CICERON L’HISTORIEN - Valeur historique de son oeuvre epistolaire

5/14/2018 CICERON L’HISTORIEN - Valeur historique de son oeuvre epistolaire - slidepdf.com

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TILL VALLEE

CICERON L'HISTORIENVALEUR HISTORIQUE DE SON rnUVRE EPISTOLAIRE

1 INTRODUCTION

Avant merne d'introduire MARCUSTULLIUSCICERO- en Irancais et dans le texte

presente : CrCERON - deux commentaires contemporains et opposes illustreront

l'image contrastee qu'il a laissee en tant qu'historien a la posterite. Ainsi, pour

SLAUGHTER« A cause de son eventail d 'in terets, son savoir encyclopedique de l'h istoire,

la iittcracurc, la lo i, son succes remarquable en tant qu' e nseignant des hommes, et sa

longue experience aux affa ires d'E tat, CICERON a droit a l'a ttention des hommes. II

n ' e ta it pas I'homme d' une seule opinion. L 'indecision et la vacillation dont il est accuse et

dont il est coupable sont dues a la necessite dans laquelle il eta it de voir les deux cotes de la

question; les argum ents alternativem ent pour et contre l'ont tourmente et preoccupe et lu i

ont rendues bien des decision dif.ficiles »1 alors que HALLWARDdeclare « [••• ] par une

certa ine ironie de I'h isto ire, sa correspondance reste un docum ent historique d' une tres

grande valeur; mais ce document a precisement cette valeur parce qu'il ne I'a pas ecrit

comme texte historique, et il ne fournit aucune preuve que Ciceron puisse etre considere

co mm e h isto rien2 [ ••• ] Les connatssances historiques de C iceron avaient e te etroites ou

superficielles. 3 »

Ces deux avis opposes, qui se retrouvent tout le long de la litterature, ne se limitent

pas a la qualification de CICERON en tant qu'historien, mais vont bien au-dela.

Merrie si ce n'est pas le sujet de ce travail de seminaire, il demeure interessant de no-

1 SLAUGHTER, The Classicai journal, 17,3 (1921), p.127.

2 HALLWARD, Cambridge Historical journal, 3,3 (1931), p. 223.

3 HALLWARD, Cambridge HistorimlJournal, 3,3 (1931), p. 226.



ter que, par exemple MONTESQUIEU,MOMMSENou HEGELavaient une pierre opi-

nion de l'orateur romain : ses analyses politiques ne passent que rarement pour per-

tinentes, son attitude est souvent decriee comme opportuniste."

Le present travail de serninaire ne s'arretera pas a ce genre de jugements de la per-

sonne de CrCERON.Nous ne nous interessons qu'aux aspects lies a ses qualites

d'historien et a la valeur historique de son ceuvre episrolaire - pour laquelle nous

nous limiterons ala periode entre la mort de JULESCESARet celle de CrCERON.

2 CICERON ET L'HISTOIRE

Dans son histoire latine, De Historicis Latinis', C. NEPOS laisse un jugement peu

flatteur sur l'etat de 1'historiographie romaine: CrCERON, qui avait embelli l'elo-

quence romaine et contribue a sa philosophie, etait, pour NEPOS precisement

l'homme qui devrait consacrer ses talents a elever l'historiographie romaine, qui

montre un remarquable retard parmi les genres litteraires romains, pour atteindre en

niveau les accomplissements des Grecs dans ce domaine ... Rome a perdu avec

CrCERONnon seulement son Panegyrikos le plus en mesure de relater sa gloire, mais

egalement l'un homme qui aurait pu, et peut-etre fera, autorite, de part l'envergure

de sa vie, a laisse des monuments de la prose historique.? NEPOS rattache a son ju-

gement pessimiste un compliment posthume a CrcERoN comme etant celui qui au-

rait ete digne d'ecrire une histoire latine - et il ne semble pas avoir ete le seul a avoir

regrette que cedernier n'ait pas redige une oeuvrehistorique.

CrCERONn'a pas legue une ceuvre specifiquement historique, mais s'est toujours plus

tourne vers la philosophie et la rhetorique. Toutefois, comme il sera montre plus

tard, son oeuvre epistolaire demeure une importante source historique pour toute la

periode de son consulat a sa mort; ce que NEPOS avait deja souligne,"

4 BERNETT, Franz Steiner, 1995, P: 1-22.

5 Dont ilne reste que des fragments, par exemple le frag. 58 Marshall.

6 Voir aussi ROBINSON, Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 71(1940),

p.524.

7 Voir a ce sujet C. NEPOS, Attic. 16.3 [cit. ROBINSON].



Des sa premiere oeuvre, De Inventione", CrCERON relie l'importance de la maitrise de

la rhetorique a l'histoire," CrCERON reprend le theme de la relation entre rhetorique

et l'histoire dans De Oratore. CrCERON souligne que l'orateur parfait se doit de mai-

triser, entre autre, la connaissance historique'" a laquelle il donne la meme impor-

tance que la maitrise de la jurisprudence. Plus loin, CrCERON souligne l'importance

de la rhetorique pour l'historien; sans la maitrise de la rhetorique", l'historien ne

serait pas a meme de transmettre ses connaissances de maniere utile. Ilen tire la con-clusion d'une unite des deux sciences; unite que les Grecs auraient reussi a achever.

CrCERON formule plus tard12 les regles d'une ecriture de l'histoire: la veracite et

l'imparrialite du recit"; une connaissance de la chronologie et de la geographie

14

, un

recit incluant la planification, le but, le deroulement, le denouement et les suites de

l'evenement auxquels ils convient aussi d'ajouter les raisons du succes ou de l'echec de

ce dernier". A plusieurs reprises, CrCERON encense la connaissance historique

comme etant le temoin du passe, lumiere de la verite etc." Nous n'enumerons pas

tous les historiens grecs ou romains que CrCERON cite dans ses divers textes, d'autres

l'ont fait et no us renvoyons le lecteur interesse a la litterature17; HERODOTE,

THUCYDIDE, POLYBE... ce qui dernontre que CrCERON connaissait les classiques de

l'historiographie.

Pour illustrer cet attachement (exprrme] a l'importance de l'histoire - et en le relati-

visant en meme temps - un exemple revient souvent": l'emotion qu'a eprouvee

CrcERoN lorsqu'il rend visite a la tombe d'ARcHrMEDE; une lecture superficielle du

passage pourrait nous indiquer que, pour CrCERON, rien ne peut remplacer la visite

8 Un traite simplifie sur la rhetorique, precurseur d'ceuvres ulterieures.

9 De inventione, 1.1.

10 De oraiore, 1.18 et 1.158ff.

11 De oraiore, II.36.

12 De oratore, II.62-64.



15 De oraiore, II.62-64.

16 De oraiore, II.36.

17 FLECK,Teubner, 1993, p. 303.

18 Definibus v.1-6.



du site - le vecu du Genius Loci - dans la comprehension historique. Mais d'aut res

interpretations sont possibles, comme le suggere JAEGER19

: « Quand ce lu i qu i con-

tem ple un tel monum ent est luc-mime un auteur e t un hom me d 'action , autan t a l 'origine

d e m o nu m en ts litteraires qu 'bomme honore, la rivalit» sym bolisee par la j uxtaposition du

vivan t et du mort dev ien t duale. C elu i qui con tem ple peu t concurrencer la personne com -

m em oree par ie m onum ent dans des accom plissem ents m ilita ires , po litiques, ou in tellec-

tue is , a lors que ses propres accom plissem ents iittera ires peuven t d ifier Ie m onum ent lu i-

mime" [... ] La personne commemoree par Ie m onum ent fixe la norm e, le m onum ent pre-

s en te i e d if i2 1» . CrCERON utilise ici habilement un exemple, un personnage, historique

pour illustrer un fait, sa propre grandeur.

22

L'exemple precedent permet aussi de conclure cette introduction; on a reproche" a

CrCERON de s'etre souvent borne a reprendre et a citer dans ses discours les evene-

ments historiques comme de simples illustrations ou exemples ; il est place par cer-

tains dans les « antiquaires »24plus que dans les historiens, parce qu'il se borne sou-

vent a citer l'Histoire sans vraiment l'etudier. II peut-etre interessant de rappeler que

le jeune CrCERON a grandi avec la premiere apogee de 1 '« antiquarianisme » ;

RAWSON souligne sa tendance a « citer» d'aut res aureurs", la marque, selon elle,

d'un fond de pensee « antiquarianiste ». De fait, en utilisant les exemples historiques

comme support pour son argumencaciorr" (d'orateur en general et de juriste en par-

ticulier ), CrCERON devait choisir ceux qu'une grande partie de

19 JAEGER,TheJournal of Roman Studies, 92 (2002), pp. 49-61.

20 JAEGER,TheJournal of Roman Studies, 92 (2002), p. 49 - [Trad. propreJ.

21 JAEGER,TheJournal of Roman Studies, 92 (2002), p. 61 - [Trad. propreJ.

22 En fait, l'exernple et son interpretation est plus complexe, seulle sujet du ce sujet releguera le deve-loppement de ce sujet it cette note de bas de page; JAEGER,The Journal of Roman Studies, 92 (2002), p.61 : « En meme temps, I e monument separe les mondes grecs et romains. La Grece appartient au passe;Rome au present et aufuturo L'image de Ciceron au tom beau d'Arcbimede est le monument dedie a Ciceronet a sa vie au service et dephilosophie; comme d'autres monuments, ilrappelle et incite a l'exemple » -[Trad. propreJ.

23 RAWSON, TheJournal of Roman Studies, 62 (1972), pp. 33ff.

24 RAWSON, TheJournal of Roman Studies, 62 (1972), p. 33 - Nous n'avons pas trouve de terme fran-cais approprie pour le traduire.

25 RAWSON, TheJournal of Roman Studies, 62 (1972), p. 36.

26 Sur la fonction des exemples historiques dans la correspondance de CICERON,consulter OPPERMANN,Miinchen/Leipzig, 2000, p. 338.



son public connaissait, ce qui signifie que ces derniers etaient des lors largement con-

nus."

3 CICERON COMME SOURCE HISTORIQUE

Le paragraphe precedant a quelque peu relativise la qualite de CICERONcomme his-

torien au sens de quelqu'un qui a effectue des etudes historiques, avec etude appro-

fondie des sources, ou au moins leur reinterpretation; sa connaissance de I'histoire

est a voir dans le contexte de son activite d'orateur, tant politique que juridique.

La veritable valeur historique de CICERONse situe au-dela : le poliricien et juriste

romain, a cause de son action et ses relations politiques, a ete le ternoin privilegie

d'une epoque cruciale de I'histoire romaine -la transition de la Republique a

l'Empire. En effet, CICERONentretenait une correspondance prolifique aveccertains

des acteurs les plus importants de cette epoque charniere ; correspondance a laquelle

nous avons la chance d'avoir acces.

L'objectif de ce chapitre est d'illustrer la valeur historique de l'oeuvre episrolaire de

CICERON; il ne s'agira pas d'enumerer une serie d'evenements historiques decrits par

ce dernier en les comparant et en les opposant a d'autres sources, pour en tirer une

conclusion. Une telle demarche, si on la detaillait, meme pour une epoque lirnitee

comme celleallant de la mort de CESARa celle de CICERON,depasserait le cadre ma-

teriel de ce seminaire et ne correspondrait qu'a resumer les chapitres introductifs des

(Tomes) IX a XIde la CORRESPONDANCEDECICERON.Au lieu de cela, nous nous

proposons d'illustrer par sa correspondance l'espoir que mettait CICERONdans sa

lutte contre ANTOINEpar de l'aide venant de l'exrerieur" ; ainsi nous combinerons

l'analyse de la valeur historique de la C orrespondance de Ciceron avec une question

cruciale de son epoque.

27 Voir aussi LAURAND, L'his toire dans les discours de Ciceron, in Ciceron, 2' ed. rev. et corr., Paris,

Belles Lettres, 1935, p. 220.

28 Nous definirons Ieterme exterieur plus en aval,



3.1 LA SITUATION SUITE A LA MORT DE CESAR

La mort de CESAR a ete un evenement qui a bouleverse la question de la suite des

evenements politiques suite a la sequestration du pouvoir par la victime des Ides de

mars . CICERON nous rapporte revaluation de la situation policique en ces jours ;

dans une lettre a ATTIC US, ilcite l'analyse de MATIUS, representative du courant de

pense en vigueur dans le milieu des amis du defunt tyran : « [e su is descendu chez la

personne dont nous avons parl« ce m atin . D esespo ir to ta l: d ' apres lui, la situa tion est sans

issue; en eJfet, si un tel gen ie ne trouva it pas de so lu tion , qu i en trouvera une a present?

BreI, il pretend que tou t est perdu Oe m e dem ande d ' ailleurs si ce n ' est pas le cas, m ais lu i

s ' en rejou it) et il m e donne pour assure un grand soulevem ent gaulo is dans m oins de ving t

jours; depuis les Ides de m ars, d it-il, il n 'a eu de conversa tion qu 'avec LEPIDE; a u to ta l,

nos d if.ficu ltes ne peuven t pas, selon lu i, s'a rra ng er to ut b on nem en t. »29.MATIUS, dans

ces mots rapportes par CICERON, souligne que le meurtre de CESAR a induit une

situation dans laquelle les forces, que merne le defunt tyran, avec son charisme et les

moyens a sa disposition, n'a pu forcer a un equilibre, son maintenant incontrolables ;

il en resultera, selon MAT IUS, la perte de tout ce qui a ere. Pour CICERON, au con-

traire, la mort de CESAR signifie la mort d'un Rex ou Tyrannus ; sa mort n'est que la

juste recompense pour ses actions illegales." CICERON deplore que le senat n'ait pas

pris de mesures pour retablir la Republique" ; ilsouligne qu'on aurait du exploiter

l'euphorie des premiers jours apres les Ides de M ars pour cela,32entre autre parce que

les adeptes de CESAR ont ete pendant quelque temps sous le ChOc.33Malheureuse-

ment, aux yeux de CICERON, a la premiere seance du senat apres la mort du tyran, le

17 mars au temple de Tellus, ila ete decide, en merne temps d'amnistier les tyranni-

cides et de maintenir la validite des actes du defunt ryran." Dans les jours suivants,

selon CICERON encore, la mernoire de CESAR a ete honoree de maniere posrhume."

29 Ad Att., xrv.Lt, voir aussi Ad Att. xrv.zz.I

30 Comme CICERON l'ecrit a CASSIUS: Ad Fam. VII.I.I.

31 Ad Att., Xlv.6.2.


33 Ad Att., xrv.Iu.I.

34 Ad Att., Xlv.6.2 et xrv.a.s.

35 Ad Att., xrv.Iu.I.



L'ambiance bascule, et les tyrannicides ressentent une opinion publique beaucoup

moins favorable, voire agressive36 ; de sorte que CICERONse tiendra la majeure partie

du temps hors de Rome et que Brutus et CASSIUSquittent Rome pour leur pro~

vinces respectives."

CICERONresume la situation comme suit: « la ty ra nn ie su rvit et le tyran est m ort »38,

les tyrannicides sont sur la defensive et ont besoin de protection politique, que leur

confere ANTOINE.Selon CICERON,Antoine prolonge le regne du tyran de maniere

informelle a travers des Ac tt P C e sa ri o: de plus en plus souvent falsifies.39

Le senat ne s'oppose pas ala mainmise d'ANTOINE sur le pouvoir ou au retablisse-

ment de la Republique ; occupes a assurer la continuite de leurs postes conferes par

le detunt tyran, ils sont pris dans le piege de la formalite des actes de CESARet ne

peuvent donc trop s'opposer a celui qui apparait de plus en plus comme le successeur

du defunt tyran."

Entre CICERONet ANTOINE s'etablit une animosite qui se transforme en haine; en

fait les deux hommes deviendront vite des ennemis, Nous passons sur toute une serie

d'evenements pour introduire OCTAVE,que le testament de CESARa nomme son

successeur; ce dernier commence a concurrencer politiquemenr et militairement

ANTOINE.Mais la situation, selon CICERON,est desesperee : « lei, je fa is la g uerre a

une espece de gladiateur, le p ire des scelerats, m on confrere ANTOINE, mais dans des

conditions inega les, par la parole contre les arm es [•.. ] L'oppression regne partou t, les

honnetes gens n 'ont pas de chef et nos chers tyrannicides sont au bout du monde »41.

ANTOINE renforce sa position militaire en prenant sous son controle direct quatre

legions: « Aussi, Ie 9 octob re , il a pris la rou te d e Brin des, a la rencontre de quatre legions

36 Ad Att., xrv.s.I et xrv.j t.z.

37 Ad Att., xv.9.1 et xv.lL2.


39 Entre autre Ad Att., xrv.e.z et xrv.tn.t.

40 Ad Att., xrv.c.z, xrv.s.I, xlv.8.2, xrv.i s.z, xlv.2L3, xrv.zz.s, xv.z.s, xvA.l, xv.s.z,

41 Ad Fam., XII.2.



de M acedoine, qu 'il pense se conc ilier a prix d' a rgen t, am ener jusqu ' a la Ville et f aire pe-

ser sur nos tetes ».42

Pour CICERON, la situation est telle qu'ANTOINE exerce une force militaire sur la

r e s pub li ca, qui ne dispose plus de moyens propres -tant au niveau polirique, avec un

senat soumis, que militaire- pour sa defense; pour le premier, seuls des « acteurs

exterieurs » peuvent encore s'interposer entre une nouvelle tyrannic et la Republique.

L'espoir d'une intervention d'« acteurs exterieurs » repose sur:

Une intervention rnilitaire des ryrannicides ;

L'integration d'une partie des « cesariens » dans la cause Republicaine ;

Une loyaure active de cesariens eloignes de Rome.

Les paragraphes suivants essaieront d'illustrer les espoirs que CICERON a mis dans

ces differents groupes pour la restauration de la Republique ; espoir amerernent de-

cu, comme nous le savons, puisqu' aucun des groupes cites ne saura ou ne voudra

Iaire pencher la balance pour la cause republicaine.

3.2 INTERVENTION MILITAIRE DES TYRANNICIDES

CICERON fait appelle a de multiples occasions aux tyrannicides, plus precisernent

CASSIUSet BRUTUS,pour les encourager a intervenir militairement pour restaurer

la r e s pub li ca. Deja fin septembre, il ecrit a CASSIUS,alors en route vers la province

de Syrie, pour lui dire que tout l'espoir repose sur leur retour en Italie ; «C'e st p o ur -

quoi il n 'y a d ' espoir qu' e n vous ; m ais si vous restez absen ts a fin d ' eire en securite , il n 'y

en a plus mime en vous »43. Moins d'un mois plus tard, CICERONest deja plus radical

en soulignant, qu'a present, seule une action violente pourrait s'opposer efficacement

a ANTOINE: « ••• car sans la force que pea t-on fa ire con tre la f orce? »44. II se plaint tou-

42 Ad Fam., XII.23.2.

43 Ad Fam., XII.2.3.

44 Ad Fam., XII.3.



tefois du manque de troupes: « Mais ou sont les troupes :»45.La situation change avec

l'intervention d'OCTAVE qui oppose a ANTOINE une force rnilitaire qu'il a recrutee

parmi les veterans de CESAR. De plus, deux legions du defunt tyran ont refuse de

servir ANTOINE et se sont mises sous le commandement d'OCTAVE.46 Le rythme

des actions militaire s'accelere avec les deux batailles de Modene.

Durant le premier siege de Modene, CrCERON demande cette fois a D. BRUTUS

pour tout faire pour barrer la route a ANTOINE et pour l'empecher d'acceder au con-

trole de la province Gallia C isalp ina : «Si, en effe t, ce t individu [... ] v ient a disposer

d ' une province, je ne vois subsister aucun espoir de salu t »47• Durant la deuxierne ba-

taille HIRTIUS, PANSA, OCTAVE et D. BRUTUS defont formellement ANTOINE qui

doit battre en retraite affaibli, cette victoire reste toutefois incomplete, car les deux

premiers consuls ont ete rues, et ni OCT AVE ni D. BRUTUS ne se mettent a la pour~

suite d'ANTOINE, ce qui permet a ce dernier de rallier LEPIDE et de representer de

nouveau une menace militaire.

A la suite de ces developpements, CICERON s'en remet cette fois de rnaniere desespe-

ree a CASSIUS et BRUTUS et leur demande de rallier le plus vite que possible l'Italie,

sinon tout serait perdu." Certes, il dispose de deux legions, mais l'action exige leur

presence: «De notre cote, a lors que nous pensions la guerre term inee , soudain ton cher

Lep ide nous a plonges dans la plus profonde inquie tude. Aussi d is-to t b ien que la plus

g ra nde espera nce de la Repub liq ue repose sur tes f orces. »49.CrCERON precise a BRUTUS

que les ennemis internes de la r e s pub li ca gagnent en force: «[ e tai souvent presse par

le ttre d e te hater le plus possib le de venir au secours de la Republique et d' amener ton ar~

m ee en Ita lie50 ... [i l est] extrem ement avantageux [... ] que tu apportes a l a p r em i er e

occasion du renfort a la Republique chancelante et presque a genoux 51 »,

45 Ad Fam., XII.3.

46 Ad Att., xVII.8.9, Ad Fam. xI.7.2, X.28.3.

47 Ad Fam. XI.S.2.

48 Ad Br., LI7.3, LI8.1Af.

49 Ad Fam. XII.9.2.

50 Ad Br., LI8.!.

51 Ad Br., 1.18.2.



De plus, l'entourage d'OcT AVEpousse se dernier a revendiquer le consulat a la mort

de HIRTIUS et de PANSA.52Ciceron essaie tant qu'il peut de limiter cette influence

negative: « C ependa nt je reussirai, je l'espere, a retenir cejeune homme, en depit de nom -

breuses oppositions; car il a l'air doue, mais il est d ' un age malleable et il y' a beaucoup de

gens prets a le corrom pre, qui esperent fortem en t ferm em ent pouvoir aveugler son inte lli-

gence saine en faisan t m iroiter a se s ye ux l'eclat d ' un titre usurpe, »53. Mais autant

OCTAVEque PLANCUSveulent a present que leur force militaire soit retribuee sous

la forme de pouvoir politique.t" Fin juin 43, CrCERONest definitrvement pessimiste :

«En effet, quel m al nous est epargne, selon toi, dans une guerre au cours de laquelle des

arm ees victorieuses n ' on t pas voulu poursuivre un ennem i en fuite et un general [com-

prendre LEPIDE] jouissant de tous ses droits, com ble des honneurs les plus considerables

et des plus grandes richesses, avant femme, enfants et vous comme parents, a decla re la

guerre a i a R epub li qu e ? »55.. CICERONpres sent que les tyrannicides n'interviendront

pas pour soutenir la cause republicaine.

3.3 INTEGRA TION DE « CESARIENS » DANS LACAUSE REPUBUCAINE

Apres, ou en parallele, de ses efforts pour motiver les tyrannicides en vue de la sauve-

garde de la republique, CICERON essaie d' « activer» des cesariens pour sa cause.

C'est dans cette optique qu'il faut voir sa prise de contact des 43 av. ].c. avec

HIRTIUS56et PANSA. Concernant HIRTIUS en particulier, CICERON est d'abord

sceptique: « [ ••• ] j'i gn or ais q u 'il [HIRTIUS] eut. ae b on c ito ye n ju sq u'ic i <2> et j e ne

comptais pas du tout que m on influence Ie rendrait m eilleur •.• »57;Ilne semble donc pas

optimiste pour lui faire changer d'avis... Ilne peut toutefois pas leur reprocher grand

chose'". Ce n'est que de rnaniere posthume, apres leur [HIRTIUS et PANSA] soutien

actif a la cause republicaine (et leur mort apres le siege de Modene), qu'il leur rend

52 Ad Br., 1.18.2.

53 Ad Br., 1.18.3.

54 Ad Br., 1.18.3.

55 Ad Br., 1.18.2.

56 Qui, au commencement, fut un defenseur d'ANTOINE; CICERON,un ami personnel, arrive a le per-

suader a faire une alliance avecle parti senatorial.

57 Ad Att., xv, 6.1.

58 Ad Br., 1.1,4 par exernple,



une sorte d'hommage'". Les deux consuls auront au moins participe a la defense de la

cause republicaine.

CrCERONa aussi essaye d'exercer une influence sur OCTAVE,qui, en tant qu'heritier

de CESAR,est Iorcement a ranger dans les cesariens. Apres une premiere evaluation

negative, « [ ••• ] OCTAVE se conduit avec m oi de la f a~on la p lus respectueuse et la p lus

am ica le ; son en tourage ie sa lue du nom de CESAR [... ] J e pretends en e lfet que nul ne

peu t-e tre un bon citoyen , tan t il r'a des gens autour de lu i qu i menacent de mort nos

propres am is et qu i a ffirm ent que la situa tion presen te est in to lerab le. »60 , tres vite, ilap-parait aux yeux de notre orateur comme l'unique rempart credible contre

ANTOINEet essaie de l'inlluencer dans ce sens'". CrCERONsouligne ce qui pourrait

distraire OCTAVE de la cause republicaine : en tant que fils adoptif de CESAR,il

pourrait formellement etre rente de se venger62 ; il est entoure de personnes ayant

une mauvaise influence sur lui63 ; ses legions exercent sur lui une pression visant a

leur assurer des avantages materiels'" ... pour ne citer que quelques points. Malgre

ces « dangers », CrCERONcroit en la possibilite de contenir l'ambition d'OCTAVE

pour le faire ceuvrer dans le sens de la cause republicaine, entre autre en le couvrant

d'honneurs=. Dans un premier temps, ses espoirs se concretisent, puisqu'OCT AVEet

ses troupes arrivent a lever le siegede Modene et a Iaire fuir ANTOINE.66,67

3.4 APPEL A LA LOYAUTE ACTIVE DE CESARIENS ELOIGNES DE ROME

Citons en dernier lieu les efforts de CrCERONpour obtenir le soutien d'autres cesa-

riens, eloignes de Rome, surtout des gouverneurs des provinces voisines de la Gaule

Cisalpine: PLANCUS,gouverneur de la G aule chevelue ; A. POLLIO,gouverneur de

59 Ad Br., 1.10.1.60 Ad Att., XIV, 12.2.

61 Ad Att., XV, 12.2.

62 Ad Att., XIV, 12.2 et XV, 3.3 par exemple.

63 Ad Br., 1.18.3, 11.3.2.

64 Ad Br., 11.4.4

65 Ad Br., 1.9.1, 11.5.3f.

66 Ad Fam., x.30.2

67 CICERON n'assistera que vers Iafin de sa vie au retournement de ce dernier, qui s'associera aANTOINE

et a LEPIDE pour former Ietriumvirat qui mettre fin ala Republique.



l'H is pa nie u lte rie ur e ainsi que LEPIDE, gouverneur de l'H isp an ie c ite rie ur e et Gaule

narbonnaise.

CrCERONdemande a PLANCUSde se comporter en consul digne: «Tu dois donc te

m ontrer hom me a rompre, d ' abord, avec Ies citoyens im pies qui ne te ressem ble nt e n rien ,

ensuite a te presenter au senat et a tous les gens de bien comme une autorite, un person-

nage de prem ier plan [H'] Si tels apparaissent tes actes et tes idees, alors tu seras vraim ent

un consul et un consulatre, mime un grand consul et u n g ra nd co nsu la ire. »68; Il le met

aussi en garde contre un accord de paix avec ANTorNE, qui correspondrait -selon

CrCERON- a la servitude: « [H'] ia paix ne consiste pas a deposer les arm es, m ais a reie-

ter ia peur des armes et d e la se rv itu de [H'] »69. Dans un premier temps, en juin 43 av.

J .c . , PLANCUSse rallie a D. BRUTUS7 o, mais se range finalement un peu plus tard en

Gaule du cote d'ANTOINE.

La correspondance de CrCERON avec A. POLLIO est plus tenue : deux reponses a

CrcERoN.71 On ne peut que deduire son contenu, une requete de CrCERON de

s'engager contre les tendances dictatoriales d'OCTA VE, de la reponse de A.

POLLIO.T outefois A. POLLIOne pretend que vouloir empecher une guerre civile; il

finira par rallier le camp d'ANTOINE.

Une seule lettre de CrCERON a LEPIDEnous est parvenue'? ; Ciceron polemise sur

l'attitude de certains de se reconcilier avec ANTOINE, au lieu de le combattre: « ]«

suis heureux que aspires au retour de la paix civile; si tu te d isso cies d e I'esclav ag e, tu ser-

viras a ia fois la Republique et ta dignite ; mais si cette paix que tu desires doit re tablir un

homme deprave dans I'exercice d ' une dom ination sans frein aucun, sache que to us les gens

senses ont bien l'in tention de prejerer ia m ort a l'esclavage »73. CrCERONavait pourtant

68 Ad Fam. x.s.

69 Ad Fam. x.s.

70 Ad Fam. x.23.2.

71 Ad Fam. x.31 et x.32.

72 Ad Fam. x.27.

73 Ad Fam. x.27.



bien rente, en lui faisant accorder des honneurs?", de faire balancer la balance de

LEPIDEpour la cause republicaine : ce qui ne l'ernpechera pas de rallier lui aussi le

camp d'ANTorNE, devenant par la suite la 3i:me personne du triumvirat. CrCERONle

classera donc logiquement dans les ennemis de la res publica et a des mots durs pour

ce dernier."

4 CONCLUSIONS

Ala lumiere de la CORRESPONDANCEDECICERON,avec des acteurs majeurs de son

epoque, a cette epoque charniere de 1'histoire romaine, on est comme plonges dans

les evenements ; on vit litteralement, happes par la vivacite du recit, la fin de la Re-

publique, aujour le jour. Cette chronique -car c'est plus d'une chronique qu'il s'agit-

donne une multitude d'informations a 1'historien interesse par cette epoque, permet

de dater des evenements majeurs, eclaire les motivations des principaux acteurs ainsi

que leurs changements d'attitude ... mais nous devons inclure CrCERONdans la liste

de ceux qui sont decrits dans sa correspondance.

Sans aucun doute, l'ceuvre de CrCERONpossede une inestimable valeur historique,

de par la richesse de sa description des faits; mais cette derniere, nous ne devons pas

l'oublier, est teinte de la subjectivite partisane de celui qui est partie prenante. En

tenant compte de cette subjectivite, elle nous permet peut-etre merne de comprendre

comment pensait un politicien romain au tournant du siecle, sur quelle base se lor-

maient et se dcformaient les alliances, si on tient compte des limitations de cetype de

source.

Quant a la question de savoir si CrCERONetait ou n'etait pas historien, nous ne nous

avancerons pas a formuler d'avis - le lecteur interesse n'aura qu'a se rHerer au

chap. 2 pour y puiser lui-rneme des elements de reponse, estimant que face a la ri-

chesse de ce que nous pouvons puiser dans son oeuvre,de telles questions paraissent

74 CrCERON a fait eriger, debut 43 av. j.c., une statue equestre de LEPIDE sur le forum; cette derniere a

ensuite ete retiree apres Ie ralliement ouvert de ce dernier it ANTOINE.

75 Ad Br. 1.1.2, 1.20.1, II.2.1 et Ad Fam. xn.s.z,



presque futiles. Nous serions tentes de reformuler le jugement de HALLWARDcite

en introduction comme suit: Independammenr de la question de savoir si Ciceron

etait ou n'etait pas historien, sa correspondance reste un document historique d'une

tres grande valeur; mais ce document a cette valeur precisernent parce qu'il ne l'a pas

ecrit comme texte historique.

5 BIBLIOGRAPHIE

5.1 SOURCES

CICERON, Correspondance IX - T exte etabli, traduit et cornrnente par J . BEAUjEU,

Paris, Belles Lettres, 1988.

CICERON, Correspondance X - T exte etabli, traduit et cornmente par J. BEAUjEU,


CICERON, Correspondance XI - T exte etabli, traduit et cornrnente par J . BEAUjEU,


5.2 OUVRAGES GENERAUX ET MONOGRAPHIES

BERNETTM., C au sa ru m C ogn itio - C iceros A nalysen zu r p olitisch en K rise der sp iiten

Rom is chen Repub li k, Franz Steiner, 1995, 852p.

FLECKM., Cicero al s His tor iker , Stuttgart: Teubner, 1993, 303p.

LAURANDL ., « L'histoire dans les discours de Ciceron », in Ciceron, (2e ed. rev. et

corr.), Paris, Belles Lettres, 1935, 220p.

OPPERMANN 1., Zur F unktion historischer Beispiele In C ic ero s B rie fe n, Miin-

chen/Leipzig 2000, 338p.

5.3 ARTICLES DE REVUES

SLAUGHTERM. S., « Cicero and His Critics », The C la ss ic al J ou rn a l, 17,3 (1921),

pp.120-131.

HALLWARDB. L ., «Cicero Historicus », Cambr id g e H is to ric al J ou rn a l, 3,3 (1931),

pp.221-237.



JAEGER M., «Cicero and Archimedes' Tomb », The Journal of Roman Studies, 92

(2002),pp. 49-61.

ROBINSON E. A., « Cornelius Nepos and the Date of Cicero's De Legibus », Trans-

actions and Proceedings of the American Philological Association, 71 (1940), p.

524-531.

RAWSON E., « Cicero the Historian and Cicero the Antiquarian », The Journal of

Roman Studes, 62 (1972),pp. 33-45.

CICERON L’HISTORIEN - Valeur historique de son oeuvre epistolaire

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