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    Lautorit en perspective. La nomographie comme science de lautorit

    par Jean-Pierre CLRO

    | Presses Universitaires de France | Ci t s

    2001/2 - n 6

    ISSN 1299-5495 | ISBN 2130518915 | pages 13 23

    Pour citer cet article :

    Clro J.-P., Lautorit en perspective. La nomographie comme science de lautorit, Cits2001/2, n 6, p. 13-23.

    Distribution lectronique Cairn pour Presses Universitaires de France .

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    On a souvent rendu hommage Foucault parce quil avait vu que lepouvoir ne sexerait pas seulement la faon verticale de la souverainetpolitique, mais quil sappliquait aussi horizontalement, en pntrant tousles domaines de la socit civile. En supposant quil sagisse, quand elleconcerne le pouvoir, dune dcouverte, la mme remarque, applique lautorit, nen est, coup sr, pas une ; lautorit sest, trs tt, trouve

    cartele sur les registres les plus divers, mme lorsque lanalyse en taitfaite des fins de philosophie politique. Ainsi, lorsque Hobbes, dans leLviathan, dveloppe lexplication du contrat politique par la transmis-sion dun droit un souverain, analyse-t-il, dans le fameux chapitre XVIdu livre I, lautorit en des termes qui dbordent largement la sphre dupolitique : Les paroles et actions de certaines personnes artificielles sontreconnues pour siennes par celui quelles reprsentent. La personne estalors lacteur ; celui qui en reconnat pour siennes les paroles et actions estlauteur, et en ce cas lacteur agit en vertu de lautorit quil a reue. Lautorit nest pas une qualit mais elle est la dsignation dun tre, quina pas forcment dexistence empirique, cens avoir fait tel ou tel acte,avoir prononc telle ou telle parole, et engager par l tous ceux quil repr-sente. On conoit lintrt juridique et politique de cette notion quipermet dagir au nom dautres personnes ; mais on comprend aussi quelledborde largement cette sphre juridico-politique. Le rassemblement enun sujet, voire en un sujet de sujets, soit une collectivit, nest pas le seulfondement de lautorit. Il est peu de choses qui ne puissent tre repr-

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    sentes de manire fictive. Des choses inanimes, une glise, un hpital,un pont peuvent tre personnifis par un recteur, un directeur, un contr-leur. Il est vrai que Hobbes ajoute aussitt que les choses inanimes nepeuvent pas tre des auteurs , quelles ne peuvent tre personnifiesavant quil nexiste quelque forme de gouvernement civil . Mais trs vite,des philosophes, en particulier britanniques, lecteurs de Hobbes, ont parusvertuer lui donner tort en parlant, en un sens extra-politique, delautorit de textes, pas seulement sacrs, dimages, de tableaux1, dobjetsparfois trs triviaux2, dides, de reprsentations3, de sentiments, dani-maux mme. Cette incroyable gnralisation de lautorit nen a-t-elle pasrelgu le concept au rang dune simple mtaphore ? Ou cette extensiona-t-elle au contraire permis de prciser lutilisation juridique et politique

    du concept au point que, pour mettre lanalyse des micro-pouvoirs chezFoucault dans toute sa force, les modernes ont parfois pu proposer delouvrir sur le problme classique de lopposition de la libert et delautorit4 ?

    I CONTRADICTIONS ET EXTENSION

    DE LA NOTION DAUTOR IT

    Au moment mme o la notion dautorit, par lintermdiaire de celle delapersonne, parat se resserrer autour des notions demasqueetdedlgation,se comprend le principe mme de son extension. Lautorit a t pose parHobbes comme un substitut de linexistence et de lirralit de la personneet du sujet. On peut affirmer que des actes, des paroles, des penses, dessentiments existent, mais celui qui on les attribue nest pas ncessaire-

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    1. Hume,Essais esthtiques, Paris, Vrin, 1974, vol. II, p. 85-86.2. Hume, Trait de la nature humaine, Paris, GF, 1991, t. II, p. 182. Dans ce mme trait,

    Hume parle du droit [pour un objet] dtre nomm de telle ou telle faon (I, 308).3. Hume,Trait de la nature humaine, Paris, GF, 1995, t. I, p. 145. Hume parle de lautorit

    de notre mmoire et de nos sens .4. Cest le cas, par exemple, de D. Deleule, dans son entretien avec F. P. Adorno, Lhritage

    intellectuel de Foucault, inCits, Paris,PUF, 2000, no 2, p. 102 : [...] en radicalisant la question dupouvoir, Foucault semble sortir des cadres de la pense politique classique et recourir une maniredanthropologie sociale, mais cest pour mieux faire retour au politique et retrouver, sa manire,dans des formes conceptuelles nouvelles, la question traditionnelle des rapports entre autorit etlibert. Comment viterait-on de penser, en coutant ou en lisant ces deux mots joints parD. Deleule, au dernier discours crit par Hume sur Lorigine du gouvernement? (voir Hume,Quatrediscours politiques, Centre de philosophie politique et juridique, Universit de Caen, 1986, p. 145).

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    ment existant. La fiction de lauteurremplace le manque de ralit de lapersonne. Les philosophes qui, la suite de Hobbes, ont analys lautorit,en des termes voisins des siens, ont toujours, en mme temps, mis en ques-tion la ralit du sujet, cest--dire de lunit psychique quil faut biensupposer si lon veut organiser le monde social, juridique et politique. Lapersonne nexiste pas, mais on peut dcider de lui accorder quelque ralitpar un jeu de fictions. Cet cartlement, qui se retrouve chez presque tousles auteurs qui nadmettent pas la substantialit dun sujet, aussi opposssoient-ils par ailleurs, comme Hobbes, Hume, Kant, Bentham, JohnStuart Mill, est la source de multiples contradictions dont il faut voir sielles peuvent se rsoudre. Elles se ramnent principalement trois, dont ladernire fera particulirement lobjet de notre attention.

    Lapremiredentre elles est sans doute celle qui consiste livrer, sur lemode dune fiction quil convient de raliser, ce qui est condamn, sur leplan des faits et de la ralit. Si le sujet na pas de ralit, on peut encorefairecomme silen avait une et exiger que certains agrgats dactes, depenses, de paroles, de sentiments, se structurent en units pour que ledroit puisse sappliquer et que lorganisation politique parvienne seconstituer. Le problme qui se pose est de savoir jusqu quel pointlcartlement des choses telles quelles sont et des choses telles quon lessuppose ou voudrait quelles fussent est supportable. Peut-on transformeren un jeu de droits et de devoirs limpossibilit, pour chaque positionindividuelle, de concider avec son tre empirique ? On demande trange-ment, lautorit, denregistrer cette diffrence et de la rduire, en comp-tant sur lindividu ou sur quelque autre tre pour quil se constitue encette sorte dentit dont on a pourtant pralablement montr quellenavait et ne pouvait avoir dexistence. Mais y a-t-il un sens demander des tres de devenir ce que lon sait ne pas tre possible ? Lastuce quiconsiste projeter, comme une ide rgulatrice, un concept qui contientau prsent des contradictions, ne fait gure que remettre plus tard leurrsolution ; or rsout-on une difficult en la diffrant indfiniment ? Il

    nest pas sr que lon puisse demander la dontologie de rsoudre lesapories de lontologie.On est frapp, ds quon regarde historiquement la notion dautorit,

    par lincroyable effort des auteurs pour chercher la solution du problmedans le problme mme. Le devoir, quil soit impos de lextrieur ouquon fasse en sorte quil simpose de lintrieur, est trs exactement letype de solution dun problme qui nonce une impossibilit ontolo-

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    gique. Demander lautorit quelle rsolve limpossibilit thorique delunit subjective en tentant de leffectuer pratiquement, ou, mieux, encomptant sur le rflexif du se contraindre cette unification pourlimaginer, du mme coup, recevable, pose peu prs le mme genre dedifficult que de demander lamour-propre de se supprimer lui-mme et lintrt de sautolimiter pour se conserver lui-mme. Lautorit est uncas typique du figmentum malum dont parle Pascal1 ou de constitutionoblique, comme on la voit chez Hume2.

    Parsasecondecontradiction, lautorit rvle mieux encore sa structure.En effet, si la dontologie peut parfois sriger en instance qui rsout lescontradictions de lontologie, ce nest pas tout fait par un mouvementcontinu qui escamoterait la diffrence entretreetdevoir tre; mais cest

    plutt en invoquant des valeurs diffrentes de celles qui ont conduit auconflit. Il nest peut-tre pasvraiquil y ait des personnes, mais lordre oulorganisation sociale, qui vaut bien la vrit, veut quil y en ait et quon lesimpose pour quon sache qui a fait telle ou telle chose, qui possde telle outelle proprit et qui il arrive tel ou tel vnement. Le recours lautoritsuppose toujours, dans le principe, la mise en balance de deux types devaleurs, dont lun est cens rsoudre les difficults de lautre, ou dont il sepose en dpassement du conflit.

    Il ne faut pas croire quil y ait des activits qui permettent dchapper ce jeu conflictuel. Le moindre atome dautorit est dj une structurecomplexe. On a souvent cru, il est vrai, pouvoir opposer la raison au prin-cipe dautorit ; mais la raison est elle-mme traverse par ce principe, ycompris dans des domaines strictement thoriques3. Les freins quunescience impose au scepticisme nont souvent pas dautre raison que lavaleur mme quelle accorde sa propre existence. Toute activit gagneson autorit en jouant des valeurs contre dautres.

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    1. Pascal,Penses, frag. 453 (Brunschvicg) ; frag. 211 (Lafuma). On peut traduire figmentummalum par la mauvaise fiction .

    2. En particulier, loccasion de la justice, qui est la constitution dun systme artificiel, quiplonge ses racines dans les passions et les intrts quil satisfait de manire oblique et indirecte (Trait de la nature humaine, Paris, GF, 1993, t. III, p. 98).

    3. Ainsi, comme J. Merleau-Ponty le souligne, dans saCosmologie duXXesicle(Paris,NRF-Gal-limard, 1965), il est des physiciens, comme Costa de Beauregard, qui pensent que, en mcaniquestatistique, il faut faire intervenir un principe dinterdiction [...] pour empcher lusage des loisstatistiques en rtrodiction et que ce principe est extrinsque (p. 305). Hume avait, depuislongtemps, trait de lautorit de la raison ; plus exactement, de son titre agir sur nous ( Trait dela nature humaine, t. I, p. 364).

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    de la surface du tableau, langle de vue, le point de fuite, la sourcedclairage ; mais, une fois ces composantes fixes, une ncessit impla-cable est enclenche : les faces qui fuient, en apparence, la surface dutableau le font rgulirement. Si je ne suis pas les rgles, les faces perdenttoute impression de fuite : je ne fais plus un tableau, mais une marquet-terie. Les couleurs mmes changent, selon ces mmes lois que je ne dcidepas, sur les faces dune chose qui sabme vers lhorizon. Je ne pourrai pasempcher les choses de devenir de plus en plus vanescentes au fur et mesure quelles emplissent les plans qui senfoncent dans le lointain. Onest pass graduellement de la simple libert des rgles de plus en plusinsistantes, qui mobligent une certaine pratique, faute de quoi, ce que jefais, ce que jai voulu faire perdrait tout sens, toute cohrence plausibles.

    Pour que la gravure que je trace puisse se dtacher de moi et vivre dunevie propre et universelle, il faut que jobisse des rgles que je nai pasdcides. Cest cette condition-l quelle mchappe et exerce sur moiune autorit. Une intrication de thtres laquelle jai donn impulsion,en dsirant prsenter une histoire, comme on disait au XVIIe sicle, semanifeste en sries, tant du ct de limage, dont les multiples plansstagent et se fondent les uns dans les autres, intriquant la libert et lancessit en un jeu net o chaque dcision a des implications dterminessur lesquelles elle ne peut rien, que de lautre ct de limage, puisque madcision est entre dans un conditionnement de rgles, de plus en pluscontraignantes. Pour que limage qui fait autorit puisse vivre sa proprevie et simposer quelque regard que ce soit, il faut que des rgles assurentsa rupture avec la volont qui la dcide.

    I I I L IDE DE NOMOGRAPHIE

    Les lois sont, lgard de ceux qui les dcident et surtout de ceux qui lescrivent, dans une relation comparable aux gravures lgard de ceux quiles fabriquent ; et ceux qui leur sont soumis sont, par quelque ct, leurgard, dans une relation semblable aux spectateurs vis--vis de la gravurequils considrent.

    En effet, de mme que le dessinateur semble aller la rencontre, eninventant, des limites de sa cration, sous la forme de rgles, de mme lelgislateur qui crit les lois, quelles aient ou non t voulues par uneassemble dmocratiquement lue, rencontre les limites des rgles et des

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    principes dj existants. Et, comme celui qui regarde un dessin est la foissoumis la volont de linventeur et aux rgles qui la grent, celui quiconsidre les lois est sensible limpact dune volont et sa limitation pardes rgles.

    Nous sommes dsormais en mesure dindiquer le lieu et la fonction queBentham assignait lanomographie1, qui permet une critique de lautoritdans son caractre diffus plus intressante que la mise en question demicro-pouvoirs, laquelle laisse encore supposer non tout fait sansraison dailleurs une volont tatillonne luvre dans le menu de noscomportements. La partie la plus intressante de la philosophie deBentham nest sans doute pas celle par laquelle lauteur a lui-mmesacrifi ce dlire bureaucratique qui sempare des corps pour mieux les

    redresser ; elle est plutt dans la mise en vidence dune sorte din-conscient des lois, qui leur fait dire le contraire ou qui, du moins, les faitdiffrer de ce quelles veulent dire ou de ce quon croit quelles veulentdire. Il est clair que lautorit rside dans cet inconscient des lois, quelleest autant et peut-tre essentiellement dans la partie masque de nosvolonts ; que cette partie masque est beaucoup moins chaotique quelon pourrait croire et quelle est trame par des lments symboliquesextrmement rgls. Dchiffrer cette symbolique pour savoir ce que nousenfouissons sans le savoir, cest--dire sans vouloir le savoir, est la tche dela nomographie, que lon assimile, aujourdhui, trop facilement la seulelinguistique2.

    Essayons de faire quelques hypothses sur une nomographie quiserait une science de lautorit horizontale, la moins visible. La disciplineest encore laspect le plus visible de cette autorit puisquelle snonce enrglements ; il est dautres aspects de lautorit qui ne snoncent pasavec la mme clart minutieuse. Le vritable panoptique nest pas uneexcroissance pittoresque du social, cest un puits qui ne travaille sousla loi 3, pour la matrise effective des choses et des hommes, qu serendre invisible. Il faut analyser comment lautorit sinscrit au cur du

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    1. Quon appelle parfois aujourdhuilgistique, dsignant, par ce terme, le mme art dcrire leslois qui rgissent positivement les socits.

    2. Les rares travaux qui saventurent sur ce terrain aujourdhui, comme ceux de FrederickBowers, sont essentiellement linguistiques. Voir, en particulier, son ouvrageLinguistic aspects oflegislative expression, Vancouver, University of British Columbia Press, 1989.

    3. Selon lheureuse expression benthamienne .

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    IV LA NOMOGRAPHIE COMME SCIENCE DE LAUTORIT

    La nomographie est, pour les lois, lquivalent de lichnographie pourles images. Les fautes de nomographie sont aussi graves que les fautesdichnographie ; les lois se trouvent alors dissocies et dresses les unescontre les autres, comme les tableaux se trouvent disloqus quand onnglige leurs rgles de fabrication.

    La nomographie sinstalle au point dinterfrence de trois ples. Il y adabordla loi, que le lgislateur a la volont dinstaurer : ce nest pas parcequon veut crire une loi que cette loi sera crite comme on la veut1. Il y aensuitela situation quil sagit de rgler et dorganiser ; aucune situationnest demble juridique et il faut qualifier ou dterminer cette situation,

    dsigner ses objets, ses points dancrage, toujours fluctuants, constituspar nos murs, nos sciences, nos idaux, lesquels donnent lieu des atti-tudes contradictoires que lon doit pourtant tenir ensemble et rendre aumieux cohrentes. Lontologie du droit est videmment relative en cesens. Cette relativit nest battue en brche quau moyen de lillusionproduite par linertie des lois dj tablies, qui fait que lon pense lesnouvelles situations partir des anciennes, faute de savoir, de pouvoir etde vouloir rformer constamment des pans entiers du systme juridique.Cest le point o les notions et distinctions les plus contradictoires separent des oripeaux de lthique ; or le droit a-t-il autre chose gagner delthique, quand il ne se distingue pas delle et prtend lincorporer, sinondes contradictions, donc des solutions douteuses et contestables apportesaux situations conflictuelles qui se prsentent ? Sinterroger sur les pointsdappui du droit et ses points dinsertion dans la ralit sociale, historique,ne vaut-il pas toujours mieux que de se crisper sur des positions qui intro-duisent en lui des contradictions paralysantes ? Si le droit nest pas safaon une pense du rel, il se discrdite.

    Enfin, il y a le langage qui, par son double chanage de signifiantsstables et de signifis quil est impossible de fixer, traverse et exprime toutes

    les contradictions prcdentes, non sans ajouter les siennes propres. Letemps cre, en passant, toutes sortes de distorsions entre le signifiant et sessignifis ; dinvitables quivoques se dveloppent car les constituants dessignes nont pas la mme historicit. Il est intressant, cet gard, de remar-

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    1. En ce sens, lecommon lawdcle un problme qui ne sest pas pos seulement en Angleterrejusquaux temps modernes ; la loi crite peut rserver bien des surprises cause de sa distance laloi ambitionne.

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    quer comment les lois de 1994 en biothique usent de la notion depersonne, en toutes sortes dacceptions, jouant constamment lune contrelautre, permettant les hypocrisies les plus varies. Ainsi parat-on tenir lapersonne comme un principe et couvre-t-on en son nom toutes sortesdactions qui la contredisent. Il se pourrait dailleurs que les forces et lesdsirs qui poussent lhypocrisie soient plus importants que les freins appa-rents quils subissent dune acception dallure kantienne de la notion ; maisalors pourquoi ne pourraient-ils pas se dire dune manire moins couverte ?

    Certes, on peut toujours rver dun droit qui dirait exactement ce quele lgislateur projette, qui ne masquerait rien de la ralit, levant touteambigut, toute obscurit, empchant toute drive des signifiants et dessignifis ; mais on ne peut que tendre un pareil rsultat, dont nous

    dtourne la simple agitation de grands principes, lesquels, sous couleur deservir de guides, ajoutent la confusion. Certes, il ne sagit pas non plusde croire que lthique naurait plus lieu dtre si lon parvenait rduireles imperfections prcdentes, mais il ne saurait non plus y avoir derevendication thique digne dtre prise en compte sans le savoir de cetriple jeu entre les exigences de la loi, celles de la ralit sociale et histo-rique quelle pense, et celles du langage qui exprime les unes et les autres.Il faudra rien de moins que les efforts conjugus de la logique, de lalinguistique et de la psychanalyse pour parvenir cette science.

    Car les rgles qui se dissimulent pour faire que la loi chappe ceux quilutilisent et quelle domine, comme le demandait Rousseau1, nont pas lasimplicit des lois de la perspective qui rglent les images dans leursparation du spectateur et mme de celui qui les fabrique. Ellessexpriment toujours dans une langue particulire qui rend possibles despoints de vue et en interdit dautres, par la syntaxe et la smantiquepropres chacune dentre elles. Les idiosyncrasies de leur langue sontparticulirement difficiles dtecter par ceux-l mmes qui la parlent. Onmesure ici lincroyable difficult quil y a traduire le droit dans unelangue autre que celle dans laquelle il a dabord t nonc2. On conoit

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    1. Chacun connat la fameuse phrase de la lettre de Rousseau au marquis de Mirabeau : Voici, dans mes vieilles ides, le grand problme en politique, que je compare celui de laquadrature du cercle en gomtrie et celui des longitudes en astronomie : trouver une forme degouvernement qui mette la loi au-dessus de lhomme (uvres compltes, Paris, Anguis, 1827,t. XXVI, p. 181).

    2. Cest un point que remarquait John Stuart Mill dans le cadre de la colonisation britanniquedes Indes et dont il a, trs tt, vu quil tait source de violence : Les premiers conqurants anglaisdu Bengale, par exemple, apportrent lexpression depropritaire terrien (landed proprietor)dans un

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    aussi que lautorit puisse aisment se loger et se dissimuler danslidiosyncrasie des langues qui simposent ceux qui les parlent sans quilsle sachent.

    V AUTORIT DES PERSONNES.AUTORIT DES CHOSES

    Il est temps de revenir sur ce que le dtour par les objets nous a permisdacqurir sur la notion dautorit. Car la chose qui importe, disaitWeber, est la faon dont lindividu est en fait vu par ses sujets ; nousavons suggr que les rgles de perspective devaient tre recherches dansles choses textes, institutions, constitutions... Lautorit est bien lartdimposer des rgles en sinterposant entre elles et les hommes, ou de seservir de ces rgles pour les dplacer quelque peu, pour faire franchir auxhommes une autre tape ou une autre configuration politique et sociale ;elle ne peut toutefois remplir ce rle quen se donnant, au moins partielle-ment, comme autorit de la chose. Cest sous le masque de la chose que lesymbolique parvient le mieux se dguiser et assurer le mouvement deretour qui parat simposer celui qui le considre. Mais si, sous la figurede la chose et profitant de son aplomb, lautorit nous en impose, cestsans doute, parce que, par quelque ct, tout symbole est chose ; cest

    aussi, plus profondment, parce que la chose ne peut se constituer, quellesoit sentie, perue, ressentie ou remmore, quelle sadresse notrecomprhension ou notre vouloir, que par la symbolique de lexpressionet que cette expression se dissimule elle-mme, comme le montrent, dansle sillage de Hobbes et de Locke1, toute une ligne de penseurs audacieux.

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    pays o les droits des individus sur le sol taient extrmement diffrents en nature et en degr deceux reconnus en Angleterre. Appliquant l le terme, dans toute son acception et sa porte anglaises,ils accordaient un droit absolu tel individu qui navait quun droit limit, et ils taient tout droit tel autre, parce quil navait pas un droit absolu, et ruinrent ainsi et rduisirent au dsespoir desclasses entires de ce peuple, remplirent le pays de bandits, crrent un sentiment de dfianceuniverselle, et, avec les meilleures intentions, amenrent dans ces contres une dsorganisationsociale que ny avaient pas produite les plus impitoyables de leurs envahisseurs barbares (Systme delogique, Bruxelles, Mardaga, 1988, t. II, p. 242-243). On stonnera que, sur cette question dulangage, la critique du colonialisme nait pas mis laccent avec la vigueur quon aurait pu attendre.En tout cas, toute confdration dtats doit affronter le problme dans toute son pret.

    1. Comme Berkeley, Hume, Bentham, John Stuart Mill. Il nest pas fortuit que ce soit lemme philosophe qui enseigne le caractre profondment symbolique de la perception et qui rfl-chit sur lautorit dans lObissance passive(voir Berkeley,Essai pour une nouvelle thorie de lavision, 46, 47, 49, 50, 51).

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    Si la constitution des choses, par lesquelles les affaires humaines se dissi-mulent, est fondamentalement symbolique, cest parce que le symbolepeut sopposer lui-mme, se tourner contre lui-mme, fabriquer lescrans et les dtachements dont lautorit a besoin, tout en dissimulantquil le fait.

    Il ntait donc pas fortuit que lanalyse de lautoritse soit centre defaon dcisive sur la notion dauteurau XVIIe sicle avec Hobbes ; cestpour des raisons internes au langage et formelles que lintrt sest portsur ce qui apparat comme un contenu particulier. Lautorit est lapuissance dguise du symbolique qui se donne travers la figure encoremystifie de lauteur. Sans doute la notion dauteur apparat-elle Bentham comme un gain critique par rapport une notion comme celle

    decausalit1, mais la critique de lautorit doit aller jusqu linspection dela stratgie de la guerre des mots sur le terrain politique, dune part, dela nomographie, dans le domaine du droit, dautre part. Sur ce point,comme sur lautre, laffaire nen est qu son dbut.

    M. Troper disait, il y a prs dun quart de sicle : Plus qu des obliga-tions, les diffrentes autorits sont soumises ce quon peut appeler descontraintes, cest--dire des impossibilits daction, corrlatives leurinsertion dans un systme complexe. 2 Il nous faut penser dsormais queces impossibilits physiques auxquelles paraissent se heurter les auto-rits sont plus symboliques quelles ne le semblent et que la vritable auto-rit se loge plutt dans ces contraintes symboliques.

    1. Lacause, quand le nom est utilis au sens propre, est le nom dune entit fictive ; si vousvoulez le nom de lentit relle qui lui correspond, substituez le mot auteur[...] au motcause(Chrestomathia, d. M. J. Smith et W. H. Burston, Oxford, Clarendon Press, 1983, p. 280).

    2. Pouvoirs, no 4, 1978, p. 62.

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