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Clio en Afrique n° 4, printemps 1998

Editorial

Nous voici parvenus au quatrième numéro de Clio en Afrique. Les encouragements n'ont pas manqué, et ce qui était conçu à l'origine pour servir de lettre d'information un peu étoffée, avec - déjà - des articles de fond, est en train de devenir une véritable revue scientifique. En conséquence, le comité de rédaction a été renforcé et un comité scientifique est en cours de constitution. Dans ce numéro comme dans les précédents, plusieurs générations sont représentées : un jeune chercheur qui vient de soutenir sa thèse de doctorat côtoie des collègues plus avancés. Nous souhaitons poursuivre dans cette voie. D'autre part, avec quelques adaptations dans les intitulés des rubriques, nous maintenons aussi l'architecture initiale qui correspond bien aux objectifs que nous nous sommes fixés : publier et informer en langue française. Ainsi, le ton est donné et il nous appartient maintenant de nous inscrire dans la durée.

Clio en Afrique a été créée à l'Université de Provence, où elle reste solidement enracinée, mais elle associe en bonne intelligence, au sein de notre GDR du CNRS "Histoire de l'Afrique", les collègues de Paris et d'autres universités françaises. Elle commence maintenant à s'ouvrir hors de France. Nous souhaitons tout particulièrement que des collègues africains, individuellement ou en équipe, prennent leur place parmi nous.

L'équipement informatique des universités africaines ne permet pas encore très aisément de communiquer mais il convient d'anticiper et de préparer. C'est dans cette perspective que nous avons commencé à donner des informations sur deux revues africaines d'histoire. Nous devons développer ce volet d'informations, en même temps que nous entreprenons d'étudier, avec nos collègues africains, les moyens de partager l'effort.

Cet intérêt particulier pour l'histoire africaine, telle qu'elle se vit et qu'elle se fait, sur le continent africain lui-même, va servir de base à un colloque que notre GDR compte organiser en l'an 2000 sur le thème : "L'histoire de l'Afrique au quotidien". L'histoire apparaät, en effet, en Afrique, comme une réserve inépuisable de représentations et, signe de son dynamisme, mais aussi risque pour son intégrité, elle est aujourd'hui de tous les combats. Cette mise en scène de l'histoire nous intéresse. Ce colloque fera suite à celui que nous avons organisé, avec Jean-Pierre Chrétien, à Paris, en 1996, sur le thème "Enjeux de mémoire et histoire africaine", qui est actuellement sous presse chez Karthala. Quelle histoire ? La présence dans notre équipe de collègues ethnologues ou anthropologues est le signe que l'histoire dont nous parlons se décline bien dans tous les registres, celui de l'enquête orale comme celui de l'archive, celui de l'histoire des lignages et des communautés villageoises comme celui des formations politiques centrales, celui de l'horizon local comme celui de la dépendance. Tels sont les projets de Clio en Afrique après un an d'existence.

Jean-Louis Triaud

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Clio en Afrique 4 -- V. Rey & C. Van Den Avenne (sommaire)

Clio en Afrique n° 4, printemps 1998

Langue et identité en situation migratoire : identité ethnique, identité linguistique: "À chacun son bambara"

Véronique Rey , Cécile Van Den Avenne

Université de Provence

Sommaire

1. Introduction 2. Méthodologie 3. Langue et identité La langue "au milieu" Biographies linguistiques 4. Construction identitaire dans la migration Au sein de la société française Au sein du groupe 5. Conclusion Bibliographie Notes

1. Introduction

Le plurilinguisme des migrants originaires d'Afrique subsaharienne en France ne peut être abordé dans les mêmes termes que d'autres situations plurilingues. Il présente au moins deux particularités.

D'une part, pour les migrants originaires d'Afrique de l'Ouest dite francophone (Sénégal, Mali, Burkina Faso, Côte d'Ivoire), le français, même s'ils ne le pratiquaient pas individuellement avant leur migration, fait partie de leur capital collectif plurilingue en tant que langue officielle et langue de l'enseignement. Ils ne sont donc pas confrontés dans la migration à une langue totalement étrangère (elle est toujours une langue "possible" pour leurs enfants le jour où ils iraient à l'école...). La migration, pour ces populations, ne fait donc que réorganiser différemment un plurilinguisme qui lui était antérieur. En effet, le plurilinguisme est partout présent en Afrique subsaharienne et ces populations sont habituées à ce genre de réorganisation. A moins de naître, vivre et mourir dans son village (ce qui est, surtout pour les jeunes, de plus en plus rare), un Malien est constamment soumis,

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en se déplaçant sur son territoire national, à ces réajustements. Mais ces migrants vont être confrontés, en arrivant en France, à une langue dont le statut et la fonction n'a pas d'équivalent dans leur pays d'origine : elle est à la fois langue officielle et langue nationale et, idéologiquement, tous les Français parlent français (alors qu'aucune langue par exemple n'est parlée par tous les Maliens sans exception). De ce fait, la réorganisation du répertoire linguistique de ces migrants va être influencée par cette confrontation.

La migration malienne qui est une des plus importantes en France, met trois langues en présence (sur la dizaine de langues reconnues au Mali comme langues nationales) : le soninké, le peul et le bambara (Galtier, 1990).

Ces langues ont, au Mali, des statuts différents. Le peul et le bambara font partie des quatre langues (avec le peul et le tamacheq) qui ont pénétré dans le système éducatif avec la mise en place de classes expérimentales en langues nationales. Le bambara est la langue la plus parlée au Mali, elle progresse comme langue véhiculaire et elle s'introduit dans les administrations (Dumestre, 1994). Le soninké au Mali est relégué au rang de langue minoritaire.

Langue "périphérique" au Mali, le soninké se retrouve en France la langue la plus parlée du fait de la migration massive des Soninkés (migrations "villageoises"). Elle est la langue la plus utilisée en tant que langue maternelle parmi les travailleurs immigrés en France. Majoritairement utilisée par des locuteurs qui l'ont comme langue première, elle pourra s'imposer, dans certains foyers de travailleurs, à des non-Soninké (Galtier, 1995). Par ailleurs, le soninké est parlé en France par des migrants soninké originaires d'autres pays africains (Sénégal, Mauritanie). Ainsi, le soninké est parlée par environ 50% des migrants (originaires du Mali, du Sénégal et de la Mauritanie) (Galtier, 1994).

Bien que la migration peule (originaire du Mali, mais aussi du Sénégal et de la Guinée) soit la seconde en importance derrière la migration soninké, le peul en France reste une langue grégaire (en ce sens qu'elle n'est parlée que par des Peuls).

Les migrants bambara, par leur nombre, viennent en troisième position. Cependant, la langue bambara, en termes de pratique, vient en seconde position derrière le soninké, à la fois comme langue première et comme langue seconde pour la plupart des autres Maliens immigrés (ce que montre l'enquête de G. Galtier pour les migrants soninké). Ainsi les bambarophones en France sont loin d'être tous bambara.

A ce titre, l'échantillon étudié se révèle assez représentatif : sur treize personnes, neuf ont le bambara comme langue première mais seulement trois se déclarent bambara.

Ces bambarophones l'étaient avant leur migration, mais la place du bambara dans leur répertoire linguistique a pris plus d'importance en France, au détriment souvent de leur langue "ethnique" (sénoufo, minyanka...). C'est le cas pour quatre personnes dont le bambara n'est pas la première langue. Cette particularité du bambara est due au fait qu'elle est une langue véhiculaire (ses fonctions sont donc les mêmes au Mali et en France).

Cependant, il serait trop simple de ne voir dans le bambara en France qu'une simple langue

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véhiculaire sans enjeux identitaires. En effet, un discours naît dans la migration qui fait du bambara la langue nationale du Mali. Et cette unanimité autour du bambara n'existe pas au Mali (Canut, 1996) mais est un produit de la migration.

Le groupe au sein duquel nous menons nos enquêtes et dont nous allons présenter treize personnes est une communauté sociale, dont tous les membres ont des caractéristiques socio-culturelles communes (les hommes sont arrivés à Marseille dans les années 60-70 à l'âge d'environ 25 ans, la plupart n'avait pas fait d'étude, ils ont le même genre d'histoire migratoire, ils ont vécu une dizaine d'années célibataires en France, les femmes sont arrivées dans les années 80 généralement pour se marier ; à Marseille, ils appartiennent aux mêmes associations, se fréquentent entre eux, se rencontrent dans les cérémonies...). Par ailleurs, ils se distinguent d'autres groupes de migrants d'origine africaine et malienne par leur pratique du bambara en famille. Notre démarche de sociolinguistes vise donc à décrire ce groupe social d'un point de vue linguistique, et nous nous inscrivons tout à fait dans la perspective de L.J. Calvet (Calvet, 1993).

Le propos de notre étude est d'interroger les rapports entre langue et identité en situation migratoire. Il s'agit d'essayer de comprendre, au niveau individuel, dans le cas d'individus plurilingues, comment les différentes langues du répertoire linguistique se partagent le territoire identitaire de l'individu, et de voir quelle réorganisation identitaire entraîne la migration.

2. Méthodologie

La méthode employée a été celle des histoires de vie, en nous référant à la perspective théorique de Franco Ferrarotti : à partir de biographies individuelles, on peut, en repérant des convergences, faire la biographie d'un groupe social (Ferrarotti, 1990). Elle implique un certain nombre d'entretiens assez longs avec chaque locuteur afin de reconstituer un parcours. L'intérêt est d'avoir ainsi une vision diachronique, éclairant les pratiques linguistiques d'aujourd'hui. Cette méthode nous a permis notamment, à partir de l'histoire de vie d'un individu, de reconstruire ce que nous avons appelé sa biographie linguistique. Et ces biographies linguistiques mettent en lumière la particularité du plurilinguisme de ces migrants.

Par ailleurs, parce que l'histoire de vie est une reconstruction elle implique de la part du sujet une recherche de sens [1]. Il reconstruit sa vie pour un étranger en lui donnant du sens. Et dans cette recherche de sens se laissent appréhender des énoncés identitaires forts, qui arrivent en quelque sorte "naturellement" au cours du récit, et que nous étudierons.

3. Langue et identité

Dans les histoires de vie apparaît très souvent une définition identitaire de soi en terme ethnique (c'est-à-dire en utilisant un ethnonyme) et qui cherche souvent à dissocier langue parlée et identité (ex. je parle bambara mais je suis peule einh - K). C'est cette relation que nous avons cherché à cerner.

Dans huit cas sur treize, la première langue parlée correspond à l'identité ethnique revendiquée. Parmi

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ces huit cas, il y a trois Bambara et cinq personnes appartenant à une autre ethnie (peul, sénoufo, toucouleur, minyanka). Parmi ces cinq personnes, trois continuent de pratiquer leur langue première, pour les deux autres elle est une "langue-souvenir" mais dotée d'une importance affective forte.

Parmi les cinq autres personnes, dont la langue première est le bambara mais qui revendiquent une autre identité, on peut distinguer : deux qui, dans le discours, refusent l'ethnicité (M, L) ; un qui a pratiqué sa langue "ethnique" à un moment de son enfance mais qui ne s'en souvient pas (K) ; trois pour qui l'appartenance ethnique se réfère à autre chose : un lieu, un nom, une tradition historique, ou à un souvenir transmis par les ascendants (C, peul du Wasolon ; D , bambara de Ségou dont les ancêtres ont migré en pays minyanka ; J , Samogo, dont l'un de ses amis dit qu'il appartient à une race en voie de disparition).

D'après ce premier niveau d'analyse, la langue peut être vécue comme un marqueur identitaire mais l'affirmation identitaire ne passe pas forcément par la pratique de cette langue. Il faut donc bien distinguer entre pratique d'une langue et attachement à cette langue qui se confond avec l'attachement au pays d'origine.

Une notion permet de bien comprendre cette distinction entre pratique et attachement, celle de "langue au milieu" qui nous semble correspondre à un comportement linguistique malien et qui explique ce qu'on peut observer en France dans la migration. Pour illustrer cela nous nous servirons à la fois de l'analyse de Suzy Platiel et des biographies linguistiques que nous avons construites.

La langue "au milieu"

S; Platiel a rédigé dans Vingt-cinq communautés linguistiques de la France (Platiel, 1988) un chapitre consacré à la situation des migrants originaires d'Afrique subsaharienne et intitulé "Des langues de culture face à une langue de communication". Elle y montre dans quelle mesure le choix de la/des langues parlée(s) par les adultes et enseignées aux enfants est, d'une part, dépendant des facteurs socio-économiques et, d'autre part, d'un "habitus psychologique" issu d'habitudes langagières que l'individu porte en lui. Elle y explique qu'en Afrique, du fait de l'existence d'une tradition orale, la langue est avant tout parole, c'est-à-dire communication avec présence effective d'un interlocuteur. Ce rapport au langage conditionne le comportement linguistique : l'acquisition, mais également le maintien d'une langue, sont liés à la possibilité ou nécessité de dialoguer avec l'autre. La situation de plurilinguisme est partout répandue, et les gens sont habitués à entendre parler autour d'eux des langues qu'ils ne comprennent pas.

Ces habitudes expliquent les choix qui s'opèrent dans la migration. La langue d'origine ne se maintient que lorsque le locuteur l'utilise comme principale langue de communication (appartenance à une communauté linguistique importante, résidence en foyer...), autrement elle disparaît au profit du français.

Certains récits de vie mettent en scène ce phénomène.

Depuis sept ou huit ans je suis au Guinée - j'ai fait mon jeunesse là-bas tout - alors c'est pour ça que j'avais perdu ma langue - le bambara - je parlais maninka (...) pendant ma

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jeunesse quoi - parce que j'ai fait ma jeunesse là-bas - voilà - alors j'avais perdu complètement ma langue - le bambara. Le sarakolé j'ai pris à la Guinée aussi - parce que pourquoi - sarakolé - j'étais logé chez sarakolé(...) j'ai quitté la Guinée doucement doucement - et j'ai quitté au milieu des Sarakolé aussi doucement doucement - (...) alors c'est là que j'ai - j'ai perdu tout - j'ai perdu langue des Sarakolé j'ai perdu langue des - Maninka - voilà - jusqu'à maintenant - alors maintenant j'arrive pas parler - (...) depuis que je suis sorti au milieu - des Sarakolé - j'ai encore perdu (...) parce que pourquoi - quand on y est au milieu - on fait le commerce (...) on a appris comme ça forcément pour qu'il soit compris à eux(...)- mais une fois que j'ai quitté au milieu c'est fini - j'ai oublié tout (H)

Cette explication qui revient souvent dans les récits des migrants : on parle la langue des gens au milieu desquels on est, peut fournir une notion opératoire : celle de langue "au milieu" (ce terme est préférable à celui, grammaticalement plus "correcte", de "langue du milieu" mais qui a des connotations sociales, ce qui ne correspond pas à la situation décrite).

Les biographies linguistiques que nous avons recueillies permettent de mieux comprendre cette notion linguistique particulière.

Biographies linguistiques

Sur un petit nombre de cas (13), on se rend compte que les situations sont très hétérogènes.

● Le cas le plus simple, "continuité" bambara-français : bambara langue première, auquel vient s'ajouter le français à partir de la migration : 4 cas (A, B, C, M).

Dans un cas, alors qu'il y a continuité dans la pratique du bambara, des langues qui pendant un moment sont "langues au milieu" vont être abandonnées (L). C'est une femme qui a été élevée en milieu peul, dans sa famille paternelle songhai mais d'une mère bambara. Si sa langue première est le bambara, elle a parlé, durant son enfance et une partie de son adolescence le peul et le songhai, qu'elle ne pratique plus du tout aujourd'hui.

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● Cas de "rupture" : la bambara est la langue première mais à un moment de l'histoire linguistique de l'individu il ne va plus être pratiqué, pour être à nouveau pratiqué par la suite. Cela se passe dans l'enfance et correspond à un placement chez un membre de la famille autre que les parents : 4 cas (H, I, J, K). Cela peut être ressenti de manière forte par le locuteur lorsque par exemple H dit : j'avais perdu ma langue. Cela peut être aussi vécu comme un épisode dont on ne garde pas de souvenir mais qui a été rapporté par quelqu'un d'autre :

il paraît que quand j'étais petite je parlais que peul - mais après j'ai tout oublié - je me souviens même pas que je parlais peul - il paraît que je comprenais même pas un mot de bambara - parce que j'étais à Mopti - là-bas on parlait peul - alors ça fait que je parlais que peul - dans la famille où j'étais - là-bas y a pas de Bambara c'est que peul - on parlait que peul donc moi j'ai oublié le bambara - je parlais que peul (K)

Cet événement est vécu de manière forte par cette femme parce que, même si sa première langue était le bambara, même si aujourd'hui elle ne parle que le bambara, elle se dit peule :

je parle que bambara - et pourtant je suis peule einh

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● Cas de "succession" : le bambara n'est pas langue première, mais il vient succéder à d'autres langues qui ne sont plus pratiqués : 2 cas (E, D). Un cas singulier peut s'y apparenter puisque le locuteur déclare toujours pratiquer le sénoufo en France en plus du bambara... quand il téléphone au Mali (F).

Dans tous ces cas, le résultat final en France est la pratique de deux langues : bambara, français.

● Dans un seul cas, il y a coexistence des langues : les langues s'ajoutent au fur et à mesure de l'histoire linguistique (G).

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Dans le cas de J, dont la biographie linguistique est marquée par une rupture, il y a pratique, en France, de l'ensemble des langues qu'il a pu apprendre au cours de sa vie.

Il est intéressant de voir que ces deux personnes (G et J) ont des fonctions très particulières, l'une est une griotte, l'autre est un marabout.

Ce qui ressort des ces biographies linguistiques c'est, tout d'abord, une pratique très hétérogène du plurilinguisme, où la notion de langue "au milieu" est une notion importante pour comprendre notamment les cas de perte de langue. D'autre part elle montre bien que la pratique d'une langue ne suffit pas à dire une identité (F exprime très bien ce fait : il y a quelque chose qui est bambara plus que la langue). Les cas de "rupture" montrent le non-attachement à la langue première. Parfois, le locuteur est même amené à affirmer son identité contre la langue qu'il parle.

4. Construction identitaire dans la migration

En France, la langue "au milieu" de laquelle se retrouvent les migrants maliens est le français. Il tend à s'imposer dans la majorité des échanges. Cependant, parce que la société d'accueil les renvoie bien souvent à leur altérité, le bambara va devenir, pour ces migrants, l'enjeu d'une construction identitaire. L'identité se construit selon un double processus d'identification-différenciation. L'utilisation du bambara permet, d'une part, de se différencier des autres, à qui on refuse d'être assimilé, et d'autre part de donner une cohésion au groupe.

Au sein de la société française

Il y a une perte de l'identité ethnique (telle qu'elle était vécue au Mali) dans la migration du fait que les migrants vivent désormais dans un milieu dans lequel cela ne signifie rien d'être peul, songhai, sénoufo, minyanka ou bambara. L'ethnonyme que renvoie à ces migrants la société française est celui d'Africain, et, depuis la diffusion dans les média de la question des "sans-papiers", celui de Malien (cf. les "Maliens de Vincennes" qui étaient également Sénégalais et Mauritaniens).Un certain nombre de migrants maliens vont s'opposer à l'image uniforme que leur renvoie la société française. Deux catégories de Maliens vont donc se dégager dans la migration : les Soninkés et les autres. Et les autres, toutes ethnies confondues, se distinguent des Soninkés par leur utilisation du bambara.

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Au sein du groupe

Un groupe se constitue, qui est avant tout un groupe social (la migration "bambara" ne répond pas aux mêmes caractéristiques socio-économiques que la migration soninké). Ce groupe partage une langue, le bambara, qui lui permet tout d'abord de communiquer, mais aussi de se démarquer du groupe des Soninké. Au sein du groupe, le bambara est langue "au milieu". Il va être différemment investi par les membres du groupe. On va voir à l'oeuvre un mouvement dialectique allant de la langue comme attribut "ethnique" à la langue définissant une identité nationale.

Au sein de ce groupe, on peut, à partir des énoncés identitaires qu'ils produisent, distinguer trois catégories de Maliens bambarophones :

● Je parle bambara parce que je suis bambara. Le bambara est la langue des Bambara. Cette affirmation est accompagnée d'énoncés du type : "ce sont les Bambara qui parlent le vrai bambara", "moi-même je suis un vrai Bambara de Ségou", "c'est à Ségou qu'on parle le bambara pur".

Trois locuteurs, Bambara originaire de Ségou, ont ce genre de discours identitaire : A, B, H. Ils sous-entendent que leur bambara n'est pas le même que celui de compatriotes. C'est un bambara identitaire, un bambara "ethnique", langue des Bambaras, et non le bambara véhiculaire. Peut-être ne s'agirait-il pas vraiment de la même langue.

● Je parle bambara mais je ne suis pas bambara. (C, D, E, F, G, I, J, K) Ces locuteurs sont conscients du fait que leur pratique du bambara met en péril leur identité ethnique et affirment donc, en retour, que la pratique du bambara ne définit pas leur appartenance ethnique. Ils parlent bambara parce que, dans leur groupe, elle est la langue "au milieu".

Et le discours légitimant cette pratique met en avant le fait que le bambara est la langue nationale.

● Je parle bambara parce que c'est la langue nationale. Si le bambara est déclaré par tous les enquêtés comme étant la langue nationale du Mali, pour un seul, elle est sans enjeux ethniques : M. Il est à noter que c'est un homme plus jeune que les autres (43 ans), qui a été scolarisé jusqu'en troisième et a toujours vécu à Bamako avant d'arriver en France. Il se sent avant tout malien.

A partir de là se fait une construction identitaire différente autour d'une appartenance non plus ethnique mais nationale qui correspond au fonctionnement du groupe, surtout à Marseille où les Maliens non-soninké sont peu représentés. Là aussi, c'est la nature du groupe social qui impose une certaine conception de la langue.

Légitimer le bambara comme langue nationale peut amener à ce genre de position qu'on ne trouve dans la bouche que d'une seule locutrice (L) :

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● On est tous Bambara parce qu'on parle tous bambara. Il ne s'agit pas de revendiquer une appartenance ethnique mais de reconstruire une identité linguistique sur le modèle de celui de la société d'accueil : "les Français parlent français". Qui parle bambara est lui-même bambara. Cet énoncé est à rapprocher de celui, fréquent : quand on veut parler malien, on parle bambara (C). En fait, parler bambara, c'est être malien.

Ce genre de position permet d'exclure les Soninké, groupe aux comportements trop "ethniques", mauvais Maliens qui ne parlent même pas bambara (ou mal comme l'affirment E et F).

5.conclusion

Ce premier travail traite essentiellement des représentations des locuteurs sur leur langue dans sa relation avec l'identité. Les biographies linguistiques sont les vecteurs de ces représentations. Une évaluation objective des pratiques est maintenant nécessaire.

Ce que l'on voit à l'oeuvre dans la migration ce sont des enjeux identitaires différents de ceux qui existaient "avant" et "là-bas" et qui, peut-être, concourent à la création d'une communauté nationale. Le phénomène migratoire réorganise les particularismes et notamment les particularismes ethniques. Le bambara devient la langue d'une certaine communauté malienne en migration. On peut s'interroger sur les suites de ce phénomène, à la fois "ici" et "là-bas".

Ici, qu'en est-il du bambara à la deuxième générationx ? Est-il transmis comme langue identitaire ? C'est ce que cherche à cerner la suite de nos recherches.

Et là-bas ? On peut se demander si ce genre de représentation pourrait avoir un effet-retour sur le pays d'origine, à savoir le Mali. En effet si le bambara est favorisé par le gouvernement malien, il est loin de faire l'unanimité. On trouverait difficilement au Mali quelqu'un ayant des ascendances peules et songhai et disant on est tous bambara. Ces migrants, qui tous se sont fait construire une maison au pays, s'ils n'aspirent pas forcément à retourner y vivre définitivement projettent de continuer les allers-retours Mali-France, en inversant la proportion de la durée du séjour dans l'un et l'autre pays. Peuvent-ils avoir une influence à long terme sur les représentations attachées à la langue bambara au Mali même ?

Notes

[*] Véronique Rey est membre du Laboratoire Parole et Langage - Université de Provence, 29 avenue R. Schuman, 13621 Aix en Provence cedex 1 - tél : 04 42 95 35 94 ; fax : 04 42 20 48 80 ; e-mail : [email protected].

[**] Cécile Van Den Avenne est membre de l'Institut d'Etudes Créoles et Francophones - Université de Provence, 29 avenue R. Schuman, 13621 Aix en Provence cedex 1 - tél. : 04 42 95 35 56 ; fax : 04 42 59 00 19 ; e-mail : [email protected].

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Note 1. "Se raconter est un acte illocutoire : il s'agit moins de retrouver le passé que de faire exister ce qu'on affirme pour se donner une identité." (Abastado, 1983 : 9).

Bibliographie

ABASTADO C. (1983) "Raconte ! Raconte... Les récits de vie comme objet sémiotique" in Revue des sciences humaines, Lille, n.191.

AMSELLE J.L. (1990) Logiques métisses. Anthropologie de l'identité en Afrique et ailleurs, Paris, Payot.

BAZIN J.L. (1985) "A chacun son Bambara" in AMSELLE J.L. et MBOKOLO E., Au coeur de l'ethnie, La découverte, Paris.

CALVET L. J. (1993) La sociolinguistique, Paris, PUF "Que sais-je ?".

CALVET L. J. (1994) Les voix de la ville, Paris, Payot.

CANUT C.(1996) Dynamiques linguistique au Mali, Paris, Didier Erudition.

DUMESTRE G. (1994) Stratégies communicatives au Mali : langues régionales, bambara, français, Didier Erudition.

FERRAROTTI F (1990) Histoire et histoires de vie. La méthode biographique dans les sciences sociales, Paris, Méridiens Klincksieck.

GALTIER G. (1990) "Les principales langues de l'immigration africaine noire en France" in Approches des langues africaines, CLAP.

GALTIER G. (1994) "L'enseignement des langues africaines dans les associations d'immigrés" in Langage et société .68, Paris.

GALTIER G. (1995) "La dynamique des langues africaines dans la communauté malienne de Paris", in Mandenkan n.30, Paris.

PLATIEL S. (1988) "Les langues d'Afrique Noire en France : des langues de culture face à une langue de communication" in VERMES G., Vingt-cinq communautés linguistiques de France,t.2 Paris, L'Harmattan.

POIRET C. (1996) Familles africaines en France, Paris, CIEMI L'Harmattan.

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Clio en Afrique n° 4, printemps 1998

Colloque AFASPA Madagascar 1947

Le soulèvement de 1947 : bref état des lieux

Françoise Raison-Jourde

Université de Paris VII

Sommaire

Introduction I. De l'hypothèse de la machination à celle du débordement par la base des dirigeants du MDRM II. Le soulèvement en action : une lutte de jeunes. III. Après les combats, la répression et l'évaluation des pertes humaines. a) Le nombre des disparus : 89 000 victimes ? b) Le procès des parlementaires... et des autres. c) L'après-1947 : les prolongements du soulèvement. IV. De la commémoration ambiguë de 1967 à la commémoration " révolutionnaire " de 1987 : 1947 devenu événement fondateur. Notes

[ NDLR : Cet article a fait l'objet d'une communication au colloque international Madagascar 1947 organisé par l'AFASPA à l'université de Paris VIII-Saint-Denis les 9, 10 et 11 octobre 1997. Un compte-rendu de ce colloque est disponible dans le numéro 3 de Clio en Afrique. ]

La méconnaissance du soulèvement de 1947 est l'effet ancien de la censure militaire et administrative française, ainsi que de l'autocensure, plus difficile à percevoir, des élites politiques malgaches. Censure très marquée sous la Ière République, au point que la première commémoration à laquelle elle se résigna, en 1967, eut des allures d'exorcisme. Mais il faut y ajouter la crise économique actuelle qui prive les Malgaches de livres, voire de journaux, raréfie leurs échanges avec l'extérieur et les empêche de diffuser les acquis de leurs recherches. Thèses non publiées, comme celle de Benjamina Ramanantsoa-Ramarcel (1986) [1], collecte de sources orales stoppée, bien qu'il reste encore dans des régions difficiles d'accès des chefs de maquis en vie. Les trois quarts de la population, nés après 1947, se soucient peu de l'événement, comme

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l'ont donné à entendre les faibles échos de la célébration officielle, cette année, du cinquantenaire. 1947 n'est plus l'événement fondateur récupéré avec un profit non négligeable par une Seconde République aujourd'hui défunte. C'est une raison supplémentaire de s'inquiéter des témoins restants. Il n'est donc pas inutile de tenter un bref état des lieux, en fonction duquel on percevra mieux le caractère complémentaire des témoignages ou des analyses apportés par le présent colloque. Mais on n'oubliera pas deux états précédents. Le premier, de L. Rabearimanana, intitulé " Les événements de 1947 à Madagascar " a été publié à l'issue des célébrations du quarantième anniversaire qui avaient stimulé les recherches[2]. L'autre, présenté à un colloque de l'Université Laval sur " Mémoires, histoire, identités " reconstitue la censure initiale, l'amnésie " provoquée ", les étapes de la construction de 1947 en " lieu de mémoire ". C'était l'aboutissement d'un séminaire de six mois que j'ai tenu à l'Université de Paris VII, où ont été dépouillées de nombreuses brochures à très faible tirage, en malgache, publiées par des protagonistes [3].

I. De l'hypothèse de la machination à celle du débordement par la base des dirigeants du MDRM

Disons d'emblée que la problématique de la machination, soit celle du MDRM, soit celle de l'administration française, qualifiée de provocation, est carrément dépassée [4]. Elle l'a été pour la première fois clairement dans l'ouvrage de Jacques Tronchon (1974), synthèse éclairante, restée jusqu'ici incontournable, pari réussi en dépit de la fermeture des fonds d'archives à l'époque. Cette lacune fut comblée pour partie par une quête laborieuse d'archives privées, les protagonistes de quelque importance, militaires, administrateurs, voire les secrétaires dactylographiant les dépositions, ayant tous gardé des doubles constituant des archives parallèles, parfois même des originaux signés ! Il est évident que l'ouverture des archives de Vincennes (archives militaires permettant de retracer les opérations de terrain), d'Aix-en-Provence (rapports politiques) et d'Antananarivo (les procès au niveau des provinces) permet aujourd'hui de construire des analyses plus complexes, plus proches de la base, surtout si on les complète par l'enquête orale. Celle-ci a révélé déjà un nouveau visage pour les Marosalohy de Vavatenina, approchés par Léonce Wing Kong (1988) [5], les insurgés du secteur de Moramanga (M. Ndriandahy, 1990) ou des meneurs d'hommes comme Ratava (S. Raharinjanahary, 1997) [6].

On s'intéresse donc beaucoup moins à l'Ç état-major È du MDRM et à ses directives (par exemple le fameux télégramme) qu'à la crise de subsistances générale et dramatique [7], à la poussée de très fort mécontentement venue de la base paysanne, en Betsileo, sur la Falaise et la côte Est, au débordement progressif des instances légalistes du MDRM, enfin à l'effondrement progressif du fanjakana (pouvoir administratif), coupé des campagnes où monte le banditisme. Ce qui s'impose aujourd'hui et se développera encore le jour où seront classées et disponibles les archives des provinces

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de Fianarantsoa et de Tamatave, c'est la montée des vols de boeufs, du banditisme de grand chemin, qui avaient miné le royaume merina entre 1883 et 1895 et avaient régressé dans la décade suivant la conquête [8]. Le " fahavalisme " du XIXème siècle [9] doit donc être pris en considération comme forme d'agitation sociale annonçant certains développements de 1947. C'est donc un mythe que de croire un parti, si ramifié soit-il, capable de déclencher une révolte à la taille de Madagascar. On en vient plutôt au constat qu'administration et partis, surtout le MDRM, furent pris au dépourvu par la désorganisation du pays profond, et par les agissements non contrôlables de la base. Tous deux cherchent à garder le contact avec la population. L'administration s'appuie pour cela alternativement ou même parallèlement sur le MDRM, créé en 1946 et sur le PADESM créé en juin 1946 [10]. Elle apparaît très ambiguë dans ses comportements ; elle recourt au MDRM pour rétablir le lien avec les administrés, prêtant voiture et même avion aux députés, encourageant ainsi à croire à la passation rapide des pouvoirs. Elle soutient le PADESM naissant face au danger d'un MDRM hégémonique puis elle l'abandonne.

Deuxième évidence : les députés connaissaient l'existence des sociétés secrètes. Certains, Raseta, Rabemananjara aussi semble-t-il, leur donnèrent leur approbation. On connaît la formule de Raseta : " L'indépendance ne s'acquiert pas par la supplication. Il faut la ravir ". Le bureau central de la société secrète Jiny, qui se trouvait en 1943 à Manakara, comprenait dès cette date un responsable des armées et était animé par des radicaux comme Monja Jaona, militant antandroy de la lutte anticoloniale dès 1936, bien connu comme dirigeant du parti Monima sous la Ière puis la IIème Républiques. Monja Jaona fut, de même que Ravelonahina, son interlocuteur, ancien condamné de la VVS, furieux de la modération des députés, qui rentrèrent de Paris en septembre 1946 en annonçant l'échec à faire reconnaître par l'Assemblée constituante la reconnaissance de Madagascar comme État libre au sein de l'Union Française. Des promesses de soutiens étrangers mythiques furent invoquées (Amérique, Afrique du Sud) et Raseta ne démentit pas car ces références donnaient courage aux militants et renforçaient la légitimité des dirigeants du MDRM, mués en contre-pouvoir. Débordés par la base, les dirigeants firent au dernier moment une tentative d'appel au calme. Mais Ravelonahina allait répétant, en février-mars : " Nous passerons par-dessus eux, nous les mettrons devant le fait accompli [11] ". Dans ce but, dès 1946, la Jiny changea de style. Monja, incarcéré à Manakara, étant désormais impuissant, le centre de la société fut transféré à Tananarive (devenant Jina), Ravelonahina s'allia sur place à Rakotondrabe, petit industriel du tabac qui n'avait adhéré au MDRM que depuis très peu de temps. Ils recrutèrent non plus en milieu paysan mais dans la petite bourgeoisie. Dès lors l'aspiration au soulèvement traversait verticalement la société grâce à l'articulation de la paysannerie de l'Est et de la petite bourgeoisie des Plateaux.

Ë l'amont de cette configuration, Solofo Randrianja a restitué dans sa thèse [12] ce que Guy Jacob a appelé, lors de sa soutenance, le " chaînon manquant ", c'est-à-dire le travail de formation de militants dockers, cheminots, petits bourgeois et paysans auquel se livra le PCRM (Parti Communiste de la Région de Madagascar) entre 1936 et 1939 [13]. Travail complètement occulté par la suite car l'étiquette communiste était, dans le

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contexte de la guerre froide, infamante et dangereuse aux yeux de l'administration comme des Églises. Or le PCRM, parti au " feuilletage social " étonnant, avait rallié aussi bien le docteur Ravoahangy, célèbre ancien du complot nationaliste VVS de 1915, originaire de l'aristocratie, que le plus riche quincaillier de la capitale et que des militants analphabètes. Une fois le parti éclaté, du fait des tiraillements excessifs entre sa base et son sommet, une partie des militants de la base entrera dans les sociétés secrètes de l'Est, telles celle des " Soldats de Ravoahangy ". On repère donc là une continuité explicative (au point que se recouvrent quasiment la carte de l'implantation du parti et celle que donne J. Tronchon du soulèvement), et aussi un prototype évolutif précédant le MDRM. Tensions entre militants de la base et leaders du sommet dont les niveaux sociaux, économiques et culturels sont fort éloignés, forcing de la base pour entraîner les dirigeants négociateurs et attentistes. Nous y revenons donc : il est fort important de comprendre l'évolution de l'île pendant la deuxième guerre mondiale. Ses rapports avec la Grande Bretagne, l'Afrique du Sud sont encore insuffisamment étudiés ; de même, l'activité des militaires malgaches en France et le bagage de souvenirs des combats, d'images de la métropole qu'ils rapportent lors d'un retour humiliant, car les autorités, inquiètes, leur demandent avant tout de rentrer dans le rang [14].

II. Le soulèvement en action : une lutte de jeunes.

Que savons-nous donc des militants ou sympathisants du MDRM, que savons-nous des combattants ? C'est bien à ces questions qu'il faut s'atteler aujourd'hui. Que savons-nous, par contraste, des recrues du PADESM ? Pourquoi les luttes intestines atteignent-elles dans le Sud-Est une telle ampleur ? Est-ce sur de vieilles fractures sociales ? Si l'ouvrage récent, très neuf, de J.R. Randriamaro, éclaire bien l'implantation du PADESM en Imerina et dans le Nord et le Nord-Ouest, il se révèle trop rapide à propos de la situation de la côte Sud-Est, où les deux affiliations (MDRM ou PADESM) se sont probablement combinées avec la coupure pré-existante entre dominants (les aristocraties antaimoro organisées en " castes ") et dominés Ampanabaka dont les soulèvements contre les premiers s'enracinent dans la deuxième moitié du XIXème siècle [15]. Et nous percevons, pour la deuxième fois ici, la nécessité de réinsérer 1947 dans un temps moyen dépassant la courte durée de la colonisation.

Si nous revenons à la base du MDRM, nous constatons qu'elle reconnaît bien souvent un leadership politique local à des hommes qui étaient déjà en charge de responsabilités : ainsi le secrétaire de la congrégation protestante de Mandialaza, à l'est de Tananarive, est-il désigné d'office comme secrétaire du MDRM le 1er avril 1947 [16]. Ailleurs, ce sera le pasteur ou l'instituteur public. Le MDRM s'incarne aussi souvent dans le chef de canton, épousant ainsi l'organigramme de l'administration coloniale, ce qui permet de comprendre au passage l'expansion si rapide du parti. La population adhère à celui-ci comme à la future administration libérée. L'adhésion s'effectue aussi au fil de la parenté ou des clientèles. L'appellation Ç patrao ", reprise

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du français, définit ainsi le lien hiérarchique entre chefs de troupe et jeunes combattants chez les Marosalohy.

La sociologie des combattants est, elle aussi, à peine amorcée. Nous le réalisons à la lecture de la récente communication, très riche, de Jean Fremigacci à Tananarive, basée sur les comptes-rendus d'opérations militaires conservés à Vincennes. On y découvre l'ampleur des combats dans la zone de contact entre Falaise et Betsileo Sud et Centre, sous-estimée au profit du Nord betsimisaraka et de la zone de Moramanga, rendue tristement célèbre par le mitraillage de wagons de chemin de fer. J. Fremigacci distingue les chefs de guerre sortis du rang, les mpanjaka (" rois "), très impliqués chez les Tanala de l'Ikongo mais souvent mis en position subordonnée, et les cadres locaux du MDRM. On a donc " des pouvoirs juxtaposés, une organisation politique inachevée [17] ". Le reflux progressif des luttes se traduit par la désorganisation des armées inter-ethniques muées en bandes autonomes puis en groupes de partisans, chacun retourné à sa micro-région d'origine [18], et dont certains ne se maintiendront que par le pillage et les exactions.

On commence tout juste à mesurer l'ampleur des ruptures sociales accompagnant la mobilisation : dans un véritable mouvement d'inversion, il est fréquent que les jeunes commandent aux anciens, voire à leur père ou beau-père, et que les mainty, descendants d'esclaves ou de serviteurs royaux, commandent aux fotsy, c'est-à-dire aux libres, assignant aux andriana (" nobles ") les tâches ancillaires de piler le riz, de rapporter l'eau et le bois, ou de garder des boeufs [19].

On sait encore mal caractériser les réactions des groupes " intermédiaires " que forment les notables, si importants pour entraîner positivement ou négativement les populations. Ils font souvent état de très fortes pressions ou menaces de la base pour justifier leur ralliement. Qu'en penser ? L'adhésion des notables aux modalités locales du soulèvement entraîne la rupture avec l'administration, leur refus signifie la menace de rupture avec la communauté villageoise ; Plus largement, c'est la problématique de l'adhésion ou du dissentiment qu'il faut creuser en évitant de se contenter d'une affirmation de nature idéologique. L'adhésion était souvent acquise dans un contexte collectif de nature rituelle, alors que l'entrée dans les sociétés secrètes relevait d'un rituel individuel qui est bien connu après les restitutions passionnantes qu'en a faites Benjamina Ramanantsoa-Ramarcel. Sur quelle solidarité (à quelle échelle), quel rejet des contraintes, quelle aspiration d'avenir s'engage-t-on [20] ? Y a-t-il des enrôlements sous la contrainte ? Ces variations relèvent de plusieurs contextes régionaux.

III. Après les combats, la répression et l'évaluation des pertes humaines.

a) Le nombre des disparus : 89 000 victimes ?

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Chacun a d'autant plus volontiers suivi les indications de J. Tronchon qu'elles provenaient de sources militaires, peu suspectes en général de gonfler les chiffres. La critique, qui paraît tout à fait fondée, de ces chiffres par J. Fremigacci au colloque de Tananarive, laisse entier le problème d'une nouvelle évaluation, qui ne peut résulter désormais que d'une réévaluation minutieuse au niveau des dix districts touchés par le soulèvement et dont on peut déjà penser qu'elle sera inférieure en nombre. Même solidement argumenté, cela sera difficilement reçu. Le colloque récent a mis en lumière, particulièrement pour nous, étrangers, qui n'avons pas assisté à la commémoration officielle de 1987 ou à celle de cette année, le blocage des " témoins " sur des positions de forte résistance vis-à-vis des historiens. Évidemment âgés, frustrés du fait que le tri opéré en 1975 pour pensionner les anciens combattants n'a retenu que ceux qui avaient été pris les armes à la main, cependant qu'eux-mêmes, généralement tananariviens, représentent les politiques [21], les témoins ont trouvé au colloque une tribune pour revenir sur les professions de foi et anathèmes contre la colonisation. Plusieurs d'entre eux étaient, en ce sens, des porte-parole dont la passion paraissait restée intacte et la véhémence resurgie et réactivée par l'écoute. Mais les témoins se disaient persuadés que les historiens leur cachent toujours des choses et sont incapables d'éclairer la machination initiale. De toute évidence, il ne faut pas idéaliser l'apport de ce type de témoins que les difficultés et le coût du transport n'ont permis de déplacer que depuis l'Imerina centrale, où l'on ne s'est pas battu, vers la capitale.

b) Le procès des parlementaires... et des autres.

Reste un dernier volet : les procès (et non le seul procès des parlementaires), les prolongements de la répression, qui durent jusqu'en 1957. Le procès des parlementaires est, bien entendu, une machinerie politique destinée à casser l'énorme popularité et la légitimité reconnue des trois députés. On peut douter (de même que pour le procès de la VVS) que la sentence de mort ait été d'emblée envisagée sans être assortie, in petto, de sa réduction. La Sûreté avait en mains de terribles aveux et des dénonciations mutuelles qui mettaient hors jeu pour des années auprès des anciens MDRM les députés arrêtés, les condamnant à une " mort sociale ". L'issue du procès (des peines commuées) est la seule différence notoire avec les procès dits staliniens qui décimèrent une partie des cadres des partis communistes d'Europe centrale. Même procédure d'interrogatoires isolés, accompagnés de tortures répétées aux traces peu visibles, même terreur suscitée chez les inculpés, même travail sur les aveux et déclarations de repentance extorquées et confrontation finale sur les aveux. Même inutilité de ces procédures sur le strict plan de l'information judiciaire, car les services de la Sûreté savaient tout des plans régionaux d'insurrection avant même que celle-ci ait éclaté, ainsi que le prouvent des papiers signés de son responsable, Baron, aussi bien dans les archives de Tananarive que dans celles de Vincennes.

Ainsi pensa-t-on avoir réussi à faire d'une affaire politique de taille internationale un misérable petit tas de secrets exhibés sur la place publique. Ainsi réussit-on aussi à convaincre tous les anciens du MDRM à haut niveau que le camarade était un traître, qu'il y avait un traître dans chaque réunion ! L'effet recherché de cette dramaturgie étalée en plein Tananarive était de briser la personne et la carrière des députés. La

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première cible semble bien avoir été atteinte et si la carrière de Rabemananjara et Ravoahangy se rétablit ensuite, ce fut dans la dépendance du président Tsiranana.

Mais il est possible, ici encore, de rapprocher le procès construit sur un complot de nombreux épisodes précédents : complots des chrétiens en 1857, complot de Rajoelina et du docteur Rajaonah, figures de proue d'un mouvement de rénovation critique vis-à-vis du Premier ministre Rainilaiarivony en 1893, complot de la VVS menant aux arrestations de 1915. Les procès mis en scène avec soin à l'issue de ces tentatives politiques avortées présentent la même caractéristique structurelle d'empêcher toute expression alternative, si minoritaire soit-elle, et de désigner comme acteurs centraux et coupables des individus qui n'ont pas tenu ce rôle [22.]

Ainsi semble-t-il qu'on ait fusillé bien rapidement, à la veille du procès, tel témoin dont la déposition aurait été décisive mais ne serait nullement venue appuyer la thèse du complot des parlementaires. Par ailleurs, de manière surprenante et inverse, ce n'est jamais pour complot et rébellion que sont jugés, souvent au bout de trois ou quatre ans d'attente, les chefs insurgés, accusés de violences. Ils sont inculpés du meurtre de tel ou tel colon, spécifié isolément, comme s'il s'agissait d'un crime de droit commun, et que les motivations politiques d'ensemble ne soient pas prises en considération. Sur les chefs d'accusation, l'évolution de ceux-ci, la lourdeur réelle des peines purgées, il y a donc beaucoup à découvrir.

c) L'après-1947 : les prolongements du soulèvement.

De même qu'il importe d'éclairer l'avant 47, avec la transition entre anarchie, brigandage et soulèvements, il importe d'éclairer sous deux angles au moins l'après-47. Les prolongements de l'événement se font sentir jusqu'en 1957-58, voire jusque dans la préférence manifeste accordée par la France aux politiciens de l'Ouest, groupés autour de Philibert Tsiranana, originaire d'une zone qui n'a presque pas bougé. Tout d'abord, on assiste, dans les années 1948-51, à une recolonisation en profondeur de l'île, tout à fait étrangère à l'idée de décolonisation, amorcée par une armée que scandalise l'impéritie de certains administrateurs. Il faut se rappeler que les tournées des chefs de districts, en temps de guerre, s'étaient souvent interrompues pendant six ans, faute de véhicules et d'essence. Travail forcé, port des administrateurs en filanjana (chaise à porteurs) sont les signes de cette reprise en main. Cette recolonisation réussit ce qu'avait tenté puis abandonné Gallieni autour de 1896-1902, le triomphe de la " politique des races ", en l'occurrence des ethnies, l'arrière-fond de luttes tribales sur lequel s'est achevé le soulèvement offrant un terrain rêvé à ces manipulations. Le quadrillage ethnique sévit donc dans l'île et fournit la trame de tout raisonnement politique. Il tient lieu, à vrai dire, d'analyse politique.

Ceci ne signifie pas pour autant un tranquille rapport de forces. Déconcertés par la soudaineté d'une entrée en rébellion cent fois annoncée et à laquelle ils n'ont pas cru, les chefs de district vivent dans la crainte que cela ne recommence pour un oui ou pour un non et la hantise du contact à retrouver avec les notables paysans par-delà l'écran

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qu'ont interposé les évolués, souvent merina et partisans du MDRM [23]. Cette angoisse n'échappe pas aux " représentants " de la population, élus sur des bases des plus fragiles (les élections dites démocratiques sont l'objet de scénarios ahurissants de chasse aux électeurs). Les élus betsimisaraka, par exemple, jouent de cette crainte, répandant, ainsi que les colons, des rumeurs sur l'imminence d'un nouveau soulèvement en 1956 et 1957, deux années marquées par trois élections importantes sur fond de Loi-cadre. Ils assurent ainsi leur emprise sur une administration condamnée à recourir systématiquement, sur les Hautes Terres en particulier, à la délation.

Atteintes par des morts qui ont touché, en 1947, chaque famille, par les emprisonnements et les interdictions de séjour de détenus libérés, les populations de l'Est voient venir les échéances électorales avec un sentiment de panique fataliste. Leur désir est d'en finir au plus vite en votant dans le sens désiré par l'administration. On observe ainsi en 1951, puis en 1956-57, les premières manifestations du traumatisme mémoriel sur lequel a travaillé Jennifer Cole [24] et dont elle dit avoir observé le retour en 1991, lors des amples manifestations contre Ratsiraka, suivies d'élections. Sur les Hautes Terres, où aucune violence ouverte n'a éclaté, sinon dans le sud-est du Betsileo, ces années sont marquées par une violence rampante faite de surveillance incessante au niveau des chefs de canton et de quartier, pour satisfaire la paranoïa administrative du chef de district. Le principal abcès de fixation est l'activité syndicale du COSOMA, syndicat de tendance CGT, et de la CFTC, soutenue par les missions catholiques, muées en contre-fanjakana, abritant tous deux un nombre appréciable d'anciens du MDRM.

IV. De la commémoration ambiguë de 1967 à la commémoration " révolutionnaire " de 1987 : 1947 devenu événement fondateur.

Enfin, on notera l'autocensure marquant toute évocation (y compris familiale, au dire de mes étudiants) des " événements ". 1947 est un échec, un événement néfaste que beaucoup souhaitent oublier, probablement parce qu'il est incompréhensible et a entraîné des divisions profondes entre Malgaches [25]. Aucune commémoration n'apparaît au moment de l'indépendance, en 1960. La première célébration officielle, hésitante et ambiguë comme un exorcisme, en 1967 [26], ne dégage pas l'image de patriotes des combattants, ni celle d'une lutte de libération. Tout se passe comme si 1947 demeurait, malgré la commémoration de 1967, un territoire interdit à la mémoire par un consensus tacite entre nationaux et étrangers. Seul le rejeu violent de la fracture en 1972 a pu rouvrir, à Tananarive en tout cas, sinon dans les anciennes zones de combat, la possibilité du récit. 1972, c'est-à-dire les grèves, les défilés non violents, mais aussi les émeutes de rues qui entraînent la chute de la Ière République et l'avènement de ce qu'on a appelé la " deuxième indépendance " de l'île. C'est alors

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qu'on modifie les noms de rues, jusque là réservés à la commémoration des " découvreurs " étrangers, des colonisateurs français, qu'on envisage la construction de monuments aux morts, points d'appui d'annuelles commémorations, comme le sont en tout village français nos propres monuments aux morts de la nation lors des deux dernières guerres. L'analyse de ces monuments est particulièrement intéressante à Tamatave, Moramanga et Tananarive.

La Deuxième République trouvera donc dans son héritage un gisement de symboles et de gestes collectifs particulièrement riches de sens et d'émotion que le président Ratsiraka et son entourage, marqué par d'ouvertes sympathies pour le parti communiste français, le " parti des résistants ", pour l'URSS, Cuba et l'Algérie, sauront faire leurs. 1947 devient alors l'événement fondateur de la IIème République. Un mausolée, inauguré en 1977, où l'on transfère un mort inconnu des combats, devient le tombeau des ancêtres de la nation malgache cependant que, dès 1975, a été mise sur pied une Direction des anciens combattants de la Révolution, qui décore et pensionne. Des expositions se succèdent en 1977-78, puis en 1981. Les historiens bénéficient d'opportunités d'interviews, dues à la sortie de l'ombre de tous ces protagonistes. Ainsi B. Ramanantsoa-Ramarcel, dont un tome entier de la thèse (1986) est construit sur ces sources et dont on regrettera que le travail, resté en photostat dans une imprimerie locale depuis quatre ans, ne soit toujours pas publié. On notera dès 1976 le très bon texte de M. Rajerison ("Jiny MDRM") sur la " libération " de Sahasinaka, dans la revue Tantara. 1987 est, pour Phi. Sambo, ancien du Jiny, l'occasion de faire voyager jusqu'à Mahamasina des généraux et colonels des maquis de 1947 qui s'exprimeront à la télévision pour des spectateurs stupéfaits. Comme les pays marxistes voisins d'Afrique, Éthiopie, Mozambique, Madagascar aura sa guerre de libération nationale, même s'il faut pour cela forcer quelque peu les représentations. En effet, dix districts en guerre ne font pas toute l'île, et nous manquons beaucoup d'indications sur ce que furent les représentations de l'avenir auxquelles adhérèrent les combattants. Les enquêtes orales révèlent à leur sujet des divergences nettes entre régions. Deux mémoires, l'un sur Lakato (au sud de Moramanga), l'autre sur les Marosalohy de la région de Vavatenina évitent les emballements idéologiques et s'accrochent à une passionnante micro-histoire.

La commémoration de 1997 a été moins centrée que celle de 1987 sur la construction d'une image nationale dont beaucoup d'approches rénovées, comme celle de B. Anderson dans Imagined Communities, ont montré, pour les mouvements nationalistes des années 1950-60 comme pour les États-Nations d'Europe occidentale et centrale, le caractère d'artefact, produit d'un moment précis et relativement court de l'histoire [27]. Elle a été plutôt décentralisée en une série de célébrations sur les lieux de combat. La tenue du colloque de Tananarive et de celui de Paris VIII laisse entrevoir la possibilité de nombreuses avancées, permises par une ouverture des archives françaises moins restreinte que beaucoup ne le pensent mais conditionnée par l'opportunité de déplacements dans le triangle Vincennes-Aix-en-Provence-Tananarive, auxquels il faut absolument ajouter de difficiles déplacements sur le terrain.

Notes

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[1] B. Ramanantsoa-Ramarcel : Les sociétés secrètes nationalistes à Madagascar : VVS, Panama, Jiny, 2 t., Université de Paris VII, 1986.

[2] In Omaly sy Anio, 28, 1988-2, p. 153-175.

[3] Françoise Raison-Jourde : " Une rébellion en quête de statut : 1947 à Madagascar ", Revue de la Bibliothèque Nationale, 34, 1989, p. 24-32.

[4] Quoique pourtant présentée encore en 1994 dans un ouvrage sur le nationalisme malgache où se trouve repris un article de... 1971 !

[5] L. Wing Kong : Les Marosalohy de la région de Vavatenina. L'insurrection de 1947 d'après les sources orales, Mémoire de maîtrise, Université de Tananarive, 1988, 159 p. M. Ndriandahy : " L'insurrection malgache du 29 mars 1947 dans la région de Moramanga ", Mémoire de maîtrise, Université de Tananarive, 1990, 191 p.

[6] Fitadidian'i M. Ratava André, nanatri-maso ny fandehan-javatra, monina ao Ampasinambo, communication au Colloque de Tananarive, 1997.

[7] Sur le plan économique, la thèse de D.F. Ratrematsialonina (Madagascar pendant la deuxième guerre mondiale, 1939-1943, Université d'Aix-en-Provence, 1986). Elle précise les conséquences terribles du blocus maritime anglais et de l'essai d'autarcie de l'île pendant la seconde guerre mondiale : délabrement des voies et moyens de communication, sous-alimentation, voire famine, dans le Sud et la côte Sud-Est qui avait délaissé le riz pour les cultures d'exportation, disparition des cotonnades et retour au raphia, incapable de protéger du froid, gale et maladies liées à la sous-alimentation. Brigandages et jacqueries locales constituent bien avant le 29 mars un état insurrectionnel, les élections à répétition accentuant les conflits et le glissement progressif de l'administration vers l'anarchie. Il y a donc un " avant 29 mars " à étudier.

[8] Gwyn Campbell s'est attaché à montrer son caractère de protestation sociale dans un gros manuscrit, non encore publié, intitulé Unfree Labour, Brigandry and Revolt in Precolonial Africa : the Case of Imperial Madagascar, 1790-1895, s.d. On lira dans le même sens D. Crummey (ed.) : Banditry, Rebellion and Social Protest in Africa, Currey et Heinemann, 1986.

[9] Voir à ce sujet la thèse de N. Andrianarison : Le royaume de Madagascar sous le ministériat de Rainilaiarivony (1864-1895). Modernisation de l'État, clientélisme, exploitation du peuple et réactions d'opposition, Université de Paris VII, 1996, 2 tomes, 637 p.

[10] J.R. Randriamaro : PADESM et luttes politiques à Madagascar. De la fin de la Deuxième Guerre mondiale à la naissance du PSD, Karthala, 1997. Ce travail

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contribue de manière efficace à instaurer un nouveau débat sur les partenaires en présence.

[11] Ramanantsoa-Ramarcel, op. cit., I, p. 316.

[12] S. Randrianja : Le Parti Communiste de la Région de Madagascar, 1936-1939. Genèse, développement, caractéristiques et décomposition, Université de Paris VII, 1983, 2 vol.

[13] Le PCRM avait été précédé par le Secours Rouge International, qui s'implanta comme proto-parti entre 1929 et 1936 et fit nombre d'adhésions dans l'Alaotra et en pays tsimihety, ce qui permet de comprendre l'implication des Tsimihety dans le soulèvement.

[14] On verra à ce sujet les travaux de M. Lupo-Raveloarimanana : Les archives de l'aumônerie catholique auprès des formations malgaches en France pendant la deuxième guerre mondiale, Mémoire de maîtrise, Université de Madagascar, CU de Tuléar, 1984, 280 p. et " Soldats et travailleurs malgaches en France pendant la deuxième guerre mondiale ", Omaly sy Anio, 28, 1988-2, p. 23-42.

[15] Voir à ce sujet, de Tsaboto Jean : Organisation et stratégie du pouvoir antemoro de la moyenne Matataña. L'exemple de la monarchie Antemahazofotsy au XVIIème-XVIIIème siècle, Tuléar, UER d'Histoire, Mémoire de maîtrise, 1995, 284 p., et N. Gueunier : " Deux documents sur l'insurrection malgache de 1947 ", in Études Océan Indien, volume III, 1983, p. 113-163.

[16] C. Razafimbelo : " Alliances et conflits : dynamique d'une communauté rurale pendant l'insurrection de 1947 ", communication au colloque de Tananarive, 1997.

[17] J. Fremigacci : " 1947 sur le terrain. Forces coloniales contre insurgés dans le secteur Sud ", communication au colloque de Tananarive, 1997.

[18] Exemples donnés par J. Fremigacci et aussi par L. Rabearimanana, à propos d'Andapa, dont l'attaque, regroupant Antandroy, Antemoro, Merina, Betsileo, tous migrants, et Tsimihety, fut un échec.

[19] C. Razafimbelo, art. cit.

[20] Pour les Marosalohy de la région de Vavatenina (Côte Est) où les colons étaient presque absents, une fois les vazaha chassés, il faudrait abolir toute forme de contrainte. Le tavy, ou brûlis forestier, serait à nouveau permis, l'impôt serait supprimé, on ne travaillerait plus que pour soi. C'était la contrainte de l'État, de tout État, y compris l'État merina de jadis, qui était rejetée.

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[21] Pas d'anciens chefs de maquis : vivant encore dans des zones montagneuses et sans routes, ils sont difficiles à atteindre.

[22] Sur le complot de 1857, voir F. Raison-Jourde : Bible et pouvoir. Invention d'une identité chrétienne et construction de l'État, Karthala, 1991, p. 227-237. Sur le complot de la VVS, voir J. Randriamandiby : La VVS, Vy Vato, Sakelika, Paris, 1978, 451 p. et B. Ramanantsoa-Ramarcel, op. cit.

[23] F. Raison-Jourde : " 1947 en 1957 ? Les prolongements du soulèvement dans la mémoire et dans le contact avec les administrés ", communication au colloque de Tananarive, 1997, 15 p.

[24] J. Cole : " Quand la mémoire resurgit. La rébellion de 1947 et la représentation de l'État contemporain à Madagascar ", Terrain, 28, mars 1997, p. 10-28, et The Necessity of Forgetting. Ancestral and Colonial Memory in East Madagascar, PhD Thesis (Anthropology), Berkeley, 1996.

[25] Le traitement de l'" après 1947 " rappelle étrangement de ce point de vue le traitement de la période vichyste en France par les premiers chefs d'État de la Vème. République, G. Pompidou et F. Mitterrand en particulier, à ceci près que, dans le cas français, c'est l'oubli de la collaboration qui serait nécessaire à la réconciliation, cependant que dans le cas malgache c'est l'oubli de la résistance. En un sens, 1947 fut pendant des années, comme chez nous le temps de Vichy, un " passé qui ne passe pas ", enkysté dans la mémoire.

[26] F. Raison-Jourde : " Une rébellion en quête de statut : 1947 à Madagascar ", art. cit.

[27] Nous pouvons difficilement adhérer aujourd'hui au credo MDRM d'une nation unitaire, et nous percevons mieux les difficultés des " côtiers " à se rallier à cette image largement décalquée du royaume de Madagascar établi par les Merina sur les deux tiers de l'île. Voir B. Anderson : L'imaginaire national. Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, La Découverte, 1996, 213 p.

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Etudes bibliographiques

Sources d'histoire sociale et religieuse de l'ouest saharien

Le cas de la confrérie Fâdiliyya (Mauritanie)

Rahal BOUBRIK

Résumé: Le fondateur de la confrérie Fâdiliyya , Muhammad Fâdil b. Mâmîn, né en 1797 dans le Hawd (région du Sud-est mauritanien), a mis en place, au cours du XIXème siècle, une stratégie qui lui a permis de s'imposer comme une figure religieuse, en fondant sa propre branche à l'intérieur de la tarîqa mère, la Qâdiriyya. Grâce à son charisme religieux Muhammad Fâdil entama une action sociale et politique à l'intérieur de sa tribu des Ahl at-Tâlib Mukhtâr. En même temps que le saint instaurait son pouvoir religieux et social au Hawd, ses fils entamaient de leur côté la conquête d'autres espaces de pays. Une conquête qui s'acheva par le succès des deux figures : Sa`d Bûh et Mâ' al-`Aynayn. Après la mort de Muhammad Fâdil, ses successeurs poursuivent son oeuvre. La Fâdiliyya prend alors plus en plus de l'importance et la tribu des Ahl at-Tâlib Mukhtâr se taille une place dans son environnement social[1]

Sommaire

Introduction Sources arabes Mémoire collective, histoire orale Sources étrangères Conclusion

Notes

Pour étudier l'histoire du pays bidân, en général, et celle de la Fâdiliyya, en particulier, nous disposons de sources qu'on peut classer en trois catégories principales : les documents arabes, la tradition orale et les documents européens. La première catégorie de documents exprime la vision d'une élite intellectuelle religieuse restreinte, la deuxième catégorie se compose de sources orales et la troisième de récits de voyageurs ainsi que d'archives militaires. On constate donc que la diversité des sources exige des niveaux de lecture s'inscrivant dans des champs épistémologiques variés :

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islamologie, histoire et anthropologie. Nous allons illustrer cette question des sources à partir du cas de la confrérie Fâdiliyya dans sa dimension religieuse et sociale.

Sources Arabes

Les sources arabes sont composées de deux catégories d'écrits : les textes manuscrits et non édités et les textes publiés. En Mauritanie, hormis quelques textes publiés ces dernières années, la quasi majorité reste encore sous la forme de manuscrits dispersés dans des bibliothèques privées à travers le pays. Avant d'aborder les manuscrits propres à notre sujet, nous présenterons des remarques d'ordre général sur la production historique et culturelle manuscrite :

1. Tout d'abord la tradition savante écrite dans le pays bidân, de l'avis d'un spécialiste, est " l'un des secrets les mieux gardés dans le monde des études islamiques et de la vie intellectuelle musulmane de l'Afrique du Nord et de l'Ouest " (L. MASSIGNON, " Une bibliothèque saharienne: la bibliothèque du Cheikh Sidia ", Revue du Monde Musulman, tome VIII, 1909 : 409-418). Au début du siècle, L. Massignon avait inventorié la bibliothèque d'une grande famille savante saharienne, celle fondée par le Shaykh Sidiyya Al-Kabîr (1774-1868). D'après cette étude, portant sur 1195 titres différents dont 683 imprimés et 512 manuscrits, nous remarquons les caractéristiques suivantes: jurisprudence (30%), théologie (12%), langue arabe (10%), Coran (8%), littérature (7%). Les autres disciplines ne représentaient que 4%, notamment en histoire, logique, médecine, géographie (Voir N. MARTIN GRANEL, I. OULD MOHAMED LEMINE, G. VOISSET, G., Guide de littérature mauritanienne, L'Harmattan, 1992 : 31-32

2. Ainsi, la culture religieuse traditionnelle dominait assez nettement aux dépens des autres domaines. La production culturelle se limitait elle-même à des matières connues telles que théologie, droit, littérature, grammaire. Pour l'intellectuel bidân, l'histoire demeurait avant tout une discipline secondaire.

3. Nous pouvons noter que les textes manuscrits sont rarement identiques. Un seul texte peut être récrit en plusieurs versions. En raison de l'absence de l'imprimerie et du fait de la rareté des livres, le seul moyen de reproduction dont on disposait était de copier les textes ; ceci entraînait des retraits ou des ajouts de certaines phrases voire même de pages entières.

4. La majorité des textes sont des manuscrits ; ceux-ci se trouvent dans des bibliothèques qui ne sont pas stables puisque nous sommes dans une société nomade. Lors de chaque déplacement, les hommes sont contraints de transporter avec eux leurs livres, ce qui augmente les éventualités et les risques de disparition dus notamment aux pluies, aux vents ou simplement à la fuite d'un " chameau des livres ", tel l'incident cité par Muhammadhan w. Babbah (MUHAMMAD AL-YADÂLÎ, Nusûs min at-Târîkh al-muritânnî , textes établis et présentés par Muhammadhan w. Babbah, Bayt Al-Hikma, Tunis, 1989 : 14).

1.

Les sources arabes locales ont été peu exploitées jusqu'à nos jours soit parce qu'elles ne sont pas à la portée de tous les chercheurs, soit par ignorance de l'arabe. Aussi les études actuelles sur la région sont-elles basées dans leur majorité sur les écrits européens ou la tradition orale.

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Après l'article de Louis Massignon, on peut noter cependant l'existence d'un intérêt continu, quoique limité, pour les textes arabes, avec une accentuation plus marquée au cours de ces dernières années. Un certain nombre d'administrateurs français se sont ainsi intéressés à ces documents. Destainez cite soixante-dix manuscrits arabes dans un article publié en 1911 (" Notes sur les manuscrits arabes de l'Afrique Occidentale ", Revue Africaine, tome IV, 1911, pp. 64-99, 226-248, 484-522, et tome V, 1912 : 267-300, 447-469), dans lequel chaque manuscrit est présenté en quelques lignes. Administrateur des colonies, Thévenient avait développé des relations avec le monde des lettrés musulmans et avait, de ce fait, obtenu des manuscrits importants. Il les a confiés à Ismaël Hamet, qui en a traduit trois en français (Chroniques de la Mauritanie sénégalaise, Paris, Leroux, 1911).

Dans les années soixante, les historiens al-Mukhtâr w. Hâmidûn et Hay Heymowski ont entrepris un recensement des auteurs et des textes existants (Catalogue provisoire des manuscrits mauritaniens en langue arabe préservés en Mauritanie, Nouakchott et Stockholm, 1965-1966). Ils ont compté plus de 425 auteurs et 2000 titres. En 1989, un catalogue de 2239 manuscrits microfilmés a été publié par l'Institut Mauritanien de Recherche Scientifique (IMRS), dans le cadre d'un projet avec l'université allemande de Tübingen de collecte des manuscrits et de leur copie microfilmés (U. ROBESTOCH, Sammlung arabischer Handschriften aus Mauretanien, Otto Harrassowitz, Wiesbaden, 1989). Les initiatives se sont multipliées ces dernières années pour répertorier et conserver ce patrimoine (Voir C.C. STEWART, Catalogue of the Arabic Manuscripts among the Ahl Shaykh Sidiyya, Urbana, 1990).

De plus les archives de l'ex-Afrique Occidentale Française (AOF), archives du Sénégal à Dakar et la Bibliothèque Nationale de Paris contiennent des manuscrits arabes recueillis en Mauritanie.

Dans notre travail nous nous sommes appuyés sur des manuscrits collectés dans différents centres publics à Nouakchott, notamment l'Institut Mauritanien de Recherche Scientifique (IMRS) et l'Institut Supérieur d'Etudes et des Recherches Islamiques (ISERI). Toutefois la majorité de nos manuscrits a pour origine des bibliothèques privées. Parmi ces manuscrits il y a ceux concernant l'histoire sociale, religieuse, politique et culturelle du pays bidân en général et ceux concernant uniquement certaine région ou certaine tribu. Ces écrits se composent d'abord d'annales des anciennes villes comme Walâta, Na`ma (Néma), Tîshît, Tijagja. Le plus connu, sur l'histoire de Walata, est un texte dont l'auteur demeure anonyme. Faïza Tangi nous a communiqué ce texte manuscrit qui vient de la bibliothèque de Mohamed V de Rabat et qui a été l'objet de son mémoire de DEA (F. TANGI, Histoire de la Mauritanie orientale à travers deux manuscrits arabes, DEA, Paris VII, 1993).

Les auteurs de tous ces textes ont vécu entre le XVIIIème et le XIXème siècle, quelques-uns sont morts au début de XXème siècle. Ces annales rapportent des événements identiques. Leurs auteurs étaient parfois de simples compilateurs, ce qui pourtant ne diminue par leur importance.

Ces annales traitent de la chronologie de certains faits survenus en pays bidân, en l'occurrence dans une ville donnée. Il s'agit par ailleurs d'un compte rendu des faits et gestes de personnalités éminentes, connus des citadins de ces villes et des régions avoisinantes ainsi que du récit des événements qui se sont déroulés dans ces villes, notamment des morts ou assassinats de grands personnages, des razzias, des conflits tribaux, etc. Ces annales, ainsi que d'autres textes hagiographiques et des dictionnaires biographiques des lettrés de la région, notamment Walâta, nous renseignent sur la vie culturelle et religieuse. Il s'agit là d'un important fonds de renseignements sur

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l'histoire culturelle concernant des centaines de biographies des ulamâ' ayant vécu dans l'ouest saharien durant les trois derniers siècles.

Les dictionnaires biographiques apportent des informations intéressantes sur les centres d'enseignement ainsi que sur les sujets d'études et les livres répandus dans cette partie du monde musulman. De plus, ces textes comme Wafâyât al-'a`yân wa nubdhat min târîkh 'a`lâm hâdhâ az-zamân et Manh ar-Rab al-ghafûr min dhikr mâ 'ahmala sâhib fath ash-shakûr traitent de la production culturelle de l'élite intellectuelle locale et nous présentent une vision générale de la vie culturelle sur plusieurs siècles. Ils servent également à donner des précisions chronologiques sur des événements marquants.

En plus de ces manuscrits chronologiques et biographiques, nous trouvons également des textes sur l'histoire tribale et généalogique (ansâb), un domaine qui a suscité l'intérêt de plusieurs auteurs. Les lettrés bidân, par l'intermédiaire de ce genre d'écrit, mettent en scène leur origine et l'histoire de leur tribu et de leur entourage en mettant souvent en valeur l'histoire de leur propre tribu.

Cependant, ce genre d'écrit a provoqué et provoque jusqu'à présent des débats passionnés et passionnants. Dans une société où la tribu est au centre de la dynamique sociale et politique, les textes anciens et récents sur telle ou telle tribu ne passent pas inaperçus. Les textes du XIXème siècle sont ressuscités, soit pour servir des stratégies actuelles, soit pour défendre l'origine d'une tribu soit pour la dénigrer. D'autres ont (ré)écrit leur propre histoire pour affirmer leur " vraie " origine, ou pour "réparer" un oubli de l'histoire parce qu'ils ne sont cités nulle part dans les autres textes traditionnels.

Un texte est souvent apprécié par la façon dont il se situe envers telle ou telle tribu, personnage, confrérie ou région. C'est ainsi, par exemple, que l'ouvrage de Ahmad al-Amîn ash-Shangitî, al-Wasît fî tarâjim 'udabâ' Shangît (Matba`at al-madanî, Caire, 1989, p.10. (4ème édition), qui a été longtemps - et qui est toujours - l'un des ouvrages de référence sur la société bidân pré-coloniale, est qualifié actuellement par certain " de petit (et médiocre livre) " (HABIB OULD MAHFOUD, " Mauritanides ", Le Calam, n. 80, avril 1995 : 6), dont le but de l'auteur ne serait, en fait, qu'une représentation de l'histoire de tout le pays bidân à l'image de sa ville Shangîtî. En même temps que l'auteur de al-Wasît est dénigré, l'accent est mis sur l'importance d'un autre, " le grand érudit Cheikh Muhammed El Mamy " dont les ouvrages seraient " mille fois plus intéressants que le Wasît ".(ibid.)

Dans la même optique, un autre auteur, Abd al-Wadûd b. Ahmad Mawlûd, a écrit un manuscrit historique Ta'lîf fî abnâ' shams ad-dîn (n. 2936, IMRS, Nouakchott), sur l'origine de sa propre tribu, les Smâsîd, tribu d'Adrâr, qui jadis habitait Shangîtî avant un malentendu avec les Idawa`lî, l'obligeant à quitter cette ville pour aller fonder celle d'Atâr. L'auteur, reproche, voire dénonce, la partialité de al-Wasît, en expliquant que le silence de l'auteur de al-Wasît sur l'histoire de sa tribu trouve ses raisons dans le conflit qui a opposé antérieurement les deux tribus : Smâsîd et Idawa`lî (op. cit., f.17). Rappelons que Ahmad al-Amîn, auteur de al-Wasît appartient à la tribu des Idawa`lî.

Nous constatons donc que ces écrits sont loin de répondre à un souci purement historique : ils sont plutôt un moyen utile pour servir les intérêts des groupes sociaux. Nous allons aborder cet aspect ultérieurement à propos de la tradition orale.

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Pour exploiter ces sources variées nous avons dû procéder à un travail de recoupement entre les différents textes : chronologiques, hagiographiques, biographiques et généalogiques afin de dégager une histoire sociale, politique, culturelle et religieuse de la société bidân pré-coloniale. Si la plupart de ces manuscrits ne touchent pas directement l'histoire de la Fâdiliyya et des Ahl at-Tâlib Mukhtâr, ils constituent néanmoins une source importante pour étudier le milieu social, religieux, politique dans lequel sont nés et se sont développés la confrérie et la tribu.

En ce qui concerne les manuscrits qui abordent directement la Fâdiliyya ils sont dans leur majorité issus de l'intérieur de la famille. Nous n'allons pas les citer tous ici, nous contentant de présenter l'un des plus importants, puisque il est consacré entièrement à Muhammad Fâdil et représente la biographie " officielle " adoptée actuellement par la famille.

Il s'agit de ad-Diyyâ' al-mustabîn fî-karâmâ Shayhk Muhammad Fâdil b. Mâmîn, qu'on peut traduire par " La lumière éclatante concernant les prodiges de Muhammad Fâdil b. Mâmîn ". C'est un ouvrage hagiographique de plus de 500 pages, écrit durant la vie de Muhammad Fâdil par l'un de ses disciples Muhammad Fâdil w. Lahbîb. Le texte fut achevé en 18 ramadân 1281 H/janvier 1965, trois ans avant la mort de Muhammad Fâdil. Ce manuscrit constitue l'unique document hagiographique et biographique important sur la vie de Muhammad Fâdil. L'auteur appartenait à la tribu zwâya des Idayghab du Hawd ; il a accompagné Muhammad Fâdil tout au long de sa vie de saint. En plus de sa parenté maternelle avec le shaykh, il était également marié à l'une de ses filles.

L'IMRS possède une copie microfilmée de ad-Diyyâ' mais celle-ci est dans un mauvais état (illisible). La copie originale de ce microfilm se trouve à Agwinît (Hawd). Nous nous somme basé, dans notre travail, sur deux copies : une copie recueillie à Nouakchott, auprès de at-Tâlib Akhyâr, avait été écrite à la demande de Sa`d Bûh, fils de Muhammad Fâdil. Nous n'avons pas pu vérifier la date exacte de sa rédaction mais elle date d'avant 1917. Une deuxième copie de ad-Diyya' se trouve à la bibliothèque de Rabat au Maroc (Bibliothèque Générale de Rabat, D1067). Cette copie fut achevée en 1900, par le copiste al-Mukhtâr b. at-Tâlib b. al-Mukhtâr b. al-Hayba, pour Mâ' al-`Aynayn, fils de Muhammad Fâdil.

Muhammad Fâdil w. Lahbîb a écrit cet ouvrage pour exhiber les mérites et miracles de son maître. Il inscrit son travail dans la longue tradition des disciples envers leurs maîtres. D'ailleurs nous estimons que ad-Diyyâ' a été composé pour imiter l'autre ouvrage hagiographique de référence dans la région at-Tarâ'if wa at-talâ'id fî krâmât al-wâlid wa-al-wâlida[2], écrit par Sidi Muhammad w. al-Mukhtâr al-Kuntî, sur son père, l'introducteur de la Qâdiriyya dans les zones sahariennes. La compétition qui a opposé la Qâdiriyya de al-Mukhtâr al-Kuntî à la Qâdiriyya de Muhammad Fâdil n'était pas étrangère à notre avis au dessein de l'auteur de ad-Diyyâ'. L'auteur de ad-Diyyâ' cite à plusieurs reprises at-Tarâ'if en comparant entre les deux hommes de la Qâdiriyya,

L'auteur dresse une biographie détaillée de Muhammad Fâdil. Le manuscrit est divisé en quatre parties, une introduction et une conclusion. L'introduction est consacrée à la naissance de Muhammad Fâdil et à son origine chérifienne. La première partie est une description de son comportement et de sa conduite. La deuxième partie du manuscrit concerne la voie (tarîqa) de Muhammad Fâdil et ses fondements. La troisième est consacrée aux sciences (`ulûm) du shaykh Dans la quatrième partie, l'auteur décrit les actes miraculeux (karâmât) de Muhammad Fâdil.

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L'utilisation de ce manuscrit pose la question de la place des textes hagiographiques comme sources historiques puisque ces textes mettent l'accent plus sur les miracles et le merveilleux que sur la vie réelle du saint. A travers l'hagiographie, c'est une image vertueuse et stéréotypée du saint, et non l'histoire de l'homme en chair et os. En effet, au cours de la vie du saint, nous ne trouvons que des légendes d'où il est difficile de démêler la réalité historique. Si, à partir, du XIIIème siècle, le culte des saints dans le chrétienté est marqué par une nouveauté qui consiste à mettre l'accent sur la vie du saint plus que sur ses pouvoirs miraculeux (J.-C. SCHMITT, " La fabrique des saints ", Annales ESC, n.2, mars-avril, 1994 : 292), dans le monde musulman cette novation ne s'est pas produite. L'historien de la sainteté musulmane se trouve réduit à ces textes hagiographiques classiques de la littérature religieuse.

Cette caractéristique qui marque les récits hagiographiques a été l'un des facteurs responsables de l'exclusion de ce genre de source dans la recherche historique, notamment au sein des écoles de type " positiviste " qui s'appuient sur les faits historiques et les événements bien établis par les archives et autres sources " crédibles ". En revanche, ces dernières années, des chercheurs ont commencé à exploiter les écrits hagiographiques (Voir ainsi l'ouvrage collectif, Saints orientaux, publié sous la direction de Denise Aigle, Paris, De Boccard, 1995). Nous pensons que les textes hagiographiques, malgré la légende dorée qu'ils tissent autour des personnages, peuvent nous apporter des éléments sur la vie des personnages, d'une époque, d'un groupe social et d'un système de pensée et de pratiques.

L'hagiographie est un discours construit et reconstruit sans cesse sur des modèles de sainteté, en l'occurrence le modèle prophétique. Ad-Diyyâ' n'a pas échappé à ce processus ; tout au long de cet ouvrage l'auteur s'efforce d'édifier une image de son maître identique à celle du Prophète. Le comportement social et, surtout, la conduite morale de Muhammad Fâdil sont calqués sur le modèle prophétique. La référence prophétique ici a une fonction non seulement religieuse mais également sociale dans le processus de la sainteté. Les gestes miraculeux, la volonté poussée à l'extrême de tracer la vie du saint sur le modèle prophétique, toutes ces données peuvent paraître, pour un historien, comme des traits inutiles dans son travail mais, comme l'écrit M. Chodkiewicz : " Les éléments d'une vie de saint peuvent avoir été organisés en fonction de ce modèle [modèle prophétique] et ces pieuses manipulations, quand on les décèle ou les soupçonne, jettent un doute sur l'authenticité des énoncés doctrinaux ou des expériences spirituelles dont le personnage est crédité. L'historien s'en console néanmoins : il sait que la récurrence des stéréotypes n'est jamais insignifiante, que la légende dorée a quelque chose à lui dire " (" Le modèle prophétique de la sainteté en Islam ", dans Société et cultures musulmanes, AFEMAM, Paris, CNRS, 1996 : 508).

Certes, l'auteur de ad-Diyyâ' situe Muhammad Fâdil hors du temps et du l'espace. Hors de son contexte, la vie du personnage n'est qu'une succession de miracles et de gestes surnaturels à l'image du Prophète, mais " au delà des naïves décalcomanies de l'hagiographie, la uswa hasana [3] demeure par conséquent pour l'historien de la sainteté en Islam un indispensable point de repère. Elle n'explique pas tout mais, sans elle, on n'explique rien " (op. cit. : 518).

Outre ad-Diyyâ', un lettré (m. en 1917) a écrit un texte hagiographique sur Muhammad Fâdil, mais, cette fois, l'auteur n'est pas un disciple de Muhammad Fâdil. C'est un lettré de Walâta, de la tribu des Lamhâjîb, qui a occupé la fonction de qâdî dans cette ville. En plus de son statut notoire de faqîh et jurisconsulte, At-Tâlib Babakar b. Ahmad al-Mustafâ est l'auteur d'un des textes les plus importants

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sur la vie culturelle dans le pays bidân Manh ar-rabb al-ghafûr fî mâ 'ahmalahu sâhib fâth ash-shakûr;. En effet, l'ouvrage de at-Tâlib Babakr, comme l'indique son titre, vient compléter un travail entamé par un autre lettré de Walâta mort au début du XIXème siècle, Fath ash-Shakûr fî-ma`rifat 'a`yân `ulamâ' at-Takrûr [4]. Ce dernier ouvrage renferme deux cents biographies des ulamâ' ayant vécu dans le nord saharien durant 150 ans (1650-1800). En effet le travail de at-Tâlib Babakar couvre toute la période du XIXème siècle et le début du XXème siècle.

At-Tâlib Babakar dans le Manh évoque aussi un texte intitulé al-Fath al-mubîn fî dhikr manâqib Shaykh Muhammad Fâdil b. Mâmîn wa dhikr ba`di manâqib ahl al-fath wa at-tamkîn, dont le texte est consacré selon ce dernier à la révélation des mérites de Shaykh Muhammad Fâdil b. Mâmîn. Nous n'avons pas trouvé trace de ce texte ; nous ne savons même pas si l'auteur l'a achevé ou non. Cet ouvrage, selon l'auteur de Manh, est axé sur des manâqib hagiographiques. D'après le titre, l'auteur ne l'a pas consacré exclusivement à Muhammad Fâdil, mais ce dernier y occupe une place importante puisque, selon l'auteur, il était le maître du temps " shaykh al-waqt ", c'est-à-dire la figure marquante du treizième siècle de l'hégire (XIXème siècle).

Si nous n'avons pas entre les mains ce texte, toutefois, dans le Manh, at-Tâlib Babakar réserve un long passage à Muhammad Fâdil. Bien qu'il affirme ne l'avoir pas lu, l'auteur n'ajoute rien à ce qui est cité dans ad-Diyya ; cependant ce texte constitue l'un des rares témoignages écrits sur Muhammad Fâdil écrit par un lettré extérieur à la famille et à la Fâdiliyya, de surcroît un érudit et qâdî appartenant à un milieu culturel prestigieux souvent hostile aux idées confrériques. Soulignons que l'auteur avait rencontré à plusieurs reprises les deux successeurs de Muhammad Fâdil au Hawd : Taqiyyu Allâh et al-Hadrâmî, envers lesquels il exprime un respect ostensible.

A l'exception des textes hagiographiques et biographiques, il existe des textes manuscrits sur la famille de Muhammad Fâdil, sur son origine tribale et son rôle social. Le plus connu d'entre ces textes a été écrit par un descendant de Muhammad Fâdil, at-Turâd w. al-`Abbâs w. al-Hadrâmî w. Muhammad Fâdil (m. 1947). Le texte de at-Turâd est intitulé :Kashf al-'astâr `an sharaf âl aj-Jih al-Mukhtâr (" Dévoilement des sharaf de la famille d'aj-Jîh al-Mukhtâr "). Une copie (microfilmée) se trouve à l'IMRS (ms. n.1324). Nous avons consulté une copie originale à Agwinît, mais nous nous sommes basé sur une autre copie recueillie à Nouakchott, auprès du petit-fils de at-Turâd. Ce manuscrit est écrit pour défendre l'origine chérifienne de la famille, origine mise en question régulièrement par ses adversaires. At-Turâd nous apporte des informations sur l'origine généalogique et tribale de Muhammad Fâdil et sur la formation des Ahl at-Tâlib Mukhtâr.

Dans le même sens, al-Mâmûn (ou al-Mâmî) w. Muhammad Fâdil [5] a écrit une fatwâ pour répondre aux soupçons qu'un lettré avait formulés à propos de l'origine chérifienne de sa famille. Muhammad Fâdil lui-même s'est engagé, dans un court poème [6], dans une plaidoirie sur son origine sainte (sharaf). Ces écrits étaient, chaque fois, une occasion de détailler la généalogie des intéressés.

Sur l'origine des Ahl at-Tâlib Mukhtâr, nous possédons aussi deux textes historiques sur les Glâgma, un groupe d'où est issu la tribu des Ahl at-Tâlib Mukhtâr. L'un des deux textes Risâlat ar-rawd fi ansâb ahl al-Hawd (IMRS, n.2755) a été écrit par `Abd Allâh w. al-Hâjj Ibrâhîm, un érudit mort en 1818, mais des réserves sont émises sur cette origine. Al-Mukhtâr w. Hâmidûn, l'un des spécialistes dans ce domaine, a joint au manuscrit qui se trouve à l'IMRS une note mettant en doute

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l'appartenance de Risâlat ar-rawd à `Abd Allâh w. al-Hâjj Ibrâhîm : il suppose que l'auteur de ce texte est `Abd al-Wahhâb b. `Abd Allâh, un disciple de `Abd Allâh w. al-Hâjj Ibrâhîm, qui appartient à la tribu des Glâgma. Nous penchons, de notre côté, pour l'hypothèse de al-Mukhtâr w. Hâmidûn. Le style et les commentaires du texte ne correspondent pas, en effet, à ceux de `Abd Allâh w. al-Hâjj Ibrâhîm. L'autre texte sur les Glâgma est sans titre. P. Marty cite ce texte au début du siècle sous le titre de Târîkh L-Glâgma[7] (Histoire des Glâgma). La copie qui est à notre disposition (Institut Islamique de Mama o/ Cheikh Med Taghioullah, Nouakchott) date de 1896, et ne mentionne aucun titre, mais le texte traite l'histoire des Glâgma. Ce texte est écrit par Muhammad al-Amîn b. Ishâq.

D'autres textes manuscrits écrits par les descendants de Muhammad Fâdil nous fournissent des informations sur Muhammad Fâdil, sur son entourage et également sur ses successeurs et leur action dans les espaces de leur implantation.

En plus des textes hagiographiques et historiques, il existe un nombre important de textes manuscrits qui traitent des sujets religieux : prières, tafsîr, pratiques rituelles, recettes magiques, etc.... Ces textes sont composés essentiellement par Muhammad Fâdil et ses descendants, en l'occurrence Mâ' al-`Aynayn, Sa`d Bûh et at-Turâd w. Al-`Abbâs. Ils nous fournissent une idée sur les principes de la tarîqa ainsi que sur la pensée et la culture religieuse des intéressés.

A côté de ces textes relativement anciens, nous possédons des textes manuscrits écrits ces dernières années, tel un texte biographique sur le fils de Muhammad Fâdil, Taqiyyu Allâh, Hayât al-`âbid al-'awwal fî hayât Shaykh Muhammad Taqiyyu Allâh par Muhammad Taqiyyu Allâh w. shaykh Mâmîn (ms. n. 3244, IMRS), ou un autre manuscrit Bughyat al-murîdîn wa nuzhat as-sâmi`în, de Idum w. Abdati b. Masbâh ad-Dîn b. shaykh Muhammad Fâdil (ms, Bibliothèque privée, Ahmadna w. Sid Ahmad ash-Sharfî, Munagal, Gorgol, 1995) qui relate l'histoire de l'installation des descendants de Muhammad Fâdil dans la région de Gorgol (fleuve Sénégal).

L'historien al-Mukhtâr w. Hâmidûn, pour sa part, a consacré une partie de son travail encyclopédique à la famille de Muhammad Fâdil (Ahl Shaykh Muhammad Fâdil, multig., IMRS, non répertorié). Ce texte n'ajoute rien de nouveau dans ce domaine. Il est basé sur des données déjà existantes dans d'autre textes, notamment ceux écrits par des membres de la famille.

Passons maintenant aux textes imprimés. Jusqu'à présent, il n'y a pas, à vrai dire, de travail en langue arabe sur le sujet, hormis quelques mémoire de maîtrise soutenus à l'université de Nouakchott, à l'ISIRI ou à l'ENS, qui sont axés surtout sur les descendants de Muhammad Fâdil comme Sa`d Bûh, Mâ' al-`Aynayn et at-Turâd[8]. Les auteur des ces mémoires sont, dans leur majorité, des étudiants proches de la famille de Muhammad Fâdil par des liens tribaux ou confrériques. Leurs travaux sont caractérisés par le manque d'une approche critique et approfondie. Néanmoins ils rapportent des données importantes sur les personnages étudiés. La Fâdiliyya, pour elle-même, n'a fait l'objet d'aucune étude particulière et approfondie. Les écrits en langue arabe la mentionnent dans de brefs passages, en se contentant de notes biographiques sur Muhammad Fâdil ou l'un des ses fils ; ces notes sont souvent erronées et contradictoires.

L'un des textes arabes le plus important sur l'un des descendants de Muhammad Fâdil est celui d'un historien marocain, écrit probablement dans les années cinquante, et publié au début des années

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soixante. Il s'agit de al-Mukhtâr as-Sûsî qui a consacré une partie de son encyclopédie al-Ma`sûl (: 83-101)au mouvement de Mâ al-`Aynayn dans ses dernières années. Les informations transmises par al-Mukhtâr as-Sûsî sont très importantes ; en effet, l'auteur les a collectées directement auprès des personnes ayant participé à la marche sur Fès de Ma' al-`Aynayn en 1910 et celle de son fils Al-Hayba en 1912 ; d'ailleurs, c'est dans le pays de al-Mukhtâr as-Sûsî que le mouvement de Mâ' al-`Aynayn a connu ses années décisives. As-Sûsî est le premier historien marocain à aborder le mouvement de Mâ' al-`Aynayn et de son fils Al-Hayba, et même après lui, les écrits sur Mâ' al-`Aynayn demeurent rares dans l'historiographie marocaine. Malgré l'admiration manifestée envers cette famille, M. as-Sûsî n'a pas pu se détacher de sa vision d'intellectuel urbain envers les nomades qui accompagnaient Mâ' al-`Aynayn et Al-Hayba. Il les qualifie péjorativement de bédouins anarchistes. L'auteur critique par ailleurs l'action ainsi que les ambitions politiques de Mâ al-`Aynayn et de son fils. N'oublions pas que Mâ' al-`Aynayn a menacé le pouvoir et l'influence de la zâwiya d'Iligh, un centre religieux et politique notable, cher à as-Sûsî qui lui consacra un livre, et dont tout le travail est hanté par la démonstration de la grandeur et du rôle historique qu'a joué la région de Sûs comme haut lieu de la culture religieuse.

La question peut se poser de la crédibilité, de l'authenticité et de la véracité de ces sources. Nous affirmons que le but à poursuivre n'est pas la seule reconstitution de faits dûment attestés. Nous considérons ces textes comme représentation historique de la société sur elle-même et, à ce titre, ils revêtent une importance particulière pour le chercheur. Le recoupement entre ces textes et avec la tradition orale fournit à l'historien une base solide de connaissances.

Mémoire collective, histoire orale

La société bidân est connue pour sa tradition scripturaire illustrée par les écrits savants, mais, en parallèle à cette histographie savante, cette société s'est construite une tradition orale très riche. C'est cette tradition orale qui constitue l'élément principal de ces écrits historiques, hagiographiques précités concernant la région. La tradition orale demeure une source inépuisable pour l'écriture de l'histoire de ce pays. Au-delà de l'importance de la tradition orale dans l'histoire de la Fâdiliyya et des Ahl at-Tâlib Mukhtâr, nous pensons que cette tradition mérite d'être étudiée pour toute l'histoire du pays bidân. En effet, le recours à la tradition orale est plus qu'un choix : c'est une nécessité dans une société où l'écriture était monopolisée par une minorité de lettrés, souvent hommes de religion appartenant à des tribus zwâya.. Ce sont eux qui font et défont l'histoire, à partir et en fonction de leur statut et de leur intérêts sociaux, politiques et économiques. Ce constat nous amène à nous interroger sur l'histoire des autres catégories sociales : hasân(guerriers), znâga (tributaires), `bîd ou `abîd (esclaves)..., dont les membres étaient pour la plupart illettrés. L' " écriture " de la tradition orale est donc le seul moyen pour ces acteurs sociaux de cesser d'être Ç les exclus de l'histoire È. Pour cette société bédouine, dans sa majorité privée d'accès à l'écriture, l'étude de la mémoire collective constitue beaucoup plus l'occasion d'écrire son histoire que de la réécrire. Notre réflexion sur la tradition orale peut être étendue également aux écrits manuscrits ci-dessus puisque ces écrits ne sont qu'une reproduction souvent fidèle de cette tradition. En effet, les enjeux sociaux et les mécanismes de la fabrication de l'histoire orale sont les mêmes que pour l'histoire écrite.

Longtemps marginalisée sous prétexte de sa subjectivité et de son manque de rigueur historique, l'histoire orale s'avère aujourd'hui une source incontournable pour éclairer des événements déjà traités

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dans les textes écrits. De plus, l'histoire orale, à l'opposé de celle écrite, nous permet " de pénétrer dans des sphères et des lieux sociaux inaccessibles à la seule information écrite " (F. RAPHAEL, " Le travail de la mémoire et les limites de l'histoire orale ", Annales ESC, XXXV, 1, 1980 : 127).

D'ailleurs, en ce qui nous concerne, l'histoire orale n'est pas seulement une simple source d'informations, à côté des sources écrites, ni même une source complémentaire ou alternative, mais elle s'affirme comme une reconstitution de l'histoire. La mémoire collective est une autre représentation de l'histoire par des acteurs directs ou indirects. Elle s'impose comme un trait d'union entre le passé et le présent. La mémoire collective n'est pas regard neutre sur des événements du passé. Derrière chaque mémoire collective, il existe une stratégie de légitimation, surtout quand celle-ci fait resurgir de grands moments historiques. Cette stratégie peut se traduire par l'oubli d'un souvenir. " Le récit du fait passé n'est pas le vécu de ce fait ; le passé est immédiatement et inévitablement reconstruit par celui qui raconte, à quelque milieu social qu'il appartienne. Les oublis sont tout aussi significatifs que les souvenirs, car ils témoignent du travail de sélection de la mémoire, qui écarte, plus ou moins inconsciemment, " ce qui dérange l'image que nous nous faisons de nous-mêmes et de notre groupe social " (F. RAPHAEL, op. cit. : 131).

Chaque mémoire est, par principe, sélective. Les récits sur le passé - et sur le présent - sont réorganisés en fonction du contexte politique et social. C'est ainsi que, lorsque nous avons mené notre enquête sur l'histoire tribale des Ahl at-Tâlib Mukhtâr, nous nous sommes retrouvé devant plusieurs versions. Plus les événements sont proches dans le temps, plus les enjeux deviennent sensibles et plus les stratégies de manipulation surgissent. Le poids du présent sur les individus et les collectivités pèse dans la représentation du passé. Comme le souligne Halbwachs : " le souvenir est dans une très large mesure une reconstruction du passé à l'aide de données empruntées au présent " (La mémoire collective, Paris, PUF, 1968 : 57). Ce constat nous rappelle que la mémoire n'est pas figée : les versions des récits sur un groupe changent tant que les stratégies de légitimation et le contexte changent.

L'histoire collective et généalogique tribale n'était pas le seul objet de manipulation. Les personnages, les individus " historiques " sont soumis eux aussi à cette stratégie de sélection et manipulation, " En réalité, jamais l'image d'un disparu ne s'immobilise. A mesure qu'elle recule dans le passé, elle change, parce que certains traits s'effacent et d'autres ressortent, suivant le point de perspective d'où on la regarde, c'est-à-dire suivant les conditions nouvelles où l'on se trouve quand on se tourne vers elle " (M. HALBWACHS, op. cit. : 61). Les récits sur la vie et l'action de Muhammad Fâdil et de ses successeurs varient selon le temps, l'espace et l'appartenance sociale et religieuse - confrérique - de l'interlocuteur. La tradition interne interprète, recompose et fabrique des récits qui " l'arrangent ".

Chaque lignage des Ahl at-Tâlib Mukhtâr a ainsi sa propre histoire orale : les récits ne convergent que quand il y a pas d'enjeux ou que cette convergence sert l'intérêt commun. La mémoire n'est partagée que lorsque chacun y trouve son compte. La mémoire collective d'un groupe n'est donc pas homogène : elle est traversée par d'autres mémoires des composantes du groupe. Dans une société segmentaire, la reproduction du discours historique ne peut être que segmentaire. Cette fragmentation de mémoire reflète les tensions et les conflits à l'intérieur du groupe. Ce principe est applicable à la vie religieuse. L'appartenance confrérique ou la fidélité à tel ou tel maître, même à l'intérieur de la même tarîqa, détermine le témoignage : " L'histoire orale, loin de se laisser prendre au mythe des sociétés harmonieuses et stables, doit s'efforcer de restituer les propriétés dynamique des système

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sociaux " (F. RAPHAEL, op. cit. : 136). Le groupe et les individus ne cessent de produire des mémoires et des contre mémoires.

Sources étrangères

L'islam sous sa forme confrérique est l'un des sujets qui a occupé une grande part de la littérature coloniale. Cet intérêt pour les confréries remonte au milieu du XIXème siècle ; c'est l'occupation de l'Algérie qui a constitué les débuts de l'impulsion de ces travaux (J.-L. TRIAUD, " Le thème confrérique en Afrique de l'ouest ", dans A. POPOVIC et G. VEINSTEIN, Les ordres mystiques dans l'Islam, Paris, Editions de l'EHESS, Paris, 1986 : 272). Les études élaborées sur le terrain algérien sont devenues plus tard un modèle pour les autres colonies françaises, entre autres la Mauritanie : " la politique musulmane de la France au Sénégal et dans les pays de conquête est d'abord calquée sur le modèle algérien " (J.-L. TRIAUD, op. cit. : 237). Le fait que l'une des figures de la littérature coloniale sur les confréries d'Afrique du nord, Coppolani, ait été affecté à sa demande en Afrique occidentale, est l'expression de cette continuité dans `l'approche algérienne' de l'islam. Ce n'est que des années plus tard que les responsables de la politique musulmane en AOF vont prendre de la distance dans leur approche des confréries avec les travaux de leurs collègues algériens.

Nous n'allons pas effectuer ici une étude des différentes approches et thèmes des écrits de l'époque coloniale. Nous centrons notre travail sur la place qu'occupe la Fâdiliyya à travers ces écrits. C'est dans l'ouvrage de O. Depont et X. Coppolani, Les confréries religieuses musulmanes publié en 1897, à Alger, qu'on trouve la première mention de la Fâdiliyya. Avant cette date, nous ne possédons qu'un témoignage sur Mâ' al-`Aynayn rapporté par C. Douls (" Cinq mois chez les Maures nomades du Sahara Occidental ", Le Tour du Monde, 1888 : 177-224). Le texte de ce voyageur demeure l'un des rares, sinon l'unique, sur Mâ' al-`Aynayn. A son époque, C. Douls, qui a vécu pendant quatre mois au Sahara (janvier-mai 1887), est le seul Européen qui ait rencontré ce personnage. Son texte s'inscrit plutôt dans les récits des voyageurs et explorateurs, que dans les écrits que l'on peut qualifier de coloniaux.

O. Depont et X. Coppolani ont basé leur données à propos de la Fâdiliyya sur les renseignements fournis par les services coloniaux en Afrique Occidentale, notamment les documents du Gouverneur général de l'Afrique Occidentale Française (AOF) et un rapport, qui n'est pas autrement connu ni référencé, du commandant Schlumberger. A cette époque, Coppolani n'était pas affecté en Mauritanie. En effet, le livre a été écrit pendant le stage de Coppolani dans les bureaux arabes d'Algérie[9].Les données fournies par les auteurs, malgré leur importance, demeurent vagues. De plus, elles manquent d'exactitude. A propos de Muhammad Fâdil par exemple, on peut lire : " Ce personnage avait donné un développement considérable à la confrérie qu'il représentait dans l'Adrar " (op. cit. : 317). Cependant, Muhammad Fâdil n'était pas installé en Adrâr ; d'ailleurs il n'est jamais allé dans cette région. Les informateurs des auteurs ont certainement confondu Muhammad Fâdil w. Mâmîn, fondateur de la Fâdiliyya, avec son cousin Muhammad Fâdil w. `Baydî, installé quant à lui en Adrâr et qui représente la tradition Fâdiliyya dans la région.

L'accent est également mis sur le rôle et l'influence de Mâ' al-`Aynayn dans le pays bidân et le Soudan ainsi que sur Sa`d Bûh. Il est important de souligner que, dans cet ouvrage, nous trouvons le

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terme générique de Fâdiliyya qui désignera par la suite la tarîqa de Muhammad Fâdil dans les écrits coloniaux. Les auteurs écrivent, à propos des disciples de Muhammad Fâdil : " Ses prosélytes sont désignés par celui de Fadelïa " (ibid.)

Coppolani aura l'occasion, ultérieurement, de se rendre sur place, dans sa première mission en pays bidân, afin de préparer le terrain pour l'occupation de la région. Cette mission faisait suite à la demande de Coppolani, en mai 1898, d'être chargé d'une mission dans d'autres pays musulmans pour mettre en oeuvre sa théorie sur la politique musulmane de la France. La mission au Soudan et au Hawd était soutenue financièrement par le Gouverneur Général de l'Algérie. Coppolani opta pour une nouvelle politique envers les groupes religieux fondée sur une utilisation des chefs religieux dans la " pacification " du pays (Rapport d'ensemble sur ma mission au Soudan français (Partie I : Chez les Maures), Paris, 1899 : 7-8).

C'est dans cette perspective qu'il entra en contact avec le fils de Muhammad Fâdil, Sîdî al-Khayr, sollicitant son concours pour faciliter ses contacts avec les chefs des tribus de Hawd, en l'occurrence le chef des Mashzûf afin de signer des accords de soumission. Il fut accompagné dans son voyage en Arawân et Azawâd par Sîdî Lamîn, jeune fils de Muhammad Fâdil. Pendant cette mission, et en passant chez les Touaregs, une source parle d'un laissez passer signé de Mâ' al-`Aynayn en possession de Coppolani. " Il compléta sa randonnée en passant chez les Touaregs de Tombouctou, accompagné de Robert Arnaud, de six hommes et muni d'un laissez-passer signé de Ma El Aînini (début 1899) " (G.M. DESIRE-VUILLEMIN, op., cit. : 295). Nous sommes très sceptique sur cette information vu que Coppolani, d'après ses écrits, n'a jamais fait allusion à un contact direct avec Mâ' al-`Aynayn. En outre, chaque fois qu'il parle de ce personnage il ne cache pas sa méfiance.

Lors de cette mission au Soudan et au Hawd, Coppolani remarque la rivalité entre les deux descendants de Muhammad Fâdil, Sîdî al-Khayr et at-Turâd mais il ne parle jamais de la Fâdiliyya. Dans un rapport écrit deux ans après cette mission, il présente Sîdî al-Khayr comme le chef des " Oulad Fadel ", pour désigner la tribu des Ahl at-Tâlib Mukhtâr. En réalité, Sîdî al-Khayr n'était pas le chef de la tribu, le chef étant plutôt son neveu at-Turâd w. al-Hadrâmî. Le terme " Oulad Fadel " sera ainsi utilisée par Coppolani chaque fois qu'il voudra désigner la tribu des Ahl at-Tâlib Mukhtâr.

Dans un deuxième rapport, Coppolani dresse un tableau social et politique du pays ; les personnages religieux sont cités dans la mesure de leur rôle politique et de leur position par rapport aux Français. Mâ' al-`Aynayn sera donc l'objet de plusieurs notes, qui mettent l'accent sur son rôle important dans le nord du pays, ainsi que sur Sa`d Bûh, présenté comme l'allié de la France.

Au fur et à mesure de son engagement sur le terrain, Coppolani s'éloigne de ses premières préoccupations d' Affaires musulmanes pour devenir un homme d'action au service du projet militaire colonial. Ses écrits deviennent plus des rapports politiques pour l'organisation du territoire de la Mauritanie que des études approfondies sur l'islam dans le pays ; ses contacts avec les chefs religieux sont orientés d'abord vers l'établissement d'une stratégie d'alliance politique et militaire pour conquérir le territoire. Certes, Coppolani, au départ, devant l'opposition de l'administration coloniale à ses projets en Mauritanie, s'est occupé d'un " bureau d'étude " à Saint-Louis pour organiser un service spécial des Affaires maures. Mais, dès la fin 1902, il abandonna vite ce bureau pour se lancer dans la conquête de la Mauritanie.

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A la fin du XIXème siècle, un autre auteur aborde la Fâdiliyya. A. Le Chatelier consacre plusieurs pages à la Fâdiliyya dans son livre sur L'islam dans l'Afrique occidentale (Paris, Steinheil, 1899). Les données de cet ouvrage ont été collectées en 1888, à la suite d'un voyage de l'auteur au Sénégal, en Gambie, au Soudan, à Kayes, et au Bamako, et au Foutah-Djallo. Mais le livre ne fut publié qu'en 1899. Entre temps, Le Chatelier avait complété ses informations avec l'aide d'autres administrateurs, notamment le commandant Destnave qu'il présente comme un grand connaisseur des pays de la Boucle du Niger. Néanmoins, Le Chatelier ne mentionne pas les sources de ses informations sur la famille de Muhammad Fâdil, excepté en ce qui concerne Sa`d Bûh. Dans ce seul cas, l'auteur fournit une liste, établie selon lui par " Muhammad Fâdil, fils aîné de Sa`d Bûh " en 1888. Notons cependant que le fils aîné de Sa`d Bûh ne s'appelait pas Muhammad Fâdil, mais Sîdî Bûya. Muhammd Fâdil, connu sous le nom de Bûnanna, était un des jeunes fils de Sa`d Bûh.

Par ailleurs, s'il avait précisé et actualisé ses notes concernant d'autres régions, il n'a pas actualisé ses informations de 1888 sur la Fâdiliyya, " les chefs actuels de la confrérie, écrit-il, sont les fils mêmes de Muhammad Fâdil : Cheikh Mohammad Taki Allah, Cheikh el Hadrami... " (op. cit. : 328). Or ces deux personnages sont morts en 1893-94. Cependant malgré quelques confusions A. Le Chatelier a fourni dans son livre des données détaillées sur la famille ; ces données ont constitué longtemps - et jusqu'à maintenant - la référence pour plusieurs, voire pour tous les écrits sur la Fâdiliyya.

A partir du début du XXème siècle, les Français poursuivent la conquête militaire de la Mauritanie, entamée par Coppolani. Les écrits et les études ont été, depuis lors, liés directement à cet événement. Les confréries et les hommes de religion furent mis sous surveillance. Pour contrôler le milieu religieux, les autorités de Dakar entamèrent des enquêtes sur les terrain. Le Gouverneur général W. Ponty envoya une circulaire qui définissait les objectifs de ces enquêtes : " Cette enquête paraîtra très captivante à beaucoup, en raison de l'intérêt scientifique qui s'y attache. Mais c'est surtout au point de vue politique et administratif qu'elle est intéressante au plus haut chef. Il est à peu près impossible d'administrer sagement un peuple islamisé, si l'on n'est pas au courant de sa foi religieuse, de son statut juridique et de son état social, qui sont intimement liés et toujours fortement impressionnés par le Coran et la tradition prophétique. C'est cette connaissance de la société indigène qui, seule, permet une action pacifique et profonde sur l'esprit des populations. C'est donc dans cette enquête, conduite par chacun avec zèle, que nous trouverons les bases les plus sûres et les directives les plus opportunes de notre politique musulmane " (cité par P. MARTY, Etudes sur l'Islam maure (Cheikh Sidia et sa Voie, Les Fadelia, les Idaou Ali), Paris, Leroux, 1916 : 11).

Cette circulaire traduit très bien l'esprit dans lequel se sont réalisés les travaux sur les confréries ultérieurement. Des fiches de renseignements étaient constituées sur la majorité des hommes de religion et les critères de classifications répondaient aux questions qui suscitaient l'inquiétude des Français. Ce procédé de renseignement était même considéré par le gouverneur Général Ponty, dans un autre texte adressé au commissaire du Gouvernement général en Mauritanie, comme un outil de guerre au même niveau que les moyens militaires : " aucune tentative ne peut être tentée [...] tant que les deux outils de guerre appropriés aux besoins spéciaux ne seront pas créés et en état de rendre les services qu'on attend : d'abord un services de renseignements nous permettant de ne rien livrer au hasard et ensuite de solides unités méharistes, disciplinées et entraînées " (Archives d'Outre-Mer, Aff. Pol., série géographique : Afrique, Mauritanie, Mauritanie IV, 2886 : Gouv. G.én. de l'AOF au Commissaire du Gouv. Gal en Mauritanie, Dakar, 31 octobre 1907).

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Les confréries étaient étudiées à partir de leurs chefs et de leurs représentants actifs, et la position adoptée envers l'occupation française était déterminante dans la méthode d'approche. A ce titre, la Fâdiliyya était au centre des préoccupations de l'administration française. L'action de Mâ' al-`Aynayn et l'importance de la diffusion de la Fâdiliyya avaient suscité la méfiance des Français envers cette tarîqa : " Si on songe aux ramifications nombreuses de la famille de Mohammed Fadel à laquelle appartient Ma El Aïnin, et dont les représentants jouissent en pays maure d'une autorité religieuse considérable, on ne peut envisager sans appréhension la rapidité avec laquelle pourrait se faire, dans les tribus, la diffusion de principes qui, sous leur apparence mystique, seraient le ferment d'agitation et de complications futures. [...] Cette situation nous oblige à surveiller très étroitement toutes les manifestations du prosélytisme islamique et l'attention des autorités locales a été tout particulièrement attirée sur ce point " (AOM., Aff. Pol.., Mauritanie, IV 2 bis, 2478, Gouv. Gal de l'AOF au ministre des Colonies , Dakar, 6 novembre 1907).

Dès le début, les écrits se sont focalisés sur les deux figures majeures de la tarîqa de l'époque. Sa`d Bûh, `l'ami' des Français, et son frère Mâ' al-`Aynayn, `l'ennemi', ont pris une place importante dans les écrits coloniaux. Ces écrits se sont basés essentiellement sur les fiches de renseignements et les rapports des administrateurs et militaires en Mauritanie. P. Marty rédigea l'une des seules études détaillées sur la Fâdiliyya et ses représentants dans le pays (Etudes sur l'Islam maure (Cheikh Sidia et sa voie, Les Fadelia, les Idaouali), Paris, Leroux, 1916). Chef de la section des Affaires musulmanes au Gouvernement général de l'OAF, il avait entre les mains tous les rapports, les fiches de renseignements et les correspondances de l'administration concernant la Mauritanie. Il a donc compilé tous ces documents pour écrire son étude sur la Fâdiliyya, et ce travail demeure jusqu'à maintenant l'unique travail complet sur cette tarîqa.

Notons que, avant P. Marty, R. Arnaud - qui a occupé le même poste que P. Marty - et qui était un proche de Coppolani, qu'il avait accompagné dans sa première mission en l'Afrique occidentale, avait parlé de la Fâdiliyya, mais brièvement . Ce qui l'intéressait, c'était de dresser un tableau de l'islam dans la région en mettant l'accent sur les amis et les ennemis ; ainsi, Sa`d Bûh était bien apprécié, contrairement à son frère Mâ' al-`Aynayn, qualifié pour l'occasion de " marabout sorcier " (" L'islam et la politique musulmane en A.O.F. ", Bulletin du Comité de l'Afrique Française, janvier 1912 : 17). D'ailleurs, dès qu'il s`agit de Mâ' al-`Aynayn dans les écrits coloniaux, nous remarquons une diabolisation du personnage. On peut même dire que, comme pour la Sanûsiya, les observateurs français ont construit autour de Mâ' al-`Aynayn " une véritable légende noire " (cf. J.-L. TRIAUD, op. cit., 1995) sur la construction de laquelle il vaudrait la peine de s'interroger.

Avant le travail de P. Marty, nous trouvons également un article, écrit par L. Bouvat, en 1912 ( " Cheikh Saadibouh et son entourage ", Revue du Monde Musulman, 18, 1912 : 185-199), consacré à la famille de Muhammad Fâdil. L'auteur n'apporte rien sur Muhammad Fâdil. Comme d'ailleurs P. Marty après lui, Arnaud et Bouvat se sont appuyés sur le travail de A. Le Chatelier. Bouvat s'est intéressé davantage à Sa`d Bûh, mais, contrairement à la majorité des études de son époque, il a établi la sienne à partir des manuscrits. En recevant un manuscrit de l'administrateur Gaden écrit par Sa`d Bûh, Bouvat écrivit son article en s'appuyant, en particulier, sur les données biographiques fournies dans l'introduction de ce manuscrit. Nous en déduisons que l'auteur était un arabisant ce qui lui a permis l'accès à d'autres sources et de dépasser la simple lecture des archives coloniales.

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Au début des années vingt, P. Marty écrit à nouveau sur la Fâdiliyya, mais, cette fois, en partant de la tribu des Ahl at-Tâlib Mukhtâr au Hawd (Etudes sur l'Islam et les tribus du Soudan, Paris, Leroux, tome 3 : Les tribus maures du Sahel et du Hodh, 1921) Il donne de nouveaux renseignements historiques sur la formation de la tribu, en se référant en partie à la tradition orale. Il consacre la grande partie de ce travail aux héritiers de Muhammad Fâdil résidant au Hawd. La source principale de P. Marty dans ce dernier travail demeure les rapports et les correspondances coloniaux.

Remarquons que les travaux des administrateurs de l'Afrique occidentale ont fourni, sur la Fâdiliyya, des données plus cohérentes que celles de leurs collègues du Maghreb. Par exemple, en 1906, un officier interprète d'Algérie publie un article insignifiant sur Mâ' al-`Aynayn (" Chiekh Ma el-Aïnine de Seguiat el-Hamra ", Bulletin de la Société de Géographie d'Alger, 4ème trimestre 1906 : 401-405). Pour cet auteur, Mâ' al-`Aynayn serait mort en 1903, alors que, au moment de la publication de l'article, il était toujours vivant. Le texte est rempli d'erreurs historiques sur Mâ' al-`Aynayn et sa famille : l'auteur prétend s'être renseigné auprès d'informateurs du Sûs et Tazrwâlat (sud de Maroc).

L'un des travaux intéressants apparus sur la famille écrit par un maghrébisant date de la fin des années vingt. Lévi-Provençal rédige alors, pour l'Encyclopédie de l'Islam, une brève biographie de Mâ' al-`Aynayn (t. III, 1928 : 58-59), et dresse une bibliographie importante comportant les livres lithographiés de Mâ' al-`Aynayn au Maroc. Les études écrites par les administrateurs et les orientalistes installés au Maroc étaient globalement consacrées à Mâ' al-`Aynayn, vu le rôle qu'il a joué dans cette région. Ni la tarîqa Fâdiliyya ni sa famille en pays bidân n'étaient traitées dans ces écrits.

Depuis la génération des pionniers de la conquête de la Mauritanie, et de Paul Marty, la Fâdiliyya et les Ahl at-Tâlib Mukhtâr n'ont pas fait l'objet d'études particulières. Les travaux sur l'islam ou les confréries mentionnaient de temps à autre la Fâdiliyya à travers l'un de ses représentants, notamment Sa`d Bûh ou Mâ al-`Aynayn, sans ajouter d'informations importantes. A. Leriche, par exemple, dans son article sur " L'Islam en Mauritanie " (Bulletin de l'Institut Français d'Afrique Noire, 1949 : 458-470), reprend , à la lettre, dans certains passages, ce ce qu'a écrit A. Le Chatelier à la fin du XIXème siècle. G. Désiré-Vuillemin, qui a écrit sur Mâ' al-`Aynayn et son action militaire en Mauritanie, reprend aussi fidèlement, avec une approche dominée par une vision coloniale affichée, des données des archives coloniales du début du siècle (" Cheikh Ma el Aïnin et le Maroc ou l'échec d'un moderne almoravide " ,Revue d'Histoire des colonies, nov. 1958 : 29-60)

A l'indépendance, les travaux sur la Fâdiliyya se font rares, car les nationaux étaient moins préoccupés par la question. En revanche de nouveaux travaux sont apparus, écrits toujours de `l'extérieur'. O. Dupuigaudeau (" Une nouvelle généalogie de Cheikh Ma'-El-`Aïnin U. Mamîn ", Hespéris Tamuda, XII, 1991 : 158-163), B.-G Martin (" Ma al-`Aynayn al-Qalqami ", Les Africains, t. XII, 1978 : 175-195; voir aussi Muslim brotherhoods in the 19th century Africa, Cambridge University Press, 1976 : 125-151), H.T. Norris (" Shaykh Mâ' al-`Aynayn al-Qalqamî in the folk litterature' of the Spanish Sahara ", Bulletin of the School of Oriental and African Studies, (31),1,2, 1968 : 113-136 et 347-376, et l'article " Mâ' al-`Aynayn ", dans la nouvelle édition de l'Encyclopédie de l'Islam : 896-898) et O. Vergniot, " Société et pouvoir au Sahara Occidental : le cas de Ma el Ainin ", dans Enjeux Sahariens , Paris-Aix-en-Provence, C.R.E.S.M., 1984 : 133-146) se sont penchés sur des phases de l'histoire de la Fâdiliyya. A la différence des travaux précédents, nous constatons que ces derniers travaux se réfèrent à des sources internes à la famille de Muhammad

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Fâdil, c'est-à-dire des textes arabes. En outre le personnage qui a focalisé l'attention de tous ces chercheurs est à nouveau Mâ' al-`Aynayn.

Même les romanciers ont trouvé en ce personnage une source d'inspiration comme J.-M.-G Le Clézio dans son roman Désert (Paris, Gallimard, 1980), sans oublier le livre de M. Vieuchange, écrit 50 ans auparavant (Smara, carnets de route, publié par Jean Vieuchange, Paris, Plon, 1933). Sur Muhammad Fâdil, Sa`d Bûh et les autres figures de la Fâdiliyya, nous ne trouvons pratiquement aucune étude. La raison en est l'abondance relative des sources sur Mâ' al-`Aynayn et son rôle politique. Depuis P. Marty, nous ne possédons aucune étude générale sur la tarîqa et les Ahl at-Tâlib Mukhtâr.

Nous voudrions souligner que des écrits espagnols intéressants ont été consacrés à famille de Mâ' al-`Aynayn [10]. La vision de ces écrits est différente de celle des Français. Si les écrits français étaient marqués par une hostilité envers ce personnage et ses descendants, les Espagnols, par contre, ont trouvé parmi les membres de cette famille des alliés. Par exemple, l'un des ouvrages consacré à Mâ' al-`Aynayn, celui de Domenech Lafuente (1954) a été dédié par l'auteur à " la memoria del Cheij Mohammed Mustafa (Merbbih Rebbuh) Uld Cheij Ma El Ainin, el ùltimo " Sultan Azul " y gran amigo de Espana ". Mrabbîh Rabbû, qualifié ici de " grand ami de l'Espagne " était la bête noire des Français, puisque c'est lui qui succéda à son frère al-Hayba, en 1919, dans la poursuite de la résistance. En effet les Espagnols ont tissé des rapport étroits avec la famille de Mâ' al-`Aynayn. Si les Français ont toujours vu, dans l'influence de Mâ' al-`Aynayn et ses fils, une menace à leur projet colonial dans la région, paradoxalement les Espagnols se sont servis de cette influence pour instaurer leur autorité. Lorsque Mrabbîh Rabbû abandonna le sud marocain face à l'avancée des troupes françaises (1934), il se réfugia au Cap Juby chez les Espagnols qui ont essayé de l'employer pour consolider leur emprise ; l'un des responsables espagnols écrit alors : " pour le développement de notre politique dans le Sahara, la reddition du Sultan bleu [Mrabbîh Rabbû] revêt une importance exceptionnelle. C'est le moment de se servir de son influence religieuse dans toutes cette zone de la Mauritanie en faveur de nos intérêt et de notre mission colonisatrice. " (" La reddition du " Sultan bleu " , L'Afrique française, 1934 : 225). Cette différence d'approche entre les deux puissances coloniales envers cette famille s'est reflété dans les écrits de leurs nationaux respectifs.

Nous laisserons ici de côté les archives, source de référence indispensable, qui nécessiteraient une analyse particulière. Ces écrits sont composés des archives civiles et militaires de l'époque coloniale. Celles-ci se trouvent en différents points : les archives de la colonie de Mauritanie sont passées de Saint-Louis à Nouakchott après l'indépendance. Les archives du Gouvernement général de l'AOF constituent les archives du Sénégal, à Dakar. Les archives de l'ancien ministère des Colonies se trouvent au Centre des Archives d'Outre-Mer d'Aix-en-Provence, qui détient d'autre part, comme les Archives Nationales, à Paris, des microfilms des archives du Sénagal, notamment pour la période avant 1920. Enfin, les archives militaires, celles qui contiennent les rapports des opérations militaires, et qui sont les moins directement utiles à notre recherche, se trouvent au Fort de Vincennes à Paris. A condition d'en décrypter les grilles d'analyse, ces archives nous apportent des informations précises sur les événements politiques sociaux et économiques. Elles nous aident, par leurs données, à reconstruire des faits historiques. De plus, elles nous permettent de reconstituer l'offensive coloniale française et dressent un état du pays bidân pendant cette confrontation. L'importance de ces écrits réside aussi dans la manière de traiter le passé de la Mauritanie. Ils abordent des sujets souvent occultés par les récits historiques locaux du milieu lettré et, convenablement croisés, ouvrent des

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pistes utiles.

Conclusion

Annales, hagiographies, dictionnaires biographiques, textes généalogiques, traditions orales et littérateurs coloniales, fournissent des informations riches et variées. Cependant, ces sources ont été motivés par les intérêts politiques et sociaux des individus et groupes qui les ont produits. Ils ne peuvent donc être exploités sans prendre en compte les enjeux et les stratégies de leur production. Par ailleurs, un vaste travail de recoupement nous paraît nécessaire afin de dégager des renseignements et des faits contribuant à mettre en lumière l'histoire d'une époque, d'un personnage, ou d'un groupe social ou religieux.

Notes

[1] Cet article est tiré - avec des aménagements - de ma thèse, Islam et société en Mauritanie : la confrérie Fâdiliyya, Université de Provence, 1997 (à paraître).

[2] Il existe plusieurs copies manuscrites de ce volumineux textes, L'Institut Mauritanien de Recherche Scientifique (IRMS), en collaboration avec la zâwiyya Cheikh Sid El Mokhtar El Kounti, a publié les deux premières parties :

SHAYKH SÎDÎ MUHAMMAD W. AL-MUKHTÂR AL-KUNTÎ, at-Tarâ'fi wa at-talâ'id fî krâmât al-wâlid wa-al-wâlida, annoté `Abidîn b. Bâba Ahmad b. Hamma al-Amîn, IMRS, Nouakchott. (dorénavant at-Tarâ'if)

[3] Modèle exemplaire qui s'identifie à la vie et aux comportements de Prophète

[4] ABÎ ABD ALLAH AT-TÂLIB MUHAMMAD B. ABÎ BAKR AS-SADIK, Fath ash-Shakûr fî-ma`rifat 'a`yân `ulamâ at-Takrûr, annoté par Muhammad Ibrâhîm al-Kattânî et Muhammad Hijjî, Dar al-Gharb al-Islâmî, Bayrout, 1981. (dorénavant Fath ash-Shakûr). Une traduction en français de cet ouvrage biographique a été réalisée par C. EL Hamel Fath ash-shakûr. Hommes de lettre, disciples et enseignement dans le Takrûr du XVIème au début du XIXème siècle, Thèse, Université de Paris I, 1992.

[5] MUHAMMAD AL-MÂMÎ W. MUHAMMAD FÂDIL, Fatwâ jawâb Shaykh Muhammad al-Mâmûn , ms, l'Institut Islamique de Mama o/ cheikh Med Taghioullah, Nouakchott.

[6] Muhammad Fâdil, sans titre, ms, Institut islamique de Mama ould cheikh Med Taghioullah, à Nouakchott. Une autre copie de ce texte se trouve microfilmé à l'IMRS, sous le titre Tahqîq dawhât ash-sharaf min aslihâ al-hasan wa al-hussayn, ms, IMRS, n.2002 Nouakchott.

[7] MUHAMMAD AL-AMÎN W. ISHÂQ, Târîkh L-Glâgma, ms. (dorénavant Târîkh L-Glâgma)

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Clio en Afrique 4 -- R. Boubrik (2)

[8]

● MUHAMMAD SALAM W. AGARBAT. Al-Qâdiriyya al-fâdiliyya wa mawqifuhâ min al-'isti`mâr min khilâl mawâqif Sa`d Bûh wa Shaykh Mâ' al-`Aynayn, maîtrise, Université de Nouakchott, 1991.

● YASLAH W. LAMAN. Hayât Shaykh Sa`d Bûh b. Muhammad Fâdil, mémoire ISERI, Nouakchott, 1988.

● AFDA W. MUHAMMD FÂDIL. Shaykh at-Turâd wa dawruh al-ijtimâ`î, mémoire ENS, Nouakchott, 1982.

● MUHAMMAD W. MUHAMMAD HATÂB, Shaykh at-Turâd wa dawruh ath-thaqâfî wa as-siyyâsî, fi mantaqat al-Hawd, maîtrise, Université de Nouakchott.

● SAAD BÛH W. YANBA, An-Nasîha al-`âmma wa al-khâssa fi at-tahdhîr min muhârabat farânsa, maîtrise, Université de Nouakchott, 1993.

● MUHAMMAD W. CHANAMA, Malâmih ad-dawr as-siyâsî li-Shaykh Mâ' al-`Aynayn b. Muhammad Fâdil, maîtrise, Université de Nouakchott.

[9] DESIRE-VUILLEMIN, G.-M., " Coppolani en Mauritanie ", Revue d'Histoire des Colonies, T. XII, 1955. Voir aussi J.-L. TRIAUD, La Légende noire de la Sanûsiyya, Paris et Aix-en-Provence, Editions de la Maison des Sciences de l'Homme, 1995 : 368).

[10]

● BELTRAN Y ROZPIDE, R. " El Xej Ma el Aïnin y la Sociedad geografica ", Her. de Marruecos, 10 août 1907.

● BONELLI, E., " Documentos relativos à la entrega de aljeque Mohammed Ma el Aïnin ", Rev. de Géogr. coll. y merc., (1), 1898 : 173-176.

● CARO BAROJA, J., " Un Senton Sahariano y su familia ", Estudos Saharianos, 1955 : 285-335.

● COLA, A., "El Aain en el Sahara", Africa, février, 66 (14) - 68 (16). ● DOMENECH LAFUENTE, A., Ma el Aïnin, Senor de Smara, Tetuan, Marroqui, 1954, 164 p. ● LAFUENTE, D., Ma el Aïnin frente à Gouraud. Madrid, Africa, nov.-déc. 1948 : 21-24.

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