Chroniques d'Archives numéro 8

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La comtesse de Pimbesche : Monsieur, tous mes procès allaient être finis ; il ne m’en restait que quatre ou cinq petits : l’un contre mon mari, l’autre contre mon père, et contre mes enfants... vivre sans plaider, est-ce contentement ? Chicanneau : Mais s’il vous plaît Madame, depuis quand plaidez-vous ? La comtesse de Pimbesche : Il ne m’en souvient plus ; depuis trente ans, au plus... Les Plaideurs, Racine,1668 La justice, qu’elle soit consacrée au règlement des litiges entre individus ou à la répression des délits et des crimes, tenait dans la vie quotidienne de nos ancêtres une place dont nous avons peine aujourd’hui à mesurer l’importance. Au palais de justice de la place Saint-André, et dans les sièges des différentes juridictions relevant du Parlement de Grenoble, vivait et s’agitait tout un microcosme de magistrats, greffiers, procureurs, huissiers, sergents... et justiciables. Les lois et procédures qui le régissaient, le jargon et les usages en vigueur alors, nous paraissent parfois incompréhensibles, en tout cas irrationnels lorsqu’on se réfère à notre époque. Registres transcrivant les différentes étapes de la procédure jusqu’à la sentence finale, sacs et liasses gonflés de procédures forment un des principaux fonds des Archives départementales, vestige de l’activité judiciaire du Parlement, des bailliages et autres juridictions. On ne peut se lancer à l’aventure dans l’exploration de cet univers : le dossier de ce numéro 8 tente de fournir quelques balises indispensables à la découverte et à l’exploitation des archives judiciaires de l’Ancien régime, dossier qu’il conviendra d’approfondir par la lecture de quelques manuels et ouvrages de référence. Côté actualités, un article consacré à la réutilisation des données publiques éclaire un sujet complexe qui, loin d’être réservé à la subtilité des juristes, nous concerne tous en raison des questions d’ordre éthique et sociétal qu’il pose : les données concernant les personnes sont-elles des marchandises ? On le voit, le contenu de ce dernier numéro de nos Chroniques donne matière à réflexion ... Au seuil de cette nouvelle année, meilleurs vœux ... et bonne lecture ! Hélène Viallet, directrice LETTRE D’INFORMATION DES ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE L’ISÈRE JANVIER 2011 Chroniques d’Archives Direction / Hélène Viallet Responsable de la publication / Natalie Bonnet Photographies / Frédéric Pattou, Jean-Paul Guillet 04 76 54 37 81 www.archives-isere.fr 8 NUMÉRO Dossier / Caractéristiques générales et organisation de la justice sous l’Ancien régime Le Point sur... La RIP comme Réutilisation des Informations Publiques Derniers instruments de recherche... Archives communales déposées de la commune de Vizille / Versement des « actes passés en la forme administrative » de la Préfecture / État des arrêtés du conseil général Le billet de Luce / En un lieu improbable

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Lettre d'information des Archives départementales de l'Isère. Au programme de ce numéro : la justice sous l'Ancien Régime, la réutilisation des informations publiques (RIP), le dépôt des archives communales de la commune de Vizille, le versement des « actes passés en la forme administrative » de la Préfecture, l'état des arrêtés du conseil général, le billet de Luce intitulé "En un lieu improbable".

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La comtesse de Pimbesche : Monsieur, tous mes procès allaient être finis ; il ne m’en restait que quatre ou cinq petits :l’un contre mon mari, l’autre contre mon père, et contre mes enfants... vivre sans plaider, est-ce contentement ?

Chicanneau : Mais s’il vous plaît Madame, depuis quand plaidez-vous ?

La comtesse de Pimbesche : Il ne m’en souvient plus ; depuis trente ans, au plus... Les Plaideurs,Racine,1668

La justice, qu’elle soit consacrée au règlement des litiges entre individus ou à la répression des délitset des crimes, tenait dans la vie quotidienne de nos ancêtres une place dont nous avons peineaujourd’hui à mesurer l’importance. Au palais de justice de la place Saint-André, et dans les siègesdes différentes juridictions relevant du Parlement de Grenoble, vivait et s’agitait tout un microcosmede magistrats, greffiers, procureurs, huissiers, sergents... et justiciables. Les lois et procédures quile régissaient, le jargon et les usages en vigueur alors, nous paraissent parfois incompréhensibles,en tout cas irrationnels lorsqu’on se réfère à notre époque. Registres transcrivant les différentesétapes de la procédure jusqu’à la sentence finale, sacs et liasses gonflés de procédures forment undes principaux fonds des Archives départementales, vestige de l’activité judiciaire du Parlement, desbailliages et autres juridictions. On ne peut se lancer à l’aventure dans l’exploration de cet univers :le dossier de ce numéro 8 tente de fournir quelques balises indispensables à la découverte et àl’exploitation des archives judiciaires de l’Ancien régime, dossier qu’il conviendra d’approfondir parla lecture de quelques manuels et ouvrages de référence.

Côté actualités, un article consacré à la réutilisation des données publiques éclaire un sujet complexequi, loin d’être réservé à la subtilité des juristes, nous concerne tous en raison des questions d’ordreéthique et sociétal qu’il pose : les données concernant les personnes sont-elles des marchandises ?

On le voit, le contenu de ce dernier numéro de nos Chroniques donne matière à réflexion ...

Au seuil de cette nouvelle année, meilleurs vœux... et bonne lecture !

Hélène Viallet, directrice

LETTRE D’INFORMATION DES ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE L’ISÈRE JANVIER 2011Chroniquesd’Archives

Direction / Hélène VialletResponsable de la publication /Natalie BonnetPhotographies / Frédéric Pattou,Jean-Paul Guillet

04 76 54 37 81www.archives-isere.fr

8NUMÉRODossier /Caractéristiques généraleset organisationde la justice sous l’Ancien régime

Le Point sur...

La RIP comme Réutilisationdes Informations Publiques

Derniers instrumentsde recherche...

Archives communales déposéesde la commune deVizille /Versement des « actes passésen la forme administrative »de la Préfecture /État des arrêtés du conseil général

Le billet de Luce /En un lieu improbable

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Palais du Parlement,plafond de la grande salle

Présenter de façon claire et synthétiquel’organisation de la justice sous l’Ancien régime,est un exercice très difficile, tant les concepts,et les procédures sont éloignés de notre systèmeactuel. Quelques notions générales suffirontcependant à en définir les principalescaractéristiques :Selon les juristes, toute justice émane du roi,au nom de Dieu. Ne pouvant en pratique l’exercerlui-même (comme saint Louis sous le chênede Vincennes), il la confie aux cours et tribunauxrépartis dans le royaume par ordre hiérarchique :c’est la justice déléguée, à laquelle les plaideurset accusés ont normalement affaire. À titreexceptionnel, le roi redevient le juge suprême etpeut se substituer aux magistrats pour exercerla justice retenue, par des moyens divers : lettresroyales (dont les célèbres lettres de cachet, maisaussi les lettres de rémission et les lettres degrâce) qui modifient (en bien ou en mal) la situationjuridique d’une personne, ou court-circuitentl’action des tribunaux ; jugements en conseil privéou conseil des parties. Le roi peut à tout momentévoquer une cause et la faire juger par desmagistrats de son choix. Les maîtres des requêtessont les agents par excellence de la justice retenue.Pourtant le roi n’a pas le monopole de la justice :il subsistera jusqu’en 1790 des justicesseigneuriales même si leur importance a étégrandement bridée par la royauté.

Cours et juridictionsL’organisation judiciaire de l’ancienne France défietoute logique, comme du reste tous les autres secteursde l’administration. Selon le juriste Charles Loiseau« en France, la confusion des justices n’est guèremoindre que celles des langues hors de la tour deBabel » ! Sur le principe, la hiérarchie était la sui-vante : en partant de la base on trouvait les petits tri-bunaux, parfois nommés prévôtés, relevant aussibien de la justice royale (« juridictions inférieures»)que de la justice seigneuriale (« juridictions subal-ternes »). Ils jugeaient les petites affaires des rotu-riers. À côté d’eux, et souvent en conflit, les prévôtsdes maréchaux, à l’origine chargés de la répressiondes gens de guerre, se mêlaient aussi de façon expé-ditive de la sûreté publique. Au dessus des prévôtéssiégeaient les cours de bailliages ou sénéchaussées,présidées par des lieutenants généraux, auxquellesles nobles ont directement accès ; elles-mêmes rele-vaient des Parlements. Cours suprêmes en matièrecivile et criminelle, ils recevaient les appels des juri-dictions royales et seigneuriales.

Le plus ancien était le Parlement de Paris (1250), àl’origine section judiciaire de la cour royale, dontune partie de l’immense ressort fut démembrée parla création du Parlement de Languedoc en 1443. Puisau fur et à mesure de l’absorption des anciennes prin-cipautés, d’anciens conseils princiers furent élevésen Parlement pour faciliter l’intégration de la pro-vince en maintenant pendant un temps une certainemarge d’autonomie : le Parlement de Grenoble en1453,

Caractérist iques générales et organisat ion

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Jean Truchon (1507-1578),premier président au Parlement de GrenobleColl. particulière

Jean de RabotColl. particulière

de la just ice sous l’Ancien régimesuivi par le Parlement de Bordeaux en 1462, par ce-lui de Dijon en 1477, pour ne citer que les plus anciens.À la fin de l’Ancien régime, il existait 13 Parlementset 4 Conseils souverains, jouant aussi un grand rôlepolitique et administratif, qui ne sera pas évoqué ici.En 1552, la création de 60 présidiaux, cours inter-médiaires entre bailliages et parlements devait dés-engorger les cours souveraines et activer le dérou-lement de la justice, mais la réforme fut un fiasco.La possibilité de faire appel d’un jugement en pre-mière instance était largement utilisée ; à la diffé-rence de notre système actuel, le plaideur pouvaitenchaîner les appels, et tirer partie de l’imbroglio desressorts et des degrés.

Notons que les juridictions inférieures rendent dessentences ou jugements, pour les cours souveraines,il s’agit d’arrêts.

Outre les juridictions ordinaires, de règle, il existaitdes juridictions extraordinaires ou d’attribution, fon-dée sur une vieille règle coutumière, le jugement parles pairs : ainsi les crimes qui impliquaient des sol-dats relevaient-ils des prévôts des maréchaux, ceuxconcernant les marins, de l’Amirauté. Les ecclésias-tiques étaient jugés par les tribunaux épiscopaux, lesofficialités. Les actuels tribunaux de commerce sontune forme de survivance des juges consulaires.Selon un autre principe, chaque administration étaitjuge du contentieux relevant de ses activités ; iln’existait pas un tribunal administratif unique. LesGreniers à sel qui géraient la gabelle en étaient aussi

les juges ; les Tables de marbre des Eaux et Forêtsjugeaient des contentieux de cette partie du domainepublic. Les Chambres des Comptes et Cours des Aidesétaient respectivement compétentes en matière do-maniale et en matière fiscale, et la Cour des Monnaiess’occupait du faux-monnayage et des contrefaçons.Enfin, les intendants, eux-mêmes magistrats, comp-taient parmi leurs missions le contentieux fiscal et lajustice administrative.

L’ancien ordre judiciaire fut aboli par la loi des 16-24août 1790.

Le monde des gens de justiceL’organisation de la justice sous l’Ancien régime étaitindissociable du système des offices : les magistratsétaient depuis 1604 propriétaires inamovibles de leuroffice, qu’ils pouvaient transmettre à leurs héritiersou céder à leur gré, moyennant le paiement d’une taxeannuelle. Les nouveaux bénéficiaires devaient obte-nir de la chancellerie des lettres de provisions d’of-fice et remplir les conditions d’âge et de capacité ju-ridique pour être agréés par leur cour. Dans lespériodes où la monarchie avait besoin d’argent, lacréation et la vente de nouveaux offices accentuaientle mouvement, qui allait être finalement à l’origine del’indépendance de la magistrature, qui finira pars’opposer à la monarchie absolue. Les offices descours souveraines, très prestigieux car anoblissants,étaient très recherchés et atteignaient des sommes

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vertigineuses. En réalité, les gages que percevaientles officiers étaient médiocres, en outre le pouvoirroyal ne leur épargnait pas les taxes et réductions,mais c’était le moyen d’ascension sociale par excel-lence : la « savonnette à vilains » qui permettait enusant de stratégie d’accéder à la noblesse en deuxou trois générations, et peut-être à une alliance avecune famille de la noblesse d’épée. Dans les villessièges de cours souveraines se développèrent devéritables dynasties de noblesse parlementaire, quiaccaparaient les charges. Les revenus des magis-trats étaient complétés par les « épices », taxespayées par les justiciables en fonction des travauxeffectués : elles tiraient leur nom des cadeaux en na-ture faits par les parties à l’issue d’un jugement fa-vorable. Enfin ils bénéficiaient d’exemptions fiscaleset de divers privilèges.

Les «gens du roi» formaient le parquet, ou ministèrepublic, composé du procureur général, représentantdu roi et de l’avocat général dans les cours souve-raines, et de leurs substituts, d’un procureur et d’unavocat dans les autres juridictions.

Les magistrats du siège portaient le titre de conseil-ler du roi ; leur compagnie étaient organisée en plu-sieurs chambres dans les parlements les plus im-portants. À leur tête, des présidents à mortier, dunom de leur couvre-chef, et un premier président quiétait nommé par le roi.

Greffiers, huissiers, commis, porte-sacs, sergentscomposaient les auxiliaires de justice, gens dits « depetite robe », qui permettaient le fonctionnementquotidien des tribunaux.

Série A

Les procureurs et avocats des parties complétaientla galerie des personnages qui animaient les palaisde justice. Ils se regroupaient en ordres ou commu-nautés.

Les sources du droit et la procédureSous l’Ancien régime, le pouvoir royal est peu légis-lateur : il laisse le droit et la doctrine s’exprimer. Maisdevant les doléances de ses sujets, il se doit d’inter-venir afin d’améliorer le rendu de la justice, au moyende grandes ordonnances de réformation, commecelles de Villers-Cotterêts en 1539, ou de Blois en1579, mais ces textes sont peu structurés. Ce n’estque sous Louis XIV, à l’instigation de Colbert quedeux grandes ordonnances sont consacrées à la pro-cédure civile (CodeLouis,1667) et à la procédure cri-minelle (1670).

Quatorze appointements, trente exploits,six instances... ( Racine, Les Plaideurs ),ou la passion de la chicane.La justice tient dans la vie de tous les jours uneplace dont nous avons peine aujourd’hui à mesurerl’importance. C’est une véritable passion inutile etruineuse, dénoncée par les contemporains. « Avoirdes procès » est dans l’ordre des choses (un peu desnobisme s’y mêle). Toute une partie de la sociabilité del’ancienne France gravite autour de la vie judiciaire.Peu attractive pour les historiens, la PROCÉDURECIVILE, très sophistiquée, a suscité peu d’études. Ellese caractérise par le rôle purement passif du juge :c’est le demandeur qui assigne le défendeur devant

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le tribunal. Ensuite chacune des parties se consti-tuent un procureur qui se présente au greffe pour sefaire inscrire au rôle des audiences. Le défendeurpeut ne pas se présenter, ce qui lui vaut un défaut,présenter des défenses ou exceptions dans le but deretarder l’instance. Si l’affaire est simple, le jugementest définitif ; mais la plupart du temps il est mis endélibéré pour être prononcé à la prochaine audience.En cas d’affaire épineuse, le juge rend un jugementinterlocutoire ( intermédiaire) pour obtenir plusd’éléments. L’appointement à mettre permet à un rap-porteur d’avoir connaissance des sacs de pièces ac-compagnés d’un inventaire détaillé, dit inventaire deproduction. De nombreux renvois, expertises, des-cente sur les lieux, témoignages, enquêtes diffèrentencore le rendu de la sentence définitive ; toutessortes de stratégies sont mises en œuvre par lesavocats et procureurs. Les personnes en vue font ré-pandre en ville des factums qui exposent au public lespéripéties de l’affaire. Le jugement définitif est tou-jours prononcée en audience publique ; l’oralité estobligatoire. Le greffier le transcrit ensuite sur un re-gistre, en donne copie aux parties et leur rend enprincipe leurs productions. De multiples possibilitésd’appel peuvent faire durer un procès sur plusieursgénérations, des contentieux secondaires peuventvenir s’y greffer, ce qui explique le volume énormeque représentent les procédures dans la plupart desfonds d’archives privées.

L’éloquence du barreau y trouve son terrain de pré-dilection : l’avocat grenoblois Claude Expilly (1561-1636) en fut l’un des maîtres.

de la just ice sous l’Ancien régime

Objet courant sous l’Ancienrégime, ces sacs de toileservaient, commenos actuels dossiers,à conserver les pièces dechaque affaire portéedevant la justice. Ilsportaient des étiquettes,parfois faite du verso d’unecarte à jouer, portantl’identité des parties, deleurs procureurs et dutribunal. Lorsque toutes les

pièces nécessaires avaientété réunies par l’avocat,on disait que « l’affaireétait dans le sac » : l’onpouvait alors être inscritau rôle d’audience.Au début du procès, le jugeinvitait l’avocat à « viderson sac ». Enfin, on traitaitles délinquants récidivistesde gens de « sacs et decorde »... car ils avaient undossier volumineux etrisquaient la pendaison…Ces sacs étaient rangéspar les greffiers sur desétagères ou étaientsuspendus au plafond pardes crochets, pour dégagerde l’espace et les mettreà l’abri des rongeurs etde l’humidité. Une foisle jugement prononcé,les parties pouvaient lesrécupérer. On peut enretrouver aujourd’hui dansdes fonds d’archivesprivées, ou dans la série Bdes Archivesdépartementales.

Les sacs à procès

Coll. particulière

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Sous la main de justiceLe déroulement d’un PROCÈS CRIMINEL est plusfacile à comprendre car c’est la puissance publiquequi en dirige le cours, à la différence du civil.

Le préambule de l’ordonnance de 1670 est significatif :« le règlement de l’instruction criminelle assure le re-pos public et contient par la crainte des châtimentsceux qui ne sont pas retenus par la considération deleurs devoirs ».

Les grandes caractéristiquesde la procédure criminelle :¬ La procédure est inquisitoire, écrite, secrète, etnon contradictoire ; le but est d’obtenir rapidementl’aveu du prévenu, qui représente la meilleure preuvede sa culpabilité. Pour les crimes les plus graves, lerecours à la torture, de façon encadrée, est possible.

¬ Le juge chargé d’instruire une affaire, qui porte letitre de lieutenant criminel de bailliage, ou de conseil-ler commis pour l’affaire au niveau supérieur, mèneseul son enquête, sans aucune intervention des per-sonnels de police. Ceux-ci, très peu nombreux, ontpour unique mission d’appréhender les délinquantsou criminels en flagrant délit, ou sous le coup d’unordre d’arrestation émanant du juge. Dans les cam-pagnes, la maréchaussée chargée du maintien del’ordre n’a pas assez de troupes, et a très mauvaiseréputation ; en ville ce n’est qu’à partir du XVIIIe sièclequ’une véritable police se met en place.

¬ Le juge ne peut donc pas disposer de rapports depolice ou d’interrogatoire de l’accusé avant la pre-mière comparution.

¬ L’accusé ne peut bénéficier de l’assistance d’unavocat, et sa défense est extrêmement limitée.

¬ Un seul juge est maître du choix de poursuivre aupénal, ou de faire évoluer le procès au civil.

La sanction est une chose, l’exécution de la peine enest une autre... il est très fréquent qu’un crimineléchappe à la justice ; les cas de contumace sontd’une grande banalité dans les archives judiciaires.Les gens de justice s’y résignent, estimant que cescriminels font en quelque sorte acte de bannissementvolontaire, et débarrassent la région de leur pré-sence.

La prison sous l’Ancien régime n’est qu’un moyen des’assurer d’un accusé, ou un moyen de pressionpour le faire avouer, ou de forcer un débiteur à payerses créanciers. Ce n’est pas une peine, sauf dans lecas où celle-ci n’est pas applicable : par exemplefemmes ou personnes âgées condamnées aux galèrescar de religion protestante, seront enfermés. Il n’existepas d’administration pénitentiaire, et les prisons elles-mêmes échappent à l’autorité de l’État ; elles sontsouvent affermées à des particuliers qui en assurentla garde et la gestion.

Les ordonnances pénales ne contiennent pas depeines calculées en fonction des crimes et délits : leroi laisse à ses juges une grande latitude dans lechoix des peines (sauf homicides, crimes de sacri-lèges et lèse-majesté). Les juges doivent cependanttenir compte de la coutume jurisprudentielle, publiéedans des recueils d’arrêts notables. Au XVIIIe siècle,contre l’arbitraire des peines, les réformateurs éclai-

rés du droit pénal, comme Servan, avocat général auParlement de Grenoble, prônent la légalité des peines :le juge doit appliquer mécaniquement des peinesfixées par la loi, mais il jouit de plus de libertés dansle domaine de la preuve. Et la Révolution verra letriomphe du principe de l’intime conviction qui doitguider le juge.

Les voies de recoursToute sentence portant peine corporelle, galères,bannissement perpétuel ou amende honorable devaitobligatoirement être confirmée par l’arrêt d’une coursouveraine, que le condamné ait fait appel ou non.Toute l’activité répressive était ainsi placée sous lecontrôle des Parlements, qui le plus souvent exer-çaient une activité modératrice et ne confirmaientpas forcément la sentence de la cour subalterne. Àl’exception des justices prévôtales, qui devaient ren-dre une justice « prompte et terrible» et jugeaient dece fait en dernier ressort.

On pouvait aussi avoir recours à des solutions EXTRAJUDICIAIRES pour la pacification des conflits (soli-darités de groupe etc.). Pour les délits, des tenta-tives d’accommodement remplaçaient ou précédaientle recours à la justice. Il est certain que bien desconflits échappaient aux tribunaux, et que, bien plusencore que de nos jours, la criminalité officiellementréprimée ne constituait qu’une petite partie de la cri-minalité réelle.

On en trouve la trace (surtout au civil) dans les trans-actions, accords et autres conventions, très fré-quentes dans les minutes des notaires (série 3E ).

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de la just ice sous l’Ancien régimeDéroulement d’un procès pénal

Constatation du délit ou du crime

Plainte de la victime ou du procureur du roi ou saisine d’office du juge

Mise en mouvement de l’action publique

Instruction préparatoire : descente sur les lieux, expertises, informations (audition des témoins)

Décrets : de prises de corps (arrestation et détention préventive de l’accusé),d’ajouement personnel (ordre de comparaître devant le juge)

Premier interrogatoire de l’accusépar le magistrat instructeur

Décision par ce juge de poursuivreselon l’une des deux voies posssibles,

selon la gravité de l’affaire

Règlement du procès « à l’extraordinaire »pour les crimes

procédure criminelle

Instruction définitive :recolement des témoins, puis confrontation avec l’accusé.

Conclusions du procureur du roi.Dernier interrogatoire de l’accusé devant les juges.

Jugement autorisant la question (torture)Jugement définitif( basé uniquement sur des preuves)

Absolution faute de preuves

Renvoi hors de cours( laisse planer le doute)

Décharge d’accusation(absolution complète)

Condamnation

Si prononcé par juridiction inférieure,le jugement de condamnation doit être confirmé

par un arrêt du Parlement

Voie de recours :grâce royale, appel en cassation

Jugement interlocutoire( l’accusé est autorisé à produire

des justificatifs)

Règlement du procès « à l’ordinaire »pour les délits n’entraînant pas peine afflictive

similaire à un procès civilTransmission du procès à la Juridiction ordinaire

Possibilité de transactions entre les parties

Jugement définitif à l’audience(dommages et intérêts, indemnités)

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Les juridictions ordinaires :LE PARLEMENT DE GRENOBLE

À l’origine était le Conseil delphinal, créé en 1336-1340 par le dernier dauphin, Humbert II, transforméensuite sur le modèle français par les premiers rois-dauphins. En 1453, le dauphin Louis II, futur roiLouis XI, l’érigea en cour de Parlement. L’Ordon-nance d’Abbeville sur le fait de la justice et abrévia-tion des procès au pays de Dauphiné aligna en 1540la province sur le droit commun du royaume, mani-festant la volonté du souverain de mettre fin auxparticularismes anciens. Une seconde chambre avaitété créée en 1538. La composition du Parlement va-ria jusqu’en 1790 : en application de l’Édit de Nantes,une Chambre de l’Édit fut instituée en1598. Compre-nant douze conseillers et deux présidents, par moitiécatholiques et protestants, elle instruisait et jugeaitles procès civils et criminels dans lesquels des pro-testants étaient impliqués. Le ressort de cette cham-bre incluait la Provence, et les Bourguignons pou-vaient aussi s’y adresser. La chambre de l’Édit futsupprimée en 1679. Une chambre des vacations futformée en 1685 pour gérer les urgences et rendre lajustice criminelle pendant la période des vacances ju-diciaires, du 9 septembre à la Saint Martin (11 no-vembre).En 1789, le Parlement de Grenoble était composé detrois chambres et comptait neuf présidents, dont lepremier, cinquante-et-un conseillers qui servaientpar roulement, et huit secrétaires-greffiers en chef.Au parquet se tenaient trois avocats généraux, qui« tenaient la parole», et un procureur général assistéde huit substituts, qui « tenaient la plume » et rédi-geaient les conclusions écrites.

L’importance de Grenoble sous l’Ancien régime étaitessentiellement due à la présence du Parlement, etde la Chambre des comptes de Dauphiné. Cas assezrare dans l’ancienne France, les ressorts de cesdeux cours, de la généralité dirigée par l’intendant,et du gouvernement militaire, se correspondaientpresque exactement. La ville tirait grand profit de laprésence d’une aristocratie parlementaire dont lesalliances s’étendaient à la noblesse de robe de toutle royaume. Tout un peuple d’auxiliaires de justiceétait établi dans le quartier de la place du Palais, etla présence quotidienne des justiciables animait etenrichissait la ville.

À la fin du XVIIIe siècle, l’attitude d’opposition du Par-lement contre les réformes royales, devint protesta-tion active contre la réorganisation du chancelierLamoignon en 1788. L’agitation des parlementairess’étendit à la population, d’où une émeute à Greno-ble le 7 juin, la fameuse « Journée des Tuiles », pré-mices de la Révolution.

LES JURIDICTIONS MOYENNES ET INFÉRIEURESAu dessous du Parlement existaient sept tribunauxde vi-bailliages : Grésivaudan à Grenoble, Viennois etTerre de la Tour à Vienne,Viennois-Valentinois à Saint-Marcellin, Briançonnais, Embrunais, Gapençais, Ba-ronnies au Buis, et trois vi-sénéchaussées, Valenti-nois et Diois à Valence, Crest et Montélimar.

Ils recevaient les appels des juridictions inférieures,châtellenies et seigneuries.

En 1636 sera créé un présidial à Valence, coiffant lesvi-sénéchaussées de Crest et Montélimar, les vi-bail-liages du Buis et de Saint-Marcellin. L’appel de sessentences se faisait au Parlement de Grenoble.

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La just ice en Dauphiné

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Plusieurs villes avaient leurs juridictions propres,souvent communes avec celle du prélat qui depuis leMoyen Âge, était le seigneur de la cité : c’était le casà Grenoble et à Vienne, ainsi qu’à Embrun, Romans etSaint-Paul-Trois-Châteaux. Officiers royaux et épi-scopaux exerçaient par alternance un an sur deux.Les appels se faisaient au Parlement.

On comptait environ 1250 JUSTICES SEIGNEU-RIALES en Dauphiné : les Bérenger-Sassenage, quidétenaient la deuxième baronnie du Dauphiné, pos-sédaient basse, moyenne et haute justice. Le juge sei-gneurial était assisté d’un capitaine châtelain chargéde l’instruction des affaires ; le procureur fiscal oujuridictionnel représentait les intérêts du seigneur.Greffier et sergent vaquaient, avec plus ou moinsd’efficacité, au fonctionnement du tribunal, qui sié-geait en général en ville. Les justices seigneurialessont en déclin au cours du XVIIIe siècle.

Les juridictions d’attributionDepuis 1628, avec la suppression des États de Dau-phiné, la province est devenue un pays d’élections,chargées des impositions et de leur contentieux.D’autres juridictions extraordinaires ont fonctionnéen Dauphiné : l’Hôtel des Monnaies de Grenoble, lesmaîtrises des Eaux et Forêts, les tribunaux des traiteset gabelles, la cour des conventions de Chabeuil,unique juridiction consulaire, et la commission deValence, chargée au cours du XVIIIe siècle de luttercontre la contrebande, qui dégénérait parfois engrand banditisme, illustré par Mandrin. Le ressort decette cour était immense et s’étendait au Languedoc,à l’Auvergne, et à la Bourgogne.

Compte-tenu de la complexité de l’organisation judi-ciaire de l’Ancien régime, une bonne connaissance del’histoire des institutions, beaucoup de patience etd’astuce sont nécessaires pour affronter la jungledes archives judiciaires. On recommandera la lectureau préalable d’un manuel d’histoire des institutionset d’un ouvrage de référence : Le Parlement de Dau-phiné des origines à la Révolution, sous la directionde R.Favier, 2001.

Il faut reconnaître que les archivistes eux-mêmes onteu bien du mal à naviguer sur cet océan sans rivagesselon l’expression de Vital Chomel. De nombreuseschausse-trappes attendent l’innocent voyageur quipénètre dans le maquis de la série B et de ses rami-fications. En premier lieu, la structuration insuffi-sante et le manque de précision de l’inventaire som-maire de la série B ; l’absence de logique dans laconstitution de certaines séries de documents, ex-plicable par la mauvaise tenue des greffes, affermésau moins-disant. Un même personnage pouvait cu-muler différents offices de greffier, d’où risque deconfusion dans la tenue des registres et archives.Par ailleurs, devant la masse énorme des archivesrapportées du palais de justice à la fin du XIXe siè-cle, les archivistes ne purent analyser tous les docu-ments en une seule phase, d’où l’existence de sériescomplémentaires. Fort heureusement, le Guide desinstitutions de l’ancien Dauphiné, d’Yves Soulingeas,sert de boussole pour s’orienter dans les 1100 mè-tres linéaires d’archives judiciaires. La consultationde l’introduction du répertoire numérique de la sous-série 2B s’avère indispensable.

Les fonds d’archivesL’état général des fonds de la série B et la liste desinstruments de recherche sont disponibles sur notresite Internet www.archives-isere.fr. Les inventaireset répertoires ne sont accessibles qu’aux Archives.Les archives du Parlement après 1540 sont parve-nues de manière très complète jusqu’à nous, ayantbeaucoup moins souffert des brûlements révolution-naires que les archives de la Chambre des Comptes.Quant aux bailliages, la conservation de leurs docu-ments a été très inégale.

Dune façon schématique, les grandes catégories dedocuments judiciaires dans un fonds de tribunal serépartissent en :

¬ divers registres du déroulement de la procédure,tenus par le greffe

¬ actes de juridiction contentieuse : dossiers de pro-cédures civiles et criminelles ; sentences et arrêts(plumitifs, registres d’audience, jugements en au-dience, autres jugements )

¬ actes de juridiction non contentieuse (apposition etlevée de scellés, ouvertures de testaments, déclara-tions de grossesse, dispenses d’âge, émancipations,tutelles et curatelles).

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Retrouver un procèsIl existe dans les fonds des différentes juridictionsdes collections de sentences et d’arrêts, dont les dif-férentes catégories (arrêts en audience consécutifsaux plaidoiries des avocats ; arrêts sur vue de piècespar procédure écrite ; arrêts conventionnels qui ré-sultent d’un accord entre les parties) ne sont pastoujours précisées. Les séries les plus complètes sontcelles du Parlement : les arrêts, civils d’une part, cri-minels, fiscaux et patrimoniaux (gestion du domaineroyal ) d’autre part, vont de 1539 à 1790. La conser-vation des sentences des juridictions moyennes esttrès inégale et ne remonte pas avant le début duXVIIe siècle.

Il n’existe pas d’index nominatif, irréalisable en raisondu volume des fonds, et les noms des parties figurantdans l’inventaire sommaire ne sont que des échan-tillons des procès. Concernant les arrêts criminels,l’indication des faits reprochés n’est pas toujoursprécisée : l’idéal est de retrouver le dossier de la pro-cédure. Dans la masse énorme de celles-ci, environ3000 affaires de délits et de crimes ont été dépouil-lés avec précision, la plupart de ces dossiers datantdu XVIIIe siècle. Il reste encore des milliers de dossiersde procédure criminelle à classer, sans parler desprocédures civiles.

Une approche par date est plus facile, en prenant laprécaution de consulter les différentes cotes d’arrêtsqui existent pour la même année. Il existe aussi desregistres de retraits de procès et de distributiondes affaires entre les conseillers. L’écriture des gref-fiers peut toutefois s’avérer rebutante.

Dossier

Conseils...Cour Souveraine

Juridictions moyennes

Juridictions inférieures et subalternes

Justices particulières relevantdu Vi-bailliage de Saint-Marcellin

Série 15B

Vi-bailliage de Saint-MarcellinSérie 11B

Vi-bailliage de Viennoiset Terre de la Tour

Série 12B

Justices particulières relevantdu Vi-bailliage de Viennois

et Terre de la TourSérie 16B

Vi-bailliage de GrésivaudanSérie 10B

Justices particulières relevantdu Vi-bailliage de Grésivaudan

Série 14B

Conseil delphinal1337-1453

Série B 1-18

Parlement de Grenoble1453-1790

Série B, 19-2576et Série 2B

Chancellerie du ParlementSérie 3B

Institutions démembrées du Parlement

Conseil de Justice de Die1587-1590Série 5B

Chambre de l’Edit1598-1679Série 4B

Cours des Aides et Finances de Vienne1638-1658

Série B, 2578-2606

Cours communes

Cours commune de GrenobleSérie 13B, 1-686

Cours commune de VienneSérie 13B, 687-732

➛ ➛➛

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LES REGISTRES D’ÉCROU : une série complète de1589 à 1789 est conservée pour la conciergerie duParlement ; on en trouve aussi pour le vi-bailliage deVienne, et pour celui de Saint-Marcellin, pour la pé-riode 1735-1790. Les documents ne contiennent pasde description physique des détenus, le motif n’estpas toujours indiqué. Les registres nous livrent ladate d’entrée, l’identité et l’origine des détenus, par-fois le motif de l’arrestation, et la date de sortie : miseen liberté ou remise à un archer pour être transféréà l’Hôpital ou vers une nouvelle geôle, départ pour lesgalères ou exécution.

Les actes de juridiction non contentieuseIls forment une masse importante de documents.Lorsqu’on mène une recherche par typologie, parexemple ouvertures de testaments et inventairesaprès décès, comptes de successions, comptes de tu-telle, seul le répertoire numérique détaillé du fondsde la Cour commune de Grenoble, série 13 B, possèdeune description détaillée des noms de personnes etprofessions (avec index) pour la période fin XVIIe-XVIIIe siècle. La ville de Grenoble est donc privilégiée.Il n’empêche qu’on en trouve dans les autres fonds(sans que l’inventaire ait pu atteindre le même niveaude précision) : le fonds du vi-bailliage de Grésivaudancomprend une collection complète d’ouvertures detestaments pour 1621-1790. Les rapports d’expertspour constater des dégradations à des biens par lefermier ou des voisins renferment des états des lieux,et description de bâtiments très intéressants pourl’histoire économique, les pratiques agricoles et laconnaissance du patrimoine bâti.

pour la rechercheLes déclarations de grossesse : un édit d’Henri II de1556 avait défendu à toute femme enceinte hors desliens du mariage de cacher sa grossesse sans ladéclarer, pour mettre fin aux crimes d’avortement etd’infanticide. En réalité, lorsque les mères céliba-taires se présentaient au greffe, c’était surtout pourdénoncer leur séducteur dans l’espoir d’en tirer unepension ou une reconnaissance de paternité : ce gen-re de documents est représenté dans le fonds de laCour commune de Grenoble pour 1677-1790. Dans lesautres fonds, ils ne sont pas parvenus jusqu’à nous,ou très rarement.Enfin il convient de compléter les sources judiciairespar les sources notariales : dans certaines étudesurbaines (Grenoble,Vienne) les notaires tenaient desvolumes particuliers pour ce genre de documents.

L’insinuation judiciaire( enregistrement de certains actesen vue d’assurer leur publicité )En application de certains édits royaux, l’enregistre-ment de certaines catégories de contrats entre per-sonnes privées devait être faite devant les tribunaux.Cette formalité nous vaut l’existence de séries en-tières de donations entre vifs et de contrats de ma-riages ( depuis 1641 jusqu’en 1790 pour les vi-bail-liages de Grésivaudan et de Saint-Marcellin ; depuis1731 pour Vienne). Ces documents complètent fortutilement les séries 3E et 8 C.

En dépit des difficultés d’approche, les archives ju-diciaires sont une source indispensable pour toutesles recherches d’histoire sociale et familiale sousl’Ancien régime.

Registres d’écroudu Parlement de Grenoble

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Le Point sur...

La RIP comme Réutilisation des Informations PubliquesCes derniers mois, la blogosphère archivistique etgénéalogique a relayé les discussions passionnéesauxquelles a donné lieu ce terme un tantinet barbare.Nous allons tenter de faire le point sur ce qu’il en estexactement, ne serait-ce que parce qu’à votre pro-chaine séance de travail aux archives de l’Isère vousdevrez, si ce n’est pas déjà fait, signer un nouveauformulaire, en raison précisément du nouveau rè-glement de réutilisation des informations publiques.

Qu’est-ce que la réutilisationdes informations publiques ?Les Archives départementales ont reçu pour missionla collecte des informations publiques, leur conser-vation et leur communication « dans l'intérêt public,tant pour les besoins de la gestion et de la justifica-tion des droits des personnes physiques ou morales,publiques ou privées, que pour la documentation his-torique de la recherche » (article L211-2 du code dupatrimoine ).La réutilisation des informations publiques est défi-nie comme toute utilisation « à d’autres fins que cellesde la mission de service public en vue de laquelle lesdocuments ont été élaborés ou sont détenus» (direc-tive européenne 2003/98/CE du 17 novembre 2003,transposée en droit français par l’ordonnance n°2005-650 du 6 juin 2005 – articles 10 à 19 de la loi du 17juillet 1978 ).L’indexation des fonds, la constitution de bases dedonnées ou encore la diffusion de documents d’ar-

chives (publication, exposition...) constituent quelquesexemples de réutilisation. Sont réutilisables tous lesfonds d’archives publiques classés et librement com-municables. Les documents sur lesquels il existe desdroits de propriété intellectuelle ne sont pas réutili-sables.Le principe général pour tous les citoyens et toutesles administrations est que les premiers peuvent ré-utiliser librement les informations publiques détenuespar les secondes.En revanche, un régime dérogatoire prévu par la loipermet aux établissements culturels, dont font partieles services d’archives publics, de fixer les conditionsdans lesquelles les informations qu’ils conserventpeuvent être réutilisées. Cela étant dit, toute res-triction ou toute interdiction de réutilisation doit êtrefondée sur des motifs d'intérêt général, liés à la na-ture des usages envisagés par le réutilisateur et à lasensibilité des informations en cause.

Doit-on avoir peur de la RIP ?Ce que craignent les archivistes, ce n’est pas la ré-utilisation de données publiques en tant que telle.Tout travail en salle de lecture est en soi une réutili-sation. Sur Internet, la fourniture d’images fixes,non indexées, selon les recommandations de la CNIL,permet la consultation et la recherche. En revanche,la possibilité, pour des sociétés privées, de constituerdes banques de données nominatives issues detoutes les catégories de documents, fait peser la

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menace très réelle de croisement de données portantsur des personnes souvent encore vivantes ( les re-gistres d’écrou sont communicables dès 50 ans…), etd’utilisation de telles possibilités à des fins non ex-clusivement généalogiques. L’évolution des technolo-gies de l’information et de la communication rendpossibles des usages non conformes à l’intérêt gé-néral, comme un fichage nominatif généralisé. Parailleurs, un particulier qui met la reproduction de do-cuments sur un blog s’expose à ce que lesdites re-productions fassent le tour du monde sans qu’il l’aitprévu et sans qu’il maîtrise l’usage qui en sera fait.

Le règlement de réutilisationdes informations publiquesPour encadrer la réutilisation des données publiques,le Département de l'Isère, lors de la commission per-manente du 24 septembre 2010, a adopté le principede gratuité pour la réutilisation des informationspubliques sans diffusion au public ou à des tiers, quecette réutilisation soit commerciale ou non commer-ciale, et s'est doté d'un règlement, de licences et detarifs.

On entend par diffusion au public ou à des tierstoute réutilisation dans le cadre d’une publicationpapier ou électronique (site Internet, blog, DVD,CD-ROM...) ou encore lors d’une exposition.

FormalitésLors de votre inscription comme lecteur ou à l’occa-sion du renouvellement de votre carte, vous remplis-sez et signez un formulaire d’autorisation de repro-duction par lequel vous vous engagez à faire unusage strictement privé et gratuit des photographiesque vous prenez en salle de lecture. Si à un momentdonné vous envisagez de faire un autre usage de cesimages, écrivez-nous, en précisant dans votre cour-rier les fonds sur lesquels porte votre demande,l’usage que vous comptez en faire et si vousprévoyez de diffuser ou non vos prises de vues etce, dans un but commercial ou non.Nous vous contacterons alors pour établirune licence de réutilisation adaptée,assortie le cas échéant du paiement d’uneredevance. Notez cependant quela grande majorité des rechercheseffectuées dans la salle de lecturedes Archives de l’Isère nesont pas concernéespar la nécessité de signerune licence, et que laplupart de ces licences sontgratuites.

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Archives communales déposéesde la commune de Vizille ( 4 E 677 )Au début de l’année 2010, la commune de Vizille a dé-posé ses archives anciennes. Ces documents qui vontdu XVIIe siècle à 1940 ont été classés dans la fouléeet le répertoire en est désormais à la disposition deslecteurs. On notera que les archives communalesvizilloises, bien qu’ayant subi de lourdes pertes, re-présentent encore 12 mètres linéaires.Ce classement permet en particulier d’éclairerun aspectjusque là peu étudié : l’activité industrielle vizilloiseaux XIXe et XXe siècle. Il suffit de consulter les cotes4 E 677/113 à 124 pour mesurer son importancedans la vie communale. Des enquêtes menées à la findu XIXe siècle nous renseignent en particulier sur lasituation générale de l’industrie ainsi que sur l’em-ploi des femmes et des enfants dans les différentsétablissements industriels (Durand frères, Louche-Pellissier,…). Entre les deux guerres, le souci d’as-surer une formation professionnelle aux apprentis setraduit par la création d’un enseignement techniqueen partenariat avec la commune (cf. 4 E 677/334).Nous ne résistons pas au plaisir de vous signaler lesen-têtes de lettre ou de facture de ces entreprisessouvent fort décoratives.

Instruments de recherchenouvellement en service

4 E 677

Versement des « actes passésen la forme administrative »de la Préfecture ( 8481 W 1-59 )Comme les particuliers, l’État achète et vend desbiens immobiliers. Il loue également des droits sur ledomaine public (parexemple pour la pêche, la chasse).Ces actes de mutation concernant les biens de l’Étatne sont pas conservés par les notaires, comme pourles transactions des particuliers : selon l’article L.1212-4 du Code Général de la Propriété des PersonnesPubliques, ce sont les préfets qui «reçoivent les actesd’acquisitions immobilières passés en la forme admi-nistrative par l’État et en assurent la conservation.Ils confèrent à ces actes l'authenticité en vue de leurpublication au fichier immobilier ».Ce sont ces documents qui viennent d’entrer aux Ar-chives départementales, pour la période 1993-2005,complétant ainsi une collection qui commence en1956. Ils sont librement communicables.

État des arrêtés du conseil généralUn état des arrêtés du Conseil général versés auxArchives vient d’être réalisé. Ces documents origi-naux, classés en série W, sont des décisions exécu-toires à portée générale ou individuelle émanant duprésident du Conseil général et pouvant concernerdes sujets très variés : limitations de vitesse, parti-cipations financières du Département, délégations designature,... Seule la période 1982-1997 a pour lemoment été versée mais elle devrait être complétéecourant 2011 par les dix années qui suivent.

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POUR NOUS JOINDRE

Par courrier :Hôtel du département,7 rue Fantin-Latour, BP 109638022 Grenoble cedex 1Par couriel :[email protected]

Compteurs d’archivesSalle de lecture :un nouveau règlementPour encadrer la réutilisation desdonnées publiques, le Départementde l’Isère, lors de la commissionpermanente du 24 septembre 2010,s’est doté d’un règlement,de licences et de tarifs, à votredisposition sur place et sur notresite Internet. C’est la raison pourlaquelle lors de votre premièreinscription et lors de la validationannuelle de votre carte de lecteurnous vous demandons de signerun formulaire dans lequel vousreconnaissez avoir été informé del’existence de ce nouveaurèglement. Ce formulaire autorisepar ailleurs toute réutilisation sansdiffusion et sans but commercial.

AbonnementVous avez été intéressé par cenuméro de Chroniques d’Archives ?Vous désirez continuer à lerecevoir ? Il faut vous abonner.Cet abonnement est totalementgratuit, faites-le par courrierou par mail.Vous pourrez égalementtélécharger les numéros à venir,ainsi que les précédents, surle site des Archives de l’Isère :archives-isere.fr

Nouvelles du microfilmage

Les registres d’état-civil descommunes de l’arrondissementde Vienne pour la période1875 –1906 sont microfilmésjusqu’à Salaise [2Mi 2652 ].

La sous-série 2 OLes archives du bureau desaffaires communales de lapréfecture (1800–1940) sonten cours de classement en 2 O.La dernière commune classéeest Soleymieu.

archives-isere.frNous vous invitons à prolongervos séances de travail sur notresite Internet.Sa fréquentation (2000 visitespar jour en moyenne) etles nombreux témoignages desatisfaction nous encouragentà poursuivre son enrichissement.De nouveaux instrumentsde recherche et fonds numérisésseront mis en ligne en 2011.

Du côté des archivescommunalesLes fonds de 4 communes, arrivésen dépôt au cours de l’année2010, ont été classés etrépertoriées :

* Vizille [4 E 677] voir pageci-contre.

* Les Adrets [4E 679]. De façonclassique, s’y trouvent desparcellaires (au nombre de 7!),des délibérations ainsi que desrecensements de la population.

* Pommiers-la-Placette [4 E 538].À noter les délibérations1704-1788 et les registresparoissiaux 1614-1792.

* Saint-Égrève [4 E 678].

Depuis avril 2010, 4 communesont, à leur demande, bénéficié del’aide au classement pour leursarchives XXe et XXIe siècle.Pour 3 d’entre elles –Saint-Jean-d’Hérans,Saint-Guillaume et Châtelus –il s’agissait d’un premierclassement. À Notre-Dame-de-Commiers le classement entamélors d’une précédenteintervention a été poursuivi.Vous pourrez en consulterles répertoires dans notre salledes inventaires.

Pratique

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Le Billet de Luce

En un lieu improbableEffet de quelque grâce divine, isolat végétal ou aber-ration climatique, notre jardin ( cf Chroniques n°3 )fleurit sans discontinuer de nivôse à décembre etvice versa. Cette équanimité ne laisse pas de séduiremaints rêveurs, promeneurs, solitaires ou non*. Vousfaisant naguère visiter ce lieu enchanteur (n’est-il-pas ? ), j’ai omis, au mépris de tous les usages, devous en présenter quelques habitués. Ma coulpe sur-abondamment battue, je viens aujourd’hui réparercet inqualifiable manquement à la plus ordinaire ur-banité.Les célébrités locales ont donc à honneur de paraî-tre au gré des parterres, tel Pierre, natif de Pont-charra-sur-Bréda, dont l’armure peroxydée tintin-nabule de çà, de là, des coquelicots [L 103 etc] auxcirses [4G], foule sans vergogne le lierre terrestre[13 T, 16 T ], s’ébahit de la noirceur des tulipes du-masiennes [K,M et W] et prend la pose devant les lys[8H21] : monument d’ubiquité chevaleresque.

D’autres individus notoires, quoique moins en vue, ai-ment à muser par les sentes parfumées. Voyez, parmiles coquelicots – oui, j’ai un faible pour iceux –, LadyDvilerk-Otray et son cadet, Lord O’Nansdabvill, cé-lèbres chez nous pour leur décision irrévocable de neplus s’exprimer qu’en français [B3189]. Le froggy quisomnole en chacun de nous en coasse de gratitude.Ces deux ultramanchics** ne dédaignent pas échan-ger, par-dessus la floraison d’asphodèles [5E], avecsaint Kémy, originaire de Laxaleyville et protecteur

des généalogues, qui gagna son auréole en sauvantde la voracité d’une horde de vespertilions, de l’es-pèce metatchernobylmorphosa, nombre de registresparoissiaux et d’état civil.

Le happy few côtoie le tout-venant, les enténébrés,les sans grade, car telle est la magie – et la raisond’être première – de ce jardin : Louise, oubliant sestravaux de couture [8T ], cueille les bleuets en com-pagnie de Joseph (nègre amené d’Égypte, n’ayantpas de nom propre, 12 ans, né en Afrique, près duDarfour, le jeune Joseph est attaché à M. Bert, chefde bataillon d’artillerie ) et de « notre» Jean-Fran-çois, 12 ans également, de Figeac, pour l’heure obs-cur et inscrit, tout comme Joseph, au cours de des-sin de l’école centrale [L518]. Ne vous disais-je pointque ce jardin est enchanté ?

On croise évidemment quelques représentants de lagent animale, batifolant à l’envi : outre Clabaud et sesmarginaux compagnons [B 2628 et Chroniques n°1],j’ai une pensée émue pour le louveteau folâtrant dansles muguets d’une forêt drômoise et occis le 17 juil-let 1790 par un habitant de Villefranche [3C]. Lesoreilles de ce canis lupus, preuve nécessaire de ladestruction d’un nuisible ouvrant droit à la gratifi-cation ad hoc, sont parvenues jusqu’à nous. Eut-ill’heur de guetter, s’ébattant dans les fleurs de glé-chome [8T], ce charmant cochon d’un rose tout bri-tannique, brodé par une postulante au concoursd’entrée à l’école normale d’institutrices ?

Et puis, il est de première importance que je close lesprésentations par un jeune homme dont je viens toutjuste de faire la connaissance [20T] : Algirdas Grei-mas, ou Comment peut-on être lituanien. Né quelquesmois avant la Révolution d’Octobre dans l’empirerusse, il obtient en 1939 à Grenoble une licence èslettres. Étincelant sémioticien d’expression française(oui, oui, « ça existe ») et de renommée mondiale, ilm’est resté ignoré – que le rouge mascaret de lahonte m’anéantisse, un court instant seulement, carje n’en ai pas terminé – jusqu’à cet été. La consulta-tion de son dossier d’inscription [20T] révèle tout lecharme balte de sa langue d’origine***.

Il advient que tous ces visiteurs, animaux compris,bruissant de concert dans un jovial désordre****,notre jardin se mue en un éden sans pépins, nec plu-ribus impar, ainsi que se plaît à le proclamer Louis,quatorzième du nom [A].

Voilà qui n’est pas pour vous surprendre, honorélectorat, qui fréquentez chez nous autant par plaisirque par nécessité !

* Lorsque, d’aventure, le jardin est désert,il se dit que Rousseau y vient herboriser.

** Épithète qualifiant bourgeois etautres résidant à l’ouest de Calais.

*** En vo : lietuviu kalbos

**** Fantasme récurrent, parmi les archivistes! DESIG

NGRAPHIQ

UE