Clap! Hors-série

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SPECIAL CANNES 2012 LE JURY LA SELECTION PORTRAITS RESNAIS NICHOLS DOMINIK MILLER ... Et si Michael Bay était président... Le retour de la comédie américaine TOP PALMES D’OR CANNOISES COSMOPOLIS, LE RETOUR DE CRONENBERG A CANNES Magazine de cinéma Gratuit | Mai 2012 | Numéro Hors-série www.clapmag.com

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Clap! spécial festival de Cannes 2012, analyses, portraits, Top Palmes d'Or, le jury, la sélection

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SPECIAL CANNES 2012

LE JURY LA SELECTION

PORTRAITS RESNAIS NICHOLS DOMINIK MILLER ...

Et si Michael Bay était président... Le retour de la comédie américaine

TOP PALMES D’OR CANNOISES

COSMOPOLIS, LE RETOUR DE CRONENBERG

A CANNES

Magazine de cinémaGratuit | Mai 2012 | Numéro Hors-sériewww.clapmag.com

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EDITOSOMMAIRE

aboNNez-vouS a la revue, Découvrez leS baNDeS-aNNoNceS, leS critiqueS, leS teStS DvD, leS NewS...chaque jour Sur www.clapmag.com

04 Sélection

06 portrait audiard

08 top palmes

12 Dossier cronenberg

16 l’affiche décryptée

18 portraits croisés

les cris étaient trop forts. le retour du mag s’est fait atten-dre mais voilà déjà cannes et

l’équipe de clap! n’a pu s’empê-cher de vous livrer un nouveau numéro. l’esprit reste inchangé, parler de ciné avec légèreté et passion tout en essayant d’in-téresser les néophytes comme les passionnés. le rendez-vous annuel le plus important du ci-néma est l’occasion de mettre à l’épreuve tout le savoir-faire de l’équipe clapienne : tops, analy-ses, portraits, débats, délires, let-tres ouvertes... en somme tout ce qui est mis en oeuvre toute l’an-née sur clapmag.com pour vous proposer un ton unique, un re-gard singulier sur cet art que l’on affectionne tant. le temple cannois est aussi le lieu du couronnement l’an passé d’un autre grand nom : terrence ma-lick. Si la palme d’or n’a pas man-qué de susciter le débat, même au sein de la rédaction, elle a le mérite au moins de ne laisser per-sonne indifférent. cette année sera-t-elle aussi prolifique en dé-couvertes ? une seule certitude, on en ressortira plein les yeux et plein la tête...en attendant l’an prochain. romain Dubois

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DiaNe krugerl’egerie

jeaN-paul gaultierelégaNce et ciNéphilie

NaNNi morettile chef D’orcheStre

jury | 03 |

le jury

Raoul Peck n’effectue pas cette année son premier passage sur la Croisette. Cet ancien ministre de la Culture d’Haïti fut sélectionné en Compétition à Cannes en 1993 pour L’Homme sur les Quais et présenta Lumumba en 2000 à la Quinzaine des Réalisateurs. L’actuel président de la FEMIS devrait apporter un regard neuf à un jury moins cosmopolite que les années précédentes.

Israélienne issue d’une famille palestinienne, Abbass est avant tout une femme du monde. Quant elle ne tourne pas pour ses compatriotes Amos Gitaï (Free Zone, 2005) ou Yousry Nasrallah (Les Citronniers, 2008), la belle brune traine son talent entre la France (Patrice Chéreau, Radu Mihaileanu) et les Etats-Unis (Jim Jarmusch, Julian Schnabel). La touche moyen-orientale du jury.

La Britannique Andrea Arnold n’est pas une première venue en matière de remises de prix. A son palmarès figurent déjà un Oscar du Meilleur court-métrage de fiction pour Wasp (2004) et deux Prix du Jury à Cannes pour Red Road (2006) et Fish Tank (2009). Sa spécialité, le malaise social dans les banlieues…Une bonne nouvelle pour La part des Anges de Ken Loach ?

Jean-Paul Gaultier se serait probablement ennuyé sans mannequin à ses côtés... Diane Kruger, la plus européenne des actrices allemandes (et ex modèle), montera cette année les marches chaque soir, dans la peau du juge, et non plus de celle qui est jugée. On attend surtout d’elle un royal défilé.

Celle qui peut se targuer d’avoir «le pétard d’Angela Bassett» (Un conte de Noël) risque d’avoir, pour le coup, le cul entre deux chaises. Car Audiard, pour lequel elle a tant tourné (Sur mes lèvres, De battre mon coeur s’est arrêté), est en compétition avec De rouille et d’os. Un scénario proche de celui de 2009 (Huppert/Haneke) où le favoritisme était de mise. On compte sur McGregor et son sabre laser pour agir en cas de déloyauté !

Pourquoi un couturier dans un festival de cinéma nous direz-vous ? Figurez-vous que quand Jean-Paul Gaultier ne fait pas des parfums ou des marinières, le Mâle travaille aussi pour le septième art. Jeunet et Caro (La Cité des Enfants Perdus), Luc Besson (Le Cinquième élément) et surtout Pedro Almodovar (La Mauvaise éducation, et La Piel que habito) doivent beaucoup à son célèbre coup de crayon.

Réputé pour ses films à l’humour corrosif qui dépeignent finement la société actuelle (Le caïman, Habemus Papam...), l’acteur/réalisateur Nanni Moretti devra faire partager sa grande expérience cannoise aux membres de son jury. Au Panthéon de sa carrière, une Palme d’or pour La Chambre du Fils en 2001. Par ailleurs excellent directeur d’acteurs, l’italien ne devrait pas avoir trop de mal à faire entendre sa voix…

une sélection des plus éclectiques pour composer le jury du cru 2012. l’expérimenté moretti devrait mettre tout le monde d’accord en imposant la sagesse du cinéaste « qui en a vu d’autres ». Nous nous pencherons sur le faux débat jean-paul gaultier plus loin, en attendant voici la communauté des neuf, en espérant que celle-ci ne connaîtra pas de scission !

alexaNDer payNefraîchemeNt oScariSé

Reparti avec une statuette, pour The Descendants (meilleur scénario adapté), Payne se retrouve de l’autre côté du miroir, faisant désormais partie de ceux qui attribuent les prix. L’habitué des grandes cérémonies (Golden Globes, Sundance) va goûter au parfum de la croisette. Du moment qu’il ne récompense pas de film aussi mal foutu que Jurassic Park III (dont il était le malheureux auteur), confiance en lui, nous avons.

ewaN mcgregorla force eSt avec lui

Voguant constamment entre les eaux de films d’actions bourrins (The Island) et films d’auteurs, Junky (Trainspotting), jedi (Star Wars Episode I, II, III) ou encore joueur de cithare (Moulin Rouge), Ewan McGregor, l’acteur caméléon, peut ajouter une nouvelle ligne à son CV et à la lettre «j». Car le voilà membre du jury au festival de Cannes. S’il a ramené son sabre laser, son avis risque d’être tranchant, c’est sûr !

caNNeS 2012

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Sélection | 04 |

PARADIS : AMOUR de ulrich Seidl, avec maria hofstätter, Nabil Saleh... Un beau retour dans la compétition pour l’autrichien qui signe ici un nouveau film sur le thème de la sex-ualité. Après Import/Export, en 2007, qui dénonçait le commerce des corps, Seidl prolonge la réflexion abordant des sujets comme le tourisme sexuel, la perte de la virginité et l’abstinence. Un regard cru sur nos sociétés modernes et la représentation qu’elles offrent de la chair.

POST TENEBRAS lUxde Carlos Reygadas C’est à la Quinzaine des réalisateurs que l’on avait découvert Reygadas (Japon), en 2002. Une caméra d’or plus tard, le revoilà au festival, en compétition officielle, livrant un film autobiographique - dont le titre est une citation extraite du Livre de Job, une référence de plus en plus à la mode car l’année dernière, c’était Tree of life qui s’en nourrissait...

AU-DElA DES COllINESde Cristian Mungiu, avec Cristina Flutur, Cosmina Stratan ...Alina voudrait s’enfuir avec Voichita, la seule per-sonne qu’elle ait jamais aimé. Mais celle-ci semble ne pouvoir offrir son coeur qu’à Dieu. Après sa Palme d’or de 2007, Mungiu revient sur le devant de la scène avec un sujet dur, sa caméra, une nou-velle fois,posée sur les jeunes femmes, leur corps et leur volonté.

lA PART DES ANGESde Ken Loach, avec Paul Brannigan, John Hen-shaw... Il fait généralement partie des favoris. Ken Loach débarque cette année avec La part des anges, une comédie sociale qui fleure bon le whisky. Le récit d’un jeune père de famille, qui après avoir échappé à la prison, décide d’ouvrir une distillerie, avec l’aide d’un travailleur social. Fûts de chêne, nous voilà !

lIKE SOMEONE IN lOVEde abbas kiarostami, avec rin takanashi, ryo kase...Le cinéaste iranien signe son retour sur la croisette avec Like Someone in love - titre de l’un des plus beaux standards d’Ella Fitzgerarld. Une fable sociale qui se déroule au Japon ; l’histoire d’une jeune fille qui vend ses charmes pour payer ses études. L’attente est palpable. Car le cinéma de Kiarostami ne laisse jamais indemne.

SUR lA ROUTEde Walter Salles, avec Sam Riley, Kirsten Stewart ...

Le chef d’oeuvre de Kerouac porté à l’écran par le réalisateur de Carnets de voyage ? Notre coeur s’emballe soudain. Walter Salles a investi quatre ans de sa vie dans ce projet monstre, se réappropriant le texte embléma-tique de la Beat generation. Attendu au tournant, c’est certain. En espérant que le film soit à la hauteur de ses ambitions...

lAWlESS de john hillcoat. avec guy pearce, tom hardy, jessica chastain... Encore un qui peut se targuer d’avoir un cast-ing de haut vol (Guy Pearce, Tom Hardy, Jes-sica Chastain, Gary Oldman, Jason Clarke, Shia LaBeouf…). Le pitch ? Durant la Prohibition, dans le comté de Franklin, le gang des trois frères Bon-durant tente de se venger des hommes du shérif local… Plutôt vendeur..

AMOUR de Michael Haneke Avec Isabelle Hup-pert, Jean-Louis Trintignant... Quand Anne, octogénaire, est victime d’une petite attaque cérébrale, l’amour qui l’unit à son mari se voit ébranlé… Haneke pose ainsi la question de l’altération du temps, de la famille, des liens. En 2009, il remportait la Palme d’or avec Le Ruban blanc. Quel destin pour ce drame intemporel ?

lA CHASSEde thomas vinterberg, avec mads mikkelsen, thomas bo larsen... attention sujet brûlant : un homme récemment divorcé est accusé par une jeune fille de cinq ans d’abus sexuel. voilà la trame du prochain vinterberg - toujours aussi hanté par le bruit de la vérité qui éclate et accompagné ici du tou-jours aussi trouble mads mikkelsen...

LES FILMS DE LA COMPETITION

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SelectioN 2012

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DANS lA BRUME de Sergei loznitsa avec vladimir Svirski, vlad adashin...Pour sa deuxième participation à Cannes, Loznitsa précipite ses protagonistes dans l’horreur de la sec-onde guerre mondiale. L’action se déroule en Biélo-russie, envahie par les Allemands en 1942. Adapta-tion d’un roman de Vasil Bykov, Dans la brume rend compte du traumatisme de la guerre, du visage des sacrifiés ainsi que du mutisme tenace qui étreint les personnages.

IN ANOTHER COUNTRYde Hong Sangsoo Avec Isabelle Huppert, Yu Junsang, Yumi Jung... Le romantique et prolifique cinéaste sud-coréen Hong Sang-Soo met en scène une femme (Isa-belle Huppert) dans un pays qui n’est pas le sien, et lui fait rencontrer au même endroit les mêmes personnes qui lui feront vivre à chaque fois une expérience inédite. Voilà ce que l’on sait de ce drame poétique qui semble hors du temps et des frontières. De quoi attiser la curiosité.

reality de matteo garrone avec aniello arena, loredana Simioli, Nando paone ...

Un peu d’Italie dans ce monde de cinéma franco-américain ! Matteo Garrone, remarqué à l’international avec son Gomorra, revient paré d’une comédie dramatique très actuelle. Il raconte le changement de cap de Luciano, chef de famille et poissonnier apprécié pour son humour et sa créativité, qui, partici-pant à une émission de télé-réalité populaire, va tirer un trait sur le reste…

THE PAPERBOYde lee Daniels - avec matthew mcconaughey, zac efron, Nicole kidman...La Floride libre de 1969, une enquête menée par un duo de reporters, une brochette de comédiens à faire pâlir les jeunes filles en fleurs : le réalisateur de Precious a réuni les arguments nécessaires pour faire de son troisième long-métrage un succès commercial. Emballage attrayant, certes, mais le thriller tiendra-t-il la route ? On ne sait encore rien de la direction que prendra Lee Daniels, auteur du très (trop ?) estimé Precious, puisqu’il n’a pas encore donné de réelle tonalité à son oeuvre. À suivre.

l’IVRESSE DE l’ARGENT de im Sang-sooavec kim kang-woo, yun-Shik baek, yun yeo-jung...Le dernier film du Sud-coréen Im Sang-soo (à ne pas confondre avec Hong), The Housemaid (remake du grand classique de Kim Ki-young) était en sélection officielle au Festival de Cannes 2010. L’Ivresse de l’argent s’inscrit dans son sillage. Sexe, mensonges et pouvoir sont au cœur de cette fresque mod-erne et critique vis-à-vis d’une certaine bourgeoisie.

APRES lA BATAIllEde Yousry Nasrallah, avec Mena Shalaby, Bassem Samra ... Mahmoud est l’un des «cavaliers de la place Tah-rir» qui, le 2 février 2011, manipulés par les ser-vices du régime de Moubarak, chargent les jeunes révolutionnaires. Tabassé, humilié, sans travail, et ostracisé dans son quartier qui jouxte les pyra-mides, Mahmoud et sa famille perdent pied. Une fiction sur le printemps arabe qui inspire profondé-ment.

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portrait | 06 | portrait | 07 |

Tom n’aura de cesse de rejeter l’influence paternelle et de vouloir se tourner vers sa fibre artistique, héritée de sa mère.

Paradoxalement, son cinéma est clairement celui d’un monde d’hommes, la seule lumineuse exception étant pour l’instant celle de Carla, la secrétaire malentendante de Sur mes lèvres, comparable à Alice n’est plus ici, où se trouve le seul personnage féminin principal de toute l’œuvre de Scorsese. On sent Audiard fasciné par le filmage des hommes, (la masculinité adolescente, représentée dans ses premiers films par Mathieu Kassovitz, ou Tahar Rahim dans Un prophète, à l’opposé des modèles machistes de la virilité triomphante). Mais il ne s’agit pas la plupart du temps d’homosexualité décomplexée, mais de proche camaraderie, comme dans Rio Bravo de Hawks (la prison du Prophète ou les agents immobiliers de De battre mon cœur s’est arrêté). Cette fascination pour les personnages de jeunes gens en devenir lui permet de tourner autour de cette zone d’androgynie de l’artiste, déjà entrevue dans l’Heure du loup ou De la vie des marionnettes de Bergman, sans s’y attarder, sauf en quelques occasions plus explicites, (la discussion de Simon Hirsch et du prostitué homosexuel dans Regarde les

hommes tomber, le personnage du Capitaine dans Un héros très discret).

Le syndrome de l’imposteur

En venant recevoir son Grand Prix pour Un prophète, Audiard a eu cette phrase : « je me sens un peu comme un imposteur », sentence révélatrice d’un fil directeur de son œuvre qui prend directement sa source dans sa biographie. Fils de Michel Audiard, il n’a souvent pas su si on l’estimait pour ses propres qualités ou si on l’embauchait et tolérait sa présence car il était « le fils de ». D’où le fait de ne pas se sentir à la hauteur ou d’usurper la place d’autres. Il replacera cette sensation de malaise existentiel dans nombre de ses films : Albert Dehousse, le héros très discret, deviendra une grande figure de la Résistance, sans même avoir participé au moindre combat ; Tom, l’agent immobilier, souffre de vivre dans un milieu de petites frappes sans foi ni loi et ne pense qu’à la musique et ses cours de piano

avec sa répétitrice vietnamienne ; enfin Malik devra faire contre mauvaise fortune bon cœur et servir dans sa prison le camp des Corses pour pouvoir survivre.Un héros très discret représente une sorte de démonstration de la mythomanie poussée au plus haut niveau, version avant l’heure de l’Adversaire ou de l’Emploi du temps. La différence essentielle sera que, dans ces deux

derniers films, l’imposture est envisagée sous un mode tragique, alors qu’elle est vécue sur un mode léger, voire ironique, n’ayant pas de conséquences négatives, dans l’histoire d’Albert Dehousse. Un héros très discret est un peu à part dans la filmographie de Jacques Audiard, car il lui permet de rendre hommage à Scorsese (le Johnny écervelé de Regarde les hommes tomber pourrait être un écho du Johnny Boy névrotique de Mean streets) ou Coppola (la formation et la filiation), voire Hitchcock (la séquence où Carla lit sur les lèvres de Paul détenu dans l’appartement d’en-face renvoie à Fenêtre sur cour). En effet, Un héros très discret évoque un corpus de

références totalement différent qui ne reviendra pas dans l’œuvre postérieure d’Audiard : Woody Allen (le monologue face caméra de Jean-Louis Trintignant, les interviews faussement documentaires à la Zelig), Truffaut (Jules et Jim avec les deux femmes de la vie d’Albert Dehousse, réunies à la fin, ainsi que l’Homme qui aimait les femmes pour ce plan de jambes fétichiste qui suit cette réunion) ou, plus étonnant, Jean-Luc Godard, avec ce plan récurrent de formation à cordes tout droit sorti de Prénom Carmen.

L’Empire des signes

Les personnages d’Audiard doivent décrypter des signes pour avancer dans la jungle de la vie. Albert Dehousse réussit à se faire passer pour ce qu’il n’est pas, car il a développé une mémoire étonnante des noms et des lieux de la Résistance. De plus, il sait identifier du premier coup les interlocuteurs qu’il rencontre pour la première fois. Dans le film suivant, Carla, en

tant que malentendante, a appris à lire sur les lèvres de tous ceux qui l’entourent. Pour jouer une toccata de Bach, Tom doit déchiffrer les signes d’une partition. De ce déchiffrage,

dépendra la suite de son destin. En prison, Malik doit se servir de son intelligence et interpréter tous les signes qui lui sont proposés pour faire son chemin.

Pour Audiard, « le cinéma doit certifier le réel ». Il a commencé avec un film noir assez abstrait, Regarde les hommes tomber. Un héros très discret se présentait également comme une fantaisie historique, assez déconnectée de la réalité. Audiard, après ces deux premiers films remarquables, réalisés en deux ans, a tout de suite senti le danger que représentait la perfection formelle d’Un héros très discret: faire ainsi un cinéma de scénariste, extrêmement bien calibré mais dépourvu de sens profond, car n’étant pas relié au réel. Il s’est donc remis en question et a mis cinq ans pour tourner son troisième film, Sur mes lèvres, touchant ainsi le grand public, pour la première fois, en donnant la priorité aux personnages sur le cadre et en rattachant l’intrigue à un contexte réaliste (la description de la vie de bureau, avec ses coups de fil, ses photocopies et sa cantine, est très bien vue). Depuis il a confirmé cette inscription de son cinéma dans le réalisme, avec les agents immobiliers véreux de De battre mon cœur s’est arrêté, prolongement de l’agence immobilière de Sur mes lèvres, la prison d’Un prophète et son casting à moitié arabe, témoignant d’une France alors peu décrite, permettant d’atteindre un point culminant dans ce processus. Audiard est considéré comme un remarquable directeur d’acteurs. De Trintignant, Yanne et Kassovitz, à Tahar Rahim, en passant par Emmanuelle Devos, Vincent Cassel, Romain Duris et Niels Arestrup, (on attend avec intérêt dans son nouveau film Marion Cotillard en éclopée, accompagnée par Matthias Schoenaerts, révélation de Bullhead), ses comédiens délivrent tous des performances exceptionnelles, du professionnel le plus chevronné au débutant le plus absolu. Il a su s’entourer de collaborateurs fidèles (Alexandre Desplat pour la musique, Juliette Welfling pour le montage, Alain Le Henry, Tonino Benacquista ou Thomas Bidegain pour le scénario). Tout aussi capable d’adapter des romans ou des films (Un héros très discret, le roman de Jean-François Deniau, Fingers le film de James Toback) que d’écrire des scénarios originaux (Sur mes lèvres, Un prophète), Audiard fait reposer son style sur l’enchaînement des situations, l’intérêt des personnages et la justesse du montage. Il ne fera jamais de grands mouvements d’appareil ni de démonstration de pure virtuosité technique. Le culte de la belle image lui est quasiment étranger. La mise en scène doit avant tout coller aux personnages et se mettre à leur service. David Speranski

Un roman de formation

Ce qui frappe et retient d’emblée l’attention dans les films de Jacques Audiard, c’est leur présentation

de personnages mal dégrossis, en quête de (re)pères et qui vont apprendre des choses essentielles pour leur survie. Leur apprentissage sera ainsi parallèle au notre : ils vont découvrir leur histoire, tout comme nous sommes invités à y progresser.

Sous l’aile protectrice de Max, Johnny, légèrement demeuré, va apprendre la débrouille et devenir un tueur (Regarde les hommes tomber). Albert Dehousse deviendra un héros de la Résistance, sans avoir jamais combattu, en pratiquant le mensonge comme un instrument de survie (Un héros très discret). Dans Sur mes lèvres, Paul, sortant de prison, essaiera de se plier aux lois de l’univers professionnel tandis que Carla sera amenée à se débrouiller dans un univers de petits truands. La même confusion d’univers sera à l’œuvre dans De battre mon cœur s’est arrêté où Tom, agent immobilier véreux, tentera de changer de vie, en se lançant désespérément dans la préparation d’une audition musicale. Enfin, Malik ne cessera d’apprendre en prison et d’utiliser son intelligence, avec l’opportunisme de la survie (Un prophète).Les personnages d’Audiard sont en constant apprentissage et ne cessent de progresser, ce qui les rend d’emblée sympathiques au spectateur qui a ainsi l’impression d’accomplir

le même parcours gratifiant. Ce parcours de formation, c’est celui de Jacques Audiard, écrivant des scénarios avec son père Michel (dont le cultissime Mortelle randonnée du regretté Claude Miller), s’essayant au montage et assistant des cinéastes aussi réputés que Roman Polanski ou Patrice Chéreau. Le cinéaste avoue avoir été quasiment autiste jusqu’à l’âge de 40 ans et avoir appris à s’exprimer grâce au cinéma. A chaque étape

de sa carrière, il aura progressé : se libérant de la tyrannie du cadre et de la tentation de l’académisme dans Sur mes lèvres, s’affranchissant du scénario pour De battre mon cœur s’est arrêté et en terminant dans Un prophète avec les spectres envahissants de la maîtrise, du chef-d’œuvre et de la perfection.

Se libérer de l’ombre du père

Il est impossible d’omettre la filiation de Jacques Audiard : fils d’un des plus grands scénaristes-dialoguistes du cinéma français, Michel Audiard, il confessera avoir au final peu de choses en commun avec l’univers artistique de son père. Dans les années 60, Michel Audiard était devenu le dialoguiste attitré de Jean Gabin et un des représentants de la Qualité française tant honnie par la Nouvelle vague, avant d’être redécouvert pour les films truculents de Georges Lautner

(Les tontons flingueurs, Les barbouzes). En revanche, chez Jacques Audiard, peu de tentations du mot d’auteur. Le talent d’Audiard fils se concentre sur les situations et les enchaînements. On sait aujourd’hui par Claude Miller que l’essentiel de Mortelle randonnée venait de Jacques Audiard. Complètement à l’opposé de la comédie franchouillarde, le cinéaste est fasciné par les films de genre (4 sur 5 de ses films, la seule exception étant Un

héros très discret) et vénère des cinéastes américains, Scorsese ou Coppola, dont on retrouve l’influence extrêmement bien digérée

dans ses films. Aujourd’hui, cinéphile avisé et sélectif, il cite comme cinéastes marquants James Gray (qui fut le plus ardent défenseur d’Un prophète dans le jury cannois 2009, belle coïncidence), Tarantino, Nicolas Winding Refn, Tomas Alfredson ou encore Bong Joon-Ho.

Par conséquent, on retrouvera dans ses films des personnages de jeunes hommes en quête de figure paternelle, celle-ci étant souvent vécue comme autoritaire et assez dépourvue de tendresse (Max par rapport à Johnny dans Regarde les hommes tomber) et allant même jusqu’à des rapports de domination et d’asservissement (César et Malik dans Un prophète). Dans Regarde les hommes tomber, toute l’histoire peut finalement se résumer en un changement de père pour Johnny, de Max à Simon Hirsch. Lorsque Jacques Audiard filmera le seul véritable lien père-fils de son oeuvre, dans De battre mon cœur s’est arrêté,

jacqueS auDiarD, uN ciNeaSte trop DiScretJacques Audiard : six films en quinze ans, un premier à l’âge de 42 ans, une discrétion médiatique inverse-ment proportionnelle à la reconnaissance grandissante de ses films, tous récompensés soit au Festival de Cannes, soit aux César, et tous plus réussis l’un que l’autre. A l’heure où De rouille et d’os, son sixième film, est présenté en sélection officielle à Cannes, revenons sur toute son œuvre passée. Comment en une quinzaine d’années, devenir un auteur essentiel au cœur du cinéma français, occupant la place qui était celle d’un Truffaut ou d’un Bertrand Blier en son temps, telle est la belle histoire de Jacques Audiard.

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« Un auteur essentiel au cœur du cinéma français »

« Son cinéma est celui d’un monde d’hommes »

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de Doug liman (etats-unis)

un ex ambassadeur et sa femme mettent à jour les mal-versations de l’administration bush. Seul film américain de la compétition, fair game réunit Sean penn et Naomi watts dans ce qui s’annonce comme un thriller politique dans la

De rouille et D’oSSortie en salles le 17 mai 2012 - Réalisé par Jacques Audiard - Avec Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts, Armand VerdureDurée : 1 h 55 - Distributeur : UGC Distribution.

Aujourd’hui, délivré de l’obsession de la maîtrise et du chef-d’œuvre, grâce à Un prophète, Jacques Audiard s’attaque avec De rouille et d’os à un recueil de nouvelles de Craig Davidson, auteur déjà culte, en s’inspirant de la liberté d’un David Lynch ou de la folie d’un Tod Browning. L’onirisme timide des séquences de fantôme d’Un Prophète en représentait un avant-goût. Va-t-il pour la première fois complètement libérer son style ? Nouveau défi en perspective pour une passionnante œuvre en devenir.

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Tom n’aura de cesse de rejeter l’influence paternelle et de vouloir se tourner vers sa fibre artistique, héritée de sa mère.

Paradoxalement, son cinéma est clairement celui d’un monde d’hommes, la seule lumineuse exception étant pour l’instant celle de Carla, la secrétaire malentendante de Sur mes lèvres, comparable à Alice n’est plus ici, où se trouve le seul personnage féminin principal de toute l’œuvre de Scorsese. On sent Audiard fasciné par le filmage des hommes, (la masculinité adolescente, représentée dans ses premiers films par Mathieu Kassovitz, ou Tahar Rahim dans Un prophète, à l’opposé des modèles machistes de la virilité triomphante). Mais il ne s’agit pas la plupart du temps d’homosexualité décomplexée, mais de proche camaraderie, comme dans Rio Bravo de Hawks (la prison du Prophète ou les agents immobiliers de De battre mon cœur s’est arrêté). Cette fascination pour les personnages de jeunes gens en devenir lui permet de tourner autour de cette zone d’androgynie de l’artiste, déjà entrevue dans l’Heure du loup ou De la vie des marionnettes de Bergman, sans s’y attarder, sauf en quelques occasions plus explicites, (la discussion de Simon Hirsch et du prostitué homosexuel dans Regarde les

hommes tomber, le personnage du Capitaine dans Un héros très discret).

Le syndrome de l’imposteur

En venant recevoir son Grand Prix pour Un prophète, Audiard a eu cette phrase : « je me sens un peu comme un imposteur », sentence révélatrice d’un fil directeur de son œuvre qui prend directement sa source dans sa biographie. Fils de Michel Audiard, il n’a souvent pas su si on l’estimait pour ses propres qualités ou si on l’embauchait et tolérait sa présence car il était « le fils de ». D’où le fait de ne pas se sentir à la hauteur ou d’usurper la place d’autres. Il replacera cette sensation de malaise existentiel dans nombre de ses films : Albert Dehousse, le héros très discret, deviendra une grande figure de la Résistance, sans même avoir participé au moindre combat ; Tom, l’agent immobilier, souffre de vivre dans un milieu de petites frappes sans foi ni loi et ne pense qu’à la musique et ses cours de piano

avec sa répétitrice vietnamienne ; enfin Malik devra faire contre mauvaise fortune bon cœur et servir dans sa prison le camp des Corses pour pouvoir survivre.Un héros très discret représente une sorte de démonstration de la mythomanie poussée au plus haut niveau, version avant l’heure de l’Adversaire ou de l’Emploi du temps. La différence essentielle sera que, dans ces deux

derniers films, l’imposture est envisagée sous un mode tragique, alors qu’elle est vécue sur un mode léger, voire ironique, n’ayant pas de conséquences négatives, dans l’histoire d’Albert Dehousse. Un héros très discret est un peu à part dans la filmographie de Jacques Audiard, car il lui permet de rendre hommage à Scorsese (le Johnny écervelé de Regarde les hommes tomber pourrait être un écho du Johnny Boy névrotique de Mean streets) ou Coppola (la formation et la filiation), voire Hitchcock (la séquence où Carla lit sur les lèvres de Paul détenu dans l’appartement d’en-face renvoie à Fenêtre sur cour). En effet, Un héros très discret évoque un corpus de

références totalement différent qui ne reviendra pas dans l’œuvre postérieure d’Audiard : Woody Allen (le monologue face caméra de Jean-Louis Trintignant, les interviews faussement documentaires à la Zelig), Truffaut (Jules et Jim avec les deux femmes de la vie d’Albert Dehousse, réunies à la fin, ainsi que l’Homme qui aimait les femmes pour ce plan de jambes fétichiste qui suit cette réunion) ou, plus étonnant, Jean-Luc Godard, avec ce plan récurrent de formation à cordes tout droit sorti de Prénom Carmen.

L’Empire des signes

Les personnages d’Audiard doivent décrypter des signes pour avancer dans la jungle de la vie. Albert Dehousse réussit à se faire passer pour ce qu’il n’est pas, car il a développé une mémoire étonnante des noms et des lieux de la Résistance. De plus, il sait identifier du premier coup les interlocuteurs qu’il rencontre pour la première fois. Dans le film suivant, Carla, en

tant que malentendante, a appris à lire sur les lèvres de tous ceux qui l’entourent. Pour jouer une toccata de Bach, Tom doit déchiffrer les signes d’une partition. De ce déchiffrage,

dépendra la suite de son destin. En prison, Malik doit se servir de son intelligence et interpréter tous les signes qui lui sont proposés pour faire son chemin.

Pour Audiard, « le cinéma doit certifier le réel ». Il a commencé avec un film noir assez abstrait, Regarde les hommes tomber. Un héros très discret se présentait également comme une fantaisie historique, assez déconnectée de la réalité. Audiard, après ces deux premiers films remarquables, réalisés en deux ans, a tout de suite senti le danger que représentait la perfection formelle d’Un héros très discret: faire ainsi un cinéma de scénariste, extrêmement bien calibré mais dépourvu de sens profond, car n’étant pas relié au réel. Il s’est donc remis en question et a mis cinq ans pour tourner son troisième film, Sur mes lèvres, touchant ainsi le grand public, pour la première fois, en donnant la priorité aux personnages sur le cadre et en rattachant l’intrigue à un contexte réaliste (la description de la vie de bureau, avec ses coups de fil, ses photocopies et sa cantine, est très bien vue). Depuis il a confirmé cette inscription de son cinéma dans le réalisme, avec les agents immobiliers véreux de De battre mon cœur s’est arrêté, prolongement de l’agence immobilière de Sur mes lèvres, la prison d’Un prophète et son casting à moitié arabe, témoignant d’une France alors peu décrite, permettant d’atteindre un point culminant dans ce processus. Audiard est considéré comme un remarquable directeur d’acteurs. De Trintignant, Yanne et Kassovitz, à Tahar Rahim, en passant par Emmanuelle Devos, Vincent Cassel, Romain Duris et Niels Arestrup, (on attend avec intérêt dans son nouveau film Marion Cotillard en éclopée, accompagnée par Matthias Schoenaerts, révélation de Bullhead), ses comédiens délivrent tous des performances exceptionnelles, du professionnel le plus chevronné au débutant le plus absolu. Il a su s’entourer de collaborateurs fidèles (Alexandre Desplat pour la musique, Juliette Welfling pour le montage, Alain Le Henry, Tonino Benacquista ou Thomas Bidegain pour le scénario). Tout aussi capable d’adapter des romans ou des films (Un héros très discret, le roman de Jean-François Deniau, Fingers le film de James Toback) que d’écrire des scénarios originaux (Sur mes lèvres, Un prophète), Audiard fait reposer son style sur l’enchaînement des situations, l’intérêt des personnages et la justesse du montage. Il ne fera jamais de grands mouvements d’appareil ni de démonstration de pure virtuosité technique. Le culte de la belle image lui est quasiment étranger. La mise en scène doit avant tout coller aux personnages et se mettre à leur service. David Speranski

Un roman de formation

Ce qui frappe et retient d’emblée l’attention dans les films de Jacques Audiard, c’est leur présentation

de personnages mal dégrossis, en quête de (re)pères et qui vont apprendre des choses essentielles pour leur survie. Leur apprentissage sera ainsi parallèle au notre : ils vont découvrir leur histoire, tout comme nous sommes invités à y progresser.

Sous l’aile protectrice de Max, Johnny, légèrement demeuré, va apprendre la débrouille et devenir un tueur (Regarde les hommes tomber). Albert Dehousse deviendra un héros de la Résistance, sans avoir jamais combattu, en pratiquant le mensonge comme un instrument de survie (Un héros très discret). Dans Sur mes lèvres, Paul, sortant de prison, essaiera de se plier aux lois de l’univers professionnel tandis que Carla sera amenée à se débrouiller dans un univers de petits truands. La même confusion d’univers sera à l’œuvre dans De battre mon cœur s’est arrêté où Tom, agent immobilier véreux, tentera de changer de vie, en se lançant désespérément dans la préparation d’une audition musicale. Enfin, Malik ne cessera d’apprendre en prison et d’utiliser son intelligence, avec l’opportunisme de la survie (Un prophète).Les personnages d’Audiard sont en constant apprentissage et ne cessent de progresser, ce qui les rend d’emblée sympathiques au spectateur qui a ainsi l’impression d’accomplir

le même parcours gratifiant. Ce parcours de formation, c’est celui de Jacques Audiard, écrivant des scénarios avec son père Michel (dont le cultissime Mortelle randonnée du regretté Claude Miller), s’essayant au montage et assistant des cinéastes aussi réputés que Roman Polanski ou Patrice Chéreau. Le cinéaste avoue avoir été quasiment autiste jusqu’à l’âge de 40 ans et avoir appris à s’exprimer grâce au cinéma. A chaque étape

de sa carrière, il aura progressé : se libérant de la tyrannie du cadre et de la tentation de l’académisme dans Sur mes lèvres, s’affranchissant du scénario pour De battre mon cœur s’est arrêté et en terminant dans Un prophète avec les spectres envahissants de la maîtrise, du chef-d’œuvre et de la perfection.

Se libérer de l’ombre du père

Il est impossible d’omettre la filiation de Jacques Audiard : fils d’un des plus grands scénaristes-dialoguistes du cinéma français, Michel Audiard, il confessera avoir au final peu de choses en commun avec l’univers artistique de son père. Dans les années 60, Michel Audiard était devenu le dialoguiste attitré de Jean Gabin et un des représentants de la Qualité française tant honnie par la Nouvelle vague, avant d’être redécouvert pour les films truculents de Georges Lautner

(Les tontons flingueurs, Les barbouzes). En revanche, chez Jacques Audiard, peu de tentations du mot d’auteur. Le talent d’Audiard fils se concentre sur les situations et les enchaînements. On sait aujourd’hui par Claude Miller que l’essentiel de Mortelle randonnée venait de Jacques Audiard. Complètement à l’opposé de la comédie franchouillarde, le cinéaste est fasciné par les films de genre (4 sur 5 de ses films, la seule exception étant Un

héros très discret) et vénère des cinéastes américains, Scorsese ou Coppola, dont on retrouve l’influence extrêmement bien digérée

dans ses films. Aujourd’hui, cinéphile avisé et sélectif, il cite comme cinéastes marquants James Gray (qui fut le plus ardent défenseur d’Un prophète dans le jury cannois 2009, belle coïncidence), Tarantino, Nicolas Winding Refn, Tomas Alfredson ou encore Bong Joon-Ho.

Par conséquent, on retrouvera dans ses films des personnages de jeunes hommes en quête de figure paternelle, celle-ci étant souvent vécue comme autoritaire et assez dépourvue de tendresse (Max par rapport à Johnny dans Regarde les hommes tomber) et allant même jusqu’à des rapports de domination et d’asservissement (César et Malik dans Un prophète). Dans Regarde les hommes tomber, toute l’histoire peut finalement se résumer en un changement de père pour Johnny, de Max à Simon Hirsch. Lorsque Jacques Audiard filmera le seul véritable lien père-fils de son oeuvre, dans De battre mon cœur s’est arrêté,

jacqueS auDiarD, uN ciNeaSte trop DiScretJacques Audiard : six films en quinze ans, un premier à l’âge de 42 ans, une discrétion médiatique inverse-ment proportionnelle à la reconnaissance grandissante de ses films, tous récompensés soit au Festival de Cannes, soit aux César, et tous plus réussis l’un que l’autre. A l’heure où De rouille et d’os, son sixième film, est présenté en sélection officielle à Cannes, revenons sur toute son œuvre passée. Comment en une quinzaine d’années, devenir un auteur essentiel au cœur du cinéma français, occupant la place qui était celle d’un Truffaut ou d’un Bertrand Blier en son temps, telle est la belle histoire de Jacques Audiard.

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« Un auteur essentiel au cœur du cinéma français »

« Son cinéma est celui d’un monde d’hommes »

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de Doug liman (etats-unis)

un ex ambassadeur et sa femme mettent à jour les mal-versations de l’administration bush. Seul film américain de la compétition, fair game réunit Sean penn et Naomi watts dans ce qui s’annonce comme un thriller politique dans la

De rouille et D’oSSortie en salles le 17 mai 2012 - Réalisé par Jacques Audiard - Avec Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts, Armand VerdureDurée : 1 h 55 - Distributeur : UGC Distribution.

Aujourd’hui, délivré de l’obsession de la maîtrise et du chef-d’œuvre, grâce à Un prophète, Jacques Audiard s’attaque avec De rouille et d’os à un recueil de nouvelles de Craig Davidson, auteur déjà culte, en s’inspirant de la liberté d’un David Lynch ou de la folie d’un Tod Browning. L’onirisme timide des séquences de fantôme d’Un Prophète en représentait un avant-goût. Va-t-il pour la première fois complètement libérer son style ? Nouveau défi en perspective pour une passionnante œuvre en devenir.

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TOP PALMES D’OR COUPS DE COEUR DE LA REDACTION

1949

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leS parapluieS De cherbourg réalisé par jacques Demy - Sortie en salles le 19 février 1964 - avec catherine Deneuve, Nino castel-nuovo, anne vernon

Triptyque musical en bord de mer, Les Parapluies de Cherbourg invite em-bruns, couleurs et amours romanesques à se blottir contre les chansons de Michel Legrand. Ancrée dans un questionnement sociologique et la réalité de la guerre d’Algérie, l’histoire de Geneviève et Guy penche cependant vers l’onirisme et le décalage, marques de fabrique de feu Jacques Demy (Les Demoiselles de Rochefort, Peau d’âne...). Outre la Palme d’or qu’il obtient en 1964, ce conte populaire a marqué les esprits français et internationaux, voy-ageant au gré du vent et du temps.

Ariane Picoche

LE TROISIEME HOMMERéalisé par Carol Reed - Sortie en salles le 12 octobre 1949 - Avec Joseph Cotten, Alida Valli, Orson Welles

En 1949, la Palme d’or n’existait pas. Le meilleur film noir de l’histoire du cinéma (ou l’un des meilleurs, si la dithyrambe vous embête) avait donc été récompensé du Grand prix du Festival international de Cannes. Vienne de l’après Seconde Guerre mondiale, trafic de médocs, en-quête dopée au suspense : autant d’arguments magiques qui s’articulent autour d’un scénario costaud, de cadrages innovants, d’une musique culte (jouée à la cithare par Anton Karas). Et en prime, Monsieur Orson “Citizen Kane” Welles dans le rôle du méchant. A (re)découvrir d’urgence, si ce n’est toujours pas fait.

Ariane Picoche

DaNcer iN the Dark réalisé par lars von trier - Sortie en salles le18 octobre 2000 - avec björk, catherine Deneuve, peter Stor-mare...

Moins bouleversant que Breaking the waves, moins délirant que les Idiots, moins dogmatique que Dogville, Dancer in the dark possède néanmoins le privilège d’être à ce jour le seul film de Lars Von Trier couronné par la Palme d’or. Enfant gâté de Cannes, le terrible danois avait misé cette année-là sur une version musicale de Breaking the waves, mettant en scène Björk pour son seul rôle au cinéma. A l’époque, le film avait même terrassé In the mood for love de Wong Kar-Wai, la tragédie musicale prenant le pas sur la valse lente des amants. Que reste-t-il aujourd’hui de Dancer in the dark? Une intrigue de mélodrame improbable et une interprétation stupéfiante de l’Islandaise. Toutes les séquences de tragédie musicale, filmée à cent caméras, qui déchirent souvent le cœur et ont réinventé le genre. Une chanson, I’ve seen it all, moment de grâce absolu, où Selma-Björk devenant aveugle, renonce à tout ce qu’elle a pu voir, sans pathos et avec la légèreté des anges. Une fin, où la voix s’interrompt à jamais, et renvoie cruel-lement le spectateur au silence. D.S.

elephaNt réalisé par gus van Sant - Sortie en salles le 22 octobre 2003 - avec alex frost, john robinson, elias mcconnell ...

Partant d’un fait divers américain glaçant, la fusillade du lycée Columbine (deux ados qui flin-guent douze de leurs camarades et un professeur), Gus Van Sant (Will Hunting, Gerry, Para-noid Park...) compose ici un ballet fantomatique où la violence sourde s’aligne sur l’ingénieuse (in)temporalité. S’étale ainsi le labyrinthe de la cruauté, celui où l’être humain peut se perdre, peut perdre la raison. Palme d’or et Prix de la mise en scène à Cannes en 2003, objet beau, objet terrible, Elephant engendre à chacun de ses visionnages une fascination renouvelée.

A.P.

2001

1964

2003

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DoSSier

la Dolce vita réalisé par federico fellini - Sortie en salles le 11 mai 1960 - avec marcello mastroianni, anita ekberg, anouk aimée...

Bien que Palme d’Or “à l’unanimité” cette année-là, le film de Fellini n’en fut pas moins hué par une partie de la presse. Situé dans le Rome des années 50, La Dolce Vita suit les pérégrinations de Marcello Rubini (Marcello Mastroianni), jeune journaliste dans une revue à scandales.Film baroque du maître Fellini, La Douceur de vivre (titre français de l’époque) marque une étape décisive dans la carrière du cinéaste qui semble s’écarter de la patte néo-réaliste reine en Italie. La structure décousue du récit, composée de douze séquences, ressemble à un instantané du paysage social et politique. Le scénario labyrinthique venant s’opposer au fascisme régnant en Italie à l’époque. Au fur et à mesure que Marcello s’enfonce dans les rues romaines, la perte de repères s’accentue. Seul ancrage pour le spectateur, un homme dont les idéaux sont mis à l’épreuve. Dur de se retrouver dans ce labyrinthe mental, où l’énergie du cinéma de Fellini règne en maître, tant dans son regard sur la religion que celui porté sur la jeunesse italienne et son peuple en péril. Les pseudos intellectuels, et le monde des paparazzis ne seront pas épargnés par la caméra du Maitre qui franchit donc la dernière étape avant son chef d’œuvre : 8½.

R.D.

bartoN fiNk réalisé par joel coen - Sortie en salles le 25 septembre 1991 - avec john turturro, john goodman, judy Davis ...

Certainement le plus grand film des frères Coen, Barton Fink nous plonge dans l’enfer d’un dramaturge en mal d’inspiration. La moiteur qui s’échappe de la pellicule, les ca-drages fixes qui témoignent de l’engluement du héros, l’humour grinçant (que les deux auteurs maîtrisent, ici, à la perfection), autant d’ingrédients qui nous piquent jusque dans la chair ; autant d’ingrédients qui façonnent notre culte pour cette comédie noire dans laquelle vagabonde l’ombre de Faulkner et de Dante. Prix de la mise en scène en 1991, Barton Fink entre dans la cour des grands avec honneur. Il fait désormais partie de ces films éternels, de ceux qui, à chaque visionnage, nous procurent encore des émotions fortes. Une ballade sombre dans l’esprit torturé d’un Turturro au sommet de son art - l’ac-teur ayant été récompensé pour son génie. Car Turturro donne à Barton Fink un visage fort, appuyé par des lunettes rondes qui tentent d’atténuer l’angoisse tapie au fond de ses yeux - cette peur, collante, de voir le monde s’effondrer sous ses pieds. Les frères Coen, brouillent fantasme et réalité pour décrire l’état de confusion d’un homme qui n’est jamais à sa place, qui suffoque au contact des autres. Le portrait est flamboyant. «Sa place est dans un musée» comme dirait Indiana Jones... Ava Cahen

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pariS, texaS réalisé par wim wenders - Sortie en salles le 19 septembre 1984 - avec harry Dean Stanton, Nastassja kinski, hunter carson...

Le visage de Nastassja…Comment l’oublier? Traverser les Etats-Unis pour le revoir, revoir son visage, la revoir, elle. Même à travers le miroir sans tain d‘un peep-show sordide où nous rejouons la tragédie d‘Orphée et d‘Eurydice. Sauf que cette fois-ci, ce n’est pas elle qui me dit « ne te retourne pas » mais moi qui décide de me retourner une dernière fois sur mon passé. Une dernière fois devant le bonheur disparu, une ultime fois sur l’amour effondré. Je lui rends l’enfant, notre enfant, le fruit de notre amour défunt qui ne l’a jamais connue. Pour cela, il a fallu apprivoiser mon fils, redevenir le père que je n’ai jamais été pour lui. Affronter le désert mexicain, revenir de nulle part, tel un déterré face au soleil aveuglant de la vérité. Personne ne saura jamais où j’ai été pendant ces quatre ans. Peu importe. J’ai couru, j’ai fui le bonheur. J’ai vomi la violence qui m’habitait, la jalousie qui m’empoisonnait. Ce visage, le voir était une félicité et en même temps une souf-france. Le visage de Nastassja. Elle s’appelle Jane dans le film, ce n’est que du cinéma. Pourtant je me souviens de cette histoire comme si je l’avais vécue… David Speranski

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réalisé par martin Scorsese ; Sortie en salles le 2 juin 1976 - avec robert De Niro, harvey keitel, jodie foster...

A l’époque où Scorsese, De Niro et Keitel ne formaient qu’une seule et même personne, le cinéaste a eu le bon goût de nous livrer son œuvre la plus réus-sie, et ses acteurs fétiches leurs plus belles partitions. Le fameux « Are you talking to me ? » entonné par Bob devant son miroir est gravé à jamais dans les mémoires cinéphiliques. La noirceur du parcours de Travis Bickle, ancien soldat fraichement revenu du Viet Nam, fournit le matériau parfait à un Martin Scorsese qui vient tout juste de connaître le succès pour Alice n est plus ici. L’incarnation de la solitude urbaine, tiraillée entre le spectacle d’un New York nocturne violent et l’impossibilité de se fondre dans la masse, transpire du re-gard vitreux d’un De Niro habité, au sommet de son Art (De Niro, entre 74 et 84 vécut sa décennie majeure en livrant ses meilleures interprétations, et mar-quera durablement de son empreinte de caméléon le cinéma contemporain).Travis Bickle est pris dans un étau de violence, rejeté par la société et notam-ment par son idéal féminin (Cybill Sheperd ) qu’il s’est mis en tête de séduire. Le conflit interieur d’un traumatisé, inadapté ne pouvait que se conclure dans une explosion de violence contrastant avec la lenteur calculée des trajets mé-lancoliques filmés avec une urgence encore aujourd’hui hypnotisante (et ce entre autres grâce à la musique de Bernard Herrmann, dont il s’agit de l’ultime création)En miroir, Rambo (et bien d’autres oeuvres phares du cinéma américain des années 70 /début 80), un autre marginal, traite d’une manière sensiblement opposée l’impossible réinsertion des anciens du Viet Nam. C’est bien le ci-néma qui parlera le mieux du traumatisme Vietnamien, séquelle de la folie guerrière du gouvernement américain qui jeta ses jeunes générations dans la gueule d’un conflit dont elles n’ont que faire. Les cinéastes américains se sont largement employés à représenter le drame de cet après-guerre, mais aussi la guerre elle même là où les français ont plutôt réagi dans le déni et le mu-tisme concernant les guerres d’Algérie et d’Indochine (rares sont les films qui traitent ces deux conflits dans le cinéma hexagonal). Deux manières de réagir différentes, face à des fractures similaires, l’une rongeant les âmes en silence, l’autre dévorant la pellicule de son cri expiatoire. Romain Dubois

Film adopté par tous les adeptes du “cool style” bien plus que par ceux du rock n’roll, Pulp Fiction combine une nonchalance savamment cultivée et une virulence essentiellement langagière, hors du commun. Censé être un film d’action et de gangsters, le deuxième film de Tarantino joue déli-bérément avec les codes et se complait habilement dans de savoureuses séquences de bavardages à rallonge (la sequence anthologique où Jules et Vincent passent dix minutes à parler de massage de pieds et de chee-seburgers, avant d’entrer dans l’appartement de celui qu’ils sont charges de tuer). Tous les éléments du film ou presque ont été fétichisés à l’extrême et co-piés à n’en plus finir: la bande originale, grande réussite musicale de ces vingt dernières années, rassemble des morceaux surf, pop et soul peu connus, petites perles dénichées par Tarantino qui, en as de la compil’ et du remix, s’avère au moins aussi bon DJ que cinéaste; les coiffures de Travolta et d’Uma Thurman, la dégaine de Samuel L. Jackson; les dialo-gues mijotant à feu doux et écrits avec un soin d’orfèvre, citant la Bible ou le bouddhisme; la construction déstructurée, à la manière du Faulkner du Bruit et de la fureur, peu habituelle dans un film de genre, mille fois imitée, jamais égalée. Le film gagne beaucoup à être revu car, contrairement aux apparences, chaque detail compte et Tarantino laisse au spectateur le soin de devenir le scénariste de son propre film et de le réorganiser mentalement. Pourtant toute cette virtuosité s’avérerait vaine si Pulp Fiction n’était pas finalement une histoire d’amour platonique, discrètement sous-exposée. Le cœur secret du film reside en effet dans la relation inachevée entre une femme déjantée et son garde du corps. Malgré leurs fonctions sociales, Mia Wallace et Vincent Vega sont attirés l’un vers l’autre et le film laisse tout la durée à cette relation née sous le signe du devoir (Vincent est tout de meme en service commandé) pour s’épanouir sous nos yeux en temps réel. Le fait qu’elle reste inexprimée et tristement interrompue par les brisu-res du temps et du scénario, ne la rend alors que plus émouvante.

David Speranski

taxi Driver

pulp fictioNréalisé par quentin tarantino - Sortie en salles le 26 octobre 1994 - avec john travolta, Samuel l. jackson, uma thurman...

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apocalypSe Nowréalisé par francis ford coppolaSortie en salles le 26 septembre 1979 - avec martin Sheen, marlon brando, Dennis hopper...

Cannes, printemps 1979. Au cœur de l’ancien Palais du Festival, Francis Ford Coppola se dirige nerveusement vers un microphone et s’adresse à un auditoire impatient. Dans un élan théâtral, il envoie une première mis-sive: « My film is not about Vietnam. My film is Vietnam. ». Sa seconde sera une furieuse décharge ci-nématographique de plus de 120 minutes intitulée Apoca-lypse Now, qui ébranla les festivaliers, partagea la Palme d’or (en compag-nie du Tambour de Völker Schlön-dorff) et entra illico dans la légende. Ainsi s’achevait l’odyssée-martyr d’un cinéaste herculéen, et, avec son cauchemar devenu monument, l’ère des productions mégalomanes, celle du Fitzcarraldo de Werner Herzog, du Barry Lyndon de Stanley Kubrick et du Novecento de Bernardo Bertolucci, en plus d’anticiper la vague de films sur le Vietnam des années 1980.Après Voyage au Bout de l’Enfer de Mi-chael Cimino en 1978 et avant Platoon d’Oliver Stone, en 1985, deux chro-niques sur les ravages de la guerre du Vietnam sur une Amérique en pleine reconstruction psychologique (fin du conflit en Corée, assassinats de Ken-nedy et de Martin Luther King…), le film de Coppola traite ce contexte

sous un angle différent. Cette œuvre démesurée introduit un propos auda-cieux doublé d’une brillante démon-stration sur la futilité de la guerre et de son barbarisme. Magistral ou hal-luciné, ce cinéaste de génie orchestre un fascinant opéra baroque mêlant le psychédélisme et le mysticisme pour entraîner le spectateur dans les pro-fondeurs de l’âme humaine. Musique presque en continu, rythmique impla-cable de ronde de mort, rideaux de

fumées roses que l’on doit franchir en permanence, bande-son de jungle ir-réelle, déflagrations pyrotechniques, l’eau et le feu, la mort et le fun, in-diciblement mêlés, rock’n’roll, surf et massacre. Apocalypse Now est avant tout – et encore aujourd’hui - une aventure sensorielle qui plonge en profondeur dans la psyché humaine.

Ce river-movie considéré à sa sortie comme le « trip ultime », plus que comme un film de guerre classique, amena de nombreuses controverses à propos de la nature profondément subjective d’Apocalypse Now, qui off-rait du conflit vietnamien l’image d’une messe noire posthippie, parsemée de fulgurances pop, de morceaux de bravoure saugrenus : le début du film avec le bruit des hélicos mixé au lanci-nant The End des Doors, l’attaque de

la cavalerie aéroportée au son de La Chevauchée des Walkyries de Wag-ner, et enfin le sacrifice final… Cop-pola exprimait ainsi la fin du « Flower Power » et du « Peace and Love », le basculement de l’hédonisme de Woodstock dans le sadisme de Gimme Shelter, la montée de la « sympathie pour le Diable ». Apocalypse Now était moins une description factuelle de la guerre, qu’une traduction in-spirée de l’état mental de l’Amérique

au milieu des années 70, après que tous les rêves libertaires se sont effondrés, noyés dans

le cauchemar postcolonial.

On est frappé par la tonalité à la Or-son Welles d’Apocalypse Now, à la fois sur le plan formel (l’utilisation de la voix off, les longs travellings déam-bulatoires, la subdivision du récit) et sur le plan narratif. La recherche sans cesse différée du mystérieux Kurtz ressemble un peu à l’enquête sur l’insaisissable Charles Foster Kane. Impression corroborée par le fait que le premier film de Welles devait être à l’origine une adaptation du Cœur des ténèbres de Joseph Conrad, dont il avait rédigé le scénario complet. Ce projet mort-né de Welles est donc de-venu un immense film de Coppola, représenté dans toute son ampleur et sa beauté sauvage. Olivier Fournel

« Le trip ultime »

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CRONENBERG, VISIONNAIRE DU VIRTUEL

Avec Cosmopolis, Cronenberg semble revenir au cinéma qu’il affectionne, le parcours de cette Chute Libre dans un New York apocalyptique. A Dangerous Method l’avait confronté à l’archéologie de son cinéma : la pulsion sexuelle, l’hystérie et l’inaccomplissement de l’amour. Cosmopolis, son vingtième film, lui permet de contempler pour la première (véritable) fois le monde qui nous entoure, malade de l’argent-roi et soumis à la dictature de la crise financière. Le choix de Robert Pattinson, loin de ses rôles précédents, semble guidé par son physique tout cronenbergien, ambigü et mystérieux, sombre et insolent. Comme pour Mortensen, l’acteur-fétiche du Cronenberg des années 2000, Pattinson sera-t-il le nouveau moteur des années 2010, opérant un virage dans la carrière pour le moment mineure du jeune acteur ? A voir. En attendant, si Cronenberg a déjà reçu le prix du jury pour Crash en 1996, on lui souhaite d’accéder aux sommets cannois, récompensant, de même que Malick l’an passé, l’intégrité d’une oeuvre riche et complexe dont les tissus arachnéens ont encore beaucoup à révéler. R.D.

Le masque du film de genre

David Cronenberg représente en effet un espoir infini pour tous les cinéastes de série B, voire Z, qui réalisent des

films gore à la chaîne. C’est l’un des rares avec Brian De Palma et Sam Raimi à avoir transcendé le film d’horreur et à être devenu un cinéaste reconnu comme l’un des plus im-portants du cinéma contemporain. Il a pourtant commencé sa carrière avec trois films de gen-re, Frissons, Rage, Chromosome 3, à décon-seiller aux âmes sensibles, où les chairs puru-lentes, les excroissances monstrueuses et les plaies sanguinolentes pullulent. Ces films des années soixante-dix sont encore formidable-ment efficaces et ont influencé toute la produc-tion ultérieure du film d’horreur, à commencer

par la série classique des Alien. Il est impossi-ble de ne pas réagir physiquement à ces films. Ensuite, de Scanners à Spider, un véritable auteur s’est révélé, exploitant les structures dramatiques les plus diverses et réalisant de nombreux chefs-d’œuvre. Cronenberg a sou-vent expliqué que le film de genre lui avait per-mis de s’exprimer plus librement et de commu-niquer des obsessions avec plus de facilité à un large public. Identité, famille et écriture

Au départ, Cronenberg souhaitait devenir écri-vain. Il a toujours considéré l’écriture comme l’art absolu. Ceci explique qu’il ait adapté bon nombre d’œuvres littéraires : Le Festin nu de Burroughs, Spider de Patrick McGrath, A

Dangerous Method de Christopher Hampton, et aujourd’hui Cosmopolis de Don DeLillo. Néanmoins, il se révèle plus à l’aise lorsque le matériau littéraire est a priori « modeste », comme pour la magnifique adaptation de la nouvelle de Stephen King The Dead Zone ou Crash de James G. Ballard. Dans les autres cas, l’ambition littéraire des livres qu’il choisit semble l’intimider, et il se croit obligé de re-transcrire en entier des passages superflus alors qu’une trahison totale de l’œuvre aurait peut-être été souhaitable.

Chez Cronenberg, le personnage principal possède souvent une identité clivée, allant parfois jusqu’à la schizophrénie (Spider). René Gallimard dans M. Butterfly semble ainsi combattre une homosexualité refoulée.

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Les frères jumeaux, Elliot et Beverley Mantle équilibrent la timidité de l’un par l’assurance de l’autre (Faux-semblants). Seth Brundle va devenir peu à peu une mouche géante dans La Mouche, qui est une version très person-nelle de La Métamorphose de Kafka. Dans les deux derniers grands succès de Cronenberg, Viggo Mortensen est un bon père de famille américain (A history of violence) et un chauf-feur d’origine russe vivant à Londres (Les Pro-messes de l’ombre), mais a une autre facette, que le développement de l’intrigue va nous dévoiler au compte-goutte.

Dire que Cronenberg se proclame un chantre

de la famille dans ses films serait quelque peu exagéré. Pour un réalisateur qui travaille tou-jours avec les mêmes collaborateurs [sa di-rectrice artistique Carol Spier, le monteur Ro-nald Sanders, Peter Suschitzky à la photographie, Denise Cronenberg, sa sœur, pour les costumes, Cassandra, sa fille, comme assistante à la mise en scène et surtout le musicien Howard Shore (la collaboration Cronenberg-Shore est aussi réussie et remar-quable que celle de Lynch-Badalamenti ou Burton-Elfman)], ses films nient toute notion de célébration de la famille. Chromosome 3 est une œuvre de vengeance, réalisée après le divorce de Cronenberg, qui dresse une des-cription terrifiante des rapports entre divorcés (Cronenberg a avoué qu’il s’agissait de son Kramer contre Kramer). Dans Scanners, deux frères télépathes sont dressés l’un contre l’autre par leur père, un scientifique irrespon-sable. Les jumeaux Mantle s’aiment et se dé-testent d’une seconde à l’autre. Johnny Smith (The dead zone) ne pourra jamais fonder une

famille, sa petite amie s’étant mariée pendant ses cinq longues années de coma. Spider a tué sa mère et croit que son père a commis le meurtre. La scène réunie à la fin de A history of violence n’est qu’un leurre qui recouvre un immense mensonge. Dans les Promesses de l’ombre, Nikolaï ne pourra se résoudre à rejoin-dre la famille qui l’attend, formée par Anna et la petite fille. Idem pour Carl Jung qui n’épou-sera jamais Sabina Spielrein. Le ménage de Crash, James et Catherine Ballard, bat de l’aile et ne peut être réactivé que par l’arrivée d’un tiers, Vaughan, ou par la tentation maso-chiste des accidents de voiture. Enfin, l’idée de la famille, particulièrement monstrueuse

chez Seth Brundle (La Mouche) consiste à fu-sionner génétiquement en tant que Brundlefly avec son amoureuse et son bébé.

Renaissance et mutation

Les héros de Cronenberg renaissent souvent suite à un accident. Dans Rage, après un acci-dent de moto, la jeune femme interprétée par Marilyn Chambers subit une greffe de peau qui échoue ; un parasite va éclore sous son bras et pomper le sang d’autres personnes. Max Renn (comme renaissance) va se dé-couvrir une nouvelle identité, après avoir re-gardé Vidéodrome, un programme télévisé clandestin. Johnny Smith héritera de dons de médium, suite à son accident de voiture et ses longues années de coma. Viggo Morten-

sen cherche à renaître en reniant sa famille d’origine, dans ses deux premières collaborations avec Cro-nenberg, en particulier dans une séquence marquante où il exhibera ses tatouages à la mafia russe (Les Promesses de l’ombre). Spider va tenter de se réinventer en décou-vrant la vérité sur son passé. Ja-mes Ballard, après son accident de voiture, s’ouvre à de nouvelles for-mes de sexualité. René Gallimard ne sera plus jamais le même quand il tombera amoureux de Butterfly.

Les frères Mantle semblent se régénérer au contact l’un de l’autre. Dans eXistenZ, ceux qui participent au jeu virtuel renaissent de personnage en personnage. Sabina sera dif-férente après avoir été guérie de son hysté-rie. Enfin, la fusion entre Seth Brundle et une mouche fera de Brundle un être nouveau qui s’appellera Brundlefly.

Dans Crash, l’espérance de la renaissance s’exprime par cette réplique « Maybe the next one. », sur la recherche désespérée de l’or-gasme, de la « petite mort » qui permet de renaître, prononcée deux fois au début et à la fin du film. Le Festin nu montre aussi un couple, Bill Lee et sa femme, jouer au tour de Guillaume Tell : la femme arbore un verre ou une pomme sur sa tête, objet sur lequel le mari doit tirer. Bill tue sa femme par erreur, retrouve comme dans Vertigo un sosie de son épouse, et finit par lui tirer à nouveau dessus. La renaissance implique à chaque fois une mort antérieure.

Les personnages renaissent, mais appa-raissent comme des mutants aux yeux de la société. Seth Brundle en tête, mais aussi les télépathes de Scanners, le médium de The Dead zone, la jeune femme de Rage, les personnes contaminées de Frissons, la mère monstrueuse de Chromosome 3, Max

Renn qui entre une cassette vidéo ou une main dans son estomac (Vidéodrome), Claire Niveau, l’actrice trifide que se partage sexuellement les ju-meaux de Faux-semblants, Gabrielle (Rosanna Arquette),

l’handicapée arborant des prothèses dans Crash, et Viggo Mortensen, faisant preuve d’une adresse et d’une force surhumaines, il-lustrent tous cette théorie.

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FILMOGRAPHIE 2012 Cosmopolis 2011 A Dangerous Method 2007 Les Promesses de l’ombre 2005 A History of Violence 2002 Spider 1999 eXistenZ 1996 Crash 1994 M. Butterfly 1992 Le Festin nu 1988 Faux-Semblants 1987 La Mouche 1984 Dead Zone 1983 Videodrome 1981 Scanners 1979 Fast Company 1979 Chromosome 3 1976 Rage 1974 Frissons 1969 Crimes of the Future 1969 Stereo 1967 From the Drain 1966 Transfer

« Impossible de ne pas réagir physiquement à ses films »

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Dead Zone

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Longue vie à la nouvelle chair

L’œuvre de Cronenberg, incroyablement sexuelle, défie à de nombreuses reprises la censure. Dès le départ, cette histoire de contamination par des parasites (Frissons) entraîne une rage sexuelle sans freins. Rage, c’est le cas de le dire, enfonce davantage encore le clou. James Woods, dans Vidéodrome, est ini-tié aux plaisirs et souffrances du sado-masochisme par Déborah Harry, la chanteuse de Blondie. Les frères jumeaux Mantle s’échangent les femmes avec une indifférence sans pareille. La folle anecdote de M. Butterfly repose sur une ambi-guïté sexuelle atypique. Miranda Richardson interprète dans Spider à la fois les rôles de la maman et de la putain. Cronenberg filme dans A history of violence une superbe séquence où Maria Bello, séduite par la part d’ombre de Viggo Mortensen, se jette sur son mari de manière éperdue. Les bioports figurent dans eXistenZ des orifices au bas du dos qui permettent de se connecter aux jeux virtuels inventés par

Allegra Geller. Les Promesses de l’ombre montrent Nikolaï se faire attaquer nu dans un sauna par deux hommes, ce qui peut laisser le champ libre à des interprétations de corps à corps homosexuels.

Comme l’indiquait Vidéodrome, il s’agit pour Cronenberg d’inventer une nouvelle sexualité

et de proclamer « longue vie à la nouvelle chair ». Pour lui, le corps est la seule réalité tangi-ble. En témoigne le corps tourmenté de Sabina Spielrein (Keira Knightley) dans A Dangerous Method, film qui fournit une explication de tex-te historique et psychanalytique à toute son œuvre. C’est sans aucun doute dans Crash

qu’il est allé le plus loin sur ce terrain. Ce film, étrangement froid et torride en même temps, est l’un des plus choquants de ces dernières années. Un peu inégal, il comporte pourtant des instants de pure sidération : la scène où Catherine fait l’amour avec James, tout en fantasmant une relation homosexuelle entre son mari et Vaughan, est d’un érotisme fou ;

celle du lavage de voiture est ma-gnifiquement mise en scène, tout comme la séquence où Gabrielle (Rosanna Arquette) rend visite à un vendeur de voitures. Deborah Unger, l’interprète de Catherine, s’impose à merveille dans le rôle de la femme mariée, avec sa voix chuchotée, son regard las et reve-nu de tout, et sa plastique impec-cable. Si Cronenberg avait un peu recentré Crash sur le personnage de Catherine, il aurait sans doute

atteint le chef-d’œuvre. En effet, la fascination morbide pour les accidents de voiture sur la-quelle il s’attarde (un peu trop) n’est en fait qu’un prétexte pour masquer le véritable su-jet, qui se lit dans les yeux de Deborah Unger : la lassitude dans le couple.

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de Doug liman (etats-unis)

un ex ambassadeur et sa femme mettent à jour les malversa-tions de l’administration bush. Seul film américain de la com-pétition, fair game réunit Sean penn et Naomi watts dans ce qui s’annonce comme un thriller politique dans la lignée du ré-cent green zone de paul green-grass.

coSmopoliSSortie en salles le 25 mai 2012 - réalisé par David cronenberg - avec robert pattinson, juliette binoche, paul giamatti - Durée : 1 h 48 - Distributeur : Stone angels.

Une journée dans la peau d’Eric Packer, un golden boy « invincible » qui va assister à la chute de son empire… Nouvelle adaptation pour David Cronenberg qui s’attaque ici au roman du célèbre Don DeLillo. Aux côtés de Robert Patttiiinnnsssooonnn, se tiennent (et on en est fiers) Juliette Binoche et Mathieu Amal-ric, entre autres. L’un des films les plus attendus de l’édition cannoise 2012.

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Chromosome 3

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Un visionnaire du virtuel

Comme le montre The Dead zone, Cronenberg possède de véritables pouvoirs de visionnaire. Il prévoit l’avenir et certains de ses films anti-cipent notre réalité. Vidéodrome a décrit de manière très clinique tout ce que l’on appelle aujourd’hui le cybersexe ou le sexe virtuel, la prédominance de la télévision sur notre univers domestique et le pouvoir de contrôle des mul-tinationales sur notre individu. Tout cela a été prévu par Cronenberg dès 1982, alors que l’or-dinateur existait à peine.

De la même façon, dans eXistenZ, – second scénario original de Cronenberg depuis Vidéo-drome –, sous prétex-te de décrire la fatwa qui peut s’exer-cer contre un artiste, Cronenberg développe le thème de la réalité virtuelle, avec infiniment plus de profondeur que Matrix ou Dark city. Tourné en 1999, le film anticipe de quelques années Se-cond Life. Il réussit à nous égarer sur trois voire quatre niveaux de réalité différents, bien avant Inception et la réplique-culte « Are we still in the game ? » qui n’a pas fini de faire des ravages.

Cronenberg est incontournable sur le thème du primat technologique mais aussi sur celui de l’organique et des mutations génétiques : que ce soit dans La Mouche qui montre une fusion improbable entre deux espèces ou dans

Vidéodrome , Le Festin nu, eXistenZ ou tous ses premiers films qui anticipent l’irruption du Sida dans les années quatre-vingt, un bestiaire cronenbergien apparaît avec des créatures qui n’existent que dans son cerveau singulier : insectes, parasites, machines à écrire qui par-lent, pistolet de chair, etc. D’où sa profonde ori-ginalité et le fait qu’on puisse identifier presque automatiquement sa patte.

Etant donné l’originalité de cet univers, peu de grands cinéastes peuvent se targuer d’être ses héritiers. Tim Burton ou Lodge Kerrigan pa-raissent pourtant se rapprocher parfois de son univers. Mais si l’on se penche sur les théma-tiques, on peut estimer que la plupart des films d’horreur doivent énormément à Cronenberg, ainsi que tous ceux sur la réalité virtuelle et sur le sexe fantasmatique, ce qui, au total, finit par constituer un troupeau assez conséquent de réalisateurs influencés.

Cronenberg a souvent deviné et devancé l’ave-nir. Le défi qu’il nous propose dans Cosmopolis semble d’une nature différente : il s’agira pour lui de décrire et de commenter le présent, un enfer fait de vacuité, de violence et de para-noïa. Il tentera donc encore de réinventer son œuvre en ouvrant son horizon intérieur au monde d’aujourd’hui, alors qu’il s’était, par le passé, essentiellement concentré sur ses ob-sessions. Retrouvera-t-il ses thèmes person-nels à travers le roman de DeLillo ? Tel est le défi de Cosmopolis.

Pour rassurer ceux qui auraient peur de ren-contrer Cronenberg après avoir vu ses films,

laissons-lui la parole : « Nous pos-sédons des a n t e n n e s

qui sont sensibles à des choses différentes. Ce que nous faisons entrer dans nos corps et notre système nerveux, est si vaste, je suppose qu’il y a un surplus qui finit par déborder hors de nous. Et s’il s’écoule dans notre art, c’est qu’on ne peut pas l’incorporer à la vie. C’est vraiment ainsi que je le sens. C’est le surplus de quelque chose qui déborde de manière mystérieuse et qui doit aller quelque part. Dans mon cas, ça s’écoule dans mon art, mais pas dans ma vie. Ma vie ne ressemble pas du tout à ça ». David Speranski

« Ses films anticipent notre réalité »

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1 : videodrome ; 2 : existenz ; 3 : les promesses de l’ombre ; 4 :la mouche ; 5 : m. butterfly ; 6 : Spider ; 7 : le festin Nu

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Dossier | 16 |

Marylin Monroe s’afficheau Festival de Cannes

Marylin, Marylin, robes vaporeuses, blonde platine, comédienne, chanteuse : tu est née et morte à Los Angeles, il y a 86 et 50

ans. Ta légende, cristallisée à Hollywood, hante les esprits cinéphiles et romantiques. À ta dispa-rition mystérieuse, Jackie Kennedy avait déclaré que « [tu] vivra[is] éternellement ».

Et regarde, cette année, les expositions et les li-vres pullulent, le metteur en scène Simon Curtis nous a proposé de passer une semaine avec toi, et surtout, l’une des plus célèbres manifestations cinématographiques au monde t’a choisie comme effigie 2012.Sur ce cliché noir et blanc hors du temps, pana-chage de clair et d’obscur, de vérité et de fiction, de je suis là et ailleurs, tu fêtes toute l’Histoire du 7e art. Ton visage lumineux, illuminé, raconte la beauté et l’intelligence d’un spectacle, d’une industrie qui, elle aussi, vise l’immortalité. Une bougie synonyme d’unité, d’anniversaire, une femme-symbole séduisante qui parle à l’ensem-ble des cultures.Nous sommes suspendus à tes lèvres qui ne ces-sent de souffler des secrets et des songes depuis un demi-siècle. Et la flamme qu’ici tu éteins réap-paraît illico à côté du nombre 65 : 65 ANS QUE LE FESTIVAL DE CANNES EXISTE.

La typographie en dégradé, gracieuse et subtile [à ton image], forme une auréole autour de toi, une couronne qui, une fois encore, rend hommage à tes personnages, à ta vie troublante et troublée. Dans cette voiture à la banquette capitonnée, tu as l’air si seule et tu nous fais sentir si uniques.C’est l’agence parisienne Bronx qui a réalisé cette affiche, partant d’une photographie d’Otto L. Bettmann. Dans son communiqué de presse, le Festival de Cannes explique entre autres que « cette rencontre, entre la parfaite incarnation du glamour et le Festival qui en est le temple, figure un idéal de simplicité et d’élégance ».Il y en a eu des mauvaises, des classiques, des rigolotes, des ésotériques. Celle-ci ne brille certes pas par son originalité, mais par sa justesse, son universalité et sa capacité à créer l’émotion. Ariane Picoche

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Il est un lieu, une quinzaine de jours, une cérémonie où la parité homme/femme est laissée au vestiaire au profit

de l’élégance féminine. Car de mémoire de cinéphile, le Festival de Cannes a très souvent privilégié l’actrice pour les céré-monies d’ouvertures et de clôtures plutôt que l’acteur pinguiné pour l’occasion. Véritable engagement féministe ou joli porte-manteau ?

Quelle que soit la motivation, la tâche est casse-gueule et la bourde n’est souvent pas loin. Etriquées dans un protocole exces-sif, ces dames en perdent leur naturel. Les mains moites mais la démarche assurée, la maîtresse de cérémonie se doit de faire court pour son premier discours. Mais ce que l’on retient souvent, c’est ce qu’elle porte ce soir là. Comme si ses mots n’avaient que peu d’intérêt. Courte ou lon-gue, décolletée ou sobre, les commentateurs s’en donneront à cœur joie sur la tenue. Elle qui aura pourtant pris le temps d’écrire ces quelques lignes. Evoquer la liberté d’expres-

sion pour Monica Belluci ou lorsque Kristin Scott Thomas rappelle la situation politique dans les Balkans. Souvent raillées quand el-les abordent des sujets délicats, beaucoup oublient pourtant que Cannes existe par une volonté de contrer la propagande fasciste qui a contaminé la Mostra de venise en 1938. Le politique aurait donc tout autant sa place dans un discours d’ouverture car le cinéma, quoiqu’on en dise sur son aspect divertis-sant, glose des thématiques souvent enga-gées.

C’est en 1993 que le festival de Cannes se pare pour la première fois d’une maîtresse de cérémonie avec Jeanne Moreau. Les autres suivront, souvent de jeunes premières fraî-chement remarquées, toutes prendront ce rôle à cœur. Malgré l’ingratitude du moment, 2000 personnes et quelques dizaines de ca-méras, le petit monde du cinéma internatio-nal les attend au tournant. Et cette année, c’est Bérénice Bejo qui s’y colle. Maigre lot de consolation pour celle qui aura été dans l’ombre de Dujardin durant des mois.

Pourtant, l’actrice a laissé le soin aux auteurs de Bref d’écrire son discours. Tout comme Mélanie Laurent l’année précédente, avait fait appel à la plume acérée de Nicolas Be-dos. Derrière chaque femme se cacherait donc un homme, comme si elles ne se sen-taient pas à la hauteur de la tâche. Deux hommes ont tout de même mené le bal. Vincent Cassel et Edouard Baer. On re-tiendra surtout la prestation du second mê-lant humour et hommage avec une classe in-comparable. Mais malgré l’omniprésence de la femme devant le décor, rappelons qu’une seule femme, Jane Campion, a remporté la palme d’or en sept décennies d’existence. Une fonction féminisée, l’arbre qui cacherait la forêt ? Souhaitons tout de même à Béré-nice Bejo d’égaler ses prédécesseurs et à moins d’un miracle, il n’y aura malheureuse-ment pas de femme réalisatrice en compéti-tion pour la palme d’or.

Clémence Besset

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De la maîtresse de cérémonie à la maîtresse de maison

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ALAIN RESNAIS / LEOS CARAXLE DINOSAURE ET L’ARTISTE

vouS N’avez eNcore rieN vud’Alain Resnais, avec Mathieu Amalric, Sabine Azéma, ...

Le père d’Hiroshima mon amour et de Nuit et Brouillard mon-tera les marches cette année en compagnie de sa troupe d’acteurs fétiches (Sabine Azema et Pierre Arditi en tête) - ces derniers interprétant dans le film leur propre rôle. Vous n’avez encore rien vu s’annonce comme une déclaration d’amour simultanée au théâtre (l’Eurydice d’Anouilh est cé-lébrée) et au cinéma. Beau programme en perspective, à voir si Resnais va encore réussir à se renouveler...On lui fait confiance !

Il faut jeter un sort à la réputation de patriarche respecta-ble du cinéma français qui entoure Alain Resnais, seul ci-néaste à ce jour à avoir décroché trois César du meilleur

film (Providence, Smoking/No Smoking, On connaît la chan-son). Resnais est un expérimentateur qui s’amuse et qui conti-nue à inspirer les générations de cinéastes qui l’ont suivi : qui sait donc que la plus grande influence, clairement revendi-quée, d’un film-culte pour notre génération, Eternal sunshine of the spotless mind de Michel Gondry n’est autre que Je t’aime, je t’aime d’Alain Resnais ? Qui sait encore que son musicien de prédilection depuis trois films est Mark Snow, le compositeur des thème d’X-Files ?! Par l’emprunt de comédiens dans ses distributions récentes

(Mathieu Amalric, Anne Consigny, Emmanuelle Devos, Denis Podalydès), Resnais désigne en outre ses héritiers, ceux dont l’œuvre le réjouit de manière jubilatoire, Arnaud Despleschin et Bruno Podalydès, cette admiration étant parfaitement réci-proque.

L’œuvre de Resnais se di-vise en deux : la première partie, de Hiroshima mon amour à Mon Oncle d’Amé-rique, est plutôt intellectuel-

le, voire déstructurée et s’inspire des procédés du Nouveau Roman ; la seconde, à partir de la rencontre avec Sabine Azéma, sa muse et compagne, de la Vie est un roman à Vous n’avez encore rien vu, est beaucoup plus ludique et accessible

« Resnais est un expérimentateur qui s’amuse et inspire »

Avec Jacques Audiard, Alain Resnais et leos Carax complètent une sélection française assez somptueuse cette année au Festival de Cannes. Tout ou presque les oppose. l’âge (presque quatre-vingt dix ans pour Resnais contre cinquante-deux à Carax) ; le rythme de l’œuvre, régu-lier chez Resnais (dix-neuf longs métrages en cinquante-trois ans), très accidenté chez Carax (cinq films en vingt-huit ans), avec de longues interruptions ; la méthode de cinéaste, Resnais ne croyant qu’au travail et à la curiosité, Carax se sublimant dans la fulgurance poétique. Pour-tant le plus jeune des deux n’est peut-être pas celui que l’on croit...

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et lui a permis d’obtenir un immense succès populaire, grâce à On connaît la chanson. Trois points communs seulement unissent les deux périodes : un amour démesuré pour les comédiens, une collaboration régulière avec des scénaristes (Resnais est connu pour ne pas vouloir écrire un seul mot de ses scéna-rios), une volonté d’expérimentation tous azi-muts, empruntant à d’autres moyens d’expres-sion artistiques, la musique contemporaine, la bande dessinée, le théâtre de boulevard…Vous n’avez encore rien vu, son nouveau film, arborant un titre d’une insolence provocatrice, semble réconcilier les deux périodes de son œuvre, mélangeant Mélo et Marienbad, le théâtre filmé (Eurydice d’Anouilh) et sa mys-térieuse mise en abyme.

Leos Carax est bien moins prolifique tout en étant aussi intriguant. Après ses deux mer-veilleux premiers films (Boy meets girl et Mau-vais sang), nourris de sève poétique et placés sous l’égide de Godard et du cinéma muet, Carax a été institué génie poétique du cinéma français. Pour clôturer sa trilogie avec Denis Lavant, son acteur fétiche, il a tourné un film maudit, les Amants du Pont-Neuf qui, pour des raisons de planning et de décor, a viré à la catastrophe financière. Depuis le génie pré-coce traîne un peu la patte : Pola X, malgré le rôle principal dévolu à Guillaume Depardieu et quelques fulgurances cinématographiques, a déçu à Cannes en 1999, même si une réha-bilitation du film est peut-être en cours. Son segment de film de moyens métrages, Tokyo ! était sans doute le moins bon, surtout comparé à ceux de Michel Gondry et Bong Joon-Ho. N’empêche, treize ans après Pola X, sa réputation d’enfant terrible et surdoué du cinéma français, est encore suffisamment vivace pour justifier une sélection à Cannes. On ne sait strictement rien de Holy Motors mais le casting est assez hétéroclite pour susciter au moins l’intérêt : Eva Mendes (!) et Kylie Minogue (!!!) y croisent Denis Lavant et Michel Piccoli, rescapés de Mauvais sang. Du film-mystère de Leos Carax pourrait venir l’énorme surprise appelée de ses vœux par Nanni Moretti…

David Speranski

holy motorS Sortie en salles le 4 juillet 2012 - réalisé par leos carax - avec Denis lavant, edith Scob, eva mendes... Durée : 1 h 50 - Distributeur : les films du losange.

En 2008, Leos Carax participait au triptyque Tokyo ! (trois courts-métrages dont le sien), apposant sa patte folle. On retrouve cette dimension délirante dans les aventures de Monsieur Oscar, un homme qui voyage de vie en vie, de-venant successivement grand patron, meurtrier et créature monstrueuse. Le casting ? Denis Lavant, Eva Mendes, Edith Scob, Kylie Minogue… Intrigant.

1 : pas sur la bouche ; 2 : les amants du pont Neuf 3 : pola x

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C laude Miller, enfant de la guerre et de la banlieue, né en 1942, grandit à Montreuil, dans une famille juive laïque. Son père, lec-

teur assidu de L’Humanité, refusa de porter l’étoile jaune. «Sa détermination nous a sauvé la vie», di-sait le réalisateur, alors qu’une partie de sa famille fut déportée. Son oncle, Serge Miller, sera rescapé de Buchenwald. Son enfance pauvre est vite illu-minée par la magie du cinéma, qui le conduira à l’Idhec (Institut des hautes études cinématographi-ques) dans les années 60. Il devient l’assistant de Marcel Carné (Trois chambres à Manhattan), de Robert Bresson (Au hasard Balthazar), de Jean-Luc Godard (Week-end), de Jacques Demy (Les Demoiselles de Rochefort) et de 1968 à 1975, il dirige la production de tous les longs métrages de François Truffaut, à l’exception de La Nuit améri-caine. Claude Miller se réfèrera souvent à Truffaut, à l’écran comme dans ses interviews. Comme l’auteur de La Chambre verte, il tentera toujours de concilier souci du public et exigence artistique.

Tout en menant sa car-rière de directeur de pro-duction, le jeune Claude Miller réalise des courts métrages, dont Camille ou la comédie catastrophi-que (1971), avec Juliet Berto, est projeté en salles à Paris et attire l’attention de la critique. Si bien qu’il signe son premier long-métrage au printemps 1976, La Meilleure Façon de marcher, sur les rap-ports troubles de deux moniteurs de colonie de vacances, l’un viril et intolérant (Patrick Dewaere), l’autre efféminé (Patrick Bouchitey). Le succès pu-blic du film, salué par la critique, permet à Claude Miller d’enchaîner immédiatement sur une œuvre au romantisme sombre, Dites-lui que je l’aime (1977), d’après un roman de Patricia Highsmith. Gérard Depardieu interprète avec toute sa fougue poétique un amoureux obsessionnel dévoré par sa passion sans espoir. Le film est un échec cin-glant. En attendant qu’une nouvelle occasion de

tourner un long métrage se présente, Claude Miller tourne des publicités. En 1980, le producteur Geor-ges Dancigers lui propose un projet qu’ont refusé Costa Gavras et Yves Boisset. Adapté d’un roman noir américain de John Wainwright, dialogué par Michel Audiard, le film Garde à vue est un huis clos opposant un policier opiniâtre, Lino Ventura, et un notaire retors, Michel Serrault (« C’est l’un des acteurs les plus ambigus que je connaisse », observait Miller), avec pour troisième sommet du triangle, la présence mystérieuse de Romy Sch-neider. A sa sortie, à l’automne 1981, le film est un immense succès et remporte quatre Césars. La carrière de Claude Miller est relancée.

En 1983, Il tourne à nouveau avec Michel Serrault, Mortelle randonnée, un autre film noir, dans lequel Isabelle Adjani incarne un ange exterminateur qui sillonne l’Europe. C’est l’époque où le cinéma fran-çais se plaît à parer les histoires américaines des paillettes de l’esthétique new-wave, et Mortelle

randonnée, qui n’était pas le film favori de son auteur, succombe par-fois à ce penchant.Cinéaste de l’intime,

Miller s’intéresse au secret qui gît sous le mou-vement des passions et des pulsions. « Je ne me vois pas tourner une charge de cavaliers. Ce qui me passionne dans la démarche cinématographi-que, c’est de m’attacher au plus près au jeu des apparences, gestes, regards, comportements et d’essayer de faire deviner l’intérieur des êtres... » Il filme alors avec justesse et tendresse les en-fants et les adolescents : Charlotte Gainsbourg fait ses débuts avec lui en 1985 dans L’Effrontée (et sera récompensée du César du meilleur espoir) et La Petite Voleuse (1988) sur un scénario de Truf-faut ; Romane Bohringer sera L’Accompagnatrice (1992).En 1994, Le Sourire, farce érotique avec Jean-Pierre Marielle et Mathilde Seigner, est un échec

Claude Miller nous a quittés, un matin d’avril, emporté par un cancer contre lequel il a lutté jusqu’au bout avec l’arme qu’il connaissait le mieux: la caméra. À peine son film Voyez comme ils dansent était-il sorti, en juillet dernier, qu’il partait dans le Bordelais tourner Thérèse D. d’après Thérèse Desqueyroux de François Mauriac la sortie du film étant prévue pour l’automne. Mais en attendant, il viendra clôturer ce 65ème Festival de Cannes : bel hommage pour ce cinéaste populaire à la carrière iconoclaste. Retour sur la vie d’un grand.

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CLAUDE MILLERPortrait d’un artiste

1 : un Secret ; 2 : l’effrontée ; 3 : garde à vue; 4 : la classe de Neige

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« Entre avant-garde et tradition »

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commercial et critique qu’efface le succès cannois de La Classe de neige, tiré du roman d’Emmanuel Carrère. Et dès le début du nou-veau millénaire, Miller s’essaie aux nouvelles technologies, réalisant La Chambre des magi-ciennes en numérique. Il est à nouveau sélec-tionné en compétition à Cannes en 2003 avec La Petite Lili, drame contemporain inspiré de La Mouette de Tchekhov. Entre l’avant-garde et la tradition, Claude Miller fait le grand écart : « Je suis un ancien jeune cinéaste et un nouveau vieux cinéaste » dit-il au Monde.

Si Miller n’a pas traité dans ses films de sujets directement politiques, n’étant pas, disait-il, « un homme de théories et d’explications glo-balisantes », il s’est toujours engagé dans la politique du cinéma en défendant la diversité culturelle et une économie de la production où l’originalité des auteurs ne serait pas sacrifiée à la rentabilité financière. Sa réflexion et ses positions sur le métier étaient parfaitement cohérentes avec son souci de comprendre et de respecter la place de chacun. Il y avait quelque chose de «renoirien» dans l’humanité bienveillante de Miller. Plutôt que de s’insur-

ger contre l’ambiguïté humaine, il a choisi de la montrer, avec une sensibilité chaleureuse et indulgente. A la tête de l’ARP (Association des réalisateurs producteurs), il participe à la fondation des Rencontres cinématographiques de Beaune (depuis établies à Dijon) en 1991. Militant pour une réforme du système de pro-duction français, il signe en 1998 un texte pour la souveraineté culturelle avec Claude Lelouch. Et lorsque Pascale Ferran crée le Club des 13, en 2008, Miller y fait figure de grand ancien pour défendre, aux côtés de personnalités comme la réalisatrice de Lady Chatterley, le « cinéma du milieu », celui qui, pour toucher son public tout en gardant son âme, a besoin de moyens.

En 2007, lorsque le producteur Yves Marmion lui propose d’adapter Un secret, de Philippe Grimbert, Claude Miller y voit enfin l’occasion de traiter d’un sujet « qui ne s’était jamais pré-senté à lui auparavant », la Shoah et le sort des survivants. Si ce traitement ne fait pas l’unani-mité de la critique, le public est au rendez-vous, faisant du film un des plus gros succès de la carrière du cinéaste. En 2009, le cinéaste réali-se avec son fils Nathan Je suis heureux que ma

mère soit vivante, puis Voyez comme il danse en 2011, étrange récit construit entre France et Québec, sur le mode de Citizen Kane, et qui sera un échec cuisant.Malgré cela, il retourne tout de suite derrière la caméra (parce qu’«en vieillissant je comprends qu’une des choses qui me fasse le plus plaisir, c’est de tourner des films. Sinon, j’ai l’impres-sion d’être un peu vacant»), et commence le tournage de Thérède D. « Il était malade sur le plateau, mais il ne voulait pas lâcher la barre », confiait Gilles Lellouche.

Fasciné par la remise en question de l’artiste sur son œuvre, le cinéaste avait pour habitude de dire « Je sais commencer une histoire mais cela m’est généralement difficile de la clôturer, parce que la mort est souvent le terme d’un ré-cit ». Une belle philosophie, pour un réalisateur qui vient de signer son testament cinématogra-phique, écrivant ainsi la dernière page du récit de sa vie d’artiste… Un grand moment d’émo-tion nous attend le 27 mai sur les marches du Palais des Festivals. Olivier Fournel

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de Doug liman (etats-unis)

un ex ambassadeur et sa femme mettent à jour les malversa-tions de l’administration bush. Seul film américain de la com-pétition, fair game réunit Sean penn et Naomi watts dans ce qui s’annonce comme un thriller politique dans la lignée du ré-cent green zone de paul green-grass.

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Situé dans le milieu bourgeois des années 1920, le film suit thérèse Desqueyroux, une femme qui étouffe sous le poids des conventions bourgeoises et se débat pour se libérer de son mariage malheureux et d’un environnement qui lui semble hostile. oeuvre testament de claude miller, le film sera projeté en clôture du festival de cannes 2012.

Voyez comme ils dansent (2011)

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Voyez comme ils dansent (2011)

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Hitchcock déjà plaçait le voyeurisme au cœur de nombre de ses films, le plus connu étant bien entendu

Fenêtre sur cour. L’acte de filmer en lui-même est déjà une ébauche de voyeurisme et un retour à la scène primaire : regarder l’interdit par le trou de serrure. Les serrures sont ici des caméras, et donnent sur un théâtre faussement réel, puisque les enjeux de la real tv sont guidés par une production, un Big Brother (nom de la toute première réalité sous la forme actuelle née aux Pays Bas en 1999 de l’idée de John De Mol ou peut-être née dans l’esprit brillant de George Orwell…) qui décide de ce qui sera montré, coupé ou mis en avant. Pour une réalité simulée, avouons que l’on a connu plus honnête démarche…

Mais peu importe puisqu’il ne s’agit pas de capter la réalité la plus « juste » mais bien la réaction de pantins placés devant l’œil artificiel qui finissent par trahir une petite parcelle de vérité dans leurs réactions, oubliant un temps qu’ils sont épiés le naturel prend parfois le dessus. Cette once de « réel » fascine autant qu’elle repousse, mais il ne s’agit pas là de faire le procès d’une pratique commerciale, draguant les foules devant leurs écrans.

Ce qui fascine, c’est bien cette envie ressentie par le spectateur, de vouloir assouvir son besoin de voyeurisme, se sentant ponctuellement dans une confidence, un secret qu’il partage avec l’autre à l’écran. Poussant le récepteur à se sentir important et à interagir avec le programme, le mode de consommation habituellement passif se transforme pour impliquer, plus que jamais, le « voyeur ». Le concept est né.

Cronenberg s’interrogeait déjà dans son

Videodrome de 1984 sur l’influence de ce type de programmes : les images peuvent-elles aller au-delà de l’acceptable, l’impact au-delà de l’écran ? Comme toujours chez le cinéaste canadien, c’est la chair du héros qui fera les frais de cette obsession pour le programme Videodrome, qui creusera son ventre pour trouver une porte d’entrée et avoir la main mise sur le téléspectateur.

Premiers pas sur pellicules

Sans aller jusqu’à l’impact physique, même si l’allégorie toute cronenbergienne

est troublante par le côté précurseur de son alarmisme, on peut dénombrer déjà nombre de faits plus qu’extrêmes dans ce qui est montré sur nos chaines de télévision (drogue, violence, harcèlement…) allant toujours plus loin dans le glauque et dans le malsain. Si l’on en suit la logique purement mercantile, pourquoi s’en priver ?

La course à la mort de l’an 2000, un des tous premiers à traiter le sujet au cinéma, dénonçait déjà en 1975 le

danger de l’association plaisir/voyeurisme/mort qui conduisait les foules à compter les points, un point étant égal à une

personne tuée sur la route (non nous ne sommes pas dans GTA). Intéressant de voir que déjà dans les œuvres génitrices du genre, la téléréalité est un jeu amoral et le spectateur n’a plus aucune conscience ni jugement rationnel. On crée et impose une attente, un désir qui mue vers une pulsion morbide. Pour une entrée en matière, difficile de faire plus pessimiste. Plus tard, Bertrand Tavernier se penchera sur le voyeurisme ultime, pénétrer le cerveau humain pour assister à son lent déclin : c’est là le thème effroyable de La mort en Direct (avec Romy Schneider dans le rôle titre). Une fois encore on

téléréalité & ciNéma, figureS De l’horreurMatteo Garrone marque avec son Reality une nouvelle étape dans la représentation de la téléré-alité sur grand écran. Si l’on regarde 40 ans en arrière, un incroyable mouvement d’anticipation, une lucidité quasi-surnaturelle avaient conduit plusieurs cinéastes à représenter ce qui al-lait être un renouveau sans précédent dans le paysage audiovisuel mondial 20 ans plus tard. Dans ses premières incarnations, la téléréalité n’est le fruit que d’un seul genre : la science-fiction, qui à la fin des années 70/80 est dans une période prolifique issue de la littérature cyberpunk. Plus tard, alors que la téléréalité est apparue ou en est à ses balbutiements, le cinéma d’horreur ou la comédie dramatique viendront s’intéresser au concept de “real tv”. l’évolution est significative, annonçant ainsi la tendance : la téléréalité au cinéma est une figure de l’horreur. Visionnaire ?

« Un goût immodéré pour le voyeurisme malsain »

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Voyez comme ils dansent (2011)

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représente au moyen de la science fiction les horreurs auxquelles peuvent conduire le monde voyeuriste propre aux médias (qui ont connu une belle poussée de cette « tendance » depuis ;..).

En 1983 Le prix du Danger d’Yves Boisset place encore une fois dans un jeu, le chassé Gérard Lanvin face à ses chasseurs, pendant une course contre la montre infernale. Toujours sous couvert du ludique, pour mieux faire passer la pilule, on risque la vie d’un lambda pour satisfaire l’audience en lui promettant gloire et fortune si le malheureux survit…Ce qui n’est pas évident lorsque le jeu est truqué ! Toutefois Boisset signe un témoignage somme toute prophétique des coulisses noires de la téléréalité et de ses rebondissements écrits à l’avance. Son remake en actioner 80’s avec l’ami Schwarzie Running Man ressemble plus à une démonstration de force de l’invincible autrichien et s’éloigne beaucoup de son matériau d’origine : le roman dystopique de Stephen King, le maître de la littérature d’horreur et du macabre, dont le concours n’est pas anodin ici…

le tournant des années 90

Des morts, des chasses à l’homme, des visions malsaines, telles sont les premières expressions du genre « télé- réalité » sur grand écran…En attendant le tournant, la pierre angulaire réalisée par l’australien Peter Weir : Truman Show. Plus subtil qu’il n’y parait, une fois gratté le fard de la comédie, on comprend vite le drame profondément humain qui se joue là : l’emprisonnement d’un homme acheté par une chaine de télévision. Son monde n’est que fiction mais lui n’en a pas conscience. Lorsqu’il perd son père, c’était écrit dans le scénario et le papa acteur rentre chez lui, dans le « vrai monde ». C’est ce vrai monde, commodément délimité par le ciel et la

mer et…un mur, qui interroge Peter Weir. Nous avons ici l’incarnation parfaite de la déliquescence d’un programme télé. La figure divine d’Ed Harris, le « show runner », aime son héros autant qu’il aimerait

son fils. « Everybody loves Truman ». Mais pour lui, vivre dans une prison, aussi dorée soit-elle, n’est pas forcément le bonheur ultime même si égoïstement, on ne veut pas que “son enfant” quitte le foyer. Le récit est aussi celui de la lente compréhension du spectateur face à son statut : il n’est ni plus ni moins qu’un voyeur se réjouissant de retrouver un oiseau en cage au quotidien. Truman Show est sorti juste avant les balbutiements de la téléréalité (en 1998). Le fait d’intégrer la thématique de l’enfermement pour la première fois, nourrit l’idée de l’intuition plus que divinatoire du cinéaste. Il suffit de voir Loft Story ou Secret Story pour comprendre. Fuyant le film de genre, Weir intègre une part de comédie et une grande dose d’humanité, dans une autre vision extrême de la téléréalité, mais dans un monde tout à fait semblable au nôtre. Nous n’avons plus le masque de l’horreur, nous ne sommes plus dans un jeu. Les limites entre le réel et le fictionnel sont brouillées, les instances de la narration également : Truman (l’homme vrai) ne sait pas dans quelle sphère il se trouve. Une autre proposition de cinéma face à la perspective immonde de ne plus savoir si nous sommes bien là où nous le croyons. Peut-être tenons-nous là la dérive ultime du concept…

Juste après En Direct sur Ed Tv (remake du film canadien Reality Show sorti en 1994) proposera un aspect plus comique tout en mêlant une fois encore la réalité et le jeu. Le spectateur peut ainsi choisir avec qui Ed couchera en votant ! « Faites le 1 si vous voulez qu’Ed survive, le 2 si vous souhaitez qu’il soit décapité »…La fable est plutôt bon enfant. Loin d’une franchise mythique du cinéma d’épouvante, Halloween, qui pour son nouvel opus reprendra le jeu de téléréalité à son compte en le plaçant ni plus ni moins à Haddonfield…mauvaise idée ! L’horreur

revient hanter la télé « poubelle » comme elle est souvent qualifiée. Poubelle à fric néanmoins comme le montre le film Live! qui suit le parcours d’une productrice de télé en manque de programmes forts : elle créera un jeu de roulettes russes : soit on meurt, soit on gagne de l’argent, beaucoup d’argent. La question soulevée bien sûr : jusqu’où les concurrents sont ils prêts à aller ? Le traitement documentaire de l’intrigue place l’émission dans un champ des possibles assez troublant. Maintenant qu’on connait parfaitement les rouages des sociétés de production, on peut en brosser un portrait très réaliste, comme c’est le cas ici, jusqu’à l’écœurement de ses producteurs.

C’est le récent teenage movie Hunger Games qui viendra boucler la boucle, en plaçant les jeunes générations du futur dans le désespoir. La fédération du jeu est reine et on n’a plus le choix : si l’on est tiré au sort, on doit affronter jusqu’à la mort les autres challengers. Une fois de plus, les coulisses sont cruelles, certains mieux entrainés que d’autres ont plus de chance de s’en sortir et une fois de plus ce sont les instances corrompues qui sont montrées du doigt. Si la machine a tendance à vouloir épater les ados, il ne s’en dégage pas moins une vision bien pessimiste du goût immodéré des spectateurs pour le voyeurisme malsain et son devenir possible.

Même si le phénomène, replié sur lui-même, commence à tourner en rond et à s’atténuer quelque peu, la représentation de la téléréalité au cinéma est fidèle à ses débuts: une démonstration du dangereux pouvoir que celle-ci, comme une drogue, peut avoir sur nous. On nous aura prévenus.

Romain Dubois

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Le prix du danger (Boisset, 1983)

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ANDREW DOMINIK/JEFF NICHOLSLA RELEVE DU CINEMA AMERICAIN

muDde Jeff Nichols avec Matthew McConaughey, Reese Wither-spoon, Tye Sheridan ...

Ellis et Neckbone, 14 ans, découvrent lors d’une de leurs es-capades quotidiennes, un homme réfugié sur une île au mi-lieu du Mississipi. C’est Mud : une dent en moins, un serpent tatoué sur le bras, un flingue et une chemise porte-bonheur. Après Take Shelter - et ses honneurs mérités, Nichols est de retour en compétition avec Mud, une chasse à l’homme qui s’annonce trouble. Si le casting nous déroute (car rares sont les bons films dans lesquels s’expose McConaughey), Jeff Nichols sait à coup sûr nous surprendre. Le pari est ambi-tieux...

« Il n’y a pas de bonnes histoires sans men-songe » (Chopper, Andrew Dominik).

En 2012, le cinéma américain re-vient en force sur la Croisette, après quelques années de diset-

te: Wes Anderson, lee Daniels, John Hillcoat, Jeff Nichols et Andrew Do-minik. Il faut remonter à 2007 (James Gray, David Fincher, les frères Coen, Tarantino et Gus Van Sant, rien que ça!) pour voir une aussi belle équipe retenue en sélection officielle. Certes certains réalisateurs sont australiens (Hillcoat) ou néo-zélandais (Dominik) mais leurs films sont tous produits par les Etats-Unis. Penchons-nous plus particulièrement sur Andrew Do-minik et Jeff Nichols qui, présentant tous les deux leur troisième film, peu-vent devenir les grandes révélations de cette édition 2012 du Festival de Cannes.

A Cannes, sélectionnés pour la première fois en compétition, Dominik et Nichols vont tous les deux présenter leur troisième film mais

en fait dix ans les séparent: 44 ans pour le premier et 34 ans pour son cadet. Chacun s’est déjà signalé par un talent exceptionnel de metteur en scène et d’auteur (ils écrivent tous les deux leurs propres scénarios) qui laisse augurer d’un épanouissement créatif qui pourrait être couronné au plus haut ni-veau sous le soleil de la Croisette.

Andrew Dominik s’est ainsi révélé en 2000 par un formidable premier film, Chopper,

sur le plus grand meurtrier d’Australie, Mark Brandon Read. Eric Bana y a trouvé son meilleur rôle, déclencheur d’une carrière hollywoodienne. Sur un prétexte scénaris-tique scorsesien (la délinquance, la mafia), Dominik brode une parabole sur la vérité et la légende, l’amitié trahie et la paranoïa, la fascination pour la célébrité et les médias développant une mythomanie qui permet d’échapper à la solitude. Quand on le revoit

aujourd’hui, on ne peut être que frappé de remarquer à quel point il a anticipé Bronson de Nicolas Winding Refn, les deux films se rejoignant sous l’influence de Kubrick et de l’ultra-violence. Le film a reçu le Grand Prix du Festival Policier de Cognac en 2001 mais, bien plus qu’un simple thriller, il s’agit d’une réflexion sur la mythomanie.

En 2007, l’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, western élégiaque et

m é l a n c o l i -que, repren-dra un grand nombre des thèmes inau-gurés dans

Chopper et vaudra un prix d’interprétation à Brad Pitt à Venise, récompense qu’aurait tout autant mérité Casey Affleck. Ce film confirma le talent esthétique de Dominik (les plans-ta-bleaux de début de séquence, subtilement floutés, sont splendides) et fait référence aujourd’hui, certains le tenant comme l’un des plus beaux films du début de ce siècle. Son troisième film, Killing them softly signe le retour de Dominik au genre du thriller policier,

« De grands talents en pleine éclosion »

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Brad Pitt se confrontant à Ray Liotta lors d’une enquête sur un mystérieux hold-up mais on peut parier que ces éléments relativement rebattus cachent des thématiques bien plus complexes. N’oublions pas que l’année dernière, Drive a su créer la surprise, avec des ingrédients extrê-mement classiques.

Quant à Jeff Nichols, il est moins travaillé que Dominik par la thématique fordienne (la légende contre la vérité, sujet hérité de L’Homme qui tua Liberty Valance) que par son esthétique. La beau-té de ses cadres, la magie de sa photographie étaient déjà perceptibles dès Shotgun Stories, son premier film en 2008, une sombre histoire de vengeance entre deux fratries rivales. Nichols y a commencé une fructueuse collaboration avec le génial Michael Shannon, présent dans ses trois films. Talent remarqué aux Festivals de Paris Cinéma et de Sundance, Nichols a déjà connu en 2011 une consécration à Cannes avec Take Shelter, l’un des films les plus impressionnants de la dernière édition, en raflant tous les prix à la Semaine de la Critique. Ce film, méditation sur la schizophrénie et l’Apocalypse, a également remporté, sans contestation possible, le Grand Prix du Festival de Deauville. Le troisième film de Nichols, Mud, évoque par son intrigue, l’amitié entre un fugitif et un adolescent, Un Monde par-fait, l’un des meilleurs Eastwood, ce qui est plutôt un bon présage. Nichols cite souvent Terrence Malick comme influence pour sa sensibilité à la nature et son côté cosmique, et lui a emprunté l’éblouissante Jessica Chastain dans Take Shel-ter. Jeff Nichols n’a que 34 ans. L’élève égalera-t-il le maître?

Car si le Festival de Cannes sert parfois à récom-penser des maîtres pour l’ensemble de leur car-rière comme Malick l‘année dernière (Resnais ou Cronenberg en compétition cette année, n’ont ja-mais obtenu la Palme), il peut aussi servir à faire découvrir des grands talents en pleine éclosion (pour le cinéma américain, Soderbergh, Taran-tino, les Coen en sont des exemples). Quelle op-tion choisira le Jury de Nanni Moretti? Confirmer ou révéler ?

David Speranski

killiNg them Softly (cogaN - la mort eN Douce)Sortie en salles le 17 octobre 2012 - réalisé par andrew Dominik - avec brad pitt, Sam rockwell, richard jenkins - Durée : 1 h 40 - Distributeur : metropolitan filmexport.

Jackie Cogan est engagé par un gangster pour enquêter sur un hold-up survenu lors d’une partie de poker... Ce polar sans détour marque les retrouvailles de Brad Pitt et Andrew Dominik qui avaient collaboré sur le western L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Caïds à gogo et armes à feu : why not ?

1 : l’assassinat de jesse james par le lâche robert ford 2 : take Shelter 3 : chopper

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ero elessed te facin ea am veros eugait praessed tionulp utatumm olobor senim veliquat, cor iustrud tismoleniam diat.lis adit praesequat adipisit, conum ad tet utem iusci blaorpe riustionse dipis dolorpero eraesto corer autet illamet lobore diatue ming eniam, veliquatie modipis adit accumsan volor sustie feugiamet erat adiat, veliquat eugiatu msandiat dion hent ad deliqui tie dolor irilis ea facipit, veliquis essi.riliquamet et, sum nonsequip eliquamet alis autat num dui bla feu feui te feum dio odo esto core tat, volorem vero od dolutat. ipit acilluptat lummy nosto consecte velit irit iureros deliqua-tet, commy nulla cons nibh el delisl dolorerit wismod magna feugait augait acilit eugiam, vel iure modipsum incil iustrud te veniamconum zzriure del do odo od molortion hent illan velent iliqui et, quis acidunt ipis doluptat ad tat. ut vent wis digna consequi blaorpe rcilit utpatuer in vullamconum dolor iriure min ute dio estrud tie faccum etum autem vero od tinim volestrud do-lobore commy nim ipit wis euis et inciduis eum irit utpatue dio odionsequam, senim iliquam do exer sim venim volore magnism odolortin veniationum nulput utat luptat elis nim vel ut ul-landrerat nullaore magnibh ent esectet, consed dit el iriuscinibh ero et volore dunt lam dunt nos endreet vel utat il ip eu feuis diat iureet, quam zzrillutat vent nis adionsequi bla faci bla conse euisci tio commy nulputpat, velit doluptat wis acip eraesed mincinibh et, verit ulputpatis et la commodolum nit autet ing er accumsan utem accummo doloreet praessim quipit prat laore faci bla aliquatue magna atetum zzrit, coreet prat. ectem velesequatum quipsuscin ut vel ilismod eum eu facidunt accum vulputa tueriure eu feugait prat iriustie mod tie dit nos er ipit wis nulputpat. lan ut nim dit lorerci duipsum vele-nim dolut erostrud erciliq uamcommy numsan ero dolorer ostrud tat alit, quam vero core dui et eros dolorperit ulla faccum dolumsandre magna ad dolore dolute do odo dolor sum eniam, coreetum ex erosto con velisi.lisi. in hent praestis nulla facilla feuguero ex exercilis ero exero odiate dolor si.iquiscillam nonsectem do con ex ea alis aciduisi.lesequis nulput alit ing eugiat luptat del iliquat, quat alit vel iusci ex er aut velenim zzril utpat nulluptat ullam ipit acidunt luptatue volor si tis num nim essequip eugue et verostrud modolutpatis ex essi eraesse ctetuero dolent augiam, quatue feugue coreetue con euisci tet duisl in velent dolore core dolor ipsum quatetu msandre faci blaore feugueros eugait in veril

Lettre Ouverte à WES ANDERSON

Cher Wes,

Tu permets que je t’appelle par ton prénom ? J’ai l’impression de te connaître depuis tou-jours. Et pourtant, il fut un temps où je te si-tuais mal sur la map du 7e art : je t’imagi-nais quelque part entre Wes Craven et Paul Thomas Anderson. Le no man’s land. Je ne savais pas que tu étais copain avec les frè-res Wilson (Andrew, Luke et Owen), encore moins que tu avais refusé d’intégrer une uni-versité de cinéma, te proclamant autodidacte et tournant des petits films en super 8. J’avais 9 ans quand tu as réalisé ton 1er long-métra-ge, Bottle Rocket (de jeunes adultes qui rê-vent de devenir cambrioleurs) et à l’époque, j’étais plus occupée à jouer à chat dans la cour de récré qu’à poursuivre les nouveaux talents du cinoche américain indé. J’espère que tu me pardonneras.C’est grâce à l’excellent Bill Murray, qui avait alors joué dans ton 2e (Rushmore), ton 3e (La Famille Tenenbaum) et ton 4e film (La Vie aquatique), que j’ai commencé à m’intéres-ser à toi. En 2005. Je venais de voir Broken Flowers de Jim Jarmusch dans une salle obs-cure parisienne et je voulais en savoir plus sur celui que j’associais surtout à SOS fantô-mes et Charlie’s angels.

Bref, en découvrant l’affiche de La Famille Tenenbaum, j’ai d’abord pensé : qui est le mec qui a réussi à faire porter à Bill Murray un col roulé violet et une veste en velours ca-mel ? Puis : qui est le mec qui a aussi réussi à réunir Gene Hackman, Anjelica Houston, Ben Stiller, Gwyneth Paltrow, Danny Glover, etc. (rien que ça) ? Le DVD arrivait dans ma boîte aux lettres 3 jours plus tard ; dès l’intro, j’avais le béguin.Ton perfectionnisme maladif dans la compo-sition des plans, les couleurs des décors et des costumes, la modernité de ta technique chahutée par l’intemporalité et le décalage de ton univers, la cohérence reliant chaque détail, ta vision cynique de la famille et de la communauté en général, tes personnages marginaux, ton humour grinçant et critique… Je rencontrais ta folie et m’y accrochais déjà, me ruant sur tes prochaines œuvres : À bord du Darjeeling Limited (un road-trip fraternel en Inde) et Hôtel Chevalier, le court-métrage romantique qui lui sert de prologue ; et Fan-tastic Mr. Fox (une fable animée avec des re-nards et de méchants fermiers).

Wes, tu vas faire l’ouverture du Festival de Cannes avec ton intriguant Moonrise Kin-gdom. Je serai dans la même ville que toi et je ne pourrai pas te déclarer mon amour : il y a là un peu de l’ironie propre à tes histoires, tu ne trouves pas ?Aucune formule de conclusion ne convient à cette lettre, je ne te dirai donc pas au revoir.

Ariane Picoche

Le come-back de la comédie américaine sur tapis rouge : parce qu’elle le vaut bien

D’ordinaire boudée par les grandes manifestations du cinéma, la co-médie signe aujourd’hui son grand

retour. Si le genre reste, dans les courses aux prix, encore très minoritaire, son image change et se réaffirme. Cette mutation, nous la devons aux auteurs, à ceux qui insufflent à la comédie renouveau et nuance - comme Gondry et ses rêveries comico-poétiques, ou encore Apatow et ses portraits désopi-lants de l’américain moyen des temps mo-dernes.

Célébrée cette année aux Césars (Intoucha-bles), la comédie est significative d’une pul-sion vitale : en temps de crise, le rire est notre meilleur ami - et, de ce fait, le meilleur ami des distributeurs. Le box office en témoigne, ce sont les films comiques qui retiennent les faveurs du public : comédies générationnelles (American Pie 4, Dépres-sion et des po-tes), sociales ou sent imentales, elles fleurissent le printemps venu, accompagnant les fluctua-tions du moral des spectateurs. Car, qu’il soit amer, gras ou fou, le rire perce toujours au tra-vers du désespoir.

Ce n’est pas étonnant que Woody Allen, le prin-ce des pinces sans rire, ait été le premier à fou-ler, l’année dernière, le tapis rouge qu’il déteste tant. Frémeaux et Jacob, les faiseurs de roi du festival de Cannes, avaient en effet engagé les réjouissances sous le signe de la comédie ro-mantique - rendant au genre ses lettres de no-blesse. Une entrée en matière superbe car elle chantait l’ivresse d’un début de festival. Plus

encore, elle était un hommage à la poésie, la créativité et la volupté - quelques unes des va-leurs du festival. Cette année encore, le choix s’est porté sur un auteur américain, spécialiste des comédies arythmiques et moroses : Wes Anderson - dont les initiales sont les mêmes que celles du comique à lunettes new-yorkais. Le père du glorieux Mister Fox se retrouve pro-pulsé dans l’arène, portant sur ses épaules une lourde responsabilité, celle d’assurer le specta-cle. Car malgré les sourires de circonstance, le parterre de fauves est impitoyable une fois la salle plongée dans l’obscurité.

Divertir à tout prix, mais avec panache et élé-gance, telle est l’ambition d’un film d’ouverture - et ce particulièrement au festival de Cannes. Wes Anderson semble alors parfaitement taillé pour la mission. Car ses comédies , toujours sur le fil du rasoir, sont marquées d’une patte

et d’une émotion singuliè-res, qualités précieuses que recherchent, sans re-lâche, le président et son directeur.

Le titre Moonrise Kingdom sonne déjà à nos oreilles comme une promesse majestueuse. La promesse d’embrasser l’univers fécond du réalisateur de La famille Tenenbaum ; la pro-messe d’une ballade nostalgique en compa-gnie d’une ribambelle d’acteurs exceptionnels : Bruce Willis, Edward Norton, Bill Murray, Tilda Swinton, etc. C’est une consécration pour An-derson et son cinéma car le festival de Cannes est une fenêtre sur le monde... A vos flashs, prêts, riez. Ava Cahen

« la comédie est significative d’une pulsion vitale »

moonrise kingdomréalisé par wes anderson; avec bruce willis, edward Norton, bill murray... Distributeur : Studiocanal.l’enchanteur wes anderson a choisi les années 60 pour déployer avec ironie et poésie son histoire d’amour adolescente. une colonie de vacances, une île, la tempête qui approche : le contexte décalé va de pair avec des personna-ges excentriques joués par de grands noms. présenté en ouverture du festival de cannes, on saluera le parti pris original du comité de sélection.©

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Jean-Paul Gaultier va-t-il se faire tailler un costume à Cannes ?

C’est une première, un créateur de mode va faire partie du jury de la 65ème édition du festival. la rumeur a beau-

coup enflé avant que Thierry Frémaux ne le confirme sur le plateau de La Matinale de Canal + fin Avril : « Oui, je vous le confirme (…). C’est une tradition d’inviter des ciné-philes qui ont une opinion spontanée (…). » Alors est-ce qu’aimer le cinéma et être spon-tané sont deux ingrédients primordiaux pour faire partie de cet illustre jury et en sont même les conditions sine qua non ? Sur ce sujet tout le monde n’est pas d’accord. Certains ont hurlé à l’hérésie et ça a twitté dans les maisonnées ; tandis que les fervents admirateurs de l’en-fant terrible de la mode tentaient de le défendre non pas becs et ongles mais index et clavier. Alors la présence de Jean-Paul Gaultier va-t-elle être critiquée à Cannes entre deux cou-pes de Champagne, ou pas ? Le couturier est-il légitime en tant que membre du jury? Là se pose toute la question de la frontière qui existerait entre les arts. Ce qui est une grande valeur française des années 80 liée à l’audiovi-suel et au monde artistique en général. Alors même que le cinéma est l’art regroupant tous les arts par excellence : la mise en scène, le jeu dramatique, l’écriture, la musique, la lumière, les costumes. Et que nous sommes en 2012. Et qu’heureusement l’Europe a tendance à prendre comme exemple le système américain en matière d’ouverture d’esprit et d’innovation artistique et technique. Les Etats-Unis, qui ont depuis long-temps compris que pour les réels talents il n’y a

pas de frontière : il y a même une interpénétration des arts qui leur est nécessaire pour continuer à se renouveler et à se maintenir dans l’excellence. Dès lors, un couturier dont la vocation est née à la vision du film Falbalas de Jacques Becker en 1945 et qui sur ce, décide à 17 ans, d’envoyer ses croquis à Pierre Cardin, est effectivement cinéphi-le et spontané, mais est surtout devenu un maî-tre dans son art, la Couture, qui fait aussi partie intégrante de ce qu’est le cinéma. En témoignent ses créations pour Le Cinquième Elément, Kika d’Almodovar ou encore La Cité des Enfants Per-dus de Jeunet. Liloo n’aurait jamais été la même si elle n’avait pas été vêtue de simples bandes de tissus : on a tous en tête l’image de ce per-sonnage et de Milla Jovovich avec ce costume. Si bien que la Couture avec un grand C contribue pleinement à l’univers de ces films. Tous les arts qui le composent sont légitimes. Et importants. Dès lors, chaque domaine peut prétendre à sa place dans le jury du Festival de Can-nes : un acteur, un compositeur, un metteur en scène ou un créateur de costumes, s’ils sont mondialement reconnus pour leur talent. Thierry Frémaux a donc fait un choix mo-derne, intelligent et légitimant presque enfin (!) tous les arts qui font celui qu’est le cinéma en choisissant Jean-Paul Gaultier comme membre du jury, et on ne peut que le saluer.

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la cité des enfants perdus (1995)

le cinquième élément (1997)

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CANNES 2022 ET SI MICHAEL BAY ETAIT PRESIDENT

Le festival de Cannes,c’est quoi en fait ?

Vous vous sentez perdu. le prin-temps est censé marquer le retour des beaux jours, de Roland Garros,

d’une nouvelle présidence de la Républi-que, mais pourtant votre tête bouillonne comme un daltonien devant un Rubik’s Cube… Une question vous taraude, et ce depuis des temps immémoriaux, une épo-que où Fabrice luchini était encore coif-feur sur l’avenue Matignon : le Festival de Cannes, c’est beau, c’est propre, ça brille de mille feux. Mais en dehors de ça, c’est quoi en fait ? Mettez votre boîte de Prozac de côté, nous vous proposons d’alléger votre esprit tourmenté en quelques lignes.

Yes, we Cannes !- 64 ans. Voilà près de 13 lustres que la Croi-sette est le centre du monde artistique le temps d’une dizaine de jours. 768 mois que Cannes ne laisse personne indifférent, que ce soit au niveau de sa programmation, très uni-verselle, ou de ses remises de prix, souvent étonnantes. Demandez à Michael Moore…

- Le festival fut créé en 1937 en collabora-tion avec les Anglais et les Américains afin de concurrencer la Mostra de Venise fraî-chement inaugurée par un certain Joseph Goebbels. Retardée en raison de la Seconde Guerre mondiale, la première «véritable» édition se tiendra en 1946 et couronnera plu-sieurs films, dont Rome, ville ouverte, de Ro-berto Rossellini. Pour info, l’Italie et la France étant redevenues des nations amies après la guerre, il aurait été question un temps de proposer une organisation alternée, d’une

année sur l’autre, entre les deux festivals…

- La Palme d’Or, graal des metteurs en scène du monde entier (excepté peut-être d’Uwe Boll), n’est ni un Oscar, ni un César. Elle n’est pas remise par une académie et n’est pas censée refléter le meilleur film d’un pays à une époque donnée. Juste la plus grande émotion artistique d’une sélection préétablie par Gilles Jacob et Thierry Frémeaux. L’en-semble est ainsi plus homogène et la com-pétition plus rude. Le jury présidé cette an-née par Nanni Moretti devra faire la part des choses et éviter les pièges…Par exemple, Hong Sangsoo (In another country) n’est pas le frère d’Im Sang-soo (L’Ivresse de l’argent). Ok, les deux sont Coréens. P.S : Jean Dujar-din est un fauteur de trouble puisqu’il a récolté l’an passé le prix d’Interprétation Masculine à Cannes ET l’Oscar du Meilleur acteur…

- Une Palme d’Or, d’accord, mais pourquoi une «palme» justement ? Non, c’est vrai, quoi…En quoi une branchette dorée peut faire bonne figure face à un lion (Venise) et un ours (Berlin) ? Surtout dans un monde aussi concurrentiel que celui des festivals de cinéma où les grandes manifestations se dis-putent entre elles les plus grands cinéastes et les films les plus attendus de l’année… Pour notre part, un dragon, un aigle royal ou en-core Goldorak auraient été plus funs. Non ?

- Le Festival de Cannes est la fête de tous les cinémas. Grâce à lui et à toutes ses sélections (compétition officielle, hors compétition, Un certain regard, Séances spéciales et Cinéfon-dation), nous apprenons à concevoir le mon-

de différemment, moins «Franco-américano centré». Il y ainsi un cinéma roumain vivant, porté par Cristian Mungiu, des metteurs en scène thaïlandais aux noms imprononçables (n’est-ce pas Apichatpong Weerasethakul?), et même des Belges, enfin surtout deux…

- A Cannes, il faut aimer les marches. En fait, surtout celles qui amènent au Palais des Festival. Selon les rumeurs les plus réalistes, l’escalator de l’établissement serait en panne depuis des années. Celui-ci n’aurait que très modérément apprécié l’épais tapis rouge qu’on lui avait mis sur le dos…Au grand dam des vedettes, obligées de froisser leurs ro-bes Hermès comme de vulgaires prolos. Par ailleurs, la difficulté est de garder le sourire tout en saluant la foule entre deux essoufflements.

- La cérémonie des Hot d’Or n’est plus organisée à Cannes, parallèlement au festival. Triste nouvelle pour Rocco Sif-fredi et toute sa trique, pardon sa clique. Heureusement, de temps en temps, So-phie Marceau pointe le bout de son sein…

- Le festival aurait très bien pu s’installer à Va-lenciennes, Mulhouse ou Le Creusot, mais le hasard a choisi Cannes, son soleil, sa méditer-ranée, ses palaces et ses cagoles…Pas de bol.Vous voilà soulagé d’un poids énorme. Grâce à nous, vous allez enfin pouvoir retrouver le som-meil, le sourire et un semblant de culture géné-rale. Si c’est pas beau, la magie du cinéma… Victor Vogt

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PENDANT DIx JOURS, SOUS UN SO-lEIl PRINTANIER NUANCé PARFOIS DE FRAîCHEURS ORAGEUSES, lES FESTIVAlIERS SE SONT EMPARéS DE CANNES. lA CéRéMONIE DE ClôTU-RE À PEINE DIGéRéE, Il EST TEMPS DE FAIRE lE BIlAN, CAlMEMENT, EN SE REMéMORANT CHAqUE INSTANT D’UNE éDITION RéUSSIE ET RICHE EN PROPOSITIONS, BIEN qU’éTONNANTE POUR CERTAINES…

La 75ème édition du Festival de Cannes s’est donc achevée dimanche. Michael Bay, le président du jury, a audacieuse-ment choisi de décerner la Palme d’Or à Kung-Fu Panda 5, bien que le film soit présenté hors-compétition, et ce malgré de nombreuses protestations de certains membres du jury – composé, entre autres, de la comédienne Lindsay Lohan, du jeune réalisateur coréen Park Joon Un-Gyu Kim, Bernard Henri-Lévy, ou encore l’ancien mi-nistre de la culture Guy Bedos. Le réalisateur s’en explique en rappelant qu’en 1943, Dumbo avait déjà reçu la Palme, et surtout qu’en tant que président « il faisait ce qu’il voulait, et que ceux qui n’étaient pas contents pouvaient aller se faire f… ». Le Grand Prix du Jury a été décerné à Lars Von Trier, fraichement sorti de prison pour viol de conifère, pour Hysterical, et le prix du Jury au film Le Jour d’après et celui passé du serbo-croate Ivo-jin Ritovski. La petite histoire retiendra que pour ces deux prix, le jury a dû attendre que leur président parte aux toilet-tes pour voter.On peut cependant s’interroger sur l’ab-sence de Ma vie en mobylette des frères Dardenne au palmarès. Le film a boule-versé les spectateurs, et le voir repartir avec un prix n’aurait étonné personne, si ce n’est le président du jury qui dormait pendant la projection. Comme le veut cette étrange tradition, et pour sa quinzième venue sur la croisette,

Pedro Almodóvar rentre chez lui les mains vides, même si El camino de mi corazon semblait avoir séduit le plus grand nom-bre.

Du côté des acteurs, le triomphe de Jus-tin Bieber en jeune prêtre homosexuel et hémophile peut apparaitre comme une surprise mais elle ne l’est point, tant The darkside of my shadow, le dernier opus de Gus Van-Sant a conquis la presse françai-se et surtout étrangère. Chez les actrices c’est Mélanie Laurent qui se trouve géné-

reusement récompensée. Son prix d’inter-prétation féminine pour Carla, le biopic sur l’ex-femme du président Sarkozy n’est pas usurpé.

Gardons le meilleur pour la fin : on ne peut que se réjouir du Prix de la mise en scène de Bruno Dumont pour Là-haut sur la col-line, récompensant un film de genre stylisé

en trois plans séquences qui « nous fera oublier quelques heures les thèmes pe-sants et métaphysiques de la plupart des films en sélection », d’après Michael Bay lui-même (il s’avérât plus tard que se trom-pant de salle, il était allé voir la comédie ro-mantique L’Amour rend aveugle présentée dans la sélection Un certain Regard).

Voilà, le Festival de Cannes 2022 vient de refermer ses portes et de ranger son tapis rouge. Les cinéphiles vont continuer à aller au cinéma, les membres du jury retourner à leurs occupations, et Michael Bay pour-suivre sa trajectoire de cinéaste découpé, comme ses personnages, entre morale et passion, n’hésitant pas à vider ses cartou-ches d’absurde dans un monde où il s’atta-che avant tout à l’humain. Il doit d’ailleurs commencer le tournage de son remake d’Autant en emporte le vent (qui devrait se passer dans un futur proche post-apoca-lyptique) dès cet été…

Olivier Fournel

CANNES 2022 ET SI MICHAEL BAY ETAIT PRESIDENT

« le triomphe de justin bieber »

Le festival de Cannes,c’est quoi en fait ?

Delirarium

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