Chute de L'Empire: Histoire Des Deux Restaurations Jusqu'à La Chute de Charles X

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    DELIX RESTALRATIONS

  • ' R I M E R I K r. LAVE. 1 A I L L K F EH ET C",

    Soffesscurs lie H. Kournier,

  • CHUTE DE L'EMPIUE

    HISTOIKK

    DEUX

    lIESTAll RATIONS.lUSQU A LA CHUTE DK CHARLES X

    ACHILLE DE VAIILABELLE

    DEUXIEME EDiriOS

    TOME OUATRIME

    PAIUSl'EltUOTIN, I-DITI-IIK |)K \A MKTIlODi: W ILIIKM

    ET II H va H l'UEO S

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  • HISTOIRE

    DES

    DEUX RESTAURATIONSJUSQU'A LA CHUTE DE CHARLES X

    CHAPITRE PREMIER

    Siuiation du gouvernement royal au 1er janvier 1816. Comits royalistes dans les dparte-ments, Dnonciations. purations dans les ministres de la marine, de la justice et de laguerre; catgories tablies par le duc de ?e\lrc. Scision de l81o-l8t6. Adresses desdeux Chambres au roi. Suspension de la libert individuelle. Loi sur les cris, les actes etles crits sditieux ; discussion et vote dans les deux Chambres. tablissement des coursyrvOtaks. Proposition dite d'amnistie, parM.de Labourdonnaie ; ses catgories; alarmesjetes dans' la population ; projet d'amnistie prsent par le ministre ; rapport de la com-mission; nouvelles catgories et nouvelles inquitudes; discussion et vote de la loi.Votes de monuments expiatoires Louis XVI, Louis XVII, Marie-Antoinette, madameElisabeth et au duc d'Enghien. Lecture, la Chambre des dputs, du testament de lareine ; discours de M. de Marcellus. Projet de loi lectorale ; premier rapport de M. deVillle; second rapport; amendements; discussion et vote de la loi dans la Chambre desdputs ; son rejet par la Chambre des pairs. Nouveau projet de loi lectorale. Rappel l'ordre de M. Forbin-des-Issarts Dmission de M. Laine comme prsident de la Chambre;il reprend ses fonctions. Discussion du second projet de loi lectorale; M. de Vaublanc sespare des autres ministres ; vole du projet.Loi du budget ; tableau des dpenses pour 1 81 6

    ;

    discussion souleve, l'occasion des bois de l'tat, entre le gouvernement et la commis-sion; le goiiverneraent renonce l'alination de ces bois; conomies adoptes par laChambre; caractre du budget de 1816; cration de la caisse d'amortissement; rta-blissement de la vnalit des offices. Plan pour la reconstitution de la fortune et de lapuissance du clerg. La congrgation; son origine; ses progrs; son inlluence dans laChambre des dputs. Augmentation des fonds allous au clerg ; suppression des pen-sions alloues aux prtres maris

    ;le clerg est autoris recevoir par donation ou testa-

    ment toute espce de biens ; rtablissement des proprits de mainmorte. La Chambredes dputs donne l'glise tous les biens de l'tat ayant appartenu aux anciens couventset au clerg. Abolition du divorce. Propositions pour donner aux vques la direction del'universit, aux desservants de chaque commune la tenue des registres de l'tat civilet pour rtablir le gibet. Clture de la session. Modification ministrielle Trenvoi dMM. de Vaublanc, Barb-Marbois et Guizot; leur remplacement pai- MM. Laine, Dambrayet Trinquelague. Dpche tlgraphique de Lyon.

    Le 1" janvier 1816, les armes coalises avaient vacu laplus grande partie du territoire, laissant la France demi rui-ne par une occupation militaire de cinq mois, courbe sous le

    IV. \

  • 2 1816.

    poids d'une contribution de guerre de plus d'un milliard, etlivre une dsorganisation morale ainsi qu' des passions poli-

    tiques qui auraient probablement emport une seconde fois legouvernement de Louis XVIII , s'il se ft trouv abandonn

    ,

    comme en mars 1815, au seul appui du parti royaliste. Ce partin'avait pas grandi durant les Cent- Jours; sa faiblesse, aprs

    Waterloo, tait la mme que la veille du dbarquement de Na-polon ; il y a plus : la dfaite encore inexplique du 18 juin ,la chute si rapide de l'tablissement imprial et de l'indpen-

    dance franaise, malheurs uniquement attribus par les masses des trahisons royalistes, venaient d'ajouter de nouveaux motifsde haine aux colres qui avaient prcipit la chute de la premire

    restauration. Les rgiments existants l'poque du retour de l'le

    d'Elbe se trouvaient, la vrit, dissous, et leurs soldats licencis;

    mais l'arme nouvelle, encore en voie de formation, ne prsentait

    qu'une force pour ainsi dire nominale. Dans cette position, la

    retraite des principales forces allies pouvait donc devenir le

    signal d'un nouveau soulvement fatal aux Bourbons : ce pril

    n'avait point chapp aux chefs de la coalition, et c'tait surtout

    dans le but de le conjurer qu'ils avaient laiss dans nos placesdu nord et de l'est cette garde de 150,000 hommes qui , durantcinq annes, devait protger, contre tout mouvement intrieur,

    le trne deux fois rtabli pai" l'Europe victorieuse.

    De leur ct, les adversaires de la rvolution et du gouverne-

    ment imprial avaient employ les cinq mois de l'occupation

    s'organiser. Enhardis par l'abattement que jetait dans toutes les

    Ames le douloureux spectacle de deux grandes catastrophes po-

    litiques et de deux invasions accomplies en moins de quinze

    mois ; forts , surtout , de l'appui des douze cent mille soldats

    trangers rpandus sur toute la surface du royaume , ils s'taient

    forms dans chaque ville, dans chaque bourgade, en comits

    royalistes, qui, s'efforant de substituer leur influence celle

    de l'administration suprieure , devaient bientt intervenir dans

    le choix, puis dans les actes des moindres autorits de chaque

    commune. Ns spontanment dans le midi , en groupes isols

  • 181G. 3

    d'abord, puis l'approchs, moins par des intrts semblables quepar un but conmmn,ces comits ne se composaient pas toujours,ainsi qu'on pourrait le croire, d'anciens privilgis rvant leretour des avantages politiques ou sociaux dont la rvolution lesavait dpouills. Des fonctionnaires destitus sous la rpubliqueou sous l'empire pour incapacit ou fnalversation, des propri-taires endetts ou ruins par les dissipations ou p^fi- le jeu , desngociants en tat de faillite, des avocats sans clientle, quel-ques femmes dcries, jusqu' des abbs, tous impatients devenger leurs rancunes ou leurs injures, de rtablir leur influenceou leurs fortunes perdues, voil quel tait, en beaucoup delieux, le personnel de ces runions. D'abord, leurs membress'occuprent d'avoir leurs ordres une sorte de force arme.Ces dsuvrs de place publique, que des habitudes de dbaucheet de paresse livrent la merci de tous les partis vainqueurs,fournirent promptement aux comits les instruments dont ilsavaient besoin; on les arma, et, dans nombre de villes, ilsfurent organiss en compagnies de garde nationale ou de volon-taires royaux, et transforms en auxiliaires actifs de la gen-darmerie. Une fois cette force cre, les royalistes de chaquelocalit proclamrent la ncessit d'purer toutes les fonctionspubliques; dans l'ouest, des chefs de bandes ordonnaient cespurations par des proclamations ainsi conues :

    t Au quartier gnral de Saiut-Jean-de-MonI, le 27 septembre 18(3.

    J'avais runi 1,^00 hoiiines de la division des Marais pour forcerles autorits suprieures laguer des places toutes les personnes quipouvaient tre contraires aux intrts de notre bon roi; je n'y ai pasdonn de suite par la promesse qui m'a t faite qu'on s'occuperait vive-ment les remplacer par de vrais royalistes. Si, sous quinze jours, ilreste encore dans les places de ces monstres d'iniquit qui ho cherchent se maintenir que pour trahir encore, je rassemblerai les braves gensque je commande et qui ont la plus grande confiance en moi , et je mar-cherai leur tte pour que justice soit faite.

    Le baron de Maynard, Commandant la garde nationale royale de-

    l'arrondissement des Sables.

  • 4 1816.

    Courbs hcliement (le^ ant ces injonctions et ces menaces, leschefs de chaque administration, dans la plupart des dparte-

    ments, n'avaient pas hsit frapper; mais le pouvoir dont

    ces fonctionnaires disposaient avait ses limites, et, quelle que

    ft leur soumission , il existait bon nombre de positions qui,par

    leur rang hirarchique, ou par la spcialit de la fonction,

    chappaient leur atteinte; alors on surmontait l'obstacle , soit l'aide de dnonciations imprieuses adresses aux ministres

    ,

    soit pai" des ptitions furibondes dposes sur le bureau de la

    nouvelle Chambre des dputs.Le temps avait manqu au ministre Foucli-Talleyrand pour

    subir l'influence des comits royalistes ; sa courte dure ne lui

    avait pas permis d'tendre le cercle de ses destitutions au del

    des prfectures, des sous-prfectures et des commandementsmilitaires; le systme d'puration, appliqu aux emplois de tous

    les degrs et de tous les ordres, devint la tche et fut l'uvre

    des successeurs de ce dplorable cabinet. Arrivs au pouvoir

    avec la mission d'imprimer aux hommes et aux choses du gou-vernement une direction royaliste nergique , ceux-ci , ds leurspremires communications avec les autorits dpartementales

    ,

    avaient, au reste, provoqu eux-mmes la dlation. Le gou-vernement, disaient-ils, a la ferme volont de rcompenser lesbons et de punir les coupables. Ce langage fut entendu, et lesaccusations se produisirent en si grand nombre, que, si l'onexcepte quelques branches de service exigeant dans les employsde longues tudes prparatoires ou des connaissances pratiques

    spciales , comme les ponts et chausses et les mines , l'enregis-

    trement et les domaines, il n'existait pas , dans les derniers joursde 1815, un seul fonctionnaire demeur en place durant les Cent-Jours dont on n'incrimint les intentions ou les actes, et dont la

    position ne se trouvt menace. On poursuivait la destitutiondes employs les plus humbles , d'un facteur de la poste

    ,

    par

    exemple, d'un courrier de la malle ou d'un dbitant de tabac,

    avec la mme violence que l'on mettait solliciter le l'envoi desfonctionnaires les plus levs. Chaque dnonciation , d'un autre

  • 1816. 5

    ct, tait une ptition; leur amour pour le roi et l'intrt de

    la cause royale , voil les seuls titres que faisaient habituelle-

    ment valoir les postulants; rarement ils invoquaient leur capa-

    cit. Les ministres et leurs dlgus s'inquitaient assez peu,

    d'ailleurs , de cette dernire garantie ; tous avaient pour maximequ'un employ se trouvait toujours assez capable quand il tait

    fidle; ils ne tenaient pas compte davantage de la moralit; dans

    leur passion , ils avaient chang mme la signification des mots;l'homme honnte

    ,

    pour eux , n'tait pas l'homme probe , maisl'individu qui se qualifiait royaliste, et le plus effront fripon,

    en s'abritant sous la bannire de ce parti, se voyait immdiate-ment rang

    ,par tous les adversaires de la rvolution , dans la

    classe des honntes gens.

    Ce systme d'exclusion aveugle porta la dsorganisation et le

    dsordre dans tous les services. Le personnel de notre marinemilitaire , entre autres , fut presque entirement renouvel ; onremplit les nouveaux cadres l'aide de ces vieillards , dbris

    de l'ancien corps de la marine royale,

    que l'ordonnance du 25mai 1814 avait rappels l'activit '. Le dpartement do la justicene possdait pas un semblable personnel de rechange : on a vu,

    dans un des prcdents volumes, que le petit nombre des ma-gistrats de l'ancien rgime , rests sans emploi aprs le consulat

    ,

    taient entrs en 1810 dans les rangs de la magistrature de l'em-

    pire. De nombreux et brusques changements, d'ailleurs, pou-vaient interrompre , en beaucoup de lieux , le cours rgulier dela justice. Enfin, la Charte avait assur tous les juges le bn-fice de l'inamovibilit. On pouvait donc ci'oire que le corps judi-ciaire chapperait aux purations; il n'en fut rien; la gaiantieinscrite en tei'mes formels dans la loi fondamentale, fut efface

    l'aide d'un subterfuge indigne. La Charte, en consacrant l'ina-movibilit des juges , dirent les sophistes de la chancellerie , apos un principe

    , mais elle a gard le silence sui" l'application;

    elle n'a pas dit si ce^irivilge a{)partiendrait aux magistats exis-

    1. Voyez t. II, chaft. u.

  • 6 . __ 816.

    tants lors de sa promulgation, ou bien seulement ceux qui

    seraient ultrieurement promus. D'un autre ct , en rservant

    expressment au roi, comme elle l'a fait, la nomination de tous

    les membres de la magistrature , la Charte , videmment , n'astipul qu'en faveur des juges institus par S. M. ; ne consejverontdonc leur sige, et ne seront ds lors inamovibles que ceux des

    titulaires actuels qui recevront XinsHiution royale. Les chefs

    du dpartement de la justice, par cette interprtation effronte,obtenaient un double rsultat : ils gagnaient le temps ncessaire

    pour se renseigner sur le pass et sur les opinions de chaque

    juge, et, par la peur des destitutions, s'assuraient la soumissionabsolue des tribunaux de tous les degrs.

    Le ministre de la guerre tait de tous les dpartements mi-nistriels celui que les circonstances soumettaient aux purations

    les plus larges; il n'en existait pas un , en revanche, o la ttichedu ministre ft plus facile ; le duc de Feltre pouvait donner l'limination les plus vastes proportions sans avoir mme pro-noncer une seule destitution ; tous les officiers de l'ancienne

    arme, par le fait du licenciement, se trouvaient effectivementprivs, sinon de leur grade j du moins de leur emploi. Un autrepersonnel, d'ailleurs , tait tout prt prendre leur place dans

    les nouveaux rgiments : non-seulement le ministre avait sadisposition ces nombreux mousquetaires

    ,chevau-lgers et gen-

    darmes de la maison du roi, licencis par l'ordonnance du l'^' sep-tembre sur la cration d'une garde royale; non-seulement il

    avait pourvoir ces chefs vendens, bretons, provenaux etnormands, ces anciens migrs, soldats de l'arme de Coud oude l'arme des Princes, auxquels le gnral Dupont avait si lib-

    ralement distribu en 18 ii des brevets de tout grade, jusqu'des brevets de gnraux de division ; mais l'absence de toute dis-position lgislative rglant l'tat des officiers et les conditions

    de leur avancement, lui permettait d'improviser les cadres de

    toute une arme. Nous avons dit ailleurs le pass du duc deFeltre , son trange fortune militaire et sa honteuse servilit.

    Son royalisme de frache date s'exaltait encore au souvenir de

  • 1816, 7

    quelques dmarches faites , aprs le 20 mars,

    pour rentrer engrce auprs de Napolon qui l'avait repouss. Si ce ministrel'avait os, pas un seul des officiers ayant servi sous la rpu-blique et sous l'empire, ne serait entr dans l'arme nouvelle;

    il ne dpendit pas de lui , du moins,que les rangs n'en fussent

    impitoyablement ferms tous les braves gens engags dans lepatriotique effort des Cent-Jours.

    Une premire ordonnance, puis une dcision, dates l'uneet l'autre du 12 octobre 1815 , avaient charg d'exatniner laconduite des officiers de tout grade ayant servi sous L'usurpation

    ,

    une commission compose du marchal Victor,

    prsident , des

    lieutenants-gnraux comtes Lauriston et BordesouUe, du mar-chal de camp prince de Broglie , du sous-inspecteur aux revuesDuperreux, du commissaire ordonnateur Chefdebien, et du che-valier de Querelles, secrtaire. Le chevalier de Querelles, ancien

    chef dans les bandes royalistes de l'ouest , et le prince de Bro-

    glie,ancien migr , n'avaient jamais servi dans les rangs de

    l'arme nationale ; le comte BordesouUe tait l'un des gnrauxqui avaient dcid la dfection -du 6" corps dans la nuit du kau 5 avril 181i ; le marchal Victor avait rejoint Louis XVIII Gand. Quatre membres sur sept se trouvaient donc forcmenthostiles aux officiers des Cent-Jours ; une telle composition aurait

    sans doute prsent, tout autre qu'au duc de Feltre, des garan-ties de rigueur suffisantes ; lui-mme , d'ailleurs, avait choisi lescommissaires ; au bout d'un mois

    ,

    pourtant , il parut se mfierde leur svrit

    ,car le 6 novembre il transmit la commission

    les instructions que nous allons analyser.

    Aprs avoir dclar que l'intention du roi, en instituant lacommission

    ,tait d'carter du tableau d'activit les hommes

    dangei'eux , capables de corrompre encore l'esprit des troupes

    ,

    et d'tablir une distinction ncessaire entre les officiers qui

    s'taient associs avec empressement l'attentat de l'usurpateur,et ceux qui avaient seulement cd un exemple funeste

    ,le

    miiiistre ajoutait que le travail de la commission devait serduire constater la conduite de chaque officier et dsigner,

  • 8 _ 1816.

    d'aprs cet examen , la classe dans laquelle il fallait le ranger.

    Ces classes taient gradues d'aprs la culpabilit des faits; lespremires comprenaient les officiers qui l'indulgence du roilaissait encore l'esprance de rentrer un jour dans l'arme;ceux qui devaient en tre exclus composaient les dernires. Cette

    classification tait ainsi tablie :

    I''"' classe: Officiers-gnraux, officiers de tous grades et de toutesarmes , administrateurs et employs militaires ayant abandonn le ser-vice vingt jours aprs l'arrive de Buonaparte

    ;

    2'^: Ceux qui, sans quitter le service, ont refus de prter serment l'usurpateur ou d'adhrer Vacte additionnel;

    3": Ceux qui ayant prt serment ou sign Vade additionnel^ ontexpi cette faute par une dmission volontaire

    ;

    4: Ceux qui, d'abord entrans dans la rbellion, ont abandonn lacause de l'usurpateur avant le retour du roi;

    5 : Les officiers ajant accept du service, mais destitus comme sus-pects au gouvernement de Buonaparte

    ;

    6*: Ceux rests au service , mais contre lesquels il existe des dnon-

    ciations qui honorent leur attachement la cause du roi;

    7^: Ceux qui tant en non-activit l'poque du 20 mars, n'ont fait

    ensuite aucune demande de service;

    8"^: Les officiers de tous grades et les administrateurs militaires ayantconserv la destination qu'ils avaient avant le dpart du roi, et n'en ayantpoint sollicit de nouvelle;

    9^: Les officiers ayant fait un service sdentaire dans les j)laces de

    l'intrieur;

    iO"": Ceux qui ont sollicit de l'usurpateur des grades et des rcom-penses ou la confirmation des rcompenses et des grades qu'il avait pluau roi de leur accorder

    ;

    11

  • 1816. 9

    du roi d'en ouvrir les portes, l'ont refus et se sont exposs tous les

    dangers d'un sige ; 5 ceux qui ont march contre les troupes royalesrassembles dans l'intrieur; 6'' les officiers de tous grades, les admi-

    nistrateurs et employs militaires , convaincus d'avoir insult l'effujiedu roi ou des princes ; 7^' enfin , les officiers demi-solde qui ont volon-

    tairement quitt leurs foyers pour se joindre l'usurpateur et qui l'ontaccompagn Paris.

    Tous les officiers inscrits sur les contrles de l'arme au

    20 mars 1815, se trouvaient compris dans l'une ou l'autre de

    ces vingt et une catgories'; la classification de chacun d'eux

    dans ce tableau pouvait guider le gouvernement dans son indul-

    gence ou dans ses exclusions; mais exclure ou suspendre ces

    officiers ne suffisait pas : il fallait constituer immdiatement lepersonnel destin composer les cadres des rgiments alors en

    formation ; il tait ncessaire, d'un autre ct, d'examiner les

    titres de cette foule de Vendens, d'migrs, de royalistes dumidi et de volontaires de Gand, qui rclamaient le droit exclusif

    d'occuper tous les grades de la nouvelle arme, depuis le gradede sous-lieutenant jusqu' celui de lieutenant-gnral. Le 23 oc-tobre, le duc de Feltre avait confi cette dernii-e tche uneseconde commission compose du comte Beurnonville , membredu gouvernement provisoire en 181V, prsident, du prince deLa Trmouille et de M. d'Andign, anciens chefs vendens, duduc de Caylus, ancien migr, du marchal de camp Deconchy,prsident du conseil de rvision qui avait rejet le pourvoi deLabdoyre, et du gnral Paultre de Lamothe, royaliste defrache date , attach au nouveau rgime de toute la haine ver-se dans son me par quelques mots sanglants , reproches m-rits, que Napolon lui avait publiquement adresss sur lechamp de bataille de Dresde. Ce fut d'aprs les tableaux dressspar ces deux commissions d'examen que le ministre de la guerrearrta les nouvelles nominations. Nous aurons dire plus tard

    I. La seule classe qui n'y fii;iire pas, est celle des ofiiciers ayant accom-pagn Napolon i'ile d'Elbe ; une dcision spciale les avait dclars raysdes contrles de l'arme et dchus de tous dioils une pension de retraite ou un traitement quelconque.

  • 10 1816. -

    quels choix tranges furent le rsultat de cette double enqute,

    laquelle se trouva soumise , mais dans des formes moins pr-

    cises et moins officielles , la plus grande partie du personnel des

    autres administrations. Oisons, ds prsent, que si ce travail

    d'universelle puration atteignait les citoyens dans leur position

    et dans leur fortune, du moins leur libert, leur vie, leur hon-

    neur, restaient lgalement protgs par la Charte et par la lgis-

    lation existante. Mais des lois crant de nouveaux tribunaux, de

    nouveaux dlits et de nouveaux crimes, tablissant des pour-

    suites plus promptes , une pnalit plus svre , et des sentences

    plus rapides, allaient bientt enlever cette garantie au pays et le

    livrer toutes les violences du parti qui , depuis vingt-trois ans,attendait impatiemment l'heure de venger ses dfaites contre

    les hommes et les principes de la rvolution. Ces lois taient lapart rserve par les racteurs la Chambre des dputs et la Chambre des pairs ; les rponses de ces deux assembles audiscours prononc par Louis XVIII l'ouverture de la session,annoncrent qu'elles ne failliraient pas cette triste tche.

    La Chambre des pairs parla la premire; le 13 octobre 1815,aprs une discussion o le duc d'Orlans prit la parole plusieursfois, et dont nous aurons nous occuper 5 l'occasion des vne-

    ments de Grenoble,cette Chambfe disait au roi : Nous nous

    pressons tous autour de ce trne tutlaire devenu l'autel de la

    patrie ; nous y portons sans doute des vux d'amour et non

    des ides de ressentinient : mais nous sommes dans la parfaite

    (( confiance que Votre Majest saura toujours concilier, avec les bienfaits de sa clmence, les droits de la justice; et nous ose- rons humblement solliciter de son quit la r l ribution nces- saire des rcompenses et des j^eines, l'excution des lois exis- tantes et la puret des administrations publiques. Le lende-

    main U, la Chambre des dputs, son tour, parlait ainsi: C'est notre devoir. Sire, de solliciter votre justice conti'e ceux

    qui ont mis le trne en pril ; nous vous en supplions au nom

    (1 de ce peuple mme, victime des malheurs dont le poids l'ac- cal>le. Qne ceux qui, aujourd'hui encre, encourags par Vim-

  • 1816. 11

    vpunit, ne craignent pas de faire parade de leur rbellion, soient livrs la svrit des tribunaux. La Chambre concourrac( avec zle la confection des lois ncessaires l'accomplisse-

    ment de ce vu. Ces lois ne se firent pas attendre. Ds lesurlendemain IG, M. Barb-Marbois, ministre de la justice, pr-

    sentait la Chambre des dputs un projet de loi qui dfinissaitles cris, les discours et les crits considrs dsormais commesditieux, et dterminait les peines encourues par leurs auteurs.

    Deux jours plus tard, le 18, M. Deca/es, ministre de la police,soumettait de son ct, la mme assemble, un second projetde loi ayant pour but : 1 de donner au gouvernement le droitde dtenir sans jugement et jusqu' l'expiration de la loi , toutindividu arrt comme prvenu de crime ou dlit contre la per-sonne ou l'autorit du roi, les personnes de sa famille ou la s-ret de l'tat ; 2^ et d'obliger donner caution de bonne con-duite, ou s'loigner de son domicile et rsider dans un lieu

    dsign, tout individu contre lequel il n'existerait pas de graves

    motifs de prvention. Ce projet de loi ne renfermait que quatrearticles; M. Decazes en avait proclam l'urgence; ti'ois joursaprs sa prsentation , le 21 , le rapporteur de la commissioncharge de son examen, M. Bellart, en proposait l'adoptionpure et simple. Aprs avoir longtemps argument de la lgis-lation romaine et de la maxime caveant consules , il avait ter-min son rapport en disant : Bien des gens ne manquerontpas de gmir hypocritement sur le tort qui pourra tre fait lalibert prive, et de se jeter dans des abstractions mtaphy-siques pour calomnier une mesure dont il n'est pas un seulhomme de bien qui ne sente qu'elle est indispensable ; rpon-dons ces dclamateurs par l'adoption du projet de loi tel qu'ila t prsent. La discussion s'ouvrit le sui'lendemain 23

    ;

    MM. Royer-Collard et Pasquier proposrent des amendementstendant changer quelques-uns des termes du projet. Lesmandats dcerner contre les prvenus ne pourront l'tre quepar \?, fonctionnaires qui la loi confre ce pouvoir, disaitl'article 2. Or, non-seulement la lgislation existante rrcon-

  • 12 1816.

    naissait quatre espces de mandats : mandats de comparution

    ,

    A'amener, de dpotai 'arrt , mais elle accordait, en outre,la facult de dcerner les uns ou les autres de ces mandats,ou bien le droit d'arrestation , une foule de fonctionnairestels que les gardes champtres et les gardes forestiers, lescommissaires gnraux et les simples commissaires de police,les maires et leurs adjoints, les officiers de gendarmerie, lesprocureurs royaux, leurs substituts et les juges d'instruction.M. Koyer-Collard voulait que la loi nouvelle prcist, qu'elle

    dsignt les mandats dcerner, et que le droit de les dlivrerft exclusivement donn aux projets. M. Pasquier, accusant ga-lement le vague des termes du projet, demandait que la facultde lancer les mandats appartnt , Paris , au ministre et au pr-fet de police ; dans les dpartements, aux prfets et aux procu-reurs gnraux. Cet ancien ministre de la justice avait un autrescrupule :

  • 1816. 13

    port par cet accueil inattendu, rpte : Oui, Messieurs, fa

    France veut son roi! Et, trois fois, de longues salves d'applau-

    dissements lui rpondent. M. Decazx'S prit enfin la parole sur

    les amendements; il les repoussa comme inutiles. D'un ct,

    dit le ministre de la police, on reproche la loi de confrer de

    trop grands pouvoirs au gouvernement ; de l'autre on se plaint

    de ce qu'elle laisse les citoyens sans garanties. Aprs les v-

    nements qui se sont passs il y a huit mois, l'autorit doit tre

    arme de pouvoirs extraordinaires ; il est ncessaire que son

    action soit rapide. En second lieu , est-il pour les citoyens une

    garantie plus forte que la bont et les vertus du prince auguste

    qui nous gouverne ? Les hommes que ne rassurerait pas une pa-reille garantie sont ceux prcisment que la loi doit atteindre.

    Cette trange argumentation dcida la Chambre; on procda

    immdiatement au vote : 294 voix contre 56 , livrrent au ca-

    price et l'arbitraire du gouvernement la libert de tous les

    citoyens ; ce vote, dbut de la Chambre dans la carrire de rac-

    tion lgale qu'elle allait parcourir, fut accueilli par de longs et

    nombreux cris de Vive le roi! partis de tous les bancs.Le lendemain 24, eut lieu le rapport sur le projet de loi re-

    latif aux cris, aux discours et aux crits sditieux. Ce projet,qui cependant crait toute une nouvelle srie de faits prtendus

    sditieux, avait excit un profond mcontentement dans laChambre; on lui reprochait de qualifier tous ces faits non decrimes, mais de simples dlits, justiciables des seuls tribunaux

    de police correctionnelle , et punissables seulement d'un empri-

    sonnement de trois mois cinq ans , de l'interdiction des droits

    civils et politiques, et de la surveillance de la haute police. De

    telles dispositions, disait-on, quivalaient l'impunit; oser les

    prsenter une Chambre royaliste tait une insulte , une sortede trahison. La Chambre, d'ailleurs, avait plusieurs sujets deplainte contre M. Barb-Marbois. Ainsi, par une prcaution,

    commune de nos jours , mais alors sans exemple , ce ministre

    ,

    pi'emier prsident de la cour des comptes au moment de son ad-mission dans le cabinet, persistait laisser cette haute position

  • 14 1816.

    vacante, afin de pouvoir y rentrer quand il sortirait du minis-

    tre. Ce honteux calcul indignait tous les vieux gentilshommes

    de l'assemble. D'un autre ct, ce n'tait pas sans humeur queles fervents catholiques de la Chambre voyaient le ministre con-

    server comme secrtaire gnral de son dpartement M. Guizot,

    qui M. Pasquier, sous le prcdent cabinet, avait confi cette

    position influente. Ils rendaient justice aux bonnes intentions

    de ce secrtaire gnral et lui tenaient compte de sa passion mo-

    narchique, de ses efforts pour purer et royaliser la magistra-

    ture, ainsi que du voyage qu'il avait fait Gand, aprs sonrenvoi du ministre de l'intrieur des Cent-Joui-s, le 13 mai

    picdent '; mais tous ces mrites ne pouvaient compenser,

    leurs yeux , le tort de sa croyance religieuse : M. Guizot tait nprotestant. Enfin, M. Barb-Marbois , en apportant le projet la Chambre , s'tait fait accompagner, titre de commissaire duroi charg d'en soutenir la discussion, par M. Portails, que

    Napolon, lors de sa rupture avec le pape, avait, il est vrai, chass

    du conseil d'tat, connue ml d'obscures intrigues religieuses,mais qui, durant les Cent-.lours, et dans l'intrt de sa position

    de premier prsident de la cour impriale d'Angers, s'tait mis la tte de la fdration de son dpartement. Le chef des

    Jdrs de Maine-et-Loire se trouvait ainsi charg de solliciter,au mois d'octobre 1815, la rpression de cris, de discours etd'crits que lui-mme provoquait et auxquels il applaudissaitau mois de juin prcdent. Si un tel changement de rle tait

    facilement accept par quelques dputs mls, comme M . Bai'b-Marbois, aux faits de la rpublique et de l'empire, en revanche,

    un trs-grand nombre de membres,qui tenaient prcisment

    honneur de n'avoir jamais vari depuis 1789 dans leurs opudonsni dans leur conduite, ne voyaient, dans la prsence de M. Por-

    tails au banc des commissaires du roi,

    qu'un acte d'impudeur

    et d'audace. Les discussions de la commission charge d'exa-

    miner le projet ministriel, se ressentirent de tous ces griefs;

    1. Voy.z t. 11, cliap. vi.

  • - 1816. - 15

    ses dispositions subirent un remaniement complet. La commis-

    sion, entre autres modifications, changea la qualification lgale

    de tous les faits et aggrava leur pnalit. Il faut que les peines

    soient pi'oportionnes aux dlits , dit le rapporteur, M. Pas-

    quier; il faut surtout que la promptitude de l'exemple inspire

    un effroi salutaire ceux qui seraient tents d'imiter les cou-

    pables. Il entre dans notre systme d'amendements d'tablir,

    pour certaines classes de dlits, des peines infamantes. Ces

    peines, dans l'tat actuel de la lgislation , ne peuvent tre infli-

    ges que par les cours d'assises ou par les cours spciales;

    mais la procdure devant celles-ci serait trop ralentie par la

    ncessit de faire juger par la Cour de cassation les questionsde comptence. Nous avons d donner la prfrence aux coursd'assises jusqu' l'organisation des cours prvtales, organisa-lion gnralement dsire par tous les amis de l'ordre et de

    la paix publique , et dont s'occupe M. le garde des sceaux.

    M. Pasquier dveloppa ensuite le systme de pnalit formul

    par la commission. 11 dit que les peines correctionnelles tant

    insuffisantes dans le plus grand nombre de cas, ses collgueset lui avaient d choisir entre le bannissement, les travauxforcs et la dportation

    ;que le bannissement leur avait sembl

    une peine peu prs nulle pour des gens sans aveu, la plu-

    part, certains toujours de trouver une existence pareille celle

    qu'ils auraient perdue, partout o ils porteraient leurs braset leur industrie, et qui, sortis du royaume par une porte,pourraient chaque instant rentrer par l'autre; qu'oblige dechoisir entre les travaux forcs et la dportation, la commissionavait adopt cette dernire peine comme plus grave que la pre-mire et plus approprie la nature des crimes qu'il s'agissait depunir. N'cst-il pas juste, s'criait le rapporteur l'occasion dece choix, que celui qui aura voulu renverser les institutions les

    plus sacres, branler le trne auguste sur lequel reposent toutesles esprances de notre avenir, soit jamais exclu de cette terresur laquelle il est indigne de vivre, et aille consumer, sous un

    ciel lointain , cette vie qui ne lui a t donne que pour le mal-

  • 1() 1816.

    heur de sa patrie et la honte des siens! Tous les condamns devaient, en outre, subir une forte amende, chAtiment , ajoutait\{) rapporteur, auquel ils seraient bien plus sensibles qu' la pri-

    son, car la plupart ne connaissaient pas la honte et ne verraient

    dans la dtention qu'un moyen de vivre dans l'oisivet. Enfin

    ,

    M. Pasquier proposait de laisser aux juges de tous les degrs lafacult de priver les fonctionnaires civils et militaires en activit

    ou en retraite, de tout ou partie de leurs traitemeits ou pensions,

    M. Pasquier ne s'tait pas content de faire connatre la

    Chambre que le ministre de la justice s'occupait du rtablisse-ment des cours prvtales ; il avait ajout que tous les amen-dements proposs par la commission avaient reu l'approbation

    du gouvernement. Cette dclaration fut confirme par M. Barb-Marbois

    ,

    qui donna immdiatement lecture la Chambre d'unprambule destin prendre place en tte du projet amendpar la commission , et dans lequel il tait dit que le gouver-

    nement aurait voulu laisser aux tribunaux ordinaires la rpres-

    sion de tous les dlits ; mais qu'aprs d'aussi longs troubles , et

    lorsque les passions s'agitaient encore, il y avait ncessit,

    pour les comprimer, d'adopter des formes plus simples, despeines plus fortes et une justice plus rapide; que la juridictiondes cours prvtales ayant en sa faveur l'exprience des temps

    et les plus heureux rsultats , semblait exige par les circon-

    stances; que le conseil d'tat s'occupait en ce moment des

    moyens de la rtablir, et qu'en attendant que son travail ft

    soumis la dlibration des Chambres, le roi avait ordonn, etc.

    Suivaient les articles amends; M. Pasquier en donna lecture

    la Chambre. La discussion commena le 27. M. Humbertde Ses-maisons ouvrit le dbat par un discours passionn o il deman-dait que les condamns la dportation fussent transportshors du continent europen, et que, dans plusieurs cas, lors de

    l'rection d'un drapeau tricolore, par exemple, la dportation

    ft cliange en peijie de mort. Un avocat de Paris, M. Piet ',

    1. Ih^puis consfillor la Cour ilo cassalion.

  • 1816. 17

    appuya cette dernire proposition ; son langage, loin de respirer

    la colre qui clatait sous toutes les paroles du prcdent ora-teur, affectait, au contraire, une alluie railleuse, presque

    badine : Je propose, dit M. Piet en terminant son discours,

    l'adoption de la loi telle qu'elle est , mais avec une lgre inter-

    version dans les termes des deux premiers articles , la substitu-

    tion de la j}eine de mort celle de la dportation ; ce change-

    ment, comme vous le voyez, est bien peu de chose. La Chambrese mit rire; le dput qui remplaa M. Piet la tribune futmoins heureux; ce membre entreprit de dfendre le travail dela conuuission conti'e les changements proposs par les prc-

    dents orateurs; il osa hasarder ce blme indirect : Sans doutel'rection du drapeau tricolore sera punie de la peine de mort si

    cet acte se lie quelque complot ; mais, doit-on donc tendre

    cette svrit des hommes gars, qui n'auront arbor lescouleurs proscrites que dans un moment d'ivresse ou de colre?De violents murmures l'interrompirent. Les orateurs entendus

    aprs lui furent mieux couts; tous accusrent la faiblesse desdispositions pnales du pi'ojet mme amend. M. Goin-Moisant,entre autres, proposa de remplacer ces dispositions par l'chelle

    pnale suivante : Dix ans de travaux forcs pour les cris , les

    discours et les crits sditieux,

    profrs ou publis isolment,

    qui ne seraient suivis d'aucun effet , et ne se lieraient aucun

    comjylot ; dans le cas o ils seraient concerts, et lors mmequ'il n'y aurait eu aucun commencement d'excution, la mort ;en cas de commencement d'excution, la peine des parricides ;

    pour les simples outrages ou les calomnies contre la famille

    royale, et selon la gravit des cas , cinq ans de travaux forcs,

    les travaux perptuit, la mort.

    Quatre mois auparavant, le 15 juin, le jour mme o Napo-

    lon franchissait la Sambre et entrait en lutte avec l'armeprussienne

    , une proposition avait t lue la Chambre des re-

    1. Les parricides marchaient au supplice les pieds nus et la tte couverlod'un voile noir; ils entendaient ensuite la lecture de leur arrt, debout surTcliafaud; puis, le bourreau leur coupait le poing et leur tranchait la tte.

    IV. 2

  • 18 181G.

    prsentants pour la rpression des cris , des discours et des

    crits sditieux dirigs contre le gouvernement imprial , le

    chef de l'empire et les membres de sa famille. Les cris de vive

    Louis XVlll! vivent H Bourbons! ou toute autre provocation la rvolte taient punis d'un simple emprisonnement de six

    jours un an ; ces provocations , suivies d'effet , entranaient larclusion. Quant aux imputations calomnieuses et aux injuresdiriges contre l'empereur et les princes de sa famille , leurs

    auteurs n'taient passibles que des peines encourues pour les

    injures et les calomnies diriges contre les simples particuliers.

    Les deux poques sont tout entires dans ce rapprochement.

    La demande de la peine des travaux forcs se renouvela plu-sieurs fois dans le cours de la discussion ; une notable partie de

    la Chambre, d'accord avec le gouvernement et la conunission

    ,

    repoussait ce chtiment. Un des commissaires, M. Pardessus,

    dans un discours qui termina la sance du 27, dveloppa en ces

    termes les motifs de cette rpugnance : Les travaux forcssont la peine prononce contre les voleurs , contre les crimesvils et bas qui ne supposent pas mme de l'audace ; cette peinedshonore lesJamiUes; or, il n'est pas un de nous, peut-tre,

    qui ne compte parmi les siens un de ces malheureux gars.

    Le lendemain, 28, M. de Saliaberry , le prince de Broglie et

    M. de Castelbajac insistrent de nouveau pour l'application dela peine capitale tout individu convaincu d'avoir arbor un

    drapeau tricolore. Eh quoi ! s'cria le prince de Broglie , onne punirait pas de mort l'rection de ce drapeau abominable

    ,

    que je ne nonnuerai pas, tant son nom me rpugne prononceret me rvolte ! M. de Saliaberry demanda , en outre

    ,que la

    peine de la dportation emportt la confiscation de toutes lesproprits du coiidanm. Un autre dput , M. Michelet ( de laCreuse), proposa de n'autoriser la mise en libert dfinitivedes prvenus de crimes, acquitts par les cours d'assises

    ,que

    lorsqu'ils auraient ensuite comparu devant les tribunaux correc-

    tionnels, comme accuss, au moins, de simples dlits. Enfin, on

    ferma la discussion gnrale, et M. Pasquier, rapporteui', fut

  • 1816. 19

    charg de la rsumer. Quelques phrases de son discours firent

    clater les applaudissements de la Chambre; il rpondait, dans

    ce passage, une observation de M. de Kergorlay, sorte de

    proteslation des anciens privilgis contre la disposition de la

    loi qui plaait au nombre des discours sditieux les alarmes r-

    pandues sur l'inviolabilit des proprits dites nationales, ainsi

    que les bruits annonant le rtablissement de la dme ou des

    droits fodaux. Une loi peut-elle disposer de l'avenir? s'tait

    cri cette occasion M. de Kergorlay. Ni le roi, ni les Cham-

    bres,ne peuvent garantir l'ternit d'une disposition politique.

    Dieu lui-mme, s'il le pouvait, ne le voudrait pas; car il terait

    aux hommes la libert qu'il leur a donne. Ces rflexions,rpondit M. Pasquier, sont sans doute justes et vraies; mais

    elles pourraient tre dangereuses , car elles porteraient faire

    croire qu'il n'y a rien de solide, rien d'ternel. Or, jamais lesides de stabilit ne furent plus importantes qu' notre poque,

    et nous devons penser que la maison de Bourbon rgnera surla France pendant un grand nombre de sicles. (De longs ap-plaudissements se font entendre). Oui! Messieurs, ajoute lerapporteur au milieu de l'enthousiasme de l'assemble , ter-nit! voil toujours ce qu'il faut voir. Rome a subsist des mil-liers d'annes parce qu'elle s'appelait la ville ternelle! Le gou-vernement des Bourbons sera le gouvernement ternel ! Pro-phties de courtisan, profitables toujours leurs auteurs, maissi souvent fatales aux gouvernements assez aveugles pour s'y

    confier ! M. Pasquier avait galement promis une ternelle dure l'empire et mme la premire restauration , ce rgne ph-mre de dix mois : malgr ses prdictions, ces deux pouvoirstaient tombs; le prophte, en revanche, restait debout, neprvoyant pas que, quinze ans plus tard, il saluerait de nou-veau le drapeau tricolore de ses acclamations, et que, fidle

    adorateur de la fortune , on le verrait au premier rang des ser-viteurs de la royaut qui prendrait violemment la place du gou-vernement proclam par lui le gouvei-nement ternel ! Dudbat qui s'tablit ensuite sur les articles, nous ne citerons qu'un

  • 20 1816.

    incident o M. Hyde de Neuville fit intervenir la mission deMM. de Lafayette, Sbastiani et de Pontcoulant auprs des

    souverains allis, ainsi que les ouvertures faites par eux en fa-

    veur du duc d'Orlans '. L'article k du projet dclarait sditieux

    le ftt d'invoquer le nom de Vusurpatcur ou de quelqu'un de

    sa famille. M. de Labourdonnaie ayant fait observer que le

    mot usurpateur ne suffisait pas , et qu'il fallait dire un usurpa-

    teur, ou tout autre rebelle, M. Hyde de Neuville ajouta : J'ap-puie la proposition ; rappelez-vous l'poque dsastreuse de la fin

    de juin et des preniieis jours de juillet : qu'allaient demander lesfactieux qui osaient porter leur infamie et celle de leurs com-

    plices dans les camps de Vtranger? tait-ce l'usurpateur? Non !

    mais un usurpateur ; car il leur importait fort peu que ce ft

    Buonaparte ou quelqu'un des siens... La Chambre, sur la

    proposition de M. de Marcellus , adopta les termes suivants :

    le nom de l'usurpateur, de quelqu'un de sa famille, ou de

    tout autre chef de rbellion.

    La loi ne frappait pas seulement les nouveaux dlits de peines

    afflictives et infamantes, elle prononait, en outre, des peines p

  • 181G. 21

    du nombre des vivants,par la dportation , les condamns pour

    crits ou discours sditieux ', de les ruiner eux et leurs familles

    ou de leur enlever tout moyen d'existence par les amendes oupar la suppression de leurs traitements ou pensions; cette loi de

    colre n'avait pas puis ses rigueurs. Par un odieux abus de

    l'omnipotence lgislative, elle svissait, on outre, de toute sa vio-

    lence, contre les provocations indirectes aux faits qualifis parelle de crimes et de dlits. Quels cris, quels mots, quels actes de-vaient constituer cette provocation indirecte? Comment dcou-vrir les rapports existant entre un cri ou un mot innocent dansleur signification matrielle , et les dlits ou les crimes punis par

    la nouvelle loi? Comment tablir qu'une parole , une phrase, ouun acte n'ayant aucune relation directe, saisissable, avec ces

    crimes et ces dlits taient cependant une provocation indirecte

    les commettre? Aucun membre de la Chambre ne s'en inquita ;pas une voix ne protesta contre cette facult effrayante donneaux juges de changer le sens prcis

    ,

    positif des mots et des pen-

    ses, et d'y substituer un sens tout oppos; nul ne fit observer

    que lorsqu'il s'agit de l'application de lois criminelles prononant

    sur la fortune , la libert et l'honneur des citoyens , c'est ou-

    trager la raison humaine et se jouer des droits les plus saintsque d'abandonner la constatation lgale et la preuve de la faute

    l'interprtation arbitraire de magistrats quelquefois ineptes,

    et souvent passionns; loin de l, deux membres, un avocat g-nral

    , M. Trinquelague , et l'ex-garde des sceaux Pasquier, ne

    craignirent pas d'ajouter encore la violence de cette loi et del'exagrer jusqu' l'absurde en proposant et en faisant adopterun amendement qui dclarait sditieux et punissait comme telsles crits ou discours annonant qu'un fait

    ,qualifi crime ou

    dlit par la loi nouvelle, serait ou avait t commis ^ La Chambre

    1. La dportation entrane avec soi la mort civile.2. C'est le mme M, Pasquier qui, aid par M. le procui-eur gnral Hbert

    ,

    a rtabli de nos jours la criminalit par intention, sous le titre de com-plicit morale, dans un rcent procs devant la Cour des pairs. (AffaireDupoty.)

  • 22 1816.

    procdai ensuite au vote dfinitif; le nombre des votants tait

    de 362 : la loi fut adopte par 293 voix contre 69.

    Cette loi, qui devint la source des jugements les plus iniqueset de nombreux malheurs privs, fut soumise, le 3 novembre,

    la Chambre des pairs. Six jours auparavant , le 27 octobre

    ,

    cette Chambre avait adopt , sans amendement et presque sansdbat, le projet relatif la suspension de la libert individuelle.Le projet sur les discours et les crits sditieux rencontra plusd'opposition ; il fut vivement combattu par plusieurs pairs,

    membres de l'ancien snat ; M. de Chateaubriand se fit gale-ment remarquer par la chaleur de son langage; mais, dominpar une passion exclusive, il ne vit dans la loi qu'un seul article,

    celui qui dclarait sditieuses les alarmes rpandues sur l'invio-

    labilit des biens nationaux , ainsi que l'annonce du rtablisse-

    ment des droits fodaux ; il le repoussa comme impolitique

    ,

    barbare, absurde. Gardant le silence sur toutes les autres dis-

    positions du projet et les autres catgories de dlits et de prve-nus, il plaida uniquement en faveur des anciens migrs : Dans

    l'tat actuel des choses, dit-il, l'article 8 atteindra l'infortun

    qu'un acqureur jaloux aura surpris versant quelques larmes

    ,

    exhalant quelques soupirs sur la tombe de son pre ; tran de-vant les tribunaux par la calomnie, jug parla passion, il y perdral'honneur, le seul bien qui lui restait. Emprisonn aprs vingtans d'exil et condamn une amende , vous lui rendrez doncpour la payer les biens qu'il n'a plus ! Et qu'on ne dise pas que

    l'article ne puisse tre ainsi interprt. La disposition vague qui

    assimile aux dlits noncs dans les articles prcdents tous dis-

    cours contenant des provocations indirectes ces dlits , en don-

    nant penser qu'ils ont t ou qu'ils se/on/' commis, ne rend que

    trop probable cette interprtation , et tout cela pour calmer des

    inquitudes qu'aurait calmes, si elles pouvaient Vtre , la pro-

    messe formelle de la Charte ! pour touffer le bruit toujours ins-parable d'une grande injustice ! pour imposer un silence que

    rompraient , au dfaut des hommes , les pierres mmes qui ser-vent de bornes aux hritages dont on veut rassurer les posses-

  • 1816. 23

    seurs!... M. Desze, premier prsident de la Cour de cassa-

    tion, partagea cette piti bruyante pour les anciens migrs

    rvant la reprise de leurs biens et le rtablissement de l'ancien

    rgime; mais si ce magistrat accusait la loi d'une criante sv-

    rit l'gard de celte classe de prvenus, il lui reprochait une

    faiblesse coupable en faveur des accuss des autres catgories ;indulgent pour les premiers, il tait sans misricorde pour

    les seconds ; aucune peine , ses yeux , ne se trouvait trop

    forte pour ceux-ci : Et c'est aprs vingt-cinq ans de dsastres,

    s'cria-t-il,

    que l'on proclame, pour de pareils coupables, une

    si funeste indulgence! Mais les publicistes les moins svresont toujours pens que la mort tait la seule peine convenableaux attentats qui ont pour objet la destruction du corps poli-tique. D'o peut donc venir cette piti cruelle qui, pour par-gner un coupable, expose des milliers d'innocents! On dit quel'intention ne doit pas tre punie comme le fait; mais est-cedonc l'vnement qui fait le crime, et celui qui a mdit la ruinede l'tat ne l'aurait-il pas opre s'il en avait t le matre? Vous

    le punirez de la dportation ; mais s'il chappe pour consommerle crime qu'il avait projet, quels seront alors vos regrets, votredsespoir? La lgislation de tous les peuples est d'accord ce

    sujet avec nos anciennes lois; tous punissent de mort les atten-tats contre la sret de l'tat. Les souvenirs de la vie de

    M. Desze semblaient devoir lui imposer plus de tolrance; cen'tait pas lui do professer une doctrine o se retrouvait commeun cho de ce mot fameux : Tiez- ! les ni or fs seuls 7ic reviennentpas ' / Mais bien qu'elle eut vivement applaudi l'orateur, la Cham-bre n'osa prendre la responsabilit de l'application de la peinecapitale des intentions isoles, des penses; la loi futadopte sans amendement le 7 et pronmigue le 9,

    La premire loi adopte par les Chambres mettait la libeit detous les citoyens la merci des ministres et de leurs agents

    1. M. Desze devait sa haute et rcceiUc foriune au choix (jue MM. de Males-lierbes et Trouchet, dfenseurs de Louis XVI, avaient fait de lui pour lesaider dans leurs plaidoiries devant la Convention nationale

  • 24 1816.

    de tous les ordres ; la seconde , dont nous venons d'analyser la

    discussion,livrait la rpression arbiti-aire des tribunaux tout

    crit, toute parole , le moindre mot pouvant constituer, nous ne

    dirons pas une tentative de dsobissance , mais l'intention , la

    pense d'une opposition quelconque au nouveau rgime ; le Code

    pnal , d'un autre ct , dans son luxe de dfinitions et de pna-

    lits l'gard des complots et des attentats dirigs contre le

    gouvej-nement , embrassait tous les cas possibles de rsistancematrielle ou de lvolte effective. Tous les dlits , tous les ci'imes

    nouveaux que l'on entendait punir se trouvaient donc lgalement

    tablis ; les peines taient fixes ; on s'occupa de crer les tribu-

    naux et les juges chargs de les appliquer. MM, Pasquier etBai'b-Marbois avaient annonc que des cours prvtales seraientla juridiction laquelle on confierait la mise en uvre de lalgislation nouvelle. Si la rdaction du projet d'institution entraitdans les attributions du ministre de la justice , d'un autre ctces tribunaux , sortes de cours martiales o intervenait l'lmentmilitaire , ressortissaient sous quelque rapport au ministre de

    la guerre ; on divisa le travail ; les bureaux de la chancellerieprparrent la loi , et ce fut le duc de Feltre qui la prsentale 17 novembre la Chambre des dputs. Le projet dont ildonna lecture, divis en cinq titres et en cinquante-cinq articles,portait en substance qu'une cour prvtale compose d'un prvtpris parmi les officiers de terre et de mer

    ,ayant rang de colonel

    au moins, puis d'un prsident et de quatre juges choisis parmiles membres du tribunal de premire instance du sige , seraittablie dans le chef-lieu de chaque dpartement ; que ces coursprocderaient contre tout individu

    ,quelle que ft sa profession

    ,

    civile,militaire ou atifre

    ,

    qui serait prvenu , soit d'un crimeou d'un dlit attribus par les lois antrieures aux cours sp-ciales, soit de i-beliion ou de runion sditieuse, soit d'avoirfait partie d'une bande arme ou de lui avoir fourni des armes

    ,

    des munitions ou des vivres; d'avoir arbor un signe de rallie-ment ou un drapeau autre que le drapeau blanc, publi des crits,prononc des discours , ou profr des cris exprimant la menace

  • 1816. 25

    d'un attentat contre la personne du roi ou les membres de sa

    famille , excitant les citoyens s'armer contre l'autorit royale

    ou provoquant son renversement. Les vols et les actes de

    violence qualifis crimes par le Code pnal taient encore jus-

    ticiables de ces cours quand ils taient commis , soit pai- des

    militaires en activit ou en demi-solde, soit par des militaires

    congdis ou licencis , mais seulement , quant ceux-ci , pen-

    dant l'anne qui suivait leur licenciement ou la dlivrance de

    leur cong. Tous les individus justiciables de ces cours, alors

    en prvention pour des faits antrieurs la publication de la

    loi , seraient renvoys devant elles. L'instruction des affaires

    tait remise au prvt assist d'un juge faisant fonction d'as-sesseur; la poursuite n'avait pas seulement lieu en cas de fla-

    grant dlit ou sur la rumeur publique , le prvt devait suivre

    sur toutes les plaintes ou dnonciations prives qui lui seraient

    adresses soit directement, soit par l'intermdiaire de tous les

    officiers de police judiciaire du dpartement. Dans le cas de

    contestation sur la comptence de la cour par un des prve-

    nus , le jugement de ce dclinatoire tait remis la cour elle-mme, la condition, toutefois , lorsqu'elle dclarerait sa com-ptence , de soumettre sa dcision la cbambre des mises en

    accusation de la cour royale du ressort, laquelle pron.^ncerait

    ,

    toute affaire cessante , en derniei' ressort et sans recours en

    cassation. Le prvt n'avait pas seulement la facult de se

    transporter partout o pouvaient l'appeler Us besoins de l'in-struction ; la cour elle-mme , sur la seule rquisition du prvtou du procureur du roi

    ,

    pouvait se transporter, siger et jugersur le lieu mme du crime ou du dlit. Enfin, les arrts renduspar ces cours taient en dernier ressort, sans recours en cassa-

    tion, et excutoires dans les vingt-quatre heures.

    Malgr la multiplicit de ces dispositions et la gravit desattributions confres aux hommes composant ces commissionsdemi-militaires, telle tait la hte de la Chambre mettre cettearme terrible aux mains du gouverniMuent, que quelques jourssuffirent l'examen du projet dans les bureaux et au travail de

  • 26 1816.

    la rommission charge d'en faire le rapport l'assemble. Cerapport , o la commission ne proposait que des modificationsinsignifiantes , fut lu par M. Delamarre dans la sance du 1"

    dcembre ; le 3 , la discussion commena ; le 4 , elle tait termi-ne. Les cinquante-cinq articles du projet avaient t adoptspresque sans dbat. Un seul incident mrite d'tre signal :L'article 46 limitait le droit de grce aux seuls condamns recom-mands par les cours prvtales elles-mmes la clmence dusouverain. M. Hyde de Neuville rclama avec chaleur contrecette restriction monstrueuse ; ce fut en vain ; la Chambre , dansle dlire furieux qui l'emportait , refusa au monarque le libre

    exercice de ce droit de grce , le plus lev , le plus saint de tous

    ceux que donne la couronne , et dont l'usage , en certaines cir-constances

    ,suffirait sauver la mmoire d'un mauvais roi. Le

    vote sur l'ensemble du projet eut ensuite lieu ; il fut adoptpar 290 voix contre 13. Une circonstance peut expliquer la rapi-

    dit du dbat, ainsi que le petit nombre des membres qui osrentrepousser cette loi de sang. Durant les deux sances consacres

    sa discussion , quelques pas seulement du palais o dlib-raient les dputs

    ,la Chambre des pairs procdait au jugement

    et la condamnation du marchal Ney. Devons-nous ajouterque le conseiller d'tat charg de soutenir , au nom du gouver-nement

    ,la discussion de la loi sur les cours prvtales

    ,et qui

    combattit en faveur de toutes ses dispositions,

    tait un savant

    illustre, dont le caractre , ainsi qu'il arrive trop souvent , tait

    trs-infrieur l'intelligence , un homme de gnie , faible decur, facile la crainte, ambitieux d'honneurs et de distinctions,

    Georges Cuvier?

    Quelles que fussent la violence et la rigueur des lois dj votes

    par la Chambre, elles ne donnaient pourtant qu'une satisfactionincomplte aux passions et aux colres du plus grand nombrede ses membres. Sans doute ces lois suffisaient la dfense et

    la scurit du nouvel ordre politique; mais en garantissant, dans

    le prsent et dans l'avenir, la punition des adversaires de la

    royaut, elles laissaient le paxs sans chtiment. La faiblesse est

  • 1816. 27

    toujours cruelle. Si , au retour de l'le d'Elbe , Napolon , grand

    par le cur comme par l'intelligence, fort de la force que lui don-

    naient les sympathies populaires , son patriotisme et son gnie,

    avait ddaign de se ressouvenir, et dclar qu'il Inissait l'his-

    toire les lchets et les trahisons, causes de sa premire chute',

    il tait difficile que les royalistes couvrissent du mme oubli lajourne du 20 mars, leur dispersion si prompte et la fuite si pr-cipite de leurs princes. Ces vnements accusaient trop ouver-

    tement l'inintelligence et la dbilit politique de ce parti pour

    qu'il ne ft pas impatient de les venger. Aussi les dputs les plus

    fougueux sollicitaient-ils incessamment des ministres la punition

    des gnraux , des administrateurs , mme des simples citoyensmls ce patriotique effort des Cent-Jours

    ,qui , sans la dfec-

    tion des gnraux Bourmont et Clouet, le 15 juin, sans les fautes

    du gnral Drouet d'Erlon, des marchaux Ney, Soult et Grou-chy, les 16 et 18, et assur la chute des Bourbons et bris la

    coalition. Les ministres s'effrayaient la pense de ces ven-

    geances ractionnaires. Quels faits punir? O s'arrter dans ladsignation des coupables? L'empereur avait eu la France entire

    pour complice ! Le cabinet abritait son embarras derrire le der-

    nier article de l'ordonnance du 24 juillet , lequel dclarait

    close la liste des individus susceptibles d'tre poursuivis pour

    faits de rvolte ou de trahison antrieurs au 23 mars , et interdi-

    sait toute poursuite envers toutes autres personnes pour quelque

    cause et sous quelque prtexte que ce pt tre. Par une singu-

    lire bizarrerie , Foucli , toujours lger et irrflchi , avaitrdig cette ordonnance en termes si contradictoires

    ,que c'tait

    en s'appuyant galement sur elle que les racteurs exigeaientune nouvelle proscription lgale ; ils disaient : L'article 2 dcide

    formellement que les Chambres statueront sur ceux des indi-vidus compris dans cet article qui devront ou sortir du royaumeou tre livrs la poursuite des tribunaux; or, ces individus

    attendent encore la dcision de la Chambre; on ne peut les

    1. Voyez les paroles adresses par l'empeiviir l'ancien snat, aprs leOmai's, t. IF, chap. vi.

  • 28 18H).

    laissor dans cette incertitude, il faut fixer leur sort. M. de

    Labourdonnaie tait un des plus ardents promoteurs de ces

    mesures ; las des hsitations du ministre , et perdant patience

    ,

    il avait pris l'initiative, et dvelopp, le 10 novembre, en comit

    secret, une proposition tendant tendre et complter, sous

    le titre trange d'amnistie, les listes de proscription inscrites

    dans l'ordonnance du 2i juillet. Cette proposition, que la Chambn;prit en considration dans son comit du lendemain 11 , portait

    en substance qu'il y aurait amnistie pour tous ceux qui direc-

    tement ou indirectement avaient pris part la conspiration du1" mars et tous les faits de rbellion accomplis depuis cette

    poque jusqu'au 8 juillet,jour de la rentre du roi , l'excep-

    tion toutefois : 1 des titulaires des grandes charges administra-

    tives et militaires qui avaient constitu le gouvernement des

    Cent-Jours; 2" des gnraux, commandants de place ou decoi'ps , et des prfets qui avaient pass l'usurpateur , fait

    arborer son drapeau ou excut ses ordres; 3" des rgicides qui

    avaient accept des places de l'usurpateur, sig dans les deux

    Chambres ou sign Vacie additionnel. Les individus compris dansles deux premires catgories d'exception devaient tre imm-diatement arrts et traduits , savoir : les militaires

    ,devant les

    conseils de guerre,et les magistrats , fonctionnaires publics et

    les simples citoyens, devant les tribunaux comptents pour ytre jugs et condamns aux peines prescrites par l'article 87 duCode pnal [la mort) ; ceux compris dans la troisime catgorie(les rgicides) devaient tre galement arrts et traduits devantles tribunaux comptents et condamns , par adoucissement

    ,

    la dportation [mort civile) ; enfin les revenus des contumacesseraient squestrs

    ,dposs la caisse des consignations , et ne

    pourraient tre remis leurs familles qu'api's les dlais fixspour la mort pi'sume des absents.

    Trois propositions analogues, dposes par MM. Duplessisde Grendan , de Bouville et de Germiny, furent galementaccueillies par la Chambre et renvoyes la commission charged'examiner la proposition de M. de Labourdonnaie, Cette com-

  • 1816. 29

    mission, compose de MiM. Berthier de Sauvif^ny, de Villle,Chifflet, Corbire, Humbert de Sesmaisons, Feuillant, Alde-gonde , Pardessus et Jollivet, nomma M. Corbire pour son rap-porteur, et se mit immdiatement l'uvre. Malgr le secretdont elle s'efforait d'entourer ses dlibrations , mme l'garddu gouvernement

    ,

    quelques dtails transpiraient pourtant dans

    certains salons politiques et se l'pandaient ensuite au dehors,

    grossis et exagrs , ici par la haine , l par la peur. Les excep-

    tions proposes par M. de Labourdonnaie vouaient la mort ou la dportation onze douze cents personnes ' ; on racontait

    (|ue les commissaires, largissant encore les bases de la pro-scription, entendaient y comprendre des classes entires decitoyens dont on confisquerait, en outre, tous les biens meubles

    et immeubles, dans le but de disninuer d'autant la part de con-tribution de guerre supporte par les Franais lests fidles. Cen'tait plus par centaines , disait-on , mais par milliers que l'oncompterait les proscrits. Ces bruits portaient la terreur et la

    dsolation dans toutes les familles ; chacun se croyait menac

    ,

    sinon dans sa personne, du moins dans quelqu'un des siens.L'inquitude devint si gnrale et si forte qu'elle gagna jusqu'auxmembres du cabinet. Mais domins par l'emportement des autrespouvoirs publics et par les passions souleves autour d'eux, ab-

    sorbs, du moins M. de Richelieu, par les dbats de l'accablanttrait du 20 novembre, alors en ngociation, les ministres gar-daient le silence ; vainement les reprsentants trangers eux-mmes, que ce dlire de vengeance efl'rayait, pressaient le pr-sident du conseil et ses collgues de s'interposer entre la Chambreet le reste de la population ; les ministres n'osaient se prononcer :on et dit qu'ils attendaient, poui- prendre une rsolution, l'issuedes procs, alors pendants, du comte Lavalette et du marchalNey, esprant sans doute que la Chambre, aprs le sacrifice deces deux nouvelles victimes, se montrerait moins implacable,sinon assouvie. Nous avons racont ailleurs l'motion cause pai*

    t. Un crivain contemporain affirme que des calculs dresss dans les i)uroaii\du ministre de la police portaient ce chiffre plus de 1,100 individus.

  • 30 - 1816.

    les dbats judiciaires o le prince de la Moskowa trouva sa con-danuiation et la mort. L'arrt n'ayant t rendu que dans la

    nuit , la population parisienne avait connu l'excution en mmetemps que la sentence; on n'tait point prpar ce coup si ra-

    pide, cette chute si haute ; la sensation fut profonde, et, si l'on

    en excepte les royalistes les plus fanatiss, le sentiment domi-

    nant parmi les habitants de Paris, dans la journe du 7 d-cembre, fut l'pouvante et la stupeur. M. de Richelieu et ses

    collgues, avertis de cette impression, rsolurent de placer sous

    la protection de l'vnement la proposition d'une loi d'anmistie

    srieuse, et le lendemain 8, un mois aprs le dpt de la pro-

    position de M. de Labourdonnaie , ils apportrent la Cham-bre, ds l'ouverture de la sance, un projet dont les termes,compars avec ceux de la proposition, taient effectivement desdispositions de clmence. Le cabinet mit une sorte de solen-

    nit dans cette dmarche, dont pas un dput, assure-t-on

    ,

    n'tait averti ; tous les ministres arrivrent la fois , et ce fut

    au milieu de l'tonnement et du silence de toute l'assemble que

    M. de Richelieu, aprs avoir annonc qiCun grand exemple d'unejuste svrit venait d'tre donn, exposa les motifs du projet deloi. Le langage du premier ministre , dans cet expos , avait uneviolence qui contrastait avec la teneur des articles dont il donnaensuite lecture ; voulait - il prparer ceux - ci un accueil plus

    facile? on l'a dit. Quoi qu'il en soit, ces articles , au nombre desix

    ,portaient en substance : qu'une amnistie pleine et entire

    tait accorde tous ceux qui, directement ou indirectement,

    avaient pris part la rbellion et l'usurpation de NapolonBuonaparte

    ;que l'ordonnance du 24 juillet prcdent continue-

    rait toutefois tre excute l'gard des individus compris dans

    l'article l*^"^'; quant ceux dsigns par l'article 2, ils seraient

    tenus de sortir de France dans le dlai de deux mois, et ne pour-

    raient y rentrer sans la permission expresse du roi; que tousles membres ou allis de la famille Buonaparte et leurs descen-

    1. Cel .irlicle ordoimnit leur arrestation et leur companilion devant lesconseils de guerre.

  • 1816. 31

    dants,jusqu'au degr d'oncle et de neveu inclusivement, taient

    exclus perptuit du royaume et ne pouvaient y possder ni

    biens, ni rentes, ni pensions; que l'amnistie n'tait pas appli-

    c

  • 32 1816.

    M. Corbire , avocat Rennes, tait plbien. Son nom parat

    pour la premire fois. Ce dput, et un autre membre de laeonnnission, obscur gentilbomme gascon, M. Joseph de Villle,

    taient destins un rle influent dans le gouvernement nou-

    veau. L'un et l'autre taient arrivs fort ignors la Chambre

    et fiiisaient partie d'un groupe assez nombreux de lgistes ou de

    fonctionnaires de second ordre,

    qui , laissant leurs collgues

    titrs, grands propritaires, magistrats, officiers-gnraux ou

    gens de cour, les distinctions, les honneurs et les distractions

    bruyantes , s'efforaient de conqurir une position politique par

    les discussions des bureaux et le travail des commissions. Dous

    d'une persvrance intelligente, verss dans la connaissance des

    lois et des menus dtails de l'administration publique , ils avaient

    bientt acquis sur leurs collgues l'influence qui appartient aux

    hommes laborieux, aux esprits actifs et pratiques. D'abord sol-dats obscurs et presque ddaigns de l'arme royaliste, ils

    devaient finir par la commander. Il est vrai de dire qu'ils se

    trouvaient puissamment aids par l'ignorance o taient deshabitudes des assembles dlibrantes , des rgles du gouvei-

    nement constitutionnel, et mme des termes de la langue par-lementaire, ce grand nombre d'anciens migrs ou de notabi-lits nobiliaires de province qui peuplaient la Chambre. Cette

    ignorance tait telle, au dbut de la session, que rarement

    une sance se passait sans que quelques-uns de ces dputs

    tombassent dans les mprises les plus tranges l'occasion de

    questions de j)riorit, ( ordre du jour, d'amendement ou desous-amendement. Souvent, par exemple, la signification pr-

    cise d'un vote de question pralable leur chappait , et ils pro-

    nonaient oui quand ils voulaient dire non. Ils ne s'inquitaient,

    au reste, que d'une chose, reconstituer la monarchie et ven-

    ger sur les hommes de la rvolution et des Cent-Jours la chutede l'ancienne royaut et l'exil de Gand. La commission, sous

    ce rapport, reprsentait fidlement les passions du plus grandnombre des dputs; aussi l'examen de la proposition minis-trielle fut-il, pour ses membres, une affaire de pure forme;

  • 1816. 33

    ils se bornrent reprendre et complter leur premier tra-

    vail, travail presque achev lorsque M. de Richelieu avait pr-

    sent sa loi; et, le 27 dcembre, M. Corbire vint lire laChambre son rapport , sorte de plaidoyer fort tendu dans lequella trivialit des expressions le disputait la vulgarit de la pen-

    se,et o l'auteur s'efforait de cacher sous des mots empreints

    de modration , les doctrines les plus violentes. M. de Richelieu,

    dont les connaissances en histoire ne dpassaient probablement

    pas la science des gens de collge et des gens du monde , avaitessay d'abriter l'uvre ministrielle sous le nom de Henri IV,nom que le parti royaliste , sur l'autorit de quelques vers de

    Voltaire, invoquait comme un symbole de clmence. M. Cor-

    bire, bibliomane passionn, possdait une instruction assez

    tendue ; il ne voulut pas laisser au projet des ministres le b-nfice de ce patronage, et rpondit que si Henri IV avait

    effectivement publi une amnistie en 1594,

    il ne fallait pas ou-

    blier que, postrieure de cinq ans son avnement au trne

    ( 1589 ) , cette amnistie avait t prcde par des exils et par descondamnations nombreuses. Il fit ensuite connatre les amen-dements introduits par la commission ; en voici l'analyse : laconmiission conservait les deux premiers articles du projet mi-nistriel ; elle admettait galement le troisime , lequel statuait

    que les trente-huit individus compris dans l'article 2 de l'ordon-nance du 2i juillet seraient tenus de sortir du royaume dans undlai de deux mois, mais elle ajoutait cette peine la privationde tous les biens , titres et pensions eux concds titre gra-tuit ; le quatrime article du projet amend exceptait , en outre,de l'amnistie : 1 les complices du retour de Napolon en France

    ;

    2 les individus ayant accept de lui, avant le 23 mars , les fonc-

    tions de ministres ou de conseillers d'tat, ainsi que les prfetsqui l'avaient reconnu avant la mme poque ; 3" les marchauxet les gnraux qui s'taient dclars en sa faveur avant sonentre Paris; h" les gnraux ayant combattu contre les ar-mes royales. Non-seulement tous les individus compris dans cesexceptions devaient tre poursuivis et punis conformment aux

    IV. 3

  • 3V 1810.

    lois, mais les agents du ti'soi-, intervenant dans chaque pour-

    suite, de\ aient, en ouli'e, requrir contre chaque condamndes indemnits applicables au paiement des contributions extra-

    ordinaires de guerre. Tous les membres de la famille imprialeet leur descendance, exclus perptuit du royaume, perdaient

    tous droits civils , ne pouvaient y conserver des biens d'aucune

    sorte , taient obligs de vendre , dans un dlai de six mois , les

    proprits de toute nature qu'ils pouvaient y possder, et de-

    vaient sortir de France dans le dlai d'un mois , sous peine de

    mort. Enfin, les rgicides ayant accept un emploi pendant les

    Cent-Jours , ou sign l'acte additionnel, frapps galement d'ex-clusion perptuelle , taient tenus de quitter la France dans le

    dlai d'un mois , sous peine de dportation , et perdaient tous

    droits civils, ainsi que les biens, titres et pensions eux concds titre gratuit.

    Lorsque M. Coi'bire eut quitt la tribune , un grand nombrede dputs se prcipitrent vers le bureau du prsident dans lebut de prendre rang pour parler dans la discussion. Pendant que

    les secrtaires inscrivaient les noms ', une foule de voix, parties

    de tous les cts de la salle, demandaient que la discussion s'ou-vrt ds le lendemain

    ;quelques observations du prsident firent

    remettre le dbat au 2 janvier.Si le projet de loi prsent par M. de Richelieu avait mo-

    mentanment assoupi les alarmes causes par la proposition deM. de Labourdonnaie, ces alarmes, qui s'taient promptement

    rpandues de Paris dans tout le royaume, se rveillrent avecune nouvelle force lorsque l'on connut les amendements pro-poss par la commission. Les commissaires avaient emprunt M. de Labourdonnaie une partie de ses catgories, et le cerclede leurs exceptions se trouvait encore assez tendu pour at-teindre bon nombre de personnages politiques lallis au nou-veau rgiuK; : entre autres, un membre de la Chambre des pairs,M. Mole, conseiller d'tat le lendemain du 20 mars, et qui avait

    1. Le cliiiit (les (Ic'puls inscrils dans ceUe sance s'leva hi.

  • 1816. 35

    cru sans doute trouver un sr abri contre toute l'cchcrche der-

    rire son vote de mort dans le procs du marchal Ney: unmembre mme de la Chambre des dputs, le duc de Gate(Gaudin), ministre des Gnances le 21 mars; enfin, un des mi-nistres, celui des finances, le comte Corvetto, conseiller d'tatiprs le 20 mars, comme M, Mole. On peut juger par ces exem-ples de la position et du nombre des individus qui , le 2 janvier,lors de l'ouverture de la discussion , tremblaient pour leur for-

    tune,leur vie, ou leur libert '.

    Cette discussion occupa cinq sances; les quatre premires

    furent consacres l'examen gnral de la loi; MM. du Bot-deru, de Labourdonnaie, Blondel d'Aubers, de Castelbajac,de Bouville, Pai'dessus , de Sallaberry , Chiflet et Feuillant , se

    prononcrent avec violence en faveur des amendements de lacommission : Vous suivrez les instructions prcises de vos

    commettants, dit M. du Botderu; vous n'couterez pas ces so-phismes, cette philantropie funeste qui n'est qu'une imposture

    dans la bouche de vos ennemis ; hsiter punir serait une faute ;les amendements de la conmiission satisfont toutes les objec-tions raisonnables. La divine Providence, toujours augustedans ses dcrets, profonde dans ses desseins, s'cria M. de La-

    bourdonnaie , lirre enfin dans vos mains les meurtriers de vos

    rois, les assassins de vos familles, les oppresseurs ternels de la

    libert franaise, comme si la justice suprme les avait rservs, travers tous nos dsastres, pour prouver d'une manire irrsistiblela vanit de la prudence humaine et la perfidie des curs sansremords. Ces hommes, aujourd'hui qu'ils sont vaincus et dsar-ms, invoquent une gnrosit qu'ils ne connurent jamais ; ilsrclament l'oubli d'un pass toujours prsent leur mmoire :ils rclament l'amnistie de la Charte pour des crimes qui lui sontpostrieurs, comme si les forfaits devaient jouir d'une ternelleimpunit, comme si l'auguste pardon dont ils taient couverts,

    1. Une liste dresse par le ministre de la police et mise sous les veux deLouis XVIII, portait le nombre dos personnes atteintes par le projet de lacommission 850 individus.

  • 36 1816.

    semblable au sceau de rprobation plac par l'ternel au front

    (lu premier fratricide, suspendait la justice des hommes pour lesrserver aux vengeances ternelles. Mais non ! les remords de

    Can n'assigent pas ces curs endurcis; combls d'honneurs

    et de richesses, la porte de leurs palais est assige par une foule

    d'esclaves ; un parti nombreux , formidable par son ensemble

    ,

    plus dangereux par son aveugle rage, demande impatiemmentle signal de la rvolte ; et vous, magistrats pusillanimes, lgisla-

    teurs sans prvoyance, vous verriez les complots de ces hommesdevenus l'opprobre de la nation, et vous ne les puniriez pas'

    C'est en tirant une ligne de dmarcation entre le crime et lafaiblesse que vous replacerez la nation au rang d'o elle est

    descendue. Les ministres n'ont se reprocher dj que trop delenteur et d'indulgence; cette Chambre, l'lite de la nation, l'es-prance de tous les vrais Franais, ne se sera pas runie, je l'es-

    pre, pour tre tmoin de nouveaux malheurs : son nergie saurales prvenir. M. de Labourdonnaie , en concluant , se contenta

    d'appuyer les amendements de la commission. M. de Bouville semontra moins accommodant ; il accusa les commissaires d'unecoupable tideur : Si je ne connaissais pas la courageuse pers-

    vrance avec laquelle la commission a conduit ses travaux, dit-il,je croirais qu'elle s'est laiss gagner par cette contagion de mol-lesse qui semble tre l'apanage de l'poque o nous sommes. Car,si j'examine les exceptions qu'elle a fixes

    ,

    je me demande dequelle excuse peuvent couvrir leur crime ceux qui se sont grou-ps autour de l'usurpateur aprs son arrive, les administrateursqui lui ont apport en tribut la province dont ils devaient compteau roi, et tous ces gnraux, tous ces officiers, qui tenant leursarmes du roi, les ont mises au service de Buonaparte? Ondit trop peu en disant que la mollesse est le caractre de notrepoque, ajouta un autre membre ; c'est une profonde indiffrencequi existe pour le bien comme pour le mal. N'avons-nous pas vudes hommes, complices du 20 mars, non-seulement affirmer,mais croire srieusement qu'ils pouvaient tre innocents? MM. de Germiny, Simon, Ganilh, Royer-Collard, de la Mai-

  • 1816. 37

    sonfoi't, Dufort (Gironde), Colomb (Hautes-Alpes), Michelet(Creuse), Pasquier et de Serre, repoussrent les amendementsde la commission et votrent pour le projet de loi tel que l'avaientprsent les ministres. N'osant, toutefois, combattre de front lesdoctrines de leurs adversaires, critiquant chaque amendementde la commission dans son application et dans ses dtails pluttque dans son principe , ils faisaient ressortir le vague de cettecomplicit dans le retour de Vile d'Elbe

    ,qui laissait une si large

    part l'arbitraire, ainsi que la contradiction et l'injustice desdispositions qui dclaraient certains actes innocents ou coupables

    selon qu'ils dataient du soir ou du matin ; enfin, ils se rcriaientavec force sur les indemnits que les agents du fisc, dans chaqueprocs, devaient requrir au profit de l'tat ; ces indemnits, leurs yeux, taient le rtablissement de la confiscation. M. Royer-

    Collard, caractre lev, royaliste convaincu, fit entendre

    cette occasion quelques paroles empreintes d'une vritable lo-

    quence : Les confiscations, nous ne l'avons pas oubli, sont

    l'me et le nerf des rvolutions, dit-il; aprs avoir confisqu

    parce que l'on a condanni, on condamne pour confisquer. [Mur-mures.) Je parle du pass, non du prsent. La frocit se rassa-sie; la cupidit jamais. Les confiscations sont si odieuses que larvolution elle-mme, en plus d'une circonstance, a rendu lesbiens des condamns. De grands coupables, d'ailleurs, ont djsubi la peine capitale : seront-ils l'abri de la confiscation, ou

    doit-elle les atteindre? Faites-les donc sortir du tombeau et rap-pelez-les devant leurs juges afin qu'ils entendent de leur bouchecette condamnation qui ne leur a pas t prononce ! Messieurs,l'amnistie remplit le vu de la nation (voix nombreuses : non !non!) ; elle a t promise par le roi et ne peut tre rtractesans pril, je dirai plus, sans honte. Le pardon royal promis oupropos, c'est le pardon lui-mme; si la Chambre l'altre, saresponsabilit sera grande devant l'Europe et la postrit.

    Le paragraphe concernant les correspondances avec l'ile d'Elbe

    laisse une latitude effrayante, sinon la justice, du moins auxpassions, dit son tour M. Michelet. L'usurpateur avait environ

  • 38 1816.

    1,500 personnes avec lui; que chacune d'elles ait crit quatre

    individus seulement en France, voil 6,000 individus dans le cas

    d'tre inquits. La seconde catgorie comprend ceux qui ontaccept les fonctions de ministres ou de conseillers d'tat avantle 23 mars ; celui qui a accept le 22 au soir est ds lors coupable,

    et celui qui n'a accept que le 23 au matin se trouve iimocent.Deux heures d'intervalle dcideraient de la culpabilit.

    D'un autre ent, le prfet qui, plac peu de distance de Paris,

    aura obi le 22 Buonaparte, ajouta M. Pasquier, sera coupablequand le prfet qui

    ,

    plac aux extrmits du royaume , se seradclar le 2i ou le 25, la premire nouvelle, sans mme y treinvit, se trouvera innocent! Pourquoi, d'ailleurs, traiter lesgnraux plus favorablement que les fonctionnaires civils? Ceux-ci ne sont excusables qu' dater du 23 et les premiers sont am-nistis aprs le 20; c'est le contraire qui devrait avoir lieu.

    Les exceptions l'amnistie avaient surtout pour but d'atteindre

    et de punir les auteurs et les complices prtendus du retour del'ile d'Elbe; cet vnement datait peine de quelques mois; ilavait eu la France entire pour tmoin ; on pouvait croire dslors que nu! n'ignorait que la marche triomphale de Napolon,depuis le golfe Juan jusqu' Paris, tait l'uvre exclusive dupeuple des campagnes et des villes , des sous-lieutenants et des

    soldats. Mais telles sont trop souvent les erreurs ou les illusions

    des contemporains l'gard des faits accomplis sous leurs yeux,

    que tous les orateurs entendus sur la loi d'amnistie , soit qu'ils

    fussent les adversaires ou les partisans des rigueurs sollicites

    par la commission , se trouvrent d'accord pour accuser de la

    journe du 20 mars les hauts fonctionnaires militaires et civils

    ,

    ainsi que les membres des deux Chambres des Cent-Jours;c'est--dire les hommes prcisment qui , loin d'avoir prpar ousoutenu ce patriotique effort, l'avaient, au contraire, entrav,

    puis annul par la trahison. Ceux-ci bnficirent, au reste, de

    l'aveuglement gnral ; trompe par les folles colres des roya-listes, l'opinion publique a longtenips salu connue les dfenseurs

    intrpides de l'honneur national et de l'indpendance franaise

  • 1816. 39

    cette foulo de poltrons ineptes et de tratres qui, aprs avoir pr-

    cipit Napolon du trne , s'taient ensuite empresss de livrerParis et la France l'ennemi. Aujourd'hui mme , aprs trenteans , l'erreur n'est pas encore compltement dissipe.

    L( 5 janvier, la Chambre ferma la discussion gnrale et ren-voya le rsum du rapporteur au lendemain , malgr les rcla-mations de M. Domingon de Bronsac, qui demandait que l'as-semble ne siget pas le 6, cause de la/eVe des Rois, ftequ'il avait clbre dans les cachots , disait-il , sous les yeux

    mme des farouches tyrans de 93. Aux murmures qu'avaientexcit , depuis le commencement des dbats , la plupart des cri-tiques diriges contre les amendements de la commission ; auxapplaudissements qui avaient encourag les orateurs partisansdes catgories, il tait facile de prvoir que M. Corbire main-tiendrait ses premires conclusions. Le rapporteur ne trompa

    point l'esprance des racteurs les plus passionns : vainement

    les trois membres du cabinet les plus favorablement couts parla Chambre, MM. de Vaublanc, Decazes et Dubouchage, invo-quant tour tour la parole du roi dans la proclamation de Cam-brai et dans l'ordonnance du 24 juillet , ainsi que sa volont per-sonnelle formellement exprime , taient venus successivementsolliciter l'adoption pure et simple du projet ministriel , M. Cor-bire ne fit aucune concession et dclara que la commission per-sistait dans tous ses amendements. Les ministres rsolurent detenter un dernier effort ; M. de Richelieu, immdiatement aprsle rsum du rapporteur, se leva, pria le prsident de sus-pendre la sance et quitta la salle, suivi de MM. Decazes et Vau-blanc,

    Cet incident porta au comble l'motion qui agitait les nom-breux spectateurs accourus cette sance. Les tribunes pu-bliques taient littralement encombres ; une foule de per-sonnes lies par l'affection ou par le sang aux gnraux et cette masse de fonctionnaires de tous les ordi'es que menaaient

    les amendements de la commission, y attendaient dans uneanxit cruelle le sort rserv leurs parents ou leurs amis ;

  • 40 1810.

    l'inquitude n'tait pas moins vive dans une partie mme de laChambre,

    Il n'avait jusqu'alors exist dans l'assemble ni majorit niminorit proprement dites; tous les projets de lois prcdentsavaient obtenu la presque unanimit des voix. D'ailleurs, parmajorit et minorit, on dsigne habituellement la runion desdputs qui soutiennent un cabinet ou qui le combattent; orla lutte , dans cette circonstance , n'tait pas engage entre leministre et une opposition quelle qu'elle ft, mais entre lesministres et les membres de la commission

    ,qui , les uns et les

    autres, poursuivaient la mme politique et rclamaient au mmetitre la confiance de l'assemble. Par cela seul pourtant qu'ils

    essayaient de modrer en un point les passions qu'eux-mmesavaient exaltes , les ministres se fussent probablement trouvs

    sans appui si deux causes , la pression morale exerce du dehorssur le dedans de la Chambre, puis la peur, ne leur eussentdonn des auxiliaires inattendus. Certains dputs, branls parles alarmes rpandues jusque dans le monde o ils vivaient, etsollicits de repousser les rigueurs de la commission, avaientfini par penser que celle-ci effectivement allait peut-tre un peu

    loin; un plus grand nombre, anciens fonctionnaires de la rpu-blique ou de l'empire

    ,possesseurs de biens nationaux ou signa-

    taires de l'acte additionnel , s'effrayaient la pense d'une re-cherche qui, en remontant aux faits des vingt-cinq dernires

    annes, arriverait, de proche en proche, les atteindre eux-mmes dans leur position et dans leur fortune. Jusque-l, cesdputs

    ,pour masquer leur pass , avaient lchement figur

    ,

    ainsi qu'on a pu le voir pour quelques-uns, parmi les racteursles plus emports et les plus bruyants. Le sentiment de l'intrtpersonnel les avait soudainement calms , et donnant leurgosme et leurs terreurs le nom de modration , tous, depuisla proposition Labourdonnaie

    ,proclamaient la ncessit d'une

    nouvelle politique de concorde et d'oubli. Ces membres n'taientpas moins impatients que les spectateurs de connatre le rsultatde l'incident qui venait de s'lever.

  • 1816. 41

    M. de Richelieu et ses deux collgues revinrent au bout d'une

    heure ; le premier ministre , montant aussitt la tribune , an-

    nonce qu'il vient de rendre compte au roi de la discussion et

    de prendre ses ordres; que le roi, touch des scrupules et du

    profond amour de la justice qui animait la Chambre , accepte

    l'amendement de la commission relatif la privation des titres

    ,

    biens ou pensions concds titre gratuit aux trente-huit indi-

    vidus compris dans l'article 2 de l'ordonnance du 24 juillet;

    qu'il consent galement substituer, dans l'article relatif au ban-

    nissement de la famille Buonaparte, le mot descendants celui

    d'enfants, qui peut-tre est trop restrictif; mais que ces con-

    cessions sont les seules que le roi peut admettre; qu'il re-

    pousse de la manire la plus absolue toutes les autres excep-

    tions l'amnistie, y compris celle des rgicides, ainsi que le

    principe des indemnits. Il dit, quant aux rgicides: Ce n'est

    pas sur la terre qu'il faut chercher les raisons qui dcident le

    roi refuser de les expulser jamais du royaume, c'est dans lavolont du roi martyr qui sera consol dans sa tombe par lepardon que vous accorderez en son nom. Cette clmence est au-

    dessus de toutes les volonts humaines ; elle est commande parce Dieu qui en a donn tant d'exemples au monde. Qu'il me soitpermis, ajouta-t-il en terminant, de vous conjurer de ne pas fairequ'une loi de grce devienne une cause de discorde; et, pour

    emprunter vos propres expressions , faites qu'aprs le dluge de

    maux qui ont inond notre malheureuse France , cette loi appa-

    raisse sur notre horizon politique comme un signe de rconci-

    liation et de salut pour tous les Franais.

    Les articles furent immdiatement mis aux voix ; les cinq pre-miers reproduisaient les dispositions du projet ministriel ; unemajorit considrable les adopta avec les changements consentispar le roi ; le sixime statuait que l'amnistie ne s'tendrait pas

    aux crimes et aux dlits commis co7itre les particuliers. Un avo-cat gnral , dont nous avons prononc le nom plusieurs fois

    ,

    M. Trinquelague, eut l'incroyable audace de proposer de ne pas

    comprendre, parmi les dlits et les crimes de cette nature, les

  • 42 1816.

    vols, les pillages et les assassinats qui, depuis cinq mois, avaient

    successivement dsol et ensanglant Marseille, Avignon, Mmes,Uzs et Toulouse : On pourrait abuser des termes gnraux del'article, dit-il, contre ceux des fidles royalistes du midi quiont