Clouscard Michel - Refondation Progressiste

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libéralisme est le produit d'une longue histoire et d'unpatient travail d'élaboration politique

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  • Collection Raison mondialise Dirige par Joachim WILKE

    Comit de lecture : Samir Amin, Jean-Marc Gabaude

    Pour Descartes, le bien le mieux distribu au monde est la raison humaine. Depuis, que de changements dans le monde ! Reposons donc la question de la distribution mondiale de la raison, de ses origines, de son destin, des dfis assumer en ce changement de millnaire. Analysons la goculture de la raison.

    La collection a pour objectif de capter les courants visant renforcer l'outillage de l'action raisonnable. Il s'agit d'abord de surmonter la soi-disant pense unique et ses troitesses, puis de faire valoir les acquis et les esprances des multiples luttes libratrices. Si le systme conomique consiste favoriser le sort d'un quart de l'humanit pour traiter l'autre de foule inutile , la raison mondialise se proccupe de l'ensemble des six milliards d'tres humains qui peuplent le globe. C'est une question de vie ou de mort pour l'humanit et une tche accomplir tous ensemble.

    Premires parutions

    Enrique DUSSEL, L'thique de la libration, 2002

    Oward FERRARI, Philosophie ou barbarie, 2002

    Michel CLOUSCARD, Refondation progressiste face la contre-rvolution

    librale, 2003

    consulter dans la Collection L'ouverture Philosophique :

    Joachim WILKE, Jean-Marc GABAUDE et Michel VADE, diteurs, Les chemins de la raison, 1997

    Michel Clouscard

    Refondation progressiste

    face a la contre-rvolution librale

    Entretien avec Marie-Antoine Rieu

  • L'Harmattan, 2003 ISBN : 2-7475-5307-8

    Du mme auteur

    L'Etre et le Code, Editions Mouton, Paris-La Haye 1972, 630 p.

    No-fascisme et idologie du dsir, Denol, collection Mdiations , Paris 1973, 140 p.

    Le Frivole et le srieux, Albin Michel, Paris 1978, 190 p.

    Le capitalisme de la sduction, ditions sociales, Paris 1981,248 p.

    La Bte Sauvage, ditions sociales, Paris 1983, 248 p.

    De la Modernit : Rousseau ou Sartre, ditions sociales, Paris 1985, 281 p.

    Les Dgts de la pratique librale, Nouvelles ditions du Pavillon, Paris 1987, 141 p.

    Trait de l'amour fou, Scandditions - ditions sociales, Paris 1993, 257 p.

    Les Mtamorphoses de la lutte des classes, Le Temps des Cerises, Paris 1996,185 p.

    Nofascisme et Idologie du dsir, Rdition, Le Castor Astral, Paris 1999, 133 p.

  • Remerciements

    l'amiti philosophique entre les peuples qui peut raisonnablement les unir

    Jean Marc Gabaude qui en est une figure minente

  • d/ Les marchandises clandestines et vnneuses 64 e/ La redistribution d'une part du profit comme pouvoir d'achat du dsir 65 f/ La mode, accs la jouissance comme promotion du march du dsir 70 g/ Les dviances antisociales immanentes la consommation transgressive 73

    (1) Le pr-fascisme comportemental, culturo-mondain 73 (2) Le communautarisrne homo, ngationnisme de la femme, atteinte la vie prive, trafic de signes 75 (3) L'investissement du pr-fascisme comportemental dans le fascisme politique 76

    2 L'accession du capitalisme au double profit. La pathologie de l'auto-exploitation 80

    PARTIE II Q U E FAIRE FACE AU LIBRALISME LIBERTAIRE ? (1) L'URGENCE D'UNE MORALE PROVISOIRE ET LA NCESSIT D'UNE THIQUE PROGRESSISTE 83 A La morale citoyenne 85

    1 Fais ce que voudras, mais respecte le code de la route 85 2 Le droit la sentimentalit romanesque 93

    B L'thique de la praxis 98 1 L'antistalinisme mthodologique et politique 98 2 L'homme originel et le procs de production 98 3 Le procs de production de l'homme naturel 100 4 Enoncer l'thique selon ses fondamentaux 105

    C En venir la philosophie de la praxis 106 PARTIE III Q U E FAIRE FACE AU LIBRALISME LIBERTAIRE ? (2) L'URGENCE POLITIQUE 109 A Du fascisme national-socialiste au systme des populismes 111

    1 Les radsmes fatales perversions de l'conomie du profit et la stratgie capitaliste de rimmigration 111

    a/ Le riche n'a pas de facis et le pauvre n'a pas d'identit 111 b/ L'odysse de l'immigrant 114 c/ Une guerre civile invisible 115

    2 Un populisme peut en cacher un autre L'engendrement rciproque du permissif et du rpressif, le couple infernal 116

    p

    3 Du nationalisme au mondialisme 117 a/ Le national-socialisme 117 b/ La mondialisation permet au capitalisme de faire l'conomie du fascisme 118

    4 Les populismes de la fin du capitalisme concurrentiel libral 120 a/ Le populisme du boutiquier (poujadisme), fin du capitalisme concurrentiel libral 120 b/ Le populisme de l'OAS, fin de l'Empire colonial 122

    5 Le syncrtisme du national-socialisme et du populisme 123 a/ Le recyclage du surplus. La nouvelle hirarchie de classe 123 b/ Le tripl lectoral de Le Pen : les repentis, les rats et les russis 127

    B Le Travailleur Collectif 131 1 Rendre inexistante la classe ouvrire 131 2 La classe ouvrire s'arrache au misrabilisme et engendre les ingnieurs, techniciens et cadres (TTC) 134 3 La co-gestion 137

    a/ Pour des Etats Gnraux et un Parlement du Travailleur Collectif (T. C.) 137 b/ Dcider de la production : co-gestion 142

    CONCLUSION - LA SOMME ET LE MANIFESTE 145

    GLOSSAIRE 147 Promthe et Psych, p. 147. Praxis ; dipe de la praxis, p. 148. Inconscient ; Antprdicatif, p. 149. Pch originel ; Narcisse et Vulcain, p.150. Frivole et srieux ; March du dsir, p.151. Mondain ; Potlatch, clientlisme, march ; Permissif et rpressif, P- 152. Economie politique ; Chrmatistique, p. 153. Libralisme libertaire; Nouvelles couches moyennes, p. 154. Travailleur Collectif; Surplus; Animation et management, p. 155. Colonialisme, mondialisation ; Fascisme, national-socialisme, Populisme, p. 156. Impratif catgorique, p. 157. Morale et e"qie de la praxis, p.158. Spiritualit laque ; Evolutionnisme,

    P-159. Anthropologie, ontologie ; Substance, p. 160. Dialectique ; Exogamique monogamique ; Homme originel et homme

    naturel, diachronie et synchronie, phylogense et ontogense, p161. Sport, violence, p.162.

  • Prface

    I

    Proposer une refondation progressiste pour dpasser la contre-rvolution librale : le projet de Michel Clouscard dans cet ouvrage peut sembler au-del des limites de la raison thorique et pratique. Trois arguments au moins peuvent lui tre opposs :

    - Quelle prtention ! - C'est pas si mal que a, le libralisme ! - Mme si on voulait, c'est impossible ! .

    Trois arguments de poids, qu'il nous faut examiner avant toute lecture.

    1 Dpasser le libralisme. Quelle prtention ! . Car le libralisme est le produit d'une longue histoire et d'un patient travail d'laboration politique. Pour surmonter les tentations totalitaires et accomplir une raison pratique, de Platon Marx. Pour doper la libre-entreprise et sortir de l'conomie de survie en dveloppant la rationalit scientifique et technique. Pour faire de la Rpublique une dmocratie vivante qui donne l'individu et l'esprit critique une vraie place.

    Ces arguments disent une histoire et des progrs de la raison et des socits. Mais cette histoire est vivante, faite de luttes dans les ides et les pratiques sociales. Luttes pour des formes de justice adaptes aux formes sociales relles, contre

  • l'esclavage. Pour sortir des systmes ferms de pense unique et de modes de vie rgiments. Pour tablir une puissance relle de raison partage par les peuples l'chelle du monde.

    La raison est un bien commun. Et la tche d'un philosophe est de la faire travailler, d'laborer de la pense et de proposer la discussion une nouvelle approche de la vie humaine, la fois thorique et pratique. Avec, en toile de fond, la tradition philosophique, mais aussi contre ceux qui voudraient rduire la puissance de l'laboration philosophique. Ou nous enfermer dans une pense unique : tout va trs bien dans l'ultralibralisme conqurant. Contre ceux qui voudraient nous tenir dans la seule pragmatique -mesurant les valeurs en bourse ou l'quipement des mnages. Michel Clouscard uvre de nouvelles mises en dbat - un forum mondial de la raison - l'heure o le forum social mondial pose qu'un autre monde est possible. Parce que Aristote dfinissait l 'homme la fois comme animal raisonnable et comme animal politique . Aujourd'hui, c'est toute l'humanit - chacun d'entre nous - qui est en charge d'accomplir cette double nature.

    La prtention de dpasser le nolibralisme n'a d'gale que l'ampleur de la tche humaine actuelle.

    2 D'autres diraient que le nolibralisme est un moindre mal, qu'il faut au plus l'amnager et non le repenser ou le dpasser . C'est un systme social ouvert, volutif, libral par dfinition. Avec cette grande avance que les uns ou les autres ne sont plus enferms ou moins dans des croyances, des tribus, des castes, des classes. Qu 'on peut y russir si l'on est vaillant. Que la slection sociale n'est ni plus ni moins qu'une forme dveloppe de la slection naturelle ! Et que sur l'autre rive, il n'y a que les

    totalitarismes, de type nazi ou sovitique - qui ont dmontr la fois leur nuisance et leur chec - parce qu'ils ne pouvaient supporter la puissance de la raison critique.

    Le dveloppement de l'individu et de l'esprit critique est un incontestable progrs de l'histoire humaine. Dsormais, il faut transformer l'essai : poser que tous les individus peuvent s'accomplir raisonnablement - et d'abord vivre !

    3 Mme si on le voulait, c'est impossible ! rpond notre interlocuteur fictif. Le joli dicton impossible n'est pas franais - qui y rpond en forme de boutade - peut tre mondialis. Le prsent le dmontre : les peuples crient d'une mme voix contre l'injustice, celle de la pauvret et de la guerre imprialiste et librale, libratrice . Face aux cohortes armes et aux monstres technologiques qui se cachent derrire la faade librale, se trame une vraie contre-rvolution librale . C'est ce qu'tablit Michel Clouscard. Un concept qui permet de nommer ce contre quoi toute l'humanit s'lve, chaque jour. Et le possible est cet horizon que se donnent des hommes, sans savoir l'avance quelles formes dfinies ils lui donneront.

    Michel Clouscard nous propose un chemin d'inconfort, parce qu'il nous propose un miroir critique et d'autres interprtations, mais aussi des choses simples : le bonheur, une morale citoyenne, et une thique de progrs, un parlement du Travailleur Collectif . Certes rebours des idologies en vogue. Mais en traant un horizon inou depuis

    iaton et Rousseau : la rconciliation de la subjectivit et du politique. Non comme gendarmement stalinien de l'individu ou squelette nolibral d'une socit profondment injuste, mais comme puissance d'exister singulire au sein d'une vie

    sociale reconstruite sur la praxis, l'uvre quotidienne de ceux qui contribuent faonner le monde.

  • II

    C'est au quotidien que le dialogue avec Michel Clouscard prend sens, quand les fragments parpills de ralit s'ordonnent dans la logique de contre-rvolution librale : exclure de l'emploi les moins bien lotis au nom de l'employabilit - alors que toutes les socits savaient trouver une place utile, mme l'idiot du village - et promouvoir le fils papa soixante-huitard en expert du management mondial des ressources ncessaires au profit.

    Entrer dans le dialogue avec Michel Clouscard, c'est accepter l'inconfort que produisent ses thses originales et paradoxales : le nofascisme populiste est la fois le produit et la contrepartie du libralisme libertaire. L'Arabe est la fois le repoussoir de la pauprisation dont chacun a peur et l'emblme d'un sous-proltariat mondial qui doit rester priv de son propre dveloppement. Le march du dsir o tout est devenu marchandise, jusqu'au moindre fantasme, engendre cette nvrose objective d'un Occident qui, avec toutes ses richesses, ne sait plus comment bien vivre.

    Alors le ngativisme ambiant, le dsarroi et les renoncements quotidiens s'ordonnent dans l'esprit engourdi par tout un corps de mtiers du culturel-mondain , charg de brouiller les pistes. Les grands discours sur l'thique et les leons de dmocratie masquent le cynisme des agressions imprialistes l'chelle mondiale, grand renfort de bombes ou de destruction souterraine de la sant, physique et psychique.

    Ce que Michel Clouscard nomme nvrose objective montre l'insuffisance de la seule thrapeutique du psy ; cette pathologie sociale, plus fondamentale mme que celle de l'dipe freudien, prend source dans la guerre civile invisible entre production et consommation. Le politique se doit alors de restaurer les fondamentaux - l'quit entre production et consommation -, et de proposer une nouvelle praxis politique levant ceux qui produisent au rang d'acteurs politiques par l'institution d'un Parlement du Travailleur Collectif.

    Les figures de proue du libralisme de l'quit (Rawls) ou de la dmocratie procdurale (Habermas) sont invites la table de discussion : quelle thorie de la pratique librale ? Pourquoi le libralisme a-t-il promu le clandestin et le prostitutionnel au rang de ralit licite du march du dsir ? Comment comprendre toute cette conomie clandestine qui alimente le nouveau profit ? Quelles procdures de discussion dmocratique et partage permettront de produire de la dmocratie avec la Maffia, qui n'en a que faire, mais aussi avec ceux qui sont exclus de toute discussion ? Autant de questions qui sont mises en dbat dans cet ouvrage philosophique novateur et fondateur.

    L'anciennet de l'uvre de Michel Clouscard atteste de sa clairvoyance dans l'analyse du libralisme : en 1972, il publiait Nofascisme et idologie du dsir ; en 1981 Le capitalisme de la sduction ; et aprs les grves de 1995, Mtamorphoses de la lutte des classes . Michel Clouscard est avant tout un philosophe complet et original parce qu'il articule le politique et le subjectif, le citoyen et le sujet comme en atteste le Trait de l 'Amour fou publi en 1993.

    Refondation progressiste face la contre-rvolution librale se veut une contribution aux dbats publics actuels

  • et la volont mondiale des peuples pour qu'merge un monde plus juste.

    * * *

    Le dialogue entam ici avec Michel Clouscard est un prologue d'autres dialogues et des contributions partager. Michel Clouscard et moi-mme vous convions prendre part ce dialogue sur le site cr cet effet :

    http : / / www.philo-clouscard.com

    Les nouveaux outils de communication peuvent aussi redonner sens la vieille tradition philosophique et dmocratique du dialogue et du partage philosophique. C'est cette affaire que chacun est invit.

    Marie-Antoine Rieu

    Introduction

    Refonder le progressisme

    De l'interrogation du Sphinx la rsolution de la praxis

    Refonder ? Refonder la gauche, la lutte des classes, le mouvement ouvrier ? Aprs la chute du Mur de Berlin et aprs le sisme hx l'en, la demande est pressante, urgente. Il faut riposter, se dfendre, argumenter. Il faut un renouveau progressiste.

    Mais cela ne s'improvise pas. La riposte ne doit pas tre un rapiage. Un doute, une inquitude ont saisi bien des progressistes. Et si le politique, c'tait fini ! Le social, dpass ! Le mouvement ouvrier, prim ? Les jeux seraient faits, les enjeux traditionnels balays, la mondialisation ouvrirait d'autres perspectives, celles d'un univers fait de nouvelles priorits, notamment cologiques, dmographiques, sanitaires. Pire que la dfaite, le dfaitisme.

    Le Sphinx ne rpond plus ! La crise est universelle. Elle atteint pas seulement le progressiste, mais l'homme en son

    essence. Longtemps le Sphinx a dcrt le fatum - le destin : l'homme existe, il s'est reconnu, arrach aux cosmogonies ; il

    a distingu l'tre, le genre, l'individu, proclam l'universel. C'est cela mme qui semble perdu : l'immdiat, la prsence au monde. Mais le sphinx n 'a plus le pouvoir de rvler l'homme lui-mme. Le fatum est devenu une friche spirituelle. Peut-on croire au destin quand on ne croit rien?

  • Mais si les dieux, et Dieu lui-mme, nous abandonnent, n'est-ce pas la rvlation mme du destin ? Promthe, demi-dieu et, du coup, demi-homme, seul, peut nous aider. Le mythe ne le rend-il pas dpositaire et messager de la praxis ? Il est notre seul ami et cherche toujours nous aider. Lui seul peut prendre la relve d'un Sphinx dfaillant, d'un fatum dsaffect, qui ne sait plus que rabcher d'un air entendu des platitudes et des tautologies du genre : l 'homme, c'est l 'homme ; qui s'acharne poser la devinette que les enfants du cours moyen trouvent simplette une histoire de pattes - et qui ne sait mme pas qu'il a t vir pour insuffisance de rsultats et dtention de secret de Polichinelle.

    La praxis est ce que Promthe doit nous dire et nous apprendre...

    ... dj vous imposez il doit ... un impratif serait l'origine de la praxis ?

    Aprs tout, pourquoi le philosophe ne serait-il pas l'interprte et le confident de Promthe ? Et quand vous entendez il faut , on doit , rjouissez-vous ! Ne retrouvez-vous pas l une ncessit, un destin ?

    Il est vrai que vous revendiquez souvent le patronage de Promthe, au nom de la praxis clairante. Alors, vous qui tes un philosophe de la praxis, aidez-nous l'interprter. Je voudrais simplement vous interroger sur votre recherche. Vous achevez un trait dont le titre complet sera: L'tre, le sujet, la praxis . Pourriez-vous, pour le moins, dfinir cette praxis ?

    La praxis est le travail de l ' homme au sens le plus large : entre l'action - au long cours - et le faire - immdiat. Elle est ce qui oriente le faire par l'exprience de l'action et ce qui guide l'action dans la pratique. J'en ai suffisamment dit pour dj tourner le dos ce pauvre Sphinx. La praxis est dans le plus humble - le fonctionnel, l'habitude, le routinier...- mais

    elle accde aussi au savoir-faire de l'artisanat d'art, de l'uvre artisanale. Ce qui me semble plus essentiel, c'est qu'elle est aussi le devoir-faire. La praxis est faire - de devoir-faire en savoir-faire. Elle est dans la science et dans l'art..., dans la mesure et dans l'improvisation. Inutile de prciser qu'elle est anti-technocratique et qu'on ne peut la rduire une morale du travail.

    Narcisse et Vulcain, les frres ennemis

    Pourriez-vous traduire dans le concret cette approche conceptuelle de la praxis. Vous avez propos, avec Promthe, un complexe fait de la convergence et de l'identification de l'allgorique, du mythique, du symbolique. Peut-on dfinir la praxis selon une typologie concrte qui en rvle la logique ?

    Un personnage va assurer l'incarnation mme de la praxis. Il sera la mdiation entre le mythique et le concret. Il sort des entrailles de la terre pour travailler directement un lment du cosmos, ce qui le rend semblable aux dieux. Par contre, dans le civil, certaines filles se moquent de lui parce qu'il sent mauvais.

    C'est A-lbric, le nain de L'or du Rhin de Wagner, un cousin de Vulcain, le dieu grec des forges !

    Le procd consiste proposer des allgories pour exprimer les grandes intentions de l'humain ; il sera systmatis pour constituer les figures dterminantes de la praxis. Celles-ci devront rpondre deux exigences de la connaissance anthropologique : il faut traduire les liens

    familiaux, la manire de Freud, et noncer la logique de la praxis (le contraire et le contradictoire).

    Le plus proche proche parent est le frre, c'est la plus forte identit de l'exogamie monogamique qui, en Occident,

    contraint prendre un seul poux hors de la famille. La

  • moindre diffrence doit porter la plus grande distance, l'antinomie radicale, le conflit le plus grave : ces frres sont ennemis.

    Le brave et simple principe d'identit, celui que le Sphinx rabche l'homme, c'est l 'homme doit tre repris et enrichi de la diffrence apporte par la praxis. Si je reprends l'identitaire, c'est avec quelque chose de plus : le passage de l'interrogation du Sphinx l'interrogation de la praxis doit se traduire en sa radicalit. 11 doit traduire le progrs vers l'universel qui s'accomplit en devoir-faire. L'identitaire s'avre tre le double jeu de la diffrence : celui de l'identique sans diffrence (les frres, A et A) et celui de l'identique devenu la plus grande diffrence (les frres ennemis).

    J 'en viens la partie la plus spculative de mon anthropologie. Une fois tabli que l'identitaire est un couple, que doit tre le contraire de Vulcain ? Puisque la nature, l'acte de Vulcain, est de produire, que peut tre l'acte contraire ?

    Ce ne peut tre que consommer! Consommer, c'est dfaire, oh combien, ce qui a t fait ! C'est le nier, l'absorber, le manger. On peut sans doute considrer l'affaire sous cet angle.

    Mais ce n'est pas tout. L'ironie de l'affaire est dans cette question : consommer quoi ? Ce que Vulcain a produit, pardi ! Autrement, de quoi et de qui, Narcisse vivrait-il ?

    Narcisse serait donc le contraire de Vulcain ?

    Comme consommer est le contraire de produire. C'est bien Narcisse qui passe son temps se regarder dans un miroir, ne rien faire, sinon refaire le monde son image. 11 ne produit rien, mais ramne tout lui-mme, pour lui-mme. Il se fait le centre du monde. Il est pire que parasite et goste. Il se croit l'Unique. Le monde doit tre son faire valoir. Il est la ngation et le refus de l'autre. Le pire, c'est

    qu'il prtend faire tout cela en beaut ! Narcisse porte en lui une esthtisation de l'ego, inoercible, surdterminante, fatale. C'est moi l'artiste ! Je suis diffrent parce que je le mrite : je suis beau !

    Narcisse et Vulcain seraient donc les frres ennemis, le couple originel de l'humain, l'engendrement rciproque de l'unit des contraires ?

    L'un produit, l'autre consomme. L'un fait de son corps un outil, l'autre en fait le beau spectacle que l'ego se donne lui-mme.

    Produire et consommer sont les deux actes fondamentaux de la vie. Leur mise en relation est le problme mme de la philosophie de la praxis et de l'existence. Cette dualit est radicalement ignore du consensus idologique actuel. Nous proposons d'en faire une composante essentielle de l'arbitrage moral et politique qu'est l'quit.

  • Partie I

    Etat des lieux : le libralisme libertaire et son conomie politique clandestine

    Comprendre le libralisme libertaire, c'est en faire l'conomie politique, mettre jour les ressorts qui en font la

    dynamique propre et en expliquent le fonctionnement. Mais aussi dvoiler la face cache de l'conomie politique

    officielle : montrer comment le march , si vant par les penseurs libraux comme rgulateur, se constitue comme "march du dsir" en prenant source dans l''conomie protitutionnelle. Toute une conomie politique clandestine du libralisme qui claire aussi les zones d'ombre du march

    non officiel de la modernit.

  • A L'ECONOMIE PROSTITUTIONNELLE DU LIBERALISME LIBERTAIRE

    1 Le pouvoir narcissique

    a/ Plaire et faire, sduire ou travailler Freud, qui ne souponne mme pas l'engendrement

    rciproque des contraires qui nous constituent, fait comme si la praxis n'existait pas heureux homme qui peut ne pas savoir l'inconscient ! Pourtant, le miroir est Narcisse ce que le feu est Vulcain : arme et outil. C'est le partage originel de l 'homme. A moi le plaire, toi le faire. C'est le cogito de l'tre social : je suis mon image e t / ou je suis ce que je fais. Contradiction originelle qui sera le fondement de la lutte des classes : d'un ct le pouvoir narcissique, de l'autre l'thique de la praxis. Narcisse est en moi, plus moi-mme que moi . Il se croit mme plus beau que moi ! Il m'habite, parasite du moi et cration du mme.

    N'est-il pas temps pour refonder la base de se demander ce que Narcisse attend de moi et ce que je peux faire de lui ? Ce sera proposer l'conomie politique l'envers : rvler ce qui ne doit pas tre dit par l'economisme positiviste et rductionniste des conomistes anglais et que Marx lui-mme n'a pas explor.

    Le narcissisme est le principe mme du consumrisme : je me consomme moi-mme. Quelle dlectation ! Restons-en l. Moi, c'est moi. Le moi, c'est la redondance. Narcisse est un envahisseur. Il se proclame l'identification du principe de ralit et du principe de plaisir. Et c'est bien une vrit essentielle l'ontogense et la phylogense : l'appareil

  • identitaire et l'appareil consumriste s'engendrent rciproquement. C'est ce qui expliquerait la toute-puissance de Narcisse. Il ne fait que rendre compte de la constitution du genre humain. Ces deux dynamiques sont indissociables en leur combat contre Vulcain.

    Car le principe consumriste exclut tout travail. Pour tre lui-mme, Narcisse doit tre pur procs de consommation. Mais, alors, quels sont ses moyens d'existence ? Cette question est une balle de match, essentielle l'conomie politique l'envers, explicative, dj, du march du dsir. Elle rvle le dessous de la lutte des classes, la relation de dpendance que le narcissisme met en place. Pour que le consumrisme sans le travail soit possible, il faut le travail sans consommation, l'exploitation du producteur et, la limite, la mise en esclavage.

    Le narcissisme a comme corollaire la subordination du travailleur par le consommateur. Les modalits de cette soumission vont de l'accumulation primitive, du crime et de la guerre exterminatrice, jusqu' la soumission volontaire.

    Narcisse, fort de l'identification du principe de plaisir et du principe de ralit, peut en venir son ultime revendication, ce qui fait son essence, sa puissance. Il se prtend le cogito du Beau. C'est qu'il doute, lui aussi (comme le cogito de Descartes). Le narcissisme est un pouvoir qui doute de lui-mme. Il est la proclamation de la beaut et de la jeunesse et doute de sa propre beaut et de sa jeunesse.

    Narcisse cache le narcissisme. Il apparat comme affirmation et n'est qu'interrogation. On croit qu'il n'est que navet du reflet - la beaut qui s'admire elle-mme - alors qu'il n'est que doute : suis-je Beau ? Pourquoi je veux tre Beau ? Et tre le plus Beau ? Mais qu'est-ce que le Beau ?

    Pourquoi cette blessure narcissique (apporte par le stade du miroir) ?

    C'est le secret de Narcisse..., un bien triste secret qui ne pourrait tre dvoil que sur le divan du psychanalyste : le pch originel de la Beaut. Narcisse n'est pas assez beau pour se moquer de l'tre davantage. Il est d'abord en concurrence avec lui-mme, avec son image..., le doute. Le beau-beau est ce qui ne s'interroge pas sur sa beaut : c'est la rification la statue de Praxitle - ou la vie ordinaire du belltre. Celui-ci est dans l'ontologie : la beaut va de soi.

    Le beau est ontologiquement en question par la fuite du temps. Pourquoi ne reste-t-on pas Beau et Jeune ? La beaut se saisit en son vieillissement, en tant qu'usure de son pouvoir. Le Beau est porteur de sa propre imperfection : il existe de telle manire qu'il n'est qu'un moment entre deux dprissements.

    La plus belle femme du monde doute de sa beaut : voyez ce cheveu blanc. Le beau est l'apprhension du temps qui dfait la beaut. C'est ce que le miroir dit Narcisse. La beaut, elle aussi, dit le passage de la vie la mort. La jeunesse et la beaut sont un pouvoir vis vis de l'Autre, mais une parade drisoire l'gard de la mort. Le miroir dit le dsir d'immortalit : le dsir de la Jeunesse et de la Beaut. J'ai pu tre cet instant de Jeunesse et Beaut. Et le reste du temps, je cours derrire la Jeunesse et la Beaut. Narcisse, c'est le dsir de ne pas vieillir. En rester l, au stade du miroir, au face face de l 'homme et de son image. L'immortalit consiste ne pas vieillir. Mais si le monde se dfait par le narcissisme, celui-ci refait le monde : Narcisse, c'est le pouvoir de refaire le monde son image.

  • b/ La dualit de la production et de la consommation, du srieux et du frivole.

    Le couple Narcisse-Vulcain exprime l'origine de l'inconscient de classe. C'est la dualit du plaire et du faire, de la sduction et du travail, du frivole et du srieux.

    Le Frivole et le Srieux , c'est bien le titre de votre livre paru en 1973?

    Mais qui ne fait que reprendre les catgories dj constitues dans L'Etre et le Code .

    Vous avez propos la lutte des classes en tant que dialectique du srieux et du frivole ?

    C'est un engendrement rciproque. Un premier enjeu tait de traduire cette lutte dans le concret, l'existentiel. C'est apporter la catgorie qui manquait, le jalon conceptuel qui comble l'espace rest vide entre le thorique et le vcu, entre Marx et Balzac-Proust. C'est aussi l'ambition de contribuer tablir la relation de complmentarit de Hegel et de Marx, du concept et de la pratique sociale. C'est aussi la remise en question des fondamentaux de la connaissance, du principe de plaisir et du principe de ralit.

    C'est un Manifeste de la refondation ?

    C'est un manifeste de l'existentiel auquel on rend son espace culturel, sa double organisation sociale de la production et de la consommation. La relation originelle des frres ennemis - Narcisse et Vulcain - du miroir et des forges, sera la bipolarit de la socialit. Le plaire et le faire, les deux pouvoirs de l'humain, vont se constituer selon un jeu dialectique d'exclusion rciproque. Les rapports de production et de consommation se traduiront selon le jeu du frivole et du srieux .

    Il faut viter la psychologisation de ces deux termes. C'est avant tout une relation dialectique d'engendretnent rciproque. Pour le srieux, le frivole est le futile, ce qui est sans grande importance ; et pour le frivole, le srieux est l'esprit de srieux, lourd et ennuyeux. Mais le frivole peut tre une notion plus profonde que le srieux et le srieux peut tre encore plus ludique que le frivole. Ainsi, le roman peut tre, doit tre d'apprentissage, comme l'apprentissage peut tre un jeu. La dialectique du frivole et du srieux consiste rvler ce qui est cach sous l'apparence et qui constitue l'vnement, le non-dit de l'un se faisant le discours de l'autre.

    Le frivole et le srieux ne sont que le dploiement de la relation originelle de Narcisse et de Vulcain, du plaire et du faire. Mais comment et pourquoi ont-ils pu devenir des frres ennemis ?

    Il faut remonter, en amont de leur mise en relation, l'origine de l'origine, le corps. Il est constitutivement dualit du procs de production et du procs de consommation, de l'exogne et de l'endogne, de la relation soi et de la relation l'autre. Encore la fondamentale ignorance de l'anthropologie constitue : l'identitaire se dveloppe comme consumrisme, immanence du principe de plaisir et du principe de ralit. Cet tat donne au corps une prsence inbranlable : Narcisse, la loi du premier occupant. La praxis vient aprs, pour gter le plaisir de consommer sans produire ; elle apparat alors comme un lment quasi tranger la consommation. C'est la relation de la phylogense et de l'ontogense. La premire est la constitution du genre selon la praxis. La seconde est la constitution de l'individu, de son corps-sujet selon le principe de plaisir.

    Cette problmatique est quasi absente du champ culturel de la modernit, alors qu'elle dcide de la nature humaine et de son conomie politique. Il y a deux quipements

  • corporels : le corps constitu par Pengendrement rciproque du principe de plaisir et du principe de ralit - du ciment ontologique - et le corps, outil de travail, du pouce en opposition, du prmatur et de Yhomo erectus, puis de Yhomo habilis. Notre formule des frres ennemis s'explique : le corps est fait de deux attributs en opposition.

    c/ Le mimtisme concurrentiel

    Reprenons le dossier de Narcisse. C'est le premier crativiste : il refait le monde son image ?

    Narcisse apprend trs vite l'conomie politique du dsir, la loi du march. Chaque chose a son prix. Rien de plus tarif que l'univers du plaisir. Mais ce n'est l qu'approche symbolique - comme Tokyo ces bars htesses qui sont tarifs selon la hirarchie des salaires, o le cadre moyen n frquente pas le mme bar que le cadre suprieur. Le principe matriciel, c'est que la prsomption narcissique doit se soumettre au mimtisme concurrentiel. Si l'unicit rencontre l'unicit, c'est pour se disputer. Ce qui veut dire que l'on est tous pareils c'est le mimtisme -, parce que l'on se dispute la mme chose - c'est le concurrentiel. Alors, les projections narcissiques se hirarchisent selon la ralit de la concurrence. L'imaginaire s'objective selon le pouvoir mondain.

    L'ordre du dsir est l'ordre de la guerre civile narcissique. Sa loi est brutale, banale, triviale. C'est un simple jeu mcaniciste de la dmographie. Elle est aussi le secret de Polichinelle, ignor a priori de la psychanalyse, et dlivr par la bulle de comptoir : il y a bien plus d'hommes qui dsirent les femmes jeunes et jolies qu'il n'y a de femmes jeunes et jolies.

    L'conomie narcissique est celle de la raret. Elle peut devenir alors, celle de l'conomie politique : la chert.

    2 L'engendrement rciproque du march et du dsir

    a/ Dpasser l'antinomie du besoin et du dsir, d'Adam Smith et de Freud

    Le libralisme libertaire sera dfini, reconstitu, selon son conomie politique le march du dsir et selon sa gnalogie - le passage de la consommation transgressive au pr-fascisme culturo-mondain.

    March du dsir ? C'est une mtaphore ?

    C'est une ralit concrte. Ainsi le tourisme sexuel. Mais ces comportements doivent tre exhausss en concepts. Autrement, ce ne serait que du bavardage descriptif.

    Ce march du dsir sera reconstitu en procdant la double critique du march et du dsir. D 'un ct, une conomie politique qui prtend au scientifique, la mesure du quantitatif, la connaissance exacte. De l'autre, les sciences molles, dites humaines, une connaissance fonde sur l'invitable dipe, aux multiples drivs, une anthropologie libidinale du sujet, qualitative.

    Une premire rponse : l'conomie politique traite du besoin et l'conomie libidinale traite du dsir. C'est dj une distinction labore, de deux ordres, des deux cts de l'humain : le besoin et le dsir.

    C'est bien le problme mme de la connaissance qui est pos : quelle est la relation des deux ordres, le march et le dsir ! Chaque terme propose le principe d'une ngation radicale, d'un refus. La cassure radicale des deux ordres devient celle de la philosophie occidentale, la querelle du singulier et du particulier, la nouvelle querelle des universaux. Soit une connaissance scientifique qui atteint

  • l'universel dans sa singularit mme. Soit une connaissance du sujet qui permet d'atteindre une particularit qui se dveloppe contre la singularit mme.

    C'est, encore une fois, la fatalit de la connaissance no-kantienne l'occidental est spontanment no-kantien qui se rvle, sur le plan de la philosophie de la connaissance par la dichotomie entre empirisme transcendantal et formalisme. L'Occident pense l'un et l'autre, l'autre ou l'un, en un fabuleux syncrtisme clectique, un mli-mlo qui est interprt comme la libert mme de penser, comme tolrance.

    Il faut dpasser ce destin prfabriqu du hiatus mtaphysique et scientifique entre le besoin et le dsir pour retrouver en chaque homme l'unit de l'individu et de l'tre social.

    Le hiatus entre le besoin et le dsir est une relation d'exclusion rciproque qui n'existe que pour des corporations, des coles de logiciens ou de grammairiens et que l'on ne retrouve pas dans le vcu. Il ne fait que produire une scission de la ralit. Celle d'une conomie politique arrogante et abusive, machine quantifier, fragmenter, conventionnaliste, qu'elle soit bourgeoise ou mme marxiste et qui, dans tous les cas, impose un positivisme radical. Cette conomie politique ampute l 'homme de son dsir et ne traite que de marchs particuliers, partiels, ceux du licite et du normatif, de la socit police. Le reste ce qui importe - ce que nous dsignons comme march du dsir, n'a pas d'existence propre.

    L'autre destin prfabriqu est celui du dsir - combien abusif - de l'dipe, du psy, du grand renfermement du sujet priv de toute praxis. Mais il faut remarquer que les deux rductions positivistes du psy et de l'conomiste convergent

    et s'pousent dans un positivisme existentiel aussi inquitant que celui du dsir dbrid.

    Il faut donc faire intervenir ce qui n'existe ni pour le psy ni pour l'conomiste, ce qui est la fois rel et rationnel, omniprsence de ce que le positivisme et le subjectivisme ne peuvent voir, la pure synthse : le march du dsir.

    C'est tout un march clandestin, illicite et marginal, doublement cach, univers parallle qui doit rapparatre, comme une quatrime dimension. Cette mtaphore veut faire apparatre toute la porte de la rvolution copernicienne propose.

    Alors, le dvoilement de l'inconscient, ce qui est cach, non su et qui nous meut. L'engendrement rciproque du march et du dsir nous donnera l 'homme, qui ne peut se rvler que dans cet change. Fabuleuse engeance ! Naissance de la dualit, de la contradiction. Narcisse et Vulcain, les frres ennemis.

    C'est le march qui transmue le besoin en dsir. Sans le march, le dsir n'est qu'intentionnalit sans qualit , une simple prsence et participation aux filiations ontologiques, la relation de l'tre, du genre, de l'individu. Ce dernier n'a d'existence que par la relation de ces trois composantes antprdicatives , prdipiennes. L'individu est le brave petit soldat de l'espce qui veille la reproduction. Avec 1 conomie politique, se cre le passage de la valeur d'usage le besoin -, la valeur d'change - le dsir. Il n'est de dsir que de relation l'Autre ; il n'est de besoin que de relations aux choses.

    Quel peut tre le dveloppement du dsir dans une conornie de survie ? Pour que le dsir advienne, il faut avoir quitt l'ordre du besoin, de la ncessit, chapper aux trois

    dterminations ontologiques de l'tre, du genre et de l'individu. Il faut passer aux filiations dipiennes

  • proprement humaines. Il faut crer - par l'exogamie monogamique - l'enfantement de l 'dipe : le mode de production fodal, le mythe de Tristan et Yseult, l'interdit comme amour de l'interdit, objective et suprme preuve d'amour.

    b/ Les trois moments constitutifs du march du dsir

    (1) La gense de l 'conomie politique du prostitutionnel

    Tout a commenc dans la Cit antique, avec le chrmatistique qui est l'art de s'enrichir, activit pour laquelle Aristote manifeste peu de considration. En mme temps, apparat le plus vieux mtier du monde .

    Le profit, prix de lapasse ?

    La prostitue est la marchandise-cl de l'conomie politique parallle et souterraine. Elle est l'origine de Pengendrement rciproque du march et du dsir.

    Et le proxnte ? Le dernier des mtiers ?

    Vous posez le problme : est-ce l 'homme qui vend la femme ou la femme qui se vend ? Pour rpondre, il faut proposer un pralable mthodologique : l'interprtation contradictoire. Il s'agit de faire apparatre l'aporie constitutive de l'idologie, de reconstituer la contradiction qu'elle met en place et d'liminer la fausse question. Cette mthode interviendra constamment dans notre entretien.

    Il faut - mthodologie exige - renvoyer les deux thses dos dos et ne considrer que la rsultante en son ambigut constitutive : dans les deux cas, il y a consommation libidinale caractrise, rfrentielle. Le plaisir s'achte, le

    dsir est un march : Albric fait de l'or du Rhin le prix du plaisir ; la femme a valeur originelle de marchandise.

    La prostitue est la marchandise idale du march du dsir. Elle ne cote rien, au marchand, l'entremetteur, au souteneur, au taulier. La matire premire - la chair est inpuisable, toujours renouvele, toujours disponible. Il suffit de la mettre en valeur, en plus value. Elle ne ncessite aucun investissement en main d'oeuvre ou quipement. Mais cette marchandise qui ne cote rien peut rapporter beaucoup.

    La prostitution est une bien mauvaise affaire pour la femme : si nous avons, en termes de mthodologie, renvoy dos dos le plus vieux et le dernier mtier, c'est pour mieux prciser le genre d'alination dont la femme est victime. C'est une rification, une alination, une servitude.

    Le march du dsir est l'envers de l'conomie politique. Il rvle ce qui doit tre exclu pour constituer l'conomie politique licite et normative. C'est le march qui dcide de l'interdit. C'est qu'il doit exclure la marchandise prostitutionnelle. Alors, il peut se dployer dans l'espace du srieux, de la production, du besoin : l'conomie politique des conomistes anglais et... de Marx.

    Mais la marchandise prostitutionnelle n'est pas pour autant rejete et anantie, abolie ou dpasse. Tout au contraire : elle se fait clandestine, une autre conomie, souterraine, celle qui se constitue par l 'engendrement rciproque de l'incivisme et du consumrisme. Elle constitue 1'inconscient : ce qu'il ne faut pas savoir, qui doit mme tre ni, pour que la production matrielle puisse se dvelopper. Alors se constituent deux univers parallles qui doivent s'ignorer. Celui du march licite, de l'conomie domestique, qui commence aux Pnates, se dveloppe sous la direction de la matrone et de la mnagre de moins de cinquante ans

  • et qui s'achve par l'accession aux biens d'quipement des mnages qui peuvent mme atteindre le confort. En dessous, le march de la consommation mondaine, ludique, libidinale, marginale.

    Celui que vous avez dfini dans Le Capitalisme de la Sduction ?

    En effet, Le Capitalisme de la Sduction est l'analyse du dveloppement du libralisme libertaire. Et de cette caractristique nouvelle : le libralisme libertaire accde deux systmes de profit. C'est une opration dialectique qui rvle et accomplit l'essence du capitalisme.

    Premire opration : exclusion, contradiction. C'est la mise en place de la dualit des deux conomies politiques, comme contradiction de la prostitue et de la femme honnte. C'est la constitution du march du vice et du march de la vie domestique. Deux univers juxtaposs, la double vie de la marchandise.

    Deuxime opration : l'inclusion, la rintroduction de ce qui a t refoul , rejet. C'est l'ordre social lui-mme qui se fait le vecteur de cette opration. Ce n'est plus la contradiction du vice et de la vertu ; ce sera l'engendrement rciproque du narcissisme et de l'conomie de march.

    Ces deux oprations constituent la lgalit, la lgitimit, le normatif: le prostitutionnel n'est-il pas cart, la marchandise prostitutionnelle exclue ? L'hypocrisie se fait mauvaise foi sartrienne - et conomie de march. Ainsi se constituent la conscience et le march. La religion et la morale seront les traductions idologiques de cette constitution originelle de la marchandise. Mais l'conomie politique, en donnant un prix chaque chose cre aussi la

    1 Michel Clouscard : Le Capitalisme de la Sduction. Editions sociales

    Paris, 1981.

    chose sans prix, donc hors march. Il y aura la femme qui a son prix et l'honnte femme qui prend la valeur de ce qui n'a pas de prix.

    C'est dans cet univers que Narcisse doit vivre le mimtisme concurrentiel : sa consommation libidinale, ludique, marginale doit s'accomplir selon la transgression constitutive du march du dsir.

    (2) Les trois parrains du march du dsir. Trafiquer le produit et modeler l'usage

    La marchandise originelle est celle du march du dsir : engendrement rciproque du march et du dsir, du narcissisme et du chrmatistique. Le dsir a besoin du march pour crer l'objet du dsir et le march a besoin du dsir pour crer sa clientle.

    Un double parrainage va se dvelopper. Celui de l'origine : du march et du dsir. Il faut une organisation minimale, une mise en place, d'abord de toute la logistique de la production, puis de celle de la distribution du produit. L'actuel march de la drogue est exemplaire de cette mise en place. La Maffia ne fait que rsoudre cette complexit : crer de toutes pices un fonctionnement relationnel sans laisser de traces. Elle est porteuse du drame de toute entreprise centralise qui ne dispose ni des infrastructures ni des services ncessaires. De l une gestion de dmocratie directe , maffieuse.

    Les deux parrains, ceux de la rciprocit du march et du dsur, gnrent le troisime comparse qui est ncessaire leur

    commerce et au bon dveloppement de leur affaire commune. La situation paradoxale du marchand est de devoir vendre une marchandise qui resterait inerte sans le discours promotionnel de valorisation et de sduction. Cette

    situationon devenant la norme mme du dveloppement

  • conomique, un troisime parrain se spcialise dans cette mdiation esthtisante qui s'accomplit avec le publicitaire.

    Ce qui fera l'originalit et l'tranget du capitalisme actuel, c'est bien le dveloppement de ce troisime parrainage : le culturel-esthtisant-promotionnel. Son rle historique est de proposer la synthse des deux constituants que sont le march et le dsir, synthse de la matrialit du march et de l'intentionnalit dsirante. Se rvle alors la partie cache de l'iceberg, l'envers de la pub.

    La rvolution copernicienne que je propose consiste rcuser la dichotomie consensuelle entre culture et publicit. Et proposer la complmentarit structurale du marchand et de l'intellectuel qui se croit contestataire alors qu'il apporte la mdiation ncessaire entre la marchandise-objet (la valeur d'usage) et la marchandise-valeur (la valeur d'change). Ce qui fait l'essence mme du libralisme libertaire.

    e

    Marx a tabli la distinction entre valeur d'usage et valeur d'change, fondement de l'exploitation capitaliste : la force de travail du producteur est la seule marchandise dont la valeur d'usage (l'activit de travail) est suprieure la valeur d'change (le salaire), l'appropriation prive de la plus-value constituant la seule source de richesse. Pourtant l'tat du capitalisme au milieu du XIX sicle ne permettait pas a Marx de poser le problme de la nature de la mdiation entre valeur d'usage et valeur d'change. C'est la ralit concrte du libralisme libertaire qui met jour l'importance sociale de la mdiation entre les deux valeurs avec la constitution d'un corps de mtiers du culturel-mondain. Le dveloppement monstrueux de la publicit a impos aux marxistes eux-mmes un problme que Marx ne pouvait poser : quels sont les rapports de la production et de la consommation partir du moment o la consommation est aussi avre que le processus de production ? C'est cet espace laiss en suspens

    nue nous cherchons conceptualiser par les notions de march du dsir et de double profit.

    Il n'y a pas de discontinuit entre la matrialit de la chose et le culturel. Il n'y a pas de diffrence de nature : le culturel permet de dplacer le jeu, tantt dans le march, tantt dans le dsir et d'unir les deux faces de la marchandise. Nous ne ferons qu'indiquer ici les perspectives de ce retournement copernicien.

    On peut tout d'abord proposer le schma historique de l'engendrement rciproque du mercantile et du culturel. A la base, le petit commerant fait la rclame de la marchandise. C'est le commencement de l'art de convaincre qui va se dvelopper en sophistique. C'est aussi le commencement de l'art de sduire par la marchandise. C'est le marchand qui cherche convaincre alors que la sduction se fait qualit de la marchandise.

    La rclame du produit se transforme en promotion de vente d'un article particulier. Celui-ci peut accder ce label de qualit : la marque. C'est la premire distinction consumriste, celle des adolescents qui passent leur temps courir aprs les marques que les copains ne peuvent se payer et que les copines admirent tellement. Dj, la conscience glisse vers un consumrisme slectif, niveau lmentaire - marque du mimtisme concurrentiel. L'article en promotion, tout au contraire, est la valorisation d'un produit de l'ordre du ncessaire et du suffisant. Il relve des biens de subsistance et d'un confort lmentaire.

    Dj apparat une irrductible dualit, celle de deux mercantilisations opposes : l'une, promotionnelle du dsir

    - comme niveau de standing, de sduction -, l'autre promotionnelle d'un besoin lgitime. Les deux voies sont

    traces : la satisfaction du ncessaire et du suffisant et la "dsirance du march du dsir.

  • Tout un priple a t accompli, celui de l'engendrement rciproque du march et du dsir : de l'objet usuel la marque, de l'usage banal au slectif, de la rclame la publicit. Alors peut se raliser la synthse dfinitive des deux ordres que l'on croit opposs, irrductibles : celle de la thmatique contestataire et du discours publicitaire, la dfinitive mercantilisation et instrumentalisation de l'autre en objet de dsir et moyen du plaisir. Alors peut tre confectionn le produit de transgression. Il est dot de trois parrains, trois pouvoirs qui s'pousent pour constituer le consensus du libralisme libertaire.

    Le parrain des parrains, c'est le parrain de la Maffia. C'est lui qui s'expose au plus grand danger, celui qui fait la chert de la drogue. Il est ce chef d'entreprise prpos la production et la circulation du produit. Quelle responsabilit ! Mais il s'efface la clandestinit l'exige -devant les deux autres parrains de ce qui est devenu marchandise. Ce sont les deux prposs au march, la circulation du produit, la conqute de la clientle, la promotion de vente. Il s'agit des deux gros parrains de la culture et de la publicit. De la collusion de l'lite intellectuelle et de l'tat major publicitaire natra la synthse dfinitive du march et du dsir. Deux corps de mtier se rencontrent au sommet, se reconnaissent en leur commune accession la qualit de vie .

    L'un discourt, l'autre met en pratique. L'idologie du plaisir et du dsir apporte le principe qui recouvre tous les besoins et tous les usages : dsirez, librez vos dsirs. C'est aussi le principe de la publicit, qui s'occupe, elle, des travaux pratiques alors que l'lite intellectuelle promulgue les modes d'usage et la stratgie de conqute du marche : identifier libralisation et libert.

    Les magazines fminins assurent l'ultime mise en pratique. C'est la mdiation ncessaire entre la thorisatioo

    l'lite intellectuelle et la mise en existence mercantile et instrumentale.

    3) Mercantiliser, instrumentaliser, manipuler. Service, usage colonial, pouvoir de classe

    Que peut-il rester du dsir et du plaisir si on leur enlve tout support mercantile, toute relation avec le chrmatistique et si on envoie ses parrains en exil ? Ou Stockholm pour recevoir le prix Nobel ? Que serait un plaisir sans service, rduit lui-mme ?

    A son essence ?

    La nostalgie coloniale du petit blanc : ce que c'tait bien avant . Le plaisir dlest de l'empire colonial et de son pouvoir de classe n'est plus qu'une forme vide, plaisir sans adjuvant idologique - rduit la pure fonction organique. Cette situation coloniale n'est pas amene pour son folklore ou son pittoresque. Elle est ce moment rpublicain, hlas, qui exprime la perte de l 'Empire et la nostalgie du moyen de la jouissance. Je peux dj dfinir un principe de plaisir qui paratra bien trange au psychanalyste alors qu'il ne fait qu'exprimer la ralit esclavagiste et colonialiste.

    De mme que prostitution et esclavage sont la double face de la mme mdaille, le boy tait double usage. Faire suer le burnous : service de jour, service de nuit.

    Le libertinage pourtant... ?

    Lequel, celui de la nostalgie du droit de cuissage ou celui de la corruption de l'Ancien Rgime ? Demandez Figaro, au boy, aux personnels du service domestique ce qu'ils pensent du seigneur pas encore trop mchant homme qui

    dlaisse sa femme pour de la chair frache domestique. Trois victimes en puissance : Figaro, la comtesse, Suzanne : le petit

    peuple et la femme-pouse. Quel abus de pouvoir ! Mais

  • quelle que soit la collusion des pouvoirs de l'argent, de l'pe, de la culture, le libertinage n'a jusqu' nos jours pu triompher du droit naturel rpublicain. Il est tenu en respect par la monte des droits de l 'homme.

    Mais quand mme : Casanova, Don Juan, Carmen ! Toute une mythologie et une symbolique proposent le dsir et le plaisir comme subversion sociale. Il y a tout un ensemble contestataire qui s'oppose

    justement la mercantilisation et instrumentation !

    Je me heurte l, en effet, au patrimoine culturel, au muse culturel. Il est respectable ce titre. Don Juan est une pice de muse et n'a plus cours. Il dtenait les cls d'un univers qui a disparu. Aussi faut-il respecter le gardiennage du muse, pas du tout imaginaire. Il faut considrer les collgues culturels qui dfendent cet univers rvolu tout en critiquant leur crdulit corporatiste. Il ne faut pas confisquer son instrument de travail une corporation en danger de mort. Le spectre de D o n Juan est quand mme prfrable la publicit. Mais appliquons aux prtendues subversions la thorie de la double lecture, de la rvlation de la dualit, du contradictoire, de l'aporie. Les donnes mythiques peuvent tre retournes comme un gant.

    Vous avez cit Carmen... Elle serait la femme libre, libre : la transgression mme, alors qu'elle peut tre dfinie selon son contraire : femme soumise, amoureuse du macho, du plus bel uniforme, de la smiologie dominante, du pouvoir. D'abord le chef de bande, un homme traqu, hros peu rutilant, en haillons. Et puis elle accde l'uniforme. Ah ce prestige de l'uniforme ! Le carabinier, surtout s'il est grad, est l'uniforme mme du pouvoir. Mais il y a mieux : le costume du torador, macho suprme, mle rutilant, matador, qui risque sa vie pour donner la mort. Le pur produit hollywoodien, Ava Gardner, prfrera, elle aussi, son matador au chanteur de charme.

    Il en est de mme pour D o n Juan. Son brevet de personnage subversif peut tre retourn. coutez le chant de la lavandire : Le saviez-vous, le hussard de la garde, eh bien ma chre, il tait mon amant . La partenaire de D o n Juan peut se vanter d'avoir fait Don Juan. C'est un brevet de sduction, d'appellation contrle ; elle fait partie du catalogue.

    La femme pourvoit la gratification narcissique. Narcisse cherche la preuve de sa beaut lui, valeur de son image. La femme la lui apporte : Il a fait ma conqute . Elle se fait alors pouvoir sur l 'homme, dans la mesure o l 'homme croit la sduire.

    Don Juan serait le manipul de base, l'homme de paille qui met en scne et en pratique le pouvoir de la fminit !

    C'est ce jeu du dsir qui est l'origine du mondain , catgorie ncessaire la connaissance du libralisme libertaire.

    3 L'irrsistible expansion du march du dsir

    Une fois constitu le march du dsir, il faut en comprendre l'expansion fonde sur une dynamique triple : potlatch, clientlisme et march, oprent la synthse d'poques sociales diffrentes. Le podatch est un principe archaque des socits dites primitives, la grande fte o les produits doivent tre consomms. Le clientlisme est une pratique des socits traditionnelles o certaines couches sociales se placent sous le patronage de patriciens ou parrains appartenant des fractions de classe plus hautes dans la hirarchie, comme cela tait le cas Rome et l'est encore dans les formes sociales maffieuses. Le march est cette forme sociale dans laquelle les produits sont librement offerts l'achat sans autre condition que de payer.

  • L'expansion du march qui est au principe du libralisme libertaire - Consommez ! - se fait en promouvant les cibles nouvelles que sont le jeune et la femme, avant-gardes des nouvelles couches moyennes, et en normalisant cette consommation dans les pratiques quotidiennes. Du pain et du sexe . Toute une ducation se met en place - gnie du capitalisme libral - qui supporte la nouvelle accumulation capitaliste et nourrit sa comptitivit.

    a/ Les voies d'expansion du permissif : potlatch, clientlisme, march. Tous les coups sont bons

    L'initiation mondaine la civilisation capitaliste fait apparatre le principe ducatif du libralisme libertaire : le dressage par l'animation machinale. Etre cool , par exemple, sera la rpartie mondaine la raideur boy-scout, au toujours prt , au tiens-toi bien de l'ducation.

    Toute une symbolique et smiologie de la prtendue privatisation et mancipation ne sera que l'expression des rflexes conditionns par l'animation machinale. Tout un comportementalisme se fait formalisation a priori des conduites, mode d'emploi du dsir. Ce principe ducatif trouve ainsi l'espace social de son expansion : atteindre une puissance au moins gale celle de l'ducation civique et rpublicaine, traiter d'gal gal avec la loi. Ainsi se constituent l'intersubjectivit et l'expansion de la socit permissive.

    Le permissif commence par son affirmation et justification identitaires : je vis comme ceux qui sont comme moi ! L'Autre lgitime ma particularit puisqu'elle est aussi la sienne. Qui se ressemble s'assemble. Ce communautarisme s'accomplit selon la bande, le club, la clientle, le carnet d'adresse. Il est la fois solidarit de clan et copinage sexuel.

    Mais ce qui fait l'essence du communautarisme homosexuel est bien la rduction de l 'homme sa sexualit. De mme que l'dipe surdtermine les usages et fonctions du corps, le communautarisme prtend conditionner toute vie sociale, affective et mme politique.

    Il est un ghetto et une voie de garage. Ce n'est qu'un leurre qui cache le dploiement du permissif, sa pntration en des lieux o on ne le suppose pas, une diversion. Ce permissif se dveloppe selon l'conomie politique. Il n'est pas surajout, superftatoire, qualit seconde. Il fait partie de l'intentionnalit mme de l'conomie politique, des trois expressions constitues par l'histoire : le potlatch, le clientlisme, le march.

    Le potlatch est le principe de la prtendue conomie du don. C'est le cadeau le plus empoisonn, celui du plan Marshall. Ce qu'on vous donne, vous devez le rendre, en mieux si possible. Vous tes dbiteur, redevable. Ce plan Marshall a eu comme rcompense la tte des ministres communistes. Et la soumission politique l 'OTAN. Le libralisme apporte ce cadeau : la libert sexuelle. Mais au prix de la soumission politique de la jeunesse.

    On connat bien la formule du clientlisme, du pain et des jeux que les riches donnent aux pauvres pour avoir la paix. Le libralisme libertaire la reprend et la modernise : " du pain et du sexe . Le jeune est la clientle d'un nouvel change qui permet la jouissance au prix du renoncement au politique. La rvolution librale est prfre la rvolution sociale.

    La troisime conomie politique de l'change est celle du libralisme. Le jeune et la femme peuvent tre caractriss

    comme conqute de march.

    La socit permissive est faite de l'accumulation des modalits historiques de l'change : don, clientle, march.

  • Le march du dsir est la matrise de ces trois univers par la marchandise : le pouvoir d'tre la fois valeur d'usage et valeur d'change, de traduire le clientlisme et le don dans les rapports de classe.

    b/ Les cibles : le jeune, la femme, le marginal, les nouvelles couches moyennes

    Le jeune, la femme, le marginal deviennent, d'aprs vous, les allgories militantes de la modernit capitaliste ?

    Ce sont les cibles de l'initiation mondaine la civilisation capitaliste, c'est--dire d'un apprentissage et d'un usage des archtypes de la modernit.

    Quels en sont les enjeux politiques ?

    Il faut faire appel au principe actuel de la lutte des classes : ou la rvolution sociale que doit accomplir le Travailleur Collectif - ou la contre-rvolution du libralisme social libertaire. L'essentiel du pouvoir du libralisme a consist prendre de vitesse le double projet du socialisme : la consommation de masse garantie par la production de srie (l'accs aux biens de subsistance mais aussi au confort), et la prtendue libration sexuelle, l'mancipation du jeune et de la femme.

    Tout a, c'est cadeau du libralisme !

    Cela relve alors de l'conomie du don. Le potlatch consiste offrir un cadeau que l'autre est tenu de rendre, en mieux. Avec cet change, les idologues prtende dpasser l'conomie politique du profit. Mauss ne s'est pas rendu compte qu'il s'agissait la fois d'un troc devenu symbolique de l'change et d'une stratgie de la contrainte.

    La soumission volontaire serait la rsultante de l'conomie du don ?

    Prenons le cas du jeune, du jeunisme, le client de base. Le libralisme libertaire va lui apporter la consommation sexuelle sans produire et sans avoir. C'est l'invention de la jouissance de la modernit, une rvolution aux consquences vertigineuses et qui n'est mme pas souponne des bricoleurs de la refondation progressiste.

    Il est essentiel - pour la philosophie de la connaissance et la refondation progressiste - d'tablir que la gense des jeunes est aussi la gense des nouvelles couches moyennes. La loi commune se dveloppe selon deux perspectives complmentaires, d'engendrement rciproque mme. La gense des jeunes relve du clientlisme, la gense des nouvelles couches moyennes relve de la stratgie du march.

    Dans la socit traditionnelle, celle du face face des classes sociales, la jouissance est doublement interdite, pour deux raisons contradictoires qu'il faut rappeler :

    - la classe ouvrire n'accde qu'aux biens de subsistance. Elle n'a aucune marge bnficiaire. Elle fait de ncessit vertu. Son salaire interdit a priori la jouissance car tout doit tre rinvesti dans les biens de subsistance ;

    - la bourgeoisie, elle, dispose de la marge bnficiaire - l'extorsion de la plus-value - mais tout doit tre rinvesti

    dans l'quipement productif.

    La socit traditionnelle est celle de la complmentarit de l'thique proltarienne et de la morale bourgeoise. Il faut subsister, il faut rinvestir.

    La jouissance, alors, ne peut tre que parasitisme social - point de vue de l'thique (de la praxis, du travail) ou alors

    immoralit - point de vue de l'ordre bourgeois. Le mauvais mari est un mauvais pre parce que mauvais entrepreneur. Il prend une part de jouissance sur ce qui devrait tre rinvesti

  • dans l'quipement selon le libralisme concurrentiel. Celui-ci propose une normalisation pour rester comptitif et accumuler du capital. La jouissance autorise sera le saut au bordel ou chez la femme entretenue. Le plaisir est clandestin hypocrite, honteux.

    La socit fantasmatique est un total renversement de la situation et des valeurs. L'thique et la morale seront dsormais considrs comme des empchements arbitraires la lgitime jouissance. Ce qui est revendiqu, c'est le droit au fantasme, l'inquitant paradoxe de pouvoir transgresser en toute impunit ! Nous ferons apparatre toutes les consquences de cet nonc despotique.

    On n'a plus passer par le travail et la vertu pour n'accder qu' une maigre part de jouissance doublement gendarme . On peut jouir sans avoir travaill et sans avoir conomis et accumul, en dehors des rgles du travail et de la vie de famille. Ce parcours est la gense du libralis.ne libertaire, du jeune, des nouvelles couches moyennes, du gauchisme, du pouvoir que le capitalisme se donne : non seulement liquidation de l'thique et de la morale, mais lgitimation de l'abus de pouvoir.

    L'conomie politique du libralisme rvle alors tout son gnie. Car ce qui est vendu ne cote rien et rapporte gros. L'investissement productif, le mode de production et de mercantilisation, la publicit, tout est gratuit. La libert sexuelle est la plus prodigieuse conqute de march, la matire premire d'une industrialisation et mercantilisation d'une conomie invisible.

    Avant le libralisme libertaire, la Rpublique dcidait des conditions restrictives de la jouissance. L'accs au mariage relevait de quatre preuves, quatre mrites de la citoyennet. Il fallait avoir fini ses tudes et disposer d'un mtier, avoir fait le rgiment et disposer d'un logement. Autant de

    manire de faire la cour, d'apporter des preuves d'amour... de fonder un foyer. Sinon, la masturbation ou le bordel.

    L'adolescent peut maintenant accder la jouissance et mme au concubinage sans avoir accomplir ce parcours du combattant, du mrite citoyen. Il n'a pas attendre d'avoir fini ses tudes car il est en tat de formation permanente, de recyclage, de stage. Il n'a pas attendre d'avoir un mtier, tant soit au chmage, soit dans l'emploi prcaire. Avoir fait le rgiment ? Il a t supprim. Quant au logement : viens chez moi, j'habite chez mes parents.

    Ce jeune est devenu le client. C'est l'invention d'une nouvelle jouissance : le pouvoir de jouir sans travailler et sans avoir.

    4 Le mondain, concept ncessaire la connaissance et pouvoir de classe

    De la mondanit au mondain.

    La refondation doit reconsidrer les fondamentaux et mme produire les concepts ncessaires sa mission. Cela a dj t fait avec le march du dsir et la consommation transgressive . Mais pour rendre compte d'une manire synthtique de tout ce qui a t dit, et pour rvler son sens - jeu et enjeu -, il nous faut proposer un concept de plus, ncessaire la connaissance du libralisme libertaire et sa stratgie conomico-politique. Tout un savoir-faire de ce que nous dsignerons par le mot mondain - faute de mieux - a t dcrit et catalogu. On peut maintenant reprendre ce mot

    pour en faire un concept oprationnel.

    Le mondain comme catgorie de la connaissance ?

    Le mondain est la fois catgorie de la connaissance et catgorie d'existence du libralisme libertaire, mais il est aussi

  • stratgie de camouflage du libralisme dans la modernit C'est aussi le non-dit des matres du soupon, Marx, Freud Nietzsche. Ceux-ci sont leur tour souponns : que cache le discours sur le soupon ?

    Pourriez-vous formuler quelques quivalences, quelques mises en route de ce concept ?

    Le commerce de la chair derrire le commerce des hommes, ou bien l'ambivalence de l'change, ou bien ce qui transmue la valeur d'usage en valeur d'change, ou bien ce qui permet au signifiant d'oublier le signifi et le rfrent.

    Ce concept de mondain doit se substituer l'inconscient de la psychanalyse et la mauvaise foi - de Sartre. Je reprendrai la clbre formule L'Inconscient est structur comme un langage , pour lui substituer celle-ci : l'Inconscient est structur comme un march ! . Mais alors se pose la question : est-ce parce que l'inconscient structure le march ou bien parce que le march structure l'inconscient ? C'est l'aporie fondamentale : une dualit apparat sans que l'on puisse reconnatre une antriorit logique ou phnomnologique de l'une ou de l'autre composante.

    Aporie du mondain : est-ce le march qui est l'origine du dsir ou celui-ci qui est l'origine du marche I L'engendrement rciproque est la rsolution de cette problmatique, la mise en relation du narcissisme et de l'conomie de march.

    Vous en avez apport la dmonstration avec votre ouvrage I capitalisme de la sduction et plus prcisment dans la premire partie: L'initiation mondaine la civilisation capitaliste- Vous dcrivez toute une ritualisation qui est promotion de vente et expression narcissique...

    ... et surtout transgression rige en mode d'emploi. A un premier niveau, celui de la famille, il s'agit d'une banale

    dsobissance. On fait ce que papa a dfendu. On n'a pas tous les jours seize ans. Mais comment en effet ce geste, somme toute anodin, peut-il dclencher une avalanche de significations de toute nature, symboliques, smiologiques, psychosociologiques, culturelles ? C'est qu'il y a marchandise, achat, cot, valeur d'change. L'norme imposture de la contestation et de la transgression est de clbrer ce qu'elles prtendent dnoncer en apparaissant sous les figures doubles : l'imprcateur thurifraire - celui qui vitupre et flatte tout la fois -, le radical du parti du Marais, etc. Ces personnages, sous couvert de remettre en question le systme , recrent ce que le libralisme requiert.

    L'accs la consommation doit se payer. Il y a droit de page. C'est le droit d'accs... la consommation interdite. La transgression ne fait que reconnatre et mettre en pratique la complmentarit des deux conomies politiques dtermines par la marchandise prostitutionnelle. Nous reprenons ici la mise en place de la socit prostitutionnelle dj propose. L'inconscient collectif se constitue, tout d'abord, par la mise en relation des deux conomies : un change, un apport de trsorerie, une circulation de l'argent telle que la vente dans l'une apporte l'achat dans l'autre.

    Alors, peut jouer la loi (non crite, elle aussi et sans mesure quantitative) tendancielle, de la complmentarit des deux conomies : celle du lgal et quotidien et celle de

    l'ilcite et du clandestin, des biens de consommation ordinaires et du march de la chair. Ce n'est pas parce que

    ces choses ne sont pas mesurables qu'elles n'existent pas. Si l'on ne peut faire l'histoire du march clandestin, c'est qu'il

    l'est ce point. C'est qu'il s'agit dj de blanchiment d'argent, de signes extrieurs de richesse, d'change de

    service, de troc, de trafic d'influence qui ne sont pas comptabliss et comptabilisables. Mais quel conomiste a propos une thorie sur les origines du march en tant que

  • cration d'un change rgul de la chair et de la marchandise lgale ? Il n'en reste pas moins que cet change est appel le premier mtier du monde.

    La loi tendancielle est de constituer un ensemble ferm fait de l'quilibre des deux conomies, l'argent assurant la continuit, la transmutation, l 'autonomie du mercantile. C'est l'argent sa valeur - qui tend ce que les choses se normalisent pour le plus grand profit. Le montarisme (avant la lettre) normalise l'change des contraires qui constituent l'conomie politique en tant qu'conomie de l'humain. Alors Narcisse apparat - le mondain - comme existence commune, rendue commune, du dsir et du march.

    Notre dmarche est l'inverse de l'interprtation gnrale : au commencement, il y aurait l'innocence, ensuite corrompue par l'argent. Au contraire, le flux montaire permet d'carter la guerre exterminatrice, celle de la conqute de la chair et de la mise en esclavage. On ne tue plus pour consommer la chair frache, on l'achte. Cette-ci perd son pouvoir sauvage, incontrlable, guerrier.

    Autre fabuleux paradoxe, d'une porte incalculable : l'argent libre du pch ! La marchandise le prend en charge avec le prostitutionnel. Ce n'est plus la relation du bien et du mal mais celle de la mercantilisation qui, en mme temps, exclut et inclut, dsigne l'interdit et le rintgre.

    Alors, la Cit est possible, la Cit antique, celle de gense de la marchandise. Elle est conquise sur le sacre comme dsacralisation du paganisme et du monothisme-marchandise est le principe laque acquis par l'quilibre des deux marchs comme quilibre social, de la conscience et de l'inconscient. Le client libre le pcheur et aline le citoyen Ce qui tait interdit sort par la porte pour rentrer par la fentre.

    Le pouvoir de payer est la libert d 'acheter: c'est la formule du marchand, celle, dj, du libralisme. Mais c'est surtout dpnalisation : le client se rachte en ddommageant la victime morale. C'est comme un impt sur la marchandise qui donne droit la consommation. C'est le rachat par l'impt. On passe du sacrificiel l'imposition, de la culpabilit religieuse selon Max Weber au positivisme humaniste d'Adam Smith.

    B LA GENESE DU LIBERALISME LIBERTAIRE

    1 La rvolution sociale et la contre-rvolution librale

    a/ La production de srie et la consommation de masse

    Quelle est la plus russie, l'idale contre-rvolution librale ? C'est celle qui se proclame anti-ractionnaire et mme progressiste : Mai 68. Ses hritiers peuvent aller jusqu' dsigner les nouveaux ractionnaires . Il faut bien situer le jeu dialectique et historique des trois composantes essentielles qui interviennent ds les Trente Glorieuses et qui ont constitu le fondement mme de l'idologie et de la stratgie du libralisme libertaire.

    Alors que le ractionnaire veut revenir en arrire, restaurer, le libral va de l'avant pour raliser plus vite que le progressiste ce que celui-ci a rv. Avec, en prime, la plus-

    value ! Alors que les deux processus - libral et social - sont, en termes de logique en relation inversement proportionnelle, la propagande publicitaire et mdiatique a pu associer la promotion du libralisme et le dveloppement

    progressiste, imposer la confusion des contraires, pour en

  • venir leur identification. C'est l'histoire du diable qui se fait bon diable et qui passe son temps expliquer qu'il n'existe pas : l'histoire du rformisme.

    Mai 68 est cette contre-rvolution o le libralisme se camoufle en son contraire, contre-rvolution en douce, en lapsus, l'insu de son plein gr , rvolution du contresens et du malentendu. Cette confusion n'est possible que parce qu'elle ne fait qu'exprimer le principe mme du libralisme, ce qui fait sa stratgie, son histoire : prendre de vitesse le socialisme en ralisant sa place ses deux projets fondamentaux, plus-value et double profit la clef. Il va accomplir ce que le socialisme a rv. Il reprend ses deux projets pour les rcuprer, les manipuler, pour couper l'herbe sous les pieds au socialisme.

    Avant tout le socialisme doit et veut crer l'conomie de subsistance, se garantir de la famine et de la disette, librer l'humain du besoin lmentaire, assurer le minimum vital. Alors, librer l'humanit des contraintes religieuses, morales, de l'alination et de la servitude.

    C'est un norme paradoxe ! Le projet du socialisme est rcupr et accompli par l'imprialisme amricain lui-mme ! Et le second projet - autre norme paradoxe deviendra le fondement mme du capitalisme de la modernit : la libration se fera libralisation, march du dsir.

    A la Libration, l'URSS est en proie la famine et la France la disette, aux restrictions. Alors, le libralisme va se glisser dans la reconstruction, le re-faire la France pour en venir - ruse et ironie de l'histoire ! - au minimum vital du socialisme : l'conomie de subsistance, garantie par la production de srie et la consommation de masse. En 2003, on peut apprcier toute la porte de cette fondamentale avance sociale, puisque des continents entiers sont encore en proie la famine.

    Cette avance sociale est, bien sr, la plus grande exploitation possible du travailleur (taylorisme, fordisme, etc.). Mais c'est aussi la rvolution technologique la plus dcisive dans l'histoire de l'humanit. Le capitalisme se fonde sur le progrs technologique. L'accumulation primitive lui donne l'lan qui lui permet de prendre de vitesse, ds le dpart, le socialisme. Puis l'imprialisme amricain va s'articuler sur le processus de reconstruction de la nation, partir du plan Marshall. Ce qui tait embryonnaire avec la guerre deviendra la socit de consommation .

    b/ Le libralisme libertaire carte le ractionnaire et la Vieille France

    Pouvez-vous nous proposer un petit jeu de rles pour dbrouiller les pistes ?Qui est le ractionnaire ?

    En Mai 68, un psychodrame s'est jou au sommet de l'Etat. Il a rvl l'vidence - le jeu et les enjeux de l'histoire. On peut traduire cette situation selon une mise en scne freudienne... et marxiste (par allusion La Sainte Famille de Karl Marx). On aura : le Pre Svre, l'Oncle Dbonnaire et l'Enfant Terrible : de Gaulle, Pompidou, Cohn-Bendit. En termes politiques, cela donne : le ractionnaire, le libral, le libertaire. Ce sont les trois figures du pouvoir de la bourgeoisie de la modernit, les protagonistes d'un jeu de socit indit.

    Le ractionnaire est au commencement : il est la France du patrimoine, de l'avoir, de l'accumulation, originel bailleur de fond, combien ncessaire pour lancer le jeu libral qui va le mettre hors jeu. A chaque progrs de l'histoire, il a pris les mesures conservatoires de l'acquis : de la rente du sol la tente (d'Etat), la famille est dpositaire du capital.

  • Le tandem libral-libertaire le boute hors de l'histoire dont il ne sera plus que le fond de jeu. L'association objective de Pompidou et de Cohn-Bendit entrane le dpart de de Gaulle ; l'exil Colombey. Ce sont les nouveaux rapports de force des trois pouvoirs : la mise hors jeu du ractionnaire par le libralisme libertaire.

    La mondialisation est dj l : le ractionnaire pourtant le plus rpublicain, au nationalisme patriotique, qui est la Rsistance incarne, l 'homme de la dcolonisation et du combat contre l 'OAS, n'est plus qu'un empchement la nouvelle socit, un blocage, l'immobilisme d'une Vieille France fige dans les modles vertueux de la consommation.

    Quel est le plus ractionnaire ? De Gaulle ou Marcuse ? Le freudo-marxisme sera l'origine de tout un processus qui s'achve provisoirement avec le sisme Le Pen , celui de la candidature d'un nofascite la prsidence de la Rpublique. Le hraut de cette contre-rvolution librale est l'imprcateur thurifraire qui ne fait que promouvoir ce qu'il prtend dnoncer. Sa critique de la socit de consommation sera la promotion du corps litiste qui gre le culturel.

    Le freudo-marxisme la Marcuse est le fondement mme du libralisme libertaire. L'accession au mode de production de l'conomie de subsistance production de srie et consommation de masse comme progrs technologique qui entrane un progrs social dcisif, est totalement ignore et mme dtourne. Ce que le ractionnaire lui-mme avait agr, mis en pratique, est dni... au nom de l'authentique rvolution !

    Le freudo-marxisme jette le bb avec l'eau du bain. Il est vrai que ce mode de production est une radicale exploitation du travailleur (fordisme, taylorisme), qu'il est la pntration mondialiste de l'imprialisme amricain plan Marshall- qu'il est dj capitalisme bancaire. Mais ce n'est l que le

    dtournement capitaliste de la production de srie et de la consommation de masse, le seul moyen de se battre contre la faim dans le monde, le principe mme du socialisme.

    Le refus de ce progrs n'est autre que la ratification de l'tat gopolitique issu de Yalta et de l'imprialisme amricain. L'cologie, en toute bonne foi, servira d'argument massue cette idologie moderniste. Oui la rvolution verte, non la production de srie et la consommation de masse. Pas d'infrastructure qui pollue et refus du transgnisme : famine garantie.

    Mais le freudo-marxisme la Marcuse va passer de la ngation du principe socialiste la promotion de la contre-rvolution libertaire. Il sera le discours de la liquidation des acquis de la rvolution sociale (du Front Populaire et de la Rsistance). Il permettra de mettre hors jeu de l'conomique, du politique, du culturel, l'avant-garde de l'exception franaise, de telle manire qu'elle ne soit plus que la Vieille France, ringarde, aux vocations radoteuses.

    Cette opration de la contre-rvolution librale est particulirement perverse. Elle consiste confondre les deux principes complmentaires qui ont fait l'thique de la France issue de la Rvolution Franaise. D 'une part la morale bourgeoise de la raret de la marchandise, faire de ncessit vertu, conomiser pour survivre..., tout ce qui fait la vertu. Et d'autre part, l'thique de la praxis, qui est le contraire d'une morale du travail, mais qui est immanente au procs de production, l'acte de crer. De cette thique nat le principe socialiste : le droit de consommer ce que l'on a produit.

    C'est l'alliance de ces deux France qui a fait l'exception franaise, le Front Populaire et la Rsistance, le ralisme potique du peuple, 1 'me du monde, le sublime du film Le jour se lve .

  • Cette alliance est toujours valable. Elle est le fondement du peuple de France, dtermination antipopuliste. C'est l'enracinement du Travailleur Collectif de la modernit. Elle est actuellement propose par le couple ouvrier-employ qui est l'oppos du systme promotionnel des nouvelles couches moyennes.

    La priorit, donc, de la contre-rvolution librale, est de liquider l'avant-garde qu'est la Vieille France. C'est ce niveau qu'il faut faire intervenir le second principe de la contre-rvolution : reprendre le projet socialiste de librer l'humanit des interdits religieux et moraux, de l'alination et de la servitude. Cette libration se fera libralisation.

    Ici, on ne fera que rappeler les deux propositions fondamentales du freudo-marxisme la Marcuse. Le proltariat se serait vendu au systme pour un plat de lentilles : la participation la socit de consommation. Pour consommer, il aurait abandonn son messianisme politique. N'insistons pas sur ce thme, ses variantes sont infinies. Ne rsisterait encore ce processus d'intgration qu'une lite intellectuelle qui, l'aide des matres du soupon -Nietzsche, Freud, Marx - oppose l'authenticit du dsir la mercantilisation gnralise. La rponse cette idologie du dsir n'est autre que ce constat lmentaire : si la classe ouvrire accde aux biens de subsistance, elle ne fait que subsister, elle ne consomme pas ! Elle accde aux biens ncessaires et suffisants mais non la consommation du surplus. Elle subsiste et utilise. Car elle accde en effet a l'usage des quipements collectifs et des mnages, grce aux lois sociales, conqutes progressistes. Est-ce que l'on consomme un frigo ? Non, mais ce qu'il y a dedans.

    Et si l'ouvrier est extorqu (de la plus-value), ne serait-il pas de bonne guerre de se rattraper en consommant le produit capitaliste ? Il n'y a pas intgration, mais rcupration. Et s'il est - autre face de l'aporie -

    consommateur intgr, n'est-ce pas la lgitime consommation du fruit du travail ?

    L'usage des quipements n'est que manipulation fonctionnelle et au mieux accs au confort. Ni au libidinal, ni au luxueux. Pour Marcuse, il n'y aurait de classe ouvrire que misrabiliste.

    c/ La cration de la latence du dsir. Rinvestir et non consommer.

    La libralisation sera l'accomplissement de la contre-rvolution librale. C'est l'ordre du dsir qui est en jeu, l'dipe, l'interdit. Aussi faut-il opposer au freudo-marxisme - creuset du libralisme libertaire -, l 'dipe de la praxis , concept produire, justifier. Dans l'immdiat, on peut proposer son principe : l 'dipe freudien est surdtermin par les rapports de production et de consommation, selon des modalits constitutives des classes dominantes, de la fodalit nos jours (systme de la parent de l'exogamie monogamique).

    La famille nuclaire se structure comme lmentaire conomie politique. Elle repose sur une dualit constitutive. Le pre et le fils an sont les propritaires de l'exploitation. Le cadet et la femme ne disposent que de l'usufruit. L'amour courtois sera l'alliance des subalternes de la famille et des subalternes de la praxis, ceux qui assurent le service fodal (le chevalier).

    La famille bourgeoise rpte cette dualit constitutive, mais en apportant la rsolution de la problmatique de la libre entreprise : le rinvestissement du profit dans l'quipement productif. La problmatique du dsir est dj pose. C'est la famille qui, par son dispositif dual, doit rsoudre la contradiction de l'conomie politique.

  • A l'origine de la famille bourgeoise, le profit ! a cote combien de profiter ? a sert quoi, le profit ? A mettre en scne le dsir et l'univers de la faute. Il ne faut pas avoir peur des mots : la dmarche laque et socialiste consiste proposer l'quivalent des grands mots de la religion. Reconstituer la phnomnologie du profit, c'est reconstituer la gense du pch originel. Le dsir nat du profit, d'une fondamentale situation de classe. Il y a eu extorsion de la plus-value, exploitation de l 'homme par l 'homme. Mais, du coup, apparat le moyen de la jouissance. L'humanit ne se pose que les problmes qu'elle peut rsoudre ; de mme, la problmatique du dsir n'apparat qu'avec le moyen conomique, financier, culturel, de la jouissance. Ds le principe, la structure du dsir est rvle : extorsion de la plus-value, moyen de jouissance. Il y a un rapport d'expression immdiat.

    Cette situation originelle du dsir ne retrouve dans l'ontogense comme dans la phylogense. Uhomo erectus satisfera ses besoins avec la prdation, la domestication, l'esclavagisme. Le bb est le consommateur absolu qui reoit tout sans contrepartie. L'ontogense et la phylogense collaborent pour dsigner le pch originel : l'exploitation de l'Autre, le profiter de l'Autre, qui se fera conomie de profit. Pch originel, car situation objective, constitutive de l'conomie de survie.

    Il faut convenir que ces propositions peuvent paratre normes : le pch originel comme double expression de la consommation sans production. Mais il ne s'agit pas d'un jeu subjectif car c'est la situation de l'espce humaine. Ceux qui pourraient se gausser d'un tel paradoxe prouvent qu'ils ne peuvent quitter l'univers de la faute, la non-reconnaissance d'un sujet responsable.

    Le paradoxe, c'est cette dualit de l'impratif catgorique qui doit constituer le genre humain - le devoir objectif - et

    qui, pour ce faire, met en place l'accumulation primitive fonde sur l'exploitation de l'autre. Cette capitalisation permettra de passer l'conomie de subsistance qui se distingue de 1' conomie de survie par l'accumulation d'un surplus.

    La praxis est cette double dification originelle du dsir : une conomie politique qui assume la situation parasitaire de l'homme dans la mesure o elle prend en charge le pch du monde . La praxis, qui se fait prdation, domestication, esclavagisme, est dj une rponse la situation naturelle de l'homme. Elle libre de la nature, mais impose en mme temps une autre alination l 'homme : l'impratif catgorique, enracin dans une intentionnalit encore indtermine, prend la force de la praxis et, par le profit et l'exploitation de l'autre, se libre du non-sens originel.

    Reconstituer la phnomnologie du profit, c'est bien reconstituer la gense du pch originel, celle du dsir. L'interdit se constitue selon l'impratif conomique. L'intentionnalit dsirante sera l'articulation de ces trois moments de l'conomie politique : extorsion de la plus-value ; non rinvestissement dans une part de jouissance ; rinvestissement dans l'quipement productif.

    C'est la cration de la latence qui caractrise le dsir. Elle est le non passage l'acte toujours recommenc, le ressassement de l'impuissance. Le dsir cuit dans son jus , nvrose objective. Aussi, la problmatique de la jouissance est une problmatique gauchiste : dfaire l'ordre social pour retrouver l'originelle extorsion de la plus-value qui permet

    accder la jouissance. C'est la consommation transgressive. Le gauchiste ne veut que la mort symbolique du pre, et en a trop besoin pour s'en dfaire dfinitivement.

    Il veut un pre suffisamment fort pour s'imposer au producteur et assez dfait pour pouvoir lui soustraire la part

    de jouissance : le libralisme libertaire. Au pre la honte de

  • l'oppression alors que le fils tire les marrons du feu. Le gauchiste doit procder au dtournement du profit sur le mode transgressif. La r-appropriation du moyen de la jouissance est l'hypocrite dngation du moyen d'accumuler le profit.

    Pour que dsir occidental et de classe il y ait, il faut l'extorsion de la plus-value par le pouvoir du pre et l'accs la jouissance par la transgression du fils.

    d/ Les marchandises clandestines et vnneuses

    La consommation transgressive se constitue selon les lois du march. Celui-ci peut tre dfini comme vente une certaine clientle d'un certain produit selon une certaine promotion de vente. Le march du dsir est bien plus que la conqute du march. Il cre les conditions d'existence de son propre march. Le produit consommer ? Il chappe totalement l'conomie politique des conomistes anglais et mme du marxisme. Celui-ci n'a dfini que le procs de production, laissant vacant tout un processus clandestin et marginal. Aussi, paradoxalement, c'est le discours religieux qui est au plus prs des catgories de rfrence du march du dsir. Saint Augustin dsigne les concupiscences . Celles-ci seront l'origine du march du dsir qui ne fera que reprendre des intentionnalits dj montres du doigt par la morale et dsignes comme tentations qui peuvent devenir vices pour la religion.

    On peut dsigner les tentations, concupiscences, qui se dveloppent en marchandises clandestines d'un tnbreux march. Les produits consommer : l'alcool, la drogue, le sexe, le jeu. Cette nomenclature n'est pas limitative. Elle est dj un tri. On peut se demander, par exemple, si la violence n'est pas devenue, elle aussi, une consommation ludique !

    Les Fleurs du Mal vont devenir les quatre ou cinq vnneuses marchandises clandestines qui servent de fond de commerce au libralisme libertaire. Comment se fait-il que ces fondamentales marchandises ne soient pas reconnues comme telles en un ensemble synthtique, alors qu'elles sont devenues l'essentielle caractristique de la modernit . C'est dire l'impuissance conceptuelle du prtendu intellectuel de gauche qui ne peroit que des lambeaux, des fragments de ce march du dsir. Il n'y a pas d'conomie politique labore de la marchandise clandestine, illicite, souterraine, de ces quatre vecteurs de la consommation transgressive. La religion et la morale ont accompli cet exploit : crer un domaine rserv celui du pch - sans aucun lien avec l'conomie politique ! Et cette-ci, mme marxiste, doit fonctionner selon cette situation idologique. Les dfauts et les vices n'auront pas d'conomie politique : aussi la Maffia est-elle plus loquente sur la relle conomie politique que l'anthropologue, l'conomiste (anglais) e