Les maladies bulleuses: pemphigoide et pemphigus Michèle Ohayon m.d.
CHENU M.D. - L'étude historique de saint Thomas
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8/18/2019 CHENU M.D. - L'étude historique de saint Thomas
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L étude
historique de saint
Thomas
Communication du R. P. M.-D. CHENU, O. P., de Paris
On
a évoqué
les éléments
stables de
la philosophie thomiste.
Nous sommes
invités à
dégager
le commun dénominateur de
ces
efforts en rendant
le passé
présent.
Le
problème
est
celui
de
l accord
de
l actualité
et
de
la
tradition
;
il
s agit
d atteindre cet
accord sans rien atténuer
de
l intégrité de la pensée
philosophique, qui
est
comme
un
ommen ement
absolu.
Les
grands maîtres ont tous eu une vie posthume.
Et cela
nous
invite
à penser
— sans transformer l histoire de
la philosophie
en
philosophie de
l histoire — que cette vie posthume
est incluse dans la pensée elle-même. Il y
a des lois
de
cette
présence du passé dans le présent,
et c est
un
des aspects
du
problème
des rapports
entre le temps et
l éternité.
Je
voudrais
donc, non
point
établir
à
priori
une
doctrine
du
temps
et de
l éternité,
mais
étudier
dans
l histoire
de ce demi-siècle
comment
l étude historique
a
été
un
instrument
efficace pour
saisir,
c est-à-dire
discerner
puis
réaliser cette
actualité de
S. Thomas. Nous
trouverons ce
paradoxe
que l histoire
est le
garant
de l actualité et
que
l étude
historique
de S. Thomas
a
été
le moyen de
retrouver
sa véritable pensée.
A un temps aplati
et inerte,
l intuition historique substitue un
temps
réel.
Cela
a
permis
de
lever
la
double
ambiguïté
qui pouvait peser
soit sur l intelligence
des
textes soit sur l interprétation de la pensée
de S. Thomas.
Quand Mgr Mercier
a
commencé, il régnait un mépris non
seulement pour le
contenu
de la pensée thomiste,
mais
plus
encore
pour
le mode
même
de
cette
pensée. Les voies de la
démonstration
La communication
du
R.
P. Chenu
n ayant pas été rédigée, nous
reproduisons ici les
notes
prises
par
le
secrétaire des Journées d études.
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M.-D. Chenu
étaient réellement
absentes. On
pourrait
évoquer le
témoignage de
Renan.
En
réalité, la
pensée
scolastique se présentait comme une
mixture de
cartésianisme
et de basse scolastique. Or ces structures
mentales méprisées
trouvaient
leur
expression
dans
un
certain
type
de
commentaire
qui était devenu
le
véhicule
normal
de la
pensée
scolastique. Il
prolongeait d une
certaine
manière un style médiéval,
mais
en
réalité il en était fort
éloigné.
Non
seulement il était sans
rapport
avec la
philosophie
du temps mais
aussi
avec le
contexte
historique du texte étudié. Le commentaire se développe pour lui-
même
; le livre
y
est traité comme
un conservatoire de vérités
acquises, qu il y faut retrouver à n importe quel prix. On
fait
des
commentaires de commentaires. Le
temps est
évacué.
C est en face de
cet
état que se développa, au XIXe siècle,
l usage
de
l histoire,
où
toute réalité
humaine
passée
est
liée,
dans
son intelligibilité
comme
dans sa genèse, au temps
qui l a
produite.
C était
l opposé
même du commentaire.
Au nom de l objectivisme radical de
ses
perspectives,
l histoire
refuse au passé cette
influence
sur le présent que
lui
donnaient
les
commentateurs
Il
faut
prendre conscience de l ambiguïté
que l histoire a
introduite dans la recherche philosophique.
Il
faut en effet en observer
les
limites.
Michelet
parlait
de
la résurrection qu accomplit l histoire.
Mais
la
résurrection
d une
pensée
passée
exclut
la
perspective
du
présent. Faire revivre S. Thomas, soit. Mais revivre,
ce
n est pas
vivre,
et
une survie
dans ces
conditions
serait
précaire, artificielle
et de
pure
érudition. Ainsi nous voyons au XIX*
siècle
des travaux
marqués
d historicisme. L érudition, disait Valéry,
est
une défaite.
On connaît l antinomie marquée
par Nietzsche
entre
l histoire
et
l instinct de création du présent.
On est
très attentif aux variations du vocabulaire,
et c est
la
tâche
de l historien de les manifester, de
préciser
le sens des mots.
On
a
montré
l usage
du vocabulaire
aristotélicien par
S.
Thomas
:
c est l historien qui le décrit.
Il est nécessaire
d établir
de bonnes discordes, et l historien ici
a
un rôle essentiel.
J évoque
encore le
contexte
intellectuel et spirituel d une
époque
: c est
une des
pointes de la recherche historique.
Non
seulement au
plan universitaire mais
même au-delà
:
par exemple,
le réveil du XII
siècle, avec la montée du
sentiment
de la nature,
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L étude
historique
de saint Thomas
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les
phénomènes économiques
et
politiques.
Il
y aurait
d autres
domaines
encore : l évolution même de la pensée de S. Thomas sous
l influence de
ces différentes
pesées spirituelles.
Non
seulement
des
résultats
ont
été
acquis
mais
de
réels
progrès
ont été
accomplis. Il
en sort une heureuse coordination.
L ambiguïté de l historicisme
a
été
ainsi levée.
Il
y a une profondeur transhistorique de l histoire, et que
l histoire
nous
procure. Ainsi se trouve éliminé ce genre commentateur
et
la confusion
entre
un
ajustage
maladroit
et
une
renaissance
véritable qui vient
garantir
et
purifier
l étude de l histoire.
Il est
une
seconde valeur très authentique mais délicate dont
l étude
historique a aussi levé l ambiguïté (comme elle a levé
celle
des commentaires)
: c est
celle
du caractère systématique de la
philosophie thomiste. L étude historique de
S.
Thomas, du
fait même
de son
attention
aux genèses intérieures,
a
contribué
à nous
révéler,
au sein des valeurs portées
par
le système,
les
puissances créatrices
de l esprit, et
à
en
manifester
fortement la méthode, s il est vrai
que la méthode
n est
que la doctrine en croissance.
D abord l étude historique maintient en
vigueur
les
virtualités
d une philosophie.
Il
y a
une
tendance normale à considérer
les
liaisons logiques comme
répondant
aux liaisons réelles de façon
adéquate,
alors
même que
l on
sait
qu il
n en
est rien.
L étude
historique
ramène au problème et maintient
un état
de question.
De
fait,
au cours de l histoire
de la scolastique, nous
voyons s éliminer le style
de
la quaestio — si fécond pour
la
recherche
— au
profit
des
sommes et
des
traités.
Bien
sûr,
la
somme
elle-même
est
bâtie sur
la quaestio. L étude
historique
maintient
la présence, le
retour
au donné, qui était l acte créateur, absolu,
primitif —
l inquiétude
du philosophe, le sentiment de l inadéquation
de toute réflexion à la
vérité
éternelle, dont le système
est comme
la
suppléance
temporelle.
L étude
historique
permet
de
dégager les
virtualités
du
système.
Elle retrouve les intuitions premières.
L effort
systématique
s appesantit volontiers sur lui-même. La méthode
génétique
doit saisir
les
contenus
les
plus
vrais dans leur
émanation
vive : c est cela
même
qui
assure la valeur du système.
Le triomphe de l historien est là où l immersion de la pensée
dans le temps
fait apparaître
le point
où
elle rejoint la
vérité
éternelle.
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M.-D. Chenu
Ainsi le problème averroïste de la double vérité.
L étude historique entretient la puissance d invention d une
philosophie. Nous
sentons
dans
la recherche historique
une raison.
Le
système incline
à
la
tentation
d orgueil de posséder
la
vérité.
La
scolastique dogmatique
a
péché
par
infidélité
à
elle-même.
L histoire
est
une
sauvegarde contre
cet
esprit dogmatique.
Nous en
voyons
des
exemples
dans
la
sensibilité
du
thomisme
au progrès
des
sciences,
dans le
développement
de l épistémologie,
dans l autonomie des
méthodes rationnelles.
D autre part, nous devenons attentifs aux
lois
de l usage
des
moyens
dialectiques.
Il
ne peut
être question d y renoncer, mais
ils
peuvent devenir
une
fin.
Il y
a des
reproches
fondés.
L histoire
doit rendre
à ces
moyens
leur mordant primitif,
les
protéger contre
une
extension
abusive.
Elle
doit,
par
exemple,
observer
—
grâce
aux controverses en cours — le
poids
exact d une distinction qui
n avait
son sens que par rapport à telles
objections.
a
philosophie
de la distinction et de la
détermination
— fondée
sur le principe d identité — se rencontre
chez S.
Thomas avec
une
philosophie de la
participation,
où les
degrés
des
êtres importent
plus
que leurs déterminations.
Il y
a
là
une
rencontre
entre S.
Thomas et S. Augustin que
l historien doit éclairer.
Enfin
l étude
historique maintient
la
personnalité du philosophe
jusque
dans
l
impersonnalité
de
son système.
C est
le
mérite
du
penseur de s exprimer
de
façon
objective. Nous sommes
au point
le
plus
aigu
de l opposition du
penseur
et du
système — mais
nous
refusons de jouer
l un contre
l autre.
Le
sens historique nous garde la
présence de
cet irréductible,
de
cet
événement
absolu qu est
la
pensée.
Il
nous
garde
contre
l esprit de système sans sacrifier le systématique.
L histoire
nous rend
plus
attentifs
à
la
méthode
qu aux
résultats. L observation historique
de
la genèse d un système est un
moyen eminent — pas le seul d ailleurs — de lever le
paradoxe
d une
présence
du
passé
;
et cette
tension
entre
la
tradition et
l actualité est la
loi même
de la vérité humaine
dans
la
vie
de
l esprit. La vérité est éternelle,
mais
son
éternité
ne nous
est
accessible
que par
et
dans
la
temporalité.
La vie la plus pure de
l intelligence
réalise dans un
homme
l engagement le
plus
magnanime dans la
vie
de
l esprit
et bientôt
dans
la
défense de
la
cité. C est là toute l histoire du cardinal
Mercier.