Cluny Fiches Salles + Plan

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L’église abbatiale de Saint-Denis La consécration de la façade occidentale de Saint-Denis en 1140 marque une transformation profonde dans les rapports entre sculpture et architecture : aux grands tympans sculptés (ou, pour l’un d’entre eux au moins, de mosaïque), l’architecte de l’abbé Suger a, pour la première fois, fait ajouter, sur les piédroits, de grandes statues sculp- tées chacunes dans le même bloc que la colonne, donc pleinement intégrées à l’ensemble architectural, faisant franchir un nouveau pas au processus de glorification de l’entrée de l’église lancé depuis la fin du siècle précédent. Reprise sur place à un portail du côté nord (l’actuelle porte des Valois), l’idée est rapidement imitée aux cathé- drales de Chartres et de Paris, et devient dès la fin de la décennie un élément essentiel du portail gothique. Déposées dès 1771, officiellement pour laisser passer le nouveau dais de procession, en fait dans le cadre d’un «embellissement» dans le goût du temps qui reproche à l’architecture médiévale ses excès décoratifs, les statues colonnes de la façade occidentale disparaissent alors. Des six têtes aujourd’hui connues, trois se trouvent dans des collections publiques américaines, les trois autres sont présentées ici. Première à intégrer les collections du musée, la tête féminine identifiée avec la reine de Saba du piédroit gauche du portail central (A. Cl. 23250) est probablement la plus frappante malgré les mutilations qui lui donnent un caractère étrange. L’aspect extrêmement décoratif de la couronne contraste avec la force du visage aux lèvres fermes, aux traits taillés avec une vigueur étonnante. Comme pour la tête de Moïse provenant de l’ébrasement droit du portail de droite (B. Cl. 23312), les pupilles sont évidées pour accueillir des morceaux de pâte de verre renforçant, avec la polychromie aujourd’hui disparue, l’aspect vivant et sévère de ces sculptures. La tête d’un prophète non identifié provenant de l’ébrasement gauche du portail de droite (C. Cl. 23415) possède en revanche des globes oculaires lisses, mais présente le même mélange de finesse décorative et de hiératisme, renforcé par le fort axe vertical du visage. Quelques années plus tard, vers 1145, Suger fait réaliser les chapiteaux du cloître par un atelier de sculpteurs également actif à Saint-Germain-des-Prés. Les représentations y mêlent un répertoire d’animaux fantastiques, sirènes, griffons et créatures hybrides, à de fidèles reprises des modèles antiques. Ainsi, du chapiteau D. Cl. 12119, directement inspiré des éléments en marbre de l’édifice paléochrétien (voir les chapiteaux dans le frigidarium, salle 9), poussant l’imitation jusqu’à prolonger la tradition antique de l’astragale (moulure) intégrée dans la colonne et non dans le chapiteau comme le voulait la pratique du XII e siècle. La Sainte-Chapelle du Palais de la Cité à Paris L’achat par Louis IX, en 1239, de la Couronne d’épines aux Vénitiens, puis en 1241, d’une partie des arma Christi (les instruments de la Passion) à Baudoin II, empereur latin de Constantinople, entraîna le lancement de ce qui fut probablement le chantier le plus prestigieux, mais aussi le plus rapide, du XIII e siècle. Après moins de dix ans, la cha- pelle Saint-Nicolas du Palais de la Cité fut remplacée par un reliquaire de pierre et de verre qui entra en fonction en 1248. Outre le riche trésor et la non moins extraordinaire parure de verre, la Sainte-Chapelle comportait aussi, contre les murs à l’intérieur de l’édifice, un collège apostolique associant, dans l’esprit de l’épître de Paul aux Galates et par-delà le tu es Petrus et super hanc petram, les premiers disciples aux piliers de l’Église. Déposés un peu brutalement en 1797, passés par le musée des Monuments français dirigé par Alexandre Lenoir puis dispersés, les apôtres furent à nouveau réunis à la Sainte-Chapelle en 1843, à l’occasion des restaurations menées par les architectes Duban et Lassus. Des dix statues qui subsistaient en tout ou en partie, quatre furent rem- ployées dans la Sainte-Chapelle, les autres partant au dépôt lapidaire de la Ville de Paris, puis bientôt intégrées dans les collections du musée de Cluny naissant. Parmi celles-ci, deux ne sont plus que des fragments de draperie, une est décapitée, toutes ont perdu leurs attributs ce qui rend les identifications impossibles, à l’exception de saint Jean (E. Cl. 18666), le plus jeune des apôtres, traditionnel- lement représenté imberbe dans les collèges apostoliques. La richesse des collections lapidaires du musée tient à leur histoire. Dès la première moitié du XIX e siècle, alors que l’hôtel des abbés de Cluny était divisé en habitations privées, Alexandre Du Sommerard s'y installa. Les thermes étaient propriété de la Ville de Paris, et celle-ci les utilisait comme réserve pour toutes les sculptures déposées lors des restaurations de monuments. À la création du musée en 1843, la Ville céda le bâti- ment et son contenu à l’État pour le franc symbolique, permettant ainsi l’entrée dans les collections de chefs-d’œuvre de la sculpture médiévale. En outre, de 1843 à 1907, le rattachement du musée à la Commission supérieure des Monuments historiques favorisa l'enrichissement de cette collection. 1122-1151 Suger, abbé de Saint-Denis 1140 Consécration de la façade occidentale de Saint-Denis 1226-1270 Règne de Louis IX (saint Louis) 1248 Consécration de la Sainte-Chapelle du Palais de la Cité 1771 Déposition des statues colonnes de Saint-Denis La sculpture gothique Salle 11 Français D. Cl. 12119 A. Cl. 23250 B. Cl. 23312 C. Cl. 23415 A B C B E E. Cl. 18666 salle 10 salle 11

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L’église abbatiale de Saint-DenisLa consécration de la façade occidentale de Saint-Denis

en 1140 marque une transformation profonde dans

les rapports entre sculpture et architecture : aux grands

tympans sculptés (ou, pour l’un d’entre eux au moins, de

mosaïque), l’architecte de l’abbé Suger a, pour la première

fois, fait ajouter, sur les piédroits, de grandes statues sculp-

tées chacunes dans le même bloc que la colonne, donc

pleinement intégrées à l’ensemble architectural, faisant

franchir un nouveau pas au processus de glorification de

l’entrée de l’église lancé depuis la fin du siècle précédent.

Reprise sur place à un portail du côté nord (l’actuelle

porte des Valois), l’idée est rapidement imitée aux cathé-

drales de Chartres et de Paris, et devient dès la fin de la

décennie un élément essentiel du portail gothique.

Déposées dès 1771, officiellement pour laisser passer le

nouveau dais de procession, en fait dans le cadre d’un

«embellissement» dans le goût du temps qui reproche à

l’architecture médiévale ses excès décoratifs, les statues

colonnes de la façade occidentale disparaissent alors.

Des six têtes aujourd’hui connues, trois se trouvent

dans des collections publiques américaines, les trois autres

sont présentées ici.

Première à intégrer les collections du musée, la tête

féminine identifiée avec la reine de Saba du piédroit gauche

du portail central (A. Cl. 23250) est probablement la plus

frappante malgré les mutilations qui lui donnent un

caractère étrange. L’aspect extrêmement décoratif de

la couronne contraste avec la force du visage aux lèvres

fermes, aux traits taillés avec une vigueur étonnante.

Comme pour la tête de Moïse provenant de l’ébrasement

droit du portail de droite (B. Cl. 23312), les pupilles sont

évidées pour accueillir des morceaux de pâte de verre

renforçant, avec la polychromie aujourd’hui disparue,

l’aspect vivant et sévère de ces sculptures.

La tête d’un prophète non identifié provenant de

l’ébrasement gauche du portail de droite (C. Cl. 23415)

possède en revanche des globes oculaires lisses, mais

présente le même mélange de finesse décorative et de

hiératisme, renforcé par le fort axe vertical du visage.

Quelques années plus tard, vers 1145, Suger fait réaliser les

chapiteaux du cloître par un atelier de sculpteurs également

actif à Saint-Germain-des-Prés. Les représentations y mêlent

un répertoire d’animaux fantastiques, sirènes, griffons et

créatures hybrides, à de fidèles reprises des modèles antiques.

Ainsi, du chapiteau D. Cl. 12119, directement inspiré des

éléments en marbre de l’édifice paléochrétien (voir les

chapiteaux dans le frigidarium, salle 9), poussant l’imitation

jusqu’à prolonger la tradition antique de l’astragale (moulure)

intégrée dans la colonne et non dans le chapiteau comme le

voulait la pratique du XIIe siècle.

La Sainte-Chapelle du Palais de la Cité à ParisL’achat par Louis IX, en 1239, de la Couronne d’épines aux

Vénitiens, puis en 1241, d’une partie des arma Christi

(les instruments de la Passion) à Baudoin II, empereur latin

de Constantinople, entraîna le lancement de ce qui fut

probablement le chantier le plus prestigieux, mais aussi le

plus rapide, du XIIIe siècle. Après moins de dix ans, la cha-

pelle Saint-Nicolas du Palais de la Cité fut remplacée par un

reliquaire de pierre et de verre qui entra en fonction en

1248. Outre le riche trésor et la non moins extraordinaire

parure de verre, la Sainte-Chapelle comportait aussi, contre

les murs à l’intérieur de l’édifice, un collège apostolique

associant, dans l’esprit de l’épître de Paul aux Galates

et par-delà le tu es Petrus et super hanc petram, les premiers

disciples aux piliers de l’Église.

Déposés un peu brutalement en 1797, passés par le

musée des Monuments français dirigé par Alexandre Lenoir

puis dispersés, les apôtres furent à nouveau réunis à la

Sainte-Chapelle en 1843, à l’occasion des restaurations

menées par les architectes Duban et Lassus. Des dix statues

qui subsistaient en tout ou en partie, quatre furent rem-

ployées dans la Sainte-Chapelle, les autres partant au dépôt

lapidaire de la Ville de Paris, puis bientôt intégrées

dans les collections du musée de Cluny naissant. Parmi

celles-ci, deux ne sont plus que des fragments de draperie,

une est décapitée, toutes ont perdu leurs attributs ce qui

rend les identifications impossibles, à l’exception de saint

Jean (E. Cl. 18666), le plus jeune des apôtres, traditionnel-

lement représenté imberbe dans les collèges apostoliques.

La richesse des collections lapidaires du musée tient à leur histoire. Dèsla première moitié du XIXe siècle, alors que l’hôtel des abbés de Clunyétait divisé en habitations privées, Alexandre Du Sommerard s'y installa.Les thermes étaient propriété de la Ville de Paris, et celle-ci les utilisaitcomme réserve pour toutes les sculptures déposées lors des restaurationsde monuments. À la création du musée en 1843, la Ville céda le bâti-ment et son contenu à l’État pour le franc symbolique, permettant ainsil’entrée dans les collections de chefs-d’œuvre de la sculpture médiévale.En outre, de 1843 à 1907, le rattachement du musée à la Commissionsupérieure des Monuments historiques favorisa l'enrichissement de cettecollection.

1122-1151Suger, abbé de Saint-Denis

1140Consécration de la façade occidentale de Saint-Denis

1226-1270Règne de Louis IX (saint Louis)

1248Consécration de la Sainte-Chapelledu Palais de la Cité

1771Déposition des statues colonnes deSaint-Denis

La sculpture gothique Salle 11Français

D. Cl. 12119

A. Cl. 23250

B. Cl. 23312

C. Cl. 23415

A

B C

B

E

E. Cl. 18666

salle 10

salle 11

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Proches dans leur esprit, mais quelque peu diverses dans

leur facture, la rapidité du chantier ayant demandé de faire

intervenir dans le même temps plusieurs sculpteurs, ces

statues représentent l’apogée du classicisme parisien tel qu'il

s’était développé, au cours du quart de siècle précédent,

dans la suite du portail central de la façade de Notre-Dame

de Paris. Si elles ne possèdent pas la richesse dynamique

des sculptures légèrement plus tardives de Jean de Chelles

au bras nord du transept de Notre-Dame, elles font preuve

d’un équilibre des drapés, d’une douceur des gestes et d’une

équanimité dans les visages qui témoignent de la sereine

certitude d’un art en sa perfection. À la douce mélancolie

de l’un des apôtres barbus, la tête légèrement inclinée,

les gestes retenus, s’oppose le tranquille aplomb du second,

dont le visage est directement emprunté aux bustes romains

des Ier-IIe siècles de notre ère longtemps identifiés comme

des portraits de Sénèque.

Priorale Saint-Louis de Poissy (Île-de-France)Le souvenir de la Sainte-Chapelle était très présent à l’esprit

de Philippe le Bel lorsqu’il fonda, en 1297, à Poissy,

un prieuré de dominicaines consacré à saint Louis, son

grand-père canonisé la même année.

Le décor sculpté intérieur en était cependant différent : au

transept étaient glorifiés le saint roi et son épouse, Marguerite

de Provence, ainsi que six de leurs enfants ; un ensemble

d’anges porteurs des arma Christi provenant probablement

d’une figuration apocalyptique, occupait un espace encore

indéterminé, au jubé, sur la clôture de chœur ou sous le

porche occidental.

Seules deux des statues de la famille royale subsistent :

Isabelle de France, aujourd’hui en place dans la collégiale

Notre-Dame de Poissy, et Pierre d’Alençon (F. Cl. 23408).

Le musée conserve trois figures et une tête d'ange

(G. Cl. 18762, 23246, 23292 et 23441). Ces figures se

distinguent par la fluidité des drapés, héritée des apôtres de

la Sainte-Chapelle, par l’élégance des gestes, par les corps aux

hautes tailles, par les visages aux nez fins et aux yeux étirés,

mais aussi par les déformations que le sculpteur n’a pas hésité

à imprimer aux visages des anges sonnant la trompette.

Eglise de l’hôpital Saint-Jacques-aux-PèlerinsLe principe d’un collège apostolique cernant l’église, tel qu’il

avait été utilisé à la Sainte-Chapelle, fut réutilisé trois-quarts

de siècles plus tard, entre 1319 et 1327, à l’église parisienne

Saint-Jacques-aux-Pélerins, l’identification entre les apôtres

et les pèlerins étant l’un des topoi (lieux communs) de la

rhétorique religieuse au moins depuis le milieu du XIIe siècle.

Si la plupart des sculptures furent réalisées par Robert de

Lannoy, deux d’entre elles, dont l’une de celles conservées

au musée (H. Cl. 18759), furent confiées à un sculpteur

peut-être originaire de Norwich (Angleterre) mais

parfaitement intégré dans le milieu des sculpteurs parisiens

dès la fin du XIIIe siècle, Guillaume de Nourriche.

Son style, plus nerveux, aux drapés plus incisifs, avec un

visage plus naturaliste, se distingue clairement de celui de

Robert de Lannoy (I. Cl. 18756, 18757, 18758 et 18760),

plus traditionnel et plus souple.

Ivoires du XIIIe siècleLe XIIIe siècle voit le travail de l’ivoire prendre en France

et notamment à Paris une nouvelle ampleur. Les liens entre

ivoiriers et sculpteurs autour de 1250 sont rendus

particulièrement évidents par un ensemble d’œuvres regrou-

pées autour d’un diptyque conservé au Victoria and Albert

Museum de Londres provenant peut-être de Soissons.

Un fragment de diptyque illustrant les scènes de la Passion

(J. Cl. 417) appartient à cet ensemble, l’autre volet se

trouve à la Walters Art Gallery de Baltimore (Etats-Unis).

Les figures en fort relief et d’une calme expressivité

rappellent la sculpture de l’époque et notamment celle

des apôtres de la Sainte-Chapelle.

Très différent dans l’esprit est le triptyque provenant de Saint-

Sulpice du Tarn (K. Cl. 13101) réalisé dans des ateliers

parisiens peu avant 1300. Les figures centrales, monumen-

tales, ont une élégance plus fluide, plus souple, tandis que

le traitement des volets latéraux se fait plus graphique.

L’une des plus anciennes valves de miroir, l’Assemblée

(L. Cl. 404), est aussi la plus grande conservée. Ivoire

à fonction profane, destiné à conserver et à protéger une

feuille de métal réfléchissant, il s’agit manifestement, tant

par la qualité de la sculpture rappelant celle de la priorale

de Poissy que par la thématique, d’un objet intimement lié

à la cour royale parisienne. Plutôt que la représentation

d’une scène contemporaine, il faut probablement y voir

la rencontre entre Salomon et la Reine de Saba.

Xavier Dectot, conservateur

F. Cl. 23408

G. Cl. 23292

H. 18759

I. Cl. 18756

J. Cl. 417

K. Cl. 13101

L. Cl. 404

1258-1265Maîtrise d’œuvre de Jehan deChelles, architecte de Notre-Dame de Paris

1285-1314Règne de Philippe IV Le Bel

1297Fondation de la prioraleSaint-Louis de Poissy

1319-1327Robert de Lannoy et Guillaumede Nourriche travaillent àSaint-Jacques-de-l’Hôpital

1805Démolition de la prioraleSaint-Louis de Poissy

1823Démolition de l’église Saint-Jacques-aux-Pèlerins

6 p l a c e P a u l P a i n l e v é , 7 5 0 0 5 P a r i sS e r v i c e c u l t u r e l . T é l . 0 1 5 3 7 3 7 8 1 6w w w . m u s e e - m o y e n a g e . f r

Après utilisation, merci de remettre ce document sur son présentoir.Ce texte est disponible sur le site internet du musée ou sur demande à l’accueil.

Musée Nationalthermes & hôtel de Clunydu Moyen Age

(fig. 1) Priorale Saint-Louis

de Poissy, élévation côté nord.

© BnF

E

I

L K J

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H

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F

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G

G

Page 3: Cluny Fiches Salles + Plan

Île-de-France et Lorraine

Île-de-France

Le culte de la Vierge s’étant répandu tout au long

du XIIIe siècle, la représentation du groupe de la Vierge

présentant l'Enfant devient, à la fin du siècle, le sujet

privilégié des commanditaires. L’Île-de-France et la Lorraine,

notamment, s'illustrent dans le domaine de la sculpture.

Parmi les œuvres du musée, remarquons d’abord une œuvre

de petites dimensions, dont l’apparence précieuse est

renforcée par la survivance partielle de sa polychromie : fort

mutilée, la Vierge comme l’Enfant ayant perdu leur tête,

cette petite sculpture assise (A. Cl. 18768) présente

un grand sens de la mise en espace et, surtout, un intérêt

remarquable pour le décor, dans le soin apporté tant

aux vêtements de la Vierge qu’au trône sur lequel

celle-ci est assise.

Œuvres de l’abbaye de Longchamp (Île-de-France)

Plus tardive de près d’un demi-siècle, la Vierge (B. Cl. 19254)

provenant probablement de l’abbaye de Longchamp est tout

aussi fine, mais moins exubérante. Selon une iconographie

bien connue, l’Enfant joue avec un oiseau, sans doute un

chardonneret, la tradition médiévale voulant que celui-ci ait

reçu la tâche rouge qui orne sa tête en passant sous la Croix,

ce qui en fait une préfigure de la Passion.

Originaire de la même abbaye mais sculpté près d’un quart

de siècle plus tard, le Saint Jean (C. Cl. 19255) a souvent été

attribué à l’un des grands sculpteurs de la fin du XIVe siècle,

Jean de Liège. Même si le caractère sérieux, voire austère, du

visage ne permet pas de retenir cette attribution, il n’en reste

pas moins qu’il s’agit bien d’une œuvre de grande qualité,

mais très différente du reste de la sculpture de cette époque.

Plutôt que le traitement lisse, fluide, des drapés qu’affection-

nait la plupart des sculpteurs contemporains, l’artiste a ici

préféré un traitement heurté, tranchant, qui contribue à

donner à son œuvre une présence physique exceptionnelle.

Les Vierges à l’Enfant de Lorraine

Leur silhouette trapue, presque épaisse, leur tête couronnée

et portant un voile court, ainsi qu’on peut les voir, par

exemple, à la cathédrale et au musée de Saint-Dié-des-

Vosges, rendent les Vierges à l’Enfant de Lorraine aisément

reconnaissables.

Le musée conserve l’une des plus belles (D. Cl. 18944). La

tête légèrement ovale posée sur un cou large et épais, le

hanchement sensible malgré l’épaisseur du corps, la finesse

des mains, la souplesse du long manteau, la concentration

de l’Enfant plongé dans son bréviaire, le soin du détail

(notamment de la ceinture dont l’extrémité repasse sous le

manteau pour se glisser dans un pli au-dessus du genou

droit), tout contribue à donner à cette sculpture une

élégance subtile. Au même titre que les autres exemples

s'en rapprochant, celle de Saint-Dié, mais aussi celle de

Maxéville (près de Nancy), en effectuant une synthèse entre

le raffinement de la sculpture parisienne des premières

décennies du XIVe siècle et une tradition plus posée sinon

statique, ce groupe ouvre la voie aux recherches de la

sculpture de la zone occidentale de l’Empire dans les

années 1350.

Retables des Pays-Bas méridionauxLe XVe siècle voit se développer, dans les Pays-Bas

méridionaux (région correspondant approximativement

à l’actuelle Belgique), une production de sculpture particu-

lièrement organisée et spécialisée dans les grands retables en

bois rehaussés de polychromie (un retable est un élément

sculpté, peint ou d’orfèvrerie destiné à être placé derrière

l’autel, en latin : retro tabula).

Les corporations

Ces groupements jouent un rôle central dans ce système.

Ils organisent strictement la création, fixant chacun des

éléments techniques avec précision, du choix du bois

à celui des pigments, déterminant aussi à qui incombe telle

ou telle tâche. Chaque ville appose une marque

de certification sur les œuvres réalisées sous son égide selon

les règles qu’elle a établies, marques dont la plus célèbre est

probablement la main d’Anvers (fig. 1), apparue vers 1470

et que l’on retrouve aussi bien sur les éléments sculptés que

sur la caisse même des retables.

Si le XIIIe siècle se place dans la suite du siècle précédent par l'importanceprimordiale accordée à la sculpture monumentale, les deux dernierssiècles du Moyen Âge se démarquent par le développement de la dévotionprivée, d'une part, l'intérêt pour des œuvres narratives, d'autre part. Ladomination de la froide théologie scolastique dont Thomas d’Aquin fut,au XIIIe siecle, le plus important représentant, est remise en cause par lapropagation d’une piété plus mystique, insistant sur la relation directeentre le croyant et le monde divin.

1215

Concile de Latran IV. Dogme de la transsubstantiation

1255

Isabelle de France fonde l’abbayede Longchamp

1406

Mort de Claus Sluter. Claus de Werve prend sa suite

Vers 1418

Rédaction de l’Imitation de Jésus-Christ,probablement par Thomas a Kempis

Vers 1470

Apparition de la main d’Anvers

Sculptures des XIVe et XVe siècles

Salle 14Français

C. Cl. 19225 (détail)

A. Cl. 18768

B. Cl. 19254 (détail)

D. Cl. 18944 (détail)

A

B

C

D

E

(fig. 1) Mains d’Anvers

Page 4: Cluny Fiches Salles + Plan

Les retables flamands et brabançons

Outre de nombreux fragments, deux grands retables

complets témoignent au musée de l’importance de cette

production brabançonne. Celui provenant de l’abbaye

des Prémontrés d’Averbode, en Brabant, œuvre de l’atelier

anversois de Jan de Molder (E. Cl. 240), fut installé sur

l’autel du Saint-Sacrement à Pâques 1514. Son iconographie

est relativement originale, puisqu’il n’est pas consacré

aux scènes de l’enfance ou de la Passion du Christ mais

à un point de théologie brûlant tout au long du Moyen Âge

et qui était alors à nouveau particulièrement débattu,

le problème de la transsubstantiation (la transformation du

pain en chair et du vin en sang du Christ). Ainsi, au centre,

juste au-dessus de l’autel inférieur se trouvait l’hostie,

présentée dans un ostensoir soulevé par deux anges revêtus

d’une dalmatique (longue tunique à larges manches portée

notamment par les diacres). Au-dessus, le Christ surgit

de l’autel principal au moment où le pape saint Grégoire

procède à la consécration des espèces, l’un des miracles

traditionnellement invoqués pour témoigner de la réalité

de la transsubstantiation. Dans le compartiment de gauche,

Melchisédech, roi et grand prêtre de Salem, bénit Abraham,

scène de l’Ancien Testament largement interprétée par

les théologiens médiévaux comme annonçant le miracle

eucharistique, tandis qu’à droite est représentée la Cène.

Petits retablesLe développement de la dévotion privée à partir des années

1300 entraîne l’apparition, à côté des grands retables

sculptés ou peints, d’autres plus petits, parfois en matériaux

précieux, parfois aussi en bois peint et doré destinés à des

chapelles privées. Deux exemples en témoignent ici.

En Bourgogne

Le premier (F. Cl. 23311), qui a perdu ses volets, est

consacré à une scène classique de la dévotion privée,

la Déploration sur le Christ mort, celle des sept douleurs

de la Vierge qui se prêtait le plus à une représentation

à la fois intimiste et morbide en phase avec la piété de la fin

du Moyen Âge. Le goût pour les étoffes lourdes aux plis

creusés très marqués et pour les mouvements graphiques est

caractéristique de l’art du duché de Bourgogne, notamment

de celui du gendre et successeur de Claus Sluter, Claus de

Werve, dans l’entourage duquel fut sculpté ce retable.

Ce goût est ici sensible tant dans les gestes de saint Jean ou

de Marie Madeleine que dans le contraste entre la verticale

de la figure de la Vierge et l’oblique du corps du Christ.

En Rhin inférieur

C’est à un monde tout différent qu’appartient le second

retable (G. Cl. 3269), bien que le sujet en soit sensiblement

le même. Au lieu de la représentation resserrée autour

des quatre principaux personnages, monumentale malgré

ses dimensions réduites observées sur le retable bourguignon,

Arndt de Kalkar (ville du Rhin inférieur) choisit d’inscrire

la scène dans un paysage structuré, le Golgotha, figuré par

une série de plans aux angles marqués, l’un des éléments

caractéristiques du style de cet artiste. Les personnages

foisonnent, et il faut noter au premier plan dans l’angle

inférieur droit, la présence d’un donateur, un chartreux

présenté par saint André. Si les plis sont fluides,

les attitudes, en revanche, sont contournées, accentuant

les expressions de douleur. Les volets peints, au sens de

lecture classique pour l’époque (de haut en bas pour le volet

de gauche puis de bas en haut pour celui de droite),

retracent sur la face intérieure les épisodes de la Passion :

la nuit au Mont des Oliviers, le baiser de Judas,

la Flagellation, le Couronnement d’épines, le Portement

de Croix et la Crucifixion.

Autres sculptures des Pays-Bas méridionaux Même si les grands retables dominent largement leur

production, les sculpteurs des anciens Pays-Bas méridionaux

ont aussi réalisé des sculptures en ronde bosse.

De celles-ci, le musée conserve notamment une magnifique

Marie Madeleine (H. Cl. 1851) reconnaissable au pot

d’onguent qu’elle porte, ici représentée comme une jeune

femme raffinée, à la taille haute et fine, au visage légèrement

ovoïde, à la robe rehaussée de passementerie. La sainte est

surtout remarquable par la coiffure particulièrement

travaillée, avec les nattes s’enroulant autour du bonnet puis

repassant au sein de la boucle qu’elles forment avant de

retomber sur les épaules.

Une autre œuvre remarquable, la Vierge à mi-corps

(I. Cl. 11490), peut être rattachée à un ensemble d’autres

Vierges de la fin du XVe siècle, toutes conservées dans

la région de Louvain, notamment celle de Piétrebas,

qui offrent la même forme ovale du visage, la même

expression nonchalante, les mêmes longs cheveux ondulés,

la même moue presque aguicheuse. Était-elle dès l’origine

à mi-corps ? Cette disposition, fréquente en Italie, est en

revanche rare en Europe du Nord ; il est possible qu’elle

ait été sculptée en pied puis sectionnée à la taille dans un

second temps.

Xavier Dectot, conservateur

E. Cl. 240

F. Cl. 23311

G. Cl. 3269

H. 1851 (détail)

I. Cl. 11490

6 p l a c e P a u l P a i n l e v é , 7 5 0 0 5 P a r i sS e r v i c e c u l t u r e l . T é l . 0 1 5 3 7 3 7 8 1 6w w w . m u s e e - m o y e n a g e . f r

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Musée Nationalthermes & hôtel de Clunydu Moyen Age

1215

Concile de Latran IV. Dogme de la transsubstantiation

1255

Isabelle de France fonde l’abbayede Longchamp

1406

Mort de Claus Sluter. Claus de Werve prend sa suite

Vers 1418

Rédaction de l’Imitation de Jésus-Christ,probablement par Thomas a Kempis

Vers 1470

Apparition de la main d’Anvers

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Page 5: Cluny Fiches Salles + Plan

L’essor des émaux champlevés à l’époque romaneLa technique la plus ancienne, antérieure au Moyen Âge,

est celle des émaux cloisonnés, utilisée dans l’empire

byzantin et, en Occident, durant le premier Moyen Âge.

L’émail est logé dans des alvéoles délimitées par de fines

cloisons d’or fixées sur une plaque de métal peu épaisse,

le plus souvent en or.

Au début du XIIe siècle se développe en Occident une

technique moins coûteuse, celle des émaux champlevés, déjà

connue dans l’Antiquité. Elle consiste à placer l’émail dans

des alvéoles (ou champs) creusées dans une plaque de métal

assez épaisse, généralement en cuivre ; les parties épargnées

(non émaillées) sont dorées au mercure. Cette technique

connaît un formidable essor, qui correspond à l’épanouisse-

ment de l’émaillerie romane, dans deux foyers principaux.

Le foyer méridional

Expérimentés à Conques, sous l’abbé Boniface, au début

du XIIe siècle, les émaux champlevés se diffusent dans le

nord de l’Espagne et le sud-ouest de la France, avec pour

centres majeurs Silos et Limoges. Fabriquée dans un atelier

espagnol ou limousin, la plaque de reliure du Christ en

Majesté (A. Cl. 13070 - vitrine 11), dont le pendant

La Crucifixion, (fig. 1) se trouve à Madrid, est un rare

exemple méridional d’association d’émaux champlevés et

cloisonnés. Romane par la frontalité du Christ aux drapés

stylisés qui remplit toute la mandorle (figure en forme

d’amande) symbolisant l’univers, mais aussi par la

vivacité des symboles des évangélistes, cantonnés dans

les écoinçons (angles) en vertu de la “loi du cadre”, cette

œuvre rappelle par sa mise en page certains bas-reliefs

sculptés romans (fig. 2).

Le foyer septentrional

Les émaux champlevés se diffusent également dans un foyer

centré sur les régions de la Meuse et du Rhin, et étendu

jusqu’à la Saxe, l’Angleterre et la Champagne. Datée vers

1160-1170, la plaquette Élie et la veuve de Sarepta (B.

Cl. 23823 - vitrine 10), à la palette froide caractéristique des

émaux septentrionaux, appartenait sans doute à une de ces

croix typologiques de la région de la Meuse c’est-à-dire

mettant en relation des épisodes de l’Ancien et du Nouveau

Testament (fig. 3) : les bouts de bois croisés sont ici une

préfigure de la croix du Christ. L’ensemble de plaquettes

et nimbes émaillés (C. Cl. 14673, Cl. 17709, Cl. 23529,

Cl. 23535 - vitrine 10), éléments de grandes châsses

démembrées, présente l’association, typique des émaux

rhéno-mosans des années 1180-1200, des techniques du

champlevé et du cloisonné. La plaque de reliquaire de la

Crucifixion (D. Cl. 13068 - vitrine 10), réalisée à Hildesheim,

déploie ses silhouettes réservées (Vierge, Eglise, Christ,

Synagogue, Disciple, moine donateur) sur un fond bleu nuit

constellé de points d’or fréquents sur les émaux de Basse-Saxe.

L’Œuvre de LimogesDésignée dans les textes, à partir de 1169, sous le terme

d’Œuvre de Limoges (Opus lemovicense), la production

des ateliers limousins, dont les premiers témoignages datent

du 2e quart du XIIe siècle, se diffuse dans toute l’Europe,

favorisée par la décision du concile de Latran IV, en 1215,

d’autoriser l’emploi de l’émail champlevé pour les vases

sacrés. Le prix relativement modeste des matériaux,

la vivacité des couleurs, la verve narrative, l’abondance

et la diversité des objets fabriqués ont contribué au succès

des émaux limousins.

Une production abondante et diversifiée

À la production religieuse, modeste ou luxueuse, qui

comprend de nombreuses châsses-reliquaires (châsse des rois

mages, E. Cl. 23822 - vitrine 12) et des objets liturgiques

tels que pyxides (boîtes à hosties), croix, reliures de livres

sacrés, colombes eucharistiques… s’ajoute la gamme des

objets profanes. Le décor profane ou courtois de certaines

pièces, chandeliers, gémellions (coupes jumelles destinées

au lavement des mains : F. Cl. 954 - vitrine 23), n’exclut pas

une utilisation liturgique. De nombreux objets en cuivre

doré non émaillé ont aussi été réalisés par les ateliers

limousins, comme les groupes d’applique, qui semblent être

des éléments de retables, de La Flagellation et de La Cène

(G. Cl. 942, Cl. 973 - vitrine 20).

Au Moyen Âge, l’émail est l’une des principales ressources du décor de l’orfèvrerie. C’est une poudre de verre colorée à l’aide d’oxydes métalliques(cobalt, cuivre, fer…) et le plus souvent opacifiée. Appliquée sur un support métallique (or, argent ou cuivre), elle se liquéfie à la cuisson et sesolidarise au métal en refroidissant. Opaques ou translucides, les émaux,qui se prêtaient bien à l’ornementation et à la narration, ont connu auMoyen Âge un extraordinaire succès, en raison de leur éclat et de leurscouleurs. Presque toutes les techniques d’émaillage ont été inventées oudéveloppées à l’époque médiévale.

1077

Fondation de l’ordre de

Grandmont

1107- ap.1121

Boniface, abbé de Conques

1169

Première mention de l’Œuvrede Limoges dans les textes

1173

Canonisation de Thomas Becket,archevêque de Cantorbéry, assassiné en 1170

1189

Canonisation d’Etienne deMuret, fondateur de Grandmont

1215

Concile de Latran IV

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Les émaux au Moyen Âge

Salle 16Français

A. Cl. 13070 - vitrine 11

(fig. 1) Crucifixion, plaquede reliure, Madrid,

Instituto de Valencia deDon Juan

(fig. 2) Bas-relief, XIIe s.,Toulouse, Saint-Sernin,

déambulatoire.

(fig. 3) Croix typologique,atelier mosan, vers 1160-1170, Bruxelles, Musées

royaux d’Art et d’Histoire.

E

G F

A

B C D

Page 6: Cluny Fiches Salles + Plan

Les ateliers limousins ont été capables, afin de réduire

les coûts de production et de satisfaire une vaste clientèle,

de mettre en œuvre une fabrication en nombre, comme

celle des châsses de saint Thomas Becket (H. Cl. 22596,

Cl. 23296 - vitrine 13), qui attestent la diffusion rapide

du culte de l’archevêque de Cantorbéry, assassiné dans

sa cathédrale en 1170 et canonisé en 1173.

Les ateliers de Limoges ont également créé des objets

uniques pour des commanditaires prestigieux. Les plaques

de L’Adoration des Mages et de Saint Etienne de Muret et

son disciple Hugo Lacerta (I. Cl. 956 a et b - vitrine 11) sont

les seuls éléments subsistant de l’autel majeur de l’église

prieurale de l’ordre de Grandmont, fondé en 1077 par

Étienne de Muret, œuvre probablement exécutée juste

après la canonisation du fondateur en 1189. Le chandelier

à décor de scènes de lutte et de jonglerie (J. Cl. 23440 -

vitrine 23) a sans douté été réalisé dans un milieu proche

de la cour des Plantagenêt, autre commanditaire important

des ateliers limousins.

L’évolution technique et esthétique

Les premières productions limousines présentaient des

figures émaillées sur un fond doré, lisse ou vermiculé –

orné de fins rinceaux – (K. Cl. 18310 - vitrine 12).

Vers 1180-1190 se développe une technique plus facile

à mettre en œuvre, donc mieux adaptée à une fabrication

de masse : sur un fond émaillé, les figures sont laissées

en réserve, gravées et dorées, et portent souvent des têtes

d’applique en relief. Cette nouvelle technique, employée

pour l’Enfant Jésus sur la plaque de L’Adoration des Mages

(L. Cl. 956 b - vitrine 11), se généralise pendant le premier

XIIIe siècle (Grande châsse de sainte Fauste, M. Cl. 2826 -

vitrine 18), à l’exception d’un courant archaïsant qui

réutilise la technique initiale : Reliquaire de saint François

d’Assise (vers 1228-1230, N. LO AD 81 - vitrine 12), Croix

de Bonneval (vers 1225-1235, O. Cl. 22888 - vitrine 12).

La seconde moitié du XIIIe siècle voit la multiplication

de fabrications stéréotypées, de figures d’applique

sommaires (Châsse aux “poupées”, P. Cl. 14766 - vitrine 22),

et l’affaiblissement de la qualité de la production,

qui se raréfie et se recentre sur une clientèle locale

au début du XIVe siècle.

Dans le domaine stylistique et esthétique, l’Œuvre deLimoge reflète l’évolution de l’art roman à l’art gothique. Le magnifique Christ roi crucifié (Q. Cl. 23671 - vitrine 16)se situe à la charnière de ces deux styles : c’est encore unChrist roman, glorieux et triomphant de la mort, mais les genoux fléchis, la tête inclinée et le modelé du torse indiquent un traitement plus naturaliste et l’émergence de l’image gothique du Christ souffrant.

L’émergence de techniques raffinées au tournant des XIIIe et XIVe sièclesAux XIIIe-XIVe siècles, alors que s’épanouit l’orfèvreriegothique, Paris s’affirme comme la capitale des arts précieuxen Europe, à côté d’autres centres tels que Venise, Florence,Sienne, Avignon ou Prague.

Les émaux de plique

Vers 1300, les orfèvres parisiens remettent au goût du jourl’émail cloisonné sur or, avec l’invention des “émaux deplique” (terme qui peut signifier “applique” ou “compliqué”). Les six plaquettes du musée (R. Cl. 21386,

Cl. 21387, Cl. 23411 a, b, c, d - vitrine 36), qui étaient sansdoute cousues sur des vêtements, en sont une magnifiqueillustration. Très raffinées, elles déploient tout un répertoireornemental de trèfles, cœurs et cercles, délimités par de fines

cloisons d’or et remplis d’émaux opaques bleus, rouges

et blancs, ou d’émail transparent laissant apparaître l’or

sous-jacent. Ces plaquettes émaillées sont peut-être dues

au plus célèbre créateur parisien d’émaux de plique,

Guillaume Julien, orfèvre du roi Philippe le Bel.

Les émaux translucides sur basse-tailleLa technique des émaux translucides sur basse-taille, inventée par les orfèvres siennois à la fin du XIIIe siècle, est adoptée à Paris dès le début du XIVe siècle. Elle consiste à appliquer des émaux translucides sur une plaque d’argent(parfois d’or) gravée et ciselée en un bas-relief (une “basse-taille”). Difficile à mettre en œuvre (car les émaux ne sont pasnettement séparés par des cloisons), cette technique délicatepermet de superbes jeux de transparence et de lumière.Destinée, comme la précédente, à des commanditaires fortunés, rois, princes, nobles et riches églises, elle a donnélieu à la réalisation d’objets luxueux, comme le Reliquaire-pendentif de sainte Geneviève (S. Cl. 23314 - vitrine 38),fabriqué à Paris vers 1380. Aux XIVe et XVe siècle, calices,reliquaires et croix, particulièrement en Italie et enCatalogne, s’ornent de plaquettes d’émaux translucides :Reliquaire-monstrance siennois daté de 1331 (T. Cl. 9190 -

vitrine 30), Croix de Barcelone (U. Cl. 22585 - vitrine 27).À la fin du XVe siècle réapparaît à Limoges une productionassociant le cuivre et l’émail, selon une formule nouvelle,celle des émaux peints (souvent sous forme de tableaux).Ceux-ci assureront aux ateliers limousins une prospéritéretrouvée au XVIe siècle. Outre quelques exemplaires précoces présentés salle 17, dont La Crucifixion signée Nardon Pénicaud (V. Cl. 2232), une riche collectiond’émaux peints est visible au musée national de la Renaissance à Écouen.

Christine Descatoire, conservatrice

H. Cl. 22596 - vitrine 13

I. Cl. 956 a - vitrine 11

J. Cl. 23440 - vitrine 23

N. LO AD 81 - vitrine 12

Q. Cl. 23671 - vitrine 16

R. Cl. 21386, Cl. 21387, Cl. 23411abcd - vitrine 36

S. Cl. 23314 - vitrine 38

T. Cl. 9190 - vitrine 30

15 16 17 18 19 20 21 22 23 24

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Après utilisation, merci de remettre ce document sur son présentoir.Ce texte est disponible sur le site internet du musée ou sur demande à l’accueil.

Musée Nationalthermes & hôtel de Clunydu Moyen Age

1077

Fondation de l’ordre de

Grandmont

1107- ap. 1121

Boniface, abbé de Conques

1169

Première mention de l’ Œuvrede Limoges dans les textes

1173

Canonisation de Thomas Becket,archevêque de Cantorbéry, assassiné en 1170

1189

Canonisation d’Etienne deMuret, fondateur de Grandmont

1215

Concile de Latran IV

Page 7: Cluny Fiches Salles + Plan

L’orfèvrerie du premier Moyen Âge et de l’époque romane (Ve-XIIe siècles)Les arts du métal

Les royaumes (mérovingien, wisigothique…) nés des

migrations de populations des IIIe-Ve siècles, et successeurs

de l’Empire romain, sont traversés par des courants artistiques

divers voire antagonistes. L’émergence d’un art chrétien

accompagne la christianisation de l’Occident. Il se traduit par

la fabrication d’objets de culte comme la passoire liturgique

(A. Cl. 23248 - vitrine 6) qui sert à filtrer le vin de messe,

et par l’affirmation d’une symbolique et d’une iconographie

chrétiennes : croix pectorale (B. Cl. 14964 – vitrine 4)

destinée à être cousue sur le vêtement, châsse (reliquaire)

avec la Vierge à l’Enfant, saint Pierre et saint Paul (C,

Cl. 13968 – vitrine 4). La continuité avec le monde classique

dont témoigne la croix (B), qui utilise la technique antique

de l’estampage, et l’iconographie figurative de la châsse (C),

contrastent avec l’art ornemental germanique, fait de motifs

géométriques et animaliers stylisés, comme la paire de fibules

(sortes d’agrafes pour attacher les vêtements) en forme d’aigle

(D. Cl. 3479-3480 – vitrine 5). Cette mutation esthétique

s’accompagne de l’apport de techniques nouvelles. Le goût

pour la couleur suscite l’emploi privilégié de pierres (surtout

grenats) et verres colorés, mis en œuvre selon deux procédés

de sertissage. L’orfèvrerie cloisonnée consiste à les loger dans

un réseau couvrant de cloisons (fibules wisigothiques D).

La technique des pierres en bâtes (petits boîtiers individuels),

qui sera utilisée pendant tout le Moyen Âge, trouve une

éclatante illustration dans les couronnes d’or que les rois

wisigoths d’Espagne firent réaliser au VIIe siècle et suspendre

dans les sanctuaires en signe de piété (E. Cl. 2879, Cl. 2885,

Cl. 3211 – vitrine 1). La pratique de l’inhumation habillée,

en vigueur jusqu’au VIIe siècle, a permis de retrouver dans

les tombes un matériel abondant de bijoux, parures, armes

et objets du quotidien, notamment ces nombreuses plaque-

boucles de ceinture ou cette épée d’apparat franque et son

fourreau (F. Cl. 7957 – vitrine 4).

À l’époque carolingienne, malgré les références à l’art

antique et le souci de représentation de la réalité qui

accompagnent la Renovatio Imperii (renaissance impériale),

l’art ornemental de la période précédente reste vivace,

illustré ici par un mordant de baudrier (garniture d’épée)

en or (G. Cl. 3410 – vitrine 4) décoré de filigranes (fils de

métal lisses ou striés fixés par soudure).

L’orfèvrerie romane

Autour de l’an mil s’épanouit, en orfèvrerie aussi bien qu’en

architecture et en sculpture, une esthétique nouvelle : au-

delà de son extrême diversité régionale, l’art roman se

caractérise par une stylisation qui cherche davantage à

évoquer qu’à représenter le réel, comme en témoignent une

croix munie d’une inscription (H. Cl. 13229 – vitrine 8),

la Plaque de reliure des quatre fleuves du paradis (I. Cl. 1362 –

vitrine 10) - toutes deux remarquables par la qualité de leur

gravure -, ou encore le Crosseron de Clairvaux

(J. Cl. 948 – vitrine 7, ill. au verso).

Jusqu’au XIIe siècle, les commanditaires sont majoritaire-

ment les souverains, les églises et les abbayes. Les créateurs

des œuvres sont en général inconnus, à l’exception de

quelques noms comme celui de Roger de Helmarshausen

(peut-être l’auteur de la croix H). Les œuvres ne sont

presque jamais signées, les documents permettant d’identi-

fier le commanditaire et le créateur sont très rares. En

revanche, les techniques de fabrication sont connues grâce

au témoignage fondamental que constitue le Traité sur

divers arts rédigé au XIIe siècle par le moine Théophile

(peut-être Roger de Helmarshausen).

L’orfèvrerie gothique (milieu du XIIe siècle-XVe siècle)Les grands centres de production

La période gothique, à partir du milieu du XIIe siècle,

marque un tournant dans le domaine de l’orfèvrerie.

Paris s'affirme comme la capitale des arts précieux en Europe,

surtout à partir du règne de saint Louis (1226-1270).

La Sainte-Chapelle, construite de 1243 à 1248 au cœur du

palais royal, est peu à peu dotée d’un important

trésor d’orfèvrerie, dont l’une des rares pièces conservées,

Au Moyen Âge, le terme “orfèvrerie” désigne le travail des métaux précieux (or et argent) ou considérés comme tels (cuivre doré), des pierres précieuses et des émaux (présentés sur une deuxième fiche). L’orfèvreriereligieuse, plus abondante parce que mieux conservée, comprend les objetsdu culte rendu au Christ, à la Vierge et aux saints (statuettes, reliquaires),et les objets liturgiques : pyxides et ciboires (pour conserver les hosties),calices et patènes, encensoirs, croix, reliures de livres sacrés… L’orfèvrerieprofane, composée de bijoux, éléments de parure, objets pour la table, estmoins bien conservée, car souvent fondue pour récupérer le métal oufabriquer des objets à la mode.

481-482

Avènement de Clovis,

roi des Francs

587-589

Conversion du roi wisigoth

Reccared

800

Couronnement impérial de

Charlemagne

Début du XIIe siècle

Traité sur divers arts du

moine Théophile

1204

Prise de Constantinople

lors de la 4° croisade

1226-1270

Règne de saint Louis

L’orfèvrerie médiévaleSalle 16Français

B. Cl. 14964 – vitrine 4

C. Cl. 13968 – vitrine 4

D. Cl. 3479-3480 – vitrine 5

E. Cl. 3211 – vitrine 1

G. Cl. 3410 – vitrine 4

I. Cl. 1362 – vitrine 10

D

G F

A

EI

H

GFCBJ

Page 8: Cluny Fiches Salles + Plan

le Reliquaire des saints Lucien, Maxien et Julien (K. Cl. 10746 –

vitrine 37), évoque l’édifice auquel il était destiné.

Le lien de l’orfèvrerie avec les autres arts, notamment

l’architecture, la sculpture, et la gravure, se renforce, comme

en témoigne le Reliquaire de l'ombilic du Christ (L. Cl. 3307 –

vitrine 31). Cette œuvre, exceptionnelle par ses qualités

plastiques, illustre avec brio le raffinement du milieu

parisien vers 1400.

D’autres centres artistiques concurrencent Paris dès

le XIVe siècle. Avignon, où la papauté s’est installée en

1309, devient, grâce au mécénat des papes et des cardinaux,

un creuset où se rencontrent des artistes venus de tous

horizons. La Rose d’or (M. Cl. 2351 – vitrine 2) fut

commandée par le pape Jean XXII à l’artiste siennois

Minucchio, et offerte au comte de Neuchâtel, qui y fit

ajouter ses armoiries. Le Fermail-reliquaire à l'aigle (N.

Cl. 3292 – vitrine 38) témoigne de l’essor de Prague comme

centre artistique sous la dynastie des Luxembourg, rois de

Bohême et empereurs du Saint Empire. Peut-être réalisé

pour l’empereur Charles IV, cet objet précieux qui combine

gravure, émaux et pierreries, est à la fois un fermail, destiné

à maintenir les pans d’un lourd manteau, et un reliquaire.

Essor de l’orfèvrerie profane

et évolution de l’orfèvrerie religieuse

L’essor de l’orfèvrerie profane est lié à l’importance crois-

sante des clientèles laïques. Des productions relativement

modestes aux objets fastueux des cours royales et princières,

bijoux et pièces de vaisselle sont les marques du statut

social de leur possesseur, comme le couteau (O. Cl. 22193 –

vitrine 28) aux armoiries et à la devise de Philippe le Bon

(“aultre n’arai ”). Le “trésor de Colmar” (vitrine 36), enfoui

lors des persécutions contre les juifs survenues durant la

Peste noire, se compose de bijoux et d’éléments de parure

en vogue au XIVe siècle : bagues, anneaux, ceintures,

fermaux (sortes d’attaches pour les vêtements), boutons

et appliques (cousus sur les vêtements) ; le seul objet

spécifiquement juif du trésor est la bague de mariage

en forme de petit édifce dont le toit porte l’inscription

MAZEL TOV (“bon augure”) (P. Cl. 20658 – vitrine 36).

L’un des hanaps (coupes) du “trésor de Gaillon”, ensemble

probablement regroupé par un possesseur normand,

présente un médaillon émaillé orné d’un pélican

(Q. Cl. 1951 – vitrine 28), thème religieux qui n’a

cependant rien d’étonnant sur un objet profane.

L’orfèvrerie religieuse se diversifie tout en reflétant

l’évolution de la piété à la fin du Moyen Âge. Les reliquaires

revêtent des formes très variées : exemplaires anatomiques

comme le Pied-reliquaire de saint Adalhard (R. Cl. 1400 –

vitrine 30), statues (L, U), médaillons... Les croix-reliquaires

de la Vraie Croix (S. Cl. 3294 – vitrine 37), appelées stauro-

thèques, se multiplient depuis la prise de Constantinople

par les croisés en 1204 et l’afflux consécutif en Occident

de fragments réputés venir de la croix du Christ. Le besoin

accru des fidèles de voir les reliques mais aussi l’hostie

conduit à la fabrication de reliquaires-monstrances et

d’ostensoirs. L’essor de la dévotion privée s’incarne dans

de petits objets ornés d’images qui servent de support à la

prière individuelle, comme ce reliquaire en forme de livre

(T. Cl. 19968 – vitrine 35) dont les faces historiées

s’inspirent de gravures contemporaines, illustrant ainsi le

lien étroit entre orfèvres et graveurs à la fin du Moyen Âge.

Les commanditaires et les artistes

La fin du Moyen Âge est l’époque d’un développement sans

précédent du mécénat royal et princier, parallèlement à

l’affirmation des collectionneurs, comme la reine Clémence

de Hongrie ou Louis d’Anjou, frère de Charles V.

Les commanditaires laïcs, aristocrates mais aussi bourgeois

des villes (marchands, banquiers...), sont de plus en plus

nombreux. La Statue-reliquaire de sainte Anne Trinitaire

(U. Cl. 3308 – vitrine 35) fut réalisée en 1472 pour Anna

Hofmann, l’épouse du receveur de la ville allemande

d’Ingolstadt, comme l’indique l’inscription qui précise aussi

le prix de l’objet et le nom de l’artiste, Hans Greiff.

La provenance et les auteurs des œuvres sont mieux connus

qu’auparavant. Les documents écrits se multiplient : statuts

d’associations de métiers (les futures corporations), dont

le Livre des Métiers (vers 1268), contrats, comptabilités,

inventaires, documents fiscaux... Le poinçon de ville est

imposé par un édit de Philippe le Hardi de 1275, et le

poinçon de maître par une ordonnance de Jean le Bon de

1355, mais ils ne sont pas encore généralisés au XVe siècle.

La table d’insculpation des orfèvres de Rouen (V. Cl. 3451 –

vitrine 28), datée de 1408, qui permet d’identifier les

poinçons des 145 orfèvres de la ville, gravés sur une plaque

de cuivre en face de leurs noms, reste un document

exceptionnel. A cette époque, davantage d’œuvres sont

signées, mais elles sont encore minoritaires. Si les sources

écrites permettent d’identifier nombre d’orfèvres, la plupart

des œuvres décrites sont perdues ; inversement, les œuvres

qui nous sont parvenues sont rarement documentées.

Christine Descatoire, conservatrice

1243-1248

Construction de la Sainte-

Chapelle

Vers 1268

Livre des Métiers d’Etienne

Boileau

1275

Edit de Philippe Le Hardi sur

le poinçon de ville

1309

Installation de la Papauté en

Avignon

1347-1352

Peste noire

1355

Ordonnance de Jean le Bon

sur le poinçon de maître

J. Cl. 948 – vitrine 7

K. Cl. 10746 – vitrine 37

L. Cl. 3307 – vitrine 31

M. Cl. 2351 – vitrine 2 (détail)

N. Cl. 3292 – vitrine 38

P. Cl. 20658 – vitrine 36

Q. Cl. 1951 – vitrine 28

U. Cl. 3308 – vitrine 35

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Après utilisation, merci de remettre ce document sur son présentoir.Ce texte est disponible sur le site internet du musée ou sur demande à l’accueil.

Page 9: Cluny Fiches Salles + Plan

Influences et techniquesC’est par le biais de deux états musulmans, l’un sur le

déclin, le royaume nasride de Grenade, l’autre en pleine

ascension, l’empire ottoman, qu’une production de vaisselle

fine de céramique, imitée des productions perse

et turcomane, fait son apparition sur le continent.

Si la céramique d’Iznik, qui ne connaîtra son apogée qu’au

XVIe siècle, subit la concurrence de la porcelaine chinoise

et se concentre sur des décors bleus et blancs, la céramique

hispanique, dès son origine, présente une palette de

couleurs beaucoup plus vaste. Surtout, elle introduit deux

innovations techniques fondamentales.

La faïence

La première, promise à un immense succès jusqu’à nos jours,

est le recours à une glaçure plombifère, recouvrant entière-

ment les pièces d’une couche blanche qui, depuis que la ville

italienne de Faenza s’est spécialisée dans ce type de production

à la fin du XVe siècle, les définit comme des faïences.

Le reflet métallique

La seconde innovation fait la caractéristique de la production

espagnole : après une première cuisson, la pose de la glaçure,

l’application du décor au bleu de cobalt, au vert de cuivre et

au brun de manganèse et une deuxième cuisson, le potier

applique un lustre métallique doré, à l’oxyde d’argent de

cuivre, avant de cuire ses pièces une troisième fois, selon une

technique apparue en Perse au IXe siècle.

Production et marchéLa production locale

Dans la péninsule ibérique, la production, d’abord implantée

à Malaga, dans le royaume de Grenade, s’est déplacée, dès les

dernières années du XIVe siècle, près de Valence, dans deux

bourgs du nom de Manisès et de Paterna. Bien qu’implantés

en territoire chrétien, les céramistes, peut-être venus

d’Andalousie, étaient des musulmans. En témoignent non

seulement le répertoire décoratif auquel ils ont recours, mais

aussi les inscriptions arabes que l’on trouve sur certaines

œuvres (par exemple, au musée, le bol A. Cl. 9318).

Le marché européen

Le déplacement de la production, cependant, s’explique

probablement aussi par des raisons de marché. En effet, tandis

que, en dehors du royaume nasride, le succès de la faïence

espagnole à reflets métalliques semble avoir été très limité, celle-

ci est en revanche demandée dans toute l’Europe

occidentale. En témoignent, entre autres, la présence de

céramiques hispano-mauresques sur des peintures d’Hugo Van

der Goes, d’Enguerrand Quarton ou de Filippino Lippi (fig. 1).

L’Italie, surtout, se montre extrêmement friande de ces

œuvres, qu’elle importe en masse. Il semble que les

commerçants majorquins aient joué un rôle essentiel en ce

domaine, ce qui explique non seulement l’attribution qui fut

faite, au XIXe siècle, de ces céramiques à la ville d’Ynca, près

de Majorque, mais surtout le nom que les textes italiens

donnent, dès le XVe siècle, à cette production : maiolica, en

français majolique. Et c’est l’imitation par les artisans toscans

de la production du Levant espagnol qui donna naissance à

l’industrie de la faïence en Italie, puis dans le reste de l’Europe.

Répertoire décoratifLe décor géométrique

Tout au long du XVe siècle, les céramistes de Manisès

et Paterna vont amplifier et transformer leur répertoire

décoratif. Les premières pièces, qu’il est d’ailleurs difficile

d’attribuer avec certitude au Levant plutôt qu’à Malaga,

présentent sur la face un décor essentiellement géométrique,

parfois agrémenté d’arbres de vie inversés ou de la formule

«al afiya», les deux représentations ayant au départ une

valeur apotropaïque (de protection), utilisées ici de façon

L’Europe médiévale n’ignore pas l’art de la céramique, les collections dumusée en témoignent, notamment à travers les carreaux de pavement.Mais il s’agit là de productions destinées à un usage courant, quotidien et,jusqu’à la fin du XIVe siècle, la production de céramique d’apparat estinexistante. La vaisselle précieuse, notamment, est uniquement métallique

IXe siècle

Premières céramiques lustrées enMésopotamie

Fin du XIIe siècle

Premières faïences en Occident

1238

Conquête de Valence par Jacques Ier d’Aragon

Fin du XIVe siècle

Début de la production de faïencelustrée dans le Levant espagnol

1492

Conquête du royaume nasride deGrenade par Isabelle de Castille etFerdinand d’Aragon

Céramiques hispano-mauresques

Salle 17Français

A. Cl. 9318

Région Valencienne et balad balansiya

au Moyen Âge

E. Cl. 2119

(fig. 1) Filipino Lippi, Vierge de l’Annonciation,

1483-1484, San Gimignano, Museo Civico

A gauche : vue généraleAu-dessus : détail

Dœuvres sur socles

E CA B

B. Cl. 1978

Page 10: Cluny Fiches Salles + Plan

systématique et répétitive comme un motif décoratif. De

cette toute première production, le musée conserve trois

grands bassins à bélières (B. Cl. 1978 - ill au recto, C.

Cl. 2343 et D. Cl. 2420) et deux pots à épices ou à

onguents, dont la forme est connue par la suite en Italie

sous le nom d’albarello et utilisée à partir du XVIIe siècle

dans les pharmacies, d’où le nom communément donné à

ces pièces de pot à pharmacie (E. Cl. 2119 et F. Cl. 2120).

Les motifs héraldiques

Les revers, en revanche, s’ornent rapidement de grandes

figures qui paraissent dériver de motifs héraldiques, aigles,

fleurs de lys, lions ou, pour le plat G. Cl. 2456, un rongeur

non identifié.

Mais dès le premier quart du XVe siècle, ces motifs passent

sur l’avers. Leur présence montre que ces plats étaient

destinés à une clientèle d’Europe occidentale. Cependant,

dans un premier temps, ces armoiries semblent n’avoir

qu’une fonction décorative. Les deux plus anciens plats de

ce type (H. Cl. 2776 et I. Cl. 2775) présentent ainsi, pour

l’un, un écusson avec un aigle, armoiries bien plus

communes en terre impériale que dans le monde hispanique,

pour l’autre une fleur de lys blanche que l’on pourrait

rapprocher des armes de Florence, même si, là encore,

il s’agit d’un motif on ne peut plus fréquent. Sans témoigner

d’une commande précise, ces armoiries indiquent bien que

l’on est là face à des plats destinés à l’exportation. Par

ailleurs, ces deux plats sont importants parce qu’ils sont les

seuls à témoigner, dans les collections du musée, d’une phase

intermédiaire de la production, qui conserve encore le décor

bleu et or à motifs d’arabesques et autres «al afiya» des

premières productions, mais y mêle déjà des éléments qui

vont devenir caractéristiques des décennies suivantes, comme

les armoiries ou les décors de revers à semis de graminées.

Les armoiries

À partir du milieu du XVe siècle, en revanche, apparaissent

des armoiries moins génériques, que l’on arrive à relier à des

familles italiennes, le plus souvent toscanes, telles les armes

des Montefiori sur le plat J. Cl. 2777 ou celles des Médicis

sur le plat K. Cl. 2139, «d’or à six tourteaux mis en orle, cinq

de gueules, celui en chef d’azur chargé de trois fleurs de lys

d’or». Ces armoiries sont celles de la famille depuis 1465,

date à laquelle Louis XI autorisa Pierre Ier à surcharger son

écu des trois fleurs de lys, mais le plat lui-même appartient à

une période plus tardive, le premier quart du XVIe siècle.

Quant au décor, il s’enrichit de figures de plus en plus

complexes : décors dits de «feuilles-plumes» (L. Cl. 1687 et

M. 2305), «à la bryone» du nom d’une plante vivace (N.

Cl. 13503 a et b), d’oranges (O. Cl. 2240), de feuilles de

lierre bleues et dorées ou simplement dorées (P. Cl. 7647).

Avec son disque héraldique d’azur aux six étoiles et aux trois

hérissons d’or, ce plat est probablement l’un de ceux qui,

dans les collections du musée, présentent le lustre de la plus

belle qualité, atteignant ici, par un soigneux mélange

de cuivre et d’argent, une teinte très pure d’or jaune.

Les pièces de forme

La deuxième moitié du XVe siècle voit se développer, à côté

des différents plats plus ou moins creux, aux ailes plus ou

moins développées, les pièces de forme, dont le musée

conserve d’intéressants exemples. À côté de quelques

grandes coupes, dont l’une à décor à la bryone avec le

monogramme « IHS » (Ihesus) (Q. Cl. 13503 a), la plus

importante est probablement le grand vase à ailes portant

des armoiries non identifiées au lion debout (R. Cl. 7647).

En effet, le pendant de ce vase, conservé au British

Museum, porte les armes de Pierre de Médicis et semble

bien pouvoir être daté immédiatement après 1465.

Le fait que ces deux vases semblent appartenir à une même

commande est un témoignage de la valeur d’apparat très

marquée de ces œuvres.

Personnages ou animaux s’étendent rarement sur l’ensemble

de la pièce. Le musée en possède cependant deux exemples

de grande qualité, deux plats présentant l’un deux échassiers

affrontés (S. Cl. 3220), l’autre un lion dressé (T. Cl. 9613).

Dans les deux cas, le céramiste utilise avec précision le

contraste entre les pigments minéraux et les effets de lustre

pour séparer contours et volumes du corps, ces derniers

se fondant élégamment avec le décor du fond.

Fin de la production

À partir du deuxième tiers du XVIe siècle, la production

du Levant espagnol se standardise et perd en qualité. Peu à

peu, la palette chromatique se réduit à de simples effets de

reflets métalliques de plus en plus cuivreux aux dépens des

pigments minéraux. Quelques pièces, cependant, témoignent

encore de la survie d’une production intéressante (U. Cl. 9596

ou V. Cl. 9624), avec parfois des formes originales (tasses W.

Cl. 2622 et Cl. 2623, salières X. Cl. 10891 et 10892).

Xavier Dectot, conservateur

I. Cl. 2775

J. Cl. 2777

M. Cl. 2305

O. Cl. 2240

P. Cl. 1686

Q. Cl. 13503a

R. Cl. 7647

S. Cl. 3220

IXe siècle

Premières céramiques lustrées enMésopotamie

Fin du XIIe siècle

Premières faïences en Occident

1238

Conquête de Valence par Jacques Ier d’Aragon

Fin du XIVe siècle

Début de la production de faïencelustrée dans le Levant espagnol

1492

Conquête du royaume nasride deGrenade par Isabelle de Castille etFerdinand d’Aragon

6 p l a c e P a u l P a i n l e v é , 7 5 0 0 5 P a r i sS e r v i c e c u l t u r e l . T é l . 0 1 5 3 7 3 7 8 1 6w w w . m u s e e - m o y e n a g e . f r

Après utilisation, merci de remettre ce document sur son présentoir.Ce texte est disponible sur le site internet du musée ou sur demande à l’accueil.

G M L

S T

F Q R

P J KO N

U

VW

X

I H

œuvres sur socles

Fond grande vitrine

Page 11: Cluny Fiches Salles + Plan

Une croix votive byzantineà programme marial (A)Cette grande croix processionnelle, au revêtement

d’argent sur âme de fer, a été realisée dans l’empire

byzantin. L’une des deux faces est ornée de médaillons et

de rinceaux repoussés* et dorés, l’autre de figures niellées*,

dorées et incisées. Ce type de croix semble avoir été

courant dans l’Orient chrétien, mais très peu d’exemplaires

sont conservés.

Sur la face repoussée, le médaillon central inscrit, en buste,

la Vierge orante (en prière) ; les médaillons des

extrémités figurent au sommet le Christ, à la base saint

Jean Baptiste, de chaque côté les archanges Michel et

Gabriel. L’iconographie de cette face est une variante

de la Déisis, ou supplication du Christ par les deux

intercesseurs privilégiés, la Vierge et saint Jean.

Sur la face niellée*, autour du thème byzantin de la Vierge

hodigitria (“qui montre le chemin”, debout, tenant

l’Enfant) placée à la croisée, se succèdent des scènes

de l’histoire de la Vierge, à lire dans le sens des aiguilles

d’une montre à partir de la droite : la Présentation au

Temple et la Vierge nourrie par un ange sur les marches

de l’autel, deux moments du même épisode relaté par

le protévangile de Jacques (texte apocryphe du IIe siècle),

puis l’Annonciation et la Crucifixion.

Le programme marial de cette croix, développé sur

ses deux faces, permet de supposer qu’elle était destinée

à une église ou à une chapelle dédiée à la Vierge.

La représentation au pied de la face niellée* du donateur,

le moine Kosmas, accompagné d’une inscription

dédicatoire, montre qu’il s’agit d’une croix votive.

Les anomalies dans les inscriptions grecques invitent

à ne pas situer sa production à Constantinople, la capitale,

mais dans une province de l’empire byzantin, peut-être

en Anatolie. Par comparaison avec des œuvres peintes dans

l’empire byzantin, cette croix peut être datée de la fin

du XIe ou du début du XIIe siècle.

Le devant d’autel de Bâle,une commande impériale (B)Né en 962, l’empire ottonien (fondé par Otton Ier), futur

Saint Empire, entretient avec Byzance des liens étroits,

commerciaux, diplomatiques et matrimoniaux (comme

l’atteste la plaque d’ivoire de la salle 10 où sont représentés

Otton II et la princesse Théophano), mais aussi artistiques.

Les œuvres en provenance de l’empire byzantin et

les artistes grecs circulent en Occident ; un maître byzantin

a peut-être contribué à la fabrication de cette œuvre.

Les devants d’autel, destinés à orner la face antérieure d’une

table d’autel, sont fréquents au haut Moyen Âge. Œuvre

monumentale en or et pierreries sur âme de chêne, celui-ci

présente, dans un encadrement de rinceaux peuplés

d’oiseaux et de quadrupèdes, cinq arcades surmontées

de médaillons figurant les quatre vertus cardinales :

Prudence, Justice, Tempérance, Courage. Ces arcades

abritent chacune un personnage debout, travaillé au

repoussé*. Au centre, le Christ bénissant tient un globe avec

le chrisme (monogramme du Christ), l’alpha et l’oméga.

Quatre figures sont tournées vers lui : à gauche, saint

Benoît, fondateur de la règle bénédictine, muni d’un livre et

d’une crosse , symbole abbatial ; puis les archanges Michel,

Gabriel et Raphaël. Aux pieds du Christ, deux figures

minuscules sont prosternées en signe d’humilité : ce sont

les donateurs et commanditaires, l’empereur Henri II

et son épouse, l’impératrice Cunégonde.

Ce devant d’autel, fabriqué entre 1015 et 1022, peut-être

à Reichenau, à Ratisbonne ou à Bamberg, plus probablement

à Fulda, fut offert par l’empereur à la cathédrale de Bâle.

Mais sa destination initiale était sans doute un monastère

bénédictin - comme le laisse supposer l’inscription complexe

qui magnifie saint Benoît - : peut-être l’abbaye-mère

de l’ordre au Mont-Cassin, près de Rome, ou l’abbaye de

Michelsberg, à Bamberg, fondée par Henri II. Si elle glorifie

le Christ et saint Benoît, cette œuvre célèbre aussi l’empereur

qui, malgré sa position d’humilité, est associé au Christ

Dans cette salle sont réunis quatre objets liturgiques rares et précieux : undevant d’autel, un évangéliaire et sa reliure d’orfèvrerie, un retable, unegrande croix. Cette dernière est une production byzantine. Les trois premières œuvres, au-delà des différences de date et de matériau, présen-tent des caractéristiques iconographiques, techniques et stylistiques, quimontrent les liens artistiques entre les differentes aires géographiques del’Empire germanique.

962

Couronnement impérial d’Otton Ier :

fondation de l’Empire ottonien

1002-1024

Règne de l’empereur Henri II

Début du XIIe siècle

Traité sur divers arts du moine

Théophile

1130-1158

Wibald, abbé de Stavelot

et mécène

1075-1129

Rupert de Deutz, moine

et théologien

Œuvres d’orfèvrerie religieuse

Salle 19FrançaisB

C

A

D

B. Cl. 2350 (détail)

C. Cl. 13247 (détail)

D. Cl. 22653 (détail)

Page 12: Cluny Fiches Salles + Plan

et exalté comme son représentant sur terre. L’œuvre relève

ainsi d’un art à programme, mis au service d’une politique

fondée sur l’alliance entre le pouvoir impérial et l’Eglise.

Le retable de la Pentecôte,chef-d’œuvre de l’art mosan (C)Aux XIe-XIIe siècles, sans que les devants d’autel disparais-

sent, se développent les retables, placés sur la table d’autel,

à l’arrière (retro tabula). L’exemplaire acquis en 1895

par le musée est en cuivre repoussé*, estampé* et doré

sur âme de bois, enrichi d’émaux. Il représente la descente

de l’Esprit saint le jour de la Pentecôte. Groupés par deux

dans un espace rythmé par des colonnes, les apôtres occupent

le registre terrestre, tandis qu’au tympan surgit le Christ

bénissant, tenant le livre ouvert sur l’inscription PAX VOBIS

(“La paix soit avec vous”). Les rayons de l’Esprit viennent

frapper les apôtres qui expriment diverses émotions : surprise,

méditation, soumission…

La réalisation de ce retable, dans les années 1160-1170, est

très probablement liée à la prestigieuse abbaye bénédictine

de Stavelot, centre artistique majeur de la vallée de la

Meuse : sans doute l’œuvre a-t-elle été fabriquée dans

et pour cette abbaye. Elle est caractéristique de l’art mosan

à son apogée, par son style imprégné d’influences classiques,

par sa technique – palette froide des émaux sur cuivre

champlevé et emploi du vernis brun – et par son iconogra-

phie. Celle-ci est représentative des programmes complexes

élaborés par les moines et les théologiens de la région

de Liège, comme Rupert de Deutz, reposant sur d’étroites

correspondances entre Ancien et Nouveau Testaments.

Les sept colonnes renvoient aux sept dons de l’Esprit saint

(sagesse, intelligence, conseil, force, science, piété et crainte

de Dieu), mais aussi aux sept piliers de la maison de la

Sagesse décrite dans le Livre des Proverbes. Le retable n’est

pas seulement une narration de l’épisode de la Pentecôte,

mais aussi une représentation symbolique de l’Église,

nouveau Temple de la Sagesse, dont les apôtres, rassemblés

par la descente de l’Esprit saint, sont les piliers.

La reliure d’évangéliaire de Novare (D)Cette reliure en argent partiellement doré, qui peut être

datée du premier quart du XIIe siècle, orne toujours

le manuscrit, un évangéliaire, pour lequel elle a été conçue.

Son état lacunaire permet de distinguer sous certaines

figures repoussées le bourrage qui servait à les soutenir,

mélange de cire et de tuile pilée qui correspond exacte-

ment à la recette du moine Théophile, auteur d’un Traité

sur divers arts, le seul recueil pratique de cette époque

parvenu jusqu’à nous. Le plat supérieur de la reliure figure

la Traditio legis et clavium : le Christ remet la Loi à Paul et

les clefs à Pierre ; le plat inférieur s’orne d’une Crucifixion

très endommagée. Ces scènes principales sont encadrées

de niches abritant des personnages en pied ou en buste,

anges et archanges, apôtres, et cinq évêques : les saints

Ambroise de Milan, Eusèbe de Verceil, Syrus de Pavie,

Gaudentius et Agabius, les deux premiers évêques de

Novare. Leur présence suggère une origine géographique

de l’œuvre en Italie du Nord, et plus précisément une

provenance novaraise : sans doute était-elle destinée

à la cathédrale de Novare. La place centrale de saint Syrus,

premier évêque de Pavie, évoque le rôle important joué

par cette ville dans les affaires de Novare.

Des modèles communsLa reliure d’évangéliaire de Novare, située chronologi-

quement entre l’autel d’or de Bâle et le retable de Stavelot,

présente avec ces œuvres de sensibles convergences.

Outre leur parfaite exécution, leur équilibre général,

et leur remarquable utilisation du repoussé, les trois

œuvres présentent, par-delà la diversité de leurs matériaux

(or, argent, cuivre), d’importantes similitudes stylistiques

et iconographiques. Les figures du Christ (B, C, D),

par exemple, sont très proches : stylisation des drapés,

habile modelé, tête en fort relief, cheveux séparés

sur le front et tirés derrière la nuque, auréole crucifère,

perlée et gemmée (reproduite en repoussé ou en émaux).

Les drapés et les visages des personnages renvoient

clairement à l’aire de l’Empire germanique.

L’orfèvrerie a trouvé ici un terrain favorable ; la grande

période de la production de l’abbaye de Fulda

et des commandes d’Henri II, dans la première moitié

du XIe siècle, a été relayée par la floraison des régions

du Rhin et de la Meuse au XIIe siècle, et a rayonné

en Italie du Nord, comme le montre la reliure de Novare.

Christine Descatoire, conservatrice

6 p l a c e P a u l P a i n l e v é , 7 5 0 0 5 P a r i sS e r v i c e c u l t u r e l . T é l . 0 1 5 3 7 3 7 8 1 6w w w . m u s e e - m o y e n a g e . f r

Après utilisation, merci de remettre ce document sur son présentoir.Ce texte est disponible sur le site internet du musée ou sur demande à l’accueil.

B. Cl. 2350 (détail)

C. Cl. 13247 (détail)

D. Cl. 22653 (détail)

* Estampé : décor en relief obtenu à partir d’un moule appelé matrice.* Niellé : coloré en gris par du nielle, un sulfure métallique.* Repoussé : technique permettant d’obtenir des reliefs

en martelant le métal sur l’envers.

962

Couronnement impérial d’Otton Ier :

fondation de l’Empire ottonien

1002-1024

Règne de l’empereur Henri II

Début du XIIe siècle

Traité sur divers arts du moine

Théophile

1130-1158

Wibald, abbé de Stavelot

et mécène

1075-1129

Rupert de Deutz, moine

et théologien

B

C

A

D

Page 13: Cluny Fiches Salles + Plan

Tenture de l'histoire de saint EtienneDe la cathédrale au muséeLa cathédrale d’Auxerre, placée sous l’invocation de saintEtienne, conservait une tenture consacrée à ce saint dont la première mention apparaît dans un inventaire dressé en 1569. En 1726, il est précisé que ces tapisseries sont exposées lors “des grandes festes”. Vendues à l’Hôtel-Dieude la ville en 1777, elles furent aliénées par ce dernier au XIXe siècle. Le musée de Cluny acquit en 1880 dixpièces, rejointes en 1897 par deux autres qui avaient étéachetées par le musée du Louvre en 1838.

Les armoiriesLes écus armoriés présents sur la tenture sont de deux types.Les premiers, simples, portent “d’azur à la bande de gueulesaccompagnée de deux amphistères (sortes de dragons) d’or”(fig. 1), armoiries des Baillet, famille de financiers puis parlementaires parisiens connue du XIVe au XVIe siècle. Les autres, partis (fig. 2) ou écartelés (fig. 3), associent à cesarmes celles, “de sable à la croix d’argent cantonnée de seizefleurs de lis d’or”, de la famille de Fresnes. Tous sont surmontés d’une volute de crosse, insigne épiscopal. Ce décor héraldique désigne le commanditaire puisqu’ils’agit des armoiries du père et de la mère de Jean III Baillet,évêque d’Auxerre de 1477 à 1513.

Etienne, vie et légende du saintEtienne occupe une place bien particulière parmi les saintshonorés au Moyen Âge. En effet, mentionné dans les Actesdes Apôtres (cinquième livre du Nouveau Testament), il futl’un des sept premiers diacres et le premier martyr, ce quiexplique le nombre exceptionnel d’églises, notamment decathédrales, placées sous son vocable comme la précocité et le développement de son culte. La tenture d’Auxerre enest l’un des plus spectaculaires témoignages. Les vingt-trois

scènes de la vie et la légende du saint forment un cycle trèscomplet, actuellement réparti sur 12 pièces et long d’environ 45 mètres, déployé sur les murs de trois sallesconsécutives. Le récit, inspiré principalement la Légendedorée de Jacques de Voragine, débute dans la chapelle (salle

20), puis se poursuit dans les salles 19 et 18. Selon un modede narration fréquent au Moyen Âge et proche dans saconception des bandes dessinées, chaque scène comporte,en bas, un court texte en français qui décrit l’épisode représenté et, souvent, une ou plusieurs inscriptions en latindésignant les personnages ou transcrivant une parole attribuée à l’un d’eux. Pour faciliter la lecture, une numérotation a été mise en place sous chacune d’entre elles.

La salle 18 associe deux ensembles prestigieux qui permettentd’évoquer le décor et le mobilier du chœur des grands édificesecclésiastiques à la fin du Moyen Âge : la Tenture de saintEtienne, qui provient de la cathédrale d’Auxerre, et les stalles de l’abbaye Saint-Lucien de Beauvais.

Situé dans le prolongement de la nef et conduisant à l’autel, le chœur est réservéaux desservants, moines ou moniales dans les monastères, frères ou sœurs dans les couvents, chanoines dans les cathédrales et les collégiales, et reçoit donc le mobilier spécifique destiné aux clercs : les stalles. Au cours de la période gothique, l’habitude s’est peu à peu instaurée de le clôturer. La partie qui sépare la nef duchœur, dénommée jubé (d’après le premier mot de la prière Jube Domine benedicere…, “Daigne, Seigneur, bénir…”), reposait sur des arcades permettantaux fidèles d’apercevoir le célébrant. Le pourtour pouvait recevoir à l’intérieur undécor fixe ou mobile. Au XVe siècle, l’expansion de l’art de la tapisserie conduisitainsi à commander de grandes suites de tapisseries relatant les épisodes de l’histoiredu saint protecteur de l’édifice, placées au-dessus des stalles lors de fêtes ou de grandescérémonies.

A partir de 1215

Construction de la cathédrale

d’Auxerre

1228-1298

Jacques de Voragine, auteur de la

Légende dorée

1477-1513

Jean III Baillet, évêque d’Auxerre

1483-1498

Règne de Charles VIII

1498–1515

Règne de Louis XII

La Tenture de Saint-Etienne d’Auxerre

et les stalles de Saint-Lucien de Beauvais

Salle 20Salle 19Salle 18Français

Un récit en vingt-trois scènes commentées

Dans la chapelle1. Le conseil des apôtres décide de nommer sept diacres qui mettront fin à la discorde entre les Grecs

et les Hébreux.2. Etienne et les six autres diacres sont consacrés.3. Discours d’Etienne dans la synagogue.4. Etienne est conduit devant le tribunal du grand-prêtre et accusé de blasphème.5. Les juifs se bouchent les oreilles en entendant Etienne affirmer qu’il voit le Christ siéger dans les cieux.6. Etienne est emmené hors de la ville.7. Lapidation de saint Etienne.

Salle 198. Le corps de saint Etienne est exposé aux bêtes et son âme élevée au ciel.9. Gamaliel recueille le corps de saint Etienne et l’enterre dans son propre tombeau.

10. 417 ans plus tard, Gamaliel apparaît par trois fois au prêtre Lucien et désigne les tombeaux d’Etienne,Gamaliel, Nicodème et Abibas, par une corbeille de roses.

11. Lucien expose sa vision à l’évêque de Jérusalem.12. L’évêque de Jérusalem recherche en vain le corps de saint Etienne.13. Le moine Migetus révèle l’emplacement réel du corps de saint Etienne.14. Transport du corps de saint Etienne et guérison de malades sur le chemin.

Salle 1815. La femme d’un sénateur de Constantinople demande à l’évêque de Jérusalem l’autorisation

de transporter le corps de son mari.16. Le corps de saint Etienne est emporté par erreur ; le saint apparaît au cours d’une tempête

et sauve les passagers.17. Arrivée à Constantinople où la châsse de saint Etienne est reçue par l’évêque Eusèbe.18. L’empereur ordonne de transporter la châsse dans son palais mais les mules refusent d’avancer.19. Eudoxie, fille de l’empereur de Rome, possédée d’un démon, affirme que le corps de saint Etienne

doit être transporté à Rome et être échangé avec celui de saint Laurent.20. Réception solennelle du corps de saint Etienne à Rome.21. Par la bouche d’Eudoxie, le démon affirme que le corps de saint Etienne doit reposer près de celui

de saint Laurent.22. Les envoyés de Constantinople ne parviennent pas à prendre le corps de saint Laurent.23. Le corps de saint Laurent fait place à celui de saint Etienne et Eudoxie est guérie ; les anges chantent

Felix Roma (“Heureuse [ville de] Rome”)

3

2

1

7 6

13 14

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4 5

chapelle

(fig. 1)

(fig. 2) (fig. 3)

salle 20

salle 19

salle 18

Page 14: Cluny Fiches Salles + Plan

Le style et le décorLe style, le décor et les costumes sont caractéristiques de l’art des environs de 1500. De nombreux éléments formels ou décoratifs relèvent encore de l’art gothique, ainsi, par exemple, les pans des manteaux cassés de plis à becs emboîtés, les ouvertures trilobées ou les tours et lesmurailles crénelées. Les vêtements profanes, par exemple ceux des personnagesmasculins dans les scènes 4, 6, 7, 16 et 20, avec leurschausses moulantes ou leurs jambières à crevés (fig. 4), leurs coiffures, bonnets courts aux bords relevés (fig. 5) ou chapeaux posés de biais (fig. 6), sont typiques de l’extrême fin du XVe et du début du XVIe siècle.

Les étapes de la créationLes historiens de l’art s’accordent pour attribuer les “petitspatrons” ou “maquettes” de la tenture à un artiste de formation nordique, probablement bruxelloise, proche du peintre Colyn de Coter. Plus récemment, de précis rapprochements ont été mis en évidence avec un groupe de tentures de chœur, comme celle de la Vie de saint Remià Reims, et de vitraux, notamment une verrière de l’église Saint-Martin de Montmorency, dont les modèles à grandeurd’exécution ou “cartons” seraient dus à un même artiste actifen Île-de-France dans les années 1500-1530. Ce dernierserait identifiable avec Gautier de Campes, connu notamment pour avoir fourni les cartons de deux tenturesconsacrées à l’histoire de saint Etienne : la plus ancienne -qui servit de modèle à la seconde, destinée à la cathédrale de Sens et dont deux pièces étaient déjà tissées en 1503 - pourrait être celle commandée par Jean Baillet pour sa cathédrale d’Auxerre.Comme pour la plupart des tapisseries de cette époque, le lieu de tissage n’est pas précisément connu. Plusieurshypothèses ont été proposées, sans argument définitif. Il est certain, cependant, que les principaux centres de tissage étaient alors situés dans les Pays-Bas du Sud, notamment à Bruxelles.

Stalles de Saint-Lucien de Beauvais

L’entrée des stalles au muséeLes stalles de l’abbaye Saint-Lucien de Beauvais, détruite à la Révolution, furent recueillies au début du XIXe siècle successivement par deux des premiers amateurs et collectionneurs d’objets du Moyen Âge : Lucien Cambry,préfet de l’Oise (†1807), puis le comte de Saint-Morys(†1817). Elles furent ensuite déposées à Saint-Denis, puis attribuées au musée de Cluny en 1889-1890. Le remontage, qui intègre aussi des compléments acquis en 1970, a placé les éléments anciens sur des socles, fonds et accoudoirs modernes.

Le commanditaireCes stalles avaient été commandées par Antoine Du Bois,nommé abbé commendataire (c’est-à-dire laïque) de Saint-Lucien de Beauvais en 1492, à seulement 21 ans. Une histoire de l’abbaye rédigée au XVIIe siècle précisequ’elles étaient achevées en 1500.

Les sculptures des jouéesLes deux jouées (panneaux placés aux extrémités d’une rangée de sièges) Ca et Cb font référence à l’édifice destina-taire et au commanditaire : sur l’une (Ca), saint Pierreenvoie les saints Lucien, Julien et Maxien évangéliser le Beauvaisis ; sur l’autre (Cb), Antoine Du Bois est agenouillédevant son saint patron, l’ermite Antoine.

Les miséricordes Hormis ces deux panneaux, les éléments sculptés les plussignificatifs sont les miséricordes, petits panneaux horizontaux reposant sur une console sculptée, fixés au revers du siège mobile pour donner aux moines un appuidans la station debout durant les offices et cérémonies. L’intérêt de ces miséricordes réside surtout dans la variétédes sujets sculptés sur les consoles. S’y côtoient thèmes religieux et profanes, parmi lesquels métiers, occupationsdes moines, scènes de fête, de roman ou de fable. Ainsi, sur une première rangée (A1 à A11), se reconnaissent un rôtisseur (A6), un tonnelier (A8), Renart prêchant auxpoules (A4), un moine prêchant (A3). Sur une deuxièmerangée (B1 à B6), les miséricordes représentent des scènes de genre, peut-être inspirées de quelque roman ou fable ; la dernière figure saint Eustache dans le torrent (B6). Sur la troisième rangée (C1 à C11), est évoqué surtout le monde du spectacle : danseur, acrobate, jongleur ;quelques scènes sont plus surprenantes : un homme poussedevant lui un globe (C3), un autre souffle pour faire tournerles ailes d’un moulin (C7).Comment faut-il interpréter la présence de tels sujets ? Faut-il y voir seulement une détente du regard et de l’esprit,parallèle à la détente physique procurée par ces miséricordes ?Ou faut-il rechercher un sens second ? Le goût de la dérisionest, pour le moins, présent : la Prédication de Renart auxpoules (A4) est sans doute une allusion ironique à la prédication des ordres mendiants, “concurrents” des moines réguliers.

Il est certain, par ailleurs, que ces sujets sculptés dans le boispour l’abbaye picarde, comme les épisodes de la légende de saint Etienne tissés pour la cathédrale bourguignonne,témoignent de l’absence, dans la pensée médiévale, de cloison étanche entre le monde réel, souvent trivial et violent, et le monde imaginaire, où s’épanouissent le merveilleux et le sacré : le second appartient au quotidientout autant que le premier, pour lequel il est un exutoire.

Elisabeth Taburet-Delahaye, directrice du musée

6 p l a c e P a u l P a i n l e v é , 7 5 0 0 5 P a r i sS e r v i c e c u l t u r e l . T é l . 0 1 5 3 7 3 7 8 1 6w w w . m u s e e - m o y e n a g e . f r

Après utilisation, merci de remettre ce document sur son présentoir.Ce texte est disponible sur le site internet du musée ou sur demande à l’accueil.

A partir de 1089

Construction de l’église abbatiale

Saint-Lucien de Beauvais

Fin du XIe siècle-fin du XIIIe siècle

Composition du Roman de Renart

1483-1498

Règne de Charles VIII

1492-1507

Antoine Du Bois, abbé commendataire

de l’abbaye Saint-Lucien de Beauvais

1498–1515

Règne de Louis XII

(fig. 4) Chausses mou-lantes et jambières à

crevés (scène 6)

(fig. 5) Bonnet court aubord relevé (scène 16)

(fig. 6) Chapeau posé debiais (scène 4)

Ca. Saint Pierre envoietrois saints évangéliser

le Beauvaisis

Cb. Antoine Du Bois estagenouillé devant son

saint patron

A4. Renart prêchant aux poules

B6. Saint Eustache dansle torrent

C7. Un homme soufflepour faire tourner les

ailes d’un moulin

7 6

B1 B6

A11

A8

A6

A4

A3

A1

C1

C3

C7

C11

20

16

Cb

Ca

4

chapelle

salle 20

salle 19

salle 18

Page 15: Cluny Fiches Salles + Plan

ParisLa richesse de sa collection de sculptures romanes parisiennes

est l’une des grandes spécificités du musée national du

Moyen Âge. Si l’on considère généralement que la sculpture

ne s’épanouit à Paris qu’à partir des années 1140, à la façade

de Saint-Denis, cette collection montre au contraire la varié-

té et la diversité de la sculpture parisienne du XIe siècle au

début du siècle suivant.

L’église abbatiale de Saint-Germain-des-Prés

Le plus ancien exemple de ce renouveau de la sculpture

romane en Île-de-France est Saint-Germain-des-Prés.

Fondation royale, sous le vocable primitif de Saint-Vincent-

Sainte-Croix, cette abbaye joua, sous les rois mérovingiens,

le rôle capital quoique intermittent, de nécropole royale.

Bien que sa disposition d’ensemble ait été respectée au cours

des agrandissements successifs, l’élévation de la basilique du

VIe siècle a entièrement disparu entre le XIe et le XIIe siècle.

Deux campagnes ont en effet bouleversé l’apparence de

l’édifice. La première fut lancée par l’abbé Morard (990-

1014), qui fit reconstruire le clocher. À peine plus d’une

décennie après la mort de Morard, en 1025, Guillaume de

Volpiano fut nommé abbé de Saint-Germain-des-Prés afin

de réformer l’abbaye ;

il ne quitta cette

fonction qu’après

avoir pris soin d’y

placer un de ses

proches, Adraud (abbé

de 1030 à 1060), sous

l’abbatiat duquel

le scriptorium de

l’abbaye prit un essor

considérable.

Il est évidemment

tentant d’attribuer au

grand réformateur

et bâtisseur que fut

Guillaume de

Volpiano une part

dans le modelage de la physionomie de l’église et la

construction de la nef (fig. 1). Au cours de ce chantier, trois

ateliers se partagèrent la réalisation des sculptures.

Le premier occupe une place à part : il réalisa les chapiteaux

végétaux (A à E) et fut précurseur d’un certain nombre

d’ateliers parisiens légèrement plus tardifs, notamment celui

de Saint-Martin-des-Champs.

Les deux autres ateliers furent en charge des chapiteaux

figurés : l'un se caractérise par les proportions trapues qu’il

donne à ses personnages (F et K), fortement saillants sur

le fond de la corbeille, mais au modelé très réduit, à la

limite du méplat, l'autre (G à J) confère à ses personnages

un canon très allongé, la taille est vigoureuse, les modelés

sont doux ; dans ces chapiteaux, l’iconographie de l’eucha-

ristie tient une place particulière.

Sur le chapiteau (L), ont collaboré les deux ateliers

des chapiteaux figurés, celui des figures trapues étant

responsable des petits côtés (L1) quand celui des figures

allongées a travaillé sur la face principale (L2), tout son art

se déployant dans la figure du Christ. L’examen de ce

chapiteau, où la transition entre le travail des deux

sculpteurs se fait difficilement, montre qu’ils travaillent au

même moment. Il semble donc que les deux ateliers ont

cohabité, au moins un temps, et se sont partagé la

réalisation de ce chapiteau qui occupait la place centrale

du cycle. Le Christ y tient l’hostie, ce qui est un moyen

pour les commanditaires de réaffirmer le principe de la

transsubstantiation (la transformation du pain en chair et

du vin en sang du Christ), face aux attaques de certains

clercs hétérodoxes (qui s’écartent de la juste doctrine).

L’abbatiale de Sainte-Geneviève

La comparaison avec les chapiteaux de la nef de Sainte-

Geneviève (M à P), réalisés plus d’un demi siècle plus tard,

au début du XIIe siècle, montre combien les chapiteaux de

Saint-Germain-des-Prés illustrent un moment particulier

de la sculpture parisienne. Au même titre que l’abbaye de

Saint-Germain-des-Prés, l’église des moines génovéfains

était au cœur de l’une des principales communautés

monastiques de la capitale.

Le Haut Moyen Âge n’ignore pas totalement le travail de la pierre, mêmesi celui-ci est surtout destiné au décor liturgique, principalement à motifsd’entrelacs, tandis que la sculpture figurative est plutôt réalisée en stuc, en bronze ou en ivoire. Entre les alentours de l’an Mil et le milieu du XIIe siècle, la sculpture monumentale se développe à nouveau pourprendre place tout d'abord sur les chapiteaux puis sur les grands portails,sculpture qui, au Moyen Âge, était toujours polychrome.

10

Sculptures romanes Salle 10Français

L1. Petit côté à figures trapues

D. Chapiteau à décor végétal

K. Chapiteau à figures trapues

I. Chapiteau à figures allongées

(fig. 1) Plan de l’église abbatiale de Saint-Germain-des-Prés et de ses aménagements en 1656

A

L

M O

N P

B C

F G HD E

I J K

L2. Façade principale

950

Étienne, évêque de Clermont,fait réaliser une Vierge d’Orpour sa cathédrale

1014

Mort de l’abbéMorard

1025-1030

Guillaume de Volpiano, abbé de Saint-Germain-des-Prés

1088-1099

Urbain II pape

vers 1100-1110

Construction de la nef de Sainte-Geneviève

1115-1153

Bernard, abbé de Clairvaux

vers 1130

Reprise du chœurde Sainte-Geneviève

Page 16: Cluny Fiches Salles + Plan

Dans la nef (fig. 2), relativement obscure car jouxtée d’uncôté par le cloître (l’actuel lycée Henri IV), de l’autre parl’église paroissiale (Saint-Étienne-du-Mont), quatre trèslarges colonnes étaient sommées de puissants chapiteaux deplus d’un mètre de large. L’un (M) ne présente que des rinceaux végétaux, deux d’entre eux (N et O) figurent lessignes du Zodiaque, le dernier (P) des scènes de la Genèse.Les figures sont ici trapues et peuvent parfois sembler unpeu grossières, mais il ne faut pas oublier l’emplacement très

haut de ces chapiteauxqui répondent avanttout à une fonctionarchitecturale et dontle décor n’était proba-blement que peulisible. L’ensemble deces chapiteaux apparaît comme uneode à la Création,aussi bien à traversson histoire, laGenèse, qu’à traversses conséquences, lanature et l’écoulementdu temps que symbo-lise le zodiaque.

Le prieuré de Saint-Martin-des-ChampsProvenant du prieuré parisien de Saint-Martin-des-Champs,probablement du cloître, un torse de prophète (Q. Cl. 23604), vient rappeler que, même si les témoignages subsistants sont rares, la sculpture parisienneavant la construction de la façade de Saint-Denis et de ses statues colonnes, ne se limitait pas aux seuls chapiteauxmais pouvait aussi prendre des formes plus monumentales.

Sculpture sur boisA côté de la sculpture sur pierre monumentale, destinée à s’intégrer dans l’architecture, les hommes des XIe et XIIe siècles faisaient également appel à la sculpture surbois, notamment pour les œuvres destinées à se trouver àl’intérieur de l’église. Beaucoup plus fragiles en raison de la putrescibilité de leur matériau, celles-ci nous sont plusrarement parvenues.

Les Vierges à l’Enfant d’AuvergneLe nombre de pièces conservées pour l’Auvergne témoignede la richesse de la sculpture sur bois dans cette région au XIIe siècle. La région, à l’époque, est prospère. Urbain IIa choisi Clermont pour l’appel à la croisade. Qui plus est,dans la cathédrale de Clermont, se trouvait une Vierge d’or, réalisée au Xe siècle, à la réputation miraculeuse qui attirait les foules. Au XIIe siècle, cette Vierge fut recopiée dans de nombreuxédifices de la région, donnant naissance à un ensemble parti-culièrement riche de Vierges trônantes, frontales, portantl’Enfant sur les genoux, dont le musée conserve un exemple(R. Cl. 9270). Sans être figuré comme un nourrisson, Jésusn’est pas non plus ici représenté comme un jeune adulte,mais bien comme un enfant, déjà pénétré de sa mission etbénissant de la main droite. Parfois improprement appeléessedes sapientiæ, ces sculptures sont l’un des nombreux signesdu développement du culte de la Vierge au XIIe siècle, danslequel le rôle de saint Bernard fut déterminant.

Les Christs en Croix d’AuvergneL’Auvergne produisit également de grands Christs en Croix, destinés à être placés derrière l’autel. Le musée enconserve deux. Le premier (S. Cl. 23409), sculpté à la toute fin du XIIe siècle,appartient à un groupe originaire du sud de l’Auvergne. La tête posée sur l'épaule droite, les yeux fermés, il insiste clairement sur le caractère mortel du Christ, en un temps oùcertains courants hétérodoxes, voire franchement hérétiques(contraires à la doctrine), remettaient en question sa doublenature, à la fois humaine et divine. Le second Christ (T. Cl. 2149), qui provient au contraire dunord de la région, est plus ancien et aussi plus original.Triomphant, les yeux ouverts, il appartient à l’iconographietraditionnelle du Christ telle qu’elle s’était développée depuisl’époque paléochrétienne. En revanche, son visage fin, auxcheveux bombés sur le dessus, et surtout son extraordinaireperizonium aux plis acérés, rappelant le travail du métal et au nœud ample et largement travaillé, témoignent d’uneouverture de l’artiste aux créations d’autres régions que laseule Auvergne : la Bourgogne toute proche, mais aussi l’Île-de-France où naît alors la première sculpture gothique.

CatalogneLa sculpture sur bois se développa aussi hors du royaume de France, et notamment en Catalogne où, dans le deuxièmequart du XIIe siècle, un atelier réalisa, pour les églises du valde Boí et du tout proche val d’Aran, des ensembles monu-mentaux représentant la Descente de Croix. Un groupe sedistinguait par une iconographie légèrement différente, cellede la visite des Saintes Femmes au Tombeau du Christ, tombeau qu’elles trouvent vide, seule évocation de laRésurrection dans les Évangiles. Deux des sculptures de cegroupe sont conservées, l’une au musée (U. Cl. 23673) etl'autre au Fogg Art Museum de Cambridge (Etats-Unis). Les mains dressées devant le corps, en signe de prière, laSainte Femme est légèrement penchée en avant pour contem-pler le tombeau vide. Par son travail symétrique et sa finessehiératique, elle offre un aspect fascinant que renforce encorela perte de la polychromie qui, comme pour toutes les sculp-tures médiévales de bois ou de calcaire, la recouvrait autrefois.

Xavier Dectot, conservateur

M. Rinceaux végétaux

N. Signe du zodiaque :Verseau

O. Signe du zodiaque :Bélier et Taureau

P. Scène de la Genèse :Adam et Eve

Q. Cl. 23604

R. Cl. 9270

S. Cl. 23409 (détail)

T. Cl. 2149 (détail)

U. Cl. 23673 (détail)

6 p l a c e P a u l P a i n l e v é , 7 5 0 0 5 P a r i sS e r v i c e c u l t u r e l . T é l . 0 1 5 3 7 3 7 8 1 6w w w . m u s e e - m o y e n a g e . f r

Après utilisation, merci de remettre ce document sur son présentoir.Ce texte est disponible sur le site internet du musée ou sur demande à l’accueil.

Musée Nationalthermes & hôtel de Clunydu Moyen Age

(fig. 2) Plan de la nef de l’ancienne église de Sainte-Geneviève

10

M O

N

ST

Q

U

R

P

950

Étienne, évêque de Clermont,fait réaliser une Vierge d’Orpour sa cathédrale

1014

Mort de l’abbéMorard

1025-1030

Guillaume de Volpiano, abbé de Saint-Germain-des-Prés

1088-1099

Urbain II pape

vers 1100-1110

Construction de la nef de Sainte-Geneviève

1115-1153

Bernard, abbé de Clairvaux

vers 1130

Reprise du chœurde Sainte-Geneviève

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Le jardin médiéval