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Cohésion Sociale, institutionset politiques publiques

Auteurs :

Hamid AIT LEMQEDDEM

Abdelkrim AZENFAR

Jean Michel CAUDRON

Hassan DANANE

Aicha EL AIDOUNI

Meryeme EL ANBAR

Mustapha EL MNASFI

Ouafae ESSALHI

Mohammed HADDY

Abdelmajid KADDOURI

Fatima Idrissi KHAOULANI

Christophe MESTRE

Abdallah SAAF

Bouchra SIDI HIDA

Sous la direction de :Abdallah SAAF

Senior Fellow, OCP Policy Center

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4 COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Cohésion Sociale, institutions et politiques publiques

Copyright © 2017 par OCP Policy Center. Tous droits réservés. Aucun élément de cet ouvrage ne peut être reproduit, sous quelque forme que ce soit, sans l’autorisation expresse des éditeurs et propriétaires.

Les vues exprimées ici sont celles des auteurs et ne doivent pas être attribuées à OCP Policy Center.

Edité par : Ihssane Guennoun, OCP Policy CenterCouverture image : stocklib.fr/sangoiriComposition Graphique : Youssef Ait El Kadi, OCP Policy Center

Contact :

OCP Policy Center

Ryad Business Center – Aile Sud, 4ème etage

Mahaj Erryad - Rabat, Maroc

Tél : +212 537 27 08 08

Email : [email protected]

Website : www.ocppc.ma

ISBN : 978-9954-9717-0-3Dépôt Légal : 2017MO2755

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5COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Sommaire

Liste des auteurs .............................................................................................................7

Liste des abréviations .....................................................................................................9

A propos d’OCP Policy Center ........................................................................................11

Avant-Propos ..................................................................................................................13

Partie I

Enjeux de la cohésion sociale sur les plans économique et social ................17

Chapitre 1 : Les fondements historiques de la cohésion sociale au Maroc .................19

Chapitre 2 : Les politiques sociales au Maroc, reconnaissance inachevée de l’expertise citoyenne ....................................................................................................27

Chapitre 3 : La cohésion sociale au Maroc et enjeux de la participation citoyenne ....35

Chapitre 4 : L’Entrepreneuriat Social : un levier pour la cohésion sociale ....................55

Chapitre 5 : Pluralisme culturel et cohésion sociale au Maroc : L’autonomie individuelle comme base de l’émergence d’un nouveau type de lien social ................73

Chapitre 6 : Une lecture de l’intégration du Maroc dans son contexte international et régional ..................................................................................................91

Chapitre 7 : Quelle contribution du système coopératif à la cohésion sociale au Maroc ? ....................................................................................................139

Partie II

Enjeux de la cohésion sociale sur le plan institutionnel .................................159

Chapitre 1 : L’impact des institutions sur la cohésion sociale : représentation,

participation et cohésion sociale au Maroc ............................................161

Chapitre 2 : La promotion de la cohésion sociale au Maroc (2011-2016) ...................181

Chapitre 3 : Ville et cohésion sociale, cas de Marrakech ...........................................209

Chapitre 4 : Les collectivités territoriales, acteurs de premier plan de la cohésion

sociale. Quelques leçons du terrain.........................................................233

Chapitre 5 : La cohésion sociale et conflit de lois  ......................................................243

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6 COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Chapitre 6 : Le Maroc, une 3e voie entre la Famille providence

et l’État-providence ? ...............................................................................261

Chapitre 7 : Appréciation « genrée » du processus de la planification stratégique

Communale : Cas du Plan Communal de Développement de la commune

rurale de Tamda Noumercete. ..................................................................277

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7COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Liste des auteurs

• Hamid AIT LEMQEDDEM, Enseignant-chercheur, Ecole Nationale de Commerce et de Gestion, Maroc

• Abdelkrim AZENFAR, Directeur, Office de Developpement de la Coopération (ODCO)

• Jean Michel CAUDRON, Consultant en ingénierie et gérontologie, France

• Hassan DANANE, Chercheur en sciences sociales, Maroc

• Aicha EL AIDOUNI, Trésorerie Générale du Royaume du Maroc, Maroc

• Meryeme EL ANBAR, Chercheure, Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales Rabat - Agdal, Maroc

• Mustapha EL MNASFI, Enseignant-chercheur à l’Institut d’Etudes Politiques, Sociales et Juridiques de l’Université Mundiapolis à Casablanca et chercheur associé au Centre Jacques Berque, Maroc

• Ouafae ESSALHI, Docteur en droit international prive et droit de la famille de l’Universite Mohamed V Rabat - Agdal, Maroc

• Mohammed HADDY, Politologue et professeur de l’enseignement supérieur, Institut National d’Aménagement et d’Urbanisme à Rabat, Maroc

• Abdelmajid KADDOURI, Historien et ancien Doyen de la Faculté des Lettres de Casablanca, Maroc

• Fatima Idrissi KHAOULANI, Chercheuse en sciences politiques - Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales Rabat-AGDAL

• Christophe MESTRE, Enseignant, Centre International d’Etudes pour le Développement Local de l’Université Catholique de Lyon, France

• Abdallah SAAF, Senior Fellow, OCP Policy Center, Maroc

• Bouchra SIDI HIDA, Chargée de recherche, Centre d’Etudes et de Recherche en Sciences Sociales, Maroc

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9COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Liste des abréviations

ACOTA : African Contingency Operations Training Assistance ACRI : African Crisis Response InitiativeADS : Agence de Développement SocialAGEBIEF : Agence Béninoise de Gestion Intégrée des Espaces FrontaliersAIEA : Agence Internationale de l’Energie AtomiqueAMO : Assurance Maladie ObligatoireANAM : Agence Nationale de l’Assurance MaladieANOVA : Analysis of varianceAOC : Appellation d’Origine ContrôléeBAJ1 : Programme de Priorités SocialesCERED : Centre d’études et de recherches démographiquesCERSS : Centre d’étude et de recherche en sciences sociales CESE : Conseil Economique, Social et EnvironnementalCESE : Conseil social économique et environnementalCGEM : La Confédération Générale des Entreprises du MarocCMR : Caisse Marocaine de Retraite CNOPS : Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale CNSS : Caisse Nationale de la Sécurité SocialeCNUCED : Conférence des Nations unies pour le Commerce et le Développement COSEF : Commission Spéciale Education -FormationCPDH : Comité Préfectoral de Développement HumainDAMP : Dépense annuelle des ménages par personneEES : Economie Sociale et SolidaireENPA : Enquête nationale sur les personnes âgées ERAC : Etablissement Régional D’aménagement et de Construction FAO : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agricultureFAR : Forces Armées RoyalesFCDM : Forum civil démocratique marocainGSPC : Groupe Salafiste pour la Prédication et le CombatHCP : Haut-Commissariat au Plan HVC : Hybrid Value Chain ou Chaine de Valeur HybrideIDH : Indicateur de Développement HumainINDH : Initiative Nationale de Développement HumainIS : Impôt sur les Sociétés

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MENA : Moyen-Orient et Afrique du NordMICA : Marrakech Investment Committee for Adaptation MINUSTAH : Mission des Nations Unies pour la stabilisation en HaïtiMONUC : Mission des Nations Unies en République démocratique du CongoMRE : Marocain Résident à l’EtrangerOFPPT : Office de la Formation Professionnelle et de la Promotion du TravailOMC : Organisation Mondiale du Commerce OMD : Objectifs du Millénaires de DéveloppementOMS : Organisation Mondiale de la Santé ONG : Organisation Non GouvernementaleONU : Organisation des Nations UniesONUC : Opération des Nations Unies pour le CongoOPEP : Organisation des Pays Exportateurs de PétroleOtan : Organisation du Traité de l’Atlantique NordPADL : Programme d’Appui au Développement LocalPAS : Programme d’Ajustement StructurelPCD : Plans Communaux de Développement PCD : Programme Communal de DéveloppementPIB : Produit Intérieur BrutPMA : Pays les Moins AvancésPNUD : Programme des Nations Unies pour le développementRAMED : Régime d’assistance médicaleRATP : Régie Autonome de Transport Publique SDAU : Schéma Directeur d’Aménagement et d’UrbanismeSIF : Social Innovation FundSMIG : Salaire Minimum Interprofessionnel GarantiSNDD : Stratégie Nationale de Développement Durable TIC : Technologies de l’Information et de la Communication TVA : Taxe sur la Valeur AjoutéeUA : Union AfricaineUNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la CultureVSB : Villes sans bidonvilles

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11COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

A propos d’OCP Policy Center

OCP Policy Center est un think tank marocain « policy oriented », qui a pour mission de contribuer à approfondir les connaissances et à enrichir la réflexion autour de questions économiques et de relations internationales revêtant un enjeu majeur pour le développement économique et social du Maroc, et plus largement pour celui du continent africain. Porteur d’une « perspective du Sud », sur les grands débats internationaux ainsi que sur les défis stratégiques auxquels font face les pays émergents et en développement, OCP Policy Center apporte une contribution sur quatre champs thématiques majeurs : agriculture, environnement et sécurité alimentaire; développement économique et social ; économie des matières premières ; et géopolitique et relations internationales. Sur cette base, OCP Policy Center est activement engagé dans l’analyse des politiques publiques et dans la promotion de la coopération internationale favorisant le développement des pays du Sud, via ses travaux de recherche, ses conférences et séminaires et son réseau de jeunes leaders. Conscient que la réalisation de ces objectifs passe essentiellement par le développement du Capital humain, le think tank a pour vocation de participer au renforcement des capacités nationales et continentales en matière d’analyse économique et de gestion à travers sa Policy School récemment créée.

www.ocppc.ma

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13COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Avant-Propos

Dans le tableau global de la région Maghreb Machrek, plusieurs catégories de situations se dégagent: des pays en situation de guerre interne (on ne sait parfois si l’on doit parler de « guerre civile » ou de « conflits intérieurs » en raison des acteurs transversaux impliqués), des pays en situation de transition avec d’importantes difficultés, une situation d’occupation (la Palestine), des situations de vulnérabilité, enfin la catégorie de ceux que l’on peut considérer comme des pays plus ou moins stables.

Par rapport à son environnement, le Maroc offre une stabilité marquée, mais on aurait tort de se centrer seulement sur la stabilité. Celle-ci est sous-tendue d’initiatives réformistes, de nature diverse, accentuées à des degrés variables, dans nombre de domaines. Ce réformisme a précédé le printemps arabe, mais celui-ci l’a redynamisé, et confronté à de nouveaux défis.

Au Maroc une liste des menaces pesant sur le pays a été dressée de manière quasi officielle : les tendances contrariant l’unité territoriale du pays, les dangers provenant du voisinage (la situation au Sahel, l’évolution politique des pays voisins : Algérie, Mauritanie, Mali…), le radicalisme religieux, le terrorisme, les diversités religieuses trop en rupture avec la doctrine religieuse dominante, des situations économiques et sociales d’exclusion. Il est certain que ces menaces influent fortement sur l’état de la cohésion sociale. Elle atteste des liens avec les facteurs historiques, démographiques, les lignes ethniques, les inégalités horizontales et verticales, l’existence et l’ouverture de médias…

Le pays semble jouir d’une stabilité réalisée notamment par l’initiation de réformes politiques, économiques et sociales qui ont contribué au renforcement de la cohésion sociale. L’ébullition de la région semble avoir renforcé la conviction des élites marocaines que le changement est mieux réalisé à travers une évolution relativement maîtrisée. Le système inclusif de participation politique au Maroc a constamment aidé à canaliser le débat dans le pays où l’institution monarchique joue le rôle de force unificatrice. Le réformisme en question porte aussi de manière déterminante sur les institutions, la configuration politique.

Le Maroc a connu un rythme de croissance relativement soutenu au cours des dernières décennies. Les fruits de cette croissance sont inégalement répartis entre le milieu urbain et le milieu rural, entre les régions et entre les différentes catégories de la population. Au cours des dernières années, les inégalités sont devenues préoccupantes sur le plan politique et posent la question de l’inclusion des franges sociales demeurées en marge du processus du développement au Maroc.

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14 COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Elles renvoient en premier lieu à la dimension économique (revenus, richesses, dépenses) et peuvent se manifester à différents niveaux plus ou moins interdépendants : inégalités d’accès à l’éducation, à la santé, à l’emploi, aux infrastructures, aux moyens de production. Dans quelle mesure les ménages les moins dotés en revenus peuvent-ils assurer l’éducation et/ou les services de santé à leurs familles ? Les limites dans l’investissement, dans l’éducation et la santé des enfants se répercutent sur l’emploi, les revenus et le bien-être à l’âge adulte. La mobilité sociale restant limitée, plusieurs manifestations d’inégalités paraissent interdépendantes.

Les menaces à la cohésion sociale sont au cœur des préoccupations des Etats de par le monde, car au centre de tout ce qui a trait au lien social et du vivre ensemble dans les sociétés modernes. Elle est aujourd’hui moins solide que par le passé en raison de l’impasse où se trouvent nombre de modèles économiques et sociaux mondiaux du fait de l’émergence de nouvelles générations de pauvreté, de chômage et exclusion et d’exclus. La situation s’explique aussi par l’aggravation du mode de financement de l’action sociale et de la solidarité : couverture médicale, retraite, compensation des prix des produits de base, indemnisation du chômage…

La quête de plus de cohésion sociale au Maroc doit relever de nombreux défis : celui de l’école, suspectée de ne pas incarner un lieu de production de savoir être, de formation à la citoyenneté, ciments du lien social et du vivre ensemble ; celui de la santé ; une protection sociale non généralisée ; la question de l’emploi avec la persistance, voire l’aggravation du chômage, notamment des jeunes, l’exacerbation des inégalités sociales et régionales ; l’absence d’un revenu minimum garanti pour les couches défavorisées, en attendant une réforme fiscale ; la prolifération continue et l’extension de l’informel, développement de l’économie du crime et de nouvelles générations de violences et enfin ; une gouvernance inappropriée de la politique publique en matière d’action sociale et de solidarité, etc.

De grandes interrogations interpellent donc l’analyse :Sur le plan économique et social, quels sont les traits du changement social au

Maroc  ? Comment construire une société plus inclusive avec une dynamique de renforcement de la cohésion sociale ? Quels sont les caractères structurels de la société les plus pertinents qui favorisent ou contrarient de telles orientations ?

Sur le plan institutionnel, quelles sont les spécificités du changement politique au Maroc en termes de processus et de résultats ? Quelles conditions pour que le processus constitutionnel et parlementaire joue un rôle dans la construction d’une société plus inclusive ? Comment le cadre institutionnel (parlement, conseils et autres institutions…) a-t-il joué un rôle dans la prévention de la dégénérescence des changements politiques ? Quels sont les rôles et capacités des institutions représentatives pertinentes dans des

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15COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

processus de gouvernance ouverts et soumis à la reddition des comptes ? Quel est le rôle des organisations internationales ?

L’ouvrage collectif se propose d’approfondir certaines de ces interrogations et d’y apporter quelques éclairages nécessaires.

Abdallah SaafSenior Fellow

OCP Policy Center - Rabat

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Partie IEnjeux de la cohésion sociale sur les plans économique et social

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19COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Chapitre 1 : Les fondements historiquesde la cohésion sociale au Maroc

Abdelmajid Kaddouri,Historien et ancien Doyen de la Faculté des Lettres de Casablanca

Introduction

Le Maroc est connu par sa diversité et son multiculturalisme. Diversité géographique, le pays est constitué de plaines, de montagnes, de franges maritimes et des espaces sahariens. Cette variété dans les espaces s’accompagne de diversité climatique. Le Maroc est méditerranéen, continental, montagnard, semi-aride et aride. Vu sa situation géographique, le pays est soumis à l’influence de trois continents : l’Afrique, l’Europe et l’Asie par le biais de la Méditerranée. Des influences ethniques venant de l’Est sont Phéniciennes, Carthaginoises, Arabes. D’autres mouvements lui sont arrivés du Nord : les Wandales, les Romains, Espagnoles, les Portugais les Français en plus des influences subsahariennes. Ces flux humains divers ont été à l’origine de la diversité marocaine. Les Marocains sont blonds, bruns, noirs et métissés. Ils communiquent entre eux par des parlers divers : l’amazigh par le biais de ses trois composantes : le tachelhit, le tamazight et le Tarifit, l’arabe et autres langues dites étrangères (français, anglais et espagnol) mais le dialecte marocain domine. La cohésion sociale est un processus historique, dans la mesure où la société a une mémoire, des cultures, des mœurs. Sa cohésion se base sur l’ouverture et la volonté de vivre ensemble, chacun des membres qui constituent cette société vit dans sa diversité. Comment la cohésion sociale a été forgée au Maroc à travers son histoire millénaire ? Quels sont les facteurs déterminant de son façonnement ?

I. Le Maroc Pluriel : Evolution Historique

La culture marocaine n’est pas un état figé mais un équilibre dynamique, un centre de gravité résultant de mouvements multiples : venant du Nord, de l’Est et du Sud. Cette dynamique et ces mouvements ont été accompagnés par des processus d’adaptation pour garantir une stabilité pérenne. Les principaux critères qui déterminent la configuration de la personnalité historique marocaine sont à chercher dans son substrat

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

amazigh, dans le sédiment arabo-islamique dans le vécu occidental, et dans l’apport subsaharien. Comment expliquer les différentes interactions qui se sont opérées à travers la dynamique de ces critères et qui sont à l’origine de la cohésion sociale marocaine en mouvement ?

1. L’Amazighité de la société

Il est fondamental de mettre en relief le substrat amazigh et l’appréhender comme pluralité tonifiante pour cette cohésion sociale au Maroc1. Ce substrat a été à l’origine de polémiques et des questions qui sont devenues mythiques. L’historiographie coloniale a amplifié cette démarche pour des raisons idéologiques. On se demandait : d’où viennent les Amazighs ? Quelle est l’origine de leur langue ? Quelle est l’origine de leur culture ? Notons dès le départ que notre objectif ne va pas dans le sens de ce débat. Ce que nous cherchons ici c’est plutôt la volonté de faire sortir de ce substrat amazigh les éléments qui ont fusionné avec d’autres éléments d’autres cultures pour renforcer la cohésion sociale marocaine. Il est inutile de courir derrière la recherche des origines dans la mesure où cette démarche favorise beaucoup plus la division et moins la cohésion2.

Le fond Amazigh a réussi à sauvegarder sa spécificité en dépit de tous les aléas de l’histoire. Il s’est enrichi par le brassage qu’il a effectué avec toutes les cultures qui sont venues aux Maroc d’ailleurs. Il a pu maintenir sa différence sans exclure les enrichissements.

Les Marocaines à l’époque préislamique avaient trouvé l’agilité et la volonté de se mouvoir entre différentes cultures et religions : juive, chrétienne et traditions païennes sans renoncer à son originalité. L’avènement de l’Islam n’a pas éliminé totalement cette pluralité dans les croyances. Celles-ci étaient le fruit de flux migratoires à grande échelle et une chance pour construire un peuplement qui sera marqué à vie par la diversité dans sa cohésion

2. L’Islamisation – l’arabisation : rupture ou continuité ?

L’avènement de l’Islam dans l’Occident musulman en général et au Maroc en particulier, allait renforcer l’ouverture, et l’enrichissement de la Méditerranée en général et de la société marocaine en particulier3. L’Islam favorisa le processus d’adaptation et

1 Le substrat amazigh a été occulté après l’indépendance du Maroc comme réaction à l’idéologie coloniale.2 Histoire du Maroc : réactualisation et synthèse, dir. Mohamed kably, Rabat, 2011, p.213.3 Henri Pirenne l’historien médiéviste belge a soutenu dans les années trente le contraire en avançant l’idée

selon laquelle l’avènement de l’Islam au VIIe siècle a été à l’origine d’une fracture dans cet espace. Voir Mahomet et Charlemagne, Paris 1937.

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21COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

LES FONDEMENTS HISTORIQUES DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC

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de transformation des nouveaux venus avec la société amazighe. La nouvelle religion allait pousser les Marocaines à embrasser une islamisation féconde celle qui initia des interactions positives entre ce qui est local et qui venait historiquement de loin avec ce que proposait l’Islam d’un côté avec tout le support culturel oriental qui l’accompagnait de l’autre. Ces interactions ont été facilitées par la clarté et la simplicité des dogmes que véhicule l’Islam. Ce que proposait la nouvelle religion arrangeait la mentalité amazighe. Ceci constitua un facteur déterminant dans la conversion et l’abandon par la majorité des Marocaines des croyances païennes locales.

Ce qu’il faut relever de cette acceptation c’est le brassage entre les Amazighs et les Arabes4, le processus de l’arabisation du Maroc est l’œuvre des Amazighs eux-mêmes. Ils avaient joué un rôle déterminant dans la propagation et le rayonnement de l’Islam et de l’arabe. La mobilité et les alliances entre les tribus berbères et les tribus arabes allaient faciliter le brassage. Ce processus ininterrompu renforça la cohésion entre les anciens c’est – à – dire les Amazighs et les nouveaux c’est-à-dire les Arabes. L’exemple le plus frappant est incarné par le cas de Tamesna et de chaouia5. Cette évolution de la cohésion positive est attestée par Naciri quand il écrivit «  Ce qui caractérise les Arabes qui se sont installés au Maroc, vu leur mixité et leur brassage c’est qu’ils ne se souviennent plus de leur origine première6.

L’Islam du Maroc se distingue de l’Islam d’autres aires culturelles dans la mesure où ce sont les dirigeants amazighs du moyen âge (les Almoravides, XIe-XIIe les Almohades XIIe-XIIIe et les Mérinides XIIIe-XVe) qui ont tout fait pour que l’Islam ne soit pas au Maroc une religion exogène à son environnement socioculturel. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre que les premières traductions du Coran dans les aires islamiques, furent effectuées en amazighe et que les princes berbères recommandaient que ce livre sacré soit expliqué en amazighe7.

Cette attitude didactique engagée par les émirs amazighs allait favoriser le rapprochement soutenu entre les différents éléments qui constituent la société marocaine. Il ressort de cette analyse que la cohésion sociale rime avec la diversité et la volonté de vivre ensemble. La prédominance de l’Islam et de la culture arabo-musulmane ne peuvent en aucun cas réduire la marocanité à cette prédominance. La cohésion dans la diversité est trop enracinée dans l’histoire du pays. L’exclusion a été et reste toujours

4 Le mariage entre Kenza de la tribu amazighe Awraba et Moulay Idris premier le fondateur de la première dynastie musulmane au Maroc constitue en lui seul la symbiose arabo-amazighe. Ce mariage allait être à l’origine de la naissance d’un charf al Idrisi.

5 L’arabisation de ces tribus est telle qu’il est difficile de distinguer les amazighs des Arabes.6 Naciri, al Istiqsa, t.6, 67.7 L’itinéraire et les écrits en amazigh et en arabe d’al Mahdi ibn Toumart fondateur et idéologue de la

dynastie Almohade est l’exemple la plus parlant dans ce cas.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

bannie par la société marocaine. La diversité est une richesse. La personnalité marocaine est multiple. Elle est un cumul culturel venant de loin : païen, juif, chrétien et autres. L’Islam n’a pas pu éliminer ces éléments. Cette multiculturalité montre l’ouverture du Maroc à tout ce qui est nouveau. D’abord à l’Islam ensuite à tout ce qui allait enrichir sa personnalité encore plus en s’ouvrant et en adoptant une attitude positive à l’égard de la culture andalouse en général et morisque en particulier en plus de son ouverture sur tout ce qui occidental à l’époque moderne et contemporaine. Comment comprendre cette ouverture dans la perspective de la cohésion sociale ?

3. Les apports andalous

Les échanges entre Al Andalous et le Maroc sont anciens. Ils se sont renforcés et diversifiés durant l’occupation de ce pays par les musulmans au moyen âge. Cette conquête a été favorable pour le Maroc. Elle a enrichi sa personnalité dans la mesure où Al andalous a été une sorte de laboratoire culturel ; les interactions étaient chrétiennes, juives, musulmanes et autres. Ces influences allaient prendre une dimension plus grande pour le Maroc avec la reconquista et l’expulsion des morisques, c’est-à-dire après la prise de Grenade en 1492 et l’édit de l’expulsion des derniers morisques décrété par Philippe II en 1609.

Ces expulsés sont arrivés au Maroc chargés de leurs cultures et de leurs savoirs faire. Ils allaient enrichir certes la personnalité marocaine, tout en lui posant des défis à surmonter. Cette immigration massive a posé des problèmes d’adaptation. Elle créa des situations de tensions au début, quoiqu’al Maqri la considère normale8. Ces tensions et les réactions aux flux massifs des andalous et des morisques sont à expliquer nous seulement par les divergences des coutumes des uns par rapport aux autres. Mais elles sont liées aussi à la situation de crise que traversait la Maroc après la mort d’Ahmed al Mansour en 1603. Son décès a ouvert la voie aux ambitions politiques les plus diverses : d’abord entre ses fils puis des prétendants se sont multipliés y compris les morisques qui se sont tranchés dans le Bouregreg pour proclamer leur république9. Situations conflictuelles, chocs de contacts culturels, n’empêchèrent nullement la société marocaine, d’intégrer une partie des mœurs et des coutumes andalouses en général et morisques en particulier. Le Maroc allait profiter de savoir-faire de ces immigrés en adaptant le principe d’ouverture et la volonté d’assimiler et de transformer le nouveau pour l’adapter car les contextes changent et l’adaptation exige l’ouverture à tout ce

8 Al Maqri, Nafh at _ tib, Ti, pp, 228-229.9 Mohamed ben ali Doukali, al Ithaf al Wajiz, fi tarikh al adwatayn et Mohamed bargach, Une famille au

Coeur de l’histoire, Rabat 1988, pp42-43.

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LES FONDEMENTS HISTORIQUES DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC

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qu’est nouveau comme fut le cas avec l’Occident.

4. Le vécu à l’Occidental

La culture occidentale en général, et française en particulier n’échappe pas, dans leurs relations avec la culture marocaine, à cette caractérisation à savoir : intégrer ce qui est externe pour l’assimiler. Durant l’époque de l’expansion ibérique tout d’abord et le Protectorat français ensuite, la société marocaine est passée durant ces deux périodes, de situations conflictuelles et d’affrontement avec l’occupant à une situation de pause et même à la recherche de nouveaux rapports à trois phases : Subir, digérer, intégrer et s’enrichir.

La cohésion sociale nécessite, dans les temps qui courent, la conciliation entre la tradition et la modernité. Le contexte impose à la société marocaine de trouver la voie qui l’aiderait à évoluer dans le monde contemporain. Elle doit s’adapter, tout en tenant compte des rythmes qui s’accélèrent, si elle veut profiter des bienfaits de la mondialisation sans perdre les traditions et les valeurs fondamentales qui constituent sa personnalité. Elle doit évoluer en suivant et en s’inspirant de ce qui l’entoure pour être de son temps et refuser la stagnation et l’isolement.

Ce qui ressort de cette analyse c’est que la société marocaine est le produit d’une histoire qui a connu des évolutions, des transformations et des mutations aussi bien individuelles que collectives. Le Maroc est un pays de diversité bien enracinée dans son évolution historique. Sa cohésion sociale se base sur l’ouverture et la volonté de vivre ensemble chacun dans sa diversité. Comment expliquer cette cohésion dans la pluralité de la société marocaine ?

II. Les Fondements de la cohésion sociale marocaine

La cohésion est la somme de valeurs et de conduites que se forge l’homme pour accomplir et élaborer des codes qui organisent ses relations avec ses semblables et son environnement naturel proche ou lointain. Quels sont alors les principaux fondements qui expliqueraient cette cohésion ?

1. L’Islam : soudeur par excellence

L’islam constitue l’élément dominant dans cette cohésion, son rôle dans celle-ci est une réalité qui se mesure dans le quotidien des Marocaines. L’avènement de cette religion allait insérer le Maroc dans la mouvance arabo–musulmane et l’intégrer dans

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

une culture neuve10. Les études sur la question montrent que l’accueil des nouveaux arrivés était conflictuel, mais l’acceptation de la nouvelle religion a été facilitée par certaines tribus amazighes11. L’unification religieuse du Maroc fut effective au XIe siècle sous les Almoravides. Ces Sanhajas sont arrivés à éliminer les autres croyances et doctrines (kharédjits, chiites, et paiénnes). Cette unification allait se baser sur la doctrine malékite celle-ci arriva à dominer tous les espaces religieux grâce à la complicité du pouvoir almoravide avec les fouqahas.

La cohésion sociale allait se manifester dans les pratiques islamiques au quotidien. L’Islam encourage les croyants à effectuer leurs prières quotidiennes de manière collective. Cela favorise la soudure et la cohésion de la société. La prière de vendredi et le pèlerinage constituent le summum de cette soudure sociale, comme l’a si bien relevé Elias Canetti qui s’est beaucoup arrêté sur les concepts de masse et puissance. Pour lui ces deux rassemblements constituent deux moments symboliques dans lesquels et à travers lesquels, la Umma islamique se manifeste en tant que masse et puissance. Elle montre sa force matérielle par le nombre et spirituelle par la prière. Durant ces moments la cohésion est totale et absolue12. Il est clair que durant les prières quotidiennes, celle de vendredi, pendant les fêtes religieuses et durant le mois de Ramadan, les Marocains se sentent très proches les uns des autres car ils partagent des moments qui renforcent leur cohésion. L’Islam allait être à l’origine de la création d’autres paramètres de renforcement de cette soudure à travers la solidarité qui se manifeste dans le phénomène des Zaouias.

2. Les Zaouias : La solidarité sociale

Les Marocains adaptent l’Islam tel qu’il est révélé dans le Coran, à leur quotidien. Il s’agit de l’Islam historique à travers les pratiques sociales et spirituelles qui se font dans les zaouias. Il est difficile de donner une seule définition à la zaouia. Elle est in lieu de réunion des adhérents pour réciter le « dikr ». Elle est aussi un espace d’échanges et d’enseignement. Elle est un lieu de circulation culturelle, un lieu saint de pèlerinage, un espace de solidarité sociale mais elle est aussi un phénomène dynamique pour la société qui se trouve en perpétuel mouvement. La zaouïa se rattache souvent à un saint un Wali Salih qui détient la baraqa. Elle est liée à un thaumaturge mort – vivant, réel ou mythique. L’essentiel c’est que la masse croît en lui et se soude en son nom. Le

10 Histoire du Maroc…, M. Kably, op.cit, p. 246.11 Il est très significatif de mentionner ici le mythe des Regragas qui prétendent avoir rencontré le Prophète

à La Mecque et qu’il a parlé avec eux en amazigh.12 Elias Canetti, Masse et Puissance, 1966, traduit par Robert Rovini, Paris 1986.

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LES FONDEMENTS HISTORIQUES DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC

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phénomène de zaouïas a joué un rôle important dans la construction de la cohésion sociale au Maroc. L’essaimage de ces confréries à travers le pays a été déterminant dans le renforcement d’appartenance à la marocanité. La tarîqa Jazoulia a été d’un grand secours pour le Maroc et les Marocains durant une période de crises et de vide politique. Al Imam al Jazouli, l’un des sept patrons de Marrakech, a pu mobiliser les Marocaines pour résister et défier l’élan portugais au XVe13. Les zaouïas avaient joué des rôles déterminants dans les rapprochements des Marocains et à certains égards, elles avaient même stigmatisé l’appartenance à une entité marocaine et de ce fait, elles ont renforcé la cohésion sociale qui se trouve d’autre appris politique.

3. Cohésion sociale et politique

Pour assurer la cohésion religieuse et politique du Maroc, les Almoravides avaient fait du malékisme un instrument de base, pour lutter contre les autres doctrines14. Le droit malékite a permis à l’état de se renforcer. Il est arrivé à réaliser cet objectif grâce à la complicité des foukahas. Ce droit dérive d’une source divine, il est le seul à déterminer le juste et l’injuste, le bien du mal, le vrai du faux et le licite de l’illicite15. Ce jeu contribua au renforcement de la légitimité du pouvoir et de la cohésion sociopolitique. Pour plus de légitimité, le pouvoir allait recouvrir au système de contrat.

L’allégeance ou la Bayaa est à voir aussi comme un autre élément de soudure entre le pouvoir et la société. C’est un contrat qui se réfère à la période du Prophète16. Il est à la fois religieux et politico-social. Comme tout contrat il préconise des droits et des devoirs aux protagonistes. Cela veut dire le peuple et le sultan. Le premier doit se soumettre et le second doit assurer la sécurité et la paix. Le désordre (la fitna) est la catastrophe. Il vaut mieux être gouverné par un émir cruel et injuste que vivre dans le désordre (Fitna). Laroui considère le système de la Bayaa une originalité marocaine par rapport aux autres aires musulmanes.

Les facteurs politiques restent secondaires dans la construction de la cohésion sociale par rapport à l’impact des langages.

13 La mobilisation des Marocains derrière al imam al Jazouli au milieu du XVe siècle au nom de l’Islam a pu sauver le Maroc et les Marocains du sort infligé par les Portugais et les Espagnols aux Amérindiens durant la même période et dans le même contexte.

14 Mustapha ben hamza, al moukawin ad dini dimna raas al maa alla maadi bi al maghrib, 2016,pp.12-13.15 Histoire du Maroc. M. Kably, op cit, p, 260.16 L’allégeance faite au Prophète à Saqifa.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

4. Le dialecte marocain à référence amazigho – arabe

Le langage marocain de tous les jours est l’un des facteurs les plus édifiants de la cohésion sociale. Ce facteur est loin d’être un simple élément de communication. Il dérive des langues amazighes et de l’arabe. Il résume en lui seul une preuve, si preuve on en a besoin, de cette symbiose et de ce mariage amazigho millénaire (18). Ce dialecte n’est pas figé mais évolutif et ouvert sur d’autres langues. La cohésion sociale lui doit beaucoup, d’autant plus que les langues de référence l’amazighe et l’arabe ne sont pas parlées au quotidien. Pour illustrer cet impact, voici quelques exemples de vie de tous les jours, pris dans le vocabulaire de boire et manger.

Lbarad (théière) Lkas (verre) Tafadna (chaudière) Tazarbit (Tapis) Lqandil (Lampe) à côté de ces mots arabo-amazighs nous relevons aussi des mots d’origine andalouse comme Pastilla, Tfaya ou encore Lamrouzia. Ce parler est partagé par tous les Marocaines sans distinctions de leurs origines. Il constitue le facteur déterminant de cette cohésion sociale. On se rend compte quand on voit les Marocains se réunir pour partager un repas autour d’un tagine ou d’un couscous qui ne se mangent qu’en groupe. Le thé ne se boit qu’avec un rituel collectif. Ces coutumes sont l’aboutissement d’une longue évolution. Malgré tous les aléas de l’histoire, elles ont contribué à la construction et au renforcement de cette cohésion qui évolue, s’adapte et se transforme en fonction des contextes et des contraintes pour être ce qu’elle est aujourd’hui plurielle mais unifiée.

Conclusion

La cohésion sociale s’inscrit profondément dans la géographie et l’histoire. Elle se traduit par la diversité ethnique, linguistique et culturelle. Les interactions sociales entre ces composantes sont à l’origine d’une dynamique qui allait être l’énergie et la force pour faire des propositions capables d’enrichir l’histoire du Maroc et œuvre pour renforcer sa cohésion sociale pour que celle-ci reste flexible et ouverte.

Cette cohésion est une construction qui émane, comme nous l’avons relevé, d’un héritage de traditions, de langues, de croyances, de modes de vie et de valeurs qui constituent son soubassement et sa raison d’être. La cohésion sociale s’enracine dans la mémoire historique qu’elle soit individuelle, collective ou nationale. Elle s’inspire et s’enrichit de son environnement proche ou lointain. Elle tire ses valeurs du passé mais elle demeure ouverte sur le présent et l’avenir. Elle sera solide tant qu’elle se base sur la solidarité, la confiance et le respect mutuel. L’important qu’elle continue à rester mouvement en perpétuelle construction et d’adaptation et en cultivant la diversité dans l’unité.

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27COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Chapitre 2 : Les politiques sociales auMaroc, reconnaissance inachevée de l’expertise citoyenne

Mustapha El Mnasfi,Enseignant-chercheur à l’Institut d’Etudes Politiques, Sociales et Juridiques de l’Université

Mundiapolis à Casablanca et chercheur associé au Centre Jacques Berque

Résumé

L’objectif de cet article est de chercher des éléments de réponse à la question suivante : le citoyen concerné par une politique sociale qui la concerne de près est-il invité à donner son « avis » avant l’élaboration de celle-ci ? La réponse à cette question semble difficile car « la participation citoyenne » renvoie à plusieurs degrés qui commencent par la « consultation », puis la « concertation » et enfin la « codécision ».

Dans le cadre de cet article, il est nécessaire de démontrer dans un premier temps, à travers le cas de l’Initiative nationale pour le développement humain, qu’il y a au Maroc un nouveau contexte qui encourage « la participation citoyenne » dans l’élaboration des politiques sociales ; avant de démontrer, dans un second temps, que cette « participation » reste limitée puisqu’elle vient en aval de l’élaboration de ces politiques.

Introduction Dans un contexte marqué par la constitutionnalisation de la démocratie participative

au Maroc, la question de la « participation citoyenne » dans l’élaboration des politiques publiques sociales constitue un enjeu majeur pour les pouvoirs publics, mais aussi pour les acteurs civils, notamment les représentants des associations de la société civile. D’où l’importance d’interroger la problématique du degré de participation ; c’est-à-dire les différents échelons permettant de confirmer ou non l’existence d’une participation citoyenne dans l’élaboration des politiques publiques.

L’objectif de cet article est de chercher des éléments de réponse à la question suivante  : le citoyen concerné par une politique sociale qui la concerne de près est-il invité à donner son «  avis  » avant l’élaboration de celle-ci  ? La réponse à cette question semble difficile car « la participation citoyenne » renvoie à plusieurs degrés qui

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

commencent par la « consultation », puis la « concertation » et enfin la « codécision ».Dans le cadre de cet article, il est nécessaire de démontrer dans un premier

temps, à travers le cas de l’Initiative nationale pour le développement humain, qu’il y a au Maroc un nouveau contexte qui encourage «  la participation citoyenne » dans l’élaboration des politiques sociales (I)  ; avant de démontrer, dans un second temps, que cette « participation » reste limitée puisqu’elle vient en aval de l’élaboration de ces politiques (II).

I. Un nouveau contexte favorable à la « participation citoyenne » dans l’élaboration des politiques sociales

Depuis l’indépendance, en 1958, jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, les

questions de la pauvreté, de l’exclusion sociale et de la marginalité ont été considérées au Maroc comme un sujet tabou.

En effet, au début des années quatre-vingt, plus précisément en 1983, l’État marocain s’est lancé, avec l’appui de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, dans un programme d’ajustement structurel. Avant et au cours de la décennie de ce programme, les préoccupations d’ordre social n’étaient pas la priorité effective des gouvernements, d’où l’absence de stratégie à long terme et de politiques volontaires en la matière.

Cependant, à partir de 1992 – l’année de la fin du programme d’ajustement structurel-, le Maroc a commencé à en voir les effets négatifs : montée du chômage, exode rural, émergence des quartiers urbains marginalisés, baisse du pouvoir d’achat, émeutes éclatant de temps en temps dans les grandes villes, etc. Ce n’est qu’au début de cette décennie que le paradigme du développement social s’est affirmé de plus en plus par son ampleur, comme problème prioritaire. Ainsi, le Maroc a mis en place une stratégie sociale axée sur la lutte contre la pauvreté, retenue comme un moyen privilégié de réduire sensiblement les disparités existantes.

Au début des années quatre-vingt-dix, le gouvernement marocain a mis en place une stratégie de développement social qui visait à orienter davantage les ressources publiques vers les activités sociales de base bénéficiant particulièrement aux catégories sociales défavorisées. C’est dans ce cadre que de nombreuses actions ont été entreprises comme le Programme de Priorités Sociales (BAJ1) et le Programme de logement social17.

17 Zouiten Mounir, «  La question de la pauvreté urbaine au Maroc  : stratégie et acteurs  », in Abouhani

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LES POLITIQUES SOCIALES AU MAROC, RECONNAISSANCE INACHEVÉE DE L’EXPERTISE CITOYENNE

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Par ailleurs, le Maroc a connu l’émergence de programmes d’action plus spécifiques en faveur de la population pauvre et exclue vivant dans les zones urbaines, comme le programme « Villes sans bidonvilles (VSB) », qui a pour objectif de fournir un logement décent aux 277 000 ménages vivants dans les bidonvilles urbains. Quatre-vingt-deux villes ont alors été visées par le programme et 20  millions de dirhams (soit près de 2  milliards d’euros) y ont été alloués. Ce programme est basé sur le recours à des contrats villes (signés entre le Ministère de l’habitat, les gouverneurs de préfecture et les présidents des communes) précisant les segments des missions des partenaires sur la base d’un diagnostic protégé et objectif.

En outre, le tournant historique de l’urbanisation au Maroc est survenu en 1993 quand la population urbaine a atteint 50,6% de la population totale du Royaume18. Cela a occasionné d’importantes transformations urbaines dans le pays, celles-ci prenant la forme de trois grandes mutations  : tout d’abord, la prolifération rapide des villes  : le nombre des villes marocaines est passé de 172 en 1970 à 352 en 2004  ; ensuite, l’émergence de « villes millionnaires » dont Casablanca, Fès, Marrakech et Salé, alors qu’en 1900 le Maroc ne comptait qu’une seule ville de plus de 100  000 habitants. Enfin, la classification des villes en trois catégories : petite, moyenne et grande, avec la concentration d’environ 67% de la population citadine au niveau des espaces dits « grandes villes », c’est-à-dire des villes abritant un minimum de cent mille habitants19.

Cette augmentation de la population urbaine est liée principalement à la sécheresse et aux conditions difficiles dans les campagnes. Cela a encouragé l’exode rural vers les zones urbaines et a en même temps changé la géographie sociale de la ville, à travers l’émergence de quartiers urbains pauvres et exclus.

Cependant, bien que l’État ait entrepris de nombreuses actions pour lutter contre l’exclusion sociale dans les quartiers urbains, celles-ci n’ont pas eu des résultats très probants sur le terrain. En effet, leur élaboration et mise en œuvre sont marquées par une très forte centralisation, ainsi que par l’absence de « concertation » avec les populations cibles ou leurs élus20.

En 1999 le Maroc a connu l’arrivée d’un nouveau roi, Mohammed VI, marquant par ailleurs la fin d’une époque et le début d’une autre. Dès son arrivée au pouvoir, le monarque a adressé un discours à l’attention des responsables de régions, préfectures, provinces du royaume, cadres de l’administration et représentants des « citoyens », par lequel il a demandé aux hauts cadres de l’État d’associer les «  citoyens  » dans les

Abdelghani. (sous dir.), Enjeux et acteurs de la gestion urbaine, Dakar, CODESRIA, 2000, p. 205. 18 Selon les statistiques du Centre d’Etudes et de Recherches Démographiques, Rabat, 2005. 19 El Meskini Essaid, « La gouvernance urbaine : une approche multidisciplinaire », Revue Marocaine des

Politiques Publiques, n° 4, printemps 2009, p. 8. 20 Zouiten Mounir, « La question de la pauvreté urbaine au Maroc : stratégie et acteurs », op.cit., p. 206.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

projets qui visent à régler leurs problèmes sociaux et administratifs.

«  Nous voudrions à cette occasion expliciter un nouveau concept de l’autorité et de ce qui s’y rapporte, un concept fondé sur la protection des services publics, des affaires locales, des libertés individuelles et collectives, sur la préservation de la sécurité et de la stabilité, la gestion du fait local et le maintien de la paix sociale. Cette responsabilité ne saurait être assumée à l’intérieur des bureaux administratifs qui doivent, au demeurant, rester ouverts aux citoyens, mais exige un contact direct avec eux et un traitement sur le terrain de leurs problèmes, en les associant à la recherche des solutions appropriées. »21.

Depuis ce discours, les concepts de «  participation citoyenne  » et de «  bonne gouvernance » sont devenus de plus en plus médiatisés.

Par ailleurs, l’administration marocaine essaie de promouvoir cette nouvelle manière d’impliquer les « citoyens » dans la création et la gestion des biens collectifs.

Six ans après cela, plus précisément au mois de mai 2005, le monarque a adressé un autre discours par lequel il annonça le lancement de l’« Initiative Nationale pour le Développement Humain ». Parmi les principaux programmes de cette initiative, l’on trouve le « Programme de l’INDH en milieu urbain ». Les actions à mettre en œuvre dans le cadre de ce programme sont classées en trois catégories : la mise à niveau des infrastructures de base et l’amélioration de l’accès aux services socio-éducatifs et de santé  ; la promotion d’activités génératrices de revenus et d’emplois ; et l’accompagnement social des personnes en grande vulnérabilité22. Cette initiative se base, comme l’indiquent les documents qui la détaillent, sur une « approche participative », c’est-à-dire sur la nécessité d’associer les « citoyens cibles » dans les projets entrant dans le cadre de ce programme. Celui-ci vise 250 quartiers urbains défavorisés dont 16 arrondissements à Casablanca (la capitale économique) et 8 à Rabat (la capitale administrative).

L’INDH a été lancée dans un contexte marqué par l’arrivée d’un nouveau roi, lequel a évoqué dans son discours, comme nous l’avons souligné, le « nouveau concept de l’autorité ». Celui-ci est basé sur l’écoute et la consultation de la population. Mais cette initiative a aussi été lancée dans des circonstances marquées par la multiplication des revendications de coordinations locales contre la cherté de la vie et pour l’amélioration

21 Discours du 12 octobre 1999 à Casablanca. Pour plus de détails,  voir le site officiel du gouvernement marocain, notamment le lien suivant  : http://www.maroc.ma/NR/exeres/1563520F-92DE-408F-AD8F-11CE3ABF3365 (site consulté en 2010).

22 Voir le site officiel de l’« Initiative Nationale pour le Développement Humain » : www.indh.ma

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LES POLITIQUES SOCIALES AU MAROC, RECONNAISSANCE INACHEVÉE DE L’EXPERTISE CITOYENNE

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de la qualité des services publics23. Les dispositifs participatifs de l’INDH pourraient être considérés comme une réponse à cette « philosophie royale », comme le souligne un coordinateur d’une Equipe d’Animation du Quartier de l’INDH.

« L’INDH vise à consulter la population, c’est pour que les citoyens aient confiance en les institutions publiques, en les élus, en les représentants des pouvoirs publics, c’est pour que la nouvelle ère soit installée dans la tête de la population. Les citoyens sont contents de ça, ils ont senti une reconnaissance »24.

Ce nouveau contexte favorable à la « participation citoyenne » interroge la question de la façon avec laquelle les pouvoirs publics font «  participer  » les citoyens dans l’élaboration des politiques sociales, notamment celle de l’Initiative nationale pour le développement humain.

II. Une « participation citoyenne » en aval

Les politiques publiques sociales au Maroc se basent sur une forte verticalité de la relation entre pouvoir central et acteurs de la subsidiarité et, au contraire, sur une faible liaison horizontale entre les différentes initiatives associatives de ces mêmes acteurs locaux25.

Lors de la Consultation nationale sur l’efficacité du développement des organisations de la société civile au Maroc26, les associations marocaines œuvrant dans le domaine de la lutte contre la pauvreté ont souligné que les pouvoirs publics marocains les marginalisaient ; elles ont par ailleurs relevé l’absence de coordination entre les institutions gouvernementales et non gouvernementales avant l’élaboration des programmes qui visent à améliorer la qualité de vie des populations cibles ; cela handicape leur action, selon les représentants de ces associations. Ces différents points expliquent que les associations de la société civile ne sont pas sollicitées pour

23 Catusse Myriam et Vairel Frédéric, «  Question sociale et développement  : les territoires de l’action publique et de la contestation au Maroc », Politique africaine, 2010/4, n° 120, p. p. 5-6.

24 Entretien avec un membre d’Equipe d’animation du quartier (EAQ), Rabat, 03 mai 2011. 25 De Miras Claude, « De la gouvernance à la gouvernementalité ? Action publique territoriale au Maroc »,

Revue Maghreb-Machrek, N° 202, hiver 2009-2010, p. 46.26 Comme nous l’avons signalé dans l’introduction, nous avons eu l’occasion d’être l’un des rapporteurs de la

Consultation Nationale sur l’Efficacité du développement des Organisations de la Société Civile au Maroc, ce qui a nous a permis d’enregistrer des observations. Rabat, les 29, 30 et 31 mai 2010, la Consultation a été organisée par l’Espace Associatif : www.espace-associatf.ma

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

co-décider avec les pouvoirs publics. Dans le cadre de l’Initiative Nationale pour le Développement Humain, plus

de 20 000 projets ont été réalisés, et près de 5 millions de personnes en ont bénéficié, aussi bien en milieu urbain que rural. En revanche, ces acquis sont de faible magnitude sur l’échelle du développement humain ; le Maroc était en effet classé en 2009 à la 130e place sur l’échelle de l’Indicateur de Développement Humain (IDH)27 et à la 129e place sur 179 pays en 201428.

En plus de la faible retombée des actions menées dans le cadre de l’INDH sur le développement humain, les projets mis en œuvre par celle-ci ont rencontré différents problèmes. Dans ce sens, l’ancien secrétaire d’État chargé du Développement territorial a déclaré que « plusieurs projets dans le cadre de l’INDH avaient été conçus sans tenir compte de leur pérennité ». Il ajoute « qu’il est temps de mener un débat fructueux sur la pérennité des projets en abordant les différents moyens et outils de l’action sociale dans le but d’anticiper les éventuelles difficultés et de dépasser les approches fragmentaires et conjoncturelles en recommandant des solutions adaptées et globales  »29. Cette déclaration d’un ancien membre du gouvernement montre qu’avant la conception des projets de l’INDH, aucun débat n’a été organisé entre les acteurs concernés de près ou de loin par la problématique de la pauvreté, dont les associations de la société civile.

L’État reconnaît, dans le cadre de cette initiative, le rôle de la société civile dans la lutte contre la pauvreté. Mais cette reconnaissance n’est pas reflétée sur le terrain car les associations de la société civile ont un rôle qui se limite à la proposition des projets. Ces associations sont représentées par des leaders associatifs dans les commissions ayant pour rôle de choisir les projets proposés, mais ceux-ci ont un pouvoir limité face à celui des élus et des représentants des services extérieurs de l’État.

Dans de brèves discussions avec le président fondateur d’une association qui bénéficie de financements provenant de cette initiative, celui-ci a évoqué son mécontentement envers les pouvoirs publics, car ceux-ci, selon lui, accordent des fonds à des associations qui représentent non pas la population des quartiers cibles mais les programmes des partis politiques.

Selon cet acteur associatif, ce programme souffre de problèmes liés notamment à la gestion des fonds ainsi qu’à l’intervention des partis politiques, à travers les associations qu’ils ont introduites dans les quartiers. Celles-ci ont plus de facilités pour bénéficier de financements, en comparaison avec les associations créées par les habitants des quartiers qui ne se réclament d’aucune tendance politique. Cette situation se retrouve

27 Dossier, « INDH : l’échec du relais associatif », L’Hébdo Challenge, n° 277, 27 mars 2010, p. 24. 28 Voir le rapport sur l’Indicateur de Développement Humain des nations Unies, publié au mois de juillet

2014.29 Dossier, « INDH : l’échec du relais associatif », L’Hébdo Challenge, op. cit. p. 25.

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LES POLITIQUES SOCIALES AU MAROC, RECONNAISSANCE INACHEVÉE DE L’EXPERTISE CITOYENNE

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dans des associations présidées par des personnes qui sont par ailleurs membres dans des partis politiques. Cela leur permet de demander aux élus de leurs partis politiques d’influencer le comité local de l’INDH, présidée par un élu local qui traite les dossiers de propositions de projets ainsi que les demandes de subvention de cette initiative. Cela explique l’aspect de clientélisme de l’INDH et de ses dispositifs participatifs.

Par ailleurs, cette politique sociale de l’INDH a donné lieu à l’émergence de ce qu’on peut appeler « les professionnels de la participation ». En effet, afin de montrer que la participation citoyenne est une « chose primordiale », les pouvoirs publics ont fait appel à des experts ayant des compétences dans les approches participatives pour former les agents de développement social et les membres des Equipes d’Animation de Quartier.

Les représentants des pouvoirs publics locaux soulignent que la participation citoyenne leur a permis de s’adapter à un acteur qui a été auparavant ignoré  ; ils confirment que la population concernée par un projet doit être consultée avant l’élaboration de celui-ci, car ce dernier doit être construit sur la base de leurs attentes.

Il est observé que les fonctionnaires de l’Etat concernés par l’INDH en milieu urbain vivent sous le changement de leur rapport avec le citoyen. Ceux-ci confirment qu’auparavant les décisions étaient prises dans les bureaux sans aucune consultation avec les citoyens. En revanche, suite à la mise en place des dispositifs participatifs dans le cadre de l’INDH, ces fonctionnaires ont confirmé qu’ils sont désormais invités à veiller à ce que les projets élaborés au niveau communal traduisent la volonté de la population.

Par ailleurs, il est constaté que suite à la mise en œuvre de l’INDH et de ses dispositifs participatifs, « les hommes » de pouvoir sont devenus de plus en plus « des hommes » de développement humain. Car l’INDH a beaucoup insisté sur l’importance de collaborer entre tous les acteurs y compris le citoyen ordinaire d’une manière générale et plus particulièrement le citoyen associatif.

De plus, il est considéré que le citoyen est un nouvel acteur de l’action publique qui a eu l’occasion, grâce à l’INDH, d’apprendre de nouvelles connaissances dans l’espace public. Selon les fonctionnaires chargés de la mise en œuvre de cette politique, le citoyen ne peut jamais être un concurrent ; c’est un acteur qui se complète avec eux, c’est un partenaire avec qui la collaboration devient nécessaire, voire décisive dans l’élaboration des projets. Mais en même temps ces fonctionnaires de l’Etat ne cachent pas que les élus acceptent difficilement le fait de faire participer les citoyens. L’idée qu’ils ont est que l’action territoriale ne doit pas être ouverte face à la participation citoyenne. C’est pourquoi dans certains quartiers un rapport conflictuel s’installe entre les élus et les citoyens associatifs.

Cependant, on observe une nouvelle confiance qui est en train de s’installer entre le citoyen et les fonctionnaires représentants des pouvoirs publics centraux au niveau local. Le citoyen fait davantage confiance en l’administration publique, comme le

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souligne un coordinateur d’une Equipe d’Animation du Quartier à la ville de Rabat. Les dispositifs participatifs mis en place dans le cadre de l’INDH en milieu urbain ont permis aux citoyens ordinaires de participer, de créer des associations et de s’exprimer spontanément devant les représentants des pouvoirs publics.

Conclusion

En guise de conclusion, il est constaté que les pouvoirs publics au Maroc reconnaissent l’importance d’« associer » les citoyens dans l’élaboration des politiques sociales. L’exemple de l’INDH confirme cette volonté de faire « participer » la population cible dans des politiques qui les concernent directement. Cette politique sociale ainsi que ses dispositifs participatifs ont été lancés dans un contexte marqué par l’arrivée d’un nouveau monarque. Celui-ci a insisté dans ses discours sur l’importance de considérer le citoyen comme un acteur partie prenante dans l’élaboration des politiques dont il est l’objet.

Cependant, cette reconnaissance ne confirme pas que le citoyen participe réellement dans la prise de décision. En effet, il est observé qu’il ne suffit pas de mettre en place des dispositifs participatifs visant à associer les citoyens dans les politiques sociales après leur élaboration, mais plutôt avant. L’adoption en amont d’une réelle participation citoyenne aurait pour conséquences d’augmenter l’efficacité des politiques sociales et donc un impact positif sur la population cible.

Bibliographie

• Catusse Myriam et Vairel Frédéric, «  Question sociale et développement  : les territoires de l’action publique et de la contestation au Maroc », Politique africaine, 2010/4, n° 120, P. p. 5-6.

• De Miras Claude, « De la gouvernance à la gouvernementalité ? Action publique territoriale au Maroc  », Revue Maghreb-Machrek, N°  202, hiver 2009-2010, p. 46.

• Dossier, «  INDH  : l’échec du relais associatif  », L’Hebdo Challenge, n°  277, 27 mars 2010.

• El Meskini Essaid, « La gouvernance urbaine : une approche multidisciplinaire », Revue Marocaine des Politiques Publiques, n° 4, printemps 2009, p. 8.

• Zouiten Mounir, « La question de la pauvreté urbaine au Maroc : stratégie et acteurs », in Abouhani Abdelghani. (sous dir.), Enjeux et acteurs de la gestion urbaine, Dakar, CODESRIA, 2000, p. 205.

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Chapitre 3 : La cohésion sociale auMaroc et enjeux de la participation citoyenne

Meryeme El Anbar,Chercheure, Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales Rabat- Agdal

Résumé

La recherche des équilibres sociaux au Maroc est un processus qui a marqué les politiques publiques en matière du social depuis l’indépendance. De nombreuses réformes ou tentatives de réformes ont vu le jour liées au contexte politique et économique de chaque période. Moult initiatives ont été entreprises, tantôt à retombées positives sur l’amélioration du social, mais ont connu parfois un échec global ou partiel allant jusqu’à accentuer les distorsions sociales.

La gouvernance de l’Etat, la participation citoyenne et ses enjeux, la tendance à l’institutionnalisation des pratiques participatives, la consécration du rôle de la société civile sont autant d’éléments qui semblent converger dans le sens du redressement de la situation et remédier au cumul des échecs de certaines politiques de tâtonnement. Ces pulsions et cette frénésie pour la participation citoyenne occultent par moments les limites liées aux pratiques participatives qui cachent des enjeux susceptibles d’entacher les prétendues vertus de la participation…

Cet article s’arrête sur le contexte économique et social ayant prévalu depuis l’indépendance et qui a généré des problèmes d’équilibre social, en mettant l’accent sur certaines politiques sociales menées notamment dans des secteurs clés tels l’éducation, le logement et la lutte contre la pauvreté.

Des questions sont soulevées et interrogent la pertinence de la participation dans un contexte politique et social où les pratiques démocratiques font parfois défaut.

Introduction

La question sociale au Maroc durant le siècle dernier et jusqu’aux années quatre-vingt a été souvent assimilée à la solidarité. Selon des études sociologiques, la tribu et la religion auraient constitué des cadres d’appartenance et de socialisation où l’individu

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puisait ses repères de sociabilité30. A partir des années quatre-vingt, la question sociale a connu une évolution qui peut être rattachée d’une part au contexte politique et économique mais également aux profondes mutations socioculturelles et à celles des valeurs qu’a connues le pays31.

Certains facteurs ont contribué significativement à accentuer les déséquilibres sociétaux. L’exode rural, la forte urbanisation et le chômage ont généré des torsions sociales et ont été à l’origine d’une prise de conscience par l’Etat de la problématique de la cohésion sociale devenue un axe important des politiques publiques. Parallèlement à l’action de l’Etat dans ce sens, les organisations de la société civile qui ont connu un foisonnement important depuis ces dernières décennies se sont également saisies de la question à travers leurs actions d’une part, et d’autre part par leur participation à la coproduction de politiques publiques.

Les pratiques participatives au sein de la société civile ont existé depuis une longue date, mais elles s’exerçaient souvent dans un cadre non institutionnalisé ; elles étaient peu visibles. L’institutionnalisation récente de la participation répond, certes à une volonté de démocratisation des affaires publiques mais également vise l’instauration d’une action collective de plus en plus organisée. La participation est devenue un fait marquant. Elle est associée, de facto, à la consolidation des droits de l’homme, des valeurs de justice sociale, de bonne gouvernance et de démocratie. Les mouvements sociaux de 2011 ont permis d’accélérer la cadence des réformes dans le sens de l’institutionnalisation de la participation et ont élargi le champ de son application32.

Parallèlement à ces avancées démocratiques, une multitude d’événements sociaux observés au quotidien, ou fréquemment relayés par les médias (manifestations, actes de violence urbaine actes de violence dans les universités, dénonciations et revendications à travers les réseaux sociaux…) interpellent l’ensemble des acteurs sur le futur de la cohésion sociale au Maroc et suscitent de nombreuses interrogations : Ces phénomènes de digression sociale sont-ils liés à l’échec du système éducatif, au dépérissement du politique, aux fractures sociales ou encore à d’autres facteurs qui minent la société à tous les niveaux dont l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques ? Ce malaise social serait-il le résultat d’un cumul d’échecs de politiques publiques de tâtonnements, de problèmes économiques, d’obscurantisme religieux ou d’un modernisme qui s’est délesté du patrimoine culturel et identitaire ?

Dans cet article, il est question d’examiner dans un premier lieu le contexte socio-

30 Bourqia, Rahma. “Valeurs et changement social au Maroc.” Quaderns de la Mediterrània 13 (2010): 105-115.

31 Bourquia Rahma op cit 32 Bouabid A,. Lahbib K,. Tamim T, La démocratie participative au secours de la démocratie représentative,

Fondation Abderrahim Bouabid, collection « les cahiers bleus » n°16, Rabat, 2011

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LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ET ENJEUX DE LA PARTICIPATION CITOYENNE

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économique qui a prévalu depuis l’indépendance du Maroc en s’arrêtant sur les conjonctures liées au contexte national et international à l’origine des déséquilibres sociaux. L’évaluation de certaines politiques publiques menées pour faire face à ces déséquilibres fera l’objet d’un deuxième axe et fera ressortir la contribution de la participation publique à la modification des modes de gouvernance et ses rapports à son environnement social. Enfin sera abordée, l’institutionnalisation de la participation comme volonté d’impliquer le citoyen dans la gestion de son quotidien à travers les organisations de la société civile ou à travers le dialogue social, ce qui mène au dessaisissement de l’Etat de la question sociale et accentue les distorsions au niveau de la société.

I. Tendances de l’évolution économique et mutations sociales au Maroc

Dans les politiques sociales, solidarité et cohésion sociale sont sans doute utilisées pour désigner le même sens. Deux notions qui renvoient au même objectif qui est celui d’assurer les équilibres nécessaires au vivre ensemble des différentes composantes de la société dans une certaine harmonie33. Les orientations des politiques économiques ont un impact inéluctable sur le social et sont déterminantes pour la variation des indices de développement (taux de pauvreté, de chômage, d’émigration…).

Examiner les tendances de la croissance économique au Maroc liée au contexte national et international permet de comprendre les causes ayant accentué les distorsions sociales et a limité le développement de politiques sociales à même de rétablir l’équilibre nécessaire à un vivre ensemble.

1. Les tendances de la croissance économique au Maroc

Les politiques économiques et sociales au Maroc depuis son indépendance, aspiraient à la réalisation d’une croissance économique suffisante et soutenue en vue d’améliorer le niveau de vie de la population34. Les plans de développement économique et social établis depuis 1960 attestent que le Maroc a mené, depuis cette période, des programmes visant à généraliser la scolarisation, à lutter contre l’analphabétisme et à contribuer au développement du monde rural.

Néanmoins, la croissance économique depuis l’indépendance a été caractérisée par

33 Vulbeau, Alain. “Contrepoint-Cohésion sociale et politique sociale.”Informations sociales 1 (2010): p17.34 JAWAD EZZRARI thèse de doctorat « la pauvreté au Maroc : approches, déterminants, dynamique et

stratégies de réduction » 2011

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son instabilité du fait qu’elle s’est basée pour une grande part sur l’agriculture et par conséquent est restée tributaire des aléas climatiques. En effet, si la croissance réelle du PIB s’est située à 3,8 % depuis 1960, elle n’est que de 2,8 % durant la période 1994 et 200435. Les résultats réalisés en matière de croissance économique n’étaient pas suffisamment performants pour pouvoir améliorer qualitativement et quantitativement le niveau de vie de l’ensemble de la population. Ils n’ont pas pu réduire les écarts dans la répartition de la richesse nationale. De plus, la redistribution des revenus créés par l’activité économique et leur répartition constituent une dimension importante du développement humain dans un pays. Au Maroc, cette redistribution est encore fortement marquée par les inégalités et par la persistance de grandes poches de pauvreté.

La situation économique ayant prévalu pendant les années soixante-dix a été marquée par l’endettement et de grands déséquilibres macroéconomiques qui ont obligé le pays de s’engager dans un programme d’Ajustement structurel (PAS) ayant mené à une série de réformes économiques institutionnelles et juridiques pour mettre à niveau le fonctionnement des entreprises.36 Cela a contribué à un désengagement progressif de l’Etat et le renforcement du secteur privé. Ces réformes se sont traduites par l’intégration du pays dans l’économie mondiale à travers la libéralisation de l’économie nationale et les accords de libre-échange, ce qui a aidé le pays à profiter de la délocalisation de quelques industries installées dans la région du nord destinées au marché national comme à l’exportation. Grâce à la relance du secteur privé, à la compétitivité, et à l’engagement de l’Etat dans des programmes de lutte contre la précarité et la pauvreté, on a pu assister à une redistribution de l’emploi et des revenus et par conséquent de réduire quelque peu les déséquilibres régionaux.

En somme, malgré les efforts déployés, le Maroc, connaît de fortes inégalités socio-économiques, créant des ruptures entre la ville et la campagne, et entre le centre et la périphérie du pays, des régions et des villes. Ceci a pour conséquences de créer une différenciation notable dans le cadre de vie des populations et favorise les migrations spatiales37.

35 Etudes réalisées par la Banque Mondiale dans plusieurs pays en développement à partir des données des enquêtes sur les niveaux de vie des ménages.

36 Catusse, Myriam. “L’entrée en politique des entrepreneurs au Maroc: libéralisation économique et réforme de l’ordre politique.” PhD diss., Aix-Marseille 3, 1999.

37 Rachid EL ANSARI «  Dynamique régionale et développement inégal au Maroc  » thèse de doctorat soutenue en 2008 à l’université Paris XII

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LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ET ENJEUX DE LA PARTICIPATION CITOYENNE

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2. Niveaux de vie des ménages et disparités sociales

Certains indices dénotent une amélioration par période du niveau de vie des ménages. Le niveau de la dépense annuelle moyenne par personne a atteint 11 233 DH en 2007, soit une moyenne de 936 DH par mois et par personne38. Comparé au niveau enregistré en 2001 qui était de 8280 DH par personne, cet indicateur s’est accru annuellement de 5,2 % en dirhams courants et de 3,2 % en termes réels si l’on tient compte l’évolution de l’indice du coût de la vie entre ces deux périodes. Ces résultats témoignent d’une nette amélioration du niveau de vie de la population marocaine durant cette période en comparaison avec l’accroissement annuel de la DAMP enregistré entre 1998 et 2001 (2,1 % en dirhams courants et 1 % en termes réels). Ces évolutions ont profité aussi bien aux villes qu’aux campagnes. Le montant annuel moyen de la dépense par personne est passé respectivement de 10624 DH et 5288 DH en 2001 à 13 894 DH et 7777 DH en 2007, soit des taux d’accroissement annuels respectifs de 4,5 % et 6,6 %. Il est à noter que près de 62,7 % des ménages marocains vivent avec une dépense annuelle moyenne par tête inférieure à la moyenne nationale. Par milieu de résidence, cette proportion est de 63,5 % pour les citadins et 56,6 % pour les ruraux. L’analyse de l’évolution de la dépense annuelle moyenne par personne selon le milieu de résidence laisse donc apparaître des disparités spatiales. Toutefois, l’écart entre les deux milieux, urbain et rural, s’est relativement réduit à 1,8 fois en 2007 après une stabilité à 2 fois de 1990 à 2001.

Récemment et selon une étude menée par les experts de la Banque mondiale, la part moyenne du marocain dans le produit intérieur brut (PIB) a suivi une tendance baissière durant les cinq dernières années.39 Le revenu moyen des Marocains a commencé à diminuer à partir de 2011 pour atteindre 2871 dollars en 2015, alors qu’il se situait à 3190 dollars jusqu’en 2014, soit une perte de 319 dollars. La même étude présente des données intéressantes sur le revenu des Marocains qui se situait en 1960 à 164 dollars. La période allant de 2002 à 2008 peut être considérée comme la meilleure. En effet, sous les gouvernements d’El Youssoufi et de Jettou, le revenu a grimpé progressivement de 1413 à 2906 dollars.

38 Enquête nationale sur les revenus et les niveaux de vie des ménages 2006-2007 (rapport de synthèse) (HCP).39 Article paru sur le site info « Les marocain sont de plus en plus pauvre » par Touchkine publié le 7 Aout

2016 à 14H25 consulté le 10 aout 2016 à 11h in http://www.lesiteinfo.com/les-marocains-sont-de-plus-en-plus-pauvres-rapport/

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II. La Gouvernance de l’Etat en matière de social

Malgré les progrès en matière de social, les diagnostics portés sur cette question restent alarmistes sur l’échelle de l’indice du développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en particulier, les scores relatifs à l’éducation40. Selon l’indice multidimensionnel de pauvreté utilisé par le PNUD, 28,5 % des marocains seraient pauvres en 200841, L’analyse des chiffres et les statistiques disponibles sur la pauvreté au Maroc indiquent que la pauvreté n’est pas simplement imputable aux conséquences à court terme du programme d’ajustement structurel au cours des années 2000, elle n’est pas un problème lié à une conjoncture mais devient un problème public.

De même, la question de l’emploi, avec notamment le chômage des jeunes et la participation des femmes, demeure l’un des principaux défis de cohésion sociale et interpelle les politiques publiques en matière d’enrichissement du contenu en emplois de la croissance et concernant l’employabilité, particulièrement celle des jeunes et des femmes. Selon Nourredine El Aoufi les taux de chômage restent élevés42, et nivellent de très fortes disparités entre villes et campagnes, entre régions, entre jeunes et adultes et, enfin, entre hommes et femmes. Ces indicateurs ne rendent pas compte des situations de sous-emploi, d’emploi informel et des formes non salariales de l’emploi.

Dans des tentatives de redresser la situation, le Maroc a mené depuis les années quatre-vingt-dix des politiques sociales et des réformes sur plusieurs axes (emploi, code de travail, dialogue social, régionalisation, gouvernance de l’administration…). L’accent sera mis dans cet article sur les politiques publiques de l’Education, celle du Logement et de la lutte contre la pauvreté. Leur évaluation peut apporter des explications aux entraves pour atteindre les objectifs assignés.

1. Les politiques sociales dans le secteur de l’Education

L’action publique dans le domaine de l’éducation se décline sous forme de réformes. Un regard rétrospectif sur les cinquante-cinq années du Maroc indépendant permet

40 Le Maroc est classé parmi les derniers pays du monde en ce qui concerne l’indice du niveau d’éducation dans les campagnes  : malgré une amélioration de la situation, en 2009, 32 % de la population âgée de plus de 15 ans étaient encore répertoriés comme analphabètes.

41 Catusse, Myriam, and Frédéric Vairel. “Question sociale et développement: les territoires de l’action publique et de la contestation au Maroc.” Politique africaine 4 (2010): 5-23.

42 El Aoufi, Noureddine, and Mohammed Bensaïd. “Chômage et employabilité des jeunes au Maroc.” Cahiers de la stratégie de l’emploi 6 (2005).

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LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ET ENJEUX DE LA PARTICIPATION CITOYENNE

41COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

de dénombrer pas moins de onze réformes ou « tentatives de réformes éducatives »43. En 1999, un consensus se dégage autour de la question de l’éducation. L’éducation est érigée au rang de deuxième priorité nationale après celle de l’intégrité territoriale. La décennie 2000-2009 est proclamée «  Décennie de l’Education-Formation  ». Cette décennie est marquée par l’adoption de la Charte nationale d’éducation et de formation élaborée par la COSEF44. Cette Charte représente la référence de base des actions à mener en matière d’éducation et de formation durant la décennie 2000-2009 et articule une nouvelle vision à l’horizon 2020. Sur les questions d’alphabétisation et de la scolarisation, la Charte considère la lutte contre l’analphabétisme « comme une obligation sociale de l’Etat  ». Elle établit «  comme objectif de réduire le taux global d’analphabétisme à moins de 20 % à l’horizon 2010, pour parvenir à une éradication quasi totale de ce fléau à l’horizon 2015 »45. En ce qui concerne la scolarisation, elle fait assumer à l’Etat l’engagement «  d’assurer la scolarisation à tous les enfants marocains jusqu’à l’âge légal de travail »46 et fixe comme objectif la généralisation de l’enseignement fondamental suivant un échéancier précis :

• Généraliser, à partir de 2002, la scolarisation pour tous les enfants âgés de six ans révolus.

• Généraliser, à l’horizon de 2004, l’inscription en préscolaire.

Ce processus de réformes est consolidé par la mise en place du Conseil supérieur de l’enseignement, institution constitutionnelle prévue par l’article 32 de la Constitution de 199647, confirmée par la Constitution de 201148 sous l’appellation « Conseil supérieur pour l’éducation la formation et la recherche scientifique ». Ce conseil est chargé de poursuivre l’action menée par la COSEF et d’impulser une nouvelle dynamique à sa mise en œuvre. Il dispose de compétences purement consultatives. Il est ainsi « consulté sur les projets de réforme concernant l’éducation et la formation. Il donne son avis sur toutes les questions concernant les secteurs de l’enseignement et de la formation, procède à des évaluations globales du système national de l’éducation et de la formation aux plans institutionnel, pédagogique et de gestion des ressources et veille à l’adéquation

43 Voir Rapport thématique, Systèmes éducatifs, savoir, technologies et innovation, 50 ans de développement humain et perspectives 2025, p. 52, http://www.rdh50.ma/Fr/pdf/rapport_thematique/systeme/rt4systemeoa4104pages.pdf.

44 Commission spéciale éducation-formation désignée en mars 1999 par le roi Hassan II.45 Voir texte de la Charte nationale d’éducation et de formation à l’adresse suivante : http://www.takween.

com/charte-part2.html#levier2.46 Idem.47 Voir Discours du trône du 30 juillet 2004.48 Dahir n° 1-11-91 du 27 chaabane 1432 (29 juillet 2011) portant promulgation du texte de la Constitution.

B.O. n° 5964 du 30-07-2011.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

de ce système à l’environnement économique, social et culturel »49.Certes, des progrès substantiels ont été réalisés, en particulier dans l’élargissement

de l’accès à l’enseignement obligatoire. Cependant, les taux élevés de déperditions et de redoublements à tous les niveaux, les faibles niveaux des acquis des apprentissages de base, ou encore l’inadéquation entre le profil des sortants du système et les besoins du marché du travail constituent des sources d’inquiétude et les indicateurs d’une crise sérieuse du secteur de l’éducation. C’est en réponse à cette crise que s’est mis en place, en septembre 2008, un programme dénommé « Plan d’urgence 2009-2012 »50. Ce programme a été organisé autour des espaces d’intervention identifiés comme prioritaires par le « Rapport sur l’état et les perspectives du système d’éducation et de formation » au titre de l’année 2008, élaboré par le Conseil supérieur de l’enseignement51. Il vise « à consolider ce qui a été réalisé, et procéder aux réajustements qui se posent, en veillant à une application optimale des orientations de la Charte nationale d’éducation et de formation ».

En réponse à la conjoncture actuelle, le projet de réforme «  vision stratégique 2015-2030 », semblerait apporter de nombreuses réformes (enseignement préscolaire obligatoire, une discrimination positive en vue d’élargir l’offre scolaire, combattre la déperdition et l’abandon scolaire…). Mais ce projet est-il à même de remédier aux inégalités produites par un l’enseignement privé et celui qu’offre l’école publique ? Les deux secteurs semblent aller à deux vitesses différentes et produisent par conséquent des inégalités de chances pour les lauréats.

Force est de constater que les réformes jusque-là entreprises dans le secteur de l’éducation n’ont pas pu relever les multiples défis qui entravent le fonctionnement optimal du secteur éducatif. En dépit, et parfois à cause, d’une série de réformes, parfois improvisées et le plus souvent inachevées, le système éducatif est devenu une lourde machine peu rentable, productrice de diplômés mal préparés aux changements et aux exigences de l’économie et de la société moderne. Le système a fini par produire une école, dont les performances se dégradent au fur et à mesure que l’on s’éloigne des centres des grandes agglomérations urbaines52.

49 Voir site du Conseil supérieur de l’enseignement à l’adresse suivante : http://www.cse.ma.50 Voir rapport résumé du « Programme d’urgence » à l’adresse suivante : http://www.men.gov.ma/sites/fr/

PU-space/bib_doc/RESUME_Fr.pdf.51 Le rapport est publié sur le site du Conseil supérieur de l’enseignement à l’adresse suivante : http://www.

cse.ma/admin_files/vol%202Analytique%20VF1.pdf.52 Voir Rapport thématique, Accès aux Services de Base et Considérations Spatiale, 50 ans de développement

humain et perspectives 2025, http://www.rdh50.ma.

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LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ET ENJEUX DE LA PARTICIPATION CITOYENNE

43COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

2. Politiques sociales en matière de logement

Depuis l’indépendance, et parallèlement aux objectifs urbanistiques et esthétiques réalisés dans les villes à travers des politiques d’aménagement urbain, le Maroc a mené des politiques d’habitat social à même de remédier au dysfonctionnement du secteur et de résoudre les problèmes de logement53 accentués par l’exode rural et la prolifération d’habitats anarchiques et de bidonvilles.

Bien avant l’indépendance et après la seconde guerre mondiale, le Maroc a adopté en matière d’habitat, des programmes de logement en grand nombre, tendance qui s’est maintenue au cours des décennies qui se sont suivies. Ces programmes ont concerné des populations en situations diverses, mais réunies par un même objectif public : la résolution des problèmes d’habitat par l’accès à la propriété54. Ce dernier est devenu un « modèle national » auquel les plus démunis continuent à se référer comme seule solution de logement possible. En ce qui concerne la question des bidonvilles, le plus vieil outil utilisé consistait aux déguerpissements partiels, déplacements « provisoires » ou évictions massives.

L’histoire des 50 dernières années55 semble être marquée par un tâtonnement à la recherche de la solution radicale. Dès les années soixante-dix, cependant, la question de l’inadéquation entre les politiques d’habitat social en général et les tenants et aboutissants de la question des bidonvilles est devenue très visible et a fait l’objet de débats critiques. Cette pensée critique nationale a toutefois conduit à l’idée de remplacer les éradications et les « recasements » par des restructurations in situ.

Mise en œuvre dès la fin des années soixante-dix, cette approche fera toutefois l’objet de nombreuses critiques pour être assez rapidement abandonnée, du fait de la convergence de deux positions nourries de références et d’objectifs complètement différents  : celles des architectes et urbanistes, du secteur public comme du privé, relayés par un nombre « d’élites », qui considèrent que la restructuration conduit à une « bidonvillisation  » en dur, à une ville sans qualité et à des effets négatifs durables sur l’avenir des villes  : celles des autorités et de la sécurité nationale qui déplorent les difficultés de quadrillage et de contrôle du tissu urbain en cas de problèmes voire d’insurrection.

La volonté d’un retour à une politique d’éradication, socialement justifiée par un « recasement » distributeur de « lots » va d’abord se déployer dans les villes moyennes

53 Programme de recherche « PRUD », Rapport de synthèse, « L’entre-deux, Des politiques institutionnelles et des dynamiques sociales : Liban, Maroc, Algérie, Mauritanie », CNRS, CITERES, Equipe EMAM (Ex- Laboratoire URBAMA), Tours, Février 2004.

54 Voir programme « PRUD » cité ci-dessus55 Voir Rapport cité ci-dessus.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

avec un certain succès. Par contre, pour les grandes villes, bien que les acteurs publics affichent haut et fort la volonté de faire disparaître de manière définitive ce phénomène que sont les bidonvilles, en totale dissonance avec l’image du développement urbain voulu, les opérations de «  recasement  » rencontrent de nombreux obstacles dont notamment le refus de déplacements par les habitants.

Le bilan des politiques gouvernementales relatives à l’habitat social menées jusqu’à présent soulève des questionnements sur leur impact dans la promotion du secteur et dans la résolution des problèmes de logement qui s’accentuent avec la pression démographique en milieu urbain. Les politiques menées au cours des 50 dernières années n’ont pas, ou peu, accordé d’intérêt aux mécanismes sociaux, économiques et politiques impliqués tant dans la formation des quartiers que dans les tentatives de leur résorption De même, l’information, la concertation ou l’accompagnement social des populations relogés n’avaient pas fait l’objet d’une réelle réflexion qui tient en compte les réalités socio-économiques.

3. Politiques de lutte contre la pauvreté

Amartya Sen conçoit le développement comme liberté56. Les libertés substantielles doivent mettre en œuvre diverses combinaisons de fonctionnement de sorte qu’un ensemble de capacités permettent à l’homme la liberté d’accomplir ses choix, ainsi, on pourra appréhender le développement en l’évaluant par les capacités qu’il a pu créer. En d’autres termes l’homme doit être capable de choisir. L’approche par les capacités, élaborée par Sen, envisage de donner à chaque composante de la qualité de vie son poids dans l’évaluation et qu’au final, elle doit être soumise au débat public. La pauvreté pour Amartya Sen est définie comme une privation des capacités et non seulement un manque de revenus. Sen atteste que la relation entre les faibles revenus et la privation des capacités est une relation intrinsèquement liée.

Partant, les politiques sociales au Maroc en matière de lutte contre la pauvreté ont – elles été pensées dans le sens de doter et développer les capacités chez les catégories démunies ?

L’Initiative Nationale du Développement Humain (INDH) est un axe important à examiner dans les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. La persistance des inégalités et des conditions de vie précaires a conduit au lancement de cette initiative dont l’objectif est de lutter de manière ciblée contre l’exclusion et la pauvreté dans les milieux urbain et rural à travers des programmes ciblant les services

56 De Munck, Jean, and Bénédicte Zimmermann. “La liberté au prisme des capacités: Amartya Sen au-delà du libéralisme.” (2008).

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de base : équipement en eau, électricité, habitat, écoles mais aussi à des actions de proximité. L’importance de ces programmes réside entre autres dans l’implication du tissu associatif au niveau local.

Notons qu’avant cette initiative et aux fins de prendre en charge le volet relatif à la lutte contre la pauvreté, la marginalisation et l’exclusion sociale, le Maroc a créé en 1999, l’Agence de développement social (ADS) avec pour principal rôle l’atténuation des déficits sociaux57. Outre les efforts pour mesurer la pauvreté et comprendre les changements de la pauvreté au Maroc, une série d’études basées sur les données des enquêtes nationales sur le niveau de vie et de la consommation des ménages ont été réalisées pour mieux comprendre les déterminants du bien-être des ménages au Maroc. Ces études ont pu décrire les caractéristiques des populations dont celles pauvres, analyser différents types de comportement des ménages et évaluer leur impact sur le bien-être. Et face aux besoins récurrents de formulation de stratégies locales de réduction de la pauvreté, le Maroc a élaboré trois cartes de pauvreté58 (1994, 2004 et 2007) qui consistent à avoir des indicateurs de pauvreté et d’inégalités à des niveaux géographiques plus fins, à savoir la commune et voire le quartier. Ces cartes ont permis, entre autres, aux décideurs et aux hommes politiques, de cibler leurs stratégies d’intervention.

Un autre axe de la politique de lutte contre la pauvreté est celui de la création de fondations dont notamment la Fondation Mohammed VI pour la solidarité créée en juillet 1999 et le Fonds Hassan II pour le développement économique et social, financées par des canaux exceptionnels : plus exactement, elles renvoient à un mode de gestion privatif de fonds souvent d’origine publique. C’est notamment le cas du Fonds Hassan II qui a bénéficié d’une part importante des recettes publiques de la concession de la deuxième licence de téléphonie GSM en 200159. Depuis leur création, ces deux structures présentées comme des “instances de crise” créées au nom de la solidarité nationale pour faire face à l’insécurité sociale croissante, ont agi en régularisant et contractualisant leur partenariat avec des associations de la “société civile”60. Les associations d’aide au microcrédit y tiennent le haut du pavé pour le premier, les opérations dans le domaine

57 Établissement public jouissant de l’autonomie financière, elle se trouve sous la tutelle du ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité

58 « Carte de la pauvreté communale : RGPH 1994 – ENNVM 1998-99 », juin 2004 « Pauvreté, développement humain et développement social au Maroc : Données cartographiques et statistiques RGPH 2004 », décembre 2005. « Carte de la pauvreté 2007, HCP », janvier 2010.

59 Le « Fonds Hassan II pour le développement économique et social », a été créé par le décret n° 2-00-129 du 16 mars 2000, sous forme de compte d’affectation spéciale du Budget général des recettes additionnelles dégagées au titre de la concession de la deuxième licence GSM.

60 Catusse, Myriam. “Les réinventions du social dans le Maroc “ajusté”.” Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée 105-106 (2005): 175-198.

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de l’habitat pour le second. Il s’y ajoute que ces associations ont également bénéficié de partenariats de longue durée avec des bailleurs de fonds internationaux, quand bien même leurs structures de financement sont généralement extrêmement diversifiées. Chaque année depuis 1998, la Fondation Mohammed V organise sous la “présence effective du Roi”, une campagne nationale de solidarité.

Malgré ces initiatives et selon le rapport annuel (2012) du Conseil Economique, Social et Environnemental61, les retombées de la croissance économique et des politiques de développement social sur le plan de la réduction des disparités sociales et spatiales restent en deçà des attentes, notamment en ce qui concerne les femmes et les jeunes, et en particulier ceux résidant en milieu rural. Il en résulte une reproduction sociale de la pauvreté et un élargissement des inégalités en raison de l’accès inéquitable aux services de base, notamment à l’éducation, et du fait de l’absence d’une approche globale de l’action publique en direction de ces deux catégories.

Dans le rapport du même conseil (2013), le taux de chômage a atteint 36 % pour les jeunes âgés de 15 à 24 ans, 18,2 % pour les titulaires de diplômes et 9,6 % chez les femmes. En 2014 sur le plan social, les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) fixés pour 2015, ont été a atteint l’objectif concernant la réduction de la pauvreté en particulier au niveau de l’accès des populations à l’eau potable, à l’électricité et au logement. Cependant, l’ensemble des OMD ne seront pas réalisés à l’échéance fixée, notamment ceux relatifs à l’éducation et à la santé, à la promotion de l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes.

III. Enjeux de la participation citoyenne

Les fondements sociologiques et philosophiques du sens du « vivre ensemble », du lien social, de la cohésion sociale et de la citoyenneté est un sujet récurent dans les débats publics et surtout politiques62. Cette notion présente une ambigüité certaine par le fait qu’elle se base sur l’analyse de données de la situation ce qui lui confère une légitimité d’une méthode scientifique mais d’autre part elle reste empreinte d’approximation et d’indétermination qui la rend adaptable au choix de politiques publiques63.

61 Le Conseil Economique, Social et Environnemental est une institution constitutionnelle indépendante. Mis en place par Sa Majesté le Roi le 21 février 2011, il assure des missions consultatives auprès du Gouvernement et des deux Chambres du Parlement. Il donne son avis sur les orientations générales de l’économie nationale et du développement durable.

62 Helly, Denise. “Une injonction: appartenir, participer. Le retour de la cohésion sociale et du bon citoyen.” Lien social et Politiques 41 (1999): 35-46.

63 Bernard, Paul. “La cohésion sociale: critique dialectique d’un quasi-concept.”Lien social et Politiques 41 (1999): 47-59.

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LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ET ENJEUX DE LA PARTICIPATION CITOYENNE

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Actuellement, les associations œuvrant dans le domaine de développement économique et social sont appelées à jouer un rôle crucial non seulement sur le terrain, mais aussi au niveau de la production de la décision publique. La consécration constitutionnelle de la démocratie participative permet aux associations intéressées à la chose publique de contribuer à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des décisions des projets des institutions élues et des pouvoirs publics. Ces derniers, affirme l’article 12 de la constitution veillent à l’organisation de cette contribution conformément aux conditions fixées par la loi.

Faire participer la société civile est devenu une démarche stratégique pour une cohésion sociale qui ne peut se construire que sur des valeurs partagées, sur la réduction des inégalités et surtout avoir le sentiment d’appartenance à une collectivité. L’implication et la représentation des différents groupes d’acteurs à travers la participation semblent devenir une voie incontournable pour toute prise de décision et choix de projets sociétaux.

Le contexte d’institutionnalisation progressive de la participation, témoigne certes d’une nouvelle dynamique traversant le champ de l’action publique et impulse une modernité dans les modalités de l’action publique et intègre de nouvelles pratiques64, mais cette dynamique participative telle qu’appliquée serait-elle à même de remplacer l’Etat dans des secteurs cruciaux qui représentent le noyau dur des équilibres sociétaux ?

1. Evolution de la participation

La notion de la participation s’oriente davantage vers l’institutionnalisation et adopte des pratiques managériales. La participation est une notion qui ces derniers temps a été introduite dans modes traditionnels de l’action publique65. L’institutionnalisation progressive des pratiques participatives occupe désormais le centre d’intérêt de l’action publique, qui permet aujourd’hui une interaction à la fois complexe et pragmatique entre l’ordre institutionnel et la dynamique du groupe.

Dans le contexte marocain la participation publique a connu des avancées notoires et prend plusieurs formes. Son côté managérial est manifeste sur plusieurs axes telle la charte communale (2008, révisée en 2009), invitant les communes à mettre en œuvre des Plans communaux de développement (PCD) selon une démarche participative. Elle est également très présente dans les politiques sociales dont l’illustration phare est celle de l’INDH.

64 SAIHI, Mouna, Doctorante en Sociologie, and Paris CERAL. “Les pratiques participatives entre institutionnalisation et fermeture du jeu local.”

65 SAIHI, Mouna op cit

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L’approche participative est devenue un principe de la mise en œuvre des politiques sectorielles. Au niveau local, les Conseils Provinciaux de Développement Humains (CPDH)66 mis en place à cet effet se sont vus conférer un rôle d’accompagnement et de suivi de la programmation des projets au niveau provincial. En concertation avec les instances locales et la société civile, il leur incombe la responsabilité de veiller à ce que ces projets soient mis en œuvre selon une démarche participative.

D’un autre côté, la volonté d’ériger la participation à un rang élevé se manifeste également par le recours à d’autres formes de collaboration et en particulier la contribution des think thanks dans l’élaboration des études «  Exemple de l’étude cinquantenaires de développement au Maroc en 2007 ». Ils sont parties prenantes dans des commissions et conseils (La commission sur la révision de la constitution 2011, la mise en place du Conseil économique et social (CES) en 2011…). Ces groupes de travail ont fait participer des catégories d’acteurs non institutionnels hétérogènes (universitaires, experts, techniciens, acteurs associatifs, représentants de syndicats…). Cette nouvelle approche participative semblerait avoir pour vision d’élargir l’espace de débat public et de concertation, et d’instaurer une nouvelle façon de faire en rapport avec l’ingénierie publique. La diversité des participants peut avoir « du moins en apparence » des effets de légitimation, de démocratisation sur la prise de décision publique, des effets autogestionnaires, ou encore des effets de transparence et d’augmentation de la visibilité des institutions qui la mette en œuvre.

2. Participation et dépolitisation de la question sociale

Si le recours aux modalités de participation pour la coproduction de politiques publiques tend vers une pratique institutionnalisée, la question est celle d’évaluer cette participation en termes d’apport et d’efficacité et mesurer son impact sur les prises de décisions notamment en ce qui concerne les politiques sociales. Le développement du mouvement associatif ces dernières décennies est-il un fait de consécration démocratique ou est-il simplement une politique d’instrumentalisation de la société civile en vue de colmater les fissures sociales qui déstabiliseraient la société  ? Le rôle de l’Etat serait  – il réduit à un État délégant, organisant, arbitrant et orientant “techniquement” ces initiatives et dispositifs collectifs non publics ? En d’autres termes, l’Etat est – il sur la voie d’un désengagement total de l’action sociale ?

Le discours de la cohésion sociale est bien présent dans différentes manifestations politiques culturelles et serait devenu une stratégie étatique pour expliquer les inégalités et antagonismes sociaux. Les clivages sociaux, les politiques sociales seraient devenus

66 Instance de gouvernance au niveau provinciale chargée de la validation des projets INDH

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une matière qui alimente les discours de la classe politique à diverses occasions, mais les programmes adoptés sont-ils d’envergure à même de résorber les déficits sociaux invoqués ?

La réponse à la crise sociale, n’est certainement pas la dépolitisation des enjeux sociaux et le remplacement de la volonté du pouvoir par des actions67 quelle que soit leur dimension menée sous le label de la « participation citoyenne ». Le rôle actif de l’Etat comme agent de régulation des rapports sociaux est essentiel. Ce rôle incombe à l’Etat en tant que producteur des conditions de vivre ensemble ou de la cohésion sociale au sens le plus large incluant la régulation des relations de travail autant que l’organisation de l’Education, de la santé de la protection sociale ou encore les mesures fiscales de compensation des inégalités de revenus de soutien de revenu ou les programmes de lutte contre la pauvreté68.

Il est clair à ce niveau que les formes de solidarité institutionnalisées « associations caritatives, de développement… » ou celles dites « spontanées » ne peuvent à elles seules redresser les problèmes sociaux. L’éducation, le logement, la santé, l’emploi et la lutte contre la pauvreté sont des secteurs clés qui interpellent une vision claire et un financement important qui dépasse les actions ponctuelles et initiatives associatives. Ces secteurs qui sont la locomotive du développement nécessitent des décisions politiques et techniques69 engageant l’Etat en tant que responsable et garant de l’intérêt général et de la cohésion sociale.

3. Rôle du dialogue social dans le maintien de la cohésion sociale

Le dialogue social inclut tous types de négociations, de consultation ou d’échange d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs selon des modalités diverses, sur des questions relatives à la politique économique et sociale présentant un intérêt commun70. Les processus de dialogue social peuvent être informels, institutionnalisés ou associés. L’objectif principal du dialogue social en tant que tel est d’encourager la formation d’un consensus entre les principaux acteurs du monde du travail ainsi que leur participation démocratique. Les structures et les processus d’un dialogue social fécond sont susceptibles de résoudre des questions

67 Bec, Colette. “Assistance et république.” Nous 254 (1994): 120.68 Lesemann, Frédéric. “De l’État-providence à l’État partenaire.” G. Giroux (2001) L’État, la société civile et

l’économie, Presses de l’Université Laval (2001): 13-46.69 Helly, Denise. La légitimité en panne?. Immigration, sécurité, cohésion sociale, nativisme. No. 74. Centre

d’études sur les conflits, 2009.70 Dialogue social tel que définit par l’Organisation Internationale du Travail

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

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économiques et sociales importantes, de promouvoir la bonne gouvernance, de favoriser la paix et la stabilité sociale et de stimuler l’économie.

Partant de cette définition et dans le contexte marocain, plusieurs instances nationales chargées de concertation et de participation professionnelle ont été créées dès l’indépendance pour traiter les problèmes liés au travail et des relations professionnelles. Ces organes assurent le rôle de représentativité de groupes auprès de l’Etat afin de contribuer à travers la négociation, au processus d’élaboration des politiques publiques.

Parmi ces instances, on peut citer les institutions ci-après :Chambres professionnelles (de commerce, d’industrie et des services et celles

agricoles et de pêches maritimes), Conseil de la négociation collective pour l’emploi71 Conseil Supérieur de la Fonction publique, le conseil d’administration de la caisse nationale de la sécurité sociale (CNSS).

Si le dialogue social depuis le gouvernement d’alternance jusqu’à 2011 a constitué une plateforme de négociations et de participation ayant abouti à certaines réformes et acquis sur le plan social, ces dernières années le dialogue se trouve dans une impasse et peu d’avancées ont été enregistrées.

En 2011 et malgré la crise économique mondiale ayant touché plusieurs pays, le dialogue social qui s’est déroulé au Maroc, a pu dépasser cette conjoncture économique critique pour concrétiser des résultats, estimés satisfaisants72. Les événements survenus dans le monde arabe au cours de cette année « printemps arabe », avaient eu inéluctablement un impact considérable sur le bilan de ce dialogue. Il a porté sur l’amélioration du rendement, l’extension et le renforcement de la protection sociale, la promotion des relations interprofessionnelles et les négociations collectives, l’amélioration des conditions de travail, de la santé et de la sécurité professionnelles, ainsi que sur le renforcement de la législation du travail et le respect des libertés syndicales.

Dans ce cadre, l’Etat et ses partenaires sociaux ont procédé à l’adoption d’un ensemble  de mesures qui ont touché, essentiellement la situation financière des salariés  et des fonctionnaires exerçant dans le secteur public73. Ces engagements portent aussi sur l’élaboration d’une loi concernant l’organisation des œuvres sociales, le renforcement de la protection sociale à travers la révision du système juridique relatif aux accidents du travail, aux maladies professionnelles, aux allocations d’invalidité,

71 crée en vertu de l’article 101 du code du travail72 Magazine d’informations de la CGEM, n° 7 - mai 2011. 73 augmentation de 600 DH net des salaires à compter du 1er mai 2011 et du relèvement de la pension

minimale de retraite de 600 à 1000 DH et du quota de promotion interne à 33% en deux étapes (de 28%à 30% à partir de janvier 2011 et de 30% à 33% à partir de janvier2012

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LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ET ENJEUX DE LA PARTICIPATION CITOYENNE

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et le traitement des problématiques liées à la santé et sécurité professionnelles, la médecine du travail, la prévention des risques professionnels, le renforcement de l’accès des fonctionnaires aux autres services sociaux, tels l’habitat, le transport, l’animation et autres, ainsi que la révision globale des statuts de la fonction publique.

Dans le secteur privé, ce round du dialogue social a abouti principalement à la revalorisation du SMIG74.

Ces engagements ont concerné aussi l’unification progressive du salaire minimum dans les secteurs industriels, commercial, agricole et forestier, le relèvement de la pension minimale de retraite versée par la Caisse Nationale de Garantie Sociale, de 600 à 1.000 DH, et la mise en place d’un programme d’habitat social au profit des salariés du secteur privé à revenu limité. Il a été également décidé de revoir la loi de sécurité sociale au profit des assurés ne disposant pas de 3.240 jours déclarés, ainsi que l’élaboration du projet du régime d’indemnité sur la perte d’emploi, en vue de permettre, dans une première étape, aux professionnels du transport titulaires de la carte professionnelle et aux salariés de la pêche côtière artisanale de bénéficier des services de la sécurité sociale.

Il a été convenu également d’accélérer l’harmonisation des législations nationales relatives aux droits et libertés syndicaux avec les conventions internationales y afférentes, avec l’engagement du gouvernement de mettre en place un agenda d’examen et de traitement des litiges sociaux en suspens et de trouver des solutions aux dossiers sectoriels en commun accord avec les centrales syndicales..

Les dialogues sociaux qui ont succédé à celui de 2011 n’ont pas été fructueux malgré quelques avancées mentionnées dans les rapports du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE).

Selon le CESE, les avancées enregistrées au niveau du dialogue entre les partenaires sociaux au cours de l’année 2012, ont consisté principalement à l’établissement d’un accord-cadre régissant la médiation sociale en matière de contentieux du travail. Ces accords ont également permis à la CGEM et aux organisations syndicales de progresser sur trois autres axes  : le dialogue social et la promotion du champ conventionnel, la conformité sociale des relations et des conditions de travail et la promotion de l’emploi et de la compétitivité. Ces accords devaient être un préambule en vue d’instaurer de manière durable les conditions pour la conclusion de grands contrats sociaux favorisant le développement économique et social.

Ces derniers devraient viser l’instauration de la paix sociale sur la base du respect

74 Augmentation progressive de 15% du salaire minimum dans les secteurs industriel, commercial, agricole, forestier et des services, répartie sur deux étapes (10% à partir de juillet2011 et 5% à compter de juillet2012), en tenant compte de la préservation de la compétitivité du secteur de textile et habillement

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de la loi en matière de travail et de protection sociale et à travers l’effectivité des droits individuels et promouvoir la négociation collective et le dialogue social comme méthodes pour concilier la compétitivité de l’appareil de production et le développement du travail décent. Il s’agit de proposer un cadre institutionnel au gouvernement, aux organisations syndicales et patronales pour favoriser la convergence nationale sur de grandes réformes liées à quatre dimensions essentielles : la préservation du pouvoir d’achat des citoyens, la compétitivité des entreprises, la protection sociale, la prévention et à la résolution pacifique des conflits collectifs du travail choses qui n’ont pas été concrétisées lors des années qui ont suivi.

L’évolution du dialogue social en 2013, et toujours selon le rapport du CESE, n’a pas contribué à l’émergence de consensus sur les grandes réformes structurelles et à la relance de la croissance économique. Les accords-cadres, conclus en 2012 entre la CGEM et certains syndicats, régissant la médiation sociale en matière de contentieux du travail n’ont pas été opérationnalisés.

Pour ce qui est du dialogue social relatif à l’année 2014, il a été caractérisé par l’organisation de rencontres entre les partenaires sociaux et le Gouvernement. Néanmoins, ces rencontres n’ont pas abouti à la conclusion d’engagements clairs entre les différentes parties. A ce propos le CESE revient sur la nécessité d’institutionnaliser le dialogue social et à œuvrer pour la conclusion de grands contrats sociaux visant à instaurer les conditions d’une amélioration de la performance économique dans un contexte de cohésion sociale renforcée75.

Conclusion

L’analyse de la question sociale au Maroc est complexe et ambivalente. Le politique, l’économique, le religieux et les valeurs ont façonné son évolution. Les données et informations sur la question malgré leur disponibilité restent éparses et parfois contradictoires. Les données statistiques à elles seules ne peuvent refléter la réalité sociale prévalant dans le pays. La cohésion sociale et le bien être des individus se réfèrent à de nombreux paramètres et restent tributaires d’un ensemble de facteurs.

Les politiques publiques sociales constituent assurément l’une des démarches des pouvoirs publiques. Toutefois la prise de décision concernant les citoyens sans prendre en considération leurs points de vue peut porter atteinte à leurs intérêts et renverser l’objectif initial desdites politiques.

Dans ce cas la participation pour la coproduction de politiques publiques est incontournable mais pose également de nombreux problèmes. L’engagement d’un

75 Rapport du Conseil Economique Social et Environnemental de 2014

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LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ET ENJEUX DE LA PARTICIPATION CITOYENNE

53COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

processus de négociations qui constitue un cadre propice au dialogue et d’interaction pour dégager des compromis et des décisions communes entre tous les acteurs, peut avoir des limites dont la multiplicité des acteurs et la non-convergence des intérêts.

La participation est souvent présentée comme la solution aux déséquilibres sociétaux en s’appuyant sur les prétendues vertus de la société civile par l’intégration de la population dans les programmes de développement. La dimension politique et les enjeux qu’elle sous-tend ne sont pas sans influencer le phénomène participatif qui devient tributaire de divers paramètres. Le degré et le mode de participation peuvent même entacher les processus de légitimation politique et avoir pour conséquences l’apparition de nouveaux clivages sociaux76.

C’est donc le cadre dans lequel interagissent les acteurs qui peut définir la pertinence de la participation citoyenne. Une réelle démocratie semble être le cadre idéal pour que la participation citoyenne ait une plus-value certaine et permette de saisir les problèmes sociaux qui doivent être ciblés par les politiques publiques.

En somme et avant de miser sur la participation de la société civile pour impulser une dynamique sociale, il s’agit d’abord de faire émerger une réelle volonté politique et une mise à niveau des acteurs pour que la participation ait un rôle dans le sens d’un développement harmonieux des populations répondant à leurs besoins réels.

Bibliographie

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• Catusse, Myriam. “L’entrée en politique des entrepreneurs au Maroc  : libéralisation économique et réforme de l’ordre politique.” PhD diss., Aix Marseille 3, 1999.

• Catusse, Myriam. “Les réinventions du social dans le Maroc “ajusté”.” Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée 105-106 (2005)

76 Bono, Irene. Le” phénomène participatif” au Maroc à travers ses styles d’action et ses normes. Centre d’études et de recherches internationales, 2010.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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• Ezzrari Jawad thèse de doctorat «  la pauvreté au Maroc  : approches, déterminants, dynamique et stratégies de réduction » 2011

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• Lesemann, Frédéric. “De l’État-providence à l’État partenaire.” G. Giroux (2001) L’État, la société civile et l’économie, Presses de l’Université Laval (2001)

• Rapport du Conseil Economique Social et Environnemental de 2011, 2012, 2013, et 2014

• Rachid El Ansari « Dynamique régionale et développement inégal au Maroc » thèse de doctorat soutenue en 2008 à l’université Paris XII

• Saihi, Mouna, Doctorante en Sociologie, and Paris CERAL. “Les pratiques participatives entre institutionnalisation et fermeture du jeu local.”

• Vulbeau, Alain. “Contrepoint-Cohésion sociale et politique sociale.”Informations sociales 1 (2010)

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Chapitre 4 : L’Entrepreneuriat Social :un levier pour la cohésion sociale

Hamid Ait Lemqeddem,Eenseignant-chercheur, Ecole Nationale de Commerce et de Gestion ; Kenitra

Problématique

En quoi les entrepreneurs sociaux participent à la cohésion sociale ?

Résumé

L’entrepreneuriat social peut être défini comme toute création d’activité à finalité sociale et durable, à but lucratif ou non lucratif grâce à l’investissement social et la gouvernance participative. L’objectif principal étant de privilégier la création de valeur sociale et collective plutôt que la valeur financière et l’enrichissement des individus.

L’entrepreneuriat social, sous de multiples formes institutionnelles (entreprise, association, mutuelle, coopérative, etc.), est une force de changement et de cohésion sociale.

Notre contribution a donc comme objectif d’identifier la participation de l’entrepreneur social dans la cohésion sociale. Nous présenterons ainsi en première partie une revue de littérature sur l’entrepreneuriat social afin de bien définir le cadre et l’étendue de son fonctionnement.

En deuxième partie, nous essayons d’identifier la corrélation entre l’entrepreneuriat social et la cohésion sociale. Quel est le rôle des institutions sociales, quelle qu’en soit la nature, dans la production de la richesse ? Lesquelles débouchent sur des innovations sociales qui contribuent à l’amélioration du bien-être social.

Mots-Clés :Entrepreneuriat, cohésion, social

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Introduction

La récente crise mondiale a avivé, dans l’opinion publique, l’intérêt pour l’entrepreneuriat, et pour l’entrepreneuriat social en particulier, considéré comme un moteur essentiel de la reprise économique et de la croissance de l’emploi. Dans un récent sondage réalisé par Opinion Way pour Convergences 2015, une large majorité de citoyens (plus de 70 %) reconnaît l’utilité de l’entrepreneuriat social pour répondre aux problèmes sociaux et environnementaux, aux carences des services publics et pour élever le niveau d’éthique du monde de l’entreprise77.

Répondre aux besoins sociaux non satisfaits revêt une exigence particulière au moment où nos modèles économiques et sociaux sont mis à mal par les secousses de la crise.

Il existe une formidable inventivité de la part des citoyens, des acteurs de la société civile et des entreprises qui ne demande qu’un peu de terreau favorable pour grandir, se développer et apporter des réponses significatives aux principaux enjeux sociétaux : paupérisation accrue de la population, limitation des ressources en énergie, suppression des services publics en milieu rural, vieillissement de population, isolement des personnes âgées, demande accrue pour une alimentation bio…

Ces enjeux se traduisent par des besoins de solutions innovantes en matière d’énergie, d’hébergement, de mobilité… Sur tous ces sujets et bien d’autres, l’imagination collective est indispensable pour faire émerger de nouvelles réponses dans un contexte de raréfaction des financements publics.

Le bénéfice attendu du dynamisme entrepreneurial apparaît également comme un moyen pour les chômeurs de créer leur propre emploi. L’entrepreneuriat social en est un chantier à explorer.

I. Approche de l’entrepreneuriat social

Il n’existe pas de définition établie de l’entrepreneuriat social, bien que de plus en plus de recherches s’intéressent au sujet. Des définitions existantes, on peut extraire plusieurs caractéristiques communes :

• la prise en compte d’un besoin social ;• l’innovation des solutions proposées ; en lien avec la démarche entrepreneuriale,

qui consiste à innover et à apporter « de nouvelles combinaisons dans le processus de production » ;

77 L’entrepreneuriat social, Volet 1, Mythes et réalités en comparaison internationale, Centre d’Analyse Stratégique, Note d’Analyse n° 296, octobre 2012

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L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL : UN LEVIER POUR LA COHÉSION SOCIALE

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• l’objectif du développement social qui l’emporte sur le développement économique.L’entrepreneuriat social est une notion jeune qui a émergé dans les années

quatre-vingt dans les pays anglo-saxons dans un contexte de transformation de l’Etat Providence.

Il est réellement apparu dans les années quatre-vingt-dix des deux côtés de l’Atlantique :

Aux Etats-Unis, avec notamment la « Social Enterprise Initiative », programme de recherche et d’enseignement lancé en 1993 par la Harvard Business School. Cette pionnière a ensuite été suivie par d’autres grandes universités (Columbia, Yale…) et plusieurs fondations qui mettent sur pied des programmes de formation et de soutien aux entrepreneurs sociaux.

En Europe, l’entrepreneuriat social fait son apparition au début des années 1990 au cœur même de l’économie sociale sous une impulsion italienne. En 1991, l’Italie créé en effet un statut spécifique « d’entreprise sociale » qui se développe fortement pour répondre à des besoins non ou mal satisfaits par les services publics.

De nouvelles dynamiques entrepreneuriales à finalité sociale ont émergé à partir de cette période dans d’autres pays européens (Espagne, Belgique, Royaume Uni, certains pays d’Europe Centrale, Finlande, France…)  : dans onze pays, un cadrage, voire des statuts juridiques ont été institués pour reconnaître la possibilité de déployer une activité économique tout en poursuivant une finalité sociale78. Cette notion connaît également un vrai succès, symbolisé par le Prix Nobel de la paix 2006 attribué à Mohamed Yunus, inventeur et fondateur de la Grameen Bank au Bangladesh, utilisant le microcrédit pour la création d’activités économiques comme un moyen efficace pour combattre la pauvreté. Des entreprises sociales se développent aussi en Amérique Latine, au Mexique soutenu par des politiques et des financements publics. Une revue de littérature permettra de bien démystifier le concept « Entrepreneuriat social ».

1. Revue de littérature sur l’entrepreneuriat social

Johnson (2000), estime que l’entrepreneuriat social fait éclater les frontières traditionnelles entre le secteur public, le privé et le non-lucratif et met en avant des modèles hybrides d’activités lucratives et non lucratives.

Defourny (2004) évoque même la notion de nouvel entrepreneuriat social. Plus récemment, Townsend et Hart (2008) déclarent que l’entrepreneuriat émerge comme une approche commune visant à répondre aux besoins sociaux. Toutefois les créateurs

78 - Approche européennes et américaines de l’entreprise sociale : une perspective comparative, DEFOURNY, NYSSENS Marthe, in RECMA, page 21

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

s’organisent tout aussi bien sous une forme lucrative ou non lucrative afin de s’engager vers des activités relativement similaires.

De son côté, Boutillier (2009), en définissant l’entrepreneur, déclare que les mobiles humains ne sont jamais strictement individuels, mais s’inscrivent toujours dans une réalité sociale et historique. En d’autres termes, l’entrepreneur investit dans tel ou tel secteur d’activité parce que l’état de l’économie, de la société, des sciences et des techniques le lui permet, en apportant ainsi des solutions aux problèmes posés. Dans ces conditions, créer par exemple une association pour défendre une cause environnementale est une décision qui s’inscrit dans une société pour qui la protection de l’environnement est devenue un sujet de première importance, via la mise en place depuis plusieurs années des mesures de politiques publiques relatives au développement durable.

L’auteur se réfère aux travaux de Shane (2003)  ; celui-ci développe une analyse combinatoire entre les travaux de Schumpeter (1935, 1939, 1974) sur le rôle de l’entrepreneur en matière d’innovation et ceux de Kirzner sur la capacité de l’entrepreneur à saisir les opportunités d’investissement.

L’entrepreneur ne s’inscrit pas dans un vide social, il répond à un ensemble de questions qui relèvent du contexte social et économique dans lequel il est inséré. Dans ces conditions, tout entrepreneur devient social à partir du moment où les innovations dont il est l’auteur s’inscrivent dans un contexte social donné, parce qu’il répond à un besoin social et produit de l’utilité sociale.

Pour Dees79, l’entrepreneuriat social constitue une réponse à l’échec des pouvoirs publics et des organisations charitables dans la prise en charge des problèmes sociaux : « les institutions majeures du secteur social sont souvent considérées comme inefficaces, incompétentes et sclérosées. Des entrepreneurs sociaux sont nécessaires pour développer de nouveaux modèles pour un nouveau siècle » (2001, p. 1). L’entrepreneuriat social a alors pour but de modifier la manière de fonctionner dans le secteur social. Ceci passe par une appréhension différente des problèmes sociaux de façon à imaginer des solutions nouvelles.

Ainsi pour Dees les entrepreneurs sociaux « s’attaquent aux causes sous-jacentes des problèmes plutôt de simplement traiter les symptômes. Ils réduisent souvent les besoins plutôt que juste les satisfaire. Ils cherchent à créer des changements systémiques et des améliorations durables » (2001, p. 4). De plus, l’innovation doit être permanente, au sens où l’entrepreneur social doit constamment être en veille pour saisir les éventuelles opportunités qui lui permettraient d’améliorer encore l’efficacité

79 -Dees J.G. (2001), “The Meaning of social entrepreneurship” (1ère version 1998). Disponible sur : http://www.caseatduke.org/documents/dees_sedef.pdf. Consulté le 09 /12/ 2016 à 22 Heures.

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L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL : UN LEVIER POUR LA COHÉSION SOCIALE

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de son action. Dees souligne ainsi « qu’il ne s’agit pas de faire preuve de créativité une fois pour toutes. C’est un processus continu d’exploration, d’apprentissage et d’amélioration » (2001, p. 4) pour assurer à l’entrepreneuriat social la place qu’il mérite.

2. La place de l’entrepreneuriat social

L’entrepreneuriat social constitue un véritable mouvement de fond, appelé à durer et à s’amplifier. Ce mouvement connaît d’importantes évolutions.

a. La décentralisation des politiques publiques

Ce phénomène marque une redistribution des pouvoirs entre l’Etat et les collectivités locales avec comme objectifs une meilleure efficacité de l’action publique et le développement d’une démocratie de proximité.

L’action sociale et le développement économique local sont des axes forts de la décentralisation qui constitue un facteur de développement de l’entrepreneuriat social, souvent issu d’initiatives citoyennes spontanées et enracinées localement.

b. De nouvelles attentes de consommation

Le consommateur s’affirme consom’acteur par le choix de produits plus respectueux de l’homme, de sa dignité, de sa santé et de son environnement. Les alternatives qui en découlent depuis l’agriculture biologique jusqu’au commerce équitable en passant par l’insertion, progressent rapidement et bénéficient d’une réelle notoriété auprès du grand public. L’enjeu de la consommation responsable intéresse également les pouvoirs publics et les entreprises privées.

Par le biais de leurs achats, ces deux acteurs jouent un rôle économique moteur de tout premier ordre. On peut citer en exemple l’initiative « Territoires de commerce équitable » qui récompense les territoires montrant leur engagement dans une véritable démarche de progrès pour stimuler le développement de l’offre de produits équitables mais aussi favoriser leur accessibilité.

c. Une envie de travailler autrement en donnant « plus de sens au travail »

Jeunes diplômés, cadres de grands groupes, entrepreneurs du secteur marchand, militants… autant d’actifs en quête d’une forme d’entrepreneuriat visant à agir pour changer concrètement les choses, à faire bouger les lignes  : un entrepreneuriat qui « n’étouffe pas sous un carcan hiérarchique, mais favorise l’autonomie et fait participer

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ses salariés à la gouvernance ; qui ne se résume pas à un simple job alimentaire, mais à un projet ayant du sens et porteur de valeurs »80. L’entrepreneuriat social maintien des relations étroites avec les institutions.

3. Relations entre l’entrepreneuriat social et les institutions

L’entrepreneuriat social par sa finalité et les valeurs qu’il défend, peut entretenir des relations privilégiées avec les pouvoirs publics. Cependant, une dérive est pointée du doigt par des observateurs : le désengagement de l’Etat au profit des entrepreneurs sociaux. En cause  : la baisse du nombre de fonctionnaires et une situation de crise, qui donne l’image d’un Etat impuissant à régler les problèmes sociaux. On constate un brouillage des frontières entre secteur privé et public. Pourtant, l’intervention des entreprises sociales dans des missions de service public n’est pas à diaboliser. Il faut considérer ce que les entreprises sociales peuvent apporter à la collectivité, notamment au niveau des réductions des dépenses publiques. Une étude du cabinet Mc Kinsey, qui a analysé dix entreprises sociales françaises, a chiffré à plus de 5 milliards d’euros par an les volumes d’économies générées pour la collectivité81. De plus, la forte intégration territoriale des entreprises sociales en outre d’assurer leur stabilité fait d’elles des acteurs de terrain plus à même de répondre aux problématiques sociales d’une population donnée. Une collaboration étroite entre les collectivités locales et les entreprises sociales paraît nécessaire pour mener une action efficace.

Il n’existe pas encore de statistiques sur l’entrepreneuriat social. Cette absence s’explique notamment par la difficulté d’aboutir à une définition de l’entreprise sociale partagée par l’ensemble des acteurs concernés et par l’inadéquation du système statistique en vigueur.

Les seules données qui sont aujourd’hui disponibles sont celles de l’économie sociale et solidaire (ESS) produites par l’Observatoire national de l’ESS. Ces statistiques révèlent l’importance croissante de cette « autre économie ».

En France, l’économie sociale représente entre 7 % et 8 % du PIB et emploie un salarié sur dix82. Le secteur est composé d’un ensemble diversifié d’entreprises, de l’entreprise émergente au très grand groupe et des PME de taille souvent plus importante que dans l’économie classique. Compte tenu des caractéristiques moyennes

80 - Baromètre (2011) de l’entrepreneuriat social, Ashoka, 1ère édition, interview de Nicolas Hazard, Comptoir de l’Innovation, Groupe SOS

81 - MATHIEU Marika. Les clés pour mesurer l’impact social d’une entreprise [en ligne]. L ’ E x p r e s s , 15/11/2012. 3 pages. Disponible sur : http://www.lexpress.fr/emploicarriere/emploi/les-cles-pour-mesurer-l-impact-social_1187642.html (consulté le 04/06/2016).

82 - Rapport sur l’économie sociale et solidaire, Francis Vercamer, 2010

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L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL : UN LEVIER POUR LA COHÉSION SOCIALE

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de l’ESS (les secteurs d’activité couverts, les métiers occupés, le pourcentage d’emplois à temps partiel), les associations tiennent une place particulière dans l’ESS. L’INSEE souligne « qu’avec 1,7 million de salariés, les associations sont le principal employeur de ce secteur ». Les trois quarts des salariés de l’économie sociale travaillent au sein d’associations, pour un total de 7,6 % de l’emploi salarié total (privé et public).

Nous allons maintenant démystifier le concept « la cohésion sociale » pour ensuite analyser l’utilité et le défi de l’entrepreneuriat social pour cette cohésion sociale.

II. Cohésion sociale, quels défis pour l’entrepreneur social ?

Bien que la notion de la cohésion sociale semble rarement définie et quelque peu imprécise, il n’en demeure pas moins que cette notion est de plus en plus évoquée et se trouve au centre du débat. Nous examinons, pour l’instant, la définition de la cohésion sociale retenue par Judith Maxwell83, la dimension sociétale de l’analyse en ressort clairement (1996, p. 13) :

La cohésion sociale se construit sur les valeurs partagées et un discours commun, la réduction des écarts de richesse et de revenu. De façon générale, les gens doivent avoir l’impression qu’ils participent à une entreprise commune, qu’ils ont les mêmes défis à relever et qu’ils font partie de la même collectivité.

L’expression “cohésion sociale” désigne l’état d’une société, d’un groupe ou d’une organisation où la solidarité est forte et les liens sociaux intenses. L’expression “cohésion sociale” a été utilisée pour la première fois en 1893 par le sociologue Emile Durkheim (1858-1917) dans son ouvrage “De la division du travail social” pour décrire le bon fonctionnement d’une société où se manifestent la solidarité entre individus et la conscience collective :

“Nous sommes ainsi conduits à reconnaître une nouvelle raison qui fait de la division du travail une source de cohésion sociale. Elle ne rend pas seulement les individus solidaires, comme nous l’avons dit jusqu’ici, parce qu’elle limite l’activité de chacun, mais encore parce qu’elle l’augmente. Elle accroît l’unité de l’organisme, par cela seul qu’elle en accroît la vie ; du moins, à l’état normal, elle ne produit pas un de ces effets sans l’autre.”

La cohésion sociale favorise l’intégration des individus, leur attachement au groupe et leur participation à la vie sociale. Les membres partagent un même ensemble de

83 - Maxwell, Judith (1996), Social Dimensions of Economic Growth, Conférences commémoratives Eric John Hanson, volume VIII, Université de l’Alberta.

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valeurs et des règles de vie qui sont acceptées par chacun.L’expression “cohésion sociale” est souvent employée pour mettre en avant le volet

social d’une politique sans qu’il y ait la volonté de lutter contre les inégalités. L’action politique, lorsqu’elle s’inscrit dans le conservatisme ou le réformisme, conduit alors à un refus du changement social au profit de la pacification et du contrôle social. Elle s’oppose en cela à la conception marxiste de la lutte des classes.

Pour le Conseil de l’Europe  : “La cohésion sociale est la capacité d’une société à assurer le bien-être de tous ses membres, en réduisant les disparités et en évitant la marginalisation.”

Néanmoins, il existe une corrélation entre l’emploi du concept de cohésion sociale et la notion selon laquelle le moment actuel de l’histoire en est un de défis suscités par des changements technologiques, économiques et sociaux (Patrimoine canadien, 1995). Une gamme de tendances récentes, a pour effet de transformer les économies et les sociétés de nombreux pays, notamment celles des démocraties libérales économiquement avancées, cette ambition embrasse bien l’étendue des enjeux de la cohésion sociale, qui, outre la problématique des inégalités de revenus, interpelle également sur la question de l’accès aux droits sociaux. Ces aspects sont clairement identifiés par l’UE dans les conditions qu’elle donne à la cohésion sociale :

1) l’accès équitable aux ressources disponibles ;2) le respect de la dignité dans la diversité ;3) l’autonomie personnelle et collective et ;4) la participation responsable des individus. Parce qu’ils posent des questions

d’accès aux ressources, d’autonomie et de participation, les enjeux de santé sont au cœur de ces problématiques.

La cohésion sociale est menacée par la forme nouvelle du capitalisme financier qui, depuis 30 ans, montre la face brillante d’innovations exceptionnelles dans les technologies de l’information, mais aussi la face sombre de la poursuite de profits extravagants à court terme, de rémunérations abusives, de creusement des inégalités entre personnes et entre territoires.

Tout poison suscite son antidote. L’antidote du spéculateur est l’entrepreneur social. Celui-ci contribue à la sauvegarde de la cohésion sociale de deux façons :

En premier lieu, il conjugue les valeurs de l’entrepreneuriat et celles de l’humanisme. C’est un vrai entrepreneur qui doit innover, investir à long terme, recruter et motiver son personnel pour se faire une place sur des marchés sans pitié. C’est un homme ou une femme de caractère et d’intelligence, pétri de prudence et d’audace, qui doit prendre tous les jours des décisions lourdes qui engagent l’avenir de l’entreprise collective. C’est aussi un humaniste, qui

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ne considère pas les salariés comme des numéros ou comme des charges qu’il faut à tout prix alléger, mais comme des talents à faire fructifier. Surtout si ces personnes embauchées sont victimes de handicaps. L’humanisme consiste aussi à se tourner vers des clients moins solvables que dédaignent les entreprises à but exclusivement lucratif, et à se lancer dans des activités risquées de recyclage, de protection de l’environnement ou à anticiper la transition énergétique.

Deuxième terrain privilégié par les entrepreneurs sociaux : les territoires en difficulté, zones manufacturières en déshérence, zones périurbaines en tensions, zones rurales en désertification. La logique du système économique et géographique dominant est de concentrer la population et les fonctions de direction et de recherche dans les métropoles et de laisser s’appauvrir les petites villes et les campagnes. Des entrepreneurs sociaux, individuels ou collectifs, recréent de l’activité non délocalisable dans «  l’économie territoriale », qui retrouve ainsi un second souffle aux côtés de l’« économie mondiale  » des grandes firmes, dont les sièges sociaux et les laboratoires sont concentrés dans les métropoles.

Les entrepreneurs sociaux sont donc les éclaireurs du développement durable, économique, social et écologique, ainsi que du rééquilibre territorial. Leur nombre est malheureusement insuffisant, même s’il est croissant. Qui peut agir pour en multiplier les effectifs ? En France, mais aussi en Europe et au Québec, les initiatives sont déjà vigoureuses mais pourraient être plus amples. Posons trois défis :

• Régions, départements et métropoles multiplient les programmes d’appui aux entrepreneurs sociaux, parce qu’ils sont des créateurs d’emplois non délocalisables et parce qu’ils ciblent des zones ou des populations sensibles ;

• Les collectivités doivent contribuer à l’accompagnement et le financement des entrepreneurs sociaux ;

• Bien évidemment, l’entrepreneuriat social va gagner plus de place dans la sphère économique pour assurer la coordination entre la société civile, les pouvoirs publics, et marché et enfin de compte renforcer la cohésion sociale des citoyens et de lui servir de levier de croissance.

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III. L’entrepreneuriat social, levier de la cohésion sociale

L’entrepreneuriat social a pour principale vocation, outre la création d’entreprise, la réponse à des besoins sociaux, non encore satisfaits par l’Etat et/ou par le secteur marchand (Thompson, 2002  ; Alvord et al, 2004). A l’encontre d’une économie marchande et capitaliste qui plaide pour la réalisation d’objectifs strictement financiers, l’entrepreneuriat social s’inscrit dans une logique solidaire, se donnant pour priorité la cohésion sociale.

1. La multi-dimensionnalité de l’entrepreneuriat social

Mort et al (2002) avancent que l’entrepreneuriat social est un construit multidimensionnel qui comprend l’expression d’un comportement entrepreneurial afin d’accomplir une mission sociale. Il désigne, en outre, l’aptitude à reconnaitre la valeur sociale via la création d’opportunités et la détention de caractéristiques clés de prise de décision axées sur l’innovation, la proactivité et la prise de risque.

Selon Martin et Osberg (2007), l’entrepreneuriat social comprend trois éléments fondamentaux :

• l’identification d’un équilibre stable mais injuste qui exclut, marginalise ou cause de la souffrance à un groupe qui n’a pas les moyens de transformer l’équilibre ;

• l’identification d’une opportunité et le développement d’une valeur sociale nouvelle proposée afin de défier l’équilibre ;

• le développement d’un nouvel équilibre stable afin d’alléger la souffrance du groupe visé à travers l’imitation et la création d’un écosystème stable autour du nouvel équilibre afin d’assurer un meilleur futur pour le groupe et la société.

Ayant présenté cette multi-dimensionnalité de l’entrepreneuriat social, nous pouvons donc mettre en avant que ce concept renvoie à l’existence de deux éléments fondamentaux :

• la découverte et l’exploitation d’opportunités d’affaires, via la recension de problèmes nouveaux, non encore explorés ou comblés par les organisations traditionnelles ;

• la création de valeur sociale aux individus en difficulté.Plaidant pour un développement durable, respectueux des droits de l’Homme et

soucieux d’un usage raisonné des ressources, l’entrepreneuriat social renvoie au traitement des problèmes sociaux de nature complexe. Le chômage, les crimes, les problèmes d’accoutumance à la drogue, la pauvreté, l’exclusion sociale… sont autant

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d’externalités négatives causées par des activités commercialement légitimes ou illégitimes et appelant donc, à la mise au point de solutions et mécanismes innovateurs (Johnson, 2000). L’entrepreneuriat social, visant à catalyser un changement social en pourvoyant aux besoins humains basiques d’une manière durable, pourrait de ce fait constituer un levier fondamental à la cohésion sociale.

Il faut donc dépasser les logiques de dons, de l’assistanat et de la charité, en créant des fondations entreprises gérées comme des start up, ce qui permettra sûrement de créer de la richesse et d’intégrer les sans-emplois dans le monde du travail toute en établissant une synergie entre la société civile ; les pouvoirs publics et le marché.

2. L’entrepreneuriat social entre société civile, pouvoirs publics, et marché

L’entrepreneuriat social peut être vu comme le fruit d’un engagement citoyen, il peut également être à l’origine d’un élargissement du rayonnement de l’implication citoyenne84  : créatrices de capital social, les entreprises sociales contribuent au renforcement de la cohésion sociale et encouragent le développement des participations citoyennes, notamment par la promotion de la solidarité dans une logique de proximité. Toujours dans l’optique de montrer que l’entrepreneuriat social est supporté par la société civile, on constate également que des groupes organisés se sont peu à peu mis en place en son sein pour accompagner et renforcer les démarches des entrepreneurs sociaux, ainsi que pour promouvoir l’entrepreneuriat social.

Par ailleurs, l’intérêt grandissant pour l’entrepreneuriat social est également perceptible dans la sphère académique : des universités et grandes écoles développent des programmes destinés à former les entrepreneurs sociaux de demain, et les recherches universitaires effectuées dans ce domaine se multiplient depuis les années 200085.

On peut considérer que l’entrepreneuriat social est également supporté avec ferveur par les pouvoirs publics, ces derniers percevant le potentiel du secteur, qui plus est en ces temps de crises.

Les entreprises sociales s’intègrent par leur contribution au développement économique local et à la création d’emplois très peu délocalisables ; elles sont aussi perçues comme relayant efficacement l’Etat dans la prise en charge des besoins sociaux

84 - Site web du centre d’économie sociale de l’université de Liège, Entreprise sociale et capital social : http://www.ces.ulg.ac.be/fr_FR/services/cles/notes-de-synthese/le-capital-social/entreprise-sociale-et-capital-social. Consulté le 08/12/ 2016 à 10 Heure.

85 - L. HULGARD, Discourses of social entrepreneurship – Variations of the same theme? EMES, WP no. 10/01, 2010

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qui émergent et se renforcent. Créatrices de valeurs économiques, sociale, culturelle, leur capacité à innover est très valorisée car elle pourra servir de base de réflexion et contribuer à influencer l’environnement institutionnel (politiques publiques, institutions).

Les pouvoirs publics s’attacheront donc à encourager le développement de ces entreprises sociales : on note ainsi plusieurs mesures phares soutenant l’entrepreneuriat social dans différents pays : aux Etats-Unis, le Social Innovation Fund (SIF) voit le jour en 2009 ; le Royaume-Uni lance le Coalition for Social Entreprise en 2002, puis l’initiative Big Society en 2010, pour encourager le développement des entreprises sociales, par des avantages fiscaux ou la création d’institutions financières. Dans le reste de l’Europe, l’Initiative pour l’Entrepreneuriat Social lancée par la Commission Européenne en 2011 traduit l’importance accrue que la Communauté accorde au phénomène.

Au sens large, l’idée de l’entrepreneuriat social, c’est l’idée de créer de la richesse et de placer l’efficacité économique au service de l’intérêt général. Dans un contexte où nos concitoyens ont un regard désabusé et critique sur l’économie capitaliste qui, selon eux, serait synonyme de lucre, de spéculation, l’entrepreneuriat social représente un espace de respiration pour un public non solvable et pauvre et propose des alternatives dans lesquelles les vertus du partage des gains et de pouvoir sont mises à l’honneur.

Au Maroc, les entreprises sociales restent amplement sous-développées. Elles prennent souvent la forme d’une ONG. Si ces organisations ont le vent en poupe, la plupart d’entre elles affichent des moyens limités ; leurs revenus proviennent de la générosité qui s’exprime particulièrement par les dons. Quand les méthodes traditionnelles ne permettent pas de faire face aux problèmes sociétaux, on invente alors un nouveau dispositif tel que l’Entrepreneuriat Social (ES) qui est à la pointe de l’innovation sociale. Ainsi, des efforts pour lutter contre les facteurs multidimensionnels de l’exclusion ont été faits, tels que l’adoption de l’Initiative Nationale de Développement Humain (INDH), les stratégies sectorielles (Tourisme 2020, Artisanat 2020, Maroc vert, etc.), et les programmes d’auto emploi à l’instar de Moukawalati.

Un financement hybride, caractérisé par la nature composite des ressources de l’entreprise sociale, constituerait le moyen de résister aux tendances contemporaines des organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS) à dériver dans l’isomorphisme institutionnel, phénomène qui les amènerait à se défaire de leur finalité sociale et à perdre leur mode d’organisation spécifique. Il conviendrait alors d’articuler ressources marchandes (ventes de biens et de services), non-marchandes (établissement de conventions avec les collectivités publiques), et volontaires (bénévolat, etc.). Dans cette idée, la « chaîne de valeur hybride » (« Hybrid Value Chain », HVC) permettrait de faciliter les collaborations entre entrepreneurs sociaux, entreprises et pouvoirs publics pour promouvoir l’innovation sociale.

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3. L’entrepreneuriat social, une conception spécifique de l’innovation sociale

Bien qu’il n’existe pas de définition officielle ayant fait consensus, on pourrait décrire l’innovation sociale à la fois comme un processus et un résultat86, aboutissant à la mise en place de nouvelles approches, de nouvelles pratiques ou de nouveaux produits, dans l’optique de prévenir, d’améliorer ou de résoudre un problème social non ou mal satisfait87. À cet effet, l’innovation sociale est originale dans son intentionnalité, dans le sens où elle vise à provoquer un changement social ; mais elle l’est aussi dans ses modalités, du fait qu’elle découle de nouveaux arrangements et modes de participation, fruits de collaborations ou de coopérations entre acteurs de la société.

Ainsi, l’innovation sociale s’inscrit généralement dans une logique de proximité particulière, à savoir une proximité territoriale, mais également de dialogue et de valeurs. L’innovation sociale à travers l’entrepreneuriat social émane donc de la société civile, qui par ce biais renforce son inscription dans la société et participe à l’orientation du développement au niveau local.

Cette approche reconnaît l’innovation sociale comme un «  système territorialisé, inclusif et participatif » ; si c’est celle-ci que nous retiendrons ici, on pourra cependant énoncer deux autres conceptions de l’innovation sociale. D’une part, elle peut être vue comme un outil de modernisation des politiques publiques, où l’expérimentation sociale sera valorisée par les pouvoirs publics, qui partiront de cette base pour identifier et diffuser les « bonnes pratiques ». D’autre part, elle peut aussi faire référence à l’individu entrepreneur producteur d’innovations sociales et acteur du changement.

L’innovation sociale peut être un des leviers clés pour développer la création d’activité, l’emploi, la cohésion sociale et répondre aux nouveaux besoins sociaux. Elle peut aussi être un levier pour faire changer d’échelle les politiques d’économie sociale et solidaire. Les politiques publiques ont un rôle essentiel à jouer pour créer un écosystème favorable à l’émergence d’innovations sociales, par des mesures législatives, budgétaires, fiscales. Plusieurs raisons de soutenir l’innovation sociale apparaissent dans le contexte actuel. L’insistance sur l’innovation sociale comme caractéristique essentielle de l’entrepreneuriat social provient de l’article pionnier de Dees (2001)88 Sa définition met en effet l’accent sur le fait qu’il s’agit d’impulser une dynamique de changement.

86 - L’Économie sociale de A à Z, Alternatives Economiques Poche n°38, mars 200987 - M. J. BOUCHARD, L’innovation sociale en économie sociales, Cahier de la Chaire de recherche du

Canada en économie sociale, no R-2006-01, février 200688 - DEES J.G. (2001), “The Meaning of social entrepreneurship” (1ère version 1998). Disponible sur : http://

www.caseatduke.org/documents/dees_sedef.pdf. Le 09 /12/ 2016 à 22 Heures.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

«  Les entrepreneurs sociaux jouent le rôle de vecteurs du changement dans le secteur social :

en adoptant une mission pour créer une valeur sociale (pas seulement une valeur privée) ; en repérant et poursuivant inlassablement de nouvelles opportunités pour servir cette mission ; en s’engageant dans un processus continu d’innovation, d’adaptation et d’apprentissage ; en agissant résolument sans être limité par les ressources disponibles dans l’immédiat et en affichant un niveau de responsabilité élevée envers les parties intéressées quant aux résultats obtenus » (2001, p. 4).

L’entrepreneuriat social a alors pour but de modifier la manière de fonctionner dans le secteur social. Ceci passe par une appréhension différente des problèmes sociaux de façon à imaginer des solutions nouvelles. Ainsi pour Dees les entrepreneurs sociaux « s’attaquent aux causes sous-jacentes des problèmes plutôt de simplement traiter les symptômes. Ils réduisent souvent les besoins plutôt que juste les satisfaire. Ils cherchent à créer des changements systémiques et des améliorations durables  » (2001,  p.  4). De plus, l’innovation doit être permanente, au sens où l’entrepreneur social doit constamment être en veille pour saisir les éventuelles opportunités qui lui permettraient d’améliorer encore l’efficacité de son action. Dees souligne ainsi que « Il ne s’agit pas de faire preuve de créativité une fois pour toutes. C’est un processus continu d’exploration, d’apprentissage et d’amélioration » (2001, p. 4).

L’innovation sociale prend alors deux voies complémentaires. La première voie consiste à rationaliser le fonctionnement du secteur social, ce qui passe concrètement par l’adoption dans le secteur sans but lucratif des méthodes issues du secteur à but lucratif. La deuxième voie consiste à s’appuyer sur le fonctionnement du marché pour résoudre divers problèmes sociaux. Comme le notent Defourny ET Nyssens89, « dans le contexte américain, ce sont les acteurs privés et pratiquement eux seuls qui semblent dessiner le paysage des entreprises sociales et de l’entrepreneuriat social. Cela va sans doute de pair avec une croyance largement partagée dans le monde des affaires que les forces du marché ont la capacité de résoudre une part croissante des problèmes sociaux » (2011, p. 32).

89 - Defourny, Nyssens, La percée de l’entrepreneuriat social : clarifications conceptuelles, Juris Associations, n° 436, Dalloz, 2011, Lyon.

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L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL : UN LEVIER POUR LA COHÉSION SOCIALE

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Conclusion

Au terme de cette réflexion, on peut constater la pluralité des enjeux que soulève l’entrepreneuriat social. Ce dernier, apparaît également comme un thème d’actualité, qui trouve sa place au sein de dynamiques socio-économiques, politiques, et idéologiques. Le phénomène ne soulève pas les mêmes questions au sein de la société civile, des pouvoirs publics ou du marché, ces trois sphères affichant des attentes et des intérêts différents quant à sa mise en place et à son développement. Ces divergences dans les acceptions s’accompagnent d’un travail d’élaboration de discours sur le phénomène, qui revêt une importance particulière à ne pas négliger  : c’est en effet la base des différentes lectures du concept, et donc de sa compréhension et de sa lisibilité.

Avec la crise de l’emploi salarié et les mutations du marché du travail, l’auto-emploi se développe de manière importante, c’est-à-dire la création de son propre emploi par la mise en œuvre d’une activité économique. La crise de l’Etat-providence et les changements structurels de la société et des modèles économiques amènent également de nombreux porteurs de projet à concevoir des activités visant à répondre aux grands défis de la société.

L’ensemble de ces facteurs participent au développement de l’entrepreneuriat social et justifient le lancement d’un ensemble de mesures par l’Etat afin de soutenir ce mouvement de fond. Lever une génération d’entrepreneurs sociaux c’est également affirmer la diversité des projets potentiels, des profils des porteurs, des trajectoires qui mènent à la concrétisation.

Qu’il soit perçu comme un moyen d’amender les services publics, ou de combler le recul du rôle de l’Etat, l’entrepreneuriat social plaide pour le bien-être social et s’inscrit dans une stratégie multidimensionnelle durable par la voie des modèles d’affaires sociaux.

L’entrepreneuriat social apporte des réponses innovantes à plusieurs défis importants  : systèmes alimentaires industriels, partages des ressources, énergies propres (coopératives éoliennes citoyenne), finance solidaire. Il faut se positionner sur les secteurs d’intérêt général afin de répondre aux besoins fondamentaux des populations : bien se nourrir, bien se loger, bien se soigner, lutter contre les exclusions et la protection de l’environnement.

La promotion et le développement de l’entrepreneuriat social au Maroc sont nécessaires et doivent s’inscrire dans un processus de renforcement des capacités des ONG ; versement de subsides aux entreprises sociales  ; facilité d’accès aux services financiers pour les entreprises sociales et leur accorder un régime préférentiel pour la fourniture de certaines prestations sociales. Les entreprises sociales peuvent devenir un moteur de la croissance économique.

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Si ce modèle entrepreneurial a fait ses preuves ailleurs, il reste encore très marginal au Maroc. Certes, ce dernier compte actuellement plus de 12  000 coopératives qui rassemblent 450 000 membres, mais leur impact social n’est pas immense et reste en dessous des attentes. En plus, la majorité de ces coopératives sont décriées pour leur fonctionnement et leur inefficacité. Cela est dû au fait que leur création, qui s’inscrit dans un dispositif global ayant pour but de générer une réponse aux problèmes de précarité et d’exclusion, a été formulée dans l’urgence.

La collaboration avec les entreprises commerciales permet également de bénéficier de leurs compétences techniques et de leurs infrastructures pour diversifier les activités de travail proposées. Enfin la proximité avec les entreprises commerciales offre la possibilité de peser sur leur fonctionnement interne en matière de gestion des ressources humaines et donc d’agir sur la source des processus d’exclusion.

L’enjeu de l’entrepreneuriat social est donc de parvenir à tirer parti des collaborations avec le capitalisme sans que celles-ci n’altèrent la mission poursuivie. Pour autant, force est de constater la prédominance d’une conception technologique de l’innovation, primordiale certes, mais insuffisante. D’autres dimensions de l’innovation, comme l’innovation sociale, constituent des leviers complémentaires essentiels pour identifier des réponses nouvelles aux grands enjeux sociétaux, notamment en période de crise. Il existe à travers le secteur de l’économie sociale et solidaire, une longue pratique d’innovation sociale.

Les innovations sociales, à la manière de bougies d’allumage, engendrent des actions collectives qui proposent des solutions différentes de celles des pratiques dominantes en mettant l’économie au service des personnes et de la société. Or la simple multiplication des innovations sociales ne peut générer la transformation sociale à elle seule. La mise en relation des mouvements sociaux et de leur visée émancipatoire est nécessaire pour façonner de nouvelles normes et règles et mettre en place de nouveaux sentiers institutionnels.

Bibliographie

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• DEES J.G., “Enterprising non-profits”, Harvard Business Review, vol. 76, n°1, 1998.

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L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL : UN LEVIER POUR LA COHÉSION SOCIALE

71COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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• Laville J.-L, Innovation sociale, économie sociale et solidaire, entreprenariat social, une mise en perspective historique in : « l’innovation sociale » sous la direction de Klein J.L., Laville J.L., Moulaert F., Eres. 2014.

• Maxwell, Judith, Social Dimensions of Economic Growth, Conférences commémoratives Eric John Hanson, volume VIII, 1996, Université de l’Alberta.

• Merrens. A, Initiatives citoyennes, l’économie sociale de demain ? Les dossiers de l’économie sociale, Saw-B, 2010.

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• Innovation sociale, de quoi parle-t-on?, AVISE, 29 mars 2012 :http://www.avise.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

org/spip.php?article2171 (Consulté Le 8 novembre 2016 à 16 Heure).• MOUVES., L’entrepreneuriat social, une chance pour l’économie sociale, 2010.

Disponible sur :http://www.recma.org/sites/default/files/L_entrepreneuriat_socia_une chance_.pdf,(2010)(Consulté le 3 octobre 2016 à 16 Heure).

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73COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Chapitre 5 : Pluralisme culturelet cohésion sociale au Maroc :L’autonomie individuelle comme base de l’émergence d’un nouveau type de lien social

Hassan Danane,Chercheur en sciences sociales

Résumé

Dans le contexte d’une société marquée par le poids de la tradition et de la religion, telle le Maroc, peut-on parler de l’émergence d’un individualisme de type Durkheimien, un individualisme en tant que capacité d’autonomie et de réflexivité qui amène l’individu à imaginer un nouveau type de lien social ? Comment dès lors la valorisation de la construction d’identités personnelles originales ne risque-t-elle de conduire à un individualisme égoïste et à une indifférence aux appartenances et solidarités collectives ? Peut-on dès lors, parlé d’un effondrement du capital social, d’une perte de cohésion social, voire d’une disparition du sentiment d’appartenance à la société dans le milieu des personnes sensibles aux valeurs autonomes ? Y-a-t-il une montée de la confiance réciproque et de la sociabilité associative, comme on le dit souvent, chez les personnes qui adhèrent aux valeurs hétéronomes ? Comment s’articule la position sur l’indice d’autonomie individuelle avec les valeurs humanistes ?

C’est à ces questionnements et à bien d’autres, que le présent article essaie à répondre empiriquement. Ce travail qui a porté sur un échantillon représentatif de 1295 enquêtés, a été mené dans le cadre d’une approche quantitative qui a été appliquée à la partie empirique. A ce propos, on a utilisé la technique du questionnaire avec les personnes instruites et l’interview par questionnaire avec les enquêtés analphabètes, soit personnellement, soit en faisant recours aux informateurs-clés pour obtenir des informations quantitatives. L‘originalité de l’enquête tient à sa dimension comparative entre deux zones très différentes l’une de l’autre. Ainsi, on a inclus dans le plan d’analyse la variable de l’appartenance géographique sur la base de la distinction entre les zones côtières et les zones intérieures (Rabat-Salé-Boulemane).

Mots-clés :Cohésion social, lien social, capital social, autonomie individuelle, hétéronomie, individualisme, collectivisme, sociabilité associative, confiance interpersonnelle, humanisme

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Introduction

Le concept de l’individualisme a donné lieu à une volumineuse littérature philosophique, politologique et sociologique. Déjà en 1984, Alexis de Tocqueville distinguait l’égoïsme comme : « un amour passionné et exagéré de soi-même qui renferme la personne en elle-même et est aussi vieux que le monde  »90, de l’individualisme, définit comme : « un sentiment réfléchi et paisible, une faute qui porte l’individu à se replier dans la vie privée, dans le cercle amical et familial, à délaisser l’espace public, et qui ainsi, tarit la source des vertus publiques  »91. Émile Durkheim (1898) était en fait beaucoup moins alarmiste que Tocqueville. Ainsi, il distinguait en fait deux formes d’individualisme. Le premier dit « individualisme égoïste » où chacun ne défendrait que ces intérêts personnels, selon les théories utilitaristes de Spencer et des économistes, est condamnable puisque, selon lui, toute vie commune est impossible s’il n’existe pas d’intérêts supérieurs aux intérêts personnels. A cet égard il souligne que : « Pour faire plus facilement le procès de l’individualisme, on le confond avec l’utilitarisme étroit et l’égoïsme utilitaire de Spencer et des économistes. C’est se faire la partie belle. On a beau jeu, en effet, à dénoncer comme un idéal sans grandeur ce commercialisme mesquin qui réduit la société à n’être qu’un vaste appareil de production et d’échange, et il est clair que toute vie commune est impossible s’il n’existe pas d’intérêts supérieurs aux intérêts individuels. […] Mais ce qui est inadmissible, c’est qu’on résonne comme si cet individualisme était le seul qui existât ou même qui fût possible. Tout au contraire, il devient de plus en plus une rareté et une exception »92. Mais il existe, selon le même sociologue, un autre individualisme qui commence à se développer depuis le XVIIIe siècle avec Kant, Rousseau et les penseurs des lumières et qui consiste à reconnaître et même à sacraliser les droits de l’individu. Comme l’écrit Durkheim  : «  en définitive, l’individualisme ainsi entendu, c’est la glorification, non du moi, mais de l’individu en général. Il a pour ressort, non l’égoïsme, mais la sympathie pour tout ce qui est Homme, une pitié plus large pour toutes les douleurs, pour toutes les misères humaines, un plus ardent besoin de les combattre et de les adoucir, une plus grande soif de justice »93. L’individualisme appelé à se développer ici est, selon les propos de Pierre Bréchon : « un solidarisme : chacun est autonome, pense librement, sans dépendance à des autorités supérieures, mais est invité à se préoccuper d’autrui  »94. Le lien social ne peut plus

90 Amiel, A. (2002) : le vocabulaire de Tocqueville, Ellipses Edition Marketing S.A., Paris, p.3691 Ibid, p. 3692 Durkheim, E. (1898) : « l’individualisme et les intellectuels », Revue bleue, 4e série, T.X, p.p. 1-17.93 Ibid, p.p. 1-17.94 Bréchon, P. et Galland, O. (2010) : « Individualisme et individualisation », in Bréchon, P. et Galland, O. (dir),

L’individualisation des valeurs, Paris, Armand Colin, pp. 13 – 30.

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PLURALISME CULTUREL ET COHÉSION SOCIALE AU MAROC

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reposer sur les formes traditionnelles d’autorité. Durkheim fait donc preuve d’un bel optimisme ; l’individu, libre de ses choix, reste un individu moral qui se préoccupe des autres et défend l’humain.

Les débats sur l’individualisme et les craintes pour la cohésion sociale, qui faisaient déjà débat au XVIIIe siècle, ont repris à partir des années 1960. A cet égard, on peut citer François De Singly dans son ouvrage intitulé : « L’individualisme est un humanisme », qui voit l’individualisme contemporain comme une base solide et certaine du lien social dans les sociétés modernes95. L’individualisme est aussi, selon de nombreux sociologues, une tendance psychologique et socioculturelle à l’autonomie et à l’indépendance 96 qui amène l’individu contemporain à imaginer un nouveau type de lien social.

Dans le contexte d’une société marquée par le poids de la tradition et de la religion, telle le Maroc, peut-on parler de l’émergence d’un individualisme de type Durkheimien, un individualisme en tant que capacité d’autonomie et de réflexivité qui amène l’individu à imaginer un nouveau type de lien social ? Comment dès lors la valorisation de la construction d’identités personnelles originales ne risque-t-elle de conduire à un individualisme égoïste et à une indifférence aux appartenances et solidarités collectives ? Peut-on dès lors, parlé d’un effondrement du capital social, d’une perte de cohésion social, voire d’une disparition du sentiment d’appartenance à la société dans le milieu des personnes sensibles aux valeurs autonomes ? Y-a-t-il montée de la confiance réciproque et de la sociabilité associative, comme on le dit souvent, chez les personnes qui adhèrent aux valeurs hétéronomes ? Comment s’articule la position sur l’indice d’autonomie individuelle avec les valeurs humanistes ?

I. Autonomie individuelle, lien social et capital social dans la société marocaine

Afin d’identifier empiriquement les différences entre les enquêtés porteurs de valeurs autonomes et ceux sensibles aux valeurs hétéronomes dans le contexte marocain, on a procédé à la construction de l’indice d’autonomie individuelle sur la base d’une question qui demande aux enquêtés de citer à partir d’une liste de qualités que les parents cherchent à encourager chez leurs enfants, cinq qualités qu’ils considèrent particulièrement comme importantes pour eux. Le graphique 1 montre la distribution des enquêtés sur l’indice d’autonomie individuelle.

95 De singly, F. (2005) : l’individualisme est un humanisme, Paris, Ed. de L’Aube.96 Kagiticibasi, C. (2005): « Autonomy and relatedness in cultural context: Implications for self and family »,

Journal of Cross-Cultural Psychology, n°36, p.p. 403-422.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Graphique 1 : La distribution des enquêtés sur l’indice d’autonomie individuelle

L’histogramme présente une forme asymétrique. Il laisse percevoir que la majorité des enquêtés se situe au niveau des valeurs hétéronomes. L’on a recensé à peu près le taux de 55,03  % qui sont sensibles aux valeurs collectivistes. Le pourcentage d’enquêtés ayant des valeurs mixtes est de l’ordre de 27,32 %. Par contre, les sujets les plus autonomes se font de plus en plus rares (17,62 %).

1. Capital social et position sur le facteur autonome hétéronome

Le concept de capital social a fait l’objet de nombreuses études sociologiques et anthropologiques ces dernières années. Il désigne un actif qui naît de la prédominance de la confiance dans une société ou dans certaines parties de celle-ci. Il peut s’incarner dans la famille, le groupe social le plus petit et le plus fondamental, aussi bien que dans le plus grand de tous, la nation, comme dans tous les autres corps intermédiaires97. Avoir du capital social favoriserait fortement l’insertion dans la société. La question du capital social et de la confiance à autrui a fait depuis longtemps l’objet de nombreux débats. Edward Banfield expliquait, à la fin des années 1950, dans « the moral basis of a Backward Society », que le Mozzogiorna 98 n’arrivera à sortir de son sous-développement que s’il change son éthos qu’il qualifie de «  familialisme amoral  » et résume en un précepte  : «  maximiser l’avantage matériel à court terme de la famille nucléaire et

97 Fukuyama, F. (1995) : La confiance et la puissance : vertus sociales et prospérité économique, Plon, p. 36.98 Les Mozzogiornos sont les habitants d’un village situé au sud de l’Italie et qui avait fait l’objet d’étude

effectuée par Edward Banfield.

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PLURALISME CULTUREL ET COHÉSION SOCIALE AU MAROC

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croire que tous les autres agissent de même »99. Ce précepte interdit toute entreprise collective, toute association, tout intérêt pour le bien public.

Au début des années soixante, Almond et Verba, expliquent aussi que la confiance mutuelle permet de tisser des liens sociaux entre individus et que cela favorise l’émergence des systèmes démocratiques bien régulés100.

Renald Inglehart et Jacques-Rabier (1990) montrent aussi l’importance de la confiance mutuelle et de la confiance aux autres peuples dans les relations internationales. Ils mettent en évidence, à l’instar de Banfield, le faible niveau de confiance observable pour les pays du sud de l’Europe. Selon ces deux auteurs, cette méfiance pourrait être expliquée par les structures traditionnelles de ces sociétés101.

Au Maroc, il y a déjà moins de 50 ans que Clifford Geertz concluait dans son ouvrage intitulé : « Le Souk de Sefrou, sur l’économie du Bazzar » et qui était l’aboutissement d’une enquête empirique (1968-1969) de type monographique, dans laquelle il approche le souk comme une partie évocatrice de la totalité, que : « Les marocains sont obsédés par la malignité de la même façon que l’étaient les Grecs par l’hybris et les calvinistes par l’indolence »102.

Dans des sociétés où les individus s’affirment de plus en plus comme collectivistes, telle la société marocaine, observerait-on un renforcement des références collectives, de la solidarité voire un développement de nouvelles formes de lien social ? Comment l’individualisme, expression du choix personnel libre, affecte-t-il les liens de solidarité ou le capital social ? Ce dernier recouvre plusieurs aspects, dont la compassion pour autrui103. Dans ce qui suit, on va se baser sur deux indicateurs les plus communément utilités du capital social, la confiance à autrui et la sociabilité associative104.

2. La montée de la confiance à autrui dans le milieu des personnes autonomes

La confiance interpersonnelle est une composante incontournable du capital social.

99 Cité dans Mendras, H. (2001) : « le lien social en Amérique et en Europe », Revue de L’O.C.E., n° 76.100 Cité dans Inglehart, R (1990): Culture shift in advanced Industrial society, Princeton University Press,

New Jersey, p.p. 25-26.101 Inglehart, R. et Rabier, J.-R. (1984) : « la confiance entre les peuples : déterminants et conséquences »,

Revus française de science politique, n° 1, pp. 5-47.102 Rachik, H. (2012) : le proche et le lointain, un siècle d’anthropologie au Maroc, Editions Parenthèses,

Marseilles, pp. 208-209.103 BOZONNET, J.-P.  (2010) : « l’écocentrisme, un grand récit protestataire, mais faiblement engagé », in

Bréchon, P. et Galland, O., l’individualisation des valeurs, Paris, Armand colin, pp. 119-140.104 Bréchon, P.  (2010)  : «  sociabilité, confiance à autrui et sens de l’autre  : quels effets politiques  ? In

Bréchon, P. et Galland, O., l’individualisation des valeurs, Paris, Armand Colin, pp. 31-46.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

En contribuant à régir les rapports sociaux, elle permet de renseigner sur l’état des liens sociaux à un moment donné des évolutions des sociétés. Elle est mesurée à partir d’une question dichotomique, déjà utilisée dans plusieurs enquêtes nationales et mondiales, qui oppose la confiance spontanée faite aux autres à une attitude de prudence dans les relations aux autres et figurant sous l’intitulé suivant  : « d’une manière générale diriez-vous qu’on peut faire confiance à la plupart des gens ou qu’on est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ». Le graphique 2 suivant montre la distribution des enquêtes sur l’indice de confiance interpersonnelle.

Graphique 2  : La distribution des enquêtes sur l’indice de confiance interpersonnelle

La majorité écrasante des enquêtés soit 84,36  % sont mentalement prédisposés à se méfier des autres contre seulement 15,64  % qui font confiance aux autres. En comparant ces résultats avec ceux de l’enquête mondiale sur les valeurs (W.V.S.) menée en l’an 2001 et ceux d’une enquête nationale entreprise en 2005 dans le cadre du rapport du cinquantenaire au Maroc nommée « Enquête nationale sur les valeurs »105, on peut constater une stabilité impressionnante aux trois enquêtes susmentionnées ; moins d’un quart des enquêtés estimant qu’on peut faire confiance à la plupart des gens alors que plus de trois quarts jugent, au contraire, qu’on doit toujours se méfier des autres. Ce faible niveau du capital social peut être interprété sous l’angle de ce que Edward Banfield qualifie de « familialisme amoral » qui se traduit par une absence totale de confiance ou de sens de l’obligation morale vis-à-vis de qui conque n’appartient pas

105 Rachik, H.  (rapporteur) (2005)  : Enquête Nationale sur les Valeurs, Rapport de Synthèse, 50 ans de développement humain, http : //http://50.ma/FR/uis/Loadpdf reports.asp ? id=25.

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au cercle familial106. Ceci étant dit, il reste à examiner comment varie la position sur le facteur autonome hétéronome selon l’intensité de la confiance à l’égard des autres ?

Pour répondre à cette question, on a utilisé la technique d’analyse de la variance à un facteur pour mesurer le degré et les formes de la confiance à autrui sur l’indice d’autonomie individuelle. L’Analysis of Variance (ANOVA) montre l’existence de différences de moyennes statistiquement significatives entre les deux variables susmentionnées (F  =  5,79, p =  0,000 <  0,05). Le graphique 3 confirme les éléments théoriques, développés par Emile Durkheim et pour une grande partie par Pierre Bréchon, relatifs au rôle de l’autonomie individuelle dans la consolidation des solidarités collectives.

Graphique 3  : La confiance interpersonnelle chez les individualistes et les collectivistes

3. L’orientation faible à la sociabilité associative dans le milieu des personnes hétéronomes :

Alexis de Tocqueville concluait, il y a fort longtemps, que l’esprit associatif favorise l’union des individus autour d’un objectif commun et facilite le développement d’une culture démocratique. Les travaux de Robert Putnam sur le capital social, définissent comme « les réseaux qui connectent entre eux les membres d’une société et les normes de réciprocité et de confiance qui en découlent »107, s’inscrivent dans le prolongement de

106 Inglehart, R. et Rabier, J.-R. (1984), op. cité, p.p.5-47.107 Voir : Mayer, N. (2003) : « les conséquences politiques du capital social : le cas de la France », Revue

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cette perspective. La question suivante fut posée dans le cadre de la présente enquête, dans la visée de mesurer la sociabilité associative  : « Est-ce que vous êtes membre d’une ou plusieurs association ? Si oui, quel est ou sont leur domaine d’action ? » Le graphique 4 décrit les niveaux de sociabilité associative exprimés par les enquêtés. Il saute aux yeux que la majorité des enquêtés soit 76,05  %, déclarent n’appartenir à aucune association contre seulement 33,95 % de personnes se déclarant membre d’au moins une association.

Graphique 4 : Les niveaux de sociabilité associative exprimés par les enquêtés

Etant donné l’attachement des collectivistes à la tradition comme ancrage hétéronome des valeurs et l’insistance des individualistes à privilégier l’autonomie, et au regard de la littérature en la matière, on peut avancer l’hypothèse que ces derniers disposant de hauts niveaux de sociabilité associative. Cette hypothèse est clairement confirmée par le graphique 5, qui présente les résultats de la technique de la variance à un facteur relative au niveau de sociabilité associative selon la position sur l’indice d’autonomie individuelle.

Internationale de politique comparée, vol.10, p.p.381-393.

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Graphique 5 : La sociabilité associative selon la position sur l’indice d’autonomie individuelle

La distribution des scores de sociabilité associative chez les enquêtes de l’intérieur et du littoral, varie différemment selon les construits collectivistes et individualistes. La réponse obtenue sous le rapport de cette variable confirme l’hypothèse avancée ci-dessus. Ainsi, on observe que les personnes porteuses de valeurs autonomes ont réalisé les meilleurs scores sur l’indice de sociabilité associative que celles sensibles aux valeurs hétéronomes. Il ressort, des résultats ci-dessus, que le capital social sous ses deux aspects, la sociabilité associative et la confiance à autrui, n’est pas très élevé au Maroc comparé à d’autres pays occidentaux. L’enquête a permis également de montrer que les personnes porteuses de valeurs autonomes ont réalisé les scores les plus élevés sur l’indice du capital social que celles sensibles aux valeurs hétéronomes, contrairement à ce que l’on pourrait penser.

II. L’orientation à l’humanisme et la position sur l’indice d’autonomie individuelle

Chez Durkheim, comme chez Weber, l’unité sociale est assurée par les valeurs inculquées aux individus, et finalement partagées et assimilées par eux108. Cette cohésion sociale ne dépend pas uniquement du niveau du capital social mais postule également un cadre moral et humaniste plus vaste et plus large. Ce cadre correspond

108 Boudon, R. et Bourricaud, Fr. (1982) : Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, P.U.F., p. 664.

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à la compréhension, la tolérance et la protection de tous les hommes et qui transcende les différences de sang, de culture et de culte.

Dans une société où les valeurs des échelles constitutives du « traditionalisme »109 sont toujours d’un niveau plus élevé au Maroc qu’en Europe110, il semble important d’explorer la morale de l’humanisme chez les deux construits hétéronomes et autonomes. Il s’agit plus particulièrement d’explorer les variations de cet esprit au travers des tendances collectivistes et individualistes.

1. Différences dans l’importance accordée aux valeurs universalistes dans le milieu des personnes autonomes et hétéronomes

Le terme universalisme sera utilisé ici au sens que lui donne Shalom Schwartz et qui désigne un ensemble de valeurs de compréhension, d’estime, de tolérance et de protection du bien-être de tous et de la nature111. Les valeurs d’universalisme proviennent du besoin de survie des individus et des groupes. Mais ce besoin n’est pas identifié tant que l’individu n’a pas été en contact avec d’autres groupes que celui de ses proches, et tant qu’il n’a pas pris conscience du caractère limité des ressources naturelles112. Ces valeurs d’universalisme peuvent être divisées en deux catégories, celles qui concernent les êtres humains113 (y compris les plus éloignés) et celles qui concernent la nature114. Pour chaque portrait, les personnes interrogées répondent à la question « jusqu’à quel point cette personne est-elle comme vous ? » Les réponses possibles sont : « tout à fait comme moi », « comme moi », « un petit peu comme moi », « pas comme moi », « pas du tout comme moi ». On déduit l’importance d’une valeur donnée pour un individu du degré

109 Weber dans ses définitions des différentes formes de rationalité, la légitimité traditionnelle se fonde sur la valeur du passé en tant que tel. Les croyances traditionnelles sont d’abord légitimées par le passé. Le fait qu’elles aient été reconnues comme valides dans le passé suffit à les faire admettre comme valides dans le présent.

110 Galland, O.  : « Permanences et mutation du système de valeurs  : comparaison internationale Europe Maroc », Acte du Forum II, la société marocaine : permanences, changements et en jeux pour l’avenir, Prospective Maroc 2030, H.C.P. p.p. 171-201.

111 Wach, M. et Hammer, B. (2003) : la structure des valeurs est-elle universelle ? Genèse et validation du modèle compréhensif de Schwartz, Paris, l’Harmattan, p. 41.

112 Schwartz, Sh.H. (2006) : « les valeurs de base de la personne : théorie, mesures et applications », Revue française de sociologie, vol. 47, p.p. 929-968.

113 Items associés  : C’est important pour lui d’écouter des gens différents de lui. Même s’il n’est pas d’accord avec eux, il veut malgré tout les comprendre et s’entendre avec eux.

Il veut que tout le monde soit traité de manière juste, même les gens qu’il ne connaît pas.114 Item associé : il est convaincu que les gens devraient protéger la nature. C’est important pour lui de

préserver l’environnement.

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de ressemblance qu’il a déclaré entre le portrait qui fait référence implicitement à cette valeur particulière et lui-même. Le graphique 6 permet de rendre compte visuellement des différences de moyennes relevées par l’analyse de la variance à un facteur de l’orientation à l’universalisme dans le milieu des personnes autonomes et hétéronomes. L’ANOVA confirme l’existence de différences statistiquement significatives entre les deux construits culturels et l’orientation aux valeurs humanistes (F = 2,813, p = 0,024 < 0,05).

Graphique 6  : Orientation à l’universalisme chez les personnes autonomes et hétéronomes

La conclusion principale à tirer du graphique 6 est que la distribution des scores des orientations universalistes chez les enquêtés, quel que soit le lieu de résidence, varie différemment selon les construits individualistes et collectivistes. Les enquêtés porteurs de valeurs autonomes ont enregistré les meilleurs scores en matière des valeurs universelles et constituent, par conséquent, le plus grand réservoir de membres potentiels capables d’endosser des orientations humanistes. Par contre, on constate également que ce sont les personnes sensibles aux valeurs hétéronomes qui ont marqué les scores les plus bas.

Un autre indicateur, dont on sait qu’il s’intègre dans le système des valeurs humanistes, il s’agit ici des attitudes à l’égard des étrangers. Le graphique 7 ci-dessous montre la distribution des enquêtés sur l’indice de tolérance à l’égard des étrangers.

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Graphique 7 : la distribution des enquêtés sur l’indice de tolérance à l’égard des étrangers

L’histogramme présente une forme asymétrique vers la gauche. Il laisse percevoir que la majorité des enquêtés sont placés au niveau des valeurs inférieures de la tolérance à l’égard des étrangers. Ainsi, on constate que la majorité, soit 78,02 % des enquêtés, approuve le fait que  : « Quand les emplois sont rares, les patrons doivent donner la priorité aux marocains sur les étrangers ». Par contre, les enquêtés les plus tolérants se font de plus rares soit 11,41 %.

Bien qu’il soit certainement délicat de juger les dimensions culturelles d’une société située au XXIe siècle à la lumière des conclusions auxquelles ont abouti un ensemble d’écrits et d’études ethnographiques produits dans un contexte colonial. Toutefois, n’est-il pas fécond quand même de remonter dans l’histoire pour dégager et comprendre les grandes lignes de l’âme marocaine qui persistent encore et empruntent pour une grande partie la culture du marocain de l’ère contemporaine ?

Si l’on prend la culture dans le sens que lui donne Clifford Geertz comme : « Un modèle de significations incarnées dans des symboles qui sont transmis à travers l’histoire, un système de conceptions héritées qui s’expriment symboliquement, et au moyen desquelles les hommes communiquent, perpétuent et développent leur connaissance de la vie et leurs attitudes devant elle »115, l’on peut comprendre l’importance que requiert le retour au passé, et ce en se servant d’un ensemble d’études ethnographique du caractère du marocain, pour bien saisir l’origine de l’esprit particulariste voire antihumaniste

115 Voir Geertz, C. (1973) : Bali, interprétation d’une culture, Gallimard.

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qui persiste encore et qui caractérise la majorité, comme le prouvent, d’ailleurs, les résultats empiriques auxquels ladite enquête a abouti. C’est dans ce sens que l’on pourrait évoquer louis Brunot, qui souligne dans sa première étude au titre révélateur, « l’esprit marocain : les caractères essentiels de la mentalité marocaine », publiée en 1923, que : « Poussées à l’extrême, la vanité, la sensualité et la cupidité provoquent l’individualisme outrancier. Les maîtres ouvriers gardent jalousement leurs secrets. Les tribus et les familles tiennent à leur indépendance et ne pensent pas à l’intérêt commun. La société indigène manque ainsi de cohésion, les groupes sont simplement agrégés sous la pression du gouvernement. Ce peuple avait tout ce dont une nation a besoin d’avoir : une administration, une agriculture et un commerce suffisant, des arts, des écoles. Le seul obstacle consistait dans son esprit particulariste »116. L’analyse de ces orientations sous le rapport des deux construits autonomes et hétéronomes révèle que les personnes présentant des valeurs autonomes ont obtenu les scores les plus élevés sur l’indice de tolérance à l’égard des étrangers au regard de ceux sensibles aux valeurs hétéronomes qui ont, par contre, obtenu les scores les plus bas comme le montre, d’ailleurs, à titre illustratif le graphique 8.

Graphique 8 : La tolérance à l’égard des étrangers au regard de la position sur l’indice d’autonomie individuelle

116 Brunot, L. (1923) : « L’esprit marocain. Les caractères essentiels de la mentalité marocaine », Bulletin de l’enseignement public du Maroc, n° 45, p.p.35-59. Cité dans : Rachik, H. (2012) : le proche et le lointain ; un siècle d’anthropologie au Maroc, Editions parenthèses, p. 132.

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2. Aire géographique d’appartenance et position sur l’indice d’autonomie individuelle

Dans cette analyse, on a utilisé le positionnement que le répondant se donne lui-même sur l’indice d’identification géographique. La question suivante est une partie standard des enquêtes eurobaromètre et enquêtes mondiales sur les valeurs (W.V.S.) : « Parmi les unités géographiques suivantes, à laquelle avez-vous le sentiment d’appartenir ? » (On donne aux répondants les choix suivants  : Votre ville ou commune rurale – votre province le Maroc tout entier le monde arabe – le monde entier). Les réponses à cette question reflètent un sens général d’appartenance à une petite localité, à un grand pays ou au monde entier. On a utilisé cette question dans le but de fournir une appréciation de l’impact de la hiérarchie des valeurs hétéronomes/autonomes sur le soutien aux valeurs humanistes. Pour ce faire, il importe d’abord de présenter comment se répartissent les personnes interrogées sur la dimension localiste/mondialiste. Le graphique 9 présente la distribution des enquêtés sur l’indice du sentiment d’appartenance géographique.

Graphique 9 : Répartition des enquêtés sur l’indice d’appartenance géographique

D’après le graphique ci-dessus, la majorité des personnes interrogées se reconnaît dans son pays. Ainsi, l’appartenance nationale est très forte (64,90 %) par rapport à ceux qui privilégient les liens locaux et régionaux 21, 39 %, et ceux, une minorité, qui privilégient l’appartenance mondialiste (9,49 %). Et ceci quel que soient l’âge, le sexe, le niveau d’instruction, la situation matrimoniale. En revanche, deux variables sont déterminantes : le revenu mensuel et le lieu de résidence comme le démontre d’ailleurs, à titre illustratif, le tableau 1 ci-dessous, relatif à une analyse de régression multiple pas à pas (step wise regression) de l’impact des variables sociodémographiques sur le sentiment d’appartenance géographique.

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Tableau  1  : L’impact des variables sociodémographiques sur le sentiment d’appartenance géographique

Coefficientsa

Modèle Coefficients non standardisés

Coefficients standardisés

t Sig.

A Erreur standard

Bêta

1 (Constante) 2,702 ,057 47,592 ,000Revenu_mensuel_code ,134 ,032 ,118 4,260 ,000

2 (Constante) 2,636 ,060 43,683 ,000Revenu_mensuel_code ,125 ,032 ,110 3,975 ,000Lieu_de_résidence ,170 ,054 ,088 3,162 ,002

a. Variable dépendante : Parmi les unités géographiques suivantes, à laquelle avez-vous le sentiment d’appartenir ?

De la lecture des résultats du deuxième modèle qui explique le plus de variances, on constate que le sentiment d’appartenance géographique est positivement associé au revenu mensuel et au lieu de résidence117. Cela veut dire que plus on dispose d’un revenu mensuel élevé plus on est mondialiste. Plus on réside à l’intérieur, plus on est localiste.

Maintenant que l’on a présenté la manière dont se distribuent les enquêtés sur l’indice d’identification géographique, on est en droit de prendre en considération leur position sur l’indice d’autonomie individuelle au crible de l’auto-positionnement sur l’indice d’appartenance géographique. L’ANOVA confirme l’existence des différences statistiquement significatives entre les localistes et les mondialistes à la lumière du clivage culturel autonomie/hétéronomie et permet, par voie de conséquence, de rejeter l’hypothèse nulle et d’adopter l’hypothèse alternative (F = 13,579, p = 0,000 < 0,05).

117 Lieu de résidence : l’intérieur est codé 1 et le littoral est codé 2.

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Graphique 10 : La position sur l’indice d’autonomie au crible des appartenances géographiques

Les scores élevés, des enquêtés qui se considèrent comme des citoyens du monde figurent parmi ceux qui adhérent aux valeurs de libre choix et d’autonomie individuelle. En revanche, les localistes sont prépondérants parmi les personnes qui sont sensibles aux valeurs hétéronomes.

Ces résultats confirment les éléments théoriques développés par François De Singly. A cet égard il avance que : « L’individualisme pour être humaniste ne doit pas laisser faire seulement la régulation du marché et de la concurrence « parfaite ». Il doit placer des biens et des reconnaissances hors épreuves, hors mérites, hors performances. L’individu a besoin de recevoir d’autres formes de reconnaissance qui n’obéissent pas aux mêmes règles, comme le fait d’être aimé, comme le fait d’être citoyen. Cela ne suffit pas, même si cet individu n’est pas privé de ces reconnaissances. Il conserve une valeur intrinsèque, même si aucune institution, aucune personne ne le reconnaît à titre personnel. Cette valeur non négociable renvoie à ce qui est commun à tous  : l’appartenance à l’humanité »118.

118 De Singly, Fr. (2005) : l’individualisme est un humanisme, Paris, Ed. de l’Aube, p.53.

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• Rachik, H. (2012) : le proche et le lointain, un siècle d’anthropologie au Maroc,

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Editions Parenthèses, Marseille.• Schwartz, Sh.H. (2006) : « les valeurs de base de la personne : théorie, mesures

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Chapitre 6 : Une lecture de l’intégrationdu Maroc dans son contexte internationalet régional

Mohammed Haddy,Politologue et professeur de l’enseignement supérieur,

Institut National d’Aménagement et d’Urbanisme à Rabat

Introduction

L’histoire évolue du simple au complexe et de l’homogène vers l’hétérogène. Elle constitue un récit parcellaire des événements qui jonchent la vie des populations et des Etats. De même, cette histoire est, par essence, partiale et subjective et elle est toujours jugée à l’aune de ce qu’elle génère comme ordre et désordre, comme avantages et dysfonctionnements ; aussi, faut-il faire en sorte qu’elle ne soit pas l’apanage des seuls vainqueurs. Par ailleurs, le Récit ne doit pas être objet de surenchères  : exiger l’impossible pour obtenir le possible, mais investiguer ce dernier et l’obtenir sans jamais transiger ; sachant que l’histoire n’est jamais une œuvre individuelle, elle relève de la collectivité119.

En effet, l’homme est la cause de la plupart de ses souffrances ; et son récit n’est qu’une longue chronique d’esclavage et d’exploitations légués à la postérité par les chants épiques des vainqueurs et par les élégies des victimes. La violence est au cœur de son histoire avec son cortège d’atrocités destructrices. Par ailleurs, l’homme évolue dans une société dont les mythes sont bornés de cauchemars, ce qui vérifie la prophétie de Léonard de Vinci « Les hommes arriveront à un tel état d’avilissement qu’ils seront heureux que d’autres profitent de leurs souffrances ou de la perte de leur véritable richesse, la santé120. »

Ainsi, dans ce contexte dès qu’on aborde la démocratie, tout devient pénombre, celle où tous les chats sont gris ; et les adjectivations de cette démocratie versatile ne sont que des masques qui servent de subterfuges pour éluder les dissonances handicapantes

119 Le mot police a la même étymologie que le mot politique et se rapporte au gouvernement de la cité. La fonction de la cité est de concourir à garantir la liberté des citoyens, à faire respecter leurs droits et à assurer leur sécurité.

120 Les carnets de Léonard de Vinci, Paris, Gallimard, 1951, in Ivan Illich, Œuvres complètes, tome 2 P. 65

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

qualifiées, du reste, de traverses incontournables à un présent opaque et à un futur, pour le moins, incertain. Pourtant, l’avenir dont il faut se préoccuper est celui qui permet de se réapproprier le difficile équilibre entre la quête d’un développement intégré et intégrateur et les continuités prédatrices, anesthésiantes et à césures iniques des dominants ; Même si l’Histoire a, toujours, montré que l’homme attend toujours d’être confronté à des impasses majeures pour tenter de changer, sachant que lorsqu’on voit la fumée se dégager de sa demeure, on ne s’en détourne pas, on s’alarme avant d’avoir la certitude qu’il y a le feu.

De même, pour qui veut travailler sur la démocratie -et surtout sur ses handicaps sommitaux  : les violences politiques et les dysfonctionnements- nombreux sont les écueils et les difficultés à transcender, notamment ceux de l’indifférence, du consensualisme, de la marginalisation imposés par les dominants et par les tenants de la pensée unique, sans oublier le problème de trouver la bonne distance pour aborder ce sujet et surtout faire preuve de scientificité121.

I. Contexte géopolitique globalisé

« La propreté du corps devient primordiale lorsque la propreté de l’âme ne l’est plus »

Ceux qui dirigent le monde sont sous l’effet de névroses ; ils sont convaincus que l’Occident est sous la menace imminente de nouveaux barbares (Arabes, Maures, Musulmans…) et ce ne sont pas les cris de quelques sages esseulés -qui dénoncent ce « complot virtuel »- qui changeront le cours de cette lancée ; sachant que le spectre d’une recolonisation, version XXIe siècle a déjà commencé.

En effet, les dominants accentuent leur déprédation et la monopolisation de la production et de la commercialisation des ressources et des services et une telle situation aggrave la vulnérabilité, la résignation et la domestication. De même, elle conduit à une anomie qui fait triompher le narcissisme et l’indifférence et ces fléaux sont, actuellement, mis en vedette ; mais ce qui est paradoxal, c’est que ce système continue d’exercer une fascination, bien qu’il ne promeuve que des sentiments confus, de malaises et de marasmes où se mêlent visions catastrophistes et conclusions alarmistes.

Depuis le début des années 2000 l’homme est dans le vortex d’un nouveau retournement du monde, un nouveau délire occidental, celui de s’approprier les richesses du reste du monde avec de nouveaux paramètres. Ce processus est décliné

121 Etre ou se sentir en sécurité, c’est vivre sans avoir à craindre pour sa vie et/ou pour ses biens, c’est vivre sans se sentir en danger ; d’autant qu’il n’est pas possible de vivre en sécurité en étant son propre gendarme.

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

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de différentes manières, notamment sous l’appellation de «  Grand Moyen Orient  », d’« Union Pour la Méditerranée » ; procédés qui visent une emprise sur l’extraction et l’acheminement des ressources, particulièrement les hydrocarbures de la rive sud de la Méditerranée, avec le soutien de régimes en place, acquis à sa « cause » !

1. Global

Pendant qu’on ressasse aux peuples le terne menu d’une crise planétaire, avec pour seul plat quotidien, le déficit et l’austérité -subterfuges qui conduisent au démantèlement des services publics les uns après les autres- les puissants jouent à l’ostentatoire et étalent leurs richesses insultantes et leurs turpitudes qui dépassent à chaque fois l’imaginaire. De même, pendant ce temps, le cynisme des dominants instaure un univers darwinien de lutte de tous contre tous, allant même jusqu’à alléguer, sans retenue, que ce sont les riches qui sont menacés par l’avidité des peuples dont les « coûts » d’entretien sont devenus insupportables.

De même, pendant que les dominants parlent de la globalisation comme d’une nouvelle « voie » qui tirerait les peuples vers l’utopie d’une société fraternelle, la réalité est toute autre, une vie de peurs de plus en plus globales. Il s’agit des peurs de la submersion, des peurs des flux démographiques des flots migratoires… et leurs symboliques imaginales effrayantes ne sont jamais très loin, notamment par le recours aux images des viols collectifs de Boko Haram, des charniers du drapeau noir des « islamistes », des otages décapités d’Al Qaïda, des massacres de Daech. Ces symboliques sont bien organisés et mis en scène par les inqualifiables, Renaud Camus, Éric Zemmour, Michel Houellebecq, Alain Finkielkraut, Daniel Lindenberg, Richard Millet, Pierre Manent, Alain Besançon, Samuel Trigano, Jean-Claude Milner, Alain Badiou, Michel Déon… et d’autres rebus d’une prétendue intelligentsia occidentale qui charrient et profèrent des vomissements racistes et xénophobes qui essaiment des replis sur soi et des risques gravissimes ; et par l’instrumentalisation d’une telle situation, ils sont à la fois les commanditaires et les bénéficiaires des violentes hécatombes qui secouent les sociétés tant au nord qu’au sud de la Méditerranée.

Dans un tel contexte de défiances et de césures, les territoires sont devenus de simples espaces de surexcitation où le «  trop  » a pris ses quartiers un peu partout et règne en maître incontesté. Trop d’écart entre ceux qui ont trop de dettes, trop de difficultés financières, trop de soucis de survie… et ceux qui ont trop de biens, trop de pouvoir, trop d’argent, trop de terres, trop de facilités, trop de confort, trop de mobilité… une overdose de toute part. les territoires revêtent désormais des allures de champs de bataille où les failles, les fractures, les gouffres, les écarts, les abîmes ne cessent de s’aggraver et de s’étendre  ; et l’âge des lumières, tant galvaudé par le système

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néolibéral a débouché sur un nouvel âge obscur, infantile, adulateur et obséquieux où deux catégories de SDF (sans domicile fixe/sans difficultés financières) se coudoient et se défient dans une transe du « plus ».

La vie n’est plus qu’une surenchère de superlatifs conjugués à l’infini  et cela se passe sur des territoires où les référents socioculturels, piliers de toute société intégrée, ont volé en éclat  ; le tout étant présenté sous le signe d’un combat pour la liberté, sachant que les plaies suppurantes des exclusions sont assimilables à un virus, plus on en bombarde, plus ils se répandent, Irène Khan122 disait à juste titre « On est en train de mettre en place une nouvelle politique, qui utilise la rhétorique de la liberté et de la justice pour faire régner la peur et l’insécurité ».

Les effets de ce système globalisé sont douloureusement et durablement ressentis – peut-être que la déprédation est tout ce qu’il y a de durable dans ce système- et si on avance que faire du commerce dispense de faire la guerre, on oublie que lorsque chacun se préoccupe, exclusivement, de ses intérêts égotistes, personne ne se soucie de la justice et de la sécurité sociétale. Les individus dans une telle société ne sont plus des citoyens, ils sont de simples consommateurs gloutons et cette épidémie consumériste infeste toutes les parties du globe et ce, dans le seul but de s’approprier les richesses des pays, d’atomiser, d’apprivoiser et de domestiquer ses habitants devant les yeux de leurs décideurs affairés dans des controverses spéculatives. Par ailleurs, le fort de ce système est d’instrumentaliser les champs intellectuel, médiatique et politique en mettant en exergue des consensus illusoires entre des groupes sociaux que tout oppose, sachant que le discours lyrique sur le consensuel accentue l’isolement de l’individu et le plonge dans un univers dépourvu de toute sociabilité.

Pour virginiser ce système et éluder ses dysfonctionnements, les dominants se présentent comme des meneurs d’hommes dotés de compétences exceptionnelles que leur a permis la fréquentation de grandes écoles, d’illustres instituts et d’universités reconnues internationalement ; Et cette auto reconnaissance de qualités de « génies » leur ouvre la porte pour s’imposer en tant que leaders et se permettre des rémunérations exorbitantes et obscènes. D’ailleurs, grâce à leur activisme, ils concentrent richesses et pouvoirs, ce qui démultiplie les césures et participe à la transformation des territoires en théâtres de duperies, de complicités et d’hypocrisie de façade où l’individu est mâté et domestiqué, à la manière d’un « chien de Pavlov »  : sachant que tous les médias participent à cette tartufferie, quand ce n’est pas avec la connivence du politique, pour lequel les idées ne sont plus nécessaires pour gouverner, les imagologues se chargeant de tout l’organisationnel.

122 Irène Khan, de son nom complet Irène Zubaida Khan, née le 24 décembre 1956 à Dhaka au Bangladesh, fut la septième secrétaire générale d’Amnesty International de 2001 à 2010.

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En fait, la ségrégation sociale, conséquence du système néolibéral sécrète une ségrégation spatiale et leur imbrication l’une dans l’autre aggrave les distorsions sociales et les violences paroxystiques ; tout comme elles conduisent à l’émoussement des solidarités existentielles qui dignifient et qui permettent de se reconstruire, pour ne laisser planer que des solidarités assistancielles désintégratrices des construits sociaux. D’ailleurs, au concept de « la lutte des classes » qui est dialectique et ontologique, on a substitué des vocables indicibles, vaseux et réversibles tels, « population défavorisée », « jeunes désœuvrés », « population exclue », « zones sensibles » qui masquent et éludent les réels antagonismes.

De même, pour s’implanter profondément et se faire accepter, le système dominant a évacué les concepts classiques propres à la lutte des classes ; les ouvriers sont désormais des «  opérateurs de production  », les manœuvres sont devenus des «  techniciens de surface » et les coursiers se sont métamorphosés en « agents de liaison ». Toute l’architecture sociétale est devenue ambivalente, mensongère et imprécise, elle avance dans l’esquive et dans le louvoiement  : la peur devenant la meilleure parade à tout questionnement. Dans ce système, il n’y a plus de citoyens, il n’y a plus de classes sociales ; seul compte le gigantisme des besoins qui sont entretenus par les entreprises et la publicité est là pour leur faciliter l’accès.

L’approximation phraséologique axée principalement sur l’«  avoir  » devient le cheval de Troie des dominants, appliquant à la perfection l’axiome de Colbert « plumer l’oie, pour obtenir le maximum de plumes, avec le moins de cris possible », pourtant, Dostoïevski alertait dans « L’idiot » que ce qu’il y a de vil et d’odieux dans l’argent, c’est qu’il confère des talents et une intelligence à celui qui le possède123. En effet, au sein de cette grande truanderie, fleurissent partout des fondations, créées par des entreprises et par d’omnipotents barons, qui allèguent œuvrer pour alléger les souffrances des laissés pour compte et lutter contre les injustices, alors que les inégalités et les injustices dont il s’agit n’existent que par la force de ces dominants. En fait, accepter ces outils dits hypocritement « distributeurs de bonté et de pitié », revient à cautionner le crime et à s’inscrire dans la complicité et dans la compromission.

Ce qui est paradoxal, c’est que d’une part les distorsions, doucereusement distillées, ne sont pas ressenties comme un arbitraire du fait que ce système avance, sous l’apparat de la quête du progrès  ; et que par ailleurs, les populations continuent de croire que les « ingénieurs », les « consultants » et les « experts » de ce système œuvrent pour leur trouver les meilleures solutions. D’autre part, cette massification humaine -inédite- est présentée comme un package salutaire et légal, sachant que les dominants

123 In Michel Pinçon et Monique Pinçon Charlot : La violence des riches, chronique d’une immense casse sociale, La Découverte/Poche, Paris 2013, 2014 P. 168

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s’inscrivent dans le long terme et qu’ils appartiennent à une lignée dont l’influence a pénétré en profondeur tous les secteurs de vie socio-économique : le désir de puissance et de domination ayant supplanté toute morale et ce, pour maintenir l’individu dans la nébuleuse néolibérale, depuis la naissance, le mariage, l’entre soi et jusqu’à la mort.

En fait, le système dominant a déjà repris son bateau de pèlerinage de recolonisation, tel qu’il l’avait commencé au XVIe siècle -avec d’autres moyens- pour dicter au reste du monde la conduite à tenir et en lui imposant sa civilisation comme summum de la réussite moderne, pendant qu’il exploite et surexploite des terres et des richesses qui ne lui appartiennent pas. Ce système se veut l’unique « voie » du progrès, le moteur d’un plan divin et de ce fait, il conteste aux autres ce qu’il promeut, pire il les tue pour leurs idéaux et leur impose une guerre paroxystique.

Tout ce que fait ce système a valeur de normes avérées opposables au reste de l’humanité, Roosevelt écrivait au diplomate britannique Cecil Spring Rice (1859-1919), « J’exècre et méprise le pseudo-humanitarisme qui considère que les progrès de la civilisation entraînent nécessairement et légitimement un affaiblissement de la combativité, et invite ainsi à la destruction de la civilisation avancée [étasunienne] par un type moins avancé. La sécurité du continent serait le pilier du rôle mondial des Etats-Unis reposant sur l’affirmation musclée de leur intérêt national » et d’ajouter « c’est à nos actes qu’il faut juger nos paroles ».

De même, fidèle à la même ligne, JFK124 (1917-1963) lors du discours d’investiture de 1961 disait clairement que « nous paierons n’importe quel prix… nous supporterons n’importe quel fardeau… nous surmonterons n’importe quelle épreuve… nous soutiendrons n’importe quel ami et… nous combattrons n’importe quel ennemi pour… la victoire de la liberté [acception étasunienne] ». En fait, cette stratégie est énoncée dès 1945 « Quiconque occupe un territoire y impose son propre système social. Tout le monde impose son système aussi loin que son armée peut avancer. Il ne peut y être autrement. »125.

Par ailleurs, la théorie de la guerre - « du combat juste », celui du dominant- connaît une nouvelle jeunesse et l’illustration la plus forte est concrétisée par les déstabilisations et les bombardements de pays comme l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie ou encore la Libye. Un Professeur126 disait à ce propos, « Je suis incapable de trouver la moindre différence morale, politique ou juridique entre ce Jihad mené par les Etats-Unis contre ceux qu’ils

124 John Fitzgerald Kennedy dit Jack Kennedy, souvent désigné par ses initiales JFK, né le 29 mai 1917 à Brookline et mort assassiné le 22 novembre 1963 à Dallas, est un homme d’État américain, 35ᵉ président des États-Unis.

125 In Henry Kissinger : L’ordre du monde, Penguin Press 2014, Fayard 2016 P. 265126 Abdellah Ahmed An-Naim : « Upholding international legality against Islamic and American Jihad », in

Dominer le monde ou sauver la planète, Editions Fayard, Paris 2004 P. 276

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croient leurs ennemis et le Jihad mené par les groupes islamistes contre ceux qu’ils croient leurs ennemis ».

Ce XXIe siècle, comme celui qui l’a précédé sont des siècles de guerres apocalyptiques, de conflits d’une dangerosité sans précédent et de distorsions gravissimes qui déciment de nombreuses populations. D’ailleurs, la vie, la liberté et la justice n’ont de sens que si elles sont entendues au sens de cet ordre unidimensionnel et unidirectionnel, même s’il n’arrive toujours pas à s’imposer en tant que pensée unique. Cependant, l’ordre127 actuel entretient une situation de convulsions généralisées et exploite le chaos qui règne dans les Etats dominés par le feu et par la peur128. Lord Palmerston homme politique britannique disait au XIXe siècle, « Nous n’avons pas d’alliés éternels et nous n’avons pas d’ennemis éternels. Nos intérêts sont éternels et perpétuels, et ce sont ces intérêts qu’il est de notre devoir de défendre ».

L’ordre du système actuel ne laisse d’autres choix que la paix dans un vaste cimetière à chaque fois élargi par les dévastations des populations dominées, oubliant que plus l’ambition de changement est grande, plus il est fait violence aux idéaux que ce changement prétend accomplir129.

En effet, le non-respect des droits humains et les exclusions de toutes sortes sont à l’origine de la montée en puissance de violences qui se traduisent en actes des plus atroces et des plus barbares. Actuellement, dans un élan d’inconscience totale et comme pour démultiplier encore plus les dangers, un énorme fossé continue de séparer le discours de la réalité quant à la lutte contre les dissonances ; mais que peut-on faire, lorsque les pays qui se prétendent les plus démocratiques continuent d’enregistrer des entorses majeures à la légalité et au mépris effarant des droits humains et à l’Etat de droit.

127 L’ordre a été inventé, il y a quatre siècles à l’occasion d’une conférence de la paix qui s’est tenue en Westphalie, une région allemande, sans que la plupart des autres continents ou civilisations en prennent conscience ni ne soient appelés à y participer.

128 Henry Kissinger : L’ordre du monde, Penguin Press 2014, Fayard 2016 P. 36129 Le Président des Etats-Unis d’Amérique signait le 13 novembre 2001 un décret instaurant des tribunaux

militaires d’exception réservés aux étrangers impliqués dans des attentats terroristes et le 5 janvier 2004 entrait en vigueur le programme « US Visit » qui contraint tous les étrangers arrivant aux USA à poser leurs index sur un lecteur d’empreintes digitales et à se laisser photographier ; pratiques depuis généralisées à la majorité des Etats. De son côté, le Royaume Uni dérogeait à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme et a adopté en 2001 une loi anti-terroriste permettant de détenir de façon illimitée, sans inculpation ni jugement, tout étranger soupçonné de constituer une menace pour la sécurité du pays. Le Gouvernement français a, pour sa part, renforcé l’arsenal sécuritaire avec l’adoption de la loi Sarkozy, pour la sécurité intérieure de l’Etat en février 2003, puis la loi Perben 2 qui énonce que les personnes interpellées pourront être placées pendant 96 heures en garde à vue et que les policiers pourront mettre en œuvre des techniques spéciales de recherche (écoute, infiltration, surveillance rapprochée par le placement de micros et caméras dans les lieux privés) et ils pourront, aussi, en l’absence des personnes suspectées procéder à des perquisitions la nuit.

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

a) Risques et violences

Risques

L’astrophysicien Hubert Reeves rapporte un dialogue entre une planète saine et une planète malade :

• « Qu’est-ce qui t’arrive ?• Ne m’en parle pas, j’ai attrapé l’humanité !• Rassure-toi, j’ai eu cette infection, moi aussi. Figure-toi, ma chère, que cette

maladie s’auto-dissout. Ça part tout seul ! »130.Pour qu’une telle parabole continue de relever du virtuel, une ré-humanisation et un

assagissement doivent redevenir une priorité absolue ; et seuls un engagement et une responsabilisation des décideurs aideront à endiguer la déprédation qui précipite la fin du monde. Certes, la tâche sera longue, ardue, coûteuse et pleine d’embûches, mais le risque vaut la peine d’être encouru ; l’humanité est entrée dans une zone de navigation aveugle et de plus en plus périlleuse. Aussi, est-il temps de sortir la destinée de l’homme des mains des seuls dominants et tenter de réinscrire son dessein à la croisée des regards de toutes les composantes des sociétés, particulièrement des scientifiques, de celles et de ceux qui produisent la richesse et des décisionnels.

Ces risques sont plus que jamais, à prendre au sérieux du fait que l’explosion démographique au niveau global131 s’est accompagnée de distorsions plurielles (économiques, politiques, éducationnelles, culturelles…) qui sont à l’origine du darwinisme économique et social et de diverses césures politiques qui se traduisent par la destruction des ressources naturelles et la désarticulation des écosystèmes ; cette irresponsabilité constitue, de loin, la plus grande menace pour la planète. Actuellement, chaque minute qui passe voit mourir de faim quinze personnes sur terre ; de même, sur cette terre un être humain sur dix est sous-alimenté et un être sur trois est en survie. En outre, à l’aune de 2050 plus de 50 % de la population se situeraient en deçà du seuil de pauvreté ; et dans ce contexte, la misère -déjà révoltante et enlaidissante- conduirait inévitablement aux errances et aux violences. Par ailleurs, si en 1960 les revenus cumulés des 10 % des hommes les plus riches du monde étaient trente fois supérieurs à ceux des 10 % les plus pauvres, actuellement, le rapport est supérieur à quatre-vingt.

Par ailleurs, sur le registre de l’éducation, les problèmes sont considérables et

130 Hubert Reeves : Le mal de terre, Seuil, mars 2003 et mars 2005 pour la postface, P. 28. 131 La population du globe, de trois cent millions d’âmes pendant l’Empire romain, elle est passée à huit

cents millions au début de l’ère industrielle (1750). Pour ensuite, passer à 1 milliard en 1800 pour monter à 1,7 milliard en 1900 à 2,5 milliards en 1950 à 4 milliards en 1978 à 6 milliards en 2000 et à plus de 8 milliards en ce début du XXIe siècle.

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

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intenables. Ainsi, ce sont quelque 115 millions d’enfants -en âge d’aller à l’école primaire- qui ne sont pas scolarisés et ce sont quelque 264 millions d’enfants –en âge scolaire du secondaire- qui ne fréquentent aucun établissement ; et sur le plan sanitaire, on prévoit qu’en 2025, cinq des huit milliards d’humains souffriront de maladies engendrées par les pollutions. De même sur le plan social, durant le siècle écoulé, trois démarches ont été préconisées pour endiguer les conséquences des pauvretés et des misères : à savoir promouvoir les nouvelles technologies pour produire la richesse avec efficience pour endiguer les pénuries ; conjuguer les efforts pour maîtriser l’explosion démographique, notamment par la contraception et la généralisation de l’accès aux soins ; explorer les meilleures voies pour promouvoir la responsabilité et la responsabilisation -les résultats continuent toujours de se faire attendre.

En outre, si les challenges à relever sont la lutte contre les violences et les corruptions, la lutte contre les césures sociales et contre les dysfonctionnement de tous genres -pour que le développement débute enfin- au sein de la communauté internationale, les propositions quant aux meilleures façons de procéder restent évasives et manquent de volontarismes. Par ailleurs, si nul ne conteste que le capital humain constitue un élément déterminant pour impacter le dessein de toute société et de tout Etat  ; le système continue de produire les dissonances et les misères de plusieurs manières, surtout dans un contexte où les économies des pays pauvres sont exsangues par la grande part des revenus nationaux qui sont versés en intérêts aux pays riches, au nom de la dette extérieure.

En matière agricole, en 1974 le sommet de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) se donnait pour objectif d’éradiquer la faim, dans les délais d’une décennie ; vingt ans plus tard, l’Organisation reconnaissait que la faim n’a pas diminué, mais elle continuait à espérer la voir baisser de moitié à l’aune de 2015 et il n’en est toujours rien. De même, au Sommet de la Terre de 1992 à Rio de Janeiro au Brésil -les pays riches promettaient de consacrer 0,7 % de leur PIB à l’aide aux pays pauvres, dans la réalité ils n’y consacrent que moins de 0,3  % et l’aide agricole en provenance des instances internationales à destination des pays pauvres a chuté de 50 % entre 1990 et 2000 et elle ne cesse de baisser.

La revisite des sociétés traditionnelles renseigne que celles-ci étaient habituées à vivre avec la menace, sachant que pour se réapproprier ces savoirs et ces pratiques sociales, la mémoire collective -basée sur l’expérience et sur la transmission- est irremplaçable. Une telle mémoire permet d’expliquer les changements des conditions, d’éclairer les causes et de s’interroger sur les effets ainsi que sur la permanence d’événements présents. En effet, affirmer la prééminence des savoirs scientifiques, au détriment des savoirs vernaculaires, c’est en faire une chasse gardée des seuls spécialistes ; mais c’est aussi entrer dans une logique de concurrence des savoirs et de

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la mémoire collective et déterminer partialement ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, au prix d’un dit management des risques.

Sociologiquement, la notion de risque132 est polysémique et son énonciation n’est jamais neutre et elle constitue un acte de langage ; par ailleurs, la notion du risque est transversale (sciences physico-chimiques, sciences de la vie, sciences de l’homme et de la société…) d’où la nécessité de l’interdisciplinarité pour mieux la saisir, du fait que la société est exagérément envahie par un désir, presque aveugle de sécurité absolue face aux dangers.

Cette quête de sécurité absolue constitue, désormais, une trame de fond du quotidien, elle favorise la production et l’entretien d’un univers hautement vulnérable où de nouvelles configurations de risques se traduisent en actes délictueux qui ont des coûts financiers qui obèrent les collectivités. Pourtant, la réponse évidente à la réalité d’un danger réside dans le déploiement de moyens d’intervention appropriés, à l’effet de gérer les crises et de les ramener à la normalité, pour endiguer les désordres et réinstaurer la légitimité133. Mais si le traitement du danger passe par la mise en œuvre de moyens logistiques efficients et enrichis d’innovations techniques, l’actuelle gestion des situations de crise demeure tributaire d’un jeu aux règles imprécises, voire approximatives.

Violences

Le constat actuel est que les violences s’exportent plus facilement que le progrès et leur coût économique et social aggrave la désétatisation ; et si chacune des menaces prises isolément, ne paraît pas suffisante pour ébranler les sociétés, leur conjugaison pourrait constituer de véritables dangers gravissimes. Par ailleurs, si la pauvreté et l’injustice ne constituent peut-être pas des causes directes de dangers, dans les sociétés où l’injustice est trop criarde et où les laissés pour compte n’ont guère d’espoir de voir leurs conditions s’améliorer, la situation pourrait devenir extrêmement instable et constituer un déclencheur de violences.

Certes, la plausibilité qu’un avion kamikaze tombe sur un surgénérateur pourrait remettre en cause l’avenir du nucléaire et continue de préoccuper le chercheur tout

132 La notion de risque -qui connaît actuellement un regain d’intérêt- est apparue au XIVe siècle dans le vocabulaire des assurances maritimes qui se développaient alors en Italie ; elle a ensuite permis de transformer en profondeur le traitement juridique des accidents de travail au XIXe, avant d’essaimer récemment dans tous les domaines. Aussi le risque est-il peu à peu devenu social, économique, technologique, écologique, politique, sanitaire… pour le voir actuellement se singulariser par son propre vocabulaire, son droit, ses avocats, ses professionnels, ses revues...

133 Jocelyne Dubois-Maury « Les risques urbains », Armand Colin, Paris 2004

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

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comme le commun des mortels, même si les spécialistes affirment que cela ne serait pas aussi catastrophique qu’on pourrait le croire. Ce qui inquiète davantage, ce sont les vols des matières nucléaires. En effet, depuis le début de l’année 2000, dans ses rapports, l’AIEA134reconnaît que des groupes extrémistes continuent à dérober de l’uranium hautement enrichi, dans un silence presque complice des dominants et cela illustre le manque de transparence et le paradigme auquel sont confrontés les puissants, ce qui donne toute sa consécration aux expressions : Nimby (not in my back yard, « pas dans ma cour ») et Nimto (not in my term of office, « pas durant mon mandat électoral ») !

En effet, tout au long du XXe  siècle, l’homme a accumulé une quantité de dysfonctionnements d’une dangerosité infiniment supérieure à celles qu’il avait générées au cours de son histoire multimillénaire. Des stocks d’armes s’entassent depuis la seconde guerre mondiale et qui sont à la fois des menaces terribles de destruction, mais aussi et surtout des sources actives de pollution  ; il faut mentionner à ce sujet que les premières mines (véritables bombes enterrées) ont été utilisées par l’Angleterre au XVe  siècle (1415) à la bataille d’Azincourt, puis de façon plus systématique au XIXe siècle, notamment au cours de la guerre civile américaine (1776-1865).

Lors de la seconde guerre mondiale, plus de trois cents millions de mines antichars furent déployées, sachant que souvent la fonction militaire des mines est détournée pour être utilisée contre des populations civiles. Par ailleurs, enterrées, ces mines restent actives pendant plus de soixante-quinze ans et même en temps de paix, elles continuent de tuer et de mutiler des civils. Il y en aurait cent dix millions de mines étalées dans plus de soixante-dix pays qui font une victime toutes les vingt minutes. Dans ce rayon, l’Afrique constitue le continent le plus miné du monde avec cinquante millions de mines.

Outre les conséquences dramatiques pour les humains, ces mines constituent un désastre économique et écologique, du fait que lorsque les contenants se détériorent, les substances hautement toxiques se répandent sur le sol, polluant les campagnes sur d’immenses surfaces  ainsi que par le lessivage et les infiltrations. Ces mines polluent les eaux de surface et les nappes phréatiques. De même, pour une petite mine antipersonnel qui coûte en moyenne 3 dollars à sa fabrication, il faudrait entre 300 et 1000 dollars pour la repérer, l’extraire et la détruire. Quant aux prothèses artificielles dont il faudrait équiper les dizaines de milliers de survivants, elles valent entre 100 à 300 dollars et doivent être remplacées tous les cinq ans pour un adulte et tous les six mois pour un enfant.

Le paradoxe et l’aberrance de la situation sont que l’on continue à acheter et à poser

134 Agence Internationale de l’Energie Atomique ; Organisation créée en 1957 par l’Assemblée générale des Nations Unies pour encourager et faciliter, dans le monde entier, le développement et l’utilisation pratique de l’énergie atomique à des fins pacifiques et la recherche dans ce domaine.

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des mines et une cinquantaine d’Etats persistent à en fabriquer, à l’image de la Russie et des Etats Unis d’Amérique ainsi que de nombreux pays en voie de développement ; sachant que le traité d’Ottawa, signé par cent vingt et un pays en décembre 1997 avait interdit la vente des mines antipersonnel et sachant aussi que le problème ne vient pas seulement de ceux qui ne l’ont pas signé, tels l’Afghanistan, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Cambodge, le Vietnam, le Mozambique…

Par ailleurs, concernant les armes chimiques, la synthèse du fameux «  gaz moutarde  » remonte au milieu du XIXe  siècle, lorsque les Allemands l’utilisèrent à Ypres135, en Belgique, durant la guerre de 1914-1918. De même, peu avant la Seconde Guerre Mondiale, trois autres gaz toxiques furent synthétisés : le tabun, le sarin et le soman136 ; ainsi, l’Irak aurait utilisé le tabun pendant la guerre contre l’Iran et contre les populations Kurdes, alors que le sarin fut utilisé par la secte Aum137 dans le métro de Tokyo et fit de nombreuses victimes en 1995.

En 1983 un accord international est signé, prévoyant de graves punitions contre les pays qui utiliseraient les agents innervants138 que seuls les Etats-Unis, la Russie, l’Irak et l’Inde reconnaissent en avoir fabriqué ; et après la seconde Guerre Mondiale, il y avait 300 000 tonnes de gaz innervant dans l’ex-Allemagne nazie. De leur côté, les alliés déclarent les avoir coulés près de la Norvège, dans le cadre du dumping139 et en 1967 les Etats-Unis ont fait la même chose avec les « nerve gas rockets » au large de New Jersey ; aujourd’hui les conventions internationales n’obligent plus les Etats à les détruire, mais le dumping, qui est interdit, continue d’être pratiqué clandestinement.

Par ailleurs, les armes bactériologiques sont infiniment plus redoutables que les

135 Les Allemands ont attaqué la région d’Ypres en octobre 1914. L’armée allemande utilisa, pour la première fois, les gaz de combats, c’est le premier usage militaire du gaz moutarde qui fut dès lors également appelé ypérite.

136 Le tabun est un gaz neurotoxique dangereux par inhalation ou contact épidermique, comme le Soman et le sarin. Ils se présentent sous la forme d’un liquide incolore ou brun selon son degré de pureté. Les symptômes peuvent varier d’un individu à l’autre, mais les plus observés sont :

• Vomissements• Salivations• Diarrhées• Vertiges• ComaLe tabun s’attaque au système nerveux et respiratoire. C’est la paralysie du système respiratoire et le

resserrement des bronches qui provoquent la mort en l’espace d’une vingtaine de minutes.137 Aum Shinrikyô est un mouvement religieux qui a conçu et perpétré au Japon un attentat au gaz sarin

dans le métro de Tokyo, le 20 mars 1995. 138 En 1983, il y eu un accord international signé par un grand nombre de pays. Cet accord prévoyait de

graves punitions contre les pays qui utiliseraient des agents innervant. 139 Le terme de dumping (de l’anglais to dump, « déverser », « se débarrasser de ») désigne des pratiques

commerciales contraires à l’esprit de concurrence.

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

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armes chimiques, le plus vieil exemple de ce type d’armes est le rat pestiféré que l’on jetait, au Moyen âge, dans le puits, à l’amont des cours d’eau des villages ennemis. Au XXe siècle, on a recouru à la concentration de bactéries comme la peste ou le choléra pour contaminer des populations ennemies et ces armes ont été utilisées durant les deux conflits mondiaux.

Dans ce domaine, les Etats-Unis n’ont pas mis fin à leur programme offensif140 et l’on soupçonne la Russie d’avoir maintenu son programme offensif hérité de l’ère soviétique. Ainsi, de nombreuses bactéries sont employées, tel le bacille de la peste que les Japonais ont utilisé en Mandchourie contre les chinois, causant des dégâts aux deux opposants141. En outre, malgré l’entrée en vigueur en 1975 de la Convention internationale qui interdit de telles armes, le « US Congressional Office of Technology Assesment » a rendu public en 1993 une liste de pays qui ont un programme non déclaré de fabrication d’armes biologiques offensives  notamment, l’Iran, Israël, la Libye, la Syrie, la Chine, la Corée du Nord, le Taïwan et on soupçonne d’autres Etats d’avoir un tel programme, particulièrement l’Egypte, le Vietnam, le Laos, la Bulgarie, l’Inde.

Par ailleurs, les Etats-Unis refusent toujours de se prêter au contrôle de la « Biological Weapons Convention  » (protocole de vérification) au nom du secret économique pour protéger les laboratoires des compagnies pharmaceutiques contre l’espionnage industriel  ; et après l’affaire du courrier contenant l’anthrax en 2001, l’US Army a dû admettre qu’elle continuait à en fabriquer dans ses installations de Dugway Proving Ground (Utah).

Par ailleurs, si la fin de la guerre froide a eu comme heureux résultat une diminution importante des têtes nucléaires : le nombre des lanceurs tombant de quatre mille cinq cent en 1970-1980 à deux mille cinq cent à partir du début du XXIe siècle142. En effet, de grandes quantités d’uranium et de plutonium sont stockées dans des milliers d’ogives nucléaires. On en retrouve dans les réacteurs des navires et des sous-marins atomiques

140 Les États-Unis d’Amérique commencèrent à s’intéresser aux armes biologiques lorsqu’une commission spéciale fut créée pour évaluer la menace de guerre biologique. En 1943, un centre de recherche fut créé et, en 1944, une installation d’essai sur site était opérationnelle.

Ce fut également en 1943 que débuta le projet de chambre à brouillard (ou chambre de Wilson). Il établit la faisabilité d’une infection par inhalation et prouva la possibilité de disséminer des agents pathogènes sous forme d’aérosols.

À la fin de la guerre, les États-Unis avaient étudié un grand nombre d’agents, mis au point des techniques de stabilisation par la cryodessiccation (lyophilisation) et testé au moins un modèle de bombe à sous-munitions pour la dispersion d’agents biologiques.

141 Aujourd’hui on maîtrise mieux ces techniques de mort : un seul gramme de toxine de botuline pourrait tuer un million de personnes.

142 Il faut préciser que la trentaine des pays développés représentant 20% de la population du globe produisent et consomment plus de 85% des produits chimiques synthétiques, 80% de l’énergie non renouvelable, 40% de l’eau douce et ils émettent dix fois plus de gaz à effet de serre par habitant que le reste de l’humanité.

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et le cas le plus alarmant est celui des centaines de navires russes laissés à l’abandon, sans aucune surveillance, dans la mer de Barents, près de la Norvège ; et cela représente plus de 24000 tonnes de combustible irradié qui sont soumises à la corrosion et dont les émanations radioactives se font déjà ressentir dans l’eau.

Ainsi, l’impossible définition des violences extrêmes alimente des discours sans fin et permet de leur faire dire le tout et son contraire ; le concept « violence extrême » est à l’origine des luttes et des enjeux auxquels se livrent actuellement les acteurs étatiques : on est toujours violent au regard de l’autre. Le concept « violence » revêt une acception accusatoire, il stigmatise et participe à l’érosion de la confiance en les institutions étatiques  ; sachant qu’il est difficile à n’importe quelle organisation de disputer à l’Etat sa suprématie et de concurrencer ses capacités à imposer les cadres légitimes d’interprétation du monde social, sachant aussi que l’objectif de vaincre les faiseurs de violences est d’asseoir un monde ordonné et régulé.

Le XXIe siècle s’ouvre sur une toile de terreur où la furie est à son paroxysme et où l’horreur est à son comble et bien que cette cruauté soulève l’effroi et l’abject, des sociétés –ou du moins ce qui en reste- se complaisent dans cette laideur où la désintégration est totale. Cependant, bien que la violence n’ait jamais été aussi visible, elle n’a jamais été vécue avec autant d’indifférence, sachant que l’homme a toujours fantasmé et sublimé la violence donnant aussi raison à Nietzche, « vivre, c’est essentiellement dépouiller, blesser, violenter le faible et l’étranger… parce que la vie est volonté de puissance »143 ; Et dans ce contexte, le monstre devient fréquentable, la perversion s’institutionnalise et le bourreau s’assoie à la même table que la victime, sans que cela ne révulse personne.

En effet, le monde devient un podcast144, il suffit de quelques mots dans un moteur de recherche pour que la violence soit configurée quelque part, cela ressemble à un jeu électronique « Click to play », assis sur son fauteuil, au point que l’armée étasunienne, pour stimuler l’enrôlement, a mis au point des jeux tels l’« America’s Army » et « Call of Duty Modern Warfare » qui sont d’un réalisme sans précédent où le pseudo-soldat accomplit tout -excepté le risque de mourir- en participant depuis son ordinateur à toutes les batailles, là où elles se trouvent dans le monde.

La réalité n’est pas si différente, puisque ce soldat joueur depuis son bureau, télécommande des drones dans le ciel du Pakistan, de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Syrie, de la Libye, du Yémen… à des milliers de kilomètres, le nez collé à la lunette et le doigt serré sur le joystick ; et après avoir réalisé son exploit macabre, ce technico-

143 In Michel Maffesoli : Essais sur la violence, banale et fondatrice, CNRS, Editions, 2009 P. 21144 Podcast ou baladodiffusion est né de la contraction des mots iPod (baladeur développé par la société

Apple) et broadcast (qui signifie diffusion). Il désigne des méthodes récentes de diffusion multimédia par Internet.

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soldat se rend, comme un citoyen modèle, à une grande surface pour faire ses courses et, ensuite, aller chercher ses enfants à l’école. Le soir, le même soldat découvrira, sur les chaînes de télévision, ses réalisations  : des écoles détruites, d’enfants tués, des hôpitaux ravagés…

Le superdestructeur n’a plus besoin d’avions, de bombes, de kamikazes, de ceintures explosives ; il suffit de s’introduire dans un système informatique à valeur stratégique, d’y installer un virus ou quelques perturbations graves pour paralyser les ressources économiques, militaires et politiques d’un pays ou d’un continent et cela peut être tenté n’importe où sur la terre, à coûts et moyens réduits.

Le rapport entre le territoire et la terreur a changé et cela tient au savoir et à la technoscience qui brouillent la distinction entre guerre et violences extrêmes ; lesquelles violences peuvent être très graves parce qu’invisibles, silencieuses, plus rapides et plus sanglantes145. Sans remonter loin dans l’histoire, ces violences comme celles de Hobbes, de Schmitt, de Benjamin Constant… étaient louées et leurs auteurs montrés comme des combattants de la liberté dans bien de contextes, tout comme elles étaient dénoncées dans d’autres. En effet, à partir de quel moment la violence cesse-t-elle d’être dénoncée comme terreur pour être saluée comme la seule ressource d’un combat légitime ? Et où placer la limite entre le national et l’international ?

Dans la société actuelle, les risques se coudoient et s’attirent systématiquement comme des aimants  : la faim borde la satiété grasse, les palais cohabitent avec les bidonvilles, le faste s’accommode des haillons. Et ces réalités continuent de renforcer des menaces invisibles qui constituent un terreau favorable sur lequel éclosent et prospèrent des catastrophes et des crises, à l’image de l’allégorie de la caverne de Platon146. Ainsi, la société est devenue une vitrine de manufactures de risques ; aussi, faut-il la repenser par la revisite des structures qui ont permis sa construction.

L’âge des incertitudes et des catastrophes est désormais celui du présent ; il conjugue l’appréhension d’un futur à sinuosités méandreuses et les risques qui sont beaucoup plus probants que le progrès, même si pour Robespierre, la défiance est la gardienne de la démocratie et qu’elle est à la liberté ce que la jalousie est à l’amour. En effet, le mal-être (précarité, chômage et travail non déclaré) est devenu le destin de tous les

145 Si on se réfère aux définitions courantes ou explicitement légales de la terreur, qu’y trouve-t-on ? La référence à un crime contre la vie humaine en violation des lois (nationales ou internationales) elle y implique à la fois la distinction entre civil et militaire (les victimes du terrorisme ne sont pas supposées être civiles) et une finalité politique (influencer ou changer la politique d’un pays en terrorisant ses dirigeants). Ces définitions n’excluent donc pas l « terreur d’Etat ». Tous les terroristes du monde prétendent répliquer, pour se défendre, à une terreur d’Etat antérieure qui, ne disant pas son nom, se couvre de toutes sortes de justifications plus ou moins crédibles.

146 Chez Platon, dans l’Allégorie de la caverne, le monde visible devient une simple ombre, il n’est que le reflet d’une vérité qui se dérobe fondamentalement aux possibilités humaines.

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jeunes et que choisir son travail est, désormais, une préoccupation qu’il faut conjuguer au passé ; pendant que de l’autre côté de l’échelle sociale tout est doré, mielleux et sans difficultés ; avantages qui sont le fruit de la déprédation, des injustices, de l’arbitraire et des privilèges voilés147 : un véritable darwinisme et une course effrénée pour l’« avoir ».

b) Corruption

La corruption la plus terrible est celle d’esprit ; elle ruine les fondements de l’Etat et de toute société, elle est toujours liée aux malversations des dominants et elle s’abat comme l’épée de Damoclès sur les plus démunis, toujours stigmatisés comme des quémandeurs de l’assistanat. D’ailleurs, les dominants n’hésitent pas à remettre en cause la citoyenneté qui est un frein à l’avidité et à la déprédation globalisante qui voudrait tout financiariser. De plus, l’oligarchie globalisée fait en sorte que la politique soit soumise aux exigences de la finance et à l’affairisme  ; et cette orientation ne se préoccupe que peu des dépenses sociales, particulièrement en matière de santé, d’éducation, de justice, de culture, de sécurité sociale… jugées aberrantes et sans rendements.

En effet, le fléau de la corruption affecte, dangereusement, la vie en société et corrode les bases fondamentales du vivre ensemble  ; et tel un virus létal, elle n’est pas un mal ponctuel, elle infecte toutes les composantes du corps social ainsi que tous les secteurs de la vie socio-économique. En outre, la corruption se répand dans toutes les sphères de la société, tantôt sous le nom de management, tantôt sous le nom de gouvernance, faisant des institutions les caricatures de ce qu’elles étaient hier.

En effet, cette corruption du système libéral, nommée gouvernance se veut un processus de coordination des acteurs décisionnels, des groupes sociaux, des institutions ; elle s’inscrit dans le prolongement des théories néolibérales, sachant que pour ses tenants, le développement est avant tout une affaire de gestion managériale, évacuant ainsi de son champ la dimension du politique. Alors que la gouvernabilité est seule à même de permettre une prise de vue globale sur les sociétés en conférant toute la place à l’analyse de la relation au pouvoir par la mise en exergue de la visibilité des décisions et des liens entre gouvernants et gouvernés, afin qu’ils s’inscrivent dans des rapports de transparence, d’engagement et de responsabilité.

Cependant, se projeter dans un monde meilleur suppose d’avoir des décideurs humbles et compétents, des gestionnaires de risques ayant une grande ouverture d’esprit, de la curiosité, de l’empathie, de la sensitivité… Sun Tzu ne disait-il pas «…

147 Michel Pinçon et Monque Pinçon Charlot  : La violence des riches, chronique d’une immense casse sociale, Editions La Découverte/Poche, Paris 2013, 2014

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Connais ton ennemi et surtout connais-toi toi-même et tu seras invincible  ». Aussi, le décideur doit-il appréhender tous les coûts qui impactent la résilience148 de son territoire, sachant que la notion de décideur englobe à la fois l’acteur du secteur public que celui du privé.

En lieu et place, les décideurs continuent de recourir à de nouveaux concepts, notamment ceux de la concertation, du débat public et ce, dans une démocratie de façade que les nouvelles technologies de l’information ont réduit à la « blogosphère » et aux réseaux sociaux qui influencent -voire remettent en cause- le sort des sociétés de leurs territoires, modifiant ainsi le contenu des politiques publiques et altérant les conditions d’exercice et la répartition des pouvoirs sur les territoires.

En résumé, le pire des fléaux que connaît la société est cette corruption de tous les concepts régulateurs ; en effet, tout le vocabulaire est manipulé et les idées sont vidées de leurs substances, voire détournés de leurs objectifs. De même, les valeurs morales sont rangées aux oubliettes pour paralyser la pensée ; et tout est fait pour que « le politiquement correct » brouille le vrai sens des concepts, pour leur substituer des vocables édulcorants, à l’effet de faire accepter l’indicible et l’inadmissible : le chômeur devient le « sans-emploi », l’allocation-chômage devient l’« allocation aide au retour à l’emploi », le licenciement devient le « plan de sauvetage de l’emploi »… la déprédation de l’espèce et de la nature sont ainsi diluées dans une phraséologie encensante et seule la régénération de l’idée et de l’idéologie pourrait endiguer ce fléau.

II. Le Maroc dans son environnement régional

1. Le National

Parler du Maroc149 serait inintelligible si on ne le replaçait pas dans ses contextes régionaux à la fois politiques, économiques, sociologiques, culturels (vernaculaires/modernes), idéologiques, stratégiques pour le lire, ou plus exactement le relire dans ses rapports à l’Europe, à l’Afrique, au Maghreb, au monde arabo-musulman.

Certes, des écarts manifestes hérités du protectorat et aggravés depuis, continuent d’obérer le présent et de freiner les attentes sociales  ; certes, de difficiles réalités économiques continuent d’engendrer des dysfonctionnements gestionnels  ; certes, un contexte régional de guerres, imposé à ce pays depuis presque un demi-siècle, handicape la pleine réalisation de ses objectifs stratégiques, néanmoins, face à ces

148 Résilience  : Capacité à rebondir, à rejaillir… à faire face à des situations difficiles, elle est l’art de naviguer dans le brouillard et d’arriver à bon port sans boussole.

149 Le lâche abandonne sa dignité avant d’abandonner ses engagements.

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aléas, et il faut le souligner, le système et la société marocains ne stagnent pas. En effet, contrairement aux tsunamis qui ont balayé la quasi-totalité des pays de la rive sud de la Méditerranée, le Maroc reste debout150 et c’est ce qui intrigue et irrite les uns et constitue un indicible pour les autres…

Et au lieu d’apprécier cette situation à sa juste valeur, l’Occident laisse libre, voire accompagne la déstabilisation des rares Etats encore debout : allant de l’intervention directe au soutien des responsables de la déstabilisation, à des prises de position irréfléchies151… à des charges enragées d’une certaine presse et milieux intéressés et/partiaux.

De même, au lieu de tenter l’intellection de ce Pays qui ouvre à la fois sur l’Europe et sur l’Afrique et qui participe, sans doute aucun, à l’endiguement des insécurités en provenance des pays du Sahel et des autres pays méditerranéens ; certaines puissances de l’environnement régional, tant au nord qu’au sud de ce Lac, voudraient charger ce Pays de tous les maux, voire en faire le champion de la planète en compromissions, en corruptions, en clientélisme, en déficits abyssaux, en injustices, en horreurs, en dossiers véreux : à croire que l’enfer serait plus vivable que le Maroc.

Pourtant, ces bavures peuvent coûter cher à leurs auteurs. A titre d’exemple, la destitution du Souverain Défunt Mohammed V et son remplacement par un prétendant, Ben Arafa, sultan confectionné de toutes pièces par le protectorat, suite à la signature d’un manifeste par des pachas et caïds sur demande de Glaoui, à l’époque pacha influent de Marrakech et interlocuteur privilégié du protectorat et la déportation du Souverain Défunt en 1953 ont accéléré l’indépendance du Pays, à la suite des négociations des accords de Celle-Saint-Cloud, signés le 6 novembre 1955.

Par ailleurs, pendant cette même période, le leader Ho Chi Minh du Viêt Nam (1890-1969) formé à la guerre révolutionnaire demanda au leader non moins historique Mohamed Abdelkrim El Khattabi, au nom de la solidarité révolutionnaire, d’inciter les Marocains et les Nord africains enrôlés dans l’armée française de faire défection et de ne pas tirer sur les Vietnamiens. Cela s’est traduit par une guerre psychologique qui a

150 Entrer c’est choisir et choisir c’est être choisi : le destin t’attend, semble dire le proverbe à ceux qui sont à la tête de ce Pays.

151 Paris décide de ne pas faire usage de son droit de véto au Conseil de Sécurité si la proposition d’instaurer un mécanisme de supervision des droits de l’homme au Sahara, lors du renouvellement de la MINURSO, le 20 février 2014 s’il n’était pas accepté par le Maroc. S’y ajoute la rocambolesque descente de policiers français à la résidence de l’Ambassadeur du Maroc, pour y signifier une convocation judiciaire à l’endroit du patron de la DST ; la presse révélant que la magistrate française est une militante politique d’origine algérienne. Par ailleurs, un capitaine radié des forces armées royales s’est « étrangement » introduit le 18 juin 2014 à Val de Grâce dans la chambre d’un Général Marocain, hospitalisé en soins intensifs. Hôpital hautement sécurisé quand il accueille des personnalités étrangères ; sans oublier la dégradante fouille à Roissy du Ministre des Affaires Etrangères le 26 mars 2014 et les divers publications et jappements depuis les plateaux de télé, de radio et de salles de rédaction.

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porté immédiatement ses fruits ; tous les jours à 16 heures GMT, sur fonds de musique martiale, « la voix des Arabes », en Egypte, appelait les soldats marocains de l’Armée française à Dien Bien Phu à déserter, au point que le Général Giap152 eut sous ses ordres un Général et des soldats marocains (le Général Ben Omar) farouchement décidés à venger la destitution et la déportation de leur Sultan et de faire payer à la France ses multiples dépassements et exactions. C’est d’ailleurs ce même Général Marocain qui entrera le premier à Hanoi et qui prendra le foulard au Général de Castries en 1954, le jour de l’Aïd El Kébir (Fête du sacrifice), un an après l’exil du Sultan.

A la lumière de tout cela, c’est la profondeur de la cohésion singulière Roi/Peuple qu’il faut tenter de comprendre, pour mieux saisir qu’elle n’est pas, exclusivement, le résultat de normes froides, mais qu’elle est secrétée par l’Histoire ancestrale. L’observateur comprendrait à quoi renvoie le déferlement d’un peuple du nord du pays à son extrême sud et de son est à son extrême ouest pour accompagner à sa dernière demeure le Roi Défunt Hassan II le 23 juillet 1999 et le scénario fédératif se répète spontanément et avec autant d’éclat à chaque fois que quelqu’un (personne ou puissance) tente d’attenter aux institutions ou à l’intégration de ce pays.

Le Maroc -cette anthropologie de tribus, cette synthèse de strates civilisationnelles, cette ontologie politique, cette saga millénaire- constitue un livre ouvert de leçons et de sagesse -que ni Ibn Hanbal fondateur de l’École rigoriste de la pensée sunnite, ni Ibn Taymiya l’exégète radical des textes islamiques fondateurs qui ont irradié le monde musulman, ni Ibn Abdelwahab qui a propagé la doctrine ultra littéraliste- n’ont pu le faire dévier de sa trajectoire éclairée et régulée qui lui a, toujours, permis de transcender des violences qui ont ravagé bien d’autres pays.

De même, parce que sa stabilité n’est plus à prouver, le Maroc a bien a été le premier à organiser au lendemain des attentats de New York du 11 septembre 2001 une cérémonie à la Cathédrale de Rabat (le 16  septembre 2001) en présence du Gouvernement, de personnalités du Royaume et des représentants des différentes religions monothéistes présentes dans le pays.

Par ailleurs, l’ouverture du pays sur les autres civilisations ne date pas d’hier, déjà à partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle, une série de traités étaient conclus avec la France (1631) pour la liberté du culte sur le territoire marocain et avec l’Espagne (1793) pour garantir les mêmes libertés : sachant que dialoguer ne renvoie pas à une absence de désaccords. En outre, si certains s’interrogent sur la particularité des rapports avec les juifs, c’est qu’ils ne savent pas qu’après le Yémen, le Maroc abritait la deuxième plus forte diaspora juive dans le monde, sans oublier que sous le gouvernement de Vichy, le Souverain défunt Mohammed V s’était opposé au fait de particulariser les juifs en leur

152 Vo Nguyen Giap (1911-1944) héros de l’indépendance du Vietnam.

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faisant porter l’« étoile de David », menaçant de la faire porter à la Famille Royale et au peuple marocain, si une telle décision venait à être prise153.

Ainsi, la stabilité pourrait être la seconde identité de ce pays monarchique, Dicey un juriste britannique154 disait « Si dans les monarchies il y a des lions, ils sont sous le trône… » et ce, dans un environnement régional toujours en proie à des secousses sociales et de positionnement au prix de sang, dans une ambiance de destructions, d’involutions, d’assassinats, de morts par centaines de milliers, de déplacés par millions, de manques à gagner par milliards de dollars… Sachant que le Maroc -de par sa position géographique, sa singularité politique et la présence d’intérêts étrangers- constitue et constituera toujours un enjeu de taille ; et si dans le registre de la violence, ce sont les intérêts occidentaux qui sont toujours visés, mais ceux des pays arabo-musulmans ne sont pas du reste, le tout se heurtant au bouclier marocain.

Pour les quarante dernières années, la stratégie du Maroc reste marquée par la singularité de ses grandes œuvres, c’est d’abord l’épopée qui a surpris et ébahi le proche et le lointain, la « Marche Verte » du 6 novembre 1975 qui a regroupé, à l’Appel du Souverain défunt 350  000 citoyennes et citoyens qui ont marché pour récupérer des mains des Espagnols, pas moins de 266 000 km² (la moitié du territoire français), soit 0,76 km² symboliquement couvert par chaque marcheuse et marcheur. Et depuis, il n’a cessé d’enclencher des marches ; dans ce sens, il a lancé de vastes chantiers de réformes qui ont traversé -et qui continuent de le faire- tous les secteurs et toutes les catégories du peuple, sans oublier l’actuelle marche vers l’Afrique…

Pendant ce temps, certains pays et leurs presses se livrent sans réserve, sous le masque de la défense d’une certaine liberté labellisée « Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) » à l’attaque d’un pays, exclusivement, debout et qui ne cesse d’innover et de concrétiser des avancées en matière de droits humains ; et ces œuvres sont le propre d’un peuple de femmes et d’hommes libres et authentiques qui échappe à la fois aux stases de la domestication et aux sismicités politiques provoquées par des extrémismes politiques qui ravagent toute la région.

En effet, la rive sud de la Méditerranée est en feu et en sang  ; et pendant que les rues arabes sont dans l’errance totale, le Maroc -grâce à un conatus que lui

153 Le plus ancien conseiller royal est juif, André Azoulay est à la fois président de la Fondation Euro-Méditerranéenne Anna Lindh, instituée en 1995 par Bruxelles et ses 10 partenaires du sud de la Méditerranée, avec pour objectif la compréhension mutuelle et la paix. Il est le président délégué de la Fondation des trois cultures et des trois religions, basée à Séville. Il est Administrateur du Forum méditerranéen et du centre Shimon Perez pour la paix. Il est l’un des représentants de l’Afrique du Nord au Haut Conseil pour «  L’Alliance des civilisations-ONU » forum établi par l’ONU en 2005 à l’initiative du premier ministre espagnol Zapatero et de l’actuel Président Erdogan pour lutter contre les extrémismes.

154 Jean-Claude Martinez : Mohamed VI, Le Roi stabilisateur P. 110 Editions Jean-Cyrille Godefroy, 2015

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

111COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

confère la diversité complémentaire de ses populations ainsi que la pluralité de sa culture délicatement assimilées et appropriées depuis la nuit des temps- continue de marcher. En outre, grâce à sa constante adaptation aux temps et aux changements, le Maroc a pu canaliser et trouver un exutoire cathartique aux tempêtes sociales qui ravagent la rive sud de la Méditerranée, par l’exploration et par l’expérimentation d’une démocratie endogène et anticipatrice, sans céder aux appels des démons paroxystiques et ravageurs, et sans se laisser emporter par de quelconques « voies » religieuses ou séculières : illusions qui continuent, d’ailleurs de désétatiser plusieurs pays du sud de la Méditerranée.

2. Le Sahara

A chaque difficulté qui affecte le Maroc, on assiste à une levée de boucliers de certains milieux tant sur la rive sud que sur la rive nord de la Méditerranée qui reviennent, comme les inspirateurs et les coordonnateurs d’un activisme anti marocain. D’ailleurs, en 2014 avec le documentaire pro-Polisario155, « los hijos de las nubes, la ultima colonia » une toile de propagande, le réalisateur a imaginé au début de la décennie 2010 un cracheur de feu s’immoler et transformer la « Place Jamaa el Fna », en « Place Tahrir » et donc, enclencher un « printemps de l’Atlas ». Ce vœu ou plutôt ces hallucinations d’un énergumène qui n’est qu’un simple constituant d’une trame kaléidoscopique dont l’objectif est de déstabiliser le Maroc  ; laquelle errance, telle la pomme de pin -en éclatant dans les incendies de forêts- propage des brasiers dont les impacts seront fortement ressentis aussi bien en Europe, au Moyen Orient qu’en Afrique.

Sur cette partie sud de la Méditerranée, le Maroc subit une guerre d’usure depuis plus de 50 ans, c’est d’abord la guerre des sables de 1963 et c’est ensuite par Polisario interposé. Ainsi, dans ce conflit du Sahara depuis 1975 pour guerroyer, les sponsors de ce conflit font appel à un ramassis mêlant des individus du nord de la Mauritanie, du sud de l’Algérie, du Mali, de quelques individus nés dans les camps du Polisario ainsi que d’une minorité qui a cru aux mythes révolutionnaires des années 1970.

Cependant, les mirages mielleux des situations de départ se sont vite transformés en enfer et ceux qui y ont cru sont morts dans des bagnes ou tentent de survivre dans la hamada du voisin ; alors que d’autres végètent au prix de servage et/ou de se défaire de leur dignité. Sachant que cet agrégat d’individus atomisés constitue un terreau favorable à la propagation de violences maximalistes, ne dit-on pas qu’«  à force de s’agenouiller on finit par prier ».

De même, sur cette situation pour le moins grave se sont greffées des entités –des

155 Le réalisateur catalan Javier Bardem.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

objets politiques non identifiés (OPNI)- financés par le voisin qui pratique une diplomatie offensive à grande échelle et sans limitation de frais. Ces OPNI disposent de moyens financiers que ne peuvent se permettre de nombreux d’Etats organisés. Et aucune personne dotée de raison ne croirait que cet activisme soit réellement l’œuvre exclusive d’un mouvement de quelques milliers de personnes habitant des rangées de tentes, plus vides que pleines pour des besoins de propagande.

D’ailleurs, la grande truanderie réside dans le fait que ce mouvement se permet « miraculeusement » le luxe de missions diplomatiques partout dans le monde, alors que d’autres peuples plus représentatifs sont abandonnés à leur sort dans des réserves, quand ils ne sont pas menacés de génocide. Il en est ainsi du peuple padaung (Birmanie), du peuple Bushman (Botswana), des peuples panara, Akuntsus et Awas (Brésil), du peuple Samburu (Kenya), des autochtones de Vanuatu, du cachemire (Inde), des peuples Kalami et Huli (Papouasie Nouvelle Guinée), du peuple Samoyède (Russie), du peuple Massai (Kenya)…

En tout cas, pour celui qui connaît ce Pays, il sait que le Sahara ne sera jamais sans le Maroc et vice versa, car si tout ce qui a un prix peut être négocié, pour tout Marocain, le Sahara transcende tout prix. En effet, ce territoire contesté constitue son « être » et son « étant », comme diraient les philosophes Heidegger et Levinas. Et ce ne sont pas des milliards de dollars de réserves de change, des milliers de tonnes d’or, des millions de barils de pétroles ou des milliards de mètres cubes de gaz naturel qui remettront en cause la stabilité et les destinées du Maroc.

En outre, il faut savoir que le quantitatif précité ne pourra jamais être -à lui seul- source de puissance, de légitimité et de leadership  ; cela n’est possible que si on construit la puissance sur la paisibilité, sur la durabilité, sur la légitimité, sur la confiance de son peuple, sur le respect de l’autre, le tout édifié autour d’une économie productrice de richesses matérielles et immatérielles que seules permettront des infrastructures compétitives et non des institutions délabrées par des années de conflits interethniques et religieux débouchant sur des violences létales.

De même, ce n’est pas un nième rapport -particulièrement celui publié par le Département d’État étasunien (le 17 mai 2016) sur les droits de l’Homme au Maroc156- qui remettrait en cause l’intégrité du Maroc ou qui affecterait le présent et l’avenir du Sahara. En effet, devant sa partialité, ses défaillances et ses insuffisances, la réaction du Maroc a été telle que la Plus Haute Autorité du Maroc a critiqué le double langage des Etats Unis d’Amérique  ; mais faut-il toujours le redire  : les Américains n’ont pas d’alliés, n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Sachant que ce qui est dit par

156 En effet, le Département d’Etat ne cesse de reproduire des informations erronées, approximatives et continue de se baser sur des sources traditionnellement hostiles au Maroc.

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

113COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

la Maison blanche n’est pas forcément ce qui est dit par le Département d’État  ; et ce qui est dit par le Département d’Etat n’est pas toujours ce qui est dit par l’équipe diplomatique US au sein des Nations unies.

Dans ce Pays millénaire, la politique s’est toujours démarquée naturellement de tout aventurisme qui est source de dangers gravissimes et de crises létales. En effet, pour ce qui est du trafic de la drogue 34 % des saisies mondiales (7 tonnes de cocaïne/crack) et des tonnes de cannabis transitent par le sud de la Méditerranée, alors que le Pakistan ne représentait que 18  %. Il faut préciser que ces flux de drogues dures prennent leur naissance dans les Amériques pour entrer en Europe, par la porte océanique de l’Afrique, dont les frontières maritimes sont loin d’être hermétiques. Et le grand désert, la « Hamada tindoufienne » constitue un grand lac de poudre blanche qui noie l’Afrique du Nord et l’Europe, via de multiples voies, depuis les profondeurs de l’Afrique océanique, jusqu’aux côtes méditerranéennes, de quoi anéantir la volonté des peuples de la région et participer à l’aggravation de l’omnipotence de lobbies narcotiques sans scrupule.

La drogue des Amériques (Pérou, Colombie, Bolivie…) arrive par l’océan, par terre, par le ciel, par bateaux (cargos, voiliers, bateaux de pêche) et ce sont quelque 400 tonnes de ces drogues dures qui débarquent chaque année en Europe soit directement, soit par convois depuis la plateforme de l’Afrique de l’ouest et du Sahel. En effet, la « route » africaine est de plus en plus préférée, du fait de la perméabilité des frontières des pays leaders de ce trafic tels le Nigéria, la Mauritanie, les deux Guinée (Bissau et Conakry), le Sierra Leone, le Golfe de Bénin. Ces pays qui sous-traitent le transport de la drogue vers l’Europe, pour le compte des cartels sud-américains157; sachant que les effets néfastes de ce fléau n’épargnent pas les pays de transit de l’immigration clandestine où il est constaté une augmentation dramatique de la toxicomanie, notamment au Maroc, en Algérie, au Golfe de Guinée, au Cameroun158.

En effet, l’impact de ces fléaux dépasse et dépassera encore plus les capacités des Etats de la région, sans oublier que l’Occident pourrait –parce que riche et trop ouvert- devenir une décharge incontrôlée et incontrôlable de hordes criminelles liée à la drogue. Pour y faire face, le Maroc constitue la seule digue encore fiable pour contrer la criminalité qui sévit sur cet océan désertique de plus de 9 millions de km² où sont représentées toutes les violences existant en Afrique (blancs/noirs, Sahel/Littoral, Chrétiens/Musulmans, démocraties/autoritarismes…)  ; aléas qui, aggravés

157 Pour mémoire, le chiffre d’affaires de l’héroïne est de 1,8 milliards de dollars et il représente plus de six (6) fois le chiffre d’affaire de l’immigration clandestine et trois fois la rentabilité du trafic du cannabis. Par ailleurs, en France, 31% des trafiquants arrêtés sont originaires du Nigéria.

158 Le nombre de toxicomanes en Afrique est estimée entre 1 million et 4,5 millions ; dans certains pays africains le taux de dépendance à la cocaïne devient dramatique : entre 21 et 24% en Namibie et au Burkina Faso, entre 8 et 11% en Afrique du Sud, au Mozambique et au Kenya.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

par l’appétit anthropophagique des puissances occidentales en matières premières (gaz, pétrole, forêts, cuivre, phosphates…) justifient, voire qui dictent des alliances qui défient toute logique et tout bon sens. Et la situation dans cette Région est d’autant plus grave qu’à l’horizon 2040 quelques cent cinquante millions (150 000 000) de réfugiés africains continueront leur cavale à la recherche de la vie et de la stabilité, avec tous les travers et retournements concevables et inimaginables qui les conduiront vers des périls sans noms.

3. Le Maghreb

Au niveau du Maghreb, les relations entre les pays ont toujours été à dents de scie ; les tensions et les joutes se succèdent depuis plus de 60 ans et quand ils ne portent pas sur des lignes de politique générale, elles sont idéologiques et quand elles ne se rattachent pas à la géopolitique, elles sont liées à des contestations territoriales159.

Cette zone est aussi mise à mal par des crises internes qui continuent de sévir dans l’Est maghrébin, au point que l’instabilité soit devenue une donnée durable. A titre d’exemple, il a été enregistré dans l’un des pays en 2010 (Algérie) pas moins de 10 000 émeutes, soit un ordre de 900 par mois ; alors que pour un autre pays (Libye) la désétatisation est totale ; sans oublier que les situations en Tunisie et en Mauritanie restent éruptives.

Pourtant, dès 1915 l’élite maghrébine dans sa lutte pour l’indépendance avait lancé à Genève, le rêve d’une unité nord-africaine, mot d’ordre qui a été suivi par la naissance d’une revue, avec pour titre l’« étoile nord-africaine »  ; symbole tellement chargé de passion et d’espoirs que ce sera le nom que prendra en 1926 le premier parti clandestin algérien. Depuis cette date, de nombreux essais d’unions se sont succédés sans résultats notables. Ainsi, en 1983 l’Algérie et la Tunisie signant un traité de fraternité et de concorde, alors que le Maroc signait à Oujda un traité avec la Libye, pays qui avait, auparavant, paraphé à Djerba en 1974 un traité avec la Tunisie.

A partir de 1989, des lueurs d’espoir réapparaissent avec la signature le 17 février

159 En effet, dès son indépendance en 1956, le Maroc avait revendiqué des territoires qui se trouvaient encore sous l’autorité de l’Algérie colonisée. Un accord du 6 juillet 1961 entre le Souverain Défunt Mohamed V et le chef du GPRA Feu Ferhat Abbés, prévoyait qu’une fois l’Algérie indépendante, le statut de Tindouf et de Colomb Béchar serait renégocié, ce qui a été rejeté après l’accession de l’Algérie à l’indépendance et ce, en dépit de la réserve des populations des deux localités, lors du référendum de 1962 : « oui à l’indépendance, mais nous sommes marocains ». Il s’en suivit une année après des accrochages entre les deux armées dans les villages de Tinjoub et de Hassi Beida ; ceci a conduit à un conflit ouvert entre les deux armées qui s’est soldé par la victoire du Maroc. Depuis cette date, la confrontation est soit directe en 1963, en 1976 en 1989 à Amgala au sud de d’Es-Smara, guerre d’usure aux frontières algéro-marocaines, soit indirecte par Polisario interposé.

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

115COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

à Marrakech d’un Traité de 19 articles entre les Chefs d’Etat des pays du Maghreb, Hassan II, Kadhafi, Ben Jedid et Ould Tayaa, instituant l’Union du Maghreb (UMA)  ; néanmoins sur les 36 accords signés en 1993 seuls six (6) ont été ratifiés160 d’où la question primordiale à poser et à se poser  : que vaut une telle union dans une zone à comportements difficiles qui expliquent une histoire mouvementée où la rugosité violente constitue un des grands marqueurs ?

Ainsi, l’unité dans la région est loin d’être acquise et elle ne risque pas de se réaliser sur un terreau toujours dysfonctionné où la terreur n’est jamais loin. En effet, la fragilité de la région est à la faveur de mouvements paroxystiques tels Al Qaeda, l’AQMI, Daech… dont l’entrisme est facilité par des groupes séparatistes, sans oublier la complicité d’autres organisations, telles Mujao161 (Mali), Boko Haram162 (Nigéria), Al Chabab Al Islami (Somalie), Ansar Acharia (Tunisie)…

Il est manifeste que la propension des peuples de la région est de concrétiser une volonté politique de rapprochement, de mettre en œuvre des stratégies efficientes communes pour impulser l’économie régionale, de permettre une ouverture des frontières pour laisser circuler hommes, capitaux, activités, savoirs et savoir-faire, le tout s’inscrivant dans une légitimité ascendante. Au final, une région intégrée qui serait source d’inspiration par l’exemple et dont les orientations seraient une voie qui éclaire les autres pays, mais cela reste jusqu’à présent du domaine du rêve.

La triste réalité est que la majorité parmi ce nombre limité de pays tourne le dos aux processus démocratiques ; ils offrent un spectacle de pays aux frontières hermétiques, aux tranchées de plus de trois mètres de profondeur qui s’étendent sur une distance de plus de 400 km. Et dans un tel contexte, tout porte à croire que les forces centrifuges auront le dessus et tout porte à douter de la réalisation d’une libre circulation des hommes et des marchandises depuis la Mauritanie jusqu’à la Libye.

Mais d’ici là, les luttes byzantines et désintégratrices ont de beaux jours devant elles, démentant ainsi Abderrahmane Azzam, Premier Secrétaire Général de l’Organisation de la Ligue des Etats Arabes en 1945 quand il disait [dans son fascicule : Les Arabes, peuple de l’avenir] « je défie quiconque me dirait, ici se termine un peuple arabe et à partir de là commence un autre peuple arabe ». Ainsi, le rêve est chaque fois brisé et l’avenir est à chaque fois assombri par l’immaturité des leaders de certains pays de la région.

160 Plus de 600 hommes d’affaires et représentants d’organismes internationaux réalisent eux une UMA des employeurs ; ils ont signé l’Initiative Maghrébine du Commerce et de l’Investissement, lors de leur troisième forum en février 2014 pour appeler à une union douanière, une banque centrale maghrébine et une banque d’investissement et ils ont entamé le processus de création d’un secrétariat permanent de l’Union Maghrébine des Entrepreneurs.

161 Mouvement pour l’Unité et le Jihad en Afrique de l’Ouest.162 Livre Saint

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Dans cette région tout est à la solitude, à l’abandon, à la délation, aux césures  ; alors que seules l’audace et la rigueur pourraient permettre d’explorer et d’expérimenter d’autres vivre ensemble, par la généralisation ce qui a marché, par la reconstruction de différences constructives et par la réappropriation des libertés et ce, à l’effet de transcender les transes et d’expérimenter l’altérité qui constitue l’alpha et l’oméga de tout développement intégré et intégrateur et l’exemple du Bhoutan163 pourrait être inspirant. Or, ces tentatives sont combattues comme des orientations passéistes, voire obscurantistes ; et un tel niveau de débats logomachiques ne pourrait qu’aggraver le fait de sombrer dans les palabres et les querelles qui altèrent « le capital confiance », accentuant ainsi l’hémorragie des manipulations et de spéculations de tout genre.

En résumé, depuis la chute de l’Empire romain, celui de la pax Romana, ni Venise, ni Constantinople, ni la VIe flotte avec ses 21 000 soldats et ses 175 navires basés au port de la Gaète en Italie, ni l’ex Eskadra soviétique n’ont réussi à raviver et reconstituer la « mare nostrum » où la paix est à jamais perdue. Ainsi, ce sud de la Méditerranée est toujours loin du stade de panser des plaies de guerres et de désordres et les tentatives de se relever (dans les domaines universitaires, économique, politique, culturel, urbain, humain…) demeurent vaines.

4. « Printemps arabe »

Les événements qui ont traversé –et qui traversent encore- le monde arabe, dits « printemps arabe » ne sont que la répétition et la continuation de mouvements qu’a connu le monde depuis 1848164 et qui s’inscrivent dans la quête de la liberté, avec notamment la révolte anglaise, dite de Berkeley de 1964165 et leurs nombreux porte-voix, tel Herbert Marcuse et son « homme unidimensionnel » ; et s’en sont suivies les révoltes de mai 1968 qui se sont étendues partout dans le monde, avec leurs revendications de

163 Le Bhoutan -petit Etat monarchique dans les contreforts de l’Himalaya retrouve l’idée d’Aristote et de Saint Thomas d’Aquin- voudrait faire du bonheur un concept politique central ; le Roi a été jusqu’à changer les agrégats de la comptabilité nationale, préférant au revenu national brut, le bonheur national brut, pour lui faire jouer un rôle cardinal de la boussole politique.

164 Le  Printemps des peuples  ou  Printemps des révolutions  est un ensemble de révoltes qu’a connue l’Europe. Lesquelles bien que réprimées, ont souvent été déterminantes pour l’évolution des pays concernés, notamment en Allemagne qui, en dépit de l’échec du Traité de Francfort, s’est mise sur la voie de l’unification qui se réalise en 1871.

165 Les fameux troubles survenus sur le campus de l’université de Californie à Berkeley à l’automne 1964, suivis l’été d’après, en août 1965, par la révolte du ghetto afro-américain de Watts, marquent généralement, dans la conception classique de l’histoire contemporaine des États-Unis, le début d’une intense période de contestation, trouvant son apogée avec l’opposition à la guerre du Vietnam et qui donne sa dimension spécifique et conflictuelle dans la décennie soixante du siècle dernier. Cette parenthèse révoltée, entre les années 1950 consensuelles et les années 1970 dépressives, trouve son origine en Californie qui prend alors une dimension unique dans le pays.

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

117COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

libération plurielle, le slogan « il est interdit d’interdire » en est un exemple parlant.Loin de tout purisme révolutionnaire classique, « le printemps arabe » qui a éclos

à la fin de 2010 a été soutenu, voire instigué par l’Occident, à l’effet de constituer une alternative à la « chevauchée islamique ». Cependant, si les mouvements du « Printemps arabe » par des slogans forts tels la liberté, des élections libres, la démocratie… se sont fait partout entendre, ils ont eu du mal à fédérer durablement les populations et à proposer des institutions alternatives viables ; et là où ils sont passés, ils n’y sont restés que désordres, meurtres, carnages et désétatisations.

De même, les chaos de l’Irak, de la Tunisie, de la Syrie, du Yémen, de la Libye… et leurs lots de violences cauchemardesques ne sont que des reproductions révisées de ce qui se passait hier en Afrique et dans la région arabe, sous le règne des puissances classiques (France, Espagne, Grande Bretagne, Italie, Allemagne). Le système dominant pensant qu’un tel degré d’instabilité contrôlé et entretenu dans la région permettrait d’étancher le ressentiment des masses à son égard et participerait à diluer le prétendu anti occidentalisme ; et à cet effet, il s’évertue à vouloir reproduire par la force, dans toute la région, de pâles copies de sa « démocratie ».

En effet, dès 2007-2008 le soutien occidental aux mouvements sociaux contestataires a été d’abord logistique, avec des formations à l’outil internet pour des blogueurs dont la mission était d’attiser le feu des grognes et des révoltes et dont l’objectif est d’amplifier le dysfonctionnement dans les systèmes en place et ce, en reproduisant l’expérience testée dans l’ex Europe de l’Est, particulièrement pour ce qui était appelé la « Révolution serbe », la « Révolution orange en Ukraine », la « Révolution des roses en Géorgie »… le tout avec le soutien de spécialistes occidentaux, notamment celui du politologue étasunien, « devin et gourou » du dit Printemps arabe, Gene Sharp166.

Ces «  génies  » qui voudraient renverser les pouvoirs dans le monde arabe, par la propagation d’images mettant en scène des stimulants sociologiques, tels le sensationnalisme d’actes dramatiques, la libération de la femme, le drapeau comme icône de liberté, des slogans attractifs et passionnels, tels « Dégage » scandés par des étudiants branchés de quartiers huppés se jouant de la vie de peuples à la manière de films d’action hollywoodiens et par des «  laissés pour compte » incendiant les biens d’autrui et détruisant des véhicules pour jouer à la guerre.

Depuis, les révoltes se sont succédées dans les grandes villes du sud de la Méditerranée, tels des feuilletons à jamais finis avec leurs morts, leurs laideurs, leurs destructions. Et à chaque fois, les médias les controuvent et les parent de l’habit du

166 Gene Sharp est un politologue anticommuniste américain connu pour ses nombreux écrits sur la lutte non-violente. Il a été exagérément surnommé le « Machiavel de la non-violence » ou le « Clausewitz de la guerre non-violente ».

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

combat pour la démocratie et la liberté, pour les vendre à des opinions publiques en mal de sensations fortes et de thèmes mobilisateurs. Ces illusions sont présentées comme des fictions où les humbles chassent les bandits, où les héros prennent toujours le dessus sur les tyrans, avec un « happy end » servi en dessert, celui du mirage d’un éden démocratique qui s’éloigne à chaque fois qu’on croit s’en saisir et qu’on célèbre mais qu’on ne voit jamais poindre.

Ainsi, le sud de la Méditerranée subit une guerre à la fois manifeste et larvée et pour longtemps ; et ces spasmes qui traversent et transpercent toute la région font que les terreurs et les peurs qu’elles vivent se répercutent d’une manière ou d’une autre sur les pays d’en face, sachant que l’espace méditerranéen constitue en permanence un espace de mouvance de migrants et de trafiquants de tous genres, avec tous les lots de violences qu’ils essaiment.

Dans toute la région, ces mouvements dits «  printemps arabe  » ont été vite dépassés, désorganisés, éventrés réprimés ou récupérés  ; et l’euphorie -d’un temps exagérément magnifié- s’est vite transformée en paralysie. Les forces en présence (politiques, militaires, religieuses…) se révélant plus puissantes et mieux organisées que les éléments qui revendiquent un changement épidermique et approximatif. Certes, rassembler des gens de tous bords sur les places publiques est exaltant  ; certes braver la puissance des pouvoirs peut apparaître héroïque, mais construire de nouvelles institutions sans aucune expérience ou leadership relève tout simplement de l’impossible : ne vaut-il pas mieux opter pour un mélange de réalisme et de sagesse, pour pallier les atrocités qui se démultiplient depuis ?

5. L’Afrique

L’Afrique constitue un lieu où convergent tous les destructeurs et les nihilistes du monde, ils viennent aussi bien de l’Occident que des environnements régionaux  ; et dans un tel contexte, aucune géographie et aucune assise territoriale ne sont plus privilégiées que d’autres, pour devenir des spatiaux de conflit et de destruction.

Les catastrophes qui frappent l’Afrique sont aussi autres que militaires ; le paludisme tue entre 1 et 2 millions de personnes par an et le sida beaucoup plus, sachant que le principal allié du sida est la misère. En effet, l’Afrique subsaharienne à elle seule compte 71 % des personnes atteintes dans le monde, soit 24,5 millions de personnes adultes et enfants167. En outre, l’absence de solutions alternatives au modèle néolibéral a provoqué une régression du discours moral et religieux avec des crispations identitaires et ses aggravations de luttes pour la conquête ou la conservation du pouvoir…

167 Chez les jeunes africaines, le taux moyen d’infection est cinq fois plus élevé que chez les jeunes garçons.

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

119COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

A l’échelle continentale, l’échec de l’Union Africaine (UA), anciennement Organisation de l’unité africaine (OUA) -qui avait vu le jour en 1963 à Addis-Abeba en Ethiopie- est depuis longtemps confirmé. Son bilan apparaît globalement négatif au regard des objectifs qu’elle s’était assignée, par sa charte fondatrice, en particulier son article 2 qui prévoyait le renforcement de la solidarité entre Etats et la coordination de leurs politiques. Par ailleurs, pour ce qui est de la défense de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance des Etats membres, l’OUA s’est retrouvée dans l’incapacité de régler les nombreux conflits qui secouent l’Afrique, notamment ceux du Liberia, de Somalie, de la Sierra Leone, du Rwanda, du Burundi et de la République démocratique du Congo… du Sahara et ceux encore plus nombreux qui ravagent actuellement l’Afrique.

Ainsi, beaucoup de pays africains sont fragilisés par la désintégration de leurs armées et la corruption de leurs classes politiques  ; et tout cela se traduit par des tensions et des spasmes qui finissent en charniers, sans que cela ne suscite les préoccupations des décideurs ou de leurs soutiens du nord, dits démocratiques. Par ailleurs, nombreuses sont les indépendances africaines qui ne sont que mystifications ; des Etats où les institutions ne sont que procédurales, où le politique se meut dans une légitimité douteuse, où le soldat se retourne souvent contre le peuple et le politique et se transforme souvent en une « lumpen-militariat168 ». Et très souvent, dans ce Continent, on a souvent vu les hommes en uniforme répandre le chaos et la mort, notamment : au Liberia, au Sierra Leone, au Rwanda, au Zaïre, au Congo, en Centrafrique, au Soudan, pour ne citer que les charniers, les plus tragiques…

Cette dérive s’est traduite par une « gangstérisation169 » de beaucoup de factions des armées africaines qui louent leurs services à des gangs et à des criminels. Et les noms et symboles que s’attribuent ces soldats-bandits sont très symboliques ; ainsi, le nom de « West Side Boys » de Sierra Leone rappelle le puissant gang de Los Angeles, les « combattants de la liberté ». De même, la « Cosa Nostra » ou la « Camorra » en Côte d’Ivoire, sont des appellations empruntées à la Mafia italo-américaine, sans oublier les redoutables « Ninjas » et autres « Cobras » du Congo… Ces labels s’accompagnent de titres qui rappellent ces organisations, tels que « caïds », « parrains » et autres « boss », mimétismes qui en disent long… sur les meurtres, les vols, les viols, les pillages et les vandalismes. Ces dépassements sont l’expression de militaires brimés (Zaïre des années 1990), de militaires en quête de positionnement pour partager le pouvoir (Côte d’Ivoire de 1999) ou de militaires qui veulent monnayer leur nouveau pouvoir de vie et de

168 Lumpen-militariat  : une catégorie de soldats semi-organisés, presque criminogènes et foncièrement nihilistes qui revendique une part de pouvoir et d’influence.

169 Le Monde Diplomatique de juillet 2004 P. 14/15

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

mort sur les humains et les choses (Sierra Leone, Liberia des années 1990).Autoritarisme, instabilité politique, contestation du pouvoir, tentatives de coups

d’Etat, tels sont les quotidiens de la vie dans la plupart des Etats africains  ; et cette situation est en grande partie due à l’échec de greffe de l’Etat de type moderne sur un terreau truffé de dysfonctionnements majeurs. Tout cela fait que la vie politique africaine est à la fois très dépolitisée, car son enjeu n’est pas le choix d’un avenir, mais celui de s’emparer des attributs du pouvoir et des finances de l’Etat.

Tous les programmes initiés par les ETATS-UNIS à destination de cette région de l’Afrique traitent des relations militaro-civiles, de la sécurité nationale, de l’économie de la défense… Et après les attentats du 11 septembre 2001, les Étasuniens ont accru leurs investissements militaires en Afrique. La guerre contre les violences extrêmes leur fournit les prétextes nécessaires pour intervenir et à cet effet, au printemps 2002 l’administration américaine (présidence Bush) a transformé en African Contingency Operations Training Assistance170 (ACOTA) l’ancienne African Crisis Response Initiative171 (ACRI).

Par ailleurs, la tentative de coup d’Etat à Sao-Tomé-Et-Principe en juillet 2003 -petit Etat très riche en réserves de pétrole associé au Nigeria- a précipité l’intervention de Washington dans l’archipel et dans le Continent africain. A peine trois mois plus tard, des compagnies pétrolières, essentiellement américaines offrent plus de 500 millions de dollars pour explorer les eaux profondes du golfe de Guinée, que partagent le Nigeria, la Guinée Équatoriale et Sao-Tomé-Et-Principe.

Nul n’ignore que cet interventionnisme militaire, politique et économique des Etats-Unis en Afrique empiète sur les zones d’influence traditionnelles des anciennes puissances coloniales. Et cette concurrence est évidente à Djibouti, pays pauvre, désertique et sans ressources, mais un pays important par sa situation stratégique, avec une position avancée sur une zone maritime, par où transite le quart de la production

170 L’Acota est lié à des centres de formation militaire du Joint Combined Arms Training System (JCAS), qualifiés d’« indispensables », car ils permettent de maintenir le niveau de qualification et de préparation militaire. Le premier a été ouvert à Abuja, au Nigeria, le 25  novembre 2003. Les JCATS reposent «  sur l’utilisation de logiciels sophistiqués de simulation de guerre qui s’inspirent de conditions qui existent véritablement sur les champs de bataille. (...) Le Nigeria et le Canada sont les deux seuls pays à avoir des logiciels JCATS ».

171 Depuis l’échec de l’intervention en Somalie en 1992-1995, la doctrine américaine consiste à éviter l’envoi de soldats dans des missions de maintien de la paix en Afrique. Or, des situations assimilables au conflit somalien s’y sont multipliées au cours des dix dernières années, en particulier en Afrique de l’Ouest (Liberia, Sierra Leone, Côte d’Ivoire) ou en République Démocratique du Congo. La solution trouvée a consisté à aider les pays africains à fournir des troupes aux opérations de maintien de la paix de l’ONU sur le continent. Le programme américain ACRI (African Crisis Response Initiative), initié en septembre 1996, avait ainsi pour but d’entraîner les forces armées africaines à ces missions. Le programme ACOTA (Africa Contingency Operations Training Assistance), qui lui succède en 2002, vise à corriger les imperfections d’ACRI tout en étant mieux adapté au contexte africain.

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

121COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

mondiale de pétrole -sans compter la proximité géographique de l’oléoduc soudanais- et qui se trouve aussi bien situé sur la bande stratégique Sahel/Corne de l’Afrique que Washington s’emploie à « sécuriser » en y plaçant une base américaine permanente à Djibouti, même si La France y maintient sa principale base militaire à l’étranger, à Camp Lemonnier.

Par ailleurs, pour parachever la maîtrise de ce Continent, les 23 et 24 mars 2004, les chefs d’état-major de huit pays (Tchad, Mali, Mauritanie, Maroc, Niger, Sénégal, Algérie, Tunisie) ont, pour la première fois, participé à une discrète réunion au siège du Commandement Européen de l’Armée Américaine (US-Eucom), à Stuttgart, pour traiter de la sécurité des pays du Sahel, zone tampon entre le Maghreb et l’Afrique noire, entre les zones pétrolières du Nord et celles du golfe de Guinée. Mais plus significative est la participation indirecte de Washington172 depuis mars 2004, à des opérations militaires menées par les quatre pays du Sahel (Mali, Tchad, Niger et Algérie) contre le Groupe salafiste pour la prédication et le combat173 (GSPC).

La stratégie américaine174 en Afrique pourrait se résumer en l’accès illimité aux marchés clés et aux sources d’énergie stratégiques  ; d’autre part, les Etats-Unis interviennent pour assurer la sécurisation des voies de communication, notamment pour permettre l’acheminement des matières premières vers les Etats-Unis. En toute évidence, le pétrole africain intéresse de plus en plus les Etats-Unis  ; et les experts s’accordent à dire qu’au cours des prochaines années, le Continent africain deviendra, après le Proche-Orient, la deuxième source de pétrole et éventuellement de gaz naturel des Etats-Unis. Dans ce sens, deux voies stratégiques sont au centre des préoccupations

172 Washington a pris conscience de sa dépendance à l’égard des matières premières fournies par le continent : le manganèse, le cobalt et le chrome indispensables pour les alliages (notamment en aéronautique), le vanadium, l’or, l’antimoine, le fluor, le germanium... auxquels il faut ajouter les diamants industriels. En effet, la République démocratique du Congo (ex-Zaïre) et la Zambie possèdent 50 % des réserves mondiales de cobalt ; alors que 98 % des réserves mondiales de chrome se trouvent au Zimbabwe et en Afrique du Sud et ce dernier pays concentre aussi 90 % des réserves de métaux du groupe du platine (platine, palladium, rhodium, ruthénium, iridium et osmium), sachant par ailleurs que la soif de Washington pour le pétrole accroît l’importance de pays comme l’Angola et le Nigeria.

173 Le GSPC est inscrit avec le Groupe islamiste armé (GIA) sur la liste américaine des organisations terroristes et est soupçonné par Washington d’avoir des liens avec Al-Qaeda. Il s’est fait connaître en enlevant trente-deux touristes européens dans le Sahara algérien, au début de l’année 2003. L’opération marquait une première en Afrique et confirmait l’étroite collaboration des Etats-Unis avec l’Algérie.

174 Outre l’Acota, quarante-quatre pays africains participent à un programme spécifique destiné aux officiers  : le programme international de formation dans les domaines militaire et de l’éducation (IMET), qui a formé, en 2002, plus de 1 500 officiers. Pour les sept principaux pays concernés (Botswana, Ethiopie, Ghana, Kenya, Nigeria, Sénégal, Afrique du Sud), le coût total de l’IMET est passé de 8 millions de dollars en 2001 à 11 millions en 2003. Enfin, le programme régional de maintien de la paix en Afrique (ARP) inclut un entraînement aux tactiques offensives et le transfert de technologie militaire. De 2001 à 2003, l’ARP a reçu un financement estimé à près de 100 millions de dollars.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

militaires américaines : à l’ouest, l’oléoduc Tchad Cameroun et à l’est, l’oléoduc Higelin-Port-Soudan et l’on parle de plus en plus d’un projet d’oléoduc reliant le Tchad au Soudan.

Naguère epsilon aux yeux de Washington, l’Afrique devient une priorité géopolitique. Le continent noir, avec ses réserves en hydrocarbures de bonne qualité. Partout dans ce continent, Washington multiplie les gestes, implante des conseillers militaires et des compagnies pétrolières. L’influent sénateur républicain de l’Etat de Californie Ed Royce déclarait «  le pétrole africain devrait être traité comme une priorité pour la sécurité nationale de l’après-11 septembre ».

Ce regain d’intérêt pour l’Afrique -en dépit de ce que dirait Bush en 2000 n’était « pas une priorité stratégique nationale »- s’explique par d’alléchantes projections chiffrées. De même, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) estime que les réserves totales du Continent africain s’évaluent à 80 milliards de barils de pétrole, soit 8 % des réserves mondiales de brut ; et selon les prospectives du « National Intelligence Council américain », les Etats-Unis pourraient importer 25 % de leur pétrole à partir de l’Afrique subsaharienne d’ici 2015 contre 16 % aujourd’hui.

D’ores et déjà, l’Afrique noire, avec une production de plus de 4 millions de barils de pétrole par jour, produit autant que l’Iran, que le Venezuela et que le Mexique réuni. Sa production a augmenté de 36 % en dix ans, contre 16 % pour les autres continents. Le Soudan, extrait aujourd’hui 186 000 barils par jour  ; alors que le Nigeria- premier exportateur africain de brut- devrait augmenter sa production quotidienne, elle passerait à 4,42 millions de barils en 2020. En outre, les eaux de la Guinée Équatoriale détiennent le record mondial du plus grand nombre de permis de recherche pétrolière en cours et pourraient devenir d’ici à 2020 le troisième producteur africain de brut.

Les gisements africains présentent de nombreux avantages. En effet, tous les pays producteurs, excepté le Nigeria, sont hors de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). D’autre part ces réserves pétrolières sont «  offshore… à l’abri d’éventuels troubles politiques et sociaux et donnent directement sur la côte atlantique -à l’exception des champs soudanais- en attendant l’oléoduc Tchad Cameroun qui drainerait quelque 250 000 barils de pétrole par jour vers l’Atlantique.

Parce que l’Afrique, tout comme la région arabo-islamo-africaine -depuis la Libye, l’Égypte, le Yémen, Gaza, le Liban, la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan, le Pakistan, le Nigéria, le Mali, le Soudan, la République Centrafricaine… sont dans le vortex de grands enjeux stratégiques, ces régions ne peuvent prétendre à une véritable souveraineté. Et dans cette logique, l’ordre international néolibéral s’attèle à précipiter la désintégration de ces zones, du moins maintenir sous contrôle l’actuel état d’instabilité par l’entretien de mouvements extrémistes même, si dans le cadre d’une hypocrisie de façade, ils sont épidermiquement dénoncés. En réalité, les dominants font tout pour rendre aphone ceux qui militent pour une véritable indépendance de la région, à l’effet de faire prévaloir

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

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ses cultures, ses religions, ses caractéristiques particulières, ses vivre et ses mourir. Ainsi dans ces zones, tout désir de s’inscrire dans une vision endogène et authentique de paix et de liberté, pour l’exploration de leurs propres expériences dans une bataille sans destruction ni morts, sans sang ni peurs est combattu comme un acte de terreur.

De même, il faut s’investir dans d’autres possibles de développement pour la sécurisation de ces régions africaines, arabes et musulmanes, pays à forts taux démographiques avec à terme, un potentiel déclin de la rente pétrolière (annoncée vers la fin de la décennie 2030) et ce, pour se démarquer à jamais de la dramatique situation de Nauru175  -cette île qui était considérée parmi les plus riches du monde et qui se réveilla un jour de 2003 sans phosphates, sombrant ainsi dans la misère avec 90 % de sa population active au chômage.

Quant à la relation du Maroc avec l’Afrique, il est manifeste que l’ancestralité de la présence de ce Pays dans le Continent africain remonte loin de l’histoire à travers sa politique, sa culture, ses échanges commerciaux, sa religion et cela sans interruption. Plus près, en janvier 1961 le Souverain défunt Mohammed V a dessiné, avec les leaders légendaires de l’Afrique, les premiers jalons de l’unité africaine, par l’organisation d’une grande conférence à Casablanca qui a réuni principalement aux côtés du Souverain Défunt Mohammed V, les Présidents défunts Jamal Abdel Nasser d’Égypte, Kwame Nkrumah du Ghana, Ahmed Sékou Touré de Guinée Conakry, Ferhat Abbes du GPRA et Modibo Keita du Mali : il s’agissait du Groupe de Casablanca.

Par ailleurs, en matière d’opérations de maintien de la paix, tout a commencé pour le Maroc à partir de 1960 lorsque la province de Katanga, au Congo a voulu faire sécession  ; et sur demande de l’ONU, le Conseil de sécurité a créé l’Opération des nations unies pour le Congo (ONUC), le Maroc en fournit deux bataillons (infanterie et parachutistes) de 3200 casques bleus Marocains. De même, 1500 soldats des Forces Armées Royales (FAR) sont envoyés au Shaba en avril 1978 pour mettre fin à l’activisme des gendarmes de Katanga, venus de l’Angola et soutenus par les Cubains qui voulaient renverser le Président Mobutu  : l’«  Opération verveine  » menée de concert avec la France du Président Valéry Giscard d’Estaing remit l’ordre au Zaïre, ce qui n’était que le commencement176.

175 Nauru, Etat insulaire de 21,3Km² de l’Océanie, en Micronésie avec une population qui avoisine 100.000 habitants.

176 Ainsi : • En 1993 le Maroc sollicité par l’ONU participe en Somalie aux opérations « restore hope » et « Onusom »

pour assurer l’aide humanitaire par le désarmement des milices rivales. En outre, entre 1993 et 1994 le Maroc envoie un contingent de 1300 hommes des FAR 60 policiers civils, sans oublier que plus de 200000 somaliens ont bénéficié des prestations médicales de l’hôpital marocain qui a été offert depuis à la Somalie.

• En Angola, de 1991 à 1997, les FAR sont engagés sous mandat de ONU (l’UNAVEM) avec quinze

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

En 2014 soucieux d’un repositionnement dans son Continent, le Maroc entreprend Marche d’un autre genre vers l’Afrique et chaque étape était scellée par une série d’accords et de conventions. Ainsi, l’Actuel Souverain Mohammed VI rajoute à l’espace géostratégique du Pays, un hinterland de millions de km² qui va du Sénégal au Nigéria, à Madagascar avec un marché de centaines de millions d’habitants ; arrière-pays qui a besoin d’être renforcé en matière d’institution de la démocratie et d’adoucissement de la spiritualité, dans une région où les risques de dérapage sont une réalité  ; et le Souverain continue son périple africain, sans conditions préalables et dans le partage des expériences marocaines de développement dans tous les domaines.

Ainsi, une nième particularité de ce Pays, en ce début du XXIe siècle, est celle de revenir vers l’Afrique, dans une logique solidariste «  win/win  »  ; et dans ce sens, il a annulé la dette de certaines Pays les Moins Avancés (PMA) africaines et exonéré leurs produits des droits de douane. Par ailleurs, les fonds engagés font du Maroc, le deuxième investisseur africain en Afrique, après l’Afrique du Sud ; et bien que les échanges (1 milliard de dollars) entre le Maroc et l’Afrique soient limités, cette timidité

observateurs militaires et onze membres de la police civile marocaine qui sont chargés de vérifier le redéploiement des troupes cubaines vers le nord de l’Angola, puis leur retrait échelonné et total, conformément au calendrier convenu entre Cuba et l’Angola.

• En Asie, les Forces Armées Royales (FAR) sont engagées au Cambodge entre 1992 et 1993 avec l’envoi de 100 membres de la police civile pour faire respecter les engagements contractés lors des accords de Paris du 23 octobre 1991, mission qui comprend le déminage, le contrôle de cessez-le-feu et le désarmement des forces en présence.

• A Haïti, en 2005 le Maroc déploie ses forces dans le cadre la mission de l’ONU (MINUSTAH) aux côtés de l’armée espagnole au sein d’un même contingent pour renforcer la sécurité de la partie nord de Haïti et à sa frontière avec la République dominicaine pour protéger le personnel civil, pendant la période électorale.

• En République Démocratique du Congo (RDC) à son nord-ouest, à la suite des affrontements interethniques en 1999 et en 2000 -qui ont entrainé des centaines de morts- le Maroc envoie en 2001 des casques bleus pour participer à la mission d’observation (MONUC) avec un contingent de 750 militaires, 4 officiers d’état-major et quatre membres de la police civile, avec un hôpital médical composé de (50) militaires.

• En avril 2004 en Côte d’Ivoire, le Maroc contribue aux côtés de 39 autres pays à l’ONUCI au rétablissement de la paix, le Maroc étant représenté par plus de 800 soldats sur un total de 8000 hommes.

• Au Kosovo, de 1999 à 2014 le Maroc est intervenu dans le cadre de l’OTAN au Kosovo avec plus 11000 militaires marocains dans le cadre de la KFOR -armée multinationale mise en œuvre par l’OTAN sur mandat du Conseil de Sécurité. Et en décembre 2013 le Maroc envoie un contingent des FAR en République centrafricaine pour participer à la mission de l’ONU aux côtés de la France.

• A Bangui, en République Centrafricaine, en 2014 dans le cadre de la consolidation de la paix en République Centrafricaine (BINUCA), un contingent de militaires marocains assure la sécurité du personnel et des installations du Bureau intégré de l’ONU.

• A Bamako (Mali), un hôpital marocain de campagne est installé depuis septembre 2013 pour opérer des patients, distribuer gratuitement des ordonnances et réaliser par milliers des prestations ; pendant que 500 imams maliens ont suivi au Maroc, une formation à l’islam malékite.

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

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est, néanmoins, compensée par des engagements significatifs sur le plan des échanges politiques, spirituels et culturels pour contrer la propagande de l’extrémisme.

Ainsi, le Maroc s’impose en tant que stabilisateur du Sahel, de l’Afrique et en tant que socle central et durable du Maghreb. Partout où il intervient dans le cadre de la Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC), de l’ONUCI, de l’EUFOR, de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), de la guerre de Shaba, du « Restore Hope », des opérations de maintien de la paix en Angola, tout comme à Bangui… partout où il intervient, le Maroc n’agit que pour réconforter la paix, comme s’il obéissait à la légende177 du Géant de l’Atlas qui l’enveloppe et qui rappelle son éternalité.

Jusqu’en décembre  2014, sur un total de 104  062 personnels engagés dans des opérations de maintien de la paix de l’ONU, le Maroc en a fourni 2322, ce qui le place à la 12e position sur 122 pays contributeurs aux opérations de la paix, après la Tanzanie et avant la Chine. Il est aussi le seul pays arabe et africain à avoir été associé à des opérations de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) au Kosovo et à des opérations de l’Union européenne en Bosnie-Herzégovine. De même, dans le cadre du Dialogue méditerranéen, il est l’un des pays partenaires de l’OTAN les plus actifs : ainsi, la notoriété du Maroc se mesure à l’aune de sa contribution à la stabilité et à la paix, ainsi qu’à l’ampleur de sa dette sociale qui trouve toute sa concrétisation dans l’engagement permanent de ce pays à l’édification d’un avenir intégré et intégrateur du Continent.

III. Leviers de la cohésion

«  Il est moins accablant de s’entendre dire qu’on est esclave que de s’entendre asséner que l’on n’est moralement qu’une nullité ».

1. Ampleur des violences

Les dominants font propager que procurer du pain aux gens dans le besoin encouragerait à la paresse ; et pour dissuader ces « fainéants », la prétendue aide leur est accordée à des conditions particulièrement enlaidissantes et humiliantes. D’ailleurs, la formule « pauvre gredin » n’était pas seulement un vestige de la violence à l’encontre des exclus dans les anciennes sociétés  ; elle exprimait une profonde stigmatisation pour disqualifier et rejeter les miséreux, « l’on faisait tout ce qui était possible pour leur

177 Un Maroc, patrie du Géant Atlas qui portait les colonnes qui soutiennent le ciel et qui a hébergé près de Tanger le Roi Antée, fils de l’océan et de la terre.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

infliger une dégradation mentale et morale178 ».En effet, les questions de sécurité ont toujours constitué une préoccupation centrale

dans la vie de l’homme, déjà en 1898 un auteur lançait une alerte, qui n’a rien perdu de son actualité  : «  Aucune vigilance ne sera en mesure d’empêcher les attentats, aucune sévérité ne sera en mesure de faire reculer des fanatiques, et aucun système de police internationale ne saura empêcher l’extension [de la violence] par l’acte, tant que le symptôme de la maladie qui se trouve dans le corps social n’aura disparu »179. De même, au début du siècle dernier, il a été souvent répété que « Les organisations criminelles ont augmenté en nombre et en taille… Le monde est aujourd’hui menacé par des forces qui, une fois libérées négligemment de leurs chaînes, pourront un jour réaliser la destruction totale »180.

Le XXe siècle a été riche en catastrophes létales avec deux guerres mondiales… et d’autres hécatombes, tel Tchernobyl ; et le début de ce XXIe siècle voit les mêmes situations paroxystiques se répéter avec de nouvelles guerres et de nouvelles violences. Autant de dysfonctionnements qui invitent à la circonspection dans le choix des actions à entreprendre ; or face à toutes ces alertes, on continue à répondre à la souffrance, à la misère, à la laideur, aux violences causées par des hommes à d’autres hommes en recourant à l’incrimination, à la dénonciation de « l’autre » et aux culpomères181 : du juif, du noir, de l’arabe, du musulman, du mécréant, du dissident, du communiste… du non « démocrate ».

Pourtant, pour pallier les stases qui se démultiplient et pour relancer le mouvement sociétal, il y a urgence à renouveler continûment et inlassablement le cadre vermoulu et terni de la société. En effet, les véritables investigations sont celles qui cherchent leur scientificité dans une réelle adéquation avec l’esprit de l’époque. D’ailleurs, à force de quêter une sécurisation maximale on a fait voler en éclats ce qui faisait la vie et le vivre ensemble. Le dessein de la société n’est plus placé sous le signe de l’engagement inclusif pour combattre les inégalités sociales, mais sous celui de la peur, produit du monde dit moderne individualisant et anémiant. Dans l’actuel contexte, les dangers s’incrustent comme les passagers du quotidien ; ils se déplacent avec l’homme au bon vouloir du hasard… Ils ont pénétré même dans les zones jadis protégées par l’Etat, d’où l’impérieuse nécessité d’explorer de nouveaux outils qui permettraient de repenser, de

178 Avishaï Margalit : La société décente, Editions Harvard College 1996 Climats 1999 Flammarion 2007 P. 212

179 Ernst Victor Zenker, journaliste viennois en 1898, en marge de la conférence internationale contre le terrorisme anarchiste. (Der Anarchimus und esine Bekämpfung, in Zeitschrift für Sozialiswisenchraft, vol I p.714, 1898

180 Rapport de la police britannique, 1911 in Walter Laqueur, le Terrorisme, PUF, 1979181 Paramètres de culpabilité.

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

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vivre et d’agir de manière nouvelle.Par ailleurs, les gens prennent de plus en plus conscience que les sources de certaines

richesses sont souillées par des injustices et ce, dans un contexte où les risques ne sont plus visibles et tangibles, particulièrement pour ceux qui y sont exposées, d’où les réactions disproportionnées qui ne se comptent plus : on lutte contre le démon du risque avec le Belzébuth des exclusions et de la multiplication des peurs.

Dans cette société de risques, les dangers prolifèrent derrière les murs de l’indifférence et la communauté de la peur s’est, depuis longtemps, substituée à la communauté des revendications et de l’action. On préfère plutôt se barricader dans l’inaction que de promouvoir le développement des capacités et des compétences et ainsi les menaces débordent les aptitudes de l’Etat ainsi que celles des alliances et des blocs économiques. Il n’en reste pas moins que ceux qui osent parler de la nécessité du dissensus sont, toujours, traités de rabat-joie et sont accusés de produire eux-mêmes des risques.

Cependant, en guise de réponse, des images effrayantes défilent, s’imposent et font douter aussi bien de la sécurité individuelle que de celle collective. En effet, au moment où le spectre d’un conflit nucléaire s’estompe de plus en plus, au moment où fléchit le péril des guerres conventionnelles, d’autres aléas, non moins gravissimes (exclusions, globalisation unidimensionnalisante, uniformisante et unidirectionnelle) deviennent pressants et pesants. Et ces risques menacent d’ébranler la gouvernabilité de la société, de saper les fondements sociaux, juridiques et moraux des groupes sociaux et de susciter des affrontements directs entre des communautés ethniques et religieuses.

Alors que peut vouloir dire exercer le pouvoir dans une telle société où les hommes ne sont plus que leurs fantômes  ? Peut-on, pour la seule supposition qu’il n’y ait pas d’alternatives, renoncer à la distance critique et se terrer dans le cynisme de l’indifférence ? En effet, à mesure que les menaces se multiplient, les anciens référents socioculturels sont mis à mal et peuvent fondre comme neige au soleil et ainsi céder devant des politiques dirigistes qui présagent de situations d’exception qui augurent d’interventions restrictives de libertés.

D’ailleurs, tout le monde sait que lorsque les dangers deviennent une normalité, les politiques d’exception s’institutionnalisent, laissant libre court à la prolifération de la spirale des violences et de la nébuleuse des défiances, faisant que l’« Autre » soit perçu comme un violent potentiel dont les caractéristiques sont la peur et le mépris. Cet « Autre » qui perçoit ceux qui le stigmatisent comme des symboles de l’arrogance et du nihilisme : dualité ruineuse pour la confiance et terreau de haine et de destruction. En réponse, le système dominant -prétendant être porteur de vérités avérées- manille et manipule les populations, par la propagande, le mensonge, la censure, les visions prophétiques et/ou apocalyptiques du futur pour soumettre les masses au pouvoir de la peur.

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Ainsi, l’agressivité destructrice des dominants fait que l’« Autre » est identifié au désordre et au chaos. Ces dominants défiants qui se retranchent derrière des murs politiques (contrôle de l’immigration, renforcement de l’arsenal juridique, moyens accrus pour les services spécialisés) et physiques (frontières électroniques, murs cctv «  closes circuit tv  », clôtures…). Et cela ne peut conduire qu’à la déconstruction et à la destruction de la société  ; aussi, est-il impératif d’observer, de diagnostiquer, d’ausculter, d’analyser les violences de la société dans leurs causes les plus profondes et les plus extrêmes182.

2. Démocratie et intégration sociale

Le monde semble s’être embarqué dans une méga machine sans conducteur, sans freins, sans marche arrière ; et sans un sursaut d’intelligence, de transcendance et de clairvoyance, il se fracassera contre l’inconnu et sombrera dans un aven, sachant que les dominants profitent allègrement dans cet état méandreux et de violences sans fin.

Dans la logique de transcender les violations des droits économiques ainsi que les conflits sociaux et culturels, les Etats de droit plaçaient jusqu’à présent la défense des droits politiques au premier rang de leurs préoccupations. Et voilà que l’obsession antiviolence les conduit à renier cette exigence fondamentale  ; depuis, ils décrètent des états d’exception comme normes et érigent la répression comme figure centrale du système : les démocraties seraient-elles en train de se suicider ?

Aussi, la société pour continuer d’être, la loi et le droit183 doivent être anthropocentriques pour commencer une décentralisation politique aux effets efficients et amplificateurs et pour offrir d’autres possibles qui permettront de rompre avec les stases et les iniquités. En effet, les utopies politiques, jadis mobilisatrices se sont transformées en icônes statiques ; et dans ce contexte, l’élaboration de l’avenir n’est plus du ressort des instances délibératives et des forces sociopolitiques mais de celui de groupes occultes qui instrumentalisent la politique paradoxalement financée par le contribuable. De même, par le galvaudage du conformisme, du consensualisme et du

182 A la question de George Bush « Pourquoi nous haïssent-ils ? » et à celle posée, il y a plus de quarante-cinq ans, par le Président Eisenhower, à propos de « la campagne de haine contre les USA » ; le Conseil National de Sécurité (Agence du Bureau Exécutif du Président des USA) avait répondu qu’elle tient au fait que les USA apportent leur soutien à des gouvernements corrompus et brutaux, et qu’une telle attitude s’explique par le fait que les USA agissent dans le souci de protéger exclusivement leurs intérêts.

183 La loi comme la jurisprudence supposent que les parties soumettent les conflits d’intérêts sociaux au jugement d’un tribunal impartial, le juge idéal étant une personne ordinaire, prudente, indifférente au fond de l’affaire à débattre et compétente dans l’exercice de la procédure. Mais dans la réalité, le juge est un homme de son temps, de son milieu et souvent au service du dominant.

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

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statu quo, les hommes politiques précipitent la société dans l’opacité, oubliant que les trois piliers de la durabilité sociétale sont la précaution, la prévention et la gestion des crises, le tout dans un débat à jamais clos.

Loin de justifier les monstrueuses violences contre des vies humaines innocentes et qui sont l’antithèse des valeurs et de la morale humaines ; et tout en reconnaissant que les décideurs ont le devoir de prévenir et de traduire en justice ceux qui en sont les auteurs, il ne reste pas moins que les mesures mises en œuvre, doivent se focaliser sur les causes des distorsions et respecter les obligations qui incombent aux autorités en termes de normes internes, de règles du droit international et de celles des droits humains et ainsi se départir de l’irrationalité et de l’émotivité de l’opinion.

En outre, certes la société a besoin, face aux risques collectifs majeurs de bâtir un Etat-précaution ; mais il faut aussi avoir à l’esprit que l’incertain ne se laisse jamais clore, d’où la nécessité de relativiser les décisions. Tout dicte, en effet, à éviter l’incertitude, la discontinuité, la défiance, le désarroi des responsables, le découplage entre le citoyen et le décisionnel et ce, par un travail inlassable de reconstruction et de consolidation d’une société solidariste.

Par ailleurs, l’homo economicus du système néolibéral actuel -mû par l’appât d’intérêts égotistes- s’est allié les services de l’homo religious, prêt à se sacrifier sur l’autel de l’idéologie industrielle. Et une telle errance constitue inéluctablement une dilacération des construits sociaux que ni la condescendance, ni la concupiscence des responsables, ni les euphémismes auxquels recourent les dominants pour affubler la dangerosité de la situation présente, ne pourraient résoudre, d’où l’urgence d’y pallier pour rétablir la justice et l’équité qui sont à la société ce que la vérification est à la science.

En effet, la vie en société repose sur la soif de la justice et sur le respect de la morale civique, or l’une et l’autre sont menacées de désarticulation des institutions et d’atomisation de l’individu si rien n’est entrepris pour endiguer cette accumulation informe de désorganisation et de relâchement. En effet, pendant que les forces politiques sont devenues aphones, les dangers liés aux déséquilibres sociaux retentissent de plus en plus. Pire, tous les apports d’années d’endurance pour la consécration de l’Etat de droit se sont estompés devant la pression de cliques corrompues, sachant que tout édifice bâti sur les décentrements et sur l’insensibilité à la souffrance ne saurait durer.

Par ailleurs, les scandales, liés aux dérégulations socio-économiques, ne sont que les indices manifestes de l’effritement des structures sociales. En outre, la tendance au désabusement est accentuée par un environnement social qui s’est départi de tout idéalisme solidaire  ; lequel environnement s’empresse d’ânonner les vertus et les louanges d’un prétendu réalisme du monde individualiste. De même, le désarroi politique de l’individu et l’érosion de la confiance en les décideurs participent et précipitent les

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

effets ravageurs de la société, attitudes qui minent, d’ailleurs, les responsabilités tant individuelles que collectives.

Le recul de la politique et le déclin des capacités de mobilisation par les forces politiques et sociales induisent la confusion au sein des populations et cela conduit à des retraits, à des abstentions et à des silences qui deviennent, à leur tour, des formes d’expression et de dénonciation. Pour y pallier, le citoyen doit recoloniser son territoire pour contrer, du moins endiguer les peurs, les violences non pas celles qu’on peut subir, mais celles qu’on peut commettre, à savoir les destructions, les souffrances, les cruautés, les meurtres… Pour cela, l’homme-citoyen doit prendre conscience de lui-même, de sa liberté et donc combattre son avidité de gloire et son culte de l’égotisme qu’il ne cesse de célébrer : sachant que la célébrité qu’il recherche se conquiert toujours au détriment des autres et sachant aussi que l’homme n’est humain que lorsqu’il respecte la dignité de l’autre, dans ses différences184.

Face à ces dysfonctionnements, pour le moins dramatiques, notre prétendue intelligentsia, dans des discours encensant, continue la flagornerie dithyrambique des dominants, sachant que ces manipulations et ces subterfuges ne sauraient masquer le fait que les dominés gémissent sous les coups des scandales de la malhonnêteté et de la rapine.

a) Démocratie procédurale

Il est vrai, par ailleurs, que dans ce système néolibéral plus on se risque à la fierté et à l’altruisme, plus on est combattu comme un ennemi et un hors-la-loi. Et donc pour entrer dans ses arcanes, il faut marcher dans les sillons déjà tracés, pour un jour espérer se parer des somptuosités du pouvoir où ne brillent et ne se distinguent que ceux qui ânonnent le système, ceux qui excellent dans la médiocratie185 et dans les références obséquieuses, ceux qui maîtrisent la dénonciation et qui savent développer et entretenir les intrigues186 ; Gustave Flaubert187 disait à ce propos, « Ô médiocratie fétide, poésie

184 Le mot tolérance a pour racine étymologique le verbe latin « tolerare » qui signifie supporter. La tolérance n’est pas le respect, mais son contraire, en règle générale, on n’éprouve pas beaucoup de respect pour ce qui est toléré. Le principe de tolérance est affecté d’un coefficient négatif : tolérer, c’est essentiellement s’abstenir de condamner, d’empêcher, d’interdire, de contraindre, de recourir à la violence. Elle est en quelque sorte le service minimum. Pendant que le respect de la bonté et l’amour sont sans limites, la tolérance, elle, a ses limites ; elle est un choix de circonstance.

185 La médiocrité signifie le moyen et le but de transformer en intelligent et en spécialiste un sans dessein qui débite en continu des fragments de “vérité” et cela fait disparaitre à jamais les savoirs et savoir-faire ainsi que la valorisation du travail.

186 In Alain Deneault : La Médiocratie, Lux Editeur, 2015187 Gustave Flaubert, Correspondances, Œuvres complètes, P. 486

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

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utilitaire, littérature de pions, bavardages esthétiques, vomissements économiques, produits scrofuleux d’une nation épuisée, je vous exècre de toutes les puissances de mon âme ! Vous n’êtes pas la gangrène, vous êtes l’atrophie ! Vous n’êtes pas le phlegmon rouge et chaud des époques fiévreuses, mais l’abcès froid aux bords pâles qui descend comme d’une source de quelque carie profonde ! ».

En effet, par les impostures et par les infatuations systématiques, l’ascension aux postes de pouvoir s’octroie aux acteurs médiocrement aptes et ces distorsions ne manquent pas de se répercuter sur tous les secteurs, Hans Magnus188 disait en substance dans « Médiocrité et folie  », le savant médiocre ne pense jamais par lui-même, il délègue son pouvoir de penser à des institutions qui lui dictent ses stratégies aux fins d’avancement professionnel.

De même, si dans la démocratie de façade, le réflexif, l’inventif et le novateur sont combattus et qualifiés d’options radicales et obscurantistes  ; et que la seule voie de réussite est d’entretenir les apparences et les ambivalences et d’exceller dans l’art des simulacres, de la duplicité et de la tricherie généralisée, tout en les voilant de scientificité. En effet, la seule « voie avérée » pour le système néolibéral est celle qui sort de la bouche de l’« expert-prophète » dont le miracle est de penser sans engagement, sans originalité et sans curiosité  ; ce devin qui est pour les dominants, le relais de prédilection par lequel sont transmis les ordres et les orientations pour annihiler le mouvement et ne laisser régner que fadeur, déni, reniement, ressentiment… sachant que se complaire dans la médiocrité idiotifie.

Le comble est que cette aberrance mortifère ne suscite aucune réaction, elle se dissimule sous la parure de prétendues modérations et modernité qui sont à chaque fois renouvelées et réadaptées et dont les principales victimes sont les secteurs de l’éducation et de l’enseignement. Et ce complot est tellement bien orchestré, que ceux qui sont censés défendre et promouvoir un enseignement se sont égarés dans les détails infinitésimaux et sont devenus incapables de conscience critique.

3. Médias et cohésion sociale

La quasi-totalité des sociologues soulignent la grande dimension médiatique qui accompagne les processus de développement, «  don’t hate the media, become the media » (ne détestez pas les médias, devenez les médias), sachant que la corruption de ce processus est souvent plus près qu’on ne le croit. Dans ce sens, l’internet est bien un média -avec ses spécificités en termes de coûts d’accès, de mode production, de

188 Hans Magnus Enzensberger est poète, écrivain est journaliste allemand qui écrit sous le pseudonyme, Andreas.

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processus de diffusion et de régulation- qui se prête le plus aisément aux dérapages. Mais on ne peut se limiter à cette vision dénonciatrice, la « Toile » est devenue une forme sociale à part entière, une véritable forme politique par sa circulation, par l’interaction qu’elle provoque, par la liberté qu’elle véhicule, par la rapidité des rendez-vous ponctuels qu’elle permet et par les possibilités ouvertes de branchements arborescents qu’elle met à la disposition de tout un chacun.

En effet, l’internet incarne de façon matérielle une force envahissante à laquelle chacun participe et sans que personne ne puisse en être le maître, mais que chacun fait grossir les ouvertures de « voies » et les promesses attribuées à ce « monstre ». Est-ce pour autant qu’il faudrait célébrer aveuglément la «  Toile  », à la manière de nombreux journalistes et écrivains qui prédisent l’avènement d’une « télé démocratie » qui réaliserait l’idéal de la participation directe et immédiate de toutes et de tous aux décisions collectives  ? La raison dicte qu’il faut être précautionneux, parce que l’écosystème humain est tellement fragile et parce que les irréversibilités sont souvent létales : observer rigoureusement le principe sacrosaint de durabilité : « dans le doute, abstiens-toi » !

Il ne faut pas oublier que, par ailleurs, les médias (audiovisuels et internet) sont des outils de massification ; en ce sens qu’ils isolent les individus et leur imposent, un vivre stéréotypé189 et formaté. Ces médias se chargent de livrer à domicile des orientations à sens unique, à observer et à suivre. En effet, la magie délétère de ces médias exerce un effet asthénique ; et leurs analyses se présentent comme le résultat de réflexions intellectuelles élevées, alors que leurs commentaires ne sont que des jugements, de simples regards partiels, voire partiaux : sachant que ce succès, ils le doivent au fait que leurs analyses sont succinctes et sensationnalistes, même au prix de banaliser et de vider les grands événements et questionnements de leur substance.

4. La Citoyenneté ou la « santé éthique des peuples190 ».

Retrouver le sens de la mesure revient à reconsidérer la place de l’homme dans la société et la place des hommes les uns par rapport aux autres car -et il faut le souligner- l’homme du présent est éminemment sélectif, conjoncturel voire opportuniste ; et cette « image » qui envahit et investit le quotidien est aujourd’hui une grandeur fantasmée et magnifiée.

En outre, le développement actuel, tant ânonné, est celui du petit nombre et de

189 Tu es rentré chez nous hier et nous étions tous contents, disaient le concierge de l’immeuble et le mécanicien à un collègue qui était passé la veille dans une émission de télévision.

190 Georg Wilhelm Friedrich HEGEL (1770-1831)

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

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l’égotisme  ; il planifie, formule et applique de manière centralisée le politiquement intéressé. Il s’agit là du même « modèle » de développement qui soustend l’histoire de la domination correspond à la globalisation économique, à la destruction de l’environnement, à la domination culturelle ainsi qu’à la centralisation politique. Il n’est en fait, qu’une gigantesque entreprise d’aliénation et de déconstruction dont la gestion ne dévie point de la maxime de Machiavel « gouverner c’est faire croire » ; alors que gouverner, c’est réveiller l’esprit citoyen pour animer le territoire, informer et s’informer, rendre justice, redonner espoir, permettre la vie, critiquer les dysfonctionnements et cela suppose être citoyen pour redonner vie à la liberté et non jouer sur la diversion pour interdire aux groupes concernés de réfléchir collectivement sur leur présent et sur leur devenir.

Ainsi, seul le citoyen, cet homme libre, peut supporter et endurer la peur et la mort. Il les affronte sans crainte, du fait que la peur et l’espoir marchent de pair ; et perdre l’espoir revient à perdre toute crainte. D’autant que la peur renforce et aide à une bonne répartition des pouvoirs et des richesses, tout comme elle influence et oriente le débat public. De même, la peur cathartique fait comprendre à l’ensemble de la société que tous doivent se montrer prudents, sous peine d’en pâtir. Par ailleurs, le principe d’autorité de la loi limite l’exercice de l’arbitraire ; sachant que la société, celle plurielle, bénéficie ès fonctions d’une légitimité d’expériences et elle aspire à une légitimité utilité qui est en permanence à l’épreuve d’elle-même.

Aussi, veiller, animer, surveiller et contrôler doit constituer des attributs de la citoyenneté  et cette vigilance est à la fois contrôle et action et cela passe par une réappropriation des potentialités d’implication, des capacités, des compétences, des savoirs et des savoir-faire des acteurs pour dévoiler, dénoncer et rendre manifeste ce qui est caché : Ne dit-on pas que les systèmes ne meurent jamais de leurs scandales, ils meurent de leurs dysfonctionnements.

5. Recherche et intégration sociale

La construction d’une démocratie engageante et d’une citoyenneté efficiente n’est concevable que si celles-ci sont le résultat de travaux de recherche scientifiques efficaces ; laquelle œuvre n’est réalisable que par un enseignement dont l’objectif est la formation d’esprits libres et critiques. Or, il est à constater que l’enseignement est devenu exclusivement, la principale charnière de l’industrie191 et de la finance néolibérale ; dans

191 Pour 500 millions de dollars « Energy Bioscience Institute » de l’Université de Berkeley fournit à la British Petrolium (BP) le travail des chercheurs du secteur public qui réalisen leurs travaux dans des laboratoires financés par des deniers publics.

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ce contexte, l’enseignement ne promeut et ne soutient que des pseudos disciplines et spécialités, tournées vers le productivisme et vers le renforcement du capital financier, telles la gouvernance, l’organisation, la technologie, le marketing, le benchmarking, le coaching…

Et dans cet univers éducationnel qui a déjà trahi sa mission première de former à la liberté, les enseignants, les professeurs et leurs institutions se livrent à une concurrence au rabais pour avoir les préférences des dominants et répondre complaisamment à leurs commandes. Ainsi, l’université qui était productrice et consommatrice de la science, est devenue elle-même un simple produit  ; de même, les diplômes qui sont délivrés aux étudiants sont aussi devenus des sous-produits qu’on vend aux entreprises les plus en vogue… sachant que la multiplication pantagruélique des titres et des références grève la recherche et anéantit le jeu d’esprit qui est tétanisé par un quantitatif pléthorique.

Au sein de l’université, la recherche est ramenée à l’exiguïté d’un discours approximatif et vaseux qui l’emporte sur la production de l’idée et sa profondeur analytique ; pour l’université, seul compte le slalom terminologique. Le verbe est devenu rêche et stérile -paradoxe d’un Pays dont le premier référent « cultuo-civilisationnel » commence par « LIS192 » ce qui revient à se détourner de la quintessence de la science, divorçant à jamais avec les maîtres de la réflexion à l’image de Blanco, de Derrida, de Lacan, de Kristeva, d’El Ghazali, de Ben Khaldoun… de Jabri, d’El Mandjra, pour leur préférer le « YouTube », le « Facebook », le « WhatsApp » et autres toiles internet qui s’imposent, de plus en plus, en tant que maîtres à penser, pour domestiquer les populations et les exorciser de tout travail constructif : l’université, jadis foyer d’audace et espace d’exploration de la liberté, est devenue un lieu de dressage et l’argent des entreprises privées en constitue le fer de lance.

Les chercheurs sont devenus des rentiers et des bureaucrates qui se complaisent dans un champ balisé par les dominants. Beaucoup d’entre eux sont devenus des chercheurs entrepreneurs qui vendent des produits « clés en main » à des entreprises privées au détriment des grands questionnements sociétaux (moraux, politiques, économiques, culturels…). Les grands thèmes qui traitaient des grandes questions idéologiques se sont effacés devant des réponses sèches à des cahiers de charge supposées être plus pragmatiques, reléguant aux calendes grecques, la critique constructive et la profondeur des concepts  ; le divorce avec la parabole de Nicolas Boileau-Despréaux193 est bien prononcé, « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ».

La vraie recherche est partout méprisée, elle s’est effacée devant les «  power

192 Premier Verset révélé du Coran, Sourate Al Aalaq/Caillot de Sang, Numéro 96 Verset de 1 à 5193 Nicolas Boileau-Despréaux -(1636-1711) est théoricien de l’esthétique.

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

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points », les diapositives, les diaporamas… De même, les logiciels et les applications se sont substitués aux ouvrages de fond et aux débats d’idées, au point que la phrase avec ses logiques, sa finesse et ses nuances tend à disparaître et avec elle, la pensée a démissionné ; et dans un tel contexte, plus le savoir est fluet et pauvre, plus celui qui prétend le posséder cherchera à l’imposer.

Des professeurs et des chercheurs se sont mués en «  experts  », esclaves des instances privées, avec tout ce que cela véhicule comme corruption, duplicité et médiocrité. D’autres, dans une course spéculative aux titres et aux adjectifs se veulent des intellectuels mais sans aucune maîtrise du savoir ; Ils se veulent savants mais sans expérientiels ni capacités, tournant le dos « au scientifiquement correct » de Lacan, pour qui les lettres constituent le mot, les mots constituent la phrase et la phrase donne du sens.

De conscientiseurs des populations et d’interpellateurs des pouvoirs sur les dysfonctionnements majeurs, les chercheurs se sont tournés vers l’avidité et la thésaurisation de nouvelles ressources financières, peu importe le travestissement de la pensée critique. Et cette régression de la recherche s’est traduite par des dissonances gravissimes au niveau de la jeunesse universitaire -enseignants et chercheurs- qui s’empêtre dans la détresse  ; elle devient une proie à divers harcèlements (moraux, psychologiques, sociaux…) pour sombrer souvent dans les discriminations, dans les suicides… les campus devenant des arènes ouvertes au machisme, au sexisme, à l’alcoolisme, à l’extrémisme…

Ainsi, par la position abaissée dans laquelle se sont placés les chercheurs, ils sont méprisés par les dominants et dépréciés dans leurs milieux professionnels ; et parce que, pour beaucoup, ils sont corvéables à souhait, les vrais -rares- chercheurs deviennent, comme le disait Alexis De Tocqueville, « une race qui s’éteint, [ils] ne sont pas faits pour la civilisation. Elle les tue194 ». Un tel contexte ne favorise que les « chercheurs experts » qui savent se soumettre au système dominant et qui savent rassurer, notamment en présentant l’indicible, l’inexcusable et le scandaleux comme des travers nécessaires à la production de la richesse.

En résumé, ces chercheurs de l’épidermique et de la spéculation lexicale -pour qui sont exclusivement ouverts les canaux audiovisuels- étouffent et marginalisent toute voix critique qui viendrait remettre en cause la sérénade néolibérale  ; sachant qu’une telle situation controuvée favorise, immanquablement le foisonnement d’un certain prosélytisme labyrinthique et violent qui pourrait être mené par des éperdus et des exclus. Sachant, par ailleurs, que les écosystèmes sociaux déconstruits par la grande industrie et par la haute finance ne pourront, en aucun cas, être corrigés par des

194 In Alain Deneault : La Médiocratie, Lux Editeur, 2015 P. 130

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

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soubresauts sporadiques qui, du reste, se focalisent sur le « comment » consistant en des saupoudrages savamment distillés pour que rien ne change, alors qu’il faut s’investir dans le « pourquoi », seul à même de répondre à la déconstruction des sociétés.

Conclusion

Certes, l’histoire –qui est comme la mer, une profondeur invisible et un peu d’écumes- finit toujours par sanctionner les auteurs responsables de fautes stratégiques. Certes, les guerres coûtent la vie à des millions de morts -la Première Guerre mondiale en a coûté quelques 25 millions- tout en provoquant le naufrage de plusieurs États, même si Bismarck (1815-1898), Premier chancelier impérial avait avancé « Malheur à l’homme d’État qui ne trouve pas pour faire la guerre une raison qui soit encore aussi valable après la guerre ! ». Certes, l’humanité produit ici et là et de temps à autre des acteurs politiques erratiques qui se distinguent par la désunion, la destruction et par la terreur, en menant un aventurisme à la limite de la schizophrénie, même si la conception binaire de l’ordre (guerre/paix) ne reproduit pas toujours la réalité.

Néanmoins, l’ordre doit toujours renaître et être à la base d’une confrontation permanente et constructive entre ceux qui sont au pouvoir et ceux qui sont dans l’opposition ; lequel ordre, pour durer, doit s’inscrire dans l’équilibre et viser la protection des référents socioculturels, par l’expérimentation de visions endogènes de la démocratie et non une volonté de détruire un quelconque système politique ou civilisationnel. Aussi, dire de ceux qui veulent être eu égard leurs référents socioculturels et expérimenter leurs propres voies, qu’ils promeuvent un système extrémiste et maximaliste -pour peu qu’ils s’inscrivent dans le système- constitue un déni gravissime de liberté.

Par ailleurs, l’existence d’un bon gouvernement ne dépend pas seulement des vertus et des talents de ses membres, il est aussi et surtout fonction de l’efficacité de la mise en œuvre des procédures de surveillance de la gestion de la chose publique qui doit jouer le rôle moteur. En outre, ce n’est pas de la bienveillance et du bon sens qu’il faut attendre la réalisation du bien commun, mais plutôt de la discipline et de la créativité des gouvernants pour tendre vers le perfectible ; le tout dans une logique responsable et responsabilisante où l’application de la norme constitue la règle.

Ainsi, la démocratie actuelle, plus procédurale qu’engageante, favorise le démantèlement des fondamentaux du vivre ensemble, notamment les services publics qui sont à la base de tout Etat intégré et intégrateur. Dans une telle situation controuvée, ceux en place préfèrent recourir à des approches, pour le moins ambigües, qui promeuvent l’individualisme, la ghettoïsation et la diabolisation de l’autre, se suffisant de discours épidermiques et de logorrhées médiatiques qui traitent les dominés de « démonisés », de « paresseux », voire de « violents ».

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UNE LECTURE DE L’INTÉGRATION DU MAROC DANS SON CONTEXTE INTERNATIONAL ET RÉGIONAL

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Par ailleurs, si la démocratie de façade peut se transformer et en une médiocratie, en une implacable et tyrannique dictature du nombre qui atomise les individus, la citoyenneté ne saurait être fondée que sur la discipline collective, sur la responsabilité et sur l’autonomie personnelle de chacun.  Par ailleurs, la véritable démocratie est conflictuelle et son objet est de contenir et de gérer les conflits et de leur trouver un exutoire cathartique, car ce qui garantit l’exercice de cette démocratie, ce n’est pas un Etat tout-puissant mais un Etat de liberté et d’actions. Et une telle orientation constitue une école d’humilité, surtout dans une société où les injustices constituent un délit justiciable : sachant que la citoyenneté n’est possible qu’entre des hommes qui, au-delà de toutes leurs différences, se reconnaissent libres et semblables195.

Le moment du bilan est venu pour dénoncer les malversations et les dysfonctionnements, et mettre en exergue ce qui marche  ; et cette tâche consiste à croiser les regards sur les corruptions que le système essaime, ce qui revient à trouver voie dans labyrinthe où la  pelote du fil d’Ariane196 est plus que jamais vitale, pour approcher l’alèthéia197. Cette vérité latine qu’il faut quêter, en dépit du fait de cette lapalissade qui dit que si on condamne les prédateurs, le système qui les protège n’est jamais remis en cause.

La société s’enfonce, de plus en plus, dans les labyrinthes du doute et les institutions sociales (partis politiques, syndicats, collectivités locales, services sociaux…) plongent dans une réalité anomale, versatile et atomisée. Par ailleurs, contrairement à l’évolution normale, la société actuelle est confrontée à elle-même ; et l’origine des menaces et des dangers ne sont plus à chercher à l’extérieur, elles sont internes à la société, du fait de l’érosion des capacités d’auto-transformation et d’auto adaptation de la société.

Par ailleurs, pour transcender les dysfonctionnements et les tromperies qui dévoient le développement, il importe de se détourner d’un quelconque modèle universalisé du progrès et saisir le développement dans une acception expérientielle territorialisée. Et ce ne sont pas les fulminations et les élucubrations des porte-voix des dominants, des ennemis de la mémoire collectives qui détourneront les peuples de la quête d’un réel développement territorial intégré et intégrateur ; sachant que le système néolibéral est tel un virus létal qui ankylose et piège toute pensée alternative…

195 Sachant que l’érosion de la confiance en les dirigeants et en les institutions politiques constitue l’un des phénomènes qui a été le plus étudié par la science politique ; et ces faits sont généralement appréhendés comme les indices de malaises et de pannes qui invoquent les effets de la montée des replis.

196 Jean-Louis Tristani  : L’Enquête maudite, Esquisse d’un bilan anthropologique, Revue d’Histoire Révisionniste, n° 6, mai 1992, p. 28-46

197 Le concept d’Alèthéia, issu de la philosophie grecque antique, a été utilisé par Parménide dans son poème de la nature[]. Selon Parménide, on peut opposer le domaine de la vérité (alèthéia) à celui de la doxa (l’opinion) et c’est au philosophe allemand Martin Heidegger que l’on doit le renouveau d’intérêt pour le concept d’alèthéia.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Ainsi, le principal objectif de toute démocratie est la durabilité intégrative, à travers ses réseaux de délibération, d’implication, de négociation, de réinterprétation et de résistance. En effet, le critère de durabilité est simple, ne survivent que les espèces qui établissent des rapports harmonieux avec l’écosystème dans lequel elles vivent. De même, en politique il n’y a ni solution unique ni meilleure solution, seule l’exploration de nouvelles expériences pourrait rapprocher de la vérité, sachant que toutes les guerres perdues n’ont qu’une seule cause, c’est que l’intervention arrive trop tard, disait le Général américain Mac Arthur.

Une réelle démocratie, pour produire des résultats, suppose l’existence des trois sphères où se joue l’articulation des rapports entre les citoyens, entre le citoyen et la communauté, entre le citoyen et ses institutions198 ; et cela suppose une interdépendance réciproque une jonction des trois sphères, le tout dans une autonomie locale à toute épreuve.

Par ailleurs, une démocratie engageante exige rigueur et durabilité pour le renforcement de l’unité, de la souveraineté et de la reconstruction de l’être-citoyen  ; atouts qui constituent, de loin, les plus importants challenges pour l’enclenchement d’un développement intégré et intégrateur199. Aussi, faut-il désirer le vivable pour lutter contre les craintes du prévisible et pour ouvrir l’horizon sur ce qu’on ne peut pas prévoir ou prédire et ce, pour décoloniser le présent de ses laideurs et de ses cruautés narcissiques.

198 A savoir la sphère privée, l’oïkos, celle de l’individu et de la famille ; la sphère publique/privée, l’agora qui correspond aux collectivités locales, aux entreprises, aux syndicats c’est-à-dire l’espace où les individus se rencontrent, se groupent et échangent à propos de leurs activités  ; la sphère publique/publique, l’ecclésia qui correspond à là où se prennent les décisions qui engagent l’ensemble de la société, à savoir les lieux du pouvoir.

199 Bismarck disait « dans l’époque singulière où nous vivons, le fort est faible par son hésitation et le faible est fort par son audace ».

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Chapitre 7 : Quelle contribution du système coopératif à la cohésion sociale au Maroc ?

Abdelkrim AzenfarDirecteur, Office de Developpement de la Coopération (ODCO)

La notion de cohésion sociale est enracinée dans la société marocaine. Elle renvoie à l’intégration des individus, leur attachement au groupe et leur participation à la vie sociale. Les membres de la communauté partageaient des valeurs et des règles de vie qui étaient acceptées par tout un chacun.

Une forme ancestrale de représentation de la population (jemâa) contribuait à l’organisation concrète de la vie collective. Plusieurs pratiques et modalités d’organisation de la vie sociale d’essence religieuse et/ou communautaires permettaient à l’individu de ne jamais se sentir seul face à l’adversité, telles que la zakate200, touiza201, agadir202, amcharte203…

Néanmoins, les sociétés actuelles, dont la société marocaine, ont tendance à perdre de leur cohésion sociale sous l’effet de la modernisation et de la mondialisation. L’individualisme érode irrémédiablement et remplace la société groupée, soudée et unie. Le poids et le rôle de la famille, des voisins, du quartier, du douar, de la tribu… s’estompent progressivement.

Les répercussions de cette perte de cohésion sociale sont immédiates. Elles affectent tout particulièrement l’éducation des enfants, la vie solidaire en communauté, la rationalisation de l’utilisation des ressources naturelles, ainsi que la prévention contre les différentes formes d’extrémisme…

La tendance va ainsi vers l’individualisme, l’opportunisme, l’égocentrisme… avec tout ce qui peut en découler en termes de sentiment d’insécurité (au travail, dans la rue et dans la vie en général), de chômage, de fragilité et de vulnérabilité provoquant ainsi des dérives tels que l’extrémisme religieux, la délinquance…

Malheureusement, l’exercice de l’action politique a parfois contribué à désintégrer et rompre les liens sociaux, entre personnes d’une même tribu, d’un même village voire au sein d’une même famille, en instaurant une logique opportuniste face à laquelle les

200 Aumône obligatoire (c’est l’un des cinq piliers de l’islam)201 Travail (corvée collectif)202 Grenier collectif203 Système de scolarisation collective des enfants

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

valeurs du collectivisme n’ont pas résisté longtemps…Actuellement, de multiples programmes de développement socio-économiques à

caractère sectoriel et/ou territorial ambitionnent de contribuer à rebâtir la cohésion sociale à travers l’intégration et la participation des populations locales, la capacité à assurer le bien-être de tous les membres de la société, la réduction des disparités et la lutte contre la marginalisation. La réussite de tels programmes est impérativement conditionnée par le degré d’intégration des populations locales dans leur conception et leur mise en œuvre.

Ainsi, différents concepts qualifiés à chaque fois de ‘nouveaux’, voient le jour tels que l’approche participative, l’organisation en associations d’usagers, la gestion participative des ressources naturelles… Ces concepts sont basés sur des valeurs ancrées dans notre société depuis la nuit des temps. Ils n’ont été perdus de vue que depuis le siècle dernier.

Mais dans ce nouveau contexte, vouloir revenir aux anciens modes de vie pour retrouver la cohésion sociale est utopique compte tenu des mutations rapides que connaît le monde avec, notamment, le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication ainsi que la virtualisation des relations.

C’est dans cette dynamique et ce contexte que l’Economie Sociale et Solidaire (ESS), en général, et l’économie coopérative, en particulier, peuvent constituer une voie propice à un développement plus humain commencé par les forces vives des différents territoires induisant ainsi une véritable cohésion sociale. Une cohésion sociale au service de la dignité des personnes (jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, en urbain et au rural) en assurant leur intégration, dans la mouvance de développement que connaît notre pays, par l’économique en rupture avec les actions de charité, et ce, à travers la valorisation des richesses naturelles et des savoir-faire locaux.

Les différentes définitions de la cohésion sociale disponibles permettent de retenir quelques éléments clés de ce concept. Il s’agit de l’ensemble des processus sociaux qui influencent l’ordre social, sous forme de liens qui unissent les individus formant une communauté, une collectivité, la société. Le degré de cohésion sociale renseigne du niveau de partage de valeurs et d’intérêts entre les individus d’une communauté qui contribuent à divers projets communs dans lesquels chacun peut tirer profit équitablement.

Ce degré de cohésion sociale constitue l’un des objectifs fondamentaux de l’ESS et de sa composante coopérative. Les définitions de l’ESS et des coopératives, ci-dessous, le mettent clairement en évidence.

Selon la loi marocaine, l’économie sociale et solidaire est, en effet « constituée de l’ensemble des activités économiques, marchandes ou non marchandes, créatrices de valeur, de revenus et d’emplois, assurées par des personnes morales de droit privé

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QUELLE CONTRIBUTION DU SYSTÈME COOPÉRATIF À LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ?

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qui poursuivent l’intérêt collectif de leurs membres, de leurs bénéficiaires et/ou qui contribuent à l’intérêt général. Ces activités concernent notamment, la production, la transformation, la distribution, la commercialisation, le financement et la consommation de biens ou de services. »

La loi marocaine relative aux coopératives définie quant à elle la coopérative comme étant «un groupement de personnes physiques, morales ou les deux ensemble qui conviennent de se réunir pour créer une entreprise chargée de fournir, pour satisfaire leurs besoins économiques et sociaux, elle est gérée selon les valeurs et les principes coopératifs fondamentaux reconnus universellement.»

I. Coopératives et cohésion sociale dans le monde

Des stratégies sont élaborées, des initiatives sont prises et des actions sont entreprises à travers le monde pour asseoir directement ou indirectement la cohésion sociale.

Les initiatives issues de la dynamique locale ont montré leur impact direct pour construire l’identité sociale. Elles ont la particularité d’agir, dans un cadre collectif avec une participation démocratique à l’élaboration des politiques publiques, à créer ensemble des activités et des emplois pour améliorer le niveau et les conditions de vie.

L’ensemble de ces initiatives s’inscrivent dans une autre économie plus humaine, l’ESS, qui permet de mobiliser toutes les catégories sociales dans différents secteurs et dans différents territoires autour d’un développement intégré et qui se veut durable.

L’importance de l’ESS ainsi que sa prise en considération comme secteur fondamental pour le développement et la cohésion sociale ne cessent d’augmenter à travers le monde notamment avec les limites des modèles classiques de développement et la résistance de ce secteur aux crises économiques.

L’ESS vise à concilier l’efficacité économique avec le respect des principes d’équité, de justice sociale et de protection de l’environnement. Elle n’est pas seulement un secteur économique, elle a désormais un rôle politique qui fait une partie de son actualité. C’est une « économie de paix » ou une économie de « conciliation » et de « respect mutuel ».

Cette économie englobe différentes familles avec des structures juridiques différenciées  telles que les coopératives, les mutuelles, les associations et d’autres formes d’organisation. Mais les statuts juridiques ne suffisent pas pour attester de l’appartenance ou non d’une organisation à l’ESS. Les coopératives demeurent, cependant, les structures de l’ESS les plus connues et les plus communes à travers le monde.

En effet, face à des phénomènes tels que la pauvreté, l’exclusion et l’inégalité, la coopérative est perçue comme une voie alternative pour satisfaire les besoins des

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

plus vulnérables. Cette voie est principalement fondée sur les valeurs d’égalité, de démocratie, de liberté, d’équité, de solidarité et d’autopromotion. Elle a pour vocation d’associer le travail des personnes et non leurs capitaux. Elle se ressource également de principes forgés au fil du temps par le mouvement coopératif (voir encadré 1).

Encadré 1  : Principes universels du mouvement coopératif (Alliance coopérative internationale, 2015)

1. L’adhésion volontaire et ouverteLes coopératives sont des organisations bénévoles, ouvertes à toutes les personnes

capables d’utiliser leurs services et sont prêtes à accepter les responsabilités des membres, sans discrimination sexuelle, sociale, raciale, politique ou religieuse.

2. Contrôle démocratiqueLes coopératives sont des organisations démocratiques contrôlées par leurs

membres - ceux qui achètent les biens ou utilisent les services de la coopérative - qui participent activement à l’établissement des politiques et à la prise de décisions.

3. Participation économique des membresLes membres contribuent également au capital de la coopérative et le contrôlent

démocratiquement. Cela profite aux membres en proportion de leurs activités avec la coopérative plutôt qu’avec le capital investi.

4. Autonomie et indépendanceLes coopératives sont des organisations autonomes, gérées par leurs

membres. Si elles concluent des accords avec d’autres organisations, y compris les gouvernements, ou lèvent des capitaux provenant de sources externes, elles le font dans des conditions qui assurent le contrôle démocratique des membres et maintiennent l’autonomie de la coopérative.

5. Éducation, formation et informationLes coopératives fournissent l’éducation et la formation à leurs membres, aux

élus, aux gestionnaires et aux employés afin qu’ils puissent contribuer efficacement au développement de leur coopérative. Les membres informent également le grand public de la nature et des avantages des coopératives.

6. Coopération entre les coopérativesLes coopératives servent leurs membres de manière plus efficace et renforcent

le mouvement coopératif en travaillant ensemble par le biais de structures locales, nationales, régionales et internationales.

7. Engagement envers la communautéLes coopératives contribuent au développement durable de leurs communautés

par le biais des politiques approuvées par leurs membres.

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QUELLE CONTRIBUTION DU SYSTÈME COOPÉRATIF À LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ?

143COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Ce mouvement est aujourd’hui une réalité tangible et incontournable de l’économie mondiale comme le montrent les chiffres globaux ci-après (voir encadré 2)

Encadré 2  : Données reflétant le dynamisme du mouvement coopératif à travers le monde (Nations Unies, 2014)

• 2.6 millions de coopératives et mutuelles ;• 1 milliard de membres de coopératives ;• 12.6 millions d’employés dans 770 000 coopératives ;• Le taux de pénétration dans les coopératives : 1 personne/6 est membre ou

client d’une coopérative ;• Le secteur de l’agriculture et la finance sont ceux qui comportent le plus

grand nombre de coopératives ;• L’environnement, les nouvelles technologies de l’information et de la

communication sont des secteurs potentiellement porteurs et créateurs d’emplois.

II. Quelques exemples de la contribution de l’ESS - principalement du système coopératif - à la cohésion sociale

A travers le monde, plusieurs initiatives de l’ESS sont développées dans différents contextes pour répondre à des défis précis par l’économique et le social.

Ces initiatives sont de différentes formes qui varient de grandes coopératives au rayonnement mondial à de petites expériences de coopératives ou autres organisations de l’ESS. Mais les finalités de ces initiatives sont similaires en ce sens qu’elles tendent toutes à l’insertion de la population via la création d’activités socio-économiques et sous les mêmes valeurs et principes connus universellement. L’objectif de bâtir la cohésion sociale y est omniprésent à des degrés différents et sous différentes formes.

En effet, les 300 plus grandes coopératives et mutuelles de par le monde enregistrent des revenus qui les placeraient au 9e rang des économies mondiales si elles formaient une seule nation. Elles proviennent de 25 pays et enregistrent un chiffre d’affaires cumulé de 2,53 trillions USD (Observatoire mondial des coopératives, 2016). Plus de 32  % d’entre elles sont actives dans le secteur agricole, 39  % dans le secteur des assurances, 19 % dans la vente en gros et au détail, 6 % dans le secteur bancaire et les services financiers, 1 % dans le secteur des soins de santé, 1 % dans le secteur social, 1 % dans le secteur industriel et 2 % dans d’autres services et activités.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

En termes de stabilité et de régulation économique, sociale et politique, ces coopératives sont reconnues pour leur longévité (40  % d’entre elles ont plus de 70 ans). A titre d’exemple, les coopératives québécoises ont un taux de survie de deux fois supérieur aux autres formes d’entreprises après 10 ans d’existence (MDEIE, 2008).

Par ailleurs, d’importantes initiatives ponctuelles sont développées par des organisations de l’ESS au niveau de certains pays pour soutenir des actions locales dans divers secteurs : initiatives de commerce équitable, de finance solidaire, de services, de santé, de projets culturels, de tourisme solidaire, d’environnement, de valorisation du patrimoine local, de scolarisation, de NTIC…

Ces initiatives de l’ESS ont démontré la viabilité de business models innovants de nature à produire, distribuer, consommer et épargner équitablement et démocratiquement avec plus de responsabilité envers leur environnement social.

En effet, les coopératives participent au maintien d’un accès équitable aux biens et aux services en agissant dans des secteurs d’activités liés aux besoins fondamentaux et à l’économie réelle : nourriture, sécurité et logement…

Ainsi, grâce à des coopératives, des services vitaux sont mieux rendus à des populations à travers le monde. Depuis les services aux bébés, on compte à ce propos environ 1.000 garderies coopératives opérant au Canada, jusqu’aux obsèques. A titre d’exemple, le développement des coopératives funéraires du Québec a permis de diminuer de moitié le coût des funérailles (Beaucher, 2012).

Des initiatives sont également développées dans des quartiers sensibles, notamment dans les zones urbaines défavorisées traitant des problématiques telles que le chômage, la destruction de l’environnement… C’est le cas des régies de quartiers en Europe qui offrent des services urbains, créent des emplois et contribuent à renforcer les liens sociaux.

De même, plusieurs coopératives œuvrent dans le secteur artistique et contribuent ainsi à la protection du patrimoine culturel : l’exemple de la coopérative de l’Hôtel du Nord à Marseille visant à valoriser le patrimoine pour le conserver et améliorer la vie de ceux qui y vivent et travaillent est très saillant à cet égard.

Certaines coopératives sont tournées vers l’avenir et l’innovation : c’est le cas par exemple de la coopérative « Allons en vent » qui est une éolienne particulière mettant en pratique les principes du développement durable, et dont les membres sont des enfants dont les parents sont gestionnaires de la coopérative.

D’importants efforts sont déployés par d’autres organisations de l’ESS dans le domaine des finances solidaires car les projets des initiatives locales à faible échelle sont en principe trop peu rentables pour intéresser la finance classique. Ainsi, les finances solidaires ont enregistré des avancées considérables et plusieurs initiatives ont été développées. C’est Muhammad Yunus (Prix Nobel de la Paix 2006) qui a lancé,

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QUELLE CONTRIBUTION DU SYSTÈME COOPÉRATIF À LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ?

145COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

depuis les années soixante-dix du siècle dernier, les jalons du microcrédit même si les premières banques coopératives avaient commencé à voir le jour dès le milieu du 19ème siècle (Ghazali, 2015). En effet, Yunus a fondé la Grammeen Bank qui constitue un véritable pari sur la capacité de remboursement des pauvres pour autant qu’ils leurs soient offerts les bons produits et le bon accompagnement. Depuis lors, on assiste à une véritable industrie du microcrédit. En 2014, 105 millions de prêts ont été octroyés pour 105 milliards de dollars dont 50 % en Asie du sud, 20 % en Amérique Latine et 9 % en Afrique (Ghazali, 2015).

En Amérique du Sud, les principales expressions du mouvement de finance solidaire sont les coopératives de crédit, les fonds de solidarité et les banques communautaires.

Des «  monnaies sociales  » sont utilisées dans certaines régions, à l’instar des « clubs de troc » argentins. Ces « monnaies sociales » ont mené au Brésil à la création de banques communautaires et à la promotion de microcrédits destinés à financer des activités de l’ESS. La plus connue de ces expériences est celle de la Banque Palmas (nom de la monnaie) qui a réussi à beaucoup améliorer les conditions de vie des habitants d’un bidonville de Fortaleza, au nord-est du Brésil (Maria Angelina de Oliveira et al, 2013).

Les monnaies sociales peuvent être imprimées sur le papier, prendre la forme d´une carte magnétique ou d’une monnaie virtuelle gérée à partir d´applications existantes sur les téléphones mobiles. Exemple de la Carte Mumbuca qui est la première monnaie sociale électronique du Brésil développée en 2013 dans la province de Maricá (Adriana Bezerra Cardoso, 2016). Ces « monnaies sociales » peuvent également exister de façon éphémère, juste lors d’un événement, comme par exemple une foire commerciale, ou de façon permanente sur un territoire donné (quartier, ville, etc.). Son attribut principal est de stimuler la consommation de produits locaux, la promotion des circuits courts, à savoir, le développement économique basé sur la production et la consommation locale.

La cohésion sociale s’exprime à travers ces organisations de l’ESS de la finance solidaire par l’insertion socio-économique des populations démunies dans tous les secteurs de l’activité.

De l’ensemble de ces initiatives se dégagent d’importantes dynamiques caractérisant l’impact socio-économique des différentes initiatives des organisations de l’ESS (notamment les coopératives), en termes  de stabilisation et de régulation économique, sociale et politique ; de maintien d’un accès équitable aux biens et services et de promotion de la diversité et l’inclusion économique, sociale et politique et par conséquent, de la cohésion sociale.

De même, les organisations de l’ESS sont aussi de véritables expériences de vie, d’espaces de création, d’innovation et de partage, qui induisent un processus éducatif à la démocratie et à la prise en charge.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

Au niveau de certains pays, comme le Canada, des fondations pour l’éducation à la coopération et à la mutualité ont été créées dans l’objectif de promouvoir le travail coopératif et mutualiste auprès de jeunes en leur offrant l’opportunité de mettre en valeur leur potentiel pour réaliser des solutions adaptées à leurs besoins et à leurs communautés.

En somme, les coopératives contribuent à bâtir la communauté et à sa cohésion sociale. L’Organisation des Nations Unies reconnait d’ailleurs cette contribution au développement social dans sa résolution 64-136 du 11 février 2010 qui considère que : « les coopératives, sous leurs différentes formes, aident toute la population, notamment les femmes, les jeunes, les personnes âgées, les personnes handicapées et les personnes issues de peuples autochtones, à participer aussi pleinement que possible au développement économique et social, dont elles sont en train de devenir un facteur très important, et qu’elles contribuent à l’élimination de la pauvreté […]  » (Nations Unies, 2010).

En plus des appréciations qualitatives de la contribution des coopératives à la cohésion sociale, des efforts de quantification de cette contribution ont été déployés. C’est ainsi qu’en 2007, GINGRAS a relevé et a défini 19 indicateurs pour mesurer les dimensions de la cohésion sociale dans les coopératives forestières du Québec, et ce, selon leur niveau d’innovation économique.

Le modèle utilisé est celui de Bernard (1999) qui caractérise la cohésion sociale selon deux types de relation, formelle (une attitude relativement accessible à la plupart des individus) et substantielle (qui nécessite un engagement des individus à travers le temps). Ledit modèle est défini également selon les trois principales sphères de la vie des individus en société : économique, politique et socioculturelle.

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QUELLE CONTRIBUTION DU SYSTÈME COOPÉRATIF À LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ?

147COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Tableau 1  : 19 indicateurs des dimensions de la cohésion sociale pour les coopératives forestières du Québec (GINGRAS, 2007)

Sphèresd’activité

Niveaux de relation

Formel Substantiel

Economique Insertion-Exclusion1- Condition d’accès au membership2- Sélection des membres3- Ratio membres/non-membres

Égalité-Inégalité1- Revenu2- Travail3- Apprentissage

Politique Légitimité-Illégitimité1- Consentement des membres2- Adhésion des membres aux objectifs de la coopérative3- Satisfaction des membres par rapport à la gestion de la coopérative

Participation-Passivité1- Présence des membres à l’assemblée Générale et aux réunions2- Implication des membres dans les comités de la coopérative3- Intérêt des membres à prendre un poste de responsabilité au sein de la coopérative4- Exercice du droit de vote

Socio-culturel Reconnaissance-Rejet1- Possibilité de donner son avis2- Intérêt accordé aux idées des membres3- Ouverture des responsables de la coopérative aux idées des membres

Appartenance-Isolement1- Comités2- Implication de la coopérative dans saCommunauté d’appartenance3- Appui de la population locale

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

III. Contribution de l’ESS/Coopératives à la cohésion sociale au Maroc

1. Historique et évolution

Au Maroc, l’ESS enregistre une dynamique importante grâce à la conjugaison d’un certain nombre d’ingrédients dont principalement le dynamisme et l’esprit d’initiative de la population locale ainsi que l’accompagnement de différents programmes de l’Etat. Les organisations de l’ESS, notamment les coopératives et les associations, sont devenues des outils incontournables dans la mise en œuvre des politiques publiques relatives au développement humain à travers l’intégration de la population, organisée en coopératives ou associations, dans la valorisation des potentialités et des savoir-faire locaux.

Actuellement, le Maroc compte plus de 16.000 coopératives sachant que ce nombre ne dépassait pas les 5.000 il y’a 10 ans (ODCo, 2016). Le nombre des associations, quant à lui, dépasse les 140.000 alors qu’il était à peine de 30 000 en 1990.

Le graphe 1 illustre l’évolution du nombre de coopératives au Maroc avec la création des premières coopératives au début du 20e siècle et la multiplication du rythme pendant ces dernières années qui ont connu le lancement d’importants programmes nationaux tels que l’Initiative Nationale pour le Développement Humain en 2005 et d’autres programmes sectoriels  : Plan Maroc Vert, Stratégie de développement de l’artisanat, Plan Halieutis…

Graphique 1 : Evolution du nombre des coopératives marocaines

Source : ODCo, 2016

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QUELLE CONTRIBUTION DU SYSTÈME COOPÉRATIF À LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ?

149COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Cette dynamique a concerné toutes les régions du Maroc et plusieurs secteurs avec une dominance des coopératives agricoles, d’artisanat et d’habitat ainsi que l’émergence de nouvelles initiatives dans des secteurs peu investis par les coopératives jusque-là : scolarisation, recyclage des déchets, art, énergies renouvelables, commercialisation électronique…

Graphique 2 : Répartition des coopératives marocaines par secteur

Source : ODCo, 2016

Cette dynamique du mouvement coopératif national ambitionne de contribuer à la lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale et à bâtir la cohésion sociale et ce, à travers l’inclusion socio-économique des populations défavorisées en encouragent les activités génératrices de revenus, la valorisation des ressources locales et la contribution à l’organisation du secteur informel.

Toutefois, il faut resouligner que les principes et valeurs de ces formes d’organisation de l’ESS ne constituent pas une nouveauté pour la société marocaine qui est régie par des pratiques ancestrales de solidarité et de coopération.

En effet, la société marocaine est caractérisée par plusieurs formes de solidarité et de coopération qui ont permis de garantir la cohésion sociale et même la gestion rationnelle des ressources naturelles. Ces pratiques trouvent leur fondement dans la religion ou les traditions communautaires.

C’est ainsi qu’en Islam, l’obligation de répartition équitable des richesses est assurée entre autre par la ‘Zakat’(aumône obligatoire) qui est l’un des cinq piliers de la religion.

De même, plusieurs formes d’organisation de la population ont été développées et appliquées pour garantir l’utilisation et la durabilité des ressources naturelles dont notamment l’eau d’irrigation et les parcours via des groupements en forme d’associations.

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150 COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

Des systèmes de rotation d’utilisation des espaces de parcours ont été instaurés pour assurer l’usage collectif des ressources tout au long de l’année constituant, ainsi, de véritables modèles modernes d’aménagement et de gestion des espaces pastoraux.

En outre, l’une des traditions communautaires de droit coutumier les plus connues est la ‘Touiza’ou travail (corvée) collectif. Elle consiste à travailler collectivement au sein d’un groupement, d’une façon bénévole et gratuite, afin de réaliser des travaux communautaires au profit de l’un des membres de la communauté ou au profit de la communauté toute entière. Ces actions concernent essentiellement les travaux agricoles.

Les ‘Igoudar’(‘’Agadir’au singulier) sont d’autres formes de valorisation du collectif et du « vivre ensemble ». Ce sont des greniers collectifs qui continuent d’exister dans la région du Souss, selon les mêmes règles de fonctionnement ancestrales.

Ces formes ancestrales de collectivisme, ont concerné plusieurs secteurs d’activité y compris l’éducation des enfants collectivement à travers une pratique appelée « Amcharte ».

Toutes ces pratiques ancrées dans les valeurs de la société marocaine véhiculent la solidarité, l’entraide, les règles de la vie en communauté et la cohésion sociale. Elles présentent une grande similitude avec les principes qui définissent l’ESS en général et le système coopératif en particulier : On peut citer notamment l’adhésion au principe du contrôle démocratique, la conjonction des intérêts des membres usagers avec l’intérêt général, le principe de la défense de la solidarité, de la responsabilité et l’autonomie de gestion, ainsi que l’indépendance par rapport aux pouvoirs publics.

2. L’ESS au cœur des politiques publiques au Maroc

De nos jours, d’importants programmes gouvernementaux sectoriels ou à caractère intégré se basent sur l’esprit coopératif depuis la conception jusqu’à la mise en œuvre. A travers ces politiques publiques et l’organisation en coopératives, la situation de certaines populations à revenus limités et vivant dans des environnements d’isolement géographique et de précarité socio-économique a été améliorée. Il s’agit, entre autres, des femmes rurales ou vivant dans des quartiers urbains périphériques qui, grâce à la valorisation de leur savoir-faire (artisanat, techniques d’extraction d’huile d’argan…) et des ressources naturelles (safrane, cactus, arganier, laine…), ont pu conquérir les marchés nationaux ou même internationaux par des produits bio, authentiques à des terroirs donnés. Le Maroc compte plus de 2.200 coopératives 100 % féminines (ODCo, 2016).

L’Etat, via ces projets socio-économiques, ambitionne l’intégration durable des populations exclues et vulnérables, à travers leurs autonomisation économique.

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QUELLE CONTRIBUTION DU SYSTÈME COOPÉRATIF À LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ?

151COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Les quelques exemples de politiques publiques cités ci-dessous, montrent à quel point l’ESS contribue à la cohésion sociale et à l’amélioration des niveaux et des conditions de vie des populations.

L’Initiative Nationale du Développement Humain (INDH), qui est un programme lancé sur instruction royale en 2005, œuvre à asseoir un développement inclusif notamment auprès des populations défavorisées à travers l’économique en valorisant les potentialités naturelles et le savoir-faire locaux.

L’INDH accorde un intérêt particulier à la promotion des activités génératrices de revenu en soutenant les initiatives qui assurent l’inclusion socioéconomique des personnes pauvres en leur permettant de participer à la vie active et à se prendre en charge. L’INDH contribue, ainsi, à l’amélioration des revenus de la population cible, la création d’emplois et la promotion de la culture de l’auto-emploi, le renforcement de la dynamique associative et coopérative, l’intégration des populations démunies dans le tissu économique, la lutte contre l’exode rural et la valorisation des produits de terroir.

La forme coopérative a ainsi été la forme organisationnelle de prédilection du programme INDH. Elle permet ainsi à un groupe de personnes qui peinent à développer individuellement une activité économique à se regrouper et à concrétiser leur projet collectivement.

Et c’est ainsi que l’INDH a donné une impulsion considérable au mouvement coopératif via l’encouragement des activités génératrices de revenus, la valorisation des ressources locales et la contribution à l’organisation du secteur informel.

Encadré 3  : Extrait du discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI Que Dieu l’Assiste le 18 mai 2005 à l’occasion du lancement de l’INDH

« Cette initiative s’inscrit dans la vision d’ensemble qui constitue la matrice de notre projet sociétal, modèle bâti sur les principes de démocratie politique, d’efficacité économique, de cohésion sociale et de travail, mais aussi sur la possibilité donnée à tout un chacun de s’épanouir en déployant pleinement ses potentialités et ses aptitudes. »

D’autres programmes sectoriels, tel que le Plan agricole Maroc Vert dans son deuxième pilier dédié à l’agriculture solidaire, a opté pour les structures de l’ESS (notamment la coopérative) pour se déployer.

En effet, dans l’agriculture solidaire, l’objectif est de développer une approche orientée vers la lutte contre la pauvreté à travers l’augmentation du revenu agricole des exploitants les plus fragiles, notamment dans les zones périphériques. Ce type d’agriculture est pratiqué par de petits agriculteurs détenant de faibles superficies agricoles et/ou étant usagers uniquement d’un bien collectif (forêt, parcours…) pour

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152 COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

qui, le développement de projets conséquents à impact substantiel avec des initiatives ponctuelles demeure impossible. D’où l’intérêt pour ces agriculteurs de s’organiser en coopératives ou de renforcer les organisations coopératives déjà existantes afin de constituer une force de production et/ou de transformation en mesure de devenir de véritables partenaires de l’Etat et du secteur privé. La stratégie développée consiste à l’agrégation par filière en organisant les agriculteurs au niveau de tous les maillons de chaque filière agricole : des coopératives de production et récolte des matières premières qui à leur tour formeront ou feront partie des groupements à l’étape de transformation.

L’accompagnement de ces coopératives prend différentes formes en vue d’en faire de véritables entreprises coopératives qui contribuent au développement local.

Il en est de même pour d’autres programmes gouvernementaux tels que la stratégie d’artisanat où une importance capitale est accordée aux regroupements des artisans en coopératives pour améliorer la qualité de production et contribuer à la préservation des métiers d’artisanat en risque de disparition. Plusieurs axes d’accompagnement sont développés au profit des coopératives : formation en techniques de production, de commercialisation et d’éducation financière  ; construction et équipement de maisons d’artisanes essentiellement en milieu rural pour formation, exposition et vente  ; accompagnement pour certification/labellisation…

Au niveau de la stratégie de développement de la pêche, les coopératives de pêcheurs sont de véritables partenaires pour la modernisation de la pêche traditionnelle. Des programmes d’accompagnement spécifiques sont dédiés à ces coopératives  : renforcement des compétences, amélioration des conditions de travail, renouvellement du matériel de pêche et d’entreposage… en s’inscrivant dans une gestion durable des ressources halieutiques.

Les coopératives sont également présentes dans d’autres politiques publiques sachant que d’importantes potentialités ne sont que très peu exploitées pour contribuer à apporter des solutions à des défis socio-économiques. Il s’agit du secteur du tourisme où même si on note des expériences de coopératives qui agissent au niveau du tourisme solidaire dans le rural (région du Haut Atlas comme exemple) comme dans l’urbain (coopérative des vélos baladeurs au niveau de l’ancienne médina de Casablanca), le nombre demeure limité.

Il en est de même pour d’autres secteurs également prometteurs en termes d’inclusion socio-économique et de cohésion sociale bien qu’il soit difficile d’en faire une présentation exhaustive. Néanmoins, force est de constater que des expériences, même ponctuelles, constituent des cas de réussite vu l’impact qu’elles génèrent. C’est le cas des coopératives de scolarisation - plus d’une centaine de coopérative jusqu’à 2016 - développées par des jeunes diplômés : intégration de ces jeunes dans le marché d’emploi, contribution à diversifier l’offre de service de scolarisation des enfants auprès

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QUELLE CONTRIBUTION DU SYSTÈME COOPÉRATIF À LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ?

153COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

des familles surtout dans les quartiers marginaux…Au niveau artistique, l’exemple de la coopérative « Dakirat al moustakbal » à Tanger

a permis à des jeunes sans emploi de s’épanouir dans une activité artistique, d’avoir un revenu, de contribuer à l’animation des quartiers et d’échapper ainsi à toute forme de dérive possible.

Sur le plan dudéveloppement durable, il y a lieu de souligner le cas de la coopérative « Attawafok » de tri des déchets ménagers qui représente un modèle de développement durable en permettant à plus de 140 adhérents de vivre dignement d’une activité de ramassage et de tri des ordures au niveau de la décharge de Akrach (près de Rabat). En effet, en s’organisant dans le cadre coopératif, les familles de ces adhérents perçoivent un revenu régulier et sont assurées par une couverture sociale. Les coopérateurs agissent dans un cadre organisé en rupture avec le mode anarchique antérieur caractérisé par la multitude de risques, le niveau rudimentaire des revenus… Et ce, en plus de l’important impact environnemental de ce projet qui s’adresse à la problématique de gestion des décharges, dont l’importance est cruciale pour l’ensemble des villes. L’impact sur la cohésion sociale est évident au sein d’une telle population très défavorisée.

De même, les NTIC offrent d’importantes opportunités pour l’insertion des jeunes dans l’activité socio-économique en s’organisant dans le cadre coopératif. C’est ainsi qu’on note des initiatives pionnières dans ce secteur, à l’instar des coopératives de service pour commercialisation des produits d’artisanat (exemple de coopérative d’Anou) ou des projets coopératifs dans la presse électronique…

3. Environnement juridique motivant pour le développement de l’ESS au Maroc

Les efforts consentis par l’Etat pour asseoir un environnement juridique plus motivant sont également un signe fort de la prise de conscience de la part des acteurs institutionnels de l’importance de cette économie et de l’opportunité de la développer.

Dans cette partie, il sera question de s’intéresser à la nouvelle loi des coopératives sachant qu’il existe de multiples autres textes juridiques, promulgués en vue de motiver directement ou indirectement l’initiative en ESS (loi cadre de l’ESS, labellisation des produits naturels, commerce équitable…).

Depuis 2014, le Maroc s’est doté d’une nouvelle loi des coopératives n°112.12 qui a apporté plusieurs nouveautés avec la finalité d’asseoir un environnement le plus motivant possible pour les initiatives coopératives. Plusieurs avancées ont été apportées par ce texte dont les plus importantes consistent en :

• La simplification de la procédure de création des coopératives :La nouvelle loi n°112.12 a supprimé la procédure d’agrément par l’instauration

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154 COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

d’un registre des coopératives composé d’un registre central tenu par l’Office de Développement de la Coopération et des registres locaux tenus au niveau des bureaux d’ordre des tribunaux de premières instances ;De même, le nombre minimum de membres pour la création d’une coopérative s’est vu réduit de sept personnes à cinq. Pour faciliter la structuration des coopératives en unions de coopératives, le nombre minimum exigé est passé de quatre coopératives à trois ;

• La règlementation du seuil d’activités des coopératives avec les non membres :Dans le même souci de facilitations administratives et d’encouragement des coopératives à développer leurs activités, le principe de l’exclusivisme a subi une dérogation importante par rapport à l’ancienne loi des coopératives, puisque selon les nouvelles dispositions de la loi n°112.12, il est autorisé aux coopératives de traiter avec les non adhérents dans la limite de 30 % de leurs transactions sans autorisation préalable, sous condition de tenir une comptabilité à part liée à ces opérations ;

• La possibilité de participation aux marchés publics :La loi n°112.12 a ouvert la porte devant les coopératives pour participer pleinement aux divers marchés publics dès leur inscription au registre des coopératives. Cette ouverture permettra aux coopératives de commercialiser leurs produits ou leurs services et de concurrencer les sociétés qui s’accaparent ces marchés ;

• La possibilité aux non marocains de constituer des coopératives :La nouvelle loi permet aux non marocains (résidents ou non) à constituer une coopérative. Cette mesure va contribuer à l’insertion des non marocains (immigrés surtout) dans la société marocaine et complétera les efforts investis en termes de formation professionnelle pour cette catégorie ;

• L’instauration des mesures garantissant la bonne gouvernance :Selon la loi n°112.12, la gestion des coopératives doit être, désormais, assurée par un ou plusieurs gestionnaires. La gestion par un conseil d’administration est obligatoire pour les coopératives enregistrant un chiffre d’affaires pour deux années successives dépassant cinq millions de dirhams ou ayant un nombre d’adhérents dépassant cinquante membres.Pour consolider la transparence au sein des coopératives, la nouvelle loi n°112.12 garantie, à tout requérant, le droit de consulter les documents de la coopérative ;

• De nouvelles dispositions pénales protectrices de l’exercice coopératif :La loi n°112.12 a instauré des mesures coercitives pour obliger les divers organes

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QUELLE CONTRIBUTION DU SYSTÈME COOPÉRATIF À LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ?

155COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

de la coopérative à respecter les dispositions législatives et règlementaires en vigueur.

En plus des coopératives, il faut noter que plusieurs types d’organisations convergent vers les mêmes finalités et sont régies par des principes universels de l’ESS.

Au Maroc, un travail de cadrage du champ de l’ESS est fait dans le cadre du projet de loi cadre de l’ESS. Le champ de l’ESS y perçu comme regroupant des organisations de droit telles que les coopératives, les mutuelles, les fondations créées par dahir royal ou par la loi et les associations de microcrédit. De plus, d’autres organisations sont éligibles à en faire partie.

Il s’agit notamment des associations dites « d’utilité économique et sociale » qui exercent des activités marchandes ou non marchandes, créatrices d’emplois et qui ont comme objectif de :

• Contribuer à l’amélioration des conditions de vie et de travail de leurs membres et de leurs bénéficiaires par le développement humain durable ;

• Lutter contre les exclusions, les inégalités, les fragilités sanitaires, économiques et sociales ;

• Contribuer à la protection de la nature.De même, des initiatives innovantes à vocation sociale se sont multipliées ces

dernières années au Maroc et sont conduites par des acteurs dits «  entrepreneurs sociaux  » pour réponse à des besoins sociaux ou environnementaux via la mise en œuvre de solutions entrepreneuriales appropriées. Ces types d’organisations dites «  entreprises à finalité sociale  » font désormais partie du champ de l’ESS. Elles ont comme objectif principal d’avoir une incidence sociale, fournissant des biens et des services de façon entrepreneuriale et dont les revenus sont principalement destinés à des fins sociales. Elles sont soumises à un système de gestion responsable et transparent, notamment en associant les employés, les clients et les parties prenantes à la gestion et à la gouvernance de ses activités économiques.

Toutes ces entités contribuent à l’émergence d’une véritable économie sociale et solidaire, plus attentive à la personne humaine, à son autonomie, à sa dignité et à son bien-être. Ces différentes composantes constituent un facteur d’équilibre de l’économie globale et un tissu socioéconomique qui produit de la valeur et qui génère de la stabilité et de la cohésion sociale.

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

Conclusion

Selon l’une de ses définitions, la cohésion sociale est la capacité d’une société à assurer le bien-être de tous ses membres en réduisant les disparités et en évitant la marginalisation. L’ESS, généralement, et le système coopératif, en particulier, offrent des opportunités pour contribuer à assurer ce noble objectif en encourageant et en accompagnant des initiatives développées par des populations au niveau des territoires à travers la valorisation du savoir-faire et des ressources locaux. Ce type d’entreprenariat collectif a démontré son efficacité au niveau de différents contextes dans le monde pour créer de l’emploi et de la richesse ainsi que contribuer à bâtir une cohésion sociale.

Au Maroc, la dynamique actuelle qui consiste à intégrer la coopérative dans plusieurs politiques publiques qui visent le développement humain par la participation des populations locales, nécessite d’être consolidée et développée.

D’importants efforts de changement d’échelle doivent aussi être déployés pour capitaliser sur la réussite des expériences ponctuelles et passer à des modèles à dupliquer sur des étendues par et pour des populations plus importantes.

La structuration  du mouvement coopératif est l’une des voies pour y parvenir en mutualisant des moyens de production des coopératives et constituer ainsi une force de négociation et de lobbying.

Les réalisations actuelles doivent aussi être consolidées. Il s’agit notamment de l’amélioration de la gouvernance au sein des coopératives en veillant à asseoir une gestion transparente avec le respect des droits de l’ensemble des coopérateurs. La réglementation actuelle apporte une série de mesures pour renforcer la gouvernance au niveau de la gestion des coopératives. La qualification des ressources humaines demeure, cependant, le principal défi…

Enfin, le respect des valeurs coopératives  est le gage de réussite de l’action de tout mouvement coopératif et c’est grâce à ces valeurs que les coopératives ont pu atteindre les différents objectifs de développement socio-économique et contribuer à bâtir la cohésion sociale et surpasser toutes les crises économiques à travers le monde.

De même, cette dynamique doit être suivie et évaluée à travers des indicateurs, notamment d’impact, dont ceux relatifs à la mesure de la cohésion sociale afin de mettre le point sur les initiatives de l’ESS à fort impact socio-économique et déceler les insuffisances à corriger surtout au niveau des politiques publiques. Ces indicateurs permettront aussi de donner plus d’identité et de visibilité à cette économie, jusque-là, insuffisamment connue et reconnue bien qu’elle soit omniprésente dans la vie économique et sociale.

C’est, donc, tout un champ de recherche qui est ouvert aux universités, aux observatoires et à toutes les instances en relation avec l’évaluation des politiques

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QUELLE CONTRIBUTION DU SYSTÈME COOPÉRATIF À LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ?

157COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

publiques et, tout spécialement, la caractérisation des indicateurs des dimensions de la cohésion sociale au sein des coopératives.

Bibliographie

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• Alliance Coopérative Internationale, 2015  : Notes d’orientation pour les principes coopératifs.

• Beaucher, S., 2012 : Coopératives funéraires : un réseau de 150 000 propriétaires. Revue Ma Caisse, septembre 2012.

• Bernard, P., 1999 : La cohésion sociale : critique dialectique d’un quasi-concept, Lien social et Politique – RIAC, no 41, p. 47-59.

• Ghazali, A., 2015 : L’inclusion financière et sociale par la microfinance : mythe ou réalité ? Actes des assises nationales de l’économie sociale et solidaire – 20 – 21 novembre 2015, Maroc.

• Gingras, P,  : 2007  : Entre innovation économique et cohésion sociale  : Les coopératives forestières et le développement des régions périphériques du Québec. Thèse présentée à la Faculté des Etudes Supérieures de l’Université Laval. 197pp.

• IRECUS, 2012: Impact socio-économique des coopératives et des mutuelles  : quand le passé inspire le futur - contribution des coopératives et des mutuelles à un monde meilleur. Institut de recherche et d’éducation pour les coopératives et les mutuelles de l’Université de Sherbrooke.

• Maria Angelina de Oliveira et Adriana Bezerra Cardoso, 2013 : L’économie solidaire au service d’un développement intégral, démocratique et durable - Brésil. Revue ‘ Développement et civilisations’du Réseau international pour une Économie humaine, n°416.

• MDEIE, 2008  : Taux de survie des coopératives au Québec. Ministère du développement économique, de l’innovation et de l’exportation, édition 2008.

• Nations Unies, 2014 : Measuring the Size and Scope of the Cooperative Economy : Results of the 2014 Global Census on Co-operatives

• Nations Unies, 2010 : Résolution n° 64/136 relative au Rôle des coopératives dans le développement social.

• Observatoire mondial des coopératives, 2016 : Explorons l’économie coopérative, rapport 2016.

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158 COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

• ODCo, 2016 : statistiques des coopératives au Maroc. Office du Développement de la Coopération, Rabat, Maroc.

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Partie IIEnjeux de la cohésion

sociale sur le plan institutionnel

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161COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Chapitre 1 : L’impact des institutions sur la cohésion sociale : représentation, participation et cohésion sociale au Maroc

Abdallah Saaf,Senior Fellow, OCP Policy Center

Introduction

Dans le tableau global de la région Maghreb Machrek, plusieurs situations se dégagent : des pays en situation de guerre interne (on ne sait si l’on doit parler de guerre civile ou de conflits intérieurs en raison des acteurs transversaux impliqués), des pays en transition avec d’importantes difficultés, une situation d’occupation (la Palestine), des situations de vulnérabilité et enfin la catégorie de ceux que l’on peut considérer comme des pays stables.

Par rapport à son environnement, le Maroc offre une stabilité marquée, mais on aurait tort de se centrer seulement sur la stabilité. Celle-ci s’accompagne d’initiatives réformistes relativement accentuées à des degrés variables, dans nombre de domaines, de nature diverse. Ce réformisme a précédé le printemps arabe, mais celui-ci l’a redynamisé, et confronté à de nouveaux défis.

Au Maroc, une liste de menaces pesant sur le pays a été dressée quasi officiellement : les tendances contrariant l’unité territoriale du pays, les dangers provenant du voisinage (la situation au Sahel, l’évolution politique des pays voisins : Algérie, Mauritanie, Mali), le radicalisme religieux, le terrorisme, les diversités religieuses trop en rupture avec la doctrine religieuse dominante204, des situations économiques et sociales d’exclusion... Il est certain que ces menaces influent fortement sur l’état de la cohésion sociale205. Elle atteste des liens avec les facteurs historiques, démographiques, les lignes ethniques, les inégalités horizontales et verticales ainsi que l’existence et l’ouverture de médias.

Le pays semble jouir d’une stabilité réalisée notamment par l’initiation de réformes politiques, économiques, sociales et culturelles qui ont contribué à consolider davantage la cohésion sociale206. L’ébullition de la région a renforcé la conviction des élites

204 Le malékisme : sont souvent nommément désignés ici le chiîsme et les tentatives d’évangélisation.205 Intégration nationale et cohésion sociale206 Cela est à l’origine du renforcement du partenariat de sécurité avec d’autres puissances et montre la

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

politiques marocaines que le changement est mieux réalisé dans l’évolution sereine, le système inclusif de participation politique au Maroc a constamment aidé à canaliser le débat dans le pays où l’institution monarchique joue le rôle de force unificatrice. Le réformisme en question porte principalement sur les institutions et sur la configuration politique.

Le Maroc a connu un rythme de croissance assez soutenu au cours des dernières décennies. Les fruits de cette croissance sont inégalement répartis entre le milieu urbain et le milieu rural, entre les régions et entre les différentes catégories de la population. Au cours des dernières années, ces inégalités sont devenues préoccupantes sur le plan politique et incitent à permettre un meilleur partage des richesses et une inclusion des franges sociales demeurées en marge du processus du développement au Maroc.

Elles renvoient en premier lieu à la dimension économique (revenus, richesses, dépenses) et peuvent se manifester à différents niveaux plus ou moins interdépendants : inégalités d’accès à l’éducation, à la santé, à l’emploi, aux infrastructures, aux moyens de production, etc.207. Les ménages les moins dotés en revenu ne peuvent assurer l’éducation et/ou les services de santé à leurs familles. Les limites dans l’investissement, dans l’éducation et la santé des enfants se répercutent sur l’emploi, les revenus et le bien-être à l’âge adulte. La mobilité sociale est fort limitée, plusieurs manifestations des inégalités étant interdépendantes208.

capacité à jouer le rôle de » facilitateur de la stabilité régionale, et un degré de résilience dans un contexte en ébullition.

207 Au Maroc, le manque de données adéquates sur les revenus fait que les inégalités économiques sont plutôt mesurées à travers les dépenses des ménages. Les résultats des enquêtes nationales auprès des ménages ont montré que le coefficient de Gini de la dépense annuelle moyenne par personne des ménages est passé de 44% en 1985 à 45% en 2012 (de 45% à 44% en milieu urbain et de 35% à 36% en milieu rural). Ainsi mesurée, l’inégalité reste assez élevée, mais ne s’est pas aggravée au cours de la période.

208 Au Maroc, les études montrent que le milieu urbain et le milieu rural sont deux mondes différents au niveau de la plupart des indicateurs de développement économique et social. Les trois quarts des urbains de 10 ans et plus savent lire et écrire, contre la moitié seulement des ruraux. Et, parmi la population de 60 ans et plus, 33% des urbains savent lire et écrire (49% des hommes et seulement 16% des femmes), contre 10% des ruraux (18% des hommes et uniquement 1% des femmes). Près de 15% des ménages marocains, qui ont un enfant de 6 à 15 ans (scolarité obligatoire), ont au moins un enfant, de cette tranche d’âge, qui n’est pas scolarisé (7% en milieu urbain et 27% en milieu rural)

En 2014, le taux d’activité des femmes ne dépasse pas 17,8%, en milieu urbain (36,9% en milieu rural), alors que celui des hommes est de 68,2% (78,7% en milieu rural). A la veille de la généralisation du Régime d’assistance médicale (Ramed) en 2012, le taux de couverture par une assurance maladie était estimé à 33,4% en milieu urbain, contre seulement 7,6% en milieu rural.

Si le raccordement à l’électricité est en voie de généralisation, seuls 14% des ménages ruraux sont raccordés à un réseau d’égouts, contre 93% des urbains, en 2012. De telles inégalités se manifestent aussi clairement entre les ménages les plus aisés et les moins aisés. Par ailleurs, avec la régionalisation avancée qui se met en place, les inégalités régionales devront être de plus en plus considérées dans les prises de décision.

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L’IMPACT DES INSTITUTIONS SUR LA COHÉSION SOCIALE

163COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Les menaces de la cohésion sociale sont au cœur des préoccupations des Etats de par le monde, car elle est au centre de tout ce qui a trait au lien social et du vivre ensemble dans les sociétés modernes. Elle est aujourd’hui moins solide que par le passé en raison de l’impasse où se trouvent les modèles économiques et sociaux mondiaux du fait de l’émergence de nouvelles générations de pauvreté, de chômage, d’exclusion et d’exclus. Cela s’explique aussi par l’aggravation du mode de financement de l’action sociale et de la solidarité (couverture médicale, retraite, compensation des prix des produits de base, indemnisation du chômage).

La cohésion sociale au Maroc est mise à rude épreuve par de nombreux défis. D’abord celui de l’école, suspectée de ne pas incarner un lieu de production de savoir être et de formation à la citoyenneté qui sont le ciment du lien social et du vivre ensemble. Il y a également le défi de la protection sociale non généralisée ; la question de l’emploi avec la persistance, voire l’aggravation du chômage, notamment des jeunes, l’exacerbation des inégalités sociales et régionales ; l’absence d’un revenu minimum garanti pour les couches défavorisées, pas de réforme fiscale ; la prolifération et l’extension continue de l’informel, le développement de l’économie du crime, de nouvelles générations de violences ; une gouvernance inappropriée de la politique publique en matière d’action sociale et de solidarité. Le pays est loin d’avoir réussi à contenir les différents déficits sociaux.

De grandes interrogations interpellent l’analyse  : quelles sont les spécificités du changement politique au Maroc en termes de processus et de résultats ? Quelles sont les conditions pour que le processus constitutionnel et parlementaire joue un rôle dans la construction d’une société plus inclusive, avec une dynamique de renforcement de la cohésion sociale ? Comment l’assemblée ou d’autres institutions, ont-elles joué un rôle dans la prévention de la dégénérescence des changements politiques en faits de violence à travers la gouvernance réactive ? Les caractères structurels de la société les plus pertinents favorisent-ils de telles orientations ? Quels sont les rôles et capacités des institutions représentatives pertinentes dans des processus de gouvernance ouverts et soumis à la reddition des comptes ? Quel est le rôle des organisations internationales ?

Trois axes d’analyse peuvent permettre de répondre aux principaux questionnements :• les spécificités du changement politique ;• les facteurs à l’œuvre dans l’expérience marocaine ;• le réformisme institutionnel et la cohésion sociale.

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

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I. Les spécificités du changement politique au Maroc

Les changements politiques ont emprunté dans la région du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord des itinéraires différents selon les pays. Au Maroc a semblé prévaloir, dans les changements récents, une culture à dominante réformiste. En général, les crises conduisent rarement à des ruptures. S’agit-il d’un trait culturel  profond du contexte marocain ? D’une caractéristique structurelle de cette partie de l’Occident musulman ? Une donnée éminemment politique ? Est-il lié à la carte institutionnelle et politique du pays selon des conjonctures variables ? La négociation, la recherche de compromis et le dialogue semblent profondément ancrés dans la culture du pays. L’une des leçons les plus saillantes des sciences sociales ayant pour objet le Maroc montre que l’Etat sortait toujours renforcé de ses moments insurrectionnels. Il devenait plus fort qu’il ne l’était avant les révoltes. Il réprime, redéploie sa force (approche sécuritaire), mais aussi, se préoccupe de consolider sa légitimité et la cohésion sociale209.

Le changement principal qui a dominé est celui survenu au plan constitutionnel au cours de la dernière phase. Il n’est pas le seul. Le processus tel qu’il s’est déroulé est significatif dans son déroulement quant à ses traits distinctifs, et le fait qu’il n’ait pas dérivé vers la violence.

Le mouvement de protestation dit du « Mouvement du 20 février » a cristallisé les dénonciations des inégalités, les revendications d’égalité, mais aussi des corollaires comme une demande de dignité, de reddition des comptes et de protection du bien public. Cela faisait partie des représentations sur ce que pourrait être « une meilleure gouvernance  »  : l’esprit du printemps arabe marquait un moment qualitatif dans la mesure où il sollicitait non plus des discours, des affirmations de principe, mais des mécanismes de protection.

Dans la trajectoire du réformisme marocain, une articulation avait dominé dans le passé le triptyque constitué par l’articulation entre une réforme constitutionnelle, des élections libres et transparentes et le respect des droits de l’homme. Il y a toute une histoire des memoranda présentés par les forces politiques. Ce qui est remarquable au Maroc, c’est le rapport du constitutionnel au politique : le constitutionnel se réfugie dans le politique, le politique devient constitutionnel et le constitutionnel devient politique et le modèle constitutionnel est comme une clé de toute la problématique du changement. En 2011, lorsque le changement s’est produit, avec la réélaboration de la constitution, il n’était plus question de réforme constitutionnelle dans le débat public.

209 Voir Montagne (Robert), Le Makhzen et les Berbéres du Sud

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L’IMPACT DES INSTITUTIONS SUR LA COHÉSION SOCIALE

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Les conditions dans lesquelles la constitution marocaine de 2011 a été élaborée peuvent également témoigner des caractéristiques particulières du réformisme marocain  : un premier grand débat a d’abord porté sur la nécessité d’attribuer à une assemblée constituante, démocratiquement élue, la tâche de faire la constitution, vieux débat dans le contexte marocain, mettant aux prises différentes oppositions au pouvoir en place, qui se limitait à présenter des constitutions octroyées, élaborées avec l’assistance d’une ingénierie étrangère. Le 9 mars 2011, le Roi prononçait un discours où il posait les principes directeurs et nommait une commission de spécialistes pour élaborer la nouvelle constitution. Dans un second discours, le travail de réélaboration de la constitution est articulé sur une commission politique composée de tous les partis politiques reconnus et des syndicats les plus représentatifs, pour élaborer un texte constitutionnel à soumettre à référendum. Ce premier moment du débat constitutionnel prit rapidement l’allure d’une opposition entre les partisans de l’idée d’une commission politico-technique dont les membres ont été choisis par le chef de l’Etat, et les défenseurs de l’idée d’une constituante dont les membres seraient désignés au suffrage universel. En Egypte, les forces non islamistes, notamment les partis de gauche, proposaient une procédure similaire, tandis qu’en Tunisie, l’idée de recours à une constituante élue semblait mieux convenir à l’état d’esprit prévalant après la révolution, et a abouti de manière heureuse, après quelque temps de blocage, au texte de 2014. C’est dans ce débat public où les forces radicales opposaient la thèse de la nécessité d’une constituante contre le recours à une commission chargée par le roi de réviser la constitution. En réalité, le dilemme n’était pas entre une constituante ou la commission royale, mais entre une constituante ou le référendum. La divergence persista au-delà de l’adoption de la constitution le premier juillet 2011.

Plusieurs contenus ont suscité par la suite des discussions virulentes  : plusieurs exemples en témoignent, tels que la liberté de conscience ou encore l’affirmation de l’amazigh comme langue officielle. Alors même que le travail d’élaboration de la constitution était en cours, un face-à-face des pour et des contres, un rapport de forces, un débat, des formules de compromis ont été esquissées et le processus débloqué. La formulation finale de la disposition de la constitution concernant son statut officiel constitue un exemple de chef-d’œuvre de compromis210. D’autres débats ont eu lieu notamment sur la primauté des conventions internationales sur le droit interne ainsi que sur la question de la parité hommes femmes. Il s’esquisse par conséquent une lutte pour la mise en œuvre « démocratique » de la constitution.

Le compromis n’est pas l’unique clé de lecture concernant le changement politique au pays. En 2011, les circonstances rendaient possible la volonté de réformer chez

210 Constitution marocaine de juillet 2011, article 5.

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

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les différents acteurs, disponibilité rendue nécessaire par l’urgence de sortir les conditions dramatiques qui prévalaient alors. Alors que la constitution se faisait, les auditions ont montré que le principe directeur et le contenu du réformisme à l’œuvre au Maroc étaient globalement consensuels. A des moments particuliers du débat public, l’observateur peut être frappé par l’absence d’implication des acteurs par les enjeux en cours sur le texte le plus important devant régir la vie des Marocains. Au cours de processus récents de révision constitutionnelle, il s’est produit à maintes reprises comme de la démobilisation au cœur de la mobilisation. Lorsque s’affirment des démarches de réforme constitutionnelle, initiées par les uns, appuyées par d’autres, refusées par certains, des attitudes de contournement, d’évitement se déclarent. Ainsi, on assiste à des déplacements des terrains de confrontation et à des échanges de coups. Les argumentaires sont reconstruits en conséquence. Le débat sur la constitution ou la réforme constitutionnelle, récurrent depuis des décennies, s’intensifie à des moments spécifiques, animé généralement par les acteurs politiques oppositionnels, pour diminuer d’intensité peu après, se refroidir, voire se vider plus tard des enjeux directs qui lui sont attachés. Les acteurs de part et d’autre ne semblent pas vivre la même temporalité ni les mêmes contenus de réforme. D’où l’impression de succession d’instants d’anticipation, de rendez-vous manqués, de luttes reportées ou de temps morts dans la réforme. Un anachronisme et un écart structurel se creuse entre les moments où les préoccupations constitutionnelles des uns montent à la surface et les moments où ils sont relégués au second plan. Ces doses variables d’apolitisme qui traversent l’organisme marocain influent sans doute sur la cohésion sociale. Au moment où s’engage un débat sur la réforme tant réclamé auparavant par les acteurs oppositionnels, il est considéré comme une préoccupation secondaire par ses vis-à-vis. Quand il revient en force et en première ligne dans les revendications des réformateurs, il peut être négligé, sous estimé par le pouvoir.

Une autre façon de résoudre les contradictions et d’éviter les confrontations dramatiques dans le contexte marocain consiste en des renvois à des moments ultérieurs où des précisions seront apportées à travers des lois organiques, ordinaires ou des décrets à élaborer plus tard. Le débat, pourtant vital, est reporté et l’épreuve de force également.

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L’IMPACT DES INSTITUTIONS SUR LA COHÉSION SOCIALE

167COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

II. Dynamisation du processus constitutionnel et parlementaire et renforcement de la cohésion sociale

Quelles sont les conditions d’une dynamisation du processus constitutionnel et parlementaire ? Comment permet-elle de renforcer la cohésion sociale ? Dans l’analyse des facteurs, plusieurs niveaux peuvent être distingués  : ce qui relève de l’ordre des structures existantes, et ce qui relève des démarches volontaristes, à savoir les politiques publiques. Plusieurs aspects doivent être mis en relief :

• l’élargissement considérable de l’espace public ;• le champ religieux ;• la dominance des dynamiques internes sur les pressions extérieures.

1. Les caractéristiques structurelles majeures de la société

Participent de l’ordre du structurel,

L’élargissement considérable de l’espace public peut être considéré comme l’un des changements majeurs survenus dans l’évolution du système politique au cours des dernières décennies. Y ont participé les débats successifs sur les droits de l’homme qui ont eu lieu au Maroc à la fin des années quatre-vingt, en 1992 et en 1996. Les échanges, prises de positions et luttes autour de la question de la libération des détenus politiques des années de plomb, le débat sur l’indemnisation, puis sur la réparation, sans oublier les débats sur la Mouddawana (le code de la famille), le rapport du cinquantenaire (évaluation de la vie politique depuis l’indépendance 50 ans après l’indépendance), la régionalisation, ceux auxquels donnèrent lieu les travaux préparatoires de la constitution de juillet 2011, etc.

Toutes ces séquences ont contribué à fonder, alimenter, restructurer et élargir sensiblement le débat public au cours de la dernière phase. La cohésion sociale pourrait en être sortie renforcée.

Il s’agit cependant d’un débat public qui, comme ailleurs, tente de concilier entre la préoccupation d’une légitimité démocratique et la domination politique. Cependant, il est porteur de traits particuliers. Ainsi, tout d’abord, le débat public au Maroc a été impulsé par l’existence d’une société civile marocaine effective. Dans ce paysage où la société civile s’est taillé une place de choix, les associations qui jouissent d’une indépendance et d’une autonomie sont nombreuses. Cela leur permet d’évoluer dans une grande liberté à travers différentes régions du pays. Un langage « civil » largement partagé a pu se

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

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structurer. Leurs aspirations à évoluer comme entités autonomes et indépendantes vis-à-vis notamment des autorités étatiques en place et des autres acteurs, ainsi que leurs actions effectives sont louables. La professionnalisation de l’action militante de ses membres est également remarquable. En outre, le développement et l’élargissement du débat public marquent une grande différence avec la période passée. Non seulement, le fonds civil sur lequel il se déploie est plus ancré et plus dense, mais aussi les interfaces sont plus nombreuses et plus consistantes.

Par ailleurs, sous l’ancien règne, le débat était centralisé, relativement unifié sur l’initiative du pouvoir central. Lorsque le souverain centrait la vie politique d’une période sur une question déterminée (par exemple ce que l’on appelle au Maroc l’affaire nationale du Sahara, des élections, une révision constitutionnelle, une dimension politique particulière de la vie politique.), l’ensemble des acteurs agissant dans le système se concentraient sur ces dossiers nationaux devenus de fait ceux de tous, au centre de préoccupation de l’ensemble des acteurs. Aujourd’hui, cette dimension des choses est persévérée dans une certaine mesure, mais le débat public s’est fragmenté et dispersé. Le champ public parait du point de vue des préoccupations des acteurs plus éclaté selon la nature des acteurs et de leurs préoccupations  : la question sociale pour certains acteurs, la question des droits pour d’autres, celle des institutions ou des politiques publiques pour les acteurs proprement politiques ainsi que la question linguistique et culturelle pour d’autres secteurs de l’espace public. Cette capacité d’accepter plus de diversité qu’auparavant témoigne paradoxalement d’une cohésion sociale plus forte.

Enfin, autre élément ayant renforcé l’émergence d’un espace public appréciable, la sortie de l’unanimisme national sur nombre de sujets. A l’unanimisme de la période du mouvement national et des premiers temps de l’indépendance, concernant l’unité nationale, les questions d’identité, la culture et la langue, voire des dimensions particulières de la religion, sans disparaître, a succédé un pluralisme qui fait plus de place à la diversité, élargit les capacités d’intégration du pouvoir central, et un renforcement du lien social. Cependant, la sortie de l’unanimisme n’en a pas fini avec la recherche de consensus. Elle est maintenue en vie et alimentée par les velléités d’autonomie ou même de séparatisme.

Le réformisme marocain à l’œuvre semble suivre les développements qui sont en cours en termes d’institutionnalisation, de juridicisation dans des proportions maîtrisables, adaptables aux disponibilités de l’acteur principal selon ses calculs ou contraintes, soit dans la perspective d’une maximisation des gains ou d’une minimisation des pertes, soit pour veiller au maintien d’un niveau moyen de réforme, qui permet de garder l’essentiel des bases du pouvoir dans un cadre plus avancé.

• Le champ religieuxUn second niveau concerne la religion  et porte entre autres sur une variété de

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L’IMPACT DES INSTITUTIONS SUR LA COHÉSION SOCIALE

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dimensions. On en soulignera ici quelques-unes :- D’abord, il existe au Maroc une stratégie politique nouvelle dans le champ religieux depuis 2003, dont le déclic a été les attentats de Casablanca du 16 mai de la même année. Dans le lexique politique marocain, dans le discours officiel des institutions étatiques centrales, dans le langage des acteurs politiques, elle est officiellement dénommée « stratégie intégrée et globale de restructuration du champ religieux ».Les dispositions de la constitution marocaine de 2011 des articles (41 et 42), précisent

les rapports entre politique et religion. La représentation religieuse est incarnée exclusivement par le Roi, même si « la commanderie des croyants est soigneusement distinguée du pouvoir politique ». Il s’agit là d’une rupture au regard du passé. Ce qui n’empêche pas cette dimension religieuse d’asseoir la légitimité politique des réformes dans différents domaines.

• La seule institution habilitée à produire des fatwas est le Conseil supérieur des Oulémas.

• La consolidation de l’identité religieuse et culturelle marocaine est un moyen de défense vis-à-vis des représentations islamistes radicales : il est fait référence à l’école achaarite, au soufisme sunnite et à la doctrine malékite. Le souci est grand de veiller à l’unité doctrinale du pays tout en encourageant à l’ouverture sur les différentes cultures.

• Diverses autres mesures ont accompagné ces dispositions majeures  : l’interdiction de partis ayant une base religieuse, l’organisation des mosquées, l’organisation locale de la chose religieuse et la formation (création de l’Institut de formation des imams.). Il est vrai que cela n’a pas empêché l’émergence d’organisations terroristes, démontrant par là l’absence de relation directe entre politique religieuse et condition favorables à l’émergence d’organisations extrémistes, en plus des défis que doit relever la politique sécuritaire du pays.

Du point de vue du réformisme institutionnel dont il est question ici il ne fait pas de doute que la pratique marocaine en matière de religion telle qu’elle s’est déployée jusque-là et la compatibilité de l’islam avec les institutions démocratiques modernes ne fait pas de doutes. Elle accorde une place déterminante aux considérations de cohésion sociale.

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

2. Politiques publiques

Trois niveaux peuvent illustrer le rôle des démarches volontaristes dans la protection et la consolidation de la cohésion sociale  : la politique constitutionnelle, la politique économique et sociale et la politique linguistique et culturelle.

Le niveau constitutionnel

En analysant les facteurs de développement, il s’avère que des spécificités marocaines sont propres au contexte. Elles sont mieux rendues par les récits disponibles sur la vie politique depuis l’indépendance et en particulier depuis les développements qui ont fait suite au printemps arabe. Des séquences significatives ressortent de l’histoire de question constitutionnelle à travers les grandes luttes politiques. Tout se résume aujourd’hui en une crispation et une confrontation continue autour des thèses en apparence irréductibles, opposant l’institution monarchique au mouvement national.

Feu le Roi Hassan II promeut la loi fondamentale du royaume en 1962, considérée par ses opposants comme une «  constitution octroyée  ». Une partie du mouvement national, son aile gauche en particulier, avait exigé la mise en place d’une assemblée constituante. Un Etat d’exception proclamé en 1965 mit entre parenthèses cette évolution. Un autre texte constitutionnel vint en 1972 assouplir la carte institutionnelle. Les acteurs politiques proposèrent leurs visions des amendements à apporter. Un jeu de memoranda anima en conséquence le débat, au-delà des révisions de 1992, puis de 1996. Le jeu des demandes et réponses continua au-delà de 2002-2011  : le point du débat de la période allant de 1996 à 2011 fut résumé en 2003 dans une conférence que fit Abderrahmane Youssoufi à Bruxelles premier ministre sortant du gouvernement de l’Alternance (1998-2002)  : démarcation plus nette des rapports entre l’institution monarchique et le gouvernement, institutions centrales plus responsables, élections libres et transparentes et principe de reddition des comptes notamment concernant la conduite des politiques publiques.

Depuis, quelques nouveaux memoranda ont été élaborés par des partis politiques, des officiels firent des déclarations se rapportant plus à des questions touchant à la gouvernance. La révision constitutionnelle avait derrière elle ce long parcours en 2011 lorsque s’imposa la nécessité d’une nouvelle initiative de réformes de plus grande envergure. Le débat constitutionnel a donc été mûri à travers de longs échanges. Une certaine anticipation, développée dans une ambiance de plus grande participation, en termes de réformes plus ou moins importantes, a précédé la révision constitutionnelle de 2011. La réforme était déjà là, mais elle s’était bloquée à un certain moment de la vie du régime. Les événements du printemps arabe, (les impressionnants mouvements de

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L’IMPACT DES INSTITUTIONS SUR LA COHÉSION SOCIALE

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foule, les chutes de régimes, les développements dramatiques survenus dans plusieurs pays de la région), ont poussé à la reprise de l’initiative. Ce qui fait la particularité du contexte marocain est que sur de nombreux sujets, et non seulement sur la question constitutionnelle, le terrain a été préparé par une série d’initiatives multiples de négociations, d’échanges, de dialogue qui étaient parfois recoupés d’épreuves de force : les droits de l’homme, la mouddawana et la question de l’amazigh.

Sans exagérer la place de la participation en contexte autoritaire, force est de constater que la cohésion sociale est tributaire notamment du degré d’incrustation dans le champ politique institutionnel. Elle semble trouver dans le contexte marocain un champ naturel de développement. Dans un système constamment rapporté par les analystes à la famille des régimes autoritaires ou néoautoritaires, se déployait tout de même un pluralisme de niveau variable. Cette orientation participationniste volontaire constatable dans les politiques publiques détermine la cohésion sociale.

Le développement économique

Le développement économique est généralement résumé par la distinction de deux grandes phases de politiques volontaristes menées depuis l’indépendance. La première, est celle du modèle des années 1960 dit de «  l’import-export substitution  », phase protectionniste par excellence, critiquée pour avoir alimenté des situations de rente, notamment dans le secteur secondaire, qui permettait à une sorte de capitalisme d’État de piloter l’économie du pays. Le secteur privé était encadré par les pouvoirs publics, alors que le secteur public reposait sur une administration lourde et bureaucratisée, avec plus de 800 entreprises publiques, créatrices d’emplois mais peu rentables, la protection du commerce extérieur et des denrées de première nécessité subventionnées. Des déséquilibres macroéconomiques se sont manifestés sur fond de surendettement du pays : déficits budgétaires et extérieurs croissants, inflation alimentée par une forte demande sans offre correspondante, une production nationale ne pouvant faire face à la concurrence, un taux de croissance instable en raison de l’importance de l’économie informelle, la place centrale de l’agriculture, et le prix variable des phosphates. Sur ces dimensions, peu d’implication citoyenne, beaucoup de décisions prises au sommet et mises en œuvre par des managers, et un lien social peu évident.

La seconde phase de développement dite d’ouverture économique, débute dans les années 1980. En 1983, le programme d’ajustement structurel prévoyait des coupes budgétaires, le gel des salaires et des embauches dans le secteur public, l’abaissement des droits de douane, la promotion de la concurrence dans l’industrie et l’agriculture et la hausse des prix des produits de première nécessité. Cette démarche a permis l’émergence de la grande distribution, une nouvelle politique touristique et l’essor

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du secteur des télécommunications. La culture managériale a succédé à la culture administrative, l’économie immatérielle s’est développée depuis avec la multiplication des call-centers, l’extension de l’offshoring et la conclusion d’accords de libre-échange. Les retombées paraissent globalement positives  : croissance du PIB, notamment du PIB hors agriculture, affirmation de nouveaux secteurs comme celui des services (tourisme, télécommunications, transports, etc.), du BTP et de l’industrie. Ces succès ont gagné l’adhésion de la population aux politiques volontaristes, et amélioré l’image du pays auprès des institutions internationales. Certes, l’économie marocaine souffre de caractéristiques significatives  : dépendance du secteur primaire, importance de l’économie informelle, difficulté d’accès au financement et la lutte contre la corruption. Aujourd’hui, l’économie marocaine est plus ouverte au monde211. Cette seconde phase se caractérise aussi par plus de participation, et par une meilleure articulation sur les institutions. Le Maroc est passé d’une économie étatisée dans un régime néoautoritaire à un libéralisme économique avec des pouvoirs publics de plus en plus attentifs au dialogue social, aux revendications sociales et aux initiatives de la société civile. Nombre d’observateurs invoquent l’existence d’un « modèle marocain » se construisant sur des réformes institutionnelles et politiques qui ont cherché à conjuguer libéralisation et démocratisation au sein d’une monarchie.

L’institution monarchique dispose d’un rôle moteur dans les choix stratégiques qui encadrent les politiques publiques, permettant de mener des projets structurants à long terme indépendamment des échéances électorales et des alternances politiques. Souvent préparés sur une base participative, « ces stratégies » sont mises en œuvre sous le leadership royal. Cette orientation du développement comporte quelque 16 axes stratégiques avec des objectifs chiffrés212. Ces axes stratégiques promeuvent la coordination, l’implication du secteur privé, la contractualisation, de nombreuses politiques participatives, et esquissent une stratégie économique globale qui essaie d’intégrer aussi des critères comme la gouvernance sociale, la reconnaissance de la diversité culturelle et le déploiement d’une nouvelle politique des territoires, en accordant une place remarquable aux politiques publiques sociales (éducation, santé, emploi, logement.). La philosophie sous-jacente s’appuie sur une quête de plus grande cohésion sociale. L’implication des associations professionnelles des entrepreneurs,

211 En 2011, son taux d’ouverture, calculé sur la base de la moyenne des importations et des exportations, était de 32,4 %, plaçant le Maroc au 49e rang des exportateurs mondiaux, 29e dans le secteur des services. Les perspectives d’évolution ne manquent pas.

212 120 milliards de dirhams d’investissements privés et 2200 hectares de plateformes industrielles intégrées pour le Pacte national d’émergence industrielle, 150 milliards de dirhams d’investissement dans l’agriculture pour le Maroc Vert, doublement de la capacité hôtelière en 2020 dans le cadre de la stratégie du développement du tourisme, doublement du chiffres d’affaires de l’artisanat, etc.

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L’IMPACT DES INSTITUTIONS SUR LA COHÉSION SOCIALE

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des regroupements des patrons et des syndicats semble avoir joué un grand rôle.

Les enjeux culturels et linguistiques

L’intention de régulation, voire de réforme, est ancienne et elle s’exprimait dans les phases précédentes lentement, comme à tâtons. Ainsi, le passage à l’amazigh comme langue officielle ne constitue pas une rupture, il a été préparé par de nombreuses étapes franchies au cours des phases précédentes, sous l’effet de faits corroborateurs : celui du jeu des acteurs. Il s’agit de faits tels que la fondation de l’IRCAM, l’adoption du Tifinagh, l’extension de l’usage de l’amazigh dans les médias publics et son introduction dans le champ scolaire213.

Sur la base d’une réalité informée par une dialectique entre l’hétérogénéisation, l’expression des différentes composantes ethnolinguistiques, et dans le même temps d’une tendance à l’homogénéisation, à l’intégration nationale, les tensions, les revendications, les clivages, les conflits étant consacrés par des compromis tacites ou explicites. A l’ordre du jour, l’opérationnalisation, l’appropriation, des changements opérés au niveau du cadre institutionnel concernant le passage d’un paysage monoculturel à un champ culturel marqué de pluralisme.

Ainsi, des caractéristiques structurelles majeures de la société marocaine, mais aussi les politiques publiques œuvrent pour une évolution favorable à la cohésion sociale, la multiplication des lieux de concertation économique et sociale, susceptible de développer davantage la culture de la négociation, la recherche de compromis, de l’entente, voire de consensus.

L’index de la démocratie des pays de la région arabe, élaboré périodiquement par Arab Reform Initiative, mettait en tête du classement selon les indices de démocratie tantôt la Jordanie tantôt le Maroc, deux régimes a priori hybrides. Le dernier rapport donnait une certaine avance au Maroc en insistant sur l’amélioration des indicateurs concernant la progression dans le domaine des droits de l’homme et le rétrécissement des cercles de l’arbitraire. Les indicateurs suivis sont : l’institutionnalisation de la séparation des pouvoirs, la transparence des élections, la limitation de la prépondérance de l’Exécutif, l’institutionnalisation des partis politiques, le droit d’organisation (d’association), l’interdiction de la torture, l’indépendance de la justice, le droit à un procès équitable,

213 Bennis Said, Bennis Said, 2016 : « Opérationnalisation du paradigme de la diversité au Maroc  : vers une territorialisation linguistique et culturelle » dans George Grigore and Gabriel Bițună (eds.), Arabic Varieties : Far and Wide. Proceedings of the 11th International Conference of AIDA – Bucharest, 2015. Bucharest: Editura Universității din București. 2016. (ISBN 978-606-16-0709-9) pp. 119- 126. Du meme auteur, 2009 : « The Amazigh question and National Identity in Morocco », à consulter sur le site de Arab Reform Initiative : http://arab-reform.net/spip.php?article2245. 20 July 2009

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l’égalité entre les deux sexes, les entraves à l’exercice de leurs prérogatives par les autorités exécutives des instances élues, la possibilité d’interpellation du gouvernement, la discussion des lois, la corruption au sein des institutions publiques, les entraves au travail parlementaire, l’utilisation d’intermédiaires pour accéder à des postes dans la fonction publique, l’efficacité des institutions publiques, la violation de la constitution, l’indépendance des organisations civiles et économiques, la réforme politique, la maltraitance des détenus politiques, l’autorisation des partis, l’organisation de réunions et de manifestations, l’intervention des appareils de sécurité, la position de l’opposition dans la presse, la possibilité de critiquer l’autorité, l’importance de la presse de l’opposition, la censure de l’information, l’organisation d’activités de protestation, la possibilité de poursuite contre le dispositif de l’exécutif, la détention arbitraire, les jugements de civils dans des tribunaux non civils, la capacité d’action des organisations des droits de l’homme, la sécurité individuelle, la sécurité sociale, l’éducation, la question de la déscolarisation, la participation de la femme et l’égalité des salaires214.

III. Aptitudes des institutions à base de représentation et de participation

Représentation

Une meilleure réception des processus de gouvernance fondée sur la représentation et la participation, appuyéé sur la reddition des comptes est marquée d’ouverture. L’impact des changements constitutionnels et institutionnels est déterminant. Avant le printemps arabe, la confiance dans les institutions représentatives était érodée, une perte de crédibilité qui éloigne les grands débats publics des institutions centrales, et les transfère vers des médias, ou encore vers la rue. D’où la volonté de restructurer la logique de la représentation sur de nouvelles bases permettant de réhabiliter les institutions représentatives centrales et locales. Cette mise à jour est propice pour la prévention de la violence.

Depuis le début de la décennie, quatre scénarii sont généralement invoqués  : la perspective d’une transition démocratique à terme paraissant peu plausible. De même, une autre situation où prédominerait l’immobilisme, voire de manière permanente ou récurrente de la régression, paraît également peu plausible, notamment en raison de l’élévation du niveau de conscience politique au sein de la société marocaine. Deux

214 Index d’ARI, de Freedom House

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L’IMPACT DES INSTITUTIONS SUR LA COHÉSION SOCIALE

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possibilités sont à examiner  : une première situation où les affaires publiques sont bien gérées, avec une gouvernance efficace, des décisions pertinentes, des résultats performants et la production d’une cohésion sociale élevée. Ce troisième scénario est envisageable, mais il n’est pas encore réalisé. Le quatrième scénario est celui d’une gestion difficile, tourmentée, complexe, peu performante, et mettant à mal la cohésion sociale.

La réponse est d’abord politique avec des changements substantiels dans la carte politique et institutionnelle du pays, dans le sens de l’avènement d’une monarchie pleinement constitutionnelle, la désignation du chef de gouvernement arrivé en première position des élections, d’une plus grande diffusion des pouvoirs selon les secteurs, l’amplification des pouvoirs de l’exécutif et du législatif. A ces éléments, il faut ajouter une meilleure distinction entre les pouvoirs stratégiques de l’institution monarchique ainsi que ses domaines régaliens de la défense, la diplomatie, la sécurité intérieure, et ceux du gouvernement. A noter que toutes les lois n’ont plus d’autres sources que le parlement, la partie la plus importante du pouvoir de nomination aux hautes fonctions a été transférée au gouvernement. De plus, la fonction religieuse du Commandeur des Croyants est nettement distinguée de celle du chef de l’Etat politique. Sans introduire le pays dans la catégorie des pays dont la vie est régulée par les standards internationaux de la démocratie, cette restructuration semble conforter la cohésion sociale.

A un autre niveau que l’édifice constitutionnel, s’inscrit une réforme de l’Etat dont les principaux termes sont la décentralisation, la déconcentration, la régionalisation, la multiplication des instances indépendantes  sans dilution du pouvoir, avec la conviction que la souplesse de cette forme de gouvernance permet une meilleure maîtrise. L’importance de la réforme de l’État est une caractéristique de ce modèle en construction : rationalisation des services, essai d’amélioration des relations entre administration et administrés, décentralisation, régionalisation et multiplication des instances constitutionnelles de bonne gouvernance.

La remise en cause plus poussée que par le passé de la concentration par les nombreuses modalités de déconcentration et de décentralisation mises en place semble indissociable de la problématique du renforcement des compétences, de recherche d’efficacité, de meilleure gouvernance et d’identification de partenaires territoriaux plus effectifs. Il apparaît que l’ensemble de ces versions ne sauraient occulter le glissement de la formation politique et institutionnelle marocaine en place vers la forme d’un pouvoir fonctionnant aussi, avec comme objectif affiché la recherche d’efficience, de maîtrise et d’impact sur les réalités, par des instances informelles plus ou moins habilement agencées comme structures de gestion (commissions, comités permanents ou ad hoc, groupes de travail et de suivi.) attestant de son éparpillement et d’une certaine désarticulation, avec l’illusion que la souplesse de cette forme de gouvernance autorise une meilleure maîtrise.

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Le développement de l’Etat de droit avec son cortège de droits sans plus se contenter des déclarations de principes, mais en insistant désormais sur la mise en place de mécanismes de protection et de garanties. Une histoire particulière en matière des droits de l’homme a conduit à cette situation.

De la participation

La place prise par la participation dans le contexte marocain est remarquable notamment à) travers les nombreuses dispositions concernant la démocratie participative aux éléments précédents. Les expériences de réforme effectivement menées en termes de participation au cours de la phase précédente sont nombreuses : la régionalisation, la constitution, la réforme de la justice, la société civile et le droit de la famille. La dernière en date, se rapporte à la question des langues et des cultures à travers la constitution d’une commission regroupant les différentes sensibilités existant dans le pays sur la question.

On ne peut que constater le développement du recours à la participation dans différents domaines. Les espaces autres que celui de la représentation, y inclus celui de la participation, ne sont pas encore totalement intégrés dans le champ politique central ou se voient reconnaître un rôle secondaire ou supplétif.

Les questions de gouvernance ont été au centre du débat public depuis 2013 aussi bien dans le Dialogue National lancé en 2013 par le gouvernement issu des élections de 2011 et qui a entre autres, abouti à l’élaboration de documents comme celui de la Charte de la démocratie participative. Elle a été aussi au centre de l’action menée dans le cadre de la Dynamique de l’Appel de Rabat (une coalition d’associations qui se réclament du rang démocratique) entamée dés 2011 au lendemain de l’adoption de la constitution et qui a également permis de produire des documents importants sur la participation.

La comparaison des deux démarches permet de faire le point sur les approches dominantes dans le pays. Les deux débats comparés donnent une certaine idée du degré de maturation du rôle et de la place de la participation dans le champ politique marocain. Concernant la position au sein du système politique global, sur la question déterminante de la démocratie participative en général, et du droit de pétition et d’initiative législative en particulier les deux dialogues ont défini des visions souvent peu convergentes.

La Dynamique de l’Appel de Rabat insiste sur la nécessité d’adopter un document sur les référents suivants  : l’attachement du mouvement associatif démocratique à la démocratie, aux droits de l’Homme, et à l’Etat de droit, la prise en charge de l’héritage démocratique du mouvement associatif très tôt défenseur des fondements démocratiques et acteur en lutte pour les réformes politiques et institutionnelles, la

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L’IMPACT DES INSTITUTIONS SUR LA COHÉSION SOCIALE

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gouvernance démocratique et la démocratie participative. La Dynamique de l’Appel de Rabat se fixe comme objectif spécifique d’œuvrer pour élargir davantage les marges démocratiques créées par la constitution et de réaliser la participation de l’acteur civil à la gestion des affaires publiques.

Le Dialogue National élabora une charte solennellement dédiée à la démocratie participative, dénommée d’ailleurs charte de la démocratie participative. Il y insiste sur la valorisation des progrès réalisés dans le pays en voie de consolidation de la transition démocratique et dans la mise en œuvre de la démocratie participative  : la quête d’amélioration des relations entre citoyens et Etat, l’expérience marocaine importante pour la mise en œuvre de la constitution et ouverture sur l’ensemble des orientations civiles présentes dans la société marocaine.

Le Dialogue National insiste sur l’importance de faire participer la société civile pour qu’elle influence le processus de décision, ainsi que le renforcement des outils de l’interpellation citoyenne et de la gouvernance, la Dynamique de l’Appel de Rabat se fixe pour objectif global de contribuer au processus de démocratie de la société et de l’Etat. Le Dialogue National se fixe comme objectif d’assurer la contribution de la société civile à la gestion des affaires publiques, la transformation des processus représentatifs et en même temps participatifs, la mise à la disposition des citoyens de l’information , la recherche de transparence et reddition des comptes, le suivi des projets et décisions par la société civile, l’élévation du niveau des capacités gestionnaires et des compétences de direction des instances civiles et le renforcement des principes de gouvernance.

La place de la société civile

L’influence actuelle et potentielle des associations sur les processus de décision de manière générale, son impact sur les processus à l’œuvre au plan politique, économique, social et culturel de manière particulière n’est plus à démontrer. Il en est ainsi du rapport de la société civile aux grandes institutions (l’Exécutif, le législatif, le judiciaire, les institutions indépendantes et les collectivités territoriales…). L’impact sur la cohésion sociale n’est pas des moindres.

Un élément important de l’appréciation de ce rôle est constitué par l’émergence d’un nouveau contexte politique, un nouveau cadre constitutionnel, une nouvelle législation, un nouveau statut des collectivités locales comportant pour elles de nouvelles responsabilités.

Le rôle des associations dans le processus de prise de décision a été souligné dans les actes du dit Dialogue national et dans ceux de la Dynamique de l’Appel de Rabat

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précédemment mentionnés215. La question se pose de savoir comment réaliser l’optimum participatif. Les partis politiques ne se prêtent pas tous aux mêmes mécanismes216.

L’idée d’une implication des associations a été soumise à une critique virulente par ceux qui considèrent qu’il ne peut exister d’institutions où coexisteraient pouvoirs publics et associations, sauf à insérer l’associatif dans des structures publiques. Dès lors que la commission est formée de représentants de la société civile et de représentants des pouvoirs publics, elle perd sa nature d’institution publique pour devenir une institution mixte et revêt une autre nature. Une vue dominante entend ainsi que la codécision apparaît comme une grande utopie. L’idéal habermassien reste un idéal, qui n’est pas la participation, horizon inaccessible, mais la « délibération » serait plus envisageable. L’Etat apparaît comme une caisse de résonance de la société civile.

L’expression de « démocratie délibérative » (Habermas) serait plus appropriée que celle de démocratie participative. La «  démocratie participative  » sert d’outil pour légitimer une décision déjà pensée et déjà prise, et offrir à l’Etat la possibilité de se retirer, et de laisser la place au marché au lieu du chaos. Cette orientation serait mondiale. L’Etat autoritaire et le marché mondial ont constitué des machines de dépolitisation du changement.

Les institutions indépendantes

La multiplication des institutions dites « indépendantes » au Maroc sur la base des critères de Paris et de Prague, constitue une autre dimension significative de l’évolution survenue au plan institutionnel. Cette dimension est marquée par des interrogations plus accentuées en termes de redistribution des pouvoirs entre des instances centrales, le trop-plein, l’excès d’institutions, de pouvoir d’Etat, renvoie à l’insuffisance, au pas assez d’institutions. Il s’agit aussi bien des instances de gouvernance que de régulation, renforcée par de nouveaux modes de gestion qui faisaient défaut au cours des premiers temps de l’indépendance.

Ainsi l’institutionnel reste en mutation constante, au sens où il y a davantage d’institutions sans que l’on ne puisse pour autant constater un renforcement du

215 Index d’ARI, de Freedom House216 Le guide du Conseil de l’Europe en matière de participation citoyenne dégage quatre niveaux :- le premier niveau représente le degré zéro, celui de l’information ;- le second niveau est celui de la consultation ;- le troisième est celui du dialogue, de la concertation sur les principes et les contenus ;- enfin le quatrième est représenté par le partenariat, le partage de responsabilité.Voir Sherry Arnstein, A ladder of Citizen Participation, revue de l’Institut américain des planificateurs urbains,

1969. Voir aussi Blondiaux (Loïc) et Fourniau (Jean-Michel), Un bilan des recherches sur la participation du public en démocratie : beaucoup de bruit pour rien ? Participation, 2011/n°1.

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L’IMPACT DES INSTITUTIONS SUR LA COHÉSION SOCIALE

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processus d’institutionnalisation. L’habillage institutionnel peut ne pas avoir changé radicalement les représentations du champ politique et la nature des acteurs et de leurs rôles. L’existence d’un réseau institutionnel plus compact se conjugue avec la couverture d’une grande partie de l’espace public, les pratiques informelles, et des pans entiers relevant plus ou moins de l’immense continent de l’apolitique.

L’institution au Maroc d’instances de régulation en tant qu’autorités administratives autonomes, notamment dans les secteurs de la finance, des banques, des télécommunications, de la communication audiovisuelle, et qui est annoncée dans d’autres secteurs dans différents domaines, peut sembler constituer une nouvelle réalité dans le domaine des politiques publiques. Elle est souvent présentée comme une avancée notable dans le mode de gouvernance de secteurs sensibles prioritairement mondialisés. Comprise par ses promoteurs comme une rationalisation du pouvoir, elle a pu apparaître aussi comme un contournement des institutions centrales, leur dépolitisation, et une dilution des compétences qui leur sont dévolues. La question de la régulation à travers les expériences les plus significatives dans le monde, et donc aussi au Maroc, est liée aux débats en cours sur les autorités administratives autonomes, et pose celle de la nature des instances créées à cette fin et celle de la source de leur légitimité, ainsi que le problème des limites de leur évaluation et de leur reddition des comptes.

Concernant les nouvelles pratiques marocaines, l’analyse de l’histoire relativement courte de la mise en œuvre de ces institutions, avec les spécificités propres à chacune d’entre elles, permet de mesurer le processus de transfert et de délégation du pouvoir administratif traditionnel aux instances nouvellement créées. Elle permet aussi de cerner à travers leur mode de fonctionnement le processus de prise de décision en leur sein et les relations qu’elles entretiennent avec les centres de pouvoir traditionnels, les particularismes de ces entités, et les perspectives de leur évolution et de l’extension prévisible de la formule à d’autres secteurs d’activité (transports, environnement, forêts, eau. etc..). Mais parallèlement à cette lecture technicienne, une autre contextualisation plus politique de ces processus de transfert de l’autorité de l’Etat peut être entreprise.

Dans cet esprit, la régulation telle que supportée par les instances précitées ne serait que l’une des formes d’un processus plus large qui opère une sorte de transmutation des formes classiques du pouvoir de décision et de gouvernance. Ainsi, les services communautaires concédés notamment en milieu urbain (eau, électricité, assainissement.), les agences territoriales spécialisées (Nord, Sud, Oriental), les agences projets (Agence de Tanger-Med, Agence de Bouregreg, Agence du Tramway de Rabat.), voire les programmes nationaux structurants mais empruntant des voies parallèles aux voies institutionnelles ne sont-ils pas en définitive que des facettes de la régulation des pouvoirs, sous diverses formes ? Il en est de même des nouvelles formes

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prises par les missions de l’administration en projet de réforme depuis l’indépendance : délégation, concession, déconcentration, décentralisation217.

217 L’esprit général concernant la réforme pressentie dans le secteur des médias tourne autour de l’idée de l’auto organisation du pluralisme et de l’indépendance du secteur, qui renvoie à la question de la régulation dans le secteur de l’audio-visuel, et les possibles réaménagements. Comme nombre de pays, notamment les démocraties avancées, le Maroc s’est doté d’instances de régulation sur la base d’une certaine vision de la question des médias en général et de l’audio-visuel en particulier.

La Haute Autorité C A fait partie de la première génération des institutions de régulation, initiant la libéralisation sensée attirer plus de public, plus de liberté, d’Etat de droit et de démocratie et un processus qui vise à mettre fin au monopole, celui-ci, impulser et régler la participation. Aujourd’hui, le besoin d’ouverture est plus grand, une plus grande cohérence avec le nouvel environnement global est sollicitée. Tout ce qui touche aux médias va de pair avec la nouvelle place dans la situation actuelle de la société civile, des droits de l’opposition, des droits de l’homme, de la diversité et du pluralisme, la prise en considération de l’esprit de contractualisation à la base de cette régulation, l’accompagnement des mutations du service public sur la base de l’universalité traduit ici en termes de programmation, de choix, de satisfaction des besoins des citoyens ; l’indépendance politique et financière ; la recherche de l’excellence ; le respect de la diversité ; le respect de la reddition des comptes ; la recherche de l’innovation notamment en s’adaptant aux évolutions technologiques.

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Chapitre 2 : La promotion de la cohésion sociale au Maroc (2011-2016)

Aicha El Aidouni,Trésorerie Générale du Royaume du Maroc

Introduction

La modernisation et l’industrialisation des sociétés occidentales ont été à l’origine d’une vision sociale, qui a conduit nombre de théoriciens ayant vécu au cours des périodes passées à élaborer des représentations marquantes en transitions sociales à l’occident. Ainsi par exemple, la cohésion sociale telle que définie par Émile Durkeim218 s’appuie sur l’idée que l’ordre social résulte de l’interdépendance, d’un loyalisme partagé ainsi que de la solidarité qui existe entre société.

Le libéralisme explique que l’ordre social est fondé sur des comportements au sein des institutions privées et des marchés, des familles et des réseaux d’amitiés. Les théories de la démocratie émettent l’accent sur le fait que l’ordre social et son évolution résultent de l’action d’un gouvernement démocratique qui garantit un niveau raisonnable d’égalité et d’équité économique.

De ces définitions, il ressort que la cohésion sociale est déterminée par des principes constitutifs qui se renvoient à l’interdépendance, le loyalisme partagé, la solidarité, les institutions privées, le gouvernement démocratique, l’égalité et l’équité économique. Ces principes se développent en termes de valeurs partagées et sont coulés dans un moule dénommé « la cohésion sociale » qui reste au demeuré un processus permanent consistant à établir des valeurs communes et des objectifs communs, et à offrir l’égalité des chances en se fondant sur un idéal de confiance, d’espoir et de réciprocité parmi tous les citoyens.

Sur un autre registre, le groupe d’étude du Commissariat Général du Plan du gouvernement français définit la cohésion sociale en ces termes : « La cohésion sociale est l’ensemble des processus sociaux qui contribuent à ce que les individus aient le sentiment d’appartenir à une même communauté et se sentent reconnus comme

218 Emile Durkheim dans “De la division du travail social” (1893), s’est penché sur les déterminants du lien social qui désigne l’ensemble des relations sociales qui unissent les membres de la société ou les groupes sociaux entre eux.

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

appartenant à cette communauté ».Un examen de ces définitions révèle des convergences entre les auteurs, et par

extension, s’étend à la perception même de la cohésion sociale au sens large, dans la mesure où il s’agit d’un processus de valeurs communes et du sentiment d’appartenance à une collectivité.

En effet, la cohésion sociale se construit sur la base des valeurs partagées et un discours commun tournant autour de la réduction des écarts de richesse et de revenu. Les États doivent améliorer les conditions des catégories sociales les plus vénérables et veiller à ce que l’école puisse répandre des valeurs citoyennes dont la finalité et de consolider l’esprit d’appartenance au groupe, et par voie de conséquence, la consolidation de toute la société219.

Lorsque ces conditions économiques, politiques et sociales ne sont pas satisfaisantes, ou que ces processus enregistrent des dysfonctionnements, les citoyens, les associations et les gouvernements commencent à croire que « la situation se détériore » et que « rien ne va plus »220.

Il ressort de cette panoplie de définition l’absence d’une unanimité autour de ce concept. Il n’est pas de conception unique et universelle de la cohésion sociale.

Pour certains, la cohésion sociale évoque avant tout la capacité de bâtir une identité collective, un sentiment d’appartenance. Pour d’autres, l’accent est mis sur l’engagement de la société et sa capacité d’assurer l’égalité des chances par l’inclusion de l’ensemble des citoyens et en réduisant les espaces de marginalisation.

Dans cet ordre d’idées où les définitions se recoupent en partie sur des points et divergent sur d’autres, et renvoient à la formulation suivante : La cohésion sociale est un processus qui se développe et qui décrit les liens sociaux pour assurer la vie en harmonie dans la société. Elle conçoit le développement du sentiment d’appartenance et de citoyenneté tout en garantissant une vie décente pour les individus. Elle procure le bien-être pour assurer la concurrence loyale, afin de produire le maximum de reconnaissance dans un climat d’égalité, de dignité, de tolérance et de respect d’autrui.

De ce point de vue, l’étude de ce concept sera axée sur les démarches entreprises par le gouvernement marocain tout particulièrement entre 2011 et 2016. Cette période a été marquée par un foisonnement social, un déclin financier et économique généré par la crise financière de 2008 d’un côté et la dépendance de l’économie marocaine vis-à-vis de l’occident de l’autre côté. Période agitée, elle a vu naître une nouvelle constitution en 2011, préparée par une commission nationale multiple à l’issue de laquelle un gouvernement dirigé pour la première fois par un parti islamique accède aux

219 Le Maroc solidaire direction Nordine El ouaffi. Revu économie critique 2009/P139220 Judith Maxwell, la dimension sociétale de l’analyse ED/PUF (1996, p. 13)

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LA PROMOTION DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC (2011-2016)

183COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

commandes de l’État.Ce contexte inédit pour le Maroc contemporain a suscité un grand intérêt pour le

sujet, car il soulève des questions d’actualité liées aux mouvements populaires qu’ont connus les peuples arabes en général et le peuple marocain en particulier au début de la décennie, dont les repères essentiels se résument dans les points suivants :

• Les attentes croissantes du peuple marocain vis-à-vis du gouvernement à la suite des soulèvements et agitations liés au printemps arabe ;

• Les écarts sociaux qui ont généré la haine en réaction à la « hougra »- c’est-à-dire le sentiment de sous-estimation de soi, exprimant une sensation d’infériorité engendrée par le système social ;

• L’engagement à l’adhésion populaire pour les techniques de communication et tout particulièrement les réseaux sociaux ;

• Les différentes actions à caractère social que le souverain, le gouvernement et la société civile mènent afin d’atténuer les disparités entre les couches sociales et intégrer les pauvres et les vulnérables dans le tissu socio-économique en vue de leur assurer la vie décente et digne de citoyen.

Le traitement et l’analyse des données suscitent les interactions suivantes : Les actions sociales entreprises par les différents acteurs publics ont-elles développé la cohésion sociale au Maroc ? Quelles sont les actions phares entreprises par les acteurs publics pour contribuer à la cohésion sociale ? Quel est l’impact des programmes sociaux sur le développement socio-économique comme facteur de cohésion sociale ? Est-il d’autres choix ou d’autres voies pour redynamiser la cohésion sociale au Maroc ?

Pour mieux cerner le sujet, la présente étude se propose de traiter dans un premier temps les actions entreprises par le souverain et le gouvernement pour rétablir l’ordre et la cohésion sociale afin de lutter contre l’intégrisme et assurer le développement socio-économique du pays. Dans un deuxième temps il s’impose d’étudier les réformes des institutions à caractère social, piliers de la sécurité sociale que sont la Caisse Marocaine de Retraite (la CMR) et la Caisse de Compensation. Enfin, il peut être procédé à l’examen et à l’évaluation des résultats durant la période 2011-2016, en se basant sur les indicateurs du chômage, de l’emploi, de la mortalité infantile, de l’enseignement de l’éducation, de l’alphabétisation ainsi que sur l’indicateur du développement humain.

L’examen de ces aspects conduit à mettre en lumière les écarts entre les objectifs annoncés par les différents programmes et actions avec les résultats obtenus, avant de conclure le sujet par l’appel à un diagnostic plus développé qui permettra de mettre en place des politiques publiques mieux adaptées aux spécificités de la société marocaine.

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

I. Les actions phares des acteurs publics entre 2011 et 2016 pour la cohésion sociale :

Le régime marocain de protection sociale couvre aussi bien les salariés du secteur public que ceux du secteur privé. Il assure aux intéressés une protection contre les risques de maladie, d’invalidité, de vieillesse, de survie, de maternité, de décès, de chômage. Il délivre des prestations familiales ciblées aux plus démunis. Ce processus n’a cessé de se développer pour répondre aux exigences accrues des citoyens.

Bien qu’il soit difficile de présenter toutes les actions menées par les acteurs publics en faveur des citoyens, il y a lieu néanmoins de présenter les actions phares les plus récentes qui se résument aux axes suivants :

• Le développement humain, à travers les programmes de l’INDH et le fonds de cohésion sociale ;

• La santé, par l’élargissement du cercle des bénéficiaires pris en charge par les différents aides et soutiens ;

• L’emploi, par la création de plusieurs programmes visant l’adhésion à l’emploi ;• L’éducation, par l’instauration des projets visant l’amélioration et la

généralisation de l’enseignement ;• La promotion des villes pour un environnement de vie propice ;• La solidarité entre les générations par la réforme de la caisse marocaine des

retraites ;• L’appui aux couches pauvres et vulnérables par la réforme de la caisse de

compensation.

Ces différentes actions et réformes ont pour objectif principal de mettre en place les piliers de la cohésion sociale et du développement socio-économique afin d’éradiquer l’exclusivité qui mène à la marginalisation, et sert de terreau fertile au profit des intégristes pour recruter facilement leurs proies. Qu’en est-il de ces actions ? Comment sont-elles conçues ? De quelle manière sont-elles exécutées ?

1. L’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) 

L’Initiative Nationale pour le Développement Humain lancée par le Souverain en date du 18 mai 2005, vise la lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, à travers la réalisation de projets d’appui aux infrastructures de base, de formation et de renforcement des capacités d’animation sociale, culturelle et sportive, ainsi que la promotion des activités génératrices de revenus et d’emplois.

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LA PROMOTION DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC (2011-2016)

185COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

a) Les programmes de l’INDH 

Lors de sa première phase, étalée sur cinq ans de 2005 à 2010, l’initiative s’est déclinée en quatre programmes majeurs au profit des différentes cibles, à savoir221 :

• Le programme de lutte contre la pauvreté en milieu rural a concerné 403 communes rurales ayant le taux de pauvreté le plus élevé ;

• Le programme de lutte contre l’exclusion sociale en milieu urbain qui devait bénéficie à 264 quartiers relevant des grandes agglomérations (plus de 100 000 habitants) ;

• Le programme de lutte contre la précarité au profit de huit catégories sociales en situation précaire notamment les jeunes sans-abri, les enfants de la rue, les personnes âgées, les plus démunies.

• Le programme transversal destiné aux communes territoriales basé sur la procédure d’appel à projets.

Les résultats de la première phase ont été jugés positifs même si les réalisations ont été estimées en deçà des attentes. De ce fait, une autre phase a vu le jour dont l’objectif est de remédier aux insuffisances de la première étape et de poursuivre ce processus.

b) Le programme de l’INDH entre 2011 et 2015 

Le budget alloué pour la seconde phase de l’INDH (2011-2015) s’élève à 17 milliards de DH, dont la contribution du Budget Général de l’État est de 9,4 MM DH.

Celle-ci vise la réalisation des objectifs concrétisés par les programmes suivants :• Le programme de lutte contre la pauvreté en milieu rural, qui a ciblé 701

communes rurales ;• Le programme de lutte contre l’exclusion sociale en milieu urbain, qui a couvert

530 quartiers urbains ;• Le programme de lutte contre la précarité qui a visé l’amélioration, la prise en

charge et la réinsertion familiale et sociale ;• Le programme transversal qui avait pour objectif l’accompagnement des acteurs

en charge du développement humain par le soutien des actions de formation et le renforcement des capacités de communication ;

• Le nouveau programme de mise à niveau territoriale profite à environ un million de bénéficiaires, habitant 3 300 douars relevant de 22 provinces. Il

221 http://www.indh.gov.ma/index.php/fr/programmes/programmes-lutte-contre-la-pauvrete-en-milieu-rural 13 Aout 2016

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

vise l’amélioration des conditions de vie des populations de certaines zones montagneuses ou enclavées.

Ce travail illustre le caractère innovant de l’INDH qui se base sur un ensemble de facteurs :• Une gouvernance renouvelée, moderne et transparente ;• Une démarche participative associant la population et les organisations de la

société civile à l’expression des besoins et à la prise des décisions ;• Des mécanismes d’audit, d’évaluation et de contrôle rigoureux ;• Une logique d’optimisation d’impact et de pérennité des projets.

Sans oublier que l’initiative a voulu s’appuyer sur un système de valeurs fortes, tel que l’éthique, le respect de la dignité de l’Homme, la citoyenneté, la proximité, et la participation.

2. Fonds d’appui à la cohésion sociale

L’article 9 de la loi des finances 2012 a institué une contribution pour l’appui à la cohésion sociale mis à la charge des sociétés soumises à l’Impôt sur les Sociétés (IS), et versé au compte d’affectation spéciale intitulé « Fonds d’appui à la cohésion sociale ». Celui-ci a été créé pour renforcer les mécanismes de solidarité sociale dont le financement provient des ressources suivantes :

• 1,6 % des prix de vente publique hors TVA servant à la quotité de calcul de la taxe intérieure de la consommation TIC sur les cigarettes ;

• Les dotations budgétaires générales ;• Les dons, legs et recettes diverses ;• D’autres ressources peuvent être affectées à ce fonds conformément à la

législation et à la réglementation en vigueur ou dans un cadre conventionnel.

La création de ce fonds a contribué au renforcement des mesures en faveur des populations défavorisées, principalement à travers :

• La généralisation du RAMED ;• Le soutien à la scolarité et la déperdition scolaire ;• Le soutien des personnes ayant des besoins spécifiques.

Le pivot de sa recette est le produit d’une taxe sur les hauts revenus instaurée en 2012 sur les sociétés, et l’année suivante sur les personnes physiques. Elle est de 1,5 % à 2,5 % sur les bénéfices nets après l’impôt sur les sociétés aux bénéfices supérieurs à 15 millions de dirhams. S’agissant des particuliers, sa contribution est de 2 % sur les

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LA PROMOTION DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC (2011-2016)

187COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

revenus supérieurs à 360 000 dirhams222.Les revenus salariaux, professionnels et fonciers y sont aussi assujettis à partir de

360 000 dirhams par an net d’impôts, soit l’équivalent d’un salaire mensuel de 30 000 dirhams. Le taux est de 2 % pour la première tranche de 360 000 à 600 000 dirhams, de 4 % pour celle inférieure à 840 000 dirhams et 6 % au-delà. Le prélèvement varie ainsi entre 600 dirhams et plus de 5 000 dirhams.

Concernant les sociétés, le prélèvement était dans un premier temps, en 2012, de 1,5 % du bénéfice après impôt. Seules les sociétés réalisant un résultat supérieur à 50 millions de dirhams y étaient assujetties. À partir de 2013, le gouvernement a décidé de l’élargir à toutes les sociétés réalisant 15 millions de dirhams de résultat.

Cette contribution était destinée à alimenter le fonds d’appui à la cohésion sociale, dont les recettes en fin de septembre 2013 dépassaient 5,5 milliards de dirhams.

Pour renflouer les recettes du fonds de cohésion sociale, le législateur223 a renforcé ses ressources à travers :

• L’institution de la taxe aérienne de solidarité et de promotion touristique sur les billets au titre des vols internationaux au départ du Maroc, à hauteur de 100 DH pour la classe économique et 400 DH pour la 1ère classe et la classe d’affaires. 50 % du produit de cette taxe sera destiné à ce fonds ;

• L’institution d’une contribution libératoire au titre des avoirs et des liquidités détenus à l’étranger par des ressortissants marocains domiciliés au Maroc. Le produit de cette contribution est affecté au dit fonds. Les taux de la contribution libératoire se présentent comme suit :• 10 % de la valeur d’acquisition des biens immeubles détenus à l’étranger, de

la valeur de souscription ou d’acquisition des actifs financiers et des valeurs mobilières et autres titres de capital ou de créances détenus à l’étranger ;

• 5  % du montant des avoirs liquides en devises rapatriés au Maroc et déposés dans des comptes en devises ou en dirhams convertibles ;

• 2 % des liquidités en devises rapatriées au Maroc et cédées sur le marché des changes contre le dirham.

En outre, les dépenses du Fonds d’Appui à la Cohésion Sociale sont destinées pour soutenir :

• 800  000 enfants boursiers selon le programme Tayssir pour un budget de

222 Le ministère des Finances et de l’Économie avait annoncé que la taxe aurait une durée de vie limitée, mais certains auraient aimé la préserver, car elle alimente le fonds d’appui à la cohésion sociale. Ce dernier permet notamment de financer le Ramed, le programme Tayssir, l’opération « 1 million de cartables » et le soutien aux orphelins.

223 La Loi de Finances 2014

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

500 millions de DH ;• 8,8 millions bénéficiaires de RAMED pour un budget de 1,7 milliard de DH ;• 3,9 millions bénéficiaires de l’Initiative Royale « 1 million de cartables » pour un

budget de 100 MDH ;• Les veuves en situation de précarité à raison de 400 Dhs par mois ;• 15,5 milliards de DH à la caisse de compensation pour continuer à subventionner

le gaz de butane et les denrées alimentaires de base ;• 45,7 milliards de DH pour l’école publique ;• 10 milliards de DH pour l’enseignement supérieur et 14,3 milliards pour la santé

publique ;• L’inclusion socio-économique des jeunes en leur dotant de 330 000 bourses de

l’enseignement supérieur pour un budget de 1,6 milliard de DH ;• le Programme IDMAJ a inséré 65 000 jeunes porteurs de projets dans le tissu

économique ;• l’octroi de l’Indemnité pour perte d’emploi (500 MDH sur 3 ans) ;• la couverture de 250 000 étudiants par le régime AMO de base.

3. Les mesures en faveur de l’entreprise

L’entreprise a bénéficié de mesures visant à promouvoir et encourager l’emploi qui impacte positivement le développement humain, vecteur principal de bien-être et de cohésion sociale224. Ces mesures touchent plusieurs domaines à savoir :

• Les mesures fiscales pour encourager les investisseurs à mieux entreprendre ;• L’institution d’une nouvelle grille de l’I.S qui a revu des taux à la baisse ;• La dotation de 189 milliards de DH pour l’investissement public ;• L’augmentation de +13,5 % des dépenses d’investissements du Budget Général

(61 milliards de DH) ;• Le remboursement de la TVA sur investissement au-delà des 3 ans exonérés ;• La création du Fonds de mise à niveau sociale et du Fonds de solidarité

interrégionale grâce au relèvement graduel des recettes financières transférées par l’État à hauteur de 2 % pour l’impôt sur le revenu I.R en 2016 contre 1 % auparavant avec l’objectif d’atteindre à terme 5 % et 2 % pour l’I.S en 2016 contre 1 % en 2015 avec l’objectif d’atteindre à terme 5 % ;

224 Le Rapport du (PNUD) 25 ans de Développement humain Publié par le Programme des Nations Unies pour le développement soutient que le renforcement du développement humain par le travail exige des politiques publiques et des stratégies dans trois grands domaines : la création d’opportunités de travail, la garantie du bien-être des travailleurs et l’élaboration d’actions ciblées. Directeur et auteur principal Selim Jahan

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LA PROMOTION DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC (2011-2016)

189COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

• L’augmentation du taux de l’impôt sur les contrats d’assurance de 20 % en 2016 contre 13 % en 2015.

4. Le secteur de la santé 

En outre, les diligences ont apprêté aussi le secteur de la santé par la mise en place de différentes actions à savoir :

a) Couverture AMO étudiant

La couverture AMO étudiant  pour les moins de 30 ans a été mise en place à la rentrée universitaire 2015-2016. Elle couvre les étudiants marocains et étrangers de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle titulaires du baccalauréat ou d’un diplôme équivalent225.

Les étudiants de l’enseignement supérieur public et privé qui ne bénéficient pas de l’AMO comme ayant droit doivent s’inscrire auprès du ministère de l’Enseignement Supérieur.

Les étudiants en formation professionnelle doivent s’inscrire à L’Agence Nationale de l’Assurance Maladie (ANAM).

Pour les établissements relevant des départements ministériels et établissements privés et les établissements relevant de l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT), ils doivent s’inscrire sur le site de cet organisme pour en bénéficier.

Les frais des étudiants du secteur public et des universités sont entièrement pris en charge par l’État. Par contre, les étudiants du secteur privé et des filières payantes de l’enseignement supérieur public doivent s’acquitter d’une cotisation de 400 DH par an perçue avec les droits d’inscription.

Le régime étudiant est géré par la Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale (CNOPS).

b) Le régime d’assistance médicale (RAMED) 

Le régime d’assistance médicale (RAMED) est fondé sur les principes de l’assistance sociale et de la solidarité nationale en direction des populations les plus démunies. Le RAMED concerne les personnes qui résident au Maroc et ne peuvent pas bénéficier de l’AMO (revenu annuel inférieur ou égal à 5.650 DH par personne composant le ménage).

225 La Loi de Finances 2015

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Les soins de santé relevant du RAMED sont identiques au panier de soins de l’AMO mais ne peuvent être dispensés que dans les hôpitaux publics, établissements publics de santé et services sanitaires relevant de l’État.

La contribution annuelle des personnes en situation de vulnérabilité se limite à 120 DH par personne et dans la limite d’un plafond de 600 DH par ménage, quel que soit le nombre de personnes le composant.

Les personnes en situation de pauvreté (revenu annuel inférieur ou égal à 3.767 DH) bénéficient gratuitement du RAMED.

5. Le secteur de l’emploi 

L‘emploi demeure un problème majeur surtout chez les jeunes diplômés. De ce fait, le gouvernement a pris un ensemble de mesures pour atténuer le chômage dont les plus récentes sont :

a) Programme d’action 2014

La promotion de l’auto-emploi à travers l’institution d’un régime fiscal de l’impôt sur le revenu, pour les personnes physiques exerçant leurs activités à titre individuel226.

L’accélération de la mise en place des mécanismes nécessaires pour rendre effective l’indemnité pour les pertes d’emploi, qui a vu le jour en 2014. Par ailleurs, l’assurance accident du travail maladies professionnelles est devenue obligatoire pour tous à partir de novembre 2012. Les entreprises doivent souscrire une police d’assurance pour le compte de leurs employés auprès d’une Société d’Assurance et de Réassurance.

b) L’adoption de nouveaux programmes 

• La mise en place du programme « MOBADARA »227;• Le lancement du programme « TAETIR »228.

226 1  % du chiffre d’affaires encaissé pour les activités commerciales, industrielles et artisanales, à condition que ce chiffre ne dépasse pas 500 000 DH et 2 % du chiffre d’affaires encaissé pour les prestataires de services, à condition qu’il ne dépasse pas 200 000 DH.

227 Elle vise la promotion de l’emploi d’utilité sociale dans le tissu associatif 228 A pour objectif d’améliorer l’encadrement et l’employabilité des chercheurs d’emploi diplômés de longue

durée

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LA PROMOTION DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC (2011-2016)

191COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

6. Le secteur de l’enseignement et l’éducation

L’enseignement et l’éducation ont fait l’objet de réformes récurrentes et successives afin de parvenir à un enseignement adéquat et réussi. Chaque gouvernement expérimente sa politique, ses priorités et l’angle de sa vision, met en place des réformes pour répondre aux attentes des populations.

Dans le cadre de la poursuite des efforts entrepris depuis l’année 2000 pour la réforme de l’éducation, ayant abouti à la mise en place du programme d’urgence 2009-2012, et suite aux difficultés que connaît la procédure de mise en œuvre de cette réforme, une stratégie de développement à moyen terme a été mise en place, portant sur la période 2014-2016229 et qui s’est focalisé sur 5 volets.

Le programme École NAJAH instauré depuis 2009 est le résultat de la charte nationale de l’éducation et de la formation qui est toujours en vigueur. Ce programme vise à placer l’apprenant au cœur du Système d’Éducation et de Formation et met les autres piliers du système à son service230.

229 Les volets en pour objectifs l’amélioration de l’offre scolaire  par le renforcement de la qualité de l’éducation ;

L’égalité des chances en atténuant les disparités entre les centres urbains et ruraux, les filles et les garçons ;Le développement des établissements scolaires pointant l’adéquation du système éducatif avec les besoins et

les spécificités territoriales ;L’accélération des procédures de gestion de l’établissement scolaire ainsi que la définition des responsabilités ;Le développement de la gouvernance ;La poursuite du contrôle de gestion et de l’amélioration de la performance à travers l’organisation institutionnelle

et contractuelle et la mise en œuvre du Plan directeur pour le système d’information 2012-2016 adopté en 2011 ;Le renforcement des capacités et de l’efficacité des ressources humaines visant l’élaboration et la mise en

œuvre des stratégies globales et complémentaires pour la gestion des ressources humaines et le parachèvement de la mise en place du système d’information pour les ressources humaines.

230 Des apprentissages recentrés sur les connaissances et les compétences de base, permettant de favoriser l’épanouissement de l’élève ;

Des enseignants travaillant dans des conditions optimales et maîtrisant les méthodes et les outils pédagogiques nécessaires ;

Des établissements de qualité offrant à l’élève un environnement de travail propice à l’apprentissage. Partant des priorités identifiées par le rapport 2008 du Conseil Supérieur de l’Enseignement CSE, le Programme

NAJAH propose un programme d’action visant à répondre à quatre objectifs clés :Rendre effective l’obligation de scolarité jusqu’à l’âge de 15 ans ;Stimuler l’initiative et l’excellence au lycée et à l’université ;Affronter les problématiques transversales du système ;Donner les moyens de le réussir.

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

7. Le secteur de l’habitat et de l’urbanisme 

Afin de promouvoir tous les axes qui convergent vers la solidarité sociale qui vise le bien-être de la société, une politique pour la promotion des villes a été redynamisée pour la mise à niveau des logements décents au profit des différentes couches sociales, notamment par le biais des actions ci-après :

• L’accélération du programme VSB « Villes Sans Bidonvilles » à travers la déclaration de nouvelles villes sans bidonvilles ;

• Le lancement des travaux de 8 nouveaux programmes de réhabilitation des constructions menaçant ruine dans les villes de Casablanca, El Kbab, Benguerir, Kalaa des Sraghna, Ksar Lakbir, Meknès, Safi et Salé au profit de 15 000 ménages ;

• L’engagement dans 60 nouveaux programmes de mise à niveau urbaine dans les projets inscrits dans le cadre de la politique de la ville ;

• La fixation du prix du logement de la classe moyenne à 7200 DH au lieu de 6000 DH le m², et de la superficie globale entre 80 et 150 m² au lieu de 120 m², et ce, en vue de rendre ce produit plus attractif pour les promoteurs immobiliers ;

• La suppression de l’obligation qui impose aux bailleurs du logement social de joindre une copie de leur cahier des charges à leur déclaration, du moment que cette disposition concerne le promoteur immobilier et non pas les bailleurs de logement.

• Certes, les actions présentées attestent la volonté des décideurs politiques à améliorer le tissu socio-économique. La question qui demeure posée est celle relative à la réception de ces différentes actions par les populations concernées. Avant de répondre à cette question centrale, il est opportun de présenter les réformes que le gouvernement a mises en avant pour assurer l’égalité, atténuer la pauvreté afin de soutenir la solidarité sociale. Il s’agit en l’occurrence des réformes de la caisse marocaine des retraites CMR et de la caisse de compensation.

La réforme de ces deux caisses a suscité un débat controversé entre les intellectuels, les syndicats, les partis politiques et les chercheurs, marqué par une divergence entre les fervents défenseurs et les détracteurs de cette réforme. Compte tenu de leur importance et de leur impact sur la vie socio-économique, il est opportun de les identifier, de définir leurs missions et leurs fondements juridiques avant d’aborder l’étude des réformes récentes dont ils ont fait l’objet.

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LA PROMOTION DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC (2011-2016)

193COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

II. La cohésion sociale à travers la réforme des caisses pivots de la sécurité sociale :

1. La Caisse Marocaine des Retraites (La CMR)

Le système de la retraite marocaine issu de la colonisation a été, destiné au départ aux colons faisant partie du personnel administratif et militaire. Il s’est progressivement étendu à la population lorsque l’administration coloniale a décidé de recruter du personnel parmi les nationaux. Cependant, cette extension n’a concerné qu’une infime partie de la population, laissant plusieurs secteurs sans couverture sociale. Désormais, le système actuel des pensions a gardé les principales caractéristiques du modèle colonial en ce sens qu’il est contributif, obligatoire, centré sur les salariés et articulé autour de quatre organismes231.

Le système de retraite au Maroc composé de quatre régimes distincts (CMR, RCAR, CNSS et CIMR), reste fragmenté et fonctionne de manière inégalitaire. Parmi les faiblesses de ce système, le fait qu’il est dépourvu de lois-cadres régissant son organisation. Il est soumis simultanément aux Ministères des Finances, de l’Emploi et celui de la Modernisation du secteur public. Tous interviennent dans la gestion des régimes de retraite dont résulte l’inégalité de traitement des retraités. De surcroît, ce système est caractérisé par la fragmentation des régimes. En outre, le phénomène récent du vieillissement de la population marocaine agit négativement sur la stabilité déjà fragile de l’équilibre démographique et financier de la caisse.

Pour remédier à ces déséquilibres, le Maroc tente depuis le début des années 2000 d’élaborer des réformes. Le vieillissement de la population résultant de l’augmentation de l’espérance de vie et de la baisse de la fécondité accentue la problématique liée à la viabilité financière des caisses de retraite à l’horizon 2020-2050. Au-delà de ces aspects financiers, se pose la question de la prise en charge d’une partie importante de la population âgée de plus de 60 ans, exclue jusqu’alors des régimes de retraite existants ce qui porte atteinte à la cohésion sociale. Alors, qu’en est-il de ce système ?

231 La Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) dont relève le personnel des entreprises privées et les salariés agricoles ;

La Caisse Interprofessionnelle Marocaine de Retraite (CIMR) qui assure la couverture du personnel du secteur privé, sur une base volontaire et complémentaire ;

La Caisse Marocaine des Retraites (CMR) qui couvre la population des salariés des administrations publiques ;Le Régime Collectif d’Allocation de Retraite (RCAR) assure la protection du personnel contractuel des

administrations publiques.

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

a) Définition et missions de la CMR

La Caisse Marocaine des Retraites est un établissement public doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière qui assure une double mission sociale et financière. De par sa mission sociale, la Caisse gère les régimes de pensions suivantes :

• Le régime des pensions civiles (fonctionnaires de l’État, agents des collectivités locales et de certains établissements publics) ;

• le régime des pensions militaires (Forces Armées Royales et Forces Auxiliaires) ;• le régime de retraite complémentaire ATTAKMILI ;• les régimes non cotisants de pensions (pensions d’invalidité, allocations des

Anciens Résistants et Anciens Membres de l’Armée de Libération).

À travers sa mission financière, la CMR adopte un mode de fonctionnement des régimes de base selon le principe de la répartition échelonnée. Les pensions des retraités et celles de leurs ayant cause sont financées par les cotisations des affiliés et les contributions des employeurs. Assurant son rôle d’investisseur institutionnel, la Caisse affecte les excédents du régime civil à un fonds de réserve de prévoyance placé sur le marché financier. Quant au régime ATTAKMILI, celui-ci fonctionne selon le mode de la capitalisation.

De surcroît, la CMR gère des prestations pour le compte de tiers à travers la gestion :• Des précomptes sur les pensions au titre de l’Assurance maladie obligatoire

(AMO) reversés à la Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale (CNOPS) ;

• Des précomptes conventionnels au profit des sociétés de financement et des Associations d’Œuvres Sociales (AOS) ;

• Des prestations pour le compte des fondations : Fondation Hassan II pour les Œuvres Sociales des Anciens Militaires, Fondation Mohammed VI pour la Promotion des Œuvres Sociales de l’Education-Formation ;

• Des prestations pour le compte du Ministère de l’Économie et des Finances.

Cependant, malgré l’apparence judicieuse de l’organisation et des missions de la CMR, elle connaît actuellement une crise financière fatale, et risque de cesser de verser les pensions si aucune réforme globale n’est envisagée232.

En effet, la situation financière de la Caisse marocaine de retraite (CMR) va de mal

232 Selon le directeur de la CMR, il faudra donc en 2023, «près de 25 milliards de dirhams en plus des cotisations annuelles salariales et patronales pour pouvoir payer la globalité des prestations.» Entretien accordé à l’Economiste avec le DG de la CMR le 23 Mai 2016

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LA PROMOTION DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC (2011-2016)

195COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

en pis. Après un déficit évalué entre 2,5 et 3 milliards de dirhams en 2015, « il passerait à 5,5 milliards, voire 6 milliards de dirhams en 2016 »,

Ce déficit du régime des pensions civiles « devrait s’aggraver et atteindre les 23 milliards en 2022, année de l’épuisement total des réserves »233.

Certes, au-delà de cette image financière sombre qui n’est que la conséquence inéluctable de plusieurs agrégats, le système de retraite marocain reflète des insuffisances à plusieurs niveaux à savoir :

• Le système de gestion ;• La modestie des recettes ;• L’incohérence de la population active avec les retraités.

b) Le système de gestion

Le système adopté est basé sur la répartition établie sur un contrat social implicite de solidarité intergénérationnelle (cotisations, prestations, durée de cotisation, etc.). Ce ne sont pas les cotisations versées par un salarié au cours de sa vie active qui définissent le niveau de sa retraite.

Le volume de cotisations apporté par les générations successives varie d’une génération à l’autre, ce qui entraîne des discordances entre les cotisations versées et les pensions perçues. Si aujourd’hui, certains fonctionnaires qui sont à la retraite touchent 120 % de leur dernier salaire, les générations futures devront non seulement financer de plus en plus de retraités, mais également cotiser pendant plus de temps, d’où un transfert de revenu inéquitable entre les différentes générations.

Enfin, le système par répartition, basé sur la ponction sur les revenus du travail, ne fructifie pas assez les actifs accumulés. Or, en l’absence d’autres sources de financement, la dégradation du rapport entre actifs et retraités devrait conduire à un déséquilibre financier inéluctable. Cela pourrait entraver l’octroi des pensions bien qu’il s’agisse d’une obligation imposée aux États adhérents de l’Organisation des Nations unies234, et que les prélèvements ont été déjà effectués sur les salaires.

c) La modestie des recettes

La modestie des recettes est aggravée non seulement par le régime adopté, mais aussi par l’aspect institutionnel où l’on note la mauvaise gouvernance et les

233 OP/CIT référence 17234 L’article 22 de la déclaration universelles des droits de l’hommes 1948 stipule… toutes personnes de la

société a droit a la sécurité sociale

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

dysfonctionnements dans la gestion publique de la CMR. Ainsi, depuis 1960 et jusqu’à 2004 l’État n’a pas payé la part patronale. Il procède à des remboursements, mais sans intérêts auquel s’ajoutent des arriérés qui ne cessent de s’accumuler et qui remontent à 1994. Il aurait fallu, en principe, que l’épargne-retraite des salariés et la quote-part de l’employeur, public ou privé, soient fructifiées pour garder leur valeur évolutive et effective. Or, en l’absence d’une bonne gouvernance, l’épargne salariale est mal gérée.

En effet, l’absence de lois-cadres régissant l’organisation du secteur de la retraite, la multitude des intervenants dans la gestion de la caisse sans véritable coordination, et le mode de liquidation très généreux235 sont à l’origine de la crise de la CMR.

d) L’incohérence de la population active avec les retraités

Graphique 1 : Structure de la population

Source : Haut-Commissariat au Plan

Actuellement, les pensionnés affiliés au régime civil sont plus nombreux que les fonctionnaires en activité, car ils vivent aujourd’hui plus longtemps, ce qui bouleverse l’équilibre du régime de retraite. Le défi est de taille, dans la mesure où la population marocaine est vieillissante236, par conséquent l’augmentation du nombre de retraités est plus importante par rapport au nombre des travailleurs (cotisants).

D’après les projections du Haut-Commissariat au Plan (HCP), le Maroc comptera plus

235 L’exemple de la prime de départ volontaire octroyé en 2004 ainsi que le mode de liquidation sur les dernières années d’activité avant la réforme d’aout 2016.

236 http://telquel.ma/wp-content/uploads/2016/02/magnani-structure-de-la-population.jpg

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LA PROMOTION DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC (2011-2016)

197COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

de 10 millions de personnes de plus de 60 ans (actuel âge légal de départ à la retraite) en 2050, contre 3,2 millions aujourd’hui, d’après le dernier recensement. Le schéma ci-dessous reflète cette réalité.

La réforme des caisses de retraite au Maroc s’avère par conséquent incontournable et indispensable. Cependant, elle ne peut être réduite aux seuls aspects démographiques par un quelconque ajustement paramétrique. Bien au contraire, la réforme des retraites doit s’inscrire dans le cadre d’une approche globale visant à étouffer à la fois les dysfonctionnements institutionnels237 par le choix du système, et gouvernance238, qu’économiques en enrichissant le contenu de la croissance de l’emploi afin d’élargir la base de cotisation d’une part, et mieux fructifier l’épargne en la canalisant vers des placements plus judicieux d’autre part, si on cherche à gagner du temps politique, on perdra du temps économique.

Certes, la CMR a subi une réforme le 20 août 2016239. Celle-ci a-t-elle été en mesure de répondre aux attentes des différents débats soulevés par les chercheurs240, les acteurs politiques ainsi que la société civile241. À y regarder de près, la réforme précitée est plutôt modeste. Elle s’est focalisée seulement sur l’augmentation de l’âge de la retraite des fonctionnaires de l’État et des Collectivités territoriales qui dorénavant passera à 63 ans d’une manière progressive auquel s’ajoute un prélèvement au profit de la CMR à partir de septembre 2016 et en augmentant son taux de retenue de 1 % chaque année pour atteindre 14 % en 2019.

Par ailleurs, la question des retraites, des ministres et des parlementaires est passée sous silence malgré les tumultes provoqués par les réseaux sociaux qui ont même réclamé la suppression des retraites des parlementaires et des ministres, considérées comme une rente en ces temps d’austérité budgétaire 242et un fardeau qui pèse sur les budgets publics.

Le déficit budgétaire de la CMR ne pourra pas être comblé par ces mesures timides et morcelées, en faisant fi du contexte culturel, social, économique, démographique et politique. Ce système risque de présenter des faiblesses pouvant conduire à terme à un échec probable des caisses.

L’amélioration du système devra prendre plusieurs éléments en considération pour mettre en place une « vraie » réforme des retraites au Maroc, prenant en compte non

237 DocteurHicham el moussaoui Universitè Sultane moulay slimane Fevrier 2015238 Hicham. El Moussaoui,  Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane

(Maroc) – Le 11 février 2015Colloque sur la cohésion sociaale239 La loi N° 14-72 du 20 Aout 2016 Réforme de la retraite CMR/ BO 6445 Aout 2016240 241 Les syndicats ont provoqué des grèves pour bloquer le projet gouvernemental….242 http://lavieeco.com/wp-content/uploads/2016/01/Retraite-pqrleentqires.jpg

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seulement la dimension paramétrique, associée à la hausse des cotisations ou au recul de l’âge de la retraite, mais aussi à sa dimension structurelle. Cette dernière est liée à l’inscription de la réforme au sein d’un contexte économique, social et culturel reflétant les interférences existantes entre le champ de la protection sociale d’une part, et ceux relevant plus spécifiquement de l’économique, d’autre part.

Les résultats obtenus relatifs à la faiblesse des taux de couverture sont significatifs, parce qu’ils sont liés à la population active au « secteur formel » particulièrement le secteur public relativement limité, ce qui conduit à s’interroger sur le fonctionnement et l’organisation du marché de travail dont le secteur informel bat son record, et la multitude des caisses de retraite faisant apparaître la vulnérabilité de la CMR243.

2. La caisse de compensation

a) Définition et organisation de la Caisse de Compensation

La caisse de compensation est un établissement public marocain créé par le dahir du 25 février 1941, elle est réorganisée par le dahir portant loi n° 1-74-403 du 19 septembre 1977, doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Elle est placée sous la tutelle du chef du gouvernement dans le but de subventionner les prix des produits de base (farine, gaz, pain) pour maintenir le pouvoir d’achat des citoyens. Cette mission a cependant provoqué un débat public qui a nécessité sa réforme en arguant que sa fonction accroît davantage l’inégalité et la discrimination des pauvres au profit des riches. Dans l’objectif de cerner l’étude de cette institution, il est indispensable de présenter son organisation, le poids financier qu’elle fait supporter à l’État, afin d’examiner in fine les retombées éventuelles de sa réforme.

Elle est administrée par un  conseil d’administration  présidé par le  chef du gouvernement et composée par :

• Le ministre de finances ;• Le ministre de l’intérieur ;• Le ministre des travaux publics et des communications ;• Le ministre chargé du commerce, de l’industrie, des mines et de la marine

marchande ;• Le ministre du travail et des affaires sociales ;• Le ministre de l’agriculture et de la réforme agraire ;• L’autorité gouvernementale chargée du plan et du développement régional ;• L’autorité gouvernementale chargée des affaires économiques.

243 Système fragmenté, c’est-à-dire l’existence de plusieurs caisses

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LA PROMOTION DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC (2011-2016)

199COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Le conseil d’administration peut inviter en consultation toutes personnes qu’il juge utiles. Ses réunions se font sur convocation de son président. Il délibère valablement lorsque cinq de ses membres sont présents. En cas de partage égal des voix, celle du président est prépondérante. Le conseil se réunit aussi souvent que les besoins de la Caisse l’exigent et au moins deux fois par an : avant le 30 mai pour arrêter les comptes de l’exercice écoulé, avant le 30 novembre afin d’examiner et d’arrêter le budget de l’exercice suivant.

Le conseil d’administration dispose des pouvoirs nécessaires à la bonne marche de la Caisse. Il règle par ses délibérations les questions générales. Il fixe notamment les opérations qui doivent bénéficier de l’aide de la Caisse et celles qui doivent faire, à son profit, l’objet de prélèvements. Il détermine le montant des subventions qui doivent être accordées et celui des prélèvements qui seront appliqués. C’est lui qui arrête le budget et les comptes et décide de l’affectation des résultats conformément aux directives gouvernementales.

Le conseil peut déléguer à son président une partie de ses pouvoirs et, au directeur, des pouvoirs spéciaux pour le règlement d’une affaire déterminée. Le président du conseil d’administration est habilité, dans l’intervalle des réunions du conseil d’administration, à prendre, en cas d’urgence ou de force majeure, les mesures pour lesquelles il n’aurait pas reçu délégation du conseil d’administration et que les circonstances exigent.

Par ailleurs la gestion administrative de la Caisse de compensation est assurée par un  directeur  nommé par  dahir. Le directeur exécute les décisions du conseil d’administration et celles du président de ce conseil. Il gère la Caisse et agit en son nom, et accomplit ou autorise tous actes et opérations relatifs à son objet et représente l’établissement vis-à-vis de l’État, des administrations publiques ou privées et de tous tiers. Il gère tous actes conservatoires et exerce les actions judiciaires.

En effet sa mission telle qu’elle a été conçue fut supportée au budget d’État des charges financières assez lourdes. Car, la charge totale des subventions a atteint :

• En 2008, 31,5 milliards de dirhams ;• En 2011 48,4 milliards de dirhams ;• En 2012, 53,3 milliards de dirhams ;• En 2013, 42,5 milliards de dirhams.

Cette situation a engendré une réforme urgente qui est mise en œuvre d’une manière progressive244.

244 Le chef du gouvernement a déclaré que la caisse de compensation pèse lourd au budget de l’État, sa réforme se fera d’une manière progressive. Le site du royaume du Maroc 14 juin 2013

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

b) La réforme de la caisse de compensation

En effet, le gouvernement par décision de son Chef A. Benkirane a mis fin aux subventions sur les carburants de manière progressive entre 2014 et 2015 en l’indexant partiellement sur les cours internationaux, mais il conserve celles sur le gaz butane. La décompensation progressive du sucre a été entamée le 1er janvier 2016.

Le gouvernement a qualifié de « nécessaire »245 la dite réforme, car les résultats de la décompensation ont permis un gain financier tel que présenté ci-dessous :

• 4 milliards d’économies réalisées à fin mai sur les dépenses, réduisant ainsi l’écart entre les charges et les recettes fiscales ;

• 7 milliards de dirhams se chiffrent sur les économies de l’année 2016, soit l’équivalent de 80 % de la paie mensuelle des agents de l’État. Ces économies sur les charges de compensation proviennent essentiellement de la réduction du soutien accordé aux produits pétroliers. Globalement, la charge de la compensation est répartie à raison de 40 % pour le gasoil (16 milliards de DH), à 33 % pour le gaz butane (13 milliards) et 16 % pour les fuels toutes catégories confondues (9 %). Le reste concerne le sucre et le concours aux provinces du Sud.

Certes, ces chiffres prometteurs reflètent la fiabilité de cette réforme et sa capacité de contribuer fortement à diminuer le déficit budgétaire, à drainer des sommes importantes au secteur de l’investissement et à soutenir la cohésion sociale.

Cependant demeure posée la question de savoir quelles sont la solution et le moyen adéquat pour ne pas affaiblir le pouvoir d’achat des masses populaires les plus vulnérables, et même celui de la classe moyenne. Ces réformes se révèlent attractives sur le plan financier, mais comportent le risque d’atteinte à la paix, à l’équilibre et à la stabilité sociale.

Certes, le fardeau des dépenses de la caisse de compensation est lourd. Sortir du cercle vicieux de la compensation suppose qu’on devrait abandonner la logique de redistribution pour aller vers l’autonomisation des ménages pauvres. Cela passe par la mise en œuvre, sur le plan structurel, d’un environnement institutionnel favorable à l’entrepreneuriat. La libération des énergies privées, des contraintes réglementaires, bureaucratiques, fiscales et financières excessives, permettra d’une part, la formalisation du secteur informel avec davantage d’opportunités d’emplois pour les jeunes et les

245 Mohamed Boussaïd a annoncé, lors d’un point de presse à Rabat, que l’exécutif tablait sur une économie de 2 milliards de dirhams grâce à l’arrêt des subventions du sucre et Nizar baraka a confirmé que la réforme n’est plus une option parmi d’autre c’est un impérative pour ne pas dire une urgence (président de conseil économique et social.

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LA PROMOTION DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC (2011-2016)

201COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

pauvres, et d’autre part, la promotion de microprojets pour permettre aux pauvres non seulement de se prendre en charge, mais aussi de faire travailler les autres.

Il y a lieu de forger les principes de l’économie sociale en prenant comme base l’économie informelle et la restructurer en économie formelle, facilitant ainsi le passage de l’une à l’autre, et l’accès à la protection sociale par le biais de la formalisation de l’emploi246 qui peut même drainer des recettes au trésor de l’État via les taxes professionnelles et l’impôt sur les revenues.

Cela nécessite une école capable de former les ressources humaines forte et indépendante et une institution médicale adéquate pour une meilleure santé publique, un civisme développé grâce à l’égalité des chances. Il en découle le besoin impératif d’une nouvelle approche plus globale où l’on ne se contente pas uniquement de distribuer des aides, mais d’ouvrir les marchés à la concurrence et surtout de promouvoir l’autonomisation des nécessiteux : le meilleur filet de sécurité est l’emploi et non pas l’aumône. L’Etat doit à cette fin stimuler et soutenir les efforts individuels et locaux au lieu de laisser les communautés vulnérables se débrouiller seules sans ressources adéquates et sans infrastructures. L’Etat doit œuvrer pour l’édification d’une citoyenneté active247.

La caisse de compensation engendre un manque à gagner démesuré et une injustice entre riches et pauvres en raison d’une mauvaise gestion. De ce fait, une réforme à caractère globale et intégrée est de mise. Les solutions conjoncturelles et morcelées – à savoir les aides aux démunis – ne peuvent qu’aggraver la situation socio-économique du pays, d’où la nécessité d’une stratégie globale prenant en considération les aléas économiques, financiers et sociaux basés sur une approche participative qui devra être élaborée et mise en œuvre d’une manière progressive pour ne pas enfoncer le pays dans l’abstinence.

Compte tenu de ce qui précède, il est clair que les décideurs de l’État marocain consolident leurs efforts pour atteindre un développement socio-économique capable de soutenir la cohésion sociale au Maroc à travers les différentes actions qui pourront influer positivement sur la vie socio-économique des Marocains, d’où l’obligation d’examiner et de mesurer l’impact de ces actions et réformes sur le développement humain, social et économique. Ceci amène à poser la question suivante : Ces mesures ont–elles contribué à développer le lien social pour accroître la cohésion sociale ? Y a-t-il une stratégie pour réaliser cette cohésion sociale marocaine ?

246 Conférences nationale sur le rôle de l’économie social et solidaire dans la promotion de l’emploi 9 décembre 2014. http:// babnet.net/cadredetail-96236.asp Tohami Abdel Hack

247 Pourqoi le new laber a besoin d’idées neuves Extrait de Diamand et LiddeleR 201 Vol 38 Page 1068-1071

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

III. L’évaluation de ces actions et réformes sur la cohésion sociale 

L’examen de ces différentes actions et réformes s’avère difficile du fait de la divergence profonde qui oppose les partisans des actions et réformes initiées aux adversaires. La deuxième réside dans le fait qu’elles sont très récentes. Cependant, l’examen du degré d’impact de ces réformes s’avère obligatoire en dépit des contraintes.

Le gouvernement248 quant à lui, dresse un bilan positif. Selon lui, la lutte contre la pauvreté a atteint les cibles fixées dans le cadre des objectifs millénaires du développement OMD, dépassant même l’objectif en 2015. Le taux de pauvreté est passé de 16,3 % en 1998 à 4,2 % en 2014, le taux de vulnérabilité est passé de 23,9 % à 11,5 %, tandis que l’indice de développement humain (IDH) du pays est passé de 0,456 en moyenne au cours de la période 1990-1999 à 0,544 au cours de la période 2000-2010, pour s’établir à 0,628 en 2014.249

Les secteurs de la santé et des infrastructures de base auraient également bénéficié d’une dynamique notoire, permettant l’amélioration de la couverture sanitaire des personnes démunies via le système RAMED ayant permis de dépasser les 8,78 millions de bénéficiaires et 3,3 millions de foyers immatriculés en 2015. Ainsi que l’amélioration de l’accès de la population à l’électricité, l’eau, l’assainissement et les routes, l’éducation a connu, également, des améliorations avec la quasi-généralisation de l’enseignement primaire, mais sans pour autant dépasser les problèmes structurels dont elle pâtit, surtout en termes de qualité et d’adéquation formation emploi et de gouvernance comme le relève le Conseil Supérieur de l’Éducation, de la Formation et de la Recherche Scientifique250.

Certes, en dépit des avancées réalisées et des efforts déployés pour résorber les déficits sociaux, des faiblesses persistent. La situation interpelle toujours les pouvoirs publics à plus d’un titre, et les invite à redoubler d’efforts et à optimiser leurs actions, notamment en matière d’organisation, de modes de gouvernance et d’approches à adopter pour l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des actions dans les divers domaines du champ social.

Ainsi, le défi pour le Maroc demeure non seulement de multiplier les opportunités de création de richesse et d’emploi, mais aussi d’en garantir le bénéfice aux plus larges couches de la population, dans toutes les régions. Afin de relever ce défi, il est primordial d’assurer la mise à niveau des régions par une politique territoriale qui met en œuvre

248 Rapport de la Direction des Etablissements Publics( DEPP).Ministère des finances et de l’économie2015.249 Rapport Op cit Ref 34250 Rapport Op cit Ref 340

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LA PROMOTION DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC (2011-2016)

203COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

une véritable gestion de proximité, garante de l’équité entre les citoyens, quels que soit leur lieu de résidence251, leur sexe et leur génération.

Dans ce sens, le Discours Royal du 30 août 2015252, a mis l’accent sur la nécessité de développer une politique sociale plus inclusive visant à lutter contre l’enclavement dont souffrent toujours nombre de régions du pays. Le Souverain a invité le Gouvernement à établir un plan d’action intégré pour financer les projets d’infrastructure dans les communes et régions isolées et de définir un échéancier précis pour leur mise en œuvre. Ces projets devraient cibler 29 000 douars dans 1.272 communes et concerneraient plusieurs domaines, notamment l’enseignement, la santé, l’eau, l’électricité et les routes rurales.

Et pourtant, ces différents programmes et actions enregistrent plusieurs limites, que ce soit au niveau de l’élaboration ou même au niveau de l’exécution. Ils présentent la caractéristique des actions juxtaposées, pauvres en vision sociétale, déclinées sur des projets déterminés sur le temps et l’espace, ce qui engendre des disparités de genre et des disparités entre régions. Ceci révèle le symptôme d’une distorsion sociale plus grave qu’un simple retard dans l’accès au bien être ce qui mène à induire que la pauvreté et la précarité qui sont les signes de la fracture sociale, mènent à des résultats néfastes, bloquant toute amélioration de consolidation du lien social253.

En conséquence, l’indice du développement humain (IDH)254, place le Maroc au 126e rang sur les 188 pays analysés. Selon cet indice, le Maroc reste dans la catégorie des pays à faible niveau de développement humain, générant ainsi la pauvreté, la déscolarisation, le chômage et les inégalités hommes femmes.

Par ailleurs, le système fiscal marocain qui devrait constituer un levier de développement et un enjeu de cohésion sociale, reste incapable de favoriser la redistribution des revenus. La pression fiscale est fortement ressentie, ainsi que la fraude et l’évasion fiscale. Ce qui pousse les acteurs fiscalistes à se focaliser sur l’impôt sur le revenu en pourcentage élevé, son recouvrement s’effectuant à la source même ainsi que sur les impôts indirects dont les montants sont inclus dans le panier du consommateur. Cet état des lieux défavorise la classe moyenne considérée comme une zone sociale motrice du développement. En plus, la fragilité du système fiscal est apparente, car, à chaque loi des finances on constate des modifications substantielles, ce qui marque un manque de vision stratégique à long terme.

Le même problème se pose au niveau de l’enseignement qui n’arrive pas encore à trouver son chemin malgré les réformes successives. Il est caractérisé par la déperdition

251 Les politiques de l’action sociale ; acteurs et instruments. Centre d’analyse stratégique 14/ Fev 2013252 Discours royal de la fête du trône du 30 juillet 2015 253 Education et diversité et cohésion sociale en méditerrané occidentale 2010/Ed/FU/RAB/P1/1254 IDH publié chaque année par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) 2015

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

des élèves au cours du processus scolaire, ainsi que la non-adéquation entre l’emploi et l’enseignement, ce qui génère un taux de chômage très élevé et très mal ressenti chez les citoyens marocains.

À ce propos, le dernier rapport de la Banque Mondiale 2015 a classé l’éducation publique marocaine à la 11e place parmi les 14 pays de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), la Tunisie et l’Algérie occupant successivement la 3e et la 8e place tout en sachant que le budget alloué à l’éducation au Maroc s’élève à 10.5 % plus qu’en Algérie et 6.4 % plus qu’en Tunisie. Le résultat demeure insatisfaisant.

A cet égard, le rapport du conseil supérieur de l’enseignement considère que l’éducation publique se caractérise par une mauvaise gestion des charges horaires des enseignants, des incohérences linguistiques, des programmes et manuels dont la plupart sont désastreux, sans cohérence entre les matières, une pédagogie dépassée et un enseignement supérieur en parfaite inadéquation avec le marché de l’emploi.

En outre, le domaine de la santé souffre encore d’insuffisances notoires, soit au niveau des ressources humaines et/ou au niveau des structures et logistiques déployées pour ce secteur, malgré les efforts consentis par les gouvernements successifs. L’État n’investit que 1.2 % de son PIB au profit du secteur de la santé depuis 10 ans et les prémices du détachement de l’État se font sentir.255

Entre-temps, le secteur privé a connu une grande expansion. Un large réseau de cliniques et de laboratoires privés s’est développé, avec différents niveaux d’équipements, se situant dans les grandes villes et ciblant la population la plus aisée.Ajoutons à cela la difficulté pour les plus démunis, et surtout l’accès de la population pauvre aux services adéquats, car le RAMED ne permet l’accès qu’aux hôpitaux publics. Au vu de ces résultats, on ne peut que prendre acte de l’affaiblissement de la classe moyenne et du développement relatif de la pauvreté et de la vulnérabilité. Cette classe évincée de son rôle ne peut plus tenir l’équilibre de la balance entre les couches sociales, elle risque même de couler vers la pauvreté.

Comment dépasser alors ces obstacles et rendre notre pays un État développé ? Comment souder les liens sociaux ? Comment créer un environnement propice pour le bien-être social ? Il est temps d’abord de consolider les valeurs et l’appartenance à la nation par une école efficace et efficiente, une gouvernance au sein de l’administration, une équité devant l’impôt par l’élargissement de l’assiette et la stabilité du système, ainsi qu’une égalité des chances et l’égalité devant les lois en prenant en considération les transitions sociales du Maroc.

255 Il y a 10 ans les consultations dans les hôpitaux publics étaient gratuites, désormais elles coûtent actuellement 60 Dirhams que les patients doivent débourser à l’avance ainsi que les médicaments et les fournitures, et ce même en cas d’urgence.

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LA PROMOTION DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC (2011-2016)

205COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

En effet, la pauvreté pourra être atténuée par des politiques sociales pouvant constituer de véritables filets de sécurité sociale. Toutefois, la réalité montre que le pauvre et l’exclu vivent en situation de précarité et sont affectés par l’incertitude et/ou la faiblesse des ressources, l’instabilité du statut professionnel, l’isolement et la pauvreté culturelle.

En outre, les discours politiques et les programmes à caractère sociaux ne concordent pas avec la réalité, d’où une nécessité de porter le regard au-delà des formes institutionnelles pour appréhender les statuts, la vision, les rapports de pouvoir, les modes d’engagement, mais surtout la pratique de ces organisations d’autant plus qu’il existe souvent un fossé entre le discours (notamment en termes de participation effective) et la réalité256.

Par ailleurs, la consolidation des bases d’une croissance économique équilibrée poursuivant le soutien de la demande et l’encouragement de la politique de l’offre requiert la stimulation de l’industrialisation, la promotion de l’investissement privé, le soutien à l’entreprise et l’accélération des plans sectoriels. À cela, s’ajoute le nécessaire renforcement du modèle de développement économique inclusif qui vise la réduction des disparités sociales et spatiales et la création d’emplois.

Pour réussir l’adhésion à l’action publique, il faudrait d’abord qu’elle vise chez les plus faibles le renforcement de la confiance en eux et entre eux, afin que les leviers soient saisis sans appréhension. Un État stratège, est celui qui rend les individus capables, leur donne le pouvoir d’agir au lieu d’agir à leur place.

Ce ne sont pas les différentes actions conjoncturelles qui peuvent résorber le déficit de la cohésion sociale mais le mieux est d’en prévenir les causes. Cela passe par une politique d’investissement social au profit des individus et une prévention efficace et transparente. Les dépenses sociales ne doivent plus être considérées comme des dépenses de compensation, mais envisagées comme des dépenses d’investissement forgeant les nouvelles capacités de l’individu et lui permettant de faire face de manière plus autonome à une société de plus en plus compétitive257.

Par ailleurs, le taux de chômage reste relativement élevé, car même s’il est passé de 13,4 % en 2000 à 9,7 % en 2015 par milieu de résidence, il a atteint durant la même période de 21,4 % à 14,6 % en milieu urbain et de 5 % à 4,1 % en milieu rural. Cependant, le chômage reste encore élevé parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans, autour de 20,8 % au niveau national et 39 % en milieu urbain. Il est particulièrement plus élevé parmi les diplômées femmes, il a atteint 15,6 % parmi les diplômés de niveau moyen et 21,2 % parmi ceux ayant un diplôme de niveau supérieur. Il semble

256 Frédéric Thomas : L’économie sociale et solidaire, enjeu, defis et perspèctives. Alternatives sud p.15257 Refonder la cohésion sociale J. Donzellot Esprit N°330 P5 -23-2006

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

nécessaire de revoir la politique de l’enseignement qui demeure en discordance avec le marché de l’emploi, vecteur principal de la cohésion sociale.

Conclusion

Dans l’état actuel des choses et malgré les efforts consentis, l’ordre social au Maroc est non seulement perçu comme inégalitaire, mais aussi comme extrêmement injuste. Il s’agit en effet du symptôme d’une distorsion sociale autrement plus grave qu’un simple retard dans l’accès au bien-être . La pauvreté et la précarité sont les signes de la « fracture sociale », entre d’un côté, ceux qui bénéficient de la croissance relative et de la protection sociale et connaissent sécurité et bien-être et, de l’autre, les laissés-pour-compte qui restent dans l’insécurité et le manque. Même la classe dite « moyenne » se sent de plus en plus vulnérable et vit parfois dans la précarité. Cette pauvreté prend l’aspect d’une dénégation sociale alimentée de privations matérielles et de la marginalisation des zones infrasociales (bidonvilles, non-emploi ou emploi précaire sans statut, absence de participation à la vie politique, etc.).

La cause majeure de l’inefficacité des politiques sociales réside dans leur dispersion institutionnelle, leur morcellement, leur verticalité excessive et leur cloisonnement, ce qui rend leur intégration et leur coordination le plus souvent problématique. Beaucoup de projets et de programmes de développement social ne sont ainsi ni intégrés ni coordonnés, et un nombre d’entre eux n’est pas viable sur la longue durée. Cette situation est en grande partie responsable des déperditions d’énergie et de bonnes volontés, des gaspillages, des redondances et du double emploi.

La corrélation de ces éléments socioculturels avec les indicateurs sociodémographiques semble confirmer l’idée que le Maroc passe effectivement par une phase de transition historique importante qui bouscule les mentalités et reconfigure la place et le rôle des hommes et des femmes, des parents et des enfants. Cependant, le changement peut se heurter à des attitudes de repli et de fermeture tendant à renforcer les préjugés et à exacerber les situations d’exclusion. Il est nécessaire aujourd’hui de penser à une véritable politique de cohésion et de justice sociale.

Cette politique ne peut se concevoir qu’au travers d’un processus d’une socialisation mobilisant l’éducation à la citoyenneté et sa mise en œuvre sur le terrain, à travers une politique globale, intégrée et indépendante qui met l’intérêt de la nation à moyen et long terme en priorité. Cela ne peut se réaliser qu’à travers un investissement en ressources humaines et un investissement économique capable de générer une augmentation en productivité affirmant l’équité et la dignité des citoyens via l’emploi et non les aides, l’assistanat et l’aumône. Dans l’état actuel, des questions demeurent sans réponses

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LA PROMOTION DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC (2011-2016)

207COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

malgré les actions entreprises par les décideurs publics :* Comment développer l’épargne nationale, et surtout l’épargne de longue durée,

pour limiter la dépendance du pays vis-à-vis des marchés financiers internationaux et limiter l’endettement extérieur ?

* Comment assurer aux plus démunis le minimum vital, notamment en matière de santé et d’éducation, avec des coûts supportables pour la communauté ?

* Comment généraliser la couverture sociale sans déséquilibrer les caisses qui la financent ?

* Comment assurer une péréquation adéquate en faveur des collectivités territoriales défavorisées sans tomber dans le piège de l’assistanat permanent ?

* Comment assurer l’attractivité nécessaire de l’économie pour attirer les investisseurs et les projets dans une compétition aujourd’hui mondialisée ?

* Comment assurer enfin tout cela avec le respect des règles de justice et d’équité sans lesquels aucune adhésion au projet de réforme ne peut être pérenne ?

Une réaction réfléchie, une stratégie pour le développement ainsi que l’insertion de tous les acteurs dans le processus d’évolution d’abord humain sont les facteurs clefs du développement économique qui peut créer le sentiment d’appartenance à l’État, motiver chaque acteur pour donner le mieux de ce qu’il a afin d’établir l’ordre social et favoriser le lien social enjeu de la cohésion sociale.

Comment le mettre en œuvre, sachant que la société civile et politique – en grande partie -, qui devra être le relais entre la population et les décideurs manquent aussi leurs fins, car elle souffre de l’absence d’une bonne gouvernance dans la gestion administrative, l’incapacité économique, l’absence de l’autonomie financière, la défaillance d’encadrement et de transparence. Autant de facteurs qui nuisent à la crédibilité de la « société civile et politique » au Maroc.

Par conséquent, cet état des lieux dissuade les citoyens qui ne croient plus à leurs actions. La société civile et politique devient plutôt un alibi dans le discours officiel, plus qu’une réalité tangible, parce qu’il est très difficile, dans des sociétés où les libertés d’expression sont limitées, de voir éclore des institutions cohérentes et solides, capables de mobiliser les citoyens autour des valeurs communes.

Alors que faire pour que les institutions retrouvent la confiance des citoyens ? Comment peut-on créer une synergie entre les différents acteurs publics pour construire ensemble les jalons de la cohésion sociale ? Tels sont les défis à relever par l’Etat et la société marocaine d’aujourd’hui.

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209COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Chapitre 3 : Ville et cohésion sociale, cas de Marrakech

Bouchra Sidi Hida,Sociologue, Centre d’Etudes et de Recherche en Sciences Sociales

Résumé

Le présent article entend analyser le processus d’urbanisation de la ville de Marrakech sous l’angle de la cohésion sociale, concept qui a eu un regain d’intérêt ces dernières années dans le contexte de la mondialisation. Il reste néanmoins encore très peu exploré et analysé au Maroc. L’étude vise à comprendre les facteurs qui défavorisent la cohésion sociale, et interroge en même temps comment se façonnent le rapport urbain et la cohésion sociale dans une perspective sociohistorique.

Mots-clés :Marrakech, cohésion sociale, urbain, aménagement du territoire, rapport de force

Abstract

This article intends to analyze the process of the urbanization of Marrakesh in terms of social cohesion, a concept that has had a renewed interest in recent years in the context of globalization. Nevertheless, it remains less explored and analyzed in Morocco. This article aims at understanding the factors that favour or disfavour social cohesion, and examining at the same time how the urban relationship and social cohesion are shaped socio-historically speaking.

Keywords :Marrakesh, Social Cohesion, Urban, Territory Development, Balance of power

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Introduction

Où va Marrakech ? C’est la question que se sont posée tant les acteurs politiques et les collectivités que ceux de la société civile locale pour réfléchir et débattre des perspectives du développement humain et urbain de Marrakech. Ville historique, Marrakech est fondée sur une superficie de 670 hectares par les Almoravides sur une dépression du Haouz. Depuis lors, et durant plusieurs siècles, elle acquiert une position de capitale politique, économique, spirituelle et culturelle. Chacune des dynasties qui se sont succédées sur la capitale avait une vision de la politique d’aménagement de territoire et du développement de la ville ayant influencé le processus de son urbanisation. Il est intéressant de remarquer que le plan des Almoravides est la base de la ville de Marrakech. Par la suite, d’autres nouveaux plans de constructions viennent s’annexer au premier. La photo aérienne de 1917 montre les mêmes dispositions que le premier plan. La ville est structurée de manière hiérarchique autour de la mosquée centrale sans l’entourer complètement. Les bâtisses sont rassemblées au sud et à l’ouest de la mosquée et de la place Jamâa al Fna. En plein air, ce grand théâtre favorise les échanges de marchandises, d’information mais également de la culture. Les espaces verts s’organisent autour des édifices et de la ville.

La période de protectorat mérite de s’y attarder parce qu’elle marque une phase de rupture dans le processus d’organisation de Marrakech et son développement urbain. C’est une rupture qui s’est en effet opérée dans le processus de structuration et d’aménagement du territoire de la ville et du Maroc en général. Les espaces urbains se transforment en des actions pour de nouvelles formes de pouvoir. Les nouvelles politiques urbaines servent d’interface au service du capitalisme.258 Un processus d’expropriation et de la libéralisation progressive des forces de travail fut enclenché par le crédit et l’impôt. La politique d’aménagement du territoire a eu une importance capitale sur l’organisation urbaine de la ville de Marrakech. L’essentiel du commerce était géré par des commerçants et des spéculateurs européens, des notables de la ville, de la région du sud et les Caïds au sud-ouest d’Oum Rbia. La construction de la voie ferrée et des routes a polarisé l’économie dans le Haouz et a concentré les échanges commerciaux vers l’axe nord sud aux dépens de l’axe est ouest. La mise en place de réseaux de communication a permis à la France de fructifier ses affaires. Toutes les activités de Marrakech étaient tournées vers la mer aux dépens des routes commerciales du grand sud utilisées par les Marocains. Durant cette période, le rôle régional de Marrakech fut consolidé en tant que dernière grande ville avant les montagnes et le désert.

258 Benzakour, S. Essai sur la politique urbaine au Maroc. 1912-1975. Sur le rôle de l’Etat, Les Editions maghrébines, Casablanca 1978

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VILLE ET COHÉSION SOCIALE, CAS DE MARRAKECH

211COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Le protectorat a édifié de nouveaux quartiers (Guéliz, l’hivernage…) pour les Européens résidants et de nouvelles zones résidentielles et de services, ils viennent se juxtaposer aux murailles de la ville, qui n’était urbanisée qu’à environ 55 pour cent de sa superficie. Les quartiers de la ville neuve répondaient aux besoins de production et de circulation de la marchandise et des forces de travail.259 Une base militaire fut également édifiée au nord du Guéliz pour se protéger.

De même, à l’ouest du Guéliz, un quartier industriel est créé où toutes les usines de transformation et de conditionnement de la production agricole sont investies.260 Un aéroport était initié sur un terrain du bassin de la Menara pour faciliter le transport des produits destinés à l’exportation. La politique de rénovation a concerné la ville ancienne, la médina, où plusieurs monuments ont été restaurés (La Koutoubia, Edifice Ben Youssef…). De même, les espaces verts délimitaient les quartiers modernes par une ceinture au sein des murailles. Une partie des murs d’enceintes fut dégagée pour de larges avenues qui relient le Guéliz et la médina.

Parallèlement, un nouveau système d’irrigation fut édifié pour l’agriculture moderne destinée à la commercialisation, écartant le système des Khettaras, dont le débit d’eau s’est réduit. L’aspersion était utilisée comme nouvelle technique de distribution de l’eau aux cultures utilisée essentiellement dans les exploitations modernes, souvent européennes, qui usaient du système de pompage à l’ouest de Marrakech.261

Il est à remarquer que Marrakech a su maintenir la distinction fondamentale entre la ville et la campagne où des propriétés agricoles étaient possédées par les notables de la ville.262 Cette distinction, d’après Ernest, a été remarquée même dans sa topographie urbaine. La configuration urbaine de Marrakech et son organisation semblent fondées sur l’enjeu de l’eau et le contrôle de ses conduites par la bourgeoisie urbaine.263 Un clivage socioculturel important caractérisa les rapports ville campagne.

Toutefois, à l’intérieur de la médina, les quartiers sont structurés de manière hiérarchique autour des familles propriétaires ou de notables locaux. Une mixité des plus riches aux plus pauvres caractérisait les rapports entre les habitants de la médina intégrant tant des Chrétiens, des juifs lettrés, que des marchands ou des artisans.264 Un

259 Benzakour, S. Essai sur la politique urbaine au Maroc. 1912-1975. Sur le rôle de l’Etat, Les Editions maghrébines, Casablanca 1978.

260 Pascon, P., Le Haouz de Marrakech, CURS/CNRS/INAV, tome I, Rabat, 1977,261 Pascon, P., .ibidem 262 Ernest, I., 5. La médina de Marrakech dans le contexte de sa gentrification, un enjeu virtuel et paradoxal,

in Cosaldo E. McGuinness J. Et Miller C. (dir), Médinas immuables ? Centre Jacques Berque, Rabat, 2013263 El Faiz, M., Les Fondouks - caravansérails de Marrakech  : de l’opulence marchande au refuge de la

marginalité urbaine, in  Benlahcen Tlemcani M., la problématique urbaine au Maroc  : de la permanence aux ruptures, collection Etudes des Presses Universitaires de Perpignan, PUP, 1998.

264 Ernest, ibidem

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

système d’auto-organisation était initié dans les quartiers au moment de la fermeture nocturne de la ville pour assurer la sécurité des voisinages par le système de gardiennage. Ce dernier a été maintenu dans les quartiers de la médina jusqu’aux années soixante-dix. L’aménagement territorial en période de protectorat avait un impact sur la médina de Marrakech. Les ateliers des proto-industries étaient progressivement abandonnés au profit du quartier industriel regroupant des usines et des entreprises agroalimentaires. Les routes commerciales qui passaient par la médina étaient abandonnées laissant sa partie ouest sans sève marchande. La médina se retourna commercialement vers l’est, vers la partie moderne de la médina, la place Jamâa al Fna et le Guéliz.

La population de Marrakech était estimée en 1912 entre environs 74 000 et 80 000 habitants. Mais, le recensement de 1926 a révélé une croissance démographique importante de la population (médina et ville nouvelle) qui a presque doublé pour atteindre 149 000 habitants.265 Le tissu urbain subit également des transformations en profondeur qui s’orientaient vers plus d’employés et sous prolétaires et moins d’artisans et commerçants.266 Les habitants de la ville sont de ce fait réduits à une situation de précarité.

En termes de processus d’urbanisation et de développement, une rupture s’est en même temps opérée entre ville médina traditionnelle avec ses proto-industries et ville neuve créée pour les Européens avec sa zone industrielle. Ce contraste a généré deux formes de développements urbains, non interactifs.

Aujourd’hui, en tant que l’une des grandes métropoles du pays et carrefour des voies de communication et d’échange entre le Sud et le Nord, Marrakech constitue un grand enjeu dans la géopolitique régionale. La ville constitue une réalité urbaine qui se manifeste par l’entrée en scène de la nouvelle gouvernance métropolitaine dans un contexte de la nouvelle régionalisation avancée. C’est ainsi que l’article entend analyser le processus d’urbanisation de la ville de Marrakech eu regard à son histoire indépendante et sous l’angle de la cohésion sociale, concept qui a eu un regain d’intérêt ces dernières années dans le contexte de la mondialisation, mais qui reste encore très peu exploité et analysé au Maroc. L’étude vise à comprendre les facteurs qui dé/favorisent la cohésion sociale, et de s’interroger en même temps sur comment se façonne le rapport urbain et cohésion sociale dans une perspective sociohistorique.

265 Deverdun, G., Marrakech, Des origines à 1912, Editions Techniques Nord Africaines, tome  I, II et  III, Rabat, 1959.

266 Berque, J., « Médinas, villes neuves et bidonvilles », in : Maghreb, histoire et sociétés, J. Duculot, Paris, 1974, pp. 118-161.

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VILLE ET COHÉSION SOCIALE, CAS DE MARRAKECH

213COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

I. Cohésion sociale et urbanisme : quelle relation ?

Durkheim s’est intéressé au concept de cohésion sociale depuis le XIXe siècle, il s’en est suivi d’autres sociologues comme Talcott Parsons qui, au cours des années quarante-cinquante, s’est préoccupé de la question de cohésion sociale faisant le lien entre le travail et l’intégration sociale sous l’effet d’une socialisation qui favorise le tissage des liens sociaux et la solidarité. Des chercheurs comme J. Jenson relèvent cinq dimensions constitutives de la cohésion sociale dont l’ensemble constitue son essence.267

L’appartenance est la première dimension qui signifie le sentiment d’appartenir à une communauté ou un groupe et de partager des valeurs communes. La participation est la deuxième dimension de la cohésion sociale qui désigne l’implication de l’individu ou le groupe dans la gestion des affaires publiques en tant que citoyen. L’insertion est la troisième dimension qui fait référence au marché du travail et la réduction des écarts des richesses et des revenus. La reconnaissance est la quatrième dimension qui prend en considération le multiculturalisme et le respect des différences. La légitimité constitue la cinquième dimension qui met l’accent sur l’existence des institutions et leur préservation en tant que médiateurs de conflits.

Toutefois, en l’absence de confiance dans les rapports qui structurent les individus entre eux et avec leurs institutions, les cinq dimensions demeurent insuffisantes dans un climat de méfiance et d’exclusion. La confiance constitue une dimension importante complétant les autres dimensions. Elle favorise une reconnaissance sociale de l’autre (individu, groupe, institution…) dans ses rapports sociaux, dans ses droits et dans ses devoirs en tant qu’individu et en tant que sujet acteur.268 La reconnaissance sociale préserve le respect et la dignité humaine. Dans ce contexte, la cohésion sociale est un processus qui implique un sentiment d’appartenance et la capacité de vivre ensemble dans une certaine harmonie.269

La relation entre urbanisme et cohésion sociale réside dans les finalités d’une politique urbaine et d’aménagement du territoire. Elles s’inscrivent autour de la lutte contre les inégalités sociales et territoriales mais aussi la participation des habitants et la mobilisation des acteurs à travers des actions collectives citoyennes concrètes.

267 Jenson, J., Les contours de la cohésion sociale : l’état de la recherche au Canada, Etude des RCRPP n°F/03, 1998

268 Sidi Hida, B. « Pour une refonte de la cohésion sociale au Maroc », in Zouiten M. (Sous la dir), De la cohésion sociale au Maroc, Acte de la table ronde organisée par ERCS, UM5S, FSJESS, ADS, EN, Rabat, 2008, pp.49-66

269 Jenson, J., Les contours de la cohésion sociale : l’état de la recherche au Canada, Etude des RCRPP n°F/03, 1998.

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

La ville comme espace urbain est un construit humain et social qui assure un cadre de vie décent, de l’emploi, des services et du transport, facteurs qui répondent aux besoins de leurs habitants. Elle met en contexte la complexité des liens entrepris entre elle et son environnement, ses habitants. La ville fait l’objet également des logiques et des enjeux d’acteurs, d’aménagement, de planification, de densification, du développement des mobilités. Elle produit en même temps, des zones d’exclusion, de dégradation et périurbaines présentant des difficultés socio-économiques.

Pour ce qui concerne la ville de Marrakech, il est nécessaire de s’interroger en amont si la politique urbaine d’Etat a pu dé/favoriser la cohésion sociale et savoir en même temps si le glissement s’opérant vers une gouvernance multi-acteurs (contrat public privé) permettra plus de cohésion sociale et plus d’attractivité pour la ville.

II. Politique d’aménagement du territoire

Depuis l’indépendance, c’est l’Etat, acteur stratégique, qui définit les orientations de la politique d’aménagement du territoire, les acteurs locaux (collectivités, communes urbaines) tracent un cadre d’action. Cette politique s’inscrit dans la continuité de la période de protectorat et ce jusqu’aux années soixante-dix. De nouvelles zones urbaines ont été créées et des habitats économiques ont été construits. Mais, les enjeux urbains – reliés à la consommation, à ceux du capitalisme et ses contradictions, et le rôle de l’Etat, acteur développeur dans la reproduction de la force de travail – constituaient des lieux stratégiques pour le développement d’alliances entre les composantes de la société et pour l’accroissement des conflits entre le capital et le travail en rapport aux conditions de vie des populations.270 L’espace urbain marocain faisait l’objet d’un « champ d’expérimentation » pour des projets ponctuels qui visent de contenir l’afflux des populations provenant des milieux ruraux et d’éviter l’émergence des mouvements sociaux. Ces derniers contribuent à transformer les rapports sociaux et les modes de vie. Ils participent à l’espace public et génèrent de nouvelles significations culturelles et des pratiques qui résultent du modèle de développement.

Mais, l’absence de stratégie territoriale de la ville démontre des lacunes importantes quant à la compréhension du processus et des méthodes mises à l’œuvre. La croissance démographique des villes a provoqué des crises urbaines que ni l’Etat, ni les collectivités locales n’ont pu contenir. Ces problèmes urbanistiques ont en effet abouti à des crises urbaines qui ont donné lieu le plus souvent à des convulsions sociales (1965-1981…). Ce qui a favorisé l’émergence d’habitats clandestins et le développement de l’économie informelle. Le taux d’urbanisation au Maroc est passé de 29 % à 35 % entre 1966-1971

270 Castells, M. La question urbaine, Paris, Maspero 1972

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VILLE ET COHÉSION SOCIALE, CAS DE MARRAKECH

215COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

alors que dans le rural la population n’a évolué que de 1,8 % en moyenne.L’espace rural était le point de repère des enjeux sociaux et politiques, l’espace

urbain séculaire était par contre en transition. Accentué à Marrakech, l’exode rural a contraint plusieurs personnes à vivre dans des conditions précaires, dans des fondouks ou caravansérails, situés dans des quartiers de la médina. D’autres encore s’appropriaient des terrains périphériques à la ville de manière légale ou illégale pour en faire leur habitat. Cette pratique a généré le développement des agglomérations anarchiques ou «  douars  » construits en terre cuite à la périphérie de la ville de Marrakech. Les populations rurales y vivent (certains avec leur bétail) dans des conditions précaires (sans eau, ni électricité…). Une nouvelle géographie sociale se dessine et un nouveau portrait culturel apparaît au-delà de l’héritage historique de la ville.

L’accès aux villes et leur attractivité deviennent prioritaires depuis les années soixante-dix-quatre-vingt. Cette attractivité a accentué l’exode rural. Les tentatives des ruraux à vouloir émigrer à Marrakech, pôle attractif, sont liées aux problèmes de la sécheresse, mais aussi à l’amélioration de leurs conditions de vie. La création de nouvelles zones industrielles et des services attirent encore plus les jeunes à la recherche d’emploi. Le développement de moyens de transport a également encouragé à l’exode. La construction de l’université Cadi Ayyad a fait converger un grand nombre d’étudiants originaires du sud du pays vers Marrakech.

Les tentatives d’intégrer les dimensions spatiales dans la planification nationale étaient en rapport avec le poids des mouvements sociaux (1984-1990…). Vers la fin des années quatre-vingt-dix, les luttes urbaines n’étaient plus essentiellement disposées à mettre leur force sur le terrain politique  ; les enjeux n’ont plus tendance à avoir un caractère de confrontation bien que leur portée touche encore des sujets liés à l’émancipation et la justice sociale. De nouvelles significations apparaissent dès lors dans la vie quotidienne des quartiers urbains, elles visent de défendre des identités culturelles.271 Ces luttes, d’après l’auteur, peuvent aboutir à des mobilisations sociales pouvant transformer en partie le cadre politique et la gestion des prestations urbaines (ibidem). Les actions collectives des acteurs avaient tendance à être plus pragmatiques.

Par ailleurs, les politiques d’aménagement se sont développés dans le but d’assurer la décentralisation et l’implication de la population urbaine dans la gestion de la ville. Etablir de nouveaux rapports entre l’Etat et le citoyen est l’objectif de cette politique. D’importantes réformes économiques et législatives étaient lancées en 1976, pour les collectivités locales ainsi qu’un découpage administratif du territoire entre régions, communes et collectivités. Un établissement régional d’aménagement et de construction (ERAC) a été créé par dahir du 21 mai 1974 dans chaque région afin d’aménager des

271 Castells, M., The City and the Crossroads, Berkeley and Los Anglos, University of California Press, 1983.

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

secteurs et d’exécuter des programmes de construction pour l’Etat et les collectivités.En revanche, ces efforts étaient loin de combler les besoins des populations et d’assurer

le développement régional qui était inégal. Il était accompagné de l’internationalisation croissante de l’économie nationale. Le réseau urbain était hétérogène, son expansion est configurée par un ensemble de formes différentes de la ville. Berque a expliqué cette multiplicité et hétérogénéité entre médina, ville neuve et bidonvilles par des logiques contradictoires et de grandes disparités sociales.272.« L’urbanisation s’accentue (…). La médina ne semble pas mettre à profit dans l’ordre de la nouvelle citadinité, les valeurs qu’elle avait pourtant illustrées durant la guerre d’indépendance. A la trilogie classique, artisan/commerçant/ulémas, s’en substitue un autre, sur le monde de la précarité  : petit employé/prolétaire/Sous-prolétaire.  D’ailleurs, les ruraux l’ont envahie. Le bidonville prolifère, accusant, çà et là, l’aptitude à la mobilité sociale et non sans révéler une certaine énergie dans la conciliation du changement économique avec des structures familiales traditionnelles. La ville neuve rapatriée, pourrait-on dire, centralise le dynamisme et articule la nouvelle conjonction ».273 A chaque période de sécheresse et en l’absence d’une réelle politique de soutien, de centaines de milliers de petits agriculteurs affectés migrent vers Marrakech, grand centre régional du sud. Elle apparaît défavorisée par rapport aux autres villes du Maroc. La région de Tensift, selon le premier découpage régional, dont Marrakech est la deuxième région la plus pauvre parmi les sept autres, avec une population en âge scolaire moins scolarisés, les femmes seules y sont très nombreuses, surtout à la médina, et un nombre élevé d’enfants travaille dans le secteur informel.274

La densité moyenne des quartiers comme Marrakech-Ménara et Sidi Youssef Ben Ali est respectivement de l’ordre de 300 et 165 habitants/hectare. Par contre, celle des parties à trame construite dense, entourant la médina, est de l’ordre 600 à 700 habitant/hectare, le long de l’Oued Issil, face au quartier des tanneurs.275 Les anciens fondouks et certains Riads sont occupés avec une promiscuité très élevée. Cela concerne les ménages occupant des logements d’une pièce partagée au moins par cinq personnes.276 De plus, la capacité du réseau d’assainissement devenait insuffisante, provoquant un débordement des eaux usées et pluviales par les regards ou les bouches notamment en

272 Berque, J., « Médinas, villes neuves et bidonvilles », in : Maghreb, histoire et sociétés, J. Duculot, Paris, 1974, pp. 118-161

273 Berque, J., ibidem274 Programme pilote de lutte contre la pauvreté en milieu urbain et périurbain, (PPLCP) Diagnostic de la

pauvreté à Marrakech, Royaume du Maroc, PNUD, octobre 1999.275 Programme pilote de lutte contre la pauvreté en milieu urbain et périurbain, (PPLCP), ibidem276 Direction des statistiques, Enquête nationale sur les niveaux de vie des ménages, 1998/1999, rapport

de synthèse, Rabat, 1999

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VILLE ET COHÉSION SOCIALE, CAS DE MARRAKECH

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périodes pluviales. Parfois, les débordements et les inondations localisées affectaient les populations de certains quartiers, comme le quartier des tanneurs qui a été le plus souvent inondé par l’eau de l’oued Issil. La situation sanitaire devenait catastrophique tant au niveau de l’assainissement qu’au niveau de l’évacuation des déchets.

Le débordement urbain avait pour conséquence le déplacement d’un premier mouvement de notabilités marocaines, des fonctionnaires et des élites modernistes vers le quartier Guéliz, alors que d’autres ont préféré de nouveaux quartiers Daoudiate, Cité Mohammedia et Al Askar. D’autres ménages ont quitté les murailles de la médina, vers le sud-ouest, nord-est de la médina, à la palmeraie, espace découpé en milliers de jardins de résidence secondaire où se trouvent toutes les grandes et anciennes familles de Marrakech, et ce, grâce à l’institution Habous : 90 % des terres de mainmorte sont situées dans ce secteur et perpétuent le souvenir des grandeurs révolues.277 D’autres familles marrakechies se sont déplacées vers la banlieue, vers des lotissements vivriers sorte de Riads, comme Askjour ou Jnanat et plus loin encore vers des fermes de la Targa.

Par ailleurs, un premier lotissement d’habitats économiques que les Marrakchis appellent « dyour massakine » a été construit au quartier Daoudiate afin d’installer la population rurale vivant dans les Fondouks ou caravansérail de la médina. Ce projet commencé pour lutter contre les habitats insalubres a montré ses limites parce que les fondouks vidés ont encouragé d’autres familles rurales à la recherche du travail de s’y installer et rester en ville. L’accroissement de la population a favorisé le développement du secteur informel. Mais les rémunérations dans ce secteur restent très faibles  ; la main d’œuvre est utilisée surtout dans le domaine du commerce, de l’artisanat et des services.

L’absence d’une politique de développement économique et sociale était l’une des conséquences du développement de l’économie informelle. Les poches de pauvreté à Marrakech ont révélé que la répartition des emplois occupés par les chefs des ménages représente 90 % des activités informelles.278 La médina offre alors deux visages : l’un est tourné vers le tourisme de luxe et l’autre est tourné vers l’ancienne proto-industrie, nid de paupérisation. La séparation est-ouest est consommée, désormais, il y a deux Médina. La construction des édifices pour des services publics comme le palais de justice augmente encore le poids de l’ouest. De même, l’édification des collèges et lycées contribue à accroître l’exode rural des familles de toute la région du sud, suivant leurs enfants, particulièrement les filles.

277 Pascon, P. Haouz de Marrakech, CURS/CNRS/INAV, tome I, Rabat, 1977278 Programme pilote de lutte contre la pauvreté en milieu urbain et périurbain, (PPLCP), Diagnostic de la

pauvreté à Marrakech, Royaume du Maroc, PNUD, octobre 1999

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Par ailleurs, pour assurer la mobilité de la population et garantir une dynamique spatiale, une régie autonome de transport publique (RATP) a été créée. Gérée par la collectivité locale de la Wilaya de Marrakech, la régie desservait tout l’espace urbain. Des voitures privées, les taxis et les calèches assurent également le transport. La bicyclette et le vélomoteur sont l’une des caractéristiques de la ville de Marrakech. Ils sont utilisés surtout par les étudiants, les ouvriers et ceux qui ont une bourse limitée. La gare routière située à Bab Doukkala à l’ouest de la Médina a remplacé celle de la place Jamâa al Fna, elle facilite la communication entre les régions du Maroc.

Par ailleurs, les activités économiques se limitent aux commerces localisés à l’ouest de la Médina alors que le commerce moderne est situé dans la ville neuve, au quartier Guéliz. Pour l’activité touristique, des hôtels de catégorie moyenne ont été construits autour de la place Jamâa al Fna. Les hôtels hauts standings destinés au tourisme de luxe sont édifiés à l’extérieur des murailles de la médina au sud de Guéliz. L’industrie agroalimentaire constitue l’une des principales activités économiques. Parmi les 28.5 % des exportations industrielles nationales destinées à l’exportation figurent 2.9 % qui proviennent de Marrakech. A noter que 60  % des actifs travaillent dans l’industrie agroalimentaire et 57 % dans le tertiaire.

1. De l’urbanisme d’Etat aux enjeux de l’ouverture économique

Depuis le programme d’ajustement structurel en 1983, plusieurs réformes économiques, commerciales et fiscales (terrains à prix réduit, fiscalité allégée…) ont été introduites pour mettre à niveau l’économie. Les investisseurs étrangers sont encouragés à investir et s’associer aux Marocains pour créer des entreprises. L’accès aux villes et leurs attractivités étaient également privilégiés. Marrakech se transforma en un pôle attractif qui attire les activités créatrices d’emploi dans l’industrie agroalimentaire mais surtout dans le secteur tertiaire.

A partir des années quatre-vingt-dix, le Maroc projeta de créer un environnement favorable pour les investissements privés et une régionalisation effective dans le but de réaliser un optimum économique et humain.279 Ce choix constitue un enjeu pour le Maroc qui se préparait à intégrer la zone de libre-échange. Son adhésion au traité de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994, les négociations pour établir une zone de libre-échange avec l’Union européenne (à partir de 1996), l’incita à privatiser quelques biens publics et donna la priorité au secteur privé, notamment aux

279 Raounak, M. A, L’articulation entre l’aménagement du territoire et la planification économique et sociale, in  Sedjari A., Aménagement du territoire et développement durable, Quelles intermédiations ?, L’Harmattan/Gret, Rabat, 1999.

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investisseurs étrangers. Sur le plan d’aménagement et d’accroissement des villes se manifeste la volonté des pouvoirs publics d’agir sur la configuration de l’espace urbain. Dans cet esprit, l’espace de Marrakech est aménagé pour établir et consolider l’infrastructure touristique de luxe, au sud de Guéliz. Le nombre d’Hôtels édifiés dépasse celui des années soixante-dix. Les investisseurs étrangers deviennent des actionnaires de certaines chaînes hôtelières. La ville devient un pôle touristique important ouvrant le grand sud via les anciennes routes des caravanes. L’aéroport de Marrakech est également transformé en un aéroport international qui favorise l’atterrissage des avions nationaux et ceux des grandes compagnies aériennes étrangères.

Ville cosmopolite, Marrakech est en perpétuelle redéfinition de ses actions collectives dans un contexte métropolitain. Mais, les années quatre-vingt-dix étaient en même temps fatidiques pour le tourisme à Marrakech. Les attentats de l’hôtel Atlas Asni et la crise économique en Europe ont eu des répercussions graves sur le tourisme. Le nombre d’employés au chômage du secteur hôtelier a nettement augmenté, plusieurs hôtels étaient contraints de fermer. Les pouvoirs publics réagissent en transférant les problèmes urbains dans le champ du pouvoir de décision en encourageant le tourisme national et en portant un intérêt au tourisme de masse en parallèle au tourisme de luxe. Plusieurs hôtels et résidences moyens ont été construits vers l’avenue Mohammed V et aux abords immédiats de Guéliz. Vers la fin de la décennie, une série de résidences de luxes et une zone hôtelière a été également construite dans la région de la palmeraie.

Toutefois, les infrastructures de voiries prévues par le Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) élaboré en 1994 n’ont par contre été que très peu exécutées. De même, de fortes disparités en termes de revêtement routier étaient présentes dans le réseau routier de la région où plusieurs zones étaient encore éloignées des routes. A noter que l’étalement urbain s’est réalisé au détriment des oueds des périmètres irrigués, cela a eu des conséquences sur les ressources, notamment l’eau.

Créant 16 régions, le découpage administratif de 1997 a néanmoins accru considérablement la population de Marrakech. Les pouvoirs publics se préoccupaient de créer des citées entre les axes séparant les grandes et moyennes villes pour freiner l’exode rural vers les pôles régionaux. Marrakech faisait partie de la région Marrakech-Tensift-Al Haouz, regroupant 18 communes urbaines et 198 communes rurales. Du recensement de 1982 à celui de 1994, la population urbaine a évolué avec un taux moyen de croissance de 3.4 %. Elle est passée respectivement, de 440 000 habitants à 672 000 habitants, concentrée surtout à Marrakech Médina. Cette population est très jeune avec 35  % de moins de 14 ans. La croissance démographique et la migration ont eu un impact sur le cadre de vie urbain. Les habitats précaires, les douars se sont accrus ainsi que leur densité. Marrakech a compté en 1992 plus de 49 douars avec 12 000 ménages, ce nombre a presque doublé en deux ans pour atteindre 84 douars

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avec 20 989 ménages en 1994.280 En 2004, ils étaient plus de 224 douars d’après le recensement réalisé dans le cadre du programme « Ville sans bidonville  ». Plusieurs douars ont été résorbés et intégrés à l’intérieur du tissu urbain.

Au sein de la médina, patrimoine international selon l’UNESCO, se crée un quartier d’hôtels de luxe à l’ouest. Encouragés, des étrangers européens investissent dans des Riads, les restaurent et les transforment en maisons d’hôtes ou restaurants. L’investissement dans une ville médina remplie d’histoire et d’authenticité est entamé par des Européens issus d’une classe moyenne pour la réurbaniser et pour lui redonner sa valeur. Il se développe un nouveau style de vie lié aux loisirs et un processus de gentrification de la population de la médina de Marrakech.281 Toutefois, il y a le risque que cet investissement ne génère des problèmes qui peuvent dévier ou dénaturer les riads de leur style andalou-musulman. Le creusement d’un sous-sol au sein d’un riad pour construire un spa a provoqué l’écoulement d’une maison voisine.282 Cet investissement a généré également une crise d’identité sociale et culturelle des Marrakchis dont la majorité a dû quitter la médina. De plus, une surexploitation d’eau est observée au sein de la ville. De même, le phénomène de gentrification a touché aussi des quartiers comme la palmeraie qui étaient périphériques de la ville. Ils sont investis et transformés en quartiers résidentiels ou touristiques par des Marocains venus d’autres villes ou de l’étranger.

La question de gestion des problèmes de la population se pose avec acuité. Ne pouvant plus construire horizontalement à cause de l’épuisement du foncier, les édifications commencent à se faire verticalement au mépris des règles les plus élémentaires de stabilité. Le morcellement et la surélévation des bâtiments contribuent à la dégradation de la qualité architecturale de la médina. Plusieurs logements se dégradent et deviennent insalubres, ne pouvant assurer le bien-être de leurs habitants ni la qualité de vie demandée. A la périphérie de la ville, de nouveaux quartiers ont été construits dans le cadre de la politique de lutte contre les habitats insalubres. L’opération 200 000 logements a été entamée vers la fin des années quatre-vingt-dix, dans le quartier Mhamid, Daoudiate, sur la route de Casablanca et à Hay Massira. Plusieurs habitants de la médina étaient contraints d’y vivre. Mais, l’aménagement des quartiers périphériques sous-estime la plupart du temps l’esthétique des habitations et ne tient pas compte des perceptions sensorielles que peuvent sentir les habitants et

280 Programme pilote de lutte contre la pauvreté en milieu urbain et périurbain, (PPLCP), Diagnostic de la pauvreté à Marrakech, Royaume du Maroc, PNUD, octobre 1999

281 Ernest, I., 5. La médina de Marrakech dans le contexte de sa gentrification, un enjeu virtuel et paradoxal, in Cosaldo E. McGuinness J. Et Miller C. (dir), Médinas immuables ?, Centre Jacques Berque, Rabat, 2013, pp. 161-188.

282 Ernest., I, ibidem

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leur impact, essentiellement les jeunes. L’étroitesse des logements contraint plusieurs jeunes de passer la majorité de leur temps dans la rue en l’absence d’espaces sportifs ou culturels environnant pouvant les occuper et cultiver leur personnalité.

Les transformations de la réalité socio-économique et urbaine de la ville ont contribué à une certaine intégration des mouvements sociaux et ont favorisé une redynamisation urbaine. La gestion urbaine de la métropole est sous le contrôle de la Wilaya, de l’Agence urbaine et les élus ; la société civile en est encore loin parce qu’elle n’était pas considérée comme un interlocuteur crédible. Sa participation dans des débats publics, des actions collectives n’a pas rendu aisé sa reconnaissance sociale et politique en tant qu’acteur social.

Les transformations urbaines de l’espace sont discontinues, hétérogènes et multipolaires.283 Les disparités s’accentuent entre les quartiers urbains et leur étalement. L’éloignement des nouveaux quartiers du centre-ville génère des processus de division sociale et partiale. La fragmentation sociale du territoire urbain se généralise. L’urbanisation n’est pas forcément synonyme de l’amélioration de la qualité de vie. En effet, l’étalement urbain a réduit les possibilités d’accès à des services urbains, comme les hôpitaux, les établissements scolaires et le transport de qualité. A l’étroitesse des logements s’ajoutent les inondations saisonnières des rues et des ponts qui caractérisent certains quartiers nouvellement construits, empêchant tout passage. De même, les marchands ambulants présents dans plusieurs quartiers populaires deviennent une grande contrainte pour les habitants, ils dégradent le paysage urbain en salissant les rues et les défigurent, contraignant le passage des citoyens et empêchant le passage des piétons et des voitures.

Les moyens de télécommunication (téléphone et internet) se sont également développés dans la ville. Bien qu’ils couvrent une plus grande superficie, le débit Internet reste néanmoins faible dans les quartiers périphériques. En plus des taxis, de la bicyclette et le vélomoteur qui assurent le trafic routier de la ville vers la périphérie, le tricycle a fait son entrée à Marrakech depuis plus de cinq-ans. Mais la voiture devient une nécessité étant donné l’éloignement. La calèche est le moyen de transport touristique en médina et en dehors de ses murailles. La régie autonome assurant le transport par les autobus est remplacée en 1998 par une entreprise étrangère espagnole (ALSA), dans le cadre de la politique de gestion déléguée. ALSA détient aujourd’hui le monopole de tout le trafic urbain qui reste toutefois déficient, en termes de quantité et de qualité des services. Mise à part les autobus circulant au centre de la ville, ceux qui dissertent la périphérie sont le plus souvent défectueux et manquent de ponctualité. De plus, l’accès

283 Ascher, F., La république contre la ville, Essai sur l’avenir de la France urbaine, La Tour d’Aigues, éditions de l’Aube, 1998

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des personnes en situation de handicap aux autobus est quasi-absent. Aux insuffisances des déplacements qui ne sont pas conformes à l’évolution urbaine de la ville s’ajoutent des insuffisances des réseaux d’infrastructures et de traitement de déchets. Ceci décèle l’incohérence de certaines actions urbaines menées, elles contribuent à créer des agglomérations fragmentées qui manquent d’harmonie avec les aspirations de la population et les ambitions de la ville comme Marrakech.

L’indisposition de suffisamment de ressources pour répondre aux besoins d’une population de plus en plus instruite et exigeante, et dans le but d’assurer plus de cohésion sociale, la politique mise en place par les pouvoirs publics vers la fin des années quatre-vingt-dix, début des années 2000, a tendance à s’orienter vers la réduction des écarts sociaux et d’améliorer la situation de la ville par des programmes de lutte contre la pauvreté, contre les habitats insalubres et contre des problèmes d’hygiène et de santé. L’intégration des acteurs sociaux s’avère nécessaire. Plusieurs associations locales se sont impliquées dans la gestion des affaires publiques et ont participé à des activités liées à la ville à travers des projets financés dans le cadre de ces programmes. De même, le programme « Ville sans bidonville : VSB » a recensé 225 douars en 2004 sur une surface de 226 hectares avec 15 755 ménages. La convergence de VSB et l’Initiative nationale du développement humain (INDH) initiée en 2005 a permis la résorption de plusieurs douars. Dans le cadre du partenariat «  contrat ville  », plus de 103 douars seront résorbés. De même, l’encouragement de l’initiative du secteur privé réintègre l’urbanisme dans l’économie du marché où se profile un libéralisme individualiste.

La nouvelle ville Tamansourt, située à 15 km de Marrakech, a été construite pour résorber la densité de la population. Mais, l’éloignement des centres d’activités situés le plus souvent à Marrakech en plus du manque suffisamment d’infrastructures en termes d’éducation et d’activités culturelles, de centres sanitaires, de moyens de communication et de sécurité, plusieurs familles ont été contraintes de retourner habiter des quartiers périphériques de Marrakech.

La demande de logement à Marrakech comme dans les autres villes a généré, depuis les années deux mille, un processus incontrôlé de la spéculation immobilière qui a eu un impact considérable sur le marché immobilier ayant subi une dérégulation par l’émergence du phénomène de la vente en « noir ». C’est un phénomène qui consiste à la non-déclaration de la totalité du coût réel de la propriété à vendre. Un contrat est établi implicitement entre le vendeur et l’acheteur. Une partie seulement est déclarée aux autorités compétentes. L’acheteur est contraint de déverser au propriétaire une partie de la somme en cachette s’il veut acquérir un logement ou un lot de terrain.

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2. Contrat public privé et étalement urbain

Les politiques publiques reposent actuellement sur la pluridisciplinarité, le partenariat public privé et le contrat d’objectif. L’Etat n’est plus le seul acteur de l’action publique, il devient partenaire du secteur privé, de la société civile et des citoyens pour une gouvernance démocratique. Les nouveaux rapports entre l’Etat et les différents partenaires transforment le sens et l’exercice de pouvoir pour un repositionnement de l’Etat et sa consolidation. Une nouvelle culture de la convention multipartite est mise à l’œuvre où l’Etat, le secteur privé et le conseil régional scellent leur traité par un contrat pour drainer l’investissement direct étranger et national. Chaque acteur intervient dans son domaine pour une démarche pluridisciplinaire, avec une différenciation de l’action publique. L’Etat devient régulateur et le rôle des collectivités locales s’agrandit. La nouvelle Charte communale accorde une importance à la gouvernance locale pour une planification stratégique. Dans ce cadre, la gestion déléguée a porté sur la gestion des déchets, les transports publics et privées ainsi que l’eau et l’électricité.

Mais il est intéressant de remarquer que chaque projet ou plan d’action demeure emprisonner selon une logique spécifique et selon le ministère de tutelle. L’intégration des politiques sectorielles et leur convergence pour un développement de la métropole font ainsi défaut. Avec le dernier découpage administratif avec 12 régions crée dans le cadre de la régionalisation avancée, la région Marrakech-Safi, en tant qu’institution, est encore très faible en termes de capacités (gestion et ressources humaines) et en termes de financements pour la réussite de ces contrats. En attendant la décentralisation des centres de pouvoir, l’Agence urbaine et la Wilaya sont les centres de décision locaux.284 Aujourd’hui, l’Agence urbaine, d’après son directeur, adopte une stratégie d’urbanisme durable au profit d’une vie décente aux citoyens. Cette stratégie tient compte de l’approche participative impliquant les différents partenaires et l’amélioration des services rendus à la population de la ville.

Depuis les années 2000, Marrakech, première destination touristique, valide en effet sa position de métropole et tend à diversifier son économie. Ce qui incite de s’interroger sur les moyens à mettre en place pour qu’elle soit plus attractive et plus compétitive, sachant que son économie s’appuie sur le tourisme dans une région agricole où le rapport urbain rural est encore non équilibré. Marrakech est déclarée ville touristique en 2005 et acquiert le statut de la première destination touristique. Plusieurs résidences luxueuses ont été construites autour de l’Avenue Mohammed VI.

284 Barthel, P-A., Villes pour une nouvelle génération. Rapport sur Marrakech, le PCD  : impact du cadre national et régional d’urbanisation, évaluation et recommandations. Le PCD 2011-2016 : une nouvelle ambition pour la ville, Rapport d’étude, World Bank, Version octobre  2013

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Par ailleurs, pour ce qui est l’aménagement urbain, l’étalement urbain est en relation avec la densification de la population à Marrakech, la concentration des activités et les loisirs. Marrakech connaît aujourd’hui une expansion spatiale importante. Les espaces bâtis croissent de manière incontrôlée. Cet étalement urbain évolue de manière irrégulière entre les quartiers situés au centre et les nouveaux quartiers périphériques.

L’étalement urbain est en rapport à trois facteurs.285

• Les espaces urbains concentrent des activités économiques secondaires et tertiaires et participent à en accroître l’intérêt et la compétitivité avec en parallèle, la promotion immobilière et la rentabilité dans les régions périphériques.

• L’accroissement de la population accompagne les activités industrielles et tertiaires localisées à la périphérie. L’ensemble logement-travail s’additionne au prix du déplacement.

• Les surfaces bâties recouvrent de nouvelles activités économiques industrielles. Les surfaces périphériques sont privilégiées par l’industrie de transformation pour accéder à la propriété individuelle. La concentration des maisons individuelles génère une consommation de l’espace plus importante que l’espace collectif (immeuble).

L’étalement urbain élargit aussi les inégalités sociales. Aujourd’hui, la force de travail n’est plus le moteur des luttes sociales et politiques. De nouvelles significations émergent. Elles sont productrices d’identités culturelles, par rapport à la vie quotidienne de la ville.286 Plusieurs mobilisations sociales apparaissent. Toutefois, elles n’ont plus le même poids que par le passé. Ces mobilisations sont encore loin de participer au processus de planification et de gestion urbaine. En général, certaines populations locales se mobilisent pour dénoncer la facture d’électricité. D’autres, en revanche, au moment d’une quelconque expropriation d’un espace pour des raisons d’intérêt de production de la ville (création de complexe touristique, espace commercial…), se mobilisent dans l’espoir d’acquérir un gain.287

285 Grafmeyer, Y. et Joseph I., L’école de Chicago, Naissance de l’écologie urbaine, Ed du champ urbain, 1979

286 Castells, M., The City and the Crossroads, Berkeley et Los Anglos, University of California Press, 1983.287 Sidi Hida, B., « Processus d’urbanisation d’une ville : le cas de Marrakech », M. Haddy (Sous la dir), La

ville Marocaine, Regards croisés, Paris, Sans Frontière, L’Harmattan, 2015, pp. 29-61.

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III. Gouvernance métropolitaine et renouvellement urbain

Marrakech se transforme en une ville cosmopolite et un lieu d’échanges économiques, sociaux et culturels. Ces échanges font émerger de nouvelles formes urbaines et culturelles. Plusieurs espaces commerciaux ont émergé dans le cadre du traité de libre-échange avec l’Union européenne, notamment le centre Carré Eden, inauguré en 2014, il remplace le marché de Guéliz. Dans la même perspective, un autre centre commercial est en cours de construction dans l’ancien quartier résidentiel l’hivernage. Le Centre Al Mazar a été construit sur la route d’Ourika, au cours de la même décennie. D’autres centres commerciaux sont encours de constructions sur la route de Casablanca et à l’avenue Mohammed VI.

Le dernier recensement de 2014 compte 928 950 habitants à Marrakech.288 Le taux d’accroissement de la population a diminué pour être à 2,1 % pour la période 2004-2014. Le taux d’urbanisation de la région est de 42,9  %, alors que le taux national est de plus de 60 %. Marrakech-Safi compte 38 % d’analphabétisme, taux très élevé comparé aux autres régions du royaume. La région occupe la deuxième place après le Grand Casablanca pour ce qui est de la proportion des ménages vivant dans les bidonvilles avec 6,6 %. Elle occupe par contre la première place pour ce qui est des ménages propriétaires de leur logement (67,7  %). Marrakech présente une industrie faible (agroalimentaire, mécanique, électrique, chimique et textile) qui représente 60 % de la valeur produite dans la région. Par contre, l’agriculture occupe une place importante dans l’économie de la région. La production industrielle représente 3,6 % de la production nationale et 4,3 % de la part nationale des exportations.

Par ailleurs, Marrakech, ville productrice de sens, se transforme en une ville-marché. C’est une ville éclatée et étalée sur plusieurs directions. De nouvelles agglomérations apparaissent dans la périphérie dont certaines semblent évoluer vers des pratiques d’une « urbanité en archipel » qui s’appuient sur la sécurité et une grande mobilité.289 Ce nouveau modèle urbain s’organise en zones résidentielles, commerciale et industrielle, il s’articule autour de la voiture. C’est le cas des résidences haut standing situées dans la zone Annakhil ou les nouveaux quartiers comme Al masmoudi, la Targa Garden, espaces situés en marge de la ville, désertiques ou espaces agricoles (fermes de deux hectares, parfois plus), ils se sont transformés en zones de résidences. Le nouveau

288 www.hcp consulté en 2016289 Dorier E. et Dorio J., « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites : Etude de

cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle » in Grésillon E., Alexandre B., Sajaloli B., La France des marges, Armand Colin, pp. 2016-2016, 2016 < hal-01417666v2 >

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quartier industriel est créé sur la route de Casablanca.Les nouveaux quartiers résidentiels se structurent au sein des espaces sécurisés

fermés avec des moyens technologiques sécuritaires. Le dernier recensement de 2014 montre que les logements de type villas représentent 3 % alors que les maisons marocaines sont de l’ordre de 47,1  %. Les habitants se déplacent d’un espace à l’autre en voiture sans avoir de réelles interactions avec les espaces intermédiaires environnants, créant une sorte de cloisonnement. Ce fermement constitue « un obstacle au lien social de proximité » (Ibidem)290. Les habitants de ces zones fermées semblent manifester une grande réserve, voir une certaine méfiance. Dans ce genre de situation, Goffman explique que toute pénétration dans l’espace personnel de l’individu (ou habitant) est considérée comme un empiétement. “The space surrounding an individual, anywhere within which to feel entering other causes the individual to feel encroached upon, leading him to show displeasure (…)”.291

Les nouvelles agglomérations urbaines sont aussi inégalitaires. Elles génèrent d’un côté, un cloisonnement et un dilatement des liens sociaux pour des liens inédits et une culture où prime une individualité exacerbée. De l’autre, elles créent des espaces commerciaux ou industriels visant plus de rentabilités, d’échanges économiques, sociaux et culturels. De l’autre encore, elles engendrent des espaces urbains lésés où manquent des équipements sociaux comme les hôpitaux, les marchés, l’école… ; quelques-unes de ces zones présentent des voiries déficientes et un système d’évacuation des eaux usées faible. Ceci pourra avoir des conséquences sur le tissu urbain de la ville et pourra générer des violences urbaines, conséquence de l’exclusion socio-économique, comme ce fut le cas dans des banlieues parisiennes de 1996.

Les nouvelles expressions font émerger également des formes culturelles inédites et de nouvelles expressions d’affirmation identitaires mais aussi de l’engagement politique. Les plans communaux de développement (PCD) ont été réalisés en 2009 pour la période 2011-2016 faisant suite au diagnostic stratégique et des ateliers participatifs organisés par l’Agence urbaine avec les différents acteurs et la banque mondiale. Il a été élaboré autour de projets importants et des projets d’accompagnement et de proximité.

« Marrakech, cité du renouveau permanent  » est un nouveau programme pour la période 2014-2017 qui a pour ambition d’accroître encore plus l’attractivité de la ville à l’image de sa renommée historique et son avenir à même d’être au niveau des grandes métropoles internationales. Ce nouveau programme structurant compte accompagner le développement urbain et démographique de Marrakech à même d’être un pôle

290 www.hcp. Consulté en 2016291 Goffman E., Relations in Public, Microstudies of Public Order, Originally published in 1971 by basic

Books, New York, Transaction publisher and New Brunswick and London, 2010.

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touristique mondial. Pour ce faire, il a pour stratégie de renforcer les infrastructures socioculturelles et sportives et promouvoir les indicateurs de développement humain.

Pour un investissement de 6,3  milliards de dirhams, ce programme touche cinq principaux axes qui concernent la valorisation du patrimoine culturel, l’amélioration de la mobilité urbaine, l’intégration urbaine, la promotion de la bonne gouvernance et la préservation de l’environnement. Ce nouveau plan de développement de la ville ambitionne de préserver l’héritage humain de la ville antique. Il compte pour cela restaurer quelques sites historiques par la remise en valeur des quartiers de la médina, le développement des infrastructures, l’amélioration des conditions de vie des habitants, et par là même, assurer le renforcement et la valorisation du patrimoine culturel, artisanal et urbain. Pour ce faire, pour un financement de 60 millions de dirhams, 24 projets ont été lancés en 2016 dans le cadre de l’Initiative nationale de développement humain (INDH) pour la lutte contre la précarité et l’exclusion sociale et la réhabilitation des Fondouks.

IV. Urbanisation accélérée vs développement durable

L’urbanisation incontrôlée, l’étalement urbain et en archipel accroissent la spéculation et dégradent le paysage urbain. Ils contribuent à renforcer les inégalités sociales et des répercussions sur la vie quotidienne des habitants de la ville et leur qualité de vie. La cohésion sociale dans ce cas est mise à mal. Les inégalités sociales et spatiales sont un indicateur de l’affaiblissement de la cohésion sociale et spatiale. La question de l’habitat décent concerne le quotidien des habitants et la qualité de l’environnement. Et la lutte contre les inégalités socio-spatiales de la métropole, avec une population diversifiée et un taux de chômage de 13,1 % en 2014, supérieur à la moyenne nationale (10  %) est un réel enjeu et défi à relever. L’emploi est l’une des principales formes d’insertion sociale qui améliore les conditions de vie et consolide le tissu social d’une société. Dans ce cas, il convient de se poser la question de savoir comment rechercher un équilibre entre les territoires, les individus qui y habitent et leurs besoins et la préservation de l’environnement pour une cohésion sociale.

D’ores et déjà l’urbanisation accélérée a eu un impact sur la dégradation de l’environnement, notamment les espaces verts qui caractérisaient la ville de Marrakech comme la palmeraie et sur la gestion durable des ressources, essentiellement l’eau. La palmeraie se dégrade en plus sous l’effet du manque d’entretien et sous l’effet de l’exploitation illégale des palmiers. Si le problème du vieillissement des palmiers a été comblé par la plantation de 400 000 nouveaux palmiers, qu’en est-il de l’urbanisation ? Marrakech est également confronté aux problèmes de pollution et des nuisances. Elle

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est sous le poids d’un parc automobile qui est estimé à 150 000 véhicules, 200 000 vélomoteurs, 85  000 bicyclettes, 3500 taxis, 200 autobus, 150 calèches et 1500 charrettes.

La prise en compte de la sécheresse récurrente, dont la région de Marrakech-Safi qui s’appuie en grande partie sur l’agriculture, la prise de conscience des conséquences des changements climatiques, les défis d’une gestion durable des ressources naturelles et la protection de l’environnement, orientent et engagent le Maroc vers les énergies renouvelables et le développement durable. En ratifiant l’accord de Paris, le Maroc a organisé avec les Nations Unies, la COP22 à Marrakech du 7 au 18 novembre 2017 pour partager et mettre en action cet accord qui a pour objectif d’atténuer de moins de 2 °C les émissions du gaz à l’effet de serre dans le monde en vue de protéger l’environnement pour les générations futures. La conférence trace de nouvelles perspectives en faveur du climat et pour le développement durable. Un fonds marocain, baptisé Marrakech Investment Committee for Adaptation (MICA), est annoncé lors de la COP22 pour financer des projets et des actions liés à l’atténuation des changements climatiques en Afrique avec une enveloppe de plus 500 millions de dollars, il est lancé en partenariat avec des partenaires privés.

Le Maroc a mis en place une Stratégie Nationale de Développement Durable (SNDD) qui est commencée comme étant un processus « d’engagement des différentes parties prenantes à atteindre des objectifs communs qui contribuent à répondre à des enjeux clés en matière de développement durable ».292 Une loi-cadre (99-12) est conçue, elle porte les principes de la Charte de l’Environnement et le Développement Durable, à savoir l’intégration, la territorialité, la solidarité, la précaution, la prévention, la responsabilité et la participation. Le Maroc s’engage de ce fait à lutter contre les changements climatiques, la désertification et la protection de la biodiversité. Mais les déficiences dans les connaissances et les moyens ainsi que l’incapacité de certains acteurs régionaux et locaux à prendre en considération les enjeux et les défis du développement durable peuvent constituer une entrave à la réussite de la stratégie. La nécessité de revoir l’arsenal juridique pouvant être incomplet ou dépassé s’avère importante pour dynamiser également les divers secteurs dont notamment l’agriculture, les déchets et le transport afin d’assurer les buts du développement durable.

La cohésion sociale figure aussi parmi les sept enjeux qui permettent la mise en œuvre de la SNDD. La réduction des inégalités et l’exclusion sociale, redonne confiance dans les institutions et favorise aux individus une reconnaissance sociale et l’assurance d’une qualité de vie. La valorisation du capital humain favorise la construction et la consolidation du lien social (Sidi Hida, 2008) Pour cela, la reconnaissance par

292 Makhit M., Stratégie Nationale de Développement durable, MDCE, septembre 2016

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les pouvoirs politiques des besoins sociaux et la mise en pratique d’une solution novatrice appropriée, constitue un levier de l’innovation sociale. Celle-ci est une clé du développement humain.293

De nouveaux espaces contribuant à la protection de l’environnement avec la réduction des gaz à effet de serre sont remarqués à Marrakech auxquels s’ajoutent le confort acoustique, la sécurité et la liberté de circulation en raison de l’absence de modes motorisés.294 Les rues piétonnes prolongent en effet la place Jamâa al Fna et longent le quartier Hivernage vers l’avenue Mohammed VI.

La relation entre l’urbanisme, la cohésion sociale et l’innovation sociale incite également de s’interroger sur l’éthique, sur l’éducation et l’engagement citoyens. D’un autre côté, ceci soulève la question de savoir comment échapper à l’influence néolibérale pour un développement humain qui assure la cohésion sociale de la société.

Conclusion

L’aménagement du territoire d’une ville comme Marrakech et son urbanisation nécessitent de tenir compte de son histoire, de son tissu urbain et social, de sa disposition architecturale, du climat et de son environnement. Mais, les politiques publiques sectorielles facilitent le développement spatial et économique alors que la convergence pour le développement de la ville demeure limitée. D’une part, les actions menées pour une ville peuvent être un échec dans une autre ville et ne favorisent nullement la cohésion sociale. D’autre part, l’urbanisation démesurée génère des inégalités spatiales et sociales et contribue à la dégradation de l’environnement. La mobilité demeure une question primordiale pour la ville, la qualité et l’offre sont nettement faibles comparées à la demande. De plus, une réelle politique de la mobilité pour la ville est indispensable eu regard des perspectives de la métropole et des demandes des habitants. De même, la lutte contre les inégalités sociales et spatiales, la confiance, la reconnaissance dans les institutions renforcent la cohésion sociale et consolident les liens sociaux d’une société.

En d’autres termes, les acteurs politiques comme les acteurs sociaux se doivent de prendre conscience des enjeux locaux et globaux et les défis d’une ville comme Marrakech, ayant une vocation mondiale orientée vers des échanges entre le Nord et le Sud. La commune urbaine de Marrakech tend à devenir un pouvoir urbain au niveau

293 Moulaert F., Mc Collum D., Mahmood A., Hamdouch A., The International Handbook on Social Innovation, Collective Action, Social Learning and Trandisciplinary Research, EE, 2013 ; Mc Collum D. Hillier J. and Vicari S., Social Innovation and Territorial Development, Ashgate Adershot, 2009

294 Nakhli A., La mobilité urbaine à Marrakech : enjeux et perspectives. Thèse de doctorat en Géographie, Université Michel de Montaigne, Bordeaux III, 2015.

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

local alors même que la région de Marrakech est encore faible. Malgré la régionalisation avancée, les responsabilités sont encore emboîtées entre le local, le régional et le national. Aujourd’hui, le pouvoir urbain est à l’image de la décentralisation entamée. Or, la régionalisation avancée doit être spécifiée pour les acteurs locaux afin de clarifier les responsabilités des uns et des autres pour assurer la gouvernance d’une région en devenir avec ses 4 521 000 habitants, représentant 13,4 % de la population totale. La cohésion sociale est l’un des enjeux et défis qui favorisent le développement durable et le consolident.

Une politique en termes de développement et d’aménagement du territoire doit répondre à plusieurs problèmes urgents d’ordre social, culturel, économiques et politiques pour assurer l’équilibre entre différentes échelles et consolider les liens entre les diverses entités constituant le tissu urbain de la ville de Marrakech.

Bibliographie

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VILLE ET COHÉSION SOCIALE, CAS DE MARRAKECH

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233COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Chapitre 4 : Les collectivités territoriales, acteurs de premier plan de la cohésion sociale. Quelques leçons du terrain

Christophe Mestre,Enseignant, Centre International d’Etudes pour le Développement Local

de l’Université Catholique de Lyon

Introduction

La société monde de ce début de millénaire est confrontée à ses différentes échelles au défi de la cohésion sociale qui est une des conditions sine qua none de la paix et de la sécurité mondiale. Le renforcement des inégalités de tous ordres, le développement de projets de société aux référentiels incompatibles, les tendances hégémoniques de leaders et de régimes politiques, l’absence de lieux de construction collective de l’action publique malgré le développement des médias et des espaces de prise de parole sont autant de facteurs de risque que vit notre société monde face au défi de la cohésion sociale.

Dans ce cadre, quel peut être le rôle des collectivités territoriales, qui sont un des espaces institutionnels en développement en ce début de siècle ?

I. Essai de cadre conceptuel de la cohésion sociale

La cohésion sociale est un concept à la fois robuste et polysémique.

Robuste, parce qu’il puise dans les fondements de la sociologie avec Durkheim, polysémique car il est devenu un mot d’ordre politique et social.

Si l’on entend la cohésion sociale comme la capacité de la société à tenir ensemble verticalement, dans la relation entre les individus et la société et horizontalement, dans les relations entre les individus et leurs organisations au sein de la société, il est alors possible d’identifier trois dimensions de la cohésion sociale :

• la cohésion sociale par la solidarité• La cohésion sociale est entendue ici comme le résultat de systèmes de

redistribution, voire d’assistance, qui permet de limiter les inégalités, les

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

fractures sociales et donc les revendications. Cette dimension s’exprime dans les politiques de filets sociaux qui se répandent dans le monde (France, Brésil, Bolivie…) et s’expriment aujourd’hui dans les débats sur le revenu universel.

• la cohésion sociale par l’économie• La cohésion sociale est entendue ici comme le résultat de la répartition des

moyens de production, du capital et de l’emploi entre les individus qui font société, permettant à chacun de développer des initiatives économiques, d’investir, de vivre de son travail.

• la cohésion sociale par le politique• Enfin, la cohésion sociale peut être entendue comme la participation des

personnes et de leurs organisations (généralement désignées comme organisations de la société civile) à la construction de la vie en société à travers différents mécanismes de coconstruction de l’action publique, qu’ils soient formels ou non. Ces mécanismes de participation à la construction de l’action publique renvoient à la capacité de la société à définir un projet de société commun fédérateur dans lequel chacun se reconnaît et est en capacité de trouver et/ou de construire sa place.

Ces trois dimensions de la cohésion sociale peuvent s’analyser à différentes échelles imbriquées mais distinctes :

• à l’échelle internationalePlus que jamais, l’échelle « monde » est devenue une échelle de l’action publique qui échappe aux seules institutions pour devenir une échelle d’action et d’identification des citoyens. L’émergence des concepts de développement durable, de biens publics mondiaux puis plus récemment des communs, a réactualisé le lien entre les citoyens et la planète, soulignant la responsabilité de chacun dans la construction du monde et dans la défense de valeurs universelles295, ainsi que la responsabilité des institutions mondiales à construire et faire vivre des espaces de dialogue et de coconstruction des politiques planétaires, même si les outils institutionnels pour les mettre en œuvre sont encore embryonnaires (le système des Nations Unies n’a toujours pas de forces armées propres par exemple). Cette échelle monde voit en ce début de millénaire s’affronter politiquement, économiquement et militairement différentes conceptions du monde qui sont constituées sur des bases totalement incompatibles.

295 De plus en plus de citoyens se mobilisent, non plus pour les enjeux de leur quartier, ville ou pays, mais pour les enjeux mondiaux, globaux, planétaires comme la paix, l’environnement, les droits… Renouant ainsi, souvent sans le savoir, avec les fondements de la SDN.

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LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, ACTEURS DE PREMIER PLAN DE LA COHÉSION SOCIALE

235COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

• à l’échelle nationaleL’échelle nationale, est celle à laquelle se manifeste de la manière la plus prégnante, la plus visible la «  crise  » de la cohésion sociale et l’émergence de «  solidarités fragmentées » basées sur des projets de société, des identités différenciées qui au mieux s’ignorent et au pire se combattent.Cette situation se retrouve de manière emblématique dans la difficulté des Etats à parvenir à construire ou reconstruire des récits nationaux qui prennent en compte la diversité et la complexité des sociétés actuelles296.

• à l’échelle localeLe territoire est la brique de base de la gouvernance297. A ce titre, la cohésion sociale s’exprime d’abord au niveau local dans la capacité ou non du local à intégrer les projets et visions de société des personnes et groupes qui y vivent, ceci en lien avec le niveau national.De nombreuses analyses298 ont montré que la négation du niveau local, de son identité, de ses capacités et donc de la possibilité de se définir et de porter un projet en articulation dynamique avec l’Etat est un des facteurs de la violence politique comme expression de la perte de la cohésion sociale locale.La cohésion sociale demande donc à être conçue, portée et analysée tout d’abord à partir du niveau local299.

II. Les collectivités territoriales, acteurs de la cohésion sociale, des leçons du terrain

Les réformes de l’Etat des pays unitaires, depuis maintenant une trentaine d’années vont, avec des intensités et des calendriers différents, vers la mise en place ou l’approfondissement de processus de décentralisation qui se traduisent par la création et le renforcement des collectivités territoriales qui sont amenées à assumer

296 Une récente analyse de la « radicalisation » en France à partir de l’exploitation du fichier de traitement des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste montre que plus du tiers des signalement concerne des néo-convertis à l’islam.

297 Calame Pierre, la démocratie en miettes, 2003.298 Par exemple : Belaala Selma, Terrorisme politique et terrorisme antipolitique, le cas du djihadisme en

Algérie (1989-2007), congrès AFSP 2009299 Par exemple, dans certains pays, comme le Sénégal ou le Burkina Faso, le dialogue interreligieux entre

animistes, chrétiens et musulmans se construit d’abord au niveau local : mosquées, églises et case à fétiches coexistant sur le même territoire, les chrétiens viennent prier à la mosquée quand un musulman décède et les musulmans vont prier à l’église quand c’est un chrétien qui est décédé…

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des responsabilités de plus en plus larges (même si les transferts de ressources sont rarement concomitants  !) et surtout qui se constituent en l’espace institutionnel de proximité le plus proche des citoyens, jouant ainsi un rôle « matelas d’absorption de crise » entre les citoyens et l’Etat central, protégeant l’Etat central des manifestations et revendications des citoyens en offrant un espace de dialogue, de concertation et de résolution des problèmes.

Les collectivités territoriales sont ainsi les espaces géographiques, les lieux de régulation des rapports sociaux et les institutions en capacité -ou non- de faire vivre la cohésion sociale sur le territoire.

Deux exemples récents montrent à quel point le rôle des collectivités territoriales est primordial :

1. Le rôle du Conseil Régional de Tombouctou durant l’occupation du Nord Mali par les groupes terroristes en 2012

La région de Tombouctou, est une région extrêmement vaste (approximativement la superficie de la France) dont le peuplement est très diversifié (populations touarègues, arabes, songhaï, peuls, marka…) et marqué par une forte conflictualité tant pour des raisons politiques, que d’accès aux ressources rares que sont les terres cultivables, l’eau et les pâturages…

Le Conseil Régional de Tombouctou, institué comme collectivité territoriale depuis 1996 jusqu’à 2010 a animé, dans le cadre de la coopération décentralisée avec la Région Rhône-Alpes (France), un dispositif de développement, le PADL (Programme d’Appui au Développement Local) piloté par des représentants des différentes collectivités territoriales de la région (communes et cercles) et donc représentant la diversité ethnique et culturelle du territoire qui pendant plus d’une dizaine d’années ont été amenés à dialoguer, se concerter et décider ensemble.

En 2012, le Nord Mali (régions de Kidal, Gao et Tombouctou) a été occupé par des groupes terroristes liés à AQMI qui ont chassé toute présence de l’Etat malien du territoire.

Après un temps de flottement, le Conseil Régional a pris l’option de continuer ses activités. En conséquence, le Conseil Régional de Tombouctou, collectivité territoriale représentative des plus de 750 000 habitants de la région, a été amené à se délocaliser à Bamako, pour y regrouper ses services, tenir ses sessions et définir un nouveau programme d’action adapté au contexte de l’occupation.

Le Conseil Régional a alors opté d’une part pour rester à l’écoute de ses habitants, en faisant de fait une veille téléphonique permanente de la situation en région, et d’autre part par maintenir une présence sur place par la réalisation de missions officielles ou

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LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, ACTEURS DE PREMIER PLAN DE LA COHÉSION SOCIALE

237COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

non en région.C’est ainsi que le Conseil Régional a ouvert le premier corridor humanitaire en direction

de Tombouctou avec le Croissant Rouge, puis a mobilisé des partenaires techniques et financiers pour appuyer la campagne agricole de l’hivernage 2012 et de la saison sèche 2012 – 2013, assumant le défi de faire acheminer en zone conflictuelle des milliers de litres de carburant et des tonnes d’engrais, de manière à assurer l’autosuffisance alimentaire des populations et a participé aux comités de crise organisés localement pour organiser la relation avec les occupants…

Conséquence de cette implication, de ce lien permanent avec les différents groupes sociaux et ethniques de la région, mais aussi des actions menées par le Conseil Régional antérieurement l’occupation de la région de Tombouctou par les groupes terroristes a été une des moins dramatique sur le plan de la violence militaire liée à l’occupation puis aux conflits post-occupation entre les trois régions concernées.

Le travail de médiation, de concertation et de mise en relation permanent du Conseil Régional a contribué à éviter que la situation ne dégénère en conflit meurtrier pendant l’occupation puis pendant la période post-occupation, propice aux règlements de compte.

Le Conseil Régional de Tombouctou a permis, malgré la complexité de la situation, de maintenir une certaine cohésion sociale en région.

2. La coopération transfrontalière au Bénin dans le cadre de l’Agence Béninoise de Gestion Intégrée des Espaces Frontaliers

Le Bénin, est un pays d’Afrique de l’Ouest, dont la population est de 11 millions d’habitants et qui est riverain du Nigeria, Niger, Burkina Faso et Togo. Depuis 2002, la décentralisation y est effective, avec la mise en place de 77 communes dont 36 sont frontalières.

Partant du constat que la frontière était jusqu’à ce jour un espace délaissé par les pouvoirs publics, conçu comme une contrainte plus qu’une opportunité et se traduisant par un important niveau de pauvreté (absence d’investissement publique, mauvais accès aux services, sous-développement économique), de marginalité (absence de l’Etat) et de fait d’exclusion de ses habitants qui souvent ne savaient pas s’ils étaient citoyens béninois ou du pays voisin (nombre d’enfants étaient scolarisés dans les établissements scolaires du pays voisin !), l’Etat béninois a pris l’initiative de transformer ce qui était la Commission Nationale des Frontières, essentiellement chargée des questions de délimitation (et de donc de litiges transfrontaliers) en Agence de Béninoise de

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Gestion Intégrée des Espaces Frontaliers (AGEBIEF) visant, dans une perspective de développement territorial, à faire de la frontière une opportunité permettant de relever les défis de sécurité, paix et développement qui affectent le pays.

C’est ainsi que l’AGEBIEF a accompagné la mise en place de l’Association des Communes Frontalières du Bénin, composée de 36 communes. Dans ce cadre, elle a appuyé l’organisation de forum multi-acteurs entre communes frontalières béninoises et nigérianes des mêmes aires ethnolinguistiques (Baatonu, Boo, Yoruba-Nago…).

Ces forums ont débouché sur la mise en place de plateformes informelles regroupant les collectivités territoriales d’une même aire ethnolinguistique de part et d’autre de la frontière pour gérer ensemble ce qui fait la vie d’un espace frontalier : circulation des biens, des véhicules et des personnes, gestion préventive des conflits, résolution des questions de délimitation des espaces frontaliers, gestion de la sécurité des biens et des personnes… forgeant ainsi le concept de « diplomatie préventive locale ».

C’est ainsi que maintenant, élus locaux, corps de sécurité, autorités traditionnelles, responsables religieux des aires ethnolinguistiques riveraines se retrouvent régulièrement pour organiser le développement de leur territoire, et sont en contact permanent pour résoudre les problèmes pouvant se poser, sans recourir ni même avoir à informer les administrations centrales. C’est ainsi que récemment ce sont les autorités locales nigérianes qui ont remis aux autorités locales béninoises un document d’archive du temps colon attestant qu’un village disputé entre les deux pays était bien béninois. De même lorsqu’une brigade de la LEPI a pénétré par erreur en territoire nigérian et a été arrêtée et incarcérée par l’armée nigériane, c’est le maire de la commune béninoise frontière qui s’est déplacé au Nigeria pour résoudre le problème avec son homologue nigérian, faire libérer la brigade et la ramener en territoire béninois sans que même les administrations centrales des deux pays soient informées. Ou également sur le plan des infrastructures routières, le Bénin avait programmé la construction d’une pénétrante Ouest-Est, allant du Togo jusqu’au Nigeria. Mais la réalisation de cette pénétrante buttait sur la réalisation d’un pont et d’une voie d’accès côté nigérian. D’un commun accord les autorités locales des deux pays ont mobilisé les équipements béninois qui sont venus construire le pont et la voie d’accès en territoire nigérian sans même que les autorités nationales des deux pays soient consultées !

La coopération transfrontalière devient ici un réel moyen de construire de la cohésion sociale dans chaque pays mais aussi et surtout entre les deux pays sur l’espace transfrontalier, cette coopération s’étendant maintenant dans la surveillance conjointe des mouvements de population dans une perspective de maintien de la paix et de la sécurité dans une zone ou la présence de Boko Haram est attestée.

De nombreux autres exemples pourraient être donnés, que ce soit d’autres coopérations transfrontalières comme entre communes dominicaines et haïtiennes qui

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LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, ACTEURS DE PREMIER PLAN DE LA COHÉSION SOCIALE

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permettent de maintenir des relations humaines, sociales, économiques et politiques entre populations riveraines alors que leurs Etats respectifs sont en quasi-situation de conflit300, ou de collectivités territoriales qui mettent en place des dispositifs de concertation locaux permettant aux différents groupes sociaux présents sur le territoire de communiquer et de vivre ensemble en surmontant leurs différences sociales, religieuses ou économiques.

III. Des conditions pour que les collectivités territoriales soient des acteurs de la cohésion sociale

Le potentiel des collectivités territoriales en matière de cohésion sociale ne peut s’exprimer que si différentes conditions sont réunies, sur le plan institutionnel, structurel et personnel.

1. Conditions institutionnelles

Produire de la cohésion sociale demande de développer des mécanismes de gouvernance appropriés, basés sur :

• un référentiel de valeur ouvert, permettant d’accueillir l’autre avec ses différences, identifiées avant tout comme des potentiels et non pas des contraintes,

• des dispositifs institutionnels basés sur le dialogue, la mise en débat puis la coconstruction, dans une perspective de partage de la décision et du pouvoir, la collectivité territoriale se positionnant comme « grand horloger » plus que comme pilote, assurant la régulation d’espaces de gouvernance territoriale

• des moyens mobilisés pour traduire en action publique les orientations produites par la gouvernance.

De nombreux mécanismes sont développés qui vont dans ce sens  : budgets participatifs, conseils de quartier, reddition des comptes des autorités locales en direction des citoyens…

300 Mestre C., La coopération transfrontalière, facteur de paix. Le cas de la province Elías Piña (République dominicaine) et du département du plateau central (Haïti), in la coopération transfrontalière, levier pour la paix et le développement”. Global Local Forum, 2013.

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

On constate toutefois que ces mécanismes sont trop souvent mis en œuvre soit parce que ce sont des contraintes réglementaires (par exemple le budget participatif au Pérou est une obligation légale pour toutes les collectivités territoriales) ou des incitations fortes de partenaires techniques et financiers (en Afrique de l’Ouest, les pratiques de reddition des comptes des autorités locales sont impulsées par les coopérations internationales), ce qui amène les collectivités territoriales à les mettre en œuvre par « obligation » sans pour autant leur donner tout le sens politique qui est le leur.

2. Conditions structurelles

Pour que l’action des collectivités territoriales puisse contribuer à la cohésion sociale, il est nécessaire que les citoyens aient accès à un minimum de capacités, qui leur permette d’exister localement et d’exercer leur participation.

Ceci passe par l’accès aux moyens de production, à l’emploi, à la formation… C’est par exemple le cas dans de nombreuses villes du Brésil, où les personnes qui ramassent, transportent, trient et recyclent les ordures ménagères sont appuyées dans leur organisation, leur formation et leurs activités par des organisations religieuses, les amenant à devenir de réels interlocuteurs des pouvoirs publics locaux301.

3. Conditions personnelles

Enfin, dernière grande catégorie de condition, ce sont les conditions qui relèvent des capacités personnelles des élus et de leurs équipes à se positionner dans une attitude d’écoute, dans une attitude inclusive, bienveillante envers l’autre mais aussi dans une attitude fédérative et dans la capacité rhétorique à rassembler.

Cette dialectique entre l’écoute et le rassemblement est fondamentale pour « faire tenir » ensemble les différentes composantes de la société.

Ces conditions se retrouvent chez les élus et leurs agents, mais aussi bien entendu au niveau des citoyens et de leurs organisations. Des attitudes d’opposition systématique, de rejet de tout compromis, de toute synthèse ne peuvent permettre d’aller dans le sens de construire la cohésion sociale depuis le niveau local.

301 Mestre C., Guide méthodologique : réduire les inégalités par des politiques publiques, CIEDEL- Réseau Impact, 2009.

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LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, ACTEURS DE PREMIER PLAN DE LA COHÉSION SOCIALE

241COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

IV. Le renforcement de la décentralisation, une condition majeure de la cohésion sociale face aux défis de notre siècle.

Migration, paix et sécurité, réduction des inégalités et climat… sont autant de défis des auxquels nos sociétés sont confrontées en ce début de siècle, et qui ne peuvent être relevés qu’en partant du niveau local, qu’en amenant les collectivités territoriales à relever le défi d’une gouvernance territoriale inclusive qui intègre chacun en en respectant ses différences, mais qui permette à chacun d’exister dans le projet commun de la société locale.

Relever ce défi demande que les Etats centraux acceptent de renforcer les collectivités territoriales, acceptent de respecter leur autonomie locale, et s’inscrivent dans des démarches de construction de l’action publique nationale qui prenne en compte les innovations du niveau local.

Dans un contexte mondial de « recentralisation », où les Etats centraux sont de plus en plus frileux face aux collectivités territoriales, il est vital aujourd’hui de concevoir, développer et diffuser des argumentaires solides et basés sur des expériences locales qui permettent d’influencer les décideurs politiques nationaux mais aussi supranationaux.

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243COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Chapitre 5 : La cohésion socialeet conflit de lois302 

Ouafae Essalhi,Docteur en droit international privé et droit de la famille

de l’Université Mohamed V Agdal Rabat

Introduction

L’étude de cohésion sociale et conflit de lois vise à établir le statut juridique du concept de cohésion sociale en droit international privé. Ce principe de portée universelle est considéré comme un principe directeur du droit international privé303.

Les spécificités juridiques nombreuses du droit international privé permettront d’apprécier le contenu et les exigences dont l’objectif de réaliser la cohésion sociale se proclame doté en son sein, sous l’impulsion des interventions diverses des acteurs institutionnels304.

Du fait même de sa brulante actualité, la problématique qui s’interroge sur l’aptitude des systèmes juridiques occidentaux à recevoir telle ou telle institution du droit marocain de la famille rejoint, au demeurant, le contexte social en profondeur dans un domaine où celle-ci «  La problématique de conflit de lois  » affecte en profondeur le vécu des individus dans les relations internationales en ce qui concerne le droit de la famille305.

Constatant que derrière ce conflit de lois se dissimule une non-cohésion sociale, se plaçant sur un plan plus juridique que social306.

Dans le but de détecter et d’évaluer l’exactitude de l’influence de l’objectif de cohésion sociale dans le système juridique qui l’a créé, il conviendra de s’intéresser aux règles matérielles édictées par le législateur marocain en matière de droit de la famille

302 L’auteur tient à exprimer ses très sincères remerciements à notre cher professeur Abdallah SAAF303 Frédérique Michéa. Cohésion sociale et droit communautaire. Thèse de doctorat : Droit : Rennes 1 : 2003

sous la dirc. de Daniel Gadbin. 2003, pp.891.304 Ibid.305 Marie Claude Najm, principes directeurs du droit international privé et conflits de civilisations relations

entre systèmes laïques et systèmes religieux, DALLOZ, 2005306 H. BATIFFOL, Aspects philosophiques du droit international privé, Dalloz, 1956, n° 10, p. 21-25 et n° 21,

p. 47. On comprend, dans cette perspective, que la raison d’être du droit international privé et l’objectif général qui lui a été assigné, résident dans la coordination et la cohésion des relations familiales transfrontières.

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

et de mesurer le degré de leur comptabilité avec les systèmes juridiques occidentaux où ils ont vocation à s’appliquer307.

Il semble utile de s’intéresser aux multiples politiques judiciaires appliquées par les juridictions occidentales pour rendre compte avec précision du degré de cohésion sociale atteint au sein de la communauté marocaine installée à l’étranger.

L’universalité de l’institution du mariage ne fait aucun doute, « dans les cinq parties du monde et à toutes époques, il y a eu des hommes et des femmes et le problème de l’union des sexes s’est posé aux législateurs308. Qu’elle soit «  construite sur une base religieuse ou simplement morale, elle ne se conçoit guère sans une certaine homogénéité juridique autant que spirituelle »309.

Pourtant, sa définition varie avec le temps et les lieux et cette homogénéité juridique ne peut, souvent, qu’être « altérée  »310. Les relations franco-marocaines en sont l’illustration. La comparaison des droits positifs entre la France et le Maroc en matière de mariage est un cas courant de droit international : si dans les deux pays le mariage est un des actes les plus importants de la vie, les fondements juridiques qui encadrent cette union sont fort différents. Alors que dans le premier pays le mariage est civil, il est d’inspiration religieuse dans le second. Ainsi, les prérequis, les conditions et les modalités de la conclusion de cet acte juridique majeur sont fondamentalement éloignés.

Les nombreux mariages contractés entre Marocains et Français ont permis de développer plusieurs études et analyses relatives à la non-cohésion entre les ordres juridiques internes en matière de droit international privé311.

Dans les pays où la religion présente le fondement essentiel de la nation, tout facteur étranger, (autrement dit, non-musulman) peut être considéré comme une menace ou un danger potentiel aussi bien pour l’islamité des familles que pour la conservation des traditions nationales. L’opposition des deux Systèmes qu’il s’agisse des questions de fond (Partie  II) ou de forme (Partie  I) du mariage aboutira souvent à ce que l’on a pu qualifier de mariage boiteux, valable dans un pays mais nul dans un autre.

307 Défait, des difficultés portent atteinte à la cohérence des situations juridiques et par conséquent à la cohésion des relations personnelles et familiales présentant un élément d’extranéité, voir dans ce sens, Marie-Claude Najm, récité, p. 337 et suivant

308 H. Battifol, « Droit International privé et théorie générale du droit », in choix d’articles rassemblés par ses amis, L.G.D.J 1976, p. 340, paru originairement à la revue internationale de droit comparé, 1970, p. 661.

309 M. L. Niboyet, Traité de droit international privé, Sirey, paris, 1949, p. 127.310 Il s’agit là d’une diversité qui est familière au droit international privé. En ce sens, PH. MALAURIE,

mariage et concubinage en droit français contemporain. Archives de la philosophie du droit, T.20, p. 17.311 H. Selmaoui, le Droit civil marocain : entre droit musulman et droit

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LA COHÉSION SOCIALE ET CONFLIT DE LOIS

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I. Les conditions de forme du mariage pour les marocains résidant à l’étranger

Aux termes de l’article 14 du code marocain de la famille : « les marocains résidant à l’étranger peuvent conclure leur mariage selon les procédures administratives locales, pourvu que soient réunies les conditions de consentement, de capacité et de tuteur matrimonial le cas échéant et qu’il n’y ait pas d’empêchements légaux et pas de renonciation à la dot et ce en présence de deux témoins musulmans tout en observant les dispositions de l’article 21 »

Du point de vue théorique, le but de cet article est de prendre en considération les conditions des marocains résidant à l’étranger, en leur facilitant la procédure de mariage par le biais de la conclusion de leur mariage conforment aux procédures administratives locales. Quant aux conditions de fond, elles doivent être strictement observées, à savoir : l’échange des consentements, dix-huit ans de majorité matrimoniale des futurs époux, la présence d’un tuteur matrimonial en cas de besoin, l’absence d’empêchements au mariage, l’inexistence de clause excluant la dot, la présence de deux témoins musulmans au moment de la conclusion de l’acte, et, si l’un des fiancés a moins de 18 ans révolus, le consentement du tuteur, conformément à l’article 21. Déposer une copie de l’acte de mariage aux services consulaires marocains dont relève le lieu de la conclusion du mariage, et ce, dans un délai de trois mois, à compter de l’acte312.

A défaut de ces services, envoyer une copie de l’acte de mariage, dans le même délai au ministère des affaires étrangères à Rabat. Le législateur laisse à ce ministère le soin de faire parvenir la copie en gestion à l’officier d’état civil et au service de la justice de famille du lieu de naissance de chacun des époux. Il faudrait ajouter que si le Marocain est résidant dans un pays non francophone, l’acte doit à tout le moins être traduit en français313.

Si l’un des époux n’a pas ou les deux époux n’ont pas leur lieu de naissance au Maroc, la copie est envoyée (par le ministère des affaires étrangères) au service de la justice de famille à Rabat et au procureur du roi prés le tribunal de première instance de Rabat.

L’ensemble de ces mesures, destinées en toute bonne foi à aider les Marocains résidant à l’étranger à faire reconnaître leur mariage au Maroc, va sans doute compliquer l’existence à certains, même sur le très long terme. Car dans la pratique, certains Marocains en contact avec des consulats peuvent leur demander le certificat de célibat

312 M. C. FOBLETS et M. LOUKILI « Mariage et divorce dans le nouveau code marocain de la famille : quelles implications pour les marocains en Europe ? » Rev. crit. DIP, Juillet – septembre 2006, p 524

313 Ibid

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

exigé à leur mariage dans le pays de résidence et par la même occasion se renseigner sur les dispositions indispensables à la validité de l’acte de mariage au Maroc314.

D’autres marocains et Marocaines ne penseront pas forcément à cette démarche et ignoreront tout du contenu de la Moudawana, voire de son existence. Beaucoup ont pris la nationalité du pays de leur résidence et ne se sentent plus dans le besoin de mettre à jour leur dossier à l’ambassade ni de refaire leur passeport315.

Par conséquent, des Marocains vont se marier sans tenir compte des exigences de l’article 14 de la Moudawana. L’épouse peut, par exemple, avoir moins de 18 ans en France et pas de Wali. Ces derniers ne penseront pas forcément à la nécessité de deux témoins musulmans peut être introuvables ni même à la dot et bien entendu, ils peuvent ne pas penser au dépôt d’une copie de l’acte de mariage au consulat marocain, ni dans le délai des trois mois prévus par la loi, ni au-delà.

D’autres Marocains n’en arriveront même pas là. Le simple fait de découvrir tant de conditions à remplir et de démarches compliquées à faire peut les dissuader du mariage marocain. Il est difficile de passer plusieurs mois à se marier !316

IL est vrai que ces Marocaines et Marocains d’origine pourraient toujours régulariser leur situation au Maroc. Or, qui dit régularisation, particulièrement en l’absence de toute procédure spécifique à ce cas d’espèce, dit à coup sûr marathon administratif et judiciaire, avec des chances qu’il soit désespérément long et lent. Ces époux abandonneront la course… Ils l’abandonneront d’autant que dans leur pays de résidence en Europe, ils sont habitués à des procédures administratives hypersimplifiées qui souvent n’exigent même pas leur déplacement. Ils abandonneront aussi la course, simplement parce qu’ils n’ont pas le temps. L’humanité a de plus en plus besoin non pas d’une légalisation de délais, mais d’une législation de grâce.

Une autre observation sur les articles 15 et 16.Aux termes de ces articles, le législateur fait au Marocain qui se marie à l’étranger

et voudrait que son mariage soit valable au Maroc obligation de déposer, dans un délai de trois mois, une copie de l’acte aux services consulaires marocains ; à défaut, cette copie doit être envoyée, dans le même délai, au ministère des affaires étrangères à Rabat qui se chargera de la faire parvenir à l’officier d’état civil et au service de la justice de famille du lieu de naissance de chacun des époux, voire au service de la justice de famille de Rabat et au procureur du Roi prés le tribunal de première instance

314 Ibid315 O. Essalhi, l’application du code marocain de la famille vue le sol européen, cas franco marocain, thèse

pour l’obtention du doctorat, dirigée par le Dr Abdallah Saaf, Université Mohammed V, faculté des sciences juridiques, économiques et sociales, Agdal, 2012-2013.

316 F. Laroche-Gisserot, ‹Le nouveau code marocain de la famille : innovation ou archaïsme ?› Rev.dr.int et comparé, 2005, P. 339.

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LA COHÉSION SOCIALE ET CONFLIT DE LOIS

247COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

de Rabat, si le Marocain marié n’est pas né au Maroc317.Outre qu’il s’agit, là encore, d’un marathon administratif indéchiffrable pour le

profane, le Code ne fait aucune obligation, ni au consulat ni au ministère des affaires étrangères, d’accuser réception de l’acte de mariage envoyé par un Marocain résidant à l’étranger. Le Code ne fait aucune obligation à la justice marocaine d’informer ce Marocain ce qui est son droit que l’acte envoyé par ses soins au Maroc a bien été enregistré à tel état civil et que son mariage est reconnu au Maroc. Que doit faire ce Marocain, une fois de retour à son pays, pour vérifier que cet acte de mariage est arrivé et bien enregistré ? Aurait-il d’abord la présence d’esprit de prendre le temps de s’assurer de cet enregistrement ? Combien de jours cela lui prendrait-il sur ses vacances à la moindre maldonne ? et surtout qu’en penserait-il ? Quelles conclusions en tirerait-il ? Voilà le problème318.

Quand l’un des conjoints marocains ou d’origine marocaine mariés à l’étranger viendrait à mourir plus tard puisqu’il s’agit du destin de tout un chacun, le conjoint survivant pourrait avoir la désagréable surprise de constater que la copie de l’acte de mariage remise par ses soins au consulat ou envoyée à Rabat, plusieurs décennies auparavant, n’a jamais été enregistrée à l’état civil du lieu de sa naissance. Comment pourrait-il prouver la remise ou l’envoi de cette copie alors qu’il n’a jamais reçu d’accusé de réception ? Pas de mariage reconnu, pas de qualité d’héritier et pas d’héritage.

Comment ce conjoint survivant pourrait-il régulariser sa situation et à quel prix ? N’importe comment il le fera à fonds perdu. Le Code ne prévoit aucun règlement rapide de pareils problèmes319. 18

L’article 17 du code marocain de la famille traite des formes de la célébration du mariage dans les cas où l’une des parties, dans l’impossibilité d’être présente à la conclusion de l’acte, donne mandat à un tiers pour contracter celui-ci en son nom.

Le mandat n’est pas neuf en droit international privé marocain. L’article 10, ancien, autorisait le mandat. Le texte de l’article 17 du nouveau Code est plus détaillé.

En principe, le mariage entre époux marocains «  […] est conclu en présence des parties contractantes ».

Le code prévoit toutefois que mandat peut être donné à cet effet, sur autorisation du juge, moyennant le respect de six conditions qui sont énumérées de façon précise à l’article 17 et peuvent se résumer comme suit : circonstances particulières (1) ; écrit (2) ; mandataire majeur (3) ; identification de l’époux (4) ; précision de la dot et d’autres éléments du contrat (5) ; contrôle du juge (6).

317 Ibid.318 H. SELMAOUI, le droit civil marocain : entre droit musulman et droit français, thèse Toulouse 2006, sous

la direction de M. B. BEIGNIER, P. 50.319 M. REVILLARD, contrôle de la validité des mariages : incidences de droit international privé.

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L’article 18, nouveau, reprend intégralement le texte de l’ancien article 10, interdisant au juge de se charger personnellement de conclure, soit par lui-même, soit par ses ascendants ou descendants, le mariage d’une personne soumise à sa tutelle.

Comment comprendre la condition posée à l’article 17, 1°, qui présuppose, pour le mariage par procuration, «  l’existence de circonstances particulières empêchant le mandant de conclure le mariage en personne » ? Cette hypothèse vise-t-elle la situation des Marocains résidant à l’étranger en séjour précaire ? Est-il possible de considérer que la précarité, voire l’absence de titre séjour, les empêche de rentrer au pays d’origine et de conclure eux-mêmes le contrat de mariage ? Cette disposition est maintenue pour les cas exceptionnels d’impossibilité absolue pour l’une des parties d’êtres présente à la conclusion de l’acte320.

Il s’agit toujours d’assouplir les formalités de mariage pour les marocains résidant à l’étranger321.

Cette précision laisse entendre que le juge marocain, saisi d’une demande d’autorisation pour un marocain résidant à l’étranger de se faire mandater pour conclure son mariage au Maroc, pourra accepter l’impossibilité, pour les marocains résidant à l’étranger (MRE), sans titre de séjour en Europe, de rentrer au Maroc pour contracter un mariage, comme une situation régulière au sens de l’article 17,1°.322 21

Ce motif particulier pour maintenir le mandat en droit interne marocain risque à l’avenir de multiplier le nombre de mariages par procuration engageant des MRE se trouvant en situation de séjour précaire. L’exemple de la Belgique permet de l’illustrer. Le risque découle de la combinaison de deux règles : d’une part, le droit belge ne fait pas obstacle à la célébration au Maroc du mariage engageant des MRE, d’autre part, l’article 47 du nouveau code belge de droit international privé qui désigne le droit applicable aux formalités relatives à la célébration du mariage, dispose que celles-ci sont régies par le droit de l’état sur le territoire duquel le mariage est célébré.

IL en découle que les MRE qui retourneraient se marier au pays, seront soumis aux modalités du droit interne marocain.

IL peut en aller de même pour les MRE qui ne retournent pas physiquement au Maroc pour se marier, mais s’y marient par procuration323.

Moyennant le respect des six conditions mentionnées ci-dessus, y compris l’obtention

320 M. C. FOBLETS ET M. LOUKILI, le code marocain de la famille. Incidences au regard du droit international privé en Europe, Bruxelles, Bruylant, 2005, P 20.

321 M. C. FOBLETS et J.-Y.CARLIER, « mariage et divorce dans le nouveau code marocain de la famille… », OP. CIT, P. 540 et suive.

322 M.-C.FOBLETS et J.-Y.CARLIER, le code marocain de la famille, Incidences au regard du droit international privé en Europe du droit international privé en Europe, Bruylant, Bruxelles, 2005, P22.

323 Ibid.

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LA COHÉSION SOCIALE ET CONFLIT DE LOIS

249COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

de l’autorisation du juge marocain compétent, rien m’empêche que le mariage par procuration, engagé au Maroc par des MRE, puisse être considéré comme parfaitement légal. L’article 47 du nouveau code belge de droit international privé, en son dernier alinéa, va même jusqu’à prévoir cette hypothèse : « […] le mariage peut avoir lieu par procuration ». Cette dernière disposition pourrait surprendre, elle semble effectivement aller à contre-courant de la politique migratoire que mène un nombre croissant de pays européens ces dernières années. Celles-ci sont axées sur le renforcement du contrôle des situations ouvrant le droit au regroupement familial, le mariage constituant de loin la situation la plus fréquente324.

Aujourd’hui en Europe, on se méfie des demandes de regroupement familial, en particulier de celles qui, pour créer une situation matrimoniale donnant droit au regroupement familial, ont recours à des figures juridiques inconnues de l’ex fori. Le mariage par procuration compte parmi celles-ci, il est souvent considéré contraire à l’ordre public325. Les autorités administratives et judicaires se méfient des mariages contractés hors Europe par l’intermédiaire de personnes mandatées. En conséquence, les effets de ces mariages, notamment en matière de regroupement familial, sont contestés. Le législateur français, pour parer aux abus, a introduit voici quelques années un article 146-1 dans le Code Civil qui rend nul le mariage d’un Français à l’étranger hors sa présence.326

La Belgique a tranché en faveur d’une solution qui est à l’opposé de la position française. Une lecture combinée de l’article 47 du nouveau code belge de droit international privé vient en quelque sorte brouiller les cartes du combat mené par certains en Europe contre les mariages par procuration. Cette lecture laisse entendre que les MRE désireux de se marier au pays d’origine par l’intermédiaire d’un tiers jouissent de la sollicitude du législateur tant au Maroc, qu’en Belgique. Cela n’étonne pas de la part du codificateur marocain, qui par rapport au mandat, n’a fait que proroger

324 voyez notamment  : VAN WALSUM, Droit étrangers et vie familiale, (partie  I  : droit international et partie II : Droit national), Migrantenrechet, 2004, N° 4 et 5, p. 136-146 et 180-190 ; H. U. JESSURU D’OLIVEIRA, « regroupement familial en Europe. Les travaux du conseil de l’Europe et de l’U.E. », in migratrie-en Migrantenrechet (tome VII), Bruges, la charte, 2002, p 251-277.

325 Cass. CIV, Bruxelles, 18 décembre 1990, J.T., 1991, p242 ; voyez aussi : F. RIGAUX et M. FALLON, droit international privé, 3e édition, Larcier, Bruxelles 2005, N° 12, p. 50.

326 la dernière loi sur l’immigration du 26 novembre 2003 (dite loi Sarkozy) a encore modifié les textes du Code civil (modification des articles 63 et 170 du Code civil) sue le mariage pour lutter contre les mariages forcés et les mariages de complaisance. Les époux doivent être reçus par l’officier d’état civil (ou les services consulaires pour les mariages à l’étranger) avant la célébration du mariage (voyez : D TURPIN, « les nouvelles lois sur l’immigration et l’asile dans le contexte de l’Europe et de la mondialisation », Revu. Crit. Dr.int. pr., 2004, p 311, partie 323). En revanche, en Belgique, le nouveau code de droit international privé prévoit expressément que c’est la loi du lieu de la célébration du mariage qui détermine toutes les conditions de forme et notamment « selon quelles modalités le mariage peut avoir lieu par procuration. »

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

une situation existence. De la part du législateur belge, le choix paraît moins évident : en Belgique, la loi belge de droit interne interdit en effet les mariages par procuration.

Pour savoir si la position belge par rapport au mandat entraînera, en pratique, une recrudescence des mariages par production entre MRE, il faudra toutefois attendre de connaître l’application que feront les juges marocains de la condition posée à l’article 17 : « […] L’existence de circonstances particulières empêchant le mandant de conclure le mariage en personne  », pour permettre à des MRE de déroger au principe de la présence des deux époux à la célébration de leur mariage.

II. Les conditions de fond du mariage et leur application concernant les marocains résidant à l’étranger

S’agissant de mariage mixte, il est une règle bien établie en droit français  : application distributive des deux lois nationales concernant chacun des futurs époux. Les conditions d’aptitude se vérifient au regard de la législation de chaque époux. Dans la pratique, ces règles de conflit masquent la réalité des relations franco marocaines.

Parmi les conditions de fond du mariage, certaines (âge, capacité, consentement) concernent tout particulièrement l’aptitude de chaque conjoint au mariage, ce sont les empêchements unilatéraux. Ainsi, pour exprimer valablement son accord ou son consentement au mariage il est renvoyé aux dispositions générales concernant la capacité327.

Seules les personnes pouvant émettre un véritables et valable consentement ont la possibilité de se marier. Il s’agit d’une application normale de la capacité civile (France 18 ans – Maroc 18 ans). Chaque époux doit respecter la condition d’âge fixée par sa propre législation.

Le mariage suppose d’une manière générale le consentement des deux futurs époux, mais les législations nationales peuvent diverger s’agissant d’en apprécier l’objet et l’intégrité. Des conflits de lois peuvent surgir à ce niveau. De plus, le consentement des époux n’est pas toujours le seul requis, celui des parents a parfois à intervenir328.

Le principe ancien «  consensus facit matrimonium  » repris dans l’article 146 du Code civil : il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement », affirme la dimension personnelle du mariage.

327 O. ESSALHI, l’application du code marocain de la famille sur le sol européen, cas franco marocain, thèse pour l’obtention du doctorat, dirigée par le pr. Abdallah Saaf, université Mohammed V, faculté des sciences juridiques, économiques et sociales, Agdal, 2012-2013.

328 Ibid

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Le consentement solennisé des époux trouve place aussi bien en droit français qu’en droit marocain et se retrouve les mêmes altérations : utilisation du mariage à des fins étrangères, consentement altéré au voisinage de l’erreur ou de la fraude.

Outre ces conditions de fond du mariage qui constituent des empêchements unilatéraux ; D’autres conditions comme l’empêchement religieux vise les deux époux avec l’impossibilité d’une application distributive de chaque loi nationale ; il s’agit d’un empêchement bilatéral329.

Autrement plus sérieuse est la règle concernant les empêchements au mariage pour disparité de culte entre les époux. En droit marocain, traditionnellement, un musulman peut épouser une femme non musulmane pourvu qu’elle appartienne à une religion du livre : christianisme, judaïsme. En revanche, une femme musulmane ne peut épouser un homme qui ne soit pas de confession musulmane330.

Cet empêchement procède du coran, II, 221 « Quant au mariage de la musulmane avec le non-musulman, cela est considéré unanimement comme une apostasie à moins qu’il n’embrasse réellement l’islam331… »

Doctrine et jurisprudence françaises voient dans ce cas d’empêchement au mariage une disposition contraire à l’ordre public national et comme heurtant l’égalité des personnes et la liberté matrimoniale332

Ainsi, la disposition marocaine, qui interdit à la femme d’épouser un non musulman, est écartée car elle a été jugée contraire à l’ordre public international malgré la règle traditionnelle de droit international privé imposant l’application cumulative des empêchements333.32

Le droit musulman est la source principale de la législation familiale au Maroc. Ceci justifie la présence de l’interdiction tenant à la disparité de culte précitée. En effet, la doctrine dominante classique musulmane considère qu’il est totalement interdit à une musulmane de se marier avec un non musulman. Parmi les effets qui découlent de cette interdiction, la possibilité de faire répudier la femme musulmane de son mari apostat par le juge peut être citée.

Les arguments avancés par la doctrine dominante classique musulmane sont multiples. Les versets coraniques suivants imposent explicitement cet empêchement :

329 ASMAA MAZOUZ, La réception du Code marocain de la famille de 2004 par le droit international privé français, le mariage et ses effets, thèse pour l’obtention du doctorat, dirigée par le pr. M.  NORD NICOLAS, Université de Strasbourg, 16 décembre 2014.

330 S. PAPI, « L’influence juridique islamique au Maghreb, Algérie- Lubie – Maroc – Mauritanie – Tunisie », mars 2009

331 ASMAA MAZOUZ, OP. cit332 Ibid333 C.A. paris, 7 février 1990, JDI, 1990, p. 977.C.A. paris, 7 juin 1996, D 1996, IR, 172

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

• « Ne donnez pas en mariage vos filles à des associants, avant qu’ils ne croient. Un esclave croyant vaut assurément mieux qu’un associant, ce dernier vous plut-il334 » (verset 221 de la sourate II).

• « Croyants, quand les croyantes émigrées viennent à vous, examinez-les, mais Dieu connaît leur foi. Si vous les reconnaissez croyantes, ne les renvoyez pas aux incroyants, elles ne leur sont plus permises, ni eux ne le sont pour elles335. » (10 : LX)

Ces versets retiennent clairement l’interdiction du mariage de la musulmane avec un non musulman. Mais, comment justifier cette interdiction à sens unique ? par le fait que l’Islam a prévu une exception en faveur de la Kitabia (femme appartenant aux gens du livre), répondent certains, car celle-ci en « une religion divine » et possède un livre comme « la Torah de Moïse ou la Bible de Jésus »336.

Un autre écrit : « l’épouse Kafir ne reconnaît pas la religion de la musulmane, bien pire, il infirme son livre et renie la mission de son prophète. Aucun foyer ne peut être stable et aucune vie commune ne peut survivre en présence de cette dissemblance »337.

Autrement dit, l’interdiction du mariage de la musulmane avec un non-musulman est due principalement à ce que la femme suit généralement son mari, et l’homme à d’habitude plus d’influence sur son épouse que la femme sur son époux, ainsi que l’islam est une religion qui a un certain nombre d’objectifs y compris les deux objectifs suivants :

Le premier est que les gens le connaissent clairement sans confusion ou ambigüité, une connaissance qui les mène à croire qu’il s’agit de la vraie religion, pour cela elle a permis au musulman d’épouser une non-musulmane à condition qu’elle soit des gens du livre, à savoir  : une juive ou une chrétienne, car au moins elle croit en Dieu et la révélation, indépendamment de la nature de cette foi. Autrement dit, une juive ou une chrétienne est plus proche que d’autres de la compréhension du message de l’islam, surtout lorsqu’elle se marie avec un musulman pratiquant dans ses paroles et dans ses actes, quand elle aperçoit de son mari les mœurs de l’Islam et sa bonne conduite, son

334 Coran, Essai de traduction, J. BERQUE, ALBIN MICHEL, 1995 ? P. 56335 Le Coran, traduction de J. GROS JEAN, points 1979, p.322.336 M.KACHBOUR, « AL-Wassit fi qanoun al-ah’wal al-chakhsiya  » (précis de droit du statut personnel),

Matbâat Al-najah Al-jadida, 1999, p.153 et 154 ; A. CHAHBOUNE, « Charh’ moudawanath al-ah’wal al-chakhsiya, al-zawaj, al-talaq, al-wilada wa nataïjouha  » (commentaire de la Moudawana du statut personnel marocain, mariage, répudiation, la naissance et ses effets), Matba’ath al-Najah al-Jadida 2000, i.I, p. 112 et 113.

337 A. SABIQ, «  Fiqh al-Sunna  » (le droit issu de la Sunna) Dar al-Fikr, Beyrouth 1983, t-il, p.  92 et  94. Nombreux sont les autres qui avancent les mêmes arguments. Entre autres, M.N.AL-SHAZILI, « A’hkam al-usra fi al fikh al-islami » (les lois de la famille dans la jurisprudence musulmane), Dar al-nahda al-arabiya, 1989, Le Caire, p. 120 et 121.

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LA COHÉSION SOCIALE ET CONFLIT DE LOIS

253COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

comportement convenable envers elle comme l’islam a ordonné, cela peut causer sa conversion en islam.

Le deuxième objectif est de maintenir l’attachement de ses disciples à lui, et par conséquent il ne les expose pas à ce qui aurait un impact sur leur foi en lui, ce qui est appelé dans l’islam « La Fitna dans la religion » (l’épreuve ou la tentation dans la religion) 338.

L’article 29-5 de la Moudawana marocaine (39-4 du nouveau Code de la famille), dispose que le mariage de la musulmane avec un non musulman est nul et que la sanction nécessaire est la nullité339. La prohibition du mariage de la musulmane avec un non musulman est appliquée aux relations privées internationales par l’intervention de l’ordre public.

Cette interdiction est appuyée par la promulgation en 1960 d’un Dahir relatif au mariage entre Marocains et étrangers qui considère comme obligatoire le respect des « conditions de fond et de forme prévues par le Code de statut personnel du conjoint marocain » dans tous les mariages mixtes340.

Toutefois, au Maroc, l’interdiction peut être levée par la conversion du non-musulman à l’Islam et la satisfaction de quelques conditions fixées par des circulaires du ministère de la justice341.

Les commentateurs des Codes de statut personnel dans les pays musulmans, et qui sont dans leur grande majorité des fuqâha, adoptent quasi unanimement le même raisonnement pour justifier les textes de droit positif interdisant à la musulmane de se marier avec un non-musulman342.

«  La famille, écrivent-ils, - dans l’acte du mariage- est placée sous la direction du mari. Il l’influence et occupe la première place au foyer. Il est le responsable de l’éducation et de l’orientation des enfants. Ceux-ci prennent le nom du père et suivent sa religion. Le mariage avec un non-musulman placerait la femme musulmane dans un rang inférieur à celui de son époux kafir (incroyant, dénégateur) qui va la dominer » 343.

L’application du Code marocain de la famille par le juge français s’avère difficile lorsqu’il s’agit d’affirmer un principe considéré comme fondamental par l’ordre juridique français à savoir la liberté du mariage pour s’opposer à l’application de toutes les lois

338 M.KACHBOU, « AL-Wassit fi qanoun al a’wal al chakhsiya » (précis de droit de statut personnel), Matbâat AL- najah AL-jadida, 1999, p.155

339 K. ZAHER, conflit de civilisation et droit international privé, l’Harmattan, 2009, p. 41340 K. BERJAOUI, Mariage mixte en droit international privé marocain, Le Matin, 19 avril 2005341 Ibid342 R. NAJI ELEKKAOUI, «  la moudawana, le référentiel et le conventionnel en harmonie  » T.1, Ed –

Bouregreg, Rabat, 3e éd. 2009343 A. SADR, « Mawau’ath al-usca thahtha ri’ayat al-Islam » (l’encyclopédie de la famille sous l’égide de

l’Islam), Al- dar al-nisriya til kitab, Le Caire 1989-1990, T. ITI, P. 312

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

qui instaurent des empêchements au mariage de nature religieuse.Les mécanismes du droit international privé en France permettent de surmonter les

obstacles posés par l’empêchement au mariage pour disparité de culte.Le mariage en France d’une étrangère musulmane avec un non-musulman ne pose

pas de difficultés particulières. En revanche, si les deux époux retournent dans leur pays d’origine de l’épouse, des problèmes sont susceptibles d’apparaître344.

Les conditions de fond du mariage sont soumises, selon l’article 3, alinéa 3 du Code civil français, appuyées par la jurisprudence, à la loi nationale de chacun des futurs époux. Autrement dit, il s’agit d’une application distributive de leurs lois personnelles respectives.

Cependant, sont écartées au nom de l’ordre public international français, les lois étrangères qui contiennent des dispositions contraires aux valeurs fondamentales françaises345. L’empêchement au mariage pour disparité de culte en est incontestablement une346. L’empêchement au mariage pour disparité de culte révélé par le certificat de coutume produit par la future épouse de confession musulmane n’empêche pas la célébration du mariage.

L’instruction générale sur l’état civil prévoit que « le mariage sera néanmoins célébré à la requête des futurs époux selon la loi française, les requérants étant avertis que leur union risque de ne pas être reconnue à l’étranger347 ».

Les interdictions étrangères qui limitent la liberté du mariage sont écartées par les juges parce que contraires à l’ordre public international348. La jurisprudence est claire sur cette question. Ainsi, la disposition marocaine qui interdit à la femme musulmane d’épouser un non-musulman, est écartée car elle a été jugée contraire à l’ordre public international.

Plusieurs décisions de la Cour d’appel de Paris le confirment : la première date du 7 février 1990, la deuxième a été rendue le 7 juin 1996349. Le même résultat découle de la décision de la Cour d’appel de Paris le 9 juin 1995350. Dans ce cas d’espèce, le mari français s’appuyait sur le droit marocain qui prohibe le mariage entre une marocaine

344 H. PEROZ et E. FONGARO, « droit international privé patrimonial d la famille », préf. Gaudm et tallon, éd. Lescis nescis litec 2010.

345 M. NI BOYET, G ; DE GUFFRE et LA PRADELLE, « droit international privé », LGDJ, 2e éd., 2009346 J. DEPREZ, « statut personnel et pratiques familiales des étrangers musulmans en France, aspects de

droit international privé », in famille, Islam. Europe, le droit confronté au changement, sous la direction de M.-C.FOBLETS, L’Harmattan 1996, p 57, spéc.p 66.

347 H.BATIFFOL, P. LAGARDE, op.cit.n°413348 Trib. Civ, Pontoise, 6 août 1884, Clunet 1885, p, 296349 C.A, paris, 7 février 1990, JDI, 1990, p. 977350 C.A. paris, 9 juin 1995, D.1995, D.1996, Somm. Comm., p. 171 observations B. AUDIT

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LA COHÉSION SOCIALE ET CONFLIT DE LOIS

255COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

musulmane et un non-musulman pour invoquer la nullité du mariage351. Dans cette affaire le mari français prétendait que son mariage avec son épouse marocaine a été contracté dans le seul but de permettre à cette dernière d’acquérir la nationalité française. La Cour d’appel a commencé par rappeler que l’application distributive de la loi nationale de chacun des futurs époux ne doit pas aboutir à des résultats exorbitants des conceptions françaises352. Et d’ajouter que «  l’ordre public français s’oppose aux obstacles de nature religieuse qu’une loi étrangère établit à l’encontre de la liberté matrimoniale, telle la loi marocaine qui interdit le mariage d’une Marocaine musulmane avec un non-musulman ».

Il est clair que le mariage de la femme marocaine musulmane avec un non-musulman ne pose pas de problèmes particuliers en France, mais au Maroc, ce type d’union n’est susceptible de produire aucun effet. Malgré la conclusion de la convention d’août 1981 entre le Maroc et la France, les solutions ne sont guère harmonisées.

La méconnaissance des lois nationales des futures épouses en ce qui concerne les mariages conclus en France entre Marocaines musulmanes et non-musulmanes donne lieu à des situations boiteuses. Lorsqu’il s’agit de lois appartenant à des systèmes juridiques de traditions fort éloignées, ces types de mariages révèlent, l’incapacité des règles du droit international privé à assurer une continuité dans le traitement des relations personnelles.

Les conventions bilatérales conclues entre les pays tentent de remédier à cet état de fait afin d’harmoniser les solutions. Ainsi, la négociation de la convention franco marocaine du 10  août 1981 relative au statut des personnes de la famille et à la coopération judiciaire35352 offrait l’occasion, non de rapprocher les solutions, mais au moins d’en discuter franchement.

Les négociateurs savaient que l’union célébrée en France entre une Marocaine musulmane et un non-musulman aura des conséquences sur le plan juridique dans la mesure où cette union va être considérée valable dans un pays mais nulle dans l’autre354.

351 A cette date, l’empêchement au mariage pour disparité de culte entre une Marocaine musulmane et un non-musulman résultait de l’article 29-5 de l’ancienne moudawana

352 Certains auteurs relevèrent que «  la tendance des tribunaux est ici de ne pas tenir compte des lois étrangères dont l’application en France pourrait causer un scandale parce qu’elles contredisent notre ordre moral ou social en prescrivant des conditions ou des empêchements portant atteinte au principe de la liberté ou de la laïcité du mariage ». Voir thèse de Asmaa MAZOUZ, la réception du code marocain de la famille de 2004, op. cit.

353 Voir P. DECROUX, « La Convention franco marocaine du 10 août 1981 relative au statut personnel et de la famille et à la coopération judiciaire », Clunet 1985, p. 49 ; Aussi F. MONEGER, « La Convention franco marocaine du 10 août 1981 relative au statut personnel et de la famille et à la coopération.

354 S.ABD ALLAH, « AL-hullul al-Wad’iya fi al-alaqath al-khassa al-dawliya, khoussussan farança, misr Wa lubnan » (le droit positif applicable aux relations privées internationales, spécialement en France, en Egypte et au Liban), Dar al-ulum al-arabia littiba’a wa al-nachr, Beyrouth 1987-, p 47. L’auteur relève la constance de l’ordre

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

En effet, l’article 5 de la convention Franco marocaine du 10  août 1981 dispose que « les conditions de fond du mariage tels que l’âge matrimonial et le consentement de même que les empêchements, notamment ceux résultant des liens de parenté ou d’alliance, sont régis pour chacun des futurs époux par la loi de celui des deux Etats dont il a la nationalité ». Toutefois, l’article 4 réserve le jeu de l’ordre public.

Aux termes de l’article 5 précité, le juge français doit faire application de la loi nationale de chacun des futurs époux mais en ce qui concerne le mariage célébré en France entre une marocaine musulmane et un français, il n’hésitera pas à invoquer l’article 4 de la même convention qui réserve le jeu de l’ordre public pour écarter les dispositions de la loi marocaine prohibant le mariage d’une Marocaine musulmane avec un non-musulman355. D’un autre côté, ce mariage sera annulé par le juge marocain puisqu’une condition de fond prévue par la loi marocaine n’a pas été observée, et ce conformément à l’article 5 de la convention qui n’a guère réglé la question mais a confirmé la précarité de ces unions fragiles. Ainsi, ces mariages boiteux sont valables en France, mais nuls selon la loi marocaine. Aussi, sur le plan judiciaire, si une juridiction marocaine prononce la nullité, la décision n’est ni reconnue ni exécutée en France356.

Dans le même ordre d’idées, si la nullité a été prononcée au Maroc sur demande de l’épouse, celle-ci ne pourra pas se prévaloir en France de cette décision et devra, pour se délier de ce mariage y solliciter le divorce357.

Il est désormais clair que les difficultés soulevées par ce type de mariage ne sont pas résolues par l’application distributive des lois nationales des futurs époux35857. Et même après l’entrée en vigueur de la nouvelle convention, les risques de rejet n’ont pas disparu359.

D’autres difficultés résultent de la méconnaissance des formalités aussi bien de fond que de formes exposées ci-dessus par la population marocaine établie à l’étranger, à cheval entre deux systèmes juridiques, à savoir marocain et français.

Les entretiens360 menés ont révélé que les Marocains résidant à l’étranger n’ont

public en droit international privé égyptien. Les juges n’hésitent pas à l’invoquer pour prononcer la nullité des mariages contractés entre musulmanes et non-musulmans pour non-respect d’une règle fondamentale du droit musulman.

355 Il s’agit de l’article 29-5 de l’ancien Code du statut personnel et de l’article 39, alinéa 4 du nouveau Code marocain de la famille.

356 P. DECROUX, article précité ? p. 68.357 Ibid358 F.MONEGER, article précité, p. 57359 J. DEPREZ, « Droit international privé et conflit de civilisations, Aspects méthodologiques (les relations

entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel) », Rec. Cours Acad. Dr Inter. 1988-IV, p. 108.

360 Nous avons eu l’occasion de passer un séjour en France pendant le mois de juillet et août 2010 où nous

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LA COHÉSION SOCIALE ET CONFLIT DE LOIS

257COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

souvent pas de connaissance de leurs droits et devoirs que leur sont transmis au sein de leur cercle familial et à travers leur expérience personnelle. A défaut d’une bonne compréhension des conditions de fond et de forme relatifs à la conclusion du mariage dans le pays d’accueil exigés par leur droit national, ils ne sont pas à même d’en exiger le respect.

Des entretiens conduits avec des marocains établis en France, à diverses périodes et plus particulièrement en juillet et août 2010, ont démontré les limites de droits que connaissent ces immigrés. Ceux-ci font face à une série de problèmes dans la société d’accueil  : méconnaissance des avances enregistrées dans le domaine du droit de la famille au Maroc, non-application ou mauvaise application des nouvelles législations marocaines protectrices des femmes et des enfants, mauvais traitement de la part des missions diplomatiques marocaines à l’étranger ou des administrations marocaines lors des retours dans le pays d’origine.

Plusieurs marocains résidants à l’étranger interrogés n’étaient pas informés de leurs droits et ne savaient pas où s’adresser pour présenter leurs doléances. Elles n’étaient pas plus au courant des réformes juridiques introduites au Maroc en faveur des femmes et de la communauté marocaine résidante à l’étranger. En effet, depuis les années 2000, les droits des femmes au Maroc ont connu des avancées juridiques remarquables. Mais la communauté marocaine établie à l’étranger semble souvent ignorer ces avancées juridiques. Aussi, un certain intérêt aux droits de la Communauté marocaine établie à l’étranger est de plus en plus présent dans la législation nationale. A titre d’exemple, le Code Marocain de la famille, pour la première fois, tel que révisé le 3 février 2004361, réserve des articles spécifiques aux Marocains et Marocaines du Monde (les articles 14 et 15) en vue de leur faciliter les procédures de la conclusion du contrat de mariage à l’étranger362. Le nouveau Code de nationalité reconnaît à toutes les femmes marocaines le droit de passer la nationalité marocaine à leurs enfants issus d’unions mixtes363. Pourtant, plusieurs femmes interrogées n’étaient pas au courant des nouvelles procédures adoptées par les Codes de la famille et de la nationalité.

avons mené des enquêtes sur terrain.361 Loi 1-04622362 L’article 14 du Code de la famille stipule  : «  Les Marocains résidant à l’étranger peuvent contracter

mariage, selon les formalités administratives locales du pays de résidence, pourvu que soient réunies les conditions du consentement, de capacité, de la présence du tuteur matrimonial (wali) le cas échéant, et qu’il n’y ait d’empêchements légaux ni d’entente sur la suppression du Sadaq (la dot) et ce, en présence de deux témoins musulmans…  ». L’article 15 dispose que des copies de l’acte de mariage contracté à l’étranger doivent être obligatoirement déposées dans un délai de 3 mois aux services consulaires du lieu de l’établissement de l’acte et en l’absence de ses services consulaires au Ministère chargé des affaires étrangères.

363 L’article 6 du nouveau Code marocain de nationalité (loi n°  62-06 du 23  mars 2007) dispose  : «  Est marocain l’enfant né d’un père marocain ou d’une mère marocaine ».

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Le retour au Maroc peut parfois entraîner la violation de droits pour les jeunes filles marocaines, tels les mariages forcés qui sont justifiés par leurs parents par la peur que la jeune fille musulmane épouse un non musulman dans le pays de résidence.

En Belgique, à titre d’exemple, l’association « Insoumise et dévoilée » a fait connaître qu’elle avait sauvé en juin 2010 des jeunes filles (dont plusieurs sont mineurs) d’origine marocaine d’un mariage forcé au Maroc364.

La population marocaine en immigration a besoin d’une assistance juridique accessible. Plusieurs moyens aideraient à fournir une meilleure aide juridique à ces derniers. Il y a lieu de citer d’une part, l’amélioration des informations sur le Code marocain de la famille fourni aux praticiens du droit, aux professionnelles, autrement dit, une collaboration administrative entre le Maroc et les pays d’accueil. D’autre part, l’amélioration de l’aide juridique fournie aux marocains résidant à l’étranger en assurant une plus grande accessibilité juridique par le biais de la mise en place de centres d’assistance juridique.

Conclusion

Il résulte de cette étude sur la non-cohésion des différents ordres juridiques régissant les relations familiales dans le cadre du droit international privé qu’un effort devrait s’employer à rechercher autant que possible à atténuer les inconvénients résultant de l’opposition de ces deux systèmes foncièrement antagonistes.

Abstraction faite de la prolifération des lois dites de police ou d’application immédiate qui constituent des cas de méconnaissance des lois étrangers, l’ordre public paraît occuper une place privilégiée.

Présenté classiquement comme un agent perturbateur dans le fonctionnement de la mécanique conflictualiste, il s’est vu remanie quant à son fondement et sa technique. Si certains ont pu affirmer que l’ordre public, qu’il s’agit du « type même de la notion fonctionnelle  » et « qu’aucun lien véritable n’existe entre les différentes hypothèses où il fait son apparition, si non qu’il ne soit jamais possible de laisser la loi étrangère normalement compétente régir ces situations365  », la dimension spatio-temporelle à laquelle il sera continuellement confronté le rend sinon insaisissable, du moins en constante évolution.

La modernisation du droit marocain de la famille nécessite non seulement sa prise

364 Pour plus d’informations sur cette question, voir la Revue électronique des Marocains résidant en Belgique, Dounia News, N° 132, semaine du 9 au 15 août 2010, in : http://dounia-news.com.

365 P. LAGARDE, recherches sur l’ordre public en droit international privé, LGDJ, paris, 1959, n° 732 ;

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LA COHÉSION SOCIALE ET CONFLIT DE LOIS

259COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

en considération par les juges français mais également une remise en question de leurs grilles d’interprétation.

L’enjeu ne serait-il pas, sans pour autant être incompatible avec les principes de l’ordre juridique français, de considérer les magistrats français à l’intérêt de privilégier une démarche alliant compréhension et respect d’un droit culturellement différent ? 366

Il pourrait être intéressant d’envisager une évolution de la réserve d’ordre public vers la notion d’accommodement raisonnable. Cette notion, développée en droit interne au Canada permet d’adopter les règles juridiques à la variabilité des situations de fait367.

L’accommodement raisonnable a permis d’adopter les conditions de l’exercice d’un emploi à la diversité des travailleurs : horaires adoptés aux convictions religieuses, part d’un couvre-chef religieux plutôt qu’un chapeau par des membres de la police montée canadienne, etc.368

Ce faisant, la notion d’accommodement offre un espace de dialogue permanent au sein de la société et constitue, peut-être, de ce fait le mode contemporain le plus adéquat pour un système politique et social démocratique.369

La notion d’accommodement pourrait remplacer progressivement la réserve d’ordre public, était donné que celle-ci entend affirmer qu’un ordre instaure la supériorité d’un système sur l’autre, auquel il fait exception, alors que l’accommodement vise à réaliser une, coordination des systèmes afin de réaliser la cohésion sociale en matière de relations familiales présentant un élément d’extranéité.

366 J. Y CARLIER et C. HENRICOT, «  Belgique, de l’exception d’ordre public aux accommodements réciproques ? » étude présentée au Caire le 2 mars 2010 à l’occasion d’un séminaire organisé & par l’institut français de recherche pour le développement (I.R.D) visant à étudier les positions législatives et les pratiques judiciaires de six pays du Nord et du Sud de la Méditerranée (France, Belgique, Espagne au Nord ainsi que Egypte, Maroc, Tunisie au Sud) face à des normes ou décisions étrangères relatives au droit de la famille

367 Ibid368 Voir au Canada, les travaux de la commission consultative sur les pratiques d’accommodements reliées

aux différences culturelles (dite commission BOUCHARD TAYLOER), fonder l’avenir : le temps de la conciliation, Québec, Gouvernement du Québec, 2008, accessible sur : www.accommodements.qc.ca

369 Voir J. A. TALPIS, l’accommodement raisonnable en droit international privé, Conférences ROGER COMTOIS, Montréal, Thénus, 2009, p. 98, avec un commentaire de M, REVILLARD, in GAUDREAU LT- SESBIEN, sous la direction de J.FR, La religion, le droit et le « raisonnable ». Le fait religieux entre monisme étatique et pluralisme juridique, Montréal, Thénus, 2009.

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261COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Chapitre 6 : Le Maroc, une 3e voie entre la Famille providence et l’État-providence ?

Jean Michel Caudron,Consultant en ingénierie gérontologie

Introduction

Au Maroc, toutes les observations démontrent que l’individuation du vieillissement est très forte. Les vieux et les vieilles sont «  noyés  » dans la masse des jeunes et des enfants. Rien ne prédispose à reconnaître la vieillesse comme une classe d’âge spécifique. Le faire, c’est, essentiellement, rechercher s’il y a une politique publique.

1. Le vieillissement de la société marocaine

Le Maroc est un pays démographiquement jeune, mais le vieillissement se profile à l’horizon.

Le taux de fécondité par femme en âge de procréation est de 2,21 enfants par femme en 2014 contre 2,47 en 2004 et 7,2 en 1962. En milieu urbain, la fécondité est passée en dessous du seuil de remplacement des générations avec un taux de fécondité de 2,01 contre 2,15 en 2004 et 7,77 en 1962. En milieu rural, il s’établit à 2,55 en 2014 contre 3,10 en 2004 et 6,91 en 1962. Cette tendance laisse présager une convergence de la fécondité entre les deux milieux de vie.

De la conférence-débat du 13 octobre 2015 du Haut-Commissariat au Plan (HCP) du Maroc (2015), présentant les principaux résultats du Recensement général de la population et de l’habitat de 2014, ressortent les points suivants :

• la part des personnes âgées de 60 ans et plus représente 9,6 % contre 8,1 % en 2004, ce qui correspond à des effectifs de 3,2 millions en 2014 et 2,4 millions en 2004 et une hausse relative de 35 % durant la période intercensitaire,

• par milieu de résidence, 6 personnes âgées sur 10 (59,2 %) résident en milieu urbain,

• selon l’âge, plus de la moitié (55,4 %) est âgée de moins de 70 ans, 28,0 % de 70 à 79 ans et 16,6 % de 80 ans et plus. Un peu plus des deux tiers de ces personnes (68,0 %) sont mariés (92,2 % d’hommes et 44,8 % de femmes) et

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

près de 27,7 % sont veufs (4,8 % d’hommes et 49,6 % de femmes),• malgré leur âge avancé, près de 18,8  % de ces personnes sont des actifs

occupés (34,8 % d’hommes et 3,4 % de femmes). Ce pourcentage est de 15,1 % en milieu urbain contre 24,0 % en milieu rural,

• quant à leur niveau d’éducation, 76,4 % n’ont aucun niveau, 11,9 % sont de niveau primaire, 9 % sont de niveau secondaire et à peine 2,4 % sont de niveau supérieur,

• il est à noter par ailleurs, que 5,2 % (170 130) de personnes âgées vivent seules, dont 73 % (124 615) de femmes,

• parmi les 0,9 % de la population marocaine qui ont une incapacité totale370, plus de la moitié (50,6 %) est âgée de 60 ans et plus.

Ce phénomène de vieillissement de la population marocaine (différencié selon le genre et le milieu de vie) devrait se poursuivre de sorte que, en 2050, un Marocain sur quatre aura 60 ans et plus. Le vieillissement de la population représente, sans doute, la caractéristique démographique la plus spectaculaire que connaîtra le Maroc dans les trois ou quatre prochaines décennies. En 2060, l’effectif des 60 ans et plus devrait s’élever à 9,5 millions de personnes et sa proportion devrait atteindre 26,9 % de la population totale. Il devrait y avoir un quadruplement du nombre des « personnes âgées » entre 2004 et 2060.

Après avoir relevé le défi de la maîtrise de la fécondité, le Maroc devra en relever un nouveau, celui de l’accompagnement économique et social du vieillissement de sa population. Ce qui nous conduit à examiner de très près l’ensemble des mesures qu’on appelle politique de la vieillesse au Maroc.

2. L’émergence d’une politique de la vieillesse au Maroc

Au Maroc, sur le plan institutionnel, la problématique des personnes âgées relève du domaine de compétence du Secrétariat d’Etat auprès du Ministère du développement social, de la famille et de la solidarité chargé de la famille, de l’enfance et des personnes handicapées. Cependant, d’autres acteurs sont en charge de certains aspects spécifiques, tels que les services de santé, la couverture sociale, le revenu, l’éducation, le transport et l’habitat.

Au Maroc, la dénomination « politique de la vieillesse » apparaît la 1re fois dans le Rapport national sur le vieillissement publié par le Ministère de l’emploi, de la formation,

370 Dans les 6 domaines de l’activité quotidienne  : voir, entendre, marcher ou monter les escaliers, se rappeler ou se concentrer, prendre soin, communiquer dans sa langue habituelle (normes ONU)

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LE MAROC, UNE 3E VOIE ENTRE LA FAMILLE PROVIDENCE ET L’ÉTAT-PROVIDENCE ?

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du développement social et de la solidarité publié à l’occasion de la 2e Conférence mondiale du Vieillissement, de Madrid, en 2002.

Le ministère a procédé à l’intégration de la stratégie des personnes âgées dans son plan d’action 2008-2012, en s’appuyant sur les conclusions de la 2e Conférence mondiale tout en tenant compte des références nationales puisées dans les fondements religieux, civilisationnels et socioculturels du Maroc. Même si l’approche genre n’est pas prise en compte dans ce rapport.

Si les recommandations du rapport de 2002 n’ont été suivies qu’avec retard et de façon partielle, son apport positif a consisté à instaurer et à légitimer une nouvelle conception de la vieillesse, selon Fouzia Rhissassi371. Ainsi, les pouvoirs publics commencent à qualifier de « politique de la vieillesse » un éventail de mesures. Cette stratégie vise à prévenir la pauvreté et l’exclusion, à autonomiser les personnes âgées, à créer et développer des centres sociaux, médico-sociaux et sanitaires pour leur accompagnement professionnel, avec du personnel qualifié. Cette stratégie implique de nombreux acteurs, notamment des services ministériels, des structures d’assistance sociale, le secteur privé, des organisations caritatives et les collectivités locales. Sont développées des campagnes de sensibilisation destinées à promouvoir un style de vie sain et à encourager la solidarité entre les générations.

Fouzia Rhissassi rappelle qu’Hassan II avait déclaré que « le jour où l’on ouvrira la première maison de retraite au Maroc, notre société sera en voie de disparition ». Il a même été jusqu’à jurer en conférence de presse que, si une institution de cette nature venait à être construite au Maroc, il y mettrait le feu lui-même.

La période a changé. La présence de maisons de bienfaisance372 dans la majorité des villes marocaines est à l’origine d’une prise de conscience du vieillissement de la population. Fouzia Rhissassi cite le rapport de l’Entraide Nationale publié en janvier 2005, qui montre que la vieillesse est en passe de devenir un « drame national ». Éclatement de la cellule familiale, changement des habitudes sociales, hausse du coût de la vie, défaillance des systèmes de prévoyance sociale, accentuation des mouvements d’exode rural, etc., tout ceci, pour Fouzia Rhissassi, explique la présence de plus en plus de personnes âgées dans les hospices (même si ceux-ci restent encore en nombre restreint, une soixantaine de structures sur tout le Maroc). Dans le milieu rural, la solidarité familiale est encore une valeur très forte. On n’osera jamais mettre un proche à la rue. Mais dans les centres urbains, la situation est plutôt inquiétante d’autant plus que la pyramide des âges s’élargit d’année en année. Combien de personnes âgées vivent dans la rue ? Il semble qu’il y en a de plus en plus…

371 Chaire Unesco « La femme et ses droits », Université Ibn-Tofail, Kenitra, Maroc372 Maisons de retraite (hospices) gérées par des associations de charité musulmane

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Pour Fouzia Rhissassi, il a fallu longtemps pour faire admettre aux responsables politiques que le vieillissement est une tendance à prendre sérieusement en considération dans la mesure où elle redéfinit les rapports productifs de soutien et d’assistance entre générations.

Le rapport de l’ENPA2006373 du Haut-Commissariat au Plan expose la situation vécue par nombre de Marocains âgés :

• 62,8 % des femmes et 55,1 % des hommes âgés présentent des problèmes de santé et n’ont pas accès à un suivi médical,

• 86,7 % des personnes âgées ne disposent d’aucune assurance maladie (77,6 % dans les zones urbaines et 96,8 % dans les régions rurales),

• seuls 16,1 % des Marocains âgés de 60 ans et plus bénéficient d’une retraite (seules 3 % des femmes perçoivent une retraite, contre 30,4 % des hommes),

• 83 % des personnes de 60 ans et plus ne savent ni lire ni écrire,• si 77,5 % des personnes âgées du pays bénéficient d’une aide matérielle de

leurs proches, en particulier de leurs enfants, seules 46,9  % des personnes interrogées font office de fournisseurs d’assistance pour les membres de leur famille ou leur apportent d’autres formes d’aide.

Le Haut-Commissariat au Plan conclut le rapport de l’ENPA2006 ainsi :• «  Le changement démographique, au Maroc, comme ailleurs, comporte des

implications sociales, économiques, culturelles et éthiques dont il faudrait mesurer la portée. Aussi, est-il urgent de concevoir et de mettre en œuvre, dès à présent, des politiques de nature à faciliter la transition vers une société vieillissante où vivent plusieurs générations, ayant chacune la place qui lui revient.

• Ce phénomène multidimensionnel doit bénéficier d’une attention accrue d’autant plus que deux éléments suffisent à mettre en évidence la fragilité de cette catégorie d’âge. Le premier est le risque qui menace la solidarité familiale. Bien que l’enquête montre sans équivoque que la famille, y compris le ménage, demeure l’institution de référence pour le soutien aux personnes âgées, il n’en demeure pas moins qu’elle n’est pas immuable. De moins en moins étendue, plus mobile et plus libérée des pesanteurs sociétales traditionnelles et surtout confrontée à un nouveau mode de vie qui est différent du mode traditionnel d’antan, la famille risque de se trouver de moins en moins disposée ou préparée à prendre en charge convenablement des personnes âgées qui auront tendance à vivre plus longtemps. Le deuxième est la faiblesse des filets du système de

373 Enquête nationale sur les personnes âgées au Maroc de 2006

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sécurité sociale, 26,5 % de la population âgée ayant déjà travaillé avant l’âge de 60 ans bénéficient d’une pension de retraite en 2006.

• Les bienfaits de la solidarité familiale ne peuvent pas se substituer à l’action publique. Les politiques de soutien à la famille sont appelées à se développer dans l’avenir pour compléter, renforcer et consolider la solidarité familiale informelle. Il est ainsi nécessaire, dès à présent, d’améliorer les formes de solidarité publique qui s’exercent au sein de quelques établissements spécialisés, de soutenir les actions solidaires émanant de la société civile et de réfléchir à la mise en place et au développement de services professionnels de proximité en faveur des familles qui prennent en charge une ou plusieurs personnes âgées ».

Pour renforcer la politique publique mise en œuvre et portée par le gouvernement, un exemple de partenariat entre le secteur public, le privé et la société civile apparaît en 2005. Il s’agit de l’INDH374. Ce programme vise à appuyer le développement local à travers l’installation d’infrastructure et la mise en place de prestations sociales et, surtout, à offrir un accompagnement social aux personnes en grande vulnérabilité, essentiellement celles venues habiter les nouveaux quartiers périphériques, aménagés dans le cadre de la lutte contre l’habitat insalubre. Quant aux personnes âgées, l’INDH est à l’origine de construction d’aménagement et de rénovation de maisons de bienfaisance, centres d’accueil et infrastructures adaptées, ainsi que la mise au point de programmes d’activité appropriés.

Néanmoins, nombre des personnes âgées de 60 ans et plus ne jouissent toujours pas pleinement de leurs droits, d’abord les femmes âgées. Leur situation est préoccupante, leurs droits étant peu effectifs. Elles sont victimes de discriminations multiples. Leur vulnérabilité est renforcée du fait de leurs faibles capacités en termes d’instruction et de ressources socio-économiques et sanitaires.

Dans ses avis et rapport « Les personnes âgées au Maroc » de 2016, le CESE375 pointe que seules 20 % des personnes âgées disposent d’une couverture sociale et médicale. Leur dépendance physique et financière augmente, alors que la structuration familiale évolue, allant vers la famille nucléaire. De même, «  l’aménagement actuel inadapté de l’espace public urbain qui ne favorise ni la mobilité, ni une vie sociale épanouie pour les personnes âgées (système de transport et de transit inapproprié, état des trottoirs, toilettes publiques, bancs dans les parcs et grandes artères, loisirs, etc.) ». Le Conseil met également l’accent sur l’inadéquation des infrastructures des centres

374 Initiative nationale pour le développement humain375 Conseil social économique et environnemental

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d’accueil aux spécificités des personnes âgées ainsi que le manque de qualification et de motivation de leur personnel.

3. Une analyse prospective du rapport « Les personnes âgées au Maroc : profil, santé et rapports sociaux »

Le rapport « Les personnes âgées au Maroc : profil, santé et rapports sociaux »376 est une bonne exploitation scientifique des données brutes de l’étude 2006 du CERED377. Même si l’on voit qu’il manque d’étayage sur une approche du vieillissement propre au Maroc378, car bon nombre d’ouvrages cités concernent une approche occidentale de celui-ci, voire une approche exclusivement française, sûrement pas dans le vécu culturel et religieux du vieillissement au Maroc, entre autres sur le devoir religieux de piété filiale.

Nous voyons une certaine stabilité dans ce que vivent les personnes âgées au Maroc, au regard de l’étude précédente, de 1996. Mais l’ENPA2006 est basée exclusivement sur le déclaratif de personnes âgées sans qu’il y ait un croisement transgénérationnel avec ce que pensent et vivent leurs enfants, voire leurs petits-enfants (par exemple, sur qui est le chef du ménage [94 % des hommes âgés interrogés déclarent qu’ils le sont])379. De même, il n’est pas différencié la perception de la personne âgée qui serait restée tout le temps au Maroc et celle qui serait revenue vivre sa retraite au pays et, encore moins, celle qui la vivrait dans son pays d’accueil, quitte à faire de nombreux allers et retours avec son pays d’origine.

Néanmoins, il ressort de ce rapport que les personnes âgées, si elles attendent d’abord de l’aide des enfants vivant en ménage avec elles, puis de leurs autres enfants, elles sont demandeuses beaucoup plus de l’Etat (qui apporte pour l’instant peu, sauf en posant un cadre pour les maisons de bienfaisance gérées par des associations caritatives musulmanes pour les personnes sans famille et en développant le RAMED380) que de la famille au sens large (communauté de proximité) :

• pour l’assistance au quotidien, 45 % pensent que ce sont les enfants qui doivent les accompagner, mais 35,5 % que c’est l’Etat et seules 11,3 % la famille élargie,

• 74 % imaginent que ce sont les enfants qui devraient les accueillir, mais, par

376 Analyse des résultats de l’ENPA2006377 Centre d’études et de recherches démographiques378 Mohamed Fassi Fihri (page 97 du rapport « Les personnes âgées au Maroc : profil, santé et rapports

sociaux »)379 Abdessamad Dialmy (page 70 du rapport « Les personnes âgées au Maroc  : profil, santé et rapports

sociaux »)380 Régime d’assistance médicale

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défaut, près de 70 % de personnes âgées que c’est l’Etat qui doit le faire dans des «  institutions spécialisées  », alors qu’aujourd’hui 99,3  % déclarent ne recevoir aucune aide morale d’une institution.

Or, le taux de fécondité au Maroc est tombé à 2,21, ce qui réduit l’aide que la famille peut apporter auprès de ses membres les plus fragiles, surtout si la famille s’éclate géographiquement.

Il serait intéressant, d’ailleurs, de compléter la démarche quantitative de l’ENPA2006, en s’appuyant sur les réseaux des chercheurs en sciences sociales du CERSS381 et des associations de la société civile marocaines fédérées par la FCDM382, par :

• une démarche qualitative portant sur les perceptions sur les différentes générations adultes dans des mêmes familles, en étant vigilant sur :• l’approche genre, car (démographiquement et culturellement) le

vieillissement est vécu différemment selon que l’on soit femme ou homme (les déclaratifs de l’étude l’ENPA2006 le démontrent bien),

• l’approche migration, quand des membres des différentes générations adultes dans de la même famille vivent à l’étranger (cela peut être la personne âgée comme un de ses enfants ou petits-enfants), car une réponse en termes de services, si besoin est, pourra être variée suivant les contextes,

• une démarche territoriale (les déclaratifs de l’ENPA2006 montrent bien les contextes différents entre le milieu urbain et le milieu rural), en ajoutant un autre milieu, celui des « villes nouvelles », car le contexte d’« urbanité » y semble différent d’avec celui du quartier d’une médina (les infrastructures sociales qui permettrait cette « urbanité » entre les habitants de ces « villes nouvelles » ont souvent pris beaucoup de retard dans leur installation, provoquant un vide social et solidaire pour ces habitants venant du bled, où il existe l’entraide de la « tribu familiale », voire de bidonvilles où des formes d’entraide ont pu se développer), afin d’y repérer (et étudier comment la renforcer) comment les communautés villageoises et urbaines accompagnent aujourd’hui, en tant que société civile (traditionnelle et/ou moderne), les personnes âgées les plus fragiles.

A noter que, si à 93 % les personnes âgées interrogées déclarent n’être pas isolées, 63 % disent souffrir de solitude (25 % occasionnellement et 38 % régulièrement).

381 Centre d’étude et de recherche en sciences sociales (1er think tank pour le Maroc et le Maghreb et 11ème de la Région MENA, 26ème au niveau mondial pour l’Université de Pennsylvanie)

382 Forum civil démocratique marocain

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COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

4. Le Maroc, une 3e voie entre la Famille providence et l’État-providence ?

Dans ses avis et rapport «  Les personnes âgées au Maroc  » de 2016, le CESE recommande d’élaborer «  une politique publique intégrée de protection des personnes âgées, dotée des moyens d’accompagnement et d’évaluation, qui prenne en considération leurs droits en termes de dignité, de participation et d’inclusion sociale ».

Pour celui-ci, il conviendrait de développer la retraite et la couverture médicale pour tous, avec, entre autres, la création d’un « minimum vieillesse » dans le cadre du Fonds de Cohésion sociale. Rester au sein de sa famille (quitte à permettre à celle-ci de prendre du répit grâce à des accueils de jour) ou habiter chez des accueillants familiaux pour les personnes âgées sans liens familiaux ou en situation d’abandon doit être priorisé avant une « prise en charge totale en institution ». Si l’entrée en structure d’accueil semble être nécessaire, ces structures doivent être adaptées, avec du personnel formé… L’accessibilité dans la ville comme dans les bâtiments publics et privés doit être renforcée. L’accueil de retraités marocains revenant à la retraite au pays doit être facilité. Enfin, le CESE suggère d’investir la Journée internationale des personnes âgées de l’ONU, le 1er octobre, comme rendez-vous annuel de réflexion et d’évaluation de la situation des personnes âgées au Maroc.

Car, quels sont les besoins et les attentes des personnes âgées et de leur famille aujourd’hui et demain au Maroc ?

Si la génération des 40-60 ans est encore dans l’accompagnement des plus âgés (de peur de perdre la bénédiction paternelle, au risque d’être renié de la famille et de la religion ?), qu’en sera-t-il pour les générations suivantes ? Ne risquent-elles pas de ne plus du tout aider les plus âgés, sous prétexte qu’elles paient des cotisations sociales et des impôts ? Quelles politiques publiques permettraient donc de soutenir les familles, de manière à ce qu’elles restent dans le lien affectif, tout en prenant du répit et en pouvant être soulagées d’un certain nombre de tâches psychiques et physiques ?

Par contre, si l’Etat se doit d’assurer un filet social de subsidiarité, n’est-ce pas d’abord à la communauté de proximité d’assurer les premiers niveaux de solidarité ? Cette solidarité par la communauté auprès de la personne âgée est-elle vraiment existante  ? Comment l’aider à se renforcer, afin que chacun en voit les retombées ? Quels rôles de la société civile traditionnelle et organisée (locale et des Marocains de l’étranger) ? Y a-t-il distorsion entre la perception de la solidarité apportée par la communauté auprès de la personne âgée et la réalité de cette solidarité ? Comment les personnes âgées elles-mêmes peuvent s’impliquer dans la société civile, car très peu d’entre elles déclarent s’y investir (3 % dans le rapport de l’ENPA2006), alors qu’elles sont dépositaires, individuellement et collectivement, d’un immense capital social et

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LE MAROC, UNE 3E VOIE ENTRE LA FAMILLE PROVIDENCE ET L’ÉTAT-PROVIDENCE ?

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culturel, à porter de main des générations les plus jeunes ?Ne faut-il pas affirmer que l’accompagnement de la personne qui a du mal à

s’assumer seule, du fait d’incapacités importantes, est d’abord de la responsabilité de sa famille, mais qu’il est de la responsabilité de la collectivité nationale (par subsidiarité) de soutenir cette famille dans cette mission et de la suppléer en cas de carence, voire d’absence, de celle-ci ?

Alors, de développer une politique du vieillissement au Maroc n’est-il pas d’abord d’accroître une politique de soutien des familles ? Cette politique au Maroc ne pourrait-elle pas permettre de repenser la politique d’aide aux aidants en France ?

En tout cas, il peut être pertinent de définir le projet de vie de la personne383. L’objectif est de se réaliser sur les 5 piliers suivants (concept valide à tout âge et dans toute situation) :

• le pilier psychoaffectif (moi et mes tout proches, mon conjoint(e), mes enfants),• le pilier vie sociale (moi et les autres),• le pilier habitat (mon logement et son environnement proche),• le pilier santé (au sens de l’OMS384, c’est-à-dire « bien-être »),• le pilier ressources (pour assumer les 4 autres piliers).

S’asseoir sur un tabouret à 5 ou 4 pieds, c’est confortable, se maintenir sur un trépied commence à être mal aisé, surtout si l’on a des problèmes (divers) d’équilibre, alors que dire si un seul pilier tient le coup…

Si chacun est responsable de la globalité de la gestion de son projet de vie, il n’est pas tout à fait responsable, par contre, de tous les aléas de la vie, ni de toutes les contraintes que lui impose la société sans qu’il n’en puisse mais…

Et sa famille ne pourra pas tout compenser. Ou, encore, la personne ne voudra pas que celle-ci intervienne…

Alors à la société d’aider (avec l’annonce d’un don contre-don sûrement plus implicite qu’explicite, mais quand même verbalisé) la personne à se maintenir, tant bien que mal et si elle le souhaite, sur ses différents piliers de vie.

Pour le 1er pilier (pilier psychoaffectif), la société peut difficilement compenser une instabilité ou des ruptures (sauf à être dans une empathie bienveillante et un soutien psychologique, qui lui permettront, peut-être, de dépasser ces moments difficiles, pour son bien à elle, comme pour le bien de… tous).

Par contre, la société peut sûrement être beaucoup plus proactive qu’aujourd’hui pour compenser des difficultés passagères ou durables que pourrait rencontrer la

383 Docteur Pierre Guillet, association gérontologique du XIIIème arrondissement de Paris384 Organisation mondiale de la santé

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

personne pour gérer seule ses 4 autres piliers.Par une approche pluridisciplinaire de l’évaluation des besoins de la personne et

de son environnement, ne devrions-nous pas estimer les capacités de la personne à s’autodéterminer et/ou à gérer son projet de vie dans son milieu de vie en s’adaptant à l’évolution de sa situation et/ou à s’approprier les aides apportées pour renforcer son adaptation à son milieu de vie malgré la dégradation de sa situation, sur la base de la liberté de la personne (droit aux risques) et de son « consentement éclairé » ?

Une personne avec un lourd handicap physique peut rester « loin » dans son milieu de vie habituelle si elle est capable de s’approprier et de gérer elle-même, une fois installées, les éléments matériels et technologiques qui lui permettraient de compenser son handicap.

Pour avancer concrètement vers une 3e voie entre la Famille providence et l’État-providence au Maroc, l’objectif serait de mobiliser la société civile des Marocains au pays et du Monde, ainsi que les personnes âgées et leur famille :

• en vérifiant, auprès de la population, l’application au Maroc des différentes conventions internationales des droits de l’homme existantes385 ou en projet386 qui s’appliquent, d’une façon ou d’une autre, au champ du vieillissement sur plusieurs territoires de proximité de configuration sociogéographique différente,

• puis, en fonction du bilan repéré de cette application, en accompagnant nationalement et localement les pouvoirs publics (Gouvernement, Parlement, conseils régionaux, conseils communaux) et les organismes sociaux à se mettre en conformité avec ces différentes conventions internationales des droits de l’homme, entre autres en soutenant les familles (notamment les femmes, qui sont les plus présentes dans l’accompagnement des personnes qui ont besoin d’une aide à l’autonomie), pour que la solidarité familiale reste toujours d’actualité387,

• puis, en accompagnant localement le renforcement d’une structuration adaptée de la société civile des Marocains au pays et du Monde de manière à ce que :• celle-ci assure et assume son rôle d’interpellation des pouvoirs publics pour

le respect de ces conventions, sur la base de la démocratie participative et de la participation des Marocains du Monde voulues par la nouvelle

385 Déclaration universelle des droits de l’homme, convention internationale des droits des personnes handicapées, convention internationale des droits de l’enfant, convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, etc.

386 Convention internationale des droits des personnes âgées (cf. le projet de convention porté par la FIAPA, Fédération internationale des associations de personnes âgées)

387 Même si elle sera peut-être amenée à se modifier avec l’évolution possible de la société marocaine vers un modèle « occidental » de famille « nuclérisée »

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LE MAROC, UNE 3E VOIE ENTRE LA FAMILLE PROVIDENCE ET L’ÉTAT-PROVIDENCE ?

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constitution marocaine388,• mais aussi dans son implication, grâce à l’économie sociale et solidaire,

dans la mise en place de réponses adaptées auprès des personnes âgées et de leur famille,

• ou, encore, les Marocains du Monde investissent dans le financement de fonds de développement social local, comme dans l’apport de leurs compétences et leur carnet d’adresses,

• Enfin, d’en tirer des pistes de duplication de cette démarche de développement social local sur d’autres territoires de proximité au Maroc.

Le contexte de la nouvelle constitution marocaine permet l’émergence de démarches renforçant l’implication (encore balbutiante aujourd’hui) de la société civile dans la bonne marche des politiques publiques, en s’appuyant, entre autres, sur les articles 12, 13, 15, 136 et 139, conformément au concept de démocratie participative. De plus, cette nouvelle constitution marocaine devrait conduire au renforcement de l’implication des Marocains de l’étranger dans la vie du pays, implication grandement souhaitée par ceux-ci.

Par ailleurs, l’article 34 de la constitution donne la voie du développement des politiques publiques auprès des personnes âgées et leur famille, politiques encore peu développées aujourd’hui  : «  Les pouvoirs publics élaborent et mettent en œuvre des politiques destinées aux personnes et aux catégories à besoins spécifiques. A cet effet, ils veillent notamment à traiter et prévenir la vulnérabilité (…) des personnes âgées ».

Ou encore serviront de fond à la démarche les articles 156 (les services publics sont au service des usagers et garant de la gestion des deniers publics), 162 (le Médiateur est une institution nationale indépendante et spécialisée qui a pour mission, dans le cadre des rapports entre l’administration et les usagers, de défendre les droits), 164 (l’autorité chargée de la parité et de la lutte contre toutes formes de discrimination veille notamment au respect des droits et libertés), etc.

Enfin, la démarche entreprise permettra d’alimenter les réflexions du Conseil consultatif de la famille et de l’enfance, créé par l’article 32 de la constitution, et dont les missions sont précisées par l’article 169 (assurer le suivi de la situation de la famille, émettre son avis sur les plans nationaux relatifs à ces domaines, animer le débat public sur la politique familiale, assurer le suivi de la réalisation des programmes nationaux, initiés par les différents départements, structures et organismes compétents).

388 Promulguée par le Dahir no1-11-91 du 30 juillet 2011

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Conclusion

Une politique publique du vieillissement, annoncée constitutionnellement au Maroc, est nécessaire. L’exemple de Mayotte, terre française musulmane en Afrique, où les politiques publiques du vieillissement sont en place avant le début de la transition démographique, sera évoqué pour imaginer ce que pourrait être au Maroc une 3e voie entre la Famille providence et l’État-providence, celle de l’économie sociale et solidaire portée par la société civile, en lien avec l’ensemble des acteurs de la société…

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LE MAROC, UNE 3E VOIE ENTRE LA FAMILLE PROVIDENCE ET L’ÉTAT-PROVIDENCE ?

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• VALLIN Jacques, OUADAH-BEDIDI Zahia, BOUCHOUCHA Ibtihel (2012), «  La fécondité au Maghreb  : nouvelle surprise  », in Population et sociétés, INED, n° 486, février 2012.

• • Sources Documentaires• Conseil social économique et environnemental (2016), Avis et rapport «  Les

personnes âgées au Maroc »,• Conseil national des droits de l’homme du Maroc (2013), Document de

préparation à la consultation intersessions publique sur : « La promotion et la protection des droits de l’homme des personnes âgées au Maroc »,

• Entraide nationale (2005), Rapport sur les personnes âgées,

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

• Gouvernement marocain (2008), Projet de stratégie nationale des personnes âgées 2008-2012,

• Haut Comité consultatif de la population et de la famille de France (1962, réédité en 2014), Rapport de la Commission d’étude des problèmes de la vieillesse  : politique de la vieillesse (dit « rapport Laroque »), avec « le rapport d’information fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur la prolongation du temps moyen de la vie face aux problèmes de l’emploi et de la retraite  », par Jean-Robert Debray, in Collection Effiscience, Edition L’Harmattan,

• Haut-Commissariat au Plan du Maroc (2004), Recensement de la population et de l’habitat en 2004,

• Haut-Commissariat au Plan du Maroc (2006), Enquête nationale sur les personnes âgées au Maroc (ENPA 2006),

• Haut-Commissariat au Plan du Maroc (2006), rapport « Les personnes âgées au Maroc : profil, santé et rapports sociaux » (analyse des résultats de l’Enquête nationale sur les personnes âgées, ENPA 2006),

• Haut-Commissariat au Plan du Maroc (2006), rapport général «  50 ans de développement humain au Maroc et perspectives pour 2025 », Cinquantenaire de l’Indépendance du Maroc,

• Haut-Commissariat au Plan du Maroc et Centre des études et des recherches démographiques (2006), Rapport thématique «  Démographie marocaine  : tendances passées et perspectives d’avenir », Cinquantenaire de l’Indépendance du Maroc,

• Haut-Commissariat au Plan du Maroc (2010), Enquête nationale démographique 2009-2010,

• Haut-Commissariat au Plan du Maroc (2011), Rapport « Capacité fonctionnelle des personnes âgées au Maroc », in Cahiers du Plan n° 36, juillet août 2011,

• Parlement marocain (2011), Nouvelle constitution marocaine, promulguée par le Dahir no-11-91 du 30 juillet 2011,

• Haut-commissariat au Plan et CEPII (2012), Etude sur «  La soutenabilité du système de retraite à la lumière de la transition démographique au Maroc »,

• Haut-Commissariat au Plan du Maroc (2015), Population légale d’après les résultats du Recensement général de la population et de l’habitat 2014, in Bulletin officiel n° 6354,

• Haut-Commissariat au Plan du Maroc (2015), Note sur les premiers résultats du Recensement général de la population et de l’habitat 2014,

• Haut-Commissariat au Plan du Maroc (2015), Allocation, lors de la conférence-débat du 13 octobre 2015, d’Ahmed Lahlimi Alami, Haut-commissaire au Plan,

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LE MAROC, UNE 3E VOIE ENTRE LA FAMILLE PROVIDENCE ET L’ÉTAT-PROVIDENCE ?

275COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

présentant les principaux résultats du Recensement général de la population et de l’habitat de 2014,

• INED (2015), dossier thématique « Démographie du Maghreb : Contraception, évolution de la famille : les pays du Maghreb changent. L’inattendue remontée de la fécondité en Algérie est l’une des différences entre les trois pays »,

• Ministère de l’Emploi, de la Formation professionnelle, du Développement social et de la Solidarité (2002), Rapport national sur le vieillissement et le projet du plan d’action national pour la protection des personnes âgées, à l’occasion de la Conférence mondiale du Vieillissement de Madrid de 2002.

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277COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Chapitre 7 : Appréciation « genrée » du processus de la planification stratégique Communale : Cas du Plan Communal de Développement de la commune rurale de Tamda Noumercete.

Fatima Idrissi KhaoulaniChercheuse en sciences politiques - Faculté des Sciences Juridiques Economiques et

Sociales Rabat-AGDAL

Résumé

La présente enquête s’intéresse aux faits et représentations relatifs aux  ; rôles sociaux, rapports de genre, et enjeux du contexte de l’intégration du genre, dans les processus de la planification stratégique communale.

De ce fait, l’objectif poursuivi dans cette étude est d’analyser les rapports sociaux dans le contexte rural de Tamda Noumercete, selon l’approche de triple rôle (reproductif, productif et communautaire) fondé sur l’observation des mécanismes susceptibles d’entraver ou d’appuyer le processus d’intégration de l’approche genre dans la planification stratégique communale. Il s’agit également d’identifier les enjeux conditionnant la promotion de la cohésion sociale comme étant un processus dynamique qui vise à créer du commun et de l’égal. Et enfin, d’offrir des chances similaires à chacun en incluant la notion de reconnaissance dans les particularités (besoins pratiques et intérêts stratégiques des femmes)

Ce travail qui a porté sur trois douars, à savoir  : Talha, Mizaden et Tassa, de la commune rurale de Tamda Noumercete, a été mené dans le cadre d’une approche qualitative. A ce propos, une panoplie d’instruments et de techniques de recherche a été adoptée permettant ainsi la réalisation de notre enquête. L’observation participante et les récits de vie sont les principales techniques d’investigation utilisées pour analyser les rapports sociaux dans les trois douars susmentionnés de la commune de Tamda Noumarcete. Elles ont permis de tracer une synthèse d’observations « du genre », qui offre un ultérieur élément de diagnostic des relations de genre en déterminant les contraintes dans lesquelles les relations sont enserrées et les formes d’évolution en cours.

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Les résultats empiriques ont amené à valider notre hypothèse de départ concernant la relation entre le genre et la vision de développement attestant que la structure inégalitaire des rapports sociaux entre femmes et hommes est dotée d’une remarquable persistance. Concernant la sensibilité du Plan Communal de Développement au « genre » dans la commune de Tamda Noumercete, les considérations y sont quasi-absentes, et ce, de par l’élaboration du PCD et de par ses acteurs communaux.

Il est clair que l’approche du « genre » et la promotion de l’égalité des sexes en tant que vecteurs de développement local sont loin d’être bien intégrée dans nos communes et a besoin d’être réévalué.

Mots-clés  : genre, gendérisation, planification stratégique communale, analyse genre, rôles selon le genre, rapports de genre, égalité homme femme, cohésion sociale, Plan Communal de Développement, politiques de développement local, planification sensible au genre, plaidoyer, Maroc, Azilal, Tamda Noumercete.

I. Introduction

Dans le contexte d’après la constitution de 2011, l’évolution sur la question de l’égalité Femmes – Hommes est certaine. Dans l’étape actuelle marquée par la montée de l’intérêt à l’égard du développement local, et les concepts qui sont consécutifs comme la participation, la citoyenneté et la planification communale, la question de l’intégration du genre dans le processus de planification locale revêt une importance particulière.

Nonobstant, la « genderisation » des politiques et stratégies de développement reste tributaire de la volonté politique des décideurs et leur appropriation de la perspective «  genre  », dépendant largement de plusieurs facteurs et enjeux contextuels qui influencent et façonnent la vision du développement. En effet, la nature des relations de genre qui règne dans la société impacte inéluctablement le processus de conception de la décision dans sa mise en œuvre et son évaluation. D’autant plus que, les démarches méthodologiques et les conditions pratiques de l’intégration de la perspective genre dans les processus de développement soulèvent de nombreux questionnements et controverses quant à ses modalités d’application et de sa mise en œuvre.

Les processus de développement basés sur le genre prennent l’égalité comme valeur fondamentale « un projet de société » ; c’est donc un but qui doit être promu à travers des approches permettant d’identifier les inégalités et d’y remédier. L’approche genre est donc une stratégie permettant aux processus de planification locale d’être plus efficaces en répondant mieux aux besoins et priorités des citoyennes et citoyens

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APPRÉCIATION « GENRÉE » DU PROCESSUS DE LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE COMMUNALE

279COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

en utilisant mieux les ressources en général et les ressources humaines en particulier les femmes. Toutefois, l’intégration systématique du genre reste très insuffisante au niveau de la planification locale. Ainsi, des obstacles d’ordre social, économique, culturel, institutionnel et politique se dressent encore avec persistance contre l’égalité des sexes, et ce, malgré les efforts consentis dans ce sens. Ces problèmes sont liés principalement aux soubassements de résistances face à l’égalité Femmes-Hommes et aux représentations stéréotypées de la masculinité et de la féminité qui sont de l’ordre d’un construit socioculturel391.

Pour mieux comprendre l’influence des rôles et rapports de genre et leur répercussion sur le développement local et repérer les dynamiques et pratiques susceptibles d’entraver ou d’appuyer le processus d’intégration de l’approche genre dans la planification locale. Le présent article vise à analyser les rapports sociaux dans le contexte rural de Tamda Noumercete, selon l’approche de triple rôle (reproductif, productif et communautaire). Il cherche à mettre en avant les zones de résistances et les enjeux conditionnant la promotion de la cohésion sociale comme étant un processus dynamique qui vise à créer du commun, de l’égal, d’offrir les mêmes chances à chacun et qui touche à la notion de reconnaissance dans les particularités (besoins pratiques et intérêts stratégiques des femmes).

1. Intérêt et objectifs de l’étude

L’objectif poursuivi dans cette étude est d’analyser comment les normes sociales et enjeux contextuels façonnent la vision du développement et d’étudier l’impact des rapports de genre dans le contexte rural de Tamda Noumercete sur le processus de conception de la décision locale. Il s’agit de repérer les lignes directrices fondamentales pour une intégration influente et non accessoire du genre qui cherche consciemment à réduire les inégalités entre les femmes et les hommes et promouvoir la cohésion sociale.

L’intérêt est donc d’étudier l’impact des relations de genre sur la situation des femmes et des hommes et leur influence sur les processus de la planification communale et le développement local. Comme le titre l’indique, il s’agit de déterminer les facteurs qui façonnent les rapports de genre en repérant les lignes directrices fondamentales pour une intégration influente et non accessoire du genre qui cherche consciemment à réduire les inégalités entre les femmes et les hommes et favorise la cohésion sociale

391 Dominic Bizot. Septembre, 2011 : L’apprentissage transformationnel de la masculinité. Thèse présentée à la Faculté des sciences de l’éducation en vue de l’obtention du grade de Philosophie Doctor Ph.D.) en sciences de l’éducation. p 9

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

pour un mieux vivre ensemble au sein de la communauté.

2. La problématique de l’enquête

La problématique centrale de cette recherche est de s’interroger sur l’influence des facteurs et enjeux contextuels sur la vision du développement, et comment les rapports de genre impactent le processus de conception de la décision locale de par sa mise en œuvre et son évaluation.

Le postulat de base sous-entendu dans cette problématique est que les paramètres contextuels, les systèmes de valeurs intériorisées, ainsi que les normes sociales, déterminent la nature des rôles et rapports de genre et influencent par conséquent, les processus de développement local. Les changements et les retombées de développement peuvent donc, aller dans le sens d’un renforcement des inégalités comme dans celui de leur réduction, voire de leur suppression. Ceci aura inéluctablement des répercussions sur les liens sociaux qui unissent les hommes et les femmes au sein de la communauté.

3. Questions de recherches A la lumière de ce qui précède, la problématique de notre enquête se formule sous

les questions suivantes :

Quelle est la nature des rôles et rapports sociaux entre les femmes et les hommes dans le contexte de Tamda Noumercete ? Sont-ils des rapports de domination ou de complémentarité ? Leur analyse contribue-t-elle à modifier la compréhension et la voie de développement que les décideurs tendent à produire ? Aussi, le contexte local est-il en évolution continue et favorable à l’égalité hommes femmes ?

Et ainsi, quelles seraient les perspectives susceptibles de rapprocher la planification communale des aspirations et besoins de tous les groupes de la population, notamment les femmes, et de la rendre sensible au genre afin de s’inscrire dans la volonté ambitieuse visant l’égalité entre les hommes et les femmes ?

4. Hypothèse de travail

Les réflexions approfondies sur les divers éléments de la thématique et des résultats des pré-enquêtes donnent la possibilité de supposer que les normes sociales et les paramètres contextuels conditionnent la nature des rôles et rapports de genre et influencent les processus de développement local. Ceci constitue la trame de fond de

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APPRÉCIATION « GENRÉE » DU PROCESSUS DE LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE COMMUNALE

281COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

l’hypothèse principal qui sous-tend ce travail. Ainsi, l’on s’attend à ce que l’analyse des données confirme :

• H 1. Les politiques locales de développement interrogeant les relations de pouvoir sous-jacentes au genre, peuvent renouveler la conception de la planification locale et du développement territorial ;

• H 2. Cette planification, dans ce cas-là, est susceptible de modifier les relations de genre en place et de prendre en compte les besoins et intérêts de la population notamment les femmes ;

• H 3. Les changements, à ce moment peuvent aller dans le sens d’une réduction des inégalités et de consolidation de la cohésion sociale et ce, en fonction du contexte socioculturel, politique et économique.

5. Cadre conceptuel de travail

Envisager une problématique pareille suppose donc le passage à travers la serrure d’un appareil conceptuel

a) Planification Stratégique communale :

La planification communale peut être définie comme une des formes d’anticipation du futur. Elle comporte une vision, des objectifs à atteindre dans un temps déterminé, un cheminement à suivre, et une stratégie de mise en œuvre. Elle se doit d’être réaliste et opérationnelle.

Elle est stratégique, car les objectifs tracés émanent de la décision politique locale qui opère des choix à caractère structurel dans un environnement englobant qui engage l’avenir de la collectivité, détermine les voies à suivre et les moyens à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs.

Elle est également participative car elle associe toutes les sensibilités politiques locales, les opérateurs socio-économiques et les populations, pour dresser le portrait de la situation présente de la commune et préfigurer la situation future souhaitée392.

b) Plan communal de développement :

Le PCD est une feuille de route qui contient une vision de développement partagée et

392 Ministère de l’Intérieur (DGCL) Projet de guide pour l’élaboration du plan communal de développement (PCD) selon l’approche de planification stratégique participative. Juin 2008

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

concertée pour six ans avec une priorisation des besoins, des orientations stratégiques et des objectifs clairement définis, un support de toutes les actions de développement prévues sur le territoire de la commune, des ressources et des dépenses prévisionnelles afférentes aux trois premières années de mise en œuvre du plan. C’est un moyen d’évaluation de l’action des autres acteurs de développement sur le territoire de la commune.

c) Rôles selon le genre :

Ce sont les rôles distribués aux hommes et aux femmes sur la base de ce que la société attend de chacun et non sur la base de leurs capacités réelles. Ces rôles fondés sur le sexe étaient attribués dans le sens d’un idéal social. La question est de savoir si de nos jours une telle attribution basée sur le sexe répond véritablement à un idéal social qui permet l’épanouissement de l’homme et de la femme et la participation pleine de chacun au développement.

d) Rapports de genre :

Ce sont des relations que la société autorise et/ou établit entre les hommes et les femmes selon les références culturelles, traditionnelles ou religieuses. En général, ces rapports créent des inégalités entre les deux sexes. Ces inégalités empêchent la personne qui les subit d’apporter sa contribution au développement de la société et de faire valoir ses compétences.

e) Gendérisation du PCD

C’est la prise en compte de la dimension genre dans l’élaboration des PCDs qui permet d’intégrer les priorités et les attentes des hommes et des femmes lors de l’élaboration, de la mise en œuvre et du suivi des PCDs, et ce en :

- Assurant la participation active des femmes à toutes les étapes du processus de planification ;

- Garantissant la prise en compte des besoins et intérêts différenciés des femmes et des hommes dans la définition de la vision, des objectifs et des indicateurs ;

- Utilisant, développant et perfectionnant les outils de l’approche genre adaptés au contexte marocain393 ;

393 Maroc – Union Européenne Programme d’Appui à la Politique Sectorielle du MSFFDS en matière d’égalité Rapport de situation sur la mise en œuvre Du Plan Gouvernemental de l’Egalité 2012-2016

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APPRÉCIATION « GENRÉE » DU PROCESSUS DE LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE COMMUNALE

283COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

6. Fondements théoriques

La présente recherche s’inspire de plusieurs approches afin d’enrichir le champ d’investigation de manière à pouvoir tester nos hypothèses principales et bien d’autres plus concrètes et plus opérationnelles. Leurs fondements théoriques s’inspirent beaucoup des travaux d’un certain nombre de chercheurs en la matière, comme des travaux de Caroline Moser avec son cadre d’analyse du profil d’activités, accès et contrôle, ou encore Sarah Longwe et Naïla Kabeer avec leur modèle sur les relations sociales et de John Friedman sur l’Empowerment.

Avec son cadre d’approche sur le triple rôle attribué aux femmes du monde entier – productif, reproductif et communautaire, Caroline Moser a repris les mêmes catégories que celles définies par Harvard394 mais insiste beaucoup plus sur le renforcement de la position sociale et du statut des femmes. Distinction est faite entre les besoins pratiques des femmes qui sont relatifs à leurs conditions immédiates de vie et leurs intérêts stratégiques qui impliquent des changements dans la répartition des charges et des pouvoirs entre les sexes. Tout processus de planification, sans négliger des actions pratiques, devrait viser des changements stratégiques visant l’égalité entre hommes et femmes. La version de Moser est “éclairée” certes, mais elle reste, selon d’autres chercheurs ; bureaucratique, “top down” et très institutionnelle395.

Une seconde catégorie de chercheurs notamment Sarah Longwe comme Naïla Kabeer a interpellé fortement le modèle de Harvard. Elles lui reprochent d’entretenir l’illusion que des planificateurs pourraient trouver des réponses purement technocratiques, grâce à une bonne information, en agissant sur des données qui apparaissent faussement neutres ou fonctionnelles, en particulier celles concernant la répartition des tâches entre les sexes. La prise en compte des conflits, la réflexion sur le pouvoir et ses référents symboliques ainsi que l’analyse des structures sociales profondes sont par trop évacuées. Sarah Longwe fait donc de « l’empowerment » une notion centrale. Sont ainsi à privilégier les actions qui permettent aux femmes de peu à peu mieux contrôler leur devenir et les choix qui les concernent. Naïla Kabeer, insiste sur la nécessité

394 Le cadre d’analyse de Harvard : créé par des chercheurs de l’Institut pour le développement international de Harvard aux Etats-Unis, cet outil de collecte de données permet d’organiser et de répartir l’information recueillie dans différents tableaux. Il peut ainsi s’adapter à de nombreuses situations pour servir de formation et de sensibilisation tant pour les organisations de développement que pour la communauté ciblée. Il est composé de trois éléments/outils étroitement liés car complémentaires :- Le profil d’activité “les rôles sociaux” - Le profil d’accès et de contrôle - L’analyse des facteurs déterminants

395 Kabeer Naila,Triple Roles, Gender Roles, Social Relations: The Political Sub-Text of Gender Training, Institute of Development Studies, Sussex (Discussion Paper), 1992

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

de projeter l’éclairage de la relation masculin/féminin sur l’organisation sociale et économique dans son ensemble (communauté, État, marché…) ainsi que sur toutes les institutions concernées.

Un troisième courant de recherche prône un modèle basé sur «  l’empowerment » social et politique, mais aussi psychologique, des individus et des ménages. Selon John Friedman, il faut rééquilibrer les structures de pouvoir inégalitaires dans la société de manière à ce que l’État devienne davantage responsable de ses actions, que le pouvoir de la société civile soit accru et que les grandes corporations soient plus responsables socialement396.

Ces cadres analytiques adoptés, vont procurer un cadre permettant de relier les rôles et rapports sociaux à la lumière du genre et de repérer les dynamiques et analyser les structures de pouvoir inégalitaires dans la commune de Tamda Noumercete.

II. Approche et techniques de collecte des données

Pour accomplir les opérations qu’implique notre recherche et tester nos hypothèses, nous avons opté pour une méthodologie qualitative conciliant divers instruments de recherche en sciences sociale. Ainsi, l’enquête était de caractère plus exploratoire, avec un fort accent sur la description et l’analyse, une focalisation sur la compréhension des phénomènes et le développement de théories visant à comprendre de la manière la plus complète possible les données recueillies397. Une revue documentaire a été opérée où les notions du genre et de planification locale ont été revues dans le contexte local de Tamda Noumercete en mettant en exergue les facteurs favorisant l’intégration ou l’éviction du genre. L’opportunité de connaître ces particularités locales nous aide à la compréhension de la diversité tant des représentations que des perceptions des acteurs. Elle favorise un regard pluriel sur les expériences des femmes et des hommes, leurs vécus et leurs pratiques ainsi que les liens qui les unissent.

La phase exploratoire de notre enquête a commencé par la prise de contact des institutionnels responsables au niveau de la commune de Tamda Noumercete et de la préfecture d’Azilal (DAS), ainsi que des services extérieurs. L’objectif étant de recueillir les premières données quantitatives et qualitatives disponibles afin de mieux appréhender le contexte de la réalité des relations du genre dans les environnements immédiats de la commune de Tamda Noumercete.

396 John Friedman. Empowerment: the politics of alternative development 1992, p. 31397 Felix Bühlmann et Manuel Tettamanti. 2007  : Le statut de l’approche qualitative dans des projets de

recherche interdisciplinaires. RECHERCHES QUALITATIVES – Hors Série – numéro 3. Actes du colloque bilan et prospectives de la recherche qualitative © 2007 Association pour la recherche qualitative. ISSN 1715-8702.p 196

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APPRÉCIATION « GENRÉE » DU PROCESSUS DE LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE COMMUNALE

285COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

L’objectif de la pré-enquête menée est de recadrer notre curiosité autour des dimensions signalées par la question de départ. La recherche s’est intéressée aux faits et représentations relatifs aux rôles sociaux et rapports de genre ainsi que leurs retombées sur la cohésion sociale. Comme résultats, un ensemble d’idées nouvelles a été acquit et permet de mieux affiner les axes stratégiques de notre recherche. La pré-enquête était un préalable nécessaire pour l’élaboration et la finalisation de la méthodologie de notre recherche. C’est ainsi que la méthodologie qualitative est révélée la plus appropriée et est donc retenue. De ce fait, le processus de recherche est dans la continuité d’une logique circulaire398 dont nous avons alterné constamment entre la visite du terrain et l’analyse du matériel récolté, dans le but d’utiliser les connaissances obtenues pour réorienter la recherche.

1. L’observation participante

La revue documentaire est soutenue par une observation systématique participante. Cet instrument issu des méthodes de l’anthropologie399 permettant ainsi d’analyser et d’examiner les rapports sociaux dans la commune de Tamda Noumarcete400au niveau de trois douars à savoir Talha401, Mizaden402 et Tassa403, et ce, selon l’approche de triple

398 Joséphine Mukamurera, France Lacourse Yves Couturier 2006 : Des avancées en analyse qualitative : pour une transparence et une systématisation des pratiques. Recherches Qualitatives− VOL. 26 (1), ISSN 1715-8705 – © 2006 Association pour la recherche qualitative. Consulté le 15/10/2012 http://www.recherche-qualitative.qc.ca/Revue.htm

399 Laurent Gubert «  Méthodes qualitatives en sciences sociales  » de l’Ecole Normale Supérieure de Cachan :http://www.melissa.ens-cachan.fr/article.php3?id_article=926

400 Annexe n° 1 : Carte n° 1 : Situation géographique du Territoire de Tamada Noumercete401 Douar Talha  : Zone connue par sa terre riche et fertile et féconde et constituant un château d’eau

inépuisable, d’une population d’environ 2000 habitants selon l’HCP en 2004, situé a 1300 m d’altitude, été 40 degré Celsius hiver 5 degré Celsius en moyenne, accessible via azilal par une piste peu praticable en hiver & en cas d’orage d’été, distant de 3 km de la ville d’Azilal et de 36 km des cascades d’Ouzoud, Activité économique : agriculture deux aspects Bour & irrigation en terrasse produisant des légumes de consommation locale et Orge, blé dur et tendre, mais, luzerne, légumes bios ; amande, noix, olives, huile d’olive, miel, caroube, l’élevage de caprins, bovins, pommier, Couvert végétal : chêne vert, genévrier rouge, eucalyptus, buissons, les Habitats naturel et traditionnel avec surgissement des habitats type actuel, la faune est dominée par sangliers, loups, renards, lièvres, Sol & sous-sol : schiste, calcaire, argile, ardoise.

402 Douar Mizaden : une agglomération d’une population de 80 habitants dont 30 Femmes, le douar distant de 2 Km de la ville d’Azilal par une pistes impraticables en hiver & en cas d’orage d’été et de 36 km des cascades d’ouzoud, zone montagnarde a 1400 m environ d’altitude, été 40 degré Celsius hiver 5 degré Celsius en moyenne, Activité économique : agriculture Bour, le produit essentiel Orge, blé tendre, blé dure, amande, miel, caroube, élevage de caprins, bovins, mulets, le Couvert végétal dominer par le chêne vert et le carobier, la zone est bien connue par la production de figuier de barberie, les Habitats naturels traditionnels, la faune sauvage est dominée par des espèces de : sangliers, loups, renards, lièvres, et des ardoises

403 Douar Tassa : Zone forestière connue par sa terre riche et fertile et féconde et constituant un château

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

rôle404. L’approche par observation nous a permis d’aller au-delà de la description de l’espace et de ses acteurs en situation, en mettant leur dynamique, leur trajectoire et leur vécu sous projecteur. Cette démarche nous a facilité la compréhension des significations que les acteurs se font du genre, de planification locale et du développement local. De ce fait, une grille d’observation405 définissant les grands cadres d’analyse issue de notre propre perception de l’objet de la recherche a été développée où nous avons consigné régulièrement à la fois les notes strictement descriptives, qui vont du repérage sur le vif au compte rendu exhaustif, et les réflexions personnelles concernant divers aspects et étapes de la recherche.

En plus d’identifier les différences entre des hommes et des femmes en termes de rôles sociaux, il semble utile de déterminer même les différences existantes entre les femmes elles-mêmes car il n’est pas possible de considérer «  les femmes  » comme un groupe homogène. Par conséquent, les variables qui doivent être considérées dans l’observation d’un tel groupe social sont différentes. En effet, la propriété, l’appartenance de classe, le niveau d’instruction, l’identité linguistique, sont autant des facteurs qui influencent la vie des femmes ? Existe-t-il une différence entre les amazighophones et les arabophones ? Et entre les propriétaires et les khamass ? Est-il possible d’observer que les femmes d’origine arabe vivent une subordination ? Nonobstant la pertinence et la légitimité de ces questionnements, il s’est avéré plus aisé de se limiter à l’observation de la participation des femmes et des hommes dans les activités reproductives, productives et communautaires. L’accent est mis principalement sur la répartition des tâches ménagères, la division du travail, l’accès et le contrôle des ressources, l’accès à la santé et à l’éducation et la participation dans la sphère publique et politique.

d’eau inépuisable, d’une population de 534 habitants dont 50 Femmes, situé à 1450 m d’altitude, été 40 degré Celsius hiver 5 degré Celsius en moyenne, accessible via azilal par la route goudronner menant a Ait M’hamed et par une piste impraticable en hiver & en cas d’orage d’été, distant de 6 km de la ville d’azilal et de 42 km des cascades d’ouzoud. Les activités prédominantes sont  : agriculture a deux aspects bour& irrigation en terrasse produisant des légumes bios de consommation locale, les céréales dominer par la culture d’Orge, blé dur et tendre, mais, luzerne, amande, noix, miel, caroube, L’élevage des caprins, ovins, pommier, le couvert végétal dominer par le chêne vert, genévrier rouge, eucalyptus, buissons, les Habitats naturel et traditionnel avec surgissement des habitats type actuel, la faune est dominée par sangliers, loups, renards, lièvres, Sol & sous-sol : schiste, calcaire, argile, ardoise.

404 Naila Kabeer. November 1992 : Triple rôle, rôles selon le genre, rapports sociaux : Le texte politique sous-jacent de la formation à la notion de genre. Cahiers genre et développement University of Brighton, Institute of Development Studies. Discussion Paper n° 313 op .cit.p.59

405 Annexe n°2 : Grille d’observation

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APPRÉCIATION « GENRÉE » DU PROCESSUS DE LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE COMMUNALE

287COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

2. Récit de vie

L’approche par observation a été complétée par l’approche biographique à travers les récits de vie406, traçant les trajectoires sociales et professionnelles et expériences personnelles de certaines femmes leaders de la commune qui ont réussi à affronter les discriminations que subit la femme rurale dans la région d’Azilal, et plus particulièrement, dans la commune rurale de Tamda Noumercete. Le récit de vie407en tant que méthode qualitative congruente pour appréhender le sens des phénomènes humains à travers leurs temporalités408, tels que la construction identitaire individuelle, les trajectoires sociales, les changements culturels, nous a permis d’appréhender l’identité sociale, la position et la posture sociopolitique des femmes leaders interrogées. Cette approche nous a permis ainsi d’ouvrir l’accès aux attitudes, préférences, opinions et représentations, dans le cadre du développement local, des rapports de genre, et de la cohésion sociale.

Prenant appui sur un discours libre, les interviewées étaient invitées à retracer leurs trajectoires individuelles, en relatant leurs expériences comme activistes leaders en matière de développement et les droits humains des femmes, ou encore, comme responsables dans les instances dirigeantes au niveau de la commune. L’objectif étant de connaître leur vision unique, leurs perceptions par rapport aux triples rôles sociaux à savoir le rôle reproductif, productif et communautaire. Pour protéger l’authenticité des témoignages, ceux-ci ont été transcrits en conservant les propos ainsi que le niveau de langage de la personne interviewée.

III. Techniques d’analyse des données

Même si l’approche qualitative ne dispose pas des outils statistiques de l’approche quantitative, il est impérieux de faire preuve d’une grande rigueur pour lire les informations récoltées. En quelque sorte, il va falloir passer ces multiples avis, opinions et représentations recueillies auprès des sujets à travers des filtres de lecture. Il s’agit de traiter les données récoltées. «  Cette opération est effectuée grâce à l’analyse de contenu qui est une lecture exogène informée par les objectifs de l’analyste. Une analyse qui ignore la cohérence explicite du texte et procède par décomposition d’unités élémentaires reproductibles (…). Elle a pour fonction de produire un effet d’intelligibilité

406 Geneviève Pruvost : « Récit de vie », Sociologie [En ligne], Les 100 mots de la sociologie. URL, mis en ligne le février 2011. Consulté le 08 juillet 2012 sur http://sociologie.revues.org/671

407 Annexe n° 3 : Guide de récit de vie408 Delphine Burrick : Une épistémologie du récit de vie, recherches qualitatives et temporalités –Hors Série

– numéro 8 – pp. 7-36. ISSN 1715-8702© 2010 Association pour la recherche qualitative. Consulté le 26/10/2012 sur http://www.recherche-qualitative.qc.ca/Revue.html

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

et comporte une part d’interprétation  »409. Le choix du type d’analyse de contenu, comme le choix du type de collecte, est subordonné aux objectifs de la recherche et à sa formulation théorique410. L’analyse de contenu n’est pas neutre. Par conséquent, ses enjeux sont ceux d’une démarche discursive et signifiante de reformulation, d’explicitation ou de théorisation de témoignages, d’expériences ou de pratiques411.

L’analyse des récits de vie dans notre étude a combiné entre l’approche restitutive412 et celle illustrative413, ce qui nous a permis de saisir les univers sociaux qui façonnent les identités et le sens que leur attribuent les interviewées, et de comprendre les déterminants des appartenances et des engagements, les croyances et les systèmes de valeurs qui animent leurs carrières militantes.

IV. Présentation de l’échantillon

Conformément aux objectifs de la recherche, à la nature de l’hypothèse, et sous la base des pré-enquêtes, nous avons opté- sur le fondement de nos observations, pour un échantillon du type aléatoire414 où sont ciblés les rôles et les responsabilités des femmes et des hommes dans les activités reproductives, productives et communautaires. Les observations ont ciblé les femmes et les hommes dans l’espace privé « domestique »415 ainsi que public « non domestique », et ce, dans les trois sites ciblés par notre enquête dans les douars de Talha, Mizaden et Tassade la commune de Tamda Noumercete.

Dans une deuxième étape, et afin de donner une portée dialogique aux éléments issus de l’analyse documentaire et des observations effectuées, on a décidé pour la sélection des actrices à interviewer par le moyen de récits de vie de passer à un nombre restreint d’actrices leaders (9 interviewées). Ce sont des femmes qui gardé la volonté à mettre en avant les intérêts des femmes pour corriger les disparités bien qu’elles soient heurtées aux rapports de force dans leurs communautés où les normes patriarcales dominent la scène publique et privée. Cet échantillon ciblé, choisit sur la base des

409 Alain Blanchet et Anne Gotman, L’enquête et ses méthodes : l’entretien. Paris : Nathan Université 1992 (p. 92)

410 Paillé, P. (1996). De l’analyse qualitative en général et de l’analyse thématique411 Mucchielli, A. (1996). Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales. Paris :

Arman Colin.412 L’approche “restitutive” permet de livrer les récits de vie bruts et de laisser libre cours à l’interprétation413 Stéphanie Galligani. De l’entretien au récit de vie Quand les sujets s’emparent de la conduite d’un

entretien… Centre de Didactique des Langues – LIDILEM Université Stendhal, Grenoble 3 Ecarts d’identité N° 92. Mars 2000 p. 24

414 Stratégies d’échantillonnage. Consulté sur le site  : http://archive.unu.edu/unupress/food2/UIN12F/UIN12F0C.HTM

415 Thieny Belleguic : L’espace public de la sphère domestique dans le monde français du xviiie siècle.

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289COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

connaissances personnelles et par le biais des personnes-ressources de manière à permettre la représentativité des trois douars. Au-delà de la question de l’individualité d’énergie et de dynamiques locales, ces femmes représentent généralement des figures féminines qui opèrent des compromis entre les systèmes de normes et réalisent des combinaisons de normes et comportements.

V. Rôles et rapports sociaux sous l’angle du genre au niveau de Tamda Noumercete

Les rapports sociaux se rapportent très précisément à l’étendue des rôles sociaux qui créent des différences systématiques dans le positionnement des femmes et des hommes en relation avec les processus de développement. Les inégalités de genre, autres que celles résultant de la classe sociale, sont également des facettes significatives de différenciation sociale dans des contextes variés416. Dans cette perspective, la division sexuelle des rôles est un concept central dans l’analyse des rapports sociaux. Sa définition part du principe qu’un processus de développement doit prendre en compte, non seulement les relations de production, telles qu’elles sont comprises ordinairement417 mais aussi, la série plus large et interconnectée des relations ainsi que celles de la vie quotidienne façonnées par le système normatif des valeurs et normes sociales.

Notre analyse se focalise sur l’observation de différentes dimensions qui concernent la sphère des opportunités et celle des capacités, dans lesquelles se manifestent les discriminations de genre.418

1. Rôle de reproduction

a) Situation des femmes dans la sphère privée

Les résultats des observations effectuées lors des visites rendues à certaines familles de douars de Talha, Tassa et Mizaden montrent qu’au niveau des activités de

416 Naila Kabeer (2000)  : Triple Roles, Gender Roles, Social Relations : the Political Sub-text of Gender. Cahiers Genre et Développement op. cit. p. 186

417 Ibid. p. 187418 Sara Borrillo. Janvier-Février 2009. Note méthodologique sur l’approche genre dans le cadre du projet« Renforcement des capacités d’intervention des organisations de base pour la préservation des écosystèmes

oasiens au Maroc » Code : ENV/2005/114-657-453 Contrat : 2007/140-910 p. 9.

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

reproduction419 les femmes assurent les tâches domestiques jusqu’à 90 %420. Ce sont des tâches et actions relatives à l’entretien et à la reproduction de la main-d’œuvre présente et future. Le rôle reproductif comprend aussi les biens et services fournis par la consommation directe aux ménages qui ne sont pas comptabilisés dans la production. Le rôle des femmes est précieux pour la vie de la communauté de ces « douars » qui, en l’absence des hommes, s’étendent même au travail agricole de substance, en assumant notamment la quasi-totalité de l’approvisionnement du ménage en eau, et participant largement au stockage et le transport de la nourriture, au travail de désherbage et de récolte.

Le poids de ces tâches et la souffrance des femmes se multiplient certainement durant la période pluviale dans un paysage à caractère montagnard et très accidenté421, marqué par des dynamiques de pauvreté, de marginalisation et d’exclusion sociale. Les acteurs aspirent que les projets de désenclavement puissent réduire la charge inégale des tâches reproductives et domestiques en améliorant la participation de la femme dans l’activité économique et encourageant l’accès de la femme aux services et aux moyens de transport.422

La contribution des femmes au niveau des activités de reproduction s’effectue au prix de ce qu’il faut bien appeler la surexploitation féminine423. La contribution des hommes aux tâches domestiques et certaines responsabilités familiales demeure très occasionnelle.

b) Capacité juridique et égalité dans la famille

Au-delà des avancées réalisées durant les dernières années au niveau national en matière de l’égalité de genre au sein de la famille, les femmes dans le contexte local de Tamda Noumercete subissent des discriminations flagrantes à leur encontre.

Les données collectées concernant la mise en œuvre des dispositions du code de la famille dans ce contexte, permettent de confirmer la vérité selon laquelle l’adoption d’une loi, quoique nécessaire, n’est pas suffisante si elle n’est pas accompagnée de

419 Ce sont des activités qui comprennent la responsabilité de mettre au monde et d’élever les enfants ainsi que les tâches domestiques entreprises par les femmes qui sont nécessaires pour que soient garantis l’entretien et la reproduction biologique mais aussi le soin et l’entretien de la force de travail (le mari et les enfants en âge actif) et de la future force de travail (bébés et enfants en âge scolaire).

420 PCD  : Tâches domestiques accomplies par les hommes et les femmes dans la commune de Tamda Noumercete

421 Plan de Développement Communal (PCD) de la commune de Tamda Noumarcide. juillet 2010. p 9422 Récit de vie de la présidente de l’association Amal Tassa423 Mimose F. Déreaux. Octobre 2004 : Diagnostic participatif de la prise en compte de l’équité de genre dans

le cadre du projet de développement durable dans la région de marmelade. p 13

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APPRÉCIATION « GENRÉE » DU PROCESSUS DE LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE COMMUNALE

291COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

mesures rendant plus facile son effectivité, qui elle-même nécessite du temps pour devenir une réalité traduite dans les comportements. L’application des nouvelles dispositions du nouveau code de la famille reste confrontée par une multitude de réticences socioculturelles sourdes de la société mâle424, qui sont visibles même chez certains juges, gardiens par excellence du temple de la tradition ainsi que de problèmes institutionnels et économiques.

Le phénomène du mariage précoce persiste encore dans le contexte local de Tamda Noumercete, ce qui bafoue les droits de la petite fille notamment son droit à la scolarisation, à un meilleur développement psychoaffectif et sanitaire. Les autorisations pour le mariage des filles à l’âge de moins de 18 ans ne sont pas rares. Le taux a atteint pour la seule année 2011, 13 % des mariages contractés, (41 cas parmi 317)425. En outre, la pratique du mariage informel perpétue encore dans la commune. Pour contourner la loi, la lecture de la Fatiha constitue le seul formalisme que suivaient certaines familles pour conclure des mariages, ce qui grève les droits de la femme et ceux des enfants. Le taux élevé d’analphabétisme et la pauvreté sont également des facteurs qui bloquent l’entrée dans les mœurs de l’esprit du nouveau texte de la famille, et bien entendu les mentalités, qui malgré quelques changements enregistrés, résistent encore et rendent difficile toute entreprise visant à rompre avec le conservatisme qui marque tout un pan de la société y compris les professionnels de la justice426.

Les femmes dans le contexte de Tamda Noumercete font face à une triple discrimination ; aux violences conjugales (homme) d’une part, à la dureté des conditions géographiques (la nature) d’autre part, et enfin à la violence de la communauté (société patriarcale) enrichie par les valeurs culturelles et sociétales qu’ils infèrent. Ces formes de violences constituent un problème important dont les conséquences s’avèrent très coûteuses sur le plan humain, social et économique. D’où l’importance de conjuguer les efforts pour contribuer à mettre fin, à terme, à la pandémie que représentent ces violences.

2. Rôles de production

a) Division du travail et participation des femmes à l’économie locale

Les femmes des trois douars constituent une main-d’œuvre familiale énormément

424 Latifa El Bouhsini. 2010. « Code de la famille au Maroc et les résistances à sa mise en œuvre ». p 4425 Registre communal relatif aux certificats de fiançailles demandés pour le mariage pour l’année426 Latifa El Bouhsini : Code de la famille au Maroc et les résistances à sa mise en œuvre, op.cit. p 4

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

exploitée. Toutefois, leur force de travail reste non rémunérée. L’absence masculine pousse les femmes à assumer des responsabilités traditionnellement confiées aux hommes. Ce phénomène n’est pas combiné à une augmentation de pouvoir dans les processus de décision qui restent substantiellement gérés par le sexe masculin.

Le travail des femmes dans le contexte rural de la commune de Tamda Noumercete où elles sont adonnées au travail domestique nécessaire à la production pour l’autoconsommation, souffre d’une invisibilité statistique et d’une sous-évaluation considérable. Du surcroît que le rôle de soin domestique, encouragé comme point de référence de la communauté, reste, de fait, la fonction primaire de la femme, ancrée au modèle national de reproductrice et d’éducatrice du bon musulman427. L’accès des femmes au marché local du travail est caractérisé par leur vulnérabilité au sous-emploi et à la précarité du statut professionnel d’aide familiale non rémunérée. La pauvreté et l’absence de protection sociale frappent plus particulièrement les femmes.

La participation professionnelle féminine dans le contexte de Tamda Noumercete est amplement influencée par le modèle de famille traditionnelle428. Dans ce modèle d’économie familiale, les femmes s’occupaient davantage des activités pour l’autoconsommation tandis que les hommes contrôlaient en général les spéculations monétaires.

La féminisation du travail agricole dans la commune est due principalement à l’émigration masculine saisonnière qui reste très importante pour la commune, touchant presque 71 % de la population active masculine429d’une part. Cette situation apporte une augmentation du chargement de travail et de responsabilité pour les femmes, qui remplacent les hommes dans le secteur agricole. D’autre part, cette situation est renforcée davantage par le faible niveau d’instruction  des femmes qui restent généralement cantonnées dans l’économie informelle en subissant les discriminations au niveau de salaire et des conditions de travail (le revenu d’une femme ne dépasse pas 70 dhs par jour alors qu’un homme pourra toucher un montant de 150 dhs par jour et ce pour la même durée de travail : 9 heures par jour).

Le phénomène « des petites bonnes » est un autre aspect de l’exploitation du sexe féminin au sous-emploi. La pauvreté extrême doublée d’une grande ignorance pousse les parents à se séparer de leur enfant, le livrant aux mains d’inconnus comme domestiques chez des familles riches surtout à Marrakech, Agadir et Casablanca.

427 Lynne Rienner Publisher, Londra, 1998. En: Moghadam, V. Women, Work and Economic Reform in the Middle East and North Africa”, p.5

428 Rapport final du diagnostic territorial participatif de la commune rurale de Tamda Noumercete, mai 2010, op. cit. p 18

429 Plan de développement communal de la commune rurale de Tamda Noumercete. juillet 2010, op.cit.p 14

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APPRÉCIATION « GENRÉE » DU PROCESSUS DE LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE COMMUNALE

293COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

b) Accès et contrôles des ressources et bénéfices

Les conclusions tirées des récits de vie affirment la grande différenciation en genre dans l’accès et le contrôle des ressources au niveau de la commune. La terre, ressource primordiale et symbole du pouvoir, est contrôlée par les hommes. En revanche, les femmes n’ont pas toujours le pouvoir de décision et de contrôle même si elles en ont accès par le lien du mariage ou de parenté. De plus, une fois mariée, la femme ne sera plus autorisée à gérer son héritage, et dans la plupart des cas, elle renonce sa part successorale à son époux. Le faible contrôle des femmes sur les ressources concerne tout autant les autres ressources et besoins de base telle que la nourriture, le bétail…

L’accès des femmes aux ressources foncières et aux crédits au même titre que les hommes et à des conditions favorables est très limité. Les femmes n’ont pas accès à des parcelles d’exploitation individuelle ou en groupe, de même, l’octroi des crédits aux femmes et la recherche de financement pour entreprendre et conduire des activités génératrices de revenus reste souvent entravé par une multitude de problèmes.430

Ces disparités d’accès aux ressources et bénéfices entre hommes et femmes ont un effet direct sur les potentialités d’autonomie économique assurant aux femmes et aux personnes qui en dépendent une meilleure qualité de vie431. De plus, l’accès restreint des femmes aux ressources productives et leur pouvoir restreint dans la prise de décision économique, confèrent de sérieuses limitations à la productivité de leur travail.

Le travail féminin dans le contexte rural de Tamda est très lié au savoir-faire féminin. Les femmes considérées comme étant les principales gardiennes du savoir indigène432. La transmission des techniques et des compétences féminines, de génération en génération, est le seul garant de la survie de ce savoir local, ainsi l’ensemble des techniques et compétences constituent des éléments importants dans le système de connaissance locale, et donc partie du « patrimoine immatériel »433.

La promotion de l’occupation féminine contribue d’un côté à renforcer l’indépendance économique, utile aux femmes pour parvenir à une indépendance majeure dans les relations familiales et maritales, et de l’autre côté, la promotion du travail féminin est une part fondamentale pour encourager le développement local.

430 GTZ : Guide d’Orientation Mainstreaming Genre au niveau des Communautés Rurales dans le cadre de la Décentralisation. Quelles approches ? Quelles activités ? Expérience du Programme de Lutte contre la Pauvreté en milieu rural dans le Bassin Arachidia 2004 – 2007/Programme sénégalo-allemand d’appui à la décentralisation et au développement local PRODDEL. p 16

431 Nations Unies, The World’s Women 1995: Trends and Statistics. Sale numéro E.95.XVII.2, New York, 1995432 Aurélie Damamme. 2011: La difficile reconnaissance du travail féminin au Maroc Le cas des coopératives

d’huile d’argan. Femme, économie et développement. Editeur ERES. I.S.B.N.97827492129.p 22433 Anabel Mousset.2006  : La sauvegarde du patrimoine culturel immatériel  : un enjeu aux multiples

facettes. Mémoire présenté en 2006 IED de Lyon. p 65

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

3. Rôle communautaire

a) Place des femmes dans les sphères publiques, civile et politique

Les observations et les récits de vie approuvent que malgré les progrès enregistrés au niveau national quant à la situation et la condition féminine, la femme rurale dans le contexte de Tamda Noumercete reste bien écartée des processus de développement et leur participation dans les dynamiques locales reste insignifiante.

Le souk, l’association, la commune, l’espace public, restent ainsi des espaces masculins. Toutefois, les femmes âgées qui accèdent quasiment au statut d’individu asexué, sont en effet généralement dégagées des obligations de la ségrégation spatiale434. Au contraire, les jeunes filles qui sont à l’âge du mariage subissent de lourdes restrictions sur leur mobilité. Ce contrôle social des jeunes filles s’ancre dans le système des normes sociales.

La rue reste principalement un espace masculin. C’est d’ailleurs dans cet espace que le port du voile, symbole de la pudeur et de respect, est très exigé. Rares sont les moments où peuvent coexister les deux sexes, en l’occurrence, la femme est souvent derrière l’homme. Il existe néanmoins des occasions de sorties entre femmes qui sont couramment reconnues comme la visite des tombeaux des saints (Sidi lyazid à la commune d’Ait Tagla et Sidi lhssen Ouhssayen à la commune de tawnza), ainsi que l’échange des visites lors de cérémonies religieuses (Aïd-el-fitr, AidAladha, Aachourra). Il n’existe cependant pas de lieux de rencontre dédiés aux discussions ou au travail entre les femmes et qui constitueraient des supports pour une action collective. Une telle situation peut défavoriser la participation des femmes aux actions et projets entrepris par les acteurs locaux.

Les femmes sont peu présentes dans la fonction publique au niveau de la commune de Tamda Noumercete. Leur présence concerne particulièrement les secteurs sociaux (santé, jeunesse, éducation, etc.) où elles se voient cantonnées dans les échelles les plus basses de la hiérarchie.

Le nombre de sièges obtenus par les femmes à l’issue des élections communales de 2009 est de 3 femmes élues sur 13 hommes. Ce pourcentage est très inférieur par rapport au taux de féminisation de la population active, qui était de 50,43 %435. L’investissement dans la sphère politique locale par les femmes est encore tributaire de l’évolution des mentalités qui réduit la femme en un simple objet de progéniture ou

434 Damamme Aurelie, op. cit. p120435 Tamda Noumercete.2010 : Données monographiques

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APPRÉCIATION « GENRÉE » DU PROCESSUS DE LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE COMMUNALE

295COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

encore mieux, en une voix dans les urnes.436

Les femmes enquêtées affichent un soutien radical au quota comme mesure de discrimination positive en faveur des femmes permettant d’accroître leur participation à la gestion des affaires locales, ainsi elles ont proposé son institutionnalisation et son extension à toutes les institutions élues sans aucune exclusive, comme elles ont insisté à appuyer l’arsenal juridique existant par d’autres lois afin de garantir les droits des femmes et appliquer l’égalité stipulée par la constitution.

En ce qui concerne le positionnement des femmes élues, les résultats des récits de vie témoignent que la participation des élues dans les décisions stratégiques prises par le conseil communal reste non significative comparativement aux hommes.  Le leadership est assuré exclusivement par des hommes puisqu’ils constituent le 78  % du conseil communal. Une telle situation selon les interviewées est encore exacerbée devant d’autres obstacles à l’engagement et la participation active des femmes en politique. En effet, certains partis politiques évitent, de présenter des femmes comme candidates aux élections communales, du fait que la femme a de faibles chances de succès et ne dispose pas de compétences et qualités requises pour un tel engagement. La prédominance de la culture masculine dans les partis politiques pousse les femmes à s’activer et à participer à la vie publique dans des espaces moins fermés pour elles, d’où leur présence plus au moins importante dans les associations. D’autant plus que les pratiques de la vie politique ne sont pas adaptées aux responsabilités quotidiennes des femmes et à leur budget temps437. Toutefois, la faible participation de la femme dans la sphère politique et publique au niveau de la commune n’est d’ailleurs pas une défaillance locale ou même marocaine, mais davantage une tendance internationale généralisée et, notamment dans les pays arabes.

A ces niveaux, des discriminations du genre féminin ont été enregistrées, ce qui freine l’accès des femmes aux postes de responsabilité et de décision. Une telle situation est fortement influencée par le contexte socioculturel local, dans lequel les systèmes des valeurs légitiment la discrimination de genre au niveau formel (lois coutumières)438 et symbolique (imaginaire collectif traditionnel)439. Des systèmes qui mettent également la

436 Enhaili, Aziz. Juillet 2006  : «  Femmes, développement humain et participation politique au Maroc ». Middle East Review of International Affairs. Volume 1, No. 1, Article 7 -.

437 Enquête National du Budget Temps des Femmes, 1998 : Le budget temps des femmes au Maroc438 Issoufou Oumarou. Février 2008 : « Femmes et développement local : analyse socio-anthropologique de

l’organisation foncière au Niger. Le cas de la région de Tillabéry » Thèse pour l’obtention du Doctorat de sociologie de l’Université de Rennes 2 – Haute-Bretagne. Sous la direction d’Ali Aït Abdelmalek, Professeur de sociologie.p 136

439 Sara Borrillo. Février 2009 : Note méthodologique sur l’approche genre dans le cadre du projet renforcement des capacités d’intervention des organisations de base pour la préservation des écosystèmes oasiens au Maroc. Code : ENV/2005/114-657-453.p 9

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

discrétion, la maternité et le sacrifice envers les enfants à la tête des valeurs féminines traditionnelles et ce, au détriment de la carrière440.

b) Participation des femmes dans les processus de développement

La participation des femmes dans les activités communautaires a également été analysée à travers sa place dans les programmes et actions de développement menés en sa faveur. Il ressort des données recueillies que le paysage associatif est dominé par le sexe masculin. L’écart entre les deux sexes est visiblement énorme. Ainsi, parmi treize associations actives sur le territoire de la commune de Tamda, seule l’association d’Amal Tassa comprend 3 femmes. Les initiatives et les actions de développement menées par les organismes d’appui au développement local ont tendance à reproduire une vision du développement conforme aux répartitions en place selon le genre. Autrement dit, elles n’abordent pas de front la question des rapports de genre et de pouvoir entre les hommes et les femmes441. Cette question reste problématique pour les acteurs locaux du développement qui adoptent plutôt un discours rendant la femme, victime de tous les oublis, retardée et dévalorisée. Les acteurs locaux préfèrent alors souvent ne pas se heurter aux hiérarchies locales et aux normes sociales442. L’approche participative nouvellement adoptée dans les pratiques associatives visant à réaliser un développement local qui se veut équitable et inclusif, n’a pas pour objectif d’interroger les relations sociales en place.

Au regard de cette situation, il s’avère que la participation de la femme aux activités communautaires demeure encore sous l’emprise d’une culture conservatrice, qui veut que les femmes aient peu de chances d’accéder à la sphère non domestique. Une telle vision retarde la réceptivité des dispositifs et mesures positives de promotion de l’inclusion des femmes dans la sphère publique et civile et entrave la compréhension des consignes favorisant leur acceptation dans le champ politique. En outre, il est apparu que les représentations et les pratiques que les femmes et les hommes ont de leurs rapports et de l’acceptation de l’investissement politique des femmes sont également déterminantes.

L’inégalité est également intériorisée surtout chez les femmes dont le niveau d’instruction est « élevé ». La femme fonctionnaire à titre d’exemple, cherche à concilier entre la vie familiale et professionnelle. Ce souci qui devrait être le souci de tout être

440 Christine Verschuur. 2000 : Le genre, un outil nécessaire Introduction à une problématique. Cahiers genre et développement n1.Editions l’Harmattan, 2000. p 25

441 Christine Verschuur, op. cit. p 20442 Organisation Internationale de la Francophonie CRTD.A : Module de Formation : Genre et Développement.

p 12

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APPRÉCIATION « GENRÉE » DU PROCESSUS DE LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE COMMUNALE

297COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

humain confronté à la recherche de l’équilibre entre ses différents rôles est à l’évidence un souci distinctif de la femme443.Toutefois, la femme participe elle-même à cette situation de discrimination qu’elle subit. Il ne faut pas perdre de vue qu’elle n’est pas un objet inactif, victime de stratégies machistes. Elle est au contraire un acteur actif, qui participe aux processus culturels de production de la société. Il ne faut pas oublier que c’est elle, et non l’homme, qui remplit plusieurs fonctions importantes au niveau de la famille. C’est elle qui s’occupe en premier lieu de la socialisation des enfants et les initie aux premières formes de la vie religieuse. Elle participe aussi à la reproduction idéologique de système de valeurs444. C’est pourquoi elle continue à transmettre à sa progéniture les valeurs culturelles qui ne sont pas de nature à faire la promotion de la femme dans la vie publique et politique.

La réalité des discriminations dont les femmes font objet dans le contexte local de Tamda Noumercete, atteste que le fossé existant entre les deux sphères publique et privée est un fait social et politique fondé sur un partage sexuel des rôles445. En s’appuyant sur la pensée de Pierre Bourdieu, on peut également souligner la persistance de ces inégalités, entretenues par les capitaux culturel, économique et social des individus, dont les prises de décision sont conditionnées par les structures sociales qu’ils ont intériorisées. Ce constat affirme l’hypothèse de notre recherche qui suppose que les normes sociales et les paramètres contextuels conditionnent la nature des rôles et rapports de genre et influencent les processus de développement local.

Conclusion

Au terme de cette étude, on peut relever quelques conclusions particulièrement riches de sens qui découlent de l’analyse de la nature des rapports sociaux entre femmes et hommes au niveau de la commune de Tamda Noumercete. Pour illustrer notre propos, on peut avancer que nos résultats empiriques nous ont amenés à valider la plupart de nos hypothèses de départ. Ainsi, les résultats obtenus grâce à une analyse des rapports sociaux sous l’angle du genre, et ce, selon l’approche du triple rôle  : reproductif, productif et communautaire, attestent que la structure inégalitaire des rapports sociaux entre hommes et femmes est dotée d’une remarquable persistance et ce, malgré les évolutions intervenues dans bien des domaines. Les femmes des trois

443 Brigitte Biche. Echos du Cota // 3 : Pour une pratique de l’approche genre dans le développement. Consulté le 15/06/2012 sur http://www.cota.be/?wpfb_dl=75

444 Aziz Enhaili. Juillet 2006 : Femmes, développement humain et participation politique au MAROC. Volume 1, No. 1, Article 7 -. Publié par le Centre Gloria, Centre Interdisciplinaire, Herzliya

445 Nalini Burn, Larabi Jaidi et Hayat Zirari. Casablanca 2005 : « Budget local et Genre au Maroc ». ADFM. p25

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PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

douars visités sont soumises à des rapports de genre inégaux, des rapports de pouvoir et de subordination qui se traduisent par une présence de conflits et de formes d’inégalités entre les genres et la vision d’un ménage non comme une unité décisionnelle mais plutôt comme un endroit d’exercice du pouvoir de l’homme sur la femme.

La sexuation de l’espace et des activités reproductives, productives et communautaires renvoie à une hiérarchisation et non pas à une complémentarité des rôles. Une hiérarchisation dont les raisons sont multiples et trouvent leurs explications au niveau sociologique, juridique, économique, politique et culturel.

Les relations sociales sont affectées par une division sexuelle du travail qui obéit donc à une logique de partage entre des tâches considérées comme acceptables et d’autres considérées comme dégradantes par les hommes. Cette division est constituée sur la base de règles culturelles qui déterminent les aptitudes et les capacités spécifiques des hommes et des femmes en leur assignant des tâches et des responsabilités spécifiques. Les femmes sont les plus peinées des travaux de reproduction, considérant le temps qu’elles consacrent aux tâches domestiques et par conséquent, disposent de peu de temps pour les travaux communautaires. Toutefois, leur travail est souvent invisible, non seulement dans leur rôle reproductif mais également dans leur rôle productif ou communautaire.

Dans ce milieu, où l’identité masculine est meublée par la domination et le pouvoir, les hommes comme les femmes sont socialisés en fonction d’un cadre idéologique associant la supériorité aux premiers et l’infériorité aux secondes. Cette conception renforce une division sexuelle du monde social. Cet espace est agencé et rythmé par la distance et la séparation sexuelle retrouvées partout4461. Comme avance Michèle Riot-Sarcey, “La domination de sexe est une forme achevée d’une relation de pouvoir qui s’exerce sur des individus considérés comme non-acteurs de l’histoire ; s’est inscrite dans les mentalités, ou s’est donnée à lire dans les représentations culturelles. Et lorsqu’elles interviennent dans le champ de la création ou dans l’espace public, elles ne sont entendues que dans un langage en harmonie avec l’opinion

commune. Elles ne disposent de reconnaissance politique que par la médiation de la reconnaissance masculine, principe intermédiaire nécessaire à l’accès à la représentation” 447

Cependant, il faut avoir à l’esprit que l’état de subordination des femmes n’est pas statique et n’est pas ressenti de la même manière par toutes les femmes. Aussi, il n’est

446 Aziz Enhaili. Femmes : développement humain et participation politique au Maroc. Juillet 2006. Publié par le Centre Gloria, Centre Interdisciplinaire, Herzliya. Journal MERIA Volume 1, No. 1, Article 7, op.cit

447 Michèle Riot-Sarcey (1995), « Pouvoir, domination, regard sur l’histoire », in : La place des femmes. Les enjeux de l’identité et de l’égalité au regard des sciences sociales, Colloque international de recherche, EPHESIA, éd. La Découverte, pp. 477 481

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APPRÉCIATION « GENRÉE » DU PROCESSUS DE LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE COMMUNALE

299COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

pas forcément accepté par toutes les femmes d’une manière passive ou agressivement imposé par les hommes. Tout au long de l’histoire et dans le monde entier, les femmes ont remis en question l’inégalité entre les femmes et les hommes.

De même, la situation des hommes a également été modelée par la société et ils ont été opprimés à plusieurs niveaux. Bien que les hommes aient opposé une résistance à ce qu’ils perçoivent comme une menace à leur pouvoir relatif, ils ont aussi participé à la transformation des rapports et attitudes et trouvé avantage dans les nouvelles formes de partenariat avec les femmes. Les rapports entre les genres comportent des possibilités de transformation.

Les rapports entre les genres (y compris la division du travail, le genre de travail accompli par les femmes et les hommes, et les divers degrés d’accès et de contrôle) se transforment avec le temps. Nombreux sont les facteurs qui tissent, influencent et modifient ces rapports et c’est la capacité de comprendre les influences passées et présentes qui peut aider à mieux saisir les contraintes ainsi que les possibilités ayant un impact sur la transformation sociale en général et sur les rapports entre les genres en particulier.

La persistance des exclusions et des inégalités de genre fragilisent davantage le lien social.

La confrontation aux discriminations et le sentiment d’être traité d’une manière inéquitable nourrissent également l’idée d’une communauté peu harmonieuse et injuste. La dureté de cette situation et sa prolongation dans le temps, malgré les efforts consentis, ont tendance à amplifier un sentiment d’impuissance et de défaitisme quant à l’impact des actions et initiatives de développement.

Le mouvement féministe et les forces vives de la société ont l’obligation de jouer un rôle pour déclencher un processus de transformation et chercher à créer une vie meilleure. Ils doivent également corriger les inégalités, améliorer la situation des femmes et promouvoir la cohésion sociale. Le défi est de rendre le territoire un vivre ensemble en développant avec le plus grand nombre d’acteurs des stratégies négociées continûment pour une promotion sociale intégrée448. La promotion de l’égalité hommes femmes demeure un défi de taille surtout dans la nouvelle conjoncture marquée par la montée de l’intégrisme religieux dans les pays arabes ayant vécu, et qui vivent encore le « printemps arabe ».

448 Mohamed Haddy « La régionalisation au Maroc : des errances au projet sociétal », Cabrera éditions 2011

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300

PARTIE II : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL

COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Références bibliographiques

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• Aurélie Damamme 2011 : La difficile reconnaissance du travail féminin au Maroc Le cas des coopératives d’huile d’argan. Femme, économie et développement. Editeur ERES/IRD pp. 87-106

• Aziz Enhaili. Femmes  : développement humain et participation politique au Maroc. Juillet  2006 Publié par le Centre Gloria, Centre Interdisciplinaire, Herzliya. Journal MERIA Volume 1, No. 1, Article 7

• Bouazzi M. (2010)  : «  Participation citoyenne et reconfiguration de l’espace public au Maroc, enquête sur les compétences morales et politiques chez les militants de la société civile. Cas des villes Fès et Meknès ». Mémoire de 3e cycle pour l’obtention du DESA en Droit Public. 278p

• Bisilliat J.,Verschuur Ch. (dir.), 2000, Le Genre, un outil nécessaire, introduction à une problématique, Cahiers Genre et Développement, n°  1, L’Harmattan, Genève - Paris, 260 p.

• Claude Dubar. 1991  : La socialisation  : construction des identités sociales et professionnelles. Edition Armand Colin, 2e édition revue, 3e tirage 1998.278p

• Christine Verschuur 2003  : Transformations des relations de pouvoir entre hommes et femmes  : du niveau domestique au quartier. Editeur Institut universitaire d’études du développement Nbre/N° de page : pp. 105-115.

• Christian Schiess. Juin 2005. La construction sociale du masculin. Mémoire de DEA en sociologie présenté. Université de Genève. Diplôme romand d’études approfondies en sociologie Année 2004-2005 Directeur de mémoire  : Franz Schultheis Jurée : Lorena Parini.

• Dominic Bizot. Septembre, 2011  : L’apprentissage transformationnel de la masculinité. Thèse présentée à la Faculté des sciences de l’éducation en vue de l’obtention du grade de Philosophie Doctor (Ph.D.) en sciences de l’éducation.

• Felix Bühlmann et Manuel Tettamanti. 2007 : Le statut de l’approche qualitative dans des projets de recherche interdisciplinaires. Recherches Qualitatives – Hors Série – numéro 3. Actes du colloque bilan et prospectives de la recherche qualitative © 2007 Association pour la recherche qualitative. ISSN 1715-8702.

• John Friedman.Empowerment  : Empowerment: The politics of alternative development 1992

• Giraud (2005), Mouvements des femmes et changements des régimes genrés de représentation politique au Québec et en France 1965-2004, Thèse de doctorat

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APPRÉCIATION « GENRÉE » DU PROCESSUS DE LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE COMMUNALE

301COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

en science politique, université de Montréal (Canada) Université de Versailles-Saint-Quentin (France).

• Roland Pfefferkorne 2002/1 (n° 32) Les politiques publiques et la question de l’égalité hommes femmes. L’Harmattan. Cahiers du Genre

• Mohamed Haddy. La régionalisation au Maroc : des errances au projet sociétal. Cabrera éditions 2011

• Naila Kabeer (2000) : Triple Roles, Gender Roles, Social Relations : the Political Sub-text of Gender. Cahiers Genre et Développement

• Puech Isabelle. 2005  : «  Le non-partage du travail domestique  », in Maruani M. (Dir.), Femmes, genre et sociétés. L’état des savoirs, Paris, La Découverte, p. 176-183.

• Sandrine Dauphin. Action publique et rapports de genre. Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris – genre, travail et mobilité (CRESPPA-GTM) du CNRS. Revue de l’OFCE/114/ Juillet 2010

• Samama Y. (1997) : « Modèles urbains en milieu rural : Place et situation des femmes dans un village berbère du Haut-Atlas marocain, le cas de Telouet ». Thèse d’Anthropologie pour le doctorat, Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris 3.

• Valentine M. Moghadam .1998: Women, Work, and Economic Reform in the Middle East and North Africa. Lynne Rienner Pub. 259 p.

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303COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Table des matières

Liste des auteurs .............................................................................................................7

Liste des abréviations .....................................................................................................9

A propos d’OCP Policy Center ........................................................................................11

Avant-Propos ..................................................................................................................13

Partie I : Enjeux de la cohésion sociale sur les plans économique et social ..............17

Chapitre 1 : Les fondements historiques de la cohésion sociale au Maroc .................19

I. Le Maroc Pluriel : Evolution Historique ......................................................................19

1. L’Amazighité de la société ......................................................................................20

2. L’Islamisation – l’arabisation : rupture ou continuité ? ..........................................20

3. Les apports andalous ..............................................................................................22

4. Le vécu à l’Occidental.............................................................................................23

II. Les Fondements de la cohésion sociale marocaine ..................................................23

1. L’Islam : soudeur par excellence ............................................................................23

2. Les Zaouias : La solidarité sociale .........................................................................24

3. Cohésion sociale et politique .................................................................................25

4. Le dialecte marocain à référence amazigho – arabe .............................................26

Chapitre 2 : Les politiques sociales au Maroc, reconnaissance inachevée de l’expertise citoyenne ........................................................................................................................27

I. Un nouveau contexte favorable à la « participation citoyenne » dans l’élaboration des politiques sociales .........................................................................................................28

II. Une « participation citoyenne » en aval.....................................................................31

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304 COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Chapitre 3 : La cohésion sociale au Maroc et enjeux de la participation citoyenne ....35

I. Tendances de l’évolution économique et mutations sociales au Maroc ...................37

1. Les tendances de la croissance économique au Maroc ........................................37

2. Niveaux de vie des ménages et disparités sociales ..............................................39

II. La Gouvernance de l’Etat en matière de social .........................................................40

1. Les politiques sociales dans le secteur de l’Education..........................................40

2. Politiques sociales en matière de logement ..........................................................43

3. Politiques de lutte contre la pauvreté ....................................................................44

III. Enjeux de la participation citoyenne.........................................................................46

1. Evolution de la participation ...................................................................................47

2. Participation et dépolitisation de la question sociale............................................48

3. Rôle du dialogue social dans le maintien de la cohésion sociale .........................49

Chapitre 4 : L’Entrepreneuriat Social : un levier pour la cohésion sociale ....................55

I. Approche de l’entrepreneuriat social .........................................................................56

1. Revue de littérature sur l’entrepreneuriat social ...................................................57

2. La place de l’entrepreneuriat social .......................................................................59

3. Relations entre l’entrepreneuriat social et les institutions ...................................60

II. Cohésion sociale, quels défis pour l’entrepreneur social ? .......................................61

III. L’entrepreneuriat social, levier de la cohésion sociale ............................................64

1. La multi-dimensionnalité de l’entrepreneuriat social ............................................64

2. L’entrepreneuriat social entre société civile, pouvoirs publics, et marché ............65

3. L’entrepreneuriat social, une conception spécifique de l’innovation sociale ........67

Chapitre 5 : Pluralisme culturel et cohésion sociale au Maroc : L’autonomie individuelle comme base de l’émergence d’un nouveau type de lien social ....................................73

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305COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

I.Autonomie individuelle, lien social et capital social dans la société marocaine .......75

1. Capital social et position sur le facteur autonome hétéronome............................76

2. La montée de la confiance à autrui dans le milieu des personnes autonomes .....77

3. L’orientation faible à la sociabilité associative dans le milieu des personnes hétéronomes : .............................................................................................................79

II. L’orientation à l’humanisme et la position sur l’indice d’autonomie individuelle .....81

1. . Différences dans l’importance accordée aux valeurs universalistes dans le milieu des personnes autonomes et hétéronomes ...............................................................82

2. Aire géographique d’appartenance et position sur l’indice d’autonomie

individuelle .................................................................................................................86

Chapitre 6 : Une lecture de l’intégration du Maroc dans son contexte international et régional ..........................................................................................................................91

I. Contexte géopolitique globalisé .................................................................................92

1. Global ......................................................................................................................93

II. Le Maroc dans son environnement régional ...........................................................107

1. Le National ...........................................................................................................107

2. Le Sahara ..............................................................................................................111

3. Le Maghreb ...........................................................................................................114

4. « Printemps arabe » ..............................................................................................116

5. L’Afrique ................................................................................................................118

III. Leviers de la cohésion.............................................................................................125

1. Ampleur des violences .........................................................................................125

2. Démocratie et intégration sociale ........................................................................128

3. Médias et cohésion sociale..................................................................................131

4. La Citoyenneté ou la « santé éthique des peuples »............................................132

5. Recherche et intégration sociale..........................................................................133

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306 COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

Chapitre 7 : Quelle contribution du système coopératif à la cohésion sociale au Maroc ? ........................................................................................................................139

I. Coopératives et cohésion sociale dans le monde ....................................................141

II. Quelques exemples de la contribution de l’ESS - principalement du système coopératif - à la cohésion sociale ................................................................................143

III. Contribution de l’ESS/Coopératives à la cohésion sociale au Maroc ....................148

1. Historique et évolution .........................................................................................148

2. L’ESS au cœur des politiques publiques au Maroc ..............................................150

3. Environnement juridique motivant pour le développement de l’ESS au Maroc ..153

Partie II : Enjeux de la cohésion sociale sur le plan institutionnel ............................159

Chapitre 1 : L’impact des institutions sur la cohésion sociale : représentation, participation et cohésion sociale au Maroc ................................................................161

I. Les spécificités du changement politique au Maroc ................................................164

II. Dynamisation du processus constitutionnel et parlementaire et renforcement de la cohésion sociale...........................................................................................................167

1. Les caractéristiques structurelles majeures de la société...................................167

2. Politiques publiques .............................................................................................170

III. Aptitudes des institutions à base de représentation et de participation ..............174

Chapitre 2 : La promotion de la cohésion sociale au Maroc (2011-2016) Les actions phares des acteurs publics entre 2011 et 2016 pour la cohésion sociale : ................184

1. L’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH)  ...........................184

2. Fonds d’appui à la cohésion sociale .....................................................................186

3. Les mesures en faveur de l’entreprise .................................................................188

4. Le secteur de la santé  .........................................................................................189

5. Le secteur de l’emploi  .........................................................................................190

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307COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

6. Le secteur de l’enseignement et l’éducation .......................................................191

7. Le secteur de l’habitat et de l’urbanisme ............................................................192

II. La cohésion sociale à travers la réforme des caisses pivots de la sécurité sociale : ........................................................................................................................193

1. La Caisse Marocaine des Retraites (La CMR) ......................................................193

2. La caisse de compensation ..................................................................................198

III. L’évaluation de ces actions et réformes sur la cohésion sociale  ..........................202

Chapitre 3 : Ville et cohésion sociale, cas de Marrakech ...........................................209

I. Cohésion sociale et urbanisme : quelle relation ?....................................................213

II. Politique d’aménagement du territoire ....................................................................214

1. De l’urbanisme d’Etat aux enjeux de l’ouverture économique ............................218

2. Contrat public privé et étalement urbain .............................................................223

III. Gouvernance métropolitaine et renouvellement urbain .........................................225

IV. Urbanisation accélérée vs développement durable ...............................................227

Chapitre 4 : Les collectivités territoriales, acteurs de premier plan de la cohésion sociale. Quelques leçons du terrain.............................................................................233

I. Essai de cadre conceptuel de la cohésion sociale ...................................................233

II. Les collectivités territoriales, acteurs de la cohésion sociale, des leçonsdu terrain ......................................................................................................................235

1. ..Le rôle du Conseil Régional de Tombouctou durant l’occupation du Nord Mali par les groupes terroristes en 2012................................................................................236

2. La coopération transfrontalière au Bénin dans le cadre de l’Agence Béninoise de Gestion Intégrée des Espaces Frontaliers ................................................................237

III. Des conditions pour que les collectivités territoriales soient des acteurs de la cohésion sociale...........................................................................................................239

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308 COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

1. Conditions institutionnelles..................................................................................239

2. Conditions structurelles........................................................................................240

3. Conditions personnelles .......................................................................................240

IV. Le renforcement de la décentralisation, une condition majeure de la cohésion sociale face aux défis de notre siècle..........................................................................241

Chapitre 5 : La cohésion sociale et conflit de lois  ......................................................243

I. Les conditions de forme du mariage pour les marocains résidant à l’étranger .......245

II. Les conditions de fond du mariage et leur application concernant les marocains résidant à l’étranger.....................................................................................................250

Chapitre 6 : Le Maroc, une 3e voie entre la Famille providence et l’État-providence ? .......................................................................................................261

1. Le vieillissement de la société marocaine ...........................................................261

2. L’émergence d’une politique de la vieillesse au Maroc .......................................262

3. Une analyse prospective du rapport « Les personnes âgées au Maroc : profil, santé et rapports sociaux » ................................................................................................266

4. Le Maroc, une 3e voie entre la Famille providence et l’État-providence ?..........268

Chapitre 7 : Appréciation « genrée » du processus de la planification stratégique Communale : Cas du Plan Communal de Développement de la commune rurale de Tamda Noumercete. .....................................................................................................277

I. Introduction ...............................................................................................................278

1. Intérêt et objectifs de l’étude ...............................................................................279

2. La problématique de l’enquête .............................................................................280

3. Questions de recherches ......................................................................................280

4. Hypothèse de travail.............................................................................................280

5. Cadre conceptuel de travail..................................................................................281

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309COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

6. Fondements théoriques ........................................................................................283

II. Approche et techniques de collecte des données ...................................................284

1. L’observation participante ....................................................................................285

2. Récit de vie ...........................................................................................................286

III. Techniques d’analyse des données ........................................................................287

IV. Présentation de l’échantillon ..................................................................................288

V. Rôles et rapports sociaux sous l’angle du genre au niveau de TamdaNoumercete..................................................................................................................289

1. Rôle de reproduction ............................................................................................289

2. Rôles de production ..............................................................................................291

3. Rôle communautaire.............................................................................................294

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