Cinequanon 4 Fevrier

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Cycle « Le cinéma de l’étrange » p. 18 Jim Carrey p. 24 Le saint-germain des prés p. 30

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Le 4e numéro du journal du cinéclub de Sciences Po

Transcript of Cinequanon 4 Fevrier

Cycle « Le cinéma de l’étrange » p. 18 Jim Carrey p. 24 Le saint-germain des prés p. 30

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Edito Bizarre et paranormal, le cycle du ciné-club vous emmène ce mois-ci dans un univers à la frontière du réel, où l’étrange intervient à loisir dans un monde désenchanté – celui de Twin Peaks, l’espace totalitaire de Brazil, et l’Améri-que stéréotypée de Mars Attacks prouvent que le cinéma le plus original n’est pas forcément opposé à une réflexion sociale et politique. Dans les salles cependant, le divertisse-ment pur jus a fait recette : Avatar, désormais premier au box-office mondial, impose de nou-velles règles en plaçant la technologie numéri-que en haut de la pyramide des valeurs ciné-matographiques. La salle obscure en tant que parc d’attractions, voilà qui pose de nouveaux défis à l’industrie du cinéma : si Gaumont et MK2 ont d’ores et déjà pris le parti du numéri-que, UGC ne s’engage pas encore, clamant que les bénéficiaires de ce système ne sont pour l’instant que les producteurs et les distribu-teurs. Mais puisque le spectateur est aussi un consommateur rationnel, je tiens à souligner le nouveau partenariat signé entre SciencesPo et le Saint-Germain des Prés et la Pagode, qui vous proposent désormais des places à cinq euros pour toute leur programmation et tous leurs horaires. Rangez vos lunettes 3D, l’art et essai est plus que jamais à votre portée.

Noémie Calais

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Noémie Calais

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Cahier critique p. 4 Sorties du 06/01 p. 4 Sorties du 13/01 p. 6 Sorties du 20/01 p. 12 Sorties du 27/01 p. 14 Sorties du 03/02 p. 15 Cycle du mois p. 18 Brazil p. 18 Twin Peaks p. 20 Mars Attacks p. 23 Dossiers p. 24 Jim Carrey p. 24 Avatar p. 26 Vincere p. 28 La salle du mois Le Saint-germain p. 20

Sommaire

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Sortie en salles du 06/01/2010

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Bright Star Bliss Gigantic Invictus

Mr. Nobody Tsar Gainsbourg, vie héroïque A serious man

In the air Sherlock Holmes Brothers

Bright Star, Jane Campion

Des vers, des fleurs et de l’ennui

Acclamé à l’unisson par la majori-té de la critique cinématographique, Bright Star, le dernier film de Jane Campion, réalisatrice pourtant bril-lante et détentrice d’une Palme d’or pour La leçon de piano, concourt hélas pour la Palme du film le plus ennuyeux de 2010. Mais gardons nous bien de décerner la récompen-se de manière trop hâtive : Twilight 3 est prévu pour cette année. Pour en revenir au film de Campion, il réussit l’extraordinaire prouesse de faire cohabiter la puissance formelle d’une réalisatrice accomplie et une représentation ennuyeuse et molle d’un sentiment ô combien dynami-que et puissant. En effet, Bright Star c’est l’histoire au début du XIX° siè-cle de la passion amoureuse qui lia John Keats un jeune poète, reconnu

après sa mort comme un des grands poètes Romantiques an-glais, à Fanny Brawne sa voisine. Histoire que Campion, il faut le re-connaître, film de manière très esthétique et très travaillée, ce qui permet à Bright Star de reconsti-tuer élégamment l’univers poéti-que habité par Keats et sa muse. Mais hélas, Campion commet une erreur typiquement féminine en méconnaissant l’essence du senti-ment amoureux. En effet, point de passion, point de violence, point de saisissement abolissant l'abîme séparant le spectateur du film. De cette impossibilité et de la distance qui en découle naît l’ennui qui en un bâillement silencieux nous fait oublier le fade Bright Star dès la fin du film. C’est cela Bright Star, un beau film froid qui n’arrive ni à sai-sir l’esprit du spectateur, ni à saisir l’essence de la relation entre John et Fanny. Dommage.

Nicolas Lemaire.

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Bliss, Drew Barrymore

Be your own hero

Debbie est une actrice, une excellen-te actrice qui sait rire d’elle-même, la preuve en est la délicieuse interpré-tation de Trashley. C’est aussi une actrice qui a du se farcir des scena-rios aux happys end dégoulinants et aux enchainements douteux. Ainsi, son premier film échappe et détour-ne les clichés du genre et se révèle être une comédie drôle et osée. Bienvenue dans la vie de Bliss (Ellen Page). Elle vit au Texas, à Bo-deen. Pour aggraver les choses, sa mère l’a fait participer à des pa-geants au milieu de pom-poms idio-tes, telle sa rivale qui sort avec le quater back débile qui mange son hamburger en moins de 60 sec. Bliss mène une vie ennuyeuse d’une ado-lescente de 17 ans, évidemment amoureuse du sexy chanteur de rock, jusqu’à sa rencontre avec Mag-gie Grabuge, rollerderby girl. Munies de ses Barbie rollers, Bliss s’élance et fuse, Babe ruthless est née. On rit, on s’émeut, et pour une première réalisation, on est agréa-blement surpris. Surtout, nous aussi on veut chausser nos patins et avoir Razeur comme coach.

Gigantic, Matt Aselton

« Rien n’est jamais normal »

Brian Weathersby a 29 ans mais en paraît 18. Ses parents ont l’âge d’ê-tre ses grands-parents. Il veut adop-ter un bébé chinois, pas coréen, chi-nois, depuis au moins ses 8 ans. Son pote travaille avec une blonde qui étudie la sexualité des gerbilles. Un jour dans ce labo, Brian emmènera Al plonger dans la piscine après avoir bu de la vodka bleue. Al Lolly a une mère indigne, elle n’a jamais été amoureuse et parle français. Un jour, elle s’est endormie sur un ma-telas suédois ; et Brian vend des ma-telas. Il va à la chasse aux champi-gnons avec son père et ses frères. Il se fait régulièrement tirer dessus et battre par un Sdf. Rien n’est vraiment normal, mais rien ne surprend vraiment. Toutes ses probabilités se croisent et se décroisent dans un univers ni vraiment surréaliste ni vraiment co-mique. Matt Aselton s’amuse à filmer les chemins tragicomiques de ses acteurs—Zooey Deschanel y res-plendit — et nous divertit sans autre prétention ou souci que celle de la désarmante simplicité.

Alexandra Besly.

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graphiques : jamais le rugby n’a été aussi bien et aussi longuement filmé. On soufrerait toutefois de payer, nous aussi, un prix : celui de la vérité. Si ce film ment, ce n’est certes que par omission. Lors de la demi-finale contre la France (15 secondes à l’é-cran, sous la pluie et dans l’obscuri-té), ce n’est ni le courage ni les priè-res sud-africaines qui ont permis la victoire, mais bien un arbitrage aber-rant, la preuve en est les essais refu-sés. Quand à la finale contre les All Blacks de Nouvelle-Zélande, il ne fau-drait pas oublier que treize joueurs souffraient de la turista, apparem-ment empoisonnés. Détails ellipsés, à peine mentionnés par une réplique de Morgan Freeman répétée avec conviction : We cannot lose. Le film gagne en lourdeur avec les actes philanthropiques sur joués. Surtout, la progressive conscience du sort des noirs durant l’apartheid par l’équipe, modeste pour ne pas dire minable, sud-africaine et surtout de son capitaine François Piennar, le fa-de Matt Damon, est d’une niaiserie caricaturale. Pour autant, le film est visuelle-ment époustouflant, larmoyant et même drôle. La magie du cinéma de Clint Eastwood opère pour nous faire oublier l’Histoire, préférant nous nar-rer une merveilleuse fable. Alexandra Besly.

Invictus, Clint Eastwood

« I am the master of my fate, I am the captain of my soul»

Le dernier film de Clint East-wood, le réalisateur qui tourne plus vite que son ombre, nous emmène en Afrique du Sud en 1994. On suit le formidable chemin suivi par Nelson Mandela, fraîchement élu président de la nouvelle Afrique du Sud qui renaît après l’apartheid. Calcul hu-main, peut être, politique surement, l’ancien prisonnier de Robben Island mise en particulier sur la coupe du monde de Rugby pour réconcilier son pays. Morgan Freeman incarne avec brio cette figure emblématique et impressionnante du XXe siècle qui, il est vrai, incarne mieux que personne les mots de William Henley : Peu im-porte l’étroitesse de la porte, le nom-bre de punitions sur le parchemin. Je suis le maître de mon destin, je suis le capitaine de mon âme. Homme fail-lible, le film reste une louange adres-sée à cet homme qui travaillait jour et nuit à réconcilier son pays, surpre-nant à la fois ses amis et ses anciens ennemis. L’Afrique du Sud devait se ré-concilier, oublier le passé et pardon-ner, à tout prix. On ne peut dénier à ce film de réelles qualités cinémato-

Sortie en salles du 13/02/2010

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On aurait pu se sentir étouffé, sub-mergé par ce flot d’hypothèses, de retours en arrière et de changements de vie, mais le scénario, certes riche, est habilement construit. Après plus de sept ans d’écriture, Van Dormal a conçu un véritable petit bijou. Au dé-part, explique t’il dans une interview, il souhaitait quelque chose de binaire, s’inspirant de son cours métrage de 1982, E Pericoloso Sporgersi, mon-trant un jeune garçon courant après un train dans lequel se trouve sa mè-re, fuyant son mari qui reste sur le quai : deux avenirs sont alors possi-bles. On retrouve aussi dans cette logique, l’influence de Pile ou face de Peter Howitt ou de Cours Lola cours de Tom Tykwer. Seulement voi-

là, ces deux hypothèses de vie laissent place à d’au-tres possibili-tés, d’autres routes, d’au-tres choix. C’est donc cet-te arborescen-ce qui est mise en scène, cet arbre des pos-

sibles qui étend ses branches tou-jours plus nombreuses.

De ce fait, Mr Nobody est un entre-lacs de possibilités en attente, de chemins encore ouverts. C’est un film sur la vie, le doute et le choix.

Mr. Nobody, Jaco Van Dormal

Tant que tu ne choisis pas, tout reste possible

Jaco Van Dormal réussit à mettre à l’écran un conte, plus philosophique que fantastique et terriblement poé-tique. Dès les premières images, nous plongeons dans une atmosphère étrange, lourde de souvenirs, de nos-talgie ou d’incompréhension en rai-son des questionnements que ravive ce long métrage. Est-il possible de choisir sa vie ? De connaitre la suite ? Pourquoi tombe t’on amoureux ? Y a-t-il une vie après la mort ? Pourquoi suis-je moi ? Qu’est ce qui prouve que j’existe ? Qu’y avait-il avant le Big Bang ? Et si la Terre s’arrê-tait de tour-ner ? Autant d’interroga-tions qui tra-versent l’es-prit des enfants et que l’on s’empres-se de ranger au fond de notre tête par peur du gouffre, de l’absence de réponse. Bien que Mr Nobody ne puisse trouver de solutions à cela, il tente pourtant de répondre à l’une d’entre elles : Ai-je fait le bon choix ?

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quel se trouve Némo ; conscient qu’il ne sait rien, ne contrôle rien. Quelle est la part de hasard contenu dans une vie ? Elle est constituée aussi bien de choix que de l’interaction d’u-ne multitude de causes dont nous n’avons pas connaissance à l’exemple du mexicain influençant la vie d’un homme à New York simplement par-ce qu’il s’est fait cuire un œuf, créant ainsi un micro climat (voir scène du film)…

Qui est donc ce Mr. Nobody ? Jaco van Dormal réponds à cela : « un, cent, mille et personne ». Il est nous durant quelques instants. Il nous per-met de vivre par procuration plu-sieurs existences à la fois. C’est sans doute pour cette raison que l’on a un pincement au cœur : ne pas choisir et tout expérimenter. Mais au final, on voit que toutes les possibilités sont intéressantes, il n’y a pas de bon ou de mauvais choix, mais plutôt, une manière de vivre. Le conte s’achève alors, sans morale, mais pas sans ré-ponse. « On ne peut pas revenir en arrière. Voilà pourquoi il est difficile de choisir.» (Némo). Ou peut être pas. Julie Astoul.

Cette complexité due aux trous, aux hasards et scènes inutiles de l’exis-tence, convergeant inévitablement vers une fin, tend à être simplifiée par le cinéma. Pour ne pas nous per-dre dans ces va-et-vient incessants, d’une vie à l’autre, la caméra est utilisée de manière particulière. Dès les premiers plans, nous savons très bien où nous nous trouvons : avec quel Némo (Jared Leto), quelle fem-me, quelle vie. Les scènes avec Anna (Diane Kruger), aussi bien jeune qu’adulte, sont toutes empreintes d’une forme d’adolescence, de ro-mantisme, cristallisant la passion des deux amants. Lorsqu’on partage le quotidien d’Elise (Sarah Polley), tout est filmé avec une certaine dis-tance, comme pour symboliser l’é-loignement et l’incompréhension qui la séparent de son mari. Quant aux scènes centrées sur Jeanne (Linh-dan Pham), la caméra est hors champ, évoquant l’amour à sens unique de cette femme pour le per-sonnage principal (Némo). Les cou-leurs trouvent dans la mise en scène une place tout aussi importante. Chaque héroïne en possède une : rouge, bleu ou jaune. Le quotidien de ces femmes est marqué d’une teinte dominante, facilitant le voya-ge entre ces nombreuses existences.

Accompagnés d’une musique épu-rée qui ne force pas l’émotion, de thèmes simples répétés en boucle, nous traversons ce gouffre dans le-

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Mr. Nobody, Jaco Van Dormal

Jaco van Dormael, c'est l'antithèse de l'âne du père de Peau d'âne. Alors que l'équidé de Perrault pro-duisait de l'or à la place du purin, le réalisateur belge signe un film nau-séabond alors qu'il était en mesure de fournir un chef-d'oeuvre. Mr No-body est en effet un ratage, un pas-sionnant ratage. Comment à partir d'un matériau si riche, le produit final peut-il être aussi insipide? Les bonnes idées sont légion, il y a à chaque minute des trouvailles vi-suelles que n'auraient pas reniées Michel Gondry, et pourtant Mr. No-body déçoit. À vouloir trop en faire, Jaco van Dormael finit par écoeurer. À se demander si les problèmes ne viennent pas d'un montage imposé

par la production... Face aux soixante morceaux infligés en deux heures (le foisonnement musical, où excelle Scorsese, n'est pas remis en question, mais l'utilisation qui en est faite) sur des images surco-lorées au ralenti, le spectateur di-gère mal. Big Fish et The Fountain, destins paranormaux superbement mis en scène, trouvaient d'emblée un style. Ici, le film ne choisit mal-heureusement jamais son ton, et le sujet semble échapper au réalisa-teur, plus intéressé par les effets de montage. Reste à voir comment van Dormael va se relever de l'échec de ce qui était parti pour être son film-somme.

E.B.

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Tsar, Pavel Lounguine Sa ténébreuse figure véhicule force mythes : Ivan IV Vassiliévitch, dit le Terrible, a régné sur la Russie de 1547 à 1584, et a imposé sa puissan-ce en prenant, le premier, le titre de tsar, c’est-à-dire « César », mot ne désignant jusque-là que les empe-reurs byzantins. Pourquoi ce terme ? Tout simplement parce que le prince se considère dès le début investi d’u-ne mission divine. S’attaquer à Ivan le Terrible n’était pas un pari facile, tant le personnage reste emblématique, « intouchable » aux yeux du peuple russe, dont l’ima-ginaire s’est forgé autour d’une abondante iconographie, parmi la-quelle Ivan le Terrible de Sergueï Ei-senstein en 1944. Le personnage n’en reste pas moins un être com-plexe, à la fois fin politique et hom-me excessif, cruel, paranoïaque et aveugle quant aux réalités de son temps – n’oublions pas que la Russie d’alors est aux frontières d’une Euro-pe en plein renouveau artistique et intellectuel, en pleine Renaissance. Pavel Lounguine a ainsi choisi de ne représenter qu’une partie du règne du tsar, de nous délivrer non pas une fresque biographique mais l’analyse d’une période de vie particulière-ment marquée par les excès du per-sonnage. En effet, le tsar sombre dans la paranoïa, souhaitant à tout prix défendre son royaume contre

les traîtres. En faisant de l’opposi-tion entre le cruel Ivan et le ver-tueux Philippe, métrolite de Mos-cou d’abord prié puis conspué et mis à mort par son souverain, Lounguine a ici voulu dresser un portrait complet du Mal dans la personne du Prince, et de ses dé-sastreuses conséquences sur le reste de la Russie ; car mis à part la tsarine et sa garde d’opritchina, soldats sans scrupules qui égor-geaient et pillaient à loisir, le tsar impose sa cruauté à tous : au mé-trolite bien sûr, au peuple russe, au progrès qu’il dénigre en réservant les innovations aux machines de guerre et d’exécution, à l’innocen-ce enfin, représentée par la figure mystique de la « simple d’esprit » emblème de la religion. Les per-sonnages sont parfois caricaturaux, comme la tsarine dont la cruauté gratuite est dépeinte à l’extrême, comme l’enfant blonde qui n’est en fait pas de ce monde, comme le métrolite et les prêtres qui acquiè-rent statut de martyr, comme Ivan même dans sa paranoïa, mais tout ceci est enfait une vaste symboli-que. Lounguine accentue chaque caractère sans souci de vraisem-blance, mais dans la volonté de nous révéler sa vision de l’autocra-tie et des excès des régnants de son pays – le cinéaste n’hésite ainsi pas, dans ses interviews (par exem-ple L’Express 13/01/10), à compa-rer Poutine au tsar sanguinaire.

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Le film entier baigne dans une at-mosphère contrastée entre le blanc neigeux des paysages russes et le brun tanné des intérieurs et des étoffes impériales, sous une superbe photographie signée Tom Stern, opérant habituellement chez Clint Eastwood. Certes, la force du film décroît en intensité à mesure que les séquences se succèdent, et le poids de la symbolique a tendan-ce à freiner l’implication du specta-teur, mais Tsar reste un plaisir vi-suel et un bon cadre de réflexion, peut-être plus psychologique qu’historique.

Noémie Calais

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Sortie en salles du 20/01/2010

Gainsbourg (vie héroïque), Joann Sfar Film attendu (au tournant ?) depuis la vague de murmures dans les salles obs-cures lors des premières projections de la bande-annonce (- c’est lui ? –ben oui c’est lui, regarde, il y a Jane ! – Mais non c’est un acteur, j’vous jure. – Putain c’est fou … ), Gainsbourg, vie héroï-que partage la critique. Trop superfi-ciel, trop cliché, trop angélique. De fait, Joann Sfar n’a pas réalisé un film psy-chologique sur le chanteur, il n’en a pas révélé les secrets, et ceux qui espéraient « la face de cachée de Serge Gains-bourg » ont toutes les raisons du monde d’être déçus.

Mais il semble que ceux là aient eu de toutes façon des attentes déplacées. Gainsbourg était un de ces génies qui, tout en créant un culte autour de sa personne – de son personnage – a tou-jours échappé à son public, et Sfar n’a jamais eu l’ambition de déchiffrer une telle personnalité. Son film est plus un hommage qu’un portrait, avec ceci de rafraîchissant qu’il porte sur l’artiste un regard très tendre en plus d’être admi-ratif. Sans prétendre nous révéler Gains-bourg, Sfar le peint tel qu’on veut le voir, avec suffisamment de contradic-tions pour en faire un mythe, mais assez d’humanité pour ne pas tomber dans la figure froide du monstre sacré que l’on n’admire qu’à distance. Le Gainsbourg de Sfar est marginal mais populaire, égoïste et amoureux, enfant prodige et

adulte immature. On se focalise d’ail-leurs beaucoup plus sur son enfance que sur sa déchéance, Sfar se contentant sur ce point de quelques scènes allusives et assez pudiques. Eric Elmosnino incarne avec une justesse hallucinante le chan-teur, reprenant la moindre de ses mimi-ques sans jamais tomber dans la singe-rie, secondé par une équipe d’acteurs tous très convaincants. Lucy Gordon et Laetitia Casta sont parfaites, respective-ment en Birkin et Bardot, Philippe Kateri-ne fait un excellent Boris Vian, Anna Mouglalis est sublime en Greco. D’une manière générale c’est un beau film, la photo est douce et chaude, les actrices sont très belles, l’intervention de person-nages animés s’intègre parfaitement à l’ensemble, bref on a vraiment de très jolies images.

Beaucoup considéreront que c’est insuf-fisant, mais paradoxalement c’est préci-sément la meilleure chose que l’on puis-se faire avec un tel sujet. Un biopic ex-haustif ou psychologisant aurait été au mieux lacunaire, au pire exaspérant, et dans tous les cas d’une prétention à la-quelle l’auteur du Chat du Rabin ne se risquerait pas. Le film est sous-titré « un conte de Joann Sfar », et c’est exacte-ment ce qu’il est : on y retrouve tout l’u-nivers du dessinateur, son onirisme, at-tachement à la culture juive, sa poésie, son humour indulgent et son érotisme tendre. Il ne faut pas en attendre plus, et en tant que tel, il est excellent.

Margaux Léridon

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A Serious Man, Joel et Ethan Cohen Le dernier film des frères Cohen est aussi brillant qu’il est étrange, absur-de et troublant. Le duo de réalisa-teurs est retourné dans l’univers de leur enfance : le Middle West améri-cain des années 1960, dans le milieu de la classe moyenne juive américai-ne, pour nous présenter le personna-ge de Larry Gopnik, professeur de physique à l’université. Ce dernier mène une vie tranquille dans une banlieue pavillonnaire ennuyeuse avant que s’abattent sur lui une série de malheurs, tels les dix plaies d’E-gypte du Livre de l’Exode, qui vont bouleverser sa vie. Tout commence avec l’annonce de sa femme qu’elle le quitte pour un autre homme. Et puis, il y a ses enfants, très égoïstes, qui piquent dans le porte-monnaie paternel et son frère, dépressif et au chômage, qui squatte chez lui. Au travail, la situation n’est pas plus joyeuse : un étudiant sud-coréen le soudoie pour obtenir son diplôme et des lettres anonymes calomnieuses à son encontre sont envoyées réguliè-rement, mettant en péril l’évolution de sa carrière. Par ailleurs, le voisina-ge de Larry prend un visage mena-çant, entre le goy xénophobe du pa-villon mitoyen et la très sexy Mme Samsky, symbole de la tentation de la jouissance. Face à ces épreuves, Larry est désarçonné et sa rationalité scien-tifique de professeur de physique ne lui est d’aucune aide. Il va chercher

une réponse du côté de la religion en consultant la hiérarchie rabbini-que, afin comprendre pourquoi Dieu s’acharne sur lui de la sorte. La va-cuité des réponses qu’il y trouve conforte son désarroi métaphysi-q u e . Les passionnés de l’univers des frè-res Cohen ne seront pas déçus : si-tuations incongrues et personnages loufoques sont au rendez-vous. L’o-riginalité de ce film réside dans le caractère autobiographique. Les Cohen ont cherché des lieux de tournages et une bande originale ("Somebody to love" de Jefferson Airplane) permettant de recréer l’environnement sixties de leur en-fance. Au casting, des acteurs lo-caux, inconnus du grand public. Le personnage de Larry est interprété par l’acteur juif new-yorkais de Broadway Michael Stuhlbarg qui joue avec justesse un homme perdu, en pleine crise existentielle. La mise en scène est comme d’habitude ex-cellente : les parallélismes de situa-tions sont particulièrement réjouis-sants, et celui de la scène finale qui prédit un avenir sombre à Larry, tout particulièrement. Comme pour A bord du Darjeeling Limited (2007) de Wes Anderson qui s’ouvrait sur le court-métrage Hôtel Chevalier, le film s’ouvre sur un prologue sous forme de conte traditionnel yiddish d’Europe orientale, qui donne des pistes d’interprétations au film. Séraphine Ellis.

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In the air, Jason Reitman

Un voyage stratosphérique avec Geor-ge ? Sur le papier, oui. Après avoir vu le film, on est moins convaincu. Jason Reitman, chouchou du public mondial depuis Juno, prétend dénoncer les tra-vers de la société capitaliste américaine en montrant le destin de Ryan Bing-ham, chargé de licencier des employés à la place de patrons peu courageux. Mais si le propos du film a de quoi se démarquer du reste des comédies dou-ces-amères en vogue, le résultat afflige par son formatage. Comme si Reitman avait voulu représenter l'aseptisation du monde par un travail tout aussi fade

et faussement propret. Si l'idée de faire jouer les employés renvoyés par de vrais chômeurs est bonne, le sillon du film social ne peut pas cohabiter avec la chronique, et le portrait de Bingham, consommateur compulsif. Dès lors, In the air ne peut choisir, et atterrit dans le mièvre quand il ne tombe pas dans l'arnaque (un film qui entend dénoncer le capitalisme et qui promeut quarante marques, il y a comme un malentendu). Reste Cloo-ney, qui prend un vrai plaisir (plus ou moins communicatif) à jouer ce qu’il sait être l’un de ses derniers rôles de séducteur.

E.B.

Sortie en salles du 27/01/2010

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Sherlock Holmes Guy Ritchie

Ballet londonien Les premières notes de Discom-bobulate donne le ton, mysté-rieux et dynamique, et nous fait entrer dans la danse de cet extra-vagant récit. Guy Ritchie nous amène dans l’univers monstrueusement riche de Sherlock Holmes, la réali-sation faisant écho à la formida-ble intelligence du protagoniste. Parfois peut-être trop brouillon-ne, elle nous rappelle que nous ne sommes que les simples spec-tateurs de l’esprit génial et cyni-que du héros de Baker Street, portés et bercés au son de cette formidable bande-son. Sherlock Holmes est intré-pide, audacieux; la réalisation est maligne, les angles de vue et les plans rappelant un carnet de cro-quis. Le film devient littérature. Le bébé de Guy Ritchie est extrêmement divertissant; les répliques fusent et assassinent. Il se réapproprie tous les codes d’un film d’action à l’américaine, effets spéciaux et menace apoca-lyptique incluses, l’arrogance en moins, la classe et l’intelligence anglaises, en plus.

Qu’elle soit de synthèse ou nocturne, Londres est splendide et le Tower Bridge vertigineux. Dans ce décor fantastique, Jude Law y joue avec excellence un Watson plus vrai que nature. Ro-bert Downey Jr, le Sherlock Holmes, impressionne, nous charme et sé-duit avec autant d’élégance que Rachel McAdams, perfide et splen-dide Irene Adler. A noter que Sher-lock Holmes et John Watson nous illustre l’adage bros before hoes avant l’heure. La fine équipe tente ainsi de venir à bout du fameux lord Blackwood. Les deux heures du film ne suffisent pas à satisfaire notre appétit d’énigmes. Il nous tarde de s’extasier devant le deuxième opus pour enfin rencontrer le professeur Moriarty.

Alexandra Besly.

Sortie en salles du 03/02/2010

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Sherlock Holmes Guy Ritchie Le Sherlock Holmes de Guy Ritchie est un génie surexcité pratiquant le kung-fu sur une petite musique tzi-gane, aux prises avec un mage noir sur le point de renverser le régime. Bien sûr c’est d’une crédibilité toute relative, mais on s’en fout. Le film, qui rompt par bien des aspects avec d’une part les représentations tradi-tionnelles de Sherlock Holmes et de l’autre la filmographie antérieure de Guy Ritchie, conserve à la fois l’es-sence du personnage de Sir Arthur Conan Doyle et l’énergie survoltée du réalisateur, les deux univers trou-vant dans l’excentricité british un solide point d’attache.

Entre la légendaire capacité du dé-tective à résoudre les problèmes les plus complexes grâce à d’insigni-fiants détails et l’esprit toujours tor-du de Guy Ritchie, le scénario se devait d’être méchamment tiré par les cheveux. Cela ne l’empêche pas d’être extrêmement efficace, sans le moindre temps mort. Les dialogues sont vifs, voire franchement drôles, et le duo Robert Downey Jr. / Jude Law fonctionne à merveille. Contrai-rement à ce qu’on pourrait croire, leurs personnages sont réellement travaillés, et finalement fidèles à ceux de Doyle. En dehors de quel-ques entorses trop évidentes pour être involontaires, et relevant plus, de la part de Guy Ritchie, de l’hu-

mour que de la maladresse, les carac-téristiques fondamentales de Sher-lock Holmes sont conservées : non seulement son soucis du détail, son goût pour la boxe et sa pipe, mais aussi son égocentrisme cynique et sa difficulté à s’intégrer au monde. De son côté, Jude Law fait un Dr. Watson plus vrai que nature, compagnon flegmatique et distant mais incapable de se séparer de son acolyte, alors qu’il s’était décidé à renoncer à ses enquêtes.

Le Londres tentaculaire de la fin du XIXe siècle est somptueusement ren-du, et les deux écueils rédhibitoires que sont d’un coté la reconstitution si fidèle qu’elle semble poussiéreuse et de l’autre le délire d’images de syn-thèses grand-guignolesques sont ha-bilement évités. Même si il est assez flagrant que la plupart des scènes clés ont été tournées devant un écran vert, l’ensemble du film garde un co-té pittoresque assez convaincant, renforcé par les éléments surnaturels de l’intrigue, typiques de l’imaginaire de l’époque. La musique de Hans Zimmer, sans coller une seconde au lieu ni à la période, est particulière-ment réussie et tire quand même une légitimité du fait Sherlock Hol-mes soit violoniste à ses heures per-dues. Sans se prendre au sérieux ni nous prendre pour des c…, Guy Rit-chie réussit le pari audacieux de dé-poussiérer Sherlock Holmes, et nous livre une fois encore un excellent di-vertissement. Margaux Léridon.

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Brothers Jim Sheridan

Shakespeare en Afghanistan

L’amour est cruel. Pour autant, on espère que l’adage échappe, si ce n’est même aux romances les plus sincères, à l’amour fraternel. Pour ce remake du film suédois Brodre, Jim Sheridan martyrise le concept au sein de la famille Cahill : Sam s’apprête à rejoindre à nouveau l’Afghanistan, Tommy sort de pri-son. Sam présumé mort, Tommy se rapproche de Grace, la femme de Tommy, jusqu’à ce que Sam revienne, visiblement changé.

Outre l’amour simple qui lie ses frères, c’est l’amour évident qui lie Grace à Sam qui est subli-mement filmé, c’est aussi l’amour conflictuel, litote de rivalité, des deux fillettes qui est filmé (sublime scène d’anniversaire de Maggie où l’on sent l’extrême contrôle de la montée de l’angois-se par le réalisateur) et c’est enfin l’amour interdit qui lie Tommy à Grace, magnifique et touchante veuve.

Avec le retour de Sam, tout se disloque pour cette famille qui recherche, en vain, le « comme avant »; l’amour devient haineux et jaloux. Les deux frères veulent leur rédemption et celle-ci se fera auprès de Grace; Sam paye

le prix de son choix entre ses deux familles (sa femme ou ses hom-mes). L’Afghanistan, deuxième mai-son, le hante de retour dans sa pa-trie et dans sa famille qui ne peut comprendre. Brothers livre un spectacle magnifique de l’Afghanistan, s’épar-gnant quelques écueils patrioti-ques. Ce film regorge de symbolis-me lourd mais troublant, de la cuisi-ne aux alliances. Jamais les silences n’ont été filmés aussi criants de douleur. Nathalie Portman est tou-jours aussi juste et émouvante dans ce rôle cliché de pom pom girl qui a épousé le quater back, l’amour de ses 16 ans, le père de ses enfants. Tobey Maguire est terrifiant et gla-çant de vérité et de sérieux face à un simple et comique Jake Gyllen-haal. Autour du trio, détruit par la guerre, gravite les sempiternels personnages secondaires et les ri-tuels pathétiques de l’Amérique en guerre. On notera la brève apparition de Carey Mulligan, l’héroïne du film attendu Une éducation. Brothers se conclut sur les mots de Platon, déjà mis en exer-gue dans La chute du faucon noir(Ridley Scott) : « seuls les morts ont vu la fin de la guerre ». Le drame de Jim Sheridan s’interroge sur le sort de ces jeunes vétérans, ces morts qui reviennent de la guerre.

Alexandra Besly.

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Cinéma de l’étrange

Brazil, Terry Gilliam, (1985)

Brazil, de l’ex-Monty Python Ter-ry Gilliam, est, avec l’Armée des 12 Singes et Las Vegas Parano, l’un des films les plus emblématiques de son auteur. Réalisé en 1985, il suit de deux ans la sortie de Monty Python : le Sens de la vie, qui a clos la pério-de Monty Python de Gilliam et ses acolytes. Brazil est donc le premier film que Gilliam réalise indépendam-ment de la troupe et aussi sa premiè-re incursion dans le domaine de la science-fiction contre-utopique. Brazil décrit ainsi la vie de Sam Lowry (joué par Jonathan Pryce, qui tourne-ra de nouveau avec Gilliam pour les Aventures du baron de Münchhau-sen), un obscur petit fonctionnaire du Ministère de l’Information broyé par l’aberrant système bureaucratique d’un régime totalitaire. Lowry ne s’é-chappe de cet univers gris et oppres-sant que par l’imagination, le fantas-me (il se rêve ainsi en Don Quichotte des temps modernes sauvant sa dul-cinée des griffes de créatures mons-

trueuses et métalliques). Sa petite vie terne va cependant être bouleversée par une erreur administrative de son fait qui conduira son voisin de palier à la mort. En essayant de la réparer coûte que coûte, il devient bien rapidement un ennemi de l’Etat policier qu’il va être amené, bien malgré lui dans un premier temps, à combattre. Le film rappelle évidemment 1984 de George Orwell (il est d’ailleurs sorti en 1985, soit, pour faire une tautologie, un an après 1984). Sam Lowry est un nou-veau Winston Smith cherchant dans l’amour et le rêve un prétexte pour s’é-vader, fuir une triste réalité qui l’acca-ble. Comme le héros orwellien, Sam rencontrera son âme sœur (qui a les mêmes traits que la fiancée de ses rê-ves) et combattra, en la reniant, sa condition de fonctionnaire du régime pour pouvoir la séduire. Il refuse ainsi une juteuse promotion que sa mè-re, une grande notable qui s’accommo-de parfaitement des avantages que lui procure sa condition, lui fait miroi-ter. Chaque petit geste de Sam (employer un réparateur de chaudière rebelle, joué par un Robert De Niro complètement loufoque, cou-cher avec sa fiancée etc) est un manifes-te en faveur d’une liberté perdue (ou

Mercredi 10 février, amphithéâtre Jean Moulin, 17h

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fet, et c’est ce qui constitue l’un des épisodes les plus célèbres du film, voire du patrimoine cinématographique en général, la fameuse scène durant la-quelle la mère de Sam se fait tirer la peau par un chirurgien esthétique char-latan est tout à fait représentative d’un des travers de notre époque : ce n’est plus la mère en train de procéder à un ravalement de son visage qui est mon-trée dans le miroir que tend le chirur-gien, c’est bien le visage de no-tre propre société, une société se livrant à l’adulation de la beauté et de la jeu-nesse, une société qui a oublié la règle la plus élémentaire du stoïcisme, à sa-voir qu’il existe des choses (comme le passage du temps et, bien entendu, ses effets) qui ne dépendent pas de nous. Brazil pose donc un constat pessimiste (comme le révèle le dénouement, il ne faut malheureusement pas prendre ses rêves pour la réalité) tout en prévenant contre les dérives des régimes actuels. La noirceur du tableau décrit (ce qui n’exclut pas de nombreuses touches d’humour telles que la métamorphose physique, tout au long du film, de l’amie de la mère de Sam, victime d’une chirur-gie esthétique dévastatrice, jusqu’à de-venir une momie) a d’ailleurs causé du souci à Gilliam, qui a vu son film censuré d’une quarantaine de minutes à sa sor-tie aux Etats-Unis. Les producteurs sou-h a i t a i e n t , s a c r i l è g e s u p r ê -me, imposer une fin heureuse. Gilliam a donc retravaillé son œuvre qui compor-te 140 minutes dans sa version euro-péenne (et la seule valable). Guillaume Narguet.

plus exactement, une liberté jamais acquise). Brazil rappelle aussi l’univers kafkaïen du Procès (le livre et le film d’Orwell) pour l’absurdité de la situation et Metropolis (notamment pour l’es-thétique ; ainsi, l’imposant et stalinien Ministère de l’Information ressemble étrangement, par son architecture, à la Tour de Babel du film de Fritz Lang). Deux univers, deux conceptions de la vie s’opposent donc : d’un côté, le sys-tème répressif et omniprésent, fondé sur l’ordre, l’obéissance, la discipline ; de l’autre, la rébellion, éprise de liber-té et d’indépendance, d’amour et de folie. Cette distinction se remarque dans l’esthétique même du film : d’un côté, un monde gris et uniforme, de l’autre le monde chatoyant et coloré des rêves. Sam s’imagine en chevalier volant qui doit combattre au moyen de sa lance des monolithes sortant de terre. La symbolique sexuelle est évi-dente, la sexualité étant contrôlée et réprimée comme dans le Meilleur des Mondes de Huxley. Brazil soulève plusieurs thèmes, mal-heureusement plus que jamais d’ac-tualité. La dictature du tout répressif et du tout sécuritaire, bien sûr ; la dé-nonciation de la société de surveillan-ce ; l’instillation au sein de la commu-nauté d’un sentiment de méfiance ré-ciproque (sorte de Patriot Act avant l’heure ; ainsi, Sam sera trahi par l’homme qu’il considérait comme son meilleur ami et livré aux services de police) ; mais aussi, sur un mode peut-être un peu plus léger, la dénonciation de la dictature des apparences. En ef-

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Mercredi 17 février, amphithéâtre Jean Moulin, 17h

Twin Peaks Fire Walk With Me

Le film de David Lynch, Twin Peaks Fire Walk With Me, sorti en 1992, présente la particularité de ne pas pouvoir se dissocier de la série épo-nyme, du même réalisateur. Toute critique de ce film se doit donc de présenter la série, sous peine de se perdre un peu plus dans un univers foisonnant d'énigmes, de mystères, de références fantastiques, voire my-thologiques. Ainsi, la série, diffusée en 1990 et 1991 et qui n'a donc connu que deux saisons, prend comme point de départ la découverte, dans la petite ville forestière de Twin Peaks de l'état de Washington, du cadavre de la rei-ne de beauté locale, Laura Palmer. Le décès de la jeune lycéenne apparem-ment aimée et appréciée de toute la communauté va provoquer un émoi palpable mais aux conséquences dif-férentes chez les habitants. Le FBI (incarné par Kyle MacLachlan, actuel-lement Orson Hodge dans Desperate Housewives, et acteur fétiche de Lynch) va donc enquêter sur les cau-ses de ce décès et sur l’identité du meurtrier qui, on le découvre bien vite, va se révéler être un des habi-tants de Twin Peaks. Sans entrer da-

vantage dans les détails, on peut dire que la série, qui s'est arrêtée au bout de deux saisons, faute d'audience (l'identité du meurtrier étant révélée vers le milieu de la saison 2, ce que Lynch regrettera par la suite), va être l'objet d'un véritable culte et révolu-tionner le paysage télévisuel et la fa-çon de concevoir les séries télévisées. David Lynch est en effet l'un des pre-miers cinéastes confirmés à s'atteler à une série, genre alors considéré com-me mineur. Son principal mérite est d'avoir réussi à mêler avec brio plu-sieurs genres, du thriller au policier en passant par le fantastique voire le pur soap opera (dont il détourne les co-des). Ainsi, Twin Peaks a inspiré des séries aussi différentes que X-Files (David Duchovny faisant même une apparition, dans la première, en travesti), Lost et surtout Desperate Housewioves (la première apparition d’Orson Hodge dans la série consti-tuant un clin d’œil évident à Twin Peaks). Après que la série s’est arrêtée brusquement, David Lynch, reconnais-sant avoir du mal à quitter l’univers qu’il venait de créer, s’attelle à un long-métrage, en fait un prequel, qui sort en 1992 et qui est présenté la même année au Festival de Cannes.

Le film, intitulé Twin Peaks Fire Walk With Me, présente les sept derniers jours de la vie de Laura Palmer et s’ou-vre de manière identique, sur la dé-

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TPFWWM se penche aussi sur les « motivations » du meurtrier. Il est donc inutile de préciser que voir le film avant la série est formellement interdit, sous peine de perdre ce qui en fait le charme et l’intérêt. De plus, il reste très difficile-ment accessible aux non-initiés. Les principaux thèmes du film, un peu moins esquissés dans la série, sont l’in-ceste (quoique déjà présent dans la sé-rie entre Leland et Laura Palmer, voire entre Benjamin Horne et sa fille Audrey, double de Laura) et la schizophrénie, le sentiment de l’impuissance face au dé-nouement inéluctable qui va se produi-re, ce qui renforce le côté tragique de l’œuvre, l’innocence perdue. Le film res-semble à un cauchemar éveillé et se focalise sur le passage (dans des circons-tances dramatiques) de Laura à la vie adulte, avec ses désillusions et sa cruau-té. Laura est une jeune fille qui recher-che dans le sexe sans plaisir et l’usage de stupéfiants une échappatoire à sa triste condition de victime sentant sa fin prochaine. En cela, Twin Peaks est l’in-verse du rêve américain, il représente ce que le Nouveau Continent, avec tout ce qu’il contient de promesses déçues, tente de cacher. L’Amérique qui nous

couverte du cadavre d’une jeune fille, enveloppé dans du plastique. Cette correspondance entre le film et la série n’est pas la seule ; ainsi, l’agent du FBI Chester Desmond (joué par le chanteur Chris Isaak, qui avait déjà contribué à la bande origi-nale du précédent film de Lynch, Sailor et Lula), préfigure, d’u-ne manière plus sombre et bien moins loufoque, l’agent Dale Cooper (Kyle MacLachlan, qui fait une brève apparition dans le film). Cependant, le film diffère de la série dans le sens où il met complètement de côté l’hu-mour original et l’apparente légèreté de la série (qui constitue une des obsessions de Lynch, à savoir le côté obscur qui se cache derrière les ap-parences a priori engageantes) pour se concentrer sur l’aspect ténébreux de Laura Palmer et sa descente aux enfers. Sans révéler les moments-clefs de l’intrigue, l’histoire se pen-che sur les problèmes de drogue de la reine de beauté, sa nymphomanie et son instabilité psychologique. A sa sortie, le film n’a recueilli que peu de succès (hormis au Japon où il fut éle-vé au rang de film culte), en raison justement de cette noirceur et de l’absence de nombreux personnages de la série qui apportaient une tou-che plus comique. Il est à noter que le film contient environ une heure de scènes supprimées (scènes présen-tant justement ces personnages) qui n’ont toujours pas été éditées, mal-gré les réclamations insistantes de la communauté très active des fans de Twin Peaks.

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surnaturels). Il ne faut pas croire pour autant que le film nous décrit un monde manichéen. Le bien et le mal coexistent en chaque personne ; si tel personnage est possé-dé (ici au sens propre) par des pulsions meurtrières ou déviantes, il n’en reste pas moins un être humain, par défini-tion certes faible mais aussi sensible. Tout homme est duel. Si l’on ne peut que déplorer après coup le mauvais accueil réservé à sa sor-tie, Twin Peaks Fire Walk With Me n’en reste pas moins un des chefs-d’œuvre les plus aboutis de son auteur. Guillaume Narguet.

est donnée à voir est une Amérique de débauche, de luxure, de déca-dence, de bordels, de désenchante-ment. Les scènes du film s’enchaî-nent sans lien de prime abord logi-que à un rythme effréné, ce qui ac-centue le constat de l’absurdité de la vie (comment une jeune fille telle que Laura Palmer a-t-elle pu se re-trouver violée et sauvagement as-sassinée ?) tout en faisant monter le degré de peur devant l’inconnu et l’incompréhensible. Le côté fantasti-que (il existe un au-delà, une White Lodge, sorte d’éden paradisiaque jamais montré à l’écran, et une Black Lodge, enfer souterrain, et entre les deux, un purgatoire appelé la Red Room, enfoui au plus profond de la forêt et peuplé de créatures aussi étranges qu’un nain dansant et parlant à l’envers, un géant s’expri-mant par énigmes ou une licorne) contre le matérialisme vulgaire de la ville de Twin Peaks (appâts du gain, convoitises sexuelles etc) peut plai-der en faveur d’un ré-enchantement du monde qui, sans aller forcément se jeter dans les bras d’une religion particulière (la dimension religieuse étant quasi absente chez Lynch), serait atteint en admettant simple-ment qu’il existe des choses qui ne peuvent trouver d’explications ra-tionnelles (on pense par exemple aux fameuses techniques d’investi-gation du détective Cooper, aidé dans son enquête par des éléments

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Mercredi 24 février, amphithéâtre Jean Moulin, 17h et 19h15

Attention, film à prendre au 3ème degré ! L’histoire est simple : de peti-tes créatures vertes et bizarres venues de Mars envahissent la Terre (qui se résume à l’Amérique dans le film) dé-barque sur terre à bord d’une armée de soucoupes volantes. Pensant qu’ils viennent en paix, le président des Etats-Unis leur déroule tapis rouge et fanfare. Pourtant, tout ne se passe pas comme prévu…Mars Attacks est une parodie de film de sciences fiction, inspirée des séries B des années 1950 qui ont dû nourrir l’imaginaire de Tim Burton dans son enfance. Ce dernier se réapproprie les codes des films de sciences fiction, les tourne en dérision avec son humour noir et délirant. Au passage, le film dresse aussi une criti-que vigoureuse de la société américai-ne, sous ses aspects les plus divers. Tout y passe : l’Amérique profonde, urbaine, les riches et les pauvres, le monde des médias et l’armée, les pa-cifistes adeptes de sciences occultes et surtout l’americain way of life en général qui sépare très clairement les « losers » et les « winners ». Même si le film s’éloigne des autres films de Burton, les amateurs ne seront pas déçus : on reconnaît bien l’univers fantastique du réalisateur. La séquen-

ce de la femme martienne (jouée par l’actrice Lisa Marie) est magnifique de grâce et d’étrangeté, notamment grâ-ce à la musique fantomatique. La ga-lerie de personnages est truculente et servie par un casting impressionnant : Jack Nicholson dans le rôle du prési-dent des Etats-Unis, Pierce Brosnan en scientifique dragueur, Glenn Close en première dame, Natalie Portman, Sarah Jessica Parker, Michael J. Fox, Tom Jones (dans son propre rôle) et même le jeune Jack Black encore in-connu à l’époque. Enfin, comme dans tous les Burton, ce sont les marginaux qui s’en tirent et ça fait toujours plai-s i r . Séraphine Ellis

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« I LOVE YOU JIM CARREY » Le regard est toujours le même. C’est celui des génies humoristiques, qui s’assurent que le spectateur est en-tièrement à eux, pris au piège, pour mieux l’éblouir par un masque diffé-rent ou par une éruption de folie co-mique. Jim Carrey est un de ces orfè-vres du rire, un Caravage du burles-que, un acteur qui ferait pleurer de rire un général nord-coréen. Tout commence ainsi au Ca-nada pour un jeune garçon hyperac-tif né en 1962 qui rend hilares ses camarades de classe, mais qui grandit dans une famille peu aisée. A 19 ans, avec 1000 dollars en poche, il s’envo-le pour Los Angeles où il se met en scène dans les cabarets de stand up, avant de taper dans l’œil des produc-teurs de Saturday Night Live, la my-thique émission comique américaine, où il s’illustre dans des sketchs très drôles (YouTube sert aussi à cela). En 1994, Jim Carrey devient une star en trois temps : d’a-bord Dumb & Dumber, puis Ace Ven-tura et enfin The Mask. N’ayons pas peur des mots, en matière de burles-que, il n’y avait rien eu de mieux de-puis Charlie Chaplin ; cepen-dant, Carrey y ajoute et y joue l’esprit de son temps, celui d’un kitsch et

d’excès presqu’obscènes, où Ace Ventura, détective chargé de retrou-ver des animaux, montre ses fesses à la commissaire de police et lui de-mande : « Can i ASS you a ques-tion ? » ; où Stanley Ipkiss – The Mask dévoile une profusion de mimiques et de grimaces qui assure-ront à « ce » Jim Carrey le statut de star internationale, qui enchaînera a v e c F o u s d ’ I r è -ne, Disjoncté et Menteur, Menteur. « Ce » Jim Carrey parce que son œuvre ne saurait se cantonner à ce genre de comédies et, comme ses personnages, il montre différents visages afin d’approfondir son intros-pection et celle de sa société. En ef-fet, le monde devient comme la peti-te ville de la télé-réalité du Truman Show, où tout est spectacle et mise en scène ; et à qui d’autre que Jim Carrey pouvait revenir le droit d’incarner cet avatar d’une société monstrueuse, lui-même qui avait fait de sa carrière (et de sa vie peut-être ?) un pur spectacle ? Car en ef-fet, le rôle de Truman Burbank aurait été son plus beau rôle si, l’année sui-vante, Milos Forman ne lui avait of-fert de jouer un biopic de Andy Kauf-man, humoriste américain mort d’un cancer en 1984, dans Man on the moon : presqu’un testament ci-nématographique de Jim Carrey, le

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film de Forman narre fondamentale-ment l’histoire d’un comique qui « ne cherche pas à faire rire » mais veut repenser le sens même d’un specta-cle qui ne s’arrêterait jamais, allant jusqu’à mettre en scène ses propres funérailles. En quelque sorte, dans ces rôles dits « sérieux » (incluons a u s s i l e t r è s p s y c h i -que Eternal Sunshine of the Spotless Mind), Jim Carrey réalise une véritable performance d’humour, dans le sens que lui donnait Pirandel-lo : le rire gras d’un comique peut-être superficiel laisse place à un « sentiment contraire » chez le spec-tateur, à un authentique rire teinté d’ironie et de détachement catharti-que. Comme souvent avec des ac-teurs qui veulent changer d’image, Jim Carrey s’est perdu dans certains films sans intérêt, que ce soit un thril-ler ésotérique de Joel Schumacher (Le nombre 23) ou des productions ridi-cules pour enfants. Toutefois, c’est sans comparaison avec le foisonne-ment de rôles volcaniques qui font sa filmographie. Ainsi, la Cinémathèque Française lui consacre donc une rétrospective, un hommage, événement qu’elle organi-se le plus souvent pour des artistes en fin de carrière, un peu comme l’on décernerait un Oscar d’honneur. Mais Jim Carrey est loin d’avoir dit son dernier mot : voici qu’il vient en France pour présenter I Lo-ve you Phillip Morris, candidat à la

Caméra d’Or à Cannes l’année derniè-re et qui semble une de ces comédies géniales qui joue avec les stéréotypes (sur les gays cette fois) pour mieux les détruire et raconter une authentique histoire d’amour. Jim Carrey est le seul à pouvoir assumer des rôles comme ceux-là aux Etats-Unis, où la comédie est désormais gérée ou bien par des productions aseptisées de type Disney, ou bien par la clique de Judd Apatow (qui peut être répéti-tive à la longue). Lorsque Frédéric Mitterrand décore Jim Carrey au Ministère de la Culture, le comparant à Diderot à cause de son attrait pour « des natures explosi-ves, éruptives, créatives, mimétiques, transformistes », il ne semblerait n’a-voir rien d’autre à dire que, à la façon d’Andy Kaufman et avec un accent chinois, « Thank you very much. »

Ayan Meer

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Car, entendons-nous bien: le film de James Cameron tient toutes ses pro-messes en termes de divertissement et de grand spectacle. Son imaginaire coloré est particulièrement impres-sionnant, de même que sa 3D saisis-sante et ses effets de caméra absolu-ment étourdissants. On aurait tort de négliger les prouesses numériques déployées par le film car c'est depuis toujours l'un des moteurs de la créa-tion pour le cinéaste. Film après film, d'Abyss à Terminator, de Titanic à Avatar, James Cameron revient à cha-que fois avec l'ambition de repousser les limites de la technique. Ici, la tech-nologie numérique atteint un sommet rarement (jamais ?) vu, offrant ainsi au film une fluidité visuelle, une am-pleur et une liberté tout à fait jubila-toires pour le spectateur. Les nom-breuses scènes d'action se révèlent toutes éminemment spectaculaires. D'une efficacité telle d'ailleurs que la soif de prouesses visuelles l'emporte parfois sur la narration, de telle sorte que le film se perd à plusieurs reprises dans des péripéties dictées par le goût de l'épate plus que par les nécessités du récit. L'interminable scène de guer-re finale en est un flagrant exemple et ne fait pas figure hélas de cas isolé. Voici donc la limite du projet de James Cameron : les tours de force technolo-giques font enfler le versant spectacu-laire du film au détriment de l'intri-gue, sacrifiant clairement le fond et la narration sur l'autel de la forme. Aussi

Avatar, James Cameron

L’au-delà du cinéma Nous sommes en 2154 sur Pandora, planète lointaine à la nature luxu-riante. Les humains se sont installés sur cette terre hostile pour y exploi-ter un précieux minerai, faisant au passage bien peu de cas des Na'vi, grandes créatures bleues qui peu-plent Pandora. Comment retourner derrière la ca-méra après le phénomène Titanic, le film de tous les records ? Pas moins de dix années ont passé avant que James Cameron ne revienne avec Avatar, projet à l'ambition démesu-rée, pour ne pas dire « titanesque ». Hélas, ce qui fait le plus grand tort au nouveau film de James Cameron, ce sont moins les limites intrinsè-ques de ce projet que la promotion et le rouleau compresseur marke-ting qui ont entouré sa sortie écra-sante sur les écrans. Depuis des mois, on nous annonçait l'événe-ment Avatar. Mais à trop créer l'at-tente et à jouer les fiers à bras en claironnant peu ou prou que «James Cameron va révolutionner le ciné-ma », ce qui doit arriver advient : on sort au final un peu déçu de l'expé-rience Avatar. On attendait la lune, il faudra se contenter de Pandora. Et, ce n'est déjà pas si mal.

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le film ne peine-t-il pas à faire sur-sauter le spectateur mais bien plus à l'émouvoir. La débauche de moyens et l'imaginaire étonnant de Pandora accouchent d'une intrigue qui se ré-sume ni plus ni moins à celle de Po-cahontas. Et, si le scénario effectue une inversion de point de vue inté-ressante, proposant au spectateur de s'identifier aux Na'vi plutôt qu'aux humains, pour le reste, la révolution est à l'écran, pas dans le récit : les personnages sont réduits à une gale-rie d'archétypes bien connus (la gen-tille scientifique, le méchant militai-re, l'oie blanche....), les ficelles de l'intrigue sont elles aussi rebattues et les thèmes éculés du « droit à la dif-férence » et « du respect des minori-tés » ne bénéficient pas ici d'un trai-tement bien original. Plus gênant, par ses références multiples et expli-cites à l'Histoire américaine (le mas-sacre des indiens, la guerre au Viet-nam, l'invasion de l'Irak, la chute des tours jumelles... rien que ça !), le film ne gagne pas en épaisseur mais en confusion. Faute de vraiment dénon-cer quelque chose, il peine en effet à signifier quoi que ce soit. Le propos du film se noie ainsi dans une mare de bons sentiments consensuels mâ-tinés d'utopie écologiste. Mais, on l'aura compris, ici, le fond importe peu. Avatar n'est certes pas le film révolu-tionnaire qu'on nous annonçait. Il n'est pas non plus le meilleur film

qu'ait réalisé James Cameron. Pour autant, il ne faut pas nier que l'am-bition formelle d'Avatar et sa di-mension éminemment spectaculaire procurent un réel plaisir qu'on au-rait tort de bouder. Au final, c'est pour ses limites qu'Avatar pourrait faire date dans l'histoire du cinéma, et pour cause : le film ouvre grandes les portes d'un « au-delà du ciné-ma », celui d'un art avatar pétri de spectaculaire, relevant dorénavant tout autant du jeu vidéo ou de l'at-traction à sensation que du septiè-me Art.

Emmanuel Hoblingre.

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sion authentique et véridique du cauchemar d'Ida. Et ce n'est pas le moindre des mérites de Vincere que d'exhumer cette pe-tite histoire longtemps restée en-fouie au coeur de la grande.

En outre, Vincere porte bien son nom : la rage de vaincre et la violen-ce d'un vouloir exacerbé innervent tout le film. Une scène d'amour limi-naire entre Ida et le Duce annonce clairement la couleur: la jeune fem-me, allongée sur un lit, paupières closes, s'abandonne à son amant. Celui-ci, bien au contraire, a les yeux grands ouverts, regardant droit de-vant lui d’un air déterminé, l’esprit visiblement moins occupé par les délices de la chair que par le froid calcul de ce que ceux-ci lui rapporte-ront. Un vouloir impétueux qui est aussi et surtout celui d'Ida. Par amour, elle tentera toute sa vie de reconquérir Mussolini, faisant fi des enfermements répétés qu’elle subit et qui sont directement ordonnés par son ancien amant. Ida considère ces outrages comme des mises à l'épreuve. Egoïstement, elle veut reconquérir sa place, celle d'une femme influente mariée à un grand leader, fût-il fasciste et san-guinaire. Et, là encore, Vincere tire sa beauté et son originalité de cet incroyable projet, celui de nous faire aimer une femme, certes victime duDuce, mais prête à tout. Ida n’est pas une égérie contestataire, encore

Vincere, Marco Bellochio

La soif du mâle. En Italie, au début du vingtième siè-cle, la riche Ida Dalser donne son coeur, son corps puis son consente-ment et sa fortune au jeune et frin-guant Benito Mussolini. De cette union naîtra un enfant, Benito Albino, presque immédiatement renié par son père avant d'être sacrifié, comme Ida Dasler, sur l'autel de l'ambition politique et de l'idéal fasciste. Pen-dant près de deux heu-res, Vincere narre ainsi la lente des-cente aux enfers d'Ida concomitante à l'ascension du Duce.

Dissipons immédiatement tout ma-lentendu : Vincere n'a rien d'un biopic sur Mussolini. Il est d'abord l'histoire tragique d'une fem-me et d'une passion. Exit donc les reconstitutions à l'écran de la marche sur Rome et des grandes dates de l'Italie fasciste. Ici, le règne du Duce est essentiellement effleuré, traité par des raccourcis saisissants, à l'image d'un buste en bronze de Mus-solini qui se trouve soudain écrasé par une presse : ce plan simple, effi-cace et percutant figure à lui seul, et avec une puissante économie de moyens, la chute du Duce. Survolée, la grande histoire n'est pourtant pas absente du film, et pour cause : la puissance émotionnelle de Vincere naît d'abord de la dimen-

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moins une résistante. Son courage n'a d'égal que son envie de vaincre. Elle est une victime qui rêve de rejoindre les bourreaux.

Si Vincere est un film audacieux dans son sujet, il l'est tout autant par sa forme, Bellochio exhibant des choix de mise en scène radicaux mais parti-culièrement opérants. Première et belle idée, celle de n'incarner Musso-lini à l'écran que lors de sa phase de conquête du pouvoir. Une fois à la tête de l'Italie, le Duce n'apparaît plus dans le film que par le biais de vérita-bles images d'archives. Mussolini, devenu icône, appartient désormais à l'histoire ; il n'est plus littéralement et visuellement qu'une image projetée. Second parti pris intéressant, le mon-tage de Vincere alterne habillement scènes intimistes et séquences de foules. Par d’incessants allers-retours entre petite et grande histoire, le film conjugue ainsi le souffle épique d’une fresque historique en costumes à la retenue d'un drame en huis clos. Cet-te dynamique interne rend Vincere parfaitement déchirant : rien qui ne soit figé, passé ou po-sé dans le récit, bien au contraire. Le film explore en outre une veine par-fois très lyrique, à travers des séquen-ces d’une puissance pathétique indé-niable. La séquence où, sous une averse de flocons, Ida, en robe de nuit, s'agrippe aux barreaux d'un hô-pital psychiatrique, hurlant qu'elle est l'épouse légitime du Duce, en est un exemple poignant. Plus tard, l’on ver-

ra aussi une bouteille jetée à la mer par une femme qui, ayant perdu tout espoir, n'y glisse aucun messa-ge d’appel à l’aide. Cela pourrait être grandiloquent, c’est simple-ment bouleversant.

Le goût des images percutantes, on le retrouve partout dans Vincere. C’est que le média cinématographi-que est lui-même omniprésent à l’écran. En effet, Bellochio campe de nombreuses scènes de Vinceredans des cinémas de quartier. Dans ces salles, on y verra d’abord les actuali-tés d’époques, rapidement rempla-cées par les films de propagande fasciste et les discours de Mussolini. Enfin, au sortir du film, un petit ciné-ma de plein air projettera aux mala-des d’un hôpital psychiatrique un film, un vrai : The Kid de Charlie Cha-plin. Le cinéma, un média pour té-moigner du réel tout autant que pour véhiculer des messages popu-listes. La salle obscure, un lieu salva-teur enfin, où l’art peut porter très hautes les valeurs humanis-tes. Servie par de magnifiques prestations d’acteurs, Vincere est une oeuvre ambitieuse, toute à la fois culottée et maîtrisée, dont on sort totalement conquis…. pour ne pas dire vaincu. Avec une mise en scène raffinée, lyrique, mais jamais tape à l'oeil, Bellochio signe ici plus qu'un film : par sa (re)tenue, Vincere a déjà toute la super-be de ce que l'on nomme « un clas-sique ». Emmanuel Hoblingre

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Adeptes de notre quartier préféré, vous avez certainement déjà remar-qué le petit cinéma au fond de la place Sartre et Beauvoir : salle de référence indépendante et audacieu-se, Le Saint Germain des Prés est surtout diablement dynamique ! Dans sa monosalle de 250 places, il propose des films d’art et essai, évi-demment toujours en version origi-nale, et fait désormais bénéficier aux étudiants de SciencesPo d’un tarif de 5 euros pour tous les films et toutes les séances. Un peu d’histoire Ouverte en 1969, la salle s’appelle tout d’abord Le Bilboquet, à cause de sa décoration intérieure s’inspirant du jeu, et prend son nom actuel en 1985, agrémenté d’un sous-titre, « salle Georges de Beauregard », en l’honneur du producteur de la Nou-velle Vague. Rénovée, la salle appar-tient désormais au réseau Etoiles, avec la Pagode et le Balzac. Ciné Quin : des invités présentent leur film culte Depuis octobre dernier, un nouveau concept a vu le jour : tous les 2e mar-dis du mois, la journaliste Elisabeth Quin accueille un artiste qui présente

son film culte au public ! Les soirées se décomposent comme suit : pré-sentation du film par Elisabeth Quin et l’invité, projection du film puis in-terview sur scène de l’invité, avant une séance de questions/réponses avec le public. Après Philippe Tesson le 9 février, le prochain rendez-vous aura lieu le 9 mars, avec la présenta-tion par Bertrand Burgala de Mon frère est fils unique, précédé du court-métrage Vita Di Giacomo de Luca Governatori. Cinémime : l’alliance de deux arts Le Saint Germain des Prés est comme on vous l’a dit audacieux, et ouvre ses portes aux autres arts : ici, le Cinémi-me, qui a pour vocation d’allier le septième art avec l’art vivant du mi-me. Ainsi, les 14 mars, 11 avril et 23 mai prochain, de jeunes talents du mime dialogueront avec des films courts, muets pour la plupart, datant des premiers temps de l’histoire du cinéma. Inédite, l’association du ges-te et de l’écran apporte un regard nouveau et surtout une touche de poésie supplémentaire au septième art.

Noémie Calais

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5 euros la place

SciencesPistes, les nouvelles sont bonnes : vous pouvez désormais profiter d’un cinéma art et essai de qualité à un prix imbattable. Un nouveau partenariat a été conclu avec le ciné-club et les deux cinémas du quartier germa-nopratin. Désormais, en présen-tant votre carte d’étudiant au Saint-Germain des Prés ou à la Pagode, votre séance ne vous coûtera que 5 euros.

Une soirée Buster Keaton. Pour lancer ce nouveau partena-riat, le Ciné-Club du BdA et le BDE vous invitent le 18 février à 22h à une soirée sur le thème de Buster Keaton dans la salle mythique du Saint-Germain des Prés ; la bande-son du film sera arrangée par un DJ, qui animera la soirée.

Entrée gratuite mais limitée à 120 places ; réservation obligatoire. Plus de renseignements sur l’évènement facebook.

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Mercredi 10 février Brazil, Terry Gilliam 17h, amphithéâtre Jean Moulin

Mercredi 17 février Twin Peaks, David Lynch 17h, amphithéâtre Jean Moulin Mercredi 18 février Just a Kiss, Ken Loach Amphithéâtre Jean Moulin Soirée Buster Keaton au Saint Germain des prés Mercredi 24 février Mars Attacks, Tim Burton 17h et 19h15, amphithéâtre Jean Moulin

Cinémathèque française Jim Carrey—1er au 14 février 2010 Forum des images Les pères—10 février au 4 avril 2010