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SCHNEIDER Mathilde Mémoire de Master 1 Muséologie Ecole du Louvre 2008 - 2009 Collection amérindienne du abinet de curiosités de la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris Sous la direction de Madeleine Leclair , responsable de l'unité patrimoniale des collections d'instruments de musique du musée du quai Branly, Gwenaële Guigon, chargée de la documentation des collections arctiques et des archives scientifiques au musée du quai Branly, Marie Mauzé, chercheuse au Laboratoire d’anthropologie sociale (CNRS-Ecole des hautes études en sciences sociales, Collège de France).

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SCHNEIDER Mathilde

Mémoire de Master 1

Muséologie

Ecole du Louvre

2008 - 2009

Collection amérindienne du

abinet de curiosités

de la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris

Sous la direction de Madeleine Leclair, responsable de l'unité patrimoniale des collections

d'instruments de musique du musée du quai Branly, Gwenaële Guigon, chargée de la

documentation des collections arctiques et des archives scientifiques au musée du quai Branly,

Marie Mauzé, chercheuse au Laboratoire d’anthropologie sociale (CNRS-Ecole des hautes

études en sciences sociales, Collège de France).

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SommaireRemerciements p 1

Avant-propos p 2

Introduction p 4

1. Un exemple caractéristique de l'époque moderne p 6

1.1.Curiosités parmi les curiosités du XVIIème siècle :

l'itinéraire d'un casse-tête mohawk p 6

1.2.Un nouveau sujet d'intérêt scientifique. p 10

2. Un exemple à l'histoire singulière, depuis la Révolution p 14

2.1.Une collection épargnée par la nationalisation révolutionnaire p 14

2.2.Une collection à l'écart des innovations ethnographiques p 16

a) Les galeries évolutionnistes et comparatistes

du milieu du XIXème siècle p 16

b) Les musées français de la colonisation de la fin du XIXème

siècle : entre tradition et modernité p 18

c) Les galeries diffusionnistes de la fin du XIXème siècle p 20

2.3.Une collection délaissée dans une institution non-muséale face aux

nouveautés muséographiques p 22

a) L'approche esthétisante du milieu du siècle p 22

b) Le renouveau des reconstitutions p 23

c) L'actuelle muséographie participative p 24

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3. Éléments de propositions muséographiques p 27

3.1.Brève description de la collection p 27

a) Le casse-tête mohawk p 27

b) La massue p 33

c) L'embout de pipe p 35

d) Le tuyau de pipe p 36

e) Le carquois et les flèches p 37

f) Les raquettes p 37

3.2.Eléments de propositions pour une exposition à la Bibliothèque

Sainte- Geneviève p 39

3.3.Proposition pour un projet d'exposition au musée du quai Branly p 44

Conclusion p 47

Bibliographie p 48

Index des annexes p 75

Chronologie récapitulative p 79

Illustrations p 80

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Remerciements :

Je remercie tout particulièrement pour leur aide précieuse:

Madeleine Leclair, directrice de mémoire, responsable de l'unité patrimoniale des collections

d'instruments de musique du musée du quai Branly.

Gwenaële Guigon, chargée de la documentation des collections arctiques

et des archives scientifiques au musée du quai Branly.

Marie Mauzé, chercheur au Laboratoire d’anthropologie sociale

(CNRS-Ecole des hautes études en sciences sociales, Collège de France).

Yann Sordet, directeur de la Réserve de la Bibliothèque Sainte-Geneviève.

André Delpuech, conservateur en chef du patrimoine,

responsable des collections des Amériques.

Denys Delâge, professeur au département de sociologie de l'Université de Laval.

Marie-Paule Robitaille, conservatrice du département « Ethnologie amérindienne et inuite

et objets d'art » au Musée de la Civilisation de Québec.

Priscille Leroy, chargée de la Mission valorisation de la Bibliothèque Sainte-Geneviève.

Eloïse Galliard, élève en Master II à l'Ecole du Louvre.

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Collection amérindienne du

Cabinet1 de curiosités de la Bibliothèque

Sainte-Geneviève de Paris

Avant-propos

Au cours de mes études à l'Ecole du Louvre, j'ai été amenée à me spécialiser dans les

arts américains, bénéficiant de l'enseignement de Pascal Mongne, auteur d'un ouvrage sur les

collections américaines2. Des micro-collections, dispersées sur tout le territoire métropolitain,

restent insoupçonnées dans des musées de province et des institutions parisiennes. Pour

combler cette lacune, je me intéressée plus particulièrement à la côte est de l'Amérique du

Nord en réalisant un dossier sur une arme amérindienne3 : le casse-tête mohawk4 du cabinet

de curiosités de la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris en 2007-2008. C'est à cette

occasion que je me suis rendue compte du manque de documentation concernant la collection

amérindienne de cette institution non-muséale qui a pourtant une histoire tout à fait

singulière5. En effet, les principales informations concernant cette collection proviennent du

catalogue d'exposition de F.Zehnacker de 1989 qui reste relativement évasif pour ce qui est

des collections américaines. Les dossiers d'œuvres ne contiennent quant à eux que des

documents administratifs relatant les prêts et les restaurations des artefacts6. Ces constatations

m'ont fait envisagé de rédiger un travail proposant dans un premier temps un projet de mise

1 Il faut comprendre ce terme selon la définition de Schnapper (Le géant, la licorne et la tulipe I, Histoire et histoire naturelle, Paris, Flammarion, 1988) : « un ensemble d'objets naturels ou artificiels maintenus temporairement ou définitivement hors du circuit d'activités économiques, soumis à une protection spéciale dans un lieu clos aménagé à cet effet et exposé au regard ».2 Mongne, Pascal, Les Collections des Amériques dans les musées de France, Paris, Réunion des musées nationaux, 2003.3 L'adjectif « amérindien » sera majoritairement employé pour désigner les indiens d'Amérique, cependant afin d'éviter de nombreuses répétitions, les termes « indien » et « nord-américain » seront utilisés également. 4 Tribu amérindienne, faisant partie de la confédération iroquoise, et résidant en Ontario, au Québec et dans le nord-est des Etats-Unis. 5 Marie Mauzé ne mentionne l'existence de cette collection que d'après une communication orale de Pascal Mongne de juin 1999 (in Premières nations, collections royales : les Indiens des forêts et des prairies d'Amérique du Nord, Paris, Réunion des musées nationaux, 2007, p 33 note 14).6 A la suite d'A.Desvallées, le terme d' « artefact » sera employé pour nommer tout objet fabriqué par l'homme, anciennement assimilé au terme artificialia.

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en valeur de ce patrimoine car aucune étude n'a été réalisée sur l'histoire des objets. C'est

pourquoi j'ai tenté de documenter au maximum l'histoire des collections, malgré les

problèmes relatifs aux archives que j'ai pu rencontrer7. La prolongation de ce travail se

situerait dans l'étude approfondie des objets en eux-mêmes, cependant le temps qui m'était

imparti cette année m'a semblé trop court pour réaliser ce travail complexe dans de bonnes

conditions et rendre des résultats de qualité. C'est pourquoi je me suis concentrée

principalement sur l'histoire de la collection et sa mise en valeur.

Pour ce qui est de l’aspect formel de ce mémoire, les noms vernaculaires et

autochtones seront écrits en italique, et les adjectifs dérivant de ces noms seront invariables,

comme il est d’usage en ethnologie. Les titres d'expositions en seront pas traduits afin d'éviter

au lecteur une confusion entre les expositions françaises et américaines.

7 Si l'on connaît bien les Relations de la congrégation génovéfaine relatant la vie de l'abbaye jusqu'à la fin du XVIIème siècle, il semble que ce même type de documents relatifs au XVIIIème siècle n'existe plus.

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Introduction

L'humanisme du XVIè siècle a vu, dans ce continent nouvellement découvert

qu'était l'Amérique, un formidable terrain d'exploration, un merveilleux sujet de curiosité.

En effet, cette avidité a poussé les découvreurs de la côte Est de l'Amérique du Nord au

début du XVIIè siècle à explorer de nouveaux territoires; et c'est encore ce même intérêt

qui a incité les collectionneurs français à se passionner pour ces curiositez venues d'un

autre monde et dont ils ne savaient que peu de choses.

Après les voyages de Cartier, Champlain, ou encore Marquette dans l'actuel

Canada, de nombreux objets furent ramenés en France après les voyages de Cartier,

Champlain, ou encore Marquette. Ce sont ces artefacts que recherchèrent et recueillirent

les humanistes des XVIème et XVIIème siècles. Le Cabinet des singularitez d'Henri IV,

celui de Pierre Trichet, ou du Président de Robien, sont bien documentés car après la

Révolution française, ces collections furent nationalisées. Les objets entrèrent dans les

grands musées nationaux et, encore aujourd'hui, nous pouvons les admirer, notamment au

musée du quai Branly. Estelle Bégué, par exemple, a effectué dans son mémoire une

analyse historique de l'ancien cabinet d’histoire naturelle de Versailles à partir des archives

départementales des Yvelines. Le Cabinet de curiosités de la Bibliothèque Sainte-

Geneviève, quant à lui, ne fut l'objet que de deux études s'intéressant pas ou peu aux

« sauvageries » : celle de Lamberty et Neto pour leur monographie de l'Ecole du Louvre

en 19858 et celle de F.Zehnacker pour le catalogue d'exposition de 19899. Ce manque

d'informations m'a donc encouragée à m'intéresser aux objets amérindiens de ce Cabinet

(un casse-tête, deux raquettes, une massue, un carquois et ses flèches, un embout et un

tuyau de pipes (ill. 1 à 8)), disposés encore aujourd'hui dans le bureau du directeur de la

bibliothèque en raison de l'absence d'un espace pour les exposer.

Quelle est donc la singularité de cette collection? Pourquoi et en quoi son histoire

est-elle si particulière? Enfin comment mettre en valeur l'histoire d'une collection nord-

américaine conservée dans une institution non-muséale?

Dans le but d'élaborer un projet d'exposition, nous étudierons tout d'abord l'histoire

du Cabinet en analysant le processus d'enrichissement de la collection amérindienne, et sa 8 Lamberty, E. et N. Neto, Le cabinet de curiosité et la Bibliothèque Sainte-Geneviève au XVIIIème siècle.Mémoire d'étude, Ecole du Louvre, 1985, 2 vol.9 Zehnacker, Françoise, Le Cabinet de curiosités de la Bibliothèque Sainte-Geneviève : des origines à nos jours, Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 1989.

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présentation jusqu'à la fin du XVIIIème siècle. Puis, nous comparerons l'histoire du

Cabinet qui nous intéresse au sort généralement réservé aux objets ethnographiques, ce

qui nous permettra de retracer l'histoire de la muséographie des collections amérindiennes

au XIXème et XXème siècles10. Enfin, après une brève présentation du corpus d'objets,

nous émettrons des éléments de proposition afin d'exposer de nouveau cette collection

malheureusement méconnue.

10 Les documents iconographiques montrent principalement des collections amérindiennes et plus spécifiquement de la côte est, cependant certaines images présentent des collections américaines et non amérindiennes par manque de sources.

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1. Le Cabinet de curiosités des Génovéfains11

1.1.Curiosités parmi les curiosités du XVIIème siècle :

l'itinéraire d'un casse-tête mohawk

Les cabinets de curiosités apparus à la Renaissance et au XVIIème siècle renferment

des collections d'objets rares, dignes d'un intérêt particulier, provenant de contrées lointaines

et rapportés par les explorateurs du Nouveau Monde. Il semblerait que la plus ancienne pièce

du Cabinet, le casse-tête (que sera étudié en page 27), ait été rapportée de Nouvelle-France

par Pierre Dugua, sieur de Monts12, gouverneur de la ville de Pons, près de Saintes. Dugua

serait allé au Canada au moins une fois avant 1603, avec l'expédition d'un coreligionnaire,

Pierre de Chauvin de Tonnetuit; il aurait voyagé jusqu'à Tadoussac (Québec), en 1600, comme

simple passager. A la mort de Tonnetuit, Pierre Dugua investit toute sa fortune dans une

entreprise en Nouvelle-France. Le 8 novembre 1603, Henri IV donna commission à Pierre

Dugua, ordinaire de sa Chambre, pour le représenter, en qualité de lieutenant général, « aux

pais. territoires, costes et confins de la Cadie, à commencer dès le quarantième degré jusques

au quarante-sixième13 ». En lui confiant sa charge, le roi pouvait invoquer la connaissance et

expérience « acquises par son lieutenant-général14 » au cours de ses diverses navigations et

voyages en Nouvelle-France. C'est pourquoi deux navires quittèrent le port du Havre, le 10

avril 1604. Sur le Don de Dieu, se trouvait le sieur de Monts, accompagné de «bon nombre de

gens de qualité, tant gentilshommes qu'autres15», dont Jean de Riencourt, seigneur de

Poutrincourt, et surtout Samuel Champlain. Lors de son précédent voyage avec Pierre de

Chauvin de Tonnetuit, Pierre Dugua avait eu une mauvaise opinion de l'embouchure de la

rivière de Canada qu'il considérait comme un « païs fascheux16». Il estimait que, plus au sud,

on jouirait «d'un air plus doux et agréable», du fait, prouvé par l'expérience commune, que

plus on va « vers le midi, plus il y fait chaud». Il partit donc vers l'Acadie, à l'emplacement

11 L'ouvrage de référence concernant l'histoire du Cabinet de curiosités de la Bibliothèque Sainte-Geneviève est le catalogue de 1989 rédigé par F.Zehnacker (Zehnacker, Françoise, Le Cabinet de curiosités de la Bibliothèque Sainte-Geneviève : des origines à nos jours, Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 1989).12 Litalien Raymonde, Champlain : la naissance de l'Amérique française, Paris, Nouveau monde, 2004, 397 p, p143-151.13 Glénisson, Jean, La France d'Amérique : voyages de Samuel Champlain, 1604 – 1629, Paris, Imprimeries Nationales, 1994, p 17.14 Idem, p 17.15 Ibidem, p 1816 Ibidem, p 18

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actuel de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick. Ce n'est qu' au cours d'une seconde

expédition dirigée dans la baie française que le sieur de Monts fixa le site d'installation, le 24

juin, sur l'île Sainte-Croix (Dochet Island dans le Maine), à l'embouchure de la rivière Saint-

Jean (Sainte Croix River) et fit commencer tout aussitôt la construction d'habitations. Dès juin

1605, la décision fut prise de chercher un emplacement plus favorable. Champlain

accompagna le sieur de Monts dans le voyage d'exploration au cours duquel ils choisirent le

site de Port-Royal (actuellement Annapolis Royal), déjà visité l'année précédente et que

Poutrincourt avait alors trouvé à son gré, au point «qu'il le demanda avec les terres y

continentes17» au lieutenant général qui le lui octroya. C'est lors de ce voyage, en 1605, que

Dugua collecta le casse-tête kanienka'haka18 (un sous-groupe des Mohawks), la tribu iroquoise

la plus proche de la côte, et donc la plus susceptible de faire des échanges avec les Européens

venus de l'est. Il repartit pour la France (le 21 septembre 1605), laissant le commandement à

du Pont-Gravé.

C'est lors de ce retour en France que Dugua rapporta des plantes canadiennes, un

canoë et le fameux casse-tête. A Paris, il rencontra l'un des plus grands savants et

collectionneurs de son temps: Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (ill. 9). On sait que les deux

hommes se sont vus le 26 novembre 1605 ainsi que le 13 mars 160619 et c'est lors de cette

rencontre que Peiresc ajouta à son cabinet le casse-tête qui nous intéresse. En effet, dans une

de ses lettres, il décrivit comme « une masse d'armes de boys de platanus [ un platanus

occidentalis du canada] de la longueur du bras faicte d'une façon bien estrange [dessin et

marquettée de petites pièces d'os et de coquilles]20». Il adjoignit même un dessin (ill. 10)

ressemblant sensiblement à ladite massue de par sa morphologie et l'esquisse de décor en

chevrons que l'on peut observer sur le croquis. Le casse-tête passa ainsi entre les mains de

Peiresc, le « prince des curieux », comme on le surnommait à l'époque. Il dessinait toutes

sortes d'objets, entretenait une immense correspondance avec tous les savants et voyageurs de

son temps, mais ne publia rien de son vivant. Il était réellement un homme passionné par le

savoir: toutes les pièces qui composaient son cabinet avaient été recherchées et rassemblées

parce qu'elles pouvaient accroître les connaissances d'un savant et non pour la simple

17Glénisson, Jean, La France d'Amérique : voyages de Samuel Champlain, 1604 – 1629, Paris, Imprimeries Nationales, 1994, p 19.18 Groupe amérindien vivant sur le territoire de Kanehsatake, près de Oka, au Québec.19 Ms 1821, folio 126 de la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras. 20 Ibidem.

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satisfaction esthétique d'un amateur21. A l'instar des plus grands cabinets de curiosités, celui de

Peiresc « dévoile[nt] la pensée synthétique et humaniste de leurs réalisateurs […], témoignent

ainsi de leur soif de connaissance, de ce besoin pré-encyclopédique de comparer et

d'expliquer22».

Peiresc s'inscrivait ainsi dans les traditions de son époque : tout bon collectionneur se

devait en effet d'avoir des armes en sa possession23 (symbole de la soumission de peuples

étrangers) et l'Amérique était alors un continent à explorer. Ainsi le cabinet Bégon renfermait

des objets canadiens inventoriés en 1699 par Duplessis; et dans le cabinet du roi de France,

« les travées du plafond [ de la galerie du fond étaient ] chargées de toutes sortes d'armes,

d'équipages et d'habillements des sauvages [...] les armoires au nombre de vingt-deux [étaient]

toutes surmontées et couronnées [...] d'habillements et de plumages d'Indiens24». Bernon,

quant à lui, avait en sa possession une massue faisant partie des « diverses curiositez servant à

la personne d'un Général des Sauvages 25», et le cabinet Constant26 recelait des armes

indiennes répertoriées dans un ouvrage intitulé Jardin et cabinet poétique de 1609. Peiresc ne

faisait donc pas complètement figure d'exception en ce début de XVIIè siècle.

A sa mort, il légua toute sa collection à son frère Valavez27 qui lui-même la transmit à

son fils Claude de Rians. Mais ce dernier était peu intéressé par ces richesses. Il fit faire un

inventaire par Chapard afin de les vendre. La vente eut lieu en 1647 et Achille II de Harlay

put y acquérir une grande partie du cabinet de Peiresc, dont notamment le casse-tête.

Conseiller au Parlement de Paris, conseiller d'Etat, et membre d'une illustre famille, il était

l'heureux propriétaire d'une collection, tenue secrète selon Baudelot de Dairval28. A sa mort,

en 1671, sa collection passa entre les mains de son fils qui s'y intéressa peu. On sait par

ailleurs grâce à plusieurs écrits29 de l'époque que ce brillant magistrat fit don de sa collection à

l'abbaye de Sainte-Geneviève, et c'est ainsi que le casse-tête entra au Cabinet.

21 C'est ainsi que l'on qualifiait alors les humanistes qui regroupaient des objets uniquement pour leur plaisir.22 Rivière, Georges-Henri, La muséologie selon Georges-Henri Rivière : cours de muséologie, textes et témoignages, Paris, Dunod, 1989.23 Schnapper, Antoine,Le géant, la licorne et la tulipe I, Histoire et histoire naturelle, Paris, Flammarion, 1988. 24 Vitart, Anne, « Notre monde rencontre un autre monde. Cabinets de curiosités : la part de l'Amérique », in Devers, Sylvie et Joëlle Rostkowski, Destins croisés. Cinq siècles de rencontres avec les Amérindiens, Paris, Albin Michel, 1992, 611 p, p 241-248.25 Schnapper, Antoine,Le géant, la licorne et la tulipe I, Histoire et histoire naturelle, Paris, Flammarion, 1988. 26 On trouve aussi l'orthographe « Contant ».27 Tamizey de Larroque, Philippe, Autour de Peiresc, Aix-en-Provence, J. Barthélémy, 1898.28 Baudelot de Dairval, Charles-César, De l'utilité des voyages, Paris, Pierre Aubouin et Pierre Emery, 1686; Lister, Martin, Voyage de Lister à Paris en 1698, Paris, Société des bibliophiles, 1873; et Piganiol de la Force, Jean-Aymar, Description historique de la ville de Paris et de ses environs, Paris, Libraires associés, 1765.29 Relation de la Congrégation de 1692.

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Lorsqu'en 1675, on fit bâtir un lieu pour servir de bibliothèque, le père Du Molinet30

(ill. 11) décida de l'accompagner d'un cabinet de « pièces rares et curieuses31 », utiles pour

l'étude et contigu à la bibliothèque. Le Cabinet renfermait outres des pièces et médailles

antiques, « plusieurs sortes d'habits et armes des pays étrangers, des Perses, des Indiens et des

Américains32 ». Et il devait être un sujet d'admiration pour les supérieurs des maisons

provinciales et les visiteurs, royaux notamment. Claude Du Molinet surveilla les travaux de

construction de la bibliothèque et l'aménagement du cabinet au dernier étage de l'aile sud du

cloître, au niveau des combles. Il s'agissait d'une salle rectangulaire, d'environ huit mètres sur

quatre, éclairée par deux fenêtres. Le père Du Molinet avait alors pour volonté de tout

montrer, de manière globale et synthétique; à la manière d'un amateur, il exposa les objets

curieux et conserva les véritables objets scientifiques ou d'érudition dans des meubles fermés.

Cependant, ce caractère pittoresque n'était qu'apparent car tout y était organisé avec ordre et

raison. La présentation se faisait sur des critères esthétiques, par masses symétriques, en

rapprochant les formes comparables selon le principe de l'analogie33. Ainsi, « le casse-tête

était présenté à côté d'un trophée d'armes, sur un tissu chamarré, dans une alcôve34 » (ill. 12),

juste en face de la porte d'entrée.

Détail de la Planche 4 , du Cabinet de curiosités de Du Molinet, centré sur le casse-tête

mohawk, gravure d'Ertinger en 1692 ( Le Cabinet de la Bibliothèque Sainte Geneviève divisé

en deux parties par Du Molinet).

30 L'orthographe Du Moulinet existe également mais il s'agit bien du même homme. 31 Du Molinet, Claude, Le Cabinet de la Bibliothèque Sainte Geneviève divisé en deux parties, Paris, Antoine Dezallier, 1692.32 Idem.33 C'est-à-dire un « usage systématisé d'une association d'idée formelle entre des sujets, des objets ou des processus par essence différents pour en saisir le sens » (in Collecteurs d'âmes, du cabinet de curiosités aux collections extra-européennes des musées bretons, exposition au musée des beaux-arts de Rennes, Rennes, 2007, p 7).34 Du Molinet, Claude, Le Cabinet de la Bibliothèque Sainte Geneviève divisé en deux parties, Paris, Antoine Dezallier, 1692.

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On sait également, grâce au guide de Brice de 175235, qu'il n'y avait alors pas de

cartels, le père Du Molinet faisant lui-même la visite. Dès son ouverture, le cabinet avait donc

bel et bien pour fonction d'être vu, d'être exposé au regard du public qui se composait de pères

de la congrégation, et de personnalités célèbres de l'époque, qui devaient alors s'extasier

devant les merveilles rassemblées là par les Génovéfains.

On peut donc considérer que le cabinet du père Du Molinet tenait à la fois du studiolo

(comme le cabinet de Ferdinando Cospi à Bologne en 1677, (ill. 13)) puisque sous chaque

fenêtre une chaise et une petite table permettaient le travail et l'étude36 pour les Génovéfains,

de la Wunderkammer car il était destiné à éblouir les visiteurs, et du rariteiten kabinet

(comme celui de Frédérick III de Danemark) parce qu'il abritait en effet des particularités, à la

fois dans les naturalia, les artificialia et les exotica37. Il s'agissait d'un Cabinet qui héritait de

toutes les traditions muséographiques de son époque et dont les objets étaient bien des

« sémiophores 38», des objets porteurs de sens « ramassés non pas pour leur valeur d'usage,

mais à cause de leur signification, en tant que représentants de l'invisible : des pays exotiques,

des sociétés différentes, des climats étranges 39». La Nouvelle-France venait de se trouver une

nouvelle place en plein cœur de Paris.

1.2 Un nouveau sujet d'intérêt scientifique.

« Le commandant de l'expédition fera pareillement rassembler et classer les

habillemens, les armes, les ornements, les meubles, les outils, les instruments de musique et

tous les effets à l'usage des divers peuples qu'il visitera; et chaque objet devra porter son

étiquette et un numéro correspondant à celui du catalogue40... ». Ces instructions du roi

montrent bien que l'appréhension de l'Autre changea radicalement au siècle des Lumières, et

le cabinet de l'abbaye Sainte-Geneviève intégra complètement les nouveautés du siècle.

35 Brice, Germain, Description nouvelle de ce qu'il y a de plus remarquable dans la ville de Paris, Paris, Le Gras, 1684.36 Comme on peut le voir sur les gravures d'Ertinger (in Du Molinet, Claude, Le Cabinet de la Bibliothèque Sainte Geneviève divisé en deux parties, Paris, Antoine Dezallier, 1692). 37 Distinction opérée depuis le traité de Samuel van Quicheberg en 1565 (cité dans le dossier de presse de Collecteurs d'âmes, du cabinet de curiosités aux collections extra-européennes des musées bretons, exposition au musée des beaux-arts de Rennes, Rennes, 2007, 59 p, p 13).38 Pomian, Krysztof, Collectionneurs, amateurs et curieux : Paris, Venise : XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1987, p 49, cité in Estoile, Benoît (de l'), Le goût des autres : de l'Exposition coloniale aux arts premiers, Paris, Flammarion, 2007, p 213.39 Idem.40 Mémoire du roi pour servir d'instruction particulières au sieur d'Entrecasteaux, chef de division des armées navales, commandant les frégates la Recherche et l'Espérance, Archives nationales fonds Marine, BB4-992.

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Il est probable qu'après la mort de Du Molinet son successeur Nicolas Sarrebourse ait

respecté la disposition du XVIIème siècle, car les guides de Paris de l'époque ne mentionnent

pas de nouveautés41. Le doublement de la galerie de la bibliothèque vers l'est entraîna en 1699

un changement notable puisque le cabinet se trouvait désormais au milieu de la Bibliothèque :

« Le Cabinet des raretez a son entrée à présent au milieu de la bibliothèque42 », écrit Brice en

1713. De plus, après le legs de l'archevêque de Reims, Charles-Maurice Le Tellier, en 1710,

d'autres travaux furent envisagés. Un agrandissement de la bibliothèque fut entrepris dès

1720 pour doubler une nouvelle fois sa superficie grâce à un second vaisseau. Le cabinet

disparut alors puisqu'il se trouvait à la croisée des galeries. Les Génovéfains

envisagèrent de déménager le cabinet à l'extrémité de l'aile sud pour corriger une asymétrie

concernant l'aile nord mais il semble que ces travaux n'aient jamais été réalisés. On peut donc

se demander où les curiosités furent exposées pendant tout ce premier tiers du XVIIIè siècle.

Si l'on en croit A.-J. Dezallier d'Argenville : en 1742, le contenu du Cabinet était « renfermé

présentement dans un garde-meuble, jusqu'à ce qu'on ait bâti un lieu convenable pour le

placer43». L'escalier destiné à desservir le Cabinet ayant bien été construit, on peut donc

supposer que les curiosités étaient conservées dans un grenier, au débouché de cet escalier,

dans l'aile sud.

En revanche, on connaît parfaitement le dernier emplacement du cabinet avant la

Révolution. Il semble que le cabinet ait repris forme en 1753, en effet Piganiol de La Force

précise : « Ce Cabinet, qui a été longtemps resserré dans une espèce de galetas, a été rebâti

magnifiquement en 1753 dans le milieu du grand corps du bâtiment qui donne sur le jardin, &

forme une belle galerie décorée d'armoires44 grillagées ou vitrées, dont la sculpture est très

recherchée45» (ill. 14). Le cabinet fut donc construit à l'étage des combles, auquel on accédait

par un escalier à l'angle sud-ouest de la deuxième cour. Il se composait alors de deux pièces :

une grande pour les antiquités et les médailles, une seconde pour les sauvageries46 et la

41 Zehnacker, Françoise, Le Cabinet de curiosités de la Bibliothèque Sainte-Geneviève : des origines à nos jours, Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 1989, p 19.42 Brice, Germain, Description nouvelle de ce qu'il y a de plus remarquable dans la ville de Paris, Paris, Le Gras, 1684.43 Dezallier d'Argenville, Antoine-Joseph, L'Histoire naturelle éclaircie dans deux de ses parties de ses parties principales, la lithologie et la conchyologie...t1, Paris, De Bure, 1742, p 208.44 Les photographies de Charmet reproduites dans le catalogue de 1989 (Zehnacker, Françoise, Le Cabinet de curiosités de la Bibliothèque Sainte-Geneviève : des origines à nos jours, Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 1989, p 22-24) représentent ces armoires du XVIIIème siècle. 45 Piganiol de la Force, Jean-Aymar, Description historique de la ville de Paris et de ses environs, Paris, Libraires associés, 1765.46 A la suite de F.Zehnacker (Le Cabinet de curiosités de la Bibliothèque Sainte-Geneviève : des origines à nos jours, Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 1989) et de F.Coulon (Collecteurs d'âmes, du cabinet de curiosités aux collections extra-européennes des musées bretons, exposition au musée des beaux-arts de Rennes, Rennes, 2007), le terme « sauvagerie » sera

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SCHNEIDER Mathilde 12

minéralogie. Nous allons nous intéresser en priorité à cette deuxième pièce, plus petite,

éclairée par trois fenêtres. La minéralogie était classée et rangée dans des armoires et des

trophées d'armes étaient accrochés au mur du fond47. Cette deuxième pièce s'organisait alors

bien plus comme un cabinet d'amateur que la première pièce qui, quant à elle, s'apparentait à

un petit musée, ouvert à heures fixes ( les lundis et samedis en 1770, les lundis et vendredis

après-midi en 1778, les lundi et mercredi de 14h à 17h en 178748), avec des collections

exposées de manière logique et munies de cartels en latin49.

L'histoire du cabinet de l'ancienne abbaye de Sainte-Geneviève, semble par

conséquent relativement similaire aux cabinets d'histoire naturelle qui florissaient dans

beaucoup de maisons aristocratiques. Au XVIIIème siècle, les scientifiques critiquèrent

l'amateurisme des collections privées où primaient la singularité et l'esthétique de leur

présentation, signe de vanité et d'orgueil. Le siècle des Lumières et sa philosophie rationnelle

influencèrent ainsi la constitution des cabinets de curiosités au sens où le désir de savoir

universel incita de nombreux navigateurs à effectuer des voyages scientifiques dont ils

rapportèrent des exotica, mais également parce que dans un souci de propagation du savoir,

les cabinets s'ouvrirent au public et furent organisés de façon à ce que tout soit visible, comme

dans le cabinet qui nous intéresse. Le cabinet Bonnier de la Mosson (ill. 15), que l'on peut

encore admirer au Muséum national d'Histoire naturelle, symbolisait bien cette nouvelle

préoccupation d'organisation scientifique et de totale visibilité. Le cabinet de Robien

renfermait aussi des « curiosités de toute espèce des pays les plus éloignés qui lui étaient

apportées par les navigateurs, tout cela venait émerveiller ses contemporains50». Tous les

artefacts étaient visibles car insérés dans le décor, ou disposés dans des tiroirs comme des

trésors51 mais ceux de provenance extra-européenne y étaient exposés comme des éléments

décoratifs. De même, le cabinet de Clément Lafaille à la Rochelle (ill. 16), légué à l'Académie

des Belles-Lettres de la ville en 178252, était exposé dans de grandes armoires vitrées, très

usité comme cela se faisait couramment à l'époque, sans connotation péjorative.47 Zehnacker, Françoise, Le Cabinet de curiosités de la Bibliothèque Sainte-Geneviève : des origines à nos jours, Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 1989, p 25.48 Geffroy, Auguste, Notices et extraits des manuscrits concernant l'histoire ou la littérature de la France qui sont conservés dans les bibliothèques ou archives de Suède, Paris,1855, p 423.49 Duchesne, Antoine-Nicolas, Manuel du Naturaliste . Ouvrage utile aux Voyageurs , & à ceux qui visitent les Cabinets d ' Histoire Naturelle & de Curiosités, Paris , G. Desprez.Duchesne, 1770, p VIII-IX.50 André, Auguste, Catalogue raisonné du Musée d'Archéologie de la ville de Rennes, Rennes, Leroy et fils, seconde édition, 1876, p 4.51 Collecteurs d'âmes, du cabinet de curiosités aux collections extra-européennes des musées bretons, exposition au musée des beaux-arts de Rennes, Rennes, 2007, 85 p.52 Rivallain, Jean, « Cabinets de curiosités aux origines du musées », in Revue française d'histoire d'Outre-Mer, tome 88, n° 332-333, p 17 – 36.

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semblables à celles de l'abbaye de Sainte-Geneviève. Enfin, le cabinet Sérent53, pour

l'instruction des enfants du roi, renfermait « un rassemblement de vases, ustensiles, armes et

habillements de divers peuples de l'Amérique et de l'Asie54 », et un mannequin de peintre55,

portant un visage de cire moulé d'après nature, habillé de peaux et abrité sous un dais formé

de trois peaux de cervidés peintes. Il était entouré d'objets quotidiens (dont des arcs, des

flèches, des carquois, des cornes à poudre), et portait la mention « Sauvage du Canada 56»(ill.

17 et 18).

Au XVIIIème siècle, les cabinets de curiosités devinrent ainsi des cabinets d'histoire

naturelle et le sauvage, désormais « bon sauvage », devint l'objet d'études scientifiques

effectuées lors de nouveaux voyages d'exploration. Le Cabinet qui nous intéresse s'inscrit

entièrement dans ce nouveau modèle, puisque les Génovéfains avaient parmi eux des

voyageurs partis en expédition scientifique57. On peut facilement supposer que les autres

objets amérindiens furent ramenés par ces correspondants et légués par des membres de la

communauté. L'étiquette relatant le don du carquois de la collection par Jean-Baptiste-Isaac

Fouldrier de Boirvaux, procureur général de la congrégation, en est d'ailleurs un bon exemple,

même s'il ne peut malheureusement pas être étendu aux autres objets de la collection, faute

d'archives.

53 On peut également trouver l'orthographe « Serrent » dans la littérature le concernant.54 Les cabinets de curiosités de la bibliothèque de Versailles et du lycée Hoche, Versailles, Bibliothèque municipale, 2004, p 34.55 Inventaire d'août 1792, Manuscrit S 1540 des Archives nationales.56 Vitart, Anne, Parures d'histoire : peaux de bisons peintes des Indiens d'Amérique du Nord, Paris, Réunion des musées nationaux, 1993, p 38 – 42.57 Les hommes d'Eglise ont souvent constitués des cabinets de curiosités à l'instar de l'évêque de Metz entre 1640 et 1682.

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2. Le Cabinet depuis la Révolution, une histoire à part

2.1 Le cabinet face aux muséums révolutionnaires

L'époque révolutionnaire fut une période-clé dans l'histoire du Cabinet. En effet, le 2

novembre 1789, un décret fut promulgué signifiant que tous les biens de l'Abbaye devaient

passer sous l'administration directe du district. Les chanoines s'alarmèrent et présentèrent au

maire de Parie une supplique: ils offraient à la commune leur Bibliothèque et le Cabinet de

curiosités en échange de la permission de demeurer réunis au service de l'église Sainte-

Geneviève58 mais en vain. Le Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale obtint dans

un premier temps l'intégralité des médailles en 1793 puis des antiques en 1797. Les coquilles

et les minéraux furent assignés à l'enseignement de l'actuel Lycée Henri IV. Les

« sauvageries » furent laissées là, suspendues au plafond59, parce qu'elles étaient le symbole

du pouvoir intellectuel des aristocrates de l'Ancien Régime60.

La collection d'ouvrages de la Bibliothèque ne fut pas dispersée et fut même enrichie

de nombreuses œuvres italiennes par le nouveau responsable de la Bibliothèque dite

désormais « du Panthéon ». En 1807, l'église abbatiale fut détruite, et seule la bibliothèque

rebaptisée Sainte-Geneviève subsista à côté du lycée Henri IV. En 1833, Pierre Zédé,

conservateur du musée de la Marine au musée du Louvre, tenta en vain61 de rassembler les

« objets de curiosités et d'ethnographie recueillis par des navigateurs 62 ». Enfin, à la suite des

nombreuses demandes des membres du lycée, la Bibliothèque fut déménagée dans le bâtiment

actuel construit par Labrouste de 1844 à 185063.

58 Ms 683 fol 258 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève.59 Ms S 1540, Archives nationales.60 Hamy (Les origines du Musée d’Ethnographie : Histoire et documents, Paris, Jean-Michel Place, 1890, p 22), déclare qu'en ce qui concerne les objets ethnographiques, seuls « une petite tête d'africain en marbre noir » et une momie furent transportées au Cabinet des Médailles. Mais Jacquemin (in Jacquemin, Sylviane, Histoire des collections océaniennes dans les musées et établissements parisiens, XVIIIème – Xxème siècles. Mémoire de recherche, Ecole du Louvre, 1991, 418 p, p 52-53 et p 119-121) évoque également une vingtaine d'objets ethnographiques sur lesquels il n'y aurait aucune information. Il s'agit peut-être de la collection que Bougainville avait déposé à l'abbaye pendant les troubles révolutionnaires. Le baron de Férussac parle en 1830 : « ... de quelques beaux objets, en petit nombre, échappés au pillage de la belle collection rapportée par Bougainville, et déposés à la Bibliothèque Sainte-Geneviève... » ( Férussac, « Sur le projet d'un musée ethnographique » cité Hamy, Les origines du musée dEthnographie du Trocadéro, 1890, p 149). Dias (« Le cabinet de curiosités de la Bibliothèque Sainte-Geneviève », in Gradhiva, 1990, n°8, p 110-112) confirme d'ailleurs que les sauvageries n'ont pas bougé.61 Zehnacker, Françoise, Le Cabinet de curiosités de la Bibliothèque Sainte-Geneviève : des origines à nos jours, Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 1989, p 138.62 En réalité, le Ministère de la Marine espérait surtout récupérer les objets de l'expédition Bougainville (Jacquemin, Sylviane, Histoire des collections océaniennes dans les musées et établissements parisiens, XVIIIème – Xxème siècles. Mémoire de recherche, Ecole du Louvre, 1991, p 52).63 Wintzweiller, Marguerite, La Bibliothèque Sainte-Geneviève de jadis à aujourd'hui, Fontainebleau, Imprimerie de l'arbre sec, 1951.

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On constate donc que l'histoire du cabinet change radicalement à la fin du XVIIIème

siècle mais d'une manière bien particulière puisque, contrairement à ce qu'on pouvait

supposer, les objets ethnographiques ne connurent pas le sort généralement destiné aux

exotica. En effet, avec la loi révolutionnaire sur la nationalisation des biens de la Couronne,

du Clergé et des émigrés, la République se dut de recueillir des centaines d'objets des

continents nouvellement explorés dans des dépôts nationaux64. Ainsi, à Rennes, le cabinet de

Robien, laissé à l'abandon après la fuite à l'étranger de son propriétaire, fut rapatrié dans

l'église de la Visitation65, puis dans l'ancien couvent des Carmélites. De même, à Versailles, le

cabinet du marquis de Sérent fut déposé au Muséum national nouvellement créé à l'Ecole

Centrale, situé dans le château. Sous la direction de Fayolle (ancien commis aux colonies

d'Amérique), le cabinet conserva jusqu'en 180666 la présentation du mannequin avec le cartel

« Canadien avec son costume complet; figure en cire moulée sur nature avec son manteau,

espèce de couverture faite de peaux de boeufs illinois frangée autour67» (ill. 19). Dans un

souci de mise en valeur des richesses de la jeune République, de nombreux musées ouvrirent

leur porte au public. Le cabinet de Robien entra ainsi au tout nouveau « Musée d'Histoire

naturelle, des Antiquités & des objets étrangers » en 1801. A Lyon, le cabinet de B. de

Moncenys et de son frère G. de Lergues, racheté en 1700 par J-J-J Pestalozzi et légué à la

ville par son fils, fut confié à l'Académie des Sciences, des Belles-Lettres et des Arts de Lyon

et exposé dans une petite salle de l'hôtel de Ville. Les objets ethnographiques de l'ancien

cabinet royal du Jardin des Plantes68, transféré au Muséum national d'Histoire naturelle en

1793, intégrèrent quant à eux en 1797 le Cabinet des antiques de la Bibliothèque nationale69,

sous la direction de Barthélémy de Courcay, où les objets étaient tous classés selon leur

origine géographique.

La muséographie de ces musées du début du siècle s'inspirait encore fortement du modèle

du cabinet. Par exemple, la salle 7 du Musée du Dauphin rebaptisé Musée de la Marine, au

palais du Louvre, ouvert au public en 1830, était consacrée aux voyages de découverte et aux

64 Rivallain, Jean, « Cabinets de curiosités aux origines du musées », in Revue française d'histoire d'Outre-Mer, tome 88, n° 332-333, 2001, p 17-36.65 Les instructions révolutionnaire avaient ordonné de disposer les œuvres d'histoire naturelle et les curiosités dans le choeur des églises et des chapelles.66 Date à laquelle les collections furent transférées à la bibliothèque de la ville.67 Vitart, Anne, Parures d'histoire : peaux de bisons peintes des Indiens d'Amérique du Nord, Paris, Réunion des musées nationaux, 1993, p 38-42.68 Les collections provenaient de notamment de Tournefort qui les avaient léguées au roi en 1796.69 Hamy, Ernest-Théodore, Les origines du Musée d’Ethnographie : Histoire et documents, Paris, Jean-Michel Place, 1890, p 22.

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« vaisseaux et bâtimens des peuples peu connus » et présentait une collection d' « objets rares

et curieux des contrées lointaines » ainsi que des armes et ustensiles « des peuples sauvages70»

(dont le casse-tête pour enfant actuellement exposé au musée du quai Branly (71.1909.19.47

Am)). Les objets étaient alors présentés comme un cabinet de curiosités (en panoplies

d'armes)71, témoins de la rencontre avec l'autre, désormais classés selon leur origine

géographique (ill. 20). On parle même encore de « salle de la sauvagerie72», et lorsque Morel-

Fatio organisa un musée d'ethnographie en août 185073, il décrivait des objets de peuples

« qu'il est convenu d'appeler sauvages »74. Cette présentation archaïque occasionna plus tard

la chute du musée car « le seul but que l'on se soit proposé [avait] été de présenter à l'oeil une

sorte de symétrie entre des objets similaires égaux en volume et en couleurs75... ».

L'histoire du Cabinet de Sainte-Geneviève est donc tout à fait particulière, puisque,

malgré l'ouverture de nombreux musées en cette fin de XVIIIème siècle, les objets

ethnographiques furent empaquetés et soustraits au regard du public, au lieu d'intégrer les

collections nationales.

2.2 Une collection à l'écart des innovations ethnographiques.

. a) Les galeries évolutionnistes et comparatistes du milieu du

XIXème siècle

Lors de l'emménagement du cabinet de l'ancienne abbaye de Sainte-Geneviève dans

les nouveaux bâtiments de Labrouste au milieu du siècle, les « sauvageries » furent disposées

en trophées dans le vestibule d'entrée de la Réserve, dans la lignée des cabinets de curiosités,

sans aucunement prendre en compte les avancées scientifiques de l'époque. Car, la jeune

science d'ethnographie prenait alors son essor grâce notamment aux nouvelles sociétés

70 EM1 1828 Note de Mr Cailleux et Philippe Bérénice et Lemeux-Fraitot Sidonie (Un bâtiment dans la tourmente : le transfert du Musée de la Marine 1870 – 1920, 1993, p 12).71 « Les panoplies et les trophées sont plutôt faits pour servir l'ornementation d'un atelier de peintre et de sculpteur que dans pour la décoration d'un musée [...] En un mot c'est une superbe collection de curiosités, mais ça n'a jamais été un musée pouvant servir à l'étude » publié dans Le Siècle du 1er octobre 1850, cité (in EM 2 : 20/10/1850 : coupure de journal paru dans Le Siècle concernant le musée ethnographique et écrit par A. Privat d'Englemont).72 « salle de la sauvagerie, 1 mai 1848 » (brouillon conservé au musée national de la Marine).

73 EM 2 20/10/1850 : article de Privat d'Anglemont paru dans le Siècle archives des musées nationaux74 Morel Fatio, Antoine-Léon, Notice des collections du musée de marine exposées dans les galeries du musée Impérial du Louvre, Paris, Vinchon 1953, VII.75 Archives nationales, fonds Beaux-Arts, F21-4483.

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d'ethnographie76. Ainsi, Jomard chercha à créer à Paris un « Musée géo-ethnographique »77

« propre à donner une idée des mœurs et des usages ou du degré des civilisations des

peuples »78 .

A cette époque, les récentes théories évolutionnistes de L.H. Morgan79 et J. Frazer

influencèrent le mode d'exposition des objets amérindiens qui furent désormais classés par

catégorie et fonction. Les artefacts étaient alors exposés selon des critères ethnocentriques et

évolutionnistes : les grandes expéditions scientifiques s'achevaient et l'objectif n'était

désormais plus de connaître mais bien de conquérir et d'assumer le « fardeau de l'homme

blanc80». Ainsi, le bon sauvage devint un « arriéré » à coloniser. Par exemple, Pitt Rivers

organisa ses collections au Pitt Rivers Museum d'Oxford (ill. 21) par fonction ou usage selon

les théories évolutionnistes de Darwin et de Boucher de Perthes81. Il s'agissait alors d'un

classement typologique avec critères géographiques, qui permettait de comprendre facilement

l'évolution continue d'une forme à l'autre par faibles mutations (ill. 22). Ces théories furent

également appliquées pour l'Exposition universelle de Paris en 1867, comme on pouvait lire

dans le compte-rendu du jury: « Des casse-têtes; des tam-tam, des fétiches hideux. Voilà donc

d'où partent les hommes pour en arriver à notre industrie, à nos arts, à nos croyances 82».

L'Exposition du centenaire des Etats-Unis en 1876 à Philadelphie choisit également le parti-

pris évolutionniste, bien que Spencer F.Baird ait voulu contextualiser les objets. Les artefacts

étaient entassés dans de grosses vitrines en noyer, avec peu ou pas de cartels. Les grands

éléments étaient juste posés sur les vitrines ou placés dans une allée, comme un tipi Arapaho

grandeur nature, un grand totem Swan et un grand canoe83. Mais ces expositions

évolutionnistes eurent une belle postérité puisque la Louisiana Purchase Exposition en 1904

se réclamait encore de ces théories.

Peu à peu, les idées comparatistes de E.B. Tylor84 eurent un nouvel impact sur la

muséographie des objets ethnographiques. Par exemple, en 1867, s'ouvrit le musée des

76 La Société des observateurs de l'homme fut créée en 1799 et la Société de Géographie en 1821.77 Hamy, Ernest-Théodore, Les origines du Musée d’Ethnographie : Histoire et documents, Paris, Jean-Michel Place, 1890, p 40.78 Idem.79 Morgan, Lewis Henry, Ancient Society, or Researches in the Line of Human Progress from Savagery, through Barbarism to Civilization, London, Macmillan and Co, 1877.80 Titre d'un poème R.Kipling en soutien à la colonisation américaine des Philippines.81 Chapman, in Stocking, George, Objects and others : essays on museums and material culture, Madison, University of Wisconsin Press, 1985, p 20.82 Cité in Richard, Lionel, Arts premiers : l'évolution d'un regard, Paris, Edition du chêne, 2005, p 55.83 Jacknis, Ira, The storage box of tradition : Kwakiutl art, anthropologists, and museums, 1881 – 1981, Washington ( D.C.), Smithsonian Institution Press, 463 p, 93.84 Tylor, Edward Burnett, La civilisation primitive, Paris, Reiwald et Cie, 1876.

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Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye avec la mission bien identifiée d'« initier

l'industriel au secret des anciennes fabrications, de faire connaître à l'artiste comment l'art s'est

modifié, suivant les races, les climats et les temps, et de lui permettre d'en étudier les

différentes formes85». Les pièces ethnographiques servaient alors à classer par comparaison

des objets de l'époque préhistorique et à expliquer par analogie, la forme, l'usage ou la

fabrication d'objets du territoire gaulois86.

b) Les musées français de la colonisation de la fin du XIXème

siècle : entre tradition et modernité.

En réalité, il ne faut pas s'étonner du caractère quelque peu désuet de la présentation

des objets ethnographiques en cabinet de curiosités dans le vestibule de la Réserve. La

Bibliothèque n'étant pas un musée, son premier but n'était pas d'innover en matière

d'exposition. Or, à cette époque, même les grandes institutions muséales perpétuaient cette

tradition muséographique, avec une conception purement géographique des collections, même

si elles essayaient d'intégrer de nouveaux paramètres ethnographiques, comme la remise en

contexte.

Ainsi, lorsque le musée de l'Artillerie à l'Hôtel des Invalides ouvrit sa galerie

d'ethnographie, en 1878, classée et ordonnée par Lucien Leclerc et Armand de Quatrefages,

soixante-dix-huit mannequins représentaient des guerriers du monde entier, en plâtre peint,

d'après les modèles de la galerie d'anthropologie du Muséum d'Histoire naturelle87. « Si les visages [étaient] tous différents, les corps [étaient] en revanche

identiques et stéréotypés, seule la couleur de la peau différant selon les populations

représentées. Les mannequins [étaient] entièrement réalisés en plâtre s'ils [étaient] nus ou peu

vêtus; s'ils [étaient] habillés, seuls le buste, les mains et les pieds [étaient] en plâtre, tandis que

le corps [était] en toile sur une armature de bois88 » (ill. 23).

Ces présentations paraissent peu innovantes face au mannequin du Marquis de Sérent.

En revanche, la nouveauté vient de la systématisation de cette présentation et l'essai de remise

85 G2 du 17/04/1865 (Archives des musées nationaux) : Lettre du comte de Reffye destiné au comte de Niewerkerche : « Modification du projet d'organisation du musée de Saint-Germain ». . 86 G1 du 25/04/1870 (Archives des musées nationaux) : Copie d'un courrier du comte de Reffye destiné à l'Empereur à propos du développement futur de Saint-Germain si celui-ci est soumis aux mêmes réglementations que les musées d'art.87 Dias, Le musée d'ethnographie du Trocadéro : 1878-1908: anthropologie et muséologie en France, Paris, Edition du Centre national de la recherche scientifique, 1991, p 107.88 Revue de la Société des Amis du Musée de l'Armée, 2008, 135, I, p 27.

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en contexte. Ces mannequins constituaient ainsi une « série de tableaux vivants où chaque

arme [était] dans son attitude propre, dans les mains qui l'ont créé et qui s'en servent, en un

mot, de son milieu89», donc dans la lignée des dernières recherches ethnographiques.

Le Musée d'Ethnographie du Trocadéro présentait une galerie américaine, éclairée par

neuf grandes fenêtres, avec de grands meubles placés en épis entre les baies du

monument90(ill. 24). « Les savants organisateurs du Musée ne se [contentaient] pas de nous

présenter les armes et les vêtements des races d'hommes de l'Amérique; ils nous [faisaient]

avant tout connaître ces races elles-mêmes. Des statues très nombreuses nous [montraient] des

hommes de chaque peuple, avec leur physionomie propre, et avec leur costume authentique.

Aucune partie de ces statues n'[avaient] été négligée: le visage, la couleur des cheveux, celle

des yeux, la couleur très exacte du teint, la longueur des membres, les moindres détails du

vêtement enfin, [avaient] été soigneusement colligés d'après des documents d'une incontestable

véracité91»

peut-on alors lire dans la presse. En effet, entre tradition et modernité, les artefacts étaient

disposés en panoplies sur les murs, et des mannequins (ill. 25) (d'après des moulages sur

nature) permettaient de reconstituer des scènes d'intérieur. Mais les collections étant

incomplètes, les vitrines du musée contenaient essentiellement des pièces rares, anciennes ou

attachées à des circonstances inoubliables (cérémonies funéraires et sacrifices humains) et

héritaient ainsi des cabinets de curiosités de par les types d'objets qu'elles renfermaient: objets

particuliers, armes, vêtements, sacs, peaux peintes.

Il semble donc que le Cabinet de curiosités de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, bien

que sa muséographie ne soit en rien innovante, ne soit pas non plus complètement désuet

puisque même les grands musées français de cette époque s'inspiraient encore très largement

des cabinets de curiosités du siècle précédent.

89 Bordier, « La galerie ethnographique du Musée de l'artillerie » in La Nature, 1878, p 99-102 et p 133-138 .90 Dias, Le musée d'ethnographie du Trocadéro : 1878-1908 : anthropologie et muséologie en France, Paris, Edition du Centre national de la recherche scientifique, 1991, p 179.91 Bertillon, « Le musée d'Ethnographie du Trocadéro » in La Nature, 10 juin 1882 p24-26 et 2 septembre 1882, p 215-218.

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c) Les galeries diffusionnistes de la fin du XIXème siècle.

On garde la trace des sauvageries de la Bibliothèque Sainte-Geneviève d'inventaire en

inventaire92, mais il semble que la muséographie n'ait pas changé93 (ill. 26 et 27) alors que les

théories ethnographiques se multipliaient.

En effet, avec F.Boas94 (1858 – 1942) et son informateur G.Hunt (un

Kwakwaka'wakw95), naquirent le diffusionisme et surtout le relativisme culturel. Les objets

devinrent des échantillons de civilisation et furent remis dans un contexte culturel et

historique en fonction des régions d'origine, et une nouvelle forme muséographique apparut

alors: les life-groups, des restitutions des modes de vie à l'aide de mannequins dont les visages

de plâtre étaient parfois moulés sur de véritables autochtones. La disposition des mannequins

était dictée par des connaissances ethnographiques, et ils étaient entourés d'artefacts recueillis

sur le terrain, alignés, classés de façon typologique selon leur origine linguistique ou bio-

géographique. Critiquant l'évolutionnisme, Boas pensait que l'art ne saurait être compris que

par ses formes, qu'il fallait le recontextualiser. Il proposait donc un musée véritablement

ethnographique, en envisageant les progrès de la civilisation dans leur multiplicité et non dans

leur unicité.

La première élaboration de life groups eut lieu à la World's columbian Exposition en

1893 (ill. 28). Dans un pavillon spécialement dédié à l'anthropologie, Boas avait fait réaliser

une maquette d'un village haida96 de Skidegate. Mais l'exposition était confuse et non

systématique. Les life groups furent une nouveauté mais leur but était principalement de

montrer à quel point les indiens avaient été civilisés par les Euro-Américains. Cette nouvelle

pratique fut ensuite pérennisée à l'American Museum of Natural History de New-York. Les

galeries étaient agencées selon des critères géographiques (les sibériens à côté des esquimaux,

eux-mêmes à proximité de la côte nord-ouest) et le contenu de la galerie de la côte nord-ouest

était divisé en deux : un premier rang de vitrines donnant une vision synoptique, et un

92 en 1877 par Henri Trianon, en 1898, en 1942.93 Les photographies de Charmet datant de 1909 montrent toujours les armoires de 1753 (in Zehnacker, Françoise, Le Cabinet de curiosités de la Bibliothèque Sainte-Geneviève : des origines à nos jours, Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 1989, p 22-24). 94 Boas, Franz, L'art primitif, Paris, Biro, 200395 Il s'agit d'une tribu indigène appelée aussi Kwakiutl, vivant en Colombie britannique, au nord de l'île de Vancouver. 96 Il s'agit d'une tribu indigène vivant sur le côté pacifique de l'Amérique du Nord, à la fois aux Etats-Unis et au Canada.

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deuxième avec des collections indépendantes illustrant les particularités de chaque groupe97.

Pour mieux donner à voir la vie quotidienne de ces différentes tribus, Boas constitua des life

groups avec des mannequins de plâtre peint, placés dans une vitrine avec leurs vêtements,

leurs ornements et leurs outils. Au début du XXème siècle, il y avait une trentaine de

mannequins, réalisée par Caspar Mayer. Il moulait des parties corporelles pendant les

enquêtes de terrain, à partir de photographies, ou à partir de poses que prenaient Boas lui-

même (ill. 29). En général, les life groups reproduisaient une scène d'artisanat et d'usage de

produits confectionnés. Ainsi le life group concernant les Kwakwaka'wakw montrait une

femme fabriquant une natte en écorce de cèdre, et berçant son enfant, une autre femme

rappant de l'écorce, un homme peignant une boîte, un autre entretenant un feu, et une

troisième femme faisant sécher du poisson au dessus du feu (ill. 30).

Boas pensait alors que le visiteur pouvait difficilement se laisser transporter dans ces

mondes étrangers car l'environnement muséal était trop visible98, et que les mannequins

manquaient de vie du fait de l'absence de mouvement. Il demanda à ce que les cartels soient

de la même couleur que les vitrines, que les groupes ne soient visibles que d'un seul côté, et

que les mannequins soient présentés dans une phase de repos, avec des chairs seulement

peintes de manière approximative et des cheveux peints ou modelé mais non réels. Un autre

type de présentation fut également envisagé au début du XXème siècle: les family life group

diorama (ill. 31), des dioramas, grandeur nature, tridimensionnels, regroupant des personnes

et des objets traditionnels, présentés devant un paysage peint99. Par exemple en 1903, Samuel

Barrett et Robert Peary remplirent une salle entière du Milwaukee Public Museum de

mannequins d'Inuit, n'ayant, semble-t-il, jamais subi d'influence extérieure100.

Mais une voix indienne s'élèva alors contre cette vision ethnocentrique des collections

amérindiennes, présentées comme des témoins d'un exotisme lointain, et ce, de façon

dévalorisante. De plus, les collections étaient exposées de façon statique et an-historiées, et

attiraient alors peu de visiteurs qui leur préféraient les expositions vivantes du Buffalo Bill's

97Jacknis Ira, « Franz Boas and Exhibits : On the Limitations of the Museum Method in Anthropology », in G. W. Stocking (dir.), Objects and Others : Essays on Museums and Material Culture, Madison, University of Wisconsin Press, 1985, p 75-111.98 Idem.99 Le National Museum of Natural History de Washington innova encore une fois en la matière.100 Jacknis Ira, « Franz Boas and Exhibits : On the Limitations of the Museum Method in Anthropology », in G. W. Stocking (dir.), Objects and Others : Essays on Museums and Material Culture, Madison, University of Wisconsin Press, 1985, 258 p, p 75-111.

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Wild West Show101 (ill. 32). Enfin, à cause de ce type de présentation, le public confondait

artefacts authentiques et copies.

2.3. Une collection délaissée dans une institution non-muséale face aux

nouveautés muséographiques

. a) L'approche esthétisante du milieu du siècle

La découverte des arts primitifs eut un fort impact sur l'art occidental du début du

XXème siècle. L'Europe promut les objets ethnographiques et les plaça désormais au même

niveau que les chefs-d'œuvre occidentaux: « Marbre grec, bijou égyptien, bronze chinois, poterie péruvienne ou masque nègre, au bilan

final, à condition de se débarrasser d'un regard ethnocentrique, il faut bien admettre que, si le génie

créateur n'a pas manqué, tout se vaut. Le chef-d'œuvre possède une valeur en soi, intemporelle, qui

échappe à toute classification102».

A partir de l'Exposition coloniale de 1931 puis de l'Exposition universelle de 1937, les

qualités esthétiques des œuvres furent peu à peu prises en compte, et valorisées dans un

nouveau classement stylistique. On comprit qu'une civilisation n'était pas constituée

uniquement d'objets, mais que comme seuls des artefacts pouvaient être conservés dans un

musée, ils acquéraient alors une valeur esthétique. Aux Etats-Unis, la première exposition de

ce type eut lieu au Museum Of Modern Art en 1941 et s'intitulait Indian art of the United-

States103. Malgré les conseils dissuasifs des chercheurs du Musée de l'Homme104, le

conservateur William Rubin (1927 – 2006) avait disposé les artefacts sur des piédestaux

blancs (le même mobilier que celui utilisé dans les collections permanentes d'art européen),

avec des éclairages théâtraux (ill. 33 à 36). De nombreuses expositions et musées adoptèrent

cette vision esthétisante comme le Brooklyn Museum, le Musée d'anthropologie de

l'Université de Colombie britannique, le Musée de l'Homme pour l'exposition de ses chefs-

d'œuvre (ill. 37) ou encore le Pavillon des Sessions du Musée du Louvre:

101 Organisé par Buffalo Bill (1846 – 1917), ce spectacle donnait à voir l'atmosphère de l'Ouest américain avec de vrais indiens vivants, mimant des scènes de la vie quotidienne comme la chasse au bison ou l'attaque d'une diligence. 102 Jean Charbonneaux, Cahiers du Sud, 1946, cité in Richard, Lionel, Arts premiers : l'évolution d'un regard, Paris, Edition du chêne, 2005, p 81.103 Jacknis, Ira, The storage box of tradition : Kwakiutl art, anthropologists, and museums, 1881 – 1981, Washington ( D.C.), Smithsonian Institution Press, 2002, 463 p.104 Michel Leiris rapporte que les chercheurs du Musée de l'Homme de Paris avaient déconseillé à Rubin ces « rapprochements un peu rapides », en vain (cité in Gradhiva, été 1988, 4, p 38-39).

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« Un peu plus d'une centaine de chefs-d'œuvre des « arts lointains » viennent de trouver place

au cœur du palais du Louvre. Après plus d'un siècles d'âpres débats, les voici enfin présentés à notre

regard, certes « dessertis de leurs sites et de leurs rites », selon la belle formule de Jean-Louis Paudrat,

mais témoignant de l'universel génie de l'artiste par lequel une partie du monde n'est pas notre spectacle

mais notre lien le plus intime avec l'humain105 ».

Mais cette évolution marquante n'atteignit pas la Bibliothèque Sainte-Geneviève : en 1928,

les artefacts étaient encore disposés en panoplies sur les murs de la salle de la lecture de la

Réserve (ill. 38). En 1933, ils furent mis en caisses, car le vestibule devint une salle de

lecture. Ils ne furent de nouveau exposés qu'en 1951 lors du centenaire de la nouvelle

bibliothèque.

. b) Le renouveau des reconstitutions

A partir des années 1960, certains musées reprirent l'idée des mannequins et des

reconstitutions afin de mieux recontextualiser les œuvres. Ainsi, lorsque le Musée de

l'Homme de Paris réorganisa le département de l'Amérique du Nord en 1977, les

conservateurs remplacèrent les quatre vitrines mal éclairées par un mur de vitres, pour éviter

les ruptures visuelles et faire oublier l'environnement muséal106. Puisque le musée n'était pas

un musée de beaux-arts, l'option esthétisante n'était pas primordiale. Il fallait « faire vivant »,

c'est pourquoi on eut recours à des mannequins (pourtant proscrits dans les années 30), des

maquettes, des programmes audio-visuels et des photographies complétant les dioramas (ill.

39). Ainsi, l'exposition Maritime Peoples of the Arctic and Northwest Coast au Field Museum

of Natural History de Chicago, en 1982, reproduisait quant à elle l'intérieur d'une maison

kwakwaka'wakw, avec le mannequin d'une femme attisant le feu (ill. 40).

105 Préface de Stéphane Martin, in Sculptures : Afrique, Asie, Océanie, Amériques, Paris, Réunion des musées nationaux, 2000, 479 p.106 Vitart, Anne et Dominique Bazin, « Rénovation de la galerie permanente d'Amérique du Nord (Etats-Unis – Canada) », in Objets et monde, 1976, hiver, p 155-166.

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c) L'actuelle muséographie participative

« Nous [peuples autochtones] avons parfaitement conscience que beaucoup de gens

ont consacré leur temps, leur carrière et leur vie à montrer ce qu'ils croyaient être une image

exacte des peuples indigènes. Nous les remercions pour cela, mais nous voulons tourner la

page...107».

Pendant les années 70, de nouvelles pratiques muséologiques se mirent en place. Le

Conseil international des musées (ICOM) promulgua en 1970 une Déclaration sur l'éthique

des collections, qui mettait en valeur la nécessité de consulter les communautés « sources »

des objets. Dès lors, la participation des autochtones à la réalisation des musées et des

expositions devint de plus en plus fréquente. Ainsi, en 1988, les Indiens Cree du Lac Lubicon

boycottèrent l'exposition The Spirit Sings au Glenbow Museum de Calgary parce qu'elle était

financée par l'entreprise pétrolière Shell Oil alors que cette dernière convoitait un territoire

que les indiens revendiquaient. Il en résulta la création des Premières Nations108 et de

l'Association des musées canadiens, ainsi qu'un texte en 1991 qui demandait l'association des

Amérindiens à l'interprétation de leur culture au sein des institutions culturelles109. Aux Etats-

Unis, l'abandon de la collection new-yorkaise de George Heye suscita un grand débat auquel

participèrent des autochtones dont l'écrivain sioux Vine Deloria110. La pression fut telle que le

gouvernement céda et accepta la création d'un musée au cœur de Washington (le National

Museum of American Indians) et la promulgation du Native American Graves Protection and

Repatriation Act en 1990. On vit ainsi apparaître un nouveau type d'expositions, où l'objet

devint le support d'un discours identitaire. Le discours officiel tout comme la position

universaliste purent alors être l'objet de critiques. Seule la vision amérindienne y fut

considérée comme authentique, les histoires personnelles remplaçant la grande Histoire euro-

américaine.

Pour illustrer cette nouvelle pratique, il faut s'intéresser au musée emblématique de

cette muséologie participative : le NMAI111. Ce musée, créé en 1989 par le Cheyenne Richard

107 George Erasmus, ancien chef de l'Assemblée des Premières Nations (cité in Halpin, Marjorie M. et Michael M. Ames, « Musées et “Premières Nations” au Canada », in Ethnologie française, n° 29, 1999, p 431-436).108 Une organisation nationale qui représente tous les citoyens des Premières Nations au Canada, peu importe leur âge, leur sexe ou leur lieu de résidence.109 Nicks T. et Hill T., Turning the Page : Forging New Partnerships Between Museums and First Peoples, Ottawa, Assemblée des Premières Nations et Association des musées canadiens, 1991.110 Mauzé, Marie, « A New Kid on the Block. Le National Museum of the American Indian », in Journal de la Société des Américanistes, 2004, 90-2, p 115-128.111 West, Richard, « Entre deux mondes : vers une nouvelle conceptions des musées d'art indien », in Devers, Sylvie et Joëlle Rostkowski, Destins croisés. Cinq siècles de rencontres avec les Amérindiens, Paris, Albin Michel, 1992, 611 p.

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West, proposa un nouveau type d'exposition, entièrement géré par des autochtones qui

s'affranchirent du destin ethnologique que leur assignaient les Euro-Américains pour se

réapproprier leur propre histoire. Ainsi, les Indiens, d'objets de musée, devinrent promoteurs

de leur propre culture112. « Les autochtones [...] ne manifestent aucun intérêt pour la

présentation de leur patrimoine dans des vitrines rassemblant de superbes objets de curiosité,

aucun intérêt non plus pour une lecture de leur histoire qui se résumerait à des siècles de lutte

contre les colons européens 113». Partant de cette constatation, R. West élabora « un musée

vivant », sans point de vue anthropologique. Les collections permanentes furent divisées en

trois galeries dont Many Hand, Many voices qui mettait en valeur la variété des cultures et des

savoir-faire. Mais l'absence de cartels laissaient les « objets sans voix114» (ill. 41) et

l'exposition en panoplies ou l'accumulation d'objets dans les vitrines rappelaient les musées

d'Histoire naturelle. De même, dans la galerie Our Universes115, les commissaires

anishinaabe116 reprirent le système désuet des life-groups, les Hupa117 de Californie

présentèrent eux aussi un mannequin vêtu du costume cérémoniel porté pour la White

Deerskin118. Mais le public était en droit de se demander si ce rituel était encore pratiqué, car il

n'y avait pas de cartels, comme dans une exposition esthétisante, sans informations

anthropologiques. En 1992, l'exposition Pathways of tradition: Indian Insights into Indian

Worlds au NMAI (ill. 42) présentait des objets sans datation, avec des commentaires

ponctuels sur leur provenance, leur usage, leur signification, et mettait en parallèle des

croyances communes à tous les Amérindiens. La même année, la National Gallery of Art de

Washington, tenue par des Amérindiens, présentait Art of the American Indian Frontier: The

Collecting of Chandler and Pohrt : une disposition élégante d'objets, accompagnés de textes

discrets, sans informations ethnographiques. Quelques années plus tard, le NMAI présentait

All Roads are good (une sélection d'objets par ving-trois amérindiens célèbres qui justifiaient

leur choix) et Creation's journey (une sélection de chefs-d'œuvre esthétiques aux yeux des

112 Ames, Michael, « Are changing representations of First Peoples in Canadian museums and galleries challenging the curatorial prerogative? », in Karp, Yvan, Exhibiting Cultures : The Poetics and Politics of Museum Display, Washington, Smithsonian Institution Press, 1991, p 73-75.113 Mauzé, Marie, « Le National Museum of the American Indian , Le présent des cultures », in Gros, Christian et Marie-Claude Feltes-Strigler, Etre indien dans les Amériques : spoliations et résistance : mobilisations ethniques et politiques du multiculturalisme, Paris, Editions de l'Institut des Amériques, 2006, 314 p, 123-130.114 Idem115 Jacknis, Ira, The storage box of tradition : Kwakiutl art, anthropologists, and museums, 1881 – 1981, Washington ( D.C.), Smithsonian Institution Press, 2002, 463 p.116 Ensemble de tribus amérindiennes vivant autour des grands lacs candiens. 117 Tribu amérindienne vivant au nord-ouest de la Californie. 118 Danse rituelle des Hupa.

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amérindiens). En 1999, le Mc Cord Museum de Montréal exposait Across Borders :

Beadwork in Iroquoian Life, avec des Tuscarora119 (ill. 43 à 46). Ces musées permettaient

avant tout aux autochtones de transmettre leurs traditions à leurs descendants. Le contexte

faisant partie de leur culture, nul besoin de l'expliquer, d'où cette nouvelle muséographie qui

pourrait, de prime abord, s'apparenter aux visions esthétisantes occidentales des années 50120.

Un autre mode d'exposition pourtant vivement critiqué fut également réutilisé par les

Amérindiens : le diorama. On peut citer le Mille Lacs Museum avec des dioramas où des

mannequins dans leur milieu traditionnel, exécutent des tâches, changeantes au fil des saisons

pour un aperçu plus intimiste de la vie amérindienne. On pense également au Mashantucket

Pequot Museum and Research Center dans le Connecticut qui présente des dioramas, comme

celui d'un d'un village pequot121 au XVIIè siècle, où les cinq sens sont sollicités (ill. 47 et 48).

Enfin en novembre 2001, l'exposition Nitsitapiisinni : Our way of life, au musée Glenbow de

Calgary (Alberta), fut conçue par dix-sept Anciens Blackfoot122 pour une « mise en espace de

l'histoire, du mode de vie traditionnel en mettant l'accent sur l'impact dramatique du contact

avec les Euro-caradiens123». Des objets anciens furent mis en scène ainsi que des mannequins,

dans des dioramas incluant des témoignages individuels, des bruits, des lumières et des

odeurs, censés rendre compte de l'expérience quotidienne. Ces scènes, qui paraissent bien

proches des dioramas du début du siècle, trouvent une légitimité dans l'origine amérindienne

de leurs créateurs.

Enfin, il existe des musées tribaux indépendants, élaborés pour commémorer un acte

historique. Ce fut le cas en 1979, avec la restitution aux tribus amérindiennes de quatre-cent-

cinquante objets cérémoniels du Potlatch124 (confisqués en 1922), à condition que les pièces

soient exposées125. Ce fut le cas : le Kwagiulth Museum and Cultural Centre à Cape Mudge

119 Tribu amérindienne localisée en Caroline actuelle. 120 En France, le seul exemple de muséographie participative semble avoir eu lieu au Musée de l'Homme, pour l'exposition A la rencontre des Amériques (in A la rencontre des Amériques : de l'Alaska à la Terre de Feu : guide de l'exposition, Paris, Editions du Muséum d'Histoire naturelle, 1992, 66 p, p 5).121 Tribu algonquienne du XVIIème siècle qui vivait dans le Connecticut actuel.122 Tribu amérindienne située dans le Montana américain et en Alberta, au Canada123 Mauzé, Mari et Joëlle Rostkowski, « La fin des musées d'ethnographie? », in Le Débat, 2007, 147, p 80-90.124 Le potlatch, du mot chinook patshatl, est une cérémonie régie par des rites précis et commune à la plupart des peuples autochtones de la côte du Nord-Ouest. Il a pour fonction d'authentifier un statut, un rang et de manifester des prétentions à des noms, à des pouvoirs et à des privilèges. On accumulait des richesses sous forme de biens d'utilisation courante tels que couvertures, coffres en cèdre sculpté, nourriture, poissons et canots, ou de symboles de prestige comme les esclaves et les cuivres, pour ensuite les offrir en guise de présents ou même les détruire avec grande cérémonie. Les potlatchs ont lieu pour célébrer une initiation, souligner un deuil ou marquer l'investiture des chefs. Ils consistent en une longue série d'échanges souvent compétitifs entre clans, lignées et groupes rivaux.125 Mauzé, Marie, « Un patrimoine, deux musées : la restitution de la Potlatch Collection », in Ethnologie française, 1999, 29, 3, p 413-430.

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(Colombie britannique) regroupe des pièces par catégories fonctionnelles et par type d'emploi

cérémoniel, avec identification de l'ancien propriétaire et mise en valeur des conflits

occasionnés par la pratique du potlatch. Mais il s'agit plus d'un sanctuaire familial à la gloire

d'une famille aristocratique que d'un musée véritablement ethnographique. De même, le

U'Mista Cultural Centre d'Alert Bay (Colombie britannique) dispense, quant à lui, un message

plus politique concernant la destruction de la culture kwakiutl lors de la confiscation de 1922.

Les objets ne sont pas dans des vitrines car selon les amérindiens, ils ont été trop longtemps

enfermés126. L'atmosphère cérémonielle prime alors sur l'impact esthétique (ill. 49).

On voit donc ainsi la différence considérable qu'il existe entre les récentes recherches

et expérimentations muséographiques et la présentation extrêmement traditionnelle de la

collection qui nous intéresse, même lors de l'exposition de 1989 (ill. 50).

3. Eléments de propositions muséographiques

3.1 Brève présentation des objets de la collection

Avant de proposer des projets de valorisation de cette collection, il est indispensable

de connaître davantage les objets concernés, même si de plus amples recherches concernant le

foyer de production et le contexte de collecte sont encore nécessaires.

. a) Le casse-tête mohawk (n°128 de l'inventaire de 1943) (ill. 51)

Il se compose d'un manche et d'une masse sphérique en bois dur de noyer noir127

incisé, incrusté de quinze perles blanches128 appelées « wampun » sur la partie dorsale, et

associées symboliquement à la pureté et à la paix129. La pièce fut probablement taillée dans un

noeud de bois130 car les fibres du bois sont peu visibles, excepté sur la poignée du casse-tête.

Selon la tradition, la boule fut sans doute durcie au feu pour augmenter sa solidité et donc son

efficacité. L'amincissement du manche, caractéristique de ce type de casse-tête, fut obtenu par

126 Idem.127 Communication personnelle de Mme Robitaille du 02/04/2008.128 Perles taillées dans le revêtement intérieur des conques, de coquilles d'ahliotide, du gastéropode « Buccinum undatum ».129 Ce même matériau était d'ailleurs également employé pour la fabrication de ceintures wampun qui scellaient des accords de paix entre deux tribus 130 Cela est d'autant plus vraisemblable que les casse-têtes étaient couramment taillés dans un noeud ou un racine de bois car l'absence de fibres rectilignes permettait une plus grande solidité du bois.

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un travail au feu, d'où les traces de résidus noirs131. Il mesure 51 cm de longueur, et 13 cm de

largeur, le diamètre de la boule est de 13 cm. Il s'agit d'une pièce monoxyle : aucune marque

d'assemblage n'est visible132. Les deux faces du manches portent un décor proche mais

pourtant différent, notamment une grande étoile sur l'arrondi du manche d'un côté (face A)

(ill. 52), une petite de l'autre côté (face B) (ill. 53). Une restauration à peine visible a été

effectuée après un problème de transport. Il est possible que ce casse-tête n'ait pas été

uniquement un objet cérémoniel, car des marques, probablement causées par des coups portés,

sont visibles sur la partie supérieure de la pièce, ce qui laisse penser que l'objet n'a pas été

fabriqué directement pour les européens, puisqu'il a été utilisé dans sa fonction première. On

peut aussi voir deux inscriptions dissemblables mais difficilement déchiffrables sur le manche

(ill. 54).

Les pictogrammes gravés sur le manche permettaient d'identifier les victoires de

guerre et les esprits protecteurs de chaque guerrier. Ici, les motifs incisés sont beaucoup moins

explicites et figuratifs que sur d'autres exemples. Ils sont placés de manière symétrique,

comme souvent sur les objets iroquois, et ce type de représentation, avec des dessins en dents

de scie, est typique des objets Kanienka’haka (Mohawk). On peut considérer que les motifs

incisés sont la représentation abstraite d'oiseaux-tonnerre133, de panthères sous-marines et de

serpents (que l'on retrouve sur les pochettes par exemple). Les deux motifs de bandes

parallèles en zigzag et crénelés de motifs en bas relief, étaient associés aux pouvoirs des

manitous (grand esprit surnaturel) des mondes supérieur et inférieur et il est très possible

qu'ici, un équilibre symbolique des deux forces opposées du cosmos soit suggéré. On peut

également envisager que ce décor représente un esprit-gardien personnel que le propriétaire

aurait vu en rêve.

Mais l'hypothèse la plus intéressante est peut-être la suivante. On peut remarquer sur

une des faces du casse-tête un décor redenté formant le chiffre huit en chiffre romain. Même

s'il ne s'agit encore que d'une supposition qui demande à être confirmée, on peut rapprocher

ce motif de celui présent sur le « wampum Bastien » n° 96 – 1080 (ill. 55) du Musée des

civilisations de Québec. On pourrait alors penser que cet objet scellerait un pacte de paix entre

huit nations. Ce qui n'aurait rien d'étonnant, puisque l'on sait que les casse-têtes étaient très

131 Les tribus iroquoiennes étaient d'ailleurs connues pour leur maîtrise de la sculpture sur bois pour les masques faux-visages, les ustensiles de cuisine ou encore les calumets.132 En revanche, on notera la présence d'une petite pièce circulaire qui semble être une restauration, peut-être postérieure car la patine y est différente.133 Esprits gardiens associés à la guerre.

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souvent employés lors de la danse du calumet, qui avait pour but d'établir des parentés fictives

entre des groupes, lors de cérémonies d'échanges et d'unions. Ce wampun fut dessiné par

Samuel Douglas Smith Huyghe en 1846 (ill. 56), puis par David Ross McCord en 1895 (ill.

57) et fut photographié par Marius Barbeau en 1912134. On reconnaît bien le chiffre VIII sur le

premier dessin, pourtant il semblerait plus sage de se fier au second, beaucoup plus précis,

mais sur lequel le chiffre est moins bien lisible puisque la dernière barre oblique est inclinée

dans l'autre sens. Il n'empêche que cette hypothèse est tout à fait décisive car il s'agirait alors

de rechercher un acte de paix entre huit nations iroquoiennes, antérieur à 1605, mais

postérieur à 1550 et aux expéditions de Cartier, puisque l'écriture emploie l'alphabet

occidental. Si cette proposition est confirmée, on comprendrait alors davantage les

incrustations de wampuns blancs qui sont le symbole par excellence de la paix pour les

iroquoiens. Le casse-tête du Cabinet de curiosités pourrait donc être d'origine mohawk, et

aurait peut-être scellé une alliance.

Le casse-tête est un objet primordial dans les sociétés iroquoiennes ; il est d'ailleurs

souvent cité par les explorateurs européens. Il revêt plusieurs fonctions qui semblent

communes aux diverses cultures de l'Est et pas seulement aux Woodlands. Il s'agit avant tout

d'une arme de frappe en bois, très répandue dans les forêts du nord-est, utilisée dans les

combats rapprochés135. Les indiens les utilisaient pour casser la mâchoire de leur adversaire.

Le casse-tête, dans le domaine militaire, était aussi le moyen de réunir des guerriers et de

déclarer la guerre à une tribu adverse136. Cependant le casse-tête pouvait aussi être un

symbole de paix. En effet, il semble que plusieurs tribus aient pratiqué une danse où les

chasseurs tournaient autour d'un poteau qu'ils frappaient de leur casse-tête tout en énumérant

leur faits de guerre137. Cette danse semble également être effectuée lors d'unions de familles 134 Lainey, Jonathan C., La « monnaie des sauvages » : les colliers de wampum d'hier à aujourd'hui, Sillery, Septentrion, 2004, 283 p, p 108 et 175-177.135 La voyageuse européenne Regnard Duplessis donne la définition du casse-tête dans sa fonction militaire : « la boule que vous verrez au bout d'un bâton, qui lui sert de manche, c'est un casse tête, arme dont ils se servent avec cruauté pour assommer promptement ceux dont ils veulent se défaire » (in «Lettres de mère Marie-Andrée Duplessis de Sainte-Hélène, supérieure des Hospitalières de l'Hôtel-Dieu de Québec», in Nova Francia, Paris 1926-1931).136 Vaugine de Nuisement décrit ce procédé : « Lorsqu'un partisans veut lever un party, il commence par un jeune de trois mois, ne faisant qu'un léger repas après le soleil couchée. Ensuitte, il met chaudière haute pour attirer du monde chez luy. Le monde enssemblé, son loué d'honneur fait le chemin avec une peau mattachée de rouge et plante au bout un cassetete egallement mattachée, le tranchant tourné vers l'air du vent ou il veut fraper. Alors, le partisant ce leve et chante la guerre, les assistant luy repondent par des cris de hai, hai, &c. Le redoublement de hai n'est pas epargné. Les guerriers qui veulent le suivre leve le cassetete les uns apres les autres et chantent leurs chanson de guerre » (in Vaugine de Nuisement, Etienne Martin de, Journal de Vaugine de Nuisement (ca 1765) : un témoignage sur la Louisiane du XVIIIe siècle, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 2005). 137 De La Salle témoigne : « On les donna [les calumets] aux chefs [des Akansa, indiens des Plaines] qui estoient au milieu de la place. Ces chefs et les guerriers ont des gourdes pleines de cailloux et deux tambours. Ce sont des pots de terre couverts d'une peau passée. Les premiers commencèrent une chanson qu'ils accompagnèrent du carillon de leurs gourdes. Ceux-là

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pendant les mariages138. De plus, le casse-tête s'avère être un objet d'identification personnelle.

En premier lieu, sa possession associe son propriétaire au groupe masculin139. Au delà du

simple apparentement à ce groupe, il permet également l'identification de la tribu de son

possesseur, et peut être laissé comme une carte de visite140. De surcroît, le casse-tête n'est pas

uniquement un symbole masculin, il est pour le chasseur un moyen de se faire identifier car

ses faits de guerre y sont gravés141 et sont célébrés lors de fêtes142. Il était donc comme une

biographie cryptée de son propriétaire. Finalement, puisqu'il est un objet individualisé et

personnel, il n'est pas étonnant de lire les témoignages des voyageurs européens nous relatant

des épisodes où les casse-têtes sont cités dans le mobilier funéraire143. Ainsi, on voit que les

casse-têtes iroquoiens ont un rôle primordial dans ces sociétés puisque chacune de leurs

ayant fini, d'autres recommencèrent la mesme chose, puis ceux qui ont fait de belles actions vont frapper avec un casse-teste un poteau planté au milieu de la place. Et ayant conté leurs prouesses, ils donnèrent des présens à M. de La Salle pour qui ils faisoient la feste » (in La Salle, Nicolas de, «Relation de la descouverte que M. de La Salle a faite de la rivière de Mississipi en 1682, et de son retour jusqu'à Québec», in Pierre Margry, Découvertes et établissements des Français dans l'ouest et dans le sud de l'Amérique septentrionale, 1614-1698, Paris, Imprimerie D. Jouaust, 1876). 138« Quand ils se marient lon fait un festin ou sont les parens et des chefs considerés que lon invite aux fiançailles, lon y chante, il y a un Poteau ou celuy qui va chanter et ceux qui veulent vont fraper avec un Castête et dit les coups qu'il a fait en guerre contre qu'elle nation et combien il en a tué sil etoit chef ou volontaire; les chasseurs et les jeunes gens qui nont point eté en guerre, disent qu ils ont tué des orignaux, des cerfs &a. [= etc.] (ils font la même ceremonie quand ils chantent la guerre ou le calumet a un Chef) Ensuite lon sert les conviés, aprés le repas on se retire » in Recherches amérindiennes au Québec, «Relation de la Vie et Moeurs des Sauvages. Abrege de la Vie et Coutumes des Sauvages de Canada», Montréal, 1996, vol. 26, nº 2, p. 37-40.139 Raudot rapporte : « Les sauvages se marient fort jeunes; [...] il a en ce tems [pendant le mariage] son carquois plein de fleiches, son arc, un casseteste et un couteau pour signifier que c'est à luy d'aller en guerre et à la chasse » (in Silvy, Antoine et Camille de Rochemonteix, Relation par lettres de l'Amérique septentrionalle (années 1709 et 1710), Paris, Letouzey et Ané éditeurs, 1904).140« Quand ils vont en guerre ils partent la nuit, [...] ils laissent ou ils font coup un castête fiché en terre que toutes les autres nations connoissent ayant la marque du Chef de son village, de sa nation, le tems que le coup sest fait le nombre des morts. et prisonniers et leur depart » in Recherches amérindiennes au Québec, «Relation de la Vie et Moeurs des Sauvages. Abrege de la Vie et Coutumes des Sauvages de Canada», Montréal, 1996, vol. 26, nº 2, p. 37-40.141Là encore, Raudot éclaire : « Ce casseteste qui a la figure d'une machoire est fait d'un bois dur et pesant, et a une masse ou une boulle au bout; ils mettent dessus leur divinité, la marque de leur nom, qui est un castor, une loutre ou quelqu'autre animal ou oyseau; ils y depeignent aussy leur figure, le nombre des hommes qu'ils ont tués et des prisonniers qu'ils ont faits et laissent par gloire de pareils casseteste dans les lieux où ils ont fait quelque expedition, afin que leurs ennemis sachent qui les a tuez et quelle nation ils sont » (in Silvy, Antoine et Camille de Rochemonteix, Relation par lettres de l'Amérique septentrionalle (années 1709 et 1710), Paris, Letouzey et Ané éditeurs, 1904).142 Raudot décrit ces festivités : « Ils [les sauvages] en ont aussy une autre [danse] qui est celle de frapper au poteau; ils informent par cette danse le public de leur bravoure et de la quantité d'ennemis qu'ils ont tués ou pris; quand ils veulent le faire, on bat la caisse et on fait les cris tant dans le village que dans la cabane d'un tel. On fait cette danse quand ils y sont assemblés. Un chef de guerre commence à frapper sur un poteau avec un casseteste et après avoir un peu dansé, il raconte ses beaux faits et fait une pose à chaque action, et recommence à danser; il repete tant qu'il veut et les autres luy applaudissent par un grand cry, après qu'il a raconté chaque action, quand il dit la vérité; mais quand il veut en imposer, il est aussitost dementy, et il a la honte qu'on luy frotte la teste de cendres; lorsque ce chef a fini, un autre sauvage recommence, ainsy ils dansent tous les uns après les autres » (in Silvy, Antoine et Camille de Rochemonteix, Relation par lettres de l'Amérique septentrionalle (années 1709 et 1710), Paris, Letouzey et Ané éditeurs, 1904).143 Rale rapporte : « Quand quelque Capitaine est décédé, on prépare un vaste cercueil, où, après avoir couché le corps revêtu de ses plus beaux habits, on y renferme avec lui sa couverture, son fusil, sa provision de poudre et de plomb, son arc, ses flèches, [...] son casse-tête, son calumet, sa boîte de vermillon, son miroir, des colliers de porcelaine, et tous les présens qui se sont faits à sa mort selon l'usage. Ils s'imaginent qu'avec cet équipage, il fera plus heureusement son voyage en l'autre monde, et qu'il sera mieux reçu des grands Capitaines de la Nation, qui le conduiront avec eux dans un lieu de délices » (in The Jesuit Relations and Allied Documents. Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, ed. by Reuben Gold Thwaites, Cleveland, Burrows Brothers Company, 1900, vol. 67).

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SCHNEIDER Mathilde 31

fonctions fait référence à de grandes préoccupations iroquoiennes : la guerre, la paix, l'homme

et la mort.

En réalité, ces quatre notions sont intimement liées chez les Iroquois car les pratiques

guerrières traditionnelles des peuples autochtones nord-américains font partie intégrante du

rituel de deuil. Richter144 estime que la guerre iroquoienne était une réponse à des situations

particulières de déséquilibre, ayant pu découler du décès d'une personne. La mort d'un

individu dans les sociétés iroquoiennes aurait été susceptible de produire une situation de

double déséquilibre. Un premier déséquilibre pouvait découler de la mort d'un membre de la

communauté ; la perte de forces vives créait un vide au sein des lignages maternels, sur

lesquels reposait l'organisation clanique iroquoienne. Un second déséquilibre d'ordre spirituel

pouvait aussi résulter d'une mort violente, qui risquait d'entraîner une déstabilisation des

rapports qu'allait entretenir la famille avec l'âme du parent défunt. Selon Richter, la mort d'un

parent était non seulement perçue comme la perte sèche d'un producteur, mais le décès d'une

personne appréciée signifiait également l'affaiblissement réel de son lignage maternel. Dans

ce contexte, il serait devenu impératif de mobiliser des effectifs armés pour capturer des

individus et à combler le vide engendré par les décès. Cette contrainte expliquerait aussi

pourquoi un captif de guerre adopté prenait le nom et le statut de la personne qu'il remplaçait.

L'adoption de captifs de guerre aurait donc permis à la fois d'assurer la continuité

généalogique à l'intérieur des lignées maternelles, et de reformer la famille brisée. En effet,

l'adoption représentait une pratique courante dans les sociétés matrilinéaires, dans le dessein

de recruter de nouveaux membres. Comme l'a souligné à juste titre William Engelbrecht145,

dans une société patrilinéaire, l'homme peut prendre plus d'épouses ou de concubines si le

besoin d'avoir de nouveaux membres se fait sentir au sein de sa lignée. Or, ce mécanisme est

inexistant dans la société matrilinéaire. Chez les Iroquoiens, les hommes n'exerçaient aucun

contrôle sur les fonctions reproductrices des femmes (épouses, sœurs ou filles) : les

Iroquoiennes étaient maîtresses de leur corps et de leurs sentiments. Les hommes pouvaient

néanmoins contribuer à maintenir les effectifs de leurs lignages maternels en capturant des

prisonniers de guerre. Les Iroquoiens croyaient que les âmes des individus ayant connu une

fin prématurée devenaient des êtres surnaturels malveillants et retors, car elles n'acceptaient

pas leur mort et n'avaient pas accès au monde des âmes. Ils pensaient également que ces âmes

144 Richter, Daniel K., « War and Culture : The Iroquois Experience », in William and Quarterly, 1983, vol. 40, n°4, p 536. 145 Engelbrecht, William E., Iroquoia : the development of a Native world, Syracuse, Syracuse University Press, 2001, 231 p.

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tourmentées harcelaient les vivants par le biais de rêves. Comme les représentations oniriques

exprimaient les désirs des morts ; rêver d'un parent ou d'un proche tué par un ou des individus

appartenant à un groupe étranger était nécessairement interprété comme un appel aux armes.

Le parent défunt exigeait que justice soit faite. Prises dans cette perspective, la capture puis la

mise à mort de captifs de guerre par la torture et le sacrifice humain auraient eu précisément

pour objet l'apaisement et la libération des âmes désemparées. Une fois leur mort réhabilitée,

ces spectres pouvaient enfin accéder au pays des morts. L'état de guerre en Iroquoisie aurait

alors été une conjoncture que devaient affronter les sociétés lorsque survenait une mort. Pour

Snyderman146 et Trigger147, le meurtre d'un parent ou d'un proche constituait un des principaux

mobiles qui amenait la mise sur pied d'une expédition guerrière. Pour Richter, c'était avant

tout la perte d'un parent ou d'un proche qui entraînait la mobilisation des effectifs armés. La

cause du décès, quant à elle, déterminait en substance la nature des rapports qu'on allait

adopter avec les captifs. La guerre iroquoienne traditionnelle n'aurait donc pas nécessairement

consisté à assouvir une vengeance; elle aurait plutôt été un rituel de deuil. Les traitements

réservés aux prisonniers de guerre auraient ainsi varié en fonction des attitudes collectives

manifestées devant la mort. Certains captifs auraient été destinés à l'intégration au sein des

lignages maternels pour pallier la perte d'êtres chers, alors que d'autres auraient été suppliciés

pour apaiser les âmes tourmentées de parents victimes de meurtre.

146 Snyderman, George S., « Behind the Tree of Peace : a sociological analysis of Iroquois warfare : a dissertation », in Pennsylvania Archeologist, 1948, vol 18., n° 3-4, 96 p, p 36. 147 Trigger, Bruce Graham, The Huron : farmers of the North, New-York, Holt Reinhart and Winston, 1969, 130 p.

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SCHNEIDER Mathilde 33

. b) La massue (n°166 de

l'inventaire de 1943) (ill. 58)

La massue « en crosse de fusil », ou

en coutelas, dite « gunstock club » a pour

dimensions : 59 cm de longueur et 7 cm de

largeur, au maximum. Elle a de nombreuses

caractéristiques communes avec le casse-tête,

notamment en ce qui concerne ses fonctions,

puisqu'il s'agit là aussi d'une arme de guerre,

comme le confirme Chaumonot : « massu

dont ils se servent pour casser la teste

lorsqu'ils sont en guerre 148». Il s'agit

probablement d'un bois d'érable, ou d'if149,

poli avec de la peau de requin150, en usage

depuis le début du XVIIème siècle151. Pour ce

qui est de l'interprétation de l'iconographie,

un document anonyme de 1666152 (reproduit

ci-contre) précise que les indiens notaient le

nombre de guerres effectuées par des barres

(b), qu'une flèche brisée symbolise une

blessure (c), etc.

Il semble que ces remarques soient pertinentes, puisqu'elles peuvent être appliquées à

d'autres objets, par exemple à la massue de forme « sabre », d'origine algonquienne (T794 du

Fenimore art Museum), daté de 1670. On y voit le visage du propriétaire incisé, coiffé d'une

plume, avec le tatouage d'un oiseau-tonnerre sur son épaule. On note aussi la présence d'une

ligne reliant le visage à la figure de son manitou de l'autre côté de l'objet (ici une tortue,

148 Chaumonot, Pierre-Joseph-Marie, «Mémoire concernant la nation iroquoise», in Recherches amérindiennes au Québec, Montréal, 1996, vol. 26, nº 2, p. 5-10.149 King, Jonathan et Christian, Feest, Three centuries of Woodlands Indian art, Altenstadt, ZFK Publishers, 2007, 200 p, p 67-74.150 Taylor, Colin F., Native american weapons, Norman, University of Oklahoma press, 2001, 128 p, p 17.151 Peterson, Harold L., American Indian Tomahawks, New York, Gun Room Press, 1971,142 p, p 88.152 Mémoire au sujet des neuf familles qui composent la nation iroquoise (moeurs et coutumes) accompagné du dessin des animaux représentant chaque famille. Centre des archives d'outre mer, C11A 2/ fol 263-269 Correspondance générale, Canada.

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SCHNEIDER Mathilde 34

notamment reconnaissable à la crête de sa carapace) et en-dessous de l'animal, deux corps

sans tête (des ennemis vaincus) et des lignes (nombre de batailles effectuées).

Vue de la massue d'origine algonquienne T794 du Fenimore

art Museum.

Ces remarques peuvent être aussi appliquées à la massue du

Musée de l'Hôtel de Pincé à Angers, laissée par un guerrier

Sauk153 après une attaque contre les Illinois en 1760. On y voit

douze rectangles symboliques à remplissages de lignes

croisées, un personnage relié par une orenda154 à un animal,

probablement un ours, son manitou. A gauche de l'arête

centrale sont disposés sept personnages stylisés dont deux

tiennent un sceptre ou un bâton155.

Relevé des dessins présents

sur la massue du musée

d'Angers.

153 Groupe de la famille des Algonkins vivant sur la rive ouest du lac Michigan.154 Ligne symbolisant une source de vie, un souffle créateur.

Page 39: Collection amérindienne du

SCHNEIDER Mathilde 35

En appliquant ces principes à la massue qui nous intéresse, on peut donc en déduire

que, comme le casse-tête mohawk, elle porte l'identité de son possesseur (ill. 59). Ici, on peut

voir une image du guerrier dont on voit bien les traits, probablement le chef d'une expédition

guerrière, reliée à l'image de sa figure protectrice, de son manitou. En-dessous de cette figure

anthropomorphe, on peut voir cinq corps sans tête qui symbolisent très certainement les

ennemis que le propriétaire de l'arme a vaincus (ill. 60).

. c) L'embout de pipe (n°167 de l'inventaire de 1943) (ill. 61)

Il s'agit d'un embout de pipe en catlinite du Minnesota156, représentant une tête d'oiseau

stylisée faisant face au fumeur, faussement attribué aux Micmac157 (dimensions : 18 cm de

longueur, 3,5cm de hauteur et 10,5cm de diamètre).

Les redstone disks pipes apparurent sur le site de Oneota158 vers 1400 (dans l'ouest du

Wisconsin) et les premiers Français firent la description de leur utilisation: « Il se trouve aussi

des pierres rouges de deux sortes ; les unes de rouge d'écarlate, & les autres d'un rouge de

sang de boeuf ; les Sauvages s'en servent pour faire des calumets ou pipes, pour prendre leur

tabac, dont ils font bien de l'estat159». Il semble que leurs dimensions se soient réduites au fil

du temps. La taille de cet objet permettrait de le dater d'une période relativement ancienne

(XVème siècle). Bien qu'on est retrouvés des pipes loin de leurs lieux de production car elles

étaient offertes comme cadeaux diplomatiques, on peut tout de même situer l'origine de cette

pièce dans la région Oneota. On peut attribuer l'erreur de provenance au fait que, depuis la fin

du XIXème siècle, on parle de pipe « Micmac » pour désigner des embouts de pipe

amovibles160, comme c'est le cas ici.

Quant à l'iconographie, les oiseaux (faucons ou aigles) étaient considérés comme des

êtres célestes aux pouvoirs cosmiques primordiaux. Le fourneau en catlinite rouge

symboliserait alors la Terre et ses pouvoirs régénérateurs féminins, et le tuyau qui

155 Reichlen, Henry, « Les collections américaines du musée d'Angers », in Journal de la Société des Américanistes, 1954, 43, p 161-172.156 Pierre rouge provenant de carrières près de Pipestone National Monument.157 Tribu algonquienne située dans l'actuelle Gaspésie.158 Rafferty, Sean et Rob Mann, Smoking and culture : the archaeology of tobacco in eastern North America, Knoxville, University of Tennessee Press, 2004, 324 p, p 77-81.159 Boucher, Pierre, Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions du pays de la Nouvelle-France vulgairement dite le Canada, 1664, 168 p, p 166-167.160 Tremblay, Roland, « Se conter des pipes... », in Ferland, Catherine, Tabac et fumées : regards multidisciplinaires et indisciplinés sur le tabagisme, Xvème-XXème siècle, Québec, CELAT, 2007, 236 p, 21-49.

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SCHNEIDER Mathilde 36

l'accompagnait, peint et décoré de piquants de porc-épic et de plumes d'aigles symboliserait le

monde céleste, ses pouvoirs masculins et porteurs d'énergie161.

Pour ce qui est de sa fonction, la pipe accompagnait les rituels de paix, et servait alors

d'objet d'échange lors des cérémonies, comme on peut le voir sur la gravure de Lafitau162. Il

semble cependant que les pipes aient été utilisées dès qu'un événement important touchait la

communauté.

« S'il arrivoit à quelqu'un [chez les Sauvages] un accident facheux ou un malheur

considerable, tout le village y prendroit part, et l'iroit consoler. Les hommes rendent ce devoir aux

hommes, et les femmes s'en acquittent reciproquement entr'elles; ces sortes de visites se font à l'affligé

sans parler. Celuy qui le vient voir remplit sa pipe de tabac et la luy presente pour fumer; aprés en avoir

fumé un peu, il la remet à la personne qui la luy a donnée pour qu'il fume aussy. Cette maniere de fumer

tour à tour dure quelque temps, et puis celuy qui est venu pour consoler retourne chez luy163 ».

On fumait également pour communiquer avec l'esprit des ancêtres protecteurs, pris à témoin ;

la fumée qui s'élevait permettait de communiquer avec le soleil ou les ancêtres protecteurs

pour qu'ils entérinent les décisions politiques des hommes164. Enfin, il s'agissait également

d'un élément de mobilier funéraire ; Rale rapporte que :

« Quand quelque Capitaine est décédé, on prépare un vaste cercueil, où, après avoir couché

le corps revêtu de ses plus beaux habits, on y renferme avec lui sa couverture, son fusil, sa provision de

poudre et de plomb, son arc, ses flèches, sa chaudière, son plat, des vivres, son casse-tête, son calumet, sa

boîte de vermillon, son miroir, des colliers de porcelaine, et tous les présens qui se sont faits à sa mort

selon l'usage. Ils s'imaginent qu'avec cet équipage, il fera plus heureusement son voyage en l'autre

monde, et qu'il sera mieux reçu des grands Capitaines de la Nation, qui le conduiront avec eux dans un

lieu de délices 165».

. d) Tuyau de pipe (n°161 de l'inventaire de 1943) (ill. 62)

Le tuyau de pipe, longtemps pris pour un bâton ou un javelot, est d'une longueur de

150 cm. Il est en bois, recouvert de ficelles rouges et blanches, alternant avec des piquants de

porc-épic, et garni de plumes à une extrêmité, exactement comme on le voit sur la gravure de

161 Berlo, Janet C. et Ruth B. Philips, Amérique du Nord, arts premiers, Paris, Albin Michel, 2006, 263 p, p 101.162 Lafitau, Joseph-François, Moeurs des sauvages amériquains comparées aux moeurs des premiers temps, Paris, Saugrain, 1724, planche 15, tome 2, p 314.163 Perrot, Nicolas, Mémoire sur les moeurs, coustumes et relligion des sauvages de l'Amérique septentrionale, Paris, Franck, 1717, 341 p, p. 291.164 Beaulieu, Alain, La Grande Paix: chronique d'une saga diplomatique, Montréal, Libre expression, 127 p, p 40-41.165 The Jesuit Relations and Allied Documents. Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, ed. by Reuben Gold Thwaites, Cleveland, Burrows Brothers Company, 1900,vol. 67).

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SCHNEIDER Mathilde 37

Lafitau166. Selon toute logique, cet objet proviendrait de la côte, ces matériaux étant

couramment utilisés par les Algonquiens167 ou les Iroquois, notamment les piquants de porc-

épic qui servent à orner les boîtes d'écorce. En ce qui concerne les fonctions de cet objet, on se

reportera à l'embout de pipe vu précédemment.

. e) Carquois et flèches (n°159 de l'inventaire de 1943) (ill. 63 et 64)

Le carquois en bois, peau de phoque et cuir peint mesure 60 cm de long et 8 cm de

diamètre. Son intérêt réside principalement dans l'étiquette manuscrite encore collée en son

centre et attribuant l'objet à un don de « R.P. de Boirvaux, procureur général, en 1740 ». Il est

de forme cylindrique, couvert d'une peau parcheminée et orné d'un cuir partiellement peint. Il

contient encore quatre flèches qui ont perdu leurs plumes d'origine mais dont l'une a conservé

son embout métallique, ce qui permet de dater l'ensemble probablement de la fin du XVIIème

siècle ou du début du XVIIIème siècle.

Ces objets servaient principalement pour la chasse et la guerre. Comme le montre la

gravure de Lafitau, ils faisaient également partie du mobilier funéraire, ce qui laisse supposer

que le carquois et les flèches, comme le casse-tête, avaient une fonction identitaire.

. f) Les raquettes (n°151 de l'inventaire de 1943) (ill. 65 et 66)

Les deux raquettes, de formes très différentes, mesurent 90 cm de longueur, et 38

cm de largeur pour l'une, 45 cm pour l'autre. Elles sont toutes les deux en bois et lanières de

cuir, peintes en rouge, pour mieux se repérer.

Selon la légende, c'est en observant la perdrix, qui marche sans s'enfoncer dans la

neige, que la raquette fut crée. Elle est donc utilisée pour marcher sur des surfaces enneigées

afin d'éviter de s'enfoncer168. Champlain témoigne d'ailleurs de cet usage: « Quand ils [les

sauvages près de l'île Sainte-Croix] vont à la chasse ils prennent de certaines raquettes, deux

fois aussi grandes que celles de pardeçà, qu'ils s'attachent soubs les pieds, & vont ainsi sur la

neige sans enfoncer, [...] jusques à ce qu'ils apercoivent la beste 169».

166 Lafitau, Joseph-François, Moeurs des sauvages amériquains comparées aux moeurs des premiers temps, Paris, Saugrain, 1724, planche 15, tome 2, p 314.167 Ensemble de tribus amérindiennes vivant dans la zone nord-est du continent nord-américain.

168 Noël, Michel et Jean Chaumely, Arts traditionnels des Amérindiens, Montréal, Hurtubise HMH, 2001, 175 p, p 26-34.169 Champlain, Samuel de, Les voyages du Sieur Champlain, Paris, Berjon., 1613, tome premier, p 192

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SCHNEIDER Mathilde 38

Avant l'arrivée des Européens, les Amérindiens utilisaient comme outils de

fabrication des raquettes principalement des haches de pierre, des grattoirs en pierre ou en os

et des pointes (aiguilles et poinçons) en os170. Mais comme les raquettes datent probablement

de la fin du XVIIème siècle, voire du début du XVIIIème siècle, on ne peut exclure

l'hypothétique utilisation d'outils en métal comme le couteau-croche notamment, qui,

anciennement muni d'une incisive de castor, est aujourd'hui fabriqué avec une lame de métal

incurvée sur le plat, et insérée dans un manche également courbe. Manié en rotation en le

ramenant toujours vers soi, il permet de dégrossir, aplanir, arrondir, voire même polir et

sculpter tous les bois. Les raquettes sont probablement faites de bouleau (ou peut-être

d'épinette). Le cadre est généralement sculpté, chauffé et assoupli à la vapeur par les hommes,

alors que les femmes procèdent au tressage du treillis avec une aiguille en os et de la

babiche171.

Outre la fonction cynégétique des raquettes172 (ill. 67), il semble que, là encore, les

raquettes aient fait partie du mobilier funéraire. Le Clercq rapporte que « Tout le monde étant

assemblé dans la cabanne du défunt, on transporte le corps au Cimetiere commun de la Nation

; on le met dans la fosse, & on le couvre d'écorce, & de peaux les plus belles : on l'embellit

même avec des branches de sapin & des rameaux de cedre, & ils y mettent ensuite tout ce qui

est à l'usage du défunt ; si c'est un homme, son arc, ses fléches, son épée, son casse-tête, son

fuzil, poudre, plomb, écuelle, chaudiere, raquettes, &c »173.

170 Levesque, Carole, La culture matérielle des Indiens du Nord du Québec : une étude de raquettes, mocassins et toboggans, Montréal, Université de Montréal, 1976, 153 p, p 17-24.171 Lanières de peau crue de caribou, trempées, tordues, étirées et séchées.172 Lahontan précise que les raquettes sont utilisées pour la chasse à l'orignal notamment : « J'ai été durant tout ce temps-là à la chasse des Orignaux {...} Cette chasse se fait sur les nèges; avec des Raquettes » (in La Hontan, Louis Armand de Lom d'Arce, Dialogues de M. le baron de Lahontan et d'un sauvage dans l'Amérique : contenant une description exacte des coutumes de ces peuples sauvages : avec les voyages du même en Portugal et en Danemarc, dans lesquels on trouve des particularitez très curieuses et qu'on avoit point encore remarquées ; le tout enrichi de cartes et de figures , Amsterdam, De Boeteman, 1704, 222 p.173 Le Clercq, Chrestien, Nouvelle relation de la Gaspesie, qui contient les moeurs et la religion gaspesiens porte-croix, adorateurs du soleil, et d'autres peuples de l'Amérique septentrionale, dite le Canada, Paris, Auroy, 1691, p 430.

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SCHNEIDER Mathilde 39

3.2 Eléments de proposition muséographique pour une exposition à la

Bibliothèque Sainte-Geneviève.

Comme il a été dit plus haut, la présence de cette collection à l'abri des regards est tout

à fait regrettable. C'est pourquoi des éléments de projet d'exposition afin de mettre en valeur

cette collection amérindienne sont proposés ici.

Tout d'abord, il convient de distinguer les particularités liées à l'institution non-

muséale dans laquelle l'exposition aura lieu. Les principaux problèmes concernent à la fois la

conservation et l'exposition. En effet, les conditions de conservation ne sont en rien optimum,

puisque les objets sont exposés dans le bureau du directeur ou en réserve, sans souci de

température ou d'hygrométrie, bien qu'ils soient constitués de différents matériaux. De plus,

certains artefacts restaurés pour la Grande Paix de Montréal en 2001 sont de nouveaux très

abîmés, comme le tuyau de pipe. Enfin, puisque le bâtiment est avant tout une bibliothèque,

aucun espace n'est dédié à l'exposition. Cependant, certaines expositions ont déjà eu lieu dans

des vitrines au sein même de la réserve, et d'autres dans le hall d'entrée qui devient alors un

espace d'exposition temporaire. Ce dernier sera probablement le lieu de l'exposition des

artefacts.

En second lieu, il faut cerner la singularité de cette collection amérindienne. En effet,

après avoir vu l'originalité de son histoire, il faut maintenant se pencher sur les spécificités

d'exposition de la collection. Les relations actuelles entre les sociétés d'origine de l'objet et les

sociétés réceptrices, ont un rôle majeur dans les éventuelles demandes de restitution. En

France, par exemple, les deniers pays africains décolonisés sont bien plus susceptibles de

demander le retour des objets collectés, parce que le contexte de collecte est inscrit dans un

passé proche. En revanche, l'indépendance de la Nouvelle-France ayant été déclarée il y a

plusieurs siècles, et la communauté amérindienne étant particulièrement réduite sur le

territoire français, l'hypothèse d'une collaboration autochtone est peu envisageable faute de

candidat, tout comme le rapatriement des objets, qui semble peu probable, les communautés

amérindiennes actuelles ne connaissant probablement pas l'existence de cette collection. De

plus, comme les visiteurs de cette exposition seront en grande partie des étudiants et des

chercheurs habitués de la Bibliothèque, un outil de médiation propre aux enfants n'est pas

envisagé, puisqu'ils seront sans doute peu nombreux. Enfin comme l'ensemble d'objets est

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SCHNEIDER Mathilde 40

restreint et n'est en aucun cas exhaustif174, ne serait-ce qu'en ce qui concerne la région des

Woodlands175, il serait vain de vouloir recontextualiser les objets par un diorama par exemple,

puisque trop d'artefacts seraient absents.

Ainsi, bien que le concept d'exposition d'objets ethnographiques de manière

esthétisante ait été très critiqué, la notion d'art en tant que tel étant proprement européenne, il

semble tout de même justifié d'exposer ces objets comme des chefs-d'œuvres car ils furent

considérés dès leur arrivée sur le continent européen comme des objets rares, curieux,

étonnants et dignes d'être montrés comme tel176. Le modèle du cabinet de curiosités177 sera

donc conservé puisqu'il n'a pratiquement pas évolué depuis son origine, au sein de l'abbaye

puis de la Bibliothèque. Le regard de l'Européen vers les Amérindiens sera donc au centre de

cette exposition, qui accorde la même valeur aux objets qu'à leur histoire, en ce qu'elle révèle

les modes de pensées européens.

Après les Indiens de Catlin, dansant devant Louis-Philippe au Musée du Louvre (ill.

69), Des Indiens à la Bibliothèque serait une exposition imaginée dans le hall de la

bibliothèque, réservé désormais aux expositions (ill. 70). Les objets y seraient partiellement

remis dans un contexte à la fois historique et ethnographique. Pour cela, la collection sera

divisée selon la fonction des objets : le transport (avec les deux raquettes), la guerre (avec le

casse-tête, le carquois et les flèches) et la paix (avec l'embout et le tuyau de pipes), qui étaient

des thèmes récurrents dans les cabinets de curiosités. En accord avec Yves Peyré, directeur de

la Bibliothèque Sainte-Geneviève et Priscille Leroy de la Mission valorisation, les artefacts

seront disposés dans des vitrines, de manière épurée, afin de ne pas gêner la visibilité du hall.

Ils seront accompagnés de cartels explicatifs et d'illustrations du XVIIème et XVIIIème afin

de faciliter la compréhension de l'image qu'avaient les collecteurs et collectionneurs de ce

Nouveau Monde.

174 Il a été vu précédemment que le caractère fragmentaire des collections était souvent source de problèmes, mais en plus du fait, qu'ici le corpus ne soit pas extensible, il semble pertinent de penser, à la suite de B.Kirshenblatt-Gimblett (1991, p 387-388, thèse non-publiée) que « les objets deviennent ethnographiques du fait qu'ils sont définis, coupés, détachés, emportés par les ethnographes ». On ne pourra donc jamais reconstituer la réalité dans sa totalité, qui plus est dans un contexte comme celui-ci. 175 Zone géographique située au nord de la côté atlantique du continent nord-américain. 176 Et qu'ils ne furent pas créés pour les occidentaux puisque chacun d'eux porte des traces d'utilisation.177 L'exposition Collecteurs d'âmes, du cabinet de curiosités aux collections extra-européennes des musées bretons (exposition au musée des beaux-arts de Rennes, Rennes, 2007, 85 p.) peut être considérée comme un précédent puisqu'une reconstitution partielle du cabinet de Robien y fut réalisée (ill. 66).

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Vue 1 de la maquette d'exposition pour la Bibliothèque Sainte-Geneviève.

En plus de cette muséographie traditionnelle, un poste informatique sera installé à

proximité, afin d'améliorer l'intelligibilité du propos de l'exposition. Ainsi, dans un espace

virtuel reprenant l'agencement réel des expôts, le contexte historique du cabinet sera donné à

voir au visiteur grâce à la reproduction à échelle humaine des planches (n° 4 à 7) du catalogue

de Du Molinet de 1692 (ill. 71). Pour rendre compte du contexte ethnographique, des

documents iconographiques du XVIIème et XVIIIème siècles, ont été sélectionnés dans les

grands livres de voyages178 que les lecteurs du temps étaient susceptibles de connaître, et qui

illustrent la vision européenne des amérindiens, à l'époque de création du Cabinet. Certains

objecteront qu'il s'agit là d'une remise en contexte faussée, tout comme l'était la vision des

Européens des siècles passés vis-à-vis des Amérindiens. Cependant, pour pallier à ce défaut,

et en s'inspirant de l'expérience réalisée au Muséum national d'Histoire naturelle de

Washington en 1989179, de courtes séquences de commentaires audios autochtones concernant

178 Ont été choisies : la Planche XXXIII extraite de l'Encyclopédie des voyages, contenant l'abrégé historique des moeurs, usages, habitudes domestiques, religions, fêtes, d'André Grasset Saint-Sauveur, la figure de Montagnais de la carte de 1612 de Champlain, la figure de Mohawk dessiné par Pieter Barbiers dans l'ouvrage de Jan van Blaauw de 1764, la planche XXXIV dans les Moeurs des sauvages amériquains, comparées aux moeurs des premiers temps par Lafitau.. 179 En 1989, JoAllyn Archambault organisa une exposition conçue avec l'aide d'un conservateur et de deux Séminoles. Chaque groupe choisit quarante objets qui leur semblaient représentatifs de cette tribu. Puis ils rédigèrent des cartels séparés

Page 46: Collection amérindienne du

SCHNEIDER Mathilde 42

les expôts (enregistrés sur le terrain une fois que les provenances précises auront été

établies180) seront diffusées ainsi que des extraits d'écrits de voyageurs, des collecteurs ou de

visiteurs du Cabinet jusqu'en 1789 (comme ceux cités plus haut lors de la description du

cabinet et des objets). Il paraît en effet très intéressant de mettre en valeur l'histoire tout à fait

singulière de la collection dans son contexte occidental. Il semble tout aussi important de

replacer les objets dans leur contexte de création et d'utilisation que de collecte et

d'exposition.

Vue 2 de la maquette d'exposition pour la Bibliothèque Sainte-Geneviève.

Le scénario de la visite virtuelle serait le suivant : au début de l'animation, le visiteur

découvrira l'espace sans aucun commentaire ni focus de lumière. Il verra donc en sépia les

reproductions des gravures d'Ertinger de 1692 du cabinet Du Molinet, puis des reproductions

et le visiteur pouvait donc lire deux approches d'un même objet quand le choix était commun. Les Séminoles, dont les textes furent traduits, avaient évidemment une approche éminemment sensible et individuelle de l'objet et écrivaient à la première personne du singulier, de manière avenante et très intéressante (in Selbach, Gérard, « Publics et muséologie amérindienne », in Culture et musées, Arles, Actes sud, 2006, 6, p 85-109). 180 Ce type de témoignage actuel pose un évident problème de subjectivité surtout lorsqu'il concerne un objet du XVIIème siècle. Cependant, il semble indispensable de recueillir l'opinion d'un autochtone, même quatre siècle plus tard, pour connaître la vision des indigènes sur leur propre patrimoine.

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de documents historiques des XVIIème et XVIIIème siècles en noir et blanc ou en couleur

donc mis en valeur par les changements de tons, et enfin les expôts. Commence alors le son

et lumière : un par un (de gauche à droite, dans le sens de lecture) les objets sont commentés

d'abord par un autochtone ou un explorateur qui explique sa fonction et son contexte

d'utilisation (l'objet et l'image de remise en contexte seront alors ciblés par une lumière), puis

par un collecteur ou un visiteur de l'Ancien Régime (l'objet et le portrait seront à leur tour

pointés par une lumière). Le visiteur assistera donc à une courte séquence audio-visuelle de

huit minutes au maximum qui lui permettra de comprendre l'histoire complète des chaque

objet et de la collection dan son ensemble.

Avant de terminer sa visite, le spectateur pourra prendre une courte brochure reprenant

à la fois les textes entendus mais aussi les cartels des objets et les références des images

utilisées.

Vue 3 de la maquette d'exposition pour la Bibliothèque Sainte-Geneviève.

Page 48: Collection amérindienne du

SCHNEIDER Mathilde 44

3.3 Proposition de projet pour une exposition au musée du quai Branly

Enfin, afin de développer encore davantage ce principe de regards croisés, j'aimerais

proposer un projet un peu plus ambitieux. En effet, un musée exposant des objets

ethnographiques donne à voir avant tout des « représentations » de ces cultures et de l'altérité

en général, devenant ainsi le « lieu privilégié d'une précoce confrontation intellectuelle avec la

diversité culturelle181». Si, comme nous l'avons vu, les théories ethnographiques influencent

les recherches muséographiques, l'inverse est aussi vrai. C'est ce que S.Macdonald182 appelle

le « feedback critique » entre la théorie sociale et la pratique muséographique. C'est pour cela

que je souhaiterais émettre une suggestion d'exposition-dossier au musée du quai Branly. A la

suite de Brigitte Derlon, il semble que le musée doive avant tout être un lieu de réflexion sur

les interactions culturelles et sur le rapport des hommes aux choses, c'est-à-dire à leur mode

d'appropriation (de l'Occident vers les autres continents et réciproquement). Comme l'a si bien

montré James Cliffort dans le Malaise dans la culture183, l'appréhension des objets par

l'homme européen réside en leur appropriation. Les objets deviennent alors des curiosités

dans les cabinets, des justification du colonialisme, des instruments de preuves pour défendre

les théories ethnologiques, en les « décontextualisant » pour les « recontextualiser » selon une

vision ethnocentrique. Cependant, Nicholas Thomas184 rappelle que cette appropriation était

réciproque : les populations non-européennes ont aussi transformé, détourné des objets

occidentaux en leur donnant de nouvelles significations. Il semble donc que l'objet soit destiné

à être transformé, modifié, recréé, ce qu'Arjun Appadurai appelle « la vie sociale des

choses 185 ». Pour mettre au mieux en valeur les objets, il convient donc de convoquer le plus

grand nombre de voix possible. Ce parti a déjà été pris pour les éléments de proposition

d'exposition à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, mais à l'instar de l'exposition Art / artifact

organisée par Susan Vogel en 1988186, il semblerait fort intéressant que le nouveau musée des 181 Derlon, Brigitte: « Vitrines, miroirs et jeux d'images: réflexions à propos du futur musée des Arts et des Civilisations » in Journal des Africanistes, 1999, Volume 69, N°1, pp. 53-65.182 Macdonald, S: « Theorizing Museum: an introduction », in Theorizing Museums. Representing identity and diversity in a changing world, 1996, Oxford and Cambridge, Blackwell Publishers par Macdonald S. et Fyfe G, p. 3. 183 Clifford, James, Malaise dans la culture : l'ethnographie, la littérature et l'art au XXème siècle, Paris, Ecole nationale des Beaux-Arts, 1996, 389 p.184 Thomas Nicolas, Entangled objects. Exchange, material culture, and colonialism in the Pacific, 1991, Cambridge and London, Cambridge University Press, 259 p.185 Appadurai, Arjun : The social life of things. Commodities in cultural perspective, 1986, Cambridge, Cambridge University Press, 329 p.186 Pour cette exposition au Center for African Art de New York, S.Vogel a réalisé les reconstitutions d'une galerie d'art, de la section « ethnographie » d'un musée d'Histoire naturelle, d'un cabinet de curiosités et d'un musée d'art (cité in Derlon, Brigitte: « Vitrines, miroirs et jeux d'images: réflexions à propos du futur musée des Arts et des Civilisations » in Journal

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civilisations en France, présente lui aussi une exposition (Les Indiens regardés), mettant en

valeur le fait que le regard porté sur les mêmes objets au fil des siècles est étroitement lié au

cadre d'exposition.

Le module proposé pour la Bibliothèque Sainte-Geneviève serait alors transportable au

musée, où il serait intégré à un ensemble de contextes d'expositions grâce à :

_ des documents témoignant de son contexte de création et d'utilisation (vidéos et

témoignages autochtones),

_ des reconstitutions d'un cabinet d'histoire naturelle (avec le panier californien

71.1881.108.1 du cabinet du Jardin des Plantes (ill. 72),

_ des panoplies caractéristiques des musées du début du XIXème siècle (avec le casse-

tête pour enfant 71.1909.19.47, (ill. 73)),

_ des mannequins du XIXème siècle (peut-être en recréant le mannequin n°38 du

Musée de l'Artillerie portant le casse-tête 71.1917.3.14, (ill. 74)),

_ des témoignages (écrits et visuels) de l'intérêt des artistes du début du XXème siècle

pour l'art primitif,

_ des curios, copies récentes à destination des touristes de ces mêmes objets

emblématiques (le panier 71.1935.82.2 (ill. 75), qui montre une influence probable du travail

de Louisa Keyser (ill. 76) ou la petite figurine (71.1881.80.8 (ill. 77)), curios acheté par

l'explorateur Alphonse Pinart (ill. 78)),

_ des reconstitutions dignes des années 70 (la vitrine du Sud-Ouest du Musée de

l'Homme était la plus accomplie (ill. 79) et le pot 71.1885.78.416 (ill. 80) pourrait servir

d'exemples au même titre que les poupées katchina),

_ des vitrines plus modernes comme celles des collections permanentes du musée

_ et enfin des créations artistiques contemporaines (inspirées clairement des traditions

autochtones (ill. 81), ou au contraire d'oeuvres européennes réinterprétées par des artistes

amérindiens (ill. 82) et exposées dans des lieux tels la galerie Orenda187) pour montrer à quel

point l'art amérindien est encore bien vivant188.

des Africanistes, 1999, Volume 69, N°1, p 58. 187 54, rue de Verneuil à Paris. 188 Seuls furent sélectionnés à titre d'exemples des objets des collections françaises car l'histoire des objets n'est pas séparable de l'histoire du pays collecteur. Mis à part les objets de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, il est apparu comme plus pertinent de ne choisir que des artefacts du musée du quai Branly afin que le visiteur comprenne bien la diversité des provenances muséales des expôts.

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On rendrait alors véritablement effectif le principe de « plurivocalité189 » tant prônée

dans les dernières recherches muséographiques190. En outre, cette exposition serait une

formidable introduction ou un excellent complément d'information pour justifier la

muséographie actuelle des collections permanentes.

189 Turgeon, Laurier et Elise Dubuc, « Musées et « Premières nations », La trace du passé, l'empreinte du futur », in Anthropologie et Sociétés, 2004, vol. 28, 2, p 7-18.190 Baudez, Claude-François, Martin, Jean-Hubert et Louis Perrois avaient d'ailleurs déjà envisagé cette polyphonie des regards dans leur article paru dans Le Monde du 7 novembre 1996 intitulé « Ethnoesthétique et mondialisation ».

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Conclusion

L'objet ethnographique est le reflet de son temps : de son époque de fabrication, de

collecte et d'exposition. La façon dont on l'expose renvoie bien plus l'image que les

Occidentaux se font de l'Autre au fil des siècles, que la véritable nature de l'artefact.

La collection amérindienne du Cabinet de curiosités de la Bibliothèque Sainte-

Geneviève de Paris n'échappe pas à cette règle. Elle est le miroir des préoccupations des

collectionneurs puis des conservateurs du XVIIème siècle à nos jours. Son histoire, si

particulière pourtant, est à l'image du peu d'intérêt que la France accorda et accorde encore

aujourd'hui à ses collections nord-américaines. A l'écart des grandes modifications

muséographiques qui ont touché la majorité des collections ethnographiques, cet ensemble

d'artefacts n'a en effet connu jusqu'à ce jour qu'un seul type de présentation : celui du cabinet

de curiosités, typique du XVIIème siècle. Toujours disposés en panoplies ou en trophées, ces

objets n'ont jamais été recontextualisés à l'aide de mannequins ou d'images, ou bien disposés

de manière esthétisante. Si cela les a protégés pendant des siècles, il est temps désormais de

les mettre véritablement en valeur grâce à des expositions et à de meilleures conditions de

conservation, en prenant en compte les dernières innovations muséographiques.

Afin de réaliser ce projet, il reste à étudier de manière plus approfondie les objets en

essayant de déterminer leur foyer d'origine et de retracer plus précisément leur histoire sur le

continent européen grâce à des recherches archivistiques. Il semble également indispensable

de les confronter à des témoignages autochtones et d'élaborer concrètement les outils de

médiation nécessaires aux projets d'exposition, à savoir des affiches pour annoncer

l'évènement, des kakemonos apportant des informations sur les objets et la muséographie, et

un petit guide synthétisant les notions principales développées au cours de la visite.

L'ensemble de ce travail fera l'objet d'un Master II en 2009-2010.

Des Indiens à la Bibliothèque devraient danser devant les visiteurs de la Bibliothèque

Sainte-Geneviève au printemps prochain...