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Ç ''- I
Chansons Galantes d'Autrefois
Il a été fait de cet ouvrage
un tirage limité à 3 exemplaires
sur papier Japon
comprenant une triple suite des gravures
en noir, bleu et rouge.
Droits de traduction réservés pour tous pays
S'adresser à la Librairie H. DARAGON
BIBLIOTHEQUE DU VIEUX PARIS
PAUL MARION
CHOIX de
Clfapscns Galantes
d'Aairefois
Avec une Introduction et des Notes
Ouvrage orné de deux planches gravées
PARIS (IX') H. DARAGON, Libraire-Éditeur
96-98, Rue Blanche, 90-98
MDCCCCXI
A GJISTOM BOmS
Pô lin
INTRODVCTICN
Au cours d'un séjour dans la Haute-Pro- vence, je traversais, peu après midi, un petit
village des bords de la Durance quand je fus
arrêté par une scène vraiment délicieuse. Sur
le pas de sa porte, à Vombre d'une belle treille,
une jeune femme faisait sauter un bébé sur ses
genoux, sans doute pour l'empêcher d'aller
courir au soleil qui était, en effet, brûlant ce
jour-là. Tout en jouant avec l'enfant, elle
chantait une manière de complainte dont le
refrain guttural semblait, de loin, quelque cri
sauvage répété par trois fois : « Tabou, tabou,
tabou » ou « tamar, tamar, tamar , — je ne saisissais pas très bien. Ce qu'il y a de cer-
tain c'est qu'à chacun de ces cris, c'était chez
le bébé une explosion de joie extraordinaire,
— 6 —
des éclats de rire à n'en plus finir. Je m'appro-
chai pour mieux entendre ce qui provoquait
une telle gaîté. C'était une ronde enfantine,
ingénue et morale à la fois, comme beaucoup de vieilles chansons de ce genre. Etait-ce à
cause de la fraîcheur du tableau que j'avais
là sous les yeux ? Toujours est-il que je trou-
vai la chanson charmante et que j'en voulus
connaître l'auteur. Ma jolie chanteuse l'igno- rait. Tout ce qu'elle savait c'est que, cette
ronde, elle l'avait apprise autrefois d'une
vieille institutrice, quand elle allait à l'école
du chef-lieu. Et comme cette chanson l'avait beaucoup amusée jadis, elle en amusait main-
tenant son bambin qui ne se fatiguait point
de l'entendre. Elle consentit aimablement à
me la redire et j'écrivis sous sa dictée, — textuellement, comme elle les chantait, — les couplets que voici :
A Paris, y a une dame
Qui est aussi belV que le jour.
Elle avait une servante
Qui aurait (ter) voulu
Etre aussi belle qu'elle :
EU* n'a pas pu.
EU' fut chez l'apothicaire :
Monsieur, combien vendez-vous le fard ?
Belle, je le vends six francs l'once :
C'est deux (ter) écus.
— Donnez m'en un' demi-once Pour mon écu.
— Lorsque vous voudrez vous peindre, Prenez bien gard' de ne pas vous mirer ;
Eteignez votre chandelle,
Barbou (ter) illez-vous.
Après c'ia vous serez belle
Comme le jour. »
Quand ce fut au matin jour,
La belle mit ses beaux atours.
Ses bas de soie, sa jupe courte.
Son blanc (ter) corset.
Puis elV s'en fut à la ville
Comme elle était.
En chemin, elV fit rencontre
D'un galant fort à son gré.
« Où allez-vous, jolie Manette,
Si bar (ter) bouillée,
La figure aussi noire
Qu'un charbonnier ? »
— 8 -
EU' fut chez l'apothicaire :
c Monsieur, que m'avez-vous vendu ?
— Je vous ai vendu du cirage Pour vos (ter) souliers.
N'appartient pas aux servantes
De se farder ! »
// est facile de se rendre compte, à la lec-
ture de cette chanson, que la jeune femme qui
me la dicta n'était point musicienne. Le même vers y compte indistinctement sept, huit, neuf
ou dix syllables dans les différents couplets.
Aussi, pour chanter ceux-ci, en transformait-
elle nécessairement la musique à chaque coup,
remplaçant ici une noire par deux croches, là
deux croches par un triolet, afin de souligner
d'une note chaque syllabe. Cela ne lui était
d'ailleurs pas toujours très commode : elle
était obligée, pour y arriver, d'éviter parfois
des élisions indispensables et prononçait, par
exemple, « être aussi belle » ou « la figure
aussi noire », comme si le mot « aussi » se
fût écrit avec un h aspiré. Ce qu'elle chantait
là, ce n'était évidemment pas le texte exact
de la chanson. Pourrais-je jamais en retrouver
l'original ?...
— 9 —
Passant le lendemain par le chef-lieu, j'allai
sonner à l'école indiquée. La vieille maîtresse
en était morte depuis longtemps ; ses Hures et
sa musique avaient été vendus ; sa famille
s'était dispersée. Aucune de celles de ses an-
ciennes élèves que je pus retrouver et que j'in-
terrogeai n'avait gardé le moindre souvenir de
la chanson enfantine en question. D'autre part,
les vieux du pays l'ignoraient de même : ce n'était donc pas une chanson locale. D'où ve
nait-elle ?
Rentré à Paris, je me mis à fouiller les re- cueils de chansons, vieilles et nouvelles, qui
me tombèrent sous la main. Si la ronde que je cherchais était d'un chansonnier plus ou
moins connu, je finirais bien par la dénicher
dans une anthologie quelconque. Et si c'était
une chanson populaire, il me paraissait bien
improbable qu'elle ne soit pas déjà venue aux
oreilles de quelque « folkloriste » qui n'au •
fait point manqué de la recueillir.
Cette dernière hypothèse était la vraie. Cest
en effet M. Julien Tiersot, l'éminent historio-
graphe de nos chansons populaires, qui a
noté — et sans doute un peu arrangi celle-
— 10 —
CI, dont il a publié (1) cette très élégante ver-
sion :
LA SERVANTE COQUETTE
Dedans Paris y-a-t-une dame
Qu'est aussi belle que le jour.
Mais elle avait une servante
Qu'aurait, qu'aurait, qu'aurait voulu
Etre aussi helV que sa maîtresse,
Mais elV n'a pu.
EU' s'en fut chez l'apothicaire :
« Monsieur, me vendrez-vous du fard ? — Vous en vendrai-z-à six francs l'once ;
C'est deux
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Le lendemain, au point du jour,
La belle prend ses beaux atours.
Ses bas de soie, sa jupe verte,
Son blanc (ter) corset
Et s'en va faire un tour en ville,
S' faire admirer.
En son chemin a fait rencontre De trois garçons fort à son gré.
« Où allez-vous ainsi, la belle,
Tout bar (ter) bouillée.
Avec un' figure aussi noire
Qu'un charbonnier ? »
EU' s'en fut chez Vapothicaire :
« Monsieur, que m'avez-vous donné ?
— J'vous ai donné du noir cirage Pour vos (ter) souliers.
C n'est pas l'état d'une servante De se farder. «
Si je publie ici ces deux textes, si peu diffé-
rents en sommey c*est pour montrer de quelle
façon les chansons, — comme aussi les autres œuvres plus ou moins littéraires, les récits, les
relations d*événements, les légendes, les « tra-
— \± -
ditions », — se transforment rapidement du tout au tout en passant de bouche en bouche,
La Servante coquette n'est point une chanson
populaire de Provence ; personne ne la con-
naissait dans la région oii feus l'occasion de
la noter : ce n'était donc pas un chant entendu
plus ou moins souvent par elle dans son en-
tourage et mal retenu que ma chanteuse redi- sait ainsi ; c'était, de son propre aveu, une
chanson que sa maîtresse lui avait serinée à
l'école ; pas de doute possible, c'est bien le
texte publié naguère par M. Julien Tiersot que
cette jeune femme avait appris. Et, dès la pre-
mière étape, voilà déjà, dans ce texte, des
changements radicaux : par exemple, un seul
« galant » remplaçant les « trois garçons »
qui sont de tradition dans toutes les chansons
populaires d'antan. Ici, évidemment, simple
défaillance de mémoire ; ailleurs, question de
goûts, peut-être. C'est ainsi que ces goûts par-
ticuliers, les caractères, — et aussi les habi- tudes locales, le terroir, simplement l'accent,
— arrivent à modifier petit à petit les refrains au point de les rendre méconnaissables. On a souvent signalé les innombrables façons de
chanter la célèbre complainte de Malbrough,
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qui n'est cependant pas encore bien vieille ;
mais il ne s'agit ici que « d'airs » différents
attribués aux mêmes couplets, comme s'ils avaient été mis en musique par divers compo-
siteurs. Les mêmes variations, des altérations
beaucoup plus profondes se retrouvent dans
la façon de colporter les textes eux-mêmes.
On a noté des versions tout à fait dissembla-
bles d'une même complainte. En voulez-vous des exemples ? C'est ainsi que, dans les Bru-
nettes ou petits airs tendres (1) de 1703, on
trouve cette chanson :
LA PETITE JEANNETON
Par un matin s'est levée
La petite Je