Chercheur en terrain miné
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CHERCHEUR EN TERRAIN MINÉ Michèle Tribalat Gallimard | Le Débat 2014/2 - n° 179pages 46 à 51
ISSN 0246-2346
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Pour citer cet article :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Tribalat Michèle, « Chercheur en terrain miné »,
Le Débat, 2014/2 n° 179, p. 46-51. DOI : 10.3917/deba.179.0046
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Michèle Tribalat est démographe et chercheuse à l’INED. Outre Assimilation. La fin du modèle français, elle est l’auteur de Les Yeux grands fermés (Denoël, 2010).
Michèle Tribalat
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On peut faire plusieurs lectures d’un livre. La diversité de ces lectures est toujours intéressante. Même lorsque la charge se veut dévastatrice, elle dit beaucoup sur son auteur, sur l’époque et quelquefois sur l’objet de sa détestation. Malika Sorel et Philippe d’Iribarne ont visiblement trouvé un certain intérêt à lire mon livre, qui semble avoir apporté quelques éléments à leur réflexion personnelle. Thierry Tuot l’a franchement détesté d’emblée. Son article, qui commence «balle en bouche», témoigne des difficultés que nous connaissons tous, à des degrés divers, pour ne pas nous laisser aller à la facilité qui consiste à juger «avec ses tripes». Jonathan Haidt a montré la tendance naturelle qu’avaient les humains à valider, par leurs raisonnements, leur propre système de croyances: «L’esprit est divisé, comme un cavalier sur un éléphant, et le travail du cavalier est de servir l’éléphant 1.» Daniel Kahneman relève notre disposition à voir et à chercher des causalités partout, y compris lorsque des événements se
produisent par hasard 2. Pour éviter de sauter sur les conclusions les plus faciles, les scientifiques cherchent à s’entourer de règles contraignantes. Ils n’y arrivent pas toujours. Comme l’explique JeanFrançois Revel, «le chercheur scientifique n’est pas un homme par nature plus honnête que l’ignorant. C’est quelqu’un qui s’est volontairement enfermé dans des règles telles qu’elles le condamnent, pour ainsi dire, à l’honnêteté 3».
Je n’ai aucune prétention à la perfection en la matière, juste celle de m’efforcer à l’honnêteté dans l’établissement des faits et dans l’interprétation que l’on peut en faire. L’objet de la critique de Thierry Tuot n’est pas de débattre des questions soulevées par mon livre, d’y
1. The Righteous Mind: Why Good People Are Divided by Politics and Religion, New York, Pantheon, 2012.
2. Système1/Système2: les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2012.
3. La Connaissance inutile, Grasset, «Pluriel», 1988, p. 13.
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détourner des faits que j’essaie d’établir et qui n’ont pourtant pas échappé aux deux autres lecteurs. Il n’y fait référence qu’exceptionnellement, lorsqu’il pense avoir trouvé le moyen de les tourner en ridicule. Quant au fait d’avoir écrit un livre incomplet, c’est presque une fatalité de l’exercice d’écrire. Thierry Tuot me reproche de m’intéresser exclusivement à l’immigration et à l’islam et de manière partielle. Il se trouve que l’immigration est mon objet d’études depuis maintenant bientôt quarante ans. Je l’invite à lire d’autres publications dans lesquelles il trouvera des réponses aux questions qu’il soulève. La violence de la charge est telle que je pourrais me contenter d’en dénoncer l’excès. Ce serait une erreur car, enfin, Thierry Tuot est conseiller d’État et président de la 10e soussection du contentieux qui traite notam ment des libertés publiques. La lecture entre les lignes et cette avidité à y trouver matière à griefs, de la part d’un conseiller d’État de cette importance, inquiètent forcément. Il me fait dire beau coup de choses qui ne figurent pas dans mon livre, pour mieux en déduire de noirs desseins sur lesquels je ne m’attarderai pas, laissant au lecteur la liberté d’interprétation.
Quel a été l’objectif de mon livre? Démographe, travaillant depuis très longtemps sur les questions d’immigration, j’ai accumulé un certain nombre d’analyses me conduisant à penser que les conditions de fonctionnement du modèle français d’assimilation n’étaient plus réunies. C’est bien le modèle dont je déclare le décès, pour reprendre la formule de Malika Sorel. La possibilité demeure de s’assimiler pour ceux qui en ont le désir. Dans tous les pays, y compris les plus multiculturalistes, des immigrés optent pour l’assimilation. Philippe d’Iribarne souhaite
apporter des compléments ou des contradictions, mais de dévoiler ce qui se cache derrière les apparences: «Malgré les apparences, un pamphlet qui n’ose ni avouer ses valeurs [je souligne] ni afficher ses conclusions.» Bref, un livre inspiré, selon lui, par l’extrême droite, l’ultranationalisme et Maurras. C’est devenu une manie de la critique: chercher à dévoiler qui est vraiment l’auteur, lire entre les lignes, en oubliant souvent de lire tout simplement. Manifestement, Thierry Tuot n’a pas lu le même livre que celui que j’ai eu le sentiment d’écrire ou que celui qu’ont lu Malika Sorel et Philippe d’Iribarne. Je dirais même qu’il ne l’a pas vraiment lu ou que son a priori l’a tellement aveuglé qu’il a souvent lu autre chose que ce qui s’y trouvait vraiment. Je me suis laissé dire que ce livre lui a tellement «brûlé les doigts» qu’il avait été incapable de le lire, se contentant de le feuilleter nerveusement. C’est le cas par exemple lorsqu’il parle de la Suède. Contrairement à ce qu’il écrit et me fait dire, la proportion de personnes nées à l’étranger y est plus importante qu’en France. C’est aussi vrai de la population d’origine étrangère sur deux générations (27 %, contre 19 % en France en 2011, dans des définitions un peu différentes 4). Contrairement à la légende, la Suède n’est plus ce petit pays au peuplement homogène qu’elle a été. Je n’étudie pas non plus dans mon livre la fécondité des femmes d’origine étrangère, mais mesure les différentiels de fécondité en fonction de l’affiliation religieuse afin d’éclairer la dynamique démographique des musulmans en France. Visiblement, Thierry Tuot a du mal à comprendre que la démographie a une légitimité à poser certaines questions et à essayer d’y répondre.
Sans qu’il soit en mesure de le démontrer, Thierry Tuot juge que mon livre est souvent faux. Ce jugement définitif a priori l’amène à se 4. La définition suédoise est plus extensive.
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dont il est question dans mon livre sont ceux qui se sont déclarés de religion musulmane et non ceux qui le seraient par filiation 8.
L’assimilation est un processus social de convergence des comportements à travers, notamment, les mariages mixtes. C’est un modèle asymétrique, qui exige la plupart des efforts d’adaptation de la part de nouveaux venus. Il n’implique nullement que la société d’accueil reste inchangée, contrairement à ce qu’imagine Thierry Tuot. Mais, comme l’explique Paul Collier, cela fait partie du deal. L’assimilation ne suppose pas nécessairement la croyance selon laquelle la culture autochtone est supérieure à celle que les immigrants amènent avec eux. Elle n’est que la culture du pays dans lequel ils ont choisi de venir vivre et, à ce titre, elle est le référent culturel légitime. L’assimilation a bien des avantages. «Non seulement l’assimilation est éthiquement bien fondée, mais ses conséquences pratiques sont bénignes.» Elle augmente la confiance et amène immigrants, descendants d’immigrants et «autochtones» à se reconnaître comme faisant partie d’un même peuple. Ce qui n’est pas rien, notamment dans les effets induits sur l’acceptation de l’impôt et de la redistribu
que l’on encourage les bonnes volontés qui restent et qu’on leur donne les moyens de décoder ce que le corps social attend des nouveaux venus afin qu’ils réussissent à s’assimiler. Il a bien raison, sauf que, pour y arriver, il faudrait que l’assimilation soit encore jugée désirable par les parties en présence, ce qui n’est plus le cas, j’y reviendrai.
En ce qui me concerne, la fin du modèle d’assimilation est un constat relativement récent qui a émergé après que j’ai pensé tout autrement. Il s’est imposé à moi plus que je n’ai cherché à le tirer à tout prix des observations statistiques. L’enquête MGIS 5 de 1992 pointait un certain nombre de problèmes en matière sociale et professionnelle, mais laissait penser que l’assimilation avait encore un avenir. Je me suis démenée pour que l’on réédite ce type d’enquête afin de suivre la question. Cela n’a été le cas que seize ans plus tard, avec l’enquête Trajectoires et origines (TEO) réalisée par l’INED et l’INSEE en 2008. On a donc continué d’invoquer les mannes de l’enquête de 1992 audelà des délais raisonnables de péremption. L’engouement durable pour les résultats de cette enquête a fini par m’inquiéter et tout particulièrement son usage pour invalider les perceptions locales. À un point tel que je me suis tournée vers l’observation locale, ce qui m’a amenée à travailler sur la ville de Dreux 6. Grâce au fichier SAPHIR élaboré par Bernard Aubry, nous avons pu mettre en lumière les phénomènes de concentration urbaine qui n’ont cessé de s’accroître depuis quarante ans 7. L’enquête TEO a été l’occasion de faire le point, d’autant qu’elle comprenait des questions sur l’affiliation religieuse, questions qu’il n’avait pas été possible de poser en 1992. C’était donc le moment d’en savoir plus sur l’affiliation à l’islam. Contrairement à ce que prétend Thierry Tuot, les musulmans
5. Enquête Mobilité géographique et insertion sociale, que j’ai conçue et dirigée pour l’INED et qui a été réalisée avec le concours de l’INSEE.
6. Michèle Tribalat, Dreux, voyage au cœur du malaise français, Syros, 1999.
7. Bernard Aubry, Michèle Tribalat, «Les jeunes d’origine étrangère», Commentaire, n° 126, été 2009.
8. Une lecture un peu rapide de la méthode d’estimation de la population musulmane a pu laisser penser à Thierry Tuot, peu habitué au maniement des chiffres, que tel n’était pas le cas. J’ai en effet estimé les jeunes de moins de 18 ans hors du champ de l’enquête TEO (1850 ans), à partir des enfants déclarés dans l’enquête d’au moins un parent musulman. Leur nombre a été corrigé des défections de transmissions, connues à d’autres âges. La filiation n’a été qu’un moyen d’estimation. Les analyses conduites sur le rapport à l’islam portent bien évidemment sur ceux qui ont répondu à l’enquête en se déclarant musulmans.
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d’une espèce d’extraterritorialité. C’est le cas à Tower Hamlets, un arrondissement londonien où s’affrontent les deux partis dominants du Bangladesh et qui a demandé le statut de ville à part entière afin d’avoir les coudées plus franches 11. En mai 2013, le journal néerlandais Trouw a rapporté le cas de Schilderswijk, district de La Haye où vivent environ cinq mille musulmans. Ce quartier est devenu une enclave fondamentaliste, un «minicalifat», dont l’espace public est géré selon la charia: interdiction de fumer, de boire de l’alcool, de vendre ou de consommer du porc 12. Comme l’écrit Malika Sorel, «le concept de diversité imposé en France avec beaucoup de légèreté et d’inconscience mène à l’effacement de la diversité culturelle». C’est ce qu’avait déjà remarqué Kenan Malik à propos de la liberté d’expression: «L’une des ironies qu’il y à vivre dans une société plus diverse est que la préservation de la diversité exige une moindre diversité des points de vue 13.»
Une autre des conditions du fonctionnement du modèle d’assimilation, le côtoiement dans la vie de tous les jours, n’est plus remplie. Les catégories populaires, délégitimées dans la pression sociale qu’elles exerçaient auprès du voisinage, ont déclaré forfait dans bien des cas et préfèrent se mettre à l’abri. Cet évitement des lieux à forte concentration accroît bien évidemment encore les concentrations et le séparatisme culturel et spatial.
Il faut aussi que le peuple d’accueil donne
tion. Les mariages mixtes jouent un rôle décisif dans la mesure où les immigrants sont alors amenés à se penser aussi comme étant reliés à l’histoire du pays d’accueil à travers leurs descendants. La reconnaissance «de ce lien du futur vers le passé» peut aider l’immigrant à «embras ser une nouvelle identité» 9. L’assimilation n’est pas un modèle culturaliste puisqu’elle parie, au contraire, sur l’aptitude des individus originaires d’autres univers culturels à adopter la culture du pays d’accueil. On ne peut pas en dire autant du multiculturalisme qui parie plutôt le contraire.
Pour fonctionner, l’assimilation nécessite un engagement du corps social dans son entier, avec l’assentiment des élites. Philippe d’Iribarne insiste sur la disjonction qui s’est produite entre le corps politique et le corps social et montre comment la pression sociale exercée par le second est désormais désavouée par le premier et assimilée à une discrimination. On comprend que cette idée de corps social, que je partage avec Philippe d’Iribarne, ait hérissé Thierry Tuot pour qui il n’a pas d’existence particulière et pour qui la France se compose d’une collection d’individus pourvus de droits. Pourtant, l’adoption d’une politique multiculturaliste qui laisse toute latitude aux minorités de cultiver un entresoi et des spécificités, mais punit les discriminations de la part de la société d’accueil, «contrevient à la règle d’or» de l’égalité de traitement, car il est impossible d’offrir aux autochtones le même droit au séparatisme 10.
Malika Sorel soulève un point important, la confusion de plus en plus fréquente entre démocratie et loi du nombre appliquée au morcellement du corps social. Si les musulmans sont majoritaires dans une ville, ils auraient la légitimité pour imposer leurs lois, règles et modes de vie, et leurs lieux de résidence jouiraient ainsi
9. Paul Collier, Exodus, How Migration Is Changing Our World, Oxford University Press, pp. 9899.
10. Ibid., p. 108.11. Ibid., p. 102.12. Soeren Kern, «Muslims in Belgium and Holland –
2013: Failed Integration», The Clarion Project, 15 janvier 2014.
13. Kenan Malik, «Too Much Respect», Prospect, 22 mars 2006.
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avions connus à d’autres périodes de notre histoire. La réponse ressemble très peu à ce qu’en a retenu Thierry Tuot. Nous connaissons, dans les années 2000, après une période de stagnation de vingtcinq ans, une nouvelle vague migratoire dont l’intensité relative est voisine de celle relevée pendant les Trente Glorieuses. Cette question ne doit pas être confondue avec celle portant sur l’intensité des flux migratoires de la France, comparée à celle de ses voisins, à laquelle je réponds également. Nombre de nos voisins, qui ont connu l’immigration plus tardivement que la France, ont reçu des flux d’immigration plus intenses. C’est par exemple le cas du RoyaumeUni.
Mais venonsen à l’islam. Pourquoi s’y intéresser? D’après Thierry Tuot, il faut avoir l’esprit forcément mal tourné et de mauvaises intentions à son égard. Pour ma part, je pense qu’il est difficile de faire l’impasse si l’on s’intéresse vraiment à la question migratoire et à ce qu’est devenu le modèle d’assimilation français, dont je ne suppose nulle part, contrairement à ce que me fait dire Thierry Tuot, qu’il a fonctionné parfaitement autrefois. Lui pense qu’il n’a jamais marché, qu’il n’a de toute façon pas d’intérêt et est profondément démodé et ringard. Je ne reviens pas sur le sujet, déjà traité par Philippe d’Iribarne. L’émergence d’une population musulmane importante en France est l’un des facteurs qui ne facilitent pas l’assimilation. Et si l’islam change la donne, le mystère n’est pas bien grand, c’est par rapport à la problématique
envie de le rejoindre. Sans excès d’amour de soi, un minimum est requis. Pour que les immigrés et leurs descendants fassent les concessions nécessaires, il faut qu’à leurs yeux cela en vaille le peine. Si tel n’est pas le cas à nos propres yeux, si nous nous échinons à donner l’image d’un peuple bourré de défauts et toujours prêt au pire, le comportement rationnel revient à s’abstenir. Malika Sorel en a parlé longuement, elle aussi, dans son dernier livre 14.
Par ailleurs, si le modèle d’assimilation ne fonctionne plus, c’est aussi parce qu’il a été explicitement abandonné par les élites politiques. Thierry Tuot me reproche d’avoir fait de l’intégration un terme générique. C’est vrai dans ce livre où je présente l’assimilation comme un modèle d’intégration parmi d’autres. J’y suis vivement encouragée par les définitions officielles adoptées par le Haut Conseil à l’intégration au début des années 1990 et, plus tardivement, par le Conseil européen du 19 novembre 2004, et donc par l’ensemble des pays de l’UE, dont la France. Si le multiculturalisme est une figure de l’intégration, alors l’assimilation en est une autre.
Je n’aborde, dans ce livre, que les points qui m’ont semblé importants pour tenter de trancher la question que je me suis posée. L’un d’entre eux concernait la qualification du régime migratoire que nous connaissons actuellement et celui qui risque d’être le nôtre dans les années qui viennent. Si nous sommes sortis de l’histoire migratoire, comme le prétendent bien des discours et comme le prétendait un rapport récent remis au ministère de l’Intérieur 15, l’affaire n’est pas bien grande. Contrairement à ce qu’écrit Thierry Tuot, la question de savoir s’il y a beaucoup trop d’immigrés n’est pas posée dans mon livre. J’ai simplement cherché à qualifier, le plus précisément possible, le régime migratoire des dernières années par rapport à ceux que nous
14. Immigration, intégration: le langage de vérité, Mille et Une nuits, 2011.
15. Direction de l’immigration/Département des statistiques, des études et de la documentation, Données de l’immi-gration professionnelle et étudiante, Document préparatoire au débat au Parlement, avril 2013, ministère de l’Intérieur, p. 14 (disponible en ligne).
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des religions (transmission, sécularisation, impor tance accordée à la religion, endogamie…) qui ne sauraient, en ellesmêmes, représenter une dérive. Des comparaisons sont faites systématiquement avec les catholiques, sauf lorsqu’il s’agit de pratiques spécifiques à l’islam – port du voile et respect des interdits alimentaires. Je ne comprends pas bien pourquoi Thierry Tuot aurait préféré me voir comparer l’islam aux «dimensions sectaires de plusieurs variantes du protestantisme, caraïbe, africain ou asiatique», plutôt qu’au catholicisme et parfois au protestantisme en général. Doisje en conclure que, pour Thierry Tuot, l’islam est intrinsèquement sectaire? La focalisation médiatique sur la radicalisation de jeunes musulmans laisse croire que les jeunes sont forcément radicalisés à la manière décrite dans les journaux, c’estàdire par Internet et des prédicateurs enragés. C’est oublier que, si la transmission de l’islam s’est considérablement améliorée au fil des générations nées en France, c’est en raison d’un recentrage des familles sur la religion. La désécularisation a touché tous les environnements sociaux et pas seulement les quartiers défavorisés. La conception de Thierry Tuot – la religion est le refuge des malheureux – en dit plus long sur ce que nous sommes devenus après une sécularisation massive de la société française que sur les réalités de l’islam en France.
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que je me suis fixée: la pérennité ou non du modèle d’assimilation français. Il me semblait utile de rompre avec l’analogie facile selon laquelle ce qui s’est passé autrefois ne manquerait pas de se reproduire. Il suffirait d’attendre que le temps fasse son œuvre pour triompher des problèmes d’intégration. Cette invitation à l’attentisme est une supercherie, comme le souligne Malika Sorel. La religion et la culture comptent.
La question du nombre est évidemment impor tante, même si j’imagine qu’elle l’est moins pour un conseiller d’État, peu habitué aux pratiques statistiques 16, que pour un démographe. Son importance réside aussi dans la vertu d’une estimation menée honnêtement, du mieux qu’il est possible, afin de ne pas en sousestimer ou en exagérer l’importance. Thierry Tuot a dû lire mon texte «à grandes enjambées» car j’y critique les estimations «au doigt mouillé» qui ont eu tendance à fleurir depuis quelques années et mets en garde contre les visions d’apocalypse des enragés de la calculette qui prédisent une submersion démographique en quelques décennies. Je n’ai pas non plus fabriqué le vote musulman. Il a été étudié lors des élections présidentielles de 2012 par l’IFOP. Ces données étaient parfaitement disponibles lorsque j’écrivais mon livre, ont été publiées et sont encore consultables 17.
L’enquête TEO a collecté près de 22 000 ques tionnaires. Grâce à la surpondération de certains groupes, il a été possible de disposer d’un échantillon d’un peu plus de cinq mille musulmans. Les protestants n’étaient que quelques centaines, effectif qui ne permet guère d’aller chercher les représentants éventuels de variantes dites sectaires. Mon étude du lien à l’islam traite généralement de questions concernant la plupart
16. À ce propos, il est utile de rappeler que, contrairement à l’idée que se fait Thierry Tuot de la statistique, celleci procède nécessairement par regroupements et ne saurait, en aucun cas, s’intéresser à «chacun des individus».
17. Le Vote des musulmans à l’élection présidentielle, IFOPFocus, n° 88, juillet 2013 (consultable en ligne).
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