Cinq mois d’observation participante aux côtés de la ... Cinq mois d’observation participante...

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1 Cinq mois d’observation participante aux côtés de la Plateforme des Affectés par l’Hypothèque (PAH) de Barcelone Immersion du 2 octobre 2015 au 2 avril 2016 Par Coline Rande Promotion 17 d’Echanges & Partenariats Volontaire envoyée par l’association du Droit au Logement (DAL) à la Plateforme des Affectés par l’Hypothèque (PAH) de Barcelo

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Cinq mois d’observation participante aux côtés de la Plateforme des Affectés par l’Hypothèque (PAH) de Barcelone

Immersion du 2 octobre 2015 au 2 avril 2016

Par Coline Rande

Promotion 17 d’Echanges & Partenariats Volontaire envoyée par l’association du Droit au Logement (DAL) à la Plateforme des Affectés par l’Hypothèque (PAH) de Barcelo

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« Si el amor me da un beso y yo me pongo a temblar…

¿qué importancia tiene todo eso mientras haya un desahucio más? »

Extrait de Canción para la PAH de Nacho Vegas

« Si el Pueblo esta Unido, Jama Jama, sera vencido, Jama

Grita tu Conmigo Pero ello No, No, No, Quieren

Seguiremo luchando Cueste lo que Cueste

Si, se puede ! » Extrait de Si Se puede d’El Biri

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Remerciements Je tiens à remercier toutes ces personnes brillantes et pleine d’humanité rencontrées lors de mon expérience à Barcelone : Magda, Santi, Carlos, Irene, Elisa, Marta, Monica, Sira, Borja, Maria, Noélia, Lucia, Noémi, Matias, Gabriele, Ernest, Begoña, Flor, Edu, Esther, Mél, Aida, Ainhoa, Juanjo, Yolanda, Wilson, Dunia, Luis, Aura, Llum, Aina. Et tous les nouveaux militants qui chaque lundi viennent grossir les rangs. Merci Pour avoir répondu à mes dizaines/centaines de questions, Pour m’avoir amené avec vous à l’assemblée catalane, à l’assemblée nationale à Séville, à la calçotada à Tordera, au concert de Nacho Vegas au Palais de la Musique, De m’avoir transmis autant d’éléments forts du mouvement tout en me laissant découvrir et expérimenter moi-même, De m’avoir donné la force de me rendre compte que tout se construit et qu’avec de la patience, de la persévérance et de l’information, chaque combat peut être gagné.

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Quelques mots avant de commencer. Cet écrit est le résultat de cinq mois d’immersion à la Plateforme des Affectés par l’Hypothèque de Barcelone. Fruit d’une observation-participante, d’une quinzaine d’entretiens, d’une quarantaine d’assemblées du lundi et du mardi, de ma participation à une assemblée catalane en novembre et à une assemblée estatal à Séville en janvier, de discussions informelles autour de cañas, de plusieurs actions contre les banques, pour appuyer les 5 exigences de la PAH lors des élections législatives, pour stopper des expulsions et d’autres moments encore. Très certainement, ce texte contient des erreurs et manque de précisions. Il ne s’agit ni d’un mémoire ni d’un compte-rendu d’expert. Je ne suis pas économiste, je ne peux pas vous expliquer le pourquoi et le comment de la crise espagnole. Je ne suis ni anthropologue, ni politologue, ni philosophe. Je suis une jeune femme en mal de cette société injuste, inégalitaire et sclérosée, très intéressée et mobilisée dans la lutte pour les droits, la réappropriation urbaine et la formation de contre-pouvoir citoyen. Mon expérience à la PAH a été un moment très touchant et formateur pour moi. Ainsi donc, il y a des dizaines de choses que je ne pourrais pas expliquer de la PAH Barcelone mais il y a des dizaines d’anecdotes que je pourrais vous conter avec le plus grand plaisir.

Copyright 2016, Coline RANDE Toute utilisation de ce texte est interdite sans l’autorisation de l’auteur.

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La Plateforme des Affectés par l’Hypothèque ........................................................ 6  

Hypothèques, intérêts sans limites, clauses abusives et recours possibles pour les affectés. ................................................................................................................................ 9  Assemblée de bienvenue ................................................................................................... 12  Assemblée de coordination ................................................................................................ 18  

Les campagnes de la PAH : des luttes complémentaires graduelles. ................ 21  La campagne « Stop Desahucios » lutte contre les expulsions ......................................... 21  Obra Social ou la récupération des logements vides ......................................................... 21  

Une organisation interne qui repose sur des commissions ................................ 28  La commission internationale de la PAH ............................................................................ 28  La commission communication de la PAH Barcelone ....................................................... 30  

Une PAH Barcelone en réseau avec d’autres mouvements ................................ 32  L’Alliance contre la Pauvreté Energétique : un partenaire de lutte complémentaire de la PAH .................................................................................................................................... 33  Observatoire de Droits Economiques, Sociaux et Culturels : un appui juridique central dans la lutte de la PAH. ...................................................................................................... 36  

Une lutte portée sur le changement de la Loi. ...................................................... 38  La Loi 24/2015, une initiative législative populaire qui apporte du droit dans les situations d’urgence habitationnelle et de précarité énergétique ....................................................... 38  « La ley de las 5 », la nouvelle proposition de loi. .............................................................. 41  

La mairie et la PAH : un équilibre à trouver sur un fil ........................................... 43  Une mairie qui ouvre des groupes de travail pour aborder l’urgence et réfléchir à une stratégie plus large, des organisations citoyennes invitées ............................................... 43  La PAH poursuit sa lutte contre ceux qui n’appliquent pas la Loi 24/2015, même s’il s’agit de la mairie ......................................................................................................................... 48  Les grands projets de la mairie pour développer son parc public ..................................... 53  Quelques éléments de conclusion par rapport à cette relation ......................................... 56  

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La Plateforme des Affectés par l’Hypothèque La Plateforme des Affectés par l’Hypothèque est un mouvement citoyen organisé contre les prêts hypothécaires abusifs et de manière plus générale pour le droit au logement. Elle s’organise en assemblées, commissions et développe sa stratégie autour d’actions concrètes. Elle agit à court terme en répondant aux urgences comme les expulsions et à long terme, elle se bat pour changer la loi. Histoire1 La Plateforme des Affectés par l’Hypothèque est créée en 2009. Elle nait de la rencontre entre des militants issus de deux mouvements : d’un côté des gens engagés dans le Droit au Logement avec le mouvement « V de vivienda » sur les questions de paiement des loyers des jeunes précaires, de l’autre des militants issus d’un réseau national de centres sociaux à caractère autonome/autogéré travaillant avec des migrants par des conseils collectifs. Le contexte espagnol devient de plus en plus préoccupant à la suite de la crise des subprimes en 2008, de l’explosion des taux d’intérêts, du chômage massif. Lorsque le centre social « Tiene una candela » de Terrassa voit arriver de plus en plus de personnes avec des problèmes de remboursement d’hypothèque, un rapprochement avec le collectif « V de vivienda » s’organise. Des premières réflexions ont lieu à partir de questions du type : « Que pouvons-nous faire pour répondre aux problèmes de ces personnes ? » ; « Comment être utile à ces personnes ? ». Après quelques réunions préparatoires entre une dizaine2 de militants, ils décident de coller des affiches très simples dans toute la ville pour amener les personnes ayant des problèmes liés au paiement de leur hypothèque, ou étant en procédure d’expulsion à participer à une première réunion dans le Raval. Une centaine de personnes sont présentes. Les militants se rendent mesurent l’ampleur du phénomène. A partir de ce moment-là, ils décident de s’organiser pour essayer d’y répondre. Ils n’ont ni formations juridiques ni financières. Pour chacun, c’est les assemblées qui permettent au fur et à mesure une « auto-formation ». C’est comme ça que petit à petit nait la PAH. Tout démarre autour d’une assemblé. La personne vient exposer son problème d’hypothèque, les conseils collectifs permettent d’y voir plus clair. L’assemblée avait lieu tous les quinze jours, et était ouverte à tout le monde. Les problèmes de chacun étaient exposés publiquement avant d’être débattus collectivement. Une fois par semaine, le groupe de militants, quant à lui, se retrouve pour discuter en groupe fermé de l’organisation du mouvement, des assemblées, de la logistique, de la stratégie, c’est ce qui deviendra plus tard l’assemblée de coordination du mardi, ouverte à tous. Le 15-M a joué un grand rôle dans le mouvement de la PAH. Avant le mouvement des Indignés, il y avait 70 PAH en Espagne. A la suite du mouvement, le nombre de PAH double et il passe à 150. La question des hypothèques et des expulsions était devenue une vraie préoccupation des grandes assemblées citoyennes. Les militants voulaient s’organiser pour lutter contre ces injustices.

1 Cette partie est basée sur un entretien avec Lucia D, le 15 mars 2016, durée de 58 min 2 Il s’agit d’Ada, Aina, Adria, Ernest, Guilhem, Lucia D, Lucia M

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Diffusion du modèle PAH : tutelle et accréditation Il venait des gens de « tas d’endroits différents » pour assister à ces assemblées. Toutes ces personnes venues bénéficier de conseils collectifs ont décidé, à leur tour, d’organiser des assemblées pour informer, créer un rapport de force et préparer au mieux les gens qui souhaitaient négocier avec les banques. C’est comme ça que d’autres PAHs ont vu le jour dans toute l’Espagne, que la diffusion du modèle PAH s’est faite. La PAH de Barcelone réfléchit à « qu’est ce qui fait PAH ? » ; « quels sont les critères pour être une PAH ? », et aussi à ce qui doit être transmis. Elle établit un protocole avec des lignes rouges à respecter. « La PAH est non-encartée, gratuite, non-violente, tout se déroule en assemblée autour de conseils collectifs pour travailler pour un bien commun ». Il s’agit des quatre éléments essentiels à respecter. D’abord au niveau catalan, la PAH Barcelone se déplace « pour accréditer » de nouvelles plateforme3. Ensuite, de nouvelles PAH accréditées s’occupent de diffuser le modèle en accréditant de nouveaux espaces. Ces échanges et cette transmission permettent d’amplifier la vision commune au sein des PAHs. C’est comme cela que se structure le mouvement. Mise en réseau et jeu d’échelles A la suite de cette multiplication des PAH, rapidement « il a fallu communiquer, discuter, s’organiser, décider ». Un mail commun est mis en place et des réunions présentielles démarrent. Petit à petit, la PAH devient une structure de plus en plus forte et organisée. Figure 1 : Schéma d'organisation et des commissions de la PAH

Source : capture d’écran de l’annexe 1 des documents utiles pour les PAH’s. http://afectadosporlahipoteca.com/wp-

content/uploads/2015/09/Documento-sin-t%C3%ADtulo.pdf

3 Bien sûr tout cela suit un déroulé précis. Le groupe qui souhaite devenir une PAH est mis sous tutelle par une PAH proche géographiquement. Pendant plusieurs semaines, cette PAH veille à lui transmettre les éléments clés de la Plateforme et à discuter de manière « très transversale et horizontale ». La PAH sous tutelle vient assister aux assemblées d’une PAH accréditée plusieurs fois. Des temps de débriefing et transmission sont organisés. Ensuite lorsque la PAH sous tutelle organise ses propres assemblées, les militants de la PAH accréditée viennent vérifier son déroulé durant plusieurs semaines et faire des retours sur ce qui est bien ou pas, avant de donner l’accréditation.

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Aujourd’hui, il y a 220 PAH en Espagne. Chacune s’organise localement. La PAH Barcelone, par exemple, est une PAH locale qui est composée :

- d’une commission « Obra Social » pour structurer cette campagne de réquisitions de logements vides appartenant aux banques,

- une commission « Stop Desahucios » pour structurer la campagne de lutte contre les expulsions,

- une commission communication, - une commission Logements Locatifs, - une commission logistique/préparation des actions, - une commission « charlas » qui répond aux invitations d’association ou encore de

groupes universitaires pour expliquer ce qu’est la PAH, - une commission de bienvenue qui structure l’assemblée de bienvenue du Lundi, - et d’une commission de coordination qui s’occupe de l’assemblée de coordination

du mardi dans laquelle se prennent les décisions et se structure la stratégie de la PAH Barcelone.

Chaque PAH localement n’a pas le même nombre de commissions et de campagnes, cela dépend du nombre de militants mobilisés. Chaque PAH organise comme elle souhaite son calendrier (jour et nombre d’assemblée de bienvenue, etc).

Il existe quatre PAH régionales : une en Catalogne, en Andalousie, à Madrid, aux Asturies. Elle se retrouve une fois par mois en assemblée de coordination. La PAH catalane est composée :

- une commission Obra Social, - une commission communication, - une commission action collective-catalane, - une commission de coordination qui s’occupe de faire les comptes rendus, les

ordres du jour de l’assemblée, qui dynamise et structure, qui prend les décisions entre les assemblées plénières.

Et bien sûr il y a la PAH au niveau national. Son assemblée de coordination a lieu tous les 3 ou 4 mois. Elle est composée :

- une commission Logements locatifs - une commission communication - la commission Obra Social et la juridique sont en train d’être réactivées - une commission « la loi des 5 exigences » - et la commission technique qui tient le même rôle que la commission de

coordination. Dans chacune des PAHs, chaque commission a sa propre autonomie d’organisation et de propositions néanmoins toutes les propositions4 seront débattues et décidées lors de l’assemblée de coordination qui est l’assemblée « souveraine ». Pour chaque campagne, commission, il y a un protocole rédigé à respecter. Il existe des documents utiles pour les PAHs5. Par exemple, lors de la campagne « Stop expulsions », la PAH a écrit un règlement où elle explique noir sur blanc le comportement que les militants doivent, ou pas, avoir lors des expulsions empêchées. Toute cette organisation assez

4 Par exemple : faire une action, se mobiliser sur telle ou telle proposition, s’organiser autour d’un nouvel enjeu de lutte, etc 5 Les documents sont disponibles à cette adresse : http://afectadosporlahipoteca.com/documentos-utiles-para-pahs/

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protocolaire a permis, selon Lucia D., qu’un « équilibre soit trouvé entre dénonciation publique-politique et auto-organisation du mouvement ». Un mouvement victorieux en raison de sa lutte basée sur des objectifs concrets Une des raisons pour laquelle la PAH a autant rassemblé, est liée à son organisation, sa lutte autour d’objectifs concrets. Chaque campagne menée par le mouvement raisonne avec un problème identifié qui est suffisamment partagé pour faire commun et mobilisé. L’ambition de la campagne vise alors à « donner une réponse concrète, une solution ». C’est comme cela que la campagne de lutte contre les expulsions par exemple est apparue. Il y avait des expulsions massives6 auxquelles il fallait désobéir et s’organiser sinon quoi il était mis à la rue des milliers de gens. Il « fallait créer un mécanisme dans lequel nous prenions le pouvoir, nous dépassions la peur, et où primait la solidarité entre les uns et les autres. Il y avait une injustice sociale qui concernait chacun de nous de près ou de loin. Il fallait la combattre » développera Lucia D.. Mais toutes les expulsions ne peuvent pas être empêchées. Si elle l’est une fois, elle peut ne pas l’être le mois suivant car le phénomène était trop massif et de nouveaux avis d’expulsions étaient donnés en continu. C’est comme ça que la PAH a mis en place sa deuxième grande campagne : l’Obra Social. Il s’agit de récupérer des logements vides appartenant aux banques et de les occuper. Petit à petit tous ces événements ont permis à la question des hypothèques, et plus largement du logement, de générer un discours mainstream pour que tout ceci soit accepté et reconnu comme problème public.

Rapidement et très simplement, une mise en contexte de l’hypothèque en Espagne est nécessaire pour bien comprendre les raisons pour lesquelles la PAH se crée.

Hypothèques, intérêts sans limites, clauses abusives et recours possibles pour les affectés. Qu’est ce qu’une hypothèque ? Jusqu’à combien les intérêts peuvent-ils s’élever ? Quels types de prêts existent ? Qu’est-ce qu’une clause abusive ? Comment renégocier son hypothèque ? Autant de questions auxquelles la PAH s’est confrontée et a répondu pour inverser le rapport de force et dénoncer les illégalités des banques. Il est important de mesurer pour quelles raisons la PAH s’est créée. La loi du sol par le gouvernement Aznar en 1998 augmente le nombre de terrains urbanisables (donc constructibles), la guerre idéologique du tout propriétaire, le domaine de la construction pilier de l’économie espagnole mais aussi premier secteur d’emploi, l’accès aux prêts sans garantie de solvabilité sont des éléments qui petit à petit enferre l’Espagne dans un processus de non-retour. Même si en Espagne, il n’existe pas à proprement parler de prêt type subprimes comme aux Etats-Unis. Les deux pays sont liés par ce même processus financier-immobilier qui permet à des ménages sans situation financière stable de pouvoir emprunter. Le risque est basé sur le principe de la sureté du marché immobilier en 6 Lucia D. me parlera de 7 expulsions par jour à Barcelone.

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augmentation constante7, ainsi l’hypothèque (saisie du bien) est une garantie du retour sur investissement 8 . Sauf que l’augmentation des intérêts (en partie due à la cessation financière) et l’explosion du chômage ont amené des milliers de personnes dans une précarité telle qu’elles ont arrêté de rembourser leur prêt. Plusieurs milliers de maisons saisies se sont retrouvées en vente, le marché immobilier s’est alors écroulé. Ainsi, en Espagne, il existe deux types de prêts pour acheter un bien, le prêt Euribor et le prêt appelé Indice de Reference de Prêts Hypothécaires, dit IRPH. Le premier est un type d’intérêt calqué sur la bourse, il est très instable et dépend de l’économie du pays9 ; le second est un intérêt plus stable mais toujours très élevé10. La crise économique a entrainé de grandes envolées de ces deux prêts. Couplé à un chômage croissant, des milliers de gens se sont retrouvés dans l’incapacité d’assumer tous ces frais financiers.

Source : Coline Rande Le prêt hypothécaire de Bego11 illustre parfaitement la non-régulation du marché financier qui se développe de manière anarchique. Cette dérégulation entraine des mensualités

7 Jamais, jamais, il n’a été imaginé que le marché immobilier puisse s’effondrer 8 Les biens sont alors évalués à 110% de leur valeur réelle pour appuyer ce processus 9 En octobre 2008, il est monté jusqu’à 4,8% 10 Il est monté jusqu’à 6,258% en novembre 2008 11 Il s’agit du cas réel de l’hypothèque de Bego qui m’a expliqué tout son processus très longuement durant un entretien (environ 40min)

Cas concret

Prix de l’appartement : 196.000 €

Prêt IRPH fait à la Caixa Banque de 203.000 €

Pour un appartement de 52m2 dont 40 habitable, dans le quartier de Verdun au Nord de Barcelone

950 €

Mensualité à payer

Sept. 2007

. . . . . . . . . . . . . . . 1175 € . . . . . . . . . . . . . . . .

Sept.2008

650 €*

Janv.2010

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Déc.2014

Fév.2015

Signature de la dacion en paiement, de la condamnation de dette et de l’offre de logement social

Négociations100 €

Loyer

Quelques mois plus tard, la Caixa vend cet appartement à

Building Center pour 50.000 €

Contrat de 4 ans renouvelable

La banque accepte un loyer à 100 € par mois pour le même

logement Proposition d’un loyer à 250€

BEGO

REFUSE

d’hypothèque

En 7 ans, Bego aura déboursé 59.400€, son remboursement aura été amorti de 9.000€ seulement, pour 50.400€ d’intérêts payés.

Bego aurait dû payer 1175 € par mois pendant 42 ans. Si elle avait pu l’assumer, le prix de son appartement aurait été de 592.200 €.

Soit 396.200€

d’intérêts

. . . . . . . .

de Bego

* Il s’agit de la carence, id est uniquement des intérêts, Bego la paiera pendant 4 ans !

Elle

se rend

à la PAH

Bego

arrête de

payer

avec la Caixa

Figure 2 : L'hypothèque de Bego

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fluctuantes qui malgré les ressources financières de Bego doivent être assumées coûte que coûte. En sept ans de remboursement d’hypothèque, Bego n’a réussi à amortir son prêt que de 9.000 euros contre 50.400 euros d’intérêts. Après plus de quatre ans de carence (soit le paiement d’intérêts) remboursée, Bego a décidé d’arrêter de rembourser son hypothèque car elle savait qu’elle ne pourrait pas l’assumer trente-cinq ans de plus. Des milliers de gens se sont retrouvés dans cette situation en Espagne : à devoir assumer des prêts hypothécaires incroyables en raisons des intérêts changeants, très élevés, sur lesquels il n’y avait aucun recours possible.

A la question des intérêts, s’ajoute la présence de clauses abusives. Il s’agit de clauses qui créent des avantages pour les banques au détriment des particuliers. Plusieurs ont été découvertes à la suite de la crise. Une des premières clauses abusives repérées est la clause « suelo ». Quelques banques ont inclus dans leur contrat hypothécaire cette clause qui impose un intérêt minimal en-deçà duquel l'hypothéqué n’aura pas accès. Par exemple, même si l’Euribor est de 0,25%, les hypothéqués devront toujours payer 3% d’intérêts. En revanche, il n’y a pas de seuil limite quand les intérêts augmentent.

Face à ces éléments, la difficulté de remboursement du prêt hypothécaire est croissante. Certaines personnes entament des négociations. Lors de ses négociations12, plusieurs choses peuvent être demandées :

• La dation en paiement, c’est-à-dire l’annulation de la dette en échange de donner son logement à la banque.

• Une remise13 de dette, il s’agit d’une réduction de la dette faite par la banque. Après

avoir prouvé à la banque que la totalité de l’emprunt ne peut être assumé. Cette remise réduit la dette d’un certain montant et la mensualité est réévaluée en fonction de la dette restante.

• A la suite de la vente aux enchères14 du logement, la différence entre la dette et le

prix de vente aux enchères entraine un remanente. L’affecté négocie ce reste afin qu’il y ait une condamnation de dette. En Espagne, même si le logement a été vendu, la dette existante doit toujours être remboursée.

• La mochila est ce que la banque demande de continuer à payer bien que la dette

soit annulée. Souvent, elle vient s’ajouter au prix du loyer. La PAH ne négocie pas de mochila. Illégale, la mochila est pourtant toujours proposée aux particuliers par les banques.

Après avoir eu un regard sur l’histoire de la PAH, la diffusion de son modèle et le problème

des hypothèques. Dans le détail, seront présentées l’assemblée de bienvenue et l’assemblée de coordination, qui en dehors des actions, sont les deux temps clés de la PAH.

12 Magda, le 15 mars 2016, m’expliquera durant 47 min les différentes possibilités de négociation 13 Dit « quita » 14 Dit « subasta »

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Assemblée de bienvenue

L’assemblée de bienvenue est la mère15 de la PAH, c’est d’elle que tout a démarré il y a sept ans déjà dans le quartier du Raval, à Barcelone. Aujourd’hui, organisée et animée par une commission d’une dizaine d’anciens affectés, elle accueille chaque lundi16, de 18h à 20h30, toujours plus de monde. Déroulé détaillé de l’assemblée de bienvenue.

• Tour des bonnes nouvelles

L’assemblée de bienvenue commence par un tour des bonnes nouvelles, de victoires. Par exemple, le 10 février, Miriam nous annoncera que, ça y est, elle a signé la dation en paiement ainsi que son logement social pour trois ans. Tout le monde applaudit, des cris de joie et des « Si se puede » résonnent. La personne qui fait part de la bonne nouvelle, revient toujours sur le chemin parcouru : le soutien de la PAH, le processus des négociations, la patience, l’insistance et le recours à la Loi 24/2015.

• Mot de bienvenue

A chaque assemblée, plusieurs phrases, mots-clés reviennent : Eres en el mejor sitio : tu es au meilleur endroit Somos una familia : nous sommes une famille No tengas miedo : n’aie pas peur Nadie va a la cárcel por dejar de pagar, no es un delito : personne ne va en prison car il arrête de payer, ce n’est pas un délit No estas sola : tu n’es pas seule No somos gestores : nous ne sommes pas des gestionnaires Somos afectados como vosotros : nous sommes des affectés comme vous Damos herramientas, informaciones : nous donnons des outils et des informations Vienes aquí para resolver tu caso, es el caso de todos : tu viens ici pour résoudre ton cas, c’est le cas de tous Empoder : de empowerment La lucha es vuestra : la lutte est à vous La PAH est un espacio de encuentro, de apoyo mutuo y de confianza, en el que cualquier persona va a ayudar y ser ayudada : La PAH est un espace de rencontre, d’appui mutuel et de confiance, en lequel n’importe quelle personne va aider et être aidée Es un procesos largo, no desesperes : c’est un processus long, ne désespère pas Lo mejor que podemos ocurrir ultimamente es la ley 24/2015 : le meilleure qui nous est arrivé dernièrement est loi 24/2015 La solución tarde en llegar pero llega : la solution tarde à arriver mais elle arrive Un langage des signes est imposé. Il permet d’informer :

- si on est d’accord (main levée qui s’agite), - si la personne qui parle est trop longue, qu’il y a des redits, qu’on veut passer à

autre chose (mouvement des avant-bras qui se passent l’un devant l’autre) ;

15 Marta en entretien le 10 mars 2016, pendant 1h21min prendra le temps de m’expliquer le rôle de la madre qu’est l’assemblée de bienvenue 16 Récemment, la PAH a décidé de désengorger cet espace en organisant une assemblée de conseils collectifs et suivis des négociations un vendredi sur deux.

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- si l’on n’est pas d’accord (croix avec les bras).

Ce premier moment est un temps chaleureux. La personne qui s’occupe d’accueillir apaise les maux, déculpabilise et essaie de modifier le regard sur les événements. « Ce n’est pas une crise, c’est une escroquerie17 » sera répété plusieurs fois. Ou des phrases telles que : « Ne cédez pas aux menaces » ; « Si vous avez des soucis financiers, on comprend que le plus important est de s’occuper de ces enfants, de se nourrir, pas de rembourser une dette iremboursable ». Les militants de l’assemblée de bienvenue veillent à transmettre du « cariño » c’est-à-dire de la tendresse, mais aussi une énergie positive et combative qui vise à donner espoir et pousse à l’empoder. Lors de la présentation de la PAH, il est expliqué que la PAH est « gratuite », « apolitique », qu’elle s’organise « en assemblées », de manière « la plus démocratique possible », qu’elle est composée d’affectés, d’ex-affectés et de non-affectés. Très rapidement, la modératrice informe de la Loi 24/2015. Quand les militants parlent d’elle, ils disent « nuestra ley » à traduire par « notre loi ». Le but de la PAH ? « Surtout changer la Loi ». Ils informent en suivant de la campagne en cours « Las 5 de la PAH » et énumèrent les Cinq Exigences de la PAH et de l’ambition d’un changement de Loi au niveau national cette fois. Un point d’information est fait sur les différentes commissions qui existent à la PAH, ouvertes à toutes, il y a un « travail invisible incommensurable » dans lequel « vous pouvez vous impliquer ». Chacune d’elles est énumérée et le tableau qui les présente est pointé du doigt. La commission communication, la commission Obra Social, la commission Logistique des Actions, etc… sont données en exemple. La modératrice les invite aux autres moments de la PAH comme l’assemblée de coordination du mardi. Mais aussi, les bienfaits du groupe de parole du mercredi sont exposés. Ce groupe « d’appui mutuel » permet de discuter collectivement avec un psychothérapeute de 17h à 18h sans être dérangé. Comme généralement, le problème de paiement d’hypothèque n’arrive jamais seul. En cas de difficulté ou d’incapacité à payer les factures d’eau et d’énergie, une information est faite sur l’existence de l’Alliance contre la Pauvreté Energétique (APE) est présente. La modératrice explique aussi comment la PAH communique et s’organise en vue des actions, elle présente les canaux de communication de Telegram. Dès la première assemblée, les nouveaux venus sont invités dans les deux groupes de discussion : InfoPAH Bcn et PAHmilia Bcn. Pour faciliter la lutte et les négociations, la commission Technique a fait un travail incroyable en créant tous les documents utiles18. Au total, quarante-trois modèles ont été crées et mis en ligne. Prêts à être télécharger, ils déclinent toutes les situations auxquelles l’affecté peut à un moment de sa lutte être confronté. Si l’affecté souhaite faire une demande de dation en paiement avec un logement social ou encore s’il veut dénoncer à la mairie le grand propriétaire qui ne lui a pas fait de proposition de logement social, alors le modèle est téléchargeable sur le site. L’affecté n’a qu’à imprimer, compléter et porter le document aux services requis. Il s’agit-là d’un travail essentiel qui permet d’alléger le poids administratif

17 Traduit de « No es una crisis, es un estafa » 18 Site internet : http://afectadosporlahipoteca.com/documentos-utiles/

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des affectés pour qu’ils se consacrent à leur lutte : se déplacer quotidiennement, créer et maintenir la pression, négocier, faire appliquer la Loi. Le Livre Vert de la Pah est un autre outil important. Petit fascicule vert de 45 pages, il explique ce qu’est la PAH, comment y participer, comment elle fonctionne. Et il détaille le processus d’exécution hypothécaire. Il reprend quelques éléments qui seront annoncés lors de cette assemblée.

• Les différentes phases d’exécution hypothécaire

Une personne est chargée de ce moment précis, elle change à chaque assemblée. Le processus d’exécution hypothécaire se décompose en trois phases : la première, arrêter de payer ; la deuxième, la vente aux enchères19 ; la dernière, l’expulsion. 1ère phase : Tu as arrêté de payer ou tu vas bientôt le faire Durant cette phase, la procédure d’exécution hypothécaire débute. La banque est disposée à négocier. Tant que la personne n’a pas cessé de payer, il est difficile de commencer à négocier. Le signal lancé à la banque n’est pas suffisamment radical. Si la personne ne peut pas assumer la dette, la Plateforme conseille d’arrêter de payer et de retirer son argent pour le mettre dans une autre banque. Lorsque l’affecté cesse de payer, généralement elle doit faire face à des appels, des lettres de relance voire des menaces. Les conseils que donne la PAH lors de cette phase sont divers. Il est d’abord très important que l’affecté sache ce qu’il veut20. La PAH prodiguera des conseils collectifs en fonction de ce que l’affecté souhaite, en aucun cas, elle ne décidera personnellement pour lui. En ce qui concerne la négociation, la PAH appelle au calme et à la tranquillité. L’angoisse des affectés pourrait être utilisée contre eux. Cette fragilité permet aux banquiers d’avoir le dessus. Il est très important que chacun connaisse bien son contrat hypothécaire afin de ne pas se faire dépasser par le banquier. Cette connaissance permet à l’affecté de garder le contrôle lors des négociations et de recréer un équilibre, voire de prendre le dessus. Une fois que la personne s’est décidée sur ce qu’elle souhaite, sa décision doit être maintenue. Signe de détermination, la même idée permet de faire avancer les négociations. Si une proposition est faite, la banque doit la poser par écrit. C’est une manière de savoir ce qu’on négocie mais aussi de limiter les propositions illégales des banques21 et de couper court aux menaces. La PAH conseille de ne pas trop se presser quand une proposition est faite, mais de revenir à l’assemblée pour en parler, cela permettra d’en discuter collectivement pour voir si la négociation peut aller plus loin encore22.

19 Dit Subasta 20 Cela peut être une condamnation de dette et une proposition de logement social, une condamnation de dette uniquement, la négociation de son prêt, une remise de dette… 21 Par exemple, Maria viendra nous expliquer qu’elle a arrêté de payer son hypothèque depuis deux ans. Elle se bat pour une dation en paiement et qu’une offre de logement social lui soit faite. BBVA lui a répondu que ces deux choses ne seraient acceptées qu’à la condition qu’elle fasse un prêt personnel de 6000 euros. Quand Maria raconte ça à l’assemblée, certains s’esclaffent. Ursula, à qui cette proposition a déjà été faite il y a plusieurs mois, répond : « Non non tu ne donnes rien à BBVA, ne t’inquiètes pas, ils en ont déjà assez. Mémorise bien : Dation et logement social. Voilà ce que tu dois leur répéter sans cesse jusqu’à ce qu’ils acceptent. Ils le doivent c’est la loi ! » 22 Par exemple, une femme seule avec deux enfants après plusieurs mois de lutte bénéficie de la dation en paiement, si elle poursuit la lutte, elle pourra bénéficier de son propre logement la banque étant obligée de lui faire une proposition

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Dans le cadre des négociations, l’affecté doit aller insister quotidiennement, si elle y va avec le t-shirt de la PAH, le rapport de force change complètement. Il est très important que la banque voie que maintenant la personne est informée et qu’elle a le soutien de la PAH. Durant tout ce processus, la PAH appelle à aller auprès des Services Sociaux et de l’office de l’Habitat pour remplir le rapport de « risque d’exclusion résidentielle » et informer de sa situation. 2ème phase : Mise aux enchères du logement, communément appelé « Subasta » Avant que la procédure de mise aux enchères 23 soit enclenchée, un fax est envoyé informant du montant total de la dette que la banque réclame. La personne ne pouvant pas payer, la demande d’exécution hypothécaire24 lui est transmise. Le juge laisse dix jours à l’affecté pour payer, ou pas. Au minimum vingt jours plus tard, le juge transmet à l’affecté la date de mise aux enchères de son logement. Quand le logement est mis aux enchères, il est vendu à 70% de son prix. Si cette valeur couvre l’intégralité de la dette, alors la vente aux enchères est abaissée à 60% du prix. Le prix est fixé par la banque. Figure 3 : Exemple de ce qu'est la mise aux enchères

Source : Photographie d’un exemple rédigé par Esther, une militante de la PAH, engagée à l’assemblée de bienvenue Durant toute cette période, selon la volonté de la banque, la procédure peut être stoppée. Lors de ce moment, la PAH appelle à solliciter l’aide d’un avocat. Cela permet de gagner du temps25 et de montrer au juge sa bonne foi, en effet c’est signe que l’affecté fait tout son possible pour trouver une solution. En dépit de la procédure engagée, l’affecté doit continuer les négociations de la même façon que lors de la première phase id est présenter la demande de dation en paiement, augmenter la pression, aller voir les services sociaux, l’office de l’Habitat, la mairie qui ont un rôle à jouer.

23 Dit « subasta » 24 Appelé « tocho » 25 En effet, la procédure est suspendue jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée

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3ème phase : Envoi/réception d’un ordre d’expulsion ou réclamation de dette La vente aux enchères n’implique pas d’expulsion immédiate. Une fois le logement vendu aux enchères, l’appartement appartient généralement à la banque26. La dette restante27 peut-être réclamée. A cette dette, s’ajoutent tous les frais de retard et juridiques. Généralement dans ce cas-ci, l’affecté veut négocier l’annulation de cette dette28. Si la banque refuse, un avis d’expulsion peut être émis. Avec la Loi 24/2015, la banque est désormais obligée de faire une proposition de logement social. Si elle ne le respecte pas, l’affecté doit dénoncer la banque. Elle encourt une amende de 90.000 euros.

• Les personnes ayant un problème avec leur location29 Chaque lundi, il y a de plus en plus de personnes vivant dans des logements locatifs qui viennent pour des problèmes de paiement de loyer et d’expulsion à venir. Il existe deux types d’expulsion :

Ø Une expulsion d’un grand propriétaire 30 , ce dernier est obligé de faire une proposition d’un relogement

Ø Une expulsion d’un petit propriétaire, la mairie est alors dans l’obligation de reloger l’affecté via la table d’urgence (dit « mesa d’emergencia social »)

• Obra Social S’en suit la présentation de l’Obra Social31 : le dernier recours, la dernière option quand toutes les pistes habitationnelles sont épuisées. Un des arguments d’Obra Social pour légitimer la récupération est que ces logements sont « les nôtres ». En effet, lors de la crise c’est plusieurs millions d’euros des pouvoirs publics qui sont venus sauver les banques. Il s’agit d’une désobéissance civile très importante. Obra Social Barcelone a déjà récupéré, depuis un an, un bloc d’appartements qui appartient à la banque la SAREB. Aujourd’hui 8 familles vivent dans ce bloc, renommé La Bordeta.

• Suivi des expulsions

Te siente tranquila porqué la PAH no queda nunca en la calle Luchamos juntos Es imposible ayudar a nadie Extraits de phrases entendues

A ce moment-là, c’est la campagne « Stop Desahucios » qui entre en jeu.

26 Même s’il est à noter que de plus en plus, il y a des personnes étrangères qui achètent les appartements 27 Il s’agit du « remanente » 28 Appelé « condamnación de deuda » 29 Location étant traduit de l’espagnol « alquileres » 30 Qui possède plus de 1250m2 soit les entités financières, les filiales immobilières, les fonds d’inversion, les entités de gestion des restructurations banquières. 31 La campagne Obra Social sera détaillée dès la page 21

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Yolanda se lève, plusieurs feuilles à la main, ce sont les fiches de suivi des expulsions à venir des prochains jours. A tour de rôle, elle appelle les noms écrits sur chacune des fiches. S’en suit une discussion sur ce qu’il s’est passé durant cette dernière semaine. Quelque fois, personne ne répond à l’appel de Yolanda. La personne est venue une ou deux fois à la PAH et n’est jamais revenue. Que s’est-il passé depuis ? La PAH n’a-t-elle pas suffisamment séduit ? Les choses se sont-elles régularisées ? Touchée, en colère, Yolanda explique que la PAH ne peut pas lutter pour une personne qui n’est pas là. Les affectés viennent à chaque assemblée pour informer de l’avancée, ou pas, de leurs négociations. Selon l’aisance de l’affecté, il arrive qu’au bout d’une 3ème ou 4ème assemblée de bienvenue, un affecté explique la marche à suivre à un nouvel affecté de la PAH. Finalement les dossiers des uns et des autres se recoupent assez souvent. De sorte que par l’auto-apprentissage, les échanges d’expériences, l’implication et les conseils collectifs chacun petit à petit en s’informant gagne du pouvoir. Suffisamment de pouvoir pour devenir son propre avocat, aller rencontrer la banque tout seul, négocier, s’appuyer sur la loi. Par fierté, par don de soi, certains prennent plus ou moins rapidement la parole pour à leur tour conseiller sur des étapes de négociation déjà franchies. Là tout le cœur de l’empoder.

• Expulsions/Subasta

Ici à la PAH tout se fait devant tout le monde Extrait d’une phrase entendue

Les personnes qui connaissent leur date d’expulsion ont la priorité pour exposer leur cas durant l’assemblée. Elles sont nombreuses, une personne s’occupe de gérer le tour de parole. Chacun à son tour expose son problème. Pour certains il s’agit d’une dette trop importante à assumer, pour d’autres d’une incapacité à payer le loyer, certains sont dans une situation d’occupation. Si la situation est bloquée, qu’elle n’évolue pas, l’assemblée peut décider d’agir collectivement en se rendant à la banque. Il y a une gradation dans la lutte, dans le rapport de force qui se construit. Au départ la personne est fragilisée si ce n’est malade de la situation. Un jour elle vient à la PAH, entre le moment où la personne rentre et sort de la PAH à la suite d’une première assemblée, déjà le changement est visible. Petit à petit, la personne change de posture, de ton quand elle parle, on sent la tendance s’inverser. La prise de confiance, l’émancipation. « Je ne suis pas responsable ! Par contre vous, vous, vous l’êtes et cela ne va pas se passer comme ça ! Je ne suis pas seule ». Si les négociations n’évoluent pas, elle peut être accompagnée par 2 ou 3 personnes à un rendez-vous. Si la situation reste inchangée alors la PAH organise une action. Le jour dit, à l’heure H c’est entre 50 et 100 personnes qui viennent à la banque concernée pour faire avancer le cas. L’assemblée se termine sur des questions relatives à l’hypothèque. Dix personnes impliquées dans la commission de l’assemblée de bienvenue pour animer tout ça Derrière chaque campagne se cache une commission qui organise la stratégie, développe des outils synthétiques, anime les assemblées, réfléchit aux contenus et à ce qui doit être transmis.

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La commission de l’assemblée de bienvenue est composée d’une dizaine de personnes. Ils sont ou ont été affectés par l’hypothèque. Ils communiquent via un groupe telegram, ils se rencontrent en réunions quand ils en ont besoin. Il n’y a pas de centralisation, c’est le samedi ou le mercredi que la répartition des rôles pour la prochaine assemblée se décide. Par exemple, lundi prochain, « Marta s’occupera de la partie sur les locations, Esther des trois phases, etc ». La commission de bienvenue est, comme toutes les commissions, ouverte. Qui veut peut s’y investir. Pour les nouveaux, une ou deux séances de travail sont données en amont de la première assemblée pour bien expliquer ce qui doit être transmis. Quand la commission éprouve quelques difficultés (manque de temps, discours trop technique, etc), des cours de « facilitation » peuvent être donnés par des militants qui ont de l’expérience comme par exemple sur la manière de parler à l’autre, de regarder, quelques phrases clés qui mettent à l’aise. La commission veille aux lignes rouges de la PAH. Il n’y a pas de conseils individuels prodigués en dehors de la PAH. Tout se fait lors de l’assemblée du lundi, c’est les conseils collectifs qui permettent de faire avancer les négociations, pas le conseil en face à face qui, malgré la « bonne foi » peut amener des « erreurs » ou à des « décisions trop rapides ». Marta me racontera lors d’un entretien à quel point s’impliquer dans la commission avait été formateur et libérateur pour elle. « Quand je suis arrivée, je me souviens que je pleurais beaucoup, beaucoup, je n’arrêtais pas. Quand je me vois aujourd’hui, tenir le micro, sûre de moi, sans trembler, je suis fière. Je montre aux nouveaux que je le peux mais pourtant j’étais à leur place avant. »

Assemblée de coordination L’assemblée de coordination est le moment politique et stratégique de la PAH. Tous les mardis, de 18h à 20h30, les militants de la PAH s’y retrouvent pour débattre de différents points et donner un virage stratégique à leur lutte locale. C’est un espace d’action où tout se coordonne, où se gèrent les conflits, où se réfléchissent et se décident les campagnes, et les actions. Déroulé détaillé de l’assemblée de coordination L’assemblée de coordination ne répond pas à une ligne précise. Chaque assemblée est différente et soulève des points de débat importants. L’intelligence collective, doucement orchestrée par la dynamisation de Bego et Borja, prend le pas sur les tensions personnelles et les désaccords des uns et des autres.

• Répartition des rôles L’assemblée débute toujours par un « comment vas-tu ? » général, certains se prêtent au jeu poussé par Bego. Par exemple, Mél nous annoncera qu’elle a trouvé un travail, tout le monde l’applaudit. Ou Marco dira qu’il est fatigué car sa petite pleure beaucoup en ce moment en raison d’une otite.

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Bego explique le rôle de l’assemblée de coordination, de son déroulé et du langage utilisé32. Elle répartit les rôles, une personne pour rédiger le compte-rendu, compléter l’agenda au fur et à mesure de l’assemblée, gérer le silence, s’occuper du tour de parole. Elle prend le temps de remercier chacun consciencieusement, elle leur donne de la « reconnaissance ».

• Ordre du jour L’assemblée suit ensuite un ordre du jour décidé en amont par la commission de coordination. Plusieurs points sont traités. Cela commence toujours par le point d’information tel que le compte-rendu de la dernière rencontre des PAHs au niveau national, ou au niveau catalan ; les cours de Yoga organisés à la Bordeta ; le soutien ou pas de la PAH à certains événements ; des étudiants qui se présentent et demandent à faire des entretiens ; la fête d’anniversaire de la PAH ; la base de données en cours d’élaboration, etc. Ensuite les points stratégiques, les enjeux de fond sont traités. C’est le cœur de l’assemblée du mardi, le vif du sujet. Il s’agit de débats tels que le port du t-shirt de la PAH aux expulsions faites par les petits propriétaires ; de la stratégie à adopter vis-à-vis de Blackstone ; de la mise en place ou pas d’un protocole pour la campagne « Stop Desahucios », etc. Quelque fois, quand le sujet fait débat, le travail collectif s’organise sur plusieurs assemblées de coordination comme par exemple il a été réfléchi une nouvelle formule d’assemblée de bienvenue, cela a pris trois séances de travail ; ou encore un bilan a été fait sur la PAH à partir de quatre questions, ce travail a été fait durant 2 séances. Les actions sont aussi réfléchies et organisées lors de cette assemblée. Quand une action est décidée, c’est des réponses techniques qui sont trouvées : « Quel jour nous retrouvons-nous pour préparer l’action ? Qui sera là ? ».

• Expulsions et accompagnements à un rendez-vous L’assemblée de coordination, plus ou moins, essaie de se terminer vers 20 heures pour laisser place au temps des expulsions et accompagnements. Un affecté peut demander un accompagnement à un rendez-vous dans le cadre de sa négociation car il éprouve quelques difficultés. Si jamais une expulsion est prévue pour le lendemain ou dans deux jours, l’assemblée s’organise pour l’en empêcher (point de rendez-vous et heure donnés). Une organisation interne menée par la commission de coordination

• Bego, la modératrice

Les assemblées de coordination sont animées par Bego, depuis un mois Borja vient l’aider dans ce travail. Bego est une ancienne affectée. Elle s’occupe de la dynamisation de l’assemblée depuis plus d’un an et demi. Chaque mardi, à partir de 15h30/16h elle est là. Elle travaille les points de discussion et se prépare aux sujets délicats. Deux/trois personnes de la commission de coordination viennent l’aider dans ce travail. Bego a différentes méthodes pour faciliter la parole et le débat. En discutant avec elle, très rapidement elle explique que lors de l’assemblée elle « rentre dans un rôle, comme au 32 Ce dernier est le même que celui de l’assemblée de bienvenue détaillé plus en amont.

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théâtre, un rôle de facilitatrice qui essaie toujours de faire avancer le groupe de manière positive par consensus ». Elle agit avec « grande délicatesse » et donne de la reconnaissance à chacun pour le travail de fait : « Merci beaucoup Maria pour le compte rendu ». Elle connaît tout le monde et mémorise les histoires de chacun. Bego est très attentive au « rounroun33 » qui selon elle est bénéfique. Ce bruit de fond doit devenir une opportunité de débat, de discussion. « Jamais une personne ne pense seule un point délicat d’un problème ». Si une le pense, d’autres le partagent alors cela doit être discuté et non évité. Elle modère le débat, recentre les discussions, fait une synthèse pour chacun des points sur ce qui a été dit, elle amène les militants à prendre une décision en fonction des différentes propositions soulevées. Quand le sujet de discussion n’a pas été suffisamment traité ou qu’il manque des éléments, il est reporté à la semaine prochaine.

• Un travail en interne La commission de coordination est composée de 37 personnes dont 18 ont été ou sont affectées par une hypothèque. Elle s’organise autour d’un google-groupe, d’une liste de diffusion et d’une conversation collective sur Telegram, qui s’appelle « Pah bcn power ». Cette commission coordonne les différents dossiers et prépare les points à discuter. Elle prend les décisions lorsque le délai de réponse est trop court et qu’il ne peut attendre la prochaine assemblée de coordination. Elle dégrossit certains problèmes avant de les discuter collectivement en assemblée. Même si cette commission reste ouverte, le porte-parole de la PAH me dira que les personnes investies dans cette commission ont des « idées », une « vision » et viennent apporter « leurs expériences ». Généralement, ils ont fourni un gros travail en amont au sein du mouvement.

La PAH s’organise autour de ces deux assemblées structurantes. A cela s’ajoutent des campagnes nécessaires pour faire avancer la lutte. Chacune est clairement définie et organisée pour répondre à une problématique précise.

33 Signifiant « Bruit de fond »

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Les campagnes de la PAH : des luttes complémentaires graduelles. La PAH est engagée dans différentes campagnes. La campagne « Stop Desahucios », celle de « l’Obra Social », la campagne de l’Initiative Législative Populaire, dit ILP, qui a pensé et rédigé le projet de loi sur les moyens d’urgence pour affronter l’urgence du point de vue du logement et de la pauvreté énergétique et plus récemment la campagne des cinq exigences de la PAH (dit « La Ley de las 5 »). Après une courte explication de la campagne Stop Expulsions, c’est la campagne « Obra Social » qui sera largement développée dans ce travail.

La campagne « Stop Desahucios » lutte contre les expulsions La campagne « Stop Desahucios » est la première campagne de la PAH. Elle a pris naissance pendant le 15-M où des groupes de travail ont été crées pour aborder cette problématique des expulsions. A ce moment-là, la PAH existe depuis deux ans déjà, elle profite de ce grand mouvement des Indignés pour parler du problème des hypothèques et des expulsions massives. Entre 2007 et 2011, il y a eu 500.000 expulsions en Espagne. Plusieurs personnes se sentent concernées et se mobilisent pour empêcher les expulsions, c’est la campagne « Stop Desahucios » qui nait. Cette campagne est coordonnée par une commission d’une vingtaine de personnes aujourd’hui. Un calendrier est tenu à jour des expulsions à venir (date et adresse diffusée). Si jamais les négociations n’aboutissent pas et que l’expulsion reste effective, alors les militants de la PAH se déplacent à la porte du logement pour bloquer l’expulsion. La PAH met un point d’honneur à empêcher les expulsions. « Elle ne laisse personne à la rue ». Lors des expulsions, c’est généralement entre vingt ou trente personnes qui viennent barrer la porte. Après cinq ans de lutte, cette campagne évolue. Elle fait face à de nouveaux éléments de réflexion comme la mise en place d’un protocole : quelle implication réelle nécessaire pour que la PAH se déplace lors d’une expulsion ? Et aussi d’autres enjeux : le déplacement ou pas de la PAH à l’expulsion de petits propriétaires34.

Obra Social ou la récupération des logements vides

« D’un côté il y avait des personnes à la rue. D’un

autre des appartements vides aux mains des banques. Nous avons décidé de les occuper ».

Lucia D., une des fondatrices de la PAH 34 La PAH a basé sa lutte contre les banques et c’est ce qui a permis d’avoir un appui de la part de la société civile si fort, pour autant la loi 24/2015 modifie complètement cet échiquier étant donné que les banques généralement proposent un relogement à la suite d’un avis d’expulsion. Les expulsions des petits propriétaires sont en hausse.

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Obra Social est la deuxième campagne de la PAH. Elle vient compléter la première campagne « Stop Desahucios ». Pourquoi ? La campagne « Obra Social » est créée en 2011. Elle a été mise en place pour trouver une réponse aux personnes sans aucune alternative habitationnelle et aux expulsions qui n’ont pu être empêchées. Il s’agit de la campagne du dernier recours. Lors de la présentation de cette nouvelle campagne, la PAH, sur son site, justifie que : « dans trop d'occasions plusieurs fois nous sommes tombés sur l'arrogance des entités financières, sur l'injustice d'une loi qui surprotège les banques et sur la lâcheté de quelques administrations qui n'osent pas mettre des limites à l'avarice du secteur financier35. » Les objectifs de cette campagne sont :

• Engager une réappropriation citoyenne des logements dont les propriétaires sont des entités financières spéculatives

• Récupérer la fonction sociale d’un logement vide pour éviter que la famille ne soit mise à la rue

• Créer/maintenir la pression sur les entités financières pour qu'elles acceptent la dation en paiement ou fasse une offre de logement social

• Appeler les administrations publiques à garantir le droit à un logement Composition et organisation Obra Social est connexe à chaque PAH, étant donné que l’occupation concerne de plus en plus de personnes. Cependant, la commission Obra Social existe de manière formelle dans « 40 PAH sur 73 en Catalogne36 ». Pour autant ce chiffre tend à changer, avant il y avait généralement « une dizaine de PAH qui sollicitaient l’Obra Social pour apprendre à occuper37 », depuis ces derniers mois c’est entre « 30/40 PAH » qui font cette demande. L’Obra Social s’organise au niveau local via une commission. Celle de Barcelone se retrouve une fois tous les quinze jours pour discuter de l’organisation au niveau local, des négociations en cours quant au Bloc de La Bordeta et des campagnes à mener. L’Obra Social de Catalogne, une fois par mois, se donne rendez-vous pour s’organiser, débattre des nouvelles campagnes, faire le suivi des négociations de chacun des blocs. Contrairement à la PAH, l’Obra Social n’a pas de commission de coordination, tous les points proposés sont discutés lors de l’assemblée catalane mensuelle. Aussi, il y a plusieurs porte-paroles pour éviter toute « centralisation ». Bernie à l’aise avec les chiffres et les données sera plus à même de parler selon une situation qu’Aida une autre. En ce qui concerne les groupes de travail, ils ne sont pas fixes, ils se font et se défont pour chacune des campagnes en fonction des intérêts. A ce jour, la PAH possède 43 blocs en Espagne, dont 20 en Catalogne. Parmi ces blocs, 23 appartiennent à la SAREB. Au total, c’est 3.000 personnes qui sont logées par l’Obra Social de la PAH.

35 Extrait de : http://afectadosporlahipoteca.com/obra-social-pah/ 36 Extrait de l’entretien avec Aida, militante à la PAH Barcelone et très engagée auprès de l’Obra Social depuis un an et demi, durée de 50 min, effectué le 17 mars 2016 37 Ibid

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L’Obra Social est surtout implantée en Catalogne et dans la région de Madrid, territoires aux marchés tendus. Ensuite, il s’agit d’Obra Social « satellitaires ». Toutefois, une redynamisation au niveau national doit être faite d’ici peu pour remettre un peu de commun et de collectif entre les Obra Social. En effet, l’aller-retour qui existe entre les trois échelles (locale/autonomique/nationale) au sein des PAHs se perd un peu en ce qui concerne les Obra Social. Aida, militante à Obra Social, me racontera qu’à la dernière assemblée de l’Obra Social Catalane, ils ont découverts qu’il existait un bloc de l’Obra Social à Cadix. Intégrer Obra Social : des critères qui appellent à l’implication et au comportement altruiste et solidaire Obra Social établit plusieurs critères d’entrée et de séjour pour bénéficier d’un logement de la campagne. Chaque personne, qui souhaite accéder et vivre dans un logement de l’Obra Social, doit s’engager à signer et respecter la charte. Ces critères sont pluriels. Ils concernent l’admission, l’implication attendue au sein de la PAH, la participation à l’assemblée du bloc, les critères de séjour dans un logement.

• Les critères d’admission précisent dans quel cadre il s’agit bien d’une « option de derniers recours38» : expulsion, dation sans logement social, pas de ressources financières suffisantes…

• Ils soulignent aussi l’implication et le fonctionnement collectif de la PAH. En tant

qu’occupant au sein de l’Obra Social, la personne doit s’impliquer aux assemblées, aux actions de la PAH, avoir une attitude « respectueuse et solidaire » avec le reste des voisins. « Les principes fondamentaux de notre mouvement sont la camaraderie, le soutien mutuel, la solidarité de classe, l’antiracisme, antifascisme, antisexisme39 » écrira la PAHC Sabadell.

• L’Obra Social s’engage à occuper des édifices entiers, communément appelés

« blocs ». Les personnes de l’OS vivant dans un bloc se rassemblent en assemblée de bloc pour en assurer sa gestion et sa convivialité, faire le suivi des situations des uns et des autres mais aussi des négociations engagées avec l’entité propriétaire. L’assemblée du bloc est composée de personnes du bloc mais aussi de personnes extérieures, qui sont militants à la PAH. Cette composition permet de nourrir les discussions et d’apaiser la situation si elle devient conflictuelle entre certains occupants. Chaque occupant doit « accepter que les négociations se fassent de manière collective avec l’entité propriétaire » mais aussi « assumer les conséquences légales de manière collective » s’il y a un problème.

Un manuel à lire pour comprendre les risques et un atelier de formation Comment se traduit l’aide d’Obra Social ? Concrètement les militants d’Obra Social ne vont jamais ouvrir la porte pour une personne qui souhaite occuper. Ils ne veulent pas encourir le risque d’aggraver leur accusation judiciaire. Aida dire à ce sujet : « Je suis en procès pour le logement où je vis, je ne peux pas être en procès pour un autre logement. Si je vais t’aider, je peux en avoir un autre !».

38 Extrait du document « Critères d’entrée et de séjour à l’Obra Social de la PAHC Sabadell » 39 Ibid.

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Ainsi donc, chaque personne qui vient à l’O.S « prend l’initiative par elle-même d’occuper », aucun autre militant de la PAH n’ira le faire à sa place. Le manuel d’Obra Social est un document de vingt-cinq pages qui explique la campagne Obra Social de la PAH, les modalités de récupération, qu’elle soit individuelle ou collective. S’en suit deux chapitres, l’un sur la manière dont engager une récupération à titre individuel, l’autre concerne une récupération collective. Le manuel se clôt sur les aspects légaux et les documents utiles comme le document « d’inviolation du domicile » en passant par la lettre à adresser aux voisins lors de l’occupation pour les prévenir de notre arrivée. Une fois le manuel lu, OS organise des ateliers, traditionnellement ils ont lieu à Sabadell40. Au dernier atelier de l’Obra Social Catalane, il y avait plus de cent personnes. L’atelier s’organise en deux temps : un premier temps théorique, un deuxième temps pratique. L’atelier aide sur « les points très techniques ». Il y en a un par mois généralement, tout dépend des besoins. En ce qui concerne les personnes en situation de difficulté, c’est-à-dire les femmes seules avec enfants, personnes âgées ou handicapées, elles sont « un peu plus aidées ». L’Obra Social vérifie si elle a des logements disponibles dans quelques-uns des blocs déjà récupérés. Ou sinon, des ententes avec des groupes plus radicaux de squat permettent de débloquer la situation par d’autres biais. L’occupation : l’impensé des municipalités et de la PAH ? Aida m’expliquera qu’elle n’a pas pu bénéficier du dispositif de la « mesa emergencia41 » pour « 20.000 raisons », par exemple, le fait qu’elle n’ait pas d’enfants ou des revenus suffisants. Dès lors, elle s’est tournée vers l’occupation, car elle « n’avait aucun autre choix ». Aujourd’hui, avec le nouveau règlement, elle ne peut toujours pas bénéficier de la « mesa emergencia » car elle vient d’un logement occupé illégalement. La Loi 24/2015, quant à elle, ne garantit rien en ce qui concerne les occupations. Elle n’oblige pas la banque à faire une proposition de logement social, qui plus est avec un loyer de 10, 12 ou 18% de ses revenus comme l’oblige la Loi 24/2015. En effet, une proposition de logement social n’est faite que pour les personnes qui sont en règle avec le processus de la banque. Aida en tant qu’occupante ne l’est pas.

Une fois qu’une personne occupe un appartement d’une banque, l’objectif est de négocier42 avec elle une offre de logement social, de se battre43 pour ça. Seule l’organisation collective et la création d’un rapport de force permet d’y arriver. « L’occupation est la nouvelle bulle » « Récupérer et occuper » relèvent de la plus grande désobéissance civile. Occuper est considéré comme un délit d’usurpation, défini comme une « utilisation d’immeubles d’autrui sans autorisation ou de forme violente » relatif à l’article 245 du Code pénal. Ce motif permet au propriétaire de faire une dénonciation. S’enclenche alors la procédure judiciaire. Ce délit pénal peut être passible d’une amende, voire d’une peine de prison d’une à deux années si l’occupant se montre violent. La procédure peut prendre jusqu’à un an et demi. 40 La PAH Sabadell a une expérience très importante dans le domaine des occupations et depuis très longtemps, elle organise les ateliers. 41 Dispositif municipal, plus détaillé à partir de la page 44 de cet écrit 42 Pour faciliter la lutte, Obra Social a rédigé tous les documents utiles nécessaires à la négociation, par exemple « la demande à présenter à la banque pour bénéficier d’un logement social » 43 « Pelear con el banco » dira Aida résolue

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Figure 4 : Graphique des dossiers ouverts pour usurpation en Espagne entre 2007 et 2014

Source : graphique crée par l’Obra Social de la PAH. En 2014, 19.336 dossiers pour « usurpation » ont été ouverts, soit 188% de plus qu’en 2010 selon la Fiscalía du Ministère Public44. Aida me dira que ce chiffre peut être, plus ou moins, multiplié par deux. Le double de logements est concerné mais ils n’ont pas encore été « repérés ». Selon elle, « l’occupation est la nouvelle bulle ». Elle vit au sein du bloc La Bordeta, récupéré par l’Obra Social de Barcelone, « dans ce quartier, à Hostafrancs, tu n’as qu’à te balader, regarder les gens et voir qu’ils n’ont pas 800 ou 700 euros pour payer un appartement. Moi je n’ai pas 800 euros pour payer une location, c’est assez évident ! » ajoute-t-elle. Obra Social multiplie les actions. La PAH Terrassa, en 2015, a mené 700 occupations. A cela s’ajoutent des actions coordonnées. Deux actions fortes sont menées actuellement contre deux banques espagnoles. Une concerne la récupération collective des logements vides de la SAREB. L’autre vise à faire pression sur BBVA 45 pour faire avancer les négociations. Focus sur la campagne de la SAREB Contexte Lancée le 21 octobre 2015, Obra Social impulse la campagne « La SAREB es nuestra » contre la banque espagnole. Elle base son discours sur deux points clés :

- « nous avons payé pendant des années une hypothèque exorbitante » ;

44 Informations extraites du site internet de la PAH et d’un article du journal diagonal > https://www.diagonalperiodico.net/global/27926-ocupaciones-viviendas-se-multiplican-por-cinco-desde-2007.html 45 BBVA est une banque espagnole avec laquelle il est très difficile de négocier. Lors de l’Assemblée Estatal en janvier à Séville, 7 PAH diront qu’elles n’arrivent même pas à avoir un rendez-vous avec elle. Dès lors, des campagnes coordonnées et à différentes échelles s’engagent contre elle. Pour 1. La pousser à respecter la loi 24/2015, 2. Faire avancer les négociations.

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- il y a plus de 60 millions d’argents publics de nos impôts qui sont allés sauver les banques. De ce fait, ce qui appartient aux banques nous appartient

Entre 2010 et 2012, dans le cadre du sauvetage bancaire, l’Etat espagnol a renfloué à hauteur de 61 millions euros les banques via le FROB (Fond de Restructuration Bancaire). La PAH dénonce le fait que cet argent public ait servi pour les banques et non pas pour les aides sociales nécessaires à la crise que les citoyens vivaient. Figure 5 : Schéma explicatif de l’Obra Social

La SAREB signifie Société de Gestion des Actifs Originaires de la Restructuration de Bancaire. Elle a été créée en 2012 par le gouvernement espagnol. Elle vise à assainir le secteur financier espagnol. L’accord de création consiste à créer une société gestionnaire à qui transférer les actifs immobiliers des entités en difficulté. D’après les chiffres de la PAH, la SAREB a reçu presque 200.000 actifs d’une valeur totale de 50 781 millions d’euros. Son capital est à 45% public (assuré par le FROB) contre 55% privé. La SAREB possède plus de 106.000 propriétés. C’est la structure immobilière la plus grande d’Europe.

Son objectif est de vendre ses actifs avec 15% de bénéfices avant 2027. Par les pressions citoyennes, la SAREB a cédé 2.000 logements (soit 2% de ce qu’elle possède) aux communautés autonomes en 2014. Appel à la réquisition des logements vides de la SAREB La campagne d’Obra Social en ce qui concerne la SAREB est basée sur la mobilisation et l’auto-organisation. L’enjeu étant de lutter contre les logements vides. L’objectif de l’action vise à réquisitionner tous les logements vides de la SAREB. Pour cela, Obra Social a mis en place une carte du pays où plus de 33 000 logements sont référencés. Vides, ils sont prêts à être occupés.

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En mars 2016, 23 édifices récupérés appartiennent à la SAREB. Une fois un bloc récupéré, s’en suit une négociation collective auprès de l’entité propriétaire pour qu’un logement social soit proposé. Sur ces 40 réquisitions, deux victoires sont à noter. La cession du bloc de Gracia à Sabadell ou encore du bloc Bages 2 à Manresa. Une proposition a été faite à chaque occupant, la signature d’un logement social pour les trois prochaines années. Cela concerne 40 appartements dans le bloc de Gracia et 17 appartement dans le bloc Bages 2. Déjà des victoires à fêter L’action contre la SAREB se poursuit encore aujourd’hui, quelques régularisations sont à compter même si elles restent faibles. Malgré tout, le 10 novembre 2015, le Bloc 2 de la ville de Bages a fêté une belle victoire. Récupéré depuis un an et demi, 14 familles vivaient dans cet immeuble de la SAREB. A la suite de nombreuses négociations, une offre de logement social a été faite à chacune d’elles. A l’exception de BBVA, il y a quelques banques plus à même de négocier que d’autres. Sabadell ou encore la Caixa ont déjà régularisé quelques occupations via des offres de logement social.

Le 5 janvier, 19 familles décident de récupérer un immeuble de la banque Caixa. Cet immeuble est renommé La Manuela46. A la suite de cette occupation, un processus de négociation s’est engagé. Durant tous ces mois de négociation, un objectif clair était défendu : réussir à reloger dans un logement social toutes les familles. Beaucoup de mois de réunions, de menaces d’expulsion ont pesé sur l’immeuble ces dernières semaines. Le 12 septembre 2014, un accord est signé avec la Caixa. Elle s’engage à reloger toutes les familles de La Manuela dans un logement social.

Bien sûr ce genre d’actions ne pourrait avoir lieu sans une organisation précise et très travaillée. Le schéma d’organisation de la PAH vu précédemment rendait bien compte

46 Edifice nommé comme cela en honneur au quartier où vivait Manuela Malasaña

Figure 6 : Carte des appartements vides de la SAREB

Figure 7 : Adresse donnée d'un appartement vide de la SAREB

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que derrière chaque campagne ou chaque assemblée se cache une commission composée de militants engagés qui travaillent le contenu, l’organisation, la stratégie et la logistique.

Une organisation interne qui repose sur des commissions Chaque campagne, chaque assemblée est organisée, coordonnée, pensée par une commission. Il y a une dizaine de commissions à la PAH de Barcelone. A chaque échelle : celle de l’Autonomie et du niveau Etatique, il y a aussi un certain nombre de commissions. Ce travail en interne est le cœur de l’efficience et de la puissante stratégie de la PAH. Dans le détail, deux commissions seront plus particulièrement explicitées pour bien se saisir de l’organisation interne. La première est la commission internationale qui représente toutes les PAHs, la deuxième est la commission communication de la PAH Barcelone.

La commission internationale de la PAH47 Pourquoi ? La commission s’est créée pour différentes raisons :

• Représenter les PAHs à l’échelle internationale • Diffuser et faire connaître la PAH : ce qu’elle fait, la manière dont elle s’organise, les

actions de lutte menées, les avancées en Droits acquises • S’organiser pour répondre aux nombreuses invitations à l’échelle internationale :

invitations à participer à des conférences, à des groupes de travail, à rejoindre des alliances ou encore à répondre à des interviews. La commission internationale, par exemple, fait partie de la Coalition Européenne.

• Se mettre en réseau avec d’autres groupes, collectifs, organisations à travers l’Europe en lutte contre la financiarisation de la ville, le droit au logement, etc.

• Echanger des expériences et apprendre d'autres collectifs • Exercer une veille sur différents sujets : par exemple, comment l’Allemagne aborde-

t-elle la question des logements locatifs ? Composition et organisation Aujourd’hui, la commission internationale est composée d’une vingtaine de personnes dont cinq vraiment impliquées. Ces derniers sont militants à la PAH de Barcelone (Catalogne), Valence, AlcoSanse (Madrid), Bidassoa (Pays Basque) ainsi qu’à l’Assemblée de logement de La Latina (Madrid). La commission n’est pas figée dans sa composition, elle reste ouverte à la participation de militants de n’importe quelle PAH espagnole. Généralement, les militants de la commission savent parler plusieurs langues. Dispersés en Espagne et dans d’autres pays, la commission se retrouve peu physiquement et s’organise en réseaux. Pour cela plusieurs outils sont utilisés : un google-doc, un mail commun, une liste de diffusion.

47 Cette partie a été rédigée à la suite d’un entretien avec Santi

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Chaque proposition ou invitation est discutée collectivement. Une fois que la décision est prise. La commission internationale s’organise pour répondre à la proposition faite. Par exemple, un militant ira participer à la prochaine rencontre de la Coalition Européenne à Milan. Ou encore, un militant viendra témoigner des actions que mènent la PAH lors de la diffusion du document « Siete días en la PAH » dans une salle de cinéma parisienne. Les revendications de la commission mais aussi les positionnements lors de différents événements sont relayés sur internet. Dans l’onglet « Pah International48 », la commission Internationale publie différents articles : des lettres ouvertes pour dénoncer la financiarisation de la ville, des compte-rendu de débats, la campagne contre Blackstone, etc. En ce moment, la commission internationale est dans un rôle de réaction plus que d’action. Elle répond aux propositions qui lui sont faites. Mais le manque de temps de chacun des militants (déjà très impliqués localement) empêche tout autre forme d’investissement et de stratégie. A long terme, elle aimerait avoir plus de répercussions. Pour autant, la commission internationale a organisé trois actions contre Blackstone. Focus sur une des trois actions contre Blackstone Le 16 février 2015 par exemple, une action coordonnée et simultanée a eu lieu à New-York, San-Francisco et à Barcelone. En Catalogne, c’est 300 militants qui occuperont une officine de la Caixa49, tandis qu’à New-York des militants de Marea Granate et Right to the City feront un sit-in devant le siège de Blackstone, à San Francisco un orchestre et des militants « accueillent » les managers qui rentrent dans leurs bureaux pour commencer la journée. Prise de décision La commission internationale décide de manière autonome si elle va participer à certains sujets et du positionnement qu’elle aura. Cependant, des sujets de décision très importants qui engagent toutes les PAHs sont décidés en assemblée Estatal, cela a été le cas par exemple pour la participation, ou non, à la séance de travail officielle de Barcelone pour Habitat III. Si une décision rapide doit être prise et qu’elle ne peut attendre la prochaine assemblée Estatal, qui a lieu tous les trois mois, c’est la commission technique qui se charge d’en discuter et de décider. Composée d’une quinzaine de personnes de différentes PAH, la commission technique s’occupe de la prise de décision entre chaque assemblée Estatal, de rédiger des rapports mais aussi des communiqués de presse. Point de tension Il existe deux commissions internationales. La PAH de Madrid a crée sa propre commission internationale. Une scission a eu lieu en raison de positionnements différents. Il a été reproché à la PAH madrilène de porter et défendre ses revendications locales à l’échelle internationale alors que le rôle de la

48 Site : http://afectadosporlahipoteca.com/category/propuestas-pah/internacional/ 49 A ce moment-là, 64.000 prêts immobiliers de la Caixa avaient été rachetés par Blackstone

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commission internationale est de porter les revendications collectives et communes à toutes les PAHs. Ainsi donc la commission internationale madrilène ne représente que la PAH Madrid au niveau international, tandis que la commission internationale représente toutes les PAHs d’Espagne. Cependant, plusieurs échanges ont eu lieu avec la commission Internationale de Madrid. La commission internationale reste optimiste sur le ralliement futur de Madrid à la commission internationale de toutes les PAHs.

La commission communication de la PAH Barcelone50 Composition et organisation La Commission de Communication est celle qui se charge :

• Résumer et rendre visible sur les réseaux sociaux les actions réalisées par la PAH Barcelone, les expulsions, les convocations, les campagnes réalisées tant au niveau local, catalan comme national,

• Faire un suivi des nouvelles dans le domaine du logement, • Gérer et de répondre aux mails, • Ecrire des communiqués, • Rédiger l'agenda d'activités hebdomadaires de la PAH Barcelone et de les diffuser :

nos heures d’assemblées, nos réunions avec d'autres collectifs ou nos appuis aux campagnes menées par d'autres collectifs.

Les outils de communication utilisées par la commission sont nombreux : Twitter, Facebook, Instagram, Flickr, le Web, WhatsApp, Telegram. Actuellement il y a 16 personnes mobilisées dans cette commission, chacun gère un ou plusieurs aspects du travail à faire de la commission. Actuellement, la répartition du travail se fait de cette manière :

• Luís gère le bon fonctionnement général de la commission • Dans le groupe Twitter, il y a Juanjo, Marta, Aida, Rafa, Flor. • Au Facebok : Juanjo, Alba, Monica, Rafa, Julio, Noelia, Gemma • A l’Instagram51 : Juanjo • Au Flickr : Alba y Borja • Au Telegram : Monica y Juanjo • A la gestion des mails : Flor, Borja, Esther y Juanjo • A l’agenda à la semaine : Juanjo

Le travail est réparti chaque semaine avec un calendrier qui est partagé tous les dimanches. A partir de là, chacun choisit le jour et le réseau social qu’il souhaite gérer. Chaque jour est réglé par deux tours quotidiens qui vont de 9h00 à 14h00 et de 14h00 à 23h00h Jamais plus de deux espaces ne sont gérés à la fois par la même personne pour éviter d’être débordée. Si la personne qui devait s’occupait d’un espace a un imprévu qui ne lui permet pas de travailler, elle en informe tout le monde sur le groupe du Telegram et demande si quelqu’un d’autre de la commission peut assurer son tour. « Il y a toujours un 50 Cette partie a été rédigée à partir d’un questionnaire remplie par Juanjo 51 Nouvel outil de communication lancé pour les 7 ans de la PAH fin février

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comPAH disposé à le faire ». Les informations diffusées au niveau de la PAH nationale sont relayées au niveau local en soutien. Stratégie et prise de décision La stratégie de la commission est de chercher le langage approprié pour chaque réseau social et pour chaque campagne. La commission veille toujours à parler positivement, « notre message porte toujours sur une victoire et jamais une défaite ». Le travail de la commission vise à rendre compte de tous les objectifs et exigences du mouvement, mais de tout ce qui est gagné afin de diffuser une bonne énergie, énergie pouvant séduire de nouvelles personnes qui pourront à l’avenir rejoindre le mouvement. La prise de décision est collective « comme tout dans la PAH ». La commission s’organise autour d’un groupe Telegram. Il permet de parler, de décider, de réfléchir aux campagnes à venir mais aussi de faire part de ces doutes et nouvelles idées. Elle se réunit, plus ou moins, une fois par mois. Campagnes passées, en cours et à venir La commission communication a eu un rôle très important lors des campagnes de la ILP Catalane mais aussi pour la campagne qui a démarré en décembre Las 5 de la PAH. Elle a participé à une vraie « guerre communicative ». Actuellement, elle est surtout mobilisée pour faire appliquer la Loi 24/2015 et préparer le terrain aux 5 Exigences de la PAH qui doivent être amenées jusqu’au Congrès. Elle est aussi très en action en ce qui concerne les campagnes d’Obra Social telles que « BBVA responde » ou encore « La Sareb es nuestra ». La commission n’a pas de vision à long terme mais avance « pas à pas pour être sûre d’aller plus loin ». Articulation à sa propre assemblée et développement à d’autres niveaux Chaque PAH a sa propre commission de communication, chacune a son propre protocole et guide à suivre. Au niveau catalan, l’organisation se fait par mail, au sein d’un groupe Telegram et durant les assemblées catalanes qui ont lieu chaque mois. La commission informe lors de l’assemblée de Coordination et au sein des réseaux de son activité. Pour autant tout reste décidé collectivement lors de l’assemblée de Coordination, qui écrira Juanjo est « notre espace souverain ».

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La PAH Barcelone est soutenue et appuyée par d’autres réseaux comme c’est le cas d’Enmedio mais aussi d’autres mouvements telles que l’Alliance contre la Pauvreté Energétique ou encore l’Observatoire DESC.

Une PAH Barcelone en réseau avec d’autres mouvements La Plateforme des Affectés par l’Hypothèque Barcelone a dès sa création lié des affinités avec l’Observatoire de Droits Economie Sociaux et Culturels (dit DESC) de Barcelone. Cet observatoire a été un véritable appui pour le mouvement notamment en ce qui concerne toute l’aide juridique. Aussi, la PAH Barcelone a été un moteur dans la création de l’Alliance contre la Pauvreté Energétique (dit APE) qui est un mouvement de lutte contre les coupures d’électricité, gaz et d’eau.

Quand des professionnels de l’image s’en mêlent > « Enmedio » en action « Enmedio » est un « groupe de professionnels de l’image » de Barcelone qui a décidé de lier « art et action politique ». Ils ont à plusieurs reprises pensé les campagnes de la PAH. Ils développent des supports originaux, très impactant, très visuels et attirants qui donne une rapide notoriété à la campagne. La Caixa, banque espagnole, ne répond pas aux 321 demandes de dation en paiement. La PAH engage « une guerre contre elle ». La bataille se déroule en janvier 2013 au coeur de Barcelone. Une centaine de personnes arrive. Ils collent sur les façades de la banque des photos géantes de personnes en attente de leur dation en paiement. Au-dessous de la photo est écrit « Nous ne sommes pas un numéro ». Sur une table, plusieurs cartes postales disponibles adressée à la Caixa, chacun « peut y écrire son mot » et la poster en direct. Cette campagne trouve un énorme écho auprès des médias et donne un coup de projecteur aux agissements de la Caixa. Source : Extraites de http://www.enmedio.info/postales-y-retratos-fotograficos-contra-los-desahucios-de-calatunya-caixa/

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L’Alliance contre la Pauvreté Energétique : un partenaire de lutte complémentaire de la PAH52 Aujourd’hui en Espagne, 17% de la population rencontre des difficultés pour payer les factures d’électricité, de gaz et d’eau. Trop nombreuses sont les familles qui se voient obliger de choisir entre rembourser leur hypothèque, payer les factures d’énergie et d’eau, nourrir leurs enfants. L’Alliance contre la Pauvreté Energétique (dit APE) lutte contre « l’oligarchie énergétique » de grandes entreprises comme Endesa, Gas Natural-Fenosa, Iberdrola, et d’autres. En effet, malgré la crise, ces entreprises continuent d’augmenter leurs bénéfices en raison de la montée des tarifs : l’électricité a bondi de 83% depuis 2013, l’eau de 65% depuis 2008. APE est créée en février 2014 à Barcelone. Il s’agit d’un ensemble de dix mouvements53 dont la PAH. Tandis que certains mouvements tels que la Plateforme l’Eau est la Vie ou encore le réseau pour la Souveraineté Energétique se rendaient compte via « des études des déviances des modèles de gestion des besoins basiques » ; des organisations comme la PAH accueillaient à chaque assemblée de bienvenue « des personnes en situation de précarité énergétique ». Ensemble, elles décident de s’allier pour « défendre l’accès universel aux besoins basiques », soit l’eau, le gaz et l’électricité. Secouer les administrations publiques en questionnant les modèles de gestion APE est naît pour faire pression et dénoncer aux administrations publiques le rôle des entreprises de distribution d’énergie et d’eau. L’alliance porte plusieurs exigences :

• Assurer un accès universel aux services basiques : toute personne, même si elle ne peut pas payer, doit avoir des services minimums qui lui permettent de vivre avec dignité

• Empêcher les coupures et fermeture de compteurs : les administrations publiques doivent exercer leur rôle en garantissant l’accès aux droit, cette décision ne doit pas être laissée aux mains des entreprises

• Que la dette soit assumée par les entreprises, elles doivent inclure ce risque de non-paiement et l’assumer, ce n’est pas aux pouvoirs publics de le faire

• Rendre public toutes les données relatives aux coupures depuis 2005 et les transférées à l’IDESCAT

• Re-questionner les modèles de gestion des énergies et de l’eau pour une gestion publique

La lutte d’APE s’organise autour de plusieurs aspects :

• « L’assemblée de conseils collectifs » pour entendre le problème de chacun et l’aider à résoudre son cas

• « Exercer une pression sur les administrations publiques » pour cela, APE a participé au travail engagé à la « Mesa de la Pobreza Energética » de la Generalitat, a fait des conférences de presse au Parlement pour faire avancer la Loi, et engage des actions régulières pour faire appliquer la Loi

52 Cette partie a été rédigée à partir d’un entretien (de 47 min) avec Maria Campuzano, porte-parole d’APE, ce sont des extraits de notre entretien entre guillemets 53 Liste des 10 mouvements : La Confédération de l’Association des Voisins de Catalogne, la Coordination des Assemblées de Travailleurs au Chômage de Catalogne, la Fédération de l’Association des Voisins de Barcelone et aussi celle del Baix Llobregat, le Front Civique de Catalogne, la Plateforme des Affectés par l’Hypothèque, la Plateforme l’Eau est la Vie, l’Union des Consommateurs de Catalogne, le Réseau pour la Souveraineté Energétique, l’Observatoire de la Dette de la Mondialisation.

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• « Exercer une pression sur les entreprises fournisseuses en les mettant face à leur responsabilité en allant occuper les sièges des entreprises pour dénoncer leurs agissements »

La relation entre APE et la PAH APE et la PAH luttent pour faire respecter et gagner des Droits complémentaires. Ces deux mouvements travaillent beaucoup ensemble. La PAH est une des organisations les plus actives d’APE, elle organise ses actions du point de vue logistique. Les deux organisations s’offrent un appui mutuel constant depuis l’impulsion de la ILP, il y a de çà un an et demi. APE a participé à la rédaction de la ILP Catalane, a mené des campagnes pour que la ILP soit votée, et aujourd’hui elle organise des actions pour que la Loi 24/2015 soit appliquée. L’organisation d’APE est une « copie » de ce qui se fait à la PAH. Par exemple, l’assemblée de conseils collectifs, qui a lieu une fois tous les quinze jours, se déroule sous le même format que l’assemblée de bienvenue de la PAH. Elle débute par une présentation d’APE, le contexte dans lequel elle s’inscrit, elle déconstruit la crise, puis elle détaille les étapes à suivre en cas de précarité énergétique. Le deuxième temps de l’assemblée est consacré aux conseils collectifs, chacun explique son problème, les conseils collectifs viennent rassurer et guider sur la marche à suivre. L’organisation interne est basée sur le même modèle, APE est dotée d’une assemblée de coordination qui vient dynamiser et structurer le mouvement. La différence entre APE et la PAH réside dans l’organisation territoriale que n’a pas APE. APE est une structure récente, il en existe très peu en Catalogne. Mais aussi dans le fait qu’APE n’engage pas réellement de négociations individuelles comme la PAH le fait entre une personne affectée par une hypothèque et la banque. Même si, selon Maria Campuzano, « APE sans la PAH ne serait pas ce qu’elle est », il y a quelques militants au sein d’APE qui ne sont pas militants de/à la PAH. Maria, par exemple, ne vient pas de la PAH. L’Article 6 de la Loi 24/2015 : une protection pour les personnes en situation de pauvreté énergétique APE a travaillé avec le DESC et la PAH à la rédaction de la Loi 24/2015 relative aux mesures d’urgence pour affronter l’urgence habitationnelle et la pauvreté énergétique. L’article 6 de la Loi détaille les mesures pour éviter la pauvreté énergétique. La Loi amène trois éléments très importants :

• Le principe de précaution • L’obligation de la Generalitat ou de la mairie à pousser l’entreprise à assumer la

dette • Pousser les entreprises à faire face à leurs responsabilités

Quand la précarité énergétique s’exprime… Généralement les problèmes de précarité énergétique se présentent selon cinq stades :

1. Tu ne peux plus payer tes factures 2. Tu reçois un avis d’impayé 3. Tu reçois un avis de fermeture des compteurs

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4. Le fournisseur vient de te couper l’accès à l’eau, le gaz et/ou l’électricité 5. Tu vis depuis un moment sans eau, gaz et/ou électricité

Selon l’un ou l’autre de ces cas, les assemblées de conseils collectifs permettent de s’informer sur ses droits, de connaître les outils pour se défendre créant l’empoder. Le discours de déculpabilisation et de lutte est très prégnant. …et que des recours émergent.

• La Loi 24/2015 : une avancée citoyenne qui protège Un des principaux conseils prodigué à l’affecté est d’aller, avec ses factures, voir les services sociaux pour leur expliquer la situation. Les services sociaux pourront alors évaluer la situation de vulnérabilité et faire un rapport de « risque d’exclusion résidentielle » qui peut entraîner la suspension de la coupure. Grâce à Loi 24/2015, désormais, l’entreprise qui souhaite fermer un compteur doit respecter le principe de précaution, et appeler les services sociaux avant toute décision afin de savoir si l’affecté se trouve en situation de « risque d’exclusion résidentielle ». Si tel est le cas, la coupure ne peut pas avoir lieu. A ce moment-là, l’entreprise est même dans l’obligation d’aider à « fond perdu » l’affecté afin que sa dette n’augmente pas. En ce qui concerne le rapport « risque d’exclusion résidentielle ». Il est valable 6 mois. Il est rédigé dans un délai de 15 jours. Il est ensuite envoyé à l’entreprise qui le demande. Si toutefois, le compteur a été fermé. L’affecté doit faire une dénonciation auprès de la mairie mais aussi auprès de l’Agence Catalane des Consommateurs en expliquant que la Loi 24/2015 n’a pas été respectée. L’entreprise doit être sanctionnée dans ce sens. De leurs côtés, les services sociaux doivent appeler l’entreprise pour leur demander de rouvrir le compteur fermé faisant valoir le rapport de « risque d’exclusion résidentielle ». Dès le lendemain, le rétablissement est effectif. APE pour chacune des démarches met à disposition les documents nécessaires sur son site internet. Par exemple : le modèle pour la demande de rapport de « risque d’exclusion résidentielle » aux services sociaux ou bien le modèle de lettre à envoyer à la mairie pour dénoncer la coupure par une entreprise.

• D’autres recours existent, souvent méconnus ils sont difficiles à mobiliser Ils existent d’autres recours mis en place par les entreprises ou les administrations publiques. Par exemple, la mise en place de tarifs préférentiels. Peu connus ces tarifs permettent de bénéficier de prix plus bas que ceux du marché. « PVPC » est le nom du tarif social de l’électricité, « TUR1 » celui du gaz. Pour autant, APE trouve ces tarifs insuffisants et exige qu’une vraie réflexion soit engagée sur des prix sociaux calculés en fonction des revenus. D’autres aides apparaissent comme les fonds. Agua Barcelone (entreprise qui gère l’eau de Barcelone) a un fond de gestion de solidarité. Les entreprises gérant l’électricité mettent à disposition une aide financière appelée le « bon social54 ». Elle amène une réduction de 25% 54 Dit « bono social » en espagnol

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sur 40% de la facture. Elle est peu utilisée car très restrictive, en effet seules les personnes de plus de 65 ans, l’ensemble des personnes de plus de 18 ans d’un foyer au chômage, ou les familles nombreuses peuvent y prétendre. Les administrations publiques aussi mettent des aides en place pour payer les factures. La Generalitat dispose d’un fond de solidarité accessible pour les problèmes d’eau, de gaz et/ou d’électricité. En 2015, il était de 10 millions d’euros, seuls 22% ont été dépensé55. Le fond de l’Aire Métropolitaine de Barcelone quant à lui était de 5 millions d’euros en 2015, 15% seulement ont été dépensé. Barcelone en 2014 a mis en place un fond municipal illimité. Toutes ces aides n’ont pas été épuisées non pas parce que la situation énergétique de chacun a pu être régularisée mais parce qu’il est très difficile d’accéder à ces fonds. Pour bénéficier d’une aide, il faut savoir qu’elle existe et l’information est bien gardée. Ensuite les critères d’accès sont draconiens et le montant de l’aide est limité. APE aime rajouter que la présence de ces fonds publics ne règle pas le fond du problème qui est la privatisation des énergies. APE est une organisation complémentaire à la lutte pour le droit au logement. Il n’est pas la seule organisation qui appuie la PAH Barcelone.

Observatoire de Droits Economiques, Sociaux et Culturels : un appui juridique central dans la lutte de la PAH56. L’Observatoire DESC est une association qui s’implique à différentes échelles en venant appuyer les luttes57. Il travaille avec différents mouvements sociaux et base son approche autour des droits sociaux. Il s’agit d’une ambition difficile « car le monde du droits est un monde très conservateur ». L’Observatoire DESC défend le droit à l’alimentation, à l’éducation, des migrants, du travail, mais aussi le droit au logement… C’est sur ce point-là qu’il vient en aide à la PAH. Il est financé majoritairement par les pouvoirs publics via des subventions à la suite d’appels à projet, une convention avec la mairie et quelques financements d’origine privée à la suite de commandes précises (un documentaire, une étude concrète, etc). L’Observatoire DESC agit de différentes manières, toujours dans le prisme juridique. Il rédige et publie des livres sur les Droits Humains. Il poursuit en cours de justice des cas emblématiques pour influencer le débat public et faire avancer la cause de manière générale après avoir fait un travail de dénonciation. Il organise des cours de formation. Et il essaie d’influencer l’action politique. Il fait des études visant à expliquer la situation et faire des recommandations aux pouvoirs publics pour faire des améliorations. Plusieurs rapports pour le droit à l’alimentation, au logement ont été rédigés dans ce sens. En ce moment, des

55 Pour plus d’informations, lire cet article > http://ccaa.elpais.com/ccaa/2016/01/24/catalunya/1453664570_490618.html 56 Cette partie a été rédigée à partir d’un entretien (de 50min) avec Irene Escorihuela, directrice du DESC 57 Comme par exemple au niveau de Barcelone (l’APE, la PAH), au niveau catalan (l’Institut des Droits de Catalogne, Fédération des associations des voisins…) et au niveau international (membre d’HIC, Plateforme Globale du Droit à la Ville...)

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cours de formation juridique notamment auprès des élus sont organisés sur la nouvelle Loi 24/2015 pour la présenter et expliquer son application. L’Observatoire DESC a été un grand collaborateur des mouvements sociaux car nombreux de ses salariés étaient impliqués dans des collectifs de lutte. Si aujourd’hui l’Observatoire DESC et la PAH sont des partenaires c’est grâce à Ada Colau. Lorsqu’elle travaillait à l’Observatoire DESC, qu’elle était en charge du logement, elle a fait le lien entre le DESC (ayant une expertise juridique) et la PAH qui se créait alors. Très rapidement, quand la PAH s’est constituée, ses premiers militants et affectés ont du « s’auto-former » sur l’aspect juridique quant à toutes les modalités hypothécaires et juridiques58. L’Observatoire DESC a été d’un appui incroyable. Il a permis de donner un accès direct aux militants de la PAH à des « outils utiles ». D’une manière très transversale, le DESC a développé tous les outils juridiques nécessaires à la lutte, comme par exemple la création des documents utiles. Au niveau juridique, le DESC a amené un gain énorme quant à l’organisation de l’empoder de chacun. Il y a quatre ans, une convention a été signée entre le DESC et la mairie pour venir appuyer le mouvement qu’est la PAH : « recueillir des données », travailler sur des études plus approfondies dans le domaine, « travailler sur des propositions ». Cette convention locale59 permet à quatre militants60 de la PAH de travailler au DESC. L’Observatoire est composée d’une équipe salariée de neuf personnes dont quatre se consacrent à la PAH. Lors de la rédaction de la ILP, une équipe du DESC (composée d’avocats) travaillait surtout sur l’aspect juridique de la proposition de loi et il y avait de manière ponctuelle plusieurs collaborateurs (professeur d’université, experts…) qui se consacraient à des thèmes plus spécifiques. L’Observatoire DESC a été présent aux rendez-vous avec le gouvernement dans le cadre des négociations lors de la rédaction de la proposition de loi : « ceci doit être rédigé comme ceci, ceci comme cela ». « Ce n’est pas tant sur le contenu de la ILP mais plutôt sur la forme juridique61 que la proposition devait avoir que l’Observatoire a aidé ». Aujourd’hui encore, le DESC appuie a PAH notamment dans l’analyse de nouvelles lois ou encore une étude en cours à partir de la base donnée de la PAH62… pour autant, l’Observatoire ne s’est pas investi dans la rédaction du projet de loi « la loi des 5 exigences » de la PAH et la convention signée entre le DESC, la PAH et la mairie se termine en août 2016. Quand sera-t-il de la suite ?

58 Des questions du type : comment fonctionne la loi, qu’est ce qu’une hypothèque ? Quels recours possibles ? 59 En effet, cette convention concerne que la PAH Barcelone 60 Il s’agit d’Elisa (30h sur en tant que chargée d’aide juridique), Carlos (30h sur un poste de coordination), Luis (30h sur un poste de chargée de communication) et Lucia (10h comme chargée de projet de l’étude de la base de données de la PAH) 61 Eviter les propositions inconstitutionnelles, rester dans le domaine des compétences. 62 La PAH répertorie tous les affectés venus à la PAH depuis 2009 à partir de fiches. Ces dernières sont en train d’être traitées, complétées et vont être analysées.

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Une lutte portée sur le changement de la Loi. Carlos Macías, le porte-parole de la PAH Barcelone, me dit que la PAH est « comme un tabouret ». Sa stratégie se conjugue autour de ses trois pieds. Un premier pied visant à dénoncer « l’escroquerie qu’est la crise », un deuxième à « agir de manière urgente en empêchant les expulsions » et un troisième pied visant à faire des « propositions législatives ». C’est dans cette perspective que la Plateforme des Affectés par l’Hypothèque s’est engagée dans la rédaction d’une proposition de loi.

La Loi 24/2015, une initiative législative populaire qui apporte du droit dans les situations d’urgence habitationnelle et de précarité énergétique Grâce à l’Initiative Législative Populaire (dit ILP), la PAH a pu changer la loi et apporter une certaine protection et garantie dans les situations d’urgence. L’Initiative Législative Populaire est un des rares outils de démocratie semi-directe que permet la Constitution Espagnole de 1978. La PAH décide de s’en saisir. Après plusieurs mois de travail avec des juristes, avocats, militants. La PAH, l’observatoire DESC et l’Alliance contre la Pauvreté Energétique, soutenus par d’autres structurels telles que le CCOO Catalunya, CONFAVC proposent un texte de loi sur les hypothèques, contre les expulsions et pour la création d’un parc locatif social. Cette proposition permet d’insérer dans l’agenda politique et médiatique la question du logement qui n’y était pas. Cela devient un problème public auquel il faut réfléchir et sur lequel il faut agir. Pour que la ILP soit acceptée, elle doit être présentée à l’assemblée espagnole qui accepte ou pas la proposition de loi telle qu’elle est rédigée, pour cela il faut qu’elle réponde à des critères juridiques. Dans un premier temps, la ILP est refusée par l’assemblée, elle doit être retravaillée. Quelques semaines plus tard, les militants présentent un texte de loi plus large encore, celui-ci est accepté. Pour que celle-ci soit discutée au Congrès, elle doit être accompagnée d’une limite de signatures. Le nombre de signatures varie en fonction des échelons politiques (national, ou autonomique). L’Initiative Législative Populaire portée au niveau national Au départ, l’ambition de la Plateforme était de faire voter la ILP au niveau national. Pendant un peu plus de dix mois, les différentes PAH espagnoles accompagnes d’autres mouvements (comme la Fédération des associations de voisin, etc) ont investi les rues et se sont organisées pour récolter le maximum de signatures. Au moins 500 000 signatures sont nécessaires pour que la ILP soit discutée au Congrès. Quatre mois plus tard, la PAH présente son projet de loi accompagnée d’un million et demi de signatures. Après plusieurs semaines de négociations, la proposition de Loi n’avance pas. Le parti majoritaire en place est le Parti Populaire, dit « PP ». Il refuse d’en discuter. Pour créer du débat, une invitation officielle est envoyée à chaque élu politique pour qu’ils viennent aux assemblées. L’argument principal est le suivant : « Si vous n’acceptez pas la ILP c’est que

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vous ne savez pas tout ce que les prêts hypothécaires, la dette et l’expulsion signifient. Alors venez ! ». Toutes les invitations sont restées sans réponse. Pour faire pression, la campagne d’Escraches63 (mode d’action fortement contesté) débute. Malgré ça, aucun débat réel n’a eu lieu sur ce projet de loi. Après plusieurs semaines de pression, les militants de la PAH décident de retirer la ILP pour éviter qu’elle ne soit vidée de son contenu. Un projet de loi proposé aux Generalitat, échelon politique régional : le cas de la Catalogne. Lorsque la PAH se rend compte qu’aucune discussion n’est possible avec le parti majoritaire de droite au pouvoir. Elle décide de poursuivre sa lutte à d’autres échelles politiques comme celle de la région, dit Generalitat en Espagne. La Generalitat a d’importantes compétences dans le domaine de l’Habitat, des services sociaux. Plusieurs PAH s’engagent dans une lutte au niveau régional. La PAH Barcelone accompagnée d’autres PAH en Catalogne lance leur lutte au niveau catalan, un minimum de 50.000 signatures est demandé pour une étude par le Parlement Catalan. Le Parlement étudie le projet de loi lorsque celui-ci est soutenu par plus de 500.000 signatures. Après plusieurs semaines de pression dans la rue, d’actions et de discours politique et militants, le 29 juillet 2015, tous les partis qui composent le Parlement de la Generalitat de Catalogne approuvent la ILP. Le 5 août 2015, elle entre en vigueur. La ILP, dite Loi 24/2015 signe là une très grande victoire pour le mouvement qui a réussi à changer la loi. Elle illustre la « transformation de l’imaginaire collectif64». Pendant des années, des centaines de personnes pensaient que leur problème hypothécaire leur était individuel, leur était propre. Petit à petit, la lutte à la PAH et l’apprentissage par les conseils collectifs ont amené une transformation, porteuse de déculpabilisation. Par ce processus, la question hypothécaire a été portée de plus en plus comme étant un problème public. La proposition de loi portée par des milliers de signature révèle la transformation de cet imaginaire collectif. Que permet la Loi 24/2015 ? La Loi 24/2015 amène du droit en matière d’hypothèques et de logement d’urgence selon les différents cas de figure.

• Première cas de figure : « Je ne peux pas payer mon hypothèque » Le grand propriétaire65 enclenche une procédure judiciaire à la suite du non-remboursement de la dette car l’affecté ne peut plus l’assumer et la payer, alors la banque est obligée de 63 Il s’agit d’un mode d’action venu tout droit d’Argentine, l’escrache vise à se rendre sur un lieu de pratique personnel d’un personnage politique pour dénoncer ses agissements. Ce mode d’action tient à souligner que les décisions prises par l’élu le poursuivent à tous moments de la journée. La politique n’est pas un métier mais bien un engagement dont on est toujours l’acteur. Les problèmes liés à une hypothèque n’ont jamais de répit. Ils sont présents à chaque moment de la journée (et même de la nuit). Pourquoi les décisions politiques prises auraient-elles un répit ? Non elles sont portées et défendues à tout moment du quotidien, aussi. Elles peuvent donc être dénoncées n’importe quand. 64 Propos de Carlos Macías, porte-parole de la PAH Barcelone lors d’un entretien 65 Dit « gran tenedor » peut être une entité financière, une filière immobilière, un fond d’inversion, une entité de gestion chargée de la restructuration financière, un propriétaire de plus de 1250 m2

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proposer un logement social à l’affecté. Si aucune proposition n’est faite, l’affecté doit le dénoncer à la mairie, cette dernière est chargée de le sanctionner d’une amende de 90.000 euros. Si une proposition de logement social est faite : il peut s’agir du même logement dans lequel habitait déjà l’affecté, ou un autre logement situé au sein de la même ville. Depuis cette Loi, les grands propriétaires font des propositions de relogement aux périphéries de Barcelone66. Le contrat locatif répond à une grille indiciaire précise67. Sa durée est de trois ans. Il est conseillé à l’affecté-e de prévenir les services sociaux de la situation, de remplir le document de risque d’exclusion résidentielle auprès de l’office de l’habitat qui permet de venir appuyer les négociations.

• Deuxième cas de figure : « Je ne peux pas payer mon loyer locatif » > « Je ne peux pas payer ma location à un grand propriétaire » :

Il faut faire valoir le principe de risque d’exclusion résidentielle auprès de l’Office de l’Habitat. Ensuite, l’affecté doit aller rencontrer le juge pour lui expliquer la situation, ce dernier peut suspendre l’avis d’expulsion le temps qu’un accord soit trouvé entre l’affecté et la banque. > « Je ne peux pas payer ma location à un petit propriétaire68 » : L’affecté doit faire valoir le principe de risque d’exclusion résidentielle auprès de l’Office de l’Habitat et auprès des services sociaux. Il demande auprès de la mairie une aide économique, mais aussi une suspension de son expulsion en attendant une alternative habitationnelle. La mairie doit obligatoire reloger l’affecté. Elle dispose de trois mois pour proposer à l’affecté un logement via la table d’urgence.

La Loi 24/2015 permet donc en cas d’expulsion un relogement en cas d’expulsion mais elle protège aussi quant à la précarité énergétique. La PAH poursuit son ambition de changer la loi notamment avec ces cinq exigences.

66 Par exemple, le fond Blackstone propose à un vieil homme habitant Place Real, le cœur du quartier Gothic, une location à la Zona Franca, la zone du port de frets, de Barcelone 67 Le calcul de la location se fait sur la base des entrées d’argent par mois. Le loyer est de 10%, 12% ou 18% selon les entrées d’argent des personnes vivant dans le logement. 68 Dit « pequeño tenedor » : les propriétaires qui ont en deçà de 1250 m2

Précision Le logement social en Espagne n’est pas le logement social français. Il s’agit de deux choses différentes. Lorsque les personnes négocient un « logement social » en Catalogne, dans la majorité des cas, il s’agit d’un logement au loyer très social. Le parc de logements de la mairie étant très restreint, il existe très peu de logements sociaux protégés.

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« La ley de las 5 », la nouvelle proposition de loi. La PAH profite des élections pour insérer dans le débat politique la question du logement en Espagne. Dès octobre, la PAH énonce ses 5 exigences : la dation en paiement, des logements accessibles, l’arrêt des expulsions, la mise ne place d’un parc public de logements sociaux et les besoins en énergie et eau garantis. Les partis espagnols se positionnent quant aux cinq exigences de la PAH :

• Le parti socialiste traditionnel PSOE accepte la dotation en paiement même rétroactive mais refuse que les appartements des banques reviennent aux citoyens

• Le nouveau parti de droite, Ciudadanos avec à sa tête, Albert Rivera, refuse la dotation en paiement rétroactive ainsi que les logements des banques soient remobilisés en parc de logement public

• Le nouveau parti de gauche démocrate-progressiste, dit Podemos accepte les cinq exigences de la PAH

A l’exception du parti de droite traditionnel (ralliant le centre droit jusqu’aux anciens franquistes) dit le Partido Popular qui n’a même pas n’accepte aucune des exigences de la PAH n’ayant fait aucun travail sur le sujet. Depuis quelques semaines, la PAH travaille sur la rédaction d’une nouvelle loi à soumise via l’Initiative Législative Populaire.

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Les cinq exigences de la PAH détaillées69. 1. La dation en paiement rétroactive : - mécanisme de seconde opportunité pour concéder la dacion en paiement et la condamnation de la dette - Rendre les logements de leurs garants insaisissables par les banques - élimination des clauses abusives et compensation économique 2. Logement accessible - Réforme de la LAU pour donner une sécurité et une stabilité - augmentation pour au moins 5 ans et/ou préciser dans le contrat locatif que seule une résiliation peut avoir lieu uniquement en cas d’urgences - établir une marque de régulation des prix qui correspondent aux revenus de la population 3. Arrêt des expulsions - Moratoire sur les expulsions du logement principal - Obligation des banques et des grands propriétaires des logements à offrir un logement locatif social aux familles affectées avant de les expulser - Aides au paiement du loyer locatif quand il s’agit d’un petit propriétaire - Assurer le droit d’enracinement pour les relogements offres dans la même ville et quartier - Obligation de l’administration publique à offrir un relogement aux personnes en situation d’occupation 4. Logement social - Mobilisation des logements vides via la cession obligatoire (permise par la Loi 24/2015) - Augmenter le parc public de logements - Les loyers des logements sociaux ne doivent pas dépasser 30% des revenus de l’unité familiale 5. Besoins garantis70 - Principe de précaution : garantie de non coupure des besoins basiques en aie, lumière et gaz sans s’être informer avant sur la situation des affectés - Bon social : payer en fonction de son pouvoir d’achat - Ne pas assumer les dettes avec des fonds publics, obliger les entreprises fournisseuses en énergie à assumer ce coût de non-paiement quand les familles ne le peuvent pas. Le Parti Populaire ayant la majorité absolue lors du dernier mandat a refusé toute discussion lors de la proposition de l’ILP. Ces dernières élections ont bouleversé l’échiquier politique. Peut-être une nouvelle Loi impulsée par la PAH pourra-t-elle, cette fois, être votée au niveau national ?

Ainsi, la PAH continue sa lutte à toutes les échelles pour changer la loi. Certains militants structurants de la PAH, quant à eux, ont décidé de prendre le pouvoir municipal comme c’est le cas pour Ada Colau (porte parole de la PAH Barcelone pendant plusieurs années), Adria Alemany et bien d’autres militants. Ils ont choisi la voie politique et ont présenté une candidature aux élections municipales, il s’agit de la liste « Barcelona en comù ».

69 Traduction de la « feuille de route » officielle de la PAH quant à ses cinq revendications 70 APE est mobilisée aux côtés de la PAH dans la rédaction de la « Ley de las 5 ». Il s’agit là d’une de ses revendications. Maria Campuzano m’expliquera qu’APE souhaite appliquer le contenu de la Loi 24/2015 au niveau national, mais aussi faire devenir l’énergie comme un « service d’intérêt public » et non pas « d’intérêt économique » comme il est actuellement stipulé, réfléchir à des tarifs sociaux et non plus quelques tarifs préférentiels sans réelle ambition.

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La mairie et la PAH : un équilibre à trouver sur un fil Après une campagne agitée, Ada Colau est élue à 25,21% des voix contre 22,72% pour le maire sortant Xavier Triars. Elle prend alors la tête de la mairie. Quels sont les changements pour la PAH ? Comment la PAH s’organise sans Ada Colau et une dizaine de militants structurants pour le mouvement ? Comment le fait-elle indépendamment ? Quelles évolutions quant à la question des expulsions et plus largement du logement ?

Une mairie qui ouvre des groupes de travail pour aborder l’urgence et réfléchir à une stratégie plus large, des organisations citoyennes invitées A la question « quelle est la relation entre la mairie et la PAH ?», lors de plusieurs entretiens, les réponses iront souvent dans le même sens, il s’agit de relations « polies » et « cordiales », où malgré une distance assumée71, des groupes de travail permettent d’avancer sur le thème du logement de « manière plus fluide ». La mairie actuelle est plus encline à discuter que l’ancienne mais la PAH n’en reste pas moins « indépendante ». Elle ne se sent pas non plus privilégiée, puisque la mairie établit des dialogues avec d’autres entités barcelonaises. La problématique du logement : du reniement politique à la mise en lumière Durant le mandat de Xavier Trias (de 2010 à 2015) à la mairie de Barcelone, malgré la crise, le recours massif à l’expulsion et le problème des hypothèques, le logement n’était pas une priorité dans son programme politique. Face au contexte alarmant et urgent, aucun recours fort, même symbolique n’était engagé. Il n’y avait aucune volonté politique de répondre aux situations de crise de plusieurs centaines de milliers d’habitants. La PAH, par la multiplication d’actions, mais aussi ces campagnes comme « stop expulsions » ou l’Obra Social... exerçait des pressions sur la municipalité et les banques, pour dénoncer et lutter contre la machine spéculative financière en place et chercher d’autres voies possibles que la mise à rue, la dette à vie. Lorsqu’Ada Colau et son équipe décide de s’engager politiquement. Leur candidature politique pose la question habitationnelle comme prioritaire. Le rapport au logement change, cette thématique devient centrale. Différents interlocuteurs rassemblés en groupes de travail Ada Colau remporte la mairie. Un mois plus tard, la première séance de travail du « Conseil du Logement Social de Barcelone »72 impulse une inédite dynamique de travail pour aborder les urgences et les problématiques en matière de logement dans la ville. C’est un vrai travail

71 Lors d’un entretien, une militante de la PAH me dira : « Los militantes de la PAH cuanto estan en el ayuntamiento, son ayuntamiento, no son militantes, esto debe ser bien diferenciado » qui signifie en français « Les militants de la PAH quand ils sont à la mairie, sont la mairie, ils ne sont plus militants, cela doit être bien différencié » 72 Traduit de « Consell de l’Habitatje Social de Barcelona »

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qui s’engage pour trouver de vraies solutions. Ce 30 juin, plus d’un soixante de personnes issues de mouvements, d’organisations tels que la PAH, le DESC, la Fédération des Voisins, etc. mais aussi les services de la mairie, de la Generalitat ou encore les entités financières, se retrouvent autour de la table. Trois groupes de travail sont crées ce jour-là73 :

• Un premier groupe de travail rédigera un nouveau règlement de la « Reglament De La Mesa D’emergencia Social Per Perdua D’habitatge » qui « permettra d’intégrer plus de familles en situation de vulnérabilité dans le recours au relogement que permet la mairie »

• Un deuxième groupe de travail se concentrera sur « tous les recours existants, publics ou privés, et révisera les protocoles pour pouvoir intervenir depuis la prévention, en lien avec les services sociaux pour aider les situations d’urgence avant expulsion »

• Un groupe de travail abordera la mobilisation des appartements vides dans le but « d’augmenter le parc de logements sociaux de la ville »

Ces groupes de travail aborderont les problématiques du logement avec un regard plus large et une perspective à plus long terme. En effet, les vingt expulsions hebdomadaires de Barcelone ne seront pas uniquement le point de discussion, un travail plus large sera organisé, par exemple, autour du parc public municipal qui en juin 2015 était composé seulement de 10 000 logements. Les premiers éléments impulsés par ces groupes de travail

§ Groupe 1 sur la « mobilisation des appartements vides » Dans le cadre de ce groupe de travail, le programme « appartements vides74 » a été lancé. Il consiste à capter les logements vides du marché privé pour en faire des locations sociales publiques pendant au moins 36 mois. Pour cela, la mairie multiplie les avantages : elle garantit le paiement du loyer pendant 36 mois ; elle offre un financement pour des travaux de réhabilitation si nécessaire (20% à fond perdu, 80% restant décompté des loyers) ; elle souscrit une assurance multirisque ; elle promet le rendu de l’appartement en bon état. Le prix moyen des appartements est de 300 euros. L’endettement ne dépassera jamais 30% des revenus. Si différence il y a, elle sera payée par la mairie. La fondation Habitat375 impulsée par la Taula del Tercer Sector (institution représentant 3000 entités sociales catalanes) est chargée de la gestion de ce programme. Le contrat de cession est signé entre le propriétaire et cette fondation. Des réunions de travail sont en cours pour travailler d’autres formes de mobilisation, notamment la mobilisation des appartements vides des banques.

§ Groupe 2 sur la Prévention des Expulsions

Le protocole de travail de ce groupe a été fait en interne.

73 Elisa, lors d’un entretien d’1h07 me détaillera les groupes de travail impulsés par la mairie 74 Site internet : http://ajuntament.barcelona.cat/dretssocials/ca/programa-pisos-buits 75 Site internet : http://habitat3.cat/

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Dans le cadre de la prévention des expulsions, deux nouvelles structures ont été créées. En janvier 2016, l’Unité de Prévention de l’Exclusion Résidentielle (dite UCER) est inaugurée. Cette unité de travail est spécialement créée pour éviter les expulsions, lutter contre le risque d’exclusion résidentielle et faire appliquer la Loi 24/2015. L’équipe est composée de 13 personnes avec des profils différents. Elle travaillera aussi sur l’imposition d’amendes aux entités financières possédant des appartements vides. Et agira comme appui dans les procédures administratives des sanctions faites aux grands propriétaires si aucune proposition de logements sociaux n’est faite à l’affecté. L’équipe d’UCER a pour plusieurs tâches :

- Dialoguer et négocier avec le propriétaire du logement pour trouver des solutions adéquates à chaque situation

- Se coordonner avec d’autres services municipaux impliqués (office du logement, centres de Services Sociaux…) et centraliser toutes les informations pour éviter la perte de logement et améliorer l’efficacité de l’intervention municipale

- Amener toutes les réponses possibles à l’affecté pour réduire les effets de l’expulsion si cette dernière a eu lieu

Les fonctions principales d’UCER sont : de conseiller les personnes affectées des démarches et la gestion des aides au logement ; la médiation avec les entités financières ; l’élaboration d’un recensement unique d’expulsion et d’un diagnostic social sur la situation sociale de chacun des cas. A cela s’ajoute la création du SIPHO qui signifie Service d’Intermédiation pour la Perte de l’Habitat et des Occupations, plus clairement il fait un travail de prévention pour éviter les expulsions. Ce service d’intermédiation municipal vise à trouver un accord entre le propriétaire et l’affecté en cas de procédures d’expulsions engagées. Depuis plusieurs mois, il agit dans trois quartiers de Barcelone (Sants/Montjuic, Neu-Barris et Ciutat Vella). Sur l’équipe de trois personnes, deux sont anciennes militantes à la PAH. Récemment, un nouveau quartier est rentré dans le dispositif, il s’agit du quartier Les Carmels. Exemple. Nous sommes mardi 1er février, il est un peu moins de 9 heures quand une trentaine de militants se retrouve au 63 de la rue Sant Pere Mitja. Un petit propriétaire veut expulser madame F. de son logement. Nous allons l’en empêcher. Madame F. rentrera dans le dispositif de « Mesa D’emergencia Social » à la prochaine session (soit dans quelques jours), elle pourra alors bénéficier d’une offre de logement social par la mairie. Nous souhaitons que le petit propriétaire suspende son avis d’expulsion en attendant que la situation se régularise pour elle. Une dame arrive avec son fils, c’est la propriétaire. Elle est accompagnée d’une procureure. Nous les empêchons de rentrer. Enervés, ils attendent la personne du service de prévention avec qui négocier. C’est Sira76, elle est chargée de venir trouver un accord entre madame F. (la locataire) et la propriétaire. Ancienne militante de la PAH, elle est acclamée et applaudie quand elle arrive. La situation est assez délicate, puisqu’aujourd’hui Sira représente la mairie. Une vingtaine de minutes plus tard, un accord est trouvé. L’expulsion est suspendue jusqu’à ce que madame F. bénéficie d’une offre de logement social via la « Mesa D’emergencia Social » de la mairie.

76 Le prénom a été changé

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Cet exemple met en avant deux questionnements actuels de la PAH : - le déplacement ou non de la PAH aux expulsions des petits propriétaires ; - sa relation affinitaire avec certaines personnes travaillant à la mairie.

§ Groupe 3 sur le nouveau règlement de la « La Mesa D’emergencia Social Per Perdua D’habitatge »

La « Mesa D’emergencia Social Per Perdua D’habitatge » de Barcelone est un dispositif municipal qui permet d’accéder à un logement social. La Loi 24/2015 oblige la mairie à reloger une personne affectée par une expulsion d’un petit propriétaire. Liée au programme de récupération des appartements vides, la « Mesa D’emergencia Social » cherche à augmenter le nombre de logements locatifs à prix accessible via la cession obligatoire ou volontaire, la construction de nouveaux logements ou encore l’achat d’appartements via le « dret tanteix ». Trois réunions de travail ont permis d’élaborer un nouveau règlement. Etaient présents les services de la mairie en charge du logement, les services sociaux et le Consorci de l’Habitatge. Du côté des organisations citoyennes et sociales, il y avait la Fédération des Voisins de Catalogne (dit FAVC), la fondation Arrels, l’Observatoire DESC et la PAH Barcelone. Le nouveau règlement doit être validé lors du prochain conseil municipal. La « Mesa D’emergencia Social Per Perdua D’habitatge » se rencontre une fois par mois. Ci-dessous, le tableau de la séance de février 2016 permettant d’illustrer son organisation. Sur 107 demandes, 44 seront positives, mais 8 d’entre-elles devront patienter encore un peu car la mairie ne dispose pas d’appartements disponibles. Figure 8 : Détails de la "Mesa D’emergencia Social" du mois de février 2016

Source : http://www.bcn.cat/consorcihabitatge/es/files/Mesa_districte_ESP.pdf

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Le regard de la PAH sur ces trois groupes de travail

Ø A propos du nouveau règlement de la « Mesa D’emergencia Social Per Perdua D’habitatge » rédigé.

La PAH, bien qu’ayant participé aux trois séances de travail de ce nouveau règlement, considère d’ores et déjà, qu’il « ne va pas aussi loin qu’elle le souhaiterait ». Plusieurs limites sont soulignées :

- la question de la nationalité, seul les Espagnols pourront bénéficier de la « Mesa D’emergencia Social » ;

- l’édition du « padrón77 », comme il n’y aura pas de reconnaissance du lieu de résidence, le « padrón » ne pourra pas être édité ;

- les personnes ayant subi une expulsion depuis le vote de la Loi 24/2015 ne pourront pas bénéficier de la « Mesa D’emergencia Social », pour ainsi dire il n’y a pas de rétroactivité.

Pour finir, la Plateforme aimerait ouvrir l’accès au dispositif à d’autres personnes que celles expulsées par la voie classique et par conséquent, élargir les critères d’admission par exemple aux personnes en situation d’occupation, de migration, aux personnes qui perdent leur logement à la suite d’un incendie, etc. Pour toutes ces faiblesses, la PAH demande une révision du protocole d’ici six mois (c’est-à-dire en juin/juillet).

Ø En ce qui concerne le groupe de travail sur la mobilisation des logements vides La PAH félicite les 3.000 demandes de cession de logement faites par la mairie. Mais elle demande à ce qu’un recensement de tous les logements vides de la ville soit fait. Ce recensement permettra de faire appel à la cession obligatoire et d’émettre des sanctions adéquates si la Loi 24/2015 n’est pas respectée. Aussi, elle appelle à un travail de sensibilisation auprès des petits propriétaires possédant un logement vide pour les informer de l’usage social du logement qu’il sera fait s’ils acceptent de céder à la mairie leurs logements.

Ø En ce qui concerne le protocole de prévention aux expulsions

La PAH souligne que la coordination entre les Services Sociaux et les Offices de l’Habitat est très importante. Trop longtemps, ces deux unités administratives sur la question des expulsions ont été dé-coordonnées. Tout comme le nouveau règlement de la « Mesa D’emergencia Social » la PAH demande l’évaluation des deux nouvelles structures UCER et SIPHO d’ici six mois (soit en juin/juillet). De manière générale, la Plateforme des Affectés dénonce la présence des entités financières au Conseil Social de l’Habitat de Barcelone et à ses groupes de travail. Il s’agit 77 L’équivalent d’un justificatif de domicile donné par la mairie. Il permet, par exemple, de voter, d’aller chez le médecin, de bénéficier d’aides sociales, d’aller à l’école de son quartier.

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là d’entités financières qui accumulent les logements vides et continuent d’expulser sans appliquer la Loi ni établir des résolutions concrètes. Une dynamique collective qui se poursuit avec la création de trois nouveaux groupes de travail Lors de la séance de janvier du Conseil de l’Habitat de Barcelone, la création de trois nouveaux groupes de travail a été annoncée.

Un groupe travaillera sur la question des occupations. Une première réunion a eu lieu en février. Des entités bancaires, la Generalitat, les services de la mairie, des représentants politiques, la Fédération des Associations des Voisins de Barcelone, l’organisation « 500x20 », Ciutat Meridiana et la PAH étaient présents. Aujourd’hui, la mairie propose une régulation des personnes en situation d’occupation selon certains critères. Lors d’une conférence de presse, elle a annoncée la régulation de 24 appartements. Par contre, qu’en est-il du côté des banques ? Que vont-elles faire en ce qui concerne les occupations ? Cet espace permettra de travailler dessus, une prochaine réunion est prévue. A ce jour, la Caixa et la banque Sabadell ont régularisé quelques occupations mais les critères (montant du loyer, durée du contrat, etc) ne sont pas connus.

Un groupe de travail concernant l’accréditation du « padrón ». L’édition de ce document n’est pas claire si l’on n’est pas propriétaire ou locataire. Pour autant, ce document est essentiel pour bénéficier d’aides sociales, ouvrir un compteur d’électricité, de gaz, aller à l’école dans son quartier, pouvoir aller chez le médecin, voter. Les démarches pour l’avoir doivent être plus souples. La PAH s’engage dans ce groupe de travail afin de faciliter son édition notamment pour les personnes qui se trouvent en situation d’occupation.

Un groupe de travail concernant les réhabilitations. Une première réunion a eu lieu. La PAH ne s’est pas investie dans ce travail.

La PAH poursuit sa lutte contre ceux qui n’appliquent pas la Loi 24/2015, même s’il s’agit de la mairie La PAH envoie une lettre à la mairie Le 1er décembre 2015, la PAH envoie une lettre à Ada Colau78 pour lui rappeler le contenu de la Loi 24/2015 et en appelle à son application. Plusieurs journaux parlent de la carte de la « rupture ». La PAH se rend compte, « au jour le jour » que « le Conseil municipal de Barcelone n'a pas fait le nécessaire pour appliquer totalement la Loi 24/2015 ». En effet, elle félicite l’accord de la mairie avec la SAREB pour la cession de 500 appartements, mais où en sont les négociations ? Et pourquoi la mairie ne sanctionne pas la SAREB si jamais cette dernière ne cède pas les appartements comme l’oblige la loi ? Et pourquoi l’accord prévoit il seulement 500 appartements et non pas tous les appartements vides de la SAREB ?

78 Lien de la lettre : http://pahbarcelona.org/2015/12/01/carta-de-la-pah-a-ada-colau-alcaldessa-de-barcelona/

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Aussi, elle reproche à la mairie « qu’il n'y ait pas eu de sanctions de faites aux grands propriétaires ». Elle explique le cas de Jorge : « Nous avons déjà arrêté deux expulsions à sa porte, l’expulsion d'un grand propriétaire qui continue sans aucune sanction : pourquoi le Conseil municipal n'a-t-il pas encore sanctionné ? ». Et souligne que Jorge n’a pas pu bénéficier de la « mesa d’emergencia social » en raison du manque d’appartements disponibles dans le parc public. Pour clore la lettre, la PAH rappelle tout le contenu Loi et appelle la mairie à l’appliquer. Cette lettre vient prouver que qu’importe de qui il s’agit (même si c’est la mairie), la PAH restera le garant de l’application 24/2015 et qu’aucune pression ne sera lâchée. Carlos Macías, le porte-parole de la PAH Barcelone, dira lors d’un entretien que cette lettre vient « valoriser le positif » mais aussi « exiger de la détermination pour répondre à l’urgence ». Il ajoutera : « nous n’allons pas être compréhensifs ». Il y a un équilibre à trouver. La PAH ne doit pas se convertir en mouvement pro Ada Colau ni en mouvement contre Ada Colau. Ada Colau répond : « Je ferai la même chose à votre place » Dès le lendemain, Ada Colau répond à la lettre79. Elle remercie la PAH, cela démontre que la Plateforme reste « attentive et vigilante », qu’elle poursuit sa lutte et défend « ce pour quoi elle est née », c’est-à-dire : « exiger des solutions à la violation d'un droit si basique comme est le droit au logement ». Selon elle, « sans des citoyens organisés et exigeants, il ne pourrait pas y avoir de changement réel, ni une démocratie digne de ce nom ». Elle continue en disant « vous êtes notre force, nous avons besoin de vous, nous avons besoin de votre entrain, votre exigence et que vous nous rappeliez chaque jour que derrière des chiffres existe des personnes, que les droits sont les premiers, et que heureusement, nous avons de nouveaux outils pour les garantir grâce à votre énorme travail que vous faites ». Pour autant, Ada Colau rappelle que la compétence en terme de politique du logement appartient à la Generalitat et que la capacité à changer les lois (notamment hypothécaires ou celle concernant les locations, entre autres) relève de l’Etat. En suivant, Ada Colau fait une liste, de ce qui malgré tout, a été engagé :

• 3,5 millions d’euros pour agrandir le parc public • Elargissement des aides pour payer un logement locatif notamment auprès des

familles sans revenus : un budget de 7 millions d’euros a été alloué pour ça. Ces aides visant à éviter les expulsions pour impayé de logement locatif, expulsions qui représentent « 90% des expulsions de la ville »

• Un accord de cessions d’appartements vides de la SAREB en négociation80. • La mairie sollicite 1400 logements vides aux banques dans le cadre de la cession

obligatoire comme l’énonce la Loi 24/2015. Aucune banque n’avait répondu pour le moment. La mairie prévoyait de commencer sous peu le processus de sanctions financières.

79 Lettre disponible sur son blog > http://adacolau.cat/es/post/respuesta-la-carta-de-la-pah 80 Depuis la rédaction de cette lettre, le 2 décembre, les choses ont évolué. Le contrat de « cession volontaire en usufruit » a été signé avec la SAREB. Cette dernière cédera au total 500 appartements. La mairie paiera 125 euros/mois pour un appartement cédé vide, et 75 euros/mois pour un appartement cédé occupé. La cession est de 8 ans.

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• La mise en place d’UCER avec une équipe de 13 personnes qui va être agrandie à 21.

• En application de la motion impulsée par la PAH avant la Loi 24/2015, la mairie a condamné 12 banques d’amendes financières car elles avaient des logements vides qu’elles ne transformaient pas en logement social. Trois d’entre elles ont eu une deuxième amende car elles n’avaient pas répondu à la première. Ada Colau dénonce les recours juridiques des banques pour éviter ces amendes mais aussi les mécanismes de pression faits sur les fonctionnaires municipaux. 1500 logements vides ont été repérés, 369 d’entres eux sont dans la phase précédent la sanction financière

• La signature d’une convention de cession d’usage avec une coopérative de logements qui amènera la construction de 28 logements accessibles

• Projet de construction de plus de 4000 logements sociaux • Depuis septembre et ce jusqu’à novembre, la mairie est intervenue dans 372

expulsions, elle n’a pas eu le temps d’agir en ce qui concerne 14 expulsions car elle n’a pas eu l’information

• La mairie a multiplié les recours pour combattre la pauvreté énergétique en augmentant les aides pour les familles qui ne peuvent assumer une ou des factures mais aussi en évitant les coupures.

Quand Vanessa Valiño81, conseillère en charge du logement de la mairie de Barcelone se déplace à la PAH Quelques jours plus tard82, pour la première fois dans toute l’histoire de la PAH, un représentant politique fera le déplacement au sein de la Plateforme. Ce jour-là, c’est l’assemblée de coordination. Vanessa Valiño est là pour donner des réponses aux enjeux soulevés par la PAH dans sa lettre et répondre aux questions sur l’avancée de la mairie dans sa lutte pour le droit au logement. Elle expliquera différentes choses importantes, comme par exemple, la difficulté que la mairie a à faire appliquer la loi aux banques. Ces dernières ont les meilleurs avocats qui trouvent tous les recours possibles pour ne pas payer les amendes envoyées par la mairie. Elle nous informera aussi que « dans les meilleurs des cas », les juges n’informent la mairie de l’avis d’expulsion que 24 heures avant l’échéance, la plupart du temps ils ne l’avertissent pas. « L’information c’est le pouvoir » et, sous couverts de la « loi de protection des données », les juges ne collaborent pas avec les services municipaux. La mairie n’a pas une marge suffisamment importante pour pouvoir agir. Lors du tour des questions, plusieurs militants reviendront sur le rôle des services sociaux qui « semblent contre nous », qui agissent de « manière honteuse » certains par des menaces, d’autres la non-application de la loi. Le font-ils de façon volontaire ou parce qu’ils ne la connaissent pas ? Depuis l’entrée en vigueur de la Loi 24/2015, les protocoles de travail des fonctionnaires n’ont pas changé. N’y aurait-il pas des formations, des séances collectives de travail à imaginer ? Vanessa viendra préciser que « les services sociaux ne parlent jamais de la question des logements, ce sont deux mondes à part ». Pour autant, ils ont un rôle important dans la résolution de problème de logement.

81 Vanessa Valiño est l’ancienne directrice de l’Observatorio DESC, structure dans laquelle travaillait Ada Colau 82 Le 9 décembre, soit 8 jours après l’envoi de la lettre à Ada Colau

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Elle reviendra aussi sur le fait que « les avocats se sentent en danger de donner des amendes83 » aux banques, ils subissent des pressions. Les juristes, généralement, refusent de signer l’amende pour une question de « peur », de « commodité » ou alors « d’idéologie ». Aujourd’hui, c’est Gerardo Pisarello, le 1er adjoint d’Ada Colau qui prend ces responsabilités et signe les amendes. Ces deux exemples viennent poser la question du rôle des fonctionnaires84. Ces derniers appliquent les politiques publiques, font respecter la loi, tout cela au regard d’une ambition politique impulsée85. Pour autant, que se passe-t-il quand certains ne la partagent pas ? Peut-on parler de tentative de sabotage ? Ou simplement d’ignorance ?

A la fin de la discussion, la conseillère en charge du logement propose de revenir pour faire un suivi des différents éléments énoncés là et apporter des éléments nouveaux.

83 A ce jour, 13 amendes ont été envoyées… pour 1500 logements vides 84 Les juges comme les travailleurs dans les services sociaux ou encore les offices de l’Habitat 85 L’ambition politique impulsée change à chaque mandat. Les fonctionnaires quant à eux sont sur des mêmes postes durant 20 ans, 25 ans.

Focus sur le partage d’informations pour prévenir l’expulsion La PAH a toujours publié, sur son site internet, la liste des dates d’expulsion. Figure 9 : Liste des expulsions programmées pour le mardi 1er mars dans toute l'Espagne

Source : http://afectadosporlahipoteca.com/2016/02/26/stop-desahucios-marzo-3/

Cette liste est actualisée quotidiennement. En rouge, on peut lire que le 1er mars : trois expulsions sur cinq ont été suspendues, 2 paralysées. Depuis l’élection d’Ada Colau, chaque mardi, la commission « Stop Desahucios » recommence à envoyer un mail à la mairie pour la prévenir des nouveaux affectés venus avec leur date d’expulsion. La mairie s’organise en conséquence pour proposer une réponse habitationnelle adéquate. Une manière-là de s’organiser sans les services judiciaires.

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Deux mois et demi plus tard, Vanessa Valiño revient86. La discussion collective aura lieu pendant plus d’une heure et demie. Seront traités différents sujets : les conventions de cession avec les banques, l’application de la ILP, la régularisation des occupations, le cas de La Bordeta etc. La mairie de Barcelone a signé une convention avec la banque de la SAREB et de la CAIXA. Normalement les conventions se font avec les Generalitat. Finalement, après un accord passé avec la Generalitat de Catalogne, parmi les 900 logements cédés par la SAREB, seuls 3 ont été cédés à Barcelone. Ada Colau a alors souhaité que la mairie ait sa propre convention avec la banque. Un accord de cession volontaire en usufruit a été signé. En ce qui concerne la SAREB, elle a cédé 200 logements pour une durée de 8 ans. La moitié d’entre eux sont occupés. La mairie paie 125 euros87 par mois pour chaque logement vide cédé, 75 euros par mois pour chaque logement cédé occupé. Aussi, Vanessa explique que la mairie travaille la question des occupations, elles sont très importantes et concentrées sur trois quartiers88. Certaines fois, elles créent un mal-être chez les voisins. La mairie agit pour ses appartements occupés. Elle a établi trois scénarios pour régulariser les occupations :

• régularisation immédiate pour les personnes qui vivent depuis plus de deux ans dans un logement occupé, si la vulnérabilité économique existe et qu’il n’y a aucun souci avec le voisinage

• pour les personnes qui vivent entre un an et deux ans dans un logement occupé : vérification de la vulnérabilité économique, enquête de voisinage et enquête pour connaître l’implication dans la vie du quartier (ex. les enfants inscrits à l’école).

• si les personnes vivent depuis moins d’un an dans le quartier, c’est les services sociaux qui doivent rédiger un rapport de « risque d’exclusion résidentielle », si le risque est avéré, alors une régularisation sera faite

Aujourd’hui, les 100 familles qui occupent les appartements de la SAREB cédés en décembre suivent ce processus. Il y a 30.000 personnes qui attendent un logement à Barcelone. Les personnes qui ont un avis d’expulsion légal bénéficient d’un relogement via la « mesa emergencia social ». Chaque mois, ce dispositif dispose d’à peu près une cinquantaine de logements. Ce qui est peu. La mairie complète sa stratégie en essayant de régulariser les occupations au maximum. Pour cela, elle travaille pour que les appartements occupés lui soient soit :

1. cédés, 2. vendus 3. que la banque régularise elle-même ses logements occupés, certaines agissent

plus que d’autres. 86 Mardi 22 mars 87 Ces sommes relèvent de l’IBI (impôt sur les biens immeubles), soit l’équivalent de la taxe foncière. L’IBI est à payer par les propriétaires. La mairie par l’usufruit juridiquement devient propriétaire pour 8 ans et doit donc s’engager à le payer. 88 Il s’agit de Gràcia, el Raval et Poble Nou

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Les grands projets de la mairie pour développer son parc public Depuis l’entrée d’Ada Colau et son équipe à la mairie, de grandes annonces ont été faites en ce qui concerne le logement. Petit à petit, par différentes voies, la mairie se crée un parc public. Cession volontaire en usufruit pour 8 ans, le cas de la SAREB Alors que la Loi 24/2015 oblige les banques à céder ses appartements vides depuis plus de deux ans via la cession obligatoire d’une durée de trois ans à la mairie, cette dernière agit d’une autre manière. Elle cherche à négocier avec les banques une cession plus longue et plus consensuelle. Le 16 décembre 2015, la SAREB cède 200 logements à la mairie. Il s’agit d’une cession en usufruit de logements pour pallier les situations d’exclusion résidentielle. Dès le jeudi suivant la signature, la SAREB cède 50 appartements vides à la ville (16 à Neu Barris, 12 à Sant Andreu, 10 à Horta, 5 à Sants-Montjuic, 4 à Sants Marti, 3 à Ciutat Vella). Ensuite, 50 appartements sont cédés tous les 15 du mois. Comme expliqué précédemment, cent d’entre eux étaient occupés. Mercredi 2 mars, 255 appartements de plus viennent grossir dans le parc public de Barcelone. 50 d’entre eux sont cédés par la Caixa Bank, 131 achetés, 74 grâce au « dret de tanteig89 » dont dispose la mairie. Ada Colau se satisfait déjà de ces résultats même si elle rappelle qu’il y a 2591 appartements vides à Barcelone dont à peu près 1000 appartiennent à BBVA. A ce jour, la banque n’a cédé aucun appartement à la mairie. En ce qui concerne la cession obligatoire, la mairie commence la démarche. Grâce à la loi 24/2015, les appartements vides depuis plus de deux ans doivent être cédés de manière obligatoire à la mairie pour une période de trois ans. Entre « 40 et 60 appartements » vides appartement à des banques ont été recensés. En avril, la mairie lancera la démarche par rapport à ceux-là. Le projet de constructions d’un parc public barcelonais La mairie ne possède que 1,5% de logements dans son parc locatif. La cession ne suffit pas pour pallier à ce manque abyssal. Dans ce sens, Ada Colau a annoncé qu’elle construirait 2.365 logements d’ici quatre ans à Barcelone, le coût étant d’environ 500 millions d’euros. Ce projet sera assumé par le Patronat Municipal de l’Habitat 90 de Barcelone. Les logements construits seront des locations accessibles. Vanessa Valiño expliquera, lors de sa deuxième visite à la PAH, que la construction d’un logement neuf coûte 100.000 euros à la mairie et que cela prend en moyenne 5 ans. Combien de logements la maire a-t-elle besoin ? Quelle doit être la proportion de logements neufs ?

89 Droit qui permet à la mairie d’acheter un logement au même prix qu’il aurait été acheté par une banque ou un fond vautour. Les prix dans ces cas-là oscillent entre 50 000 et 70 000 euros pour un appartement. 90 Organisme de la mairie en charge de l’habitat

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Figure 10 : Les 819 appartements en construction en février 2016

Source : capture d’écran d’un document de la Generalitat sur les projets de construction à Barcelone Ce tableau montre qu’actuellement 819 logements sont en construction sur Barcelone. Ils seront livrés d’ici cette année ou l’année prochaine (soit 2017). Ils rentrent dans le plan de construction porté par la mairie. La majorité des 819 logements seront construits dans le quartier de Gloriès (105 immeubles). Quelques 200 appartements se trouveront dans le quartier de Sant Andreu. En plus, 518 logements sont en rédaction de projet ou en attente de permission de construire. La date de leur livraison n’est pas encore connue. Les 1.145 appartements restant seront construits sur 10 terrains vagues de la ville. Une date de livraison est très difficile à donner pour le moment. Figure 11 : Les 10 terrains barcelonais qui vont accueillir les nouvelles constructions

Source : extrait de l’article http://www.elconfidencial.com/vivienda/2016-02-15/ada-colau-se-convertira-en-la-mayor-promotora-de-vivienda-de-barcelona_1150883/

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Pour minimiser l’impact financier sur les comptes publics, Ada Colau aimerait un appui des promoteurs privés. Sans ce partenariat public-privé, c’est la Patronat Municipal de l’Habitat qui se verrait contraint d’assumer le coût. Ce que la mairie souhaite éviter à tout prix. La mairie assure les terrains. Pour les banques, les terrains ne sont pas une garantie et leurs prêts couvriraient seulement la moitié (50%) du coût de la construction. Le conseil municipal projette une nouvelle forme de collaboration, il s’agit d’une collaboration avec les promoteurs sans but lucratif ou avec un but lucratif limité dotant ainsi l’investissement privé de garanties publiques. En ce qui concerne la propriété des nouvelles constructions, l’équipe d’Ada Colau réfléchit à de nouvelles formes de possession et de systèmes de collaboration des entités financières. Cela se traduirait par exemple, par la création d’une table de logement coopératif (« mesa de vivienda cooperativa »). Ces différents calendriers mettent bien en évidence que les délais urbanistiques et de construction sont bien plus longs que les réalités urgentes de Barcelone. Tout l’enjeu réside dans cet équilibre à trouver entre les logements disponibles pour rendre efficient le dispositif de la « mesa emergencia social » qui répond à une situation d’urgence et à plus long terme, l’existence d’un parc public municipal. La nouvelle problématique barcelonaise : l’augmentation des loyers des locations Quand Ada Colau parle « d’un nouveau danger en train de produire une nouvelle bulle immobilière », elle se réfère à l’inflation des locations à Barcelone (+6,6% entre 2014 et 2015). Colau appelle à la modification de la LAU91 régissant les locations dans le pays, afin de réguler les prix des locations. Aujourd’hui, Barcelone est la ville espagnole ayant la plus grande proportion locative, 30,1% à Barcelone contre à peine 20% dans les plus grandes villes espagnoles du parc, selon la mairie. Le prix moyen de la location est à 727 euros aujourd’hui. L’augmentation est de 8,8% en deux ans dans le quartier de Ciutat Vella par exemple. Figure 12 : Prix moyen par mois d'une location dans les quartiers de Barcelone

Source : Secretaria d’Habitatge i Millora Urbana, Generalitat de Catalunya

91 Dit "Ley de Arrendamientos Urbanos" (LAU)

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Vanessa, encore, nous expliquera qu’aujourd’hui, 90% des expulsions sont des expulsions suite à des impayés de loyers locatifs. Et que 80% d’entres elles sont exécutées par des petits propriétaires. La Loi 24/2015 est « exemplaire » mais pose la question des financements. En effet, la mairie doit reloger les personnes expulsées par des petits propriétaires. Mais les logements appartiennent aux banques. La mairie ne dispose pas d’un parc locatif suffisant. Pour s’en doter, la question des financements est centrale. Ada Colau, en mars, lors d’une conférence de presse appelle à la régulation des loyers92 comme ce qui se fait « en Allemagne ». Le lendemain, de nombreux dirigeants politiques lui tombent dessus. Vanessa nous exprimera son regret quant au fait que la mairesse s’est retrouvée seule à porter ce projet et que les organisations citoyennes telles que la PAH soit restée silencieuse. Pour autant, cette idée est loin d’être mise au placard, la concertation engagée pour le Plan d’Action Municipal des cinq prochaines années montre que la deuxième proposition la plus soutenue concerne la régulation des prix des loyers.

Quelques éléments de conclusion par rapport à cette relation Nombreux sont les projets entrepris par la mairie. Cette dernière essaie de prévenir les expulsions, de garantir un logement social aux personnes expulsées, de régulariser des occupations, de développer son parc public de logements, de créer des groupes de travail pour impulser de nouvelles politiques publiques plus efficaces. Néanmoins, la mairie se confronte aux délais nécessaires pour toutes ces démarches et à plusieurs difficultés. Ces dernières ont été énoncées précédemment, par exemple, la mairie doit faire face aux processus longs des négociations (les aller-retour sans fin entre les différents partis), aux recours incessants des banques pour contourner la loi, à l’information gardée de certains juges, et à tenir dans une seule et même dynamique 12.500 fonctionnaires. Par conséquent, elle est en tension permanente entre répondre à l’urgence et établir une stratégie à long terme, la question financière devenant préoccupante. Du côté de la PAH, bien sûr, quelque fois, la situation sur le terrain est délicate lorsque se rencontrent ces militants anciens, habitués et nouveaux entre lesquels des amitiés ou des affinités existent. Après tant d’années de lutte n’est-ce-pas légitime, même si aujourd’hui, certains d’entre eux travaillent à la mairie ou en sont élus politiques ? Pour autant, la PAH s’efforce de faire une différence entre l’émotionnel et le politique. Surtout que la PAH existe sans Ada Colau, car personne n’est indispensable dans ce mouvement. Rappelons que la Loi 24/2015, étape clé dans l’organisation et la lutte de ce mouvement mais aussi la loi qui garantit le plus de droits en terme de logement d’urgence et de lutte contre la pauvreté énergétique dans toute l’Espagne (pour ne pas dire Europe), a été portée par 150.000 catalans et votée à l’unanimité au Parlement ! Et ce moment si intense dans la lutte de la PAH s’est faite sans Ada Colau, ayant quittée depuis déjà un an la Plateforme. La PAH garde ses distances et reste vigilante, très vigilante. Les pressions dans la rue se poursuivent, les actions contre les banques continuent, les expulsions sont empêchées, et la PAH se garde le droit, comme elle sait bien le faire, de dénoncer toutes les défaillances, même municipales. Finalement c’est un équilibre qui se crée petit à petit. La mairie a besoin de la pression de la rue pour porter toujours plus loin son ambition politique. Et la PAH a besoin d’être dans la rue pour faire avancer les luttes et gagner du Droit. C’est là sa manière d’exister et de légitimer son action. C’est sur ce principe que la lutte continue de s’organiser

92 Voir article > http://www.elmundo.es/cataluna/2016/03/02/56d6dcfd22601dac3d8b461c.html

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puisque la PAH rédige actuellement une nouvelle proposition de loi, « La Ley de las 5 », à l’échelle nationale cette fois.