbyiste pour le fournisseur Smart Technologies (Smart Board), qui avait raflé des contrats auprès de 75 % des commissions scolaires. Le scandale a poussé le MELS à lancer un nouvel appel d’offres, selon d’autres règles, après l’arrivée au pouvoir du Parti québécois.

44 .Plusieurs syndicats, analystes et auteurs dénoncent la tendance des universités, ces dernières années, à favoriser les investissements dans les filières jugées rentables et performantes (sciences, technologies de pointe, etc.), susceptibles de leur assurer contrats de recherche et renommée sur la scène internationale, au détriment des sciences sociales, de la littérature, des arts, etc. Si bien qu’on assiste à une gestion et à une fréquentation différentielles des équipements, ressources, locaux, équipes et outils de recherche entre les départements et facultés, dont certaines voient leur qualité ou même leur existence menacée à terme.

45 .Cette expression désigne la mise en place de mécanismes visant à évaluer les systèmes d’éducation supérieure aux fins d’assurer des normes de qualité aux marchés qu’ils desservent, selon l’esprit auquel ils disent répondre. Plusieurs acteurs de l’enseignement supérieur québécois (CREPUQ, CIRANO, CSE) font la promotion de cette approche managériale depuis 2010.

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l’imputabilité et des exigences ou contrôles liés à « la performance » des enseignantes et enseignants du primaire et du secondaire.

En ce sens, les luttes qui s’annoncent dans le monde syndical et étudiant de l’enseignement supérieur mériteront notre attention et peut-être notre soutien dans la mesure où nous pourrions partager une communauté d’intérêts sur une vision d’ensemble de l’éducation, visant à protéger les acquis humanistes et l’institution publique elle-même.

6. Des inégalités toujours croissantes

Malheureusement, il y a bien peu de chance pour que la pauvreté, l’exclusion sociale, les inégalités socioéconomiques et les inégalités entre les hommes et les femmes soient éradiquées d’ici la fin du triennat. Ainsi, tous ces problèmes, qui affectent aussi certains de nos membres dans leurs conditions de vie et d’exercice, soit parce qu’ils les subissent personnellement, soit parce qu’ils caractérisent le quotidien de leurs élèves, continueront certainement d’interpeller la Fédération, tant dans ses analyses et ses orientations que dans ses actions et ses liens de solidarité.

D’emblée, si on peut se décourager de la persistance de ces inégalités, force sera de constater que certaines d’entre elles s’accentuent, particulièrement au gré de la mise en place de certaines politiques néolibérales.

D’abord, les conditions de vie méritent un examen constant. Si le développement économique se fait plus lent, il n’en demeure pas moins que les revenus et donc le pouvoir d’achat des individus et des ménages évoluent lentement46. Et particulièrement lorsqu’on a l’État pour employeur47. Cette pression sur le budget des familles, alors que le prix des denrées, les coûts de logement (loyers comme hypothèques) et les frais de transport (essence, titres de transport) ne cessent de s’accroître, se traduit en une croissance continue de l’endettement des ménages48. Pendant ce temps, la tendance à la tarification des services (hausses des tarifs d’Hydro-Québec, perspectives de péages sur certains ponts, multiplication des frais administratifs dans plusieurs services, etc.) alourdit autrement le fardeau de la classe moyenne et des plus démunis. Dans ce contexte, les besoins de soutien gouvernemental s’accroissent, alors que l’accessibilité et le financement des programmes sociaux continuent de s’effriter. En somme, il faut admettre que les écarts de richesse continuent de s’accroître49 et que ce sont encore les plus démunis et les plus vulnérables de notre société qui font les frais de la crise

46 .Entre 2006 et 2010, le revenu moyen disponible des particuliers a augmenté de 11,6 %, et celui des ménages de 11,9 %. Les revenus d’emploi des individus ont évolué de 11,4 %. Pendant ce temps, le coût de la vie, mesuré selon l’indice des prix à la consommation (taux d’inflation), croissait de 6 %. C’est dire que le pouvoir d’achat moyen n’a augmenté que d’environ 1,4 % par an. (ISQ, 2013)

47 .Le 28 novembre dernier, l’ISQ rendait publics les résultats de son étude sur la rémunération des salariés, révélant pour 2013 un écart de 11,7 % entre les salaires ayant cours dans les secteurs public et parapublic et ceux pratiqués dans les entreprises privées de 200 employés et plus. Pour les entreprises plus petites, l’écart était de 8 %.

48 .Au second trimestre de l’année 2013, Statistique Canada estimait que l’endettement (incluant les hypothèques) des ménages atteignait le record historique de 163,4 %. C’est dire que pour chaque dollar gagné, les ménages canadiens doivent rembourser 1,63 $. Il s’agit d’une hausse de plus de 11 % en un an.

49 .Ces dernières années, même le Conference Board et l’OCDE le disent…

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économique et des politiques d’austérité. Il est ainsi difficile de croire que tous les jeunes et tous les adultes qui fréquentent le réseau public d’éducation bénéficient de l’égalité des chances nécessaire à la pleine réussite de leur projet d’études.

Principales concernées par ces tendances socioéconomiques, les femmes continuent de subir, sur d’autres fronts, des attaques qui menacent ou freinent leur marche vers l’égalité de fait avec les hommes, et ce, en dépit de la volonté de la Charte des valeurs québécoises de consacrer l’égalité de genre comme un principe quasi constitutionnel de notre société. Alors que les conservateurs continuent de s’acharner aux fins de limiter le droit à l’avortement et les chances du Québec de maintenir son registre des armes d’épaule, le mouvement féministe demeure confronté à la banalisation de nouvelles formes de discrimination et de violence envers les femmes. À l’heure de la cyberintimidation, de l’hypersexualisation des jeunes filles, de l’organisation de la prostitution ou de la pornographie juvéniles jusque dans les cours d’école, notre société devra s’interroger sur les moyens qu’elle prend pour défendre ce qu’elle considère être une « valeur non négociable ». Débats sociaux fondamentaux que les travaux des derniers États généraux de l’action et de l’analyse féministes (14 au 17 novembre) devraient contribuer à alimenter pour les années à venir. Plus insidieuses, la discrimination systémique et les inégalités induites par le modèle économique qui est le nôtre demeureront un enjeu de premier plan dans les prochaines années, alors que les pouvoirs publics continuent de resserrer, au nom de l’employabilité et de l’austérité, les règlementations, mais aussi les prestations des divers programmes sociaux dont les femmes sont les premières bénéficiaires, alimentant sans doute le cercle de pauvreté dans lequel elles se trouvent. Enfin, si les mesures de soutien à la famille ont favorisé l’arrivée supplémentaire de milliers de femmes sur le marché du travail, la réorganisation des modèles familiaux et le poids des responsabilités économiques et familiales qui pèse sur les femmes dans ce contexte appellent une nouvelle conception sociale du travail, qui exigera des innovations importantes en matière de conciliation travail-famille. À cette fin, l’appel d’une coalition pour l’adoption d’une loi-cadre50 devra primer sur la vision embryonnaire et patronale qui semble se dégager du dernier Forum de la famille québécoise.

Sur ces divers fronts en mouvement, les prochaines élections fédérales et provinciales, tout comme la négociation nationale des secteurs public et parapublic seront des moments privilégiés pour dénoncer l’accroissement des inégalités et tisser des liens de solidarité avec les mouvements féministe, civique, populaire et communautaire qui partagent nos préoccupations. Vraisemblablement, dans le contexte économique et budgétaire qui nous attend, les femmes, les membres de la classe moyenne et les personnes les plus démunies continueront de faire les frais de priorités politiques qui ne tiennent pas nécessairement compte de leurs besoins et de leurs réalités. Or, puisque l’amélioration des conditions de vie et d’exercice de nos membres, et l’amélioration des conditions d’apprentissage et de réussite des élèves passent aussi par la lutte contre les inégalités – et

50 .Le Regroupement pour une loi-cadre en matière de conciliation travail-famille (CTF) compte neuf organisations syndicales (APTS, CSD, CSN, CSQ, FAE, FIQ, FTQ, SFPQ et SPGQ) qui parlent au nom de près de 1,36 million de personnes syndiquées. En septembre, le regroupement faisait parvenir à la ministre de la Famille un avis (document A1314-CF-039) destiné à alimenter les discussions du Forum de la famille québécoise (7 et 8 novembre), particulièrement quant aux enjeux relatifs à la conciliation travail-famille.

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particulièrement celles qui touchent les femmes –, la Fédération sera certainement appelée à participer à la nécessaire convergence des luttes qu’impose la situation actuelle. À cet égard, la tenue d’un Forum social pancanadien à l’automne 2014 et l’appel à tenir un Forum social mondial au Québec pour 2015, entre autres, pourraient s’annoncer comme des lieux privilégiés où bâtir cette solidarité. D’ici 2016, enfin, la Fédération aura également l’occasion d’approfondir ses analyses et de discuter de nouvelles orientations en la matière dans le cadre de l’élaboration d’une plateforme sociopolitique notamment destinée à guider ses actions face à ces inégalités.

7. Conclusion : du pain sur la planche

Le triennat qui s’ouvre sera crucial pour le développement à long terme de la Fédération. Non seulement le Ve Congrès a pris des résolutions structurantes et porteuses qui ne manqueront pas d’occuper à plus d’un titre la Fédération et ses syndicats affiliés pour les trois prochaines années, mais les retombées de certains des chantiers annoncés devront se faire sentir dans ses structures et ses actions, souhaitons-le, durant plusieurs années. Pendant ce temps, la seconde négociation nationale de l’histoire de notre jeune Fédération mobilisera les principales énergies autour d’un projet commun assorti d’une obligation de résultat.

Si le travail qui nous attend collectivement est d’une ampleur considérable, notre défi n’en sera qu’accru par un lot tout aussi considérable de facteurs et d’événements externes qui ne manqueront pas d’interpeller également la Fédération à maints égards. La situation économique, couplée à l’imminence d’élections provinciales et fédérales, ainsi qu’à un contexte syndical agité définiront non seulement le contexte et les enjeux stratégiques de la prochaine négociation nationale des secteurs public et parapublic, mais aussi le terreau sur lequel seront menées les politiques sociales pour les prochaines années. C’est dans cet environnement mouvant, mais garant d’une certaine continuité idéologique que notre action syndicale et démocratique, nos revendications en matière d’éducation ou de relations du travail, nos solidarités seront appelées à s’exercer et à se consolider, mais seront également confrontées et mises à l’épreuve.

Si notre plan d’action triennal identifie nos priorités de travail d’ici au Congrès de 2016, notre capacité de le mener à bien dépendra, au-delà de nos moyens et de notre planification internes, de notre vigilance face aux mouvements conjoncturels externes et de notre habileté à y répondre dans le respect à la fois de nos orientations et mandats, et à la fois de nos priorités organisationnelles.