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Bonne planque à la campagne 3h et 4f / 2h et 5f Comédie en deux actes de Charles Istace Les droits de représentation sont à demander à : S.A.B.A.M. Rue d’Arlon 75-77 1040 BRUXELLES Tél de Belgique : 02/286 82 11 Tél de l’étranger : 00/32/2/286 82 11 Adresse Mail : [email protected]

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Bonne planque à la campagne 3h et 4f / 2h et 5f

Comédie en deux actes

de

Charles Istace

Les droits de représentation sont à demander à :

S.A.B.A.M.

Rue d’Arlon 75-77 – 1040 BRUXELLES

Tél de Belgique : 02/286 82 11

Tél de l’étranger : 00/32/2/286 82 11

Adresse Mail : [email protected]

Bonne planque à la campagne

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L’histoire

Un couple de fermiers voit débarquer chez lui deux religieuses qui disent venir assister à la procession

de la Saint-Martin prévue dans le village. Inspirée par sa foi, la fermière accepte de loger

gracieusement le duo pout la nuit. En réalité, ces femmes n’ont de sœur que le nom. Elles ne sont que

des voleuses minables qui cherchent à se planquer après avoir braqué une bijouterie. Un hasard

cocasse veut qu’une des braqueuses soit une ancienne hôtesse de bar dont le fermier s’est offert les

faveurs lors d’escapades à Paris pendant le Salon de l’Agriculture.

Quiproquos, rebondissements et suspens sont les maîtres mots de cette comédie. Soulignons la place

importante que tient le monde de la ferme, en particulier les animaux.

Il peut être intéressant de placer l’action dans la région où se déroule la représentation.

Durée de la pièce

Plus ou moins 100 minutes.

Le décor

La pièce à vivre d’une ferme. Côté cour, une porte donne sur la cuisine. Côté jardin, une autre porte

d’aspect rustique permet l’accès à l’étable et au fenil. Au fond, se trouvent l’entrée principale ainsi

qu’une fenêtre qui offre une vue sur une cour intérieure. A prévoir également, un escalier menant aux

chambres de l’étage.

Les objets indispensables sur scène sont : un fauteuil, une table et des chaises, un journal, un

téléphone, une armoire, une peinture (copie d’un Degas) accrochée au mur et une tapette à mouches.

Un clapier à lapin et une fourche sont amenés durant la représentation. A prévoir également un

ensemble de cruches de grandeurs différentes à placer sur un des bords extérieurs de l’avant-scène

(éventuellement devant le rideau). Une de ces cruches sert au fermier à dissimuler sa bouteille de

Whisky.

Aucun effet d’éclairage n’est à envisager, à part un gyrophare, dont les flashs doivent apparaitre à

travers la fenêtre à la fin du deuxième acte.

Bonne planque à la campagne

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Les personnages

MAURICE : fermier, époux de Fernande, âgé d’une cinquantaine d’années. Son caractère bourru et

son tempérament misanthrope rendent les relations avec sa femme et autrui parfois difficiles. Maurice

est un homme du cru dont l’accent rural sent bon le terroir. Le personnage passe particulièrement bien

quand il roule les « r »

FERNANDE : fermière, épouse de Maurice. Elle aussi est âgée de plus ou moins cinquante ans. Cette

grande croyante est une travailleuse infatigable qui ne dépose son tablier que pour aller à la messe.

Elle se montre prévenante avec les autres, sauf avec son mari, avec qui elle est autoritaire. Fernande

s’exprime dans un français très correct, sans accent trop prononcé.

VICTOR : jeune garçon de ferme au physique plutôt avenant qui s’exprime en bégayant, excepté avec

les animaux ! Dans l’histoire, il parvient à se débarrasser de son handicap d’une manière inattendue.

STEPHANIE et GABY : duo de braqueuses ratées qui cherchent à échapper à la police en se faisant

passer pour des religieuses venant assister à une procession. Stéphanie (appelée Steph) s’affirme

comme l’intellectuelle du duo. Sa ruse et son sens de l’initiative lui confèrent un tempérament de

leader. Gaby, sa complice, est animée d’une spontanéité et d’un franc parler qui donne des sueurs

froides à ses complices. Elle joue facilement de ses charmes pour arriver à ses fins et s’exprime dans

un langage ordinaire truffé d’argot.

LE POLICIER : flic de quartier pas très futé qui est également un bon copain de Maurice.

JENNIFER : amie de Stéphanie qui intervient un long moment à la fin de l’histoire. Cette adepte des

arts martiaux est tout sauf une personne recommandable. Elle se montre volontiers menaçante et

agressive.

L’animal

JEANNOT : lapin qui est amené dans une cage. Idéalement, ce devrait être un lapin d’élevage

enfermé dans un clapier dans le style de ceux qui renferment des petits animaux sur les marchés. Une

peluche réaliste peut également faire l’affaire.

Autres versions possibles

- 3 hommes et 5 femmes : avec trois braqueuses au lieu de deux.

- 2 hommes et 5 femmes : avec une policière à la place du policier.

- 4 hommes et 4 femmes : avec trois braqueuses au lieu de deux et le rôle de Jennifer adapté

pour être joué par un homme.

Les textes peuvent être demandés directement à l’auteur ([email protected]).

Bonne planque à la campagne

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Acte 1

Au lever de rideau, la pièce est déserte. Au loin, le hurlement d’une sirène de police se fait entendre.

Soudain, une personne arrive de l’étable. Elle est en training, a le visage caché par un foulard et la

tête couverte par une capuche ou un bonnet. Seuls les yeux sont apparents (un masque peut également

convenir). Elle porte des gants et un sac à dos. Après avoir entrouvert discrètement la porte de la

cuisine pour s’assurer que personne ne s’y trouve, elle abaisse son foulard et sa capuche, laissant

apparaître un visage de femme.

STEPHANIE : (Appelant sa comparse qui est cachée derrière la porte.) Tu peux venir !

Une femme entre. Elle est vêtue comme Stéphanie et transporte un petit sac en toile. Des brins de

paille sont accrochés à ses vêtements.

GABY : (Tenant fermement le sac en toile contre sa poitrine.) T’es certaine qu’il n’y a personne,

Steph ?

STEPHANIE : Tu le vois bien, non ?

A son tour Gaby abaisse son foulard et sa capuche.

GABY : (Eternuement.) A… atchoum !

STEPHANIE : Ça sent quoi, ici ?

GABY : Ne me le demande pas, j’ai le nez comme une patate à cause du foin.

STEPHANIE : La ferme !

GABY : Qu’est-ce qui te prend de me répondre ainsi ?

STEPHANIE : Je dis que ça sent la ferme : les animaux, le fumier.

GABY : (Eternuant.) A… atchoum !

STEPHANIE : Chut !

Les femmes enlèvent leurs gants alors qu’une sirène de police se fait entendre.

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GABY : Elle me fout les jetons, c’te ferme. Foutons le camp !

STEPHANIE : T’es folle ! A l’extérieur, ça grouille de flics. Tu veux qu’on se fasse arrêter ?

GABY : Envoie un texto à Jennifer pour lui demander de venir nous chercher.

STEPHANIE : C’est ça, et je lui communiquerais quelle adresse, pauvre pomme ?

GABY : C’est vrai, nous ne savons même pas où nous sommes. Ta copine Jennifer, je la retiens.

(Pestant.) Pour faire le braquage, elle aurait au moins pu nous prêter une bagnole en bon état.

STEPHANIE : Je sais, si le moteur n’avait pas callé alors qu’on se taillait avec le butin, on n’en serait

pas à devoir se cacher dans le fin fond de la cambrousse.

GABY : Encore heureux que la voiture se soit arrêtée le long d’un étang.

STEPHANIE : Et qu’on ait pu la balancer dans la flotte sans se faire repérer, sinon, à l’heure qu’il est,

les flics nous seraient déjà tombés dessus.

GABY : Hier, Jennifer m’a dit, en me donnant les clés : fais gaffe de ne pas noyer le moteur ! Ben

c’est réussi ! Elle sera furibarde en apprenant qu’on a transformé sa tire en sous-marin… (Stéphanie a

l’attention attirée par le titre qui figure en première page du journal.) T’as la tête à lire la gazette,

toi ?

STEPHANIE : Ecoute ça : (Lisant.) « Comme chaque année à Grévigny, la messe donnée le jour de la

Saint-Martin sera suivie de la procession des reliques du saint Patron. Une foule importante est

attendue tout le long du parcours. De nombreux représentants de congrégations religieuses honoreront

l’événement de leur présence. »

GABY : Elle est pour quand, cette procession ?

STEPHANIE : Demain. Bon ! Nous savons maintenant que nous sommes à Grévigny. Je peux

envoyer un texto à Jennifer.

GABY : J’espère qu’elle viendra vite nous tirer de ce trou à rats.

STEPHANIE : Ce n’est pas pour tout de suite.

GABY : Eh, raconte pas d’histoire.

STEPHANIE : Jennifer est en liberté conditionnelle. Il ne s’agirait pas qu’elle se fasse contrôler près

d’une bijouterie qui vient d’être braquée.

GABY : (Découragée.) Je sens qu’on se prépare une nuit de galère !

STEPHANIE : Avec tout ça, on n’a pas pris le temps de jeter un coup d’œil au butin. A toi

l’honneur... (Gaby vide le contenu du sac sur la table.) C’est tout ?

GABY : Quelle misère !

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STEPHANIE : (Déçue.) A part un collier en diamant, on n’a vraiment pas volé grand-chose.

GABY : (Parlant du collier.) Ouah ! Vise-moi ça ? (Elle parade fièrement avec le collier.) Comment

tu me trouves ? J’ai l’impression d’être la Castafiore.

STEPHANIE : (Reprenant le collier.) Pas touche à la marchandise !

GABY : Dommage ! Pour une fois que j’ai de quoi jouer les divas !

STEPHANIE : J’enrage. J’ai justement tapés les bijoux les plus précieux dans l’autre sac.

GABY : Avec le flingue que Jennifer nous avait prêté.

STEPHANIE : Et je les ai stupidement perdus en m’enfuyant de la bijouterie. Je suis vraiment nulle.

GABY : Faut pas dire ça, Steph. T’as pas l’habitude, c’est tout.

STEPHANIE : Heureusement qu’on a ce collier en diamant pour rembourser la bagnole.

GABY : Tu rigoles ? Il nous restera quoi, si on s’en sépare ? Que nos yeux pour pleurer !

STEPHANIE : Tu as une autre solution ? Dans le milieu, on ne fait pas de quartier avec les bons à rien

qui ne paient pas leurs dettes. Je n’ai pas envie de me faire trouer la peau, moi.

GABY : Avec le peu de breloques qu’il nous reste, on peut dire adieu à la bicoque qu’on projetait de

s’acheter à la campagne. Quand je pense aux risques que nous avons pris. Finalement, ce n’était pas

une bonne idée de braquer une bijouterie.

STEPHANIE : Tiens donc ! Au début, tu étais plutôt emballée. Tu disais vouloir du fric pour ne plus

devoir travailler comme hôtesse de bar.

GABY : Tout juste. Au Liberty Bar, j’en avais marre de passer mes soirées à satisfaire les caprices

lubriques de bourgeois en manque. Mais on aurait quand même pris moins de risques en braquant un

bar-tabac.

STEPHANIE : Bon, ce qui est fait est fait. Pas la peine de revenir là-dessus.

GABY : Pff ! J’sais pas toi, mais, moi, j’étouffe dans ce fichu training.

STEPHANIE : Moi aussi. Il est temps de mettre les fringues qu’on trimballe dans nos sacs.

Une sirène de flic retentit au loin.

GABY : (Jetant un coup d’œil par la fenêtre.) Vingt-deux. Je vois une bonne femme se pointer dans

la cour. (Stéphanie et Gaby s’activent à remettre les bijoux dans le sac.)

STEPHANIE : Planquons-nous. Vite !

GABY : Atchoum ! Moi, en tout cas, je ne retourne plus dans ce putain de fenil !

STEPHANIE : Alors, filons dans l’étable !

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Les deux femmes s’apprêtent à sortir par la porte qui donne sur l’étable.

GABY : Mince ! J’entends des pas… L’escalier, vite !

STEPHANIE : (Marquant un temps d’arrêt au bas de l’escalier.) N’oublie pas les bijoux !

Gaby brandit le sac. Les deux braqueuses montent l’escalier à toute vitesse. Une femme portant un

tablier arrive par la porte d’entrée. Elle transporte un panier contenant des œufs.

FERNANDE : (Observant le contenu du panier.) Les œufs ne sont pas bien gros, ces temps-ci !

Faudra remplacer les poules paresseuses par des pondeuses plus vaillantes. (Un homme portant une

salopette et des bottes arrive de l’étable.) Victor, quand tu iras au marché, tu ramèneras trois belles

rousses pour le poulailler.

VICTOR : (Qui bégaie.) Oui, pa… atronne !

FERNANDE : Choisis-les hautes sur patte, ce sont les meilleures.

VICTOR : Oui, pa… atronne !

FERNANDE : La truie n’a toujours pas mis bas ?

VICTOR : Non, pa… atronne !

FERNANDE : Encore une chose : n’oublie pas d’amener le lapin !

VICTOR : Oui, pa… atronne !

Victor sort par la porte d’entrée.

FERNANDE : Il m’énerve avec ces " Pa… atronne !" Enfin, comme dit monsieur le curé : « Prions le

Seigneur afin qu’il vienne en aide aux déshérités. »

Une sirène de police retentit au loin. Maurice arrive de l’étable avec une cruche de lait qu’il dépose

sur la table.

MAURICE : Quel ramdam, dehors !

FERNANDE : Il a dû se produire un accident quelque part. Les vaches ont bien donné, aujourd’hui ?

MAURICE : (Bougon.) Oh ! C’est le cadet de mes soucis, Fernande.

FERNANDE : Voilà tout ce que tu trouves à dire ? Ce lait est notre gagne-pain, je te signale.

Fernande transporte la cruche à la cuisine.

MAURICE : (Désabusé.) Dis plutôt qu’il fait de nous des gagne-misère. Son prix n’arrête pas de

baisser. Si ça continue, faudra arrêter la production.

FERNANDE : (Revenant de la cuisine.) Tant qu’à faire, aménageons des chambres d’hôtes.

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MAURICE : Compte là-dessus ! La dernière fois que des étrangers ont mis les pieds ici, c’étaient les

Allemands en quarante.

FERNANDE : (Qui prend la tapette à mouches.) Et alors ? Ça n’a rien à voir.

MAURICE : (Qui s’emporte.) Non di diou ! J’suis chez moi et personne ne viendra m’emmerder.

FERNANDE : Réfléchis un peu, tête de nœud. (Elle tue une mouche sur la table d’une frappe bien

ajustée.) Organiser des vacances à la ferme mettrait du beurre dans les épinards, et puis le retour à la

terre est dans l’air du temps. Tu le dis chaque fois que tu reviens du Salon de l’Agriculture de Paris.

MAURICE : T’as rien compris. Les gens vont au Salon de l’Agriculture comme des curieux, pour

admirer les bêtes de concours et caresser les petits veaux, mais donne-leur une pelle et un balai pour

nettoyer la bouse et la pisse à l’étable et tu verras s’ils aiment tant que ça le retour à la terre !

FERNANDE : Alors, on appâtera le touriste en construisant une piscine.

Fernande tue une nouvelle mouche avec sa tapette.

MAURICE : Une piscine ? Où voudrais-tu la mettre ? Le seul endroit plat est la cour, à côté de la

fosse à purin. Une piscine qui pue la merde attire les mouches, pas les touristes, Fernande.

FERNANDE : (Agacée.) Ça ne sert à rien de discuter avec toi. Tu dois toujours avoir raison.

MAURICE : J’ai raison parce que c’est moi qui pense le mieux et pis c’est tout.

FERNANDE : Bon ! Conduis-moi à l’église. Au moins, tu te rendras utile.

MAURICE : Pourquoi ? T’es pas encore confessée ?

FERNANDE : J’ai promis à monsieur le curé de m’occuper des fleurs, pour la procession.

MAURICE : Encore une belle connerie, c’te procession !

FERNANDE : (Indignée.) Tais-toi, mécréant.

MAURICE : Demain, les rues seront pleines d’étrangers. Je ne me sentirai plus chez moi dans mon

village.

FERNANDE : Cesse de causer et conduis-moi à l’église.

MAURICE : Je t’en foutrai, moi, de la Saint-Martin.

Maurice et Fernande sortent dans la cour. Stéphanie descend prudemment l’escalier. Elle a enlevé

son training et porte des vêtements sobres. Elle a gardé son foulard autour du cou.

STEPHANIE : (Téléphonant en parlant à voix basse.) Allô ? Jennifer ? Ah enfin ! J’ai essayé de

t’envoyer un texto mais il ne passe pas… Pas trop bien, non. C’est la cata ! On a perdu la moitié du

butin et il a fallu se débarrasser de ta voiture, je t’expliquerai… Pour le moment on se cache dans une

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ferme. Je t’enverrai l’adresse… Non, non ! C’est pas le moment de te pointer ici, les rues grouillent de

flics. Allez, je te laisse. (Stéphanie range son portable et appelle Gaby.) Alors, Gaby, tu viens ?

Le bruit d’une voiture qui s’éloigne se fait entendre.

GABY : (Du haut.) Une minute.

STEPHANIE : Descends tout de suite… (Prise d’un doute.) Avant de quitter le grenier, j’espère que

j’ai bien fermé la malle avec les bijoux et les trainings !

Gaby arrive au bas de l’escalier. Elle porte des hauts talons, une jupe plutôt affriolante et a gardé son

foulard.

STEPHANIE : Qu’est-ce que tu fabriquais ?

GABY : (Troublée comme si elle était prise en défaut.) Rien du tout. Bon, on fait quoi maintenant ?

STEPHANIE : On se cache en attendant l’arrivée de Jennifer.

GABY : Ça va être la joie, avec le fermier qui peut nous tomber dessus à tout moment !

STEPHANIE : J’ai trouvé la solution pour pouvoir nous abriter dans cette ferme en toute sécurité.

Nous allons demander aux propriétaires de nous héberger.

GABY : Tu deviens loufdingue ou quoi ?

STEPHANIE : Pas du tout. L’idée m’est venue tout à l’heure en lisant l’article (Elle ouvre le journal

et lit.) « La tradition veut que les habitants de Grévigny hébergent gracieusement les religieux et les

pèlerins qui viennent pour la procession. »

GABY : On n’est pas des religieuses, nous.

STEPHANIE : Peu importe. Avec un peu d’imagination, nous ferons des Sœurs très convaincantes.

GABY : (Sceptique.) Si tu le dis.

STEPHANIE : Parfaitement. La première chose à faire est de s’inventer une communauté.

GABY : On pourrait s’appeler, je ne sais pas moi (Réfléchissant.) les Sœurs des Petits Pauvres.

STEPHANIE : Des Petits Pauvres, c’est trop banal. Non, je pense à un nom

comme (Réfléchissant.) les Sœurs de la Divine Famille.

GABY : Ah oui, c’est plus original et puis la Divine Famille, ça sonne bien. Mais le nom ne suffira

pas à nous faire ressembler à des religieuses.

STEPHANIE : (Sur le ton du reproche.) Surtout avec ton look, Gaby !

GABY : Comment ça, mon look ?

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STEPHANIE : Jennifer nous avait expressément demandé de mettre des habits passe-partout pour

éviter de nous faire remarquer.

GABY : Ben, oui. Et alors ?

STEPHANIE : Toi, avec ta jupe, t’es loin du compte.

GABY : (Vexée.) C’est pas de ma faute, j’ai rien d’autre à me mettre.

STEPHANIE : Tant pis, tu passeras pour une novice qui attend de porter l’habit.

GABY : (Riant de bon cœur.) Ah ! ah ! ah ! Une novice, moi ? (Elle se met de profil et se donne une

tape sur la fesse.) Avec les kilomètres que j’ai au compteur ! C’est trop drôle.

STEPHANIE : Pour ressembler à une sœur, tu devras surveiller ton langage et changer ta dégaine.

Lola la friponne du Liberty Bar, c’est terminé. Ici, plus question de chiquer et de se déhancher de

manière vulgaire. Tu montreras de la retenue, comme une petite fille bien sage.

GABY : Bien sage. Faudra vachement que je me contrôle.

STEPHANIE : Le mieux sera encore de te taire et de me laisser parler.

GABY : C’est pas gagné. De toute ma vie, j’ai jamais su me taire, alors…

STEPHANIE : Tu feras un effort, voilà !... Chez les religieuses, c’est généralement la Mère

Supérieure qui s’exprime. Gaby, je m’adresserai à toi en t’appelant sœur Gabrielle. Ou plutôt, non,

Sœur Marie-Gabrielle.

GABY : Bonne idée. Avec Marie, ça fait plus grenouille de bénitier.

STEPHANIE : Toi, tu me répondras en disant : ma Mère. Compris ?

GABY : (Effectuant une légère courbette.) Oui, ma Mère… J’y pense. Des Sœurs, ça porte un voile.

STEPHANIE : Nous avons des foulards qui feront parfaitement l’affaire… Autre chose, dans le butin,

j’ai trouvé ces deux babioles.

Stéphanie donne à sa comparse un pendentif ou une broche en forme de croix.

GABY : Oh ! Une petite croix ! Avec ça, on nous donnera le bon Dieu sans confession.

STEPHANIE : Maintenant, écoute-moi bien. Nous allons sortir, contourner discrètement le bâtiment

et attendre que les fermiers reviennent avant de frapper à leur porte.

GABY : D’accord.

STEPHANIE : Une dernière chose. L’accueil risque d’être frileux s’ils te découvrent dans cette tenue.

Je me présenterai toute seule. Toi, tu attendras un petit moment avant de venir me rejoindre.

Le bruit d’une voiture qui arrive se fait entendre.

Bonne planque à la campagne

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GABY : Tu entends ?

STEPHANIE : (Jetant un coup d’œil discret par la fenêtre.) Quelqu’un arrive. Filons !

GABY : Et les bijoux ?

STEPHANIE : On les laisse dans la malle du grenier.

GABY : T’as raison. Si ça tourne au vinaigre, Jennifer nous aidera à venir les récupérer.

Les deux femmes sortent par la porte qui donne accès à l’étable. Maurice arrive par la porte d’entrée.

MAURICE : (Pestant.) Ah ! Quel carnaval, c’te procession ! Vivement demain, que tout soit fini…

Maintenant, un petit remontant !

Maurice sort une bouteille de whisky d’une des cruches placées à l’avant-scène et se remplit un petit

verre. Victor surgit par la porte d’entrée. A peine arrivé, il regarde son patron avec envie.

MAURICE : Comment ça va-t’y, Victor ?

VICTOR : Bien, pa… atron.

MAURICE : (Voyant le regard envieux de Victor.) Tu veux boire un coup ? (Victor opine du chef

avec un sourire qui se suffit à lui-même. Maurice sert un verre à son garçon de ferme) C’est bon pour

une fois mais ne dis rien à la patronne, hein ?

Les deux hommes lèvent leur verre.

VICTOR : A !... à !… à ! …

MAURICE : (Le coupant.) C’est ça, à la tienne ! (Les deux hommes boivent.) Retourne travailler,

maintenant. Au fait, t’as changé la truie d’enclos en attendant qu’elle mette bas ?

VICTOR : Oui, pa… atron.

MAURICE : Tu penseras aussi à amener le lapin ?

VICTOR : Oui, pa… atron !

MAURICE : A la Saint-Martin, les lapins portent bonheur ! (Ricanement.) Ce dicton est une

carabistouille mais la patronne y croit dur comme fer. N’oublie pas, sinon, elle va rouscailler.

VICTOR : Oui, pa… atron !

Victor se rend à l’étable.

MAURICE : J’prendrais bien un nouveau remontant, moi. (Maurice se sert un nouveau whisky.

Stéphanie frappe à la fenêtre.) Qu’est-ce que c’est ? (Elle pénètre dans la pièce sans que le fermier ne

l’y invite. Elle porte une petite croix et un foulard noué sur la tête à la manière d’une religieuse.

Maurice est surpris par cette arrivée inopinée. Il range en vitesse le verre et la bouteille.) Vous gênez

surtout pas !

Bonne planque à la campagne

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STEPHANIE : (Prenant un air compassé.) Bonjour, monsieur. Je suis la Mère Supérieure de la

congrégation des Sœurs de la Divine Famille. Je viens assister à la procession de la Saint-Martin.

MAURICE : Qu’est-ce que vous me voulez ?

STEPHANIE : (Humblement.) Je cherche un endroit pour passer la nuit, mon bon monsieur.

MAURICE : C’est une ferme, ici, pas un hôtel.

STEPHANIE : On vante beaucoup la générosité des habitants de Grévigny qui ouvrent leur porte aux

pèlerins et aux religieux.

MAURICE : Ouvrent leur porte, c’est vite dit. Nous, les gars de la campagne, on aime bien notre

tranquillité et pis on se méfie des gens qui sont pas d’ici.

STEPHANIE : Rassurez-vous. Je ne resterai qu’une nuit. Laissez parler votre cœur, mon bon

monsieur. Le Seigneur vous le rendra.

MAURICE : Il me le rendra comment ? En montant le prix du lait ?

STEPHANIE : En récompense, je dirai des prières pour le salut de votre âme.

MAURICE : Arrêtez vos bondieuseries. Allez, ouste ! J’ai des choses à faire.

Gaby arrive.

STEPHANIE : Je vous présente Sœur Marie-Gabrielle, qui m’accompagne. Elle vient tout juste de

rejoindre notre communauté.

GABY : (Reconnaissant le visage du fermier.) Momo ! Ça alors !... (Maurice blêmit.) C’est ici que tu

crèches ?

STEPHANIE : (Donnant un coup de coude discret à Gaby.) Tais-toi, donc !

GABY : C’est Momo, un de mes réguliers au Liberty Bar. (A Maurice.) Ben, mon vieux. Si je

m’attendais à te trouver dans ce trou perdu !

STEPHANIE : (Prenant un air supérieur.) Vous prétendez connaître ce monsieur, Sœur Marie-

Gabrielle ?

GABY : Dame, bien sûr que je le connais. Lui aussi, il me connaît. Chaque année, il profite du Salon

de l’Agriculture pour venir à Paris se rincer la dalle au champagne et faire des galipettes avec moi.

MAURICE : (Bredouillant.) Pas du tout, madame. Vous… vous confondez avec quelqu’un d’autre.

GABY : (Offusquée.) Tu me prends pour une gourde ou quoi ? Ne m’fais pas croire que t’as oublié

Lola la friponne !

MAURICE : (Feignant de ne pas la connaître.) Lola comment ?

Bonne planque à la campagne

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GABY : Attends, je vais te rafraîchir la mémoire : la chaise à bascule, ça ne te dit rien ? La brouette

thaïlandaise, ça ne te dit rien non plus ? C’est moi qui faisais la brouette.

MAURICE : (Cherchant à couper court à la conversation.) Ici, on ne connait que la brouette de

ferme. Maintenant, laissez-moi.

STEPHANIE : Pas si vite, monsieur. Le témoignage de Sœur Marie-Gabrielle est très éclairant.

(D’une voix posée.) Vous profitiez donc de vos séjours à Paris pour vous encanailler.

MAURICE : M’encanailler, c’est beaucoup dire. Ecoutez ! J’avoue avoir rencontré cette demoiselle

mais pas plus d’une fois ou deux. Et encore, comme ça, en passant !

GABY : (Indignée.) Elle est raide, celle-là ! En passant ? Quand je pense au nombre de fois que tu

m’es passé dessus !

Gaby tourne son postérieur vers le public et se donne une tape sur la fesse.

STEPHANIE : (Prenant un air scandalisé.) Répondez-moi sincèrement. Avez-vous commis le péché

de chair ?

MAURICE : Ça ne vous regarde pas et pis c’est tout.

STEPHANIE : (Lançant un clin d’œil complice à sa compagne.) Détrompez-vous, les Sœurs se

doivent de porter assistance aux âmes en perdition. (Les mains jointes.) J’invite instamment le pauvre

pêcheur que vous êtes à confesser ses péchés.

MAURICE : Me confesser, et pis quoi encore ? Maintenant, laissez-moi, j’ai du boulot.

STEPHANIE : Faites, nous avons tout notre temps.

Les deux femmes s’asseyent.

MAURICE : Hé, vous n’avez pas dans l’idée de rester ici ?

STEPHANIE : Bien sûr que si. Vous serez sans doute mieux disposé à notre égard quand vous aurez

terminé votre travail.

MAURICE : (Embarrassé.) Vous n’y pensez pas, ma femme va revenir et…

GABY : (L’interrompant.) Ta chère et tendre, j’aimerais bien voir sa bobine, tiens ! Tu m’en causais

souvent pendant tes escapades au Liberty Bar.

MAURICE : Au fait, ce ne sont pas les curés qui confessent ?

STEPHANIE : (Lançant un nouveau clin d’œil complice à sa compagne.) Certes mais les Sœurs

effectuent cette mission en cas d’urgence.

MAURICE : Si je vous dis tout, vous me promettez de partir.

STEPHANIE : Nous verrons cela.

Bonne planque à la campagne

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Maurice s’assied sur une chaise. Pour le dialogue qui suit, les deux fausses sœurs se placent derrière

lui et s’échangent par moments des regards et des coups de coudes complices.

MAURICE : Bien ! Je confesse que j’allais à Paris, retrouver Lola au Liberty Bar. Ça va ?

Maintenant, vous pouvez me laisser.

Maurice se lève pour s’en aller mais est immédiatement assis par Stéphanie.

STEPHANIE : Pas si vite. Votre confession n’est pas terminée... Aviez-vous au moins une pensée

compatissante pour votre épouse délaissée, lorsque vous la trompiez ?

MAURICE : Bien sûr que non. Valait mieux pas. Moi, quand je pense à Fernande… (Court silence

pour rappeler la chanson.) Ça me coupe mes effets. Alors, quand j’étais avec Lola, c’était pas le

moment.

GABY : (Jubilant.) Je te reconnais bien là, Momo.

STEPHANIE : (Jouant l’offusquée.) Sœur Marie-Gabrielle, voyons !

MAURICE : (Se rapprochant de Gaby.) Grâce à toi, j’ai retrouvé ma jeunesse. Quand j’allais te voir,

dans ton bar, j’étais heureux comme un cochon qui se roule dans la boue.

GABY : (Vexée.) Ben merci. Tu parles d’une comparaison.

MAURICE : Comment ça se fait que t’es devenue Bonne Sœur ? Le couvent n’est pas un endroit pour

une fille comme toi.

STEPHANIE : Lola a répondu à l’appel du Seigneur quand Il lui a demandé de rentrer dans le droit

chemin. (Toutes les deux font un signe de croix.) Nous l’avons accueillie dans notre communauté

comme une brebis égarée.

MAURICE : Maintenant, faut vous en aller. Ma femme va bientôt rentrer et… (Il jette machinalement

un regard par la fenêtre.) Mince alors, la v’là qui revient. Chut ! Pas un mot de ce que j’ai dit. Toi, tu

te tais. Hein, Lola.

STEPHANIE : Soyez sans crainte, Sœur Marie-Gabrielle ne pipera mot.

MAURICE : (Inquiet.) Ah oui, y faut surtout pas qu’elle pipe (A Gaby.) Lola, ne t’avise pas de piper,

compris ?

GABY : (Dont la bouche esquisse un sourire en coin.) T’as pas toujours dit ça. Hein, mon salaud !

STEPHANIE : (Faisant le signe de croix.) Que le Seigneur soit avec vous, mon fils.

MAURICE : Oui, ben celui-là, je le retiens.

Arrivée de Fernande qui s’étonne de la présence des deux femmes.

MAURICE : (S’efforçant d’adopter une attitude naturelle.) T’es déjà revenue ?

FERNANDE : Le curé a eu un empêchement… Tiens, nous avons de la visite à ce que je vois.

Bonne planque à la campagne

15

MAURICE : (Dans ses petits souliers.) Ces personnes sont des Sœurs, Fernande.

FERNANDE : Soyez les bienvenues dans notre modeste ferme, mes Sœurs.

MAURICE : Elles appartiennent à la congrégation de… Euh ! (Il cherche brièvement le nom.) la

divine surprise.

STEPHANIE : (Rectifiant sans se départir de son air compassé.) De la Divine Famille, monsieur ! (Se

tournant vers la fermière.) Je suis la Mère Supérieure.

FERNANDE : (Déférente.) Oh ! Révérende Mère !

STEPHANIE : (Désignant Gaby.) Voici Sœur Marie-Gabrielle. (La Sœur salue en effectuant une

légère courbette.) Nous cherchons de bonnes âmes qui accepteraient de nous héberger pour une nuit.

FERNANDE : Vous avez frappé à la bonne porte. Nous avons une chambre d’amis que nous pouvons

mettre à votre disposition. (Le visage de Maurice se décompose à l’idée que Lola restera chez lui.).

Qu’est-ce que tu as, Maurice ?

MAURICE : Rien, Fernande.

FERNANDE : Tu t’éponges le front ! Si ça continue, tu iras te montrer au docteur… (Arrivée de

Victor.) Je vous présente Victor, notre garçon de ferme.

VICTOR : (Agité.) Pa… atron, les poupou… les poupou…

FERNANDE : Les poules ?

VICTOR : Non, les poupou… les poupou

MAURICE : Les poubelles ?

VICTOR : Non, les poupou… les poupou

MAURICE : Les pouliches ?

VICTOR : Non, les poupou… les poupou

FERNANDE : Ah ! Les pourceaux !

Victor opine du chef.

MAURICE : Pristi ! La truie fait ses petits ! Y’en a déjà combien ?

Victor montre trois doigts.

GABY : (Attendrie.) Oh, trois petits cochons ! Comme ils doivent être minouches !

STEPHANIE : (Agacée.) Sœur Marie-Gabrielle, je vous en prie !

Bonne planque à la campagne

16

FERNANDE : Si cela vous intéresse, mon mari se fera un plaisir de vous les montrer. (Maurice s’en

va à l’étable, suivi de Victor et de Gaby qui se déhanche de façon sexy. En la voyant, Stéphanie lève

les yeux au ciel.) La sœur apprécie beaucoup les animaux, à ce que je vois.

STEPHANIE : (S’efforçant de sourire.) Quoi de plus naturel. Ne sont-ils pas les créatures du

Seigneur ?

FERNANDE : C’est bizarre, sa tête me dit quelque chose. Serait-elle déjà venue dans la région ?

STEPHANIE : J’en doute fort, madame.

FERNANDE : Elle ne ressemble pas trop à une sœur, je trouve.

STEPHANIE : Hum ! Sœur Marie-Gabrielle est encore novice.

FERNANDE : Evidemment, cela explique tout. Au fait, où se trouve votre couvent ?

STEPHANIE : (Troublée par la question.) Euh… Notre couvent ?

FERNANDE : La Divine Famille ! Ce nom m’est parfaitement inconnu.

STEPHANIE : (S’efforçant de cacher son trouble.) Eh bien… En vérité… Nous sommes une

communauté itinérante.

FERNANDE : Vous êtes des sans domicile fixe, en somme.

STEPHANIE : Exactement. Le monde est notre maison. Nous aidons les pauvres là où ils se trouvent.

FERNANDE : Ma Mère, je vous invite ce soir avec Sœur Marie-Gabrielle à partager avec nous un

plat typiquement campagnard : des pieds de porc au foie de volaille. Vous verrez, c’est succulent.

STEPHANIE : Autant vous prévenir, nous n’avons guère d’appétit, madame.

FERNANDE : Si nous allions préparer votre chambre ? Il y a tout ce qu’il faut en haut pour faire les

lits… Vous n’avez pas de valises ?

STEPHANIE : Hum ! Mes seuls effets personnels sont les vêtements que je porte, madame.

FERNANDE : Excusez-moi, j’oubliais que vous aviez fait vœu de pauvreté. Suivez-moi, ma Sœur.

STEPHANIE : Et Sœur Marie-Gabrielle ?

FERNANDE : Elle viendra nous rejoindre plu tard.

Fernande monte l’escalier, suivie de Stéphanie. Maurice revient avec Gaby.

GABY : (Attendrie.) Oooh ! Ils sont tout mignons. Dommage qu’ils deviennent aussi laids en

grandissant.

MAURICE : (Sur un ton de reproche.) Maintenant que nous sommes tous les deux, explique-moi

pourquoi t’as débarqué chez moi sans prévenir.

Bonne planque à la campagne

17

GABY : C’est le hasard, Momo. Je ne connaissais pas ton adresse. D’ailleurs, comment l’aurais-je

connue, tu ne me l’as jamais donnée !

MAURICE : Pourquoi te fais-tu appeler Sœur Marie-Gabrielle ?

GABY : Gabrielle est mon vrai nom. Lola, c’était pour le Liberty Bar.

MAURICE : Pis qu’est-ce qui t’es passé par la tête de devenir religieuse ? C’est à tomber le cul par

terre, une histoire pareille.

GABY : Ne cherche pas à comprendre, ça vaut mieux.

MAURICE : De toute façon, c’est pas mon problème, mais n’oublie pas de tenir ta langue devant ma

femme.

GABY : Je la trouve sympa, ta légitime. Où l’as-tu connue ?

MAURICE : A la foire aux bestiaux du village, l’année où elle a été élue Miss fermière.

GABY : Ah bon ! Il y a un concours de Miss, dans ce bled ?

MAURICE : Attention, ça ne vaut pas Miss France. Chaque année, l’après-midi du vingt-huit août, on

élit la plus belle fermière du village et, le soir, la plus belle génisse. L’élue des fermières gagne mille

euros et la génisse deux mille… Ca me fait toujours quelque chose de les voir défiler en maillot de

bain.

GABY : Qui, les génisses ?

MAURICE : Non, les fermières. Ce jour-là, crois-moi, on voit de beaux morceaux de viande sur patte.

GABY : Tu parles des fermières ?

MAURICE : Non, des génisses.

GABY : Sans vouloir te vexer, on ne dirait pas que ta femme a été Miss. Elle a l’air plutôt bégueule,

quand on la voit ainsi.

MAURICE : Pourtant, j’te jure qu’à l’époque elle était mignonne. Le problème, c’est que ça n’a pas

duré. Le travail de la ferme, ça use.

Le bruit d’un véhicule qui arrive se fait entendre.

STEPHANIE : (Appelant du haut de l’escalier.) Sœur Marie-Gabrielle ?

GABY : Oui, ma Mère.

STEPHANIE : Montez, s’il vous plaît !

GABY : Bon, faut que j’y aille.

Bonne planque à la campagne

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Un policier frappe à la fenêtre et entre comme un habitué de la maison. Il remarque Gaby qui monte

l’escalier en se déhanchant de façon sexy.

LE POLICIER : Salut, Maurice.

MAURICE : Entre, Jean-Marie !

LE POLICIER : Qu’est-ce qu’il fait chaud pour un mois de novembre.

MAURICE : A la Saint-Martin, l’hiver est en chemin ! Tu parles. J’ai toujours dit que les dictons

étaient des carabistouilles !

LE POLICIER : Vous faites chambres d’hôtes, à présent ?

MAURICE : Comment ça ?... Ah, non ! Nous hébergeons des religieuses qui viennent pour la

procession.

LE POLICIER : (L’œil égrillard.) Si les nonnes étaient toutes aussi bien roulées, j’irais volontiers

faire une petite retraite au couvent, moi.

MAURICE : Tu ne changeras jamais, Jean-Marie ! Un petit whisky ? C’est du pur malt importé

d’Ecosse.

LE POLICIER : Le règlement est le règlement. Jamais d’alcool pendant le service.

MAURICE : Je profite que Fernande est en haut pour me servir un whisky mais j’ai horreur de boire

tout seul quand quelqu’un est là.

LE POLICIER : Ah ! Il fallait le dire tout de suite. Je ne refuse jamais de rendre service à un ami…

Sers m’en une larme. (Maurice sert un petit verre à son ami.) Ça, c’est une larme de souris, Maurice.

(Maurice ajoute généreusement du whisky.) Stop ! Tu veux me foutre la cuite ?

MAURICE : Faut savoir ce que tu veux. Allons ! A la tienne, Etienne !

LE POLICIER : A la tienne, mon gars.

Les deux hommes trinquent.

LE POLICIER : (Qui savoure.) Humm ! Excellent ton whisky.

MAURICE : Les flics ont la bougeotte, aujourd’hui.

LE POLICIER : Tu parles. C’est carrément le branle-bas de combat !

MAURICE : Y’a du grabuge dans le coin ?

LE POLICIER : Tu n’es pas au courant ? La bijouterie Archambaud a été braquée cet après-midi.

MAURICE : Archambaud à Salvicourt ?

LE POLICIER : Affirmatif.

Bonne planque à la campagne

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MAURICE : Sacrebleu ! Les malfrats ont été arrêtés ?

LE POLICIER : Pas encore. On sait seulement qu’ils sont deux.

MAURICE : Allons ! A la tienne, Etienne !

LE POLICIER : A la tienne, mon gars.

Les deux hommes trinquent une nouvelle fois.

LE POLICIER : Ils se sont enfuis à bord d’une petite sportive qui est probablement passée devant

chez toi. N’as-tu pas remarqué une voiture qui roulait à vive allure avec deux individus louches à

l’intérieur ?

MAURICE : Non. Rien vu, rien entendu.

LE POLICIER : Les Sœurs que vous hébergez sont là depuis longtemps ?

MAURICE : Une demi-heure tout au plus.

LE POLICIER : En chemin, elles ont peut-être remarqué quelque chose. J’aimerais les interroger.

MAURICE : (Inquiet.) Tu crois que ?...

LE POLICIER : Toutes les pistes sont à creuser, Maurice. Demande-leur de venir.

Maurice monte à l’étage. Le policier admire le tableau en sirotant son whisky.

MAURICE : (Descendant l’escalier.) Les deux sœurs vont arriver.

LE POLICIER : Elle est de qui, cette peinture ?

MAURICE : De Degas.

LE POLICIER : Il me semblait bien.

MAURICE : C’est Fernande qui a voulu ce tableau. Moi, il ne m’emballait pas trop, mais comme on

dit : ce que femme veut…

LE POLICIER : …Dieu le veut ! Ah ! Ah ! Ah ! Sacré Maurice, va ! Il n’empêche qu’il aurait

parfaitement sa place au musée d’Orsay.

MAURICE : Où que c’est ça, le musée d’Orsay ?

LE POLICIER : A Paris. On voit bien que tu ne visites jamais les musées, toi.

MAURICE : C’est pas du tout mon truc. Des vieilleries, j’en ai bien assez dans ma ferme. (Les deux

hommes achèvent de boire. Maurice se hâte de ranger la bouteille dans la cruche et les verres dans

l’armoire.) Faut que je planque tout. S’agirait pas que ma moitié me surprenne en train de picoler.

Bonne planque à la campagne

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LE POLICIER : Où a-t-elle trouvé son Degas ?

MAURICE : Chez monsieur le comte. Fernande a eu le coup de foudre en le voyant accroché au mur

de son vestibule.

LE POLICIER : Tu parles du comte de Saint-Clair qui habite le château d’à côté ?

MAURICE : Ouais.

LE POLICIER : (Il se place face au tableau. Maurice s’est rapproché de son ami et se tient à ses

côtés. Les deux hommes sont dos à l’escalier.) Ce richard lui a donc offert son tableau.

Les deux braqueuses descendent sans que les deux hommes ne s’en aperçoivent. Elles s’arrêtent au

bas de l’escalier et attendent en silence. Durant la conversation des deux hommes, elles se jettent des

regards complices.

MAURICE : Oui. Enfin, une copie. L’original, le comte le garde bien précieusement chez lui.

LE POLICIER : (Observant la peinture.) Elle est remarquable, cette reproduction. Ton aristocrate est

chez lui, en ce moment ?

MAURICE : Non. Il passe la semaine chez sa cousine, en Auvergne.

LE POLICIER : Entre nous, il devrait mieux protéger ses richesses.

MAURICE : Je sais. Avec l’âge, le comte devient négligeant. Je lui ai dit qu’il ne servait à rien de

faire installer dans son château une alarme antivol reliée au commissariat si la porte arrière qui donne

sur le parc ne ferme plus à clé.

LE POLICIER : D’autant que, lorsque l’alarme retentit, il faut cinq bonnes minutes à une patrouille

pour arriver sur les lieux… (Il remarque la présence des deux femmes au pied de l’escalier.) Ah !

Approchez, mesdames. Excusez-moi, je devrais dire : mes Sœurs !... (Elles sont tétanisées mais le

policier prend cela pour de la timidité.) N’ayez crainte, ce n’est qu’un interrogatoire de routine… En

début d’après-midi, un vol a été commis non loin d’ici dans une bijouterie.

LES DEUX FEMMES : (faisant un signe de croix.) Oh ! Un vol !... Jésus, Marie, Joseph !

LE POLICIER : Comment êtes-vous venues ?

STEPHANIE : En train et, de la gare à ici, à pied.

LE POLICIER : Ça fait une sacrée trotte, dites-donc.

MAURICE : N’exagère pas, Jean-Marie. Marcher trois kilomètres n’est pas la mort du Christ !

LE POLICIER : En chemin, n’auriez-vous pas remarqué une voiture de sport qui roulait à vive

allure ?

MAURICE : T’en as de bonnes, toi ! Des bagnoles, il en passe tout le temps sur les routes.

Bonne planque à la campagne

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LE POLICIER : Allons donc ! Dans un chemin de campagne, s’il passe un véhicule tous les quarts

d’heure, c’est bien le diable.

STEPHANIE : (Se signant d’un air épouvanté.) Le diable ! Miséricorde !

LE POLICIER : Pardonnez-moi, mes Sœurs.

STEPHANIE : Nous n’avons aperçu aucune voiture, monsieur l’agent.

LE POLICIER : Merci, mes Sœurs. Ce sera tout.

Les femmes remontent immédiatement à l’étage. Gaby se déhanche une nouvelle fois dans l’escalier

d’une façon sexy.

MAURICE : Sans vouloir te décevoir (Il remarque que son ami est comme hypnotisé par la démarche

de Gaby.) Jean-Marie ! (Le policier sursaute et se tourne vers Maurice.) C’est pas ici que tu glaneras

des informations pour ton enquête.

LE POLICIER : Tant pis… Bon, je retourne au commissariat.

MAURICE : C’est quand tu veux, Jean-Marie.

LE POLICIER : Merci pour le whisky. (Après avoir ouvert la porte d’entrée.) Jamais vu une

religieuse pareille.

Le policier sort. Fernande crie du haut de l’escalier.

FERNANDE : Ferme les yeux !

MAURICE : Qu’est-ce qui te prend, Fernande ?

FERNANDE : Ferme les yeux, je te dis !

Maurice obéit. Fernande arrive en portant le collier que les braqueuses avaient caché dans le

grenier.

MAURICE : (Les yeux fermés.) Ça va durer longtemps, c’te comédie ?

FERNANDE : Voilà ! Maintenant, tu peux regarder. (Maurice découvre sa femme portant un superbe

collier en diamant.) Merci Maurice. (Se pavanant.) Tu ne pouvais pas me faire un plus beau cadeau.

Elle lui claque une bise sur la joue.

MAURICE : (Ne comprenant pas de quoi il retourne.) Pristi ! Il vient d’où, ce collier ?

FERNANDE : Tu as la mémoire qui flanche ou quoi ? Je viens de le trouver sur la coiffeuse, en allant

chercher des couvertures pour les Sœurs. Ce n’est quand-même pas le Saint-Esprit qui est venu le

déposer !

MAURICE : (Prudent, il préfère ne pas contredire sa femme.) Ah ! Sur la coiffeuse, bien sûr. Ne fais

pas attention à ce que je dis. Je blague !

Bonne planque à la campagne

22

FERNANDE : Il me semblait bien. Tu commençais à m’inquiéter ! (Elle se pavane avec le collier.)

Ca te fait quoi de me voir ressembler à une femme du monde ?

MAURICE : (A court d’idée.) Ça me fait… ça me fait… disons que ça me surprend, Fernande. (A

part.) Sacrebleu ! D’où il sort, ce collier ?

FERNANDE : (Elle glisse le bijou dans une poche de son tablier.) Je le range ! Il ne serait pas

convenable d’étaler ses richesses devant des religieuses… Dis donc, tu as hypothéqué la ferme pour

m’offrir un cadeau pareil ?

MAURICE : (Se forçant à sourire.) Rien n’est trop beau pour toi, ma Bibiche.

FERNANDE : (Adoptant un ton de reproche.) Surtout quand on veut se racheter d’une faute qu’on a

commise.

MAURICE : Une faute ?

FERNANDE : (Avec véhémence.) Chaque année, tu me refais la même chose. (Des trémolos dans la

voix.) J’ai l’impression de ne plus compter pour toi. Nous sommes mariés, Maurice. L’as-tu oublié ?

MAURICE : (Abasourdi.) Mais Fernande… comment as-tu appris ?

FERNANDE : Tu en as de bonnes. Je suis la première concernée, je te signale.

MAURICE : Pardon, ma Bibiche. Je te jure que je ne le ferai plus.

FERNANDE : Il est bien temps de demander pardon, une fois que c’est passé.

MAURICE : (Naïvement.) Pourquoi, je devrais demander pardon avant ?

FERNANDE : Tu devrais surtout penser à noter la date dans ton agenda.

MAURICE : La date de quoi ? Du Salon de l’Agriculture ?

FERNANDE : Mais non. De mon anniversaire, grand nigaud ! Pour ne plus oublier de me le

souhaiter.

MAURICE : (Soulagé.) Ah, ton anniversaire. C’n’était ça ! (Rire nerveux.) Ah ! Ah ! Ah !

FERNANDE : C’est tout l’effet que ça te fait ?

MAURICE : L’anniversaire, bien sûr. J’aurais dû y penser. C’était quand déjà ? (comptant sur ses

doigts) Avant hier ! Oooh ! (Esquissant un sourire de soulagement.) Je suis désolé Bibiche. (A part.)

Elle m’a fait peur, l’idiote.

FERNANDE : C’est curieux. On dirait que ça te rend joyeux, comme si tu étais soulagé.

MAURICE : (Dans l’euphorie.) Ben, il y a de quoi l’être, Fernande… (Se reprenant.) Enfin, je veux

dire soulagé que le collier te plaise.

Bonne planque à la campagne

23

FERNANDE : Viens chercher un bécot !

MAURICE : Un bécot, maintenant ?

FERNANDE : Approche !

Maurice approche comme un petit garçon vient vers sa maman.

FERNANDE : (Lui claquant un bisou sur la bouche.) Voilà pour toi. Un bijou pareil, ça vaut bien un

bon bécot.

Fernande part à la cuisine.

MAURICE : Ouf ! J’ai senti le vent du boulet… Vite, un petit remontant pour me remettre ! (Il se

sert un petit verre de whisky qu’il boit d’une seule traite.) Nom d’une pipe ! D’où il sort, ce collier ?

Ce ne sont tout de même pas les Sœurs qui… (Sa mine s’assombrit.) Sacrebleu ! Mais oui, j’ai tout

compris. Ce sont elles, les braqueuses de la bijouterie. Ces diablesses ne sont pas plus religieuses que

je ne suis archevêque. (Il serre les poings.) Non di diou ! Elles vont voir de quel bois je me chauffe.

Maurice s’apprête à s’élancer dans l’escalier au moment où le policier surgit par la porte d’entrée.

LE POLICIER : Désolé, c’est encore moi. (Voyant la mine déconfite de son ami.) Que se passe-t-il,

Maurice ?

MAURICE : (Qui tente d’adopter une contenance naturelle.) Rien du tout. Pourquoi ?

LE POLICIER : Je ne sais pas, moi. Tu as l’air tout bizarre.

MAURICE : Non. Ça va, je t’assure.

LE POLICIER : J’essaie de démarrer ma camionnette depuis cinq minutes, en vain ! Vivement que les

nouveaux 4X4 qui nous ont été promis nous soient livrés. Dis-donc, toi qui bidouilles dans les

tracteurs, tu ne pourrais pas venir jeter un coup d’œil au moteur ? (Maurice ne répond pas, comme s’il

était sous l’emprise de ses émotions.) Maurice, tu m’écoutes ?

MAURICE : (Perturbé psychologiquement.) Hein ?... le moteur du tracteur ?

LE POLICIER : Mais non, de ma camionnette !

MAURICE : (Se précipitant vers la porte de l’étable.) Tout de suite, j’y regarde, Jean-Marie.

LE POLICIER : Où vas-tu ?...

MAURICE : (Sortant à peine de sa torpeur.) Hein ?… Ah oui !

Maurice change machinalement de direction et se dirige vers la porte d’entrée.

LE POLICIER : T’es pété ou quoi ? Fais gaffe au Whisky, mon vieux.

Maurice sort dans la cour avec le policier. Les deux femmes descendent l’escalier.

Bonne planque à la campagne

24

STEPHANIE : Alors, tu l’as mis où, ce collier ?

GABY : (Désolée.) J’sais plus très bien.

STEPHANIE : Essaye de te souvenir. Il faut qu’on le retrouve. C’est le joyau de notre butin.

Tu faisais quoi, toute seule en haut, quand je t’ai appelée ?

GABY : (Dans ses petits souliers.) Ecoute, je vais tout t’avouer. Quand t’es descendue, j’en ai profité

pour essayer une dernière fois le collier.

STEPHANIE : Ne me dis pas que tu as été le rechercher dans le sac ?

GABY : J’ai pas pu résister. Un bijou pareil, c’est trop tentant.

STEPHANIE : Je t’avais dit de ne pas y toucher ! Tu l’as mis où ?

GABY : Dans la chambre à coucher, sur la coiffeuse.

STEPHANIE : La chambre à coucher des fermiers ?

GABY : Ben oui. Il fallait un miroir pour que je puisse me regarder.

STEPHANIE : (Consternée.) C’est pas vrai... Et après, t’en as fait quoi ?

GABY : Quand tu m’as appelée, je l’ai déposé sur la coiffeuse en me disant que je retournerais le

ranger plus tard.

STEPHANIE : (En colère.) T’es vraiment la reine des bêtasses, toi !

GABY : Si ça se trouve, il est toujours là-bas.

STEPHANIE : (Sèchement.) Tu rêves ? La fermière est bien évidemment tombée dessus en allant

chercher les couvertures. Te rends-tu compte de ce que tu as fait ? Sans ce collier, notre butin ne vaut

que dalle.

GABY : Te mets pas en pétard. En cherchant un peu, on le retrouvera.

STEPHANIE : Ah oui ? En cherchant où, pauvre cloche ? C’est grand une ferme. (D’une voix plus

calme.) Non, je pense à autre chose. Gaby, je te donne une chance de te racheter.

GABY : (L’air contrit.) Je ferai ce que tu veux, Steph.

STEPHANIE : L’opération est risquée mais elle peut rapporter gros. Voilà ce que tu vas faire : la nuit,

quand tout le monde sera endormi, tu descendras l’escalier… (Arrivée du Victor qui transporte un

lapin dans un clapier et une bouteille de vin qu’il dépose sur dans l’armoire.) Je t’expliquerai plus

tard… (Voyant le lapin.) Il est beau ! C’est un lapin ou une lapine ?

VICTOR : Un lala… un lala… un lapin.

STEPHANIE : Comment s’appelle-t-il ?

Bonne planque à la campagne

25

VICTOR : Jea… Jea… Jeannot.

STEPHANIE : Ce n’est pas un nom très original pour un lapin mais ça lui va bien.

GABY : Il a l’air costaud.

VICTOR : (Approchant son visage du lapin pour lui parler. Son langage avec les animaux est plus

fluide. Toutefois, même lorsqu’il parle sans bégayer, le débit de parole de Victor doit rester mesurer.

Une certaine difficulté à s’exprimer doit en effet demeurer pour assurer la crédibilité du personnage.)

T’as vu, mon Jeannot ? Elles te trouvent costaud ! T’as pas l’habitude que des Sœurs te fassent des

compliments, hein ?

Les deux femmes se regardent, médusées.

STEPHANIE : Ca alors ! Vous parlez normalement, Victor ?

VICTOR : S… s… seulement a… avec les a… animaux. Sinon je bébé… je bébé… je bébé…

GABY : Y’a une sacrée rayure sur le CD, ça s’entend !

STEPHANIE : (Coup de coude à Gaby.) Arrête !

VICTOR : Je bébé… bégaie surtout avec les dada… les dada…

STEPHANIE : Les chevaux ?

VICTOR : Non. Les dada…

STEPHANIE : Avec les dames ?

VICTOR : Oui, c’… c’est ça.

Gaby lance des œillades à Victor. Celui-ci répond par un sourire niais. Retour de Fernande avec sa

tapette à mouches. Elle l’utilise immédiatement pour tuer d’un coup sec une malheureuse mouche qui

se trouvait dans les parages.

STEPHANIE : Vous avez le geste précis, dites-donc !

FERNANDE : Avec cette chaleur, les mouches pullulent. Si on ne s’en débarrasse pas, elles nous

envahissent. Victor, as-tu apporté le vin ?

VICTOR : Oui, pa… atronne.

FERNANDE : La veille de la Saint-Martin, il est de tradition d’ouvrir une bonne demoiselle.

GABY : Une demoiselle ?

FERNANDE : Oui. Ici, la bouteille de vin s’appelle une demoiselle. Je la mets à table au dernier

moment à cause de mon mari qui lève le coude plus que de raison. (Remarquant le lapin dans son

clapier.) Tu as amené Jeannot, c’est bien. Comme le dit l’adage : à la Saint-Martin, les lapins portent

bonheur. (Gaby continue de lancer des œillades à Victor.)Qu’est-ce que tu as, Victor ?

Bonne planque à la campagne

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VICTOR : (Gêné.) Rien, pa… atronne.

FERNANDE : Retourne travailler.

Victor part immédiatement à l’étable non sans jeter un dernier regard à Gaby qui lui répond par un

clin d’œil.

FERNANDE : Il ne vous a pas échappé que notre Victor bégayait.

STEPHANIE : Que la grâce du Seigneur soit avec lui.

FERNANDE : Il ne parle bien qu’avec les animaux. Allez savoir pourquoi. Sa mère a essayé de le

faire soigner, en vain ! Elle l’a même amené à Lourdes pour implorer l’intervention de la Vierge.

LES DEUX FEMMES : (les mains jointes et le visage inspiré.) Oh, la Vierge !

FERNANDE : Malheureusement, le miracle n’a pas eu lieu. La seule chose qu’il a ramené de là-bas,

c’est la vocation. Depuis qu’il a été à la grotte, il rêve de devenir curé. Je vous demande un peu ! Vous

imaginez, la messe dite par un curé qui bégaie ? Depuis lors, il lit la Bible tous les soirs !

LES DEUX FEMMES : Oh, la Bible !

FERNANDE : C’est curieux. Il n’y a qu’un seul garçon de ferme qui lit la Bible et il faut que ce soit

le nôtre… Bon, c’est bien de papoter mais le travail doit se fasse. Accepteriez-vous de me donner un

coup de main pour préparer le repas ?

STEPHANIE : Certainement, madame.

On entend démarrer la camionnette du policier.

FERNANDE : L’une d’entre vous peut rester ici pour sortir les verres et les serviettes de l’armoire.

Stéphanie accompagne Fernande à la cuisine tandis que Gaby reste sur place pour exécuter la tâche

demandée. Maurice arrive en trombe. Il prend nerveusement la bouteille de vin que Gaby vient de

déposer sur la table et en boit une partie du contenu au goulot.

GABY : Maurice, qu’est-ce qui t’arrive ?

MAURICE : (Furibard.) C’était un coup monté, hein ?

GABY : Comment ça ?

MAURICE : J’aurais dû me douter qu’il y avait une entourloupe là-dessous.

GABY : De quoi tu causes ?

MAURICE : Fais pas l’innocente. C’est toi et ta complice qui avez braqué la bijouterie de Salvicourt.

GABY : (Qui tente de cacher son trouble.) Enfin, Momo !

Bonne planque à la campagne

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MAURICE : Tais-toi. Ma femme a trouvé dans notre chambre un collier qui vaut une pépite d’or.

D’où il vient, d’après toi ? Un bijou pareil, ça sort pas du trou de balle d’une vache.

Maurice reprend la bouteille et boit une nouvelle fois au goulot.

GABY : Ecoute, Momo.

MAURICE : Y’a plus de Momo !

GABY : Je te jure que ce n’est pas ce que tu crois.

MAURICE : Arrête tes boniments. Je t’en foutrai, moi, des Sœurs de la Divine Famille !

Stéphanie revient de la cuisine avec les assiettes et les couverts. Elle constate la mine déconfite de sa

comparse.

STEPHANIE : Que se passe-t-il, ici ?

MAURICE : Vous vous êtes bien foutues de moi, toutes les deux, avec vos airs de sainte nitouche.

STEPHANIE : Reprenez-vous, monsieur.

GABY : Te fatigue pas, Steph. Sa femme a trouvé le collier. Elle croit que c’est un cadeau.

STEPHANIE : Alors, ça change tout.

MAURICE : (Prenant son portable.) J’appelle la police.

STEPHANIE : (Sur un ton apaisant.) Pas si vite. On va parler calmement, tous les deux.

MAURICE : Rien du tout ! C’est au commissaire que vous ferez la causette.

STEPHANIE : A votre place, je me tiendrais tranquille !

GABY : Réfléchis, Momo. T’as pas intérêt à nous donner aux flics.

MAURICE : (Qui tape des chiffres sur son clavier téléphonique.) Je me demande bien pourquoi.

STEPHANIE : Recel de bijoux volés, ça se paie cash devant un tribunal.

MAURICE : (Qui abaisse son portable.) Comment ça ? Je ne suis pas mêlé à votre braquage, moi.

STEPHANIE : Le juge en doutera lorsqu’il découvrira le collier en diamant que possède votre femme.

MAURICE : Je lui expliquerai que j’ai été abusé.

STEPHANIE : (Avec une pointe d’ironie.) Vous n’avez pas de sang sur les mains, votre condamnation

ne devrait donc pas excéder deux ou trois ans de prison.

Bonne planque à la campagne

28

MAURICE : (Soudain angoissé.) Quoi ? J’peux pas laisser Victor s’occuper des bêtes pendant trois

ans avec Fernande.

GABY : Alors, tu sais ce qu’il te reste à faire.

MAURICE : Ecoutez, je veux bien me taire mais à une condition.

STEPHANIE : Enfin, vous devenez raisonnable.

MAURICE : Que vous fichiez le camp d’ici le plus vite possible.

STEPHANIE : Entendu. Demain matin, vous n’entendrez plus parler de nous.

MAURICE : Et surtout, pas un mot à ma femme. (S’affalant dans un fauteuil.) Pff ! Toutes ces

émotions me tuent !

Fernande amène une casserole de la cuisine. Maurice accuse le coup. Il reste prostré dans son

fauteuil.

FERNANDE : Voilà, voilà ! Les pieds de porc sont prêts ! (Elle dépose la casserole sur la table et

soulève brièvement la bouteille de vin entamée tout en fronçant les sourcils. Son mari ne voit rien de

la scène.) Maurice !

MAURICE : (Qui sort de sa torpeur sans jeter un regard à sa femme.) Oui, Fernande.

FERNANDE : Il faut qu’on parle sérieusement, tous les deux… Laissez-nous une minute, mes Sœurs.

J’ai un compte à régler avec mon mari !

Les deux femmes partent à la cuisine avec un air soucieux.

MAURICE : (Soupirant.) J’ai oublié ton anniversaire, d’accord. Tu ne vas pas encore revenir avec ça.

FERNANDE : Ce qui se passe est bien plus grave. Maurice, j’ai la preuve que tu te paies du bon

temps en cachette quand je ne suis pas là pour te surveiller.

MAURICE : (A part, après s’être déplacé à l’avant-scène en prenant un air livide.) Mince alors. Elle

a appris pour Lola.

FERNANDE : Combien de fois as-tu trahi ma confiance depuis que nous sommes mariés ?

MAURICE : (Dans ses petits souliers.) J’ai pas compté, Fernande. C’est chaque fois que je vais au

Salon de l’Agriculture.

FERNANDE : Tu profites donc de tes séjours à Paris pour aller te dévergonder. Ben, c’est du propre !

MAURICE : (Prenant un air plaintif.) Comprends-moi. A la capitale, c’est pas comme à Grévigny,

les tentations sont nombreuses.

FERNANDE : Tu devrais méditer les paroles du « Notre-Père » : ne nous soumets pas à la tentation et

délivre-nous du mal.

Bonne planque à la campagne

29

MAURICE : Le Père, Il a beau jeu d’être au ciel. S’Il montait à Paris, Il serait tenté comme tout le

monde.

FERNANDE : (Brandissant la bouteille à l’insu de Maurice.) Tais-toi, mécréant ! Là-bas, combien de

demoiselles te tapes-tu tous les soirs ?

MAURICE : Une seule, voyons ! Qu’est-ce tu crois ? Je ne suis pas Superman.

FERNANDE : Une à toi tout seul ?

MAURICE : Evidemment. Que vas-tu imaginer ? D’ailleurs, c’est toujours la même.

FERNANDE : Malheureusement, il n’y a pas qu’à Paris que tu taquines la demoiselle.

MAURICE : (Indigné.) C’est pas vrai. Ici, je me tiens à carreau.

FERNANDE : Menteur ! Regarde ce qu’il reste de vin. Tu m’avais pourtant promis de ne plus toucher

une goutte d’alcool.

MAURICE : Ah ! Tu parles de cette demoiselle-là. (Rire nerveux.) Ah ! Ah ! Ah !

FERNANDE : Ben oui, évidemment. A quoi pensais-tu ?

MAURICE : A rien Fernande. J’avais mal compris, c’est tout.

FERNANDE : Et en plus, tu trouves ça marrant ?

MAURICE : Excuse-moi, c’est nerveux.

FERNANDE : Ce soir, c’est moi qui servirai le vin. Pour ta punition, tu boiras de l’eau.

MAURICE : Comme tu voudras, Bibiche.

Victor revient de l’étable.

FERNANDE : (A Victor.) Tu t’es lavé les mains ?

VICTOR : Oui, pa… atronne.

FERNANDE : (Poussant la porte de la cuisine.) A table, mes Sœurs !

Les braqueuses reviennent. Stéphanie est rassurée de voir Maurice soulagé.

STEPHANIE : (L’air compassé.) Hum ! C’est l’heure de nos prières, madame. Nous devons nous

retirer dans notre chambre.

FERNANDE : (Etonnée.) Vous mangerez bien un peu avant de monter.

STEPHANIE : La nourriture spirituelle n’attend pas, madame.

Bonne planque à la campagne

30

FERNANDE : Cette nourriture-là ne vous rendra pas bien gaillardes. Je vous mettrai un pied de porc

de côté pour le cas où vous auriez un petit creux pendant la nuit.

STEPHANIE : Merci, madame.

Les Sœurs saluent avant de monter l’escalier. Gaby jette une dernière œillade à Victor qui répond par

un sourire niais.

FERNANDE : Bonne nuit, mes Sœurs… Elles sont un peu bizarres, ces religieuses. Tu ne trouves pas

Maurice ?... (Maurice ne répond pas, comme s’il avait l’esprit ailleurs.) Réponds quand je te parle.

MAURICE : (Surpris.) Oui, Fernande !

FERNANDE : Mange, ça va te requinquer.

MAURICE : J’ai pas faim.

FERNANDE : Qu’est-ce qui t’arrive ? Les pieds de porc sont un de tes plats préférés.

MAURICE : (Agacé.) Si j’ai pas faim, c’est que j’ai pas faim, et pis c’est tout.

Maurice quitte la table et se dirige vers l’escalier.

FERNANDE : Où vas-tu ?

MAURICE : Roupiller !

Maurice disparaît dans l’escalier. Victor reste à table. Sous l’emprise de sentiments amoureux, il

rêvasse en exhibant un sourire niais.

FERNANDE : Il m’inquiète ton patron. (Victor reste noyé dans ses pensées.) Victor, tu m’entends ?

(Victor sursaute et reprend une contenance normale.) Heureusement que tu es là pour faire honneur à

mon plat. Donne ton assiette.

VICTOR : J’ai pas... pas faim, pa... atronne.

FERNANDE : Toi aussi ? Mais qu’est-ce que vous avez tous, aujourd’hui ? (Victor se lève en

souriant) Où vas-tu ? (Victor désigne l’escalier.) Dis-donc, tu ne serais pas amoureux, toi ?

Victor disparaître dans l’escalier en riant comme un demeuré.

FERNANDE : Quel idiot !... Me voilà toute seule avec mes pieds de porc, maintenant. Enfin, il me

reste le lapin pour me tenir compagnie. C’est déjà ça… Allez ! A la tienne, Jeannot.

Fernande lève son verre et boit pendant que le rideau se ferme.

Fin de l’acte

Bonne planque à la campagne

31

Acte 2

Fernande chantonne en épluchant des légumes. Pendant ce temps, Maurice revient de l’étable en

portant une cruche. A noter que le lapin et la cage ont disparu de la scène.

FERNANDE : La traite a été bonne, ce matin ? (Maurice répond par un grognement.) Ben, réponds-

moi ! Les vaches ont bien donné ?

MAURICE : (Le visage fermé.) Je t’ai déjà dit que j’en avais plus rien à foutre.

FERNANDE : Oh ! Toi, tu ne t’es pas levé du bon pied. Ce sont les religieuses qui te rendent

grincheux ?

MAURICE : (A part. Ricanant) Les religieuses, tu parles !

FERNANDE : Elles dorment encore. Il serait peut-être temps d’aller les réveiller.

MAURICE : Surtout pas. Moins je les vois, mieux je me porte.

Le bruit d’un véhicule qui arrive se fait entendre.

FERNANDE : (Soupirant.) Dis, tu ne vas pas faire ta tête de cochon toute la journée ?

MAURICE : Je ferai la tête que je veux et pis c’est tout.

Arrivée du policier qui entre après avoir frappé à la fenêtre.

FERNANDE : Tiens, Jean-Marie.

LE POLICIER : Je vous dérange ?

FERNANDE : Pas du tout. Alors, on en est où dans l’enquête sur le braquage ?

LE POLICIER : Nulle part. Je viens vous interroger pour une autre affaire. Cette nuit, des malfaiteurs

se sont introduits chez le comte.

MAURICE : Sacrebleu !

Bonne planque à la campagne

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LE POLICIER : Peu après minuit, l’alarme s’est déclenchée au commissariat. En arrivant au château,

mes collègues ont trouvé la porte donnant sur le parc entrouverte. Curieusement, rien n’avait été

dérobé à l’intérieur.

MAURICE : Même pas le tableau ?

LE POLICIER : Affirmatif.

MAURICE : Ouf !

FERNANDE : Des voleurs qui ne volent rien, c’est étrange.

LE POLICIER : Durant la nuit, n’auriez-vous pas entendu des bruits suspects en provenance de chez

le comte ?

FERNANDE : T’as entendu quelque chose, Maurice ?

MAURICE : Non.

FERNANDE : Moi non plus. (Elle retourne à la cuisine avec sa casserole de légumes.) Dans quelle

époque vivons-nous ! Mon Dieu, mon Dieu !

MAURICE : (Parlant à voix basse.) Je ne te propose pas de remontant. Hier, Fernande m’a fait une de

ces scènes ! Je ne te dis pas. J’s’ais pas ce qu’elle a ces temps-ci, je la trouve de mauvais poil.

LE POLICIER : Depuis quelques jours, seulement ? T’as encore de la chance. La mienne, elle

rouspète depuis qu’on est mariés.

MAURICE : Pauvre vieux, va.

LE POLICIER : C’est bien simple, quand je pense à elle, je l’imagine toujours faisant une sale tête.

MAURICE : Moi, quand je pense à Fernande…

LE POLICIER : (Sourire coquin.) Ah ! Quand tu penses à Fernande ?...

MAURICE : (Répondant après un court silence pour rappeler la chanson.) Je me désespère.

LE POLICIER : Dommage, j’imaginais autre chose.

MAURICE : Elle n’arrête pas de m’houspiller. D’où ça leur vient, ce caractère ?

LE POLICIER : Sur Internet, j’ai lu que c’était à cause de leurs hormones.

MAURICE : Ah, la belle affaire. Quand elles grossissent, ce sont les hormones. Quand elles ont leurs

vapeurs, ce sont les hormones. Quand elles ont les nerfs en pelote, ce sont encore les hormones.

Quand elles veulent plus au lit, ce sont toujours les hormones. Je n’ai pas marié une femme mais un

concentré d’hormones.

LE POLICIER : Note qu’elles n’ont pas toutes aussi mauvais caractère. Regarde les religieuses que tu

héberges, elles sont plutôt gentilles.

Bonne planque à la campagne

33

MAURICE : (A part.) Faut jamais se fier aux apparences.

LE POLICIER : J’aimerais bien revoir la sœur que je trouvais si mignonne.

MAURICE : Arrête ton char, Jean-Marie. Dis donc, t’aurais pas des problèmes d’hormones,

toi aussi ?

LE POLICIER : (Lançant à Maurice un clin d’œil malicieux.) Peut-être bien, mais chez les hommes,

au moins, ça met de bonne humeur. Allez, à plus !

Le policier repart. Fernande sort de la cuisine avec un plat contenant des restes de nourriture.

FERNANDE : J’vais donner à manger aux cochons !

Fernande se rend à l’étable tandis que Gaby arrive par l’escalier.

MAURICE : Ah ! te voilà, toi ! C’est pas trop tôt. Alors, vous mettez les bouts, oui ou non ?

Le bruit d’un véhicule qui démarre se fait entendre.

GABY : On attend que Jennifer vienne nous chercher.

MAURICE : C’est qui Jennifer ?

GABY : Une amie à Stéphanie qui nous a coachées pour le casse de la bijouterie.

MAURICE : (Inquiet.) Vous ne lui avez tout de même pas donné rendez-vous ici ?

GABY : Stéphanie lui a communiqué l’adresse de ta ferme.

MAURICE : (Découragé.) Tudieu ! Je sens que je n’en ai pas encore fini avec les emmerdements.

GABY : Surtout que Jennifer n’est pas une tendre. C’est une ancienne championne de Taekwondo

reconvertie dans la contrebande.

MAURICE : C’est quoi le Taekwondo ?

GABY : Un art martial où on se tape dessus avec les pieds et les poings.

MAURICE : Pas très féminin, comme sport !

GABY : Jennifer a une détente phénoménale. Faut pas la chercher, sinon le coup part tout seul. Un

jour, je l’ai vue foutre une raclée à un type balèze comme Schwarzenegger.

MAURICE : Mazette ! Et par-dessus le marché, je suppose qu’elle porte une arme.

GABY : Sûrement pas. Quand on est en liberté conditionnelle, vaut mieux pas se faire prendre avec

un flingue.

MAURICE : Ah, parce qu’en plus, elle sort de prison ?

Bonne planque à la campagne

34

GABY : Elle a été condamnée pour trafic d’œuvres d’art.

MAURICE : Mes félicitations. Vous savez choisir vos relations.

GABY : Momo, je voudrais que tu nous aides à récupérer le collier que ta femme a trouvé.

MAURICE : Compte là-dessus. J’sais même pas où elle l’a mis.

GABY : J’vais t’avouer un secret mais promets-moi de ne pas te fâcher.

MAURICE : Dis toujours.

GABY : (Prenant un air désolé.) Voilà ! Vu que le casse de la bijouterie n’a pas rapporté gros, on a

décidé de se refaire en allant piquer un tableau dans le château d’à côté.

MAURICE : Ah, c’étaient donc vous ?... (Perplexe.) Vous avez volé quoi ?

GABY : Le Degas.

MAURICE : (Au bord de la crise de nerf.) Quoi ? Le Dede… le Dede… le Dede…

GABY : Oui. Le Degas, je viens de te le dire.

MAURICE : (Sortant de ses gonds.) Morbleu ! Vous êtes complètement piquées !

GABY : C’est moi qui suis allée le chercher. Avec ses relations dans le milieu, Jennifer le revendra

sûrement à un bon prix.

MAURICE : Pourquoi t’as fait ça ?

GABY : L’idée du vol venait de Stéphanie. Au départ, j’étais pas trop d’accord de faire le coup mais

j’ai accepté pour me racheter de ma gaffe. (Voyant le regard interrogatif de Maurice.) Oui, c’est de

ma faute si ta femme a trouvé le collier. (Inquiète.) Momo, ne dis surtout pas à Stéphanie que je t’ai

mis au parfum, sinon elle m’arrachera les yeux.

MAURICE : (A part.) Qu’est-ce qu’il racontait, Jean-Marie ?... Où as-tu caché le tableau de monsieur

le comte ?... Ben réponds !

GABY : (Tout en désignant le tableau qui est accroché au mur.) Je ne l’ai pas caché. Il est là !

MAURICE : Ca, c’est le nôtre. (Comprenant.) Attends ! Ne me dis pas que tu as amené le vrai Degas

ici et que tu l’as remplacé au château par notre copie ?

GABY : Il le fallait pour que le vol passe inaperçu.

MAURICE : Comment saviez-vous que l’original se trouvait là-bas ?

GABY : Hier, Stéphanie et moi, on a entendu ce que tu racontais au policier. Il y était question d’un

château, d’un Degas, d’une porte qui ne ferme plus.

Bonne planque à la campagne

35

MAURICE : Ca alors. C’est à se taper le cul par terre, une histoire pareille... Pourquoi tu me racontes

tout ça ?

GABY : (L’air désolé.) Parce que je regrette ce que j’ai fait.

MAURICE : (Sceptique.) Tiens donc ! Si tu as des regrets, va te dénoncer à la police.

GABY : Je ne peux pas. Stéphanie ne me le pardonnerait jamais. (Désabusée.) Aide-moi, Momo. Me

laisse pas tomber.

MAURICE : Je sais que t’es pas une mauvaise fille. Mais, moi, j’suis qu’un pauvre paysan et j’peux

pas faire grand-chose pour toi… (Réfléchissant.) A moins que… Il me vient tout à coup une petite

idée…

GABY : Une petite idée, ça ne suffira pas. Il faudra une grande idée pour me sortir de là.

MAURICE :(Le regard malicieux.) Ecoute. J’ai trouvé le moyen de damer le pion à ta cogneuse et à ta

Stéphanie.

GABY : (Reprenant courage.) C’est vrai ? T’es sûr de ton coup ?

MAURICE : (Jubilant.) Fais-moi confiance. Je vais leur jouer un tour à ma façon.

GABY : Brave Momo, va.

Elle lui saute au cou et le gratifie de baisers fougueux.

MAURICE : Ca, au moins, c’est un bécot bien chaud et bien mouillé. C’est pas comme ceux de ma

femme.

GABY : (Animée.) Grâce à toi, je me sens toute requinquée.

MAURICE : Chut ! Voilà Victor.

Victor arrive en trombe de la cour. Un beuglement se fait entendre à l’extérieur.

VICTOR : Pa... atron, A… A… A…

MAURICE : Sois plus clair.

VICTOR : (Agité.) A… Arsule s’est s... sauvé.

MAURICE : (Nouveau beuglement.) Non di diou ! Il a sauté la clôture. (Regardant par la fenêtre.) Le

v’là qui déboule dans la cour. Faut le rattraper avant qu’il ne cavale dans la rue, sinon la fête de la

Saint-Martin se transformera en corrida de Pampelune.

Fernande revient précipitamment de l’étable.

FERNANDE : Arsule s’est sauvé !

MAURICE : Je sais ! (A Victor.) Viens m’aider !

Bonne planque à la campagne

36

Maurice sort, Victor qui lui emboite le pas.

FERNANDE : Bonjour, ma Sœur. Comment avez-vous dormi ?

GABY : (Contrôlant sa contenance.) Très bien, madame.

FERNANDE : Comme vous pouvez le constater, la vie dans une ferme n’est pas de tout repos. (A la

fenêtre.) Je me fais du souci quand Maurice court le taureau. Un coup de corne est si vite arrivé...

C’est bizarre, plus je vous regarde, plus j’ai l’impression de vous avoir déjà vue quelque part ! Vous

faisiez quoi comme métier avant d’entrer dans les ordres ?

GABY : (Troublée par la question.) Ce que je faisais ?... Hum ! C’est-à-dire que…

FERNANDE : Vous aviez bien un travail, ma Sœur ?

GABY : (Cherchant l’inspiration tout en répétant machinalement les derniers mots entendus.) Ma

Sœur, ma Sœur… Masseuse ! C’est cela, j’étais masseuse.

FERNANDE : Comme c’est intéressant. J’ai justement mal dans le bas du dos. Pourriez-vous me faire

un petit massage ?

GABY : Hum ! Je n’exerce plus, madame.

FERNANDE : Dommage. Pour une fois qu’on a une masseuse à Grévigny !... (Jetant un regard par la

fenêtre.) Maurice ramène déjà Arsule dans son enclos. Il a fait vite ! ... Avez-vous déjà eu l’occasion

de traire une vache, ma Sœur ?

GABY : (Surprise par la question.) Euh ! non. Jamais.

FERNANDE : Dans les fermes modernes, on tire le lait à la machine. C’est la rançon du progrès. Moi,

je préfère la méthode manuelle. Ce qui se fait à la main a toujours plus de charme. Ne trouvez-vous

pas ?

GABY : (Approuvant fermement.) Et comment donc !

FERNANDE : Ça vous dirait d’essayer ?

GABY : Pourquoi pas.

FERNANDE : Je vous montre. C’est pas très compliqué. (Elle effectue le mouvement à deux mains en

cadence.) On enserre le pis entre les quatre doigts et la partie supérieure du pouce. Ensuite on imprime

de petits mouvements de va-et-vient pour faire pisser le lait … Comme ceci. A vous… (Gaby répète

le mouvement à une main.) Prenez vos deux mains ! Regardez (Elle montre de nouveau le

mouvement.) On a plus de rendement quand on utilise les deux à la fois. Un, deux ! Un, deux !

GABY : (Le regard égrillard.) Vous avez raison, ce qui se fait à deux mains est toujours plus efficace.

Gaby effectue maintenant le mouvement à deux mains de manière synchrone avec Fernande.

Bonne planque à la campagne

37

FERNANDE : Pas mal du tout pour une débutante ! (Gaby a un sourire coquin.) Vous trouvez tout de

suite le bon rythme, dites donc !... Maintenant, allons traire la noiraude. Surtout, Ne perdez pas le

mouvement. Un, deux ! Un, deux !

Fernande part à l’étable suivie de Gaby qui continue de marcher en se déhanchant. Toutes les deux

miment la traite jusqu’à ce qu’elles aient quitté la pièce. Stéphanie arrive par l’escalier et court

vérifier que personne ne se trouve à la cuisine.

STEPHANIE: Personne là-bas.

Stéphanie commence à fouiller l’armoire.

STEPHANIE : (Découragée de ne rien trouver.) Pff ! Pas de collier ici non plus. Il est pourtant bien

quelque part. (Elle compose un numéro sur son portable.) Allô ! Jennifer. J’essaie de t’appeler de la

chambre mais je n’arrive pas à avoir de réseau… Oui. Qu’est-ce que tu veux, c’est la campagne. Alors

quand est-ce que tu viens ?... Je te propose d’attendre le moment de la messe. Il y a une grande

procession et tout le monde sera à l’église. Ça t’ira ?... Oh, pas trop, non ! Je reste dans ma chambre

tant que je peux. Gaby, par contre, est à l’aise ici comme si elle était chez elle… Ben oui, j’ai toujours

peur qu’elle fasse des siennes. Tu la connais !... Allez, je coupe. (Elle range son portable.) Bon,

l’étage a déjà été passé au peigne fin. Il reste le grenier. Toutes les maisons paysannes possèdent une

cache, il n’y a pas de raison que celle-ci échappe à la règle.

Stéphanie monte l’escalier tandis que Maurice revient par la cour.

MAURICE : Voilà Arsule dans son enclos… C’est l’occasion de s’offrir un petit remontant. (Il

s’apprête à sortir la bouteille de whisky de la cruche mais se ravise au moment où le pas de sa femme

se fait entendre.) Crénom, v’là la Fernande.

FERNANDE : (Venant de l’étable.) Maurice, tu n’en reviendras pas.

MAURICE : De quoi ?

FERNANDE : Sœur Marie-Gabrielle est occupée à traire la noiraude.

MAURICE : Pas possible !

FERNANDE : Tu devrais la voir. On dirait qu’elle a fait ça toute sa vie.

MAURICE : (Les mots lui viennent tout seul. Il sourit.) Oh ! Je vois. Je vois très bien, Fernande.

FERNANDE : Ah bon ! Tu vois quoi ?

MAURICE : (Se reprenant.) Euh ! Je… je veux dire, ça ne m’étonne pas qu’elle sache traire. Quand

on aime les animaux, les bons gestes viennent automatiquement.

FERNANDE : Son ancien métier l’a certainement aidé.

MAURICE : (Qui toussote sous le coup du stress.) Ah, parce qu’elle t’a expliqué ce qu’elle faisait ?

FERNANDE : Oui. Tu ne le sais pas ?

Bonne planque à la campagne

38

MAURICE : Ben non, pourquoi je le saurais.

FERNANDE : Elle était masseuse.

MAURICE : (Surpris.) Ah bon ! Dernière nouvelle.

FERNANDE : Bon, je vais chercher des patates au potager !

Fernande sort dans la cour. Gaby revient de l’étable avec un seau de lait.

GABY : (Fière d’elle en montrant le contenant du seau.) Regarde, Maurice. Ta femme m’a appris à

traire.

MAURICE : Tu n’as rien d’autre à faire, non ?

GABY : Ben quoi ? Je m’intéresse aux travaux de la ferme. Tu devrais être content.

MAURICE : C’est pas le moment de te faire remarquer. Pis c’est quoi cette histoire de masseuse ?

GABY : J’ai été prise de court quand ta femme m’a demandé le boulot que je faisais. A force

d’entendre ma Sœur ma Sœur, le mot masseuse m’est venu tout seul.

MAURICE : C’est n’importe quoi !

GABY : T’aurais préféré que je dise que j’étais hôtesse de bar en lui mettant sous le nez la liste de

mes clients ?

Au loin, un aboiement de gros chien se fait entendre.

MAURICE : Bien sûr que non.

GABY : (Excédée.) Alors, charrie pas.

MAURICE : (Jetant un regard par la fenêtre suite à l’aboiement du chien.) Regarde-le, celui-là…

Non, mais faut surtout pas se gêner !

GABY : Qu’est-ce qui se passe ?

MAURICE : Un abruti est en train de se parquer dans l’entrée de ma cour. (Il ouvre la porte et

invective le conducteur.) Eh ! Oh !... Va garer ta tire plus loin… Je parle de ta bagnole, espèce

d’andouille… Quoi ? Répète !… (Menaçant.) Attends, j’arrive.

GABY : Cherche pas les embrouilles, Momo.

MAURICE : (Furieux.) Il m’a traité de cul terreux, ce morveux. Je m’en vais lui faire goûter aux

dents de ma fourche.

Maurice se précipite à l’étable. Victor revient de la cour.

GABY : (Se montrant aguichante.) Approche, Victor ! (Victor hésite.)… Viens ! J’vais pas te manger.

(Victor finit par obtempérer.) Profitons qu’on est tous les deux pour causer un peu… Enfin, quand je

Bonne planque à la campagne

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dis causer, tu feras ce que tu peux... Ecoute, je vais te dire un secret que tu ne répéteras à personne. La

religion, c’est pas trop mon truc… Oui, j’suis trop olé-olé pour devenir… enfin, je veux dire, pour

rester Bonne Sœur. J’ai trop vécu avant, si tu vois ce que je veux dire ? (Constatant le regard

interrogatif de Victor.) Non, tu ne vois pas. Si je te dis que l’anatomie masculine n’a plus de secret

pour moi, tu comprends mieux ?

VICTOR : Ah ! Vous êtes infi… infifi… infirmière ?

GABY : (Attendrie par la naïveté de son interlocuteur.) Sacré Victor, va ! (Elle le prend par

l’épaule.) C’est vrai que tu connais sûrement mieux les vaches, les lapines et les chèvres que les

gonzesses. As-tu au moins une petite amie ?

VICTOR : Non.

GABY : Pff ! Fait chaud, ici. (Elle s’évente.) Tu ne trouves pas ?... Si on continuait la conversation

dans le fenil ? On serait bien, ensemble couchés dans le foin, non ?... (Elle constate l’air hébété de

Victor.) Fais pas ces yeux de merlan frit ! T’as déjà tiré ta chique au moins ?

VICTOR : J’aime pas chichi… chichi… chiquer.

GABY : Je ne te parle pas de chiquer. J’veux savoir si t’as déjà trempé ton biscuit.

VICTOR : J’aime pas les bibi… les bibi… les biscuits !

GABY : T’as vraiment besoin d’être déniaisé, toi. J’vais entreprendre ton éducation, moi. Tu vas voir.

(Lisant l’anxiété sur le visage de Victor.) T’inquiète ! On ira mollo, en commençant gentiment par une

gâterie… Tu aimes les petites gâteries ?

VICTOR : (Enchanté.) Miam ! Miam !

GABY : Dis-moi de quoi tu as envie.

VICTOR : Un Kiki… Un Kiki… Un Kinder Surprise.

GABY : Ouh, là, là !

VICTOR : Pou… pou… pourquoi tu dis ouh, là, là ?

GABY : De ma vie, j’ai jamais vu un type aussi peu déluré que toi. Et par-dessus le marché, tu

bégaies. Quand t’as été fabriqué, un brin d’ADN a certainement merdé dans le processus… C’est

bizarre que tu causes bien aux animaux. (Elle se tape le front.) Bon sang, il me vient une idée… (Elle

réfléchit.) Mais oui ! J’aurais dû y penser plus tôt. Ecoute, je crois avoir trouvé une solution à ton

bégaiement.

VICTOR : Ah… Ah, oui ?

GABY : Quand nous serons au fenil, je t’apprendrai un truc pour parler normalement. (Sourire

coquin.) Mais auparavant, on vérifiera si Popaul bégaie aussi.

VICTOR : C’est qui Pop… Popaul ?

Bonne planque à la campagne

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GABY : (Lui prenant le menton dans la main avec tendresse avant de lui claquer un baiser.) Ah !

Ah ! Ah ! Maintenant, à nous deux, trésor !

Gaby et Victor sortent bras-dessus bras-dessous par la porte qui mène à l’étable. Stéphanie revient

par l’escalier.

STEPHANIE : (Découragée.) Pff, toujours aucune trace de ce foutu collier. Si ça se trouve, la

fermière l’a sur elle, dans son tablier.

Fernande revient avec un panier de pommes de terre.

FERNANDE : Bonjour, ma Sœur.

STEPHANIE : Bonjour, madame.

FERNANDE : Vous êtes enfin levée. On dort bien à la campagne, n’est-ce pas ?

STEPHANIE : Auriez-vous vu Sœur Marie-Gabrielle ?

FERNANDE : Elle est à l’étable, occupée à traire la noiraude.

STEPHANIE : Comment ça, traire la noiraude ?

FERNANDE : Oui. Elle fait ça très bien. (Elle jette un coup d’œil par la fenêtre.)… Ma Sœur,

j’aimerais vous poser une question. Quelle est votre prière préférée ?

STEPHANIE : (Embarrassée.) Hum ! Ma prière préférée, me demandez-vous ?

FERNANDE : C’est cela, oui.

STEPHANIE : Eh bien… Disons que, pour moi, elles se valent toutes.

FERNANDE : Moi, j’ai un petit faible pour le «Notre-Père».

STEPHANIE : (Souriant benoîtement.) Ah ! j’aime beaucoup le « Notre-Père ».

FERNANDE : Vraiment ? Voulez-vous que nous le disions ensemble.

STEPHANIE : Non, non, surtout pas… Ce n’est pas le moment ni l’endroit.

FERNANDE : Les paroles qui m’inspirent le plus sont : ne nous soumets pas à la tentation.

STEPHANIE : Ça tombe bien, moi aussi.

FERNANDE : Quelle coïncidence. Je dis souvent à mon mari : que le monde serait beau si personne

ne cédait à la tentation.

STEPHANIE : En effet.

Bonne planque à la campagne

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FERNANDE : Quand il m’entend dire ça, il ne répond rien. Je me demande parfois ce que ça cache.

Oh ! Comme la plupart des gens de la campagne, mon Maurice est un peu bourru, mais, au fond, je

sais que je peux lui faire confiance.

STEPHANIE : A la bonne heure.

FERNANDE : Il n’est pas comme tous ces maris qui trompent leur femme à qui mieux mieux.

Maurice, lui, a autre chose à penser. Et puis, pourquoi aller voir ailleurs quand on a ce qu’il faut chez

soi, n’est-ce pas ?

STEPHANIE : (Dont les lèvres esquissent un sourire compassé.) Rendons grâce à Dieu de vous avoir

apporté un mari aussi vertueux.

FERNANDE : Enfin, Dieu ne me l’a pas apporté. C’est moi qui l’ai déniché à la foire aux bestiaux de

Grévigny.

STEPHANIE : Une foire aux bestiaux, l’endroit parfait pour trouver le mari idéal.

FERNANDE : (Jetant un coup d’œil par la fenêtre.) Tiens, voilà Maurice qui revient avec Jean-Marie.

Ils tirent une drôle de tête, tous les deux. Qu’est-ce qui se passe encore ?

STEPHANIE : Qui est Jean-Marie ?

FERNANDE : Le policier qui vous a interrogée hier.

STEPHANIE : (Elle devient anxieuse.) Hum ! Si vous le permettez, je remonte dans la chambre.

FERNANDE : Faites, je vous en prie. (Stéphanie disparaît en haut de l’escalier.) Elle se comporte

curieusement, cette Sœur !

Maurice revient avec le policier.

LE POLICIER : (Sur le ton de la remontrance.) C’est bon pour une fois, Maurice ! Que je ne t’y

reprenne plus.

MAURICE : (Tout en allant déposer sa fourche derrière la porte qui mène à l’étable) : Personne n’a

le droit de poser le pied sur mes terres sans mon autorisation. Ça vaut aussi pour les étrangers et leurs

foutues bagnoles.

LE POLICIER : (Sèchement.) Ce n’est pas une raison pour les menacer d’une fourche.

MAURICE : Ils n’ont qu’à foutre le camp et pis c’est tout.

LE POLICIER : Tu as mangé de la vache enragée ou quoi ?

FERNANDE : Je ne sais pas ce qu’il a en ce moment. Il est excité comme un taurillon qui voit du

rouge.

LE POLICIER : Je passerai l’éponge cette fois-ci, mais, à l’avenir, je serai obligé de te verbaliser.

Faut te calmer, mon vieux.

Bonne planque à la campagne

42

FERNANDE : Je vais peler mes patates. A plus tard, Jean-Marie.

Fernande part à la cuisine.

LE POLICIER : C’est ça. A plus, Fernande. (A Maurice.) L’incident est clos. Je retourne au

commissariat… Au fait, tu n’as pas remarqué que je suis venu avec un nouveau 4X4 ?

MAURICE : C’est pas vrai ? On vous a livré vos nouveaux véhicules ?

LE POLICIER : Ce matin. Viens, je vais te montrer.

MAURICE : (Animé.) J’pourrai allumer la sirène ?

LE POLICIER : (Haussant les épaules.) Pourquoi pas le Gyrophare tant que tu y es ?

Sortie de Maurice et du policier. Retour de Gaby et de Victor.

GABY : (Affectueuse.) Tu sais que t’es vraiment pas comme les autres ? Des gentils comme toi, j’en

ai encore jamais rencontrés. Pourtant, les mecs, ça me connaît. Généralement, ils me tâtent la croupe

alors que, toi, tu te contentes de me caresser le visage. J’ai jamais vu ça. Tes gestes sont tellement

délicats que je ne sens même pas les durillons de tes mains. C’est curieux la vie. Je m’apprête à te

faire vivre les plaisirs du batifolage et, au lieu de ça, c’est toi qui me fais découvrir la tendresse… Tu

ne dis rien ? Ça vaut bien la peine que je t’apprenne à ne plus bégayer si tu n’ouvres pas la bouche.

VICTOR : (Penaud.) C’est que… Je n’ai rien à dire.

GABY : Pauvre Victor, va ! Note qu’on peut comprendre. Tu causais tellement mal que t’avais pris

l’habitude de te taire.

A partir de maintenant, Victor parle sans bégayer. Toutefois son débit de parole doit rester mesurer.

Une certaine difficulté à s’exprimer doit en effet demeurer pour assurer la crédibilité du personnage.

VICTOR : D’où il vient, le truc que tu m’as donné ?

GABY : Au Liberty… (Elle se reprend.) Enfin, je veux dire, là où je travaillais avant, j’avais

rencontré un spécialiste. C’était un ortho… je sais plus quoi. Un orthophoniste, je crois. D’après lui,

tout se passe dans la tête. Suffit de penser à quelque chose qui fait plus bégayer. Tes patrons vont en

tirer une de tronche quand ils t’entendront parler.

VICTOR : Ah ça, oui !

GABY : (Elle se laisse enlacer pas Victor.) Je me sens bien dans tes bras, tu sais.

VICTOR : Moi aussi.

GABY : Tu me mets le cœur à l’envers, Victor. T’aurais pas une petite place pour moi, dans ta

ferme ?

VICTOR : Faudrait voir avec le patron.

Bonne planque à la campagne

43

GABY : J’en fais mon affaire. Je t’ai expliqué que je le connaissais depuis longtemps. Tiens, le voilà

justement qui revient.

Retour de Maurice qui est surpris de découvrir Gaby lovée contre Victor.

MAURICE : Sacrebleu ! Madame fait le joli cœur auprès de mon garçon de ferme, maintenant ? T’as

pas honte de dévergonder un brave gars qui connaît rien de la vie.

GABY : C’est pas ce que tu crois, Maurice...

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