Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

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description

L’empreinte de l’œuvre d’André et Philippe Mornet sur le paysage de la ville d’Angers est considérable. Les marques de plus d’un demi-siècle de production architecturale et urbaine forment les repères d’une ville dont la métamorphose s’est épanouie magnifiquement dans les années d’après-guerre... En vente au CAUE de Maine-et-Loire.

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TextesRencontres entre Philippe Mornet et Bruno Letellier,

(février 1999 à mars 2002)

TranscriptionMaud Thévenin

RelectureClarisse Bodinier, Catherine Dadouche,

Bruno Letellier, Philippe Mornet,Sandrine Prouteau, et Maud Thévenin

IllustrationsArchives privées Philippe Mornet,

sauf mention contraire

Photographie des plansBruno Rousseau (Conseil général de Maine-et-Loire)

Conception et réalisation graphiqueMickaël Bouglé

Les opinions exprimées dans cet ouvragen’engagent que la responsabilité de leurs auteurs.

Achevé d’imprimer sur les pressesde l’imprimerie SETIG Palussière à Angers,

en octobre 2006

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Chronique d’une métamorphoseAngers 1924-1992

entretiens avec Philippe Mornet, citoyen, urbaniste et architecte angevin

Les éditions du CAUE de Maine-et-Loire

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Avant-propos

La vie se nourrit de rencontres. Certaines marquent et donnent le chemin. Ma pre-mière entrevue avec Philippe Mornet date de 1985, il y a plus de vingt ans. Elle eut

lieu à l’occasion d’un tournage de la télévision régionale sur la rénovation urbaine du quartier de la République à Angers dont il était maître d’œu-vre. Afin de préparer le sujet, nous passâmes ensemble une soirée à débattre de la ville, de son histoire et de ses projets. L’appartement de la résidence Saint Nicolas où il avait élu domicile et où il m’accueillait n’est pas étranger à l’extraor-dinaire souvenir gardé de cette première rencon-tre. Duplex occupant deux des derniers niveaux de l’un des immeubles du quartier rénové conçu avec Andrault quelques années auparavant, orienté vers la Maine et la rive gauche de la ville, il était - et doit être encore - à la fois une leçon d’architecture et d’humanité. L’espace, ouvert et lumineux, était occupé par une multitude d’objets et de témoignages relatant des années de voya-ges, de découvertes et d’amitiés. Le lieu de vie de l’architecte traduisait comme il se doit toute son existence, comme un arrêt sur image. Du balcon, le regard porté sur cette rivière dont on verra combien elle a guidé sa réflexion d’urba-niste, il déversait ses analyses spatiales et ses projections urbaines avec la faconde extraor-dinaire d’un homme libre et passionné. J’avais trente ans et chacune des images qu’il exprimait pour traduire l’histoire de la ville et celle de son travail d’architecte était une révélation construc-tive.

Toute une génération d’architectes, de maî-tres d’ouvrage, d’entrepreneurs et de décideurs locaux a été durablement marquée par la puis-

sance et le rayonnement du personnage. Tous ont en mémoire la vision de l’urbaniste, la pers-picacité et l’inventivité de l’architecte, les colères du patron, l’humour du confident ou la générosité d’un homme engagé qui se voulait au cœur de l’action, acteur dans une société en mouvement et responsable, pleinement responsable. Il en est de même de son père, André Mornet, dont l’em-preinte d’une bienveillante mais ferme autorité reste dans la culture de ceux qui ont approché ou partagé l’épopée de trois quarts de siècle d’une métamorphose urbaine à Angers.

Mais il n’y a pas que le personnage, il n’y a pas qu’André et Philippe Mornet et leur formida-ble capacité à convaincre et à porter très haut l’idéal de leur métier ; il y a aussi la production architecturale et urbaine, et celle-ci est excep-tionnelle.

La ville d’Angers en est le principal théâtre même si l’Hôtel de Ville de La Baule ou l’Ins-titut Régional d’Administration à Nantes res-tent les témoins considérables d’œuvres aux conceptions partagées. Du début des années cinquante jusqu’à la fin du siècle, le travail de Philippe Mornet construit le paysage de la ville. Il le construit par la réflexion urbaine perma-nente et l’influence positive de sa pensée et de ses convictions sur les édiles et les institutions locales. Il le ponctue, en cohérence, par des réa-lisations architecturales dont chacun s’accorde à reconnaître l’intelligence et la constante qualité et qui, pour la plupart, participent à la continuité patrimoniale de la ville autant qu’à son ancrage dans la modernité. La richesse et l’exemplaire actualité de l’œuvre de Philippe Mornet tiennent

à cette fusion entre urbanisme et architecture, l’objet architectural participant d’un ensemble projeté, élément constitutif d’un tout maîtrisé dans la cohérence et construit au fil du temps. Cette situation est exceptionnelle, elle s’inscrit dans une tradition classique malheureusement disparue, la commande architecturale étant aujourd’hui principalement ponctuelle, événe-mentielle pourrait-on craindre, ballottée par les hasards de la mise en concurrence et sans maî-trise de la continuité et du long terme.

L’idée de l’ouvrage tient à cette rencontre et à celles qui ont suivi. Le CAUE ne pouvait envi-sager que se perde cette mémoire ou qu’elle soit exprimée par un autre que celui qui en avait été le principal inspirateur. Avec une égale énergie, celui qui toute sa vie a été un homme d’action et de projets était invité à faire un retour en arrière, à dérouler le film de ce siècle ambigu où tout lui avait semblé possible. Il le fit de bonne grâce, avec passion, patience, humour et gentillesse, et en s’appuyant toujours sur le souvenir pour continuer à défricher l’avenir. Le plus souvent le mardi matin, de février 1999 à mars 2002, il m’ac-cueillait à la Sansonnerie, vieille longère pleine de charme où il s’est mis un peu hors du monde, pour évoquer ce parcours magnifique dont l’une des étapes était, chaque semaine, généreuse-ment étalée sur la grande table familiale.

L’histoire d’un homme et d’une œuvre sans lesquelles la nécessaire métamorphose d’une ville longtemps endormie eut été différente, peut-être moins belle et assurément moins cohé-rente.

Bruno Letellier

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INtroduCtIoN - L’héritage : un lieu stratégique de roche, d’eau et de limon ...........................................................................................................

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I - ANdré et PhILIPPe MorNet, des architectes au service de la ville .................................................................................................................... 23I.1 - Portrait ................................................................................................................................................................................................................................................ 24I.2 - Croquis de deux fortes têtes ........................................................................................................................................................................................................... 30I.3 - L’entre-deux-guerres (1920-1940) .................................................................................................................................................................................................. 36

II - L’APrès-guerre, de la reconstruction au développement urbain ........................................................................................................................ 45II.1 - En campagne pour la ville (1944-1950) ....................................................................................................................................................................................... 46II.2 - La reconstruction de la Blancheraie (1950-1957) ....................................................................................................................................................................... 56II.3 - Le lycée Chevrollier (1946-1958) .................................................................................................................................................................................................. 64II.4 - La rénovation du faubourg Saint-Michel (1952-1983) ................................................................................................................................................................. 76II.5 - L’École des Beaux-Arts (1946-1969) ............................................................................................................................................................................................ 88

III - des éQuIPeMeNts dANs LA VILLe .................................................................................................................................................................................... 97III.1 - Rénovation du quartier Saint-Nicolas (1960-1983) ................................................................................................................................................................... 98III.2 - L’Hôtel de ville d’Angers (1960-1982) ......................................................................................................................................................................................... 122III.3 - La Bibliothèque municipale (1968-1977).................................................................................................................................................................................... 148

IV - Au fIL de LA MAINe ................................................................................................................................................................................................................. 161

sommaire

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INtroduCtIoNL’héritage : un lieu stratégique

de roche, d’eau et de limon

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10 Introduction - L’héritage : un lieu stratégique de roche, d’eau et de limon

Il convient de présenter les acteurs de cette tragi-comédie burlesque. Si le texte au chapitre I présente les protagonistes, et si le mot de la fin les laisse apercevoir dans un cri

d’angoisse, il manque au début le personnage principal de toute la pièce. La ville d’Angers dans ses frasques géographiques et physiques à travers le temps, donnée incontournable, sans laquelle les acteurs, faute de texte et de script retourneraient à leur statut d’intermittents.

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11Introduction - L’héritage : un lieu stratégique de roche, d’eau et de limon

Roches fortement résistantesà l’érosion. Grès armoricainset schistes d’Angers armésde quartz.

Roches moyennement résistantesà l’érosion. Schistes diverset grès tendre.

Roches faiblement résistantes. Schistes précambriens, arkoses altérées.

Terrasses pleistocènes. Sableset graviers.

Remblaiement flandrien holocène. Sablons et argiles.

Limites d’Angers intramusros.

site Angers

Un lieu stratégique, de roche, d’eauet de limon. Un fil de schistepour franchir une faille longuement taillée, devenue canal. La Maine,trait de scie qui fédère la Mayenne,la Sarthe et le Loir et les accompagne vers la Loire.

Nature des terrains traversés par la Maine,par Michel Gruet, d’après la carte géologiquede la France, B.R.G.M., 1976, éch. orig. 1/50 000e

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12 Introduction - L’héritage : un lieu stratégique de roche, d’eau et de limon

Localisationdes ponts

La Maine comble la villeLa ville comble la Maine

Localisation des pontssur la carte topographique d’Angers, © BD Topo I.G.N.

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13Introduction - L’héritage : un lieu stratégique de roche, d’eau et de limon

Angers 1450Une ville d’eau que la Maine commande en la servant et la desservant,la bouleversant par ses excès, mais ne pouvant la défendre qu’avec des chaînes.

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14 Introduction - L’héritage : un lieu stratégique de roche, d’eau et de limon

1576La domination de l’Église s’exerce dans tous les domaines, spirituel, social, financier, dans le corset militaire du temporel.

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15Introduction - L’héritage : un lieu stratégique de roche, d’eau et de limon

1776À l’aube des grands bouleversements, dans ses structures, par sa desserte axiale qui deviendra périphérique, dans ses activités culturelles et sociales, par l’affaiblissement du contenu ecclésiastique. Musées d’Angers, AMD 1291-1 / Cliché Pierre David

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16 Introduction - L’héritage : un lieu stratégique de roche, d’eau et de limon

1813C’est la fin du corset ancien qui mutualisait la variété du contenu,par la chute des murs et le comblement des fossés.

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17Introduction - L’héritage : un lieu stratégique de roche, d’eau et de limon

1838L’organisation du dehors va modifier l’organisation du dedans.D’un temps assez court avec des plans d’urbanisme à la placedes anciens aménagements ponctuels : Les nouveaux ponts,Les quais,Les boulevards,La fin des îles,La ville sort de son corset mais la Maine est encore aux commandes.

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18 Introduction - L’héritage : un lieu stratégique de roche, d’eau et de limon

1863La ville s’urbanise hors les murs nouant de nouvelles attaches extérieures.Le chemin de fer arrive, concurrent de la Maine.Les casernes et l’hôpital s’installent : à l’extérieur.

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19Introduction - L’héritage : un lieu stratégique de roche, d’eau et de limon

1881Le tissu industriel s’installe, le tissu ancien s’adapte et se modernise, la ville commence à manger le bassin de la Maine avec respect, le volumedu dehors dépasse celui du dedans.

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20 Introduction - L’héritage : un lieu stratégique de roche, d’eau et de limon

1910Le plein de casernes est fait. Le Nord-Est et le Sud-Est se développent,l’industrie aussi ; la Doutre, et au-delà, dort, les halles anciennesdisparaissent, l’abattoir s’adapte, la Maine s’embourgeoise.

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21Introduction - L’héritage : un lieu stratégique de roche, d’eau et de limon

1934Sous la contrainte de la réglementation, la ville se dote d’un plande développement. La ville ancienne n’en est plus le corps, il lui restele cœur et l’image. La Maine reste toujours difficile à franchir.

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I - ANdré et PhILIPPe MorNet des architectes au service de la ville

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Quartier St Michel - 1959

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I.1.1 - André Mornet, 24 rue Chevreul, 1926

I.1 - La bonne gueule de deux fortes têtes

I.1 - PortrAItLa bonne gueule de deux fortes têtes

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Quartier St Michel - 1959 I.1.2 - Philippe Mornet, président national de la Jeune chambre économique, bureau 4 place Lorraine à Angers, 1966

I.1 - La bonne gueule de deux fortes têtes

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Quartier St Michel - 1959

26 I.1 - La bonne gueule de deux fortes têtes

I.1.3 - André et Jean Mornet, vers 1910I.1.4 - André Mornet, 1950

I.1.5 - André Mornet, rue Mirabeau, 1969I.1.6 - Philippe Mornet, Égypte, 1953

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Quartier St Michel - 1959

I.1 - La bonne gueule de deux fortes têtes

I.1.7 - Philippe Mornet, “La recherche de l’équilibre, condition de survie des actifs”, jumelage Lions-club, Osnabrück, 1982I.1.8 - Philippe Mornet, Stromboli, août 1977

I.1.9 - Philippe et André Mornet, 1986I.1.10 - Philippe Mornet et sa petite fille Marion, 1986

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28 I.1 - La bonne gueule de deux fortes têtes

I.1.11 - André Mornet, 1970

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29I.1 - La bonne gueule de deux fortes têtes

I.1.12 - Philippe Mornet, Afghanistan, 1974

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30 I.2 - Croquis de deux fortes têtes

I.2 - CroQuIs de deux fortes têtes

Mon père est un homme d’aval et moi, je suis un homme d’amont, c’est notre grande différence, mais aussi la raison pour laquelle nous nous

sommes bien entendus : on ne marchait pas dans le même chemin. Tandis que je me suis toujours intéressé au futur, mon père vivait à la fois dans le présent et dans le passé.

Son père étant mort très jeune, mon père a été élevé par son grand-père, un personnage folklorique, un médecin généraliste du xixe siècle. Il a été adjoint au maire à Blois. C’était un homme de bohème assez fantastique qui a été son modèle bien que mon père ait choisi une voie complètement différente. Le grand-père Guérin allait faire ses consultations en voiture à cheval avec cocher. Dans sa voiture, était installée une bibliothèque, et il profitait des trajets pour bouqui-ner tranquillement. C’était donc un homme très cultivé, toujours un peu ailleurs. Mais ce n’était pas un visionnaire, il vivait plutôt dans l’histoire.

Moi, je ne lis pas de romans. Je lis maintenant un peu des livres d’histoire, mais j’ai toujours lu des bouquins de géographie et d’économie, et je me suis livré aussi à des sources qui étaient d’actualité ou d’anticipation. Je suis un introverti et un solitaire, tandis que mon père était tout le contraire : un extraverti et beaucoup plus soli-daire que moi. Je m’occupe aussi des gens mais dans le futur. J’ai eu une démarche citoyenne dans beaucoup d’activités en tentant d’intégrer

les données nouvelles, non résolues ou négli-gées dans les systèmes qu’il m’intéressait de créer pour l’avenir.

Est-ce la différence entre l’architecte et l’ur-baniste ?

Non, je ne suis pas plus urbaniste qu’archi-tecte. Ce sont deux focales sur un même monde. En plus, je suis très bricoleur : la matière m’in-téresse… J’ai toujours été dans l’action. Mais l’action me convient afin de tirer les leçons pour l’avenir plus que dans l’objectif de régler le pro-blème. Les problèmes d’intendance ne sont pas tellement mon rayon. Ce défaut aide à être plus décontracté pour essayer d’imaginer et de créer

A contrario, mon père était un communicateur né, qui a toujours su séduire. Il savait expliquer, résumer et écrivait très bien : il faisait d’une his-toire relativement sordide, d’un conflit avec un préfet par exemple, un numéro un peu tragique qui se terminait toujours en comédie parce qu’il était très philosophe. J’ai appris à communiquer parce que je suis un timide, ce qui étonne tou-jours les gens. En fait je me suis forcé, comme beaucoup d’acteurs, tel Jouvet qui était un grand timide. De même, mon père était un négocia-teur, très souple, habile. Il a été un expert que beaucoup d’avocats et de magistrats ont regretté parce qu’il arrivait souvent à concilier les gens. Il avait l’art de la manœuvre…

André Mornet était un médiateur qui avait un grand respect des autres…

Tout à fait, parce qu’il était, plus que moi, un homme solidaire. Quand il était petit, on l’appe-lait “le Glorieux” parce qu’il était assez sûr de lui, en tout cas en apparence. En fait il fonçait. Mon père était aussi un homme de commando : il avait fait la guerre de 1914. Ayant commencé une préparation à Saint-Cyr, en 1916 il s’est engagé dans les chasseurs à cheval. Ces commandos, qui manœuvraient bien le couteau, allaient de nuit à cheval dans les tranchées et ramenaient des soldats adverses pour avoir des renseigne-ments ou transmettre des messages. Dès 18 ans, il était dans une atmosphère d’initiatives, de grosses responsabilités et de risques. Je pense que mon père a appris à être un bagarreur à ce moment-là.

Moi, je ne suis pas comme ça. Je suis curieux et sensible aux opinions les plus diverses. Je suis plus éclectique, encore qu’il l’était assez, mais surtout beaucoup plus individuel, donc je me laisse imprégner moins facilement. Je ne me laisse pas influencer. Je trie moi-même, mais ne refuse rien a priori, au contraire les avis oppo-sés m’intéressent. Par exemple, j’ai toujours été abonné à des magazines de toutes tendances. C’est en entendant les courants s’exprimer que je me suis forgé mes opinions et elles sont mien-nes.

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31I.2 - Croquis de deux fortes têtes

Sensible à la géographie, je vis dans l’avenir avec un œil sur le présent. Mon père, sensible à l’histoire, vit au présent avec un œil sur le futur. Voilà la différence d’optique des deux personna-ges.

Qu’est-ce qui a décidé ton père à devenir architecte ?

Le hasard… Le hasard a fait qu’il voulait deve-nir militaire : après s’être engagé, il a fait une brillante partie d’armée au front. En 1917, alors qu’il était brigadier, il a arrêté une équipe d’offi-ciers qui désertait. Quand ils lui ont dit : « Mais les Allemands sont juste derrière », mon père leur a répondu : « Écoutez, je vais sur la colline. Si je suis descendu, vous foutez le camp parce qu’ils sont réellement là. Sinon, moi, je vous ramène au Général ». Il est monté sur la colline, n’a pas pris de coup de feu et a ramené les déserteurs à l’état major… Ce n’est pas mal pour un type de 18 ans, surtout dans le feu de l’action ! Il a ainsi gagné la croix de guerre. Mon père réagissait très vite, pas du tout inconsidérément, parce qu’il était vif sans être nerveux. Nous sommes plutôt rapides tous les deux, mais quand on décide d’appuyer sur l’accélérateur, on ne part pas à fond, en général on “chauffe le moteur” avant de démarrer ! Après cette affaire, mon père a été “récupéré” par l’ar-mée qui cherchait à former des futurs officiers. Après trois mois à Saint-Cyr, il a été renvoyé au front en 1918. À la fin de la guerre, étant un excel-lent cavalier, il a été envoyé à Saumur. Après sa participation à l’escorte de Foch à Londres pour la fête de la Victoire, il a estimé qu’il lui faudrait mieux faire autre chose que l’armée.

Mes grands-parents avaient un ami architecte (il avait une maison de campagne aux environs

de Blois). C’est lui qui a orienté mon père vers l’architecture. “Entré” dans l’architecture tout à fait par hasard, il a fait les Beaux-Arts de Paris à ce moment-là.

Quand est-il venu à Angers ?

Il est arrivé en Anjou en 1924 après avoir travaillé chez des architectes à Paris un certain temps, pour financer ses études.

Voilà son entrée dans la carrière. L’adoles-cence et les premières années sont riches d’ex-périences. Finalement, quel que soit le métal, cette période a un rôle de forge. J’ai, dans un tout autre genre, des expériences du même type. Quasiment au même âge, j’ai également connu la guerre. Mon père était de 1898 : en 1914, il avait 16 ans. Moi, j’étais un peu plus jeune : 13 ans en 1939, au moment de la déclaration de guerre. J’ai vécu la guerre d’une autre façon bien sûr mais c’était une sacrée école de formation.

En 1939, en tant que scout, j’allais porter les plis de la préfecture à droite et à gauche, parfois jusqu’à Saumur en vélo. Compte tenu des diffi-cultés de liaison à l’époque, les scouts faisaient le lien entre les administrations. J’ai ainsi vu passer des personnalités locales, devant le bureau du Préfet. À 13 ans, ça fait un certain effet. J’ai vécu les camps de scout bien qu’on n’eût plus le droit de porter l’uniforme. Place André Leroy, on allait retirer les pancartes allemandes de localisation des différents services dont on faisait collection au local, ce qui était idiot, mais après tout on y a appris aussi à savoir se débrouiller et à prendre des risques…

J’ai connu le passage des réfugiés en 1940 puisque mon père dirigeait le centre d’accueil du Haras. Notre maison servait alors d’abri supplé-

mentaire : il y en avait dans tous les coins ! On laissait même nos lits… Et on donnait un coup de main à mon père. Ensuite a eu lieu l’exode. Nous sommes partis en vélo pendant trois jours jusqu’en Charente, ma sœur aînée, mon frère et moi, parce que mon père ne pouvait pas mettre ses neuf enfants dans la voiture. Ce fut une expérience assez vivante. Durant les années de guerre, on voyait vivre le monde à travers les communiqués relatant des faits à Okinawa ou Vladivostok. L’histoire avait peu d’importance par rapport à la géographie à cette époque. On se baladait ainsi dans le monde en entendant analyser les conflits, apparaître les alliances et les défections. On vivait les retournements de l’histoire.

En 1941, j’étais en seconde à Saint-Maurille. On était 52 dans la classe, avec tous les réfugiés venus du Nord. Sur les bancs surchargés, on se mettait un peu de travers pour écrire. On était moins larges d’épaules à l’époque ! Les profes-seurs étaient des dominicaines habituées aux collèges de jeunes filles. À 14-15 ans, on était remuants et on en a consommé trois dans l’an-née ! Certains professeurs ne sont jamais cha-hutés, d’autres passent leur carrière sous les boules de papier. Certains sont “profs”, d’autres ne le sont pas, même avec tous les ingrédients pour le devenir.

J’ai étudié un an chez les jésuites à Poitiers en classe de première. Lors d’un camp scout pour avoir notre badge d’explorateur, à Pâques 43, on nous dit, à un camarade indochinois et moi : « vous allez traverser la forêt de Moulière – c’était une chasse des Allemands avec des miradors – Vous partez à tel endroit à midi le samedi et rendez-vous 24 heures après, à l’autre bout du camp, et vous emmenez le minimum… ».

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32 I.2 - Croquis de deux fortes têtes

Pour passer le badge d’explorateur, pas question d’emmener du matériel : pas de boussole, pas de carte, rien. Le flair.

Et les Allemands…?

Pour une fois discrets. Notre aumônier, qui était notre professeur titulaire, à 72 ans, par-tait tous les samedis avec sa tente et couchait dehors été comme hiver – et l’hiver 1942-43, c’était quelque chose ! – et il revenait au collège le lundi matin pour donner ses cours de grec. C’était un grand type assez terrible. On récitait tous les jours les verbes grecs irréguliers quelle que soit la nature du cours.

Phan-Lao-Lang et moi avons donc passé, dans les chemins les plus impossibles, l’après-midi et la nuit complète sans duvet. À l’aube, on entend un bruit terrible - on ne dormait pas beaucoup à vrai dire -, Lang me demande : « Tu entends ? ». Je lui dis : « Oui… C’est les Alle-mands ? ». Une certaine cadence se précisait… Puis, tout à coup, des séries de ventres nous sont passées dessus dans la nuit : un chevreuil, deux chevrettes et six faons, puis le bruit s’est éteint. C’est un souvenir fantastique. On a tra-versé notre forêt, vu des miradors, mais jamais de soldats. S’il n’y avait pas réellement d’Al-lemands à ce moment-là, il y en avait tous les signes extérieurs, ce qui suffisait pour l’épreuve. En revanche, dans ma vie j’en ai vu des “chasses gardées”, non pas par des Allemands mais par d’autres, qu’il fallait que je traverse, mon dossier sous le bras, mes idées derrière le dos, sans se faire prendre pour sortir de l’autre côté et avoir son badge… A la fin de l’année scolaire, après mon premier bac, mon bulletin portait pour seule mention, de la main du père supérieur : « Sais

prendre ses responsabilités ». Je commençais ma carrière d’intrépide.

Tout cela fait partie des événements appa-remment mineurs mais fondateurs de la forma-tion. Mon père aussi bien que moi avons toujours été confrontés à des épreuves durant notre ado-lescence.

J’ai connu la libération d’Angers, les bom-bardements. Avec mon père, j’ai fait partie de la défense passive1. J’ai transporté alors mon premier cadavre. Arrivés dans la grande cave voûtée pleine de morts du couvent de la rue de Fremur, il nous fallait récupérer notre brancard. Retirant la couverture, on découvre trois mor-ceaux : la victime avait été coupée en trois. La “première en direct” avec la mort, comme disent les journalistes, provoque un drôle d’effet tout de même, mais fait aussi partie des expériences qui font réfléchir…

Après les bombardements, en mai 1944, on a fait le relevé des destructions avec mon frère. Quand, dans notre cave de la rue Mirabeau, on a entendu les dernières bombes, mon père a dit : « Allez les garçons ! Vous allez me faire le relevé de toute la zone qui a été démolie autour de la gare ». L’alerte n’était donc pas finie, et nous sommes partis par l’avenue Vauban et la rue Albéric Dubois. On a effectué tout ce trajet dans une atmosphère très particulière parmi les mai-sons qui brûlaient. Une maison est même tombée à 100 mètres devant ! Plus loin, une torpille au milieu de la chaussée, qui n’avait pas pu rentrer dans les pavés, se demandait ce qu’elle allait faire… Mais on n’avait pas envie de lui donner réponse et on s’est enfuis en vitesse ! Ramenant notre relevé à la mairie, nous étions traumatisés par les bombes et les maisons qui tremblaient. J’ai un souvenir fellinien de notre arrivée sur la

rue Paul Bert, dans le noir le plus absolu. Un bruit d’enfer venait d’on ne sait où… Et une paire d’yeux avançait assez rapidement. En fait, on a vu arriver trois voitures de pompiers de Trélazé, qui roulaient sur les jantes2, ce qui faisait sur les pavés un bruit fantastique. Comme les premiè-res bombes sur Angers avaient atteint la caserne des pompiers (juste derrière l’Hôtel de France), elle avait été rasée et il n’y avait plus un véhi-cule. Ils avaient donc demandé aux pompiers de Trélazé, qui n’étaient pas préparés, de venir avec leurs engins. Après le bombardement, vers 4 heures du matin, en contre-jour, les véhicules

1 - Défense passive : coalition des forces civiles pendant la guerre. En tant qu’architecte. de la ville, mon père faisait partie du comité de la défense passive.

2 - Pendant la guerre, il y avait très peu de pneu.

I.2.1 - André Mornet, 1941

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33I.2 - Croquis de deux fortes têtes

apparaissaient comme des insectes - les voitu-res de pompiers à l’époque étaient davantage des insectes avec un tas de petits appendices que des voitures profilées. J’entends encore les véhicules passer devant nous, un peu rassurés parce qu’on se demandait ce que c’était…

Dans toute la famille, on était plutôt des gens gais, moins du côté de mon père du fait de la perte de son père à 41 ans. Mais mon arrière grand-père, ce personnage clé de la jeunesse de mon père, était un personnage très fantaisiste. Parlant bien, très cultivé et vivant, il était capable, paraît-il, de tenir une salle comme ça, en racon-tant des histoires.

Ma mère est issue d’un milieu de bonne bour-geoisie (des industriels, tanneurs)3, mon grand-père, très cultivé, très musicien, était initialement commissaire de la marine4 puis, sa femme ne voulant pas d’un marin, il est devenu directeur commercial des chocolats Poulain. Dans leur propriété aux environs de Blois, il avait monté un petit théâtre où se rodaient des pièces qui sont sorties à Paris. Quatre-vingt ou quatre-vingt dix personnes tenaient dans cette salle dans laquelle on jouait quand on était gosses. C’était un type très actif, royaliste à fond, “catho” à fond - il a rendu sa légion d’honneur du temps du petit père Combes5 -, à la fois très engagé et décontracté.

Tes grands-parents vivaient à Blois ?

Oui, mais mon père a été très marqué par ses origines lorraines, côté paternel. Après avoir quitté la Lorraine en 1870-1871, mon arrière grand-père (instituteur aux environs de Metz) s’est installé dans les Vosges. D’abord comp-table dans une affaire de bois, il a finalement racheté l’entreprise. Son fils a fait sa médecine à

l’école de santé de Lyon puis est devenu médecin militaire. Mon père est donc né à Saint-Cyr (un “Saint-Cyrien de naissance”) qu’il a quitté à l’âge de 4 ans. Son père est mort en 1911 à 41 ans du choléra qu’il avait dû attraper avec les militaires qui venaient des colonies. Ma grand-mère est restée seule avec quatre enfants. À l’approche de la guerre de 1914, la souche lorraine était importante dans la mentalité de mon père. Dans ses jeux d’enfant, il faisait la guerre contre les Allemands. D’ailleurs, mon père parlait assez bien l’allemand n’ayant eu que des jeunes filles au pair germanophones avant la guerre. Chez mon père, coexistent la revendication « vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine ! », et un tem-pérament ouvert sur les autres, même pendant la guerre, ce qui a rendu quelques services à la ville d’Angers. Comme les Allemands savaient qu’il parlait bien leur langue, les conversations étaient plus décontractées qu’avec les autres Français, d’autant que mon père a toujours eu de la répartie. Que ce soit avec un Allemand, un maire ou un ministre, il ne se laissait pas faire : il était plutôt du genre à réagir en direct et en force.

Une autre partie de sa famille ligérienne, d’Orléans et de Blois, tandis que la famille de ma mère était tourangelle et industrielle, donc des grands bourgeois tandis que, du côté de mon père, c’était plutôt la petite bourgeoisie : des artisans et des commerçants de tissus et des vignerons lorrains. Mes parents habitaient des maisons voisines à Blois.

Dans un environnement lié à la médecine et aux affaires, rien ne prédisposait a priori André Mornet à l’architecture, à part le milieu cultivé.

Oui, l’architecture est arrivée dans sa vie d’une manière complètement fortuite. Passer de l’armée à l’architecture était une manœuvre audacieuse ! Mais je n’ai jamais vraiment analysé cette conversion avec mon père. Je pense que l’armée lui a plu parce que c’était la suite logique dans une famille lorraine où certains militaires s’étaient illustrés. Son oncle, colonel à l’époque6, a été le seul homme de la famille, en dehors de son grand-père. Mais je ne pense pas que mon arrière grand-père l’ait poussé à être militaire (ce n’était pas dans son genre, il était plutôt radical socialiste, à dire “ni le sabre, ni le goupillon”. Son père avait été médecin militaire à Saint-Cyr avant de succéder à son beau-père.

Mon père a dû se dire que la guerre est une catastrophe et que désormais il allait construire. De plus, étant un homme d’action, être cantonné dans une caserne ne l’intéressait pas. À peine

3 - Mon arrière arrière grand-père était président de la Chambre de Commerce de Tours. 4 - Il avait fait l’école navale. 5 - Combes : membre du parti radical, anticlérical, il propose en 1904 la séparation

de l’église et de l’État (note de l’éditeur). 6 - Il a commandé Saint-Cyr.

I.2.3 - Philippe Mornet, Stromboli, août 1977

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34 I.2 - Croquis de deux fortes têtes

entré dans l’armée, on lui avait mis un fusil dans les mains et il en a vu de rudes parce qu’il enca-drait des commandos. C’était une dynamique autre que celle d’un officier installé dans un état major en train de présumer de l’angle d’attaque… Il a toujours été un homme de terrain - est-ce cela qui l’a dirigé vers l’architecture ? – et il a d’ailleurs gardé un bon souvenir de la guerre alors que c’était une période difficile. Par ailleurs, le mari de sa marraine, d’une famille liée à la sienne depuis trois générations, capitaine polytechni-cien et architecte, avait été tué en 1915 et cela l’avait peut-être influé pour sa sortie de l’armée.

Cette période d’actions explique-t-elle son engagement urbanistique ? Le fait de n’avoir pas simplement construit des objets archi-tecturaux mais d’avoir été un architecte qui s’inscrit dans une démarche collective ?

Mon grand-père maternel, l’officier de marine, s’occupait beaucoup des ouvriers de son usine, d’organismes culturels. Lors des manifestations contre la loi Combe, il défilait alors qu’il était industriel à Blois – il a vécu des histoires invrai-semblables, surveillé par les renseignements généraux – c’était donc un homme de combat. Il avait fait la guerre comme lieutenant colonel sous-intendant des armées de l’Orient7. Il était donc toujours engagé dans l’action.

De l’autre côté, mon père vivait dans un milieu de reconquête suite à la perte de l’Alsace-Lor-raine. Cet esprit de solidarité existait beaucoup en France après la guerre de 1870 et davantage encore chez les Lorrains. Mon père a donc été élevé dans cette idée « on a perdu une bataille, mais pas la guerre ».

Un revanchard…

Incontestablement, et le fait d’avoir été acteur d’une guerre forgeait aussi des citoyens. Beau-coup d’anciens combattants de 1914 ont pris ensuite des responsabilités. La guerre crée une communauté centrée sur la survie. Le climat de cette époque favorisait les notions de nation, de solidarité et d’interdépendance, qui ont contribué à forger les valeurs républicaines auxquelles mon père et moi étions attachés.

Mon père a toujours eu besoin de rencontrer des gens, d’échanger. Il n’était pas du tout dans une position « je m’installe devant ma planche et j’essaie de traduire mes rêves, mes envies, mes théories dans des concepts que j’arriverai tou-jours à imposer à mon interlocuteur ». Dans ce domaine, j’ai été plus “raide” que lui.

Ce n’est pas le même contexte non plus.

En effet, mais par nature aussi. Je suis capa-ble de diplomatie, mais une diplomatie “à l’amé-ricaine” (dans certains cas, tout ne se résout pas simplement avec des gants blancs et des queues de pie, et il faut quand même passer à l’acte). Mon père - et il a toujours été brillant en expertise pour cette raison - a l’art de la conciliation. C’est en fait un jeu. D’ailleurs, après avoir arrêté son activité à 70 ans, il a continué à faire de l’exper-tise jusqu’à 80 ans.

Quand André Mornet quitte Blois pour l’An-jou, comment se traduit son engagement civique sur Angers ?

C’était l’après guerre, mon père est arrivé à Angers vers 1925 à la demande de Merklen8 qui avait repris un atelier de vitraux. L’affaire travaillait

beaucoup pour les monuments historiques. La base de l’activité répondait essentiellement à la demande pour la restauration des lieux de culte abîmés. Il a monté avec Merklen un projet de chapelle pour l’exposition des Arts décoratifs avec un groupe d’artistes et d’artisans angevins. Mon père a donc créé L’atelier d’Anjou. C’est la première équipe qu’il ait animée. Ces artisans9 en parlaient, de même que mon père, comme de leur première aventure.

L’atelier d’Anjou était situé dans la fabrique de vitraux ?

Oui, l’atelier se trouvait dans le bâtiment Cla-mens avant que ne s’installent le syndicat d’initia-tive et l’office du Tourisme place Kennedy.

Quelle est vraiment l’importance de la cha-pelle du Kouif ? Dans ses archives, elle est très présente alors que c’est un projet rela-tivement ponctuel entre jeunes artistes pour l’exposition des Arts décoratifs.

Mon père y est attaché car c’est un démar-rage, c’est comme le premier amour. Après avoir travaillé dans des agences à Paris, il est venu à Angers dans l’idée d’y passer un ou deux ans pour travailler avec Merklen10 qui, ayant repris l’affaire de vitraux (Clamens), voulait la dévelop-per suite aux destructions, dans un esprit “anti-Saint-Sulpice”. Entrant dans ce milieu, mon père s’est retrouvé dans l’effervescence des années 1920 où naissent des courants artistiques variés, de l’art déco au Bauhaus. Les femmes com-mençaient à porter des chapeaux minuscules, montraient leurs jambes, les silhouettes s’allon-geaient.

7 - À Salonique pendant la guerre de 1914, il s’occupait du ravitaillement des armées. 8 - L’oncle de ma mère. 9 - Chesneau, Desjardins qui a dirigé l’atelier après, Guilleux, Bruel et les autres. 10 - L’oncle de sa femme.

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35I.2 - Croquis de deux fortes têtes

Afin de réaliser un stand pour l’exposition des Arts décoratifs et trouver des débouchés autres que ceux liés aux destructions de la guerre de 1914, Georges Merklen avait constitué en 1924 une équipe pluridisciplinaire. Ils ont conçu, des-siné et réalisé de A à Z une chapelle et c’est ce qui a séduit les partenaires du Djebel Kouif11. L’atelier leur amenait un produit quasiment fini jusqu’à la réalisation de tout le mobilier (des luminaires, sculptures, vitraux, statues aux cha-subles). Un produit complet et fabriqué par des

entrepreneurs et artisans d’Angers expédiés et montés par eux sur place.

Le hasard a fait que, moins d’un an après, Merklen est mort et les membres de l’atelier ont demandé à mon père d’assurer la continuité de l’activité. Il a pris l’équipe en mains à 25-26 ans. Puis l’affaire Clamens a été vendue à l’autre architecte de l’atelier, Desjardins. Merklen dispa-raissant, mon père s’est trouvé dans une position d’immigré : il ne connaissait personne, et Angers est un monde fermé à l’époque. Après la fin de quelques affaires, initiées par Merklen, il reprend donc des contacts pour repartir à Paris.

Première œuvre d’André Mornet, la chapelle ne représente-t-elle pas en même temps l’im-mersion dans le milieu culturel angevin ?

En effet, c’est le fait d’avoir remporté le

concours des Arts Déco qui incite mon père à poursuivre son activité sur Angers. Bien qu’au départ mon père ait eu, comme tous les émi-grés qui arrivent dans une ville comme Angers, à entrer non pas dans la vie angevine, mais dans le “milieu angevin”. Toute cette équipe était com-posée d’artistes peu connus, qui démarraient. Je pense que l’aspect novateur du projet a aidé à son intégration, finalement assez rapide. Il mène la réalisation de la chapelle. Cette première affaire avait une dimension autre que la réalisa-tion d’une maison particulière rue d’Alsace : un client très particulier (l’administrateur général des mines de phosphate, M. de Maniquet), un terrain à l’autre bout de la Méditerranée, une collabo-ration avec un architecte sur place qui suivait le chantier en Algérie, une réalisation à Angers des éléments au millimètre puisqu’ils étaient insérés sur place, et la coordination des artisans (sculp-

ture, ferronnerie). En fait, il a fait son expérience professionnelle sur un projet très raffiné avec un client intelligent et riche.

Brusquement, les portes se sont ouvertes : le concours et son style lui ont immédiatement amené une clientèle. Un second élément a joué en sa faveur : une colonie blaisoise installée à Angers avait dû apprendre dans la presse que mon père était né à Blois. Et certains anciens clients de mes aïeuls, médecins à Blois, sont venus voir mon père (pharmacie Loison12). Il réa-lise des aménagements intérieurs de propriétés. Il a également une clientèle de magasins. On est alors vers 1926-1928, il n’est pas encore archi-tecte de la ville et la crise de 1929 pointe à l’ho-rizon.

À côté de son activité locale, la chapelle du Kouif (et différentes réalisations sur place pour la société des mines de phosphate) est donc le projet le plus important parce que le premier et à la fois a contrario, l’occasion pour lui de se fixer à Angers. Cette affaire l’a en effet installé à une époque où les architectes avaient peu de commande. C’est pour cette raison que ce projet a été l’événement de sa vie, dont la réalisation s’est déroulée sur une longue période (de 1925 à 1932). Bien qu’il s’agit d’une commande déri-soire par rapport à celles que l’agence a connues après, pour l’époque c’était quelque chose ! À la fin du projet, le père de Maniquet a reçu les Palmes académiques, mais mon père n’en a pas voulu : à la trentaine, il se trouvait bien trop jeune ! Ensuite, mon père a été proposé à plu-sieurs reprises pour recevoir cette distinction, mais le ministère avait bien pris note qu’il les avait refusées la première fois !

11 - Près de Tebessa, en Algérie. 12 - À l’angle du boulevard Foch et de la rue Paul Bert.

I.2.3 - La chapelle du Kouif, 1928

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36 I.3 - L’entre deux guerres (1920-1924)

I.3 - L’eNtre-deux-guerres (1920-1940)“on rentre dans sa tranchée”

La ville cherche un architecte et mon père y est donc entré en 1929. Ses écrits sont une mine d’histoires assez étonnan-tes, illustrant les péripéties d’un jeune

architecte de la ville avec tous les maires qu’il a connus…

J’ai dû à l’amitié du sculpteur Chesneau d’être nommé architecte de la ville. À l’occasion de la construction de la Chapelle du Kouif, je lui

avais fait exécuter quatre statues, ce qui était exceptionnel, nous nous liâmes. Il était plutôt de gauche que de droite ; aussi, quand l’adjoint au Maire, Chevalet, qui menait la municipalité radicale et socialiste de l’époque, lui demanda conseil pour substituer à l’architecte en titre, très fatigué et qui devait mourir peu de temps après, il lui indiqua mon nom, je l’appris plus tard. Che-valet me convoqua et me dit : « Vous avez l’air

bien jeune !», «Ça se passera » répondis-je. Ça devait durer quarante ans non sans péripéties car la municipalité suivante de droite regarda d’un œil inquiet ce jeune garçon enfanté par la gauche.

Note manuscrite d’André Mornet

Hormis quelques constructions à Blois, André Mornet a-t-il construit ailleurs qu’à Angers ? On a le sentiment que Philippe Mornet est d’abord un architecte angevin : cette situation est-elle initiée par ton père ?

J’ai réalisé des projets à Nantes et dans la région, mais j’ai refusé les appels de l’extérieur, j’ai toujours craint les parachutages, je suis né à Angers. Pourtant, je ne me sens pas spéciale-ment angevin, j’ai hérité du côté tourangeau de la famille. Mais je suis un homme de conception, et je me suis toujours passionné pour la géogra-phie, pour le rapport entre l’homme et l’environ-nement (c’est ce qui m’a poussé à faire tous ces voyages). J’ai énormément lu sur la socio-écono-mie liée aux problèmes d’aménagement. Je suis intervenu aussi bien à la Région qu’à la Commis-sion nationale d’aménagement du territoire ou à d’autres organismes. Les régions, c’est un sujet qui me passionne, comme tout ce qui rapproche l’individu de la vie. Et le fait d’être à Angers, d’y I.3.1 - Boulevard du Roi René, atelier Clamens

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37I.3 - L’entre deux guerres (1920-1924)

connaître un certain nombre de gens, d’y avoir fait mes études, d’avoir parcouru jeune cette ville qui m’intéressait par sa morphologie - parce qu’elle a une morphologie très particulière- m’a décidé à faire une carrière ici et – comme on ne peut pas tout faire ! – pas ailleurs.

À l’école des Beaux-Arts de Paris, pour beau-coup de gens, l’association à monter n’était pas “Andrault-Parat”, mais “Andrault-Mornet”. Je suis venu à Angers à l’appel de mon père1 pour étudier Chevrollier, c’est une occasion à ne pas perdre à 28 ans ! Il fallait foncer même si je savais bien que je perdais quelque chose – on perd toujours quelque chose – « Les hasards sont les racines du destin », comme disait mon père. Le hasard a ainsi fait que de même que mon père est resté à Angers pour le Djebel Kouif, je suis resté à Angers en raison de l’opportunité que représentait Chevrollier. Il y avait également la potentialité des fruits de l’expérience de mon père avant la guerre et des relations tissées avec la ville. Saint-Michel pointait à l’horizon, Belle-Beille sortait, c’était une époque où tout était à faire, à la différence de l’époque de mon père qui était bien content d’avoir du travail de temps en temps.

À l’époque, bénéficiait-il d’une commande publique ?

En dehors du groupe scolaire (maternelle Victor Hugo), de la crèche Saint-Joseph et de la salle de la Mutualité, il n’y a pas d’autres constructions pour la ville. Au départ, la fonction de mon père n’était pas de se charger des bâti-ments neufs, il travaillait en majeure partie sur le patrimoine immobilier de la ville à entretenir ou modifier.

Mon père a été architecte de la ville pen-dant presque 40 ans et il a vu tourner un cer-tain nombre de gens - dont la totalité a disparu -, d’autant que la majorité a changé depuis qu’il a cessé cette activité en 1970. Les vingt ans de Monnier ne s’inscrivent donc pas dans l’histoire de mon père. Les municipalités que mon père a connues à Angers avant 1940 étaient composées de gens traumatisés par la guerre de 1914. Les conseillers et les adjoints étaient essentiellement des retraités. Ils avaient vu le franc, qui consti-tuait l’essentiel de leur gloriole, fondre à travers la guerre, puis la crise de 1929. Ils n’étaient pas entreprenants puisqu’ils n’avaient jamais vrai-ment eu de métier : après avoir fait leur droit, ils s’étaient contentés de gérer leur patrimoine2.

Pour eux, l’important était que rien ne soit bou-leversé : « pas question de faire un emprunt, qu’un sou investi ne soit de fruit immédiat ou que la nécessité oblige…». Frileux en investisse-ment, de même, on n’allait chez le docteur que lorsqu’on était bien malade !

À l’époque, les services de la mairie n’étaient pas très professionnels. La plupart du person-nel avait été casée là après les élections ou par relations. La reprise en main du service des bâtiments par mon père a été à l’origine de nom-breux conflits. Il était composé de gens peu actifs qui devaient de temps en temps jeter un coup de crayon pour la baraque qu’ils dessinaient pour un ami. Donc les élus avaient besoin de quelqu’un qui ait un peu de poigne. Mon père avait un

1 - Laissant tomber ma bourse pour les États-Unis au MIT. 2 - Sans être très fortunés, à l’époque on pouvait vivre de ses rentes.

I.3.2- Salle de la Mutualité, 1934, démolie en 1978

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38 I.3 - L’entre deux guerres (1920-1924)

salaire dérisoire pour ce poste, qui l’a néanmoins amené à connaître rapidement les acteurs de la ville et des entrepreneurs. Cette expérience lui permettait en outre d’exercer un métier diversi-fié : faire de “l’idée géniale d’un maire” un projet sur un terrain donné, mais également avec son compte de tuyaux qui fuient, d’ardoises qui s’en-volent, de murs qui bougent…

Son activité était très complexe, avec une différence d’échelle par rapport à aujourd’hui : il avait une fonction de conseil vis-à-vis de la muni-cipalité quand il s’agissait d’acheter un bâtiment, d’aménager un local pour un service, etc. Mon père avait senti dès le début l’ambiguïté de sa mission et s’était dit : « après tout, l’important est de rentrer ». Dès lors, il a dû négocier : entré sous une municipalité dite de gauche3, la muni-cipalité de droite a ensuite remis en cause son contrat issu de la gauche.

Devant les besoins, la municipalité a fait appel à mon père puisqu’il connaissait bien les services. Petit à petit, le conseil s’est transformé en plusieurs contrats qui se sont ajoutés à son activité, et mon père est resté au service de la ville… Pour mon père, cette mission qui avait au départ un intérêt d’intégration, est devenue une sécurité.

André Mornet était salarié de la ville ?

Il avait un salaire d’architecte-conseil de la ville et recevait des honoraires quand il réalisait des programmes. Beaucoup de gens pensent qu’avec la ville, l’agence a dû gagné une fortune… Mais certaines affaires nous ont fait perdre des sommes importantes. Mon père a ainsi conçu des projets, à une époque où les municipalités n’avaient ni budget, ni esprit d’entreprise. Ne

serait-ce que pour réveiller les électeurs, il leur fallait de temps en temps sortir un projet. Mais après délibération, articles dans la presse et quelques mois, des élections remettaient en cause l’opération et l’affaire était enterrée.

La politique urbaine des municipalités d’avant-guerre semble être plus une inter-vention sur le patrimoine existant. Et André Mornet disposait d’une commande privée, donc une inscription en tant qu’archi-tecte constructeur.Dans la période récente, on a le sentiment d’une grande cohérence entre la politique urbaine et la construction d’équipements publics4. Comment cela s’articule dans la période d’avant-guerre, pendant laquelle André Mornet est l’architecte de la ville ?

Ce lien entre la production architecturale et la réflexion urbaine, tout à fait évident dans la période 1950 à 80, se pose dans des termes dif-férents dans les années 1930-40, parce qu’il n’y avait pas de réflexion, donc pas de projets…

Il n’y a donc pas de stratégie urbaine de la ville entre 1918 et 1940 ?

Mon père l’analysait ainsi : Angers est une ville dont tous les habitants voulaient qu’elle soit résidentielle, ce qui excluait toute industrie, à part Bessonneau qui faisait partie de son histoire.

Et la ville a tout refusé : le tout-à-l’égout, Renault, tout ce qui était à risque, sous le pré-texte de son caractère résidentiel. La ville n’ac-ceptait qu’une population “non dangereuse” qui permettait d’assurer un certain standing. Par conséquent, il n’y a pas de projets puisque qui

dit projet dit conflit, à commencer par le choix toujours délicat du lieu. Par exemple, l’extension de la ville dans la plaine agricole de Saint-Laud a toujours été un problème parce qu’on se heurtait aux maraîchers ou aux horticulteurs5.

La première opération municipale d’après guerre (Saint-Michel) est donc née d’une nécessité de réhabilitation…

L’histoire du quartier est liée à l’usine Bes-sonneau6, la plus importante d’Angers, qui a employé jusqu’à 7 000 personnes, une main-d’œuvre populaire (composée d’hommes de femmes et d’enfants). Après la guerre de 1914, Bessonneau n’a pas su engager la reconversion nécessaire de l’entreprise, qui a perdu près de 4 000 emplois, entraînant une paupérisation fantastique du monde ouvrier angevin, installé dans les alentours de Bessonneau. Aussi, les conditions misérables du faubourg Saint-Michel en plein cœur de ville étaient intolérables, d’où l’urgence de l’opération.

Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu autour de 1914 une politique d’habitat de la part de Bessonneau, comme le faisaient Michelin à Clermont Ferrand ?

À l’époque, Bessonneau était un patron social qui a fait beaucoup (par des écoles, de l’assis-tance sociale). Mais l’habitat populaire a toujours été marginal. Il n’a commencé qu’à la fin du xixe siècle, puis après la guerre de 1914 (loi Lou-cheur). Avant cela, les ouvriers vivaient dans les “déchets” de l’habitat bourgeois (“squats” de mai-sons délaissées). À Saint-Nicolas, autre quartier populaire, certains propriétaires louaient en 1960

3 - Radical-socialiste. 4 - L’exemple le plus marquant est le Lac de Maine, où un certain nombre d’éléments

construits, à commencer par la zone de la base nautique, participent à une logique de quartier. (note de l’éditeur).

5 - Le projet de l’Authion (transfert dans les basses vallées angevines de l’agriculture spécialisée animé par E. Pisani, ministre de l’agriculture) a permis d’éclaircir un certain nombre de choses, mais beaucoup plus tard.

6-Lacréationdel’usineabénéficiédel’essordufilinmétalliqueetdestoilesquiontsupplanté le chanvre implanté de longue date dans le secteur.

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39I.3 - L’entre deux guerres (1920-1924)

des logements à une main-d’œuvre immigrée. Les locataires, qui faisaient souvent les trois/huit, se relayaient dans la même “piaule” pour renta-biliser le loyer… Le patronat angevin n’a donc pas eu de politique d’habitat social, si ce n’est sur Trélazé où la croissance des ardoisières a permis de nombreuses constructions, alors que Bessonneau était une activité décadente entre les deux guerres. Comme toutes les industries d’avant la guerre de 1914, la capacité financière de Bessonneau a subi des coups terribles pour des questions de marché mais aussi de ges-tion. Par ailleurs, les entreprises d’Angers sont modestes et n’ont pas de gros moyens. D’autre part, c’est un moment où l’église a encore joué un important rôle d’assistance. L’Église remplis-sait ainsi un trou béant que la collectivité locale n’avait pas idée de combler… puisque les curés s’en chargeaient. L’Église, très active sur Angers compensait donc le manque d’intervention du patronat.

Le déclin de Bessonneau explique ainsi que la première opération d’urbanisme après guerre se réalise sur Saint-Michel… mais n’y a-t-il pas eu la mise en œuvre d’un certain nombre de quartiers avant 1940 ? Je pense au quartier du boulevard Sud ou au quartier du Lutin…

C’était le début officiel de l’urbanisme prévi-sionnel. Un plan d’aménagement d’Angers, qui n’était pas une initiative locale mais une obliga-tion nationale pour toutes les villes d’une certaine importance, date de 1934. Un certain nombre de réflexions sont issues de ce schéma directeur et seront menées et réalisées parfois beaucoup plus tard, progressivement. Mais la seule réali-

sation provenant du plan est le boulevard Sud, qui était une des plus larges voies d’Angers. En dehors de quelques bâtiments au bout de la rue Létanduère (tous ces immeubles datent de juste avant guerre), l’habitat du boulevard Sud s’est installé juste après-guerre. L’axe était donc tracé au milieu des champs. Mais ils s’étaient canton-nés à l’épanouissement de l’axe vers la ville.

Par contre, le quartier du Lutin s’est déve-loppé vers 1930, en accueillant une catégorie de gens relativement aisés, “dans l’ombre” du bar-rage que constituaient le faubourg Saint-Michel, la prison et la caserne Desjardins.

Quelle était l’intervention de l’architecte de la ville sur ces nouveaux lotissements ?

Le lotissement du Lutin, qui est situé sur un terrain difficile parce que très pentu, est une initiative privée… En revanche, la réalisation du groupe scolaire Victor Hugo par mon père cor-respondait à l’apport de population nouvelle dû au développement du secteur de la Chalouère à l’avenue Pasteur. À cette époque, l’initiative était privée. Les élus étaient des petits gestionnaires bourgeois sans démarche stratégique de déve-loppement et d’intérêt public. L’initiative venait donc de propriétaires de terrains, plus en phase avec la réalité. C’est de cette façon que s’est fait Le Lutin, de même que le parc de la Haye à partir duquel se développera Avrillé.

Le développement urbain d’Angers s’est donc fait essentiellement après guerre…

Absolument. Autant le xixe siècle avait pro-fondément modifié le tissu, le début du xxe se contentait de cette base pour sa faible croissance.

L’opération privée du parc de la Haye (au-delà du Val d’Or) a été initiée entre les deux guerres mais n’avait pas réussi à se développer. Ce n’est que vers 1960 que ce secteur s’est rempli, dans la partie au-delà de la Doutre, grâce à la dynami-que de la commune d’Avrillé. Le développement s’est fait progressivement hors du centre. Mais le secteur était bloqué par Saint-Charles et le cime-tière, ces fonciers importants créant des effets de masses : ça ne se développait pas parce que la population n’osait pas s’installer au-delà du centre sans continuité urbaine et à cause du pro-blème des transports.

En dehors de l’explication donnée par la guerre 1914-1918 (qui a « fauché » une géné-ration d’hommes qui auraient été des acteurs de la ville), 1920-1940 représente une accal-mie entre une période florissante sur Angers (entre 1850 et 1914)7 et une période de recons-truction. Pendant cette parenthèse, André Mornet a eu finalement plus un exercice d’entretien et de maintien du patrimoine que de constructeur. Est-ce la différence de fond entre vos deux activités d’architecte ?

Tout à fait. J’ai eu une chance formidable d’avoir 13 ans à la déclaration de la guerre, et de vivre mon adolescence avec ce fond de décor. C’est le seul moment – quand on est non pas acteur mais témoin – où le conflit est acceptable, apparaissant comme une BD permanente. Et après la guerre, il faut tout reprendre en remet-tant en cause un certain nombre de choses. Ces conditions sont donc complètement différentes de celles de mon père qui, après la guerre de 1914, se trouve dans une situation d’arrêt total : tous les investisseurs avaient tellement laissé

7 - Avec des choses brutales : le carrefour Rameau a dû bousculer un peu la morosité locale…

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40 I.3 - L’entre deux guerres (1920-1924)

de plumes dans les dévaluations8 qu’il n’y avait aucune disponibilité financière. Le monde a incontestablement changé après la guerre 1914-1918. Ensuite, la crise de 1929, l’arrivée de Hitler au pouvoir (perçue à partir de 1935) ainsi que les grèves de 1936 (conséquences de la misère), événements qui ne favorisaient pas la prise d’ini-tiative, n’ont pas permis d’amorcer de développe-ment entre 1914 et 1939 – les quelques 10 ans de calme avant l’orage ayant été perturbés par des changements fréquents de gouvernement…

Entre les deux guerres, les nombreux pro-grammes mis en place par l’État ont eu tout de même un impact sur l’architecture et sur l’urbanisme : la Poste par exemple ou les services publics à Angers… André Mornet était-il impliqué dans ces commandes ?

La Poste venait de Paris, comme toujours… Une vingtaine d’architectes concevaient toutes les postes de France et de Navarre. Mon beau-père était de ceux-là. Architecte à Paris, il a effectué toute sa carrière pour l’administration des PTT (sans être fonctionnaire).

Ces architectes des PTT ont défini une typo-logie architecturale adoptée dans toutes les villes de France. Quelles étaient les relations entre ces architectes « parachutés » et la ville ?

Aucune…

L’inscription de la Poste à Angers dans le tissu urbain d’Angers n’est pas complète-ment neutre…

Cela l’était encore moins à l’époque du ter-rain vague fermé par une palissade occupé par des clochards : quand j’allais à Saint-Maurille, on sortait souvent par derrière, côté centre. C’était comme dans les films de Charlot… alors qu’en face, c’était tout neuf : le Welcome, le CIO et le Palace.

Il y avait donc besoin d’un bureau de poste à Angers : pourquoi pas près du Ralliement ? Puis-que les usagers n’utilisaient pas de voiture pour poster leur lettre. Il n’y avait pas le problème d’en-combrement actuel… À l’époque, on plaçait la poste centrale dans un endroit privilégié (comme

l’église, la mairie) : cela faisait partie des signes de prospérité de la ville, tandis qu’à la campagne, la poste était un service annexe du bistrot (ce qui revient au même type d’intégration).

Après avoir trouvé un terrain vide, la ville a peut-être donné aux architectes des PTT une hauteur à respecter9. Mais, il n’y avait aucun contrôle. D’autant que l’État n’a pas à demander de permission… Le permis de construire était une formalité du type “certificat d’urbanisme”, l’administration n’intervenant pas plus sur le fond que sur la forme.

Cela n’a pas beaucoup changé…

Cela a évolué. Il y a tout de même des refus de permis de construire. Il a fallu parfois de sérieuses bagarres pour faire sortir les projets.

Entre les deux guerres, s’ébauche en France une réflexion urbaine sur le logement social, dont les premières opérations voient le jour vers 1930-35 en région parisienne. Cette réflexion est-elle amorcée sur Angers avant la guerre ?

Je ne le pense pas. Le développement a été très différent autour de Paris. En province, il s’agissait de bassins de population purement agricoles, à l’exception de la Lorraine et du Nord qui étaient industriels et miniers. C’est donc sur la région parisienne que l’on s’installait. Cette attraction a engendré un accroissement “anor-mal” et abusif par rapport aux autres villes de France qui n’avaient pas les moyens de se valori-ser. Paris disposait de moyens nationaux, ce qui a permis les grosses opérations dans les gran-des banlieues.

8 - Le taux d’endettement de la France était considérable. 9 - Encore qu’à l’époque l’absence d’ascenseur ne donnait pas envie de monter haut !

I.3.3 - Salons du Welcome, 1930

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41I.3 - L’entre deux guerres (1920-1924)

Cette époque voit construire toute la généra-tion des cités-jardins et le début du logement collectif de masse…

Oui. À l’époque, on construisait beaucoup, aussi bien en banlieue que dans Paris, et les for-tifications ont été démolies. Mon beau-père était collaborateur d’un urbaniste parisien qui a des-siné les opérations des grandes ceintures. Dans son bureau, un plan illustrait d’ailleurs l’aména-gement des “fortifs” dont on avait montré l’inu-tilité après la guerre de 1914 face à la pression de cette population fantastique attirée sur Paris. Toutes ces opérations représentaient un effort financier considérable, puisque se développaient en même temps tous les quartiers périphériques (Porte Dorée, etc.) ainsi que les banlieues plus ou moins “chics” (Saint-Denis par exemple).

En plus de cette situation économique, le contexte culturel n’influe-t-il pas aussi sur la production architecturale et urbaine ?

Oui, mais la réflexion en France est la plupart du temps conduite par une nécessité urgente et imminente ou seulement rétroactive sur le patri-moine.

Une chose m’a frappé, lors d’une visite à Osnabrück10 : tous les carrefours de cette ville allemande jumelée avec Angers étaient dessi-nés à des échéances de 10 voire 20 ans, avec plusieurs hypothèses de développement. Ils prévoyaient même des aménagements provisoi-res pour ne pas avoir à casser la voie à chaque fois que les PTT ont besoin de passer un câble. J’étais d’autant plus intéressé par ce modèle que j’avais l’expérience de Saint-Michel. En France,

on met la voie juste derrière la bordure de trottoir, on ouvre les tranchées pour y passer l’ensem-ble des réseaux en une fois et on est confronté au problème du financement : l’un sera financé dans deux ans, l’autre cinq ans plus tard, etc. Mais on ne peut rester des années avec un trou béant ! Alors on rebouche… Les seuls problè-mes qui existent en France sont donc des problè-mes d’urgence. J’ai parfois cogné du poing sur la table —le seul moyen de réveiller les conscien-ces —pour que les trajectoires soient anticipées.

Les politiques sont tellement liés à une logique d’échéance électorale que tout ce qui est au-delà de cinq ans reste hors de leur réflexion appro-fondie…

Mais les politiques sont à peu près les mêmes entre 1920-1940 et entre 1945-1965. Or, pendant la première période, il ne se passe pas grand chose. L’explication sur les plans économique et sociologique (la bourgeoisie,

10 - J’y participais en tant que Président de la Jeune chambre économique d’Angers juste avant le jumelage en 1965.

I.3.4 - Cinéma Le Palace, rue Louis-de-Romain, Cl. Inv. F. Lasa

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42 I.3 - L’entre deux guerres (1920-1924)

le conservatisme, la “douceur angevine”, etc.) est-elle vraiment suffisante ?

Cette époque est caractérisée par l’absence de structure de réflexion. Les conseils munici-paux ne faisaient pas le poids. Lors d’une inter-vention dans le cadre de la journée mondiale de l’urbanisme sur le thème des métropoles d’équilibre (dans les années 1966-67), je me suis fait quelques amis en disant aux Nantais qu’ils avaient une métropole. Pourtant, je laissais entendre qu’ils n’étaient pas capables de mettre à profit ce “cadeau”, notamment avec ces structu-

res politiques vieillies. Abel Durand11, Orion, qui a été maire de Nantes, André Morice, etc. tous ces politiques, loin d’être des imbéciles, étaient tout de même dépassés parce que trop âgés et d’une autre époque.

C’est parce que j’ai toujours eu la hantise de la vieillesse que j’ai décroché à 60 ans de mes responsabilités professionnelles et économi-ques : je m’étais dit “je m’en vais même si je me sens capable”. J’ai tellement constaté que beau-coup de personnes perdent à cet âge non pas leurs capacités de réflexion mais une certaine dimension, celle de l’appréhension du futur qui change tout le temps.

Penses-tu que l’absence de structure de réflexion d’avant-guerre sur Angers était liée à l’âge des dirigeants ?

À l’âge, à la fonction et vraisemblablement au milieu social des élus, composé d’une part d’une aristocratie qui essayait d’adapter ses moyens à l’époque mais avec les références du passé, d’autre part de fonctionnaires qui tournaient et n’étaient angevins que pour deux ou trois ans. Les entrepreneurs n’étaient donc pas représen-tés.

Un autre problème est l’absence de civisme, grandissant à l’heure actuelle. La notion de “bien commun” en France a toujours difficilement existé. Les Français n’ont pas le sens de la communauté à la différence des Anglo-Saxons notamment. Les communautés étaient symbolisées par l’Église, la noblesse… donc des classes sociales qui s’aggloméraient à l’ombre de leurs intérêts mais qui, à aucun moment ne se mélangeaient, en particulier en Anjou. Mon père le décrit ainsi : « Bien avant-guerre, sur le boulevard, il y avait un

côté où l’on trouvait les militaires et les aristos, et de l’autre côté, on trouvait les commerçants et les autres professions ». Tout le monde était sur le boulevard, qui était le seul endroit de civilité de la ville. En revanche, il y avait une séparation entre le cercle militaire, le cercle bourgeois et, en face des Variétés, le cercle des nobles12. Or, on ne peut ainsi construire une communauté qui prenne en compte les intérêts de chacun. La seule structure qui aurait pu soulever les problè-mes communautaires était le conseil municipal. Mais le mode d’élection par arrondissement était déjà un système où chacun représentait son milieu. De plus, comme les conseillers n’étaient pas payés, le recrutement se faisait dans une certaine classe sociale : il faut tout de même dis-poser de temps pour assister à une commission, et encore plus pour monter des dossiers !

On connaît ton engagement civique dans la Jeune Chambre Économique et ton impli-cation par rapport à la vie locale. Comment s’illustre le civisme d’André Mornet dans ce contexte un peu conservateur ?

Mon père s’est occupé de beaucoup d’orga-nismes professionnels, comme la Mutuelle des Architectes Français (MAF). Dès 1933, il en était membre fondateur, il en a été ensuite administra-teur, puis président à la fin de sa vie. Il a aussi théorisé sur l’évolution de la profession quant aux changements de méthodes de construction après la guerre et au début de l’industrialisation. Lors de la mise en place de la structure de l’Or-dre (en 1945), il était président des architectes de province, et a toujours milité dans ce sens. De 1945 à 1950, il est président du Conseil régional de l’Ordre des Architectes. Il a également été au

11 - Président du Conseil général. 12 - C’est la guerre qui a vu s’effronder ce système.

I.3.3 - André Mornet en camp scout à Blois, 1913

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43I.3 - L’entre deux guerres (1920-1924)

Conseil supérieur de l’Ordre des Architectes. Il a donc mené beaucoup de réflexions sur la com-munauté en tant qu’architecte.

Mais mon père a eu aussi beaucoup d’autres activités sociales. Engagé dans le scoutisme en 1913 à Blois puis de 1934 à 1945, il a été commissaire de district, gérant le mouvement à Angers pendant toute la guerre malgré son inter-diction par les Allemands. Il a également dirigé le service des réfugiés à Angers au moment de la débâcle de 1940 aux anciens Haras. Il a contribué à régler les problèmes de milliers de personnes qui se déplaçaient. Mon père était doué pour mettre les gens d’accord, faire les bonnes manœuvres. Par exemple, pendant la guerre, il a géré des conflits, sur fond d’omnipré-sence des Allemands, liés aux réquisitions de bâtiments. Son talent à débrouiller les situations explique son engagement social et local : c’était un homme de terrain.

Pourtant le civisme est assez atypique de la profession d’architecte d’aujourd’hui et plus globalement de l’exercice libéral ?

Pas du tout. Je connais des gens du secteur privé qui ont plus le sens du public que des fonc-tionnaires qui prétendent l’avoir. Je crois que cela tient essentiellement, comme la morale, de l’héri-tage génétique. Certaines personnes, sans avoir jamais lu Schopenhauer ou Auguste Comte, ont une philosophie, dont on s’aperçoit qu’elle est beaucoup plus solide, bien que moins éten-due, que celle de tous ces beaux esprits qui ont passé leur temps à “batifoler” avec les rêveurs à nacelle. Certains pays ont plus que d’autres le sens de la solidarité parce que cela fait partie de la morale collective. Les pays latins ne sont

pas toujours les mieux placés dans ce domaine. Dans les peuples méditerranéens, il existe des solidarités de clan plus que de communauté.

Je pensais davantage au statut libéral de l’exercice architectural alors que l’architec-ture et l’urbanisme sont, par définition, une préoccupation qui induit l’esprit de solida-rité…

Libéral ne veut pas dire égoïste mais indé-pendant. Les ONG donnent tous les jours des leçons à l’administration.

Les problèmes de solidarité ne sont pas des problèmes professionnels, ils n’y sont liés qu’à des opportunités. Les architectes très préoccu-pés par l’esprit de communauté ne sont pas la majorité, mais c’est un problème d’individu. Il n’y a pas plus de civisme chez les architectes que dans les autres professions. Néanmoins, leur activité est plus civique que l’activité commer-ciale. D’autre part, le civisme n’est pas très inté-gré dans le recrutement et la formation. J’ai fait pendant 12 ans de l’enseignement en partie pour cette raison : il est indispensable de donner aux jeunes une dimension autre que la proportion, l’organisation, l’art… Le pinceau n’est peut-être pas très civique, mais le peintre peut l’être.

Cet engagement est tout de même corrélé au privilège d’avoir été l’architecte de la ville, que ce soit pour André Mornet ou pour toi : quand on a accès à des problématiques qui dépassent le cadre de la commande privée ou ponctuelle pour aborder l’organisation de la ville, les perspectives à moyen et long termes, etc., le civisme s’établit plus facile-ment.

À la différence de mon père, qui a honoré son contrat auprès de la municipalité jusqu’à sa retraite, je n’ai jamais eu de contrat en tant qu’architecte de la ville. Après, la municipalité a continué à me demander mon avis sans relation contractuelle, car j’avais traité beaucoup de pro-jets et étais lié à des affaires qui étaient enga-gées. Dans la tradition familiale, d’un côté comme de l’autre, la participation aux actions collectives et l’engagement coulent de source. Cette dimen-sion urbanistique m’a toujours passionné. Lors-que j’ai participé à deux loges de grands prix13, l’échelle des projets m’intéressait. Plutôt que d’étudier un terrain dans lequel il faut faire tenir un programme, se concentrer sur un problème pour lequel on choisit le terrain approprié permet de faire l’approche “d’en haut” puis de descendre dans le problème au fur et à mesure.

Ton engagement civique est peut-être plus proche du grand-père officier de marine puis industriel, dans une ouverture vers le grand large, alors qu’André Mornet était dans un engagement plus local.

Oui, j’ai d’ailleurs beaucoup voyagé. On dor-mait à la belle étoile. Ce qui m’intéressait dans le voyage, c’est la découverte, ne pas parler la langue et se débrouiller avec des carnets de cro-quis… Pour cela, il est vrai que mon caractère est plus proche des dominantes de la famille de ma mère. Mais nos différences ne nous oppo-sent pas.

13 - Dans ces périodes, on travaillait trois mois à l’œil pour un ancien qui faisait le grand prix.

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II - L’APrès-guerre,de la reconstruction

au développement urbain

45

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46 II.1 - en campagne pour la ville

II.1 - eN CAMPAgNe Pour LA VILLe (1944-1950)

Après guerre en 1945, a commencé l’évaluation des ruines. Des maisons d’un certain niveau et de pierre appa-rentes étaient souvent très modestes

en réalité. On faisait nos déductions d’après des morceaux de granit éparpillés. Un travail invrai-semblable de reconstitution, sans photos pour nous aider, mais pour lequel les potins nous renseignaient bien ! On sondait donc tous les 9 mètres de façade pour savoir à quelle maison attribuer les granits. D’autant que, comme dans tous ces parcellaires de quartiers, il y avait un mélange extraordinaire d’époques, de procédés de construction, etc. Jusqu’à l’estimation des efforts d’entretien (papiers peints, sols etc.) avait son importance parce que les dommages de guerre représentaient des factures formidables dans un contexte de pénurie de matériaux. Les propriétaires disaient : « Ma maison n’était pas très belle… » tandis que d’autres s’évertuaient : « Je viens de faire refaire la couverture… » – or d’après l’état des ardoises, les bombardements n’étaient pas seuls en cause… – J’ai donc fait mes premiers dessins en faisant des relevés de maisons détruites, c’était le “degré zéro“ de l’ar-chitecture ! J’étais encore au lycée.

Après une première appréciation pour les pré-dossiers des propriétaires, était soulevé le problème de la reconstruction à l’identique ou non (c’était parfois tellement abscons ou inadé-quat). La plupart de ces maisons n’avaient pas

de garage par exemple. Or, en introduire un dans une parcelle de 9 mètres condamne une bonne partie du rez-de-chaussée. Il y avait donc un certain nombre d’aménagements à faire pour répondre à la demande : la même maison, plus grande et en plus un garage, mais sans chan-ger les habitudes ! Pour certains secteurs, des ordonnancements étaient donnés afin de ne pas reproduire les aberrations, résultats de la fata-lité du temps (ex : une maison d’un étage et une maison de quatre étages mitoyennes). Enfin, un cas particulier se posait pour celui qui refusait de s’installer dans un nouvel endroit ou dont on ne pouvait reconstruire la maison avec ce qu’il lui restait comme dommages. Toutes ces histoires ont traîné, alors imaginez comment c’était à Caen où tout le monde était dans la même situation ! Quoique c’était presque plus difficile à Angers à cause des inégalités : certains avaient eu la mal-chance d’être à côté de la gare (sous les bombar-dements), d’autres d’être les seuls sinistrés dans un quartier périphérique.

Comment était fait le partage entre l’intérêt du particulier et l’intérêt du bâtiment ?

C’est sur le modèle de l’association syndicale pour le remembrement de la propriété, née de la reconstruction, où mon père était architecte en chef à Saumur, que l’on a bâti les sociétés d’économie mixte. Cette association était gérée

par des représentants de l’État et des actionnai-res (les propriétaires) qui élisaient un bureau1, espèce de conseil municipal des gens spoliés. Le fonctionnement était équilibré par la présence de l’administration et des citoyens (qui étaient en même temps les bénéficiaires du système) et a permis de régler beaucoup de conflits et de gérer les problèmes de priorité. La distribution des indemnités passait par ces associations aux-quelles l’État affectait un budget qu’elles répar-tissaient ensuite.

L’association syndicale a été une expérience intéressante, dont mon père s’est inspiré pour monter Saint-Michel. C’est moi qui ait géré cette opération, mon père entrant en scène lors des temps forts : il avait appris à travailler avec les gens, à les persuader, à déceler la part de comé-die humaine et la part de misère, à isoler les cas sociaux réels de ceux qui profitent des deniers de l’État. Il y a eu d’ailleurs des conflits, des procès. Mais globalement, cela s’est bien passé parce que, dans le climat d’après guerre, les gens avaient moins d’exigences que maintenant. Après les quatre années de combats, les situa-tions que nous avons connues à Saint-Michel et Saint-Nicolas étaient celles de sinistrés dans des tissus complètement délabrés. On abordera l’opération Saint-Michel en détail plus loin. Le parallèle des situations permet simplement de réaliser que des opérations de cette envergure sont beaucoup plus difficiles aujourd’hui.

1 - Dont faisait partie l’architecte en chef de la construction. Le directeur est un ingénieur TPE détaché par le ministère de la Reconstruction.

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47II.1 - en campagne pour la ville

L’opération Thiers-Boisnet est un exem-ple plus récent d’opération de rénovation urbaine…

L’agence a fait l’îlot Boisnet en 1979. Ce quar-tier a radicalement changé de nature quand la plupart des artisans qui constituaient à l’origine son tissu2 sont partis lors de la création des zones industrielles car ils étaient trop à l’étroit. Avec une voiture à cheval, on tournait très bien dans une rue de neuf mètres de large… Mais sortir un semi-remorque dans la rue du Port de l’Ancre était un sacré problème ! En fait, ce quartier ne s’est jamais auto-reconstruit parce qu’il est inon-dable (et les fondations coûtent cher). Thiers-Boisnet faisait partie de ces quartiers d’Angers qui avaient atteint un état d’obsolescence tel que même une belle maison n’y valait rien.

La difficulté d’opérer dans des tissus vivants s’apparente un peu à de la chirurgie : il faut inter-venir sur plusieurs sites, respecter la compatibilité des tissus, ne pas abîmer tout ce qui est autour. Certaines opérations isolées d’immeubles sont parfois catastrophiques parce qu’elles amènent brusquement des quantités de voitures et créent un trouble. Aussi un tissu urbain doit être pris en compte globalement, même si l’opération ne concerne qu’un projet de 25 mètres de façade. C’est pour cette raison que les opérations ont for-cément une dimension urbanistique. L’urbanisme est donc la prise en compte de tout un système : il s’agit d’envisager la gestion des retentisse-ments sur le tissu urbain qui est un tissu vivant, dans lequel sont présents à la fois des éléments qui valorisent et d’autres qui déprécient ou créent le malaise. Les élus mesurent bien que cela peut avoir des conséquences, mais prennent diffi-cilement les décisions et leurs responsabilités.

Je les ai souvent entendus dire : « Ah ! Tu nous emmerdes avec tes histoires ! ».

Un certain nombre de bévues ont été com-mises en donnant des permis de construire à la pièce3. À Saint-Nicolas, on en a eu l’expérience :

l’office d’HLM avait construit une petite cité de 25 logements dans les années 1955. À l’épo-que, mon père avait dit que c’était une erreur en dehors d’une rénovation du quartier dans son ensemble. L’urbanisme comprend donc tous

2 - Autrefois, ces artisans s’étaient installés là parce qu’ils étaient desservis par la voie ferrée sur les quais et avant par la rivière.

3 - Par exemple, une maison de 120 m2fixéesurl’emplacementd’unfuturrond-point.

Les ponts se reconstruisent à la même placemais la famille s’apprête à s’élargir.La circulation devient incompatible avec le tissu existant.Le xixe a pris de l’âge :La ville gonfle et se répand, les artères s’engorgent.Le centre n’est plus un axe de transit.

La périphérie s’organise.Les industries changent de nature, donc de localisation.Les communes périphériques, entrent à reculons dans l’agglomération.

Philippe Mornet

II.1.1 - Les grandes opérations d’urbanisme, 1950-1990, Atlas de la région angevine, © AURA, 1993 - Source : AURA 1993

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48 II.1 - en campagne pour la ville

ces intérêts qui sont à négocier et à mettre en balance dans un système cohérent mais divers. C’est ce qu’il est difficile à expliquer à la popula-tion qui est pourtant consciente de l’une de ses dimensions : « s’il y avait une route qui passait là… un rond-point à cet endroit, il n’y aurait pas de problème de circulation… ». Les gens passent leur temps à parler d’urbanisme ! Mais quand on en discute comme une nécessité commune et collective, alors l’affectif reprend le dessus : si ça se passe dans le quartier d’à côté, très bien, mais pour peu qu’ils aient un bout de terrain qui leur vient de la grand-mère… Et c’était très difficile également au niveau des conseils municipaux : la médiocrité des discussions était étonnante. Il suffit d’examiner les comptes rendus de conseil municipal, remarquables scanners.

À l’époque où chacun avait son puits dans le jardin et utilisait ses ordures pour faire son potager, on pouvait, après tout, dire qu’on n’avait pas besoin de la collectivité. Ce qui explique en partie le fait que les municipalités d’avant guerre n’intervenaient pas beaucoup puisqu’en réalité, il n’y avait que des demandes ponctuelles. À cette époque, le citoyen pouvait vivre avec rien parce qu’il n’attendait rien de la collectivité (pas d’abon-nement d’eau, ni de téléphone ou d’électricité). Cela illustre la période d’après-guerre jusqu’en 1960. Désormais, tous les systèmes sont d’une telle dépendance que les gens ne peuvent plus vivre en autarcie. J’ai pu observer cette situa-tion considérablement évoluer depuis la guerre jusqu’en 1965-1970, et cela a notamment pesé sur l’urbanisme. La mise en place de processus et de moyens communs et collectifs est donc une évidence. On peut être contre l’administration,

elle reste absolument indispensable. Le seul souci est qu’elle soit établie dans des conditions de mentalité et de moyens correspondant aux raisons pour lesquelles on l’a mise en place. Dans le cas inverse, l’administration passe son temps à empêcher d’agir : les bagarres avec le MRU4 autour des opérations de Belle-Beille en sont un bon exemple.

Quelle était la part de la ville dans cette chaîne de décisions ? Le centralisme y était-il très fort ?

L’intervention de la municipalité dépendait des opérations. Les services de la ville ont été, pen-dant une longue période, des services “minimum” en termes de moyens en hommes et en comman-dement, malgré de bons secrétaires généraux. Les “espaces verts”, étaient bien gérés, mais le service juridique était invraisemblable, or on ne peut l’éviter : dans toutes les opérations, il y a un acte à notifier ou une situation à vérifier. Certains chefs de service n’étaient pas opérationnels. Enfin, certains adjoints se trouvaient confrontés à des problématiques dont ils ne maîtrisaient ni les objectifs, ni les trajectoires, ni les risques…

Les services de la mairie représentaient-ils plus un handicap qu’un relais ?

Il est vrai qu’il existait des faiblesses formi-dables dans cette administration, représentée en grande partie par une génération d’après-guerre qui avait vécu une époque où les maires ne fai-saient rien. Par exemple, Proust5, pourtant à la retraite, était, d’après mon père, à son maximum

avec trois heures de travail dans la journée… Cette génération qui avait à peine fait la guerre de 1914 (parce que trop vieille) n’a pas été un modèle pour les jeunes de l’entre-deux-guerres. Pour un jeune entré à 18 ans à la mairie d’Angers en 1936 par exemple, il n’y a eu rien à apprendre avant 1947 : il traitait des ordres de réquisition des Allemands dans une mentalité où il ne fallait surtout pas bouger. Ainsi sa période de forma-tion s’est passée dans un calme professionnel absolu. Ce sont donc ces gens inexpérimentés qui se sont retrouvés aux postes réclamant un esprit d’entreprise lors de la reconstruction6.

Le dynamisme naissant des collectivités est-il donc le fait de la reconstruction, même si elle est tout à fait marginale à Angers, et un peu moins à Saumur ?

La ville de Saumur étant moins grande, l’im-pact était plus profond, d’autant que les destruc-tions avaient touché des organes vitaux7.

Malgré sa faible ampleur, la reconstruction a donc tout de même eu un effet déclencheur sur la prise de conscience de la nécessité…

… de l’indépendance. Cette question du civisme me tient à cœur. Les hommes sont forcément dépendants les uns des autres, ne serait-ce que dans le dialogue. Face à des provo-cateurs, cela donne quelques situations cocas-ses : mon père, à l’époque déjà âgé, a ainsi réagi alors qu’un jeune s’était assis à sa place dans un train8 : « Je suis désolé, c’est ma place, voici ma valise, j’étais juste parti aux toilettes ». Le type

4 - MRU : Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, première entité gouvernementale après la guerre (1944). Il faudra attendre 1954 pour avoir le MRL, Ministère de la Reconstruction et du Logement.

5 - Maire d’Angers de 1929 à 1935. 6 - Les initiatives locales ont surtout été sollicitées à partir de 1947-1948 parce que toute

une législation était à mettre en place auparavant. Puis, la reconstruction a démarré en 1950.

7 - La reconstruction n’a pas été l’occasion de repenser la ville de Saumur, comme cela a été fait à Lorient ou à Saint-Nazaire, parce qu’elle n’est atteinte que partiellement mêmesic’estdanssoncœur.ÀSaumur,desavionssesontjuste«enfilés»uneligne de pont. L’ordonnancement des maisons et le reste du tissu étant conservé, on nepouvaitleremettreencause.Donclareconstructionestrestéefidèleausystèmeexistant – la Loire commande la ville.

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49II.1 - en campagne pour la ville

ne bouge pas. Mon père ne s’est pas dégonflé et s’est assis sur ses genoux comme si de rien n’était ! Tout le monde riait dans le compartiment et le resquilleur a fini par partir ! Le drame de la société actuelle est que l’on ne résout les problè-mes que par un contrôleur, et encore ! Ils se font tabasser.

Pour Saint-Michel, justement par carence de médiateur, le règlement des questions se fai-sait-il d’homme à homme ?

Oui. Je n’ai cependant pas de souvenirs de véritables conflits… Il y avait des affrontements, et heureusement que les gens ne pensent pas tous la même chose et qu’ils le disent afin que l’on puisse avoir une discussion et trouver un compromis.

Le développement du contentieux de l’urba-nisme est considérable aujourd’hui. L’as-tu ressenti par rapport à un quart de siècle de procédures, depuis Saint-Michel jusqu’au Lac de Maine ?

Je crois en effet qu’il y a de plus en plus de procédures. Le contentieux a remplacé la discus-sion entre citoyens. Maintenant, tout le monde s’adresse à l’avocat spécialisé, et immédiatement s’engage une procédure sur des problèmes qui n’ont parfois rien à voir avec le fond de l’affaire9.

Est-ce lié à une plus forte implication de la population par rapport à l’urbanisme ?

Je ne pense pas. La mentalité des gens est de moins en moins collective. On peut contacter une association pour tout désormais : à partir de là, le contentieux commence. J’ai un souvenir

typique d’un procès pour un appartement réalisé à Saint-Michel. Le propriétaire faisait un procès à notre agence parce qu’il n’y avait pas dans ses toilettes le radiateur qui apparaissait sur le plan de vente du promoteur. Dans cet immeuble, les toilettes bénéficiaient de la proximité des réseaux de canalisation (dont le chauffage) passant entre deux appartements mitoyens. Ce n’était pas donc la peine de mettre un radiateur (d’autant que ce n’est pas tendre avec la peau !) : d’après les rele-vés de températures officiels, il y faisait entre 22 et 25°C… En ouvrant la porte des toilettes, on chauffait même le reste de l’appartement ! Son avocat a eu un mal fou à persuader le proprié-taire que ce qu’il achetait, c’était du chauffage et pas des radiateurs… Pourtant, le radiateur est un objet que les gens rejettent d’habitude. L’avocat l’a dissuadé de poursuivre parce que le procès lui aurait coûté une somme importante, mais sa réaction est typique de la mentalité individualiste d’un certain nombre de gens et de l’appât du gain : on joue au loto du Droit.

Le gros problème de l’urbanisation est l’an-ticipation. Pour la réalisation du contournement Sud, un conflit éclate lors de l’implantation de Motorola10, sur le terrain duquel passe l’emprise. Et la ville d’Angers me dit que cela ne se fera jamais ! Alors je m’étonne : « Si vous dîtes que ce plan, entériné et voté, ne sera jamais appliqué, et si le patron de la Sodemel fait le contraire de l’adjoint au maire d’Angers, qui voulez-vous que je crois ! ». Sur le plan de permis de construire, le tracé de l’autoroute a été porté, et dans ce cas, il faut informer les gens, c’est tellement évident !

La même erreur a été commise pour le contournement Nord d’Angers. À l’exception du fait que le contournement Sud n’était pas

forcément un espace réservé au plan d’occu-pation des sols tandis que les terrains envi-sagés pour l’autoroute étaient des espaces inconstructibles dès 1934…

Le contournement Sud qui depuis a fait l’objet de multiples débats n’était peut-être à l’époque qu’un tracé de principe. Quant à la rocade Nord, dès 1934-1936, il était prévu qu’elle passerait aux châteaux d’eau du terrain d’aviation. J’ai toujours entendu mon père dire, lorsqu’on passait au parc de La Haye, qu’il y aurait une autoroute. Aux quel-ques types qui, voulant construire à Avrillé dans la zone de la rocade Nord (et non l’emprise qu’on ne connaissait pas), me demandaient conseil, je répondais : « Vous construisez une maison sur l’autoroute ! ». On me rétorquait : « ça fait vingt-cinq ans que c’est sur les plans, ça se fera jamais ! ». Et moi : « Vous vous rapprochez de plus en plus du jour où ça se fera ! ». Or, certains d’en-tre eux ont été trompés par les promoteurs qui n’informaient pas leurs clients de la servitude de leur terrain. Dans les zones que je gérais avec la Sodemel, quelques conflits lors de refus de permis de construire ont eu lieu. Quand (excep-tionnellement) le client accompagnait le promo-teur pour avoir l’avis, cela ne se passait pas très bien quand je lui disais : « Mais non, Monsieur a bien dû vous informer du règlement ». Bien sûr le promoteur n’avait rien dit et le client était furieux ! Un jour un promoteur m’a même accusé de le mettre en porte-à-faux !Ton avis était-il exigé dans les ZAC où tu étais architecte en chef ?

Oui, sur des périmètres donnés, les permis de construire devaient avoir mon visa.

8 - À l’époque, il n’y avait pas de réservation. 9 - La portée internationale de l’affaire Clinton-Levinsky révèle ceci : maintenant c’est l’art

d’exploiter qui fait l’exploit. 10 - J’étais alors architecte en chef de la zone dite d’Orgemont.

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50 II.1 - en campagne pour la ville

Ces périmètres représentaient-ils un terri-toire important sur la ville d’Angers ?

Oui, mais il s’agissait pour la plus grande part de territoires vierges sur Saint-Michel et Saint-Nicolas ou les communes périphériques.

Saint-Michel, Saint-Nicolas, la République… cela représente une certaine surface…

Mais la République était un projet plus simple puisque tout était neuf dans un périmètre restreint. Le plus complexe est le cas d’un périmètre où il y a des conflits avec l’existant (avec des terrains voisins). L’évolution d’un plan se déroule sur huit à douze ans. La législation évolue également… Mais, si l’on peut jouer sur la réglementation du lotissement, on a aucun pouvoir sur toutes les règles extérieures qu’il faut faire respecter.

Cela dit, pour ces opérations de rénovation urbaine, la participation des “clients” est extrêmement faible : les populations étaient peu concernées à la différence du contexte de la reconstruction où intervenaient des intérêts particuliers…

Absolument. Pour les opérations des asso-ciations syndicales de reconstruction (Saint-Nicolas et Saint-Michel), la société d’économie mixte achetait et réalisait son opération. Ces associations bénéficiaient d’aides foncières qui ne peuvent se confondre avec les aides à la construction. Elles sont donc bien obligées de dégager complètement l’opération : acheter une parcelle, racheter le fonds de commerce (et le stock) afin de libérer le terrain en vue de la construction. Ainsi, sur un lot, il y a un proprié-

taire et parfois un locataire qui a des droits. Donc on solde la situation avec ces ayants-droits. Après, si l’un d’eux veut revenir dans l’opération, la société lui accorde quelques privilèges en tant qu’ancien actionnaire ou locataire.

Y a-t-il eu une modification radicale de la population de Saint-Michel avec la recons-truction ?

Totalement. Certains ont replacé leur capital dans le quartier (comme à Saint-Nicolas), inves-tissant la valeur de rachat du bien détruit11 dans un ou deux appartements neufs. Autre cas de figure : des entrepreneurs rachetaient dans un but commercial des locaux à une valeur zéro pour en faire des dépôts où il n’y a pas besoin de chauffage, le seul souci étant la viabilité de l’im-passe pour les approvisionnements en camion-nette. Pour eux, le transfert vers des zones d’activité était devenu inéluctable.

L’autre grosse opération de l’après-guerre, la République, bien que différente de Saint-Nicolas ou Saint-Michel, s’est traduite par un processus de rénovation urbaine…

La première partie de l’opération, la des-truction pure et simple pour passer la voie sur berges, s’est réalisée sans plan d’urbanisme. C’est une opération de voirie dans laquelle sont démolis les façades du xixe siècle du Quai Ligny, ce qui a fait scandale. Or il faut savoir ce qui a la priorité entre le château et les immeubles. Cet habitat s’était terriblement dégradé, surtout depuis la dernière guerre. Cette voie n’a eu son heure de gloire qu’au début du siècle alors qu’elle était occupée par des bourgeois, ce qui a très vite

changé parce que l’orientation ne devait pas être très agréable12, d’autant que le vis-à-vis avec la Doutre n’était pas terrible. En fait, des clochards s’étaient même installés dans un îlot, quasiment au pied de la montée Saint-Maurice. Derrière une façade bourgeoise, on se rendait compte qu’il n’y avait plus de commerces. En fait, la vie ayant quitté la Maine avec la chute de la naviga-tion, le côté plaisant et vivant de ce quartier avait disparu, devenant finalement une annexe de la Doutre, décadente par contamination.

Est-ce aussi parce qu’on a bien voulu laisser tomber en désuétude le quartier de La Répu-blique ?

C’est différent parce que le quartier de La République a toujours été un quartier commer-cial – la rue de la Poissonnerie à l’origine et la rue Baudrière ont toujours été un axe dynamique - et la rue Plantagenêt était une rue vivante d’Angers (créée au xixe siècle en liaison avec le port). Cet emplacement dans le bas de la ville est devenu obsolète parallèlement au développement du boulevard Foch. Dans mon enfance, le boulevard n’était bordé que d’hôtels particuliers13. Le com-merce a fini par s’affaiblir complètement dans le bas de la ville au profit du haut. Les immeubles au pied du château n’étaient reliés au boulevard Foch que par les halles, la rue de la Poissonnerie et la rue Plantagenêt, si bien qu’ils se sont retrou-vés enclavés devant le château, ce qui n’intéres-sait personne.

L’obsolescence naît de facteurs qui ne sont pas forcément dus à l’objet lui-même mais à son environnement. Par exemple, certaines entrepri-ses parfaitement gérées périclitent parce qu’il n’y a plus de marché : si celui qui fabrique des

11 - La plupart du temps, il s’agissait d’une maison minable dont le propriétaire ne pouvait pas tirer un franc de loyer.

12 - Le Sud est dans l’ombre du château. 13 - Le premier commerce que j’ai vu s’installer a été le Crédit Lyonnais au coin de la rue

Saint-Aubin.

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51II.1 - en campagne pour la ville

lampes à pétrole ne peut pas, lors de l’avènement de l’électricité, se reconvertir dans les ampoules électriques, ce n’est pas parce qu’il gérait mal son activité. En immobilier, il en est de même. Des maisons ont été construites à une époque, en fonction de facteurs qui les privilégiaient, et un beau jour ces facteurs n’existent plus14. Ce déclin peut naître de la mode, mais aussi de la disparition des facteurs qui rendaient opportune la réalisation de telle opération. C’est, a contra-rio, l’histoire du Parc La Haye qui n’a jamais pu “sortir” à l’époque où il a été créé et qui s’est fait vingt ans après. L’opération de construction était même innovante : je ne sais pas comment le pro-moteur avait imaginé le projet à l’époque, alors qu’il y avait peu de voitures. Mais cette opération n’était pas dans son opportunité à sa création, elle l’est devenue ensuite.

Ces exemples sont l’illustration de l’évolution des tissus urbains pour une collectivité. Il est toujours difficile de mettre la main sur des terri-toires. On le voit justement à travers le projet de l’autoroute dont les tracés n’ont pas été formali-sés assez tôt pour que les acheteurs de terrains en tiennent compte. S’il y avait eu matérialisation (sous forme de lignes d’arbres par exemple), tout aurait été plus clair.

Les champs de blé, dans Avrillé, qui sont des traces visibles de l’emprise de l’autoroute, n’empêchent pas les gens de construire à la limite…

Parfois, l’administration se doit de dire non. La responsabilité de l’Équipement est redouta-ble : c’est la DDE qui fait les routes, donc elle ne peut en ignorer les tracés, surtout pour les routes qui ne sont pas du ressort de la voirie urbaine15.

Malheureusement, à l’Équipement, les services des routes et du droit des sols sont cloisonnés.

Dès qu’une opération touche à la rénovation, c’est-à-dire la reprise d’un tissu patrimonial et urbain (comme Saint-Nicolas), l’agence Mornet semble très présente. Quand cela participe des grands projets d’extension urbaine (Belle-Beille, la ZUP Nord, Monplai-sir, la Roseraie jusqu’à l’opération Lac de Maine), êtes-vous plus en retrait ?

Parmi les nombreuses raisons à cela, moi et mon père sommes tout de même des “emmer-deurs”, qui posons question au-delà de la réalité immédiate. Face aux interrogations sur l’avenir, a contrario du “on verra bien” général, notre vision des choses a été d’anticiper et de prendre posi-tion, or cela fait peur.

Ce besoin de soulever les problèmes à long terme ne se pose-t-il pas autant pour la construction des quartiers nouveaux que pour la rénovation de quartiers complète-ment insalubres ? L’actualité des quartiers (comme la Roseraie), peut-être été conçues à trop moyen terme, le montre bien…

Oui, mais la différence est que dans une étude d’extension urbaine, l’urbaniste peut laisser libre cours à son imagination. Le dessin est une image qui peut n’avoir aucun contenu. On peut dessiner n’importe quoi : une maison, et au même moment un animal… L’important est de savoir quels sont le support et le contenu de l’image. Mais qu’en est-il pour un plan sur lequel tout le monde donne son avis ? Ceux qui décident ne sont pas capa-bles de lire l’image, alors comment peuvent-ils

décrypter ce qu’elle évoque ? Or, l’image est faite pour évoquer et soulever des problèmes16. Face à sa feuille blanche, l’urbaniste se demande d’abord, ne serait-ce que pour poser son trait et installer son volume, quels sont les composants du programme. Même s’il ne met pas les bonnes priorités, ce premier agencement lui a permis de mettre en place les éléments dans une approche imaginative de leurs rapports. C’est donc à lui de trouver les ingrédients, de les mélanger, et de les soumettre à d’autres partenaires qui ajouteront des ingrédients, émettront des avis de priorités, ce qui fera évoluer la position des composantes.

Que l’image soit nourrie de réflexions préala-bles, de contacts, de compromis, etc. semble évident… Mais l’est-elle autant pour les quar-tiers de La Roseraie, de Belle-Beille ou de Monplaisir, que dans les cas de Saint-Michel ou de Saint-Nicolas ?

Oui, mais sur un terrain vierge, l’architecte n’a que des données abstraites sur lesquelles écha-fauder son projet. Il part d’une population théo-rique – il faut telle proportion d’HLM17 – et d’un cadre défini, le terrain, que des sondages ont permis de connaître : les équipements, inexis-tants, sont tous à créer.

Au contraire, pour le tissu urbain existant, des données humaines et historiques doivent être prises en compte. Même si on ne peut pas se servir de l’existant, ce qui existe, EXISTE, avec des éléments incontournables, comme les anciens réseaux et la population, que l’on ne peut déplacer facilement. Ce n’est donc pas du tout le même type d’agencement. Aux données théori-ques s’ajoutent des images, le poids de l’histoire, et de l’imaginaire. Dans le cas de l’existant, l’en-

14 - Tous les centre-villes américains (Washington ou autre) sont ainsi devenus des entrepôts ou des zones de travail parce que les habitants préfèrent s’installer à vingt ou trente kilomètres du centre pour respirer.

15 - Qui dépend de la municipalité.16 - Deromedi, le promoteur du terrain Bessonneau, est un des promoteurs les plus habiles

que j’ai connus en lecture de plans. Ayant commencé avec une brouette de maçon,

c’était un entrepreneur intelligent qui, devant un plan avec un « chameau », mettait tout de suite le doigt dessus. Il n’avait jamais dessiné de plans mais il avait le sens de l’espace et ressentais la troisième dimension.

17 - On le renseigne éventuellement sur le type de population que l’on sent voir s’installer.

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52 II.1 - en campagne pour la ville

jeu se porte sur des systèmes vivants qu’il faut rendre compatibles, notamment en termes de volume (selon le choix de s’imposer ou non et de l’envergure de l’opération). Pour le quartier de la République, j’ai cherché une architecture de transition car l’opération est trop petite pour une création telle qu’à Saint-Nicolas. Une nouvelle grammaire aurait été incongrue dans cet environ-nement18. On ne peut pas se permettre d’installer un élément fort et structurant sans rapport avec le reste du tissu.

L’aménagement de l’existant est donc plus complexe, mais le résultat fonctionne mieux à ce niveau urbain que dans les quartiers périurbains composés d’HLM où…

… où cela manque d’ingrédients. L’urbanisme est plus complexe en centre-ville, mais c’est presque moins compliqué que de créer de toute pièce une nouvelle ville sans fonction spécifique autre que l’habitat, sans cadre établi dans une grande plaine…

Ayant toujours été contre le système des ZUP, l’agence n’a pas été très présente dans les pro-jets d’extension urbaine, qui étaient réalisés en dehors des systèmes vivants. Or en l’absence de ses systèmes, c’est en général une population hétéroclite qui s’y installe avec ses difficultés. De plus, ces opérations ont servi, pour des questions d’économies, d’axe routier : il était à la mode de donner à la ZUP ses Champs Élysées. Ce n’est pas le cas de Belle-Beille, mais beaucoup de ZUP sont ainsi devenues en France des voies importantes : le seul élément structurant y a été complètement détourné, devenant un repoussoir alors qu’il devait être un élément où l’on pouvait aménager la vie. Enfin, il est évident que les trans-

ferts de population sont tels qu’en règle générale un conflit naît quasiment instantanément. Lors de ces opérations, des gens relativement invivables ont été envoyés sur l’extérieur en prenant le pré-texte de l’histoire. Mais là où on les met, il n’y a pas d’Histoire. Cela revient au problème difficile de l’école : faut-il faire des classes avec les plus brillants et des classes avec les moins brillants ou les mettre ensemble pour relever le niveau ? Les mélanges procèdent de l’alchimie : cela peut marcher… parfois. Je crois qu’il vaut mieux les séparer parce que l’égalité est une notion totale-ment abstraite. Ou bien il faut parler d’égalité des chances vers laquelle on peut tendre même si l’inégalité existera toujours. Les zones périurbai-nes ont donc été conçues pour loger ce que l’on appelait le plus grand nombre - et le plus grand nombre est toujours le plus grand problème car les gens ne sont pas autonomes (ou n’en ont pas les moyens). Ce qui est plus complexe que la problématique de l’élite bourgeoise qui, passant ses week-ends à la campagne, est perdue sans l’animation qui convient à ses béatitudes…

Est-ce sur ces considérations universelles que l’urbaniste peut intervenir pour tempé-rer un certain nombre de tendances ? Pour Belle-Beille, ton père n’a-il pas plaidé en faveur de la mixité19 ?

Oui, notamment sur les équipements qui n’étaient pas mis en place au départ ou jamais pris en compte, mais surtout en raison des diver-gences de philosophie formidables avec l’archi-tecte en chef de la construction : Madelin était un homme habile, drôle, mais cool. Or mieux vaut être agressif pour être architecte, pour soulever les problèmes et bousculer un peu le monde. Alors, l’architecte qui fait de belles perspectives

sur quelques grands principes ou idées sédui-santes… mais incapable de rentrer en conflit avec quelqu’un, ne peut pas avoir d’autorité pour gérer une opération. Madelin a pourtant fait des gouaches très belles, mais c’était un illustra-teur, pas un architecte. C’est pour cette raison que deux architectes en chef ont été chargés de la mission Belle-Beille. Rapidement, Madelin a senti que mon père allait prendre le dessus. De plus, l’office d’HLM (qui devait prendre la maîtrise d’ouvrage) avait confié la direction des entreprises à Madelin, qui avait une expérience quasiment nulle des procédés de construction industrialisés, dans lesquels le rôle des entrepri-ses était considérable. Alors, face à un architecte incapable de dire non, l’entrepreneur Fernand Gaudichet faisait ce qu’il voulait.

Mon père était contre le procédé de construc-tion proposé par Gaudichet. Le procédé Beau-père n’était pas très sophistiqué (on n’en était pas encore aux panneaux préfabriqués !). D’abord, c’était une fausse industrialisation : on montait tout de même des parpaings, dont le ravalement était incorporé. L’intérêt du ravalement est de bou-cher les trous. Par ailleurs, l’étanchéité laissait à désirer. D’autre part, mon père ne voulait pas travailler avec OTH, le bureau d’études parisien, dont il se méfiait. Connaissant Fernand Gaudi-chet (ils étaient au même Rotary Club) qui avait d’énormes qualités mais qui faisait des affaires, mon père s’opposait également aux conditions qu’on lui imposait : un bureau d’études extérieur, un procédé extérieur et une entreprise maître du chantier. Au moment où, à Paris, le choix se porte sur OTH, mon père a donc donné sa démission. Les HLM, dirigés par Pousset (ingé-nieur en chef des Ponts), qui comptaient sur mon père, lui en ont un peu voulu. Quinze ans plus

18 - C’est déjà un quartier morphologiquement incongru, la continuité de la ville doit donc se ménager.

19 - c’est-à-dire la conjugaison des éléments qui font la ville et leur diversité.

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53II.1 - en campagne pour la ville

tard, l’office HLM a été obligé de refaire le rava-lement de toutes les façades de Belle-Beille : il a dû dépenser quelque argent pour les rendre étanches ! Incontestablement, l’agence n’a plus réalisé d’HLM pendant de nombreuses années, mais nous étions bien pourvus en affaires par la ville.

Les HLM se sont bien rendu compte des pro-blèmes sur Belle-Beille et la démission de mon père n’a pas arrangé leur affaire. D’autant que le Préfet Morin aimait bien mon père même s’ils s’engueulaient - leur avait dit qu’ils faisaient une sottise. Morin, qui était un type bien, était inter-venu au ministère parce qu’il s’était aperçu que Madelin ne pouvait pas mener une telle opéra-tion.

Chevrollier a d’ailleurs été un peu le “coup de pied de l’âne” de mon père à Gaudichet. Pour ce gros chantier, qui représentait près de 3 mil-liards de francs, Fernand avait sollicité toutes les entreprises locales. Lors de l’adjudication, un groupement d’entreprises (presque toutes d’Angers) était constitué autour de Gaudichet à 30 % au-dessus du prix et pratiquement sans concurrents. J’ai cru devoir tout recommencer. Mon père m’a dit de ne pas m’inquiéter : « on va rentrer dans les prix, tu n’auras rien à changer à tes plans ». J’avais une certaine admiration pour mon père, mais j’ai tout de même douté… On a refait un appel d’offres deux mois après avec huit lots de maçonnerie. Ont répondu alors toutes les entreprises moyennes angevines qui ne pou-vaient pas avaler le tout (mais qui pouvaient en manger les parts). La difficulté du chantier Che-vrollier était la trame de façade de 5,25 mètres, ce qui donnait de gros panneaux préfabriqués, assez lourds pour nécessiter un équipement en grues conséquent. De plus la conception des

moules était plus complexe à l’époque et tout le monde avait un peu peur de cela. Pourtant à l’ad-judication, on est rentré dans le prix avec exac-tement le même procédé Brochard. Gaudichet a donc perdu l’affaire. Et on a fait l’opération… C’était une réponse de mon père au procédé Beaupère de Belle-Beille : nous avons mené le chantier avec notre procédé sans ennuis, dans les délais et pour les prix convenus. Malheureu-sement, l’histoire ne s’écrit que par tronçons qu’il faut recoller les uns aux autres pour reconstruire une trajectoire. Les explications que l’historien a du mal à trouver sont souvent de cette nature. De même, nous avons réglé le problème de Belle-Beille à Chevrollier.

Lorsqu’on réalise le CES Montaigne, on veut nous imposer un CES industrialisé. Le CES Montaigne est vraiment typique de l’époque où on livre les CES clés en main. C’est pourquoi on monte un projet de CES répondant parfaitement au programme (comme si c’était du préfabriqué) mais en dehors de la procédure industrialisée. L’entreprise Fonteneau accepte de jouer le jeu des prix industriels. Et je monte à Paris avec Nar-quin (député) pour faire accepter ce projet (non conforme aux procédures) par Guichard alors ministre de l’Éducation nationale. Et on double tout le monde ! Le CES Montaigne respecte la trame 1,75 mais ce n’est pas un CES industria-lisé. On répond à toutes leurs exigences (même idiotes) en rentrant dans l’enveloppe. Mais on démontre tout de même que le système indus-trialisé est inutile pour construire des CES à prix raisonnable.

La fin des années 50 est une époque de tran-sition pour les techniques du bâtiment : les entre-prises adoptent progressivement de nouveaux procédés comme le coffrage-tunnel. À Saint-

Michel, les deux techniques coexistent. Certai-nes entreprises se contentent de la construction traditionnelle en brique, d’autres comprennent rapidement l’intérêt des préfabriqués. Lors de Saint-Nicolas, l’évolution vers les procédés industrialisés a déjà eu lieu.

À Saint-Nicolas, les logements sociaux repré-sentent 30 ou 35 % de l’opération. HLM est une définition qui est devenue trop générale : il s’agit en fait d’immeubles à loyers normaux (ILN), qui touchent les cadres, les fonctionnaires d’un cer-tain niveau, chefs de services ou autres, c’est-à-dire un financement un peu privilégié20. La ville ne pouvait pas porter la charge foncière de logements sociaux dans une opération qui était déjà lourde puisqu’on a tout refait (dont la totalité des réseaux). La charge foncière de l’opération n’était donc pas compatible avec les logements sociaux (comme à La République où il y a aussi beaucoup d’HLM mais c’est la ville qui l’a prise en charge).

Il est rarement possible avec des finance-ments de ZUP de faire des opérations de qualité, c’est-à-dire sans “débiter” 350 logements d’un coup. Faire des tranches est plus cher puisqu’à chaque fois il y a installation de chantier. Une des absurdités des ZUP est de penser que l’industria-lisation en grande série est le modèle suprême. La rentabilité du système industriel est relative parce que c’est en fait la vitesse au démarrage qui est forte : mais où est l’intérêt de livrer en moins d’un an des logements qui durent 40 à 60 ans ? Le type qui démarre en trombe mais qui se fait doubler par les autres sur la longueur ne peut pas dire qu’il a une voiture rapide ! Il en est de même pour les procédés de construction, beaucoup plus chers qu’on ne le disait. En fait on créait une monotonie en réalisant des barres de

20 - Immeuble à Loyers Normaux est une curieuse appellation : elle laisse sous-entendre que les autres ont des loyers anormaux bien que modérés. Les ILN avaient un meilleur niveau de prestation que les HLM dont l’accessibilité des loyers se faisaient au détriment de la qualité - incontestablement, de ce point de vue, les ILN auraient dû être les HLM.

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54 II.1 - en campagne pour la ville

3000 logements selon la logique : « 14 étages en ligne droite parce que la grue supporte mieux et 8 étages pour amortir les ascenseurs ». Quand on cherche la performance financière absolue, on oublie que des gens vont habiter dedans pour y vivre. Enfin, je ne suis pas sûr que la philoso-phie des logements sociaux soit la bonne. Moins

le type a de moyens, plus la surface qui lui est destinée devrait être grande. Une ségrégation sévit dans le domaine des moyennes de surfaces de logements. À l’époque - mais c’est sûrement valable maintenant -, le rapport entre la surface du logement moyen américain et celle du loge-ment moyen français est du simple au double.

Et le coût du mètre carré américain doit être également plus faible. L’idée de la nécessaire pérennité du logement n’existe pas aux États Unis ou dans les pays scandinaves.

La notion de patrimoine existe mais d’abord, les gens sont mobiles.

Pour la plupart des Français, la construction d’une maison de nos jours est l’investisse-ment d’une vie. La notion de patrimoine étant importante, le mètre carré est cher et l’es-pace est relativement restreint puisque les moyens sont limités. Pourtant, la qualité du patrimoine est d’abord l’espace disponible.

L’une de mes études d’évolution de l’agglomé-ration angevine datant de 1962 reflète bien ma vision des choses : c’était, et c’est toujours, ma façon de poser le vrai problème du développe-ment à grande échelle et à long terme avec des vrais professionnels de l’urbanisme. Les qua-rante années qui me séparent de cette réflexion ne l’ont pas modifiée, au contraire, parce que c’est à peu près à cette échelle que le plan d’ur-banisme devrait être dessiné aurjourd’hui. Oui, mais depuis, l’occupation des sols en rend la transformation presque impossible car mainte-nant on remplit à la petite semaine le site urbain géographique d’Angers de la Sarthe à la Loire, de l’Authion à la Mayenne.

Briser le cadre

Prévoir un plan d’aménagement général sur 10 ans, à une époque où les réalisations, mêmes moyennes, réclament au moins 5 ans pour voir le jour, constitue une erreur.

Ce plan est un remède appliqué à un état déficient. Mais l’urbanisme ne s’apparente pas à la médecine mais à la Biologie.

Si l’infrastructure urbaine du siècle der-nier correspondait à un développement du schéma naturel de croissance des anciennes structures, celle d’aujourd’hui n’est que l’ex-croissance de ces anciennes structures.

Il y a maintenant rupture d’équilibre entre les besoins actuels et futurs de la population, et les possibilités de les satisfaire en se conte-nant d’améliorer l’infrastructure ancienne.

Il importe de refondre le noyau initial dans une masse nouvelle dont toutes les données soient neuves.

Par ailleurs, une agglomération est un tout en croissance continue.

Une croissance harmonieuse exige un examen permanent des besoins par des enquêtes sérieuses et des statistiques à jour.

Elle réclame des options de doctrine, de programmes prospectifs, une politique fon-cière courageuse.

Elle demande une coordination de ce qui, de près ou de loin, participe à l’équipement de la cité.

Il ne suffit pas de plans d’urbanisme ou de règlements figés, il importe d’avoir une vision dynamique des problèmes.

Ce ne sont ni les administrations quelque-fois peu compétentes et toujours débordées, ni les commissions hâtives, bâtardes et irres-ponsables, qui peuvent prendre la tête du mouvement de rénovation.

Il est nécessaire de créer des équipes spécialisées indépendantes, carrefours d’in-tentions et de moyens, capables d’avoir une pensée cohérente, un esprit de prévision, le goût de l’action et le sens du risque, pour animer l’espace où les générations doivent vivre.

L’homme ne doit plus subir la cité. L’his-toire de notre monde reste écrite, pour une grande part, dans les villes anciennes ou ses ruines qui sont, pour nous, le meilleur témoi-gnage d’une civilisation.

Mais notre époque réclame une organi-sation, une conscience collective, un style d’aménagment des cités, en harmonie avec l’ère du Cosmos.

Philippe MORNET(Extrait de Anjou Perspectives de la Jeune

chambre économique d’Angers, 1962)

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II.1.2 - Grand Angers de l’an 2000, extrait de Anjou Perspectives de la Jeune chambre économique d’Angers, 1962.

II.1 - en campagne pour la ville

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56 II.2 - La reconstruction de la Blancheraie

Sur la rive gauche de la Maine, beau-coup de réalisations ont lieu après la guerre dans le quartier de la Baumette. Le cabinet Mornet y intervient à travers

les opérations de la caserne des pompiers et du lycée Chevrollier, de l’église Saint-Laud, du couvent de l’Esvière, de la cité universitaire Léon Pavot et du groupe scolaire de la Blancheraie.

Cette zone est occupée depuis toujours : l’op-pidum gallo-romain y était implanté avant que le château ne se construise. Le rocher de l’Esvière est donc un endroit fort. En revanche, la partie basse du site est un terrain vierge de toute acti-vité1, formé de prairies basses inondables, tra-versées par un chemin du couvent de l’Esvière à la Maine. Je me souviens avoir fait un cross dans cette zone ponctuée de fossés pleins d’eau dans lesquels nous tombions, ne retrouvant pas toujours nos chaussures en carton dans la vase. C’était en 1944.

Les premiers bombardements commencent à faire des dégâts dans le quartier. Les entrepôts pétroliers sautent en 1943. En bordure du chemin de l’Esvière, le groupe scolaire Saint-Laud est détruit. Sur la place de l’Académie, il ne reste presque rien du collège Chevrollier à l’exception des annexes. Le couvent de l’Esvière, dont les différents bâtiments2 occupent un grand terrain,

II.2 - LA reCoNstruCtIoN de LA BLANCherAIe (1950-1957)“en suivant les bombes, le sport est dans le pré,et les soldats du feu à la cavalerie”

1 - Hormis les réservoirs d’essence en bord de Maine et les manufactures créées près de la gare.

2-Unechapelle,unfoyerdejeunesfilles,unecliniqueetl’évêché.

II.2.1 - Cl. Ministère des travaux publicset des transports

Les ponts se reconstruisent à la même placemais la famille s’apprête à s’élargir, «l’automobiliste aidant»La circulation devient incompatible avec le tissu existantLe xixe a pris de l’âge,

La ville gonfle et se répand, les artères s’engorgentLe centre n’est plus un axe de transit.La périmètre s’organise mais se bute dans l’eauLes industries changent de nature et de localisation, elles ont besoin de surfaces et de bonnes liaisonsLes communes périphériques, entrent à reculons dans l’agglomérationLe cœur de ville 1952 après les bombes de 1943.

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57II.2 - La reconstruction de la Blancheraie (1950-1957)

est également très endommagé. Tout le quartier est touché, l’église Saint-Laud comprise.o

Après guerre, le couvent est reconstruit par mon père et le groupe scolaire de la Blancheraie qui regroupe trois petites écoles s’installe sur le terrain rue de la Blancheraie ancienne3 qui inclut l’ancienne école. À l’époque, l’avenue de la Blan-cheraie est créée. Au départ, la municipalité ne peut pas faire ce qu’elle veut : le bâtiment sco-laire s’arrête en L, coincé par le terrain mitoyen, donc l’école se fait en deux tranches. La pre-mière est réalisée par l’agence Mornet en 1949-1950. La deuxième sera réalisée lorsque la ville pourra acquérir le terrain, au début des années 1980. Alors le groupe scolaire ne fonctionne plus comme les petites écoles d’autrefois mais comme une importante école de centre-ville.

Quand est dessinée l’avenue de la Blanche-raie ?

Le tracé de l’avenue de la Blancheraie est pro-jeté en 1951 dans un quartier encore bouleversé par la guerre. Cette nouvelle voie empiète sur le terrain de la manufacture de l’Ecce Homo (une des nombreuses annexes de l’usine Besson-neau4), qui occupe l’îlot en bordure de la gare de marchandises jusqu’à la rue de la Blancheraie, et rejoint la promenade de la Baumette (actuel bou-levard Marc Leclerc5). Pendant la reconstruction, en bordure de cette nouvelle avenue, jusqu’au rond-point, sont réalisées par mon père des maisons individuelles6, ainsi que le quartier rue Maurice Blanchard par Le Sénéchal, architecte. À ce moment-là, Perret, ancien directeur de Che-vrollier et conseiller municipal, veut mettre son lycée dans ce quartier qui brusquement devient un emplacement intéressant et dégagé.

3 - Qui rejoint la rue Kellermann, place de l’Académie. 4 - Une annexe est située derrière l’usine à gaz qui est l’embryon de son affaire ; après,

Bessonneau s’installe derrière l’avenue Jeanne d’Arc ; c’est ensuite seulement que l’usine développe, en raison de la proximité de la gare, une annexe à l’Ecce Homo.

5 - Où sont les Compagnons du tour de France.

6 - Des opérations immobilières se sont faites encore récemment sur les terrains entre l’ancien chemin de l’Esvière et l’avenue de la Blancheraie.

II.2.3 - Groupe scolaire Saint-Laud, niveau rue Kellerman, 13 avril 1948.

II.2.2 - Groupe scolaire Saint-Laud La Blancheraie, 1951

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Quartier St Michel - 1959

58 II.2 - La reconstruction de la Blancheraie

II.2.4 - Prairie de l’Aloyau, stade de la Baumette, 1965

Page 59: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

59

Quartier St Michel - 1959

II.2 - La reconstruction de la Blancheraie

Page 60: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

60 II.2 - La reconstruction de la Blancheraie (1950-1957)

Ce sont en fait les bombardements qui ont permis de créer cette voie résolvant ainsi les pro-blèmes de circulation de ce quartier mal desservi, bloqué par le talus de la voie ferrée. D’ailleurs, Saint-Laud est le faubourg de la gare. Les enjeux de ce secteur qui se développe dès avant la guerre sont importants. La construction du pont Noir7, suite à l’installation du chemin de fer à la fin du xixe siècle, a facilité le trafic pour pallier l’effet d’entonnoir sur les ponts devenus insuffisants. Or les terrains en bordure de Maine, qui sont pri-vilégiés, n’ont jamais été pris en compte dans les plans d’urbanisme. Quant à la voie rapide, qui est une aberration, elle amène le flux de toutes les villes de l’Ouest dans ce secteur.

Le problème de l’autoroute n’est-il pas celui du chemin de fer ?

Oui, mais il est logique d’amener les voya-geurs le plus près du centre possible… Tandis que pour aller de Paris à Nantes, il n’est pas besoin de passer sous le château. Cette situa-tion découle de la somme des imprévisions et de l’erreur d’avoir voulu faire passer une autoroute dans le centre-ville. Les décideurs n’ont pas pensé qu’un échangeur représente une surface importante : au moins 5 hectares, auxquels il faut ajouter l’emprise et les effets de butte, qui augmentent l’impact géographique, sans comp-ter le barrage visuel que cela représente. Il y a aussi l’impact de l’ouvrage lui-même qui est par-faitement digestible dans un grand espace mais insupportable dans un système saturé.

Autre problématique du site : le terrain des “boues de la Baumette” doit être mis hors d’eau. Aussi, une des premières opérations de la ville dès la fin de la guerre est de remblayer les ter-

rains avec les démolitions des bombardements, avant même de se demander ce qu’elle fera sur le remblai : l’excuse de l’urgence est réelle. Le remblaiement se fait dans des conditions épou-vantables parce, après les démolitions, toutes les bennes à ordures viennent y lâcher choux, carottes, etc.8 D’ailleurs, lors de la construction de la piscine (en 1957), on aura des problèmes de milieux acides extrêmement virulents car les déchets continuent à vivre9… Dès novembre 1949, la ville se pose la question de l’acquisition des terrains en bordure de Maine qui compren-

nent alors la Société des filatures, corderies et tissages d’Angers (Bessonneau) et la Société française des pétroles, essences et naphtes. Émerge alors le début du tracé de la promenade de la Baumette et du boulevard Olivier Couffon (qui prolonge le quai du Roi de Pologne), ainsi que l’idée d’installer un stade sur les remblais entre la promenade de la Baumette et la Maine.

Après guerre, Madelain, architecte, est chargé par la ville d’une étude globale du quartier, qui débouchera sur le tracé de l’avenue de la Blan-cheraie et sur un plan du parc des sports muni-

cipal. Il n’y a jamais de date sur les plans de la reconstruction. Seul le jeu des correspondances permet de les situer : le plan du stade doit dater d’avant 1951. Le seul plan daté que j’ai retrouvé est de 1956 : on y retrouve la même configura-tion du quartier (l’avenue de la Blancheraie, la rue Faidherbe, la rue Olivier Couffon10) propo-sant d’installer pour la ville d’Angers une piscine et un parc des sports (avec des tribunes proje-tées) qui deviendra le stade de la Baumette ; il assurera aux établissements scolaires du centre des espaces sportifs autres que les maigres cours de récréation.

En réalité, la configuration de la zone sera complètement modifiée par la suite, la voie rapide défigurant tout ce secteur. De plus, en 1957, comme le remblaiement des terrains, n’est pas encore terminé et que l’extension du parc des sports engendre un conflit, le programme se cantonne dans une partie du terrain.

Comment l’agence Mornet est-elle amenée à intervenir dans l’opération ?

Dans les années 1950, mon père est asso-cié au projet du stade : Madelain est chargé de l’esquisse, et l’agence de la suite, inventoriant en 1950-1951 les équipements de la ville d’Angers : pour 8 600 élèves de l’enseignement public, et 8 522 de l’enseignement privé, il y a beaucoup d’équipements et aucune population dans ce secteur sud, en dehors de la résidence Montes-quieu (de l’autre côté de la Maine, c’est la cam-pagne). Ce plan justifiant les équipements de la ville est une bonne démarche : si elle avait été faite systématiquement, des problèmes auraient peut-être été anticipés. Dès le départ, on prévoit de planter toutes les voies pour éviter que le

7 - Après 1910. 8 - Les déblais du quartier Saint-Laud amorceront un remblai un peu plus correct petit à petit. 9 - Contrairement à leur destination première, ce sont les légumes qui rongent le terrain et

les pieux en béton !10 - Où sont alors situés les réservoirs pétroliers.

II.2.5 - Groupe scolaire St-Laud La Blancheraie, 1951

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61II.2 - La reconstruction de la Blancheraie (1950-1957)

relief ne soit constitué que de lignes au sol et de cages de buts. Alors que le stade est en projet, la pression de la nouvelle voie rapide qui vient s’installer entame une partie du terrain. Donc cet élément se trouve perturbé par la voie rapide mais devient au niveau paysager un élément très important : alors que ce terrain est au bout du monde, tout le monde sait où est situé ce stade même si personne n’y a jamais mis les pieds…

En bordure de ce site au pied de l’Esvière, on projette également une cité universitaire avec un gymnase. Le projet initial (1957) prévoit une cité universitaire importante, à proximité de l’équipe-

ment sportif (juste en face du stade) car la faculté de Belle-Beille n’étant pas encore réalisée, la majorité des étudiants viennent de la Catho. La cité Léon Pavot est implantée sur les terrains de l’ancienne usine de l’Ecce Homo et d’une partie de l’ancienne rue de la Blancheraie. Après 1957, le programme diminue en importance. Le projet de gymnase ne tiendra pas longtemps. Les équi-pements sportifs conséquents sont très longs à sortir à Angers : ce sujet est une bataille de conseillers municipaux et d’adjoints. À la diffé-rence du parc des sports, qui est une opération uniquement municipale, la cité universitaire est

financée par le CROUS, c’est donc un finance-ment public.

Finalement une seule partie du parc des sports est construite…

En effet, seulement la première tranche sera réalisée parce que la ville inscrit à son programme, le futur stade Bessonneau comme grand stade de la ville, réservant la Baumette aux scolaires et aux entraînements du SCO pro-fessionnel.

II.2.6 - La caserne des pompiers

Mon père a construit l’actuelle caserne des pom-piers près du château sur une commande de la ville juste après-guerre. L’immeuble situé derrière l’Hôtel de France, construit pour la ville par mon père en 1938-39, a fonc-tionné seulement 5-6 ans. À vrai dire, il devait y avoir un

terrain disponible parce que c’est pas a priori un emplace-ment pour une caserne… D’ailleurs, peu de temps avant le bombardement, une discussion avait mis tout le monde d’accord : les pompiers devaient s’installer rue Chèvre. Ils avaient tout de même réalisé qu’une caserne des pom-piers située à 150 m de la gare était une gageure quand la bombe tombait pile sur la gare (parce qu’ils pouvaient y aller en pantoufles pour éteindre le feu !), mais si les aviateurs ennemis étaient un peu maladroits, il y avait des

chances que la caserne soit touchée, ce qui a d’ailleurs été le cas ! Or, le commandant des pompiers ne voulait rien entendre ; les mauvaises langues disaient que c’était parce qu’il n’y avait pas de bistrot rue Chèvre, alors qu’à la gare ! Si bien que la caserne n’a été transférée qu’après la démolition par le bombardement. La nouvelle caserne des pompiers s’est donc installée sur le site du lycée Che-vrollier, lui-même démoli par le bombardement de Saint-Laud.

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II.2.6 - Groupe scolaire Saint-Laud La Blancheraie, 1951. Cl. Bruel

II.2 - La reconstruction de la Blancheraie (1950-1957)

Page 63: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

63

II.2.7 - Groupe scolaire Saint-Laud La Blancheraie, 1951. Cl. Bruel

II.2 - La reconstruction de la Blancheraie (1950-1957)

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64 II.3 - Le Lycée Chevrollier (1946-1958)

Comment le projet du lycée Chevrollier démarre-t-il ?

Dès 1944, se pose le problème de sa localisation et pendant une longue période, la ville cherche un terrain. L’ancienne Académie de cavalerie

est détruite à 80 %. Or Chevrollier y était déjà à l’étroit. Ce bâtiment, construit sur un système obsolète (avec les ateliers dans l’ancienne écurie autour d’une cour) n’était pas du tout adapté. Puis-que ce bâtiment avait une certaine allure, la ville a droit à des dommages de guerre importants. Mais cela freine considérablement le démarrage

de l’opération. Le ministère de la Reconstruction et du Logement (MRL) résonne suivant des sché-mas désuets. Pourtant reconstruire Chevrollier, ce n’est pas forcément à la même place. Mais il faut un programme. Ce programme change tout le temps de 1948 à 1952, parce l’établissement mélange de l’enseignement technique et secon-daire (ce qui n’est pas du tout dans l’esprit de l’Éducation nationale). Le ministère met donc un certain temps à se faire une philosophie.

Lorsque le père Chevrollier crée son école, il installe trois classes dans une rue du centre-ville. Puis, l’école se développant, il la transfère place de l’Académie, sur le site de l’Académie royale

de cavalerie (créée à la fin du xviie siècle). Che-vrollier y occupe un immeuble du xviiie siècle (le pilier, le portail d’entrée, etc.) et les écuries. Après le bombardement, les classes sont dispersées dans plusieurs endroits de la ville1, ce qui expli-que l’urgence de Chevrollier après la guerre : il y avait une population à instruire (c’était un collège important tout de même) et pas d’emplacement. Entre temps, le père Chevrollier étant mort, l’éta-blissement était devenu public.

Y a-t-il un projet sur le site de l’Académie ?

Après une vague étude sur l’ancien site, qui ne correspond pas au nouveau développement technique de Chevrollier, plusieurs sites ont fait l’objet d’échanges avec le ministère :- d’abord une reconstruction complète vers la rue Audusson près de la gare ;- des terrains près de la gare. De toutes façons, à l’époque, les pensionnaires ne repartent pas chez eux tous les vendredis soir, ils sont là pour trois mois. Donc la proximité de la gare n’est pas déterminante ;- le terrain “Cesbron”, qui sera finalement choisi, mais les horticulteurs s’y opposent ;- une série d’opérations du côté du terrain Cothe-reau, près de la voie ferrée, au nord-est de la ville, avant que ne se fasse la liaison vers le Grand Pigeon ;

II.3 - Le LyCée CheVroLLIer (1946-1958)“La cavalerie finit à les Chaffauds”

1 - Rue Dacier.

II.3.1 - Académie royale des exercices d’Angers

Page 65: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

65II.3 - Le Lycée Chevrollier (1946-1958)

- l’idée de Belle-Beille tient la route pendant long-temps, mais pour les angevins, c’est vraiment au bout du monde ;- un certain nombre d’études autour de la rue Chef de ville, derrière l’actuel collège et communauté Saint-Charles, près du cimetière de l’Ouest ;- et enfin, en bord de Maine, là où sera installé le stade de la Baumette.

À l’agence, nous esquissons les plans masse, juste pour voir si le programme tient dans le ter-rain. À l’époque, je suis étudiant. Je vais gratter chez Perrotte2, rue Jacob à Paris, sur les charret-tes de Chevrollier.

La seule démarche de programmation liée à la ville est portée sur la proximité de la gare ?

En effet, les prix des terrains semblent avoir pesé pour le reste car la surface du terrain est importante. En fait, les terrains sont choisis en fonction de l’opportunité foncière et sans doute d’arrangements électoraux. Les options chan-gent également selon les idées sur le dévelop-pement de la ville.

De 1944 à 1948, les réflexions ne débouchent-elles sur rien de concret ?

Non, et même beaucoup plus tard puisque le programme de 1948 (venant de l’Éducation nationale) change ensuite maintes fois (au fur et à mesure qu’ils étudient le dossier ou que le ministère évolue). Les délibérations municipales sur la surface minima révèlent que les terrains sont toujours trop petits. À chaque esquisse, des informations officieuses nous renseignent sur le possible gonflement du programme. Mais, le

temps que cela soit approuvé par toutes les com-missions, on est déjà passé à autre chose.

Quand arrive le programme d’un collège de 1 600 élèves, moderne et technique, adapté à l’évolution de l’enseignement, les besoins en surfaces font revenir le choix sur le terrain Ces-bron, qui présente le plus de souplesse et de surface libre et est bien desservi. Ce site semble identifiable par un certain nombre d’angevins. Il a un autre avantage : le stade de l’intrépide qui est contigu. Les terrains mal desservis, les pro-priétaires se précipitaient pour les vendre et tous ceux qui étaient bons étaient inabordables, poli-tiquement. Mais à aucun moment donné, on ne voit de réflexion urbanistique…

Cela dit, le terrain retenu est tout de même à la hauteur de la réalité. Qu’est-ce qui a été déterminant dans ce choix ?

C’est le plus grand et il est desservi par deux rues (boulevard de Strasbourg et rue de Létan-duère) liées au centre.

Ce n’est pas une considération urbanistique, mais une question de pertinence par rapport à un programme défini…

C’est aussi un terrain de 8 hectares, avec la possibilité de déborder sur les terrains qui sont derrière pour mettre un peu d’espaces verts. La seule fois où le Ministre de la Construction s’est précipité dans l’urbanisme (auquel il ne connais-sait rien), il a fait des ZUP (il aurait mieux fait de s’arrêter). Cette dimension n’est pas du tout dans la mentalité des ingénieurs des Ponts. Ils ont les pieds sur terre, mais l’idée (la part de rêve et la part d’anticipation) d’aménager un territoire pour

un besoin à venir et difficilement perceptible est en dehors de leur culture. D’ailleurs, le mot Équi-pement est révélateur, après la dénomination “Construction et urbanisme”…

Le MRU n’existe-t-il plus en 1954 ?

En 1954, le MRU est devenu MRL et gère le dossier dommages de guerre et est beaucoup moins Ponts et Chaussées qu’il ne l’est devenu après. Le MRL est à l’époque un corps constitué en partie d’ingénieurs issus du Génie rural.

Combien de temps s’est écoulé entre la démolition du lycée et le début des études approfondies ?

Dix ans entre le bombardement et le début des études sur le programme définitif (qui subit ensuite des ajustements). En 1952, le programme

2 - Jeune architecte ami qui travaille pour mon père.

II.3.2 - École Chevrollier avant le seconde guerre mondiale

Page 66: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

66 II.3 - Le Lycée Chevrollier (1946-1958)

n’est toujours pas au point. Depuis 1946, les représentants des enseignements secondaires et techniques ne sont pas d’accord. Il devient urgent d’établir un programme écrit et complet pour engager l’achat du terrain. Le programme arrive vers 1953, on attaque l’étude définitive en 1954 sur le terrain de Chevrollier actuel. Perrotte n’est plus sur l’affaire que je reprends : ayant obtenu une bourse pour le MIT de Boston, je devais partir aux États-Unis mais mon père me presse de prendre Chevrollier en main : je cède.

Plandet, inspecteur général chargé du secon-daire, sera un partenaire caricatural, prétentieux, désagréable et dépassé. La première fois que je vois Plandet, au ministère, lorsque je déroule l’avant-projet de plan masse, ÉNORME sur sa modeste table, le dénommé Plandet est complè-tement dépassé par les événements :« On n’a pas idée de présenter des plans pareils !« Je réponds : Monsieur l’inspecteur général, vous savez que le terrain fait 400 m de long, c’est à 5 mm par mètre, donc ça fait forcément 2 mètres de long, c’est mathématique !

« C’est pas possible.»Plandet ne sait pas lire un plan, c’est évident.

Embarrassé devant les quatre partis différents proposés sur le terrain, il fait venir sa secré-taire et lui demande quel plan elle préfère. Plus audacieuse que son patron, cette grande dame d’un certain âge choisit comme si elle allait au salon d’Automne. Plandet déclare qu’il est d’ac-cord. Pas une seconde ne sont analysées les questions des élèves qui entrent, sortent ou cir-culent… Pas un mot sur le fonctionnement de l’établissement… J’ai 28 ans à l’époque. Cela fait des mois que l’on est sur le projet et je m’aper-çois que les choix restent du domaine de l’aléa-toire, leçon pour toute ma carrière…

Choisit-il quand même le bon projet parmi les solutions ?

Oui. Comme j’ai repéré le personnage, je lui fais le coup classique de rendre au mieux le plan qui me paraît le plus intéressant. Et c’est le rendu qui décide ! Celui qui a ma préférence, celle du maire et du proviseur Jeanne a été l’objet d’un lif-

ting particulier “salt and pepper” mais cela reste discret. Aussi, la secrétaire choisit rapidement celui que l’on souhaite.

N’y a-t-il pas eu de concours ?

Non, les concours n’existent pas à cette époque.

Quel est le maître d’ouvrage ?

C’est l’État, et le contrat se passe avec la ville. L’État est l’interlocuteur : il donne le programme, les professeurs, etc. Mais au départ le bâtiment appartient à la ville. Je ne sais pas si les dom-mages de guerre sont en partie transférés sur le nouveau lycée en tant qu’apports de la ville ou s’ils sont utilisés pour la caserne des pompiers. Le Préfet menait en partie la barque, mais toutes les délibérations (sur les terrains notamment) étaient municipales.

Quand la ville attribue le terrain, le pro-gramme architectural vient-il de l’État ?

Le programme a été conçu par l’Éducation nationale… il n’y avait pas à l’époque de conduite d’opération.

Pourtant l’arbitrage, le choix du projet se décide à Paris ?

Oui. Après accord de la ville, il fallait obtenir l’accord de la Préfecture, qui devait elle-même demander l’accord des services de l’État (Équipe-ment et ministère de l’Éducation nationale). Mais il est certain que la ville ne pouvait pas donner d’avis sur le lycée en tant que tel. Déjà pour des

II.3.3 - Lycée Chevrollier, projet rue Bougère, 1952

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67II.3 - Le Lycée Chevrollier (1946-1958)

écoles de six classes, elle rencontrait des diffi-cultés. Alors, sur un tel établissement, elle était complètement dépassée d’autant qu’elle ne vou-lait surtout pas en prendre la responsabilité.

As-tu ressenti une grande différence de maî-trise d’ouvrage avec le lycée David d’Angers quarante ans après ?

David d’Angers3, c’est la Région : cette struc-ture n’est pas un monstre comme l’Éducation nationale. Par exemple, Plandet n’est jamais venu à Angers pour Chevrollier. Pour David d’An-gers, il y a eu des visites sur place. On y voit les effets de la décentralisation ! La différence entre les deux époques se ressent même au niveau de la discussion.

Quelles sont les contraintes urbanistiques sur Chevrollier ?

Il y a une doctrine avec les projets de l’Éduca-tion nationale à l’époque : on est obligé de mettre le bâtiment dans une orientation Nord-Sud4, ce qui pose des problèmes : soit il faut monter très haut, soit il faut trouver des terrains assez larges.

Ce qui a déterminé la longueur interminable du bâtiment…

Oui, 440 m de linéaire… Pour respecter cette orientation plein sud avec la forme du terrain, le bâtiment est dans la diagonale, et on fait tenir dans une poche l’internat qui pouvait être Est-Ouest. Par ailleurs, la voie d’accès principale est au bout, tout le reste du terrain est enclavé.

3-Puisquej’aicommencémacarrièresurunlycée,jevoulaisfinirsurunlycée(David d’Angers).

4 - À l’époque, on combat la tuberculose en mettant les élèves au soleil. Les services Bâtiments de l’Éducation nationale (comprenant des architectes d’ailleurs) se sont fabriqué une théorie hygiéniste qui comme beaucoup de théories a autant d’envers que d’endroit.

II.3.4 - Lycée Chevrollier, maquette du projet final, 1955

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68 II.3 - Le Lycée Chevrollier (1946-1958)

De plus, il faut que l’enseignement secondaire soit différent de l’enseignement technique, ce qui explique la séparation de l’établissement en deux bâtiments. D’autre part, les ateliers devaient être en contact direct avec les classes scientifiques.

D’autres éléments ont-ils contraint la phase de conception ?

Non, quand on a eu un programme, un ter-rain et une direction, le reste s’est bien passé… à part la bagarre sur l’internat : l’enseignement technique veut un internat par dortoir et le secon-daire, des petits pavillons. N’ayant jamais pu les réunir, on fait ce qui nous arrange, c’est-à-dire on

groupe, le terrain étant trop exigu pour les isoler. Entre-temps, ledit Plandet disparaît du décor5, donc on prend la solution en accord avec l’ensei-gnement technique, beaucoup plus réaliste.

Il y a vraiment l’équivalent de deux maîtrises d’ouvrage, l’une technique et l’autre plus générale…

Oui, une autorité à deux têtes. Les deux ins-pecteurs ont quasiment des droits égaux. Le rec-teur de Rennes n’a aucune autorité, on ne le voit pas, c’est seulement un échelon administratif. Pour éviter le drame, le seul moyen est de dire qu’ils sont tous les deux généraux, et d’éviter

qu’ils participent aux décisions de l’État major, même si, au moment du défilé, il faut qu’ils soient là.

Cela ne s’est-il pas traduit par des incohéren-ces ?

Non, parce qu’en réalité ces inspecteurs ne viennent jamais sur place. À partir de l’accord de la secrétaire de Plandet, nous avions l’accord de l’Éducation nationale. Le reste est la part de manœuvre du bateau : il y a le vent, puis la façon de border le foc. Dans l’histoire, le seul avantage est que l’on n’avait pas peur de tenir la barre :

5 - Un jour, Plandet nous plante rue de Grenelle. Pensant que l’on pouvait tout régler lors de la présentation de l’avant-projet au cabinet du ministre. On nous dit : « Monsieur Plandet est malade et ne pourra pas venir au rendez-vous ». C’est ce que les élèves font quand ils veulent sécher ! Compte tenu des bagarres qui durent depuis des années, il sera viré peu de temps après !

II.3.5 - Chantier du lycée Chevrollier, 4 avril 1957

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69II.3 - Le Lycée Chevrollier (1946-1958)

sans prendre la route la plus courte, on est arrivé au bout quand même !

André Mornet t’a proposé de maîtriser ce projet, l’un des plus gros chantiers de l’agence alors… Comment cela s’est orga-nisé ? Comment fonctionnait une agence à cette époque ?

Comme Chevrollier était mon premier chan-tier, mon père m’avait dit « tu feras tout, comme ça tu apprendras le métier ». À l’agence, j’étais responsable des études depuis mon arrivée. Gabreau, qui s’occupait des autres études pen-dant que j’étais encore étudiant (je l’avais connu à l’atelier), était chargé d’un certain nombre d’affaires. Samain avait ses affaires également. Pour ma part, j’ai pris en charge Saint-Michel et Chevrollier, et d’autres projets. Quatre étudiants diplômables de Nantes (puis cinq) travaillaient en permanence avec moi. Ils habitaient chez moi (rue Lafontaine) et allaient à Nantes de temps en temps. On devait être huit sur Chevrollier. On était donc assez nombreux à l’agence (envi-ron 25), alors place Lorraine. Les travaux de la reconstruction nous occupaient largement.

L’opération était-elle concomitante de Saint-Michel ?

En effet, l’agence a travaillé sur Chevrollier et Saint-Michel en même temps. Saint-Michel démarré très tôt mais a été opérationnel plus tard. Entre 1955 (fin du projet Chevrollier) et 1958 (inauguration), Saint-Michel se mettait en place (étude de l’existant, plan masse, discussions), mais le gros de l’opération s’est fait ensuite.

Juste après guerre, ce sont les deux plus grosses opérations de Mornet, celles qui déterminent le positionnement de l’agence et son dimensionnement ?

En effet. Rue Chevreul, on est déjà une bonne quinzaine à l’agence, c’est l’époque de tous les problèmes de la reconstruction6, les dossiers de dommages de guerre, et de Belle-Beille qui est la première opération de construction à laquelle mon père est associé. Puis deux grosses opé-rations ont lieu : la rénovation du quartier Saint-Michel et la construction de Chevrollier. C’est la montée en régime normale : la construction a redémarré, sauf dans les zones sinistrées. Le redémarrage d’après-guerre a finalement lieu en 1952. Schématiquement, tout ce qui est réa-lisé entre 1945 et 1952 se fait sans moyens. Les gens disaient : « quand on aura fini de recons-truire, il va bien falloir qu’on réalise les projets qui n’ont pas été faits avant la guerre ». Il faut alors enclencher un processus nouveau. Puis les réflexions sur l’organisation apparaissent et son évolution à partir des quartiers démolis donne une échelle plus importante aux solutions.

Après le lent démarrage, l’opération Che-vrollier n’a eu aucun problème et s’est très bien passée. Lucien Paye, angevin et ministre de l’Éducation nationale, a inauguré Chevrollier en 1958. Au bout d’un an, l’établissement accueillait le double de l’effectif prévu. Lors de la visite, 8 jours après la rentrée, Benoit, le proviseur qui succède à Jeanne, me dit :« les élèves ça va, le problème c’est les profes-seurs.« Comment cela les professeurs ?« J’ai 120 ou 130 professeurs, 7 syndicats et dès le début, ils sont venus me voir parce qu’ils trou-

vaient que tel truc n’était pas comme ci, tel autre n’était pas comme ça. »

Il m’emmène alors dans les vestiaires des professeurs. Dans les toilettes, on avait choisi des supports à papier toilettes en inox. Et bien, ils avaient été dévissés ou arrachés par les profs ! Puis il me dit : « maintenant on va chez les élèves », c’était les mêmes, et rien n’avait été touché…

L’impact du choix du terrain était une oppor-tunité, il n’y avait donc pas de réflexion urbaine vraiment aboutie. Mais le lycée, une fois construit, est un équipement extrême-ment fort dans la partie sud d’Angers. Quelle incidence a-t-il pu avoir sur toute la réflexion avec la ville ?

Le boulevard Sud a été projeté en 1934 avec peut-être comme objectif de faire une rocade sud dans un secteur qui bouge depuis le début du siècle. Auparavant, les gens n’imaginaient pas l’extension d’Angers. Et les maires d’avant-guerre n’étaient pas du tout du genre à envisa-ger le développement : on repoussait Renault, « on a Bessonneau, on a Cointreau, etc. on est équipé ». Or, le gabarit de la voie par rapport à l’époque était énorme. La ville n’a pas du tout senti l’importance de ce quartier. Il y avait incon-testablement la pression des horticulteurs, qui ne voulaient pas vendre du terrain pour la crois-sance de la ville. Mais vers 1950 (à l’exception de la ZUP sud qui a été créée relativement tard), on a construit des lotissements le long du bou-levard Sud7. C’était aberrant d’installer des mai-sons individuelles sur une voie aussi large sans penser qu’un jour ou l’autre, tout le trafic allait se précipiter sur cette voie ! Le remplissage s’est fait

6 - La reconstruction de Saumur, dont mon père est architecte en chef, est très engagée. 7 - Il y avait quelques maisons datant de 1938-39, mais « branchées » sur la rue

Létanduère.

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II.3.6 - Chantier du lycée Chevrollier, 10 juin 1957

II.3 - Le Lycée Chevrollier (1946-1958)

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II.3.7 - Chantier du lycée Chevrollier, février 1958

II.3 - Le Lycée Chevrollier (1946-1958)

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72 II.3 - Le Lycée Chevrollier (1946-1958)

assez tardivement, pas avant 1955. L’installation de la ZAC sud a complètement changé la dimen-sion de tous ces terrains. Et ce n’était que des terrains agricoles. En fait, cette voie n’a jamais été prise en compte pour ce qu’elle est. Dans le quartier, tout le monde se désole maintenant, pourtant c’était inscrit depuis 1934.

Comment le bâtiment de Chevrollier a-t-il vieilli ensuite ?

Il a vieilli comme tout ce qui vit et meurt et est occupé par des jeunes hommes.

Pierre de Coquereaumont8 me disait que Chevrollier s’est bien conservé par rapport à tous les programmes de cette époque. C’est vrai que l’on n’a jamais eu de soucis sur Chevrollier. Mais les besoins évoluent, les règlements aussi : il faut adapter l’outil.

Sur les photos, les différences d’échelles sont saisissantes : c’est un navire par rap-port au parcellaire…

Oui et il s’encastre bien dans le terrain en fait. Mais un navire au port est toujours un peu serré.

Pour la composition des façades, quelle trame avez-vous utilisée ?

La trame obligatoire de l’Éducation natio-nale est de 1,75 m. Moi j’ai choisi une trame de 5,25 m. Pour le panneau de façade9, l’idée était de trouver une grande trame et, dans la grande trame, de créer des petites séquences pour faci-liter la distribution. Cela a été une bagarre avec l’administration, obnubilée par la trame de 1,75 m : le projet n’était pas standard. Puis, ils nous

ont rétorqué : « vous ne trouverez jamais d’en-treprises qui fabriqueront des cadres de cette taille ». Mais j’étais renseigné sur la fabrication des moules métalliques - à l’époque cela ne se faisait qu’en bois – et Pellon, pourtant une toute petite entreprise, a été le seul à prendre le risque. Les autres entrepreneurs ont décliné ma propo-sition, conservant l’ancien procédé. Finalement, Pellon a été tellement performant qu’il a loué son moule en métal aux autres parce que le moule en bois s’usait trop vite ! Pellon a ainsi pu, grâce au bénéfice de ce chantier, asseoir son affaire.

Ainsi, on a réalisé un mur rideau à une époque où personne n’en faisait. Le tout en ardoise, je m’étais arrangé avec les ardoisières pour fabri-quer les plaques : on a donc monté nos châssis en ardoise et fait le parement avec une structure complètement autonome derrière sans problème d’étanchéité. Dans certains cas, la trame de 5,25 m nous a même donné des souplesses par rap-port à la trame de 1,75 m.

Sur le plan constructif, le bâtiment était-il considéré comme une innovation ?

Non, l’Éducation nationale ne poussait pas vraiment à l’innovation, dans tous les domaines et dans l’architecture en particulier. Les construc-tions primaires, lorsqu’elles étaient municipales, sont les seules opérations où des nouveautés ont pu être proposées. L’administration ne s’in-téressant pas aux petits programmes, on s’y permettait plus de fantaisie. Il suffisait que le plan soit sur une trame de 1,75 m, comme trame de plan de travail car elle n’avait pas d’influence réelle sur l’aspect des choses. Mais la nécessité de réaliser rapidement et à bas prix des établis-sements rendus indispensables par la natalité et

l’accès de tous à l’enseignement a généré des méthodes matériellement efficaces, mais aux résultats souvent médiocres et à viellissement prématuré.

La décentralisation n’a-t-elle pas également fait évoluer la réglementation ?

Oui, je ne sais pas si on se sert toujours de la trame. Il est étonnant d’ailleurs qu’elle reste parce qu’on mettait 35 à 40 élèves dans les classes à l’époque10, alors que maintenant, les classes sont moins nombreuses. Pendant la guerre, j’ai connu une classe à 50 avec l’apport des réfugiés. Heu-reusement, les bancs permettaient de se tasser.

Pour Chevrollier, l’exécution s’est réalisée dans les délais, et il y avait le challenge de Bro-chard et Gaudichet. Jean Morin, le préfet, disait même à mon père : « débrouillez-vous, il ne faut pas que Gaudichet ait le projet » parce qu’il se rendait bien compte qu’ils allaient devenir com-plètement esclaves de Gaudichet, qui était malin comme un singe. Mon père était ravi que Fer-nand Gaudichet ait fait une proposition 30 % plus chère. On avait réussi à trouver des entrepre-neurs qui étaient prévus comme sous-traitants de Gaudichet leur disant qu’avec ce gros chantier, il fallait montrer de quoi ils étaient capables parce que Gaudichet nous mettait au défi. Recommen-çant l’appel d’offres, on est rentré dans le prix et Gaudichet, bloqué par sa première offre, n’a pu suivre.

C’est une situation originale et assez diffé-rente de la situation actuelle…

Oui absolument, cela correspond justement à la philosophie de mon père, par laquelle il a rendu de grands services à la ville d’Angers. Le

8-GendredePhilippeMornetquiareprisl’agenceencollaborationavecsafille,Anne,et l’architecte Hervé Lebreton.

9 - Sur l’internat c’est différent. 10 - La trame est calculée sur une base dépendant de la taille des classes.

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73II.3 - Le Lycée Chevrollier (1946-1958)

II.3.8Chantierdu Lycée Chevrollier,1e février 1958

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II.3.9 - Lycée Chevrollier, 17 mai 1962

II.3 - Le Lycée Chevrollier (1946-1958)

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75II.3 - Le Lycée Chevrollier (1946-1958)

nombre d’opérations réalisées à Angers (car la construction n’y était pas moins chère qu’ailleurs) tenait en grande partie au fait qu’on a permis à maintes entreprises d’être sur le marché, à des niveaux où se faisait la concurrence normale. Quand un ouvrage était mal exécuté (ce qui arri-vait souvent), on les emmenait sur un chantier de Gaudichet pour que cela leur serve d’exemple. Ils étaient capables de faire pareil et cela leur a donné aussi de l’audace. Tous ces entrepre-neurs, nous les connaissions bien. J’ai connu Georges Fonteneau “à la brouette” à la chapelle classée de l’Esvière après le bombardement (je n’étais pas encore à l’école). Il était tailleur de pierre sur le projet d’une jolie chapelle du xvie siècle suivi pas mon père. Et Fonteneau était sur le chantier lui-même. De même, sur Chevrollier, un des frères Pellon était chef de chantier. Il était agréable de travailler avec eux parce qu’ils res-taient à leur place à la différence de Gaudichet qui est toujours dans les coulisses, sortant du bureau du Préfet, allant au ministère, et construi-sant des maisons pour les fonctionnaires, ce qui ne lui enlevait pas ses qualités : il était intelligent, dynamique mais assez redoutable parce qu’il faussait le jeu.

Était-ce animé par un esprit de revanche ? Cela participait-il d’une stratégie qualita-tive ?

Non, conflit n’est pas guerre. Au départ, les entrepreneurs étaient contents, puis ont eu peur de se lancer, n’ayant pas l’habitude de travailler sur des opérations d’une telle envergure, ni avec d’autres dans un même chantier. On a donc divisé l’opération en 7 lots différents pour avoir des chantiers à l’échelle des divers entrepre-

neurs partants. Mon père avait de très bonnes relations avec les entrepreneurs et ils savaient qu’ils pouvaient s’appuyer sur lui.

La division en lots rendait-elle les choses plus complexes ?

Cela nous a coûté plus cher parce qu’on a fait la comptabilité de 7 chantiers au lieu d’un, mais cela nous paraissait plus simple que de remettre en cause le projet. On a fait une coordination évi-demment plus complexe que si Gaudichet l’avait fait seul. Malgré l’organisation des lots, avec 7 entreprises sur le bâtiment, il y avait quand même des problèmes techniques et humains de cette continuité d’ouvrages (des bagarres pour avoir les moules) dans cette discontinuité de structure.

L’intérêt de cette adjudication était plutôt la maîtrise des coûts…

Oui. Enfin, l’histoire se fait avec des opportu-nités. Après la claque prise à Belle-Beille, l’occa-sion s’est présentée de lui rendre, et en même temps de lancer des entreprises. Mon père s’est toujours battu pour faire travailler des entrepri-ses locales. Sûrement des gens ont dû penser qu’on ne pouvait pas faire sans Gaudichet, puis ils ont réalisé que des petits entrepreneurs ont assuré la réalisation, dans les délais, pas plus cher, et sans travaux supplémentaires. Alors qu’à travers les visions technocratiques, ces projets sont faits pour les gros entrepreneurs, on a formé des entreprises et on a ébranlé la machine Gau-dichet sur ses propres territoires. C’est de cette façon que l’on change les choses, en donnant des petits coups dans le système.

Le ministère de l’Éducation nationale n’a-t-il rien contraint sur Chevrollier ?

Non. C’est le seul avantage de l’administra-tion centrale : étant loin des coûts et méprisant le côté opérationnel, elle ne sait pas ce qui se passe. Il n’y avait pas encore de délégation à l’Équipement de la maîtrise d’ouvrage, et 10 ans de mise au point suffisent aux contraintes… D’autre part, à partir de la phase réalisation, l’opération devient totalement locale, c’est donc à ce niveau que se règlent les problèmes.

Auraient-ils pu imposer sinon un architecte du moins une entreprise ?

Non, la procédure est rigoureuse. Toute une législation régit les programmes de cette échelle. Il n’était pas question de faire une entorse aux textes pour imposer qui que ce soit ; et à cette époque la pression des grosses entreprises et des procédés était très limitée.

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76 II.4 - Le faubourg saint Michel (1952-1983)

II.4 - LA réNoVAtIoN du fAuBourg sAINt-MICheL (1952-1983) “Ne terrasse pas que les dragons”

La rénovation du faubourg Saint-Michel démarre juste après guerre, passé la pression de la Reconstruction. Les pre-mières correspondances officielles au

sujet de ce quartier datent environ de 1952. On parle alors d’un “chancre” à l’entrée d’Angers. C’est à côté du Jardin des Plantes qui est un endroit de civilité dans la ville.

En fait, en 1949, sur la demande du maire (Chatenay), mon père effectue un premier tra-

vail de prospection. L’enquête préalable sur l’état du quartier1 exige de visiter les immeubles du faubourg et de recueillir les renseignements nécessaires (relevés de plan, photographies). En dehors du Café du Soleil2 qui fait l’angle3 et la pharmacie Suard (place du Pélican4), la rue Saint Michel est dans un état pitoyable (sans égouts, encaissée, étroite, etc.). Ce quartier à l’habitat défectueux est un grand faubourg de ville du xviiie siècle… Mais cette voie date de la nuit des

temps : elle est le lien avec la capitale. Or seule la proximité de la place du Pélican et la place Leclerc l’ont protégé d’une totale décrépitude.

Le lycée Joachim du Bellay constitue depuis longtemps un bouchon, de même que la prison, située sur un piton rocheux avec une différence de niveau de presque 10 mètres. La présence du jardin des plantes et de l’usine à gaz derrière, bien que ne jouant plus sur la densité, confirment la difficulté de développement du secteur Est de la ville.

Une barrière fantastique derrière le faubourg Saint-Michel bloque ainsi le système et justifie que la rue Saint-Michel ne soit qu’une rue traver-sière et non pas une voie de distribution (puisqu’il n’y a rien au Nord de cette rue). De plus, l’axe de l’avenue Pasteur, qui date du xixe siècle, est énorme. La preuve, c’est qu’il est chargé. Et on voit bien l’étranglement à l’entrée de la rue Saint-Michel, qui, dans ce contexte, était quasiment à son échelle quand elle avait 6 mètres près de la rue Savary : c’est vraiment une voie d’îlot. De toute façon, ce quartier est davantage marqué par l’usine à Gaz, la prison et le jardin que par son habitat. Cet état des lieux permet de com-prendre comment les contraintes d’un lieu nais-sent très souvent en dehors du périmètre… On n’est jamais tout seul sur cette terre et “l’enfer, c’est les autres” !

Quelques idées pour dégager le secteur de la prison étaient apparues au début du siècle mais

1 - À l’époque, je suis encore à Paris. C’est Gabreau qui doit être en charge de l’opération à l’agence.

2 - Ce bistrot, dont la patronne était charmante, était le siège du parti socialiste. 3 - Actuellement Optic 2000. 4 - Rebaptisée place Pierre Mendès-France.

II.4.1 - Angers au xviiie siècle, Atlas de la région angevine, © AURA 1993 - Source François Comte

non exhaustif

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77II.4 - Le faubourg saint Michel (1952-1983)

à une échelle de besoins municipaux beaucoup plus qu’urbanistiques. Le projet de la ville était de percer une rue le long du Jardin des Plantes (dans le prolongement de la rue du Major Allard) afin de relier la rue Bardoul (au coin de la prison) à la rue Saint-Michel avec l’idée de rejoindre la place du Champs de Mars par un axe traversant l’institution Jeanne d’Arc.

En 1950, le maire d’Angers demande à Mornet d’examiner si et comment pourrait être supprimés les taudis du quartier Saint-Michel en vue d’en faire un quartier urbain respectant les règles de l’hygiène et de l’urbanisme. Mon père fait faire un dossier sur l’état des immeubles et de leur occupation. Ce dossier servira par la suite à appuyer auprès du ministère de la Reconstruc-tion des crédits spéciaux pour le relogement et la reconstruction du quartier dans une enveloppe

financière spéciale car on commençait à se poser des questions au niveau national après la reconstruction de quartiers défavorisés. Le dos-sier transmis à Paris fera l’objet d’un hold-up de la célèbre Chistine Brisset qui s’était fait remettre le dossier par le maire et qui récupérera les crédits au moment où ils seront débloqués pour réaliser l’opération Verneau qui n’était pas liée à cette affaire, bloquant ainsi l’opération Saint-Michel durant plusieurs années puisque, officiellement, l’opération Saint-Michel avait été soutenue par l’État, mais sans en profiter. Ce fut l’une des nombreuses indélicatesse de ladite Christine qui d’ailleurs finira devant la Justice.

Un gros problème de circulation venant de Paris vers Nantes existe à l’entrée de la ville. Puisque la rue Saint-Michel se tortille – ses 6 mètres de largeur à son point le plus étroit ne

permettent pas à deux poids-lourds de se doubler sans enlever au passage toutes les enseignes de magasins à droite et à gauche ! - bien qu’elle soit sur le tracé de la nationale 23, l’avenue Pasteur a été chargée au xixe siècle de reprendre ce trafic. Mais cette voie emmène tous les flux sur le centre d’Angers, obligeant même les semi-remorques à emprunter la place Leclerc, puis le boulevard Foch pour la liaison Paris-Nantes. La ville souhaite donc que le trafic reprenne la rue Saint-Michel à partir de la rue Lardin de Musset, l’idée étant d’évacuer les véhicules sur le boulevard Carnot qui n’est pas du tout chargé. Pourtant, ce schéma de départ conserve la rue Saint-Michel telle quelle… (illustration II.4.2).

Le problème posé au départ postule le réta-blissement de la liaison vers le boulevard Carnot, mais en déviant la circulation par une nouvelle

II.4.3 - Angers en 1900, Atlas de la région angevine, © AURA, 1993 - Source : plandressé par M.M. Hézard et Baron, 1900.“Ce plan met parfaitement en valeur l’option qui n’a pas été prise parce que Bessonneau existe encore au début de l’opération – l’entreprise déclinait – et que la rocade Est n’existe pas. Tous ces plans sont des variables de l’histoire…”II.4.2 - Quartier Saint-Michel, plan cadastral avant rénovation, 1962

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78 II.4 - Le faubourg saint Miche l (1952-1983)

voie à partir de la rue Lardin de Musset et lon-geant la prison pour revenir à partir de la rue Bardoul sur la place du Pélican, pour éviter de démolir la partie la plus décente de la rue du fau-bourg Saint-Michel en bordure de voie avec des commerces et des immeubles retapés en bien meilleur état que ce qui était derrière. Cela créait un trajet alambiqué peu favorable aux poids lourds et ne laissait que peu de parcelles constructibles pour la rénovation. En 1953, quand je reprends l’affaire, je persuade les partenaires que la rue du faubourg Saint-Michel ne peut rester dans sa morphologie moyen-âgeuse et que si on arrive à réaliser des constructions neuves derrière, elle apparaîtra très vite comme un chancre et que le commerce lui-même disparaîtra.

Rapidement, le ministère de la Reconstruction, s’intéresse à cette opération au départ purement municipale. Vraisemblablement le maire Cha-tenay5 a étudié les possibilités de financement par l’État : l’opération va en effet coûter cher et pose des problèmes de relogement et de voirie nationale puisque l’on intervient sur la nationale 23. En 1953, le ministère de la Reconstruction intervient alors que nous travaillons dessus depuis 4 ans sans honoraires6 pour demander à mon père d’étudier gracieusement un premier projet pour l’ensemble du quartier. En un mois, il faut tout faire depuis les relevés de terrain ! Mon père a dû faire une lettre acérée au ministère car voici la réponse de Spinetta, le directeur de la Construction :

« Monsieur le Président, […] je regrette tout particulièrement les termes de ma lettre du 7 septembre donnant l’impression d’un ordre donné à une personne ; cette dernière lettre […] a un caractère juridique et comptable de l’admi-nistration, de là le caractère impératif et plutôt

juridique qui ne suppose […] aucune remarque désobligeante vis-à-vis de son destinataire et je vous donne bien volontiers mon accord pour reporter à deux mois le délai […]. Pour ce qui est du montant des honoraires, vous comprendrez j’en suis sûr que les crédits de l’État sont dans ce domaine comme dans d’autres extrêmement limités et nous ne manquerons pas de vous rap-peler que lorsque le ministre de la Construction et du Logement demande à un architecte d’éta-blir un projet de plan masse, il fait notamment appel au sens de l’intérêt général auquel vous n’avez pas manqué d’être sensible… »

Dès 1953, on revient sur la trame existante du quartier. En revanche, il est envisagé de repren-

dre la rue Saint-Michel dans des proportions plus convenables et de fermer la perspective de la rue Savary pour éviter la mise en valeur de la prison7 (dont le plan témoigne d’un bâtiment périmé car trop petit), secteur où les problèmes sont inso-

lubles parce que la prison est complètement enserrée. Naît également l’idée de la liaison éventuelle avec l’avenue Montaigne8 et d’une liaison avec l’avenue Pasteur devenue de fait, la route de Paris. D’abord envisagée d’une manière absconse (parce qu’on ne débouchait sur rien du tout), cette liaison fait apparaître l’éventualité du prolongement de la rue Pierre Lise pour rejoindre la place du Pélican depuis l’avenue Pasteur.

Très vite le schéma de la voirie est donc défini par l’agence Mornet…

En effet. Arrivé à l’agence fin 1953, j’ai pris le projet en main. La problématique de cette réha-bilitation réside avant tout dans un problème de circulation au niveau de l’agglomération dans un habitat insalubre formant un quartier sordide tout près du centre. Il y a des problèmes sanitaires insupportables, les gens qu’on ne peut desservir en eau allant la puiser au puits. D’autre part, tous les véhicules s’engagent sur la place Leclerc, puis boulevard Foch pour passer par le boulevard du Roi René alors que le centre-ville commence à être embouteillé. Les voitures de plus en plus nombreuses - pendant la guerre, il n’y avait que les voitures des allemands quasiment - commen-cent à poser de vrais problèmes d’asphyxie. Par conséquent, l’idée de combiner le quartier insa-lubre avec une nouvelle façon d’entrer dans la ville et de la traverser apparaît.

L’agence a réussi à valider le parti d’élargir la rue Saint-Michel à 24 mètres tout en préservant l’habitat correct, et notamment les quelques belles maisons de la rue Savary. Ce secteur abrite éga-lement deux chapelles qu’il fallait conserver, la plus ancienne posant quelques difficultés parce qu’elle est en surplomb. Ne pouvant “ronger”

5 - Victor Chatenay, maire d’Angers de 1947 à 1959 ; Jacques Millot lui succède de 1959 à 1963.

6 - L’agence n’a pas touché d’honoraires jusqu’en 1963-1964. 7 - Classée à l’inventaire des monuments historiques en 1997. (note de l’éditeur) 8 - Qui n’existait pas auparavant parce qu’il y avait déjà le problème de Jeanne d’Arc

et que l’avenue Montaigne bloquerait sur Saint-Barthélémy.

II.4.4 - Quartier Saint-Michel, la cour Breton

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79II.4 - Le faubourg saint Michel (1952-1983)

II.4.5 - Faubourg Saint-Michel, 1950

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Quartier St Michel - 1959

80 II.4 - Le faubourg saint Michel (1952-1983)

II.4.6 - Quartier Saint-Michel, rénovation générale du quartier, coupe transversale SW-NE, 15 janvier 1968II.4.7 - Quartier Saint-Michel, rénovation générale du quartier, étude de plan de masse, zone sud, novembre 1960

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Quartier St Michel - 1959

II.4 - Le faubourg saint Michel (1952-1983)

II.4.8 - Rénovation du quartier Saint-Michel, avril 1968 II.4.9 - Quartier Saint-Michel, tour I4, 3e maquette

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82 II.4 - Le faubourg saint Michel (1952-1983)

sur cette zone, on fait toute l’opération du côté de la prison. Vers 1954, on élargit donc la rue Saint-Michel au ras de l’église et on escamote la rue Savary, tandis que l’institution Jeanne d’Arc s’étend sur tout le terrain de l’opération9. La rue Pierre-Lise est élargie à 18 mètres (démolition de toutes les façades d’un côté), devenant ainsi le lieu de passage de la liaison avec Nantes. À partir de ce schéma, traiter la rue Saint-Michel comme une rue de ville et non comme une “auto-route” avec un quartier devient envisageable.

Ces options sont discutées au niveau du ministère de l’Équipement. Un jour, Pousset10 nous objecte : « L’emprise d’une route nationale est définitive et ne se modifie pas ». Telle est en 1954 la décision du Conseil supérieur des Ponts et Chaussées qui focalise l’étude urbaine d’An-gers sur le trafic Paris-Nantes, qui doit passer rue Saint-Michel, parce que cela a toujours été ainsi. C’est la notion du patrimoine comme l’avait la SNCF : « personne n’a le droit de tou-cher au patrimoine de l’État ». D’ailleurs, lors d’une discussion à la Préfecture qui avait permis de révéler ce que les fonctionnaires pensaient réellement - tout le monde repousse la position de l’État -, on s’aperçoit que c’est administrative-ment et juridiquement imparable. L’emprise de l’État devenait primordiale, large et sans aucune médiation à cette époque. Pourtant, on essayait de réfléchir à la nature du problème et de poser les données d’une manière contemporaine en fonction de l’avenir et non du passé (le tracé de la liaison Paris à Nantes datant du xive siècle).

En 1955, la rue Pierre-Lise est projetée comme la suite du Boulevard Carnot, ce qui n’est pas du tout l’avis de Sauvage, qui veut que tous les gens traversent Angers pour voir la ville11. Comme Sauvage est obnubilé par les 12 mètres

de largeur de la rue Pierre Lise mais qu’il est le seul à le vouloir, en accord avec Jean Turc nous faisons passer le plan avec une cote écrite à 12 mètres alors que le dessin la représente à 24. Le lendemain de l’approbation municipale du plan (avec les alignements faits par la voirie en janvier 1956), je l’ai substitué aux services de la voirie sous le prétexte de signaler une erreur. À la place, j’ai discrètement remis le plan masse cor-rigé et personne ne s’en est aperçu ou n’a voulu savoir ce qui c’était passé ! Sauvage y compris.

Au-delà des problèmes de voirie nationale, le ministère intervient-il sur le plan masse ?

Le ministère de la Reconstruction est impli-qué puisqu’il finance l’opération. Pour vider le quartier Saint-Michel, il fallait bien reloger les habitants quelque part, donc trouver des crédits pour construire dans une période de reconstruc-tion12. Or les crédits permettant de démolir pour reconstruire ailleurs constituaient une démarche différente qui n’existait pas dans les schémas d’administration. Dans la logique de la recons-truction, la démolition n’existait pas ! Elle était de fait. Le relogement n’existait pas non plus parce que les habitants étaient déplacés dans un loge-ment provisoire avant d’être relogés sur place. On pose le problème de la rénovation urbaine. L’opération est entrée dans le circuit des aides parce que concernant le financement, il n’y avait pas de promoteurs privés à l’époque. Donc il fallait d’abord résoudre le problème de la route nationale, trouver le moyen de faire les opéra-tions de voirie (certains quartiers n’avaient pas de caniveaux, il fallait repasser tous les câbles de téléphone, l’électricité, le gaz).

Sur le chantier, un soir, un type travaillait au bulldozer juste devant la prison au déblaiement des débris de logements et il a coupé des câbles téléphoniques énormes13 qui faisaient la liaison Paris-Paimbœuf! Donc il n’y avait plus de télé-phone. Et c’était un vendredi, donc personne le samedi ! Pas de téléphone non plus à la Préfec-ture…

Et avec la ville, comment cela se passe ?

Avec la ville, l’agence n’a aucun problème. Victor Chatenay, le maire, était un ami de mon père. Ils se connaissaient bien avant la guerre. Et malgré son tempérament parfois volcanique, avec Sauvage, adjoint à l’urbanisme, qui débute dans l’administration, cela se passe assez bien finalement.

D’ailleurs, en 1955, on étudie pour la ville l’emplacement possible d’un ensemble culturel et je donne l’idée de l’angle du jardin des Plantes et de la rue Boreau. En fait, on a déjà étudié ce ter-rain pour la municipalité précédente : Chatenay a donc repris une opération mise de côté. De toute façon ce terrain n’a pas d’interférence sur le reste de l’opération, le jardin des Plantes formant une césure complète. La ville nous demande donc une esquisse d’une salle de 1 400 places pour les conférences et les concerts donnant sur le jardin des Plantes.

Est-ce déjà une idée de centre des congrès ?

Chatenay a l’idée d’une salle spécialisée qui complète le théâtre (permettant des projec-tions etc.). D’autant que la salle de la Mutualité est assez petite, – construite par mon père en

9 - À l’époque, l’entrée de l’institution se fait sur la rue Pierre-Lise. 10 - Pousset, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées. 11 - De même que de nombreux maires de village n’acceptent pas une déviation en raison

de l’augmentation des ventes quotidiennes de croissants de la boulangerie en période d’été avec le passage des vacanciers !

12 -Lesfinancementsétaientconcentréssurlaremiseenétatdel’existantdémoliparlaguerre.

13 - Car l’administration des PTT ne donnait pas toujours les tracés exacts des câbles à la Voirie.

Page 83: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

83II.4 - Le faubourg saint Michel (1952-1983)

II.4.10Quartier Saint-Michel,vues du quartier avant rénovation, puis pendantles travaux, 1969

Page 84: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

84

II.4.11 - Quartier Saint-Michel, plan d’ensemble, 1960

II.4 - Le faubourg saint Michel (1952-1983)

Page 85: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

85

II.4.12 - Quartier Saint-Michel, vers 1970

II.4 - Le faubourg saint Michel (1952-1983)

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86 II.4 - Le faubourg saint Michel (1952-1983)

bordure de Maine pour la ville en 1937 – et le cirque-théâtre (au pied duquel je suis né14) avait également cette fonction. Pendant la guerre, de nombreuses réunions y avaient lieu, ce qui était invraisemblable quant aux consignes de sécu-rité : car tout était en bois : excellent pour les concerts et… les incendies. Tous les débats poli-tiques se déroulaient là vers 1941-1942. Le cir-que-théâtre servait à la fois aux concerts et aux grandes manifestations. Après la guerre, il est décidé de détruire ce théâtre - tant il est défec-tueux - et de construire une autre salle. Mais la mairie n’arrive pas à satisfaire ce besoin face aux urgences de la reconstruction et aux coûts de ce type d’équipement.

Le plan de Saint-Michel de 1956 propose les dispositifs qu’on retrouvera d’une manière défini-tive : la tour au carrefour Pierre Lise/Saint-Michel avec son socle, les systèmes de peignes et

d’immeubles en bordure de voirie, la « banane » devant la prison.

En 1960, l’année de démarrage des opéra-tions, se dessine le système définitif concevant la rue Pierre-Lise comme la suite de l’avenue Pasteur. Et il est décidé d’inclure dans l’opération toute la partie jusqu’à la Place Leclerc, dont le foncier d’origine est constitué de courettes. En fait on éventre toute cette partie autour de la rue Pierre-Lise qui est un boyau : on refait à neuf la rue Savary et aussi toute la partie rue Joubert qui devait rentrer dans l’opération. C’est ce qu’on appelle l’Îlot Savary.

Comme l’opération marche bien côté Saint-Michel, on décidera d’aller plus loin, ce qui n’est pas du tout prévu au départ, en traitant tous les abords de la zone. En 1966, l’opération agrandit donc son périmètre parce que la première partie se réalise.

Il reste une séquence dont on avait aban-donné l’idée, ce qui dérange un certain nombre de gens : il s’agit de la liaison au niveau du Jardin des Plantes entre l’arrière de la rue Bardoul et l’entrée du Faubourg St-Michel. À la demande des gens du quartier, la municipalité veut abso-lument engager une étude de passerelle, qui tra-verse les programmes décidés et qui permette de suivre la partie commerciale, de passer au-dessus du jardin des Plantes et de contourner devant l’angle de la prison et de la rue Bardoul. On réussit à persuader que la passerelle ne se fera pas parce que cela coûte trop cher pour un résultat pas du tout évident.

Sur le plan du bâti de Saint-Michel, que peut-on dire ?

Il y a une densité imposée par les règles et beaucoup d’HLM. Il s’est donc créé une société d’économie mixte (SEM), à une époque où cela se fait peu15, qui reprend en grande partie les statuts de la société16 faite pour la reconstruc-tion parce qu’elle avait assez bien fonctionné. Dans le conseil d’administration, sont associés les gens du cru : Suard (le pharmacien), Goxe (un industriel), la boulangère (Mme Collinet) qui était fort jolie, la patronne du Café du soleil, très décontractée, et L’Herbette, conseiller municipal du quartier, etc. Ils ont d’ailleurs été - ce qui m’a étonné - très constructifs par rapport à leur vision du quartier. La reconstitution du passé était sou-vent le problème dans ces sociétés (exactement au même endroit, sur le même modèle). Pour Saint-Michel, nous avons des réactions intelli-gentes : « c’est une occasion formidable de tirer parti de notre patrimoine pour le valoriser ». Alors que la société d’économie mixte a pour objectif

14 - Philippe Mornet est né Place Molière, à l’angle de la rue Boisnet. 15 - Les seules structures qui existent à l’époque sont les sociétés créées pour la

reconstruction, qui associent les propriétaires victimes, les collectivités locales, la chambredecommerceetlesorganismesfinanciers.

16 - Privée mais à statut public.

II.4.13 - Quartier Saint-Michel, 1972

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87II.4 - Le faubourg saint Michel (1952-1983)

de construire (rénovation urbaine), les associa-tions syndicales de reconstruction avaient pour vocation de rebâtir (après guerre). Mais le projet est établi par un urbaniste et par un architecte en chef en relation avec le ministère et la ville.

Du côté de l’administration, les gens du MRL ne sont pas habitués à ce genre d’opération,

dépassés par la dimension de la rénovation urbaine alors que tout le monde est conscient que la décrépitude règne sur le quartier. À la ville, Sauvage s’en occupe bien même s’il n’est pas au conseil d’administration au départ (Chatenay a préféré nommer L’Herbette qui est du quartier). Sauvage est d’abord intervenu en tant qu’adjoint à l’urbanisme et plus tard en tant que président de la SEM, alors que l’opération est lancée.

On n’a pas eu de vrais problèmes en dehors des négociations avec des propriétaires de ter-rains qu’ils voulaient vendre à la valeur du quar-tier rénové. En réalité, sans réhabilitation du quartier, leur terrain ne valait pas grand chose puisqu’il n’y avait pas souvent d’eau, pas d’élec-tricité. Mais je n’ai pas le souvenir de procédures “saignantes” alors que l’opération représente tout de même plus de 4 hectares en plein centre.

Je reviens sur le statut de la route nationale. Le questionnement urbanistique s’est fait au niveau du quartier, mais une réflexion plus large aurait probablement envisagé d’autres solutions…

La démarche d’évitement des centres n’est pas dans l’esprit de l’époque. L’intensité de la cir-culation à la sortie de la guerre est faible. On est encore à penser que la circulation fait vivre.

Le schéma directeur suivait toujours le plan 1934 parce que la ville n’avait pas d’urbanisme, une démarche autre que le coup par coup.

Mais la ville n’aurait-elle pas pu passer une commande sur l’organisation globale ?

Oui, mais ce n’était pas dans l’air du temps : à cette époque, on ne faisait rien dans le tissu urbain, à part remplir les emprises vides ou de changer les affectations. L’autre raison est peut-être que la ville n’avait pas été complètement

démolie, alors que la destruction avait déclenché en effet des études sur des villes comme Saint-Nazaire ou Caen. Il n’y avait donc aucun élément de plan directeur. Or le plan directeur n’était pas dans les préoccupations des conseils munici-paux. Juste après la guerre, on essaye de mettre les écoles là où il faut, d’assumer l’immédiat.

Pour cette démarche urbanistique, il a fallu attendre de passer mentalement à une période normale - car la reconstruction a marqué les esprits - alors que certains dossiers de domma-ges de guerre restaient en porte-à-faux (comme Chevrollier17). La réflexion urbaine globale était mise au second rang face aux problèmes dits d’urgence qui ont traîné parfois jusqu’en 1955. Par ailleurs, l’explosion démographique n’était pas prévue, avec comme résultat des besoins inconnus du ministère. Enfin beaucoup raison-naient en fonction du quartier qu’ils représen-taient.

Je ne sais pas à quel moment le ministère de la reconstruction et de l’Urbanisme a changé de nom. À partir du moment où la reconstruction n’était plus l’objectif premier - le terme “Recons-truction” a disparu de l’intitulé -, l’État n’était pas totalement intéressé par l’urbanisme : il ne pouvait même pas nous payer l’étude de Saint-Michel, donc on naviguait encore avec le plan de 1934 qui n’était d’ailleurs connu que des initiés.

Il n’y avait pas du tout de réflexion urbaine globale. Elle fait peur et le site d’Angers est redoutable.

Jean Turc, Edgar Pisani et moi étudions la mise en place de l’Agence d’Urbanisme ensem-ble. Lors de sa création en 1968, elle s’installe rue Desjardins. C’est Lenoir18 qui sera le premier directeur de l’AURA.

17 - Qui a été reconstruit mais les dommages de guerre ont dû être transférés sur la caserne des pompiers.

18 - Il dirigera l’agence de 1966-1967 jusqu’en 1978.

II.4.14 - Quartier Saint-Michel, chantier, 1969

Au début du chantier, alors que l’on monte 8 étages de grands bâtiments, quelques maisons occupent encore le fond du terrain, formant des dénivelés énor-mes. Cette photographie donne l’impression d’être dans les calanques : en haut les rochers, et au fond une barque perdue, toute seule… Sur la rue Saint-Michel, un employé de la voirie ne veut pas quitter son logement de fonction que la ville souhaite vendre à la SAEM. Il impor-tune tout le monde, alors on conduit le chantier autour de sa baraque. C’est bien l’image d’une époque… On pouvait bloquer une opération de cette envergure sim-plement parce qu’un locataire refusait de quitter les lieux. Puis, cerné par les étages en béton quasiment à la verticale de sa maison, il a fini par déguerpir…

Page 88: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

88 II.5 - ecole des Beaux-Arts (1946-1969)

Le dossier de l’École des Beaux-Arts s’ouvre après la guerre. Financée par quelques seigneurs angevins, l’École régionale des Beaux-Arts est créée au

xviiie siècle par un peintre, puis périclite au bout de 15 ans. Après la Révolution, elle réapparaît avec la création de l’École centrale installée au Logis Barrault. On y enseigne le dessin, l’archi-

tecture, les arts plastiques… Après avoir occupé différents sites au hasard de la clientèle et des événements, l’école s’installe en 1928 dans le Jardin des Beaux-Arts1 dans un bâtiment construit à cet effet, adapté à ses besoins de l’époque. En 1941, les Allemands délogent l’école pour y installer leur central téléphonique. Pendant la guerre, l’école éclate dans cinq endroits dont

une école primaire désaffectée à l’angle de la rue Proust. C’est là que je prends mes premiers cours d’architecture en 1944-1945 pour préparer les Beaux-Arts de Paris.

En août 1944, le central saute. À la fin de la guerre, au vu du développement de l’enseigne-ment, il paraît impossible de réinstaller l’École des Beaux-Arts à cet emplacement trop exigu. La ville décide d’abandonner les lieux, de récu-pérer les dommages de guerre et de demander des subventions pour s’adapter aux nouveaux besoins. Dans cette intention, après enquête préalable (réalisée par mon père en 1946), la ville se rend acquéreur en 1950 de l’hôtel d’Olonne (dit de Ruillé ou hôtel La Boullaye) construit au xviiie siècle.

L’hôtel particulier de la comtesse d’Olonne est situé dans un tissu hétérogène. Les parcel-les sont occupées, côté rue Desjardins, par de petits hôtels bourgeois construits au xixe siècle. En revanche, côté rue Château-Gontier, le par-cellaire est plus ancien et populaire : il y a, en bordure du parc, des commerçants, des entrepri-ses, des garages, des hôtels, un cinéma… C’est l’accès au faubourg Bressigny dont le commerce est tombé en désuétude. C’était surtout autrefois la route des Ponts-de-Cé. Enfin, côté rue Bressi-gny, les fonds de parcelles sont remplis de murs effondrés et de constructions anarchiques. La ville compte un peu sur le départ des ateliers Richou-Simon pour récupérer du terrain2 car la

II.5 - L’éCoLe des BeAux-Arts (1946-1969)“Le château d’eau-llones”

1 - À l’emplacement du restaurant universitaire actuel. 2 - Cette idée ressurgira dans les années 1960 lorsque la ville envisage une extension de

la première réalisation.

II.5.1 - L’hôtel de la Boullaye construit en 1760 pour un Fermier général. Cl. Jean Biaugeaud

Page 89: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

89II.5 - ecole des Beaux-Arts (1946-1969)

rue Château-Gontier n’est pas un emplacement idéal pour livrer des tiges de fer de 4-5 mètres de long. D’autre part, juste à côté de l’hôtel d’Olonne, il existe – c’est la cerise sur le gâteau - un châ-teau d’eau datant de 1903. C’est une construc-tion très basse avec des réservoirs de 15 000 m3 et des dépôts en dessous : une espèce de faitout dans un faubourg ultra dense… Autant dire qu’il tient dans le tissu comme moi dans mon complet de premier communiant : cela déborde un peu de partout ! À l’époque, personne n’a respecté les prospects (des arrangements avec les voisins ont suffi) : le château d’eau est donc à la verticale du mur de clôture, et desservi par une impasse appartenant à des propriétaires différents…

À quoi servait le château d’eau ?

Il alimentait en eau le faubourg Bressigny, et sans doute, au-delà, le centre-ville. Il devait desservir un gros secteur vers 1905, époque à laquelle Angers devait compter 60 000 habi-tants. Il se situe sur un point haut, presque à la même cote que le point culminant d’Angers (place André Leroy).

En 1946, l’étude de faisabilité de mon père prévoit de construire des ateliers dans le fond du parc de l’hôtel d’Olonne (côté rue Paul Bert) pour ne pas interférer avec la cour d’honneur et installer les élèves à l’écart de la partie ancienne (cour en hémicycle et hôtel particulier). Le ter-rain présente donc des possibilités. Mais, en 1952, compte tenu des besoins appréciés à la hausse (le baby boom arrive), l’étude n’est plus valable. Afin de préserver les arbres du parc et d’absorber les arrivées de matériel nécessaires aux ateliers de sculpture, l’agence propose donc de construire côté rue Bressigny en utilisant les

dépendances qui, avec les acquisitions de la ville sur la rue, doublent la surface disponible.

Mon père conseille aussi de réutiliser le châ-teau d’eau, qui est désaffecté depuis un cer-tain temps, en démolissant les parois latérales. D’autant que le terrain du château d’eau appar-tient à la ville et ne sert à rien, si ce n’est de dépôt aux employés de la voirie ! Le premier réflexe est de démolir, mais démolir du béton armé sur un terrain mal desservi (impossible d’amener un camion ou une grue) s’avère illusoire. De plus, le voisinage aurait ramassé la moitié des démo-litions : les explosifs auraient fait sauter tous les toits, déjà instables3 ! Donc, puisqu’on ne peut démolir le château d’eau, habillons-le : mon père suggère de remplacer le voile périphérique par un mur rideau4. Quant aux grandes poutres, qui

en constituent la structure, il n’est pas gênant de les conserver dans un atelier des beaux-arts…

La façade est reconstruite sur cette struc-ture?

Oui. Le parti est de détruire les parois laté-rales pour les vitrer et conserver la structure, bénéficiant des servitudes acquises depuis l’édi-fication du château d’eau au milieu des parcelles diverses. Cela nous donne une capacité de ter-rain importante. D’autre part, par un phénomène que je ne m’explique pas, le château d’eau est quasiment dans l’axe de l’hôtel particulier. On profite aussi d’un droit de passage réservé aux propriétaires du quartier qui permet aux élèves d’entrer de ce côté. En revanche, cela ne résout

3-Lesardoisestiennentparcequ’ellesontl’habitude:ellessontcollées,maispasfixées! 4 - Ce sera probablement le premier construit à Angers.

II.5.2 - École des Beaux-Arts, 1958. Cl. Jean Biaugeaud

Page 90: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

90 II.5 - ecole des Beaux-Arts (1946-1969)

II.5.3 - Dans l’atelier, ossature de l’ancien réservoir (béton du xxe siècle). Cl. Jean Biaugeaud

II.5 - ecole des Beaux-Arts (1946-1969)

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91II.5 - ecole des Beaux-Arts (1946-1969)

pas le problème d’accès au fond du parc. En 1950, on démarre les premières études avec l’option côté rue Bressigny et le château d’eau.

Le programme évolue également. Le premier est concocté rapidement, sans analyser les nou-veaux besoins, par Ruel (professeur de dessin du lycée à la retraite) qui dirige provisoirement l’école après la guerre. En effet, à l’époque, il n’y a plus de directeur : Livache, qui avait cédé les lieux aux Allemands, a été viré en 1944. J’ai d’ailleurs quelques conflits assez vigoureux avec Ruel parce qu’il mène l’école des Beaux-Arts comme une école primaire alors qu’il a affaire à de jeunes débrouillards5… Alors qu’il consi-dère notre professeur de dessin, le sculpteur Chesneau, comme un petit professeur de dessin de campagne, Ruel se prend pour un seigneur du xviiie siècle avec une canne à pommeau qui lui sert de crosse. Un jour, les étudiants - et moi le premier - virent Ruel du local de l’école de musi-que rue Plantagenêt parce qu’il s’est montré trop insolent envers Chesneau, notre professeur, qui est un homme délicieux6. Cela fait toute une his-toire que Ruel tente d’étouffer. Afin de remédier à cette situation provisoire, la ville et le conseil d’administration de l’école décident de recruter un directeur d’un bon niveau. En 1952, Thézée, un Breton grand prix de Rome de sculpture ren-trant d’Italie, est nommé directeur. Même s’il n’a pas toutes les qualités, il est dynamique et a une vision contemporaine des besoins, de l’évolution de l’enseignement, etc. Thézée et mon père éla-borent alors un programme complètement nou-veau.

Parallèlement, des instructions commen-cent à arriver : l’Éducation nationale amorce une réflexion sur l’évolution de l’enseignement artistique en France. L’école d’Angers change

alors de statut et devient régionale : en effet, son enseignement dépasse l’échelle municipale car non seulement elle dispense une formation reconnue, mais elle prépare aussi aux écoles parisiennes (Beaux-Arts, Arts déco) et forme (d’ailleurs depuis le xviiie siècle) des collabora-teurs d’architectes, des dessinateurs industriels ou en bâtiment.

Les études faisant apparaître que le château d’eau, l’hôtel particulier et ses dépendances seront insuffisants, les acquisitions rue Bressi-gny, en bordure et sur les fonds de parcelles sont entreprises dès cette époque, avant même l’éta-blissement du projet. La ville profite de ce que les immeubles soient vétustes et invendables pour les acheter et donner un peu d’aisance au pro-gramme. Mais le problème réside dans les his-toires complexes d’achat de terrains et d’accords avec les voisins dans ce patchwork de foncier tordu de centre-ville, avec des constructions en fond de parcelle peu réglementaires.

Pour le financement, la ville compte sur les dommages de guerre du central téléphonique ex école des Beaux-Arts et ses fonds propres mais aussi sur des subventions de l’État (puisque l’école dépend du ministère) et sur des emprunts (car les dommages de guerre ne sont payés qu’à la fin des travaux). Pour lancer l’opération, elle a besoin d’argent et, pour emprunter, elle a besoin d’un accord sur le projet. C’est l’éternelle histoire, tout le monde se mord la queue : dès qu’un élément bloque le circuit, tout le système est bloqué, et c’est d’ailleurs ce qui se passe. De plus, il faut loger Thézée qui vient d’arriver. La ville promet de prendre sur ses fonds propres pour lui aménager un bel appartement dans l’hôtel particulier, avec atelier personnel pour sa sculpture. Cela fait partie des avantages de son

poste, qui compense son salaire qui ne doit pas être mirobolant…

L’arrivée de Thézée relance donc le projet d’aménagement de l’hôtel particulier, de ses servitudes et du château d’eau transformé. Les études sont rapidement menées pour l’aména-gement de l’hôtel particulier, réalisé en priorité : le logement de fonction se trouvera au-dessus de l’administration située au rez-de-chaussée, avec une salle d’expo, une bibliothèque à l’étage. Les affectations générales sont conçues pour permettre un fonctionnement quel que soit le nombre d’élèves. La ville amorce ainsi la pompe, souhaitant installer l’école dès la réalisation de ce premier aménagement, pensant pouvoir réclamer par la suite des fonds pour les élèves.

Le projet global est établi en 1954, mais le projet n’est pas encore inscrit au budget de l’État. Le ministère de la Reconstruction, débordé par les dommages de guerre, fait attendre la ville d’Angers un an : il convient de négocier avec l’Éducation nationale pour un financement en 1955. Or l’Éducation nationale a déjà donné son accord sur le dossier de principe, mais réclame un avant-projet chiffré. L’État financera ainsi à 50 % (dommages de guerre + subvention).

En 1955, la ville engage l’aménagement du logement du directeur dans la partie mansardée de l’hôtel. En février 1956, elle approuve le projet global et les devis. Une bataille sur les subven-tions pour la restauration des bâtiments anciens s’engage alors avec l’État qui suit un barème établi par le ministère des Finances qui, comme toujours, ne tient aucun compte des situations particulières… : en l’occurrence un hôtel parti-culier du xviiie siècle à restaurer. C’est d’ailleurs Enguehard qui effectuera le ravalement de l’hô-tel pour éviter les ennuis avec les Monuments

5 - Mon père ne pouvait pas supporter Ruel pour d’autres raisons, que j’ignore. 6 - Je connais bien Chesneau pour avoir pris des cours de dessin avec lui à 12-13 ans.

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92 II.5 - ecole des Beaux-Arts (1946-1969)

historiques. Quant aux servitudes, ni inscrites ni classées, toute l’administration se penche sur le sujet, mais personne n’est capable d’évaluer le coût du château d’eau. Mon père défend, d’une manière un peu osée, qu’il est plus économique de réutiliser la structure existante plutôt que de la reconstruire. Or, le terrain regroupant plusieurs bâtiments qu’il faut relier, les circulations aug-mentent d’autant le coût, ce qui revient plus cher qu’une construction neuve.

N’est-ce pas un peu le même contexte que la bibliothèque municipale ?

En effet, à la différence près que l’existant représente 50 % des surfaces à l’École des Beaux-Arts alors qu’il est résiduel à la bibliothè-que municipale.

Pour résoudre le problème du financement, la municipalité décide de diviser l’opération en fonction des crédits alloués parce que l’État ne peut répondre à toutes les demandes de l’après-guerre. Le découpage ne complique pas le projet puisque ce sont déjà des tranches, à l’exception de quelques problèmes d’adaptation7. Enfin la ville sollicite l’accord sur les emprunts nécessai-res pour préfinancer les dommages de guerre réglés sur mémoires.

Le permis de construire est déposé en avril 1956. Et en septembre, le Conseil supérieur des Bâtiments de France qui, composé de gens émi-nents, gère toutes les questions de construction, instruit le dossier. À l’époque, tout passe par Paris. Tout ce petit monde remet en cause les options déjà approuvées : la solution est intelli-gente mais on ne peut faire du moderne à côté d’un bâtiment xviiie siècle. D’autre part, faire une école dans un château d’eau est absurde, selon

leur rapport, qui propose de démolir le château d’eau (ce qui est matériellement impossible !) et de construire dans le fond du parc ! Ce qui est quasi impossible à cause des arbres et des rive-rains de la rue Paul Bert.

Or, à cette commission, siège André Leconte, architecte angevin, grand prix de Rome. En 1950, lorsque je suis élève dans son atelier, un conflit assez violent éclate à propos du renvoi, par Leconte, du massier (Perrotte) - il a conseillé que le fils de Leconte, qui refuse de se plier aux règles, ne soit pas placé dans l’atelier de son père. La plupart des anciens quittent alors l’atelier Leconte, ce qui le met dans l’embarras. On erre d’atelier en atelier et, on démarche pour créer un atelier avec Beaudouin8, qui est reçu comme un chien dans un jeu de quilles par Leconte lorsqu’il lui demande son accord. L’année suivante, l’ate-lier Beaudouin rafle beaucoup de prix tandis que celui de Leconte plonge. En 1956, Leconte, qui n’a jamais digéré le contentieux avec Mornet fils, se venge alors sur le projet du père, malgré leurs bons rapports9.

En octobre 1956, mon père adresse au minis-tre un rapport contestant la position du Conseil supérieur des bâtiments de France : pas question de se laisser faire - c’est dans son tempérament - car la décision a été prise sans la présence de l’architecte, ni d’un élu. Puis il réclame une entrevue au directeur général de l’Architecture, et le maire intervient également dans ce sens. Entre-temps, le dossier de permis de construire arrive chez Enguehard qui, malgré ses réserves d’usage, soutient le projet. Aussi, en décembre 1956, le Conseil des Bâtiments de France estime avoir raison mais qu’il n’y a pas lieu de s’opposer à un projet approuvé par d’autres. Par contre, ils en profitent pour réduire la dépense subvention-

nable : malgré leur connaissance du contexte particulier, le barème de base est appliqué. La vengeance est flagrante…

En 1957, on commence la démolition néces-saire. Le maire écrit de nouveau au ministère pour expliquer que le devis est justifié car il s’agit d’un bâtiment ancien10. On nous répond que la réduction de crédit est confirmée.

Le projet est-il modifié à cette annonce ?

Non, comme l’opération se réalise par tran-che, on consommera les crédits. La ville récu-pérera les dommages de guerre qui libèrent en partie des emprunts. La municipalité doit se dire qu’en dernier recours, elle ira pleurer une fois la réalisation faite. L’expérience montre que c’est la bonne méthode car la ville récupèrera sa mise.

En mars 1958, les travaux sont adjugés, mais on ne peut commencer car certains immeubles à démolir sont encore occupés : la ville n’a pu reloger tous les locataires des acquisitions. Les travaux débutent en fait en avril.

Comment fonctionne alors l’École des Beaux-Arts ?

Elle est toujours éparpillée dans la ville, à La Godeline, aux Pénitentes, dans l’école de la rue Proust et dans d’autres bâtiments municipaux.

Dès le début des travaux, l’ingénieur béton signale le mauvais état de la structure du châ-teau d’eau11. Tout est dans un état effroyable12 : la structure béton est bouffée par l’érosion, et si l’on bouge les poutres13, tout s’écroule. En réalité avec le temps, tout repose sur le voile béton périphérique que l’on souhaite justement démolir ! On modifie alors le projet. On décide

7 - Comme l’impossibilité de chauffer le château d’eau la première année car la chaufferie sera dans l’hôtel particulier.

8 - Architecte en chef de Marseille pendant la guerre, membre de l’Institut. 9 - Le plus curieux, c’est que lors de l’enterrement de Leconte à Angers, les seuls

architectes présents étaient Beaudouin et moi alors qu’il nous avait virés tous les deux…

10 - Il faudra bien mettre de la pierre, et pas n’importe laquelle. 11 - Personne n’est monté là-haut pour voir comment c’était depuis 1903 car c’est

inaccessible. Il faut démolir pour voir. 12 - Les aciers du début du siècle ne sont pas de bonne qualité et ne sont pas protégés

contre le gel. La règle des 2,5 cm entre les aciers, qui bougent à haute température, et le béton, qui n’a aucune souplesse, est plus récente.

Page 93: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

93II.5 - ecole des Beaux-Arts (1946-1969)

de démolir la structure supérieure et de recréer le porte-à-faux par un système de poteaux et de plots intermédiaires pour pouvoir dégager le vitrage : la structure est ainsi visible en façade. Cette adaptation se fait sans grands dégâts, si ce n’est que les économies escomptées sur la réutilisation du château d’eau sont moindres. Le chantier peut donc commencer.

En 1959, l’aménagement du parc fait l’objet de réunions avec les Monuments historiques et le service des Espaces verts d’Angers. Après notre avant-projet, c’est la ville qui réalisera le parc, sur les plans d’aménagement de Danglade, l’ingénieur du service des Jardins de la ville.

Le parc n’a-t-il jamais été ouvert au public ?

J’y jouais avec les louveteaux scouts du temps de la comtesse d’Olonne à qui les enfants faisaient de la compagnie… Lorsque le parc est devenu propriété de la ville, il est devenu le jardin des élèves – ils peuvent y dessiner -, mais au départ ce n’est pas un parc public14.

Les problèmes de voisinage continuent de pimenter le quotidien du chantier. On travaille à l’aplomb de tous les voisins dont les vieux murs de schiste tiennent par la volonté divine mais qui se plaignent qu’on leur abîme leur chef-d’œuvre. La correspondance à ce propos de mon père avec Enguehard, architecte de certains proprié-taires, est salée.

À la demande du directeur de l’école, une nouvelle mission est confiée à l’architecte, chargé par la ville de mettre au point un mobi-lier intérieur. En mai 1960, les travaux des deux premières tranches (hôtel d’Olonne, servitudes et château d’eau) sont terminés. En janvier 1961, la ville demande une extension pour l’atelier de

13 - Qui servent de report de charge à la structure qui n’est plus capable de remplir sa fonction.

14 - Il est ouvert au public en 2003 (note de l’éditeur).

II.5.4 - École des Beaux-Arts, plan d’ensemble de l’extension avec le parc, 1961

Page 94: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

94 II.5 - ecole des Beaux-Arts (1946-1969)

4e année, nouvellement créée, et une réserve de moulages.

La réduction arbitraire de subvention de 1956 fait finalement l’objet d’une subvention com-plémentaire des Affaires culturelles pour tenir compte des coûts exceptionnels dus au contexte

des bâtiments anciens. Pour obtenir cette réponse favorable, il a fallu que les personnes changent, c’est toute l’histoire de l’administration ! En janvier 1964, une subvention du ministère est accordée au programme complémentaire (exten-sion). Mais avant la réalisation, il faudra attendre

deux ou trois ans, durant lesquels perdurent les problèmes d’acquisitions.

Entre 1967 et 69, dans la mouvance de mai 68, la réorganisation régionale de l’enseignement artistique conduit au développement des Beaux-Arts d’Angers : de nouvelles sections sont créées (Tapisserie15, Environnement). Les nouveaux besoins sont évalués à 11 000 m2. Notre projet d’extension, en bordure du parc côté rue Châ-teau-Gontier (comprenant les terrains Richou), ne verra jamais le jour, sûrement faute de finan-cement, mais peut-être aussi sous la pression des écoles concurrentes de Tours et Nantes. La ville préfère se dessaisir du terrain Richou16 et acquiert la distillerie Giffard17 (rue Paul Bert) dont les bâtiments industriels conviennent à l’installa-tion d’ateliers en fond de parc.

L’usine Giffard est donc investie par l’École des Beaux-Arts…

Oui, la distillerie est invisible de la rue Châ-teau-Gontier car elle est derrière une maison bourgeoise (anciens services commerciaux de l’usine).

Y a-t-il un lien physique entre le château d’eau et l’hôtel particulier de la distillerie ?

Oui, par le parc. Le terrain de la distillerie étant contigu au parc, la ville récupère ainsi un petit passage avec ses droits. Les liens sont plus faciles qu’avec l’immeuble de la BNP qui est de l’autre côté de la rue Bressigny. La ville, qui avait déjà une annexe dans la cour de la BNP, a en effet profité de leur installation dans la ZAC Sud pour racheter les locaux.

15-Cettespécificitépermettraàl’écoled’éviteruncertainnombredecoups. 16-Auprofitd’unpromoteurderésidencespourpersonnesâgéesquiferaréaliserles

Jardins d’Arcadie par Rolland. 17 - Qui s’installe à Avrillé.

II.5.5 - École des Beaux-Arts, 1958. Cl. Jean Biaugeaud

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95II.5 - ecole des Beaux-Arts (1946-1969)

Ce projet d’extension de 1967-1969 est un programme important. Il représente à peu près 11 000 m2 sans les circulations, donc c’est un programme de 15 à 16 000 m2.

La restructuration du château d’eau joue un rôle important dans l’imbrication du contem-porain sur l’existant, davantage que dans l’option fond de parc…

L’avantage du fond est d’être propriété de la ville. Le projet d’extension, dû à l’augmentation du programme, fait apparaître les inconvénients d’une construction en fond de parc. Déjà, tout le monde doute. C’est pourquoi mon père incite la ville à acheter rue Bressigny, parce qu’il se rend bien compte que l’hôtel particulier, le châ-teau d’eau et les dépendances ne peuvent tout accueillir.

Le faubourg Bressigny a été rénové au xixe siècle avec l’arrivée du chemin de fer et le percement de la rue Bressigny. L’histoire de l’École des Beaux-Arts est intéressante parce que c’est la reconquête de la ville sans dégâts. A priori, c’est une réhabilitation du tissu qui est toute simple à partir de l’achat d’un hôtel par-ticulier avec un grand terrain. Pourtant, cela dure 15 ans (de 1945 à 61). Travailler dans un contexte dans lequel on ne peut pas donner de priorités à la somme des servitudes à laquelle on est obligé de répondre est le propre d’un tissu ancien. Dans une opération globale comme Saint-Michel, on peut mettre en œuvre des moyens pour résoudre les problèmes de servi-tudes. Mais, sur une échelle comme l’École des

Beaux-Arts, les contraintes humaines18 pèsent lourd : la ville passe son temps à négocier avec les propriétaires des parcelles imbriquées dans l’hôtel d’Olonne, notamment pour des droits de passage19. L’architecte ne peut maîtriser tout cela…

C’est même plus contraignant que les exi-gences des Monuments historiques....

Oui, car la servitude Monuments historiques se traite d’homme à homme, donc c’est surmon-table. C’est un obstacle que tu peux prendre de front. Malgré Vitry, on réalise notre “village suisse” à Saint-Nicolas. En revanche, quand une pauvre petite vieille refuse de quitter sa vieille baraque, tu ne peux pas combattre…

C’est finalement une chance que la non-accessibilité au château d’eau rende sa démolition impossible, et par là même oblige à le réutiliser…

Oui. L’histoire est aussi faite d’opportunités… En musique, on appelle cela le soupir20. Ces moments sont nécessaires, sinon on ne peut pas respirer.

D’une contrainte extrêmement forte sort un projet reconnu même par des gens assez peu ouverts à l’architecture contemporaine, comme certains professeurs aux Beaux-Arts qui ont trouvé cette réalisation remarquable.

Cela s’appelle des retournements de situa-tion : si la vie est une bagarre, c’est en vue de faire avancer les choses. Par exemple, il est vraisemblable que les contraintes négatives que Vitry exerce sur nous à Saint-Nicolas nous per-mettent d’affiner le projet.

Vitry intervient-il sur l’École des Beaux-Arts ?

Non, parce que l’hôtel d’Olonne n’est pas classé : il n’est même pas inscrit à l’Inventaire.

Et pourtant le dossier passe devant le Conseil général des Bâtiments de France !

Après la guerre, cet organisme examine tous les projets d’architecture financés par l’État quelle que soit leur nature (reconstruction, construction, restauration). De même, les dos-siers des groupes scolaires remontent à Paris, à une commission qui n’existe même pas dans les grandes villes de province : c’est invraisemblable car les types donnent des avis sur des situations qu’ils ignorent. D’ailleurs, la commission ignore même que l’Éducation nationale est d’accord sur la réutilisation du château d’eau.

Mais cette absence de liens entre les diffé-rents ministères semble constante dans tous les programmes de l’État…

En effet. La situation a perduré longtemps. La CROIA a ensuite considérablement déplacé

18 - Un locataire qui refuse de partir. 19 - Il existe aussi une servitude vieille de 150 ans sur un puits que trois voisins ne veulent

pas lâcher. 20 - Ce moment où il n’y a pas de musique fait tout de même partie de la musique.21 - J’ai d’ailleurs fait partie de la CROIA à plusieurs reprises, notamment pour la tour de

Bretagne à Nantes. Rapporteur du dossier, je me rends à Nantes, épluchant toutes les archives : je découvre que l’opération, qui traîne depuis 10 ans, a obtenu tous les accords sous le même nom mais avec des projets différents sur des études qui couvrent4ansavecdesdatesfalsifiées!Jerédigeunrapportaucanon.Cen’estpastant le projet que je descends que le fait de prendre les gens pour des imbéciles. À sa

lecture, l’administration pâlit. La tour de Bretagne viole toutes les règles de prospect sur l’environnement. Trois jours avant de passer à la CROIA, je propose à Devorsine, l’architecte nantais, de discuter du dossier avec moi. Je lui dis que je suis tenace et que j’ai l’habitude de lever les cailloux pour voir s’il y a des serpents dessous : « Même si le projet est bon, ce n’est pas acceptable de le faire passer dans ces conditions. Il me trouve sévère. Le projet est retiré au cours du débat de la commission qui est chaud. Je m’affronte avec André Morice ancien maire de Nantes. Le Préfet de Région qui est d’accord avec moi, je le sais, quitte la séance. Le projet repassera à la CROIA un an après avec Moignet comme rapporteur, qui rédige un rapport moins sulfureux et la tour se fera.

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III - des éQuIPeMeNtsdANs LA VILLe

97

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98 III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

L’opération Saint-Nicolas, qui est relativement simple dans son déroulement, se passe très vite. 1963, 1964 et 1965 sont les années des

principaux événements. Mais les aléas de l’opération s’articulent dans une démarche qui nous mènera jusqu’au Front de Maine ?

La démarche urbanistique n’est jamais définitive. C’est une machine absolument continue dans laquelle on définit un périmètre parce qu’il faut bien commencer quelque part mais on sait très bien que le problème à résoudre en dépasse les limites. Le tissu urbain est souvent comme le corps humain : si on ne traite que les problèmes particuliers, or un bouton sur la main peut avoir des conséquences sur le reste de l’organisme ou être un signe venant d’un ailleurs beaucoup plus important.

C’est la continuité de la restructuration urbaine : il y a une constance…

Oui, le xxe siècle est un temps à la fin du xixe qui a commencé le chamboulement de la ville et qui amorce le xxie siècle qui générera lui-même la suite. Les gens s’intéressent en général plus au passé (ce qu’il y avait avant au pied du château) qu’au futur (ils ne veulent pas se passionner pour ce qu’il y aura sur le Front de Maine) alors que c’est aussi important et au même niveau car le

patrimoine, c’est celui qui existe plus celui que l’on projette.

Comment débute la réflexion ?

La ville demande à l’agence Mornet de démarrer l’étude de la rénovation du quartier

Saint-Nicolas auquel s’adjoint en 1960 Michel Andrault, mon ami de toujours à Paris, (sans contrat, mais on a l’habitude !). C’est un démar-rage sur les chapeaux de roue. Jean Turc, à l’époque adjoint à l’urbanisme, veut aller très vite parce que le moment est propice (vente de terrains), mais aussi parce que le quartier Saint-Nicolas pose des problèmes redoutables : tous

III.1 - réNoVAtIoN du QuArtIer sAINt-NICoLAs (1960-1983) “un quartier qui ne manque pas de carme”

III.1.1 - Les périmètres de plan masse, de la D.U.P. et de la zone de rénovation sur l’ensemble de la Doutre, décembre 1960

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99III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

les coups de couteaux d’Angers y ont lieu. Donc Turc incite à la rénovation, d’autant qu’il maîtrise les opérations sur Saint-Michel et qu’Angers a pris de l’importance au ministère grâce à cette réalisation1.

Par ailleurs l’idée de la Maison de la Culture sur la cale de la Savate est dans l’air ainsi qu’un éventuel départ de l’École des Arts et Métiers dans la future zone universitaire. On commence aussi à parler d’un musée de la tapisserie à Saint-Jean. Et le quartier bénéficie de l’arrivée du lycée Californie ; or la Doutre est dépeuplée.

Le secteur d’étude, délimité initialement par le conseil municipal (avant création de la société d’économie mixte2), est défini par le périmètre compris entre la place Grégoire Bordillon, les boulevards Dumesnil, Clémenceau, Descazeaux et la rue Lionnaise3. Au nord, le périmètre ne va pas pour l’instant jusqu’au bout du quartier, en revanche côté Maine, il va jusqu’aux anciens abattoirs : tout l’“hémisphère sud et ouest” de la Doutre est en jeu. Dès le départ, le front de Maine fait donc partie de la démarche. Nous allons étudier le plan de circulation générale et les liaisons avec l’autre côté de la Maine, ce qui installe déjà l’étude dans le système viaire parce que la rénovation d’un quartier comprend égale-ment cette dimension.

Dès le début de l’étude, Andrault et moi nous apercevons que toutes les voiries sont obsolè-tes mais débouchent sur une zone qui n’est pas dans notre périmètre. Découvrant l’ampleur des problèmes sur notre secteur d’intervention, nous réalisons (avec un accord tacite des élus) des plans qui englobent toute la Doutre4. Cette sortie du périmètre est donc à l’initiative des architec-tes, en partie par provocation – le projet sur le quartier Saint-Nicolas risque de n’intéresser

personne, sauf si l’on intervient sur la zone patri-moniale… – mais aussi pour aviser les élus de l’importance de la Doutre dans le tissu de l’ag-glomération.

Notre étude amène les intéressés à pren-dre position, lors des premières discussions nationales entre 1960 et 1963. Le ministère de la Construction5 qui pense qu’avec des crédits l’opération est viable (en raison du bon dérou-lement de l’opération Saint-Michel), est partant sur l’idée de la Doutre. Jean Turc suit le minis-

tère, mais la révolte vient des “templiers du patrimoine” (les monuments historiques et les associations de défense du patrimoine). Quant à la troupe des élus, Turc joue un rôle formida-ble parce qu’il bouscule le conseil municipal. Le plus drôle, c’est que parmi les élus qui bloquent l’opération, il y a Jean Sauvage, qui deviendra, après Turc, le président de la société d’économie mixte et avec qui je réaliserai l’opération. Turc est rassuré sur le planning par le bon déroulement de l’opération Saint-Michel. Toutefois il a peur en

1 - Peu d’opérations de ce genre sont réalisées en centre-ville, surtout à l’époque. 2 - La société d’économie mixte est indépendante de la ville : elle achète les terrains et

les revend à différents promoteurs ou réalise elle-même. Donc l’opération est liée à la puissance publique, mais pas dépendante.

3 - Il inclut la rue Beaurepaire, la cale de la Savate et le quai des Carmes.

4 - Sont seulement exclus de l’étude les abattoirs qui doivent être déplacés vers Saint-Serge,maisdontlavaleurdesterrainsestinclusedanslesprévisionsfinancières.

5 - Dirigé par l’ancien Préfet Sudreau.

III.1.2 - Quartier Saint-Nicolas, rue Saint-Nicolas avant rénovation, 1969

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100 III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

raison du mystère que la Doutre a toujours été et qui représente, pour les élus, un endroit hétéro-clite où l’on ne doit pas frapper.

Quelle démarche te conduit à étudier tout le quartier ?

L’expérience de Saint-Michel avec le problème de la liaison Paris-Nantes m’avait enseigné que le périmètre d’opération n’était qu’une dimension d’opportunité et non pas de problème.

Au départ, avec Andrault, on se demande comment définir le tissu du quartier Saint-Nico-las ; or on ne peut analyser nos îlots hors de leur contexte, la Doutre. Quand je travaille sur des problèmes urbanistiques, je me réfère toujours aux anciens plans d’Angers qui me permettent de visualiser l’évolution de la ville. (pour savoir pour-quoi ou à quel moment tel événement intervient). Dans un plan, on sent l’air du temps à travers certains signes (par exemple une suppression de voie, un tracé révélateur de problèmes). Un plan est donc une espèce de radiographie du lieu à un instant donné.

La Doutre a toujours été considérée comme un quartier à part : tandis que les autres secteurs d’Angers se développent (Belle-Beille, Avrillé, etc.), elle est comme une cité, intouchable en raison des bâtiments anciens. La configuration de ce quartier est en fait une résultante du sys-tème de défense de la ville, né de la géographie. Toute la partie basse d’Angers (inondable) est la partie exposée aux Bretons, aux Normands, aux Anglais… Il faut donc éviter que les envahisseurs traversent la Maine pour protéger la vie du châ-teau. La Doutre6 constitue donc un instrument de défense qui permet aussi de vider la ville des gens douteux en créant un ghetto sous le pré-

texte de les mettre à l’abri dans le mur d’enceinte. Au Moyen-Âge, la Doutre a deux entrées7 : la porte Saint-Nicolas et la porte Lionnaise, par lesquelles la campagne amène la nourriture à la ville. Au-delà des remparts, les faubourgs résultent de cette activité commerciale. Le seul souci de défense (en fermant ces deux portes) est l’approvisionnement du centre en nourriture. Les maraîchers ne pouvant traverser la Maine en bateau, ils doivent passer par la Doutre pour entrer en ville par le pont unique.

L’une des caractéristiques du quartier est qu’il tient sur deux axes : les rues Saint-Lazare et Saint-Jacques. Le réseau de la Doutre est formé par cette fourche qui permet d’accéder au centre par deux points (la place Monprofit et la place Bichon) à partir desquels on descend sur le pont du Centre8. À l’intérieur de cette fourche, le réseau est constitué de strates transversales. Ce système s’explique par le relief : c’est un quartier qui monte9. Il est donc logique que les liaisons s’installent transversalement, comme d’ailleurs dans la ville en face. D’autre part, n’ayant aucune autre entrée sur le secteur (hormis ces deux places), toute cette zone est inexistante par rap-port au centre urbain10.

À tous les problèmes de liaisons s’ajoute le contraste entre les espaces libres côté de l’ab-baye du Ronceray et la densité côté Saint-Nico-las qui révèle un déséquilibre de l’urbanisme. Car le réseau viaire de la Doutre est aussi significatif de l’emprise originelle des congrégations reli-gieuses : les sœurs du Calvaire qui vivent de l’ex-ploitation de leur jardin (rue Vauvert)11, le Carmel (rue Lionnaise), ainsi que des écoles publiques et privées12, l’orphelinat, le centre de forma-tion professionnelle (rue Vauvert), les services dépendants de l’inspection académique, les gre-

niers Saint-Jean, des centres sociaux divers au hasard de l’habitat ancien dans des conditions de sécurité et d’hygiène déplorables. La partie sud (côté Saint-Nicolas) est morte à cause du couvent des Pénitentes qui forme un bouchon au niveau urbanisme. La partie nord (côté Ronce-ray) est également morte en raison du Carmel : ces établissements forment un barrage continu. L’hôpital Saint-Jean est aussi un bouchon d’une surface considérable. Toute la zone (autour du cimetière de la place du Tertre) constitue ainsi un tissu mort sans commerce et sans vie propre. Or cela n’a pas changé. Lorsque le nouvel hôpi-tal (Reculée) est construit au xixe siècle hors des remparts, on ouvre une porte dans le système défensif sur le boulevard Daviers (au niveau de la place de la Paix) mais cela ne débouche sur rien. Malgré les aménagements de la seconde moitié du xixe siècle, le tissu n’est malheureuse-ment pas remanié à cette occasion. Le boulevard Descazeaux, percé au xixe siècle afin d’assainir le quartier, n’aboutit à rien : il prolonge les che-mins de campagne permettant d’aller au cime-tière de l’Ouest13. Cette voie est complètement disproportionnée dans le tissu initial. Enfin la liaison entre les deux côtés de la ville est tou-jours un problème car il n’y a pas tellement de ponts sur la Maine14. Le pont de la Haute-Chaîne (face au boulevard Daviers) draine toujours un filet de circulation. Crée au xixe pour assurer la liaison Saint-Michel/boulevard Carnot/place La Rochefoucault au secteur Saint-Lazare/Nantes , il ne fonctionne pas. La totalité de ce tissu a tou-jours mal fonctionné. Pose également problème la pression des campagnes15 qui arrive sur Saint-Charles (rue de la Meignanne). Pour le reste du tissu, les voies sont trop étroites pour la circula-tion. Le réseau de la Doutre est donc constitué

6 - Où il n’y a rien à protéger puisque la Doutre n’abrite que des bonnes sœurs et des malades.

7 - De 4,50 m de large, entre deux couvents. 8 - Qui deviendra le pont de Verdun. 9 - Le pâté de maisons en bordure du boulevard Descazeaux et de la rue Lionnaise est sur

une butte.

10 - Sauf la cale de la Savate face au château, mais qui est enfant de la Maine.11 - À l’époque, elles sont six dans un bâtiment du xixe siècle sans aucun intérêt avec une

chapelle et un cloître classés.12 - Lieux à la vocation sociale traditionnelle des communautés religieuses.13 - Qui ouvre en remplacement de celui de la place du Tertre, fermé au xviiie siècle.14 - Le pont des Treilles a disparu.

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101III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

de petites voies descendant jusqu’à la Maine. Et le secteur nord n’est constitué que de rues qui tortillent et de deux bouchons (l’école des Arts et Métiers, d’autant qu’elle jouxte la place de la Laiterie par le Ronceray, et l’hôpital Saint-Jean).

En 1868, moins de 100 ans avant le projet Saint-Nicolas, l’abbé Choyet propose des solu-tions : partant de la cathédrale, avec probable-ment l’arrière-pensée de remplacer le pont du Centre, il trace une rue en face, de l’autre côté de la Maine, qui débouche place de la Laiterie. Il est

curieux de retrouver le problème de la création de la place du Ralliement et de sa liaison au sys-tème urbain. D’ailleurs l’idée de traverser la Maine place Molière est toujours d’actualité quand on commence l’opération (illustration III.1.3)

15 - Entre les routes de Nantes et de Laval.

III.1.3 - Projet de percement, tracé d’après le projet du mémoire de l’abbé Choyer, 1868

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III.1.4 - Vue arérienne du quartier Saint-Nicolas et d’une partie de la Doutre

III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

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III.1.5 - Quartier Saint-Nicolas, place Grégoire Bordillon, avant rénovation

III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

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104 III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

Nous nous penchons aussi sur les occupa-tions au sol : le quartier Saint-Nicolas est saturé ; les entrepôts et les petites usines grignotent l’ha-bitat côté boulevard Dumesnil. Dans cet îlot, il n’y a pas d’espaces vides, à part une petite cour d’école. En revanche, la zone nord de la Doutre est composée de terrains disponibles, de cou-vents et de tissus obsolètes.

Ce n’est pas du tout le même tissu ?

Non, pourtant c’est au même endroit. C’est pour cette raison que nous nous posons la ques-

tion des limites de notre intervention. En urbanis-tes que nous sommes, nous ne pouvons qu’être sensibles à une telle question inscrite en filigrane dans le terrain. Notre idée est donc de pointer des problèmes de tissus dans ce quartier diffi-cile et socialement hétéroclite : il faut éviter de s’enfermer dans un tissu obsolète, sachant que très rapidement il faudra dépasser les “raccom-modages” et passer au neuf (car on peut réparer un tissu, mais jusqu’à une certaine limite). Et la Doutre est à un stade où la moindre rénovation d’un élément se répercute sur le reste. On pro-fite de l’occasion pour poser le problème globa-

lement parce que la seule homogénéité de la Doutre, ce sont les boulevards qui l’entourent et la Maine, donc sur l’extérieur du quartier.

D’où vient la différence de tissu entre la partie Ronceray de la Doutre et le quartier Saint-Nicolas extrêmement dense…

La partie habitée au nord de la Doutre a été un quartier de hobereaux mayennais venant passer l’hiver à Angers. C’est la zone mayennaise de la Doutre. Cette population traversait la Maine pour se cultiver en centre-ville, mais ne vivait pas

III.1.6 - Quartier Saint-Nicolas, rue Saint-Nicolas et rue Descartes, état ancien, 1969 III.1.8 - Rue Saint-Nicolas, 1969

III.1.7 - 11 rue Lionnaise, 1969

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105III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

avec le quartier (les logements n’étaient que des pieds-à-terre, d’un très bon niveau). Dès que tout commence à bourgeonner, ce beau monde s’ins-tallait dans ses propriétés pour la saison.

Et la concentration des congrégations reli-gieuses est omniprésente…

Tout à fait, mais il est difficile de savoir com-bien de personnes sont concernées par ces ensembles fonciers énormes. D’après notre enquête, ce sont des bâtiments presque vides. Or même si la densité des congrégations est très faible, l’analyse du tissu urbain doit en tenir compte car le déclin de ces quartiers est dû en partie à la présence de ces bonnes sœurs qui fabriquent des gâteaux, cloîtrées derrière les murs des potagers.

Le Carmel représente-t-il une surface impor-tante ?

Moins que les autres couvents dont la den-sité est beaucoup moins forte16 que cette com-munauté. Ce quartier est donc vide parce qu’une fois à l’hôpital, on n’a pas le droit de sortir, et les sœurs des congrégations se promènent rare-ment. En réalité, personne n’est dans la rue et aujourd’hui non plus. Cela fait 500 ans que pour diverses raisons, tout le monde est enfermé dans des murs, dont certains montent jusqu’à 6 mètres de haut, véritables murs d’enceinte qui capturent en même temps de grands espaces verts. Donc c’est un quartier endormi à la différence de Saint-Nicolas, dont les habitants vivent sur la Maine, passent leur temps à charrier des tonneaux, à tanner des peaux17 : ça pue, ça rigole, ça se bat dans la rue, c’est dense et vivant ! Vingt-qua-

tre commerces et quatorze bistrots sont instal-lés sur la rue Saint-Nicolas. Ainsi le trafic de la Doutre se fait beaucoup plus par la rue Saint-Nicolas que par la rue Lionnaise, qui mène en Mayenne. Persiste tout de même un problème social auquel on s’attaque en 1959 avec l’aval de Turc : curieusement, on constate que le quartier s’est détourné de l’activité fluviale tout en restant artisanal18. Aussi, restent dans le quartier, dans des conditions d’habitat globalement indignes19, ceux qui travaillent aux abattoirs, ou qui ont des activités plus ou moins annexes20, mais ne sont plus liées à la Maine.

Partant de l’idée que pour que les élus s’in-téressent à la Doutre, il faut “souffler fort dans le tromblon”, Andrault et moi proposons donc un plan d’aménagement général de la Doutre. L’opé-ration a été brutale mais “payante” : les gens se sont aperçus que l’outre-Maine existait. 80% des angevins n’avaient jamais traversé la rue Saint-Nicolas, qui n’était pas tellement appétissante. Je reste persuadé que dans un certain nombre de situations, il faut dramatiser d’abord pour que les gens sortent de leur torpeur et après arriver avec les calmants.

Le quartier Saint-Nicolas est une opération s’inscrivant à l’échelle de la ville, et non à l’échelle de la rue Saint-Nicolas…

Absolument, notre idée est : pour qu’on prenne conscience de la Doutre, il faut parler de la Doutre et non de Saint-Nicolas. Au départ, le problème (du fait de l’hémiplégie de la Doutre), qui n’est d’ailleurs pas résolu, est la nécessité de faire le bouclage autour de la Laiterie que l’on a longtemps essayé de préserver. Ce bouclage était parfaitement possible par la rue des Péni-

tentes. Dans la rue Lionnaise, il suffit de percer pour se retrouver avec la seule partie large der-rière qui servait de centre d’apprentissage et per-mettait d’éviter la rue de la Harpe et de lui garder son caractère de petite rue. Cela permet de créer une première ceinture et de redescendre par la rue du Corne de Cerf pour retrouver les quais au carrefour du Quai du Carme. L’objectif principal est de faire, au nord de la rue de la Harpe, une percée qui coupe la rue Vauvert, sachant que toutes ces constructions ont peu d’intérêt. Cette solution qui éclaircit le tissu est facile à réaliser. Elle permet de pénétrer dans le système en haut de la place de la Laiterie et de redonner de l’inté-rêt à un secteur totalement sous-occupé21. Mais cette solution ne sera pas adoptée. Les peureux ferment toujours leur porte à clé.

On laissait au quartier sa ceinture ancienne mais en permettant en même temps un échange dans le quartier. De l’École de médecine pour se rendre rue Saint-Nicolas, quand il y a la foire Saint-Martin place de La Rochefoucault, il faut remonter jusqu’à la place Bichon par le boule-vard Daviers. Ce quartier souffre d’un manque de liaison de ses différentes parties dû à son relief et à son foncier qui fut longtemps composé de vastes communautés enfermées dans des clôtures et que, faute de les remettre en cause, l’histoire a confirmé. Le boulevard Descazeaux remplit déjà un peu cette fonction de frontière au moment de sa création au xixe siècle : il raccordait un certain nombre de rues qui ne débouchent sur rien parce que, foncièrement, les décideurs de l’époque étaient confrontés au même problème que nous, profitant du terrain des Pénitentes22 pour récupérer des îlots à bâtir, mais se buttant également sur le tissu ancien qui dépassait leur périmètre. Le problème de cette

16 - 8 ou 10 personnes au Calvaire.17 - Du fait de la présence des ateliers de peaux, tout le quartier est imprégné de cette

odeur désagréable et tenace… On la sent encore plus de 5 ans après que les abattoirs ont quitté les lieux.

18 - Avec des activités agro-alimentaire, des entrepôts d’entreprises situéés en centre-ville, des fabriques de fourrures.

19 - Certains aménagements sont impensables, comme des escaliers de 1,70 mètres de hauteur.

20 - Tel l’artisan qui fait des peaux d’angora, place Grégoire Bordillon.2 1 - Même si le secteur de l’hôpital est dense, le quartier reste désert.22 - À la jonction boulevard Descazeaux, rue Saint-Nicolas.

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106 III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

zone est l’entonnoir formé par la voirie : tout le système converge vers la place de la Laiterie et la rue Beaurepaire, donc vers le pont de Verdun, alors que deux ponts ont été construits (hôpital et Front de Maine) en vue de répartir les flux.

Notre première idée est de supprimer le bou-levard Descazeaux pour éviter de compliquer cette situation ingérable.

La commande initiale part de l’idée de Jean Turc de faire une rénovation radicale du quartier Saint-Nicolas. Mais qu’est-ce que suppose ton souhait de statuer sur l’ensem-ble de la zone ? Un redéploiement de l’habi-tat sur l’ensemble de la Doutre ? L’opération ne se limite pas aux problèmes…

Voici notre démarche. La Doutre est morte de la Maine, puisque le fleuve, qui lui a donné en partie sa vitalité, n’est plus l’autoroute qu’elle a été. Elle est morte de sa fonction sociale puisque l’hôpital est parti, de même que les couvents. Ces quartiers dégradés ont ainsi complètement perdu leur raison d’être avec la disparition des artisans (tanneurs, tonneliers) qui utilisaient le quai de la Savate parce qu’il n’y avait pas l’eau courante. Comme le tissu de Saint-Nicolas n’est pas adapté (fabriqué, comme tous les faubourgs, à des échelles dérisoires23), il doit être rénové. Par ailleurs, il a abrité pendant des siècles d’importants ensembles à caractère religieux désormais disparus ou décadents. Or, refaire le quartier Saint-Nicolas à neuf entraîne, comme toute greffe, des conséquences sur le tissu alen-tour.

Le secteur Saint-Nicolas a changé radicale-ment : ton intervention y instaure une logi-

que alors que le quartier côté Ronceray n’a pas bougé. Le plan d’occupation sociale y est-il différent ?

Le secteur Ronceray n’a jamais été pris en compte comme la Doutre. Ces quartiers sont complètement délaissés : quelques rues vivent sur l’hôpital, tous les commerces de la rue Lion-naise sont morts en dehors de ceux situés sur la place de la Laiterie. Jamais n’ont été réalisées les percées qui auraient permis d’intégrer cette zone. Toutes ces rues ne débouchent sur rien et le Tertre forme un bouchon naturel. L’activité de ce secteur est limitée (malgré les établisse-ments scolaires) car l’entrée de l’hôpital ne se fait plus par le boulevard Daviers, et l’orphelinat et le musée de la tapisserie ne sont pas dans la Doutre. Malgré la différence radicale de tissu de chaque côté de la rue Lionnaise, le secteur Ronceray est totalement obsolète - il date du xviie ou xviiie siècle et il n’y a plus de Mayennais et presque plus de bonnes sœurs - et le quartier Saint-Nicolas l’est également parce qu’il n’y a plus d’artisans.

Quelle est la chronologie de l’opération ?

Le début de l’opération est une période complexe de détermination des périmètres. L’extension de l’opération à l’ensemble de la Doutre entraîne des complications bien que cette démarche soit incitée par Turc, qui est très persuasif mais diplomate. Lors de la délibération du conseil municipal, tout le monde (Sauvage, Chupin) est contre, sauf Turc qui est alors adjoint à l’urbanisme.

En 1960, on n’a pas encore de contrat à cause des difficultés que l’officialisation de l’opé-

ration soulèverait. Turc freine dans ce sens, ainsi que le directeur départemental de la construction (Leguillou). On doit présenter notre approche au ministère pour savoir où en est la législation sur les quartiers anciens24 et connaître les modes de financement potentiels de la réhabilitation des zones de patrimoine protégé.

S’agit-il de la loi Malraux sur la rénovation urbaine25 ?

Oui c’est la loi du 4 août 196226. C’est la vision “pompidolienne” de la construction : nettoyer le passé pour créer un pays dynamique.

Turc est d’accord27 pour lancer une mission globale, qu’il fait financer par le ministère de la Construction, qui charge donc Andrault et Mornet d’une étude de réflexion sur la périphérie de la Doutre (ce qu’on appelle la « corne » ou « demi-lune »), sachant qu’on ne s’occupe pas du noyau ancien en attendant que les textes paraissent.

Les premières esquisses concernant notam-ment la demi-lune datent de 1959. On englobe la totalité du périmètre : l’opération Saint-Nicolas et l’opération Front de Maine sans la place de la Laiterie. On doit trouver un élément de transition sur le revers du quartier. En fait, on focalise les transversales dans le système, on coupe un îlot existant et on se distribue au-delà de la montée Lionnaise, puisqu’elle s’arrête au-delà de la place de la Laiterie. Juste derrière, on investit toute la zone, au niveau du centre d’apprentissage, pour redistribuer finalement tout un quartier, sché-matiquement ouvert sur le quartier ancien. Ces premiers croquis ouvrent le débat (illustration III.1.9).

En 1961, on propose un peu le même schéma (sans déborder sur la place de la Laiterie), mais

23 - Des tout petits bâtiments collés les uns aux autres hormis quelques maisons bourgeoises construites au xixe siècle lors du “remodèlement” du quartier suite à la disparition du pont habité.

24 - Les textes sur leur sauvegarde sont en préparation à l’époque (vers 59-60). Le ministèreabordejustecesproblèmesparcequ’ilfinitledossierdelareconstruction.

25 - Ministre des Affaires culturelles de 1959 à 1969.

26 - La loi Malraux a servi de détendeur à l’opération parce que le texte prévoit des opérations de réhabilitation et a permis de débloquer des crédits.

27 - Il n’y a pas encore de société d’économie mixte, c’est la commission d’urbanisme qui intervient.

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III.1.9 - Les périmètres de plan masse, de la D.U.P. et de la zone de rénovation sur l’ensemble de la Doutre, décembre 1960

III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

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III.1.10 - Quartier Saint-Nicolas, avant projet de rénovation, implantation des bâtiments sur le grand périmètre, mars 1963

III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

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109III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

on crée une percée qui descend vers la Maine. Cette proposition évolue avec l’arrivée du projet de la Maison de la Culture qui s’installe cale de la Savate pendant un temps, on nettoie complè-tement toute la zone. En fait, on descend de la rue Baudrière et on essaie de créer une liaison pour rattacher les deux côtés de la ville de part et d’autre de la Maine28 (illustration III.1.10) .

Les problèmes avec le ministère de la Construction durent tout le long de l’opération. Le dossier traîne jusqu’en 1962 où toutes les instructions latentes sont en partie résolues. L’opération doit apparaître au niveau national (avis de la direction du Patrimoine, du ministère de la Construction, du Préfet, etc.). C’est à coup d’artifices et de débats que l’on réussit à amener des gens à notre point de vue, mais le problème est de le faire entériner officiellement. (Courage fuyons !)

Le système se met en place à partir des plans réalisés sans programme, qui, même s’ils sont ensuite remaniés, posent déjà les principes et permettent d’enclencher l’opération. Turc fait circuler assez vite des plans, pour accrocher les programmes nationaux. Des images sont établies, alors que le projet n’est pas encore défini, pour marquer la population et répondre à la pression du ministère de la Construction. Aux demandes réitérées des élus (« Faites-nous un plan pour le conseil municipal »), on répond sans avoir eu de programme. Cela ne les dérange en rien, croyant que le projet avance, alors qu’au niveau du contenu, il n’y a rien, c’est simplement une image !

Est-ce dû au fait que l’image architecturale et urbaine du quartier Saint-Nicolas est beau-coup plus forte que celle de Saint-Michel ?

Oui, l’identité de Saint-Nicolas est beaucoup plus forte parce que ce n’est pas à l’arrière-plan. C’est la Maine et le château.

Dès que l’on parle de la Doutre, la population suit l’opération et brusquement les immeubles se vendent29. Les petits promoteurs s’y intéressent : il faut acheter pendant que le quartier ne vaut rien pour revendre une fois la réhabilitation engagée. Donc, une gangrène s’installe (constructions sans permis de construire), de même qu’un organisme affaibli attrape toutes les maladies. Turc sent très bien le phénomène, ce qui explique la vitesse à laquelle il veut opérer. Nos plans sur l’ensemble de la Doutre freinent automatiquement la spécu-lation qui s’y déroule : les acquéreurs potentiels se disent que ce n’est pas libre et les vendeurs pensent préférable d’attendre.

Turc présente nos premières études sur cet ensemble de la Doutre au conseil municipal en 1960 ou 1961. Il y a alors une grand bataille : Turc est apparemment seul à défendre le projet de réhabilitation, face à Sauvage, Chupin, etc. Les élus n’admettent pas que l’on présente cette proposition. C’est en effet une provocation : notre idée (comme on n’a pas de programme) est de soulever le problème.

Le père Lecoq se réveille à ce moment-là et crée brusquement une association de défense de la Doutre, qui tente de faire tomber l’affaire30. Dès 1961, une union de défense des intérêts de la Doutre se crée également.

« C’est avec une émotion mêlée de stupeur que nous venons de lire le projet d’aménage-ment dans la Doutre intramuros. Ce plan élaboré sous la direction même de l’architecte municipal ne tend qu’à raser les deux tiers du quartier […]. Le projet ne tient compte d’aucune des maisons anciennes, tout cela sans respecter les chemins

historiques, les habitudes ancestrales. […] Nous, groupement archéologique et de défense du site, protestons chaleureusement contre le projet Mornet, que nous souhaitons mort-né. D’ailleurs, une récente circulaire ministérielle […] met un frein sur toute la France à ces idées de haute fan-taisie qui tendent à faire de toutes nos villes des lieux de constructions banales, d’un style unique, sans même tenir compte des normes imposées par la température, le cadre ou les matériaux employés des temps immémoriaux. Le groupe-ment a cependant prévenu personnellement le conseiller municipal, peut-être mal informé, de l’attentat contre 9 000 habitants du quartier de la Trinité […] »

Voici un extrait de la réponse de mon père : « Nommément en cause dans des termes qui frisent la diffamation par une commission de défense des intérêts de la Doutre […], nous nous demandons sous quels critères et de quels droits [les membres] se permettent des termes tels que “opération mentale d’impuissance”, “projet élaboré avec précision furtive”, “réflexion superficielle”, “pauvreté intellectuelle de l’esthéti-que moderne”. Dieu merci, l’ironie de la mise en pages […] a placé, à côté du communiqué de la commission, un article [intitulé] “On démolit pour mieux construire” […] »

Ces groupes, côté Maine quand même, sont composés de gens actifs qui s’intéressent à leur ville : Lecoq, qui a plus de 75 ans, est dans le quartier depuis des années. Mais d’autres ne s’en préoccupent pas, comme les Arts et Métiers et les commerçants de la rue Saint-Nicolas qui ne pèsent pas lourd malgré les rachats qui les concernent. Ces fonds de commerce sont abso-lument invendables en dehors de cette réhabilia-

28 - À l’époque, la voie rapide sur l’autre rive n’existe pas encore.29 - Mêmes les congrégations reçoivent la visite d’acquéreurs potentiels.30 - Association des Amis du Vieil Angers.

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110 III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

tation. Et la vente est pour ces commerçants une occasion formidable de quitter le quartier31.

Commence alors une période curieuse pen-dant laquelle nombre d’angevins donnent leur avis… Tous ont constaté l’état délabré du quar-tier, en face du château, mais, lors des séances du conseil municipal, la seule chose admise est l’opération de réhabilitation dans le petit périmè-tre initial : la rénovation du quartier Saint-Nicolas. Ils ne veulent pas entendre parler du côté Ronce-ray… Passé le boulevard Descazeaux, on touche à du sacré ! Et il est décidé de traiter le problème de l’hôpital à part. Les élus occultent complète-ment la partie nord de la Doutre bien que tout le monde sache qu’il y aura un problème… C’est vraiment de l’autisme : tant que cela ne fait pas mal, on ne soigne pas le reste, quelle que soit la radio.

Ce refus d’intervenir sur cette partie de la Doutre n’est-il pas lié au pouvoir des congré-gations ?

Les congrégations ont un poids très faible mais une image importante. À Angers, à cette

époque, on ne peut toucher à quoi que ce soit de religieux. Or, de ce côté de la Doutre, on a la chance d’avoir l’hôpital Saint-Jean ; l’Abbaye du Ronceray ; les communautés de bonnes sœurs, le Calvaire et le Carmel… Bref, le Bon Dieu en fond de décor, Diable ! On sait que traiter la partie nord de la Doutre va poser problème : les bâtiments conventuels étant anciens et classés, on cumule défense du patrimoine et défense de l’Église !

Quand on touche aux terrains des congré-gations, il faut également composer avec la base politique angevine…

En effet. En fait, notre objectif est de poser le problème et pas dans une dimension étroite. Turc nous soutient, mais il ne peut pas afficher cette opinion au conseil municipal32. Millot, qui est maire, nous suit également.

Les études sont faites constamment en liaison avec les Monuments historiques, à leur demande, mais leur avis se fait attendre - ils sont d’accord mais ne peuvent pas le dire… Prétextant le circuit obligatoire, l’architecte en chef des MH, Vitry, ne

se risque pas. Il y a, sur plusieurs années, une correspondance étonnante : notamment, Vitry se demande à quel titre on lui demande son avis ! Cherchant à me renseigner pour savoir sur quoi les Monuments historiques vont porter leur juge-ment (quelles sont les étapes à franchir, et leur nature ?), ma démarche étonne Vitry : « Je ne demande pas mieux naturellement que de vous rencontrer, mais je suis surtout surpris […] car je suis peu de chose dans la question et bien loin d’être tout puissant. Je transmets à mon adminis-tration pour savoir à quel titre vous me soumettez cette pièce […]. Mais d’habitude je transmets un dossier complet à l’administration responsable qui doit donner son accord […] ». Je ne vais pas attendre d’avoir constitué un dossier com-plet pour une sentence qui condamne trois ans de travail. Il me paraît plus intelligent de sentir d’abord le terrain et rencontrer les partenaires pour avoir une idée des raisons si tout le monde est contre. On perd deux ans dans les allers et retours. Il y a donc un décalage entre le ministère de la Construction et les Monuments historiques parce que le ministère dispose de crédits33.

À la Préfecture, un grand débat34 a lieu au sujet de la déclaration d’utilité publique (fixation des périmètres de l’opération). Notre proposition de lier les deux parties de la Doutre n’est pas acceptée. La bagarre se termine par un arran-gement entre l’Équipement et Turc : l’opération Saint-Nicolas est décomposée en plusieurs mis-sions35. Sur l’initiative de la ville, le ministère de la Construction charge Andrault et Mornet d’une étude sur la rénovation du quartier Saint-Nicolas. La zone cale de la Savate fait partie du périmètre pour une opération ultérieure. Donc les architec-

31 - Tous ces rachats se passeront encore plus facilement à Saint-Michel parce que les commerçants y sont en activité normale : ils ont donc réellement un capital à négocier. Même si cela n’a pas une valeur marchande considérable, la valeur intrinsèque est largement supérieure à celle des fonds de commerce de Saint-Nicolas.

32 - Il est premier adjoint quand on lance l’opération.33 - Fonds créés parce qu’on entre dans la période de construction.34 - Avec Gérard qui est à l’époque le secrétaire général de la Préfecture ; Turc, député

et premier adjoint du Maire ; Bichon, directeur de la Société d’économie mixte ; un inspecteur général de la Reconstruction ; Dufournet, urbaniste en Chef au Ministère ; Ledin, ingénieur en chef du ministère de la Construction ; l’architecte départemental, EnguehardetMornetpèreetfils.

35 - Seul le bas de la place de la Laiterie est détaché par la suite de l’opération principale en une opération de réhabilitation et de pastiche.

III.1.11 - Rénovation du quartier Saint-Nicolas, 1e maquette, 1960

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111III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

tes sont susceptibles de faire des propositions, la priorité étant donnée au quartier Saint-Nicolas.

Au moment où on imagine les premiers bâti-ments au début des années 1960, la société d’économie mixte (SEM) se met en place et prend la mesure des problèmes. Des conflits apparaissent autour de nombreux points, dont la démolition des logements HLM récemment construits inconsidérément par l’Office (bagarres assez rudes avec l’ingénieur des Ponts et Chaus-sées Pousset36), et traîneront pendant 4 ans (de 1960 à 1964). L’immeuble Wogenscky est une servitude parce qu’il détone37. C’est en partie pour intégrer ce bâtiment qui a du mal à trouver sa place que la tour voisine est conçue. On nous oblige aussi à garder un îlot existant à l’entrée, côté boulevard Dumesnil de la rue Saint-Nicolas. Sauvage y a des relations.

Lors de l’opération, ce bâtiment HLM complè-tement absurde était planté au milieu, même pas au niveau de la rue, tout de travers, et très peu desservi. Je me suis donc battu pour la démoli-tion de ces HLM quasiment neufs (8 ans) et pas encore amortis bien sûr à une époque où l’on manquait de logements… Cela sera ardu, mais il faut bien éliminer le caillot près du cœur ! Cepen-dant cela ne gênait pas les élus de créer un quar-tier neuf avec brusquement « un bateau perdu dans la rade de Brest entre les sous-marins et le porte-avions ». Alors on a commencé le chantier en faisant des séquences pour éviter que cela soit un combat de coqs. Alors qu’on relevait le niveau de la rue Saint-Nicolas (les rues ayant des profils chaotiques38) et que la cité HLM s’en-terrait au fur et à mesure des remblais, les élus ont fini par se décider à la démolir.

En 1962, alors que l’opération est lancée sur Saint-Nicolas, un relevé des Monuments histori-ques sur la Doutre relance le débat sur la vision d’ensemble parce que l’inventaire révèle que les éléments inscrits ou classés ne sont pas si importants39 : tous les bâtiments de la Doutre sont anciens mais les parties caractéristiques sont petites et disséminées (un portail, un bout de façade, etc.). Il n’y a de véritablement consis-tant que le musée Saint-Jean, la place du Tertre, la zone des Mayennais et le Carmel. C’est pour-

quoi on nous demande d’étudier de nouveau le problème plus globalement…

Puis se produit une série de bagarres sur l’ex-tension du périmètre, dont le conseil municipal veut bien entendre parler pour quelques secteurs seulement. La rénovation d’un quartier avec implantation de HLM (objectif premier du conseil municipal) devient alors une décentralisation du centre d’Angers. Le périmètre doit aller jusqu’à la cale de la Savate pour certains40. D’autres disent qu’il faudrait penser à nettoyer l’ancienne

36-Présidentdel’officed’HLM.37 - Il n’est pas assez important pour donner un nouveau ton et son implantation en

continuité d’un tissu très différent le dessert.38 - Pour éviter les problèmes d’égouts, etc.39 - Il n’existait pas de documents auparavant dans ce quartier tellement intouchable.

40 - Les élus s’aperçoivent tout de même que l’on ne peut pas rénover le quartier Saint-Nicolas sans savoir ce qui se passe autour. D’autant que le projet de la Maison de la Culture venant Cale de la Savate, attire aussi l’attention sur Saint-Nicolas.

III.1.12 - Rénovation du quartier Saint-Nicolas, 1e maquette, 1960

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112 III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

île (secteur du quai des Carmes). Finalement, l’intervention jusqu’à la rue Lionnaise obtient l’approbation41. On travaille depuis deux ans sans contrat et on nous demande de commen-cer à regarder vers le Front de Maine. Car on découvre, en 1963, que le contrat d’Andrault n’a jamais été signé alors que la ville continue à nous donner du travail et que la SEM vient juste d’être créée. Tout est de cet ordre sur Saint-Nicolas… Parallèlement certains artisans font pression pour partir dans des zones industrielles (créées en périphérie ou en cours de réalisation), ayant en effet intérêt à négocier la vente de leur terrain dans le cadre de la rénovation. D’autre part, il est envisagé de mettre les abattoirs ailleurs. Donc un certain nombre d’activités n’ont plus de raison de rester dans la Doutre.

Les contrats avec l’Office d’HLM sont négo-ciés presque avant d’avoir le contrat du périmè-tre de rénovation du quartier Saint-Nicolas. On présente des projets, et on se bagarre contre les Monuments historiques, toujours sans contrat. Pendant une période ambiguë, l’État ne sait pas quel type de contrat utiliser car les modèles de la reconstruction ne correspondent pas à ce genre d’opération. Dans l’attente, on a des missions. Le contrat global entre Andrault et le ministère de la Construction sur la zone Saint-Nicolas (plan masse) arrivera en 1965. Après, pour l’opération elle-même, c’est Mornet l’architecte en chef. En cours de route, en 1962, Turc pense qu’il est préférable que Mornet ne soit pas associé sur la demi-lune et que sur le contrat ne figure que Andrault pour éviter les conflits et échapper aux contraintes locales42. Ainsi toutes les grandes actions sont parisiennes, sous le contrôle du ministère de la Construction.

Ce contrat se traduit-il par des propositions d’organisation de l’opération ?

Oui, l’avant-projet de plan masse donne une ligne directrice. On articule le quartier Saint-Nicolas à la place de la Laiterie mais on arrête toujours notre étude au boulevard Descazeaux. Une série d’études de 1962 à 1963 proposent la même démarche. Plus l’opération avance, plus les études confirment notre position : l’arrivée par le boulevard Descazeaux sur la place de la Laiterie pose problème (angle important). Il se produit donc ce que l’on pressent dès le départ : venant du boulevard Descazeaux43, le véhicule tourne dans la rue Saint-Nicolas et redescend vers la Maine par le boulevard Dumesnil. Donc au début de l’opération, malgré le branchement sur la place de la Laiterie, on garde une fluidité dans le système au milieu pour “isoler” le quartier et éviter les écarts d’architectures différentes.

En 1963, on commence également à éclaircir le débat avec les Monuments historiques, ce qui ne veut pas dire éclaircir les solutions ! Bien que les cheminements MH semblent respectés, Vitry ne fait que des remarques de détails sur les plans et se dégage de sa responsabilité sur l’échelon supérieur. Vitry est l’archétype de l’architecte en chef des MH froid et frileux. Heureusement, devant le projet, le grand patron des Monuments historiques, Trouvelot44, détend l’atmosphère en donnant son accord. Vitry devient beaucoup plus relaxe : si le n + 1 est d’accord, il est d’accord ! En définitive, on observe que seul l’échelon ministé-riel a pouvoir de décision. Cela passe devant le Conseil d’Architecture, organisme suprême au niveau national. Après l’accord des MH, quel-ques déboires nous ralentissent, notamment la demande réitérée de mon père auprès d’En-

guehard45 de la liste des bâtiments classés. Pas moyen d’avoir de trace écrite ! Il nous faut remon-ter à l’administration centrale46 pour obtenir les documents en question.

Toute la gestation de l’opération Saint-Nico-las est difficile : une grossesse délicate… et on a même failli avorter ! Mais petit à petit cela s’amorce bien : en 1963, schématiquement, un plan du quartier est approuvé, malgré les plans des alentours qui traînent encore47.

Après cette période trouble, le projet est-il rapidement défini ?

Après le refus de la grande dimension de 1960 à 1963, les gens ont tout de même admis le fait de raisonner sur la Doutre. En fait, les élus avaient peur, pas parce qu’ils pensaient que ce n’était pas bien – je n’ai jamais trouvé d’argu-ments démolissant le projet – c’était simplement une angoisse.

1964 est l’année clé de l’opération ?

À la mort du maire Jacques Millot48 en 1964 s’ensuit une période ambiguë durant laquelle il n’y a pas de maire49. Je suis persuadé que la mort de Millot joue psychologiquement un rôle, bien qu’il était impliqué assez peu dans l’opéra-tion. Car des changements de comportements en découlent. Le déroulement de l’opération va beaucoup plus vite et remonte les circuits de l’administration plus facilement. Une réunion à la Préfecture permet d’éclaircir les problèmes : les mêmes questions reviennent mais plus du tout avec la même vigueur. Les opposants commen-cent à décrocher.

41 - Au-delà, c’est moins consensuel.42 - Et parce qu’il n’y a pas de partenaires (la société d’économie mixte n’est pas créée, elle

n’est mise en place qu’en décembre 1961 avec Turc comme président).43 - Quand cette voie a été créée au xixe siècle, le problème est mal posé.44 - Inspecteur général des Monuments historiques à Paris, un ancien angevin.45 - Enguehard est correspondant des Monuments historiques : il est architecte

départemental à la différence de Prunet et Vitry qui sont des architectes MH.

46 - La Direction de l’Architecture.47 - Et qui réapparaîtront pour cette partie nord de la Doutre pour déboucher sur l’addition

de la couronne des boulevards.48 - Il se tue en voiture en rentrant d’une réunion avec nous au cabinet du ministre Sudreau

oùlesproblèmesontfiniparserégler.49 - Turc est élu ensuite.

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113III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

En 1964 commence l’épisode de la com-mande du ministère de la Construction sur l’ensemble de la Doutre (la demi-lune). Les pro-blèmes se règlent : Malraux donne son accord. Le plan masse réalisé par Andrault concernant l’ensemble du secteur n’est donc pas approuvé au niveau d’Angers mais au niveau du ministère. On part sur le principe de découper l’opération à une échelle plus fine.

Vitry, avec qui on tente de se mettre d’accord sur le plan masse, a alors une attitude carica-turale : « Je suis d’accord avec leur projet, je le trouve très beau, mais il faudrait d’autres ver-ticales […]. Sur les balcons : ne pas mettre de barres en béton mais du fer forgé, du moins des barres métalliques que l’on ne peut pas voir du château… ». Il faudrait que, du château, on ne voit que des éléments verticaux alors que nous construisons une ligne horizontale, non pas au détriment du château (que peu de gens habi-tent !) mais au profit des habitants de la Doutre.

On ne va pas faire du pastiche d’architecture classique50 puisque c’est un quartier nouveau d’Angers ! En revanche, on respecte le principe utilisé par les maisons à pans de bois, qui carac-térisent la Doutre51. Contrairement à la baie clas-sique qui est un trou dans un plein (un beau mur de pierre avec un trou bien proportionné), l’archi-tecture du Moyen-Âge crée des structures dans lesquelles on met des restes (des déchets de briques, le tout colmaté avec du ciment). L’ossa-ture reste apparente, et les percements résultent de la distance entre les poteaux régulièrement espacés. Les fenêtres sont souvent carrées, par-fois horizontales. Sur Saint-Nicolas, on reprend donc ce principe de structure : loggias en retrait pour faire les creux et on fait apparaître la struc-ture (les voiles, les découpes de pignons et les

bandes en béton plus le bois). Cela ne satisfait pas du tout Vitry, qui qualifie l’opération de vil-lage suisse, mais on n’en a cure. Pendant un an, cela traîne, le ministère de la Construction nous trouve un peu têtus de ne pas suivre les consignes de Vitry qui devait avoir une mission d’architecte coordonnateur de l’opération. Malgré les refus des dossiers, on persiste à présenter les plans tels quels, comptant plus sur la chance

de passer à l’usure qu’en tentant des discussions avec Vitry pour expliquer que l’on n’invente pas un quartier qui n’a jamais existé pour le pano-rama du château. Un beau jour, le projet passe et Vitry finit par accepter.

De toute façon, l’opération Saint-Nicolas est d’une autre nature que tout ce qui se fait alen-tour… Donc la place de la Laiterie ne sera pas traitée dans notre périmètre : l’opération est

50 - On n’est pas obligé de ressembler à ses ancêtres quels que soient l’affection et le respect qu’on leur porte et eux-mêmes étaient de leur temps, désireux de marquer leur différence avec leurs anciens.

51 - Il n’y a pas d’architecture exceptionnelle, exceptés quelques hôtels particuliers et des parties de couvent.

III.1.13 - Rénovation du quartier Saint-Nicolas, maquette, 1964

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114 III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

amputée de cette zone confiée à Enguehard comme un morceau cédé aux opposants… Lors de cette séparation des missions, Vitry semble ne rien comprendre : « Il est regrettable que la place de la Laiterie ait été retirée de l’opération parce qu’au point de vue financement, cela va nous poser des problèmes » ! Comme l’opération « place de la Laiterie » n’est pas en zone d’amé-lioration urbaine mais en zone de réhabilitation, les conditions de réalisation sont plus complexes

car il n’y a que très peu de crédits. Mais à qui la faute ?

Qui confie ce quartier à Henri Enguehard ?

C’est le conseil municipal. Turc sait qu’il aura des difficultés à cause des commerçants et des bâtiments classés. C’est tout de même un quar-tier hétérogène. La population ne se rend pas compte que ce sont des constructions récentes

parce qu’elles sont en pans de bois ou percées à l’ancienne. En fait, seules quelques-unes sont anciennes, tout le reste est une opération « pas-tiche ». Tout l’arrière du quartier de la Place de la Laiterie a été complètement rasé52 pour monter en parpaings des maisons avec des murs à l’an-cienne et des planches scellées dans du béton pour faire pan de bois.

On intègre également à l’opération les Péni-tentes, puis on démolit deux vieux groupes sco-laires53. On rattache donc tout ce secteur à la rue Saint-Nicolas.

Est-ce un espace tampon entre le quartier rénové et le quartier patrimonial ?

Oui, la rue Corne de Cerf est d’ailleurs implantée pour délimiter une zone de transition entre Saint-Nicolas et la place. On aurait pu élar-gir la rue vieille Saint-Nicolas54 pour déboucher place de la Laiterie avec une largeur normale. Mais c’est psychologique : il faut rentrer dans la rue Beaurepaire avec une rue du xve siècle (alors que moins de cent ans auparavant, cela ne les a pas gênés de créer le boulevard Descazeaux malgré un système de rues étroites pour entrer place de la Laiterie plutôt que d’arriver par la rue Saint-Nicolas).

Après la mort de Millot, Turc55 garde la prési-dence de la SEM un certain temps. Il attend que la première opération soit lancée pour passer les rênes à Sauvage56 et mettre en place Bichon (qui dirige déjà Saint-Michel) comme directeur de la SEM. Sauvage prend donc l’opération en main. Aussi il ne peut plus démolir le projet qui est approuvé dans ses principes. Il a comme consigne de commencer la construction tout de suite parce qu’il y a des crédits57. À ce stade,

52 - En 1967.53 - Dont l’un, assez important mais dans un état pitoyable, est adossé aux Pénitentes, sur

la rue Descartes54 - Étant donné que sur la partie gauche ce sont des bâtiment neufs et derrière des

entrepôts

55 - Qui est déjà occupé par la SEM de Saint-Michel et par la mairie.56 - Il veut lui donner un enfant sain, ayant du caractère, à élever.

III.1.15 - Rénovation du quartier Saint-Nicolas, plan masse, décembre 1965

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115III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

Sauvage est efficace au niveau de la réalisation. Il en a l’expérience puisqu’il est au conseil d’ad-ministration de la SEM de Saint-Michel au même moment. Finalement, cela se passera bien avec Sauvage avec qui j’ai souvent croisé le fer mais sans blessures.

Le nouveau périmétre est arrêté en 1965 ?

En décembre 1965 apparaît le premier plan masse : on tente encore d’élargir le périmètre (puisque l’on étudie la place de la Paix). Ce doit être la fin de la mission “demi-lune”.

En 1965, le périmètre de réhabilitation réin-tègre la rue Corne de Cerf, mais elle change un peu de nature. La maison des jeunes prévue au départ ne se fait pas, remplacée par un groupe scolaire. Ce plan approuvé sert de base au découpage des opérations dans lesquelles les HLM vont prendre leur part. On part sur un principe d’unité : s’appuyant sur une typologie architecturale forte pour éviter une trop grande discrimination entre les HLM et l’accession à la propriété. Si on ne veut pas n’importe quoi, il faut créer une certaine homogénéité. On s’arrange avec les entreprises qui passent une partie des prix HLM sur l’accession58 pour que les presta-tions en façade soient quasiment identiques. On obtient pour ces bâtiments des crédits ILN59. On est toujours dans des problèmes d’intégration urbaine : mélanger des populations de catégories sociales différentes permet, dans le cadre d’opé-rations dans des contextes urbains forts, d’avoir du logement social intégré. À Saint-Michel, on n’a pas obtenu les financements suffisants.

La différence entre le locatif et l’accession à la propriété y est plus forte que sur Saint-Nicolas ?

Tout à fait. À Saint-Michel, compte tenu du problème de financement, par exemple, les trois barres à l’intérieur de l’îlot Pasteur sont traitées avec des grandes loggias, au contraire de tout ce qui s’est fait en HLM (même depuis). Saint-Michel est une opération foncière qui coûte plus cher à la ville que Saint-Nicolas. Il y a en effet tous les commerçants à reloger, tous les commerces à acquérir, à démolir.

Sur l’ensemble de l’opération Saint-Nicolas, y a-t-il plusieurs maîtres d’ouvrage ou uni-quement la SEM ?

La SEM construit une première phase. Vien-nent ensuite les HLM : deux opérations sont faites en ILN (moitié HLM, moitié SEM). Aucun promo-

teur privé n’y participe car la SEM Saint-Nicolas est issue de la SEM Saint-Michel et on peut plus facilement mobiliser des crédits en tant que SEM qu’en tant que promoteur privé. À Saint-Nicolas, on place les HLM plutôt en arrière du système, avec des revêtements en bois sur les façades, des quantités de balcons, incontestablement au-dessus des prestations normales.

L’opération est difficile sur le plan des fon-dations : parfois sur le rocher, plus bas ce sont d’anciennes alluvions60. Dans la partie basse de la rue Saint-Nicolas, on tombe sur des morceaux de roche de 8 ou 10 m3, donc indéplaçables, mais posés sur de l’argile. Or, si les fondations sont faites dans un support dur mais sur un sys-tème qui bouge, le niveau bougera. Cela néces-site donc soit des perforations à la dynamite pour

57 - Cela intéresse les deux ministères, la Construction et la Culture. Au niveau de la Culture, des fonctionnaires nous aident et mènent les choses beaucoup plus ardemment que Vitry.

58 - Pour équilibrer le prix des terrains, on fait payer aux acquéreurs une partie du prix du terrain des HLM.

59 - Immeubles à Loyers Normaux.60 - Il est évident que le secteur est dans le bassin de la Maine : tout ce qui est en

contrebas de la rue Saint-Nicolas est initialement inondable.

III.1.16 - Rénovation du quartier Saint-Nicolas, zone Nord, première tranche de l’opération, 1967-1970

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116 III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

descendre sous l’argile, soit de trouver des sys-tèmes de déplacement d’éléments de structures en fondations. Cela coûtera relativement cher à la société d’économie mixte.

L’étude Saint-Nicolas a donc été nourrie des questions de traversée de zones, de circulation, d’influences à l’extérieur, etc. Les aventures se succédant, je m’apercevais que l’époque avait changé depuis Saint-Michel, de même que la nature des problèmes et la façon de les aborder. J’ai eu de très bons collaborateurs sur cette opé-ration, des architectes comme Bastide qui s’est beaucoup impliqué sur Saint-Nicolas.

La phase suivante de l’opération date de 1976 avec la création de la zone du Front de Maine, dont les prémisses sont en fait concomitants de l’étude du quartier Saint-Nicolas (illustra-tion III-1.15). J’ai retrouvé une étude datant de 1970 sur tous les terrains d’angle allant du cinéma Beaurepaire à l’entrée du Boulevard Gaston Dumesnil. Cette zone face à la Maine a donc été rapidement prise en compte61. Après étude, il est choisi de traiter cette zone dans le prolongement de toute la façade de Saint-Nicolas. Le Front de Maine “première version” se déroule donc aux alentours de 1970…

Alors que le quartier Saint-Nicolas n’est pas achevé ?

Effectivement, puisque le dernier bâtiment de Saint-Nicolas date de 1973. Le Front de Maine est né du temps de Jean Turc qui nous charge d’une mission sur le site des anciens abattoirs. La réflexion sur le Front de Maine date de 1969. On nous a demandé de “redescendre” l’étude sur la cale de la Savate en raison d’un autre élément, très ponctuel : la Maison de la Culture devait à

l’époque (vers 1967) être implantée sur la Cale de la Savate, ce qui nécessitait de traiter ce secteur sans tarder. Elle disparaît de cet empla-cement ensuite, en raison de la nécessaire cor-respondance entre les différentes interventions sur l’opération.

Andrault et toi êtes missionnés également pour la maison de la Culture ?

Non, c’est Dubuisson (architecte à Paris) qui est chargé de la maison de la Culture et qui prend Moignet comme architecte local.

61 - Cela rejoint ce que j’ai dit du plan masse : on ne veut plus parler du côté Ronceray mais on veut bien parler de la cale de la Savate.

III.1.15 - Rénovation du quartier Saint-Nicolas étendue au secteur du Front de Maine, plan de masse, décembre 1976

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117III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

Or l’abandon de la Maison de la Culture arrête toute l’opération car Sauvage demande en 1973-1974 une étude à l’AURA pour savoir quel type de programmation était prévu pour cette zone. L’étude de l’AURA intègre en fait la totalité du périmètre de la ZAC du Front de Maine (abattoir et une partie du quartier Saint-Nicolas). Notre plan de masse reste tout de même dans l’esprit de Sauvage, qui tend à dire que cela forme un ensemble. Donc ces études (1974-1975) servent de base à cette extension de périmètre. On s’at-taque alors à la zone Front de Maine à une autre échelle. On fait les calculs de demande de loge-ments, des schémas, etc.

Les réflexions débutent en mai 1975 par une analyse de complexité de commercialisation sur la zone du boulevard Henri Arnauld, rue Bourré, rue de la Coulée, place Grégoire Bordillon, rue Corne de Cerf prolongée. Ce terrain de 24 000 m2 a un gros problème d’inondation. Sur la base du quartier existant, un schéma est proposé pour traiter toute la zone créée en prolongement de Saint-Nicolas et liée à la place Bordillon. Creu-ser des parkings souterrains dans cette partie en bord de Maine est impossible puisqu’il y a de l’eau, or profitons-en pour mettre des arbres. Au niveau de la place Bordillon, on propose un par-king sur l’îlot.

Cela crée en fait un lien dans la politique urbaine entre Saint-Nicolas et la Maine…

Cela prolonge en effet le système, profitant de l’ouverture d’un groupe scolaire et du ter-rain dégagé place Bordillon pour avoir un cœur vierge au milieu du quartier que l’on charge sur les bords.

Suite à des discussions sur le projet d’amé-nagement de l’ensemble de la zone, en mars 1976, il est décidé de créer une ZAC62 à l’inté-rieur du périmètre Saint-Nicolas se décompo-sant en deux types d’opérations : une opération de réhabilitation des unités situées au niveau rue Grille, l’avenue des Arts et Métiers, quai des Carmes, boulevard Henri Arnauld, rue Garnier et boulevard Gaston Dumesnil, et une opération de rénovation sur les terrains compris entre la rue de la Tannerie, la rue Garnier, le boulevard Henri Arnauld, le boulevard du Bon Pasteur et la rue Henri Fournier. La partie sud au-delà du boulevard Dumesnil n’est pas encore concernée parce qu’on ne peut pas détruire les abattoirs tant que d’autres n’ont pas été construits63. Au cours d’une réunion de coordination de la SEM Saint-Nicolas64, il nous est demandé d’établir un projet d’aménagement d’une première zone cor-respondant au secteur de rénovation.

Fin 1976, nous avons la consigne, avant de pousser l’étude, d’attendre les élections : « ne courez pas trop vite » alors que de notre côté c’est : « il devient urgent de pouvoir présenter notre dossier afin de ne pas trop retarder l’opéra-tion… ». L’étude n’ira pas plus loin. Il faut attendre mars 1977 pour définir (avec Sauvage et Chupin) les missions réelles et les étapes de décision avec les contrats en conséquence. Puis tout s’ar-rête avec les élections. Une lettre de février 1977 laisse à penser que la municipalité ne doit pas croire à la victoire de Jean Monnier, mais elle met tout de même le doigt sur le problème des élec-tions. L’opération présente un déficit important légèrement compensé par l’utilisation de même nature de terrains situés à l’ouest du boulevard Gaston Dumesnil. Sauvage demande à pouvoir bénéficier d’une subvention mais le ministère ne

prend en considération aucune opération non négociée, ce qui explique pourquoi il faut accé-lérer : « Il est préférable de réduire le périmètre d’intervention afin de limiter les acquisitions notamment sur le secteur des abattoirs. Il faut donc exclure les parcelles situées à l’ouest des anciens abattoirs ainsi que les terrains compris entre la rue Henri Fournier et la cité Saint-Jac-ques. Il est souhaitable que l’opération s’engage rapidement… » (lettre de la SEM du 28 février 1977 à Mornet).

Avant les élections de mars 1977, la ville achète beaucoup dans le secteur de rénovation et une des priorités de la municipalité Monnier - je n’ai jamais vraiment compris pourquoi - est de commencer à revendre les immeubles, achetés deux ans auparavant sur le quai de la Savate. Quant au périmètre de réhabilitation, personne ne peut dire si l’on peut mettre des logements, dans quelles conditions, etc. Une étude, com-mandée directement par la ville, sur l’état du quartier65 est réalisée par l’AURA pour sensibili-ser la population aux problèmes du quartier.

Cette zone d’étude intègre-t-elle le quartier du Front de Maine ?

Oui, c’est vraiment le Front de Maine. Après une période de sommeil, suite au changement de maire, je réalise aussi en 1980, à la demande de l’AURA, une étude sur la Maine : j’y analyse les séquences et les éléments d’unités du par-cours de la Maine, ainsi que les problèmes de circulation et d’inondation. La définition de points d’intérêts dans le paysage montre la nécessité de donner de la consistance à des endroits parti-culiers. En fait le Front de Maine marque que l’on quitte la campagne pour entrer en ville.

62 - Zone d’aménagement concerté.63-Unepartiedufinancementestbaséesurlaventeduterrain.64 - Dont Jean Sauvage est le président.65 - Inventaire de toutes les occupations de terrains.

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118 III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

Le directeur de l’AURA nous demande en 1983 une réflexion66 afin de pousser le maire à intégrer dans sa vision le phénomène Maine comme étant une des spécificités d’Angers (spé-cificité qui a été complètement ignorée jusqu’alors bien que toutes les opérations descendent sur la Maine) car il faut qu’il y ait un rapport solide entre la rivière et la ville : « Il faut absolument que le maire voit l’intérêt de la Maine dans son parcours dans la traversée d’Angers parce que c’est un des enjeux de la ville ». Depuis 30 ans, le bord de Maine côté ville (depuis la zone Saint-Serge jusqu’à la Baumette) s’est transformé sans vision d’ensemble.

En 1985, Lamaison, Bastide et Mornet avons enfin une commande pour une réflexion sur les rapports entre l’agglomération et la Maine ! Il s’agit d’imaginer tous les quartiers liés à la Maine : on y traite tout ce qui est en bord de Maine dans le périmètre (rue Saint-Jacques comprise67). Il est certain qu’au moment de l’opération Saint-Nico-las, le boulevard Tournemine permet d’écouler la circulation mais la rue Saint-Jacques reste quand même un problème parce qu’encombrée. Je détermine des zones d’intervention dans cette réflexion. Sur le plan de la circulation, je poursuis l’idée d’assurer la liaison avec l’autre côté de la Maine en utilisant une voie naturelle qui permet

de reprendre le système de circulation68. L’idée est de faire une double voie, parallèle à la rue Saint-Jacques (par les arrières des îlots actuels côté sud) pour rétablir une circulation viable. Je fais un certain nombre de propositions dans une analyse qui englobe la partie Saint-Jacques et toute la couronne de la Doutre. Je ne sais pas ce qu’est devenue notre réflexion ensuite.

Ils relanceront l’opération en 1984 avec le concours du Front de Maine… Notre dossier a dû servir parce que c’est bien le même périmètre (le bas de la Doutre). Je trouvais curieux de pos-séder plusieurs dossiers “Front de Maine” alors que l’on ne m’a pas invité à participer à l’opéra-tion lors du concours. En réalité, j’ai travaillé gra-tuitement dessus dans les années 70, mais mon travail a tout de même servi à d’autres…

Quelle a été la démarche de la ville lors de l’organisation du concours ?

La démarche est en fait largement inspirée de mon étude sur la Maine de 1980 intitulée « Projet de quartier Doutre », qui inclut le périmètre du Front de Maine, car la directive du concours est : il faut un quartier fort à l’arrivée de Nantes et à la sortie d’Angers.

Pratiquement 20 ans après le début des réflexions sur ce secteur, en 1984, on revient à la case départ de ton étude sur la Doutre…

Oui.

Cette réflexion sert-elle au niveau de la pro-grammation pour la consultation ?

Ce qu’elle devient après ? Personne ne m’accuse réception du document qui est remis

66-Onproposeraunschémasousformed’unenarration(lepromeneurréfléchittouthautà ce qui pourrait être fait et ce qu’il ne faudrait pas faire).

67 - Elle apparaît dans l’emprise dès le début de l’opération Saint-Nicolas (avec Madelin comme architecte-conseil).

68 - Système facile à réaliser puisque les rues ont été faites dans cet esprit-là il y a probablement 150 ou 200 ans.

III.1.18 - Quartier Saint-Nicolas en 1999. Cl. Jean-Loup de Sauverzac

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119III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

au maire… Si le plan est vu ou pas, cela est un autre problème…

Tu sembles éprouver une certaine amertume par rapport à la période Monnier…

Oui, une amertume certaine mais j’ai toujours eu avec Jean Monnier de bons rapports person-nels même s’ils étaient musclés, ce qu’il n’appré-ciait pas toujours. J’ai appris en faisant de la boxe qu’il fallait à la fois savoir donner des coups et en prendre ; il n’a pas dû apprendre la boxe.

Le quartier Saint-Nicolas tel qu’il est défini est cohérent par rapport à l’ensemble de la ville.

Absolument. En réalité, la peur de la réno-vation du quartier Saint-Nicolas ne vient pas de ses habitants, mais du bourgeois en face, car à cette occasion, les angevins se sont brusque-ment aperçus du problème de la Doutre. Cer-tains habitants de ce quartier ne voulaient pas de l’opération par peur du changement, par absence d’imagination, par absence de moyens de vie, par certitude que la situation actuelle était la meilleure pour eux (il s’agissait pourtant de chif-fonniers, clochards, propriétaires de logements insalubres). D’autres espéraient que l’opération leur apporterait des conditions de vie décentes même ailleurs, commerçants et propriétaires espérant réaliser une opération financière. Il n’y avait dans ce secteur aucune force propre : il n’y avait quasiment pas de partenaires autres que les quelques-uns qui étaient pour la rénovation, en particulier Haloœnd, Bessan, Boulanger, boulevard Descazeaux (les seuls partenaires au

niveau des associations de quartier étaient exté-rieurs à la zone).

Y a-t-il eu des débats publics lors de l’opéra-tion Saint-Nicolas ?

Oui, notamment un animé par Lecoq, et en général avec des gens qui n’étaient pas du quar-tier. C’est aussi le lieu d’un débat tourné vers le passé avec les éternels défenseurs du « vieil Angers » et autres associations, qui savaient bien notre détermination. Beaucoup de ces adversai-res m’étaient connus et connaissaient mon père, cela se passait donc cordialement.

Le refus de débat de presse en début d’opé-ration est un de mes principes. Je ne parle des opérations à la presse que dans un contexte bien précis. Faire le débat en réunion publique ou privée est une question intéressante… Des réunions publiques, je m’en suis farci un grand nombre dans ma carrière : on défend son projet devant le conseil municipal et la presse… Et que la réunion soit publique ou privée, c’est du tennis ! On renvoie la balle et il faut essayer de tenir le débat sans prendre de coup, du jeu de fonds de court, avec quelques montées au filet.

Saint-Nicolas a été l’objet de débat parce que la presse s’y intéressait : la Doutre, personne ne sait où s’est, donc les gens venaient voir par curiosité. D’autre part, la prise en compte du patrimoine a démarré à cette époque, sous la pression d’événements extérieurs. Tous ceux qui s’intéressaient à Angers se sont dit : « voilà un beau sujet »…

Concernant les logements HLM, on fait des opérations groupées malgré les problèmes de financement69. La SEM était le promoteur de l’of-fice municipal d’HLM, donc c’était la municipalité

qui conduisait les opérations, ce qui aurait été considérée aujourd’hui comme douteux, alors qu’en fait la ville défendait parfaitement l’intérêt général. Donc, il n’y avait pas de promoteur privé. On a réussi à faire un cocktail HLM/accession dans la même zone.

C’est l’adhésion à un quartier tout de même !

Bien sûr. À Saint-Nicolas70, l’offre de logement de bon standing, n’existe pas dans les opérations de types HLM. Mais le succès de l’opération a été lent à démarrer parce que c’était de l’accession. De plus, les gens étaient perturbés : les fenêtres, par exemple, n’étaient pas à la française avec des châssis coulissants, mais des loggias au lieu des balcons… Les angevins voyaient également d’un mauvais œil les appartements en duplex. Lors de la fusion avec Bull, General Electric en a acheté cinq pour ses ingénieurs américains, qui les trouvaient au contraire formidables. Du coup, puisque les Américains les appréciaient, et comme les Américains sont des hommes moder-nes… les autres duplex ont été vendus ! Enfin les angevins ne voulaient pas aller dans la Doutre, d’autant qu’il persistait une réputation douteuse sur Saint-Nicolas. Or la renaissance du marché place Grégoire Bordillon a été un élément posi-tif car c’est un symbole : c’est le signe que c’est un quartier fréquentable. Les premiers habitants de Saint-Nicolas étaient souvent des non ange-vins car la plupart étaient des fonctionnaires qui venaient d’être nommés à Angers ou alors des jeunes cadres dynamiques appréciant l’architec-ture contemporaine.

69 - Et c’était un sacré bazar (à l’époque on passait des marchés plus facilement qu’aujourd’hui).

70- Comme à Saint-Michel

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120

III.1.19 - Quartier Saint-Nicolas, 2006. Cl. CAUE de Maine-et-Loire

III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

Page 121: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

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III.1.20 - Quartier Saint-Nicolas, 2006. Cl. CAUE de Maine-et-Loire

III.1 - rénovation du grand saint-Nicolas (1960-1983)

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122 III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

« Histoire chaotique d’un dossier qui dure plus de 20 ans, un seul acteur reste pendant ce temps : l’architecte. »

L’Hôtel de ville d’Angers, c’est le chaos ! Le dossier de notes internes à l’agence est formidable car elles reflètent vraiment l’histoire de l’opération à la différence des

correspondances. La lettre ne raconte pas, elle conclut comme le résultat d’un match de boxe : « Machin battu KO au troisième round » alors que sur le ring, sont comptés tous les coups… Mais, avant d’entrer dans la genèse de ce combat, je vais introduire le contexte de l’opération.

D’abord, il y a plusieurs étapes... 1960-1962 : le dossier sort juste avant les municipales de

1962 : Millot est élu maire, puis Turc le rem-place après sa mort en 1963 ; 1968 : le dos-sier est relancé après la réélection de Turc en 1967 ; 1973-1977 : grosse phase de production après la réélection de Turc en 1972. Le chantier démarre en décembre 1976 : il faut absolument commencer avant les élections de mars 1977. Jean Monnier passe ; 1977-1981 : la municipalité Monnier conduira l’affaire à bout mais dans sa complexité.

Quels sont les partenaires du projet ?

Côté ville, différents acteurs interviennent dans cette affaire : de 1960 à 1973, Turc (adjoint au maire, puis maire) ; Chupin prend en charge le projet à partir de 1973, Turc ayant d’autres pré-occupations ; Barrault1 (conseiller municipal, puis adjoint) joue un rôle important en coulisses. Son côté conservateur pèse sur un certain nombre de décisions ; des services de la ville, Gaul-thier (secrétaire général), puis Gilard (secrétaire général adjoint), ensuite Vannenooge (avec qui les choses redémarrent). L’équipe Bichon-Bes-son prend le relais : Bichon remplace Gaulthier comme secrétaire général tandis que Besson est chargé du dossier en tant qu’administratif.

Entre 1960 et 1981, les secrétaires géné-raux, les adjoints, les élus changent, le directeur des services techniques change, tout le monde

III.2 - L’hôteL de VILLe d’ANgers (1960-1982)“une gestation éléphantesque sans péridurale”

1 - Un ancien du Trésor.

III.2.1 - Hôtel de ville, 1959. Cl. J. Evers

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123III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

change ! Un seul reste pour jouer et prendre les coups : l’architecte !

Participent à l’équipe de conception : Patrick Pincemaille, architecte, s’occupe avec moi de l’affaire à l’agence (il y travaille 8-10 ans) ; un bureau d’études techniques (BET) de Paris, le GERIAC, dirigé par Fournier (un centralien assez pointu sur les structures) ; le CERA (Nantes) en électricité ; ma sœur, Odile Bizet pour le chauf-fage ; l’équipe Thual-Marange pour l’architecture d’intérieur. Marange est un ami : il avait à l’origine son bureau à l’intérieur de l’agence d’Andrault à Paris. C’est le président du Syndicat national des Architectes d’intérieur.

J’ajoute à ces partenaires les éternels Monu-ments historiques, Patrimoine et Affaires cultu-relles qui feront un numéro à rêver.

Le site présente de très nombreuses contrain-tes !

La localisation de la mairie est effroyablement compliquée : des bâtiments anciens (restes d’un collège “bricolé” en grande partie au xixe siècle qui n’a jamais été terminé), un terrain saturé, d’où une somme d’incohérences nées des besoins grandissants des services (annexes construites à la va-vite au cours du xxe siècle, acquisition de quelques immeubles voisins). Tout cela à la fortune du pot. Par ailleurs, le sous-sol est com-plexe parce que l’on est en plein rocher (schiste). Enfin l’époque impose des parkings. Le terrain est donc saturé, occupé par des services qui continuent de fonctionner. J’alerte Turc : « Que va-t-on faire des services qui occupent l’Hôtel de ville pendant le chantier ? ». Le maire n’étant pas attaché au bâtiment ancien, une nouvelle construction semble plus évidente. Turc et moi

envisageons le quai des Carmes, côté cale de la Savate.

Les conflits internes faisant traîner l’affaire, finalement on revient à l’idée initiale : l’Hôtel de ville se fera sur place.

Au départ, la ville a des besoins énormes mais pas de moyens : elle gère encore l’après-guerre. Puisqu’il n’y a pas de crédits publics pour ce genre de programme, la mairie décide de le financer elle-même. Elle s’aperçoit ensuite qu’elle ne peut y arriver : ce n’est pas avec le budget municipal que l’on construit une mairie dans un tel site. Les contretemps financiers dure-ront tout le temps de l’affaire, la constitution du programme étant de son côté ralentie par l’iner-tie des services au sein de la mairie. Incapable d’imaginer l’avenir face aux nouveaux besoins d’une mairie étriquée dans une ville qui se déve-loppe, personne ne veut mener le débat pour envisager des solutions. Sur notre conseil dès

l’origine, la ville lance une campagne d’achat de propriétés voisines, notamment sur toute la rue du Mail. Aussitôt rachetés, des employés s’ins-tallent dans ces locaux, ce qui ne libère en rien la mairie car ce sont des services nouvellement créés. Si bien qu’au moment de démolir, c’est de nouveau un problème parce que les bureaux y sont installés depuis plusieurs années.

Autre problème : l’emplacement de la maison d’Olivier Richou2, grand soutien du maire, qui habite à l’angle de la rue du Mail et du boule-vard de la Déportation. Jean Turc me met en garde contre sa destruction… C’est le premier immeuble que je comptais démolir3 ! Jusqu’à l’exécution, le problème traîne : Richou ne bouge pas et vote toujours contre le projet en conseil municipal. Turc n’ose pas aller contre cet avocat, un personnage complexe mais intelligent. Une maison sur un tout petit terrain contre la chapelle des Ursules nous gêne également. Et le proprié-

2 - Richou a été comme moi au collège Saint-Maurille ; il est avocat. 3 - La maison assez ordinaire n’est pas du tout indispensable à l’harmonie de l’ensemble

et obère complètement l’entrée du quartier.

III.2.2 - Hôtel de ville, maison Richou à l’angle de la rue du Mail, 1960

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124 III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

taire Boizard se rebelle contre la démolition de sa maison, qui fait partie d’un quartier inscrit, d’où procès, reprocès et recours. Tout se dénoue en route. Mais ces achats de terrain sont tout de même des problèmes. Heureusement, la ville avait auparavant racheté le couvent des Ursuli-nes, ce qui libère du terrain rue des Ursules.

On subit également des reports des travaux, alors que l’adjudication vient d’être lancée à cause de la faiblesse de l’État en matière bud-gétaire.

À cause des contentieux ?

Pour maintes raisons : le financement, l’ur-gence de l’exécution, les hésitations, etc. Les délais sont courts car les élus prennent les déci-sions au dernier moment malgré leur éternel empressement. Avec le butoir des élections de 19774, le planning se comprime. La somme de travail suspendu par des arrêts continuels est impressionnante. Les Affaires culturelles blo-quent notamment le dossier six mois à cause d’un désaccord interne pour une question de façade : les approbations du projet à la CROIA5, aux Monuments historiques et à la commission de la Création architecturale donnent lieu à un ballet fantastique entre les échelons régional et national. Au ministère de la Culture, personne ne veut s’avancer et le dossier revient avec un avis sur la façade à pleurer de rire ou de honte.

D’autre part, la philosophie de l’opération évolue tout le temps en fonction du financement. Par quoi commencer ? Que peut-on payer ? Le chantier ne doit pas entraver le fonctionnement de la mairie… Si on démarre par le bâtiment ancien, le maire doit être transféré. Or le maire ne peut pas quitter son bureau. Donc on commence

par le neuf, ce qui nécessite de régler d’abord les achats de terrains qui traînent. Après plusieurs retours en arrière, solutions provisoires et chan-gements d’objectifs, l’option la plus logique est admise : réaliser le bâtiment neuf d’abord, puis le bâtiment ancien beaucoup plus tard. Dans les faits, on le réalisera dans la foulée.

Dès le règlement des problèmes d’acquisi-tion (hormis Richou), on démolit rapidement. On décape le sol pour préparer le terrain et démar-rer le chantier. Faute de financement, le chantier reste alors pendant un an et demi “les fouilles à l’air” ! Comme c’est sur du rocher, à chaque fois qu’il pleut, une mare se forme… Et l’eau stagnant à l’ombre, il y a des moustiques à la mairie ! Pour clôturer la caricature : en 1977, changement de patron ! Pendant un an, on continue le chantier au ralenti le temps que la nouvelle municipalité prenne ses marques, d’autant que la réflexion engagée à la faveur de cette opération a depuis 15 ans fait germer l’idée d’une restructuration des services de la mairie. Tous les services ont évolué depuis l’après-guerre… Mais la néces-saire réorganisation n’a pas réellement été entre-prise (par Turc). La municipalité Monnier s’en chargera : supprimant des services, créant des postes, etc., elle bouleverse l’architecture tradi-tionnelle de la mairie. Durant cette mise en place, les maçons continuent de monter…

Un an après les élections, la mairie propose un nouveau schéma d’organisation, qui cham-boule évidemment les plans. Le maire décide de s’installer non pas dans l’ancien mais dans le nou-veau bâtiment et le nombre d’adjoints augmente. À la différence du projet initial6, Monnier veut une salle de conseil municipal au niveau du citoyen, donc au ras du boulevard dans le bâtiment neuf ! Le chantier en cours doit tenir compte des adap-

tations nécessaires… et l’architecte revoit son projet alors que les fondations sont réalisées et les marchés signés.

Voilà les matériaux agités pendant 20 ans… Tandis que l’on peut contourner les règlements ou en tirer parti, avec des acteurs qui changent tout le temps, il faut rebattre les cartes. Chaque élection dessaisit la personne en charge du dos-sier qui est transmis à un autre service. Et les façons d’aborder le problème sont différentes… L’histoire de cette opération est relativement longue, mais typique d’une époque. Sans plan de terrain, ni programme, il faut faire tout, tout de suite, avec rien ! Tout le monde veut une nouvelle mairie, mais tout le monde s’en balance, et les élus ne sont pas d’accord.

Entre 1946 et 1960 (date qui est pour l’agence le début de l’opération), il y a une multitude de travaux. Tous les deux ans, des aménagements sont effectués dans la mairie soit dans le bâti-ment ancien, soit dans les nouvelles acquisitions. On agrandit les bureaux des adjoints parce qu’ils y passent plus de temps qu’avant guerre. On transforme les bureaux du maire. L’effectif des services double.

Or la caractéristique du bâtiment, ce sont les volumes. Mais à plat, l’hôtel de ville représente une surface assez faible… Ils passent donc leur temps à mettre des faux plafonds soit pour des questions d’échelle (éviter l’impression d’être dans une église seul à prier), soit pour créer des planchers sur lesquels sont empilées des archi-ves7. Les travaux sont souvent effectués par le service des Bâtiments conseillé par mon père : les plans sont étudiés au fur et mesure du déve-loppement des services. Chaque aménagement représente un budget colossal car ce sont des maisons bourgeoises inadaptées8, avec 3,50

4-Ilestdécidédelancerl’opérationafindeterminerpourlesélectionsdemars1977. 5 - Commission régionale des Opérations immobilières à Nantes. 6 - La salle du conseil municipal était prévue dans la salle des fêtes du batiment ancien

(les adjoints investissant cette zone avec le maire).

7 - toutes les salles du bas du bâtiment ancien ont ainsi des sortes de sous-pentes de 1,80 mètres de haut.

8 - installation du téléphone, de l’électricité, chauffage obsolète.

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125III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

si ce n’est 6 mètres sous plafond. Ainsi la ville investit des sommes considérables… pour rien car la pression s’exerce irrégulièrement sur les services au gré des circonstances et jamais le problème n’est pris globalement. Quand un service est saturé, on profite d’une acquisition en vue d’un futur agrandissement pour remplir immédiatement le bâtiment (travaux que l’on démolira 5 ans après). Si la ville avait eu le cou-rage de lancer l’opération suffisamment tôt, cela aurait évité les transferts d’un bâtiment à l’autre, donc des coûts.

Cette problématique apparaît dans les pre-miers croquis. La capacité du terrain sera le débat de fond de l’opération. On ne fait pas une approche en fonction du personnel de mairie (il n’y a pas moyen d’obtenir une liste), mais une démarche inverse : qu’est-ce que le site est capable de supporter9 ? Ce sera le point de vue que je finirai par imposer.

Notre discours sur la délocalisation est constant : « Tout le monde n’a pas besoin d’être collé au maire ! » : ce qui est propre à la ville doit rester sur le site. Et il y a intérêt à installer

les organismes annexes dans l’environnement immédiat. Le District sera logé rue du Mail avec l’AURA et les sociétés d’économie mixte10…

Les relevés sur le site sont considérables car l’Hôtel de ville est une juxtaposition d’interventions d’époques différentes. Les façades postérieures de la mairie sont en mauvais état car mitoyennes de l’ancien couvent (illustration III.2.3).

La rue des Ursules n’est pas encore tracée, mais l’ensemble du couvent des Ursules11 existe déjà. Le projet du collège d’Anjou est alors en attente : ce petit bâtiment n’a jamais été fini (la

9 - Par rapport au site, à l’environnement, à la circulation, etc.10 - Qui s’installeront ensuite rue Desjardins.11 - Clinique, hôtel du Mail.

III.2.3 - Collège d’Anjou. Projet d’agrandissement. Dessin, plume et lavis aquarellé, 1710, extrait de R. Lehoreau, opus cit., t. 3, p.63. Dès le début du XVIIIe siècle, l’agrandissement du collège prévoit la création d’une grande cour d’honneur encadrée de deux ailes, nécessitant la démolition, des maisons de la rue du Collège.

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126 III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

partie principale n’a pas d’avant-corps). Le mur d’enceinte de la ville passe devant le collège (fossé). Ce très bel ensemble aurait pu faire une mairie parfaite, mais en réalité seule une partie est finalisée au xixe siècle : la façade, constituée de deux avant-corps et du péristyle, qui n’est pas un chef d’œuvre12. Les hôtels de la rue Chevreul donnent une impression de socle énorme comme dans les palais italiens (avec des grands bossa-ges). L’Hôtel de ville est de la même famille : le hall est au niveau du sol, mais la maison ne commence qu’au niveau supérieur. L’image très classique qu’ont les angevins de leur Hôtel de ville est complètement faussée par la façade qui est banale.

L’hôtel Chemellier, juste derrière le collège, n’est pas de la même époque. C’est un hôtel particulier de qualité, complètement indépendant du système du collège. Lors des aménagements du xix siècle (création du boulevard), la cour est construite. La maison Richou au coin de la rue du Mail est au même niveau et de même échelle que l’hôtel Chemellier. Mais c’est un placard sans intérêt.

En 1957, on réalise une campagne photo-graphique de toutes les salles de l’Hôtel de ville. L’entrée principale, où tout le public afflue (les visiteurs comme l’architecte chargé de plans, les cérémonies de mariage…), est un bureau de renseignement minuscule13 ! Au-dessus de huit personnes, plus personne ne peut bouger !

Une circulation latérale puisqu’il y a des services de chaque côté de l’entrée vient compliquer les choses… Voilà l’entrée d’une mairie d’une ville de 160 000 habitants !

Quelles étaient les conditions de travail dans la mairie ?

Très mauvaises. Cependant les employés ont peur de voir dérangées leurs habitudes. Il y a bien une demande : tout le monde veut un grand bureau tout seul avec chauffage, éclairage, etc. Mais, chacun veut immédiatement savoir qui sera à côté, quel rôle hiérarchique il aura, etc.

Dès 1957, la ville commence à se poser des questions. Le bâtiment de l’Hôtel de ville, bricolé au hasard depuis la fin de la guerre, est au bout du rouleau malgré les acquisitions périphériques. Déjà en 1956, la municipalité achète le terrain des Ursulines pour construire14. Mais l’esquisse n’aura pas de suite ; on y installera un baraque-ment pour les espaces verts.

Au début, le bâtiment exigu des adjoints15 pose problème. Pendant longtemps, les adjoints acceptent que tout le monde change de place, mais eux refusent de bouger. Et ils se plaignent de leurs 15 m2 : avec 5 mètres de hauteur sous plafond, il est vrai qu’ils auraient plus de place en installant la table sur les murs ! En 1957, est chiffrée une étude pour installer les bureaux d’adjoints dans la salle du Conseil qui serait reportée dans la salle des Fêtes (aile ouest). Le projet consiste à récupérer de la surface auprès du maire (dont le bureau est contigu à la salle du Conseil). L’idée de Chatenay est donc de regrou-per les adjoints et le maire dans l’aile Est et de mettre la salle de conseil municipal au bout de l’aile Ouest qui est bien desservie.

12 - Malhomme fera pourtant un numéro extraordinaire à ce propos.13 - L’entrée de l’ancien collège.14 - Elle achètera la chapelle en 1965.15 - Il occupe à peu près l’emplacement de la passerelle qui relie les deux bâtiments

actuels et a été réalisé au début du siècle.

III.2.4 - Hôtel de ville, bâtiment ancien, entrée principale, accueil, 1970

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127III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

On se contente en 1960 à la demande de Millot d’aménager le bureau du maire et de rava-ler le péristyle qui est dans un état pitoyable16 en éliminant au passage l’horloge créée au début du xxe siècle dont le caractère détonne et qui n’est pas du tout à l’échelle. Cependant, des projets de développement sont demandés aux chefs de services pour étudier les besoins. En juin 1960, la ville nous transmet un programme global de refonte des services. Un embryon de projet de rénovation démarre donc du temps de Millot.

Ce projet suppose-t-il l’extension ?

Non, il ne s’agit que d’un projet de fonction-nement. La quête du programme dure presque six ans… L’inertie m’oblige à rencontrer tous les chefs de service individuellement : pas de réunion, ces gens-là ne se voient pas ! Je suis confronté à leur peur de changer leurs habitudes. La rivalité des services ralentit notre enquête préliminaire sur le fonctionnement de la mairie. Personne ne veut avouer la situation. Or je me rends bien compte par l’expérience que j’ai de la ville que les problèmes sont bien là sans pou-voir les aborder. D’ailleurs les syndicats sont aux aguets, craignant que le débat révèle les dysfonctionnements du système. L’inertie est telle que nos demandes sont sans cesse repous-sées. Malgré nos requêtes, personne ne bouge : on est en France ! Alors on essaie de susciter des réactions par l’envoi de plans… Certains ne peuvent nous répondre : « on ne sait pas quels sont les besoins », d’autres doublent leur surface et s’installent généreusement sur les genoux du voisin. Le programme est impossible à cerner. Finalement, on conclut en décidant nous-mêmes les surfaces, remettant la répartition du person-

nel à plus tard et les réactions obligatoires à nos élucubrations.

Les études débutent véritablement en 1962 car l’approche des élections réveille la torpeur municipale. Des recherches sont entreprises par mon père sur les mairies dans l’Ouest. Un programme général d’aménagement détaillé voit le jour, proposé par le cabinet Mornet à partir d’un schéma global (surfaces par service) établi par l’administration. Ce programme permet d’avoir une idée des quantités nécessaires pour les confronter aux possibilités du terrain. 4 500 mètres carrés sortent de cette première consultation (interviews réalisées service par service).

Les élus pensent-ils restructuration plutôt que construction ?

L’intérêt de cette approche quantitative est justement de ne pas montrer le programme sous la forme de la transformation du bâtiment mais de révéler les besoins en bureaux. On verra l’adéquation entre les besoins en surfaces et l’existant après. Cette réflexion sur l’hôtel de ville occupe l’année 1962.

En 1963 après la mort accidentelle du maire Jacques Millot, Turc, premier adjoint et maire provisoire, relance les études. Lors d’une chaude délibération relative au personnel et aux orga-nigrammes en gestation, certains conseillers municipaux font leur numéro ! On parle d’André Mornet comme de l’architecte chargé d’étudier le projet de construction de l’Hôtel de ville bien qu’il n’y ait pas encore de contrat. Fin 1963, Turc nous envoie de la documentation, mais pas l’indication attendue : doit-on étudier le projet ou pas ?

En 1964, rien ne se passe…

En février 1965, les archives municipales, éparpillées dans les différents services, font l’ob-jet d’un rapport de l’Inspection générale. Il est envisagé d’aménager la chapelle des Ursules que la ville acquiert pour en faire une bibliothè-que d’archives (où la consultation est possible). L’architecte relance la ville à propos du projet global, sans écho (illustration III.2.5).

Un an plus tard, l’architecte relance les ser-vices concernés au sujet du statut des terrains situés derrière l’Hôtel de ville. Or, si on étend la mairie, le gabarit de la rue des Ursules n’est pas adéquat. La municipalité a alors l’idée d’une cir-culation vers le cœur de la ville par l’axe Louis Gain. En effet, cette voie très large est maîtrisée par la disparition de l’usine Bessonneau17, ce qui nous laisse une grande liberté. Mais quelles seront les conséquences sur la rue du Mail à la caractéristique xixe siècle18 ? Les élus élargissent ensuite leur vision des choses.

16 - ll s’effondre sur les visiteurs !17 - Opération Deromedi en cours sur les terrains de Bessonneau (après le Palais de

Justice).18 - La rue est large mais ce n’est pas une voie considérable.

III.2.5 - La chapelle des Ursules.

“Comme cette petite église de quartier est très belle et le secteur très bourgeois, toute une clientèle la préfère à l’église Saint-Joseph ou à la cathédrale”.

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128 III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

En mars 1966, Turc se réveille : reprise des études du programme sur la base de 1962. Rap-pelons que le chantier commence en 1976, il faudra encore 10 ans ! Le maire nous demande de réétudier la solution d’extension. Les élus envisagent, un peu sous notre pression, un développement de la mairie de l’autre côté de la rue des Ursules, ce qui nous offre l’avantage de traiter cette voie de manière plus intéressante19. Mais la mairie ne trouve toujours pas sa place : Turc n’a pas réellement décidé de faire l’Hôtel de ville sur ce site car il a encore un œil sur la cale de la Savate.

Jean Turc croit-il au Front de Maine ?

Oui, finalement, il est incité par l’essor de Saint-Nicolas. Sur place, je lui indique que la cale de la Savate mérite mieux que ces petites

maisons vue l’importance du site : la Doutre n’est plus un quartier mal placé depuis que des équipe-ments s’y installent. De plus, un certain nombre de terrains20 sont municipaux… Bien aménagée et avec la Maison de la Culture, la cale de la Savate, est un emplacement prestigieux en face du château, qui tente le maire, mais Turc est qua-siment le seul à la mairie à défendre cet empla-cement. Il ne le choisit pas pour l’Hôtel de ville par peur de la réaction des angevins. Pensez ! Dans la Doutre !

En mai 1966, Turc attaque le projet global en créant une commission d’organisation interne21

pour poser les problèmes et avoir, suite aux pro-positions, une réaction des chefs de service.

Concernant les acquisitions, la ville est déjà propriétaire de l’ensemble des bâtiments entou-rant la mairie (la chapelle des Ursules, la banque Bordier…) sauf des maisons Richou et Boizard22.

Et continue d’acheter car la municipalité a la cer-titude que tous les bureaux ne tiendront pas sur le terrain. Pendant un temps, elle remplit sim-plement ces immeubles avec des services sans réflexion globale. On tente de convaincre les élus de tout démolir et de construire l’extension le long de la rue du Mail (plutôt que de faire un immeuble rue des Ursules).

En juillet 1966, les services municipaux nous sollicitent pour le plan masse. Abordant de front tous les problèmes, on fait des plans schémati-ques correspondant au programme. Ensuite, la mairie demande une estimation pour la prépa-ration de l’acquisition de l’immeuble Richou23. Le projet quitte alors la confidence du bureau du maire pour entrer, sinon dans les services, du moins dans un cercle plus large. Fin 1966, deux plans commençant à poser le problème sur le terrain sont envoyés à la municipalité par l’agence.

En février 1967, la première étude sur les partis possibles permet d’entamer les acquisitions sur la rue des Ursules, et d’engager l’expropriation de Richou24. Cinq propositions avec maquette sommaire sont réalisées à toute pompe pour la commission municipale.

Que devient le bâtiment des adjoints ?

La démolition de ce bâtiment symbolique est reportée, mais beaucoup s’y étant opposés, le bâtiment des adjoints est toujours indiqué sur le plan. Il faut savoir déplacer les choses fragiles sans brutalité, en s’arrêtant et reprenant selon la résistance des adversaires…

A l’époque, on sort les premiers schémas d’organisation de bureaux : ce sont des principes d’occupation d’espace et un questionnaire relatif

19 - Elle redeviendrait une rue intérieure.20 - Annexes du musée (terrain sur lequel on a construit récemment le Trésor public).21 - à laquelle il convie l’architecte22 - Boizard, qui ne dérange pas le chantier, reste en place jusqu’au moment où il n’y aura

plus de recours possible.

23 - En réalité, ce problème n’est résolu qu’au bout de 10 ans car lorsque débute le chantier en décembre 1976, Richou n’est toujours pas parti.

24 - Pour engager une expropriation ou une procédure d’utilité publique, il faut une estimationduprojetpourjustifierquecen’estpaspourmettreunpavillonvendantdesgaufres.

III.2.6 - Hôtel de ville avant extension, vers 1965

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129III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

à un organigramme type d’une mairie25. C’est une façon de demander un programme, et le premier élément de débat qui investit tout le monde. Mais l’accouchement sera difficile : on n’aura presque jamais de programme. Car 10 ans après, au moment de l’appel d’offre (1976), les discussions sur les services perdurent…

Côté architectes, nous jouons aux renseigne-ments généraux en interrogeant tous les chefs de service, mais notre questionnaire ne trouve pas de répondants. Chaque service dénonce son voisin : « le service Bâtiments n’a pas besoin de tant de surface… Ils sont sur les chantiers ». Soupçons, rivalités… dès que les services sont autour d’une table, les couteaux sortent pour défendre leurs propres intérêts. Il n’y a personne pour prendre de front tous les chefs de service.

N’y a-t-il pas un vrai secrétaire général ?

Au début de l’opération, Gauthier est très gentil mais ce n’est pas un combattant et il attend la retraite. Lui succède Gislard, qui, en fin de car-rière, est tranquille. Dès que la tension monte, il quitte la salle, bref c’est un chef de temps de paix. Turc fait ensuite venir Bichon, que je connais bien26. Intelligent et ayant l’habitude d’être confronté à des problèmes d’envergure27, il permet d’avancer plus vite.

Novembre 1967, les services ne bougent pas. Gislard dort… Je réclame une réunion pour une première tranche de travaux à entreprendre en 1967 en raison des élections (Turc met la pres-sion).

Début décembre 1967 : compte tenu de toutes les difficultés, proposition est faite de s’installer dans les bâtiments en acquisition rue du Mail (qui sont en bon état), qu’il faut compléter

par une construction dans la cour (la mairie res-tant pour l’essentiel dans l’ancien bâtiment). On ravaude28 le patchwork. Turc avait des idées plus ambitieuses, mais ce n’est pas un bulldozer : il sait très bien contourner l’obstacle. Mais il s’aper-çoit qu’il n’est suivi ni par l’administration ni par le conseil municipal.

Entre 1968 et 1972, le projet s’endort ?

En janvier 1968, la ville continue de bricoler s’apprêtant à installer un transformateur là où l’on doit construire ! Apprenant par hasard les préparatifs des fondations, je contacte Turc pour empêcher sa réalisation in extremis. On ne serait pas passé sur le chantier, le transformateur se serait fait dans le terrain des Ursules !

Le désaccord entre les élus perdure. Dès lors que le maire fixe comme objectif d’aména-ger les combles, la dynamique de construction, qui a déjà du mal à se mettre en place, tombe complètement. De plus, la ville, très impliquée dans maintes opérations connaît des difficul-tés de financement. À cette époque, l’État aide peu les municipalités. L’inertie des services est constante. Les élus pensaient que l’opération serait plus rapide. Mais à cause du site, de l’exis-tant, de l’organisation municipale, des besoins en équipements (prioritaires), le projet s’endort pendant quatre ans.

L’aménagement des combles se fait-il ?

Non, car ils sont trop bas (à cause des hauts plafonds des salles de réception). Seules les par-ties extrêmes (plus hautes) sont habitables : on y aménage une salle de détente.

Comment la situation va-t-elle enfin se déblo-quer ?

En 1973, l’horizon va s’assombrir mais l’on ne s’en aperçoit pas encore. Les pouvoirs sont distribués, la municipalité Turc s’est remise en place : un certain nombre de chefs de service ont disparu, Gislard est parti à la retraite, Bichon (secrétaire général) est en fonction, Malhomme arrive aux Services techniques.

La ville ayant beaucoup d’ennuis avec ses directeurs de Services techniques (toujours d’un niveau insuffisant pour les questions d’aménage-ments de grande échelle), elle passe un contrat avec l’Équipement : l’ingénieur des Ponts de la DDE en charge de l’agglomération d’Angers devient directeur des Services techniques de la ville29. Lefranc (un polytechnicien), le prédé-cesseur de Malhomme, n’est pas passionné par l’urbanisme mais très agréable et intelligent, même s’il n’est pas un meneur30. Lefranc étant nommé ailleurs, la ville recrute alors Malhomme, un polytechnicien beaucoup plus jeune et sans expérience des municipalités, radicalement diffé-rent de tempérament, gentil mais sûr de lui. C’est un pur produit de l’administration31 (avec tous les vices de l’administration coloniale !). Dans une ville complexe comme Angers, il est comme un éléphant dans un magasin de porcelaine : n’ayant aucune rondeur, il se jette avec voracité sur tous les problèmes. Chupin le prend dans un premier temps sous sa coupe. À la mairie, Malhomme est honni de tous les services. A l’intérieur comme à l’extérieur, il pose vite problème.

Un nouveau groupe de travail autour de Chupin démarre à la fin de l’année. Donc, en 1973, tout le décor change : Turc ne coordonne plus, il est désormais informé par Chupin qui reprend le suivi de l’affaire. Un état du personnel

25 - Quel est le planning d’utilisation d’une salle de commission ? quels sont les services qui ont des périodes de creux et de pointe et qui peuvent échanger leurs locaux et leur personnel ? quel sera le circuit des documents ? etc.

26 - Auparavant directeur des sociétés d’économie mixte Saint-Michel et Saint-Nicolas.27 - Il a une formation d’administrateur colonial (auprès de gouverneurs en Afrique).28 - Raccommoder.

29 - Tout en conservant sa fonction Ponts et Chaussées.30 - On le retrouve sur Saint-Michel ainsi que sur la ZAC Ouest au moment des discussions

sur les échangeurs.31 - Il arrive d’Afrique où il faisait des chemins de fer.

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130 III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

et des surfaces est établi car les chiffres utilisés jusqu’alors bougent tout le temps. Tout ayant besoin d’être réajusté, des sondages sont com-mandés aux Ponts et Chaussées. Les choses se concrétisent enfin…

Malhomme rédige un rapport en forme de projet qui date sans doute de 1973. Les Ponts et Chaussées ne datent jamais les documents ! Cette étude est intéressante, hormis la démar-che qui est naïve… Comparant les besoins en surface avec d’autres hôtels de ville, Malhomme ajoute des niveaux, supprime l’escalier… La chapelle disparaît dans la bagarre. Et il aboutit évidemment à une surface minimum en casant

tous les mètres carrés sans grand respect du bâtiment...

C’est un plagiat de la mairie de Nancy installé dans un palais du xviiie. Cependant, Malhomme a le mérite d’avoir rédigé seul un rapport chiffré : c’est le premier document qui pose le problème que l’on obtient de la mairie au bout de dix ans ! Mais l’étude correspond à une approche “épi-cière” du problème…

C’est typique des Ponts et Chaussée de l’épo-que : ils prennent en main le problème, mais ils n’ont pas les moyens de le traiter.

Peu après, le cabinet Mornet propose six solutions d’occupation du terrain. Il s’agit d’une démarche d’organisation pour articuler les îlots disponibles. C’est une écriture volumétrique du projet à l’attention des conseillers municipaux, un moyen de poser le problème globalement et de ramener leur point de vue à une échelle de la mairie dans son environnement (et non d’organi-sation interne).

Le maire veut aller ailleurs, Barreau veut rester sur place et Malhomme veut aller vite ! Les notes de l’agence, à défaut de la correspondance inexistante, font état d’une reprise des études en juillet 1973. Sur cette affaire, la ville est extraor-dinairement avare de documents. Au début de l’intervention de Chupin, les notes témoignent d’un changement de cap : le parti doit être orgueilleux, la mairie est l’un des bâtiments les plus importants de la ville, sa position face au Mail est avantageuse parce que l’environnement est dégagé et vaste, elle doit compter dans la sil-houette de la ville, etc.32

La ville, décidée à rénover sa mairie, inscrit 500 millions d’anciens francs au budget de 1973. Les besoins deviennent pressants : le person-nel râle et la municipalité ne peut entreprendre la réorganisation nécessaire dans les locaux actuels. La restructuration doit-elle précéder ou non la réalisation des bureaux ? C’est toute l’am-biguïté de l’opération. Les conseillers, persuadés de l’urgence, désirent une réalisation rapide d’un programme étalé sur plusieurs budgets. Le finan-cement serait autonome – la ville étant maître d’ouvrage – et sans contrôle de l’administration (pas de concours de l’État). L’objectif immédiat serait d’étudier un plan d’ensemble déterminant l’emplacement d’une première tranche de 3 à 5 000 m2 de bureaux banalisés33 pouvant se réa-

32 - Ce n’est pas le cas de la proposition de Malhomme, qui part battu.33 - Sans affectation.

extrait du rapport Malhomme

« Si Dijon et Caen sont d’une échelle trop différente pour qu’Angers puisse jamais s’en approcher, Nancy est d’une dimension plus voisine comme façade et la comparaison devient alors instructive. [En effet, la mairie de Nancy n’a aucune recherche architecturale dans le volume de ses façades qui n’est qu’un rectangle plat.] Ce qui en fait la qualité et le charme, ce sont le soin et la richesse avec lesquelles est traitée la façade. La forme des fenêtres, la variété des matériaux, le soin dans les détails sont les principaux responsables de la qualité de cette mairie. On peut donc se demander si un tel soin appliqué à la façade de la mairie d’Angers ne

conduirait pas à un bâtiment harmonieux. […] Remplacement des fenêtres par les fenêtres de Nancy, suppression du crépi, pose d’une troisième rangée de fenêtres pour le troisième niveau [comme à Nancy]… […] Ce montage n’est qu’un exemple […]. Il appartiendra aux spécialistes de déterminer la meilleure forme des fenêtres, les meilleurs matériaux de façade, etc. Il permet toutefois de donner une vue plus exacte des choses : même au prix d’une telle rénovation, le bâtiment actuel ne sera jamais un bâtiment magnifique et réputé sur le plan national mais il pourra être un monument élégant dans un cadre de fleurs assez représentatif du val d’Angers… »

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131III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

liser sans troubler le fonctionnement de la mairie actuelle.

En octobre 1973, il est impératif de construire rapidement en raison de la pression syndicale. Plutôt que de lancer le débat sur le fonctionne-ment, on lance donc la reconstruction sur place, mais les avis divergent sur l’intérêt du maintien de l’existant. Il est décidé de conserver, au moins dans un premier temps, le bâtiment ancien, que la majorité du conseil municipal trouve très beau. Il s’agit pour nous de proposer une solution de rénovation, mais en ménageant sa destruc-tion éventuelle (car on ne sait pas combien de temps on le garde !). D’ailleurs, le maire n’est pas d’accord avec cette décision : Turc souhaiterait la destruction, et même un autre emplacement mais ne sait pas comment provoquer le conseil. C’est Barreau qui désire le maintien. Chupin, d’abord flottant, choisit de rester sur place pour contrebalancer l’influence de Malhomme dont le but est de faire des bureaux n’importe où, le plus rapidement possible.

Le conservatisme est très fort…

Oui, le conseil municipal n’ose pas faire le pas. L’enchevêtrement est tel qu’ils se prennent depuis dix ans les pieds dans le tapis, sans se décider à l’enlever ou à le tendre. En décembre, les divergences du conseil apparaissent même en public. Tout le monde s’agite, on ne sait pas où l’on va, et le planning prévoit le début de chan-tier en février 1975 : il n’y a pas de programme, mais on sait quand on finit le chantier !

Dès qu’a lieu une commission, les conseillers se penchent sur la disposition dans le bâtiment : pas moyen de les amener au problème global. On exerce un sacré métier ! De l’autre côté, les

BET parisiens râlent parce tous les plannings, de même que les plans, sont faux suite aux change-ments d’avis de la municipalité.

À l’occasion d’une réunion, les chauffeurs m’informent de leur souhait d’une aire de lavage, ne pouvant chercher un haut fonctionnaire avec une voiture sale si le trajet précédent les a menés sur un chantier ! Ils seront parmi les seuls satis-faits parce que la demande se fait en direct. Le programme s’enrichit à l’impromptu !

Fin 1973, le parti définitif est en place : on ins-crit la partie ancienne à l’intérieur de notre sys-tème. L’idée d’une terrasse-jardin avec l’entrée du public en bas est en route. Un plan commence à situer les surfaces entre les différents niveaux du bâtiment. Le 25 février 1974, je suis désigné comme architecte. Ouf ! En avril 1974, on pousse le bouchon un peu plus loin : un nouveau plan-ning court jusqu’en janvier 1977, avec une éva-luation approximative des dépenses. Parmi les variantes, une seule chose les intéresse : l’em-placement du bureau du maire et de la salle du conseil municipal qu’ils veulent aménager tout de suite.

Le parti d’un hall d’accueil commun sera long à faire admettre. Cette idée (malgré l’accord de Bichon) est une bagarre fantastique au niveau des services : Envisager que « le client, c’est le citoyen » leur demande un effort énorme… Ce hall résout 80 % des problèmes de circulation : pas besoin de déranger tous les services, de courir les couloirs, d’encombrer les salles d’at-tente… C’est ainsi que je vends l’idée aux chefs de service : non pas sur le service que je leur rends, mais sur les désagréments que je leur évite ! Ce parti nous conduit à réfléchir à la struc-ture : le rez-de-chaussée doit être très dégagé. L’aménagement définitif (structure suspendue)

n’est pas encore trouvé : les poteaux de la façade se baladent encore, ce qui va être source de problèmes. Le conseil municipal en est encore dans la salle des fêtes du bâtiment ancien avec le maire au centre. En 1974, enfin une orientation semble se maintenir.

Le changement de localisation du maire a-t-il une incidence importante ?

Le maire déplace avec lui un service consé-quent (le directeur de cabinet, le secrétariat du maire, le secrétaire général et tous les adjoints). Les élus peuvent avoir des bureaux ailleurs, mais les adjoints doivent être autour du maire : s’ils sont isolés (ce qui est le cas auparavant), le maire n’est pas au courant de ce qui se passe… Donc on propose que le maire soit au même niveau. De plus, les adjoints ayant un secrétariat commun, il faut qu’ils se rencontrent et rejoignent les réunions de coordination sans passer leur temps dans les couloirs, dossiers sous le bras. Par ailleurs, les adjoints passent désormais à la mairie des journées entières, ce qui change les données34, d’autant que leur nombre augmente.

En juin 1974, se déroule une réunion avec le maire sur le bâtiment ancien et l’affectation des niveaux ainsi que le caractère à donner à la cour d’honneur. Une autre avec les Affaires culturelles concerne la chapelle qui sera remaniée35 : elle n’est plus affectée aux archives, mais devient un lieu de réception. En juin 1974, un dossier est transmis au service d’Urbanisme pour la Décla-ration d’Utilité publique.

En septembre 1974, Malhomme commande le dossier d’exécution de l’aménagement provi-soire du bâtiment ancien (phase préliminaire36) en attendant le jour où ils financeront le réel

34 - Auparavant, les adjoints se partageaient quatre bureaux parce qu’ils venaient des jours différents.

35 - Le directeur régional, Renaudin, sera assez déplorable durant toute l’opération à ce propos.

36 - Rez-de-chaussée et premier étage.

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132 III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

réaménagement du bâtiment ancien puisqu’il a été décidé de construire le bâtiment neuf. Nous étudions ce projet pour rien.

C’est à l’occasion d’une discussion sur le chauffage que le principe de la façade me vient au bout du feutre… L’idée des fûts et de la poutre centrale naît des trames de poteaux impossibles à superposer (parking/hall/bureaux)37.

Que se passe-t-il dans la poutre centrale ?

Le conditionnement d’air n’étant pas réa-lisé38, la poutre (tube creux) est réservée pour la machinerie liée aux ventilations (VMC) et celle des ascenseurs39.

En octobre 1974, Malhomme veut faire approuver par le conseil l’avant-projet géné-ral. Pincemaille note : « Coup de téléphone de Malhomme à 9h30 : «Vous m’apportez le dos-sier d’exécution, je me charge de le faire passer devant le conseil municipal comme une lettre à la poste». 10h30, contre-ordre : «Le dossier ne passe pas, dorénavant je ne suis qu’un interlo-cuteur technique, Monsieur Vié sera le respon-sable élu». ». Cela ne se trouve pas dans une correspondance ! Malhomme s’est sûrement fait dénoncer – il fait passer des dossiers en douce – par les services administratifs, excédés. Relé-gué aux services techniques, Malhomme perd la maîtrise du dossier40.

En tant que conseiller municipal41, Vié suit le dossier avec Bichon (assisté par Besson)42 et joue un rôle très positif : il aiguille Turc, le conseille bien et mène les réunions avec le personnel. Vié a l’avantage d’être architecte43, conseiller munici-

pal et de ne pas être l’architecte de l’opération. Il permet de sortir de cette période trouble.

Les terrassements sont étudiés pour régler le problème de volume et d’absence de liaison entre les deux bâtiments. Devant le bâtiment neuf, situé le long de la rue du Mail, se trouve un défoncé qui en forme l’entrée. Cette configuration nécessite un lien entre le parvis44 et l’entrée de la mairie. Aussi l’idée est d’installer une serre à la rencon-tre de l’ancien et du nouveau : occupant l’espace de transition, elle crée une continuité entre les deux niveaux45. La serre est conçue comme un emblème d’Angers46.

Le 16 novembre 1974, il est convenu avec Vié que le bâtiment neuf sera livré pour les élections de 1977 (la réalisation du bâtiment ancien se ferait après). On envisage de passer les adjoints dans le bâtiment neuf. Le conseil commence à faire le pas vers l’avenir !

En décembre 1974, sur ma proposition, la ville décide d’acheter l’UAP qui a construit un immeuble neuf en zone sud, rue Chevreul. Le problème Richou n’est pas réglé, mais le maire s’en occupe. Pourtant Turc n’ose pas aborder le sujet en sa présence. Comme je le connais, je l’interroge directement lors d’une commis-sion : « Quand est-ce que tu t’en vas ? ». Les élus s’esclaffent. À la sortie, Richou me prend à part : « Tu te moques de moi ? ». Je lui réponds : « Non, tu sais bien que c’est un problème, tu es élu : tu dois avoir le sens de l’intérêt collectif. ». D’ailleurs, le problème perdure : le 14 juin 1975, Olivier Richou lance un recours pour excès de pouvoir, juste après le recours de Boizard contre

l’arrêté préfectoral de démolition de sa maison accolée à la chapelle.

C’est en 1975 que l’on produit le dossier final d’exécution. Après l’organisation du hall commun, on crée le système d’antennes avec les bureaux. C’est le type de problème sur lequel cela avance avec Bichon et Vié47. D’autre part, le maire souhaite développer l’accueil de réunions régionales, d’où la nécessité de grandes surfa-ces. À l’époque48, Turc rêve d’installer le siège de la Région49 à Angers (dans l’abbaye Saint-Nico-las), soutenu par les Manceaux et les Mayennais (les Vendéens étant plus intéressés par Nantes tandis que les Nantais sont évidemment contre).

En février, le conseil municipal approuve le projet et le budget ! Mais, s’apercevant qu’elle n’a pas les moyens, la ville sollicite le ministère de l’Intérieur pour les crédits. En découle un retard considérable : toutes les prévisions tombent. Et cela tombe mal car les élections en 1977 appro-chent. Finalement, la municipalité trouve l’aide de l’État et de la Caisse des Dépôts, mais ce contre-temps financier bloque le projet un moment. On passe notre temps à établir des plannings aussi-tôt périmés parce que les données changent50. Le discours est contradictoire : tandis que finan-cièrement « il faut le minimum », par ailleurs « il faut que ce soit beau, fort ». Nous adaptons encore les plans. La première phase comprend le bâtiment neuf et le sous-sol du bâtiment existant, car on refait à neuf l’escalier central de l’ancienne mairie en reprenant en sous-œuvre tout le bâti-ment, c’est une belle opération d’acrobatie !

Brusquement, l’opération connaît une accélé-ration : en mai, la ville fixe un appel d’offres res-

37 - La structure suspendue sera mise en forme avec le GERIAC, le BET de Paris.38 - Et les employés se plaindront ensuite de la chaleur.39 - Cela évite d’avoir les édicules en haut.40-Ilseraofficiellementévincéle6mars1975quandBichonannoncequeledossierdela

mairie est désormais géré par le secrétaire général.41 - Vié n’est pas encore adjoint.42 - C’est ainsi que se produit la prise de pouvoir de l’équipe Bichon-Besson.43 - Il a démarré à l’agence Mornet.44 - Endroit cérémonieux de l’ancien collège.

45 - Un escalier permet de passer au niveau de l’entrée.46 - Qui est un pôle horticole.47 - Avec l’équipe précédente, personne n’aurait pu traiter ce problème (l’accueil étant :

chaque service son accueil, comme du temps de Napoléon !).48 - C’est la mise en place des régions.49-QuiutiliselaPréfecturedeNantesenattendantd’êtrefixé.50 - Ce problème d’échéances se poursuivra avec la nouvelle municipalité qui remet en

causelaconstruction(pourraisonsfinancières)alorsquelechantierestlargementengagé.

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133III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

treint51 pour cibler des entreprises angevines52. Tout le monde est pressé : on attaque la démoli-tion, très complexe à cause de l’occupation des lieux… Lors des explosions que nécessitent les excavations dans le schiste, on « chatouille » le bâtiment ancien… et Turc s’exaspère. En effet, les meubles tremblent… Cette période est donc difficile. D’autant que les études de sol révèlent l’incompétence des Ponts et Chaussées dans le domaine de la construction. Et malgré le service public, les factures sont salées pour des réserves imprécises ! Les BET sont obligés de reprendre leurs études.

En juillet, aussitôt après l’avis favorable de la CROIA, un conflit avec les Affaires culturelles éclate. Contre l’avis du directeur de l’Architecture (Bacquet), Renaudin53 veut soumettre le projet à la commission de création architecturale et transmet le dossier à Saulnier (inspecteur géné-ral à Paris) sans communiquer l’avis réclamé de Prunet (architecte en chef des MH)… qui s’étonne de tout ce chambard. Ce brouhaha dure quatre mois pour rien : Prunet a donné un avis favorable ! En septembre, le dossier est toujours bloqué à la DRAC. Le 17 octobre, la commis-sion transmet son avis favorable à Renaudin qui hésite à me le communiquer ! Cet avis est assez extraordinaire : « Seule la résille métallique pose un problème […] : le rythme très serré et régu-lier […] donne en effet un caractère monolithique au bâtiment qui contraste avec la modénature de l’hôtel de ville ; cette résille pourrait […] être animée par un jeu de motifs irréguliers et […] être reprise par des bandeaux d’assises qui suppri-meraient l’agressivité des lames de métal vues du niveau du sol. ». L’intérêt de la résille réside dans sa légèreté et sa neutralité et l’avis recom-mande d’ajouter un peu de fioriture… Bref une

broderie sur une jupe plissée ! Notre approche de la façade est incomprise : dans un cadre clas-sique, on a choisi volontairement (pour parer les discordances avec l’ancien) de faire de la façade un rideau. On nous reproche donc de ne pas faire ce qu’on a justement essayé d’éviter (fenêtres et éléments de fantaisie qui auraient établi un rap-port de décor, donc une concurrence avec le fron-ton). Le dossier est donc bloqué quatre mois pour aboutir à une aberration intellectuelle ! J’avertis le maire qu’on ne changera pas le parti !

Les avis ne se passant plus à Paris, mais au niveau des Bâtiments de France, le problème n’est-il pas simplement décentralisé ?

Ces avis sont indispensables et les architec-tes ne demandent pas mieux que des remarques sur l’essentiel, mais qu’ils ne critiquent pas la façon dont on choisit sa cravate par rapport au pantalon ! C’est invraisemblable ! Dans ces affai-res, il faut être tenace !

Enfin en 1975, on restaure la chapelle des Ursules, autre sujet sensible. Les Bâtiments de France (Grémont) acceptent son aménagement en salle de réception : rétablir des éléments dis-parus (masqués par la maison voisine), lui reti-rer un aspect religieux (notamment des vitraux). Marange54 étudie l’éventualité de masquer le retable de style jésuite qui occupe tout le pignon, car il est difficile dans ce cadre de proposer du champagne ! L’idée est de conserver la chapelle pour la restituer quand on veut. On propose donc de tendre un rideau amovible devant le retable pour masquer le décor pour certaines récep-tions.

En décembre 1975, la préfecture donne son accord sur l’avant-projet, à l’étude depuis le mois

d’avril ! Chose étonnante : elle réclame la corres-pondance avec les Affaires culturelles : comme la réserve n’est qu’un avis, on peut passer outre. Le maire signe aussitôt le permis de construire (déposé depuis quatre mois55). Or l’appel d’offres ne sera lancé qu’après accord de la préfecture sur le dossier d’exécution. Heureusement on n’a pas attendu le permis de construire pour prépa-rer le dossier d’exécution (l’administration met tellement de temps à instruire que l’on travaille toujours en porte-à-faux). Mi-décembre, le dos-sier d’appel d’offres est mis au point avec la ville. La municipalité rêve toujours d’une réception de l’Hôtel de ville en 1977 pour les élections (c’est un chantier de deux ans).

La course à obstacles continue en 1976 ?

En janvier 1976, se pose le problème des réserves des pompiers. Comme dans Guignol, les mêmes personnages reviennent. Le comman-dant Gauthier qui a des comptes à régler avec moi depuis la bibliothèque municipale, bloque le dossier en prétextant la non-conformité aux textes. La SOCOTEC affirme le contraire mais manque de courage pour aller au feu : on me dit d’aller voir directement Gautier…

En février, de nouveau le projet est bloqué pour des questions de financement ! Il faut pren-dre des mesures de conservation des terrasse-ments en cours, dans l’attente de la poursuite des travaux. car les terrassements sont faits depuis un an ; les talus commencent à s’effondrer, la terre bouchant les trous pleins d’eau56. Le maire repousse le chantier en octobre 1976. Puis, la ville se décide à lancer l’appel d’offres malgré les flous internes de la mairie57 : après un premier coup de frein, on redémarre. Mais un nouvel

51 - Sans appel de candidatures.52 - Le maire choisira en octobre les entreprises locales pour l’adjudication.53 - Directeur de la DRAC à Nantes.54 - Je connais Marange par Andrault : il est intéressé par l’opération car les architectes

d’intérieur n’ont jamais de contrats avec les collectivités locales.

55 - Ils auraient pu instruire le permis sous réserve de l’avis des Affaires culturelles mais cela ne se fait pas.

56 - Ce qui entraîne des dépenses de bâches de protection.

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134 III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

ennemi se manifeste : le moustique dans les ter-rassements en attente ! Maints problèmes res-surgissent alors, ceux de la chapelle : un nouvel inspecteur général des Monuments historiques58 n’est pas d’accord sur l’aménagement prévu : il faut laisser le retable visible59. Un conflit éclate… Malgré l’intérêt du projet, la chapelle est retirée de l’appel d’offres. L’agence ne s’en est plus jamais occupée…60 Enfin, en juillet a lieu l’ouver-ture des plis61 : on rentre dans l’enveloppe. Dès l’accord de financement, on démarre le chantier (janvier 1977). Si bien qu’à la veille des élections de mars 1977, le premier étage de sous-sol du bâtiment neuf commence à émerger.

Durant la municipalité Turc, les cadres changent énormément, venant de formations variées62, donc avec des habitudes étrangères. Le problème est l’inertie du personnel qui pour-rait se compenser par l’autorité des chefs et le soutien d’une structure politique suffisamment forte pour qu’ils puissent agir. Dans cette affaire, tout le monde a la frousse. Et, phénomène consé-quent, c’est ensuite le personnel qui pousse le projet parce qu’ils en ont assez de s’entendre dire qu’on va les déplacer sans donner suite. D’autre part, l’espace étant de plus en plus serré avec l’arrivée des nouvelles recrues, troublés dans leur tranquillité, ils rêvent de se voir attribuer un bureau moins exigu. Enfin, des jeunes arrivent qui s’étonnent de cette organisation. S’installe donc un climat de revendication : ceux qui ne veulent pas que cela change prennent conscience de cette nécessité. C’est ainsi que se passe une révolution ! Le phénomène s’accompagne d’une évolution des personnes politiques vers plus de dynamisme. Mais, dans un système politique, il n’est pas toujours facile de faire bouger l’admi-nistration. L’histoire de l’Hôtel de ville est intéres-

57 - Les services techniques (Malhomme) et administratifs (Besson) sont à couteau tiré.58 - Chargé des objets.59 - Même si la mairie ne fait rien de la chapelle (le cas échéant, on la ferme).60 - La municipalité y fait désormais des spectacles... Et le retable est présent même s’il n’y

a pas que des chants religieux. (note de l’éditeur.)

61 - Dépouillement de l’appel d’offres.62 - Bichon est administrateur colonial, Malhomme ingénieur des Ponts.

III.2.9 - Hôtel de ville, rénovation, projet d’implantation, plan de masse, février 1975

III.2.8 - Hôtel de ville, rénovation, projet d’implantation, avril 1974

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135III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

sante car elle survole une époque : elle dure vingt ans, toujours au même endroit, toujours autour des mêmes problèmes… Les gens changent, le problème reste ! En réalité, on passe notre temps à franchir de faux obstacles, comme au champ de course.

Le 8 avril 1977, première intervention de la nouvelle municipalité, un nouveau jour se lève.

On apprend que le nouveau maire, Jean Mon-nier envisage d’abandonner le chantier. Aussitôt, je demande un rendez-vous : on a déjà dérangé le quartier avec les explosions pour creuser les parkings, etc. et c’est un projet qui devait être fini pour les élections de 1977 ! Quand le maire me réponds : « On arrête la mairie ! », je l’interroge : « On arrête le chantier ?» - «Non, on arrête la mairie ». Je l’avertis que l’on ne peut pas arrêter un chantier sans document officiel : la mairie a des engagements, les entreprises vont deman-der des indemnités et attaquer au tribunal admi-nistratif, puis cela passera en Conseil d’État. On peut éventuellement apporter des modifications, mais à ce stade, l’arrêt n’est pas jouable : « Je dois connaître la décision dans les huit jours parce que les entreprises, ce sont des ouvriers, des responsabilités, des charges à payer, des commandes à annuler, etc. ». Deux jours après, Monnier me téléphone : « Je crée une commis-sion, mais n’ayant pas le temps de m’en occu-per, Robin la présidera. Tu leur expliqueras les problèmes ». Je réunis toute l’équipe d’adjoints pour les mettre au courant du projet. Finalement, après de nombreuses discussions, on revient à la case départ : Robin pense que cette décision ne concerne que le maire… Un soir après dîner, je rencontre donc Monnier qui prend la mesure du problème. Malgré les ordres aux entrepreneurs contradictoires (« Vous arrêtez tout » et « Vous

continuez »), le maire ne veut pas trancher : « il me faut du temps pour réfléchir mais on n’arrête pas le chantier ». On obtiendra la confirmation officielle au bout de six mois.

Y a-t-il six mois d’arrêt de chantier ?Non, on continue le chantier mais au ralenti.

Je conseille à Monnier d’amener le chantier au moins à la plate-forme du premier étage. De l’autre côté, je préviens les entreprises, qui ont déjà entendu un bruit courir, de ne pas foncer.

Heureusement il n’y a qu’un corps d’état (les maçons). On se démène pour que toutes les par-ties qui mettent en danger le bâtiment existant soient traitées en priorité : même si le projet est arrêté, il faudra bien faire ces travaux.

L’année 1977 était théoriquement la période où le chantier bat tout son plein… Malgré les travaux au ralenti et les rentrées d’honoraires inexistantes, Fournier, mon responsable de chantier poursuit ses rendez-vous pour entendre les entrepreneurs pleurer sur les commandes de

III.2.10 - Hôtel de ville, maquette d’étude, 1974. A l’emplacement de l’actuelle salle de conseil municipal,la serre initialement prévue.

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III.2.11 - Hôtel de ville, rénovation, avant projet, parvis, février 1975

III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

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III.2.12 - Hôtel de ville, rénovation, avant projet, hall, février 1975

III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

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138 III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

matériel. On sait qu’il y aura des changements, vraisemblablement draconiens, mais pas les-quels et personne ne se préoccupe de cela. En 1977, on ne voit aucun chef de service et quand on écrit… jamais de réponse. Apparaît ensuite Gousset (cabinet Corneillet de Rennes), nouvel-lement introduit par Monnier. Je n’ai pour l’ins-tant parlé que des partenaires avant l’élection de 1977. Voici les acteurs de 1977 à 1982 autour de Jean Monnier : Roussel (architecte municipal) débarque au cours de cette opération (1978) ; Bichon continue sa fonction de secrétaire général presque un an parce que Monnier ne trouve pas de remplaçant63. Bichon est l’intermédiaire, celui qui pose les questions64 ; Jean-Claude Denis lui

succédera ; Corneillet (BET de Rennes) est le coordonnateur des travaux commencés sans lui.

Quelles sont les orientations nouvelles déci-dées par la nouvelle municipalité ?

Au bout de six mois, Monnier annonce que le projet continue mais que la municipalité va réétu-dier l’organisation des services. Cela doit être le neuvième programme depuis le début ! On tra-vaille sur la conséquence du transfert du maire dans le bâtiment neuf comme directeur général des services. Je fais des propositions qui permet-tent d’implanter le maire au dernier étage. Bref, on redessine tous les plans… On déplace le sys-

tème de chaufferie, on installe un ascenseur relié directement au garage, on change la position des adjoints, on ramène en façade la passerelle, on perce le plancher tout neuf en béton suspendu pour passer la nouvelle cage d’ascenseur. La serre est remaniée et l’affectation du bâtiment ancien complètement revue. C’est une sacrée opération ! Le maire décide d’enchaîner la réali-sation du bâtiment ancien, dont on prépare l’adju-dication avec des plans d’aménagement intérieur complètement renouvelés. En novembre 1977, l’architecte confirme la difficulté de conduire les travaux et de respecter les délais.

On étudie l’aménagement du bureau du maire qui veut un grand bureau. Je lui soumets l’idée des trois bureaux contigus et mets un certain temps à lui en faire comprendre l’intérêt de plu-sieurs lieux : « d’abord un lieu de travail afin de rassembler une équipe autour de toi avec des dossiers à étaler… Puis arrive un rendez-vous, tu ne vas pas recevoir au milieu des dossiers ouverts, donc il faut un endroit pour les visites, pour parler sans dossier. Enfin il y a besoin de lieux de réunion parce que tu ne peux convoquer plus de huit personnes autour de ton bureau». On réalisera donc un petit cabinet de réception entre le bureau dans lequel le maire laisse ses encours65 et la salle de réunion. Une grande porte coulissante permet de faire la communi-cation entre le cabinet et la salle de réunion et d’ouvrir entièrement si besoin. Mon expérience va dans ce sens de l’occupation de l’espace : suivant les tâches, on a besoin d’une certaine ambiance. Fonctionnant sans bureau, quand je dois dessiner, je m’installe sur une planche libre. Pour rédiger un rapport, je vais dans une salle de réunion. Tous les papiers importants sont dans le secrétariat. Pour le patron, il n’est pas désa-

63 - Il est ensuite rapidement nommé au District.64 - Parfois, c’est moi qui informe Bichon des idées du maire (il m’en dit plus qu’à ses

collaborateurs).65 - N’y entre que le personnel de mairie.

III.2.13 - Hôtel de ville, terrassements pour la construction de l’extension, avril 1975

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139III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

gréable de se déplacer au milieu de son outil de travail… Le bureau du maire occupant toute la façade du dernier étage, on réouvre tout le pignon puisqu’il devait être entièrement couvert par la résille. Les résilles, déjà montées, seront coupées en dessous du vitrage du maire.

Dans le bâtiment ancien, il y a là aussi des modifications, faites en vitesse suite aux discus-sions avec le maire. Dans le projet Turc, il y avait une certaine homogénéité. La salle de conseil occupait la totalité du bâtiment ancien et on entrait dans le hall du public par la serre, élément qui permet d’accrocher le bâtiment neuf. C’est pour-quoi, lorsque Monnier cherche un endroit pour la salle de conseil – il ne souhaite plus la mettre dans le bâtiment ancien, jugé trop solennel, mais au niveau du public -, je propose de l’installer à la place de la serre, qui est dans le lot adjugé du bâtiment neuf… Donc ce transfert nécessite une modification en urgence des plans du bâtiment en cours66 et de reprendre les fondations pour

installer cette salle, élément complètement diffé-rent et beaucoup plus compliqué67. En fait il faut reprendre tous les marchés signés.

En janvier 1978, le maire évoque pour la première fois, officiellement, le redémarrage du chantier. Le chantier fonctionne, mais il avoue bien qu’il fonctionne d’une manière anormale. En février, la ville nous demande ce qu’il faut prévoir au budget de l’année 1979 pour le chantier, opé-ration délicate puisqu’on ne sait pas quels chan-gements Monnier veut engager ni à quel moment les décisions seront prises ! La ville trouve tout trop cher, et pourtant souhaite : « dépenser plus en 1978 que ce que nous avons prévu bien que voulant ralentir les engagements financiers sur l’hôtel de ville » !68 Le maire veut réaliser le plus vite possible le bâtiment en cours de construc-tion. En revanche sur la mairie ancienne, Mon-nier affiche quelque temps la décision de faire le minimum. Bref, on ne progresse pas. Puis, il veut avancer en raison des plaintes du personnel69 : il

veut sans doute montrer, après avoir tout freiné, son efficacité. La ville confirme aux Affaires culturelles sa décision concernant la chapelle : elle remet en état l’extérieur mais ne touche rien à l’intérieur70. En septembre, une réunion de tra-vail relative aux nouvelles intentions de la ville amorce la réflexion sur les transformations. Cela fait un an qu’ils sont élus…

Et déjà presque deux ans de chantier…

Le 13 décembre 1978, l’anniversaire de l’ouverture du chantier est l’occasion d’une réu-nion pour éclaircir les rôles respectifs de chacun, et particulièrement de la ville. Fournier71 élabore un questionnaire en ce sens, rappelant au maire que les ouvriers sur le chantier se plaignent des conditions de travail. Le 28, le maire répond aux questions, très directes, du questionnaire, qui reflète deux ans de colères rentrées... La munici-palité souhaite que les travaux soient entièrement

66 - C’est pour cette raison qu’il n’apparaît que comme un aménagement au projet déjà adjugé.

67 - Ayant peu de structure, une serre est légère.68 - La mairie change notamment le modèle du central téléphonique déjà adjugé, revenant

sur une proposition jugée trop onéreuse par la municipalité Turc !

69 - De vrais problèmes de place commencent en effet à apparaître partout.70 - Suite aux discussions avec Prunet depuis un an, compte tenu de la bagarre avec

l’inspection des services centraux.

III.2.14 - Hôtel de ville, rénovation, avant projet, coupe sur les parkings, le bâtiment ancien et l’extension, février 1975

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140 III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

redéfinis avant la fin de l’année 1978 – Joyeux Noël ! – et reprendre le chantier en janvier sur la base d’avenants approuvés par le premier conseil municipal de 1979. Ceci est transmis le 28 décembre ! La reprise d’un tel dossier repré-sente au moins deux mois de travail, sans comp-ter les délais administratifs72 ! Ce planning est de l’inconscience totale. La salle de conseil munici-pal nécessite notamment un dépôt modificatif au permis de construire, ce qui oblige à prendre une décision ferme…

Pendant ce temps, on construit le bâtiment neuf, mais, pour faire des économies sur l’amé-nagement intérieur, la nouvelle municipalité commence à remettre en cause la définition des prestations : les choix de matériaux, les modèles de portes, les faux plafonds73, etc., alors que les portes sont dessinées en fonction d’un certain nombre de critères74, leurs forme et dimension sont accordées à la trame des plafonds et des revêtements scellés. Ce sont des choses imper-ceptibles, mais qui font le caractère du projet75 (tout marche sur une même trame)…

Qui fait toute l’architecture d’intérieur ?

Marange s’occupe de toute la conception, qui réclame des quantités de plans de détails et de mises au point76. Ainsi ils remettent en cause toute l’architecture d’intérieur. Or une partie des matériaux est déjà approvisionnée, il faut donc freiner les aménagements. Et nous continuons de nous faire maudire par les entreprises qui, mobilisées, commencent à s’inquiéter : leurs commandes sont prévues dans les plannings en

atelier… Le dossier d’adjudication est prêt depuis 1975… On est fin 1978, le chantier est en retard alors qu’il devait être rapide, retard qui suppose une révision de tous les prix à une époque où il y a 15 % d’inflation ! Et les problèmes financiers ne feront que s’aggraver ensuite : imbrication entre un bâtiment ancien et un bâtiment existant, adap-tations, avec parfois des dépenses qui s’avère-ront idiotes parce qu’on réalise un revêtement pour un mur qui à terme disparaîtra, etc.

En janvier 1979, la reprise des travaux doit se faire à un rythme soutenu. Le cabinet Cor-neillet est introduit dans l’affaire, sans que l’on en soit prévenus, pour accélérer les choses. Je n’ai jamais compris la nature des liens entre Monnier et Corneillet dont il se sépare ensuite (gardant seulement Gousset). Après de nou-veaux bilans estimatifs, la rénovation du bâtiment ancien revient dans les discussions. Jusqu’ici, on considérait qu’il ne se ferait jamais, se ferait au

minimum ou bien se ferait beaucoup plus tard. La reprise des études sur le projet du bâtiment ancien s’étale de 1979 à 1980 : on réadapte tous les marchés de la première tranche (datant de 1975) aux nouvelles options… Face à ces plans modifiés et aux marchés déjà signés, le Receveur répond que ce n’est pas prévu, donc il refuse de payer les entreprises ! Il faut une délibération du conseil municipal pour les travaux supplémentai-res. Or le maire n’a pas encore parlé du chantier au conseil municipal… Vive la transparence ! Les marchés des entreprises refondus sont soumis à la municipalité en novembre 1979. Sur l’avis de Bichon (secrétaire général), on procède à un appel d’offres restreint77 non lié au marché ini-tial, mais en réalité les deux chantiers se mélan-geront : des éléments sont communs aux deux bâtiments78, avec une imbrication importante des lots techniques79.

71 - Mon collaborateur ingénieur chargé du chantier.72 - Inscription du dossier au conseil municipal, etc.73 - Tout l’aménagement est basé sur un système démontable de faux plafonds métalliques

incorporant l’éclairage et les réseaux de connexion (au lieu de passer en sol).74 - On en met de solides parce que dans les bureaux, on claque les portes !75 - J’attache beaucoup d’importance aux portes : c’est un élément de la maison dont on a

complètement abandonné la tradition. Et c’est souvent ce qu’il y a de plus minable.

76 - La table du conseil (étant dessinée) change plusieurs fois, même pendant le chantier… Puisque, brusquement la ville se voit affecter, compte tenu de l’augmentation de population, des postes supplémentaires : il y aura 40 conseillers municipaux et 9 adjoints. La salle du conseil municipal n’est donc plus adaptée. On refait de nouveau les plans : on élargit le système circulaire (en supprimant des places périphériques réservées au personnel).

III.2.15 - Hôtel de ville, chantier de l’extension, dernier niveau, vue des consoles, 1978

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141III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

Fin 1979, une étude est réalisée sur le coût au mètre carré de l’aménagement du bâtiment ancien sur la base de trois niveaux de pres-tations. La rénovation du bâtiment ancien est urgente. On est obligé de refaire les planchers anciens qui s’effondrent, c’est donc un aménage-ment lourd. Le bâtiment neuf offrant une qualité de prestations certaine, à laquelle le maire n’est pas insensible, il se rend bien compte que l’on ne peut limiter la rénovation du bâtiment ancien aux peintures des portes. Monnier commence à avoir l’orgueil de sa mairie (par opposition à celle de Turc) : il a complètement basculé dans ses opinions.

Parmi les trois propositions, laquelle choi-sit il ?

Monnier hésite beaucoup. Mi-décembre 1979, le maire n’est pas décidé : il veut encore faire le minimum (garder les sols et les plafonds). Puis il choisit la solution intermédiaire (mais on introduit des prestations supérieures pour certai-nes parties).

En mars 1980, le maire s’inquiète de notre apparente absence d’activité sur la rénovation. Alors que nous sommes en train de dessiner tous les relevés de détails du bâtiment ancien, ce qui implique adresse et acrobatie.

Dans la mouvance de l’écrémage du person-nel municipal le maire veut maintenant éliminer mes bureaux d’études – qui travaillent depuis 5 ou 6 ans ! – et les remplacer par Gousset. Mon-nier veut imposer le cabinet Corneillet partout et laisse entendre que je peux me défaire de mes sous-traitants (dont Marange). Je dis que j’ai des contrats avec ces prestataires qui n’ont absolument pas démérité et ont eu comme moi

à supporter les aléas d’un changement qu’ils ne pouvaient pas prévoir. Rien ne justifie leur départ, de plus le cabinet Corneillet n’est pas qualifié en architecture d’intérieur… Gousset, que je connais vaguement80, est maçon de formation : pour lui, le détail, c’est du superflu (des conneries d’ar-tistes !). Alors faire le bâtiment ancien avec cet ingénieur très limité, honni des entreprises ? Ce choix est inadapté à ce type de chantier ! Tra-vailler avec un type qui n’est pas artisan81 dans un tel bâtiment, c’est contre-nature. Gousset est bien mais pour faire 50 logements HLM avec un délai et des procédés standards. C’est tout.

C’est la période où l’on crée les lois sur l’archi-tecture. Marange, en tant que président du Syn-dicat national des Architectes d’intérieur, négocie la position de cette profession au niveau des Affaires culturelles. Des arrangements sont trou-vés pour donner une qualification aux architectes d’intérieur car ils n’ont pas de diplômes propres82. La ville bénéficie largement de ces conditions particulières parce que Marange travaille énor-mément, et à un taux d’honoraires très bas.

J’entreprends alors une réflexion approfondie sur les honoraires : Corneillet, qui arrive après la bagarre, va toucher 1,3 % en plus de nos 6 % (agence Mornet + BET) alors que tout est fini - et le travail à l’amont du projet a été considéra-ble ! - tandis que Marrange, qui fait tous les plans d’exécution, n’a que 2 %. L’agence est engagée depuis 1962 soit 18 ans, avec remaniements de programmes et des plans, risques très impor-tants, surtout sur un projet difficile. Bilan de cette opération en 1982 : la mairie m’a coûté 22 mil-lions d’anciens francs dont j’ai fait un cadeau à la ville. Un chantier comme celui-ci se traiterait à combien aujourd’hui ?

À 12 ou 13 %.

On touche la moitié à l’époque.

Dans la plupart des opérations évoquées, cette dimension financière est mise en avant. Y a-t-il un moment où l’agence n’est pas loin de la faillite ?

Oui. J’ai fait des années déficitaires. J’ai gagné ma vie, pas plus. J’ai ma retraite point final. Et j’ai bossé pourtant ! Enfin cela m’est égal : j’ai fait des choses intéressantes, c’est un bilan auquel je tiens davantage.

Nos honoraires à 6 % comprennent toute l’in-génierie, etc. De plus, les difficultés techniques ne sont pas négligeables : il faut amener une grue, monter la structure pendue, et les conso-les métalliques, c’est quelque chose ! On amène un engin de Nantes parce qu’il n’y en a pas à Angers. Le chantier de la mairie commence à l’envers puisqu’il commence par le toit (illustra-tion III.2.15).

Où sont fabriquées les consoles ?

C’est Jarry, entreprise locale, qui les fabrique. Ce n’est pas très complexe, le problème est de trouver des tôles de cette épaisseur, de même qu’au niveau de la structure, il est difficile de trou-ver des tirants83 en aciers spéciaux parce que les entreprises n’en ont pas en stock. On met six mois à les trouver : il n’y a qu’une usine qui les fabrique en Allemagne.

Est-ce que ce sont des technologies des Ponts et Chaussées ?

77 - Théoriquement interdit par le code des marchés sauf raisons exceptionnelles, mais on trouve toujours des raisons exceptionnelles.

78 - Au niveau du sous-sol.79 - Les centrales techniques étant dans le bâtiment neuf.80 - Je l’ai eu après sur le chantier du lycée David d’Angers.81 - D’autant qu’il est impossible de prévoir le temps qu’il faudra pour refaire l’encadrement

sculpté en staff de telle porte, un vrai travail de sculpteur…82 - Ils sortent des Arts Déco pour la plupart, certains sont des architectes, d’autres pas. Ils

sont donc confrontés aux mêmes problèmes que les maîtres d’œuvre, mal vus par la profession.

83 - Petits H en acier à haute résistance qui font 7 sur 7, qui tiennent totalement à l’arrachement, c’est l’équivalent de câbles.

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142 III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

Oui et non. C’est de la structure. Disons que la démarche84 n’est pas habituelle. Ce qui est com-plexe à Angers c’est que le bâtiment est long : s’il y a le problème du pont entre la console suspen-due et le fût qui assure la descente des charges dans les noyaux jusqu’au sol, le rez-de-chaussée est complètement indépendant par rapport à la structure du haut.

En janvier 1980, la visite du bâtiment ancien révèle que l’état n’est pas inquiétant mais les sols et toutes les menuiseries sont à refaire et la sous-structure à contrôler. Le mauvais état de la mairie est de façade (sauf les planchers85), donc c’est un bâtiment vieux mais pas vétuste.

Le 12 mars 1980, les travaux du bâtiment neuf sont réceptionnés. Le déménagement (fin avril) permet de vider le bâtiment ancien et d’envisager l’enchaînement du chantier puisque la salle du conseil est construite dans le même temps. Cou-rant avril, avec le maire, on parle offices, cuisi-nes, débarras, de ne pas trop abîmer l’existant… Alors que les discussions se résument d’habi-tude à l’utilitaire, tout est aménagé dans le détail : Monnier installe son intérieur qu’il faut mettre au point pour le conseil municipal du 28 avril !

En mai, le maire voudrait relever le niveau du parvis dont la réalisation est déjà amorcée86 et hésite sur l’escalier qui fait communiquer le par-king avec la mairie, ce qui oblige à reprendre en sous-œuvre. Du parking, le visiteur était aupara-vant obligé d’aller à l’extérieur pour entrer dans le bâtiment ancien. Un petit escalier à la limite de la salle de conseil permet donc de passer du parvis au niveau bas sans être obligé de faire le tour.

Il donne dans le bâtiment ancien ?

Non, il est dans la partie neuve, à la limite du bâtiment ancien, près de la salle d’exposition. Le jour de l’inauguration, une pluie terrible s’abat sur l’Hôtel de ville. Heureusement cet escalier existe, sinon tous les officiels étaient obligés de passer sous l’averse. Et le maire n’était pas tellement d’accord avec la réalisation de cet escalier…

Il critique également les mâts d’éclairage pour des raisons esthétiques. Pour éclairer cette cour, il faut bien planter un mât quelque part… On ne peut accrocher d’énormes projecteurs à la cor-niche renovée, ni au bâtiment neuf (trop loin), encore moins utiliser l’hôtel Chemellier comme support de projecteurs… Il n’y a donc pas telle-ment d’autres solutions.

De même, le maire craint la fragilité du modèle de rideau choisi pour la salle du conseil (le bunker est très vitré à 50 %), refusant tout ce que l’on propose (rideaux à l’italienne).

Le maire veut aussi absolument caser de la basaltine87 sur le parking. Mais nous avons choisi un revêtement italien de qualité qui sert à la fois aux murs verticaux sur le boulevard et à une bonne partie du dallage88. Bref, il y a toute une histoire : on finit par mettre notre ferrogranit parce que le matériau est déjà arrivé sur palette… Avec Monnier, il faut imposer ses idées avec fermeté et constance.

La modernité de l’extension de la mairie n’est jamais remise en cause par Jean Monnier ?

De toute façon, il est trop tard ! Je dis au maire : on peut tout arrêter mais le système tel qu’il est conçu n’a pas d’adaptations possibles (les fondations sont prévues pour la base des fûts). La marge de manœuvre est nulle. Et en cas d’arrêt, on intentait un procès à la mairie. C’est un mauvais démarrage pour un maire…

En fait, Jean Monnier a bien joué au plan politique : héritant de l’affaire de Jean Turc, dont le chantier est démarré avant les élec-tions, en prenant deux ans pour tempérer et revenir avec des articles titrant « le maire relance l’opération ! », la mairie devient son projet.

Il manœuvre. Au départ, il pense ne pas la faire prétextant des économies (pas de dépense pour une mairie somptuaire89). En fait, ce n’est pas le problème car il n’a pas d’alternative. C’est plus un heureux concours de circonstances qu’un calcul de sa part. Il a tellement de problèmes à résoudre par ailleurs (définir une politique finan-cière, faire le budget de sa première année)…

En juin, le maire est d’accord sur le budget pour le bâtiment ancien. Il faut fournir pour le conseil municipal du 4 juillet le dossier d’exécu-tion. L’inauguration est prévue pour septembre 1982.

A quelle époque démarre la rénovation du bâtiment ancien ?

Juillet 1980 : livraison de la salle du conseil. Dès lors, la ville peut complètement abandonner le bâtiment ancien. C’est le début des travaux. Il ne se passe pas tellement d’événements, si ce n’est qu’en 1981, le nouveau directeur des Ser-vices techniques, remet en cause le système de chauffage qui vient d’être installé. Tout le monde s’emballe, mais après réception du devis, son projet tombe aux oubliettes.

Tel Louis xiv, le maire règne sur le chantier : il passe souvent pour donner des ordres. Mais alerté dans la demi-heure, je rétablis les choses

84 - Mairie suspendue.85 - Qui ont été utilisés abusivement avec des archives. Mon père avait déjà remis après

guerre des tirants métalliques dans la charpente pour supporter le tout.86 - Puisque la salle de conseil est en cours de construction.87 - Les pavés que l’on met sur les boulevards qu’utilisent tout le temps les services de la

Voirie.

88 - L’avantage de cette technique est que le ferrogranit s’applique sur place : ce sont des grains de marbre avec un mortier spécial, et les ouvriers coulent en place les joints. Elle permet aussi des raccords de dalles.

89 - Ce qui lui permet de présenter ses adversaires comme des grands bourgeois ne s’occupant pas du petit peuple.

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143III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

avec les entreprises : « Vous avez un marché, vous serez payé sur votre marché. Tout ce qui est hors marché ne sera pas payé90. Si vous voulez le faire pour faire plaisir au maire, cela ne passera pas dans les situations que j’établis. Et le Receveur municipal veille ». J’ai d’ailleurs quel-ques explications avec Monnier : « Tu n’es pas responsable91, mais moi je le suis : j’ai une assu-rance qui me coûte assez cher ! Par conséquent, je ne veux pas que l’on m’impute les décisions que tu prends parce que si c’est une décision de chantier, on dira : «c’est la faute de l’archi-tecte». Mon devoir est de refuser tes décisions étant donné que tu es non assuré, même si tu es maire ». Ce qu’il n’apprécie guère…

Jean Monnier vient dès son élection aux réu-nions de chantier ?

Non, on le voit peu sur le bâtiment neuf. Cette phase correspond surtout au chantier du bâti-ment ancien. Monnier est ébéniste de formation : tant qu’on n’est pas aux finitions, ce n’est pas son champ de vision.

Fin août 1981, une délibération du conseil municipal a pour objet l’inextricable complexité des tranches : mélanges de bâtiments, des entreprises, des travaux prévus non exécutés (reportés sur la seconde tranche) ou non prévus et exécutés (par anticipation), sans compter les délais de garanties92… Or tous ces éléments appartiennent au marché d’une autre tranche. Mais on ne peut pas effectuer de transfert entre les marchés car ce sont deux process adminis-tratifs différents. De plus, lorsqu’une entreprise finit hors délai, on applique des indemnités de

retard. Or, face à un planning bouleversé, qu’est-ce que le hors délai ? Enfin, l’entreprise a une responsabilité décennale quand les bâtiments sont livrés. Mais à partir de quelle date court-elle dans le cas où elle livre des ouvrages non finis puisqu’ils seront finalisés dans une tranche suivante (éventuellement par une autre entre-prise !) ? Pire qu’un numéro de contorsion, c’est un labyrinthe ! On conserve les marchés initiaux parce que les entreprises n’ont pas terminé leur travail, et en fait on fait des modifications dans des travaux supplémentaires qui n’appartiennent pas aux marchés initiaux. Dans ce système, le receveur fonctionne tout freins serrés…

Le chantier du bâtiment ancien se déroule sur un an avec une réception en début 1982. En septembre 1982, a lieu l’inauguration en fanfare : c’est la mairie de Monnier (Turc et Chupin ne sont même pas présents à la cérémonie). Et pourtant sans eux !!!

Quelle conclusion apportes-tu sur cette période qui à fait suite à l’alternance muni-cipale ?

La période Monnier de l’Hôtel de ville est relativement réduite. Elle se passe de manière complètement différente par rapport à la pre-mière phase puisqu’il n’y a pas d’administration : les chefs de services ne savent pas très bien ce qu’ils doivent faire compte tenu de la réputa-tion autoritaire du maire. Il n’y a pas de conseil municipal, pas de bureau des adjoints, il y a Jean Monnier. L’histoire de l’opération décrit bien le tournant dans le fonctionnement et l’état d’es-prit de la mairie à partir de l’arrivée de Monnier.

Toutes les tensions se cristallisent sur l’Hôtel de ville en cours de construction, dans des condi-tions désagréables pour tous. De nouvelles can-didatures au partage des pouvoirs font émerger certaines personnalités de leur sommeil dans une atmosphère de jalousie vis-à-vis de l’agence car le personnel de la mairie se figure qu’on s’en met plein les poches. On nous doit en effet une somme fantastique parce que l’on finance par des découverts conséquents.

Après son élection, j’ai un entretien avec Monnier au sujet des diverses opérations en cours93. On parle aussi des problèmes annexes (que compte-t-il faire de l’AURA ?) mais aussi du Comité d’expansion, dont il est vice-président et moi membre du bureau. Je précise dans mes questions que j’ai besoin de connaître la position de la municipalité et du maire à mon endroit. J’ai besoin d’avoir un interlocuteur clair à la munici-palité. On perd notre temps dans des réunions sans décideur, où tout est remis en cause le lendemain, voire deux mois après. J’ai besoin de pouvoir me défendre si l’on veut m’attaquer - je ne me fais pas d’illusions ! Notant l’absence de com-munication, je confirme également mon besoin d’une visibilité sur cinq ans étant donné que nos affaires sortent à des échéances extrêmement longues, parce que j’ai une entreprise avec du personnel très qualifié, sinon c’est la faillite. Tous ces éléments donnent un aperçu du climat.

Le principal sujet de désaccord avec la mairie est le problème des honoraires, à 6 %, que l’on partage avec les BET (entre 2 et 3 % sur leur lot) et l’architecte d’intérieur94. On abandonne donc sur certains lots 50 % de nos honoraires. Au bout du compte, l’agence travaille à 3,5 ou 4 %

90 - C’est moi qui signe les situations.91 - Les maires ne sont pas responsables du chantier, surtout à l’époque.92 - Car lors du contrôle par le receveur, de nombreux travaux effectués ne correspondent

pas au devis puisqu’il y a des changements imprévus.93 - Le centre culturel engagé avec Andrault (qu’il abandonnera), l’hôtel de ville (bâtiment

ancien), la ZAC du Centre-Ouest, le lycée David d’Angers.

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144 III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

sur une affaire qui dure 20 ans, avec des aléas invraisemblables ! Dans ce dossier tango, un pas en avant, deux pas en arrière ! Le problème déjà évoqué en juin 1978, est qu’on freine le chan-tier, alors que le marché est traité, en attendant que la nouvelle municipalité se mette en place. Suite aux modifications, je demande donc d’être payé sur un forfait. Mais Monnier ne semble prêt à payer que 20 millions de francs sur les

25 demandés sous le prétexte du transfert sur le bâtiment neuf ! À l’époque, Monnier a des dif-ficultés avec son conseil municipal, qui ne nous est pas favorable. Le maire lui-même s’affiche, contre la construction de l’Hôtel de ville, bien qu’il en appréhende la nécessité. Quand les services s’aperçoivent que le maire continue l’opération, des tensions ressurgissent. Malgré des discus-sions raides avec le maire, on finit par trouver

des solutions d’avenants au contrat et cela s’ar-range en 1979.

Cela dit, les termes de Jean Monnier restent courtois...

Mais j’ai toujours eu avec Jean Monnier des relations personnelles amicales, ce qui m’a permis de lui dire un certain nombre de choses… Monnier est un peu comme moi : quand il a quel-que chose à dire, il le dit. En Anjou, c’est rare.

Malgré tout cela, on n’est toujours pas payé. J’établis d’ailleurs un bilan de l’agence qui fluctue (de 39 personnes en 1972 à 27 en 1974, 11 en 1978, 16 en 1980). La crise pétrolière est notam-ment un coup de frein terrible à l’activité. Vient ensuite la période préélectorale95 : je perds 4 mil-liards de travaux quasiment deux mois après l’arrivée de Monnier. Donc j’explique au maire le bilan comptable, qui n’est pas brillant, étant donnés les règlements non effectués. Beau-coup de jeunes architectes s’étonnent de ne pas avoir de grosses affaires, j’aime mieux leur dire qu’il faut être “blindé” pour exercer ce métier, ne serait-ce que pour avoir la couverture bancaire nécessaire ! Il faut avoir une certaine assiette vis-à-vis des gens, un carnet de commandes… Il n’y a pas de miracle.

L’agence a essuyé de nombreuses criti-ques : idées farfelues, travaux supplémentaires, retard… On coûte trop cher, on a toujours raison, on ne sait pas construire et on pose trop de pro-blèmes… Pour le moral de mes troupes, cela frise la diffamation ! Je réponds qu’en réalité on n’est pas cher, on est trop bon, car lorsque les élus demandent quelque chose, on finit par le leur donner : « Nos produits ne sont pas au-delà des coûts négociés. Nous ne sommes pas parfaits,

94 - Avec des taux de reversement variables selon l’activité.95 - Les années précédant les élections municipales, on embauche du personnel pour

satisfaire les demandes d’études, mais c’est aussi l’époque du budget disponible malgré la certitude récurrente d’un décalage considérable entre les promesses électoralesetlespossibilitésréelles.Àcephénomènequiinfluesuruneagencecomme la notre qui vit beaucoup avec la ville, il faut ajouter quelques échéances

intermédiaires, telles les élections des conseillers généraux ou députés qui sont aussi des situations conjoncturelles qui jouent un rôle parce que ce sont des occasions de promesses mais aussi de rivalité entre candidats.

III.2.16 - Hôtel de ville, vue aérienne du chantier de la salle du conseil municipal, 1979

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145III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

comme nos partenaires. Nous n’avons pas plus de problèmes que les autres architectes, plutôt moins même… Nous ne pouvons pas résoudre les contradictions ou faiblesses de nos donneurs d’ordre : il est normal qu’à travers nos produits, ces problèmes réapparaissent. Car nous tradui-sons la pensée ou l’absence de pensée des gens qui nous commandent un travail ».

J’explique au maire ce que j’ai avancé à la ville sur le plan financier depuis dix ans : « J’ai fait beaucoup d’opérations déficitaires, beau-coup d’opérations abandonnées, beaucoup de travaux de conseil gratuit, beaucoup d’opérations assumées pendant plusieurs années et reprises par les services municipaux, des maquettes gra-tuites, des réunions pléthoriques, les documents pour les réunions non payés… Depuis 1977, pas de retard de paiement grave, mais un blocage des 23 millions de l’Hôtel de ville, ce qui est anor-mal96. Je ne peux plus financer autre chose que mon temps de travail et encore ». C’est la conclu-sion de ma plaidoirie.

Cette histoire d’honoraires traîne encore de 1980 à 1993 (cf. lettres 1 et 2), et ne reste pas complètement réglée à la fin, même après ma retraite97.

On finit bien sûr par être payé, mais on se bagarre pendant trois ans pour des histoires de quatre sous dans une affaire où l’on a été les banquiers. C’est pour cette raison que je dis que la mairie nous a coûté deux millions de l’époque. On a un double métier : on n’est pas uniquement avec un stylo feutre et un bout de calque… J’ai une agence que l’on peut critiquer mais elle est organisée. J’ai des ingénieurs, cela coûte cher. J’ai six ou sept architectes à l’agence et ce ne sont pas des “gratte-papier”. Il est vrai que l’agence n’a jamais eu un franc d’avance. J’ai

toujours tiré mon revenu du découvert bancaire, j’ai toujours été banquier. Dans cette opération, on vit sur l’affaire précédente…

… et sur la suivante.

Comme un industriel qui réinvestit 90 % de son bénéfice : nous n’achetons pas de machi-

96 - La Trésorerie bloque la Caisse nationale des Marchés de l’État : dès que l’on a un contrat, on le dépose à la CNME qui nous avance de l’argent (jusqu’à 30 % du contrat) mais elle nous fait payer des agios (30 000 francs par an sur la mairie), sur des bâtiments déjà réalisés ! Tout cela, c’est en dessous de nos honoraires…

97 - Je passe un an et demi à récupérer des honoraires (80 briques anciennes) dont 80% concernent des collectivités locales ou la ville d’Angers.

Lettre (1) de P. Mornet, 24 septembre 1980

« Mon cher maire,

Monsieur Besson vient de téléphoner à ma secrétaire que le Receveur […] refusait de nous régler les honoraires d’études sur les travaux ayant fait l’objet d’avenants tant que la totalité du chantier n’est pas terminée… [Comme les décisions ne sont pas encore prises sur le bâtiment ancien, cela risque de durer encore longtemps. Non seulement on avance de l’argent, mais quand tous les tra-vaux sont finis, on attend aussi pour solder les comptes que l’ensemble du projet soit ter-miné (et s’il ne l’est jamais, on ne sera jamais payé).] que les honoraires sur les parties occupées ne pourraient être payés que lors-que la totalité du chantier sera terminée… [ils occupent les lieux, en profitent, commencent même à les dégrader, et nos honoraires sont bloqués parce que l’autre bâtiment fait partie d’une tranche à venir. C’est d’une immoralité sans nom !] Depuis 1974, je suis déficitaire sur la mairie. Or j’ai pu constater ma capa-cité à avaler les couleuvres mais j’ai retrouvé d’une manière constante le Receveur et mon-sieur Besson en travers de ma voie. J’ai le

plus souvent été obligé de recourir au maire lui-même pour faire triompher le bon sens. J’y fais donc recours une nouvelle fois car les mois tournent qui voient les charges s’accroî-tre, les paiements se diluer dans les respon-sabilités morales de certains. Je souhaite un très rapide rendez-vous pour régler ces histoi-res de gros sous qui m’assassinent. »

Lettre (2) de P. Mornet, février 1983 « Mon cher Maire,

La patience et la bonne volonté ont leur limite, les abus de l’administration aussi peut-être, mais on cherche toujours leur seuil de saturation. Si on a décidé de m’emmerder indéfiniment au sujet de l’hôtel de ville qu’on me le dise et qu’on me dise pourquoi, j’agirai en conséquence. Si c’est du laxisme, il serait temps d’y mettre fin, car dans les conditions économiques actuelles, il n’est plus possible de travailler dans un métier où l’on est ban-quier sans intérêt de nos clients pendant des mois avec l’argent que les banquiers nous prêtent parcimonieusement et avec intérêt. Je compte sur ton efficacité pour clore ce dernier chapitre sans intérêt de l’hôtel de ville, écrit par des plumes bien médiocres. »

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146 III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

nes mais on fait des études, c’est le même pro-blème.

Ce qui est frappant dans cette affaire, c’est que pour la première fois, on parle beaucoup du maître d’ouvrage… et très peu de la pres-sion de l’État ou de celle des Monuments historiques.

En effet. D’abord, je garde de très bonnes relations avec Turc, avec Chupin, de même qu’avec le secrétaire général, Bichon, que je connais depuis toujours car il a été mon chef scout et on travaille ensemble aux sociétés

d’économie mixte. J’entretiens donc des rap-ports privilégiés avec eux. Je connais également Sauvage depuis longtemps, qui a l’expérience de la vie municipale, donc les choses sont clai-res. À l’époque de la mairie, il est président de la société d’économie mixte Saint-Nicolas. On a souvent eu des passes d’armes, mais étant tous les deux bien élevés, il n’y a jamais vraiment eu de problèmes lors de discussions tendues (Bichon faisait le médiateur). Certaines relations sont moins évidentes. L’une des difficultés avec Monnier, c’est qu’il ne faut pas lui dire qu’il ne sait pas. L’avantage, comme la plupart du temps je le vois seul, c’est que je ne me gêne pas pour lui dire ce que je n’aurais pas dit en présence d’un chef de service. Avec Monnier, on s’engueule en privé. Il faut que ce soit lui qui gagne, il joue sur les mots, il est assez habile à cela. Quand tu le touches, il marque le point. Mais si par hasard tu as le dernier mot, il est blessé à mort.

On a le sentiment que dans le début des années de décentralisation, le pouvoir des élus devient plus réel qu’avant…

Il est évident que dans cette opération, le préfet ne joue aucun rôle. Alors qu’incontesta-blement, au début de ma carrière, les préfets de la résistance sont très autonomes : ils défendent le département contre l’État, tandis qu’ensuite ils deviennent les renseignements généraux de l’administration centrale. En revanche, les pré-fets sont très présents après guerre : Jean Morin intervient sur toutes mes premières opérations.

Lors de la mairie, cette période est révolue. Mais quelle que soit l’importance des services, le système est tellement compliqué que l’admi-nistration se prend les pieds dans le tapis. Le

maire préfère rencontrer l’architecte seul que de s’imposer une inutile réunion de chefs de ser-vice, incapables de prendre position contre lui. Or, la tendance des élus est de ne pas se laisser empêtrer dans les tâches administratives : donc ce n’est pas au maire de transmettre les messa-ges, mais il oublie toujours qu’à la réunion, on est deux ! Et ce n’est pas moi qui vais prévenir ses chefs de service ! Le système devient un circuit extrêmement fermé et étroit. Mais je reste tou-jours étonné de ce fonctionnement…

Ce qui m’intéresserait serait de connaître les dossiers de la mairie sur les mêmes affaires… Qu’ont-ils gardé ? Qu’ont-ils jeté ? Ce serait même intéressant de s’installer aux archives pour avoir ainsi le côté cour et le côté jardin…

III.2.17 - Hôtel de ville, bâtiment ancien, reprise en sous-œuvre du péristyle, juillet 1980

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147III.2 - hôtel de ville d’Angers (1960-1982)

III.2.18 - Hôtel de ville, 1999. Cl. Jean-Loup de Sauverzac

Page 148: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

148 III.3 - Bibliothèque municipale (1968-1977)

La bibliothèque municipale se situe en plein cœur de ville, dans un tissu sur lequel pèsent de nombreuses contrain-tes, notamment historiques. Le mur

d’enceinte d’Angers passe au bout du jardin des Beaux-Arts... La dominante du secteur est le musée des Beaux-Arts auquel est intégrée la bibliothèque mais le musée doit s’agrandir et la bibliothèque aussi, c’est donc cette der-nière qui doit partir. Une partie de cette zone se caractérise par un état de ruine : l’abandon de

la partie conventuelle de l’abbaye Toussaint à la Révolution a provoqué l’effondrement de l’église Toussaint. Ensuite, 1940, dans la foulée de la cathédrale et de l’église Saint-Laud, a négli-gemment jeté, comme une feuille d’or au milieu des étoiles, quelques bombes sur ce monastère déjà en piètre état. Dans cette zone, l’école des Beaux-Arts saute également en 1944 car c’est le central téléphonique des Allemands. Donc tout le secteur du jardin fruitier et de l’ancienne abbaye est fortement endommagé.

Après guerre, le bâtiment côté rue Toussaint est donc en ruine. La ville occupe la cour qu’elle partage avec la manutention militaire (dépôts et boulangerie). Il y a aussi un pavillon de concierge et une chapelle qui date du début du xixe siècle servant d’entrepôt de vin. Et à côté des basses œuvres militaires et municipales, dans ce cœur de ville dévasté par la guerre, contraste un décor romantique composé des quelques statues déposées - plus par nécessité que par goût - dans l’église Toussaint condamnée au lierre.

L’été 1968, vraisemblablement suite à un coup de sirène de la municipalité, mon père et moi partons en reconnaissance du terrain dans l’optique des opérations d’extension du musée des Beaux-Arts et de la bibliothèque municipale.

Le projet du musée apparaît-il dès 1968 ?

Oui. L’affaire du musée des Beaux-Arts (dans laquelle je laisserai plus que des plumes) remonte même aux environs de 1960. À l’épo-que, l’idée est d’installer une salle d’exposition temporaire, côté rue du Musée. Alors que le projet est assez avancé, il sera abandonné faute de financement.

Dans les années 1960, les expositions tem-poraires, comme la bibliothèque, reflètent l’image d’une ville du xixe siècle. On n’achète pas de toile si elle n’a pas au moins 100 ans… La bibliothè-que doit acheter quelques livres neufs, mais sur-

III.3 - LA BIBLIothèQue MuNICIPALe (1968-1977)“Le jardin du savoir”

III.3.1 - Abbatiale Toussaint en ruine, utilisée comme remise, vers 1969

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149III.3 - Bibliothèque municipale (1968-1977)

tout elle sert de dépôt pour toutes les nouveautés imprimées dans la région. La bibliothèque est vraiment plus un dépôt de livres qu’une biblio-thèque vivante… La bibliothèque que je connais à l’époque de mes études est un monde à part, dans lequel on entre en chuchotant au milieu de quelques vieux messieurs.

Où est-elle située ?

La bibliothèque est alors dans l’actuel musée des Beaux-Arts. C’est un volume sur plusieurs niveaux avec des bibliothèques murales desser-vies par des mezzanines. Je réintroduirai ensuite cet élément dans notre parti en reprenant, comme une réminiscence, le vide qui monte de fond. L’ancienne bibliothèque est un mur de livres qui sent le vernis et le papier, c’est son seul aspect positif. Mais il ne faut demander ni livres, ni fichiers au bibliothécaire… Et dès qu’il y a cinq personnes, c’est la foule. La bibliothèque est for-midable quand il n’y a personne parce que l’on rentre dans sa bibliothèque. Cela donne envie de lire seul au milieu de la salle, comme les grands seigneurs quelques siècles auparavant, un peu comme prier seul au fond d’une église déserte… Ce détail est important car on nous demandera de faire exactement le contraire, c’est-à-dire un grand magasin du Livre.

... et ouvert (illustrations III.3.2).

De cet ensemble dit le jardin des Beaux-Arts (ex jardin fruitier), la ville a l’idée de faire un pôle culturel. En 1968, notre reconnaissance du ter-rain nous amène à cette conclusion : ce bâtiment étroit est plus apte à compléter le musée qu’à développer la bibliothèque. La municipalité a de

quoi, sur ce terrain et avec les bâtiments exis-tants, créer une bibliothèque et deux musées. Lors de mes nombreux voyages, j’ai été frappé de constater que certaines villes, notamment aux États-Unis et en Allemagne1, regroupent sur un même site plusieurs musées, installés dans des bâtiments différents. Cette organisation permet de ne pas se sentir obligé de visiter le musée dans son intégralité, mais de sélectionner une section, une époque ou seulement la sculpture… Il est impossible de visiter le Louvre en 48 heures ! Ma réflexion à l’époque est d’exploiter les qualités de l’existant : des bâtiments d’époques différentes, un jardin au milieu, le tout en plein centre… Cela

permet de distinguer les espaces contenants pour des contenus différents, et former ainsi le musée d’Angers…

Il se passe un an… Puis, en mai 1969, la ville réapparaît. Un an après mai 68, la France com-mence à faire du ménage. Une journée de travail est organisée par la ville, animée par Rouillard2 qui s’occupe bien de l’affaire, bien qu’il ne soit pas un meneur d’hommes. Mais c’est un garçon assez accrocheur, suffisamment cultivé pour plaire à l’intelligentsia parisienne sans en avoir les défauts. On peut compter sur lui. Mon père participe à cette journée, ainsi que deux ins-pecteurs généraux de la direction des Musées

1 - Les Allemands ont beaucoup de musées “modestes”, pas prétentieux et modernes. Dans certaines villes, des musées sont très bien aménagés dans des bâtiments anciens, reconstruits après la guerre, qui mélangent ancien et contemporain.

2 - Que je connais bien : on était à Saint-Maurille ensemble, ainsi que chez les scouts et il est comme moi à la jeune Chambre économique.

III.3.2 - Vues du jardin des Beaux-Arts, vers l’abbaye Toussaint et vers le Musée des Beaux-Arts, vers 1969

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150 III.3 - Bibliothèque municipale (1968-1977)

et deux personnes de la direction des Bibliothè-ques de France. Après une visite des musées d’Angers, leur conclusion confirme notre propre constat : totale inadaptation de la bibliothèque

municipale ; son départ améliorerait l’organisa-tion du musée. Pour régler le problème, il faut sortir la bibliothèque du musée. Il est convenu de lui rechercher un nouvel emplacement. Pour

cette réunion, ainsi que les suivantes, les archi-ves ne contiennent ni lettre, ni rapport officiel.

En 1969, la nécessité d’une nouvelle biblio-thèque se précise. Des emplacements sont évoqués mais sans idée précise de surface. La construction de bibliothèques extra-muros est alors à la mode… Les bibliothécaires préfèrent une construction intra-muros pour éviter de vider la ville des équipements culturels, mais surtout pour rester indépendant de la bibliothèque uni-versitaire. En effet, à l’époque, on songe à ins-taller la BU et la BM dans le même lieu puisque c’est le même type de structure. Mais ce regrou-pement fait partie des choses impossibles en France. Comme on crée une bibliothèque, la direction des Bibliothèques nomme un nouveau conservateur : Isabelle Battez succède à un vrai roi du grimoire… Bien qu’elle soit plus jeune, mademoiselle Battez ne s’avèrera pas plus faite pour créer une bibliothèque… En 1969, on des-sine donc quelques croquis et on établit un pro-gramme puisque c’est une constante de l’époque : il n’y a jamais de programme, pas plus pour le musée des Beaux-Arts que pour la BM ! Le seul élément concret dont nous disposons est : la BM fera grosso modo 6 000 m2 et cela ne doit pas coûter plus de 1 000 francs le m2, selon le barème du ministère des Finances.

Le prix est défini par l’État !?

Le ministère des Finances arrête qu’une bibliothèque coûte 1 000 francs le m2 sans tenir compte des contraintes. Le mobilier n’est quand même pas compris dans ce montant. On fait valoir la réutilisation d’un bâtiment ancien dans un état de ruine complète (avec toutes les exi-gences que cela suppose : hauteur sous plafond,

III.3.3 - Vue aérienne de l’abbaye Toussaint et du jardin des Beaux-Arts, 1955. Cl. J. Evers

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151III.3 - Bibliothèque municipale (1968-1977)

escalier classé, etc.) pour ouvrir un dossier à part pour son aménagement. Avec 1 000 francs au m2, on ne peut rien faire. Ce n’est même pas le prix du logement !

Alors que l’étude est lancée, la ville donne brusquement, début 1970, un coup de frein pro-visoire à l’opération. Il s’expliquera plus tard par l’engagement de la ville pour la Maison de la Culture qui traîne depuis longtemps. Car l’idée n’est pas encore abandonnée. Et Turc, qui est aux commandes générales, ne veut pas ajouter à ce projet coûteux, celui de la bibliothèque, par peur de la sanction du conseil municipal. Malgré cet arrêt, on enclenche l’opération de manière plus officielle : une réunion avec Rouillard établit un embryon de programme grâce aux éléments amassés par Battez. En août, je la rencontre pour préparer le rendez-vous “choix du terrain et programme” à la Direction des Bibliothèques. On s’aperçoit qu’avec les 6 000 m2 de plancher nécessaires et les exigences de desserte (biblio-bus), les terrains adéquats disponibles en cen-tre-ville ne font pas légion. En plus, l’avantage du jardin fruitier, disponible grâce aux dégâts des Allemands, est que le terrain ne coûte rien à la ville. Enfin, la bibliothèque continuera ainsi à vivre avec le musée des Beaux-Arts d’une autre façon…

La définition des objectifs avec la Direction des Bibliothèques, avec laquelle on aura d’ex-cellents rapports, se passe bien. On a la chance d’avoir Bletton, qui est fin comme interlocuteur et sait s’investir. C’est ce qui nous manquera sur l’affaire du musée des Beaux-Arts… À la Direc-tion des Musées, on rencontre des partenaires intellectuellement parfaits, mais opérationnelle-ment nuls, tandis que Bletton en veut. Il soutien-dra le dossier jusqu’au bout pour obtenir tous les

accords (malgré sa mutation !) lors d’une phase de crise du projet. Ce rendez-vous engage une réflexion sur les premières esquisses : d’une part pour l’approche du programme – c’est la méthode à l’époque – d’autre part pour l’appro-che du terrain (contraintes marquées du site qui influe sur le programme). Un programme, c’est un besoin, un budget et un terrain, puis un maître d’ouvrage. Dans le cas de la bibliothèque, la grosse contrainte est l’exiguïté du terrain et

son enfermement dans un tissu ancien. À cette période, ce choix est critiqué à cause de l’insuf-fisance de parkings qui en découle, ce dont on est conscient. Je rétorque que l’on ne peut offrir une place de stationnement à chaque véhicule : les villes seraient d’immenses parkings3… Dès le départ, on établit que le parking sera réservé au personnel et aux visiteurs de l’administration. D’ailleurs, la démolition des maisons situées en bordure de l’enceinte (sous le rempart, rue Tous-

3 - Avec de temps en temps un bâtiment, pas trop haut (car plus le bâtiment est haut, plus le parking est grand).

III.3.4 - Abbaye Toussaint et son jardin, 1736

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152 III.3 - Bibliothèque municipale (1968-1977)

saint) est prévue et offrira de nouvelles places, en plus de la place Kennedy.

Fin août 1970, les objectifs sont donc définis – Bletton est clair à ce sujet : il s’agit de faire un “supermarché du Livre“. Les savants étant peu nombreux, il faut satisfaire une nouvelle clientèle, composée d’enfants conduits par enseignants ou parents - un phénomène récent – qui est radica-lement différente dans sa consommation du livre. Cette clientèle ne vient pas consulter un vieux bouquin du xve siècle, mais plutôt lire des BD pour se distraire, quand elle n’est pas forcée par les instances éducatives qui poussent à la lec-ture à grand renfort d’heures du conte et autres moments qui lui évitent de lire ! Cette bibliothè-que s’adresse donc à une population jeune, de plus en plus nombreuse à Angers, qui ne dispose d’aucun lieu en la matière. Pour Bletton, ce lieu doit être ouvert : il faut que les visiteurs le voient, et voient ce qu’il propose à l’intérieur sans qu’il intimide. Battez est réticente au bâtiment qui s’offre dès l’extérieur : l’idée d’être vue dans son bureau, de renseigner des inconnus et de rece-voir des enfants bruyants la rend malade… Bien que du même corps de métier, Bletton et Battez ont des idées divergentes sur la bibliothèque. Et Bletton la jauge très vite. Sa supériorité hiérar-chique nous facilite les choses. Turc et Rouillard tentent aussi de la faire évoluer.

En septembre 1970, la ville relance officielle-ment l’étude du programme… toujours imprécis, dont on a seulement une surface : 6000 m2… Mais 6000 m2 de quoi ? On a l’idée qu’il y a des bouquins à stocker, une réserve pour des livres précieux, un espace pour les enfants, une biblio-thécaire et des employés, une cafétéria… Mais cela ne constitue pas un programme : ce sont seulement les titres de chapitres, et quand on a III.3.5 - Bibliothèque municipale, maquettes d’étude, 1972

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153III.3 - Bibliothèque municipale (1968-1977)

écrit le sommaire, on n’a pas écrit le bouquin… On repart alors à fond4 : rendez-vous à la Biblio-thèque de France fin septembre avec Bletton, Battez, Sand (architecte conseil de la DESUS5). Ce dernier donne un accord de principe sur le parti, ce qui m’étonne vu le croquis présenté (mais pour une fois que l’on a un accord !). On aura plus de mal avec les vrais projets pour obtenir des accords finaux… On doit établir un programme définitif à présenter au conseil muni-cipal et au ministère. Ce sont donc les architec-tes qui doivent proposer à l’État le programme du bâtiment : c’est totalement l’inverse du système actuel !

En décembre 1970, j’envoie une proposition de programme à Battez puisque c’est la voie offi-cielle. Fin décembre, des relevés de terrains sont effectués et un projet de contrat est soumis à la ville. Après une année d’approche, le système s’engage. En janvier 1971, La Nouvelle Républi-que publie à mon insu des esquisses du projet6. Du coup, les Monuments historiques (Engue-hard) se réveillent. Mais globalement, tout se passe assez bien. On envoie au ministère pour approbation le programme (élaboré avec Bletton et Battez) visé par la ville (illustrations III.3.5).

Le premier projet propose une imbrication des bâtiment neuf et ancien afin de réduire, pour raison financière, la remise en état du bâtiment ancien (de la sorte, on ne rénove que le haut). À l’époque, on se méfie de la géologie du site qui est difficile - le terrain est humide car le rocher retient l’eau dans des poches -, une partie des réserves est donc en haut. L’idée du cube, avec éclairage astral qui permet de ramener de la lumière au cœur de la bibliothèque, vient plus tard.

Est-ce une volonté du ministère de placer les réserves à l’étage ?

Non, ce choix découle de l’exigence en sur-face et de la certitude de rencontrer du rocher en creusant. La cave voûtée existante du bâtiment ancien offrant seulement un niveau de sous-sol, le parti des réserves en haut évite de casser du rocher dans la zone du mur d’enceinte d’Angers. Les sondages réalisés en 1971 confirment notre estimation : on dispose d’un demi niveau de remblai, après il faudra attaquer le rocher. Par ailleurs, j’avais visité à Boston une bibliothèque dont les réserves étaient situées en haut et elle m’avait plu.

Petite parenthèse sur les honoraires : dans une opération de cette envergure, l’agence tra-vaille à des taux dérisoires de 5-6% alors qu’elle participe à toutes les étapes (de l’élaboration du programme à la conception, en passant par le choix du terrain). Et encore, on parvient, non sans difficultés, à sortir certains lots de notre contrat, comme le chauffage7. Les problèmes thermiques se posent tant pour la conservation des ouvrages que pour le public, car le chauffage est soumis à des variables, surtout si on prend le parti d’un bâtiment transparent. C’est pourquoi l’étude thermique ne sera pas à notre charge. De même, le mobilier fera l’objet d’un contrat à part.

Est-ce la première fois que tu as en charge le mobilier ?

Oui, c’est le seul contrat mobilier que j’aurai obtenu de ma vie car il est difficile d’en avoir dans les bâtiments publics (le receveur refusant de payer en raison des statuts public/privé, ce sera une opération difficile)8.

À combien s’élèvent les honoraires pour la mission mobilier ?

Ils sont traités à 4-5 %. Le taux des honorai-res a presque doublé depuis, alors qu’à l’époque les missions périphériques sont plus importan-tes : puisqu’il n’y a jamais de programme, on est impliqué plus tôt dans le projet. Ce qui est plus intéressant car les partenaires sollicités pour son élaboration (au fur et à mesure des problè-mes soulevés par les esquisses) sont davantage acteurs de l’opération par rapport à un pro-gramme imposé.

Aujourd’hui la mise en concurrence rend plus difficile l’implication des architectes au niveau de la programmation ?

Oui, absolument.

Dans le contexte de l’époque, il n’y a pas eu de concours. Mais si l’on faisait une nouvelle médiathèque à Angers, il y en aurait un…

Oui, mais je ne suis pas sûr que ce soit la bonne solution car, s’il mesure les besoins (une bibliothèque de 300 000 volumes), le maître d’ouvrage ne connaît pas les points clés de la problématique. Or, dès le stade du dessin, l’ar-chitecte soulève les problèmes. Quand il y a un programme, tout est différent. Même pour le lycée David d’Angers où le programme est rela-tivement bien fait, certains problèmes incontour-nables n’ont pas été posés. Et dans une machine, il suffit d’un engrenage qui ne marche pas, pour que le système ne fonctionne pas…

En juillet 1971, deux ans après nos premiè-res approches, on reçoit la commande de la ville pour un avant-projet suite à l’approbation du pro-

4 - C’est l’éternelle incohérence de l’histoire : si on avait suspendu les études pendant ces 6 mois, on se serait fait réprimander malgré la lettre de janvier nous demandant d’arrêter !

5 - Direction des équipements de l’enseignement supérieur et universitaire, car les bibliothèques de France dépendent à l’époque de l’Éducation nationale (elles passeront ensuite à la Culture).

6 - Sachant que l’on étudie beaucoup d’affaires, les journalistes viennent de temps en temps traîner à l’agence.

7-ConfiéàmasœurOdileBizet,ingénieurchauffage. 8 - C’est le même problème pour les contrats d’architectes d’intérieur. La seule mission

architecture d’intérieur que l’on obtient se fera sur l’Hôtel de ville.

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154 III.3 - Bibliothèque municipale (1968-1977)

gramme par le ministère. Fin juillet, la ville précise le budget : financement à 50 % par l’État ; pla-fond du coût : 1 000 francs/m2 (selon les chiffres datant de 1967 du ministère des Finances qui refuse d’actualiser ses barèmes malgré l’inflation de 9-10 %). Cela devient fou dans le contexte du terrain et des servitudes. On le dit… On l’écrit… Mais c’est encore l’un des miracles de l’admi-nistration : tout le monde le sait, mais il ne faut pas le dire, c’est cette opacité que l’on appelle la transparence ! La CROIA reconnaît pourtant que cela coûtera forcément plus cher, situation que seul le fonctionnaire des Impôts en charge du rapport financier sur le projet ne voit pas ! Les autres se réjouissent : on est dans le prix, un prix au-dessous du niveau de la mer ! Les habitudes administratives sont invraisemblables ! A poste-riori, il me semble évident que ce système est pourri puisque, pour être un bon administrateur, il faut tricher !

Cet état de fait est-il lié à l’absence de décen-tralisation ? L’obligation de toujours en référer à Paris impliquait un éloignement du fonctionnaire. Or, maintenant…

… c’est un peu moins vrai car les administra-teurs se sont rendu compte à l’usage que leurs barèmes étaient inadaptés et qu’il faut bien payer les vraies factures. Quand j’ai débuté à l’agence, on intégrait toujours dans le budget 10 à 15 % d’imprévus (problèmes de sol, oublis, nouvelles demandes en cours de chantier). L’estimation est plus juste et plus crédible sans cette obsession des prix plafonds.

En décembre 1971, on réalise une première étude. La ville écrit à la DRAC9 pour présenter l’avant-projet. Enguehard nous demande alors un

projet. Il est bien gentil mais on est seulement au stade des esquisses… Nous demandons alors des précisions sur le mobilier et sur son finan-cement. Car dans un système “grand magasin”, l’importance du mobilier est considérable. Cela constitue l’architecture intérieure du bâtiment, sans cela c’est juste une halle. On se méfie de l’éventualité que la ville y mette les rossignols10 de l’ancienne bibliothèque dont personne ne veut.

Début 1972, le projet commence à prendre forme : on a un programme, les réactions sur les premières esquisses, des contrats et, malheu-reusement, un budget. En février, la Direction des Bibliothèques de France et la Direction des Bâtiments de France se réunissent pour donner leur avis sur le projet avant qu’il ne passe au conseil municipal. On apprend alors que la partie ancienne (avec l’escalier classé qui est en piteux état, couvert de tôle ondulée !) peut être financée à part, à condition de constituer un dossier spé-cial “bâtiment ancien”. La DRAC nous retire donc l’épine du pied : l’escalier ancien nous permettra d’obtenir des financements MH. Aussi, on règle au mieux les niveaux entre bâtiments ancien et nouveau (malgré les différentiels de hauteur) et on raccorde le bâtiment ancien à la bibliothèque pour utiliser l’escalier classé comme escalier de secours. On profite de l’occasion pour envoyer en mai l’avant-projet au conservateur régional des Bâtiments de France pour avoir l’avis des Monuments historiques, sachant que la Direction des Bibliothèques est déjà favorable. Le dossier circule donc dans les ministères sans être encore approuvé par la municipalité. Turc ne veut pas passer le projet devant le conseil municipal pour éviter d’enflammer les défenseurs de la Maison de la Culture, dossier qui reste prioritaire. De

plus, la ville s’inquiète du dépassement du coût et veut diminuer les surfaces, ce qui diminue d’autant le budget global. Grâce à Bletton, juste avant qu’il quitte son poste, on obtient l’accord des Bibliothèques de France en juillet. Celui de la ville arrive début septembre.

Le 19 septembre 1972, la DRAC transmet le dossier au Conseil supérieur des Monuments his-toriques. C’est là que les ennuis commencent… Fin octobre, Sonnier, l’inspecteur général des Monuments historiques, rapporteur du projet, qui hésite d’abord à me divulguer son avis, m’avoue enfin que le projet pose problème : il ne faut pas voir la bibliothèque depuis le château et il faut faire régner11 la corniche de notre bâtiment avec celle de l’ancien. Or, le terrain étant coincé sur ses quatre côtés, la seule solution est de construire dans le sol. Le volume du cube doit donc être enterré au profit d’un deuxième sous-sol.

Nous modifions l’avant-projet sur ces instruc-tions. Conservant l’idée de départ d’un volume qui monte de fond, on place les réserves en sous-sol et la lecture se fait en haut. Les livres nécessitant un taux d’hygrométrie important et n’ayant pas besoin de lumière, creuser une cave est finalement une opération possible mais coû-teuse. On amène ainsi de plus en plus de lumière par en haut. On propose des variantes mais le principe du bâtiment vitré est trouvé. Plus on avance, plus on dégage l’entrée en cherchant des compléments de surface contre le mur d’en-ceinte de la ville.

Le fait de transférer les réserves de l’étage aux sous-sols n’est pas neutre par rapport à l’inscription du bâtiment dans le quartier : cela réduit considérablement le volume…

9 - Direction Régionale des Affaires Culturelles.10 - Marchandise invendable.11 - Aligner.

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III.3.6 - Vue aérienne de la bibliothèque municipale, à l’arrière plan, chantier de la galerie Toussaint, 1981

III.3 - Bibliothèque municipale (1968-1977)

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III.3.7 - Bibliothèque municipale, 1999. Cl. Jean-Loup de Sauverzac

III.3 - Bibliothèque municipale (1968-1977)

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157III.3 - Bibliothèque municipale (1968-1977)

Au départ, le bâtiment est plus haut, non pas à cause du parti architectural mais pour des raisons techniques. Bien que la présence de la cave laisse à penser qu’un niveau de sous-sol ne pose pas de problème, on hésite pour le second car on ne prend pas les mêmes risques pour le vin et pour des livres. Atteindre un second niveau de sous-sol dans du schiste suppose d’installer une pompe de relevage12, sans compter les pro-blèmes d’égouts de l’époque dans la rue Tous-saint… Nous avons surtout peur de mettre les bouquins sous le niveau de la nappe. D’ailleurs, une inondation du deuxième sous-sol se produira plus tard, suite à de mauvaises manipulations des services techniques de la ville.

Les deux sous-sols sont-ils complètement cuvelés ?

Les deux sous-sols sont étanches avec un grand système de relevage et un système de drainage relié au réseau d’égouts.

J’apporte cet avant-projet modifié en novem-bre 1972 à Paris (ministère de la Culture) pour une réunion qui rassemble tout le monde : Blet-ton, Battez, Jenger (de la Direction de l’Architec-ture), Vitry bien sûr, Sand (l’architecte conseil de l’Education nationale), Mitrofanoff (architecte de la Création architecturale qui vient d’être mise en place). Il y a de bonnes réactions sur le projet, sauf Jenger (qui mène le jeu au ministère) qui est contre. La tension monte. Après leur étonnement d’être consultés, ils comprennent que c’est à la demande de Renaudin (directeur de la DRAC) qui veut passer devant la commission des Abords, ce qui nécessite d’abord un avis MH en raison de l’escalier classé. La réunion conclut : l’escalier classé est un meuble dans un immeuble qui n’est

pas classé à cause de son état pitoyable. Ils nous déconseillent d’aller en commission des Abords, qui serait dangereuse pour le projet, et nous ren-voient donc vers la CROIA. Globalement, on a leur accord, même si aucun rapport officiel n’est émis : ils considèrent que ce dossier n’est pas de leur compétence.

En janvier 1973, la mairie m’informe que suite à l’échec définitif de la Maison de la Culture, la municipalité veut relancer rapidement la biblio-thèque car l’État met son financement en place. Les problèmes financiers sont souvent indépen-dants des vrais problèmes… Malgré cette reprise officielle et tous les accords au niveau national,

12 - Même si le château est en bordure de schiste, le fond de schiste est incurvé, l’évacuation de l’eau est donc un problème, d’autant que les poches d’eau sont très longues sous toute la ville.

III-3-8 - Bibliothèque municipale, plan masse, 1974

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158 III.3 - Bibliothèque municipale (1968-1977)

Turc, pour une raison que j’ignore, se montre moins pressé que son administration. Nouveau blocage en avril du côté de la mairie : les Ser-vices techniques, Chupin et la commission des Affaires culturelles bloquent le dossier. La jalou-sie des Services techniques à notre égard – on leur laisserait le boulot ingrat et on tient tête au maire – y joue vraisemblablement un rôle. Je règle le problème par une lettre au maire en mai.

En juin 1973, on envoie les dossiers à la CROIA. Vitry, qui s’est tu jusqu’à présent, s’agite : il n’est d’accord sur rien. Je m’en inquiète auprès de son supérieur, Sonnier, qui contacte Renau-din : pas d’affolement pour la CROIA, Vitry fait des siennes depuis que nous avons échangé quelques mots cinglants sur l’opération Saint-Nicolas. Petite anecdote : il y a quelques années, lors d’une visite de la ville par une association d’architectes franco-anglais, Madame veuve Vitry me dit que la bibliothèque est très bien : le bâtiment contemporain répond parfaitement à l’ancien ! Je ne réponds rien, mais j’accepte avec joie le compliment.

En octobre 1973, le dossier est à l’instruc-tion à la CROIA. Prunet, architecte en chef des Monuments historiques, avec qui je m’entends bien, est le rapporteur du projet. Il soulève le pro-blème, repris dans le rapport du préfet de région, de l’insuffisance de la restauration du bâtiment ancien compte tenu du financement ridicule. À vrai dire, je lui ai soufflé cette remarque. De l’ab-baye Toussaint, il reste à cette époque le cloître13, une cour14, l’église en ruine et une seule aile du bâtiment avec l’escalier15. Tout cet ensemble est à restaurer. Les consignes des Monuments his-toriques sont de ne pas limiter la rénovation au minimum : quand on remet en état un bâtiment

ancien à côté d’une nouvelle construction, il faut que l’ancien soit aussi impeccable que le neuf. Ils ont raison d’ailleurs, mais le problème reste l’argent… Le mois suivant, nous recevons l’avis favorable de la CROIA sans réserve, sauf sur l’effort financier à faire. Malgré ce “sauvetage”, le vieil Angers reste égal à lui-même dans sa lutte pour la sauvegarde de l’Anjou et nous recevons

des critiques. Pourtant la bibliothèque est invisi-ble depuis le château depuis lequel on peut voir aussi pas mal d’horreurs antérieures, mais elles sans échos.

En 1974, la ville nous relance sur le dossier d’exécution devenu urgent. Mais nous attendons

encore l’avis définitif des Affaires culturelles avant d’aller plus loin. Le 28 janvier, le ministère donne enfin l’avis favorable avec demande de modification de détails : poursuivre le vitrage côté cloître (à la place du mur aveugle). Nous n’avions pas osé mettre une fenêtre contempo-raine sur le cloître… On monte alors le dossier définitif d’avant-projet que l’on transmet en avril à la ville qui trouve désormais que l’on n’avance pas assez vite ! Le 25 avril, la ville réclame le dossier d’exécution pour le 30… Le 7 octobre 1974, on dépose le dossier permis de construire. Ça y est enfin !

Nouveau problème en mars 1975 : étant en plein site d’Angers, les archéologues débarquent sur le chantier à peine installé. Ils bloquent les travaux pendant 6 mois pour découvrir un petit feu de forgeron et autres bricoles !

L’intervention des archéologues n’était pas prévisible ?

Non, car à l’époque l’obligation de sonda-ges archéologiques n’existe pas. C’est d’ailleurs la première fois que j’ai des archéologues sur un chantier. C’est une législation récente. Or, comme les vaccins, plus les législations sont fraîches, plus elles sont virulentes ! Le chantier est bloqué parce qu’on ne peut pas circuler. L’en-treprise Pellon y laissera son entreprise16 malgré les avances sur trésorerie accordées par la ville. Il paie six mois de location de grue pour rien. De plus c’est un chantier difficile et peu rentable à cause de la complexité du terrain17 et des difficul-tés de desserte. Au-delà de deux mois, un arrêt de chantier n’est pas supportable. Cela nous coûte cher également : j’ai embauché un respon-sable de chantier qui attend.

13 - La partie qui ferme le cloître a disparu sous les bombardements.14 - Des baraquements y sont installés.15 - L’autre est démolie.

16 - Quand un entrepreneur décroche un tel chantier, il ne s’engage pas sur une autre affaire… Et que peut-il faire de son personnel ?

17 - Pente de 4,5 mètres entre le jardin et la rue Toussaint.

III-3-9 - Intérieur de la blibliothèque municipale

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159III.3 - Bibliothèque municipale (1968-1977)

Autre épisode du chantier, avec de nouveaux acteurs : les pompiers… Le commandant Gau-thier, scrupuleux jusqu’à la bêtise (l’esprit de la Loi n’existant pas pour lui), remarque que les garde-corps de l’escalier classé ne sont pas à hauteur réglementaire. Dans le cas de bâtiments anciens, il y a toujours des exceptions… Or, on compense ce décalage par la largeur des mains-courantes en pierre(comprises dans le principe du garde-corps) qui font 50-60 cm. L’histoire se termine devant le préfet qui vient sur place : Gau-thier, égal à lui-même, fait son numéro et j’avoue que je mets la pression pour qu’il sorte de ses gonds ! Le préfet qui voit ma manœuvre se marre pendant que l’autre s’embarque dans des tas d’explications… Puis, je dis que Prunet suggère un cordon avec des anneaux longeant la rampe. Tandis que Gauthier propose – sur un escalier classé ! – des écrans en contreplaqué pour éviter que les gamins ne passent par dessus ainsi que des bacs à fleurs pour le palier !

D’autre part, on monte un dossier complet avec Battez pour un appel d’offres “mobilier”. Cette mission, qui fait l’objet d’un contrat par-ticulier, se passe bien. On consulte plusieurs entreprises spécialisées dans les bibliothèques pour commander le matériel. A l’époque, on ne peut dessiner ce mobilier pour le faire fabriquer comme maintenant : il faut choisir ce que les entreprises proposent, un design assez standar-disé.

Après les élections de la municipalité Mon-nier, sur le chantier en cours de finition, quelques impedimentas liés au changement de municipa-lité viennent corser le tout… En mars 1977, suite à la première visite du chantier par le nouveau conseil municipal en présence de Battez, un arti-cle paraît dans lequel la bibliothécaire déverse

son fiel sur l’architecte avec une vigueur incroya-ble ! Battez est furieuse que Rouillard (adjoint à la Culture) disparaisse de l’équipe municipale - il lui servait d’airbag dans ses relations avec l’ar-chitecte ! D’autant qu’elle a désormais à faire à une municipalité rose et ce n’est pas sa couleur. S’y ajoute la panique du déménagement de la bibliothèque - elle n’est décidément pas faite pour gérer une entreprise ! Pour la calmer, on lui accorde un bureau Louis xvi dont elle rêve.

En septembre, le ton monte encore avec Battez, qui n’est jamais d’accord avec ce que l’on fait18 Le choix des couleurs fait des histoi-res. Pilet, nouvel adjoint à la Culture, débarque : il nous houspille, poussé par ses sbires (nos relations s’amélioreront par la suite19) : « J’ai pu constater […] le caractère très contestable des choix que vous avez pu opérer concernant les coloris de peinture. […] J’ai décidé, en tant que représentant du maître d’ouvrage, d’informer la société chargée des travaux de peinture de ne pas exécuter le coloris prévu dans le hall […]. - je suis allé dire tout de suite à l’entreprise : «adjoint ou pas, il n’a aucun pouvoir là-dessus» - Je vous demande donc de prendre contact avec Madame le conservateur de la bibliothèque municipale pour choisir un coloris à sa convenance. […] J’espère ainsi qu’à la fin du chantier, les biblio-thèques20 seront ainsi menées à la satisfaction de l’administration municipale et des futurs usa-gers - Qu’en sait-il ? Ce n’est pas parce que le conseil municipal décide des couleurs que les usagers seront forcément contents ! – J’ai pris note que malgré les instructions répétées et transmises par le service des Affaires culturel-les […], les points lumineux choisis et installés par vous dans le bâtiment ancien […] n’ont tou-jours pas été déposés. – On choisit des éclai-

rages contemporains, ce que fait couramment Prunet dans les bâtiments historiques, d’autant que l’électricité à l’époque des bâtiments anciens restait à découvrir – J’attends toujours la propo-sition chiffrée […] concernant d’autres modes d’éclairage plus respectueux de l’environnement naturel […]. – Ils auraient voulu des éclairages plus hauts avec des pieds et des rinceaux ! – ». Son comportement traduit certainement des petites vengeances des Services techniques qui n’apprécient guère que l’on règle les problèmes en direct avec le maire. Conclusion de l’histoire : Isabelle est envoyée à Carcassonne et nous his-serons tout de même nos couleurs !

Une autre visite officielle, assez froide, à la limite du désagréable, a lieu peu avant l’ouver-ture. Restés sur leur souvenir de bibliothèques sinistres des écoles, les élus semblent tous trou-ver que le bâtiment spacieux et clair – ce pour quoi on s’est battu – est trop beau, trop cher, pour des livres ! D’autant que venant de gagner les élections, tout ce que les prédécesseurs ont fait est dénigré systématiquement.

Mais heureusement, une nouvelle biblio-thécaire, Agnès Chevallier, est nommée pour l’ouverture et restera plusieurs années en fonc-tion avant de partir à Orléans. Lors de son départ, elle m’écrit : « Tous les jours (ou presque car il y a quand même des jours de mauvaise humeur) j’ai eu plaisir à travailler dans vos locaux. Merci ! C’est vraiment quelque chose que j’ai du mal à quitter, surtout quand c’est somptueusement éclairé comme ce matin. Merci de tout cœur ». Une fraîche éponge sur la face du boxeur...

18 - Elle aurait d’ailleurs probablement adoré des colonnes corinthiennes, un fronton, des ailes en retour à droite et à gauche, un perron pour entrer…

19 - Je suis maintenant ami avec lui, mais il ne me connaît pas à cette époque.20 - Allusion à la bibliothèque de la Roseraie qui est également en cours.

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IV - Au fIL de LA MAINe

161

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162 IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

Commençons notre parcours le long de la Maine par le secteur Saint-Serge. On parlera d’abord d’EDF, de la Cham-bre d’Agriculture, du marché-gare et

des abattoirs qui constituent une opération de très grande échelle et menée d’une manière continue.

Les premiers remblaiements démarrent au xixe siècle avant la construction de la gare Saint-Serge1. Au bout du port Ayrault, à l’extrémité des quais, une place est aménagée pour le marché. Derrière la gare, ce sont des prairies maréca-geuses. Au début du siècle, l’usine électrique est construite entre la Maine et la gare. Le quai Félix

Faure est alors réalisé, mais se termine en cul-de-sac à la hauteur d’EDF.

Pendant la guerre, les prairies inondées, de 2 à 3 m. d’eau, jusqu’au four à chaux et la tour à plomb, servent durant plusieurs mois de bassin d’évolution, à la flotte importante des voilures de l’UVVA2. Car les cotes interdites par l’occupa-tion allemande ont amené au reflux sur Angers des bateaux à voile du Croisic ou de la Trinité. J’y navigue avec les scouts marins et avec un chirurgien breton d’Angers, ami de mes parents dont je suis l’équipier.

À la libération d’Angers (1944), toutes les prai-ries sont pleines de soldats américains. C’est là que j’échange les coteaux du Layon de mon père contre des cigarettes !

Jusqu’à la fin de la guerre, le système est donc complètement clos. Après les bombardements, la ville commence par remblayer cette zone jusqu’à la ligne de chemin de fer, à partir de la gare Saint-Serge, au-delà de laquelle tout fonc-tionne en talus au milieu des prairies inondées. Le remblaiement est réalisé pour le marché-gare que la municipalité a plus ou moins déjà en vue. L’avantage de ce terrain est d’être desservi par la voie ferrée et par la route, qui offre une largeur correcte pour la circulation des camions ou l’ins-tallation d’entrepôts, seules constructions possi-bles sur un terrain fraîchement remblayé.

À la même période, l’entreprise Brochard et Gaudichet achète un terrain en bordure d’EDF

IV.1 - L’AMéNAgeMeNt de LA zoNe sAINt-serge (1960-1970)“un remblaiement productif”

1 - Qui date des années 1870 ; en 1878, ouverture de la ligne Segré-Angers. (note de l’éditeur)

2 - Union de la Voile et de la Vapeur d’Angers, club fondé en 1898

IV.1.1 - îlot Boisnet, îlot rue du Commerce et gare Saint-Serge, vers 1950

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163IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

pour stocker des matériaux de préfabrication. Elle ouvre un “chantier de remblai” où d’autres entreprises viennent déposer leurs décharges : c’est un remblai contrôlé. Au fur et à mesure, Brochard et Gaudichet étendent la zone de rem-blai sans doute dans l’idée de revendre le terrain pour la réalisation d’une opération immobilière. C’est seulement dans les années 1970 que la ville acquiert (par l’intermédiaire de la Sodemel) le terrain Brochard et Gaudichet, EDF en ayant également acheté une partie pour créer de nou-veaux bureaux (illustration IV.1.3).

Ensuite, la Sodemel3 remplit la totalité de ce terrain jusqu’à la voie ferrée de Segré, dans le futur secteur de Carrefour. Et la ville acquiert la peupleraie au bord de l’eau qui accueillera l’abattoir. Ce terrain, qui présente un dénivelé de 11 mètres, est inondable en partie (tout n’aura pas besoin d’être remblayé) et constitue l’amorce du boulevard du Doyenné. La ville installera ensuite le boulevard Ramon vers la ZUP Nord.

Cette zone à l’extrémité de la ville, aujourd’hui noyée dans une zone d’activités, a donc radi-calement changé de morphologie et occupe une sacré surface. En fin de compte, l’emprise d’Angers à la libération représente le tiers de ce qu’elle est aujourd’hui : les deux tiers de surface sont donc ajoutés sur les rives de la Maine.

Tout cela en conquête sur la rivière…

Pas sur le lit mais sur le bassin inondable qui est considérable compte tenu de l’étroitesse de la traversée de la ville ; et dans des proportions trés importantes car en période d’inondation toute la partie Nord est une poche d’eau. Au fur et à mesure, la rivière a été sévèrement canali-

sée. Il est rare que l’on creuse pour élargir une rivière, on ajoute plutôt des déblais4.

Le centre de distribution EDF est la première opération réalisée sur le site ?

L’usine électrique est construite vers 1905, donc après la gare Saint-Serge mais dans sa continuité, sur un terrain remblayé pour tout le plateau Saint-Serge. C’est une usine thermique avec d’énormes cheminées montant à des hau-teurs impressionnantes. Elle arrête sa production d’électricité après la guerre. Le fonctionnement thermique disparaît probablement quand EDF est créé. Une partie de l’usine est affectée à la direction, puis elle devient un centre de distribu-tion mixte à l’échelon du département (pour les antennes de Cholet, Saumur et Segré). On y ins-talle tous les bureaux d’EDF à la suite de cette transformation.

Après guerre, le directeur du centre d’An-gers est un personnage haut en couleurs, parmi lesquelles le noir est parfois dominant : Richa-let est un peu cinglé et a une grande gueule… Issu de la résistance, il obtient une promotion à EDF un peu au-dessus de ses qualifications5. C’est lui qui introduit le chauffage électrique à Angers, décidé à faire sa place à EDF avec la promotion de ce système. Il n’a de cesse de mettre du chauffage électrique par le sol partout. À l’époque, le chauffage électrique est juste une éventualité. À l’expérience, cela s’avère être une catastrophe, financière en grande partie6. Il est vrai que l’électricité est un carburant propre : on n’est pas obligé de ramoner la chaudière tous les ans… Richalet passe son temps à approcher le préfet, les maires, les organismes pour fourguer

de l’électricité : incontestablement, il est tenace ! Mais encombrant.

Mon père prend bien sûr rapidement Richa-let en grippe. La bagarre dure pendant dix ans entre les deux hommes, et mon père n’est pas médisant mais ne le loupe pas quand ses deux oreilles passent à la crête du talus. Richalet pré-tend que le mazout est périmé. Or, ma sœur, Odile Bizet, qui est acousticienne puis ingénieur chauffage, travaille longtemps à l’agence7 : elle réalise nos études techniques de chauffage et

3 - Société d’équipement du Maine-et-Loire. 4 - Le régime des eaux évolue ainsi et pourtant on s’étonne un jour que le débit soit plus

fort que d’habitude. 5 - Normalement les directeurs de EDF sont des centraliens ou des polytechniciens. 6 - L’histoire de la tour Viollet, c’est lui et c’est une des raisons de son échec.

7 - Puis son mari étant aussi ingénieur, ils montent tous les deux au CERA à Nantes, mais elle reste ingénieur chauffage à Angers.

IV.1.2 - Angers au xxe siècle

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IV.1.3 - Prairies Saint-Serge, terrain des abattoirs, 1965. Cl. Heurtier

IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

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165IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

démonte les rapports des services commerciaux de EDF ! Car EDF présente toujours le bilan d’un chauffage au mazout et le bilan d’un chauffage électrique en faveur de ce dernier. Bien sûr, dans le cas du mazout, le prix des cheminées coûtent quatre fois le prix d’une cheminée normale. Et ils chargent le pétrole de nombreux inconvénients. Et derrière le discours « avec EDF, on amène l’électricité à votre porte », ils masquent main-tes choses. Bref, on refait systématiquement les bilans EDF pour nos clients. Le personnel d’EDF se méfie tout de même de Richalet, se rendant bien compte qu’il oblige ses commerciaux à vendre leur produit en disant que la mariée est belle… mais la photo n’est pas la bonne.

Il se trouve que ma famille est liée à l’un des cinq grands directeurs d’EDF. Mon père lui dit : « il faut mettre ce gars dehors parce que vous êtes en train de griller EDF ». Six mois après Richalet est muté, sans doute dans une voie de garage. Du coup, le directeur qui lui succède (Yviquel) est chargé de recoller les morceaux : le chauffage électrique disparaît ; EDF indemnise même des clients, ce qui lui coûte cher. On entre-tient alors d’excellentes relations, d’autant qu’ils se méfient désormais de mon père…

C’est à ce moment-là qu’ils décident de construire leur centre dans la zone Saint-Serge. En réalité, l’architecte de l’opération est désigné par Paris8 ; et Angers dépend de Tours9 où ont lieu toutes les discussions sur les plans et le programme. EDF nomme Delacroix, architecte parisien, en tant qu’architecte en charge de la construction du nouveau centre de distribution mixte, sur un terrain voisin de l’usine électrique afin de ne pas la démolir. En effet, les centres de Segré et Saumur s’y approvisionnent toujours en matériaux de base. Le terrain (vendu par Bro-

chard et Gaudichet) est assez grand : ils peuvent donc construire sans évacuer les employés de leur bureau.

L’esquisse de Delacroix date de février 1972 : c’est un bâtiment de bureaux simple avec un noyau central, un hall d’accueil en bas et un dernier étage en retrait (comme à la Chambre d’Agriculture).

L’agence ne travaille-t-elle pas sur ce projet ?

Non, on n’est pas encore dans le coup lors de l’avant-projet. D’ailleurs, tout est étudié à Paris. C’est Auchapt10, le chef d’agence de Delacroix, qui est chargé du projet. Mais, pen-dant l’étude, Delacroix meurt. Après une période de flottement, Auchapt (qui n’est pas architecte à EDF) est nommé pour poursuivre l’opération, et nous sommes introduits sur l’affaire par le centre d’Angers. Auchapt fait donc toute l’opé-ration avec nous. Comme on est sur place, on se charge du suivi pour éviter qu’Auchapt ne se déplace. Quand le centre est terminé (vers 1974-1975), il se suicide. Ayant toujours travaillé chez Delacroix, il n’a pas de clientèle. Et malgré nos recommandations auprès du directeur pour qu’il reste, EDF hésite et le laisse tomber en pleine crise du bâtiment.

Quelques années plus tard, les nouvelles technologies se développant, EDF décide d’ajou-ter un centre informatique aux bureaux. C’est un centre relativement important. Ils nous chargent alors d’étudier l’extension qu’on réalise en 1982-1983.

Par la suite, EDF nous confie deux autres pro-jets. Yviquel me demande d’étudier en urgence un centre d’action social et un restaurant d’entre-

prise car la direction a les syndicats qui la presse - et les syndicats EDF, c’est quelque chose ! -. Ces opérations sont gérées par un comité d’en-treprise très puissant11 et totalement entre les mains de la CGT.

EDF est une boutique très centralisée ! Les réunions sur le premier projet se passent à Angers ; les décideurs de Tours viennent ; quatre responsables de direction (financière, technique, etc.) de Paris s’y joignent : et ils ne peuvent pas se voir ! Pendant la réunion, les gens d’EDF sont toujours en opposition, non pas parce qu’ils sont contre le projet, mais parce qu’ils règlent leurs comptes sur une affaire qui se passe ailleurs ! Il n’y a rien à en tirer. Tant pis, il faut laisser filer… On remettra une vraie réunion le lendemain avec les quelques initiés menés par Yviquel qui est très fin - il a beaucoup de classe -, très discret mais habile manœuvrier. En revanche, à l’in-térieur d’EDF, tout le personnel concerné par le projet est composé de gens bien structurés, spécialisés dans un domaine bien précis (dont ils n’en sortent pas), qui n’entrent jamais en conflit. Quand on a des doutes, Yviquel arrange l’affaire. C’est assez rare une administration dans laquelle aucun type ne débine son voisin ou ne se contre-dit le lendemain d’une décision. À EDF, tout se règle lors des réunions, longues mais efficaces.

La première opération n’est pas un projet com-pliqué : c’est un simple bâtiment de bureaux. Le centre informatique est beaucoup plus complexe parce que les ordinateurs sont sensibles à tout (aux trépidations, etc.). De plus, il faut surélever les deux lignes à haute tension pour éviter que la flèche de la grue ne vienne s’accrocher sur les 40 000 volts. Enfin, le bâtiment neuf voisin est occupé : les employés ne veulent pas de pous-

8 - À l’époque, EDF a son équipe d’architectes. 9 - Les régions EDF ne correspondent pas aux régions administratives. 10 - Un type très gentil que j’ai connu à l’École des Beaux-Arts de Paris. 11 - 1 % du budget de EDF passent au comité d’entreprise.

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166 IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

sière dans leurs bureaux, alors que le bâtiment est construit à 7 ou 8 mètres de l’autre…

En ce qui concerne l’architecture, on a une assez grande liberté. Cette maîtrise d’ouvrage a l’avantage des interlocuteurs qui savent ce qu’ils veulent, qui connaissent la limite entre ce qu’ils veulent et ce qui leur échappe. Il n’y a pas pire qu’un client qui ne sait pas ce qu’il veut et qui passe son temps à se distraire sur le parti archi-tectural, qui n’est pas de son domaine. A contra-rio, les employés d’EDF disent : « voici quels sont mes besoins, mes objectifs… Maintenant, moi je n’y connais rien, c’est vous l’architecte ». Le résultat est toujours en conséquence parce

que tu joues le jeu et qu’un tel interlocuteur est assez intelligent pour comprendre la discussion sur l’architecture. Ce sont de véritables parte-naires. Le parti architectural est un mur-rideau, principe qu’EDF abandonne rapidement parce qu’ils ont eu des ennuis ailleurs. Lorsque l’on fait le nouveau bâtiment, ils nous demandent de ne pas refaire un mur-rideau tout en conservant un effet d’unité avec le premier bâtiment. On tra-vaille donc avec un système de peau qui rappelle la trame du mur-rideau.

L’autre avantage d’EDF est que, dès le début, ils mettent en place le budget et le programme (qu’ils améliorent en cours de route). Ils gèrent

tout, envisageant bien les problèmes, évoquant les contraintes du site, d’extension, d’exécution, de proximité. Ces partenaires prennent tout en compte. Le projet lui-même est bien étudié, dans les moindres détails.

Pour ce bâtiment, l’agence Mornet travaille-elle seule ?

Oui, on est seul. Il contient tous les services liés aux ordinateurs : un atelier de façonnage, une bandothèque, etc. À l’époque, on vient de construire le bâtiment informatique de Cétélic, donc on connaît un peu le problème. Le bâtiment est à peu près de la même hauteur que le pre-mier. Il est en communication directe avec les bâtiments de bureaux. C’est un bâtiment que l’on ne remarque pas car on reprend la même maille en la traitant différemment, et il est derrière le premier bâtiment.

Quand l’opération se termine-t-elle ?

On termine le centre social en 1975, le centre informatique en 1983 et on réalisera un très grand transformateur en bordure de voie en 1986.

N’y a-t-il pas de relations particulières avec la ville ?

Non, on est conforme au POS. Les gens d’EDF posent toujours les bonnes questions et ne repoussent pas les problèmes : c’est pour cela qu’ils ne sont pas très rapides car ils s’y penchent vraiment. C’est parfois un peu pénible, mais c’est un bon système…On ne revient jamais en arrière.

IV.1.4 - Saint-Serge, EDF, vers 1980

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167IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

Le contexte agricole avec le Marché d’intérêt national constitue la marque principale de l’aménagement ?

Le marché d’intérêt national est la première partie de l’aménagement du complexe agricole qui regroupe en deuxième phase la Chambre d’Agriculture et en troisième phase les abattoirs.

Le marché-gare est construit sur le pré du Figuier, qui constitue une partie de la prairie Saint-Serge. L’opération se déroule de 1954 à 196312, non pas parce que le chantier est très long - d’ailleurs il perdure jusqu’en 1990 - mais en raison d’une longue période de remblai et d’un décalage dans les financements. Le terrain est remblayé d’environ 9 mètres de hauteur à partir de dragages en Maine et de déblais de démoli-tion13. La limite du terrain initial est conditionnée par la voie de chemin de fer qui approvisionnait la gare Saint-Serge.

Le programme de réalisation du marché-gare est lié à une politique nationale - le projet bénéfi-cie donc du soutien de Pisani, ministre de l’Agri-culture – qui engage après guerre la réforme de l’organisation du marché agricole. Elle vise à augmenter les rendements et développer les filières non plus au niveau de la production mais des débouchés, à cause de la concurrence étrangère. Certains petits pays pour lesquels le commerce est vital ont initié plus d’avancées que la France14. En Anjou, une région qui ne connaît pas vraiment de pénurie de production, les méthodes sont restées artisanales, se fermant les marchés extérieurs. Toute une modernisation est à faire en vue d’une commercialisation inté-grant les notions de distance, de certification du produit qui conduit à des classifications (appel-lations) et à des normalisations (calibrage, mais aussi d’emballage15)… Bref une organisation qui,

12 - Le bâtiment est terminé en 1962 et inauguré en 1963. 13 - Après les bombardements, les travaux réalisés (notamment dans le quartier Saint-

Laud) emmènent leurs déchets à la Baumette, puis à Saint-Serge. Des déchets ardoisiers concourent à la densité du remblai.

14 - Les Danois sont parvenus à normaliser la production porcine, les Hollandais ont fait des efforts énormes dans l’horticulture.

IV.1.6 - Marché d’Intérêt National, 1958-1963. Cl. mairie d’Angers

IV.1.5 - Maquette du complexe Chambre d’agriculture, marché d’intérêt national, abattoirs municipaux, réalisée pour le salon de l’agriculture, 1967. Cl. Bruel

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168 IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

dépassant le plan du producteur, permet de faire de la France une puissance agricole. Comme Angers veut être à la pointe dans ce domaine, la ville adopte un système qui se met en place et qui existe à l’étranger : la vente au cadran16, dont l’objectif est de pouvoir commander des produits normalisés à l’international. Le marché-gare devient ainsi un marché d’intérêt national (MIN). Il faut donc choisir une gare17 et un emplacement accessible à toutes les offres : le petit produc-teur doit avoir autant de chances de vendre son lot que la grosse coopérative qui propose les mêmes produits (puisque répondant aux mêmes normes). Aussi, le MIN est conçu autant pour le marché de première main18 (qui n’a plus de lieu à Angers) que pour les gros producteurs, auxquels le marché-gare offre des services (dans les domaines de la communication, de la statistique,

phytosanitaire19) leur permettant de faire valoir la qualité de leurs produits. De plus, le MIN est un lieu de comparaison. La confrontation des prix est l’un de ses intérêts20.

Le programme initial comprend donc une administration, une salle de vente au cadran, et des lieux de transit pour les marchandises : un hall “des camions” (un bâtiment de grande portée21, avec une structure en tubes, dans lequel n’importe quel type de camion peut se garer pour décharger des cagettes) et un hall de condition-nement. Par ailleurs, il faut créer une chaîne du froid pour protéger les invendus, et permettre aux producteurs de stocker sur place les produits qu’ils vendront hors saison. Le marché d’intérêt local est pourvu de boxes de grossistes que les producteurs peuvent approvisionner par derrière, tandis que le marché de première main est sim-

plement couvert par des auvents, où les petits producteurs vendent comme sur un marché. Avec le temps, le programme évolue : la zone des petits producteurs disparaît au profit des grossistes. Le long de la voie de chemin de fer, on crée de nouveaux bâtiments pour installer des boxes. À la demande des grossistes, ces lieux de vente seront réalisés de façon standard, avec des possibilités d’adaptation (avec ou sans quai, chambres froides indépendantes ou non, etc.).

Mais dès l’ouverture du MIN, le système de vente au cadran semble bancal. Il n’a jamais vraiment fonctionné car les producteurs ont peur de changer leurs habitudes de vente : ils aiment voir la tête de l’acheteur… Après quelques essais timides, la ville s’aperçoit que les producteurs viennent au spectacle : pas un vendeur n’appuie sur le bouton ! Ce n’est pas dans nos mœurs de vendre à un numéro. Dans les petits pays comme le Danemark, les gens sont plus réalistes, moins poètes et toute la production est organisée en fonction de ce système. En France, ce que l’on ne peut pas vendre ailleurs, on le vendra au mar-ché-gare, mais les producteurs n’envisagent pas d’abandonner leur réseau habituel. La vente au cadran est donc un échec. La ville se retrouve ainsi avec cette salle de 150 ou 200 places qui ne sert à rien. Elle fonctionne exceptionnelle-ment pour des petites conférences, et sert d’am-phi complémentaire pour la faculté de Droit (lors des travaux ou de trop-pleins) parce qu’il suffit de fermer les portes, l’administration continuant de fonctionner à côté. Petit à petit, ces espaces sont loués à différents partenaires.

En revanche, tandis que le cœur du système a eu son infarctus depuis longtemps, les autres services du MIN sont bien accueillis : la ville pro-longe notamment les chambres froides à l’usage

15 - Les moyens de transport exigent une utilisation optimale des camions.16 - Inspiré du système hollandais, le cadran, étudié spécialement à Paris par de jeunes

ingénieurs, permet le suivi du rapport entre l’offre et la demande (pour un alignement sur les autres pays).

17 - À l’époque, le réseau ferré est encore l’un des grands moyens de transport de marchandises (il n’y a pas beaucoup de camions après la guerre).

18 - Où vont s’approvisionner des restaurants et des organisations diverses.19 - Tels les contrôles de qualité effectués par des vétérinaires ou les services

agroalimentaires.20 - Au cadran, le producteur peut arrêter la vente s’il voit le prix descendre au-dessous du

seuilfixé(moyenqu’iln’apaslorsd’unenégociationdanssonverger).21 - Ce sont des portées de 40 mètres.

IV.1.7 - Marché d’Intérêt National. Cl. Jean Biaujeaud

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169IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

des producteurs ; le restaurant fonctionne bien… Et l’activité du marché-gare se développe tout de même parce que c’est un lieu d’information. On répond rapidement à la demande de la partie grossistes qui augmente de manière considéra-ble. La ville installe également des serres. Donc cet équipement s’adapte au fil du temps pour remplir aujourd’hui des fonctions assez différen-tes. Quant au roulage, après avoir visité d’autres marchés où je suis impressionné par la longueur des remorques allemandes, je me bats dès le départ pour obtenir une grande surface de par-king. Grâce à cette facilité de circulation entre les entrepôts, le système a toujours fonctionné, d’autant que la dimension des camions a aug-menté.

Dès le début, le marché-gare est géré par la SCET : autrement dit, c’est la ville d’Angers qui anime l’opération, dans laquelle Turc, longtemps président des MIN au niveau international, est très impliqué. Le premier directeur du MIN (Perrin) est très bien, assez jeune. Cet ancien colonel se spécialise dans ce domaine22 essayant d’orien-ter cet équipement comme un chaînon du sys-tème français des marchés-gares. La définition des objectifs sur l’exploitation du marché, par la SCET23 en 1962, marque le démarrage des opé-rations. Petit à petit, la SCET se détache complè-tement de la ville, ce qui est aussi bien… Même si la SCET n’est pas un gestionnaire exceptionnel, elle constitue une bonne équipe dont l’autonomie lui permet de fonctionner comme une véritable entreprise, en posant le problème pour une opti-misation du fonctionnement de l’outil. Et c’est ce qui lui permettra de tenir le coup, avec l’avantage d’avoir un très bel emplacement, accessible des voies extérieures.

Au départ, l’agence pense supprimer la voie ferrée. Or on se heurte aux exigences de la SNCF (problèmes de branchements). Comme les produits agroalimentaires ne proviennent pas d’une gare, mais d’une exploitation par camion, la chambre a déjà des doutes sur l’utilisation du réseau ferré car chaque transfert de charges abîme ces produits fragiles. En fait, la gare ne marche pas beaucoup : deux ou trois wagons passent de temps en temps. C’est dérisoire et conçu comme un outil de principe car les horaires de desserte ne sont pas adaptés à la conservation des produits, qu’on ne peut laisser 5 heures sous le soleil en attendant les 5 wagons nécessaires pour amortir la locomotrice. Bref, le partenariat avec la SNCF échoue.

Désormais, les exploitations ont évolué. Si l’on adoptait aujourd’hui la vente au cadran, je ne sais pas si le système marcherait, mais les exploitations seraient plus aptes à répondre à la demande grâce au projet de marché-gare, même avorté, parce qu’elles sont plus équipées (chambres froides, etc.). De même, les moyens de communication ont tellement progressé que la vente au cadran peut se faire avec un ordina-teur et un carnet d’adresses.

Entre la construction du marché-gare et la Chambre d’Agriculture, doit s’écouler une dizaine d’années. Toute la voirie, dont le boulevard Ramon, est réalisée entre-temps.

À quoi sert cette voirie ?

Toute la zone Saint-Serge est remblayée (ou en cours de remblaiement). Mais au-delà du quai Félix Faure, qui se termine par une voie desser-vant le terrain de Brochard et Gaudichet, ce n’est

pas remblayé. Quand le projet de la Chambre arrive, au bout on “butte” sur le pont de Segré. De plus, la voie ferrée desservant le marché-gare, le problème du passage à niveau est à régler. Tout se résout simultanément : la montée vers le bou-levard Ramon se fait en même temps que le rem-blaiement, et la SNCF fait le passage à niveau assez rapidement afin de bloquer les camions du chantier quand un train passe, ce qui est rare.

La Chambre d’Agriculture est le phare du nouveau quartier !

Les travaux de fondations du marché d’in-térêt national font apparaître un sol difficile aux profondeurs variées (9 à 17 mètres) : le sol est composé de 7 à 9 mètres de remblai sur des couches de vase de 5 à 8 mètres. Le substrat (couche inférieure), qui est en grès dans cette région d’Angers, est parfois à 17 mètres de pro-fondeur. On fait des essais de forage, mais le sol est formé d’une argile verte liquide, si bien que lorsqu’ils battent un pieu, il se remplit de boues. C’est un sol épouvantable dans cette zone, qui a toujours été un bassin pour l’eau. On pré-fabri-que donc des pieux en béton, ce qui est idiot pour des poteaux aussi longs mais beaucoup plus simple que de couler sur place tant le terrain est difficile. Brochard Gaudichet bat24 les pieux à la sonnette25 : quand ils sont au refus26, on mesure et on les recèpe27 à la hauteur qui convient. C’est en raison de ce sol que la ville n’a jamais songé à bâtir dans cette zone impropre à la construction, compte tenu du coût d’investissement des fon-dations. D’autant que le logement nécessite des trames de pieux plus serrées que les bâtiments industriels pour lesquels on fait des portées de 20 mètres. Lorsque les pieux sont très serrés,

22 - Perrin lancera ensuite Rungis.23 - Qui est administrée par un conseil local auquel le Génie rural est associé.24 - Enfonce.25 - Nom de l’engin.26 - Au bout.27 - On coupe.

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170 IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

leur section est 3 ou 4 fois plus grande que ce dont on a besoin parce que le problème étant de les couler et de les battre, on est obligé de faire un pieu suffisamment large pour pouvoir sortir des ferrailles protégées par le béton afin de les accrocher aux poutres. Aussi le pieu coûte cher pour un modeste besoin. En revanche, en cas de grandes portées, le diamètre des pieux n’est pas tellement plus grand, et on peut les espacer de 20 mètres au lieu de 5.

La configuration du sol révèle qu’il est néces-saire par endroits d’amener plus de 9 mètres de sable28. Le sable est extrait sur le bassin de la Maine, en aval29. La ville complète le remblai avec des déchets des ardoisières, alternant les couches de sable (extrêmement mobile) et de schiste (qui apporte une pression) pour solidifier le remblai. Contrairement aux fondations du mar-ché-gare, toute la zone Saint-Serge se fait sans battage de pieux. Comme ce sont des bâtiments industriels, ils sont construits en surface, avec tous les risques de déformation que cela impli-que… Ils auront, je pense, des pépins. L’agence ne construit pas dans cette zone, mais ne serait-ce qu’au marché-gare, on est confronté à des problèmes avec les quais : à certains endroits, on a monté des murs dans lesquels on a mis du sable puis un dallage, mais 8 ou 10 ans après leur construction, les dallages commencent à descendre… On a donc été obligé de renforcer les chaussées. Ces sols trouvent leur stabilité au bout d’un certain nombre de crues parce que ce sont elles qui font le brassage et assurent le damage30. Compte tenu du tassement naturel, je pense qu’à terme - cela n’est pas envisageable pour l’instant - on pourra construire des loge-ments au bord de la Maine à la place des entre-prises.

Le phénomène a déjà commencé à Saint-Serge.

Oui, mais le remblai de Saint-Serge est beau-coup plus vieux. Il date de la fin du xixe siècle. Et il s’agit d’un sol beaucoup plus stable car ils y ont battu des pieux. D’autant qu’ils ont vraisembla-blement construit les logements sur la partie la plus vieille, où le remblai est le moins important. D’ailleurs, tous les ennuis sur la CNP illustrent bien la difficulté.

Pour EDF, pour la Chambre d’Agriculture, pour le marché-gare et pour les abattoirs, on bat des pieux… D’ailleurs, si l’on bat des pieux préfa-briqués, c’est que cela s’avère être le seul moyen après une longue étude du problème avec Bro-chard et Gaudichet. Il faut procéder comme pour les ponts : enfoncer des piquets dans la vase. Tous les autres systèmes (forage ou autres) sont quasiment impossibles compte tenu de la fluidité des terrains. Sinon il faut tuber31, or on ne peut pas tuber sur de telles hauteurs32.

Tu évoques les coûts de construction qui rendent quasiment impossible d’envisager un programme de logements. Pourtant, la Chambre d’Agriculture s’installe sur ce ter-rain. Elle aurait pu aller ailleurs…

La Chambre d’Agriculture est un immeuble de bureaux (un ensemble d’environ 5 000 m2) : on y fait la maille que l’on veut car il y a facile-ment 5,25 mètres de trame (et on fait des sous-mailles), alors que dans un logement de 75 m2, il est nécessaire de faire des interruptions car on est beaucoup plus à la merci de rythmes de pièces (3 mètres en moyenne). De plus, la

trame régulière des bureaux a beaucoup moins d’incidences : il est donc plus facile de faire des rythmes de pieux qui ne correspondent pas au rythme de façade.

Le terrain de la Chambre d’Agriculture est déjà remblayé, bien avant la guerre, dans la suite de la gare Saint-Serge (quand ils installent des dépôts). Le chantier date de 1967. Auparavant, la Chambre d’Agriculture était installée rue Paul Bert dans des bureaux construits juste après guerre, beaucoup trop petits, sans parkings, et l’accès en est difficile. Dans les années 50, les problèmes ne sont pas du tout mesurés : l’impor-tant est d’être en centre-ville33.

Forget, le patron de la FNSEA, est président de la Chambre d’Agriculture. Sous des dehors pas très commodes, c’est un homme sympa-thique. On travaille également avec le directeur de la Chambre, Guimbretière, qui est à la jeune Chambre économique : il est agréable, dyna-mique, voyant loin, ce que ne fait pas toujours Forget qui commence à être myope avec l’âge. Mais Forget aime aussi aller de l’avant. C’est l’idéal d’avoir de tels partenaires pour faire une opération. Guimbretière et Forget sont l’âme de cette affaire.

Le projet de base comprend un bâtiment de bureaux pour loger les services de la Chambre qui se sont considérablement développés, et un autre bâtiment pour le grand public (réunions, commissions, accueil, congrès). Car à l’époque traîne toujours l’histoire d’une grande salle… Angers n’a pas, à cette époque, de salle idoine puisque le cirque-théâtre qui faisait, malgré son état pitoyable, le relais pendant la guerre34 est détruit. Le théâtre municipal fonctionne pourtant…

28 - Ces endroits sont les premières parties inondées quand la Maine monte.29 - C’est cette première opération de dragage qui donnera l’idée du lac de Maine.30 - Tassement du sol.31 - On enfonce des tubes en acier dans lesquels on coule le béton, puis on remonte les

tubes.

32 - Sur 9 mètres maximum.33 - De même que la Chambre de Commerce.34 - De nombreux concerts des Jeunesses musicales y sont donnés car il s’agit

pratiquement de la seule activité culturelle pendant la guerre.

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171IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

Mais il propose du théâtre, et non des concerts, et il ne peut servir pour des réunions ou des congrès. L’hôtel de la Mutualité dispa-raît aussi… Donc le peu de salles qui existe sur Angers s’évanouit et rien ne les remplace pour accueillir un vaste public.

Guimbretière se dit : « Nous avons un ter-rain accessible, avec des parkings. La Chambre d’Agriculture fait beaucoup de réunions. Et à la Chambre de Commerce, la salle de réunions est ridicule. Si la Chambre d’Agriculture peut financer un équipement de cette nature, cela décharge la ville ». Guimbretière y voit une image positive pour le monde agricole et un moyen de renta-biliser une installation. On étudie donc un projet

permettant de faire fonctionner une structure autonome par rapport au bureaux de la Cham-bre d’Agriculture, tout en organisant des congrès à Angers. Le projet prévoit donc, en face de la Chambre, un bâtiment avec une grande salle de 350 à 400 places, deux étages de bureaux, deux salles de réunions pour les commissions, la salle

du conseil, et le bureau de la direction est dans la passerelle de liaison entre les deux bâtiments, prévue au-dessus d’un porche de passage.

Par la suite, on apprend que le second bâti-ment ne se réalise pas, bien que la ville soit inté-ressée et que les maîtres d’ouvrage se soient battus pour cela (illustration IV.1.8). Car les orga-nismes de contrôle de la Chambre d’Agriculture, qui doivent accorder des prêts privilégiés pour les bureaux, refusent que la Chambre finance un bâtiment d’un caractère autre qu’agricole… C’est l’objet d’une longue bagarre : est-ce le ministère de l’Agriculture ou celui des Finances qui s’op-pose à ce qu’une organisation agricole réalise un bâtiment pour une activité qui remplit également

une fonction municipale ? Je ne sais pas. Mais l’État empêche le montage financier établi par la ville et la Chambre d’Agriculture à cause de la stricte application de règles administratives. Le projet est abandonné alors que le chantier du premier bâtiment est démarré, même quasiment

fini. C’est pour cette raison que l’étage supérieur est conçu en cours de route…

Malgré les bureaux supplémentaires, le bâti-ment fonctionne presque à plein dès la livraison car il se remplit très vite de nouveaux organis-mes. Donc, puisque la réalisation du projet dans sa totalité n’est pas possible, le maître d’ouvrage décide d’ajouter un dernier étage. On se met en retrait parce qu’il faut résoudre le problème de la façade qui a une vue fantastique. Autour, une galerie de bureaux crée un équilibre.

Cela finit bien le bâtiment…

Oui parce que cet ensemble de deux bâti-ments est à l’origine homogène alors que le grand bâtiment seul devient une boîte à chaussures posée là. Après ce problème, l’affaire se passe bien parce que l’on s’entend très bien avec les maîtres d’ouvrage. On fait deux modifications : le dernier étage et l’auvent d’entrée pour habiller le trou dans la façade, qui devait être poursuivi par la galerie liant les deux bâtiments. Depuis réalisé par ma fille et mon gendre, l’emplacement de ce bâtiment a été occupé par un programme nou-veau lié à la Chambre d’Agriculture régionale.

Des salles de réunion, en haut, la vue est absolument magnifique…

Le problème est que la structure n’est pas prévue pour un étage supplémentaire, qui est donc construit en métal, beaucoup plus léger que le béton. Là aussi, on utilise un système de préfabrication : la structure métallique est le vitrage. L’étage supérieur est fabriqué en pièces détachées que l’on monte sur l’étanchéité35 (posé comme une unité autonome sur le dessus) avec

IV.1.8 - Chambre d’Agriculture, maquette, 1966

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172 IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

des U en béton identiques (sauf les U d’angle qui à la fois font office d’ossature et donnent le rythme de la façade) et en-dessous les bureaux sont occupés.

N’y a-t-il pas de discussions sur le parti architectural ?

Non, il n’y a pas de discussion. L’objectif de Forget et Guimbretière est de s’accrocher au marché-gare (à l’époque en partie construit) pour montrer qu’il s’agit du même ensemble et éviter que la Chambre d’Agriculture soit un peu perdue dans ces grands ensembles. Le parti s’impose rapidement. La Chambre d’Agriculture est prévue comme l’immeuble de tête de l’en-semble agroalimentaire. L’opération se déroule sans événements particuliers : le personnel étant mal logé est ravi d’entrer dans un bâtiment neuf facile d’accès où on peut garer sa voiture. Psychologiquement, c’est un changement d’em-placement important pour la Chambre. Ses usa-gers qui viennent de la campagne y trouvent leur compte. Pour un certain nombre de gens, dont la production se retrouve à Saint-Serge, c’est une solution intéressante.

Pour la Chambre elle-même, son position-nement et la qualité de l’architecture ne sont pas neutres sur le plan institutionnel : il y a une symbolique de modernité dans le bâti-ment…

Oui, Forget est très attaché à cette modernité. C’est un homme qui en veut, parfois un peu suc-cinct dans certaines analyses mais prêt à bouger et à faire bouger les mentalités. Je crois aussi que c’est un bon orateur au niveau de l’agricul-

35-Surlaquelleonposeunfilmpourmettrelesplots.

IV.1.10 - Chambre d’Agriculture, 1969

IV.1.9 - Chambre d’Agriculture, 1967-1968

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173IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

ture (pas trop savant mais il dit ce qu’il faut au bon moment). Même en présence d’un ministre, cela ne le dérange pas de dire tout haut ce qu’il pense alors qu’à l’époque l’agriculture est encore en partie le domaine d’une classe sociale de pro-priétaires réservés36. En fait, à la Chambre par-ticipent aussi bien des producteurs de pommes qui reviennent du Maroc avec l’expérience d’une nouvelle agriculture que des agriculteurs qui émergent dans des nouveaux métiers. Forget fait très bien la transition et se comporte bien avec les uns et les autres. Il veut que l’on fasse quel-que chose qui se voit et bien placé. Il a aussi un peu l’impression de régner sur tout cela, ce qui ne lui déplaît pas.

N’est-ce pas le premier bâtiment public contemporain construit à Angers ?

Sûrement. L’autre tendance est de s’installer dans les couvents, selon une espèce de tradition qui consiste à prendre sa noblesse en piquant celle des autres, alors que pour la Chambre, ils se donnent leurs quartiers de noblesse. Évidem-ment, dans ce tissu, ce bâtiment émerge physi-quement et il a une forte unité dans un système très parcellisé (illustration IV.1.9).

Quel aurait été le parti si tu avais su que le programme initial serait tronqué ? L’implan-tation du bâtiment aurait peut-être été diffé-rente, notamment son entrée…

Si Adam avait su qu’Ève rencontrerait le ser-pent…

Les abattoirs constituent une autre pièce, éphémère mais essentielle, du dispositif urbain.

Les premières études des abattoirs datent de 1962-1963. La réalisation se fait entre 1967 et 1970, soit près 10 ans de décalage avec le mar-ché-gare car ce dernier est fait en 1962.

Les abattoirs du boulevard Gaston Dumes-nil, face au château, datent de 1910, ils rempla-cent les premiers abattoirs construits au même emplacement vers 1830. Ils sont fondés en sur-face sur un remblai totalement instable, le bout du boulevard étant vraisemblablement mal rem-blayé parce que à l’époque on n’a les moyens de mettre du sable qu’en surface (sur 40 cm seule-ment) : dessous ce sont des déchets anciens. La structure métallique de fonte assez moderne a donc beaucoup bougé : les fondations n’ont pas tenu. C’est pourquoi les bâtiments sont de tra-vers, et les dallages défoncés. Ceux-ci souffrent particulièrement parce que l’on abat encore de nombreuses bêtes au sol : 450 kg de barbaque, cela fait quand même du poids à supporter… Et les employés ne sont pas des coiffeurs pour dames !

Mon premier contact avec les abattoirs d’An-gers a lieu à une époque de nombreux travaux d’entretien. Mon père me demande un jour de faire un relevé. Donc je me rends aux abattoirs. Le sang file autant dans le remblai que dans les caniveaux de surface qui sont tous à contresens car lorsque les dallages bougent sur une pente de 2 %, on a vite fait d’avoir une contre-pente. Cela finit toujours au jet d’arrosage créant une mare de sang assez immonde. Les carreaux des verrières dégringolent parce que toutes les déformations se traduisent en couverture37. Le bâtiment est dans un état ignoble malgré les

réparations. À chaque fois que l’on veut monter une paroi, comme les poteaux sont inclinés, on ne peut pas : si on monte le mur de parpaings à la verticale, il n’atteint pas le haut du poteau ! Et en bas, on ne peut pas construire à l’extérieur du dallage parce qu’il n’y a pas de fondations possibles (on est sur du sable). Bref, c’est obso-lète. On signale à la ville une travée qui est en train de s’abattre toute seule. Une loi a pourtant rendu obligatoire que l’abattage soit assuré par les municipalités pour éviter l’hygiène détestable des abattoirs artisanaux, ce qui s’avère ensuite une aberration. Les conditions d’abattage des abattoirs privés sont devenues largement supé-rieures…

En 1955, la municipalité, consciente que les abattoirs fonctionnent dans des conditions pitoyables, se demande s’il faut reconstruire les abattoirs au même endroit. Mais il n’y a rien à récupérer de ces bâtiments pourtant relative-ment récents. De plus, l’emplacement devant le château est aberrant. Devant le château, la ville doit avoir d’autres exigences… Et placer des appartements à côté d’un abattoir est impossible. Il est là un repoussoir à tout développement.

L’opportunité du marché-gare et du remblaie-ment de la zone Saint-Serge incite la ville à cher-cher le terrain dans ce secteur. Un autre élément de pression intervient en faveur de l’opération : l’opération Saint-Nicolas démarrant, l’idée du Front de Maine existe sur la cale de la Savate en vue de créer devant le château une zone d’ha-bitation. Rapidement le Front de Maine se pro-longe pour englober le secteur des abattoirs38. Ainsi tout contribue au départ des abattoirs, d’autant que la ville voit dans la vente des ter-rains face au château un moyen de financement pour la construction des nouveaux bâtiments et

36 - Ce sont des propriétaires terriens qui gèrent leurs terres, surtout en Anjou.37 - Ce n’est pas souple donc elles cassent.38 - Même si le nombre de projets engagés par la mairie reporte le lancement de

l’opération du front de Maine.

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174 IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

que les industries annexes situées dans le quar-tier doivent partir.

Donc le site des nouveaux abattoirs est choisi assez vite. Mais la ville met un certain temps à acquérir les terrains. Le terrain est délimité par la voie de chemin de fer qui dessert Saint-Serge, par le chemin du Doyenné et par le récent boule-vard Ramon, qui rejoint le prolongement du quai Félix Faure et desservira le pont Jean Moulin. Il est contigu à la verrerie de Saint-Gobain qui est moribonde mais fonctionne encore39. Et une voie SNCF approvisionne tout. L’une des carac-téristiques de ce site est que comme le coteau monte40, le terrain permet, malgré le niveau d’inondation, de desservir deux niveaux de plain- pied, ce qui est une solution intéressante pour un abattoir. De plus, les activités des abattoirs sont sectorisées à cette époque : les triperies boyauderies, les os et les peaux. Autour de la bête, ces différents métiers existent depuis la nuit des temps41. Donc ces activités annexes (et pas toujours alimentaires), qui ont leur autonomie et ne fonctionnent pas aux mêmes heures, doivent être séparées. Bref, ces corporations sont des entreprises à part. Avant, elles existent dans le quartier Saint-Nicolas, notamment en bas de la place Grégoire Bordillon.

Le maître d’ouvrage est la ville, le Génie rural étant le conducteur d’opération, à la fois contrô-leur et acteur : il rédige une série de rapports sur l’économie du projet et sur les spécificités tech-niques. Il réalise notamment toutes les études de frigos et de manutention, auxquelles le cabinet Mornet apporte son aide parce qu’ils n’ont pas de dessinateurs. Après, le receveur refusera que l’agence touche les honoraires que le Génie rural nous reverse car ce n’est pas prévu au contrat (cette mission revenant au Génie rural)

bien qu’il nous ait sous-traité des prestations par manque de personnel spécialisé. Alors s’engage un conflit. Pour régler le problème, un additif au contrat, décidé par la ville, passe devant le conseil municipal et est approuvé par le préfet. Malgré cela, le receveur s’entête. L’agence est obligée d’intenter un procès à la ville (qui durera 5 ou 6 ans) pour être payée. C’est d’ailleurs le TPG qui me conseille d’engager un procès après avoir tenté de dire au receveur que c’est parfaitement normal, mais ce dernier, qui entre-

tient de mauvaises relations avec la ville, a tout pouvoir sur ses fonds propres. Pour l’agence, la procédure est risquée car c’est notre client (mon père était l’architecte de la ville) : les conseillers municipaux ne vont rien comprendre, a contrario du maire, encore que cela l’ennuie. On finit par gagner le procès, ce qui prouve que nos inter-ventions sont très imbriquées.

Cheverry, ingénieur du Génie rural et angevin (l’adjoint de Millet), étudie l’abattoir avec moi. Il vient à l’agence et m’accompagne en Allemagne pour visiter des abattoirs car les Allemands ont toujours été à la pointe dans le domaine et les destructions de la guerre42 les ont obligés à en recontruire un grand nombre, en avance techni-que sur nos vieux établissements. J’ai un sou-venir invraisemblable de l’abattoir de Hambourg. À côté de la nouvelle chaîne d’abattage méca-nisé, se dressait encore, en partie épargné par

les bombes, le bâtiment d’avant guerre, énorme construction en hauteur et sombre où les ouvriers abattaient encore. Le plus grand d’entre eux devait faire 1,55 mètre, mais 1,50 mètre de large. Je les vois encore à l’œuvre, avec leurs paires d’énormes pinces câblées munies de deux élec-trodes. Mais un porc ne se laisse pas attraper avec des pincettes ! D’autant que les porcs étant

39 - Elle ferme presque au moment où les abattoirs ouvrent.40 - Ces terrains, plus hauts que le marché d’intérêt national, nécessitent moins de remblai.41 - Les peaux intéressent les métiers du cuir ; la tripaille, la fabrication de produits

consommables ou d’emballages (aujourd’hui remplacée par du plastique) ; les os sont utilisés pour les engrais.

42 - Les abattoirs allemands ont presque tous été démolis entre 1939 et 1945.

IV.1.11 - Abattoirs Angers, 1968-1970

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175IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

profilés comme un obus, c’est comme manipuler un suppositoire, sauf que cela court ! Quand, en plus, tu es petit avec des pattes de souris proté-gées par un câble en caoutchouc pour ne pas t’électrocuter et que tu es obligé de mettre le porc dans le bon sens pour lui coincer les électrodes derrière les oreilles, une telle scène à la Brue-ghel peut faire une formidable émission à la télé-vision ! Je suis pris entre une fantastique envie de rire et une espèce de honte pour, dans une société évoluée comme la nôtre, cette course à la mort du cochon, dont la destinée (notre assiette) commence par un numéro de cirque invraisemblable. Ces types courant dans l’enclos après les porcs qui “gueulaient” comme dans les tragédies grecques, étaient tout un spectacle ! Heureusement, le bâtiment neuf à côté affichait une révolution dans l’abattage qui permettait de mesurer le chemin entre l’artisanat et l’industrie.

J’ai également visité des abattoirs améri-cains. À Omaha43, il y a trois abattoirs dont le plus petit est plus grand que celui d’Angers. Le sénateur de l’état administre deux de ces abat-toirs et est éleveur. Aux États-Unis, les équipes font les 3/8, les règles sont différentes, les bâti-ments sont collés alors qu’en France il faut une distance de 30 mètres entre chaque, les tripes sont stockées dans des silos à glace mais dans le même volume. Le sénateur, un homme de 65 ans, se demande comment on fait en France : que cela se fasse dans une entreprise commu-nale lui apparaît tellement abscons… Il ajoute : « en France, est-ce qu’elles font aussi les spa-ghettis ? ». Durant l’étude, on travaille avec le Génie rural que j’interroge : est-ce vraiment une bonne voie que la viande soit fabriquée par la ville ? Leur réponse est : « Il faut maîtriser les problèmes sanitaires ». Je rétorque : « Mais si

la puissance publique s’en occupe, croyez-vous que les problèmes sanitaires seront mieux pris en compte ? ». Dans l’abattoir neuf d’Angers, ils n’abattent que trois jours par semaine malgré le prix de l’installation des chaînes de manuten-tion. Mais il faut bien quelqu’un qui s’occupe des frigos, que le personnel technique surveille la maintenance, que les vétérinaires inspectent…donc les employés sont en heures supplémen-taires, et ils font des grèves. Dans ces situations, on se rend compte que la France est toujours en retard. D’ailleurs les abattoirs finissent par fermer devant la concurrence du privé plus adapté au marché moderne de la viande où la bête est vendue en pièce détaillée.

Quelles conclusions tires-tu de cette opéra-tion Saint-Serge qui occupe l’agence pendant près de trente ans ?

L’opération Saint-Serge est un projet qui dégorge le centre-ville de nombreuses activités et amorce considérablement son développement vers la zone industrielle d’Écouflant. Le secteur se remplit vite car de nombreuses activités sont créées à la suite des abattoirs. Auparavant c’était un tissu inutile finalement. Hormis l’étalement des crues, à l’ombre de la gare Saint-Serge, cette zone entre la Maine et la rue de la Chalouère n’a évidemment pas de caractéristiques exception-nelles. Elle est déconnectée du bord de la rivière, coincée entre une vaste prairie inondable et la colline. Mais, par rapport à la ville, elle présente une situation intéressante, surtout aujourd’hui avec l’urbanisation nouvelle du quartier Saint-Serge. Pour les Angevins, dans 10 ou 15 ans, ce secteur leur paraîtra évident dans le tissu urbain de la ville, alors que c’est une zone exogène qui

s’est faite pour installer des activités de proximité pour le centre-ville et le dégager. La zone de remblai ne peut supporter de grosses surchar-ges. La zone Saint-Serge sera à terme urbanisée comme le pré Saint-Jean l’a été (face à l’hôpital Saint-Jean). Dans les faits, cette transformation de la zone d’activités a déjà eu lieu puisque des entreprises ont quitté le secteur pour s’installer à Écouflant. Je pense qu’à terme toute la zone jusqu’à Carrefour deviendra une zone d’habita-tion et de tertiaire ; la Maine évoluant d’un passé d’axe de circulation vers une vocation de loisirs.

L’habitation est la vocation de la zone Saint-Serge à terme ?

Tout à fait. C’est l’histoire du tissu vivant : nous sommes en permanence en train de perdre des cellules qui se remplacent. Le tissu urbain fonc-tionne de la même manière. D’où le problème de gestion des sites, ces éléments que l’on doit figer à un moment donné mais qui doivent bouger sur le moyen terme. La difficulté est de faire le bon choix entre ce qu’il est fondamental de conser-ver, à savoir le cœur, et ce qui est remplaça-ble comme les muscles, la viande… On peut recréer quelque chose à partir d’un corps sain ou d’un système apte à fonctionner. À terme, on comprendra que les affectations du tissu urbain changent et par conséquent tout doit être prévu en fonction de cet objectif. La zone universitaire remplace une gare, qui avait remplacé un port, qui avait remplacé des herbages et ce, en moins de 200 ans...

43 - Une ville de l’importance d’Angers dans le Nebraska.

Page 176: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

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IV.1.12 - Abattoirs Angers, 1968-1970

IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

Page 177: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

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IV.1.13 - Chambre d’Agriculture et Marché d’Intérêt National, 1958-1963

IV.1 - L’aménagement de la zone saint-serge (1960-1970)

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178 IV.2 - La faculté de Médecine (1960-1980)

Concernant la faculté de Médecine, j’ai redécouvert une correspondance voluptueuse. Cette opération est effroyablement complexe à cause des

pressions liées à la concurrence des facultés voi-sines et au statut originel d’école de médecine municipale.

La faculté occupe sur le boulevard Daviers des locaux construits à la fin du xixe siècle, que mon père bricole régulièrement. Les amphithéâ-tres sont tellement insuffisants que la faculté de

Médecine ainsi que celle de Droit louent des locaux au marché d’intérêt national, notam-ment la salle de vente aux enchères inutilisée (200-250 places). La faculté fonctionnera ainsi jusqu’à l’aménagement pour la faculté de Droit d’un amphithéâtre dans l’ancienne cuisine de la Caisse des Écoles (mis à la disposition de la faculté de Médecine). Bref, la demande est forte en matière de locaux universitaires à Angers qui est rentré récemment dans l’enseignement uni-versitaire public au forceps.

La médecine à Angers a toujours été un point fort de l’enseignement supérieur1 en dehors de l’Université catholique. L’École est depuis 100 ans près de l’hôpital, qui est devenu un centre hospitalier universitaire (CHU). Alors que la médecine évolue, de nouvelles disciplines sont intégrées à l’enseignement2, d’autant que la mise en place de la Sécurité sociale et le développe-ment du marché médical créent de nouveaux besoins. Malheureusement, au début des années 1960, on rénove complètement les universités de Nantes, Rennes et Tours. Angers, dont l’École de Médecine et de pharmacie ne dépend pas de l’État (elle est municipale), est oubliée ! À cette période, avec l’aide des deux ministres angevins Jean Foyer3 et Edgar Pisani4, la ville obtient pour l’école le statut de faculté de Médecine. Mais l’augmentation des effectifs qui en découle rend très vite les locaux inadaptés : malgré quelques agrandissements, c’est la catastrophe ! Or l’État ne veut pas financer la faculté de médecine d’An-gers en raison des jalousies des autres facultés et de la réticence du ministère. À mon avis, dans ce refus5, intervient également la concurrence de la Catho : comme il existe déjà une université à Angers, l’État ne s’engage pas.

Vers 1962-1963, la création du CADUA6 génère une certaine agitation en soulevant ce problème universitaire. Ce comité, dont je fais partie avec le docteur Rénier (professeur à la faculté de Médecine et futur doyen7), met les

IV.2 - LA fACuLté de MédeCINe (1960-1980)“reculée pour mieux soigner”

1 - Avec l’École des Arts et Métiers. 2 - Les professeurs étant issus du CHU. 3 - Ministre de la Justice. 4 - Ministre de l’Agriculture et député de Maine-et-Loire. 5 - Dont se réjouissent les Nantais, Rennais et Tourangeaux qui se partagent les crédits.

6 - Comité d’action du développement de l’Université d’Angers créé par la Jeune chambre économique d’Angers.

7 - Il succèdera à Rouchy.

IV.2.1 - Faculté de médecine, 1972

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179IV.2 - La faculté de Médecine (1960-1980)

pieds dans le plat en affirmant que la Catho ne peut être financée par l’argent public puisqu’une partie de la population n’est pas d’accord avec l’enseignement libre. Le problème du développe-ment universitaire dépasse la Catho et concerne l’avenir de la ville d’Angers. Cette question repré-sente une petite bombe dans le monde angevin. Peu à peu les conseillers municipaux s’y intéres-sent. Lors d’une délibération de conseil muni-cipal, Sauvage et Eglin s’affrontent : Sauvage défend la Catho en affirmant qu’il est pour la liberté tandis qu’Eglin soutient qu’il doit y avoir un enseignement d’État à Angers. L’affaire connaît quelques échos à Nantes, où le recteur Schmidt, un personnage haut en couleur, d’abord indécis mais assez indépendant, doit recevoir des ordres du ministère pour bouger le moins possible. Heu-reusement, Foyer et Pisani tentent de sensibiliser des gens haut placés à la question.

Le Maire lance le projet en 1965 ?

Devant l’absence d’engagement financier de l’État, la ville décide de lancer l’opération à ses propres frais tout en comptant sur l’aide du département. Voici le scénario imaginé par Turc : les collectivités locales achètent un terrain, finan-cent une première tranche, et l’État sera bien obligé de prendre en charge la suite car incon-testablement les professeurs se plaindront du manque de moyens.

Fin juin 1965, lors d’un entretien, le docteur Rouchy (le doyen, qui est très actif) et le docteur Guntz (conseiller municipal qui est chargé par Turc de piloter l’opération) m’exposent la situa-tion. La ville est propriétaire de terrains au bout de la rue Haute de Reculée près du plateau des Capucins, où l’hôpital envisage de se dévelop-

per. D’après le rectorat, la faculté de Médecine a besoin de 5 hectares (15 000 m2 de plancher), calcul basé sur les estimations d’effectif (715 étu-diants en 1972, 1 000 à 1 500 par la suite8). Ce sont les seuls renseignements fournis à l’agence Mornet car il n’y a pas de programme.

N’y a-t-il pas de commande officielle ?

À ce stade, personne ne sait qui sera le maître d’ouvrage, il ne peut donc pas y avoir de commande. Simplement des usagers se réunis-sent pour faire état d’un réel besoin et trouver les moyens d’y répondre. En juillet 1965, le maire écrit au recteur de l’Université proposant Andrault et Mornet comme architectes de l’opération. Cette “simili” commande marque le démarrage officiel de l’opération, qui commence par une recherche d’informations sur les facultés de même échelle. Comparant les programmes des universités de Dakar, Lausanne, Toulouse, Lille, etc., nous aidons le directeur à constituer le programme. Mon père participe à cette enquête, écrivant à Schmidt, architecte en chef des Bâtiments civils et Palais nationaux. Celui-ci, en tant qu’archi-tecte fonctionnaire de l’Éducation nationale, sera ensuite rapporteur de l’opération. Il nous oriente sur Rennes. Parallèlement, l’agence réalise des recherches sur le terrain.

Le terrain de la faculté de Médecine est situé entre la rue Haute de Reculée (la seule qui n’est pas inondable) et le plateau des Capucins. Une incertitude demeure sur le tracé d’une voie nouvelle, d’où des réunions avec l’urbaniste en chef, Fautrelle. Mornet sollicite en vain les Ponts et Chaussées : aucune réponse de Leconte, l’ingénieur en chef, que mon père connaît pourtant bien… Une pression est vraisemblable-

ment exercée sur la question de la voirie. Cela “bétonne” partout ! Par conséquent, pour obtenir des renseignements de nos partenaires (mêmes locaux), il faudra y aller en force.

À cause du blocage de l’Éducation natio-nale ?

Cela apparaît évident par la suite. Le budget de l’État a une limite. Entre 1965 et 70, la demande est considérable. C’est d’ailleurs en partie pour cette raison que mai 68 a lieu. De plus en plus de bacheliers accèdent à l’Université. Or l’équipe-ment universitaire est le même qu’avant-guerre, hormis quelques bricolages. La construction des premières grandes universités (comme Tou-louse) commence en province. Mais la situation parisienne est tout aussi critique. La province en sera victime ensuite : la construction de Vincen-nes pompe tous les crédits9. Le décalage entre les promesses et les capacités de financement marque toute l’histoire des universités.

La ville a dû racheter le terrain à l’hôpital pour tracer la rue Brébion (un passage sans trottoirs plus qu’une rue) qui dessert les lotissements du plateau des Capucins. Ces lotissements, qui sont justement dans le secteur qui nous intéresse, sont l’objet de bagarre au conseil municipal : Sauvage défend l’intérêt des propriétaires, dont la plupart sont en réalité ravis de pouvoir vendre leur maison à un bon prix pour quitter ce cul-de-sac. Ce terrain offre à peu près les 5 hectares indispensables à la faculté mais avec une seule contrainte, qui sera sous-évaluée par les méde-cins : pas un bout de terrain plat ! on est à flan de coteau avec une forte pente. C’est pourquoi le parti adopté tient compte de la pente avec un plan morcelé car chaque bâtiment doit franchir

8 - En réalité, à la livraison du bâtiment, la faculté atteindra déjà les chiffres plafonds (1 200 ou 1 300).

9 - C’est l’opération la plus importante à l’époque même si elle ferme quelques années après. L’entreprise de Caen qui réalise ce chantier fera faillite car elle n’est pas payée. Les engagements d’Edgar Faure ne sont pas tenus.

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180 IV.2 - La faculté de Médecine (1960-1980)

l’équivalent de 3 mètres (soit un étage). Dans chaque bâtiment, le sous-sol d’un côté est le rez-de-chaussée de l’autre. Le seul inconvénient est que ces niveaux ne peuvent communiquer avec les bâtiments voisins. Ce terrain inadapté à la construction a tout de même l’avantage d’être proche de l’hôpital. Le CHU, qui envisage des extensions, a un projet de voirie pour desservir le terrain par le bas, tout le secteur n’étant à l’épo-que desservi que par le haut, et mal desservi. En fait, le CHU se développera sur place. Dans cette optique, la ville prévoit de construire un pont – projet qui traîne depuis des décennies – pour désenclaver totalement cette extrémité de la ville. On évoque également une passerelle pour relier la faculté au CHU.

En 1966, la ville nous demande de faire un projet, après une délibération – encore des cris et des larmes – du conseil municipal sur les équi-pements universitaires. Pour le CSU10, on peut attendre car la clientèle est en train de se consti-tuer tandis que celle de la faculté de Médecine est à la porte. Certains conseillers craignent que la faculté “pique” les crédits attribués au CSU (qui semblent plus faciles à obtenir car c’est un bâtiment moins coûteux). La discussion se trans-forme en bagarre dans laquelle Sauvage monte en première ligne.

Jean Sauvage est-il aussi contre le CSU ?

Sauvage est un homme d’opposition à ce que font les autres… Dès que cela revient vers lui, c’est complètement différent. Lui qui a toujours été opposé à l’opération Saint-Nicolas devien-dra président de la SEM et cela se passera très bien.

L’agence amorce l’affaire dans des condi-tions difficiles : un terrain impossible, sans pro-gramme, avec une pression énorme car il faut très vite chiffrer pour négocier les financements. Le maire compte sur la Région naissante et la Caisse des Dépôts11 pour constituer le fond de caisse avant que l’État ne prenne la relève. Pour bénéficier de l’apport optimal de la Caisse des Dépôts, qui finance à proportion du nombre d’élè-ves, Turc nous demande de forcer le budget (tant de francs du mètre carré avec 20 m2 par élève). L’agence travaille ainsi les premières études sur l’hypothèse maximale de la faculté de Médecine (et non sur celle, minimale et réelle, des plans).

En novembre 1966, on finit par obtenir un programme pédagogique type. Fin décembre, un entretien sur le programme a lieu (avec les pre-miers croquis et la première maquette) pour que Turc et Rouchy prennent conscience de la com-plexité du site. En effet, quand on n’est pas archi-tecte, les courbes de niveau sur un plan sont des traits comme tant d’autres… Début janvier 1967, Rouchy modifie le contenu de la précédente réu-nion. Avec Rouchy, cela se passe bien malgré les incessants allers et retours. Plus intéressé par la forme que par le fond, le doyen manœuvre l’histoire comme un paquebot, sans s’occuper de la salle des machines. Guntz est plus à même de régler les bagarres qui se trament toujours dans les soutes.

En février 1967, Rouchy demande les premiè-res études afin que le préfet puisse discuter des crédits au niveau de la Région. On met au point des plans à toute vitesse. De toute façon, on ne peut produire que des dossiers bidons car on n’a ni le plan du terrain ni la voirie. Dans cette affaire, les plans précèdent toujours les décisions : on est obligé de fournir des documents pour ouvrir

des portes. C’est l’époque des premiers budgets régionaux votés dans le cadre de la planification nationale. La Région devient une entité propre.

À partir de quel moment l’État devient-il véri-tablement porteur du projet ?

Jamais.

L’État finance tout de même l’opération ?

Cette question brûle les étapes. En réalité, la ville est d’accord pour payer un tiers de l’opéra-tion, les deux tiers suivants étant payés par l’État. Mais, malgré quelques correspondances, il n’y a jamais de vraies promesses. Même si l’opération obtient l’approbation du Conseil supérieur des Bâtiments de France12, l’État ne s’engage jamais financièrement.

Le trésorier payeur général de l’époque émet des réserves. J’entretiens de bonnes relations avec lui, c’est un type jeune, intelligent. Parfois il me consulte. Lorsque les décrets sur l’ingénierie paraissent, je dispense à sa demande une for-mation au personnel de la Trésorerie générale13. C’est un homme ouvert et un fonctionnaire qui ne vit pas dans son bunker. Un jour, il me fait venir à son bureau. Le TPG sait que la ville prend un risque financier, mais n’osant pas le dire au maire, il me charge de transmette le message. On est en février 1967. Le TPG flaire déjà que l’État, tellement engagé dans d’autres opéra-tions, ne pourra pas suivre sur cette affaire. Le contexte économique étant difficile (forte infla-tion), le ministère des Finances prévoit un frein sur les crédits que l’Éducation nationale ignore encore. Le TPG ne démolit pas le projet, mais explique bien l’origine économique des réticen-

10-CSU:collègescientifiqueuniversitaireàBelle-Beille.11 -Quiavancesouventlesfinancementspourdesopérationsuniversitaires.12 - Devant lequel passent tous les gros dossiers à l’époque.13 - Je connais les textes puisque j’en ai suivi l’élaboration.

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181IV.2 - La faculté de Médecine (1960-1980)

ces des opposants. En avril, une réunion avec le TPG, le préfet, le secrétaire général de la Pré-fecture, le président du Conseil général, Rouchy, Guntz, Andrault et moi éclaire les choses : le seul financement initial possible est essentiellement local ; il faut l’accord de l’État pour qu’il assure la suite mais pour le TPG, le projet n’existe pas.

Après ce rendez-vous qui dit tout, on fixe un calendrier avec un démarrage des travaux en mars 1968. Autrement dit, malgré les mines, on se lance dans l’opération. En mai 1967, Andrault écrit au maire, lui demandant un contrat d’étude. Car, depuis juin 1965, on travaille comme des fous, sans contrat, et sans avoir touché un sou. En septembre, Turc me téléphone : il est néces-saire d’engager les dépenses début 1968 pour des questions de financement. Il y a donc une course effrénée à l’engagement de dépenses avec, en arrière-plan, l’impatience des profes-seurs qui, ignorant tous les problèmes, veulent tout, tout de suite.

Au moment de l’avant-projet en octobre 1967, on parle de nouveau de notre contrat qui doit bientôt passer à l’approbation devant le conseil municipal. Le receveur ne veut pas nous payer pour je ne sais quelle raison. Tout est tordu dans l’histoire et tout le monde se méfie. Quand on pré-sente le projet au Conseil municipal en novembre, Sauvage14 met en doute Andrault : Saint-Nicolas aidant ! Car il n’ose pas mettre en doute Mornet probablement. Après un autre numéro de Sau-vage, on reçoit enfin le 1er décembre un contrat à signer.

En novembre, on obtient un accord timide du directeur de l’Enseignement supérieur (Aigrain), personnage très important, qui nous signale qu’il faut augmenter le pourcentage des surfaces de circulation et que les équipements seront à la

charge des collectivités. On passe des 35 % habi-tuels (pour tout établissement d’enseignement) à 45 % de circulation. Il faut croire qu’un médecin n’est pas comme un autre professeur et qu’on ne peut pas circuler dans une faculté de Médecine comme dans une faculté de Droit. Excepté quel-ques personnalités d’envergure comme Rouchy, Rénier ou Émile15 qui posent bien les problèmes, les médecins sont performants sur la compré-hension du corps humain mais limites sur celle du corps social et économique.

Traditionnellement, c’est un milieu pas tou-jours très ouvert à l’architecture…

Les réunions avec ces partenaires, qui traî-nent derrière eux des câbles, des fluides, des liquides sans réaliser les problèmes de coût, sont stériles. Ils savent pourtant qu’on n’a pas de crédits, mais la demande atteint toujours 200 % du budget (lui-même financé à 70 % seulement). Il y a également des batailles sur les amphis et leur contenance, qui témoignent de l’orgueil des médecins. Pour les professeurs, qui ne parlent jamais des étudiants, seul compte la mise en scène de l’enseignement (congrès, etc.). Mai 68 fera un peu changer les choses vers une prise en compte de l’université en tant qu’entité com-posée aussi d’étudiants.

En décembre 1967, un événement se pro-duit : la ville demande que l’Équipement soit conducteur d’opération afin d’impliquer les ser-vices de l’État. Car, pour l’heure, les architectes sont les seuls, avec le doyen, Chupin et le maire, à être véritablement mouillés dans l’affaire. Turc mène d’ailleurs l’affaire avec brio. On ne le pré-sente jamais comme cela, mais Turc est un bat-tant. L’agence n’a absolument pas besoin d’une

conduite d’opération externe : suffisamment de types freinent déjà l’affaire ! Or dans les faits, l’Équipement ne suit rien du tout : il court der-rière… et sert d’otage face à l’intervention de l’État (qui ne peut nier être au courant).

Le dossier évolue ensuite en fonction des nouveaux besoins des médecins. Plus les plans se précisent, plus ils ont de nouvelles exigen-ces. En avril 1968, Andrault présente un nouvel avant-projet à Schmidt, architecte à la direction de l’Enseignement supérieur. Le projet lui plaît – il se déplacera même à Angers pour voir le terrain – mais il faut faire passer le dossier au Conseil supérieur des Bâtiments de France. Le 11 avril, on obtient l’accord de l’administration centrale sur le projet, la même qui nous réclame le programme ! L’administration est obligée de s’intéresser à l’affaire puisqu’elle sera amenée à en délibérer.

29 avril : choc en retour sur les coûts des sondages effectués par l’Équipement. Les Ponts et chaussées se sucrent d’une manière invrai-semblable : leur facture comprend les notes de frais jusqu’au déplacement sur le terrain. Si nous comptions nos interventions à ce tarif, nous aurions déjà explosé le budget. Mon père qui assez à cheval sur les principes s’accroche à ce sujet avec Ledin, directeur de l’Équipement. Je ne sais pas avec qui cela se règle mais ils ne seront pas payés du tout.

Le 7 mai, la question de nos honoraires n’est toujours pas réglée (malgré le contrat) à cause de la lenteur administrative et du zèle du rece-veur municipal. Le contrat est envoyé à la Pré-fecture qui approuve le projet cinq mois après la délibération du conseil municipal. De même, la procédure d’approbation subit l’incohérence de l’administration. La commission des Bâtiments

14 - C’est l’époque où Sauvage est contre l’opération sur la Doutre (alors, il n’est pas encore président de la SEM de Saint-Nicolas).

15 - Le successeur de Rénier, qui est sympathique, décontracté, un peu artiste.

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182 IV.2 - La faculté de Médecine (1960-1980)

de France consultée renvoie le dossier vers le Conseil général des Bâtiments de France, dont les événements de mai 68 reportent la réunion en octobre. Nous avons enfin son accord sur l’essentiel après un temps fou perdu avec des formalités administratives. Quelqu’un doit plom-ber l’affaire…

Fin octobre, on réunit tous les professeurs pour adapter les plans. En novembre, les pro-blèmes de limites du terrain du CHU traînent encore… On en parle pourtant depuis 4 ans ! Tout ce qui est à la charge de la ville (dont le plan de voirie) n’est pas résolu ! Mais on établit avec la ville le planning prévisionnel du règlement des situations mensuelles du futur chantier.

En février 1969, Ledin, nouvellement promu conducteur d’opération (théoriquement), veut placer l’OTH comme BET. La vieille histoire entre l’OTH et le cabinet Mornet16 ne les empêche pas au début de nous proposer gentiment leurs services. Je leur réponds, à l’époque, que nous n’avons pas l’habitude de travailler avec des bureaux d’études parisiens et que nous venons de choisir le CERA, un BET créé à Nantes par un certain nombre d’architectes de la région. Suite aux relances de Ledin, je proteste : on mène l’opération depuis deux ans, on ne va nous imposer maintenant (après l’étape la plus lourde financièrement) un BET qui touchera des hono-raires alors que les pots cassés sont à peu près recollés.

Le projet est à un stade très avancé ?

Oui, en mars-avril 1969, on met au point le dossier d’exécution : les études béton et chauf-fage sont réalisées… Tout est fait !Alors que viendrait faire l’OTH ?

C’est là l’incohérence de l’affaire… L’Équipe-ment, sur la touche, n’intervient que pour tendre une ficelle et dire : « Voyez, on existe » !

Entre temps, le doyen change : Rénier17 suc-cède à Rouchy. On a des rapports fermes mais cordiaux. La chance veut que nous ayons des partenaires intelligents.

En juin 1969, a lieu la commission d’adju-dication à la mairie. À l’ouverture des plis, l’ad-judication s’avère infructueuse : on dépasse les prix de 10 ou 15 %. Le maire veut que l’on ajuste le prix en fonction de la participation de la Caisse des Dépôts, de la Région et de la ville. Ces apports constituant la première tranche, on reprend donc le projet pour le réaliser dans les prix. S’il ne répond pas à toutes les demandes des professeurs, tant mieux : cela obligera l’État à s’engager sur la deuxième tranche, la ville s’étant substituée à l’État défaillant. Par consé-quent, durant la période des vacances, on tente de faire partout des économies18, que l’on paiera fort cher par la suite…

Après accord de la Préfecture sur le dossier d’exécution, on consulte de nouveau les entre-prises en septembre. On commence les travaux par les terrassements et la voirie, ce qui laisse le temps de mettre le reste au point pour la fin de l’année tout en démarrant le chantier comme le maire s’y est engagé. Les professeurs souhaite-raient une livraison du bâtiment en avril 1970. Or EDF ne peut alimenter le chantier avant décem-bre : il n’y a pas encore de lignes dans le sec-teur alors qu’ils sont “au courant” de l’opération depuis longtemps !

Lors de la réalisation de la première tranche, le préfet (Vimeney) m’assure que les crédits arriveront l’année suivante pour la seconde tran-che. Finalement, le bâtiment restera quasiment

en l’état. Il faut replacer les événements dans le contexte : mai 68 bouleverse l’opération. La période de grosse étude (1966-67) précède juste les événements et les promesses de 68. L’État s’est plus ou moins engagé dans l’affaire (à travers des organismes d’État) en donnant des accords sous réserve – il demande même le plan masse du stade final, ce qui laisse entendre qu’il s’intéresse à l’opération globalement19. Mais faute de moyens, le chantier reste inachevé : les poutrelles métalliques à nu ; des murs de par-paings en attente ; le système des amphithéâtres fonctionne sans réelle desserte puisque le grand hall n’est pas réalisé ; les étanchéités ne sont pas terminées. Des garde-corps provisoires sont posés car la voiture d’un professeur est tombée dans le trou juste après la mise en service de la faculté ! Enfin, c’est une histoire de fous…

N’y a-t-il pas un petit côté franc-tireur dans toute l’opération ?

Totalement, c’est de l’opération “maquis”. Tout le projet se passe dans ces conditions…

En janvier 1970, Turc sollicite l’Éducation nationale pour une participation sur les équipe-ments malgré son refus de financer l’opération dès le début. Les équipements sont coûteux (laboratoires, circuits électriques spéciaux). Nous prévoyons les normes les plus basses pour réussir à réaliser les bâtiments. Au mois de mars, le financement des équipements est toujours indécis.

En mai, on reçoit une lettre du directeur de l’Équipement qui vide son fiel et voudrait que l’on soit à ses ordres alors qu’il n’a rien fait dans toute cette opération en dehors des sondages.

16-L’OTHaétél’objetd’unconflitavecmonpèresurBelle-Beille(cf.LacdeMaine).17 - Vice-doyen et doyen provisoire depuis 1968.18 - En particulier, on ne réalise pas l’acoustique sur le grand amphi. Les plaintes

attribueront les problèmes sonores à sa forme ronde, ce qui est sans rapport.19-Nonseulemententantquetranchedéfinitive.

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183IV.2 - La faculté de Médecine (1960-1980)

En juin, la Préfecture réclame des écono-mies sur les équipements. C’est notre démarche depuis le début ! Un professeur modifie la distri-bution intérieure de la faculté alors que le chan-tier est lancé, et toujours sans argent.

L’agence est payée par la Ville et par la Région ?

On ne reçoit rien de l’État. Les problèmes de financement traînent mais on s’engage sur une livraison des amphis pour la rentrée 1970. Malgré un chantier difficile (l’hiver étant très pluvieux, les entreprises ne peuvent plus travailler sur ce ter-rain pentu), le 19 octobre 1970, on livre, à peine terminés, trois amphis qui sont occupés immédia-tement. Mais les bâtiments sont livrés quasiment sans aménagement extérieur – dans un terrain aussi pentu, l’aménagement des abords repré-sente un travail considérable20 – et sans voirie à cause de l’indécision de la ville sur l’emplacement du pont. On ouvre donc la faculté de Médecine avec des accès embourbés – impossible de faire un parking sur ce terrain ! –, ce qui fait l’objet de nombreuses réclamations… L’ineffable directeur de l’Équipement, qui court toujours derrière bien qu’il soit censé coordonner, regrette que la livrai-son soit faite avant la réception, qui plus est sans la voirie. Bien sûr, il n’est pas normal de procéder ainsi. Il ne connaît ni le chantier ni le contexte : ces amphis n’auraient pas été livrés à temps, on avait tous les étudiants et tous les profs à la rue.

En décembre, le doyen fait des réclamations concernant l’équipement des salles et l’acousti-que. Le reste des bâtiments est livré en février 1971.

Le chantier continue-t-il malgré l’occupation des amphis ?

Oui, tous les plots carrés sont en travaux car on a porté tous les efforts sur les amphis qui sont indispensables tandis qu’ils peuvent donner les travaux dirigés à l’ancienne faculté de Méde-cine.

En mai 1971, on prépare le programme de la deuxième tranche. À peine les travaux finis, on repart… La ville qui a dépensé plus que prévu aimerait que l’État la décharge d’un cer-tain nombre d’engagements car on est obligé de rajouter des prestations. Dès que les professeurs entrent dans les locaux, ils réclament des petits équipements, critiquant la première tranche sans tenir compte des aléas financiers, des défaillan-ces de l’État et des insuffisances de la program-mation. La ville bricole donc avec ses fonds pour satisfaire leur demande. Dans la deuxième tranche, on veut finir la plus grande partie des amphis, installer la bibliothèque et réaliser les bâtiments d’enseignement spécialisé manquants pour que tous les enseignants puissent emmé-nager dans la nouvelle faculté. Les programmes des spécialités sont établis plus précisément par les professeurs après l’expérience de la première tranche. C’est dommage, on ne réalisera jamais cette partie qui s’exécute 35 ans plus tard21.

Il y a tout de même un programme global ?

Oui. On nous demande de refaire un projet pour la seconde tranche en tenant compte des nouvelles données : des disciplines sont appa-rues avec les réformes de la santé ; des postes sont également créés car mai 68 a transformé les budgets de tout l’enseignement. Mais les cré-

dits attribués par l’État sont encore largement en dessous des estimations. Le programme estimé représente le double ou le triple des fonds que l’État propose d’allouer à la faculté de Médecine.

En octobre 1971, les architectes relancent Rénier sur le devenir de la deuxième tranche. La réponse est claire : il n’en sait rien. Au cours des années suivantes, le contrecoup des économies se fait sentir : les professeurs râlent, découvrent leurs besoins réels, pleurent les crédits équipe-ments et des travaux supplémentaires auprès de la ville. Mais la ville ne peut plus payer. Des réformes hospitalières et universitaires modifient le fonctionnement de la faculté. L’inflation du budget de l’Éducation nationale et la construc-tion des universités parisiennes rendent cadu-ques les promesses initiales du financement de la deuxième tranche.

En 1977, un nouveau programme de deuxième tranche apparaît : ce sera le dernier cri probable-ment…

En 1979, les effectifs sont supérieurs aux prévisions initiales. Le nouveau doyen, Émile, réveille tout le monde. On ressort donc le dossier de la deuxième tranche dont l’étude des besoins de l’animalerie et du local de dépôt de solvants, non réalisés pour raison de crédits. Seuls bâti-ments financés par l’État, ils seront construits en 1980, chacun à une extrémité du terrain pour des questions de sécurité. La deuxième tranche res-tera une plaie béante le long des amphis, “sans chirurgie esthétique”. Je ne sais d’ailleurs pas comment c’est aujourd’hui, ni comment ils résol-vent les problèmes du bâtiment à moitié achevé depuis vingt ans !

C’est ahurissant !

20 - Il ne s’agit pas seulement d’agrémenter de gravillons mais de soutenir la terre par des contreforts en béton.

21 - L’agence nantaise Rocheteau-Saillard termine actuellement la construction d’un amphithéâtre de 750 places, sur un concours gagné en 2005. (note de l’éditeur)

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184 IV.2 - La faculté de Médecine (1960-1980)

Cette opération est quand même une sacrée histoire…

Par rapport à ce qui s’est construit depuis la décentralisation (depuis que les Régions ont pris en main les bâtiments d’enseignement et les programmes Universités 2000), c’est très différent.

Quant à la bibliothèque réclamée depuis 1967 et dépendant d’horizons différents22 mais toujours bouchés depuis notre étude en 1970, elle se réalisera 10 ans plus tard, sans nous, à l’emplacement prévu, je crois.

Qui a construit cette bibliothèque ?

Je ne sais pas. L’Équipement en prend la conduite d’opération puisque c’est l’État…

… qui s’est vengé : c’est un bâtiment affreux et absurde…

La bibliothèque n’est pas terrible. C’est un bâtiment commercial. On pourrait y vendre de l’électroménager ! Bien que nous ayons fait des études de la bibliothèque du temps d’Émile, le doyen qui la fait construire ne fait pas appel à l’agence Mornet. Émile n’aurait jamais eu recours à un autre architecte, eu égard à notre travail…

… Et à la cohérence de l’ensemble. Comment s’est construit le parti architectural pour l’en-semble de l’opération ?

Dans la mesure où l’on n’a pas de programme, l’agence le fabrique avec divers renseignements glanés auprès de Rouchy et des professeurs. Andrault rédige le programme, qui est enrichi et adapté progressivement. L’organisation de l’enseignement prend forme (organigramme par spécialité). L’avantage de la mise en ordre de la commande publique à travers la constitution au fur et à mesure du programme (même s’il n’est pas parfait) est de soulever tous les problèmes conflictuels au départ. Cela évite de les décou-vrir à la dernière minute dans des conditions infernales. En revanche, quand l’architecte parle de note d’honoraires, il y a toujours un prétexte ! La constitution de ce programme, qui représente trois ans de travail, sera gratuite. Les cabinets Andrault et Mornet se partagent les honoraires. On a un compte commun à la Trésorerie géné-rale d’Angers. À plusieurs reprises, on réclame des avances sur honoraires. Je me répète car l’histoire du paiement perdure : on est payé 3 ans après, à la suite d’un an et demi de discussions. Le receveur refuse de nous payer : il n’est pas d’accord pour que l’on touche les mêmes hono-raires sur les terrassements et la construction. Donc les mois filent…

Je ne crois pas que cela ait beaucoup changé. Les maîtres d’ouvrage ont une culture telle-ment différente que pour eux, le travail d’ar-chitecture ne se rémunère pas. La prestation intellectuelle, qui est si abstraite, ne se quan-tifie pas.

IV.2.2 - Faculté de médecine, maquette, 1967

22 - Elle dépend de la direction des Bibliothèques de France et non de l’Éducation nationale.

Page 185: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

185IV.2 - La faculté de Médecine (1960-1980)

Tandis que quarante parpaings (ce qui ne vaut rien), ils comprennent qu’il faut les payer !

C’est une constante assez curieuse…

De plus, on ne réalise qu’un tiers de l’opéra-tion, mais on assume 80 % des frais d’études sans bénéfice sur l’opération puisque non réali-sée par nous.

Les honoraires sont-ils calculés uniquement sur ce qui est réalisé ?

Absolument, sans compter la complexité de l’opération qui n’est pas dans la note du contrat.

Dans ce domaine aussi, il y a eu des progrès depuis.

Heureusement. On travaillait pour la ville à 3 ou 4 %, puis à 5 et 4 %. Après les décrets sur l’ingénierie, la complexité sur certains problèmes était moindre. Mais face à l’inertie fantastique sur tous ces problèmes dans le temps, alors que nous sommes invités à résoudre tout et à pro-duire des documents en urgence, je me dis : « on est quand même des bons citoyens ! ». En tout cas on le pense car on ne nous le dit pas.

Reprenons l’histoire avec les maquettes à dif-férents stades qui montrent l’évolution du projet.

Sur la première maquette de 1968 (illustra-tions IV.2.2), les amphis sont carrés. Le parti dans son ensemble est défini. Les amphis sont dans la partie intermédiaire du terrain. Dans la partie basse du terrain, un forum (lieu d’exposi-tions et de congrès) dessert les amphis disposés autour.

En avril 1968, la maquette propose un sys-tème par plots (qui a été très critiqué) issu d’une demande de Rouchy (bâtiments séparés pour faciliter l’extension) mais également des contraintes du terrain. On calcule tous les bâti-ments pour pouvoir ajouter un étage supplémen-taire en cas de besoin (cela n’est jamais utilisé bien sûr). Le groupe d’amphis au milieu est sur la Maine. L’ensemble des bâtiments est très haut sur le terrain.

Ensuite, le projet est fait avec un accès en bas car le problème de l’accès haut lié à l’hôpital n’est pas réglé. Sur la maquette de l’écriture finale,

tous les amphis, décalés vers le haut en fonction de la première tranche, deviennent ronds, ce que certains reprochent (illustrations IV.2.3).

La ville ne pouvant acquérir la partie haute (plus plate), on s’installe à cheval sur la rue Jean Brébion qui n’est absolument pas équipée. Une incertitude demeure sur la voirie car aucune décision n’est prise sur l’élargissement du bas, la rue Haute de Reculée, très étroite étant la seule voie d’accès.

En septembre 1968, l’idée d’un boulevard remplace le pont prévu initialement. Le problème de ce terrain est qu’il supporte difficilement une

IV.2.3 - Faculté de médecine, maquette, avril 1968

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186 IV.2 - La faculté de Médecine (1960-1980)

voirie : la seule solution est un parking à l’entrée et une circulation piétonne dans le terrain.

Le plan de 1969 présente l’état actuel. Le sys-tème des amphis évolue. Au fur et à mesure des économies, des plots sautent.

Chaque bâtiment est formé d’un plateau libre d’une portée de 8 mètres. Ce parti permet de tenir compte des différents besoins. Les bâti-ments font 300 m2 au sol, ce qui est jugé trop petit par les professeurs. Il y a une cage d’esca-lier à chaque articulation et des gaines verticales pour passer les fluides.

Le plan masse montre bien la limite entre les deux tranches, seule la première, comprenant le grand amphi et deux petits amphis, étant réali-sée. La dalle du grand amphi (au-dessus duquel se trouve la cafétéria) est importante car elle tient

tout. Il y a d’ailleurs un sous-sol car le sol de l’am-phi ne correspond pas au niveau de la rue. Des parpaings sont prévus provisoirement. Je pense qu’ils sont toujours en place.

Pour les bâtiments en béton cannelé, on fait des essais sur l’agence Mornet rue La Fontaine. Andrault a déjà utilisé un système similaire qui a posé problème. J’expérimente donc moi-même un nouveau principe sur la façade. Le problème est de boucharder23 les pointes pour obtenir une découpe nerveuse. On essaie de casser les pointes dans le moule, avec du sucre au fond, mais la technique la plus efficace consiste à casser directement le béton avec un burin ou un gros marteau. Ainsi, on obtient à la fois le côté granuleux du caillou qui sort du ciment, lui don-nant une couleur un peu chinée, et le glaçage du

creux auquel il s’oppose et qui fait que cela brille bien au soleil. On fait venir des graviers blancs de Bretagne que l’on mélange avec deux tiers de sable de Loire pour avoir des éclats blancs et pas seulement des éclats ocres.

On ne réalise qu’à peu près un tiers des bâtiments prévus. Une telle amputation fait que l’ensemble ne s’exprime pas de la même façon. Heureusement, au premier plan, le village de Reculée meuble le trou.

Il est curieux que les professeurs n’aient pas fait pression pour que le projet se termine. Car cela doit tout de même mal fonctionner avec le tiers du projet.

A vrai dire, je ne sais pas comment ils fonc-tionnent. J’ai voulu savoir puis j’ai abandonné car après tout le travail fourni en urgence pour répondre à des exigences difficiles, une certaine rancœur s’installe. On rencontre au cours des opérations des personnes aux opinions diamé-tralement opposées qui veulent des conditions de travail totalement différentes. C’est pour cette raison que ce métier est formidable. Travailler pour des médecins et pour un industriel n’a rien à voir. Cétélic par exemple, qui est une adminis-tration, fonctionne comme une entreprise, avec des gens vifs, impliqués et précis. Comme chez le tailleur, il n’y a plus qu’à prendre les mesures et faire l’ajustage normal, tandis que les médecins ne savent pas quel modèle de vêtement choisir. Ils ne savent que dire non aux dessins, seule façon de déduire leurs souhaits.Pourtant l’esquisse de départ et le projet réa-lisé sont très proches : l’occupation du lieu reste la même.IV.2.4 - Faculté de médecine, plan de masse, juin 1971

23 - Boucharder : travailler à la boucharde (massette de tailleur de pierre, dont les têtes sont garnies de pointes de diamant).

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IV.2.5 - Faculté de médecine, 1972

IV.2 - La faculté de Médecine (1960-1980)

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188 IV.2 - La faculté de Médecine (1960-1980)

IV.2.7 - Faculté de médecine, 1972

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189IV.2 - La faculté de Médecine (1960-1980)

Oui, car il faut savoir garder le cap quels que soient le vent et les courants. C’est une naviga-tion qui demande une grande force morale pour tenir la barre malgré les pressions. Sans cela, cette opération n’aurait jamais vu le jour entre les contraintes du terrain et les exigences des médecins qui ne veulent pas d’un long bâtiment anonyme comme à la faculté de Tours.

Ou comme le lycée Jean Moulin qui est un peu sur le même modèle…

D’ailleurs, c’est curieux car un avis de Fautrelle (urbaniste) exclut toute barre dans ce secteur…

Mais Fautrelle est parti lors de ce projet. N’est-ce pas aussi lié à une époque où l’État détient encore tous les pouvoirs mais n’a plus les moyens de sa politique ?

Il est évident que la décentralisation s’est faite devant les carences de l’État. L’architecture a évolué entre le moment où règne le dogme natio-nal décidé au Conseil supérieur des Bâtiments de France et celui où les décisions sont régio-nales, ce qui amènera une certaine souplesse dans la prise en compte des disparités régiona-les. Dans le cas d’un financement de l’État dès le départ, on aurait subi les contraintes du système alors en vigueur24. Heureusement le recteur Sch-midt se rend compte des inepties engendrées depuis la fin de la guerre et reconnaît la qualité de notre projet. Mais l’administration centrale a peur aussi à cause du coût : leur solution est bêtement économique et non architecturale, d’où la trouvaille des trames afin que des éléments répétés à l’infini soient fabriqués par les mêmes moules permettant de demander des rabais aux

entreprises… C’est ce qui explique la floraison de CES identiques dans toute la France : c’est le col Mao ! D’autre part, les entreprises font de gros bénéfices sur ces chantiers et on construit pour pas cher… Mais avec quels coûts pour les générations suivantes ! Le marché en France est longtemps tenu par un réseau d’entrepre-neurs, d’ingénieurs des Ponts et Chaussées et de bureaux d’études qui s’effondreront ensuite : tous les partis politiques sont financés par l’OTH et consorts.

C’est un système un peu mafieux…

Totalement corrompu ! Tous les scandales ont fini par le révéler ! Mon père et moi avons des tempéraments suffisamment francs pour que les partenaires sachent bien que l’on n’en-tre pas dans de telles combines, ce qui nous a valu de perdre quelques opérations. C’est pour cette raison que l’on mène une bataille contre les bureaux d’études : à une époque, on ne peut pas prendre un BET sans qu’il y ait des magouilles derrière. L’histoire de l’OTH l’illustre même si à Angers le marché est plutôt sain. La création du CERA entre donc dans le cadre de cette lutte.

On dit que ces pratiques sont encore couran-tes même si c’est moins facile.

Cela se passe autrement, mais cela conti-nue.

J’avoue que j’ai été étonné par ce dossier de la faculté de médecine. Après avoir dépouillé le dossier, j’avais l’impression qu’il manquait des documents. Puis, en fouinant dans mes archives, j’ai retrouvé, à côté des gros paquets « chantier », un petit dossier de correspondance de 1965 à

1971, qui correspond aux années les plus denses de l’affaire. J’ai donc reconstitué l’opération à la lueur de ces nouveaux éléments. Ce retour sur le passé entraîne une tension incroyable. À l’épo-que, je tenais davantage le coup : il fallait être dingue pour mener autant d’affaires de front ! Saint Nicolas, la faculté de Médecine, le Conseil supérieur de l’Ordre des Architectes, le CERA, la Région et les autres opérations…

C’est le concentré d’une affaire qui s’est étalée dans le temps.

Exactement. D’ailleurs, c’est drôle : mes réac-tions a posteriori sont les mêmes qu’à l’époque. Les lettres désagréables me font encore réagir ! Et le plus étonnant, j’avais occulté complètement les coulisses de cette affaire : le rapport entre la ville d’Angers et les médecins et, entre la ville et l’administration centrale, comment l’opération se monte. Car une telle opération tient aux hommes et pas du tout à l’administration. Les notes de l’agence révèlent que les comptes rendus offi-ciels sont toujours édulcorés. On retrouve dans ces archives l’histoire vraie avec tous les chaos : les réactions des uns, les coups de gueule de Turc contre les profs… En 1968, les professeurs ont la même mentalité que les étudiants : ils ont des exigences invraisemblables ! D’autant plus qu’étant médecins, ils se considèrent comme des grands personnages.

24 - Ayant beaucoup travaillé pour l’Éducation nationale, on connaît bien ces problèmes de programmes nationaux avec mon père.

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IV.2.8 - Faculté de médecine, 1972

IV.2 - La faculté de Médecine (1960-1980)

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IV.2.9 - Faculté de médecine, 1999. Cl. Jean-Loup de Sauverzac

IV.2 - La faculté de Médecine (1960-1980)

Page 192: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

192 IV.3 - rénvation de l’Îlot Boisnet (1967-1977)

IV.3 - réNoVAtIoN de L’ÎLot BoIsNet (1967-1977) “Les prés du Ayrault sont fatigués”

L’îlot Boisnet réalisé par l’agence devait être une opération beaucoup plus importante que ce qui a été réalisé. Elle s’enclenche à la fin des années 1960,

à l’intérieur des autres opérations sur des pro-blèmes privés, notamment l’imbrication de l’hôtel

Ayrault de Saint-Henis (rue du Cornet) et des hangars de Martin-Rondeau, qui occupent pres-que la moitié de l’îlot situé entre la rue du Cornet et la rue Boisnet. Cette entreprise, complètement engorgée avec le développement du fer à béton, s’apprête à transférer ses bâtiments. À l’époque,

la ville sollicite tous les propriétaires d’entrepôts de l’îlot pour remplir la zone Saint-Serge plus adéquate pour des bâtiments industriels. Ces entreprises1 libèrent des surfaces importantes où Turc et Chupin souhaitent voir réaliser des opéra-tions privées parce que la municipalité est débor-dée par les autres opérations. Elle envisage une réhabilitation pour une échéance qu’elle ne peut fixer car elle termine Saint-Michel, enclenche Saint-Nicolas, commence à rêver de la Républi-que et sent le secteur Ouest bouger.

Justement, Chevallier, un promoteur parisien2, est intéressé. Et le Courrier de l’Ouest décide de s’implanter dans la ZAC Sud et envisage la ren-tabilisation de son emplacement, dont l’agence étudie les possibilités, commençant alors à tra-vailler un peu sur l’affaire. Chevallier, ayant pro-bablement des accords pour obtenir des terrains en plus de ceux de Martin-Rondeau, décide de lancer l’étude sur quasiment tout l’îlot. L’agence réalise donc l’étude d’appréciation de la potentia-lité du quartier. C’est aussi une période de prise de contact avec l’administration municipale et l’Équipement, et de sondages : ce sont des ter-rains de mauvaise qualité (c’est l’ancien chemin de halage, donc toujours inondé).

Un jour, on demande à Turc : ne faudrait-il pas une vision globale sur ce secteur de la part de la ville pour éviter que le Courrier ne fasse sa petite affaire, et Chevallier de même, alors que le plan d’occupation des sols n’est pas du tout

1 - Comme le garage Renault, rue Thiers. 2 - Il a déjà réalisé un bâtiment à Saint-Michel.

IV.3.1 - Îlot Boisnet-Commerce, vers 1970

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193IV.3 - rénvation de l’Îlot Boisnet (1967-1977)

adapté à ce genre de situation ? On signe alors avec la ville un contrat d’étude de plan masse pour examiner la faisabilité d’une opération dans ce périmètre (jusqu’à la rue du Canal). En 1967, la plupart des propriétaires sont vendeurs. Dans cette étude, on déborde du périmètre pour constituer l’opération Commerce-Boisnet afin de traiter toute la façade en continuité. On décide de faire une opération d’alignement3, avec des problèmes assez lourds de parkings à cause des inondations. Le cœur de l’îlot est planté en mail.

L’étude révèle la possibilité de faire un plan d’aménagement de la zone pour maîtriser les initiatives diverses et les coordonner. Or, la ville est dans une position délicate car ses moyens financiers ne lui permettent pas d’acheter les ter-rains Martin-Rondeau et du Courrier de l’Ouest. C’est pourquoi la municipalité s’oriente vers un plan-cadre pour maîtriser le problème : l’agence réalise une étude de faisabilité pour déterminer le cadre des permis de construire… Mais Cheval-lier a du mal à se plier aux servitudes que nous venons de déterminer4. Turc et moi nous méfions un peu de ce promoteur bas de gamme : l’hôtel étant inscrit à l’Inventaire, le quartier est sensi-ble, et on a peur du résultat avec un partenaire comme lui dans l’opération. Finalement, Cheval-lier lâche l’affaire. Entre-temps, la ville rachète le bâtiment du Courrier de l’Ouest.

Dès le plan-cadre établi, la ville amorce la Bourse du Travail5 qui sera réalisée par la ville en continuité de l’opération. Puis, l’hôtel est vendu, et la ville décide de réaliser l’opération, sans gros financements, avec l’Office HLM6. L’Office HLM s’en charge avec la ville d’une manière autonome par rapport à la Bourse du Travail. On réalise donc ces deux programmes sans problème particulier si ce n’est que les parkings posent problème7.

3 - Autour de l’hôtel particulier conservé. 4 - Les logements pour personnes âgées, sur lesquels il est branché (car il doit avoir une

clientèle), s’intègrent mal. 5 - Avant, la Bourse du Travail est place Imbach, à l’emplacement du Museum actuel. 6 - Elle se terminera sous l’ère Monnier qui l’inaugurera.

IV.3.2 - Îlot Boisnet, projet 1977

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IV.3.3 - Îlot Boisnet-Commerce, maquette, 1977

IV.3 - rénvation de l’Îlot Boisnet (1967-1977)

Page 195: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

195IV.3 - rénvation de l’Îlot Boisnet (1967-1977)

La première inauguration a lieu en février 1977. L’opération Boisnet est donc contemporaine de la République.

Pourquoi l’opération ne se fait-elle pas rue du Canal ?

Je pense que les terrains ne sont pas disponi-bles donc l’Office sursoit.

C’est donc un promoteur privé qui prend la suite plusieurs années après8…

Il me semble qu’il est question un temps d’ins-taller une cité universitaire. On me consulte pour connaître les héberges9 qui sont complexes.

L’opération Boisnet se passe sans difficulté parce qu’elle a incubé longtemps. Les habitants du quartier sont habitués et sont même deman-deurs car ils se rendent bien compte de la situa-

tion. Une lettre du traiteur de la rue Lenepveu (1976) évoque d’ailleurs « [le] caractère pressant de la rénovation […]du quartier Boisnet. L’exode a pris une telle ampleur dans ce secteur qui est pratiquement devenu exempt de toute vie, aussi pour les commerçants cela devient catastrophi-que […]. Nous pensons qu’une banque serait valable à la place du Courrier de l’Ouest […]. Quant au reste, des commerces de gros et de demi-gros pourraient […] être conservés car les commerces qui subsistent ici travaillent dans l’ensemble assez faiblement. Il serait donc illu-soire d’en implanter d’autres. En ce qui concerne le commerce d’alimentation, c’est déjà pleine-ment saturé ». Ce courrier est révélateur : même tout près du centre, les commerces sont en état de faiblesse. Le Courrier de l’Ouest apportait aux commerçants un plus qui a disparu10. C’est un problème pour tous les commerçants, même dans le bas de la rue Lenepveu.

C’est un quartier assez mal famé à l’épo-que…

Comme tous ces lieux désertés, non éclairés le soir, pourtant tout près de la place du Rallie-ment, à l’exception de la rue du Cornet qui a tou-jours été saine…

Puis brusquement, cela change avec l’ins-tallation de la Maison de la Culture et de la Bourse du Travail… Le centre des Congrès, construit en 198311, crée aussi un équipement public de l’autre côté du boulevard Carnot qui rend à la place Imbach et à tout ce quar-tier une nouvelle importance.

Même ce boulevard, sous-utilisé car la gare Saint-Serge n’a jamais bien fonctionné, se civi-lise de nouveau. Les années 1980 marquent la fin d’un quartier d’entrepôts pour l’îlot Boisnet dont les entrepreneurs s’installent alors près de Saint-Serge12 en raison de la présence de parkings et des facilités de circulation avec le boulevard Carnot. Mais seul le bas du quartier Saint-Serge est occupé. Entre cette zone et la rue Boreau, à part le lycée Joachim du Bellay, tout est douteux.

7 - Comme sur la République. 8 - Luc Douesneau en assurera la construction. (note de l’éditeur) 9 - Niveau à partir duquel un mur cesse d’être mitoyen lorsque deux constructions

adossées sont de hauteur inégale. Comme c’est une opération globale, on a pris des accords avec les propriétaires pour ces questions.

10 - Entre-temps Martin-Rondeau est aussi parti.11 - Inauguré lors de la réélection de Monnier.12 - Comme Affez (gros marchand de matériaux) dont le bâtiment boulevard Carnot (à

l’emplacement de la CNP actuelle) brûlera.

IV.3.5 - Rue du Commerce, 1985-1986

IV.3.4 - Îlot Boisnet-Commerce, coupes et façades, 1977

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IV.3.6 - Rue Boisnet, 2006. Cl. CAUE de Maine-et-Loire

IV.3 - rénvation de l’Îlot Boisnet (1967-1977)

Page 197: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

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IV.3.7 - Rue du Cornet, 2006. Cl. CAUE de Maine-et-Loire

IV.3 - rénvation de l’Îlot Boisnet (1967-1977)

Page 198: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

198 IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

La République est une longue histoire. Dès 1956, au temps de Chatenay, la municipa-lité s’interroge sur le quartier des halles. Depuis les bombardements, rien n’a été

fait. Après y avoir installé provisoirement la place des cars, la ville est engagée sur d’autres opé-rations lourdes : Saint-Michel et Saint-Nicolas. Comme le trou de la République constitue une grande réserve foncière, dès que l’on cherche un

terrain pour un équipement, on pense l’installer là. Toujours sans suite. On pense l’emplacement privilégié car proche du centre, de la cathédrale, de la rue Baudrière dont le commerce dépérit à cause de la situation. En fait, tout le monde vit sur des souvenirs, sur l’idée d’un dynamisme passé lié à la Maine. On n’a jamais posé le problème à froid.

Le site est remanié, obsolète, détruit…?

Avant la révolution, le site est constitué par : les murs d’enceinte de la Cité, la tour Villebon, le Palais des Marchands, qui existe déjà1 face à l’évêché.

Le Palais des Marchands, c’est toute mon enfance… La veille de Noël, arrachant mon père à ses occupations, nous faisions les vitrines. J’y ai vu les premiers trains électriques. C’est le grand magasin d’Angers et le seul fréquentable du quartier. Plus bas, la rue Baudrière est moins bourgeoise, car sur le chemin des gens de la campagne qui osent traverser la Doutre pour monter à la cathédrale. C’est une rue difficile, qui a certainement toujours été commerçante, mais hors du centre. La rue Plantagenêt, dont les nombreux commerces sont plus modernes parce que plus récents, n’est pas non plus une rue chic : c’est le quartier de la Poissonnerie et des halles, qui reste là depuis plusieurs siècles, un bas quartier de la ville lié à l’eau. La clientèle y est modeste. Même les immeubles bourgeois du quai Ligny se sont dégradés. Toute la frange du bas de ville, surtout en bas de la montée Saint-Maurice, est assez pauvre. Ce quartier industriel constitue, avec les îlots Boisnet et Ayrault, l’an-cien faubourg lié à l’activité du port Ayrault. Au pied du château, des immeubles de rapport du xixe siècle masquent le rocher du château face

IV.4 - Le QuArtIer de LA réPuBLIQue (1952-1983)“un trou au cœur”

1 - Il apparaît sur le plan “levé” en 1776 par Jean-Baptiste Dubois.

IV.4.1 - Quartier de la République, vue depuis la cathédrale, 1950

Page 199: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

199IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

à la Doutre au bord du quai Ligny ; ils ont une anomalie.

Son architecture est de qualité.

La valorisation des berges date en effet de l’évolution de l’activité économique de la Maine, au xixe siècle, les quais sont aménagés ; ils se civilisent mais au détriment de l’activité. Des immeubles bourgeois s’y installent2. Rapidement la Maine perd son activité que lui vole le chemin de fer, et la vermine s’installe dans le quartier. D’autant que le secteur de la place Loricard n’a pas bénéficié de l’amélioration du xixe siècle. Les halles3 sont un lieu populaire… La rue de la Pois-sonnerie, bien que vaste, est peu accueillante ! Et des entrepôts se trouvent dans le quartier Ayrault/Boisnet que la voie ferrée dessert ainsi que le nouveau pont de la Basse chaîne.

Toujours au xixe siècle, on détruit la montée à la cathédrale à travers le dédale de la Cité (qui devait être délicieux) pour créer la montée Saint-Maurice, énorme bêtise qui tue l’échelle de la cathédrale4. C’est un piège à touristes qui ne correspond à rien pour les Angevins. Jusqu’au XIXe siècle, le quartier est donc un entrelacs de petites rues et d’impasses sur une dénivellation importante5 et avec une forte densité en bord de Maine.

Tout est bousculé au xixe siècle avec la percée du carrefour Rameau6.

Dans la suite du remembrement de la ville haute, le xixe siècle redessine le visage du quar-tier (création de la rue Plantagenêt et des halles), redéfinissant ainsi un tissu né de l’activité flu-

viale, s’arrêtant à la rue Saint-Laud, qui délimite le centre-ville7.

Le quartier change à nouveau de physio-nomie dans les années 1930-1940. En 1936, l’incendie du palais des Marchands dégage la place Mondain-Challouineau du côté de la rue Saint-Laud. En 1938-1939, mon père construit un immeuble rue Baudrière, à côté de l’Évê-ché8, un autre jouxte la tour Villebon. En 1944, des bombes tombent près de la cathédrale, sur une partie de la rue Millet et sur la place Cupif9. L’agence reconstruit à l’aide des dommages de guerre un petit hôtel, qui sera détruit glorieuse-ment 20 ans après.

Le programme de la République s’installe ainsi dans un tissu remanié au xixe siècle qui n’a plus rien d’origine, mais qui bénéficie d’un sacré emplacement dans la ville… En fait, les bas de la ville, du château au Pré Saint-Jean, n’ont plus d’intérêt propre depuis que la Maine n’est plus navigable et qu’il y a d’autres ponts que le pont du Centre. À l’ombre de la Cité et du château, la fin des remparts a semé une disgrâce qui ne doit rien au hasard et les constructions du xixe siècle au pied du château ont mis très peu de temps à tomber en décrépitude, sans lien avec la Maine.

Dès 1952, la ville demande une étude de réno-vation des halles à mon père. Je fais des relevés du bâtiment en fonte10 : l’édifice est dans un état tellement pitoyable11 que les halles sont interdites au public pour raison de sécurité. La conclusion de notre étude est : impossible de réhabiliter les halles, elles sont obsolètes, comme les abattoirs, ces constructions en fonte du début du siècle souffrent de l’instabilité des sols : la fonte casse.

La partie basse de la place de la République fait l’objet d’une esquisse entre 1955 et 1956

mais les conseillers municipaux ne sont pas d’ac-cord : faut-il un marché ou des halles ? fermé ou ouvert ? sur le même emplacement ? ne faut-il pas remodeler tout l’îlot ? Dès cette époque, l’idée que les halles n’ont pas à être place de la République, qui n’est pas une vraie place, est émise. En 1955, personne ne croit au marché couvert. Les esquisses proposent une solution mixte avec une partie à l’air libre et une partie couverte d’une verrière, ce qui permet aux com-merçants de laisser les produits dans les boxes en dur. Ce projet est un souk : c’est un marché ouvert avec des auvents pour les temps de pluie. Pour utiliser la pente, le marché fonctionne sur deux niveaux. Plusieurs variantes de ce parti (Gabreau qui arrive à l’agence avant moi dessine aussi des projets) sont étudiées.

Ce projet reprend-il l’emprise des anciennes halles ?

Oui, exactement, d’ailleurs c’est le seul terrain disponible dans le bas.

Madelain est-il encore « dans le coup » à cette époque ?

En 1957, Madelain est chargé d’étudier un projet d’aménagement du quartier. C’est l’une de ses nombreuses missions dont il ne reste aucune trace. En 1959, mon père lui demande ses conclusions car l’agence doit fournir une étude concernant un projet de reconstruction des halles (à la demande de Sauvage). Il ne répond jamais : écrire, cela oblige à poser le problème…

Derrière toutes ces réflexions, il y a Louineau (adjoint au maire) qui initie le marché-gare12 et

2 - Cet habitat dure de 1870 à 1930 environ. 3 - Également créées au xixe siècle. 4 - Elle est plus haute que la cathédrale. En 1942-1943, un concours est organisé pour

l’aménagement de la montée, inachevé (preuve que c’était une erreur) faute de financementetdescirconstances.

5 - La place Cupif est en contrebas (de 3 ou 4 mètres) du Palais des Marchands. 6 - En haut de la rue Plantagenêt.

7 - Car seule voie transversale dans Angers, qui aboutit à la cathédrale. 8-Lechantierestdifficileàterminercarlesouvrierssontmobilisés. 9 - Le Palais des Marchands aurait été rasé s’il n’avait brûlé…10 - Type Baltard comme les halles de Paris, près de l’Hôtel de ville.11 - La fonte est indestructible mais elle casse aux articulations.

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200 IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

les abattoirs : il s’est spécialisé dans les affaires agricoles13.

Les années 1970 sont déterminan-tes dans l’histoire de la République : la voie rapide change les données ?

En fait, le projet de reconstruction des halles n’aboutit pas car personne n’est d’accord. J’ai le souvenir d’une délibération de conseil muni-cipal où les conseillers s’étripent. Car la ville s’attaquant à la zone Saint-Serge, des halles en centre-ville deviennent inutiles : le marché-gare, plus accessible, offre des auvents pour les pro-ducteurs. De plus, pour répondre à la demande en centre-ville où les petites épiceries disparais-sent, les Nouvelles Galeries installent un espace alimentaire au sous-sol. Ainsi la question de l’ap-provisionnement alimentaire dans le centre se règle de lui-même.

Mais l’élément déterminant est l’idée de la voie rapide (vers 1970) qui “grignote” le bas du quartier : brusquement le trou de la République apparaît. La démolition des immeubles sous le château14 amorce donc l’opération. Des articles réagissent : « on détruit l’architecture du xixe siècle à Angers ! ». Les Angevins prennent ainsi conscience que le bas de la République n’est pas bien brillant (avec la place Loricard, ses coups de couteaux et ses chiffonniers) tandis que le haut est déjà endommagé par les bombardements. Les halles moribondes complètent le tableau15… Alors l’objet de l’agitation n’est plus la question des boxes couverts ou fermés16, mais le devenir du quartier. À l’époque, tout le monde est inté-ressé par ce terrain bien situé. Pour imposer des règles aux éventuels promoteurs, une zone de

5 hectares (sorte de zone d’aménagement dif-féré) est délimitée en 1971, avec un plan d’amé-nagement qui gèle les terrains en attendant de définir ce que l’on y fera. La création de ce PAZ17 explique l’intervention de la SODEMEL (et non de la société d’économie mixte qui termine Saint-Michel et poursuit Saint-Nicolas, « domaines réservés » de Turc) : Chupin engage ainsi son opération de rénovation urbaine.

Alors que la voie sur berge commence à se dessiner, la municipalité s’interroge sur ce que l’on doit faire… La place Mondain-Challouineau fait longtemps la chronique des futurs projets d’Angers. Quand on parle de la destruction du Grand Cercle18, on envisage l’installation d’un centre culturel à l’emplacement du Palais des Marchands, puis celle de la piscine couverte de la ville, puis un centre des congrès.

Cette implantation est intéressante, et même moderne…

Absolument. Cependant, ces projets, évo-qués par la municipalité Turc (entre 1963 et 1975) avant qu’elle ne se lance, pour je ne sais quelle raison, dans l’opération Monge, abandonnent après quelques rebondissements le choix de ce terrain qui change d’étiquette au gré des campa-gnes de presse et électorales.

J’ignore comment la ville consulte Monge, architecte parisien, par le canal de la SCET vrai-semblablement. C’est Chupin qui suit l’affaire. La Sodemel doit demander en 1969 à Monge d’étu-dier une opération immobilière sur la République. En y implantant des logements haut de gamme (collectif résidentiel), la ville prolonge le centre - il est encore en haut à l’époque - vers la Maine

tout en tirant bénéfice de la vente des terrains. Un jour en 1976, Chupin me présente pour avis le projet qu’il semble difficilement avaler.

Quelle est cette proposition ?

C’est un projet saturé, rentabilisant au maxi-mum le terrain, mais je pense que Monge ne pouvait pas faire autrement. J’ai donné mon avis - c’est un problème mal posé au départ - à Chupin sans ambiguïté. Le projet Monge, trop dense, révèle les limites du site et la nécessité d’une solution plus fractionnée. En fait, l’impor-tance de ces 5 hectares est surévaluée : le site est grand, mais coincé par la Maine et la voie sur berge sur un terrain en forme d’hélice qui subit deux fortes pentes entre la rue Baudrière et la rue Plantagenêt.

Par la suite, Chupin me demande ce que l’on pourrait engager sur cet emplacement difficile que l’actualité de la voie sur berge et de la démo-lition des quais rend sensible. On est alors en 1976. Je rédige une note avec quelques croquis19 pour ouvrir la discussion…

Mes réflexions mettent en évidence les lignes de force naturelles correspondant à la pente du terrain. La rue Plantagenêt offre à la fois un moyen de dégorger ou d’alimenter le système vasculaire de la ville et une perspective vers la place La Rochefoucauld, qui ouvre le débat du quatrième pont qui prolongerait la rue Plantage-nêt (vers l’entrée des Arts et Métiers) lui accor-dant ainsi une valeur d’axe de circulation très importante pour sortir du centre (qu’elle conserve même si le pont n’est pas réalisé). Ce n’est pas un hasard s’il y a quasiment un échangeur à l’en-trée de cette voie (place Molière). Le tracé de

12 - Les emplacements (couverts ou non) seront d’ailleurs l’objet d’une bataille à cette occasion.

13 - À l’époque, il est obnubilé par le sort des petits producteurs qui sont nombreux dans les environs d’Angers.

14 - Après la reconstruction (en le décalant en aval) du pont de la Basse-Chaîne en 1960.15 - Le seul élément nouveau est le collège du Sacré-Cœur qui s’étend à partir de la rue de

la Poissonnerie.

16 - Entre-temps le marché-gare ouvre (1963).17 - Plan d’aménagement de zone.18 - Boulevard Foch.19 - État du terrain avec le Sacré-Cœur, le tracé de la voie sur berge et le passage

souterrain avec le nouveau pont de la Basse-Chaîne.

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201

IV.4.2 - Quartier de la République, vers 1950. Cl. J. Evers

IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

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202 IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

l’ancien pont des Treilles n’était pas idiot : c’est le seul moyen de relier le centre-ville à la Doutre sans la perforer. Bien évidemment il est difficile de placer une quatre voies dans ce secteur.

J’explique à Chupin que le quartier de la République est l’articulation majeure du site urbain d’Angers depuis toujours : bloqué entre le rocher et la Maine20, il est en fait le cœur de ville21 sans pouvoir physiquement en exercer la fonc-tion mais en étant le plus apte à l’irriguer. C’est pourquoi, ne pouvant concurrencer la Doutre, ce secteur n’est pas capable de jouer un rôle, sur-

tout avec la voie rapide qui rompt son rapport à la Maine et de la Doutre dont il est le jumeau.

C’est toute la problématique des centres-vil-les…

En fait le problème qui caractérise ce quar-tier réside dans l’eau : l’unique point de franchis-sement pour se rendre en ville est le pont de Verdun.

En 1976, tandis que sont engagés les travaux du centre culturel du Haras22, Jean Coignet23

rédige un rapport de reconnaissance du terrain assez intéressant, sûrement à la demande de la SCET. Le rapport de Coignet qui porte un regard extérieur sur le quartier est le dernier document de la municipalité Turc puisque le projet Monge a été enterré. Puis, la nouvelle municipalité arrive.

Il n’y a donc pas vraiment de suite à cette réflexion ?

Les démolitions du quartier République révè-lent l’importance du lieu, mais personne ne sait quoi faire à cet endroit. Dans les pays conserva-teurs, seule une révolution ou une guerre peut faire bouger les gens24. Dans une ville comme Angers, seul un élément dévastateur comme la voie sur berge oblige la municipalité à délaisser la discussion du marché couvert ou ouvert pour embrasser d’un seul regard le site depuis le pont de chemin de fer de Segré jusqu’à la Baumette. Quant à la voie sur berge, une poussée à l’acte sans discussion semble entraîner sa réalisation : sans réflexion préalable, tout le monde se jette à l’eau. Je n’ai ni souvenirs ni traces de sa genèse car elle n’apparaît pas sur les schémas directeurs de 1960-65. Ensuite, la voie sur berge apparaît comme élément de circulation, puis comme élé-ment d’urbanisme. Pour les Ponts et Chaussées, l’éternel problème demeure l’autoroute.

Quel est le rôle de l’agence Mornet par rap-port à cette voie sur berge ?

L’agence n’a aucune influence, même si je me rappelle quelques discussions personnelles à ce sujet avec Chupin qui me consulte à titre amical. En revanche, Rotival, urbaniste enseignant aux États-Unis, fait à cette époque des ravages dans

20 - À l’ombre du site le plus admirable d’Angers qui implique qualité et discrétion.21 - C’est la jonction la plus ancienne entre les quartiers de la ville (le plus vivant : le

Ralliement ; le plus respectable : la Cité ; le plus décadent : la Parcheminerie ; le plus caractérisé : la Doutre).

22 - Là où s’est fait la patinoire.23 - Architecte urbaniste de Carpentras et urbaniste connu à l’époque.

24 - Les destructions de la guerre ont permis de réaliser quelques arrangements urbains intéressants.

IV.4.3 - Hypothèse d’autoroute Sud-Loire, étude pour la région Pays de la Loire, Philippe Mornet, 1969

Page 203: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

203IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

toute la France. On lui doit les autoroutes traver-sant les centres-villes comme remède-miracle à tous les maux25.

On en revient toujours à la fameuse histoire d’autoroute. Lors des réflexions sur l’autoroute Paris-Nantes, j’étais à la CODER à la commis-sion Aménagement du Territoire qui analysait l’impact de la future autoroute sur l’Ouest, d’où des discussions avec la Direction régionale de l’Équipement. Compte tenu de la position d’An-gers, ainsi que celles du Choletais et de toute sa région d’activité. Mon idée alors était de faire

passer l’autoroute par le sud du département. A posteriori, je trouve mon schéma valable : il éli-mine les problèmes toujours actuels de la voie sur berge et du contournement nord d’Angers par Avrillé.

Schématiquement, à partir de Seiches, on passait entre Angers et Saumur, traversait les Mauges, en desservant le Choletais et la côte vendéenne, et on repiquait vers le nord (et éviter ainsi les ennuis de la traversée de Nantes). Nous aurions fait le pont qui passe en aval du centre de Nantes plus haut (illustration IV.4.3).

Ce système permettait d’éviter les problèmes d’inondations sur Angers et de raccrocher les deux pôles d’activité de Cholet et de Saumur à l’axe autoroutier. On desservait ainsi le Maine et Loire tout en allant vers la côte Atlantique sans s’empêtrer dans les agglomérations. Aubriot26 était d’accord avec cette approche, mais pas le Conseil supérieur des Ponts, comme toujours… Pas question, puisque cette solution nécessi-tait 30 km de plus27. Cela illustre bien la vision Ponts et Chaussées, qui n’ont pas la dimension de l’aménagement, seulement celle de la circu-lation.

Il serait intéressant de le confronter au schéma directeur de l’agglomération de l’agence d’urbanisme de l’époque… La configuration d’Angers est née d’une succession de chaos car les problèmes sont posés seulement par rapport au noyau urbain : jamais n’est envisagée l’agglo-mération intercommunale (Trélazé, Les Ponts-de-Cé, Beaucouzé, Bouchemaine, Pruniers). Aujourd’hui, on s’aperçoit que l’absence de vision à long terme de tous ces décideurs a généré des problèmes et des solutions contestées. Le problème actuel d’Avrillé est par exemple une grossière erreur : on a laissé les gens s’installer

alors que l’on savait pertinemment qu’un tracé d’autoroute était prévu… Les plans de 1967-1968 évincent même parfois les problèmes en ne dessinant pas les portions de voies difficiles à traiter ! Pourtant, on sait bien que le tissu urbain évolue, il est prévisible qu’à la place des avions, on installera des habitations ou des services. La voie sur berge, c’est autre chose. L’absence de terre entre la voie sur berges et le bord de l’eau, empêche de la reconvertir en voie urbaine. Elle est complètement collée à l’eau, on ne voit jamais un promeneur circuler sur le petit trottoir pour profiter de la Maine et regarder le quai de la Savate. Là aussi c’est un problème d’échelle (illustration IV.4.4).

L’opération de la République a fait l’objet d’un grand concours d’urbanisme ?

Alors que les élections de 1977 sont imminen-tes, l’AURA reprend l’affaire République. Après le fiasco reconnu de l’opération Monge, la ville décide d’organiser un concours pour l’aména-gement du quartier qui fait l’objet d’une grande campagne de presse pendant la campagne élec-torale. J’annonce que je refuse de participer au concours car je suis contre l’option qui consiste à maintenir les halles en ville malgré l’évolution évi-dente des pratiques commerciales. En décem-bre 1978, mon père qui, en tant que membre du jury (à la demande du maire), reçoit le projet de programme du concours, rédige une note sur le projet de règlement du concours à l’attention de l’AURA. Le programme définit des exigences innombrables en supplément des halles, autant d’ingrédients à placer dans l’opération. Le piège fantastique du concours dans lequel l’AURA et tous les candidats tomberont est de surévaluer la

25 - Comme à Reims, ainsi qu’une étude sur le centre de Paris assez folle.26 - Aubriot est directeur régional de l’Équipement.27 - Il fallait doubler la Nationale 23 qu’ils ne pouvaient pas quitter, pas plus à Saint-Michel

qu’au niveau des départements traversés.

IV.4.4 - Quartier de la République, plan de situation, 1969

Page 204: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

204 IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

capacité du terrain. En réalité, le site du concours est tout petit et très pentu, ce qui diminue sa sur-face utile.

Le programme est-il trop copieux pour l’es-pace ?

L’AURA se plante dans son programme. Beaucoup de jeunes architectes se précipitent pour étudier l’opération République car c’est le début des grands concours (ouverts à tout le monde), ils se retrouvent coincés par un pro-gramme très dense :- des halles couvertes principalement alimen-taires (ouvertes tous les jours) et un marché à l’extérieur représentant 3 200 m2, avec des com-merces d’accompagnement ;- mais aussi 150 logements sociaux, une crèche à l’intérieur de l’îlot, des parcs de stationnement (dont un parking souterrain et un parking privé pour les logements), une gare routière en bas de la place, des espaces publics et un centre d’in-formation.

Il s’agit en fait d’une demande de logement social et non pas un projet résidentiel ?

Malheureusement, on ne résout pas un pro-blème urbain en installant du logement social.

En fait, l’AURA propose un projet. Or un pro-gramme de concours trop directif est une grave erreur, surtout quand il s’agit d’un concours d’idées. Les juges auraient dû se rendre compte que le problème était mal posé. Il faut limiter au maximum la cible afin de laisser l’urbaniste posi-tionner les vides et les pleins. L’AURA, dans ce programme, place même les transports, ne per-mettant pas d’imaginer un système de circulation

IV.4.7 - Quartier de la République,projet Millet, Sbolgi, Gueguen et Choutet

IV.4.5 - Quartier de la République,projet Lebreton, David et Haffner

IV.4.6 - Quartier de la République,projet Bellon et Sobotta

IV.4.8 - Quartier de la République, projet Niebudek, Ostrowski et Schulz

Page 205: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

205IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

28 - En tant que vice-Président du Conseil supérieur de l’Ordre des Architectes.29 - Immeuble à l’angle du bas de la rue Baudrière, situé avant le collège du Sacré-Cœur,

et qui ne fera pas partie de la République.

30 - Il est amusant de noter que dans le programme du concours, les halles disparaissent auprofitd’unegaleriemarchande(alorsquelaréflexionsurlaRépubliquenaîtdanslesannées 1970 de l’interrogation à propos des halles), ce qui libère du terrain place de la République. On prend les mêmes et on recommence.

autre que la voie sur berge. Les quatre candidats sélectionnés traitent ainsi tous la rue Plantage-nêt comme une petite ficelle. Et puisqu’il y a peu de surface à construire, pour répondre au pro-gramme, les candidats truquent les échelles des plans pour pouvoir tout caser dans ce tissu aussi étroit. Les projets sont essentiellement jugés sur l’implantation du centre commercial. En 1979, les résultats du concours sont publiés : Lebreton-Haffner sont lauréats.

En 1981, j’ai un entretien28 avec Yves Dauge qui est au cabinet de Mauroy pour des problèmes de la profession. Cela se passe à Matignon. Je montre à Dauge, qui avait été consulté plusieurs fois sur le sujet, une étude de site sur la Répu-blique. J’essaie de savoir où en est la nouvelle municipalité par rapport à Mornet puisque je suis concerné par pas mal d’affaires engagées ou bloquées. Monnier n’a pas envie de créer un atelier spécialisé : il préfère s’appuyer sur les sociétés d’économie mixte et l’Office d’HLM qu’il contrôle et que la ville ne soit pas directement mêlée. Le maire et Lenoir à l’AURA n’ont pas les mêmes conceptions. Pour la République, il ten-drait à lancer assez vite, dans le bas de la rue Baudrière, une réhabilitation avec l’Office d’HLM et Rolland29. Il pense qu’il faut envisager à l’ave-nir des études préalables, surtout sur les grosses opérations financées par le Fonds d’Aménage-ment urbain afin d’être sûr de les engager et parce que les honoraires de réalisation ne per-mettent pas de payer des études particulières. C’est le problème de tous ces programmes : les études d’urbanisme sont des études en soi et à partir du moment où on les fait faire en attendant un financement - c’est un peu l’histoire de Saint-Nicolas - et qu’on les réalise sur des program-mes HLM, on ne peut pas trouver des honoraires

correspondant aux études faites en amont. Il y aurait pour l’opération République des honorai-res normaux, mais la rentabilité y serait assez serrée car l’essentiel ne serait pas l’architecture mais les coûts et la juste prévision, le respect des plannings serrés à cause des frais financiers. Les collectivités se sont toujours beaucoup inté-ressées aux frais financiers qu’elles nous jettent en général à la figure. Comme on n’est jamais payé, on sait bien ce que sont les frais financiers, que nous assumons et non le contribuable !

En fait, quelle est la suite donnée au concours pour la réalisation de sa deuxième phase ?

Durant l’été 1982, je reçois un coup de fil alors que je suis en vacances chez ma fille aux États–Unis. Le maire veut me voir au sujet de la ZAC de la République : il a des problèmes avec les lau-réats du concours. Les faiblesses du concours République apparaissent clairement : le gon-flement du centre commercial auquel s’oppose la SARA démolit la cohérence du projet. Rapi-dement, la SARA rédige un modificatif qui met Lebreton-Haffner sur la touche car ils ne savent pas s’adapter. Les halles s’arrêtent : on parle désormais de galerie marchande30.

Qu’est-ce qui explique la rupture entre la municipalité et les architectes Lebreton et Haffner ?

Je ne peux pas juger une situation dont je n’ai pas été acteur. C’est une opération extrêmement complexe. De plus, les architectes lauréats ne sont pas d’Angers : même en venant voir le site, ils n’ont pas pu l’appréhender entièrement. Et il faut rendre le concours rapidement. Je ne suis

pas sûr qu’ils aient le meilleur projet à la première phase, en revanche ils proposent un projet fort pour les halles, ce qui séduit le jury. Mais, il ne peut sortir aucune idée de ce concours d’idées mal posé puisque le programme est déjà établi. Les lauréats, Haffner et Lebreton, sont ensuite, d’après ce que j’ai compris, dépassés par les évé-nements (ils n’ont pas l’expérience de ce genre d’opération). Apparemment, cela ne fonctionne pas entre Lebreton-Haffner et l’Office HLM. Le maire propose alors le second lauréat (Millet), un baratineur qui lui plaît. En fait, le maire charge Millet du programme de logement, laissant le secteur des halles à Lebreton-Haffner. Les diffé-rents partenaires arrivent peu à peu : la Chambre de commerce (qui est un peu myope en matière d’urbanisme) à laquelle la ville cède le dossier pour les halles ; l’Office HLM pour les loge-ments ; et bien après le CIPA. Mais visiblement Millet plaît encore moins que Lebreton-Haffner à l’Office et à la SARA : suite à son projet remis en juin 1982, ils retournent donc voir le maire pour trouver une solution d’urgence. C’est alors que le maire me fait appeler pour résoudre l’affaire.

En août 1982, un entretien avec l’architecte de la ville (Roussel) permet de faire le point : on fait une croix sur le concours. Nous sommes chargés, à la demande du maire et du président de la SARA, de reprendre le plan masse issu du concours avec pour objectif de traiter les pro-grammes de logements sociaux et les équipe-ments complétant le parking public et les halles. La grosse difficulté pour nous est de reprendre une opération déjà engagée : on ne peut pas faire ce que l’on veut en sous-sol qui est en cours d’exécution.

Le plan masse est défini sur la base des plans de Haffner-Lebreton et du programme très

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206 IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

complexe du CIPA31 (promoteur) qui débarque en septembre 1982. Le CIPA n’a jamais réalisé d’opération en centre-ville : découvrant la com-plexité de l’opération et les factures envoyées par la SARA, Prisset, d’abord inconscient des problè-mes, renonce finalement à précipiter les choses. On travaille donc au gré des accélérations et des accords de délais supplémentaires (report d’un an) sur un terrain triangulaire et pentu qui cumule, excepté la faculté de Médecine, le maximum de contraintes que j’ai jamais rencontrées (fonda-tions déjà exécutées et inadaptées, glissement du coteau, alignement sur la rue Baudrière avec de nombreux décrochements). On est obligé de jongler avec les positions des poteaux prévus pour les parkings et de renforcer les fondations inadaptées pour porter des immeubles de loge-

ments (CIPA et HLM)32. C’est un numéro de contorsionnistes aveugles et sourds qui font du trapèze volant, sans filet malgré un lumbago !

Pourquoi les fondations ont-elles été réali-sées aussi vite ?

Le maire, dès qu’il prend une opération en main, veut aller vite. Il est vrai qu’il bénéficie d’une position privilégiée puisque le terrain est déjà démoli - le trou est là depuis trente ans - et les remembrements effectués, mais pas totale-ment vierge, contrairement à ce que l’on peut penser, car soumis à de nombreuses contrain-tes extérieures (circulation, fondations, fouilles archéologiques33, etc.). La SARA qui est nais-sante (remplaçant les SEM) met également la

pression, quoiqu’elle prend conscience de la complexité de l’opération, qui n’a pas été prise en compte dans le concours. De même, quand nous reprenons l’opération en 1982, le chantier avance sous pression. Comme toujours, tout le monde est pressé. On arrive en cours de route, mais on doit suivre l’affaire comme si on était là depuis le début malgré le retard accumulé par rapport au calendrier initial. C’est une course forcenée contre le temps, entre l’avancement du chantier et l’avancement des plans.

Que ce soit avec Lebreton-Haffner ou Millet, pendant ce temps, le chantier continue mais sur quel plan battent-ils les pieux ?

Haffner-Lebreton ayant gagné le concours pour l’ensemble, ils continuent.

C’est invraisemblable…

Oui. La SARA reprend les fonctions des sociétés d’économie mixte, mais l’équipe n’est pas prête pour ce genre d’opérations complexes. Et comme l’architecte est également inexpéri-menté, il ne peut mettre le maître d’ouvrage en garde contre les problèmes. Or l’une des difficul-tés de notre métier est de travailler sur du long terme, ce qui demande de prendre en compte des éléments nouveaux entre le projet et la réa-lisation.

C’est très amateur de la part de la maîtrise d’ouvrage…

Totalement, la maîtrise d’ouvrage doit compo-ser avec un nouveau maire, Jean Monnier, qui pour sa première grande opération fonce dans le brouillard sans partenaire encombrant. Il est très

31 - Crédit Immobilier des Prévoyants de l’Avenir32 - Des parkings conçus pour le bâtiment des halles doivent désormais supporter

des logements. Quand on attaque le projet, les pieux sont battus, les fondations effectuées, exceptées dans la partie basse. À certains endroits, on rebat des pieux complémentaires, on ajoute des poutres pour renvoyer les charges, on bouche des trous pour en creuser d’autres.

33 - Alors que le chantier démarre, les archéologues débarquent et corsent un peu l’histoire.

IV.4.9 - Quartier de la République, maquette d’étude, septembre 1983

Page 207: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

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réflexions sur les concourset les jurys

J’ai été membre de jurys importants au niveau national. Alors que je suis vice-président du Conseil supérieur de l’Ordre des Architec-tes, Jozeau Marigné, le président du Conseil général de la Manche34 lance un concours pour la construction d’un nouveau Conseil général. Tout le monde sait que le concours est pipé à l’avance, c’est pourquoi on m’envoie comme membre du jury. Rencontrant tout le monde, je prends connaissance des projets des candidats et constate que peu de personnes soutiennent le projet défendu sans pudeur par Jozeau Mari-gné. Je prends les choses tambour battant : je dis exactement ce que tout le monde pense, sans avoir osé le dire : ce projet est un bâtiment du xviiie siècle ! Pour le règne de son président.

Ce bâtiment sans aucun respect de propor-tion est une catastrophe ! C’est du Mansard revu et corrigé, d’autant plus aberrant que le bâtiment se situe à l’entrée de la ville Saint-Lô35…

Un certain nombre de membres du jury m’en-couragent…mais ajoutent qu’ils ne sont pas en situation de voter contre ! Lors de l’audition des candidats, quand l’architecte (Langlois) passe, je sors les canons. Langlois n’est pas très à l’aise dans le débat. Il présente le Conseil général comme l’habitation principale avec ses services, tel un château encadré par ses dépendances. Je demande à Langlois : « Où mets-tu le carrosse

du président, sur le parking ? ». Tout le monde s’esclaffe… Sauf Jozeau Marigné.

Le projet a tout de même été construit…

Et pourtant, il est évident que le projet est nul. Mais Marigné qui est un homme politique auto-crate ne l’entend pas ainsi. Le jury prend alors un ton évidemment saignant. Le président devient odieux avec les fonctionnaires : je ne sais pas pourquoi il n’ose pas me contrer, je suis obligé de le rappeler à l’ordre. D’ailleurs, par la suite, de nombreuses lettres me remercient de mon enga-gement. Cette histoire se passe en 1978. On s’aperçoit que les hommes de pouvoir peuvent faire ce qu’ils veulent car malgré l’avis “contre” du jury, le Conseil général (par la commission des Bâtiments, trois personnes à sa solde) approu-vera le projet ! La réalisation coûte deux fois plus cher que prévu, comme je l’avais prédit. Et heureusement le président du Conseil général y laisse sa peau car il ne sera pas réélu.

Le CAUE de la Manche, installé dans ce bâti-ment, a déménagé car les conditions de tra-vail étaient épouvantables.

C’est intéressant d’entendre les remarques de quelqu’un d’extérieur qui conforte mon opinion de l’époque. Cette affaire est vraiment particulière : une vraie caricature du concours !

Je réussis à perturber également un concours à Laval pour un complexe sportif. Malade, le maire ne peut assister au jury. Vingt-cinq personnes sont dans la salle alors que le nombre réglemen-taire est de 12 membres du jury. Je le souligne et, après lecture du règlement, demande que les personnes non inscrites au jury quittent la salle. Alors on arrête le jury pour que les adjoints aillent

consulter le maire qui persiste à vouloir que le conseil municipal seul décide. Menaçant de déposer une plainte, je finis par lui faire accepter le règlement. L’incident est clos.

Mon père m’a toujours dit que pour être membre de jury, il faut être courageux. C’est vrai, parce qu’un jury est souvent le lieu d’aboutisse-ment de combines préalables : c’est un habillage pour être conforme à la réglementation, mais rarement un vrai concours. Je connais de nom-breux confrères qui n’ont pas été lauréats avec des projets brillants car c’était réglé d’avance…

C’est vrai pour les gros concours unique-ment…

J’en doute, mais c’est inadmissible à tous points de vue. Qu’on laisse les élus libres de choisir un architecte s’ils veulent l’imposer, au moins le débat est clair, mais que l’on ne donne pas cette illusion aux autres candidats qui tra-vaillent en pure perte. C’est absolument anor-mal. Les concours entretiennent l’idée auprès du public qu’il y a mise en concurrence. À une autre époque, les marchés publics se négocient par le biais d’ententes entre les entreprises. Or, quand elles deviennent assez puissantes pour financer les programmes, c’est très souvent une opération douteuse. Il ne faut pas confondre les genres : le maître d’ouvrage est un maître d’ouvrage, l’en-trepreneur est un entrepreneur et l’architecte un architecte. Les fonctions ne sont pas interchan-geables et ces différentes catégories ont pour mission de défendre des positions qui ne sont pas forcément communes. Les scandales nais-sent de cette confusion des genres : nombreux sont les bureaux d’études créés pour masquer des magouilles36.

IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

34 - Sénateur, membre du Conseil constitutionnel.35 - Près d’un rond-point desservant désormais un Mac Do ! 36 - La prolifération des CES a eu lieu dans ce contexte de toute-puissance des entreprises

qui, pour amortir les moules, doivent construire en grande quantité. On a ainsi couvert la France de nullités que l’on démolit à l’heure actuelle et Dieu sait que l’on a essayé de s’opposer à ces pratiques pour défendre les intérêts des professions et du public.

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208 IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

exigeant : la SARA doit se débrouiller. Mais la SARA se voit mal partie avec Haffner-Lebreton, de même qu’avec Millet… L’arrivée d’un troisième architecte, même s’ils me connaissent bien, les rend nerveux. C’est une opération complexe car il y a beaucoup d’acteurs pour de nombreux équipements : l’Office HLM et le CIPA pour les logements, les exploitants du parking, la Cham-bre de commerce pour le centre commercial, la gare routière, l’hôtel Ibis et la crèche municipale. Sur un aussi petit espace, ces éléments s’avè-rent trop nombreux et la SARA en subit aussi les conséquences. De plus, la rue Baudrière côté Sud ne fait pas partie du concours. Ce

programme est mené parallèlement par Bruno Duquoc, architecte37.

T’inspires-tu d’éléments du programme du concours pour réaliser l’opération de loge-ments ?

Dès septembre 1982, on définit un dispositif global : rechercher une meilleure symbiose entre les constructions et les différents parcellaires du quartier, un point absent du programme du concours. Le projet cherche à renforcer l’im-pact de la place du marché dans la continuité urbaine marquée par la rue Plantagenêt et la rue Baudrière. Pour cela, on apporte plusieurs

modifications pour dégager ce paysage urbain, en transformant majoritairement la zone com-merciale : la surface de la place du marché diminue et une galerie marchande remplace les halles. Pour qu’elle soit un élément d’habitation et non un élément de vie publique, on déplace la crèche (prévue sur la place du marché) dans le bas du terrain, au milieu des logements38. Aussi, on décale les immeubles vers l’Est en resser-rant les bâtiments. On élimine l’axe piéton en diagonale (qui coupe l’opération HLM en deux) au profit de l’élargissement de la rue du Sacré-Cœur que l’on prolonge au-delà de la rue Millet par un axe piétonnier. On ménage une petite place à l’entrée du Sacré-Cœur. Enfin, on plante un espace vert unique à l’intérieur de la zone (en supprimant les parkings de la partie basse) pour créer un îlot de calme (square Jean Monet). L’axe piétonnier planté, qui introduit l’évêché dans le système, offre une perspective de grande qua-lité soit vers la Cité, soit vers la Maine, dans une trajectoire volontairement variée pour caden-cer le parcours. Notre projet a fait l’objet d’une recherche particulière d’intégration afin d’être plus respectueux de l’environnement (malgré les servitudes redoutables). Compte tenu des ruptu-res (séquences très différentes du tissu existant), il faut jouer le mimétisme ou la concordance en actualisant les modénatures lisibles dans l’envi-ronnement. On adopte plusieurs trames urbaines pour les futures constructions : une trame étroite et variée côté rue Baudrière caractérisant les xve et xvie siècles ; la rue Millet est dans l’esprit des xviiie et xixe siècles ; les rues Plantagenêt et de la Poissonnerie évoqueront le xixe siècle. Les rez-de-chaussée sont conçus pour accueillir des activités commerciales, ce qui assure un traite-ment varié permettant une meilleure perméabi-

37 - Il consolide cette voie jusqu’au terrain CIPA pour qu’elle ne s’effondre pas sous les charges.

38 -DontlenombrediminuepourdesraisonsdefinancementdisponibletantpourlesHLM,que pour le CIPA.

IV.4.10 - Quartier de la République, vers 1980

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209IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

lité compte-tenu de la morphologie particulière du terrain. On déplace l’hôtel Ibis (initialement installé vers la rue Plantagenêt) à l’angle des rues du Sacré-Cœur et de la Poissonnerie pour mieux maîtriser l’angle de la rue Plantagenêt qui doit accueillir un gros commerce, tel un fanal à l’entrée de la rue, ce qui ne se fera pas39. L’en-semble des logements HLM est conçu autour d’un espace intérieur détente avec intégration de la petite enfance.

L’exiguïté du terrain se traduit dans l’archi-tecture intérieure des logements ?

La forme du terrain est infernale : le pro-gramme du CIPA, qui occupe un petit terrain triangulaire avec une cour intérieure, est articulé autour d’angles. Dans les niveaux intermédiaires, on doit se raccrocher au parking. Pour simplifier le problème de dénivellation, on doit prévoir des magasins au rez-de-chaussée. L’organisation n’est pas simple : à chaque endroit, il y a un élé-ment d’articulation. Sur certaines façades, rien n’est droit car l’alignement avec les immeubles en face impose des décrochements. D’ailleurs, au début du chantier, la voirie nous apprend que l’on a travaillé sur de mauvaises cotes pour la rue

Baudrière. On perd 20 à 30 cm dans les loge-ments, ce qui est redoutable sur un tel terrain.

Est-ce une opération plus compliquée que Saint-Nicolas ou Saint-Michel ?

Oui par cumul des inconvénients : on n’a pas la maîtrise initiale de l’ensemble ; le terrain du CIPA est un boyau ; le programme République est un morceau éclaté ; on hérite de la trame déjà construite en sous-sol ; et enfin, le coteau glisse côté rue Baudrière, il faut le contenir.

Les HLM sont-ils l’opération la plus simple ?

Oui. Avec l’expérience de Saint-Michel et de Saint-Nicolas, on connaît les financements et les entreprises. La construction de l’hôtel se passe également bien, si ce n’est qu’au départ, la direc-tion qui s’entendait bien avec Millet regrette l’ar-rivée d’un nouvel architecte. L’entreprise SAE40, alias Fonteneau a un service technique efficace : j’étudie tout le projet sans avoir les ennuis du chantier quoique son directeur m’appelle sou-vent parce que les réseaux sont partagés avec l’opération HLM.

Quel architecte positionne l’hôtel ? Est-il dans le programme ?

Je ne sais pas si l’hôtel est au programme du concours. Le souci d’Ibis est de ne pas paraître comme des HLM en raison de leur proximité. C’est pourquoi on reprend la trame de façade du Sacré-Cœur et que les travaux ne commencent qu’après la fin du chantier HLM.

En revanche, tout au long de l’opération République, la partie commerciale demeure un

39 - C’est pourquoi les logements qui y sont placés sont surélevés (hauteur prévue pour l’installation de mezzanines par les commerçants, qui sera utilisée pour des caves).

40 - Qui construit tous les hôtels pour le groupe Ibis.

IV.4.11 - Schéma d’organisation du quartier de la République, Vivre à Angers, n° 73, mercredi 25 avril 1984

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210

IV.4.12 - Quartier de la République, cœur d’îlot, 2006. Cl. CAUE de Maine-et-Loire

IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

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211

IV.4.13 - Quartier de la République

IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

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212 IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

grand flou. Le concours ne précise pas la nature du commerce (centre-ville ou proximité). Cette incertitude apparaît dès 1956 lors du débat sur le devenir des halles, mais la situation n’est jamais clarifiée. Aussi en 1983, une étude commerciale est réalisée par Mauricet (service de la ville), mais

l’opération est déjà lancée. Son rapport oscille entre illusions et doutes. Il n’est pas optimiste sur le court terme, mais ne voit pas assez loin.

Est-ce la nostalgie qui maintient l’idée des halles en centre-ville ?

C’est flagrant dans la discussion du conseil municipal. Dans cette démarche comme dans n’importe laquelle, cela coince parfois car tout l’intérêt de ces opérations urbanistiques réside dans le rapport entre le futur et le passé. Il ne faut pas détruire ses racines, il faut faire des greffes.

IV.4.14 - Quartier de la République, 2006. Cl. CAUE de Maine-et-Loire

Page 213: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

213IV.4 - Le quartier de la république (1952-1983)

Dans le projet de la République, on parle moins du rapport au centre-ville que du rap-port à la Maine… Pourtant, la tendance de l’urbanisation du centre-ville est de s’éloi-gner de la Maine. La vie remonte-t-elle vers le boulevard ?

Un peu, mais cela date du xixe siècle. Géo-graphiquement, il y a un basculement de site au niveau de la place du Ralliement. Autrefois, la vie était contenue par les murs d’enceinte, installée dans le tissu le plus protégé. Dans la zone des futurs boulevards, il n’y avait pas donc d’activité : à cause des portes, qui sont les points de pas-sage, il y a toujours un tissu mort en périphérie. Comme l’autoroute (la Maine) est en bas, les activités sales s’installent dans ce secteur du travail, tandis que les gens « propres » sont en haut. Entre le haut et le bas, le rapport n’est que commercial. La ligne de rupture est formée par la rue Saint-Laud, la Cité, la cathédrale qui sont à la vraie fracture du site, le tracé très ancien de la rue Saint-Laud le marque bien. Lorsque l’on transforme le mur d’enceinte en boulevard, est réalisée une opération d’urbanisme très impor-tante. Pendant un temps, la voie ferrée qui dessert toute la partie industrieuse de la gare Saint-Serge à la place Molière (quartier Boisnet) compense cette dichotomie. Le seul lien est la rue Plantagenêt (tracée au xixe siècle pour relier la partie bourgeoise du quai Ligny au centre-ville). Hormis celle-ci et le carrefour Rameau, la zone de la République est donc isolée. C’est pourquoi construire un pont dans le prolongement n’est pas idiot, car ce quartier de bords de Maine n’a jamais appartenu vraiment au centre d’Angers.

Mais lors d’une opération de rénovation urbaine, on change la composante sociolo-gique du quartier, cela lui redonne une cen-tralité urbaine…

Le problème est géographique : les rues sui-vent toujours les courbes de niveau, créer un axe perpendiculaire est donc difficile. En réalité, personne ne descend la rue Plantagenêt à l’épo-que, elle accueille des commerces occasionnels de centre-ville. Quant à l’îlot Boisnet, il est formé par des entreprises. Avant le xixe siècle, je pense vraiment que les gens ont l’impression de des-cendre dans le bas de la ville (zone d’activité).

C’est comme la montée Saint-Maurice.

Oui, ce problème morphologique est toujours redoutable, il explique que le trou de la Républi-que ait été inoccupé aussi longtemps.

Cependant, la réponse urbaine et architectu-rale qui a été trouvée fonctionne aujourd’hui.

Mais il existe un décalage avec la réalité : le “trou” de la République n’a pas la fonction que le site revêt dans l’esprit des gens à cause de son emplacement privilégié à côté de la cathédrale et de la Cité, proche de la place du Ralliement.

Pourtant il ne doit pas y avoir beaucoup de logements vacants dans les HLM ou dans l’immeuble du CIPA…

Au contraire du programme qui prévoyait d’en faire une zone attractive par des équipements socioculturels – à chaque fois qu’on ne sait pas quoi faire, on a l’idée d’une agora –, on place des logements car ce secteur est naturellement à

l’écart, ce qui convient parfaitement pour de l’ha-bitation. De même, le quartier Saint-Nicolas est proche et à l’écart du centre.

Oui, mais le cas de la République est différent parce que sa situation est en centre-ville.

Cela ne peut pas jouer un rôle actuellement car il est marginal au centre-ville à cause de la voie rapide.

La vie, ce sont les halles alors. Un équipe-ment public type Hôtel de ville n’aurait-il pas insufflé une nouvelle dynamique au quar-tier ?

Effectivement dans la mesure où l’on est à la frange de deux systèmes, on aurait très bien pu installer un équipement dans la partie haute, à l’emplacement des halles. Lorsque l’équipement culturel n’est plus envisagé Cale de la Savate, il aurait pu venir à la République. C’est proche du centre-ville, dans un quartier vivant, comme c’est le cas aujourd’hui du palais des Congrès. C’est le même genre d’emplacement et il est bien des-servi au niveau bas.

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214 IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

La nature de cette opération est radica-lement différente des opérations précé-dentes : Saint-Michel est une opération chirurgicale à vif tandis que Saint-Nicolas

serait plus proche de la greffe d’un nouvel organe dans un tissu relativement mort1. L’approche de

la zone Lac de Maine caractérise une opération de structuration et de développement de l’ag-glomération à l’Ouest, donc une vraie opération d’urbanisme, à l’échelle de la ville.

L’avantage du site est que ce terrain proche d’Angers est vierge, constitué de prairies inon-

dables et de collines, où existent quelques hameaux perdus. Par ailleurs, le site entretient un rapport particulier avec la Maine, qui révèle la pression du fleuve sur Angers : l’inondation commande la ville. On en perçoit l’échelle lors-que la zone est inondée : lorsque les Vikings, remontaient la Loire jusqu’à ce grand lac sur-plombé par le château sur le rocher, cela devait faire de l’effet. L’utilisation de ces terrains oblige à des travaux de remblais dans ce secteur qui appelle le loisir et l’activité. Il y a également une continuité avec la Doutre par la prairie de Balzac donc ce n’est pas un secteur perdu. Cependant, au début des années 1960, ce n’est pas une zone utilisable mais la proximité de Belle-Beille en développement ouvre des possibilités et il peut développer des rapports nouveaux avec la déviation Paris-Nantes qui est schématiquement esquissée en 1961. Alors que seul Belle-Beille s’est urbanisé, l’ouest d’Angers est un secteur où toutes les potentialités s’affichent. L’environ-nement du secteur se développe : le village de Beaucouzé devient une commune péri-urbaine ; Bouchemaine s’étend hors bourg ; création de lotissements sur Pruniers ; opération Chalan-don ; future déviation du bourg de la Pointe, etc. Il y a aussi une activité économique (Bull), et même une université en gestation. Or le relief comme le bassin inondable associent nettement

IV.5 - Le QuArtIer du LAC de MAINe (1960-1986)“à l’ouest, enfin du nouveaudes coteaux de Mollière dans l’aloyau”

1 - Les incidences de tissu à tissu y sont moins fortes que sur Saint-Michel.

IV.5.1 - Prairies de l’Aloyau, 1967. Cl. Heurtier

Page 215: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

215IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

le site au développement d’Angers tant côté rive gauche que rive droite.

De quand datent les premières réflexions sur l’Ouest de l’agglomération ?

Le “complexe Beaucouzé-Belle-Beille Ouest” fait l’objet d’études à mon agence à partir de 1961, à la demande du maire Jean Turc. Cette démarche, qui se poursuit jusqu’en 1964, se situe avant l’opération Lac de Maine et débouche sur un certain nombre d’éléments qui constitue-ront la ZAC. À l’initiative de la réflexion sur Belle-Beille, Turc veut faire un campus universitaire à l’américaine (en dehors du centre-ville) à cause de l’université catholique et du manque de terrain disponible adéquat à la création d’un ensemble universitaire près du centre. À l’époque, Angers ne dispose pas de structure universitaire publi-que, si ce n’est le collège juridique universitaire, premier élément à se mettre en place.

Par ailleurs, Bull décide de s’installer sur Bou-chemaine afin d’être hors ville. Cette entreprise est une image forte pour l’agglomération. Or, placer la zone universitaire à côté de Bull, c’est la mettre à côté de l’Angers “qui va bouger”. Cette proximité, dynamisante pour l’université, va ainsi revaloriser Belle-Beille qui est alors considéré comme le bout du monde ou tout au moins un cul-de-sac.

Si Belle-Beille commence à vivre, il s’avère que le quartier ne vivra pas tout seul. Récem-ment ouverts, certains commerces commencent à fermer. La population est assez hétérogène, mais la tendance est d’y mettre ceux dont on ne veut pas ailleurs. Or il y a nécessité d’en faire un tissu et non un ghetto. On s’aperçoit aussi des besoins complémentaires en équipements (CES,

etc.), qui ne peuvent pas être placés n’importe où et n’importe comment, et Belle-Beille en soi est trop petit pour justifier des implantations d’équi-pements valables. Son seul désenclavement est au Sud, à cause de l’étang Saint-Nicolas.

Apparaît également, la problématique de la circulation entre le centre-ville et Belle-Beille : le boulevard Tournemine, conçu comme une dérivation de la rue Saint-Jacques, permet d’em-mener les poids lourds vers Bull et d’assurer le trafic des ouvriers vers Angers, mais ne résout pas le problème de la circulation de transit. Au bout de la rue Saint-Jacques, tous les problè-mes commencent, d’autant que l’avenue du Lac se termine en cul-de-sac, de même que toutes les voies parallèles à l’avenue Patton, qui est peu bâtie, et on ne sait pas ce qui va se passer au-delà. Sur ce point, la démarche de l’opéra-tion Lac de Maine, née du plan d’eau rejoint la réflexion sur Belle-Beille.

Enfin, apparaissent des doutes sur le dévelop-pement côté route de Paris qui avait au départ été privilégié. Auparavant, le développement d’An-gers vers la route de Paris paraissait évident. Or, dans les années 1960, la région commence à se développer. Et les élus qui autrefois se rendaient à Paris commencent à aller à Nantes. Au moment où Angers se tourne vers l’Ouest, Belle-Beille se retrouve donc à l’entrée de la ville et non au bout. L’idée du développement côté route de Paris commence alors à basculer. L’entrée de Nantes dans le système rend la démarche complètement différente. Elle est tributaire de l’éventuelle dévia-tion Nord d’Angers inscrite au programme depuis 1934. Il faut en effet que le transit de Nantes vers Paris passe quelque part : on crée donc la porte d’Angers à l’Ouest et la voie rapide naît de ce changement de pôle. D’autre part, l’obligatoire

traversée d’Angers par les boulevards et l’aug-mentation du transit2 rendent urgente la création d’un nouveau franchissement de la Maine hors du centre et de ses ponts.

La caractéristique de l’urbanisme à l’époque est que la plupart des axes des zones d’urba-nisation prioritaires (ZUP) sont devenues des autoroutes, comme à Poitiers. Compte tenu du prix de l’hectare à traverser, ces grands axes, qui partaient de nulle part et qui allaient nulle part, représentaient une ligne droite impeccable où il suffisait de pousser les arbres et les arrêts d’autobus pour faire passer les poids lourds… Beaucoup d’autoroutes se sont branchées sur ces voies faisant des ZUP des entrées ou des morceaux d’autoroute, économie provisoire et confusion entre circulations de natures oppo-sées. Heureusement Angers y a échappé…

La question éternelle “d’où venons-nous ? où allons-nous ?”, que je me suis souvent posée dans le domaine concret de l’urbanisme, les élus n’osent pas forcément la poser lors d’un conseil municipal. Or, pour trouver le meilleur empla-cement possible, il faut situer les problèmes dans leurs dimensions réelles dans l’espace et le temps, surtout lorsque les interlocuteurs ne perçoivent pas l’enjeu global. Car chaque amé-nagement devient souvent prétexte à faire autre chose, qui n’a rien à voir avec le projet initial…

La problématique de la voie rapide et de la ZAC du Lac a permis de lancer la zone univer-sitaire ainsi que la localisation des équipements dans ce secteur, la technopôle reprenant plus tard les bases de la réflexion. En 1963, la ville demande à l’agence Mornet une étude sur le périmètre du boulevard Victor Beaussier et la zone du campus, dont Moignet fera le plan. La question est de savoir ce qui va se passer au

2-MalgrélesdéficiencesdelaNationale23enzoneAtlantique(seulementdeuxvoies).

Page 216: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

216 IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

bout de Belle-Beille. D’autre part, le problème de circulation en centre-ville interpelle : les Angevins se plaignent de voir les poids lourds emprunter le boulevard du Roi René. Après discussion avec les services de la Voirie, boucler à l’Ouest le Parc de la Haye sur la voie de Belle-Beille permettrait de réguler ce trafic. Dans ce schéma, on com-mence à faire un “nœud” entre les directions de Pouancé et de Nantes et on évite la ville par le Nord sans créer l’autoroute au départ (illustration IV.5.2).

Voici nos préoccupations de l’époque : la déviation Nord d’Angers (prévue au plan de 19343), le nœud à la sortie de Bull, l’ENACT, la gendarmerie et l’idée d’un centre commer-cial et d’un noyau universitaire au cœur de la ZAC Ouest. La réflexion porte de plus en plus loin : la foire-exposition, la zone industrielle, le bout de Belle-Beille… L’idée de faire passer la voie rapide au niveau du bois de Mollière naît, l’avenue Patton restant la colonne vertébrale de la zone urbaine. On étudie toute la bordure de l’avenue. En 1964, la réflexion continue : l’école d’horticulture, l’autoroute à remonter, les raccor-dements Est-Ouest.

Le temps de maturation d’un projet urbain est impressionnant !

Absolument. Sans les archives que j’ai amas-sées, il était difficile de conserver la mémoire de toutes ces réflexions. À l’époque, personne ne sait ce qu’elles vont entraîner. L’idée est de faire entrer Bull dans le système à travers une percée qui structurera la zone universitaire : le pôle commercial d’origine est déplacé pour arti-culer la zone d’habitation et la zone universitaire. À l’époque où Moignet engage le projet, mes

croquis sur le noyau de la zone (centre commer-cial et cité universitaire) sont assez au point : l’ESSCA est à sa place, l’École nationale des Techniques horticoles est en attente. Un gros équipement sportif est envisagé. On construit beaucoup le long de Patton : c’est une grande voie. En face des entrepôts de Bull, on construit des logements. De nombreux éléments sont en gestation. : il convient de les mettre en musique.

Qui a construit l’ESSCA ?

Le cabinet Mornet en 1968 et Rolland l’agran-dira plus tard en 1985. Ce projet était parti de l’idée d’un CES industrialisé que Cocard4 voulait absolument mais il n’avait pas un sou et des délais redoutables. Malgré ces contraintes, on a essayé de proposer autre chose qu’une barre scolaire de trois étages. Turc avait réussi à convaincre Cocard de quitter la Catho pour la zone universi-taire pour éviter l’antagonisme public/privé entre Belle-Beille et le centre-ville. Par ailleurs, l’uni-versité catholique était en manque de terrain sur son site avec le développement de l’école d’élec-tronique.

La première construction du campus est donc privée…

C’est en effet une école de l’université catho-lique de l’Ouest…

Le début des études coïncide aussi avec une opportunité ?

Au début des années 1960, la municipalité recherche des remblais pour les zones inon-dables pour répondre aux besoins de la zone

Saint-Serge et du secteur de la Baumette5. La ville effectue des opérations de dragage en Maine, qui servent notamment à remblayer la voie rapide Sud vers les Ponts de Cé6. Lors de ces démarches, la découverte de la gravière à la Baumette influe alors sur la réflexion du tracé de la ZAD Lac de Maine. Le dégagement de la gra-vière offre du remblai pour l’opération, d’où l’idée d’un plan d’eau, opération qui justifie deux objec-tifs complémentaires. La création d’un parc de loisirs comme il s’en crée en France et en Europe du Nord est alors envisagée. Fin 1964, la ville charge la Sodemel de l’étude, qui est confiée à la SCET. Au départ, la SCET, qui s’attache l’exper-tise de Beaudouin (architecte à Paris), se limite à l’éventualité d’un plan d’eau et d’une base de loisirs puisqu’il y a possibilité techniquement de créer une base nautique ainsi que des liaisons entre la ZAD Lac de Maine, le plan d’eau et la voie rapide qui est parallèlement à l’étude. Car si une base de loisirs est faite en face de la Baumette, elle concerne la population d’Angers, mais peut aussi concerner des touristes, donc des activités variées vont être nécessaires… En fait, Angers dispose d’un site largement supérieur à l’enjeu d’un seul plan d’eau.

Par ailleurs, l’agence Mornet étudie une nou-velle implantation de la foire-exposition pour quitter l’emplacement inadapté de la place La Rochefoucault (problèmes de surfaces et de par-king). L’intérêt se portant sur le site des prairies de Balzac, la ville prévoit de remblayer en partie les terrains au pied du boulevard de Tournemine et d’y installer aussi rapidement un stade uni-versitaire (lié au futur développement de Belle-Beille). La foire-exposition serait envisagée dans un second temps, bénéficiant de la liaison entre la nouvelle voie rapide et Bouchemaine. Pour des

3 - Son tracé venait toucher le bout du parc de la Haye, entre le château d’eau et l’école d’aviation.

4 - Président de l’ESSCA et conseiller général. 5 - Le remblai vient en partie des ardoisières (couches alternées schiste et sable). 6 - La partie qui passe devant l’École du Génie.

Page 217: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

217

IV.5.2 - Groupement d’Urbanisme d’Angers élaboré par le Secrétarariat d’État à la Reconstruction et au Logement , 1957

IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

Page 218: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

218 IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

raisons de remblais, l’idée de la foire-exposition sera abandonnée car le projet de la zone du Parc de Balzac prévoyait un bassin de motonautisme dont le remblai permettait de faire la plate-forme du parc des expositions, mais les sondages mon-trent que le sol ne le permet pas7. La seule idée rescapée de ce projet sera le stade universitaire puisqu’il est situé en haut de cette zone, hors d’inondation (peu de remblai nécessaire).

Début 1965, la Sodemel prend contact avec l’agence Mornet pour envisager une collabora-tion avec Beaudouin sur l’étude de la base de loi-sirs, Beaudouin assurant la conception générale, Mornet la réalisation. Je connais bien Beaudouin puisqu’il a été mon patron8. Les rapports avec lui seront faciles, dans une situation pourtant ambiguë au départ car la Sodemel n’a pas choisi Beaudouin – la SCET l’impose – mais Chupin me connaît bien depuis l’opération Saint-Michel où j’ai fait mes premières armes sur les problè-mes d’urbanisme9. La SCET choisit Beaudouin car il a réalisé des plans d’eau10. En revanche, Beaudouin ne connaît pas la Maine, tandis que j’y ai navigué pendant toutes les vacances de la guerre. Dans cette opération, j’étais aussi spé-cialiste que lui, ancien de la voile et de l’aviron. D’autre part, je m’entends très bien avec Boc-quien, le directeur de la Sodemel, que je connais depuis longtemps.

En septembre 1966, la Sodemel invite Mornet à une réunion technique sur le projet : je n’ai pas encore de contrat, n’ayant pas encore été contacté par Beaudouin. Puis apparaît un contrat Beaudouin seul à partir de novembre 1965 avec une sous-traitance de Mornet.

Depuis 1965, n’y a-t-il eu aucun contact entre Beaudouin et toi sur le projet ?

Je n’en ai pas trace. À l’époque, la zone d’ha-bitation n’est pas au programme et c’est la SCET Paris qui dirige l’opération base de loisirs, qui est parisienne à ce stade. Au début, il n’y a pas de contrat de zone d’habitation avec Beaudouin qui n’entre en scène que pour les questions de rem-blais et de routes nouvelles. Dans les données de départ, l’objectif n’est pas de faire une zone d’habitation avec un plan d’eau, mais une ZAD de loisirs. Or, le premier plan de Beaudouin de mai 1966 comporte des options annonçant la ZAC Lac de Maine, mais il s’agit seulement de quelques équipements scolaires et sportifs en bordure de la zone de loisirs. Ce plan ne propose pas une zone d’habitation mais, phénomène assez curieux, un tracé de voie apparaît (avec échangeur), qui va poser quelques problèmes car transformer la ZAD Lac de Maine en échan-geur était une option téméraire. Car si elle per-mettait de gommer la route de Bouchemaine et d’élargir la zone de loisirs, elle coupait en deux parties éclatées une zone homogène (illustra-tion IV.5.3).

La ZAD de loisirs constitue quasiment tout le coteau. Le CD 111 est une petite voie marginale. On remarque également que le plan d’eau peut grandir. Schématiquement, il ressort de cette étude l’emplacement du CD 111 et du plan d’eau, ce qui est lié à un parc de loisirs.

Il est étonnant que des équipements scolai-res soient prévus alors qu’il n’y a pas de zone d’habitation…

Effectivement. Quand on ramène cela à la dimension de l’agglomération, on pense qu’il y a une erreur d’échelle. C’est une vision lointaine du site à partir de Paris.

Aucune note n’explique le parti ?

Non pas encore, ce plan de Beaudouin est joint aux premières études de faisabilité de la SCET sur le plan d’eau. C’est juste un élément d’introduction sur lequel le Beture11 va s’appuyer pour les calculs de creusement. En 1966-1967, ces études préalables font l’objet de la première phase du contrat type SCET qui se révélera inadapté par la suite12. Ces études posent déjà le problème de la nature de la ZAD : tout le programme ne tient pas dans le périmètre des terrains émergés et commence à déborder de l’autre côté du chemin départemental 111 sur un terrain qui appartient à la ville (dans l’emprise de la ZAD). À sa demande, Beaudouin a alors dû être chargé par la SCET d’étudier le projet plus globalement en prenant en compte la liaison de la zone de loisirs avec la nouvelle voie et la ZAD attenante. Cette réflexion se passe ainsi en dehors des institutions de la ville. Donc, l’opéra-tion Lac de Maine part bien du plan d’eau, plus exactement d’une gravière. En février 1968 appa-raît le schéma de principe Beaudouin-Beture qui traite la zone comme une base de loisirs, mais installée dans la nature, au bord d’un lac. Le dessin du plan d’eau débute avec cette première étude de la zone de loisirs par Beaudouin qui comprend un complexe nautique, un camping-caravaning etc.

Par ailleurs, en mai 68 débutent, sur une commande de la ville, des études Mornet sur une auberge de jeunesse. Après étude de plu-sieurs emplacements13, compte tenu du futur plan d’eau, les élus décident de l’implanter dans le secteur de la zone de loisirs14. C’est par ce

7 - La gravière ne va pas jusque-là. 8 - J’ai travaillé chez lui à Paris pendant deux ans sur l’Unesco et la cité universitaire

d’Antony notamment. J’étais le massier de son atelier à l’École des Beaux-Arts de Paris.

9 - Et on est tous les deux bruts de décoffrage, cela unit ! 10 - Il a dû faire une base de vacances du côté de Saint-Tropez.

11 - Un bureau d’études de Nantes (chargé des équipements) mais qui dépend de la SCET, avec lequel on travaillera sur l’ensemble de la ZAC.

12 - Étant lié à des opérations qui n’avaient rien à voir avec celle dans laquelle on était.

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219IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

biais que l’agence Mornet est amenée à interve-nir véritablement dans l’opération Lac de Maine.

En quelle année commence l’opération Lac de Maine ?

Les premières idées germent en 1961. Une zone d’aménagement différé (ZAD) est créée sur un périmètre dérisoire par rapport à la dimension

de l’opération, ce qui découlait surtout d’une disponibilité foncière15 mais pas d’une vision du territoire dans son unicité géographique. Ce ter-rain est très marqué par sa localisation le long de la Maine. Au départ, le périmètre de la ZAD est limité : il ne va pas jusqu’à la colline de Grésillé. Rien n’est prévu près du chemin départemental

111, dont le tracé a été complètement remanié ensuite… (illustration IV.5.4)

À l’époque, l’idée d’urbanisation la plus évi-dente est liée à la route de Pruniers. Petit à petit, le périmètre de la ZAD va donc s’étendre jusqu’au talweg qui est prêt de la limite des deux communes. Pour retracer la route de Pruniers, la ville a dû acquérir de nombreux terrains dans

13 - Grimaud, adjoint au sport, avait dans un tiroir un projet d’auberge de jeunesse étudié par l’agence sur un autre terrain du côté de la Baumette.

14 - Elle deviendra le centre d’accueil. 15 - Opportunité d’achat par la ville de terrains dans la partie basse.

IV.5.3 - Plan d’eau de la Maine, avant-projet, première tranche opérationnelle, plan masse, juillet 1968

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220 IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

le secteur, la création de la ZAD permettant de protéger les terrains. Lors de la fixation du péri-mètre, qui traîne au départ et qu’il faut agrandir, on se heurte à plusieurs problèmes : la position de la voie qui vient de Bouchemaine est alors provisoire, dessinée selon un tracé qui ne pré-voit qu’un seul échangeur, avec une autre zone de développement (ZAD Mollière), prise au nord

et la zone industrielle de Beaucouzé. Certaines opérations se manifestent petit à petit, mais ne sont pas satisfaisantes, ce qui révèle qu’il faut changer d’échelle. En passant de l’autre côté du Bois de Mollière pour libérer un espace beau-coup plus grand, on passe à une opération de plus Bouchemaine ; Belle-Beille a du mal à sortir de son enclave (il n’y a aucune liaison) ; on parle

enfin du franchissement de la Maine qu’il va bien falloir traiter pour la voie sur berge des quais et la liaison sud.

En fait, c’est une zone stratégique qu’il ne faut pas prendre en compte comme une ZAD d’emprise limitée mais comme une opération d’urbanisme au niveau de toute l’agglomération (illustration IV.5.4).

L’approche urbaine et paysagère devient glo-bale…

Les opérations réalisées après la reconstruc-tion dans les différentes villes de France ont fait émerger un certain nombre de problèmes. En outre arrive avec les événements de mai 6816 la mode des sociologues et prévisionnistes en tous genres. La SCET qui dirige l’opération pour la Sodemel impose une vision de spécialistes qui ne sont pas plus spécialiste de l’urbanisme que la large moitié du conseil municipal d’Angers ! Du coup, l’opération n’est pas envisagée à la mesure de la réalité de la ville et du lieu. Confrontés à cette opération d’urbanisation et de développe-ment importante en surface, en complexité et sans commune mesure avec les autres urbanisa-tions engagées ou prévues, les partenaires sont un peu à l’école de la rénovation urbaine. Pour eux, Monplaisir et même la ZAC Sud se pas-sent hors du périmètre urbain, donc en dehors de leurs préoccupations. Alors que la zone du Lac de Maine a une autre nature puisqu’elle se voit du château ! À cette échelle, les partenaires sont également beaucoup plus nombreux que sur Saint-Nicolas parce que la SCET est une grosse usine à gaz. Nous travaillons en premier lieu avec les Ponts et Chaussées parce que la

16 - L’opération démarre réellement en 1968.

IV.5.4 - Quartier du Lac de Maine, plan de la ZAD, 1966

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221

IV.5.5 - Quartier du Lac de Maine, plan après 1964, “Ce plan présente toute la zone Ouest, avec la limite de ce qui sera la ZAC Mollière.Au moment où il a été dessiné, il n’y a strictement rien dans cette zone,

IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

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222 IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

rocade est décidée dans son principe mais pas dans sa connexion.

Quels sont les acteurs de la ZAC du Lac ?

Chupin et la Sodemel sont présents depuis le début (avec Brière comme chef d’opération qui succédera à Bocquien à la direction de la Sode-mel).- Le Beture sera le bureau d’études officiel de

l’opération, un acteur permanent dès le début (chef d’agence : Boumier à Nantes). Il dépend de la SCET, mais sent beaucoup mieux les pro-blèmes locaux.

- Divers organismes à côté de la SCET sont impliqués :

• leBETtourismeavecJosselin,futurminis-tre ;

•unsociologueenvoyéparlaSCET;• le CREPAH, organisme du ministère de

l’Équipement chargé d’études sur les modes opératoires17 ;

- Pour la base de loisirs, notre partenaire est le ministère de la Jeunesse et des Sports, à l’échelon local.

- L’Académie pour tout le domaine scolaire18.- L’AURA (avec Lenoir, que je connaissais aupa-

ravant, un type bien, pas toujours facile). Mais quand l’AURA intervient sur la ZAC, la pompe est déjà amorcée).

- Les services techniques de la ville, surtout par l’intermédiaire de Malhomme, avec qui s’éta-blissent des discussions assez déterminantes à propos des échangeurs.

- Le cabinet Beaudouin, notre partenaire, sur-tout Paul Fournier, architecte qui dirige ce qui reste de cette agence et avec qui j’ai une vieille amitié.

- Dans l’équipe Mornet, quatre architectes tra-vailleront sur l’affaire :

•Claisse,quej’aimaisbien,quiatravailléàl’agence pendant trois ans ;

• Berlottier, qui est architecte du côté deLyon, sera là de 1971 à décembre 1972. Il démonte bien les problèmes. Pendant la période de gestation de l’opération, il va bien suivre tout ce que fait le Beture ;

•Perchequinevapasresterlongtemps;• Pincemaille, qui restera à l’agence de

1973 à 1977.- Turc que l’on ne voit pas souvent dans l’opéra-

tion, car Chupin s’en occupe (puisque la Sode-mel suit l’opération plus que la mairie), mais il habite le secteur.

- Puis après 1977 la nouvelle municipalité avec Jean Monnier et Estié19 qui vont faire leur numéro et qui vont finir par s’estomper.

L’idée de départ est née d’une part parce que les villes nouvelles sont dans l’air du temps en Europe, d’autre part en raison du site qui n’est pas collé à la ville, même s’il est très bien lié par le site : le croisement du lac et de la Maine constitue une superficie considérable et le site de la ZAD débouche dessus d’une manière assez homogène.

Le concept ZAC Lac de Maine se constituera à travers le centre de secteur puisqu’il apparaîtra très vite qu’un des enjeux de l’Ouest d’Angers est la nécessité de créer un centre marchand que Belle-Beille n’a pas et n’aura jamais parce que bloqué complètement par l’étang Saint-Nicolas. Ce besoin est confirmé par le mouvement des nouvelles populations dû au développement vers Beaucouzé et Bouchemaine qui n’ont pas d’autre moyen pour arriver à Angers que de traverser le secteur de la ZAC et dont les populations récla-

ment des services variés et de bon niveau à proxi-mité. D’autre part, on n’est pas sûr que la zone universitaire de Belle-Beille, enclavée au bout de l’étang, va vivre parce qu’à l’époque n’existe pas encore la liaison avec l’agglomération d’Avrillé. On envisage donc de passer une partie des équi-pements universitaires dans le centre de secteur pour ne pas délimiter une zone universitaire mais que ce quartier d’Angers intègre tous les ensei-gnements supérieurs20. On fera ainsi du secteur Ouest autre chose qu’un centre commercial : un lieu où pourra émerger du culturel, où il se passe l’essentiel, comme dans une ville.

Il est donc envisagé de faire de cette zone, non pas une ZUP Nord (pendant de la ZAC Sud en cours de construction), mais une ville ! L’idée de « ville nouvelle » paraît donc très naturelle. Peu de gens ont perçu cette approche, mais c’est un grand événement. C’est aussi la mode des villes nouvelles anglaises. Ce nouveau type de développement consiste à constituer de vraies villes autonomes (et non des annexes), mais pas dans une logique d’agglomération, donc d’introduire du logement, des activités, du culturel, éventuellement de l’enseignement, des bureaux sur l’ensemble d’un territoire. Cette idée est parfaitement admise par Turc et fortement soutenue par Chupin. Sur le dossier préliminaire, cette opération s’appelait “la ville du Lac”. En revanche, la municipalité de Monnier pour qui l’opération deviendra “le quartier du Lac” n’a jamais perçu l’enjeu de constituer une nouvelle ville. Monnier avait peur de la concurrence d’une ville outre Maine. Il fallait que ce soit la ville qui se prolonge de l’autre côté. L’histoire montrera que c’était une erreur, parmi d’autres, de ne pas saisir la dimension que Chupin et Mornet avaient pourtant essayé de promouvoir. Dès son élection

17 - Un “contrôleur” des opérations qui ne va pas jouer un rôle déterminant, c’est un poseur de question de laboratoire.

18 - Avec l’éternelle impossibilité d’imaginer, dans une démarche de terrain vierge, le type d’habitants, leur âge.

19 - L’élection de Jean Monnier entraîne un renouvellement de l’équipe municipale.

20 - Les Arts et Métiers et la faculté de Médecine sont sur cette rive de la Maine et en dehors de la Catho, il n’y a pas d’équipements universitaires dans le centre-ville.

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223IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

Monnier conteste l’idée de ville nouvelle car le maire veut rénover le centre-ville pour le revalo-riser. C’est une tactique que je trouve obsolète. La notion de centre, quand il n’est absolument pas desservi et qu’il n’y a pas de disponibilité de surface, n’existe pas.

On peut considérer cette démarche comme une politique alternative ?

Absolument, mais il faut considérer que la ville doit être capable d’absorber toute la vitalité nécessaire à une agglomération de 200 000 habitants. Et dans le centre classique, ce n’est pas possible21. Avec autant de difficul-tés de liaison entre le centre-ville et l’Ouest, et malgré le dégagement de grands espaces22, on n’arrivera pas dans ces conditions à la densité qui fait vivre un centre… Et la densité, c’est la circulation… Et la circulation, c’est l’apoplexie ! D’ailleurs, les centres nouveaux de commerce sont tous périphériques.

Les opérations déjà engagées de liaisons par le Nord concernant Belle-Beille afin de sortir la zone de son isolement vont permettre d’envisa-ger l’Ouest d’Angers, qui a commencé à s’éclater et ne s’est pas beaucoup développé du côté de l’hôpital. À partir de 1967, schématiquement, tout se passe à l’Ouest puisque la zone Est n’est pas encore réalisée23. Enfin, la future autoroute tra-versant Avrillé concerne aussi le secteur Ouest d’Angers. Les Arts et Métiers devaient quitter la Doutre pour s’installer dans le complexe, ce qui constituait un ensemble cohérent24. Belle-Beille devenait un quartier neuf et même il a été question d’installer au bout de Belle-Beille l’école nationale des travaux publics de l’État qui va finalement aller à Lyon (illustration IV.5.6).

C’est à cette époque qu’est crée l’Agence d’urbanisme ?

Alors qu’il était possible d’aborder les réha-bilitations urbaines sans structure autre qu’une société d’économie mixte (SEM), l’échelle de la ZAD Lac de Maine amène un certain nombre d’acteurs de la vie locale à lancer un premier outil supra-communal en 1968 : l’AURA.

Dans les années 1960-61, la Chambre de Commerce (dont Soulèze-Larivière, patron des ardoisières, était alors président) avait lancé une étude du développement d’Angers auprès d’Éco-nomie-Humanisme, un organisme fondé par des dominicains. J’y étais associé par Soulèze et ai suivi l’étude avec la Chambre de Commerce25. La démarche apparaît ensuite au niveau du département. Issu d’Économie-Humanisme, puis

embauché par le Comité d’Expansion, Ceppe est chargé d’une réflexion sur le département26 tandis que je m’occupe du schéma départemental pour le comité d’expansion. Vers 1967, Ceppe me pro-pose de discuter conjointement des problèmes d’urbanisation d’Angers, donnant lieu à un inven-taire (bilan d’occupation de l’espace et études du contournement). Alors apparaît la certitude que l’urbanisme ne doit pas être géré par le ministère de la Construction. D’ailleurs, les collectivités locales réagissent en vue d’une décentralisation. Dans le cadre de la jeune Chambre économi-que s’instaure donc une réflexion sur la création d’équipes à l’échelon local associées à des équi-pes d’urbanisme et d’aménagement. Une autre démarche s’instaure en vue de la création d’une agence d’urbanisme de l’agglomération d’Angers (pour un schéma d’organisation cohérent).

21 - Par comparaison, le cœur de la ville dans Paris va à peu près de Bercy à Boulogne.22 - Comme la Place Leclerc.23 - Ni la déviation sur les Ponts-de-Cé, ni le pont sur la Loire.24-L’étatayantrefusédefinancerl’écoledesArtsetMétiers,sonimplantationsurBelle-

Beille ne s’est pas faite. C’est dommage car il est plus approprié pour des étudiants en droit d’être dans le centre-ville, en revanche pour les “gars des Arts”, la zone d’activité

industrielle, face à Bull, aurait été un environnement intéressant. Et cela libérait du foncier dans la Doutre permettant de régler des problèmes insolubles de circulation.

25-QueSoulèzeutilisaitcommesupportpouruncertainnombrederéflexions.26 - Il travaillait surtout sur la périphérie d’Angers.

IV.5.6 - Quartier du Lac de Maine, complexe Belle-Beille Ouest, maquette, avril 1968

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224 IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

Soit le Comité d’Expansion se donne les moyens en matière d’aménagement et d’ur-banisme, soit c’est la création de cette agence…

De toute façon, l’un précède l’autre. En sep-tembre 1967 se met ainsi en place un atelier d’ur-banisme à Angers dont l’objectif est de concourir à l’aménagement urbain et à l’amélioration ange-vine sur l’environnement, du département et de la région27.

Les élus d’Angers en font-ils partie ?

Non, ce n’est pas une initiative de la munici-palité car l’objectif est de constituer un outil auto-nome… L’intérêt de cet atelier réside justement dans le fait qu’il est né autant de la pression de l’extérieur que des élus locaux. En 1968, alors que l’idée semble remise en question, Turc relance le projet, Pisani s’engageant à apporter un financement. On crée donc l’AURA…

As-tu mené la réflexion par rapport à la mise en place d’une structure ?

Bien sûr - en tant que président de l’Ordre et à la demande de Pisani, j’avais suivi la démar-che en amont - notamment pour répondre à un besoin auquel ne répondaient pas les collectivi-tés. Autant Économie-Humanisme était au point pour soulever les problèmes, autant il n’était pas du tout équipé pour initier une démarche concrète. Par ailleurs, l’organisme avait une ten-dance “rurale” : au contraire du système qui fait de la ville le moyen du développement, il prônait l’équilibre ville-campagne, s’intéressant aussi aux petits espaces vivants. Ce concept était inté-

ressant face à des collectivités qui n’étaient pas fédérées. Mais la démarche de l’organisme révé-lait le vide à combler quant aux prolongements à donner à cette étude dans une structure. En revanche, il était certain que ce n’était pas à l’équipement de faire le développement urbain. Il n’aurait fait de développement urbain que de la grande ville parce qu’il ne s’intéresserait jamais aux petites communes. Et sa culture n’était pas du tout dans le contexte d’association de cou-rants divers et contradictoires.

En même temps, la création de l’AURA crée une distance quant à la maîtrise complète de l’opération telle que l’agence Mornet l’avait sur Saint-Michel ou Saint Nicolas ?

C’est vrai. Mais, dans cette époque de transi-tion, on fonctionnait avec des structures héritées de la reconstruction (financements acrobatiques, réglementation quasi inexistante). Après, le système a été optimisé et réglementé. En effet, quand on attaque la ZAC Lac de Maine, un acquis arrive sur ces programmes : le Beture est mieux équipé ; la pluridisciplinarité devient à la mode ; les partenaires traditionnels et autres représen-tants concernés (inexistants auparavant) admet-tent de se mettre autour d’une table sur un projet d’urbanisme dont on pressent la nécessité.

Dès sa création en 1968, l’AURA commence à étudier en urgence le développement pour le secteur Ouest, suite à notre demande (et celle de la Sodemel) de définir des objectifs clairs au-delà des limites de la ZAC compte tenu de l’impact de l’opération Lac de Maine dans ce secteur Ouest. L’étude du trafic révèle en effet que la “Croisette” n’était pas Angers mais la limite de Bouchemaine dont la vie des habitants était angevine28. Tout

ce qui se passait dans les tissus proches pouvait poser les mêmes problèmes de liaison, la péri-phérie de l’opération étant caractérisée par soit des faux ruraux29, soit des éléments de vie qui donnaient à l’opération une dimension supplé-mentaire (Bull, université)

Par ailleurs, le schéma autoroutier par Avrillé, prévu depuis 1934, qui perfore le tissu Ouest après le tissu Nord, montre bien que l’échelle réelle de la rive droite est plus vaste que la rive gauche. Les problèmes auraient dû être vraiment posés à ce stade : passer aussi près de l’agglo-mération était une erreur car cette zone, consti-tuée de champs à vocation agricole, n’a pas de contrainte. Après le front d’eau avec l’étang Saint-Nicolas, tout le système Ouest se concen-tre puisque Beaucouzé et Avrillé sont maintenant en continuité. Mais l’activité économique qui s’y installe est transversale par rapport à la ville et pas simplement le long d’une voie. On s’aperçoit malgré tout que le tracé de l’autoroute est quand même sur le plan de développement dès 1961. (illustration IV.5.2)

Donc, le tracé est défini depuis plus de 40 ans… et pendant ce temps, la ville s’étend !

Le problème est qu’il y a un vice de forme. Le manque d’anticipation est flagrant. En France, on prend toujours les problèmes quand ils se pré-sentent au lieu d’imaginer ce qu’il peut advenir. Et au moment de la prise de décision, on est obligé de choisir entre le mal et le pire, d’où les conflits entre les partisans de l’un et de l’autre… Or, l’urbanisme, c’est forcément l’anticipation. Un aménagement qui est bon aujourd’hui peut être périmé demain, on peut alors le modifier, mais le drame est quand il n’y a RIEN. La pré-

27 - Parrainé par le SERA et par le BERU ainsi que les spécialistes locaux souhaités.28 - Faisant leurs courses à Angers et leurs enfants étant la plupart du temps scolarisés sur

Angers.29 - Il existait déjà des îlots isolés avec des habitants qui s’étaient lassés de la ville.

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225IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

vision est d’une nécessité absolue. Et un projet peut connaître, en cours de route, de nouvelles orientations : une modification de trajectoire c’est normal, encore faut-il une trajectoire...

Dans cette opération, on a trop compté sur la voie sur berge comme solution provisoire de transit, ainsi que sur ses prolongements vers l’Ouest (la voie rapide qui traverse la ZAC). En fait, il y a une grande ambiguïté de la fonction de la voie, comme toujours en France… Alors que les Allemands tracent une autoroute à 30 km de la ville, à laquelle ils associent les problèmes de circulation urbaine30, en France le pouvoir cen-tralisateur est tel que dès que l’on fait une voie, elle est à la fois rue, commerçante si possible, lieu de promenade du dimanche, endroit où pas-sent les livraisons (parce que lieu d’activité) et également voie de transit31… Cela fait des éco-nomies ! Or, quand l’autoroute aura enfin vu le jour, cette voie rapide (réalisée comme une auto-route puisque c’est le moyen, dans une certaine mesure, de traverser des zones troublées) sera incongrue parce qu’elle restera une autoroute non ou mal utilisée. Elle sera ainsi un élément étranger au tissu mais aussi une coupure impor-tante. Sa nature de boulevard urbain n’a pas été assez prise en compte. Il aurait mieux fallu faire fonctionner un boulevard urbain mal adapté à une fonction autoroutière pendant un temps. Cela aurait permis de régler plus vite le problème de l’autoroute Nord. Une des faiblesses actuelles est que cet aménagement provisoire fonctionne tout de même parce que la voie est à l’échelle d’une autoroute. Par conséquent, le besoin est moins flagrant. Certains trouvent même que le système actuel n’est pas trop mauvais.

Pourtant c’est le “bazar” tous les jours ?

Sauf pour le transit puisque les embouteilla-ges se situent en centre-ville. En fait, ces pro-blèmes de circulation sont tous liés au boulevard Sud. Angers a une voie sur berge qui n’est pas intégrée à la ville et surdimensionnée par rapport aux besoins futurs. Mais elle exerce une fonction d’annexe d’autoroute, surtout si on ne trouve pas de solution au passage Sud par Bouchemaine pour le transit du Sud-Ouest hors Angers.

Il faudra repenser la voie sur berge pour retrouver la notion de boulevard par rapport à la rivière…

Sûrement… Sur le centre-ville, il est envisa-geable de recoloniser la voie sur berge parce qu’elle compresse le tissu urbain : en desserrant le corset, les chairs peuvent s’installer comme elles le désirent. Quant à la partie rocade qui intéresse la zone Ouest, si les remblais et talus ne sont pas gênants dans le cas d’une autoroute, cela l’est davantage le jour où il s’agit de traver-ser avec une poussette !

En revanche, la section située en amont du pont Jean Moulin resterait un paysage auto-routier même si sa fonction devient un usage de desserte.

Tout à fait. Le seul élément significatif de la situation, modeste et assez inutile, est la pas-serelle piétons du centre commercial de la ZAC du Lac. Même son emplacement est inadéquat car si la zone avait été bien considérée, il devrait y avoir de l’autre côté un gros centre d’activité, qui serait une antenne du centre de secteur pour “accrocher” Belle-Beille. Les équipements uni-

versitaires prévus à cet endroit auraient permis d’assurer la tête de pont. L’AURA travaillera éga-lement sur les liaisons avec le centre de secteur, plus que sur son contenu puisque c’est nous qui aborderons les problèmes universitaires et culturels. On aura 3 ans de bagarres quant à la position des échangeurs qui est tout de même déterminante. Le débat sur le franchissement du pont de Segré est également engagé à cette période. On envisage une voie entre Beaucouzé et Belle-Beille, reliée au tracé du pont et qui sera suivie vers 1970-71 de l’option “pont de l’Atlanti-que” en tangente de Belle-Beille. Fautrelle qui a étudié le passage du pont participe aux réflexions sur la ZAC. Son emplacement a d’ailleurs bougé dans cette zone. Pendant un temps, le pont de l’Atlantique était beaucoup plus près du site. L’ob-jectif était de ne pas le voir d’Angers. Pourquoi ?

La route départementale 106 est-elle une voie qui relie la route de Paris sans aucune vocation ?

C’est Avrillé, c’est le boulevard extérieur d’Angers en fait. Mais il est aussi la liaison vers Bouchemaine pour décharger la départementale 111 intégrée dans la ZAD. C’est un nœud entre la route de Laval et la route de Nantes, et il fonc-tionne bien.

La seconde étape est celle de la conception du parc de loisirs ?

Dans la conception du parc de loisirs, une première étape, quasiment sans programme, concerne l’étude technique (déblais-remblais) effectuée par le Beture sur la base de l’étude Beaudouin. En janvier 1969, le Beture envoie ces éléments à l’agence Mornet (plans de la plate-

30 - Ils mettent des antennes puis ils “branchent”.31 - Départs en vacances, etc.

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226 IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

forme du remblai, des réseaux) qui devient un acteur dans l’opération.

En mai 1969, Beaudouin et le Beture font un avant-projet de la base nautique32. L’étude porte sur le terrassement, les réseaux, la viabilisation, etc. Beaucoup plus que sur l’architecture mais les plans font apparaître pour la première fois les abords de la ZAC Lac de Maine. Cette organi-sation est proposée dans l’esprit d’une base de loisirs près d’une ville, mais sous-tend presque la réalisation d’une autre ville. Le plan de Beau-douin traite les deux aspects. Dans son esprit, un certain nombre d’équipements apparaissent

comme un exutoire de la ZAC. Le rôle initial de parc de loisirs extra-urbain diminue et cette zone n’est plus réservée qu’au bassin de la Maine. On commence à mettre en place des voies qui per-mettent de descendre au plan d’eau du coteau.

Le plan de Beaudouin (illustration IV.5.7) pré-sente toujours la voie entre Mollière et le plan d’eau ; la base nautique à peu près à l’empla-cement définitif ; le complexe sportif, le stade universitaire ; le parc des expositions ; une pis-cine et des baignades ; des jeux d’enfants. Un grand centre d’équitation, un poney-club et des campings (en nombre important) sont de l’autre

côté du CD 111. Il y a également des parkings en bordure du CD.

Début juillet 1969, on critique le plan Beau-douin qui est inadapté dans son étude du stade nautique.

Un premier programme de base nautique ”Jeunesse et Sports“ apparaît en 1969. Mais le programme n’est pas définitif car l’étude n’est pas achevée. Les instructions du ministère de la Jeunesse et des Sports vont évoluer deux fois au cours de l’opération parce que les bases de loisirs se développent de plus en plus. En jan-vier 1970, Beaudouin et Mornet présentent à la Sodemel l’état d’avancement des études avec le Beture et Josselin33, qui vient d’être nommé pour étudier un programme qui est très complexe, beaucoup trop d’ailleurs… Le nombre d’équipe-ments prévus au début de l’étude est frappant et n’est pas du tout à l’échelle du terrain : c’est cer-tainement un reliquat d’une zone de loisirs ima-ginée par la ville dans le style des parcs visités en Hollande, conçus pour compenser la densité dans un monde urbanisé à 99 %. Le programme de Josselin prévoit dans une conception étati-que une surabondance d’équipements de quar-tier34 au point qu’il propose d’implanter, malgré la proximité de la Maison de la Culture encore à l’étude, un équipement culturel près du stade universitaire. Tout est disproportionné, ce rap-port ignorant la demande réelle et la capacité du terrain35. L’éternel dilemme demeure : « si on fait un petit plan d’eau, il y aura beaucoup de loisirs, et si on fait un grand plan d’eau, il n’y aura plus de terrain pour faire des loisirs ».

Le rapport témoigne d’une démarche très parisienne…

32 - Mornet n’y participe pas.33 - BET Tourisme à la SCET.34 - Dont tous les programmes Petite enfance (ce qui deviendra l’équipement central

pour la Petite Enfance), ainsi que l’école d’horticulture, systèmes qui n’ont pas d’emplacementspécifiquemaisoccupentunespacetrèsimportant(unematernellepour 600 élèves dans ce quartier, c’est hors d’échelle…).

35 - Par exemple, tous les centres équestres d’Angers viennent dans cette zone.

IV.5.7 - Quartier du Lac de Maine, ZUP Ouest, plan masse, études préliminaires, E. Beaudouin, architecte, juin 1969

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227IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

Je me suis toujours dit que je serais archi-tecte dans la ville où j’habite. J’estime que, pour faire ce métier, il faut sentir le terrain et les gens, se promener avec un carnet de croquis pour analyser les sites. En 1970, la Sodemel nous invite à Chatou au laboratoire hydraulique EDF (spécialisé dans les barrages) pour l’étude du fonctionnement des premières esquisses Beau-douin. Il s’agit de savoir comment l’eau d’un bassin annexé à une rivière va se comporter et se renouveler, et comment nettoyer l’eau d’une zone de loisirs. Ainsi est réalisée une grande maquette (qui reconstitue le plan d’eau, le bassin de Balzac, la deuxième rocade et le secteur de la base nautique) pour faire des expérimenta-tions : ils mettent des objets sur l’eau, observent les trajets, repèrent les endroits où l’eau stagne, calculent les effets de l’eau, etc. C’est très inté-ressant !

Cette étude occupe en partie l’année 1970, concluant qu’il ne faut pas que le bassin soit ouvert, comme il l’était au départ, directement sur la Maine : il faut le fermer pour ne pas dépen-dre de son voisin au comportement anarchique. Parallèlement, certains reliefs de la rive ont un effet négatif : ils bloquent les courants vers la sortie. Beaudouin avait fait une avancée avec un bassin en dérivé. L’idée est abandonnée pour une grande plate-forme. On gardera ensuite l’idée du tunnel en avant, mais en creusant on rencontre un problème complexe de remblai. D’une part, les études de Chatou aboutissent à un dessin du lac en fonction d’un nettoyage propre. D’autre part, les calculs remblai-déblai recommandent que le plan d’eau ne dépasse pas une certaine surface, conduisant à la figer. Le terrain étant très petit, si on déblaie davantage, de toute façon on n’a plus de gravière et si on remblaie davan-

tage, on n’aura plus de plan d’eau. C’est donc toute une partie du programme Josselin qui est en question parce qu’il envisageait de mettre des équipements en haut, vers ce qui sera la ZAC. Il ne sera donc pas étonnant de voir un rétrécis-sement considérable du programme et de ses ambitions.

Nous faisons alors à la demande de Chatou une modification du tracé des berges en vue d’une seconde expérimentation en laboratoire. Nous sommes également associés à l’étude du stade universitaire de Balzac. On entre ainsi dans l’opération - dès lors l’agence fait partie de l’équipe - et la Sodemel commence à nous mettre dans le circuit officiellement. De son côté, en 1970, Josselin reprend son programme de base de loisirs car le Ministère souhaite une complé-mentarité des zones parc de loisirs et parc des expositions (halles communes). En novembre, l’agence Mornet transmet une nouvelle étude de plan masse à Beaudouin qui produit une nouvelle étude générale. Fin décembre, nouvel essai à Chatou mais nouveau déséquilibre déblai-rem-blai par rapport à l’étude initiale. Le surcoût des îles se révèle exorbitant à l’analyse. En dehors du problème du courant, les îles sont des déficits en remblai alors que l’on en manque. On tend alors à creuser davantage le plan d’eau plutôt que de le diminuer parce que le remblai coûte trop cher.

Est-ce lié à la construction de la rocade ?Effectivement, mais surtout à la mauvaise

qualité du remblai côté Balzac qui ne peut pas servir. La poche de sable (de la gravière) s’arrête à peu près là où passe la rocade actuelle. Tous ces problèmes s’entrecroisent : le programme, l’eau, les données géographiques. Au bout d’un

certain temps, apparaît l’intérêt du bassin Tourne-mine (ou Balzac) prévu à la demande de Chatou pour permettre de filtrer l’eau. Le plan d’eau fonc-tionne sur des apports fluviaux en sous-sol (et non sur la Maine), c’est pour cela que l’eau est plus propre dans le lac que dans la Maine : le schiste n’est pas loin, il y a des sources suffisan-tes pour remplir le bassin avec des eaux filtrées et disposer, des apports d’eau relativement saine par infiltration.

Puis, on obtient l’accord sur le programme du ministère de la Jeunesse et des Sports. Les études commencent donc à se préciser, les pro-grammes à arriver, les acteurs à se situer. À ce moment-là, l’opération Lac de Maine est mise sur rails : on a un programme Jeunesse et Sports, un programme base de loisirs, et on a fait le tour des problèmes de remblai-déblai.

En 1970, l’État pèse toujours autant sur les opérations ?

Tout à fait. L’État ne décentralise qu’au coup par coup.

Mais en février 1971, au service de la Jeu-nesse et des Sports, une certaine opposition de Sulzbach se ressent déjà. Un peu puriste, il est pour le sport dans la nature. Sulzbach refuse donc l’idée du moindre commerce à l’intérieur de la zone de loisirs. Or Josselin prévoit une guin-guette, des garderies, la base nautique, le centre équestre, un bowling-night-club, un hôtel, un res-taurant… L’ensemble a déjà été analysé et chif-fré (12 millions de francs en 1970). Marquant son désaccord, Sulzbach élimine petit à petit certains équipements36. D’autre part, dans l’esprit de Jos-selin, c’est une zone ouverte (tout le monde peut aller partout, se baigner, etc.) assez proche du

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228

IV.5.8 - Quartier du Lac de Maine, plan d’eau de la Maine, plan de masse, E. Beaudouin et Ph. Mornet, architectes, mai 1971

IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

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229IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

modèle hollandais. Mais, la proximité de la ZAC fait craindre que la base devienne un endroit mal famé. D’autant que plus il y a d’équipements et de visiteurs, plus la sécurité est difficile à faire. Ces problèmes de gestion vont donc faire disparaître progressivement 80 % des équipements. Tous les éléments “jeu et détente” seront éliminés. Le programme initial est donc annulé en octobre 1971. Il restera donc en 1972 un club nautique, une base nautique et un lieu de promenade qui encadre le club (illustration IV.5.8).

L’île a beaucoup diminué ; une petite guin-guette pour les pêcheurs ; l’hôtel restaurant ; un ou deux restaurants au bord de l’eau ; le centre d’équitation est excentré ; le club nautique appa-raît (pas encore sous la forme de pyramide) ; la base nautique avec un certain nombre d’an-nexes ; le camping reste au milieu du système ; la ZAC de 4 000 logements ; la voie est encore là mais il n’y a pas d’échangeur.

En 1972, on ne parle plus du parc des expo-sitions ?

Le parc des expositions a en effet disparu du plan de 1972. Il est vraisemblable qu’à cette époque le projet ait du plomb dans l’aile comme il n’est pas du ressort de la ville et que le parc des expositions fonctionne toujours place de La Rochefoucauld.

A quel momment est envisagée l’extension de la zone d’habitat ?

Beaucoup d’opérations (800 logements potentiels37) sont engagées autour de la ZAC Lac de Maine. Cette pression autour d’une zone vaguement agricole non maîtrisée aux portes d’Angers fait que la municipalité se préoccupe de

l’opération puisque l’enjeu aussi est en dehors des limites de la ville (sur Beaucouzé ou Bou-chemaine). Donc il va falloir trouver des solutions aux problèmes que ces communes ne pourront résoudre par leurs propres moyens.

Le premier projet date de février 1969 : c’est le premier plan de Beaudouin relatif à la ZAC Ouest avec le positionnement de l’échangeur, le centre de secteur et une zone tampon le long de l’avenue Patton38. D’une mission sur le plan d’eau (périmètre de 1966 qui déborde juste un peu du CD 111) qui ne parle pas de zone d’habi-tation, mais d’une zone de loisirs, Beaudouin va essayer d’agrandir la zone de loisirs en poussant le CD 111, à la faveur des différentes pressions. Et on s’aperçoit que la ZAD a intérêt à ne pas être

différée trop longtemps. Tout cela correspond aux balbutiements de la ZAC à partir de 1969 (illustration IV.5.9).

On distribue l’ensemble du système non pas par le CD 111 mais par une liaison classique vers le centre-ville. Le parti est de mettre une forte densité sur la colline et plutôt de l’individuel en bas de la zone. Le plan géomètre du périmètre39 révèle qu’en fait le terrain de la base de loisirs n’a pas beaucoup de surface.

Sur les plans de 1969, on parle encore de ZUP parce qu’à l’époque le terme de ZAC n’existe pas. Les ZUP avaient une telle mauvaise image que l’on a éprouvé le besoin de changer de voca-bulaire. La zone d’aménagement concertée lais-sait entendre que ce n’était pas uniquement la

36-Dontunebonnepartie–ilestvrai–nepouvaitêtrefinancéeparlapuissancepublique.37 - Dont toute la Croisette, soit tout de même 35 hectares.38 - L’ENITH n’est pas encore placée dans ce secteur.39 - Qui fait apparaître la nouvelle voie rapide (derrière Bull).

IV.5.9 - Quartier du Lac de Maine, ZUP Ouest, plan de masse, études préliminaires , E. Beaudouin, architecte,

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230 IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

puissance publique. La formulation (entre ZUP et ZAC) reste hésitante pendant une période. En octobre 1969, une réunion avec Chupin, Ledin (directeur de l’Équipement), la Sodemel, le Beture, Beaudouin et Mornet définit des objectifs pour la ZAC Lac de Maine. Je deviens alors le sous-traitant de Beaudouin et je fais le suivi sur place.

En décembre 1969 (illustration IV.5.7) parais-sent les premiers plans Beaudouin, relatifs à la liaison avec la voie rapide avec tous les problè-mes d’échangeurs, etc. Donc en 1969, il y a à la fois la ZAC d’habitation et la ZAC du plan d’eau. Le CD 111 a été un peu déplacé40. Le problème de l’échangeur, énorme et mal placé, ne dispa-raîtra que lors des calculs de trafic sur la rocade (qui était une route nationale à grand trafic) sous la pression d’un certain nombre de personnes41

(illustration IV.5.10).En 1971, on passe du stade de la ZAD au

stade de la ZAC. Le deuxième périmètre, établi en juillet 1971, va au-delà du Bois de Mollière pour retrouver la route derrière. Le périmètre a donc beaucoup bougé par rapport au schéma de départ.

Le périmètre de la ZAC est conforme à celui de la ZAD ?

Oui, tous les croquis le montrent. Entre-temps un syndicat est créé pour gérer la ZAC : il com-prendra les communes de Bouchemaine, de Beaucouzé, le district urbain et la commune d’An-gers. Incontestablement, la ZAC pose problème car les limites des communes (Beaucouzé, Bou-chemaine) sont mal définies42. Elles seront recti-fiées43. Il est donc nécessaire que tout le système de la ZAC soit géré par un syndicat intercommu-

nal. Au départ, Chupin est opposé à l’extension du périmètre parce qu’on va avoir Bouchemaine d’un côté de la rocade et Beaucouzé de l’autre. Une étude est faite également sur l’impact des populations à terme dans ces communes avec le périmètre de la ZAC. L’option de ville neuve est alors affirmée et c’est cela que Monnier va contester dès son arrivée.

Est-il vrai qu’Auguste Chupin freine égale-ment l’opération compte tenu de l’urbanisa-tion assez lente de la Roseraie ?

S’ajoute en effet le problème de la vocation commerciale de la ZAC Sud. Au début, le tissu de Belle-Beille n’est pas dense, il n’y a donc pas de besoins. Dans l’esprit des angevins, la rue Saint-Jacques, de même que Belle-Beille, n’est plus en ville44. Derrière les boulevards de la Doutre, ce sont des cimetières, des bâtiments industriels. Il ne vient pas à l’idée des élus que la ville va s’étendre au-delà du boulevard Patton. Or le périmètre naturel du secteur Ouest est plus vaste que le périmètre de ZAD. Chupin a peur que le développement soudain de la ZUP Ouest attire davantage les promoteurs que la ZAC Sud. Et c’est pour cette raison que Chupin va freiner le périmètre de la ZAC.

Chupin a tout à fait raison…Oui. D’ailleurs la concurrence entre les deux

ZAC s’est produite.L’AURA prend alors en charge la cohérence

de l’extension de la ville à l’Ouest. La première étude de l’AURA sort en 1971 car il semble y avoir une accélération de l’opération liée aux élections municipales. Ses objectifs : localisation du centre de secteur (multiforme) et du centre

secondaire… En raison des difficultés qu’il y aura toujours pour passer d’une rive de la Maine à l’autre, il est important de développer dans une zone d’habitation telle que le secteur Ouest un point d’attraction autre qu’un commerce. Donc l’AURA fait une étude sur un centre de secteur type ville nouvelle (bureaux et équipements culturels). La zone universitaire doit se dévelop-per mais en implantant un de ses éléments hors du campus pour la faire vivre sur une plus grande emprise, ce qui mettrait de l’animation au-delà de ce barrage. Ce grand centre de secteur ne doit pas être trop loin de la Doutre pour que les habi-tants des environs puissent s’y intéresser. Et il faut trouver les positions des petits centres (com-merces, bureau de Poste, école primaire, etc.) à répartir dans le grand ensemble.

Le schéma directeur d’urbanisme avait été étudié à l’occasion de la création de la ZAC Mol-lière. L’urbanisation de la ZAC proprement dite est alors bien engagée. Mais le schéma n’envi-sage pas toute la zone industrielle de Beaucouzé et les extensions de la zone de Belle-Beille (qui rejoint l’agglomération de Beaucouzé) qui a elle aussi complètement changé de nature. Beau-couzé était vraiment un bourg rural jusqu’en 1962.

On n’a jamais pu sortir depuis 1971 du schéma directeur, qui ne prenait pas en compte les besoins réels en terrains, n’intégrant que des données communales et non les problèmes liés au développement du territoire (de la ville et des communes limitrophes) ; ce plan remplissant les vides de l’agglomération traditionnelle datant de 1938-1937 et n’anticipant absolument aucun pro-blème.

40 - Avec toujours le point fort au bout de la zone, côté Bouchemaine.41 - Nous en faisions partie car cette desserte qui coupe la ZAC en deux en plein milieu du

site nous empêche de travailler.42 - Car ce n’est pas le talweg qui constitue la limite de communes.

43 - On prendra du terrain à Bouchemaine. 44 - Tout comme le Parc de la Haye est à Avrillé.

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IV.5.10 - zAC ouest, schéma d’aménagement de secteur, propositions du périmètre, février 1970

IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

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232 IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

Es-tu associé à la définition de ce schéma directeur ?

Non.

Il faut attendre la fin de la mission de Beau-douin pour que les choses se décantent vrai-ment ?

C’est l’époque où Beaudouin n’est pas parti complètement… Le règlement du plan masse Beaudouin-Mornet en mai 1971 marque la fin du contrat de Beaudouin avec la SCET. Fin 1971, l’agence Mornet signe un contrat de plan d’amé-nagement de la zone de loisirs (base de loisirs, Balzac et plan d’eau), ce qui permet de clore la phase Beaudouin45. On entre alors dans une autre phase de collaboration : de sous-traitant, Mornet devient l’acteur principal côté conception. Lors d’une discussion sur les contrats - la Sode-mel aimerait connaître nos arrangements avec l’architecte-pilote ! -, on examine le financement de la base nautique : malgré l’accord du ministère et de Sulzbach sur le plan Beaudouin-Beture, le cabinet Beaudouin n’a jamais eu de contrat sur ce projet. L’évolution de la nature des besoins conduit à remanier l’étude qui doit désormais comporter deux dossiers indépendants :- infrastructures portuaires et Ponts et Chaus-sées46 ;- superstructures Jeunesse et Sports. Sulzbach demande alors de reprendre l’avant-projet, mais les missions Beaudouin et Mornet restent à déterminer, et le problème de contrat perdure.

Puis une nouvelle étude de Josselin (SCET tourisme) vient éclairer les besoins et va per-mettre de mesurer exactement le manque de terrains pour la ZAC de loisirs et déterminer si on

les prend sur la ZAC d’habitation (ce que l’on ne fera pas, puisqu’on éliminera plutôt des éléments du programme pour ne pas dépasser le CD 111).

À partir de décembre 1971, nous élaborons le plan d’aménagement de la zone avec les bureaux d’étude. L’analyse du Beture a son inté-rêt47 mais ce n’est pas encore la véritable analyse paysagère. Le Beture règle toutes les questions de circulation et pointe les difficultés pointues (lutte contre le bruit, quantité de voitures sur les échangeurs, etc). En général, la SCET prend ces questions en compte, ce qui traite le problème en dehors des instances locales.

La nature des échangeurs est longtemps l’ob-jet de débats entre Le Beture et Malhomme. La voie rapide perturbe le trafic de l’avenue Patton. Mais pour profiter de la zone de loisirs, les Angevins doivent passer par-dessus ce nouvel obstacle. Dès le départ, il apparaît impossible de faire un échangeur tous les 100 mètres. À un moment, le projet n’a qu’un seul échangeur. L’échangeur devant la gendarmerie en particulier pose problème car il nécessite une emprise au sol importante, sur des terrains privilégiés. Paral-lèlement, le boulevard Victor Beaussier est réa-lisé avec la zone universitaire en gestation. La liaison avec Belle-Beille pose question et ne sera décidée que très tard. Autre élément, le passage de l’autoroute au Nord doit être pris en compte malgré l’absence de tracé définitif.

En 1972, j’analyse le site en vue d’une pre-mière étude d’environnement, préliminaire à l’analyse du paysage de la SCET (qui sera faite par Michon48). La démarche, élargissant la vision Beaudouin, consiste à lister les éléments essentiels, pour comparer le raisonnement avec la réalité des choses, puis étudier les conditions de faisabilité. Notre inventaire sera repris par

Michon qui en fera un document très intéressant sur tout ce qui constitue le paysage. Des études commerciales et d’équipements seront faites en fonction du centre de secteur, qui va évoluer en cours de route49.

La ZAC de loisirs a-t-elle été conçue en cohé-rence avec les ZAC d’habitation ?

Un rapport a été fait sur la compatibilité entre les deux zones d’habitation et la zone de loisirs. Les deux systèmes sont en symbiose.

Aujourd’hui, ce rapport entre la zone de loi-sirs et l’ensemble du quartier marche parti-culièrement bien…

L’agence Mornet met en place cette cohé-rence : elle est notamment chargée d’une mis-sion paysagère. En octobre 1972, elle réalise un dossier de principe sur les plantations qu’il faut engager dès le remblai terminé50. C’est le paysa-giste Soulard51 qui étudiera les espaces verts.

La zone est-elle entièrement dépourvue d’ar-bres ?

Ce n’est que du sable car toute la plate-forme est nivelée par les apports de la gravière52. Lors d’une visite, alors que je préviens Brière qu’il faudra “faire des trous“, il me répond : « Ah non, on vient de payer le remblaiement ! ». Mais un parc, ce n’est pas un terrain d’aviation ! Il faut moduler le paysage… En 1972, on fait une esquisse de schémas organiques, une façon de préparer le plan d’aménagement, réflexion d’en-semble à l’appui.

45 - Il n’y a pas du tout de notion de PAZ dans les contrats de Beaudouin.46 - La Sodemel doit rechercher un partenaire valable : ce sera le Beture.47 - Plans sur la morphologie du terrain, sur les problèmes d’évacuation d’eau, la desserte

delaZAC,lephasagedel’opération,enfintoutleproblèmedel’échangeur.48 - Le paysagiste du Beture.

49 - Car très rapidement entrent en jeu de grandes chaînes hôtelières et différents promoteurs spécialisés dans les centres.

50 - Dans cette phase, intervient l’opération “100 000 arbres” lancée par le ministère de la Jeunesse et des Sports. L’idée est de faire planter des arbres par des scolaires.

51 - Avec qui j’ai déjà travaillé à Nantes et au Courrier de l’Ouest.

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233IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

Quels types de sites ont déterminé le périmè-tre de la zone d’habitation ?

Le site est dans une cuvette. Sur le terrain, il n’y a que des éléments forts : de l’eau, un coteau avec un talweg, une ligne de crête très impor-tante, le bois et le château. Donc on est obligé de remplir l’espace même si l’opération se réalisera par tranche (car on veut éviter les rues en cul-de-sac comme à Belle-Beille).

C’est cette démarche qui détermine l’objectif du nombre d’habitants ?

Exactement. L’idée de Chupin est de lancer la création de la société intercommunale une fois le plan d’aménagement en place, nous lais-sant d’abord faire les démarches sur le terrain, pour effectuer la consultation de celle-ci quand la création sera définie (et intégrer ensuite les modifications en fonction de cette consultation).

Septembre 1972 : le chantier de la voie rapide commence. Les décisions sont quasiment prises : le périmètre de la ZAC va être approuvé. À cette occasion, des conflits éclatent entre l’AURA et Fautrelle53 sur les zones industrielles (ZAC d’activités de Beaucouzé) et entre Fautrelle et Mornet sur l’occupation des coteaux de Gré-sillé à laquelle j’ai toujours été opposé. J’étais partisan de garder “la croupe”, qui est la fin de l’écriture du site, car il faut ponctuer le paysage avec des volumes construits mais sans trop modifier les volumes existants. Il y a donc très peu de constructions sur ces coteaux, mais il y a des grosses entités de bureaux au milieu d’es-paces naturels.

Novembre 1972 : approbation du dossier de création de ZAC et du grand périmètre. La dis-

cussion avec les communes voisines va pouvoir avoir lieu.

En décembre 1972, a lieu la proposition de partage d’honoraires entre Mornet et Beaudouin. Beaudouin produit toujours des croquis pour le centre Ouest. Le schéma directeur Angers Ouest de l’AURA première mouture sort à ce moment-là.

1973 : déclaration d’utilité publique du schéma directeur Angers Ouest. Outre les problèmes de limites de communes, dans les terrains de la

ZAC Mollière deux opérations potentielles alors à l’étude par le secteur privé sur des terrains Konc-kier, posent problème. La Sodemel estime qu’il n’est pas tolérable que Konckier et Cécille mon-tent une organisation, en dehors de tout plan de développement, mais Chupin veut ménager les susceptibilités. Or Konckier et Cécille finissent par abandonner : le schéma directeur Angers Ouest englobe donc les deux terrains, les empê-chant de faire une opération en autonomie.

52 - Le CD 111 a été relevé sur certaines parties inondables.53 - Fautrelle était urbaniste de l’Équipement, je n’ai jamais su vraiment quel était son rôle.

Il s’est davantage occupé du rassemblement de la ZUP Nord. C’était un architecte-conseil, donc libéral, mais il avait un contrat sur cette opération. Il était architecte sur les lotissements quand le CAUE a été créé en 1979 et il a été remplacé ensuite par Rondeau, directeur du CAUE.

IV.5.12 - Plan d’eau de la Maine, maquette, étude réalisée par le laboratoire national d’hydraulique de Chatou, Solution C - 1 000 m3/s, septembre 1970

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234 IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

En février 1973, la foire-exposition a du plomb dans l’aile dans le parc de Balzac où il n’y a plus de remblai possible. On dissocie le parc de Balzac de la zone de loisirs puisque le phéno-mène plan d’eau de motonautisme n’existe plus. Mais le stade universitaire sera réalisé54.

En mars 1973, les derniers plans faits par Beaudouin proposent sa solution sur le secteur Ouest.

Mars 1973 : autre événement, la circulaire Guichard. Tellement d’ensembles gigantesques (5 000-10 000 logements) ont été réalisés en France que l’administration se rend compte de

ces échelles démentielles. Le ministre de l’Équi-pement décide donc de limiter à 2 000 le nombre de logements dans une ZAC. Or, nous en pré-voyons 6 000, d’autant que nous nous sommes battus pour l’élargissement du périmètre. L’opé-ration est alors scindée en trois : la ZAC centre de secteur, la ZAC Mollière et la ZAC du Lac. Il

54 - Dossier d’exécution terrains et vestiaires en 1973.

IV.5.13 - ZAC du Lac de Maine, plan d’ensemble zoning, E. Beaudouin et Ph. Mornet, architectes, mai 1973

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235IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

est donc prévu de refaire le plan d’ensemble en fonction de ces données.

Au niveau du schéma de voirie, que se passe-t-il ?

Aucun problème (échangeur, problème du tracé définitif du CD 111, etc.) n’est encore résolu.

C’est pourtant en 1973 que le projet se pré-cise vraiment ?

Octobre 1973 : Beaudouin disparaît des correspondances. Son agence se dissout pro-gressivement : Beaudouin, âgé, commence à se désengager… Sur place, j’assure la sous-traitance : c’est pour cette raison que cette situa-tion a perduré. Or la personne clé du cabinet Beaudouin, Paul Fournier (son chef d’agence depuis toujours) meurt en mars 1973 : dès lors, Beaudouin ne s’intéresse à l’opération que de temps en temps. Je le tiens au courant pendant un temps, puis en septembre je convaincs Chupin d’intervenir pour clore sa mission. Le dernier plan de la base de loisirs issu de cette collaboration date de juillet 1974 : Beaudouin s’y met plus en retrait tandis que l’agence Mornet s’expose avec la conception de la pyramide.

Il y a toujours le centre équestre avec de nombreux parkings ; le club de voile est déjà en place ; la pyramide est dessinée, la mare aux canards existe aussi (illustration IV.5.14).

Avant l’arrivée de Mornet, la base nautique (que Beaudouin étudie dès mai 1969) est compo-sée d’un bâtiment à deux étages, un peu polyné-sien : c’est un bâtiment tout plat avec des salles

de réunion en haut et des vestiaires et un garage à bateaux en bas. La ville sait que le projet Beau-douin, qui convient très bien à Sulzbach, ne nous plaît pas tellement.

Auguste Chupin est-il à votre écoute ?

Turc et Chupin, avec lesquels le travail s’est toujours réalisé dans de bonnes conditions, admettent mon désaccord si je fais une contre-proposition. Ils ont été plus ouverts et plus sou-ples que leurs successeurs. On propose donc une démarche radicalement différente. Le club nautique est conçu comme un bâtiment signal au bord de l’eau : c’est la maison de la base (salles de réunions à l’étage, le rez-de-chaussée étant réservé aux travaux techniques exigeant des conditions de sécurité particulières). De petits abris, les clubs nautiques deviennent de vrais bâtiments avec vestiaires, accueillant des bateaux. Notre approche affirme la nécessité de créer un bâtiment qui se distingue : sans faire une cathédrale, il faut marquer l’espace. Cela donne naissance à la pyramide.

La pyramide donne en effet l’échelle du site, même si elle n’est pas très grande. Elle spécifie le rapport à la ville d’Angers : c’est un phare alors que le projet de Beaudouin, adapté à la fonction nautique, ne donne pas de qualité particulière à l’ensemble du quar-tier. Est-ce Auguste Chupin qui tranche entre les deux projets ?

Chupin s’aperçoit que Beaudouin n’est plus “dans le coup”. De plus, il connaît ma détermi-nation55.

L’agence étudie par ailleurs le régime des vents sur le plan d’eau. Comme une personnalité

de la voile, Jean-Yves Terlain, étudiant en archi-tecture, travaille à l’agence pendant les vacan-ces, c’est lui qui effectue les études de faisabilité car certains prétendent que le coteau ferait écran aux vents. En réalité il y a un vent impeccable…

Le bâtiment d’accueil est, au contraire de la pyramide, noyé dans la verdure : il ne cher-che pas à s’affirmer dans l’environnement car il vient en complément du centre nautique. Le programme passe d’une simple auberge de jeunesse56 à un centre international pour la jeu-nesse, puis une maison de la Jeunesse et de la Culture57. C’est donc un équipement qui gonfle, dont on passe notre temps à changer les plans58. Il deviendra finalement un centre d’hébergement pour équipes sportives. La notion d’auberge de jeunesse disparaît alors complètement59.

Le camping ne vient plus qu’en complément du centre d’accueil, pour les séjours de courte durée60 et non pour les vacanciers. D’abord le camping disparaît en raison du camping munici-pal du parc de La Haye qui doit s’étendre. Mais comme le parc se remplit de maisons, la vapeur se renverse et la ville cherche un terrain ailleurs. La ville décide donc de laisser dans la zone de loisirs un résidu de camping (pour ménager la densité et la clientèle de la base) et installera plus tard le camping au bout de la ZAC près de Pruniers.

Nous avons un problème dans la zone qui devait accueillir un club de tennis : la maison habitée par le directeur adjoint des Espaces verts d’Angers qui appartient à la ville. Bien évidemment, il n’est pas question d’expulser un fonctionnaire dans l’opération.

Sur le talus entre la route de Nantes et la zone de loisirs, on veut créer un village d’indiens : avec des troncs de bois, on peut construire un

55 - Il préfère d’ailleurs avoir Mornet sous la main que de courir après Beaudouin, qui, en tant que président de l’union internationale des architectes, part souvent en voyage. Après Saint-Nicolas, cela lui paraît dans mes possibilités de mener cette affaire.

56 - D’abord prévue à la Baumette.57 - Des MJC sortent partout à l’époque.

58 - À un moment, il comprend même une salle de spectacle.59 - Maintenant le centre d’accueil est très lié au centre de formation du personnel

communal (CFPC) : il y a également une partie restauration et des salles de cours. (note de l’éditeur)

60 - Des équipes sportives peuvent y loger en utilisant les services du centre (restauration, foyer, sanitaires).

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236 IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

fort, et le bruit ne gênera pas la base. Cela ne s’est jamais fait. Un jardin d’eau est proposé : l’idée est que les enfants puissent jouer dans des fonds d’eau peu profonds en ayant l’impression de partir à l’aventure. La ferme d’enfants devient

le centre d’information. On conserve deux îlots dont l’un pour le poney club.

On fait descendre des habitations jusqu’au ras de la ZAC de loisirs. On introduit l’idée de continuité du paysage entre les deux côtés de

la voie pour éviter que le CD 111 constitue une frontière.

La configuration viaire est-elle aboutie en 1973 ?

IV.5.14 - Quartier du Lac de Maine, parc de loisirs, plan, mars 1974

Page 237: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

237IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

Il y a l’échangeur, qui se simplifie un peu après. L’emprise est à peu près l’actuelle. Le centre urbain est déjà à sa place, si ce n’est que le centre équestre ne se fera pas61 mais restera devant Bull, l’un de ses principaux clients.

En 1974, est établit le plan d’aménagement de la zone d’habitation dans le périmètre de la ZAC proprement dite62. Il s’agit d’être sûr que les constructeurs ne réalisent pas des maisons de 100 m2 sur des terrains de 250 m2. Cela dure six mois car la SCET nous envoie d’un peu partout des promoteurs avec des modèles de maisons.

Cette phase a lieu pendant l’étude de l’AURA sur la ZAC centre de secteur en vue d’une recherche de partenaires, aussi bien dans le domaine culturel, universitaire que commercial. L’AURA prend donc en main la constitution du programme pour cette zone. Une petite plaquette sur le centre de secteur est diffusée par la Sode-mel.

Toujours dans le même esprit de point d’at-traction ?

Oui. Nous réalisons une autre plaquette éditée par la Sodemel en 1976 qui résume le contenu du projet pour le grand public. Le directeur de l’AURA (Lenoir) a influencé dans cette direction dès le départ. Il se rendait compte des faibles-ses du développement de Belle-Beille. Il est vrai qu’après les nombreux crédits accordés sur les universités suite à mai 68, un tarissement s’est fait sentir même si la décision du développement universitaire était prise63.

En avril 1975, sort le plan des ZAC de l’AURA : la zone industrielle, la ZAC Mollière, la ZAC d’habitation proprement dite, la ZAC centre et la ZAC de loisirs.

Et la zone de loisirs ?En 1974, suite de l’étude des équipements

de la base de loisirs. En octobre, envoi des contrats architectes de 1973 non approuvés pour

61 - Car Sulzbach fait fuir un certain nombre de personnes qui ne désirent pas être sous la tutelle de la Jeunesse et des Sports.

62 - Une esquisse du village type permet de tester des prestations et des modalités.

63 - D’ailleurs, pour le Droit, faute de crédits, on a transformé la cuisine de la Caisse des écoles qui n’a jamais servi en amphi ! Turc nous l’a annoncé en juin pour la rentréeuniversitaire!Lepremierfinancementaétéattribuéaucentrescientifiqueet universitaire (CSU), développé dans l’idée de désengorger les gros centres universitaires avec des centres en province.

IV.5.16 - Quartier du Lac de Maine, base nautique, bâtiment du club, coupe, octobre 1975

IV.5.15 - Quartier du Lac de Maine, base nautique, bâtiment du club, coupe, mai 1973

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238 IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

demande de signature à Chupin. Sans succès apparent.

1975 : nouvelles directives sur le programme de la base de loisirs : heureusement ils chantent maintenant dans le même sens que nous ! En janvier, tout est décidé et les choses sont à peu près en place. Le centre d’accueil est construit, la pyramide est placée, on conserve l’idée des jeux bruyants à côté de la voie rapide. Il n’y a plus de piscine, le parc des expositions en revanche est encore là. Le secteur tennis est abandonné au profit d’un centre de formation du personnel communal (CFPC) à côté du centre d’accueil. En décembre, renvoi à Chupin des contrats de 1973 toujours pas approuvés.

Janvier 1976, envoi à la Sodemel des contrats 1973 regroupés en un. Étude du manoir de la Corne de Cerf qui a plusieurs vocations au départ et devient la Maison de la Nature64. En mars 1976, envoi à la Sodemel d’une note sur les rôles respectifs de Beaudouin et Mornet (le contrat n’est toujours pas signé, mais c’est Ber-nard et non plus Bocquien qui est directeur, il est complètement perdu).

L’emplacement du stade universitaire est arrêté. Au Lac de Maine, le stade est universi-taire parce qu’il n’est pas fait dans l’esprit d’un équipement pour la ville (pas de tribune par exemple). Le bâtiment technique est ajouté après en vue des groupes scolaires du secteur Ouest auxquels aucun terrain de sport n’est affecté. Ce stade devant servir à tout le monde (il sert en remplacement de ceux de Bertin et de Besson-neau), il est devenu depuis un stade municipal avec tribune.

On entre alors dans la phase opérationnelle : réalisation du stade universitaire, construction de la base nautique (réception en 1978).

L’hôtel est finalement installé dans l’hyper-centre de la ZAC d’habitation. Or ce n’est pas seulement un changement de localisation, mais aussi de philosophie du projet. L’hôtel actuel n’est plus du tout lié à la zone de loi-sirs…

L’hôtel était prévu à l’écart du bruit de la voie rapide. En réalité, on a du mal à trouver des emplacements car Sulzbach ne veut pas d’hôtel-restaurant dans l’emprise car c’est financé par le ministère de la Jeunesse et des Sports. La pre-mière demande disparaît donc. Lors de la créa-tion du centre de secteur, les groupes hôteliers s’intéressent à cette zone sur le trajet de la Bre-tagne et bien placée (on voit le château65). L’hô-tel de France se met alors sur l’opération pour installer un hôtel Mercure. Cet hôtel fonctionne très bien (il accueille des réunions) : on peut se garer facilement ; c’est à proximité du centre tout en étant hors du centre.

Cela dit, la zone de loisirs aurait très bien supporté un équipement hôtelier ou de res-tauration de qualité…

Je continue de penser que l’île est un bon emplacement pour un restaurant. J’ai essayé de convaincre Chupin à l’époque. À l’heure actuelle, c’est encore un site privilégié : avec le camping en face, il suffit de faire une passerelle piétonne. La seule difficulté est la desserte pour les appro-visionnements.

En revanche, Sulzbach a été remplacé par la Ligue de Protection des Oiseaux qui surveille aujourd’hui ce secteur.

Ce serait l’Hôtel du râle des genêts !

En 1977, la ZAC est définitivement calée ?

En 1977, enfin le plan définitif (ce qui sera exécuté). C’est bien la ZAC sans le bois de Mol-lière, donc le premier périmètre de ZAC. Pour le reste, tout est localisé, mais il n’y a plus du tout de centre de secteur type ville nouvelle, juste une zone réservée avec les lots repérés en nombre de logements à répartir aux différents partenai-res qui s’y installeront.

L’idée de ville nouvelle est-elle abandonnée avant l’élection de Jean Monnier ? Jean Turc et Auguste Chupin changent d’avis ?

Oui, juste avant la municipalité Monnier, notamment au niveau du centre Ouest qui consti-tue un ensemble important. Cette zone sera d’ailleurs comprise dans le périmètre jusqu’à l’avenue Patton.

La politique de Jean Monnier était relative-ment optimiste par rapport au succès d’une ville nouvelle : pas de création de centre de secteur par crainte d’une rivalité avec le centre d’Angers ?

Monnier voulait bien un centre de secteur, considéré comme un gros centre commercial (pour les personnes vivant à proximité) mais pas un système qui irradie sur les communes environnantes, comme le proposait l’AURA66. L’étude réalisée sur la ZAC centre de secteur sera reprise par Andrault qui signe un contrat d’architecte en chef pour le programme général

64 - Cette maison porte 36 noms à l’époque.65 - Sa situation à l’entrée d’une zone d’habitation représente en outre une clientèle.

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239IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

du centre de secteur (les logements, le centre commercial, etc.).

Mais quand la nouvelle municipalité arrive (mars 1977), elle vire Andrault et va complète-ment changer le programme du centre de sec-teur : dans le centre “dernière formule” (dessiné par Levi), toute la partie “riche” du centre est éliminée au profit du service de proximité pour éviter toute concurrence avec le centre-ville.

Comment s’est fait ce cœur de ville ?

On apprend un jour - à l’époque où Monnier met un peu tout le monde dehors – que le maire a complètement changé d’option. Il souhaite dimi-nuer le nombre de logements et l’importance de la zone universitaire. Monnier a peur que le centre de secteur tue le centre d’Angers. À son arrivée, alors que l’on commence à parler de la “ville du Lac” (avec ses outils, ses sigles), il élimine ce qui pouvait donner de la force au centre de secteur. Il s’agit aussi de démolir Chupin, qu’il veut évincer de la Sodemel. La bataille finale se passe effec-tivement entre Chupin et Monnier. Aussi Chupin ne fait pas avancer les choses parce qu’il sait que Monnier tente de casser le Comité d’Expan-sion67, de même que toutes les sociétés d’éco-nomie mixte68. Un certain nombre de conneries sont faites à la fin des années 1970… D’autre part, Monnier va se désintéresser complètement de l’opération qui ne peut porter sa signature. La période est difficile pour la ZAC.

Il semble qu’il y ait un aspect “règlement de compte” entre Mornet et Monnier sur les rela-tions Mornet-Chupin…

Certainement. Je ne suis pas ambigu, Mon-nier l’est parfois. C’est un type sensible et habile, plus que beaucoup d’autres d’ailleurs mais il croit tout savoir alors qu’il manque d’un certain nombre de connaissances et il a une culture de rapports de force. Pourtant, j’ai eu de bons moments avec Monnier en particulier dans ces situations.

Novembre 1979 : note de l’AURA sur le quar-tier du Lac avec la localisation des équipements. Cette proposition, au début du règne de Monnier, va entériner un certain nombre de décisions sans remettre en cause le plan masse puisque l’exé-cution est déjà commencée. Elle définit la hié-rarchie des centres sur le secteur Ouest, avec pour objectif essentiel : le centre Ouest ne doit pas concurrencer le centre-ville où s’engage une politique de revitalisation importante. Tou-tefois, cela ne doit pas empêcher la réalisation de centres de proximité et le centre Ouest doit être considéré comme un centre de secteur. Il s’agit donc de savoir comment assurer à l’Ouest un niveau de desserte satisfaisant en matière de commerces quotidiens. Tout le processus est donc remis en cause à partir de ce moment. Mais ce n’est pas le centre qui a fait “foirer” les halles de la République.

Est-ce l’étude de Didier Lenoir ? L’AURA se range à l’avis de Jean Monnier ?

Effectivement, c’est une étude de Lenoir, qui ne va pas tarder à quitter le bateau.

1986 : “État de l’évolution du secteur Ouest” par l’AURA après l’arrivée de la municipalité de Monnier. Lenoir est parti, le centre Ouest a été retiré à Andrault et confié à Levi, architecte à Paris, la ZAC Mollière attend son heure tandis que la zone d’activité se développe fortement.

À partir de 1982, tu es l’architecte en chef de l’opération Lac de Maine …

À ce titre, je fais le suivi des opérations. Je revois les modifications du PAZ pour s’adap-ter à la demande des différents organismes de construction dans un système mixte d’habitat (densité et nature), alors que le secteur Ouest a toujours été une zone de population modeste (et homogène dans cette catégorie). En accord avec Chupin, on propose une homogénéité sociale par îlot, les petits îlots permettant d’avoir, dans la même rue, des HLM, de l’accession, etc. Les habitants ne sont donc pas du tout en opposition, ni en masse… Mais la mixité proposée n’a jamais été observée sous prétexte que les promoteurs n’arriveraient pas à vendre. D’autre part, l’office départemental HLM n’a pas construit de loge-ments locatifs dans cette zone, sauf en haut de la crête. Malgré la perte de densité, le système fonctionne parce qu’il est plus facile de faire vivre les habitants du Lac de Maine de catégories sociales différentes que ceux de Belle-Beille, mais le résultat n’est pas satisfaisant lorsque le problème a été posé avant.

C’est un peu l’utopie urbaine…

C’est ce qu’on a tenté sur Saint-Michel, où la situation est différente parce qu’il n’y a pas eu de promoteur privé, la SEM gérant l’ensemble.

Y a-t-il un mélange d’habitat social à Saint-Michel ?

Oui parce que l’office d’HLM était lié à la ville d’Angers et la SEM faisait du social « de bon

66 - Schéma d’une vraie ville dans la ville.67 - Monnier a essayé de faire son comité d’expansion et refusé certains crédits à celui

de Chupin.68 - En créant un bureau d’études économiques qui les concurrence (la SARA).

Page 240: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

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IV.5.17 - Quartier d’habitation du Lac du Maine, plan programme, Sodemel et Ph. Mornet, février 1977

IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

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241IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

niveau ». Dans ce cadre, ces organismes ont pu faire bon ménage parce que la mentalité des SEM n’est pas celle du promoteur qui doit faire du profit. Les SEM tentent seulement de boucler leur budget, comptant éventuellement sur la ville pour renflouer si besoin. Elles peuvent ainsi se permettre - ce qui a été fait à Saint-Nicolas - de payer des prestations au profit des HLM, ce qui est totalement impossible avec un promoteur privé.

D’où la nécessité d’une intervention publique dans les programmes d’habitat…

Oui, quand ils sont importants parce que les acheteurs privés ont peur de l’HLM.

En revanche, au Lac de Maine, il n’y a pas de pression urbaine liée à l’habitat parce que les gens accédant à la propriété cohabitent avec des équipements HLM de taille raisonnable.

C’est vrai. Cela tient aussi au plan masse : ayant déjà connu à Saint-Michel une répartition des catégories à 60/4069, j’ai posé dès le départ le principe du parcellaire (des petits îlots). La cohabitation est possible si les gens ne sont pas les uns sur les autres même s’ils sont côte à côte : c’est comme au bistrot ! Les gens pour vivre ont besoin de leur petit territoire.

À mon avis, ce qui manque dans le centre de secteur, c’est du collectif : il en faut tout de même et c’était forcément là qu’il fallait mettre les immeubles plus importants.

Ce qui était envisagé était un espace public qui ne soit pas attenant d’un seul côté (de type parking). Il y a des espaces très intéres-

sants entre les immeubles mais il n’y a pas de centralité.

Tout à fait, les espaces se tournent le dos par le relief et parce que l’espace est fermé sur la place. Ils n’appartiennent pas au centre de sec-teur, mais à la ZAC d’habitation, de laquelle le centre de secteur devait se différencier.

Que dirais-tu en conclusion sur le parc de loisirs ?

Le succès de la base de loisirs est désormais certain. À travers le rapport Josselin, le loisir est accessible à tous : les petits, les grands, les vieux, les jeunes, ceux qui courent, ceux qui ne peuvent plus… Malgré l’élimination de nombreux équipements du programme, le plan d’eau fonc-tionne, d’ailleurs pas du tout avec la clientèle définie au préalable : il y a presque deux géné-rations entre les initiateurs et ceux qui occupent le terrain ! Le Lac de Maine est presque devenu un parc familial. Mais, avec plus de complexité, le système n’aurait pas marché70. Désormais, la zone est homogène : la partie nautique et la partie plage forment une station balnéaire si bien que les visiteurs ont l’impression d’être au bord de la mer…

…avec une zone naturelle derrière.

Et ce n’est pas du tout dans le programme ! Or on n’a jamais récusé le rapport de Josselin. Ce qui reste, après tous les équipements emmenés par la marée, c’est ce qui doit rester. Des équili-bres se créent ainsi dans la nature (événements qui restent inexplicables pour l’historien). On détient un certain nombre de clés en expliquant

l’évolution des plans dans le temps. Le lecteur qui tomberait dans 100 ans sur le plan initial et le plan exécuté se demanderait : « mais que s’est-il donc passé ? ».

En revanche, l’historien peut montrer que cela est daté : l’étude de Josselin marque la fin des trente Glorieuses, marquée par la grande générosité sociale.

Surtout la France commence dans les années 1970 à avoir les moyens de faire comme les autres pays. Et on est un pays à la traîne dans beaucoup de domaines… d’où mes voyages pour découvrir les autres systèmes. Mes réflexions sont le fruit de ces visites, faisant apparaître tout ce qui est habituel à l’étranger et qui devient la nouveauté chez nous puis la normalité.

L’implication de la ville est déterminante par rapport au projet du Lac de Maine.

C’est l’éternelle histoire de la naissance de la décentralisation, qui engendre des erreurs et des combines financières parfois – mais pas plus que la centralisation, et même plutôt moins –, mais met en rapport de vrais acteurs et non pas des assujettis à la recherche d’un pouvoir.

L’extraordinaire pesanteur de l’État ou de cer-tains corps gênait l’avancement des projets. J’ai le sentiment que c’est aujourd’hui diffé-rent : les réalisations décidées par la Région démarrent relativement vite.

En outre, ce qu’il y a de flagrant, c’est qu’il n’y a pas au départ de programme !

69 - À Saint-Nicolas et dans la ZAC, la proportion est la même.70 - Trop de choses et pas assez en quantité pour que chaque entité fonctionne.

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IV.5.18 - ZAC Mollière, plan d’aménagement de zone, Sodemel et Ph. Mornet, février 1980

IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

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IV.5.19 - Quartier d’habitation du Lac de Maine, le coteau de Mollière, plan masse, 1982

IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

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IV.5.20 - ZAC du Lac de Maine, modification du PAZ, Sodemel et Ph. Mornet, mai 1988

IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

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IV.5.21 - Secteur Ouest, situation au 25 octobre 1990

IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

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246 IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

Le rapport de Josselin vaut ce qu’il vaut mais c’est un programme.

Il est inutilisable. C’est un programme “fourre-tout”, un inventaire qui ne tient pas compte des conditions locales, disons un pense-bête.

C’est un programme type…

90 % des équipements n’auraient pas dû y figurer, non pas parce que cela ne se fait pas ailleurs, mais justement parce que l’on est à Angers. Sur la plage ou dans un salon Louis xvi, tu ne manges pas la même chose, tu n’as pas

les mêmes assiettes, et le service n’est pas le même : c’est cela le programme ! La problémati-que est : quel est le contexte ? Dans les bureaux parisiens, il est difficile de faire entendre cette nécessaire adaptation aux conditions. Certaines évidences ne peuvent que se sentir ou “s’appré-cier”, mais pas se démontrer71. Plusieurs fois il m’arrive d’aller sur le terrain pour convaincre Chupin au lieu de perdre des heures en commis-sions. “Voir” est une opération intellectuelle, ce n’est pas simplement physique.

Dans l’opération, ce qui est ahurissant - et à mon avis inconcevable aujourd’hui -, c’est le temps de maturation des études (1964 à 1974). Dix ans d’études représentent une masse d’honoraires, d’intelligence dépen-sés pour une solution relativement simple qui gomme beaucoup de choses. Il faudrait pouvoir évaluer dans le projet final ce qui est nourri de toutes ces réflexions et hésitations. Parce que certains éléments sont constants, comme la position de la base nautique (même si le parti architectural change), de même que le rapport à la ZAC d’habitation.

Certains ingrédients sont présents au menu mais ne sont pas définis au départ. Comme en cuisine, tous les éléments interagissent. Le chef compose le menu selon la compatibilité des ingrédients. Or dans cette opération, chacun vient avec son panier et le vide sur la table, ce n’est pas possible.

Peut-on dire que jusque dans les années 1960, l’administration centrale a un poids extrêmement fort, comme l’illustre l’opéra-tion Chevrollier, et surtout Saint-Michel avec le corps des Ponts et Chaussées ?

L’administration n’a pas tous les vices. Elle est irresponsable et anonyme, mais d’abord débor-dée et elle perd ainsi la moitié de ses moyens : est-elle insuffisante en nombre ? Elle est surtout insuffisante en encadrement. Pour certains hauts fonctionnaires opérationnels qui la composent, la compétence sert de garde-corps, ce qui leur permet d’asseoir leur autorité en entretenant une relation de dépendance. Plus on descend dans la hiérarchie, moins les fonctionnaires sont com-pétents, non pas intellectuellement mais parce

71 - Tu peux parler de la misère, mais tant que tu n’es pas allé dans un endroit misérable, tu ne sais pas ce que c’est.

IV.5.22 - Vue de la base nautique, 1977

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247IV.5 - Le quartier du lac de Maine (1960-1986)

qu’on ne leur a jamais donné l’occasion d’exer-cer une compétence puisqu’ils sont pris entre le règlement et le problème à résoudre72. Le sys-tème ne leur donne pas non plus les moyens d’aller sur place. Avec cette organisation, avant qu’elle propose une solution sous forme de déci-sion applicable73, l’affaire est déjà finie. De toute façon, l’opération engagée passe dans les mains d’agents locaux qui n’ont pas pouvoir de remise en cause…

Un grand nombre d’acteurs intervient pour le quartier du lac de Maine : la Préfecture, la Sodemel, la SCET, les communes…

Ainsi que tous les bureaux d’études qui véri-fient la marche à suivre, contrôlent la cohérence. Comme aux urgences, on est entouré : allongé dans le couloir de l’hôpital, tu vois passer les blouses blanches avec des appareils. Les aller et venues ne cessent de la nuit, mais tu es toujours là le matin et personne n’a pris ta température.

Cette situation n’existe ni pour Chevrollier, ni pour Saint-Michel…

Non, là il n’y a personne dans le couloir !

Le vide ou un trop plein…

Du côté de la rue de Grenelle74, les locaux sont des vaisseaux vides : tu frappes aux portes numérotées des bureaux, personne ! Ses ins-pecteurs généraux sont peut-être en inspec-tion… Mais l’impression reste : « ils doivent avoir beaucoup de travail à l’extérieur ! ».

exemple de refus de permisde construire

Extrait d’une lettre d’un maître d’œuvre en réponse aux réserves de P. Mornet

« Les documents proposés ne sont bien sûr que des façades […] établies pour avoir votre avis en tant qu’architecte en chef de la ZAC du Lac de Maine. Les hauteurs et les implantations des bâtiments n’auraient été définies qu’après une étude beaucoup plus profonde […]. D’autre part, je vous informe que j’ai déposé […] une demande d’inscrip-tion à l’ordre des architectes en tant qu’agréé en architecture, mon dossier est actuellement en cours. […] Afin de vous rassurer sur mes capacités, je vous signale que j’ai mené à bien bon nombre de chantiers dont quelques-uns ont fait appel à des techniques de construc-tions modernes. […] Je vous demande donc de bien vouloir revoir votre position… »

Réponse de P. Mornet

« Je ne peux que confirmer les propos […]. Je ne prétends pas tout connaître, j’ai certai-nes pratiques professionnelles d’architecte, d’urbaniste et d’enseignant qui permettent d’appréhender la capacité qu’ont les concep-teurs à traiter un problème. Dans votre cas, aujourd’hui, c’est négatif. Les techniques de constructions maîtrisées ou le récépissé d’une demande d’inscription n’ont rien à voir avec la capacité à traiter des problèmes d’ar-chitecture. Si on peut vous faire un grief, ce n’est pas tant que vous n’êtes pas apte à les traiter que d’en comprendre la nature… »

légende J’avais noté pour moi-même : “il met de l’ardoise comme d’autres mettent du ketchup”, bref le genre de maître d’œuvre qui fait n’importe quoi et qui met de l’ardoise dessus. D’ailleurs l’Ordre des Architectes a émis un certain nombre de remarques concernant ce candidat à l’agrément et le rapport de la commission régionale a été très défavorable.

72 - Sur lequel ils disposent, au mieux, d’informations partielles.73 - Le système est tellement saturé de dysfonctionnements…74 - Ministère de l’Éducation nationale.

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CoNCLusIoN

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250 Conclusion - Complainte de la Maine. d’une Maine amère à une Maine amène

Rivière régionale associée de la LoirePar mes antennes Mayenne, Sarthe et Loir,J’apporte durant des siècles mes qualités hydrauliquesPour les liaisons normandes ou du bassin parisien.

Rivière d’éventration parce qu’ayant des larges tentacules,traversant les grands courants d’attaque ou des migrations européennes.

Rivière laborieuse, parce que la ville qui m’enserrey trouvant à l’abri de ses défenses et de mes excès,le moyen de prospérer des activités très diverses liées,à la richesse de son terroir et nécessairesà sa vie propre,comme à ses liaisons que permettent la discrétion de ma traversée.

J’ai pris ma retraite d’acteur au début du xxe siècle,

ne restant plus que comme figurante ou décor dans l’histoire que la ville s’efforce de jouer. Très contrôlée à cause de mes foucades,imposées par ma circulation,menottée dans l’agglomération,je suis devenue égout par mépris des riverains qui y voient une activité à l’aune de mon âge.

Je me sens un peu méprisée.La ville qui autrefois, château y compris,avait les pieds dans l’eaua mis ses bottes et même les nouveaux pontsfranchissent avec dédain, ménageant le nombre de vieux piliers.

On a chassé de mon cours les moulins, les lavandières, les pêcheurs, les péniches.

Les ponts de Segré et de Pruniers sont au chômage.Et je ne suis plus lieu de travail et d’échanges.Il n’y a plus de canal des tanneursni de tonneliers ;Saint-Nicolas n’est plus une ruche, juste un nid ;

Les abattoirs ont migré pour ensuite disparaître ;Le port Ayrault, les quais Boisnet ont été engloutis par la ville ;Cointreau et le cirque-théâtre on fait la malle ailleurs.

J’ai cessé d’être une voie même si je resteun miroir.Pour moi désormais, une responsabilitédu 3e âge,mais je m’occupe des jeunes et des moins jeunes. Je suis devenu lieu de loisir, lieu du corps, nouvelle manière de vivre.

Des pontons-baignade de la NAFA de l’entre-deux-guerres au club de l’Union voile et vapeur du début du siècle, des scouts marins aux rameurs du club d’aviron qui ont été des précurseurs ;Je m’occupe maintenant en plus : de sport et tir à la Baumette,de voile et bronzage au lac de Maine,de canoë-cayak à Bouchemaine,

Complainte de la Mained’une Maine amère à une Maine amène

Page 251: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

251Conclusion - Complainte de la Maine. d’une Maine amère à une Maine amène

Je me prête aux travaux de l’École du Génie et fait épurer mes limons à la thalasso de la Baumette.Mais aussi je m’intéresse à la culture, lieu de l’esprit :l’hôpital Saint-Jean fait tapisserie,la place La Rochefoucault abrite foire ou spectacles ;les Arts et Métiers et la fac de médecine sont lieux de connaissance ;le théâtre du Quai sort son front de Maine, là où la Maison de la Culture avait naufragé.

Sur mon autre côté :le vieux roi de Pologne fait hôtesse d’accueil ;le château-fort a gardé son pied marin mais sans les mettre à l’eau et abrite les rêves de l’Apocalypse ;La République tout normalement se cherche, elle fait toujours dans le commerce mais ce n’est plus de la bouffe,l’université a avalé la gare Saint-Serge et le complexe Gaumont est dans le pré.

Enfin c’est la marche du temps, dont je suis le seul repère :

C’est le rôle des vieux. Heureusement il paraît que la voie sur berge va se civiliser,fini le barouf et l’exclusionaprès tout tant qu’il y aura de l’eau, je sens comme une renaissance.J’aurai somme toute une belle vieillesse,et je me sens encore une belle éternité devant moi !

Philippe MORNET Mai 2006

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252 Conclusion - Post-scriptum. Les mots de la fin d’un intrépide

La vie publiqueou le civisme de placard

Post-scriptumLes mots de la fin d’un intrépide

Les électrocardiogrammes rythmant les activités du Conseil municipal, ici comme ailleurs et hier comme aujourd’hui, permettent de constater que le tissu nodal qui muscle ses rythmes a des contractions, sont modifiés par voie nerveuse ou par pousse d’adrénaline.Le reste du corps bien sûr, s’en ressent, mais l’observation conduit à penser, que les dégâts, même s’ils sont réels, ne sont pas trop visibles… sauf pour les observateurs avertis.

La pluralité des costumes, aux vestiaires des sociétés publiques ou parapubliques, permet, suivant les rigueur du temps, de déshabiller Pierre pour habiller Paul et que Pierre trouve assez facilement un nouveau costume.Mais l’habit, là non plus, ne fait pas le moine…Encore qu’il conduit parfois et même souvent à adapter sa religion au costume que l’on porte.

Les périodes électorales ont, sur la vie des dossiers ou des marchés, des vertus soporifiques, qui commencent un ou deux ans avant et qui bénéficient d’un sommeil ou demi-sommeil deux ans après.

Si la période préélectorale est active sur la naissance des projets et la pluralité de ceux-ci à défaut de leur précision ; La période post-électorale donne naissance à des nécessaires et profondes remises en cause…Et que seule l’annonce de prochaines consultations oblige à décréter l’état d’urgence et à réveiller ceux qui durant ces périodes et selon leur tempérament piétinent, débattent ou disparaissent en attendant l’aube.

La fausse urgence ;L’activité sans répit à défaut de connaissance des faiseurs de rêves, de dogmes ou de modes ;L’activisme des consultants ou contrôleurs profitant du calme des tranchées, pour franchir les lignes de crête avec autorité et prudence ; La myopie chronique et la presbytie brumeuse, et le “courage : fuyons !” ;L’absence de formation adéquate malgré l’universalité de principe de la formation d’un certain nombre de ces censeurs, sans rôle défini ;

La prétention de compétence ou l’absence de curiosité et d’ouverture ;L’entrecroisement de la démocratie, les accords de circonstance, les réserves de sécurité ou principes de précaution, joints aux croche-pieds accidentels ou délibérés ;Constituent une gabegie énorme qui absorbe et consomme une part des ressources considérables,Engendrant la médiocrité ou l’échec de l’objectif initial, en entraînant pour les vrais auteurs, l’indignation, la colère, la honte et la ruine.

Piètres monuments du cimetière du civisme.

Philippe MORNETFévrier 1999

Page 253: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

253Conclusion - Post-scriptum. Les mots de la fin d’un intrépide

Le bâtiment est orgueil et l’orgueil est un vilain défaut

Le bâtiment est orgueil parce qu’il est dans un espace partagé. Il l’est soit par son importance, soit par sa mise en scène, soit par son aspect.

Du plus petit au plus grand – pavillon dérisoire sur sa butte-piédestalau milieu de ses nains de jardin –Au plus grand, affirmant le pouvoir, la puissance, la richesse, le symbole.

Sa réussite et son impact appartiennent à ceux qui l’ont promu, à ceux qui l’occupent, et parfois à ceux qui le regardent.Ses échecs, avatars ou faiblesses appartiennent à ceux qui l’ont conçu.

Le difficile n’est pas l’orgueil dans la nature,Mais l’orgueil à côté d’un autre orgueil.L’urbanisme devrait anticiper les concurrences et les conflits,et mettre en place des conditions d’affrontement compatibles, donc acceptables.

Philippe MORNET1999

Page 254: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

254 Conclusions - réflexions au soir d’une vie trépidante (1961-2006)

réflexions au soir d’une vie trépidante (1961-2006)

Il y eut le oui, mais maintenant, c’est le ni-ni, Les 2/3 modestes ou pauvres regardent, envieux, le 1/3 plus riche.

Le 1/3 plus riche s’isole plutôt que de s’enfermer comme autrefois et ne fréquente que ses zones de convivialité : il a les siens avec les siens.

Les 2/3 plus pauvres ont peur d’une partie des leurs : les agités et les vrais pauvres. Ils traversent en courant les zones de convivialité où ne se trouvent que les agités et les vrais pauvres.

Chaque artère fabrique son sang qui ne se mélange pas aux autres, comme pour les groupes sanguins : problème de compatibilité.

La ville prend acte, elle ne gomme plus les différences, on n’est plus dans le mélange des variétés, de concurrence, de curiosité, donc de solidarité. Chacun invente son ghetto, et face à l’absence d’autres repères se fabrique des identités provisoires autour de lieux d’activités ou de repos.

On a supprimé les uniformes, mais on les réinvente, non pour l’extérieur et l’apparence d’appartenance, mais pour habiller sa sécurité et son stress intérieur.Le tee-shirt supplante l’uniforme.

Les lieux publics ou communs sont des vides car il n’y a rien à échanger avec les autres : Ni mots, ni idée, ni projets, ni trucs de la vie, ni histoire. Pour cela, il y a la télé, le téléphone et internet chez soi.

Il n’y a ni dehors, ni autrui. La communauté est inexistante Il n’y a plus de religion Il n’y a plus de politique Il n’y a plus de famine Il n’y a plus de responsabilitésIl n’y a plus que l’insouciance ou l’insécurité sans contre-poids, sans filets.

L’économie mondiale est entre pays développés et aussi ceux qui ont envie de l’être affichent les mêmes tares.

C’est la ville en beaucoup plus grand, avec les mêmes exclusions, les mêmes fragilités, les mêmes cynismes, les mêmes scléroses de pensée.

C’est dire la société contemporaine en fusion ou en décomposition dans laquelle plus par plus fait toujours plus ; moins par moins ne fait pas plus.

Philippe MORNET28 janvier 2006

Civis pacem (ou Nini peau de chien)

Page 255: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

255Conclusions - réflexions au soir d’une vie trépidante (1961-2006)

Page 256: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992
Page 257: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

PArCours et réALIsAtIoNs

257

Page 258: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

258 André Mornet, parcours

1898Naissance à Saint-Cyr-l’École

Études au collège de Blois

1914Baccalauréat latin-sciences

1915Baccalauréat mathématiques élémentaires

1915Lycée Henri iv à Parisclasses spéciales d’octobre à décembre

1916Engagé volontaire pour la durée de la guerre janvier 1918

Cité à l’Ordre de la 127e D.I.

1919Démobilisé comme aspirant en septembre

1939Mobilisé comme lieutenant,puis démobilisé en décembre 1939

Marié – 10 enfants

1920Admis par concours à l’École des Beaux-Arts de Paris

1924Architecte diplômé par le gouvernement

1926Installation à Angers

1929-1939Professeur d’histoire de l’art à l’École des Beaux-Arts d’Angers

1935-1974Administrateur de la compagnie d’assurance la Mutuelle des Architectes

1941Désigné président du conseil régional de l’Ordre des Architectes de la Circonscription d’Angers1941-1972

Architecte conseiller technique du Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse et des Sports

1945Confirmé puis élu président du conseil régional de l’Ordre des Architectes de la Circonscription d’Angers

1946-1951Architecte en chef de la reconstruction de Saumur. Membre de la commission départementale des opérations Immobilières du Maine-et-Loire et de la Sarthe

1947Chevalier de la Légion d’honneur

1951Elu membre du conseil supérieur de l’Ordre des Architectes 1949-1956Président du syndicat national des Architectes de province, puis président d’honneur

1953-1975Membre de l’Académie d’architecture Membre d’honneur du Collège des Architectes de Catalogne et des Baléares

1957

ANdré MorNetParcours

Page 259: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

259André Mornet, parcours

Réélu membre du conseil supérieur de l’Ordre des Architectes 1957Officier Médaille de bronze de la Jeunesse et des Sports

1963Réélu membre du conseil supérieur de l’Ordre des Architectes

1969Réélu membre du conseil supérieur de l’Ordre des Architectes 1970-1971Président de la compagnie d’assurance la Mutuelle des Architectes

Page 260: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

260 Philippe Mornet, parcours

1926Naissance à Angers(3e de 10 enfants).

Fils d’André MORNET, architecte dplg à Angers et, de Marie DOLIVEUXMarié à Denise MORNET, artiste lissier, fille de Joseph BUKIET, architecte dplg à Paris, et, de Madeleine SEGELLE.

4 enfants ; 13 petits-enfants ; 5 arrière petits-enfants.

forMAtIoN

1931-1941Collège Saint-Maurille à Angers

1942-1943Collège des Jésuites à Poitiers

1943-1944Externe au lycée David d’Angers

1943-1944Baccalauréat série Aet mathématiques élémentaires

1944-1945École des Beaux-Arts d’Angers

1946Admission à l’ENSBA, Paris

1946-1947Ateliers LECONTE, chef des Nouveaux

1949Ateliers LECONTE, sous-massier

1951Atelier BEAUDOUIN, massier

1952Atelier BEAUDOUIN, massier du patron

1952Neuf valeur sur médailles1e prix GODEBOEUF, lauréat de l’Institut1e prix BOURGEOIS

1954Bourse de voyage du Ministère des Affaires étrangères, 2 mois en Égypte

1953 Diplômable

1956Diplôme dplg, dispensé de l’appel sous les drapeaux, décret 51984 du 30 juillet 1951 (art.3), aîné militaire de plus de 7 enfantsStages à Paris - Agence André LECONTE, projet aéroport de Beyrouth - Agence Eugène BEAUDOIN, projets du site universitaire d’Antony et siège de l’UNESCO - Agence Saarinen, siège de l’UNESCO

1957Inscrit à l’Ordre des Architectes d’Angers, n°11097

depuis 1953Travaille à Angers comme architecte-urbaniste

1953-1964Collaborateur du cabinet André MORNET & Jean SAMAIN, responsable des études

1964-1970Associé à André MORNET

1970-1994Dirige seul le cabinet MORNET

PhILIPPe MorNetParcours

Page 261: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

261Philippe Mornet, parcours

1978Chevalier dans l’Ordre du Mérite

1994Retraite professionnelle Sports : football, aviron, boxe, natation, voile

resPoNsABILItés et ACtIVItés ProfessIoNNeLLes

A - PROFESSIONNELLES

[ Régionales ]

1956-1965Professeur de construction rurale à l’École supérieure d’Agriculture d’Angers (ingénieurs ESA)

1962-1965Président du Syndicat des Architectes Anjou-Mayenne-Sarthe 1963-1967Secrétaire général de l’Ordre des Architectes. Circonscription d’Angers (Maine-et-Loire-Mayenne-Sarthe)

1967-1976Président du Conseil régionalde l’Ordre des Architectes

1965-1968

Président fondateur de l’Université permanente d’architecture et d’urbanisme des Pays de la Loire1966-1974Administrateur fondateur du bureau d’études CERA à Nantes

1972-1975Administrateur du bureau d’études CERT à Angers 1972-1977Président du conseil de surveillance de la SARL d’architectes - ATUADE (Cholet, Saumur, Thouars)

1970-1973Membre de la commission régionale des opérations

1979-1982Immobilières Nantes

[ Nationales ]

1970-1972Membre du Conseil de l’Union Nationale des Syndicats d’Architectes

1972-1977Membre de la “commission évolutionet prospective” de la profession

1974Co-auteur du livre blanc “Pour une réforme de l’enseignement de l’architecture”

1976-1978

Vice-président du conseil supérieur de l’Ordre des Architectes chargé : - des questions de formation continue et d’enseignement, 1976-1977 - de la mise au point des textes d’application de la loi sur l’architecture, 1977 - du comité de liaison Ordre/UNSFA, 1976-1977 - du comité de rédaction de •Architectureinformation,1976-1977 •deArchitectes,1978-1982 - du groupe de travail “après Loi”, 19771977-1978Vice-président du groupe pour l’éducation permanente des Architectes (Gepa)

1977-1994Membre de l’Académie d’architecture

1980-1982Membre du Conseil de l’Ordre des ArchitectesChargé de l’Enseignement

1978-1991Enseignant en architecture à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, UP 9, Paris-La Seine 1988-1991Professeur d’économie du bâtiment, UP 9

1981-1982Vice-président du Conseil National de l’Ordre des Architectes

1981-1982Comité de rédaction de la revue Architecture

B - EXTRA-PROFESSIONNELLES

Page 262: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

262 Philippe Mornet, parcours

[ Départementales ]

1960-1968Membre du bureau du Syndicat d’initiative d’Angers

1963-1965Délégué régional des Jeunes chambres économiques des Pays de la Loire

1964-1965Président de la Jeune chambre économique d’Angers

1964-1965Président de la Commission propagande du Comité départemental du Tourisme

1963-1965Administrateur fondateur du comité d’action pour le développement Universitaire d’Angers (CADUA)

1974-1984Administrateur du Comité d’expansion économique du Maine-et-Loire

1972-1984Président de la Commission Aménagement du département

1972-1997Membre du Lions Club Angers cité

1987Président du Lions Club Angers cité

[ Régionales ]

1965-1974Administrateur du comité régional d’expansion économique des Pays de la Loire. Membre du bureau 1969-1973Membre du bureau du comité régional d’expansion économique des Pays de la Loire

1964-1973Membre de la commission de Développement économique régional des Pays de la Loire (CODER)

1968-1973Secrétaire rapporteur de la commission de Développement économique régional des Pays de la Loire (CODER) 1969-1973Membre du Comité régional pour la formation professionnelle, la promotion sociale de l’emploi

1973-1982Membre du Comité économique et social de la Région des Pays de la Loire

1977-1982Vice-président du groupe régional inter assemblée structures urbaines/aménagement de l’espace rural

[ Nationales ]

1963-1964Membre du Comité directeur de la jeune Chambre économique Française

1969-1971Membre du comité de coordination des UPAU(universités permanentes d’architecture et d’urbanisme)

1965-1966Délégué général de la Jeune chambre économique française

1966-1967Président national de la Jeune chambre économique française

1966-1967Directeur de la revue Civisme

1969-1975Membre de la commission nationale d’aménagement du territoire

1971-1975Membre du groupe de travail Environnement, Commissariat au plan, de la commission nationale d’aménagement du territoire

VoyAges d’études

Page 263: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

263Philippe Mornet, parcours

1952Grèce

1953Égypte

1954Espagne, Suède

1956Italie

1957Allemagne, Autriche, Hollande, Yougoslavie

1958Pologne, Tchécoslovaquie, URSS

1959Belgique, Danemark, Norvège

1960Allemagne, Yougoslavie

1962Etats-Unis, Brésil

1963Grèce

1964Allemagne, Suisse

1965Bulgarie, Grèce, Turquie1966

Cambodge, Hollande, Japon, Taïwan, Thaïlande

1967Allemagne, Belgique, Canada, Espagne,Etats-Unis, Irlande, Grande-Bretagne

1969Portugal

1970Etats-Unis, Grande-Bretagne

1971Grande-Bretagne, Italie, Maroc, Suisse

1972Allemagne, Danemark, Etats-Unis, Finlande, Hollande

1973Suède

1974Afghanistan

1975Yemen Nord

1976Syrie, Yemen Nord, Yemen Sud

1977Belgique, Etats-Unis

1978Suisse

1979Etats-Unis

1980 Etats-Unis, Italie

1981 Autriche

1982 Etats-Unis

1983 Autriche

1984Allemagne

1986Allemagne

1987Allemagne, Grande-Bretagne

1988Allemagne, Belgique, Hollande

1989Allemagne

1993Canada, Etats-Unis

1996Italie

Page 264: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

264 opérations réalisées par l’agence Mornet

opérations réalisées par l’agence Mornet

(Les opérations numérotées sont reportéessur le plan en fin d’ouvrage)

ANdré MorNet 1926-1939

1925• Concours exposition des Arts déco, Paris

1926-1928•Étudeetréalisationdel’égliseduDjebel

Kouif (Algérie)

1926• Propriété Legras, Cantenay-Épinard, • Maison, rue La Fontaine, Angers• Magasins Aristote (Messageries Hachette), rue Château-gontier, Angers

1927• Maison, rue Létanduère, Angers, • Maison rue du Lutin, Angers

• Villas pour ingénieurs, Djebel Kouif, Algérie

1929• Banque populaire, rue Montault, Angers • Maison rue de Brissac, Angers (1)

1930• Bureaux des établissements Brisset, Angers • Magasin Eddy, Maison bleue, Angers•SalonsduWelcome,Angers(2)

1932• Pharmacie Loison, Angers • Établissements Veilleux, Angers

1933• Propriété Larochefoucault, Juigné-sur-Loire, • Groupe scolaire, Blois

1934• Magasin Monoprix, Angers• Propriété Bodin, Chalonnes-sur-Loire• Salle de la Mutualité (démolie), Angers

1936• Immeuble, rue Rabelais, Angers• Salle, rue du Voilier, Angers• Coopérative de Thouarcé, Brissac• Magasin Monoprix, Tours• Magasin Évers, Angers

1937• Concours Université catholique, second prix,

Angers• Établissements Tonnelle, Cholet, 1937-1940• Immeuble rue Baudrière, Angers (3)•Immeuble Remère, rue de Brissac, Angers (4)

1938• Église Sainte-Bernadette, Angers (5)•ÉcolematernelleVictorHugo,Angers(6)

1939• Clinique Saint-Claude, Angers• Crèche/église Saint-Joseph, Angers (7)• Magasin Monoprix, Saint-Nazaire1939-1945

Page 265: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

265opérations réalisées par l’agence Mornet

• Travaux d’entretiens des immeubles réquisitionnés pour la Ville d’Angers

• Travaux d’aménagements sportifs ruraux• Travaux d’aménagements viticoles• Travaux d’entretiens pour des communes

rurales

1943• Concours pour l’aménagement de la montée

Saint-Maurice, Angers,

1945• Études pour le cimetière de l’Ouest

1946-1949• Association avec Jean Samain, architecte

belge, installé à Angers• Dossiers dommages de guerre pour des

clients publics et privés• Reconstruction de Saumur

ANdré et JeAN sAMAIN

1945• Reconstruction de l’église Saint-Laud, 1945-1955

1948• Reconstruction du couvent de l’Esvière,

Angers, 1948-1951/1958-1962 (8)

1949• Immeubles square de Contades (rue

d’Alsace), Angers, 1949-1956 (9)1950

• Reconstruction d’immeubles, rue Audusson et rue Bougère, Angers, 1950-1951

1952• Immeuble (dr. Sourice, hôtel de Pimodan),

rue du Haras, Angers, 1952-1956•GroupescolairedelaBlancheraie,Angers,

1952-1954 (10)

ANdré, PhILIPPe MorNetet JeAN sAMAIN

1952• Rénovation du quartier Saint-Michel, plan

masse, Angers, 1952-1959 (11)

1956• Faculté de médecine, agrandissement, bd Daviers, Angers• Étude marché couvert place de la République, Angers• Groupe scolaire les Cordeliers, rue Chevreul,

Angers,

1958

• Commandes groupées : groupes scolaires Laréveillère, Bardoul, Belle-Beille, La Ballue, Saint-Léonard, Angers, 1958-1959 (12)

• Garage Renault, bd Tournemine, Angers, 1958-1959/1962

1959• Gymnase du lycée Chevrollier, Angers

1960• Concours ESCAE, Nantes, 1960• Hôpital, Beaufort-en-Vallée, 1960• Usine Outelec,1960• Tribunes du stade Bessonneau, Angers,

1960-1961 (13)• Chapelle Saint-Martin-des-Champs, ZAC

Sud, Angers, 1960• Piscine de la Baumette-Ecce homo, Angers,

1960-1961 (14)

1961• Quartier Saint-Michel, plan masse, Angers,

1961 (Philippe MORNET) (11)• Commandes groupées maternelles, 1961-1963• Commandes groupées : écoles filles et

garçons, 1961-1962

1962• Cité universitaire Léon Pavot, 2e tranche,

Angers, 1962 (Philippe MORNET) (15)• Quartier Saint-Michel, bâtiment B1, Angers (11)

1963

Page 266: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

266 opérations réalisées par l’agence Mornet

• Lycée Joachim Du Bellay, bloc scientifique, Angers

• Lycée privé Bourg-Chevreau, Segré, 1963-1964

ANdré et PhILIPPe MorNet

1952• Rénovation urbaine du quartier Saint-Michel,

Angers, 1952-1970 (11)• Caserne des pompiers, Angers (16)

1955• Groupe scolaire Bardoul, Angers, 1955-1957 (12)• Groupe scolaire Belle-Beille, Angers, 1955-1957 (12)

1956• Stade de la Baumette, Angers (17)• Abbaye de Solesme, Sarthe, 1957-1960• Groupe scolaire Belle-Beille Ouest, Angers,

1956-1959 (12)

1957• Groupe scolaire La Ballue, Angers (12)• Lycée Chevrollier, Angers, 1957-1958 (18)• Marché d’Intérêt National, première tranche (19)

1958• Piscine de la Baumette, Angers (14)• École des Beaux-Arts, première tranche (20)

• Cité universitaire Léon Pavot, première tranche, Angers, 1958-1959 (15)

1959• Rénovation du quartier Saint-Nicolas, Angers,

1959-1975 (21)

1962•Abattoirs,premièresétudes,1962-1963 (22)

1963• Complexe Belle-Beille/Beaucouzé, étude

d’urbanisme, 1963-1966

1964• Coopérative de champignons, Beaufort-en-

Vallée• École de musique Clément Janequin

(la Godeline), Angers• Nouvelle faculté de médecine, études, Angers (23)• Restaurant universitaire, école des Beaux-

Arts, Angers, 1964 (Maillot, associé) (24)• Quartier Saint-Michel, bâtiments B2, C2, D2,

Angers (11)• Club de golf, Saint-Jean-des-Mauvrets, 1964• Marché d’intérêt national, 2e tranche, Angers (19) • Gymnase du lycée David d’Angers, Angers

•EnsembleimmobilierCothereaupourlaSOCLOVA, études (Andrault, associé) (25)

1965• Stade rue de Frémur, Angers• ESSCA, études, Angers, 1965-1966• Cité universitaire Bourgonnier, Angers (26) • Groupe scolaire ZUP Nord (Monplaisir),

Angers (12) • Institut médico-professionnel, hôpital de

Beaufort-en-Vallée• Entrepôt SCAM, Écouflant• Entrepôt frigorifique SOMINVAL, Vivy• Extension grossistes SOMINVAL, Vivy

1966• Quartier Saint-Nicolas, bâtiment B, première

tranche, Angers (21) • Résidence universitaire Belle-Beille, Angers• CES, Cholet• CES, Saint-Brévin• CES, Trélazé• Quartier Saint-Nicolas, bâtiment A, Angers (21)• Piscine Jean Bouin, Angers,1966-1968• Internat Saint-Léonard du lycée David

d’Angers, Angers• Chambre d’agriculture, Angers, 1966- 1968 (27)• Maternelle Nord, ZUP Nord, Angers

Page 267: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

267opérations réalisées par l’agence Mornet

•Laboratoiredephysiologievégétale,Belle-Beille, Angers (28)

1967• Abattoirs, 2e phase, 1967-1970 (22)• CES industrialisés à Belle-Beille/Angers

et Beaufort-en-Vallée• Hospices , Beaufort-en-Vallée, 1967-1969• Bureaux Miroiterie de l’Ouest, Saint-

Barthélémy-d’Anjou, 1967-1969• Abattoirs, Segré, 1967-1968• Étude d’implantation de l’École des Travaux

Publics, Belle-Beille, Angers• Quartier Saint-Nicolas, Angers : bâtiment G, 1967-1969 (21)• Quartier Saint-Michel, étude extension du

périmètre place Leclerc et rue Lardin de Musset, 1967-1986 (11)

• Opération Deromedi, Angers, 1967 etc. (29)• Bureaux Pelquet-Cesbron, Briollay• Foyer personnes âgées, Belle-Beille, Angers• Quartier Saint-Michel, A8, Angers (11)• Étude, rénovation du théâtre municipal, Angers• Restaurant universitaire de Belle-Beille,

Angers, 1e tranche, 1967-1970 (30)•Immeuble,SCILeLorraine,Angers,1967-1968

(31)

1968• Nouveaux abattoirs, Angers, 1968-1970 (22)• Nouvelle faculté de médecine, Angers, 1968-

1970 (23)• Aménagement du plan d’eau, ZAC du Lac de

Maine, Angers (32)• Foyer Merici, rue Mirabeau, Angers (33)• Groupe scolaire n°1, ZUP Sud (la roseraie)• Quartier Saint-Nicolas, Angers : bâtiment B,

maternelle Descartes, bâtiments F4 et G4 (21)• Village expo, Nantes, 1968

(Andrault, associé)• Maison de jeunes de l’Arceau, Angers

1969• Concours Chalandon, Éventard et Pruniers,

1969-1971• Quartier Saint-Michel, tour I4, Angers (11)• ZAD Ouest (zone d’aménagement différé)

(future zone du Lac de Maine), Angers (32)• ESSCA à Belle-Beille, Angers, 1969-1970• École nationale de perfectionnement, Avrillé• Caisse des écoles, Belle-Beille, Angers, 1969-1971• Quartier Saint-Nicolas, Angers : bâtiment C, aménagement extérieur• Concours centre routier, Nantes, second prix,

1969-1970• CES industrialisé, Chalonnes• Groupe scolaire, ZUP Nord, Angers• Gymnase, Cholet• Groupe scolaire Bessonneau, rue Montaigne,

Angers (12)• Ensemble hôtelier et immobilier, bd Foch,

Angers, 1969-1971 (34)

•Groupescolairen°3JulesVerne,ZUPSud,Angers, 1969-1970 (12)

1970• Étude ensemble La Ballue/Belle-Beille, Angers• Maison du tourisme, place Kennedy, étude, Angers• Restaurant universitaire de Belle-Beille,

Angers, 2e tranche, 1970-1971 (30)• Quartier Saint-Nicolas, bâtiment H, Angers (21)• Parc des sports de la Baumette, Angers (17)• Maternelle Monplaisir, Angers• CES Montaigne, Angers (35)• Groupe scolaire ISORET et maternelle, Angers• CES 1200, Jean Mermoz, la Roseraie, Angers (36)

1971• Auberge de jeunesse, ZAC du Lac, Angers (37)• Centre socio-culturel de la Roseraie, Angers (38)• Concours Trésorerie générale de Poitiers,

second prix• Restaurant des chantiers de l’Atlantique, Saint-Nazaire (CERA)• Résidence Lamartine, rue Laréveillère, Angers• Stade de l’Arceau, Angers• Bureaux, Tertre au Jau, Angers

Page 268: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

268 opérations réalisées par l’agence Mornet

• Gymnase, Beaufort-en-Vallée• Groupe scolaire n°4, ZUP Sud, Angers• Quartier Saint-Michel, résidence Lardin de

Musset, Angers (11)

1972• Quartier Saint-Nicolas, bâtiments E et F (21)• Bureaux UAP, zone Orgemont, Angers, 1972-

1974 (Kandjian, architecte concepteur) (39)• ZAC Sud Orgemont, Angers• COSEC de la Roseraie, Angers• Collège universitaire de droit, Belle-Beille,

Angers, étude (démoli)• Ensemble immobilier, la Station bleue, non

réalisé, bd Foch, Angers• Piscine ZUP Nord, Angers (40)• Projet nouvelle église Saint-Joseph, rue Desjardins, Angers•ConcourshôteldevilledelaBaule,1e prix

1973• Hôtel de ville de la Baule, 1973-1974 (Ménard,

associé)• Ensemble immobilier la Pléiade, Angers• Centre de formation du bâtiment AFORBAT,

Belle-Beille, Angers• Étude de rénovation de l’hôtel de ville, Angers (41)• Société générale, Ancenis et Cholet

1974• Stade universitaire du Lac de Maine, Angers• Étude préalable, îlot Delaâge, Angers (42)• Équipement culturel du Haras, projet

abandonné, Angers• Étude d’un site urbain pour le Ministère de la

Culture, Angers• Vestiaires du stade de la Baumette, Angers• EDF, centre Félix Faure, Angers (17)

PhILIPPe MorNet

1975• Bureaux pour SCI du Jars (avocats), Angers• Résidence le parc, opération Deromedi, terrain

Bessonneau, 1975• Quartier Saint-Michel, Alfred de Vigny, 1975-1976 (11)• ZAC du Lac de Maine, centre d’hébergement,

Angers,1975-1976 (32)• Immeuble la Pléïade, bâtiment B, Angers,

1975-1976• ZAC du Lac de Maine, village type,

Angers,1975-1976• Complexe intégré la Roseraie, 1975• Quartier Saint-Nicolas, bâtiment D, 1975-1976 (21)• Bibliothèque, la Roseraie, Angers, 1975-1976• Siège du Courrier de l’Ouest, Angers, 1976 (43) • Résidence la Pléïade, bâtiment C, Angers,

1976-1977• Salle des fêtes, Loiré, 1975

•CentredeformationdubâtimentAFORBAT,Belle-Beille, Angers, 1975-1976 (44)

1976• Lotissements, Saint-Barthélémy-d’Anjou• Garages pompiers, Montreuil-Bellay• Aménagement centre bourg, Saint-

Barthélémy-d’Anjou• ZAC du Lac de Maine, plan de masse du PAZ

(Plan d’Aménagement de Zone), 1976-1978• Vestiaires du stade de la Baumette,

Angers,1976 (17)• Bureaux Point fort, ZAC Sud, Angers, 1974-1976• Logements FP, Angers, 1976•RésidencelepuitAnceau,bddeLattrede

Tassigny, Angers

1977• CES Debussy, Angers Ouest/Éventard, 1976-1977• Îlot Boisnet, OPHLM, Angers, 1977-1979 (45)• Bureaux Soretex, Angers

Page 269: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

269opérations réalisées par l’agence Mornet

• Bibliothèque municipale Toussaint, Angers, 1977-1978 (46)

• Club nautique du Lac de Maine, Angers, 1977 (47)• Résidence le Parc C1/C4, Deromedi, Angers,

1977-1978

1978• EDF, locaux sociaux, quai Félix Faure, Angers (48)• Salle de sports Bessonneau Montaigne,

Angers• Quartier Saint-Nicolas, groupe scolaire, 1976-1978 (21)• Maisons gradins-jardins, Saint-Barthélémy-

d’Anjou et Trélazé (Andrault, associé)• Bureaux Cetelic, Angers, 1978-1980• Maisons gradins-jardins, OPHLM, Montreuil-

Bellay (Andrault, associé)• Lotissements des Charmilles, Saint-

Barthélémy-d’Anjou• Centre social, Saint-Barthélémy-d’Anjou• Quartier Saint-Nicolas, groupe scolaire,

2e tranche, Angers (21)

1979• Centre culturel communal, la Roseraie,

Angers, 1979-1980 (38)• Foyer des jeunes travailleurs, la Roseraie,

Angers, 1979-1980 (38)• Place de la Roseraie, Angers, 1980• Centre commercial de la Roseraie, Angers,

1980 (38)• Bureaux Ircantec, ZAC Sud, Angers, 1979 (49)• CES, Cholet, 1979-1980• Groupe scolaire, Beaucouzé, 1976-1979• Résidence universitaire Bourgonnier,

2e tranche, Angers, 1979

1980• ENACT, Bois de la Barre, Belle-Beille, Angers,

1980-1981 (50)• Commerces centre-bourg, Saint-Barthélémy-

d’Anjou• Agence Société générale, Chemillé• Quartier Saint-Michel, îlot Savary, 1980-1983• Bureaux Gaz de France, Écouflant•AtelierduCourrierdel’Ouest,Angers(43)

1981• Ateliers AFPA, Angers, 1981• Maisons bioclimatiques, Lac de Maine,

Angers, 1981-1982

1982• Quartier Saint-Michel, îlot Giraud, 1982-1983 (11)• Concours hôtel de région, Nantes, 2e prix

1983• Résidence La Pléïade, bâtiment D, Angers,

1983-1984 (51)• Opération Deromedi, centre commercial,

Bâtiments I et G, espaces verts, 1982-1983• Cantine, Mozé-sur-Louet• Champ de course, Durtal• Bâtiment ATIC (informatique) EDF-GDF,

Angers, 1983-1984 (48)• Centre social, Saint-Barthélémy-d’Anjou

PhILIPPe MorNet, ANNeet PIerre de CoQuereAuMoNt

1984• Ensemble immobilier, Ancenis• Logements OPHLM, la République, Angers,

1984-1985 (52)• Logements CIPA, la République, Angers,

1984-1985 (53)• Hameau de la Fontaine, ZAC du Lac, Angers,

1984-1985• Crèche, quartier la République, Angers, 1984-1985 (53)

1985• Hôtel Ibis, place de la République, Angers (53)• Foyer personnes âgées, couvent de l’Esvière,

Angers (8)• EDF, Segré• SCI du Jars, extension cabinet d’avocats,

Angers• Centre de formation du bâtiment, AFORBAT,

2e tranche, Belle-Beille, Angers• Restaurant scolaire, Mozé-sur-Louet• Immeuble OPHLM, rue du Canal (Boisnet),

Angers, 1985-1986• Foyer personnes âgées, Mozé-sur-Louet,

1985-1987• Logements Val de Loire, cente-bourg, Saint-

Barthélémy-d’Anjou, 1985-1987• Extension du siège CETELIC, Angers• Lotissements Cottage angevin, Mozé-sur-

Louet

1986• Quartier Grésillé, ZAC du Lac, Angers• Résidence la Pléïade, bâtiment D, Angers (51)

Page 270: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

270 opérations réalisées par l’agence Mornet

• Lotissement les Perches, Bouchemaine• Lotissement le Petit Port, Bouchemaine, etc• Les Hespérides (Cogédim), bd Foch, Angers,

1986-1989 (54)•Vestiairesettribunes,Bouchemaine, 1986-1987

1987• Groupe scolaire, Pellouailles-les-Vignes• Logements OPHLM, rue Laréveillère, Angers,

1e tranche, 1987-1988 (55)

1988• Concours Institut régional d’administration,

Nantes, 1e prix, 1988-1989• Tennis couvert, Bouchemaine• Plan masse quai de la Noë, Bouchemaine• Ensemble immobilier SINVIM (Deromedi),

Bellefontaine, Angers, 1988-1990

1989• Plan masse général du quartier de la

République, Angers• EDF, rue de Parpoil, Cholet, 1989• Logements OPHLM, Laréveillère, 2e tranche,

Angers, 1989-1990 (55)

1990• Rénovation du lycée David d’Angers, Angers,

1990-1997 (56)

1991• Centre de formation du bâtiment, AFORBAT,

3e tranche, Belle-Beille, Angers

1992• Plan masse du lotissement du Toit angevin, La

Pointe, Bouchemaine•Maisoncommunedeloisirs,Mozé-sur-Louet

Page 271: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

271opérations réalisées par l’agence Mornet

Page 272: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

Les éditions du CAUE de Maine-et-Loire

Page 273: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

Principales réalisations d’André Mornetet Philippe Mornet à Angers(liste non exhaustive)

M - Agence Mornet, rue La Fontaine01 - Maison rue de Brissac02 - Salons du Welcome03 - Immeuble rue Baudrière04 - Immeuble Remère, rue de Brissac05 - Église Sainte-Bernadette06 - École maternelle Victor Hugo07 - Crèche/église Saint-Joseph08 - Reconstruction du couvent de

l’Esvière09 - Immeubles square de Contades10 - Groupe scolaire de la Blancheraie11 - Rénovation du quartier Saint-Michel12 - Commandes groupées : groupe

scolaire Bardoul (1955-1957) (M. Talet), groupe scolaire Belle-Beille (1955-1957) (R. Desnos), groupe scolaire Belle-Beille Ouest (1956-1959) (P. et M. Curie), groupe scolaire La Ballue (A. Ferraro), groupe scolaire Bessonneau (Lareveillère), groupe scolaire Jules Verne (1969-1970), groupe scolaire ZUP Nord (P. Valéry)

13 - Tribunes du stade Bessonneau14 - Piscine de la Baumette15 - Cité universitaire Léon Pavot16 - Caserne des pompiers17 - Stade de la Baumette18 - Lycée Chevrollier19 - Marché d’Intérêt national20 - École des Beaux-Arts21 - Rénovation du quartier Saint-

Nicolas22 - Abattoirs23 - Nouvelle faculté de médecine24 - Restaurant universitaire, école des Beaux-Arts25 - Ensemble immobilier Cothereau

pour la SOCLOVA

26 - Cité universitaire Bourgonnier27 - Chambre d’agriculture28 - Laboratoire de physiologie végétale29 - Opération Deromedi30 - Restaurant universitaire de Belle-

Beille31 - Immeuble, SCI Le Lorraine32 - Aménagement du plan d’eau du Lac de Maine33 - Foyer Merici34 - Ensemble hôtelier et immobilier35 - CES Montaigne36 - CES 1200, Jean Mermoz37 - Auberge de jeunesse du Lac de

Maine38 - Centre socio-culturel de la Roseraie39 - Bureaux UAP, zone Orgemont40 - Piscine ZUP Nord41 - Étude de rénovation de l’hôtel de

ville42 - Îlot Delaage43 - Siège du Courrier de l’Ouest44 - Centre de formation du bâtiment

AFORBAT45 - Îlot Boisnet, OPHLM46 - Bibliothèque municipale Toussaint47 - Club nautique du Lac de Maine48 - Siège EDF49 - Bureaux Ircantec, ZAC Sud50 - ENACT, Belle-Beille51 - Résidence La Pléïade52 - Quartier de la République (logements et crèche)53 - Hôtel Ibis54 - Les Hespérides55 - Logements OPHLM56 - Rénovation du lycée David d’Angers

Fond de plan : cadastre 2003, Angers-Loire MétropoleInfographie : CAUE de Maine-et-Loire

30

50

12

12

37

32

14

17

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8 46

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20

4

M

33

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36

12 38

53

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3

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9 41

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756

12

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6

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12 12

1248 27

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47

49 3943

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01

12

12

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25

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40

44

12

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TextesRencontres entre Philippe Mornet et Bruno Letellier,

(février 1999 à mars 2002)

TranscriptionMaud Thévenin

RelectureClarisse Bodinier, Catherine Dadouche,

Bruno Letellier, Philippe Mornet,Sandrine Prouteau, et Maud Thévenin

IllustrationsArchives privées Philippe Mornet,

sauf mention contraire

Photographie des plansBruno Rousseau (Conseil général de Maine-et-Loire)

Conception et réalisation graphiqueMickaël Bouglé

Les opinions exprimées dans cet ouvragen’engagent que la responsabilité de leurs auteurs.

Achevé d’imprimer sur les pressesde l’imprimerie SETIG Palussière à Angers,

en octobre 2006

Page 275: Chronique d'une métamorphose - Angers 1924-1992

9 782914 177030

ISBN 2-914177-03-8 20 €

Les éditions du CAUE de Maine-et-Loire

L’empreinte de l’œuvre d’André et Philippe Mornet sur le paysage de la ville d’Angers est considérable. Les marques de plus d’un demi-siècle de

production architecturale et urbaine forment les repères d’une ville dont la métamorphose s’est épanouie magnifiquement dans les années d’après-guerre. Que ce soit dans les grands bouleversements induits par les programmes de rénovation urbaine des quartiers Saint-Michel et Saint-Nicolas ou par l’irrigation patrimoniale du centre ancien que manifestent les projets d’équipements publics tels l’école des Beaux-Arts, la bibliothèque municipale ou l’Hôtel de ville, le travail de l’agence Mornet a guidé, en l’éclairant, l’éveil et la mutation d’une ville longtemps endormie. La profusion presque boulimique des réalisations s’inscrit dans la constance d’une production architecturale de qualité, en permanence attachée à l’œuvre, quelle qu’en soit l’échelle ou la destination. L’architecture produite par l’agence Mornet est humaniste autant qu’innovante, moderne enfin

en ce qu’elle concilie toujours la relation au site, la qualité d’usage et la vibration esthétique.Mais l’héritage n’est pas seulement architectural et urbain, André et Philippe Mornet parcourent le siècle en étant aussi, et peut-être d’abord, citoyens engagés, acteurs de cette ébullition inventive qui fonda, notamment dans les années cinquante et soixante, l’élan de la reconstruction et de l’aménagement du territoire.Les entretiens retranscrits dans “Chronique d’une métamorphose” racontent l’histoire de cette féconde implication. Ils facilitent la compréhension et la lecture de la ville d’Angers dont la géographie si particulière a orienté le sens et l’intelligence du développement. Ils témoignent aussi d’un temps révolu où la production architecturale et urbaine participait du centralisme planificateur, la construction de la plus modeste école étant décidée rue de Grenelle.Philippe Mornet est une mémoire qui relie le fil cohérent de l’histoire contemporaine de la ville. Son témoignage est essentiel.

BL