Charles Suaud - Espace des sports, espace social et effects d'âge

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 Monsieur Charles Suaud Espace des sports, espace social et effets d'âge In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 79, septembre 1989. pp. 2-20. Citer ce document / Cite this document : Suaud Charles. Espace des sports, espace social et effets d'âge . In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 79, septembre 1989. pp. 2-20. doi : 10.3406/arss.1989.2903 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1989_num_79_1_2903

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Monsieur Charles Suaud

Espace des sports, espace social et effets d'âgeIn: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 79, septembre 1989. pp. 2-20.

Citer ce document / Cite this document :

Suaud Charles. Espace des sports, espace social et effets d'âge . In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 79,

septembre 1989. pp. 2-20.

doi : 10.3406/arss.1989.2903

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Resumen

Espacio de los deportes, espacio social y efectos de edad.

La rápida difusión del tenis, percibido antaño como "deporte burgués", hace que es imposible ligar 

mecánicamente un deporte y una clase e invita a construir el concepto de sistema de deportes como un

 juego de relaciones en continua transformación entre deportes situados los unos en relación con los

otros y clases objetivamente situadas en el espacio social. Se puede por ejemplo mostrar como el

aprendizaje y la práctica del tenis se diferencian según los clubes de una aglomeración urbana

(Nantes) en el momento que nuevos grupos de jugadores se apropian ese juego. Pero la oposición

entre los deportes - o entre las modalidades de un mismo deporte - se llena de múltiples significaciones

propias a manifestar no solamente distinciones entre los grupos sociales empero también diferencias

entre los sexos, las edades y los valores que le son socialmente ligados. Así las elecciones y las

transferencias de práctica entre el tenis, el squash y el golf resultan de un juego cruzado de

competencia y de marca simbólica entre los grupos sociales, los sexos y las categorías de edad.

Zusammenfassung

Raum der Sportarten, sozialer Raum und Alterseffekte.

Die rasche Verbreitung des Tennis, früher als "bürgerlicher Sport" wahrgenommen, macht es

unmöglich, weiterhin mechanisch eine bestimmte Sportart einer bestimmten Klasse zuzuordnen.

Vielmehr ist das Konzept eines Systems der Sportarten zu konstruieren, verstanden als ein Spiel von

standig sich verändernden Beziehungen zwischen ihrer Position nach wechselseitig aufeinander 

bezogenen Sportarten und im sozialen Raum objektiv positionierter Klassen. So läßt sich zum Beispiel

zeigen, wie das Erlernen und die Praxis des Tennisspiels sich entsprechend den Klubs einer mittleren

Großstadt (Nantes) differenzieren, wenn neue Gruppen von Spielern sich Tennis aneignen. Der 

Gegensatz zwischen den Sportarten -oder zwischen verschiedenen Weisen, eine Sportdisziplin

auszuüben - lädt sich aber mit mehrfachen Bedeutungen auf, in denen sich nicht nur Unterschiede

zwischen sozialen Gruppen äußern, sondern auch Unterschiede zwischen Geschlechts -und

Altersgruppen sowie der damit verbundenen Werte. So resultieren die theoretische und praktische

Entscheidung fur Tennis oder Squash oder Golf aus einem Wechselspiel von Konkurrenz und

symbolischer Markierung zwischen sozialen, Geschlechts - und Altersgruppen.

Résumé

Espace des sports, espace social et effets d'âge.

La diffusion rapide du tennis, perçu autrefois comme "sport bourgeois", fait qu'il est impossible

d'attacher mécaniquement un sport et une classe et invite à construire le concept de système des

sports comme un jeu de relations en continuelle transformation entre des sports situés les uns par 

rapport aux autres et des classes objectivement positionnées sur l'espace social. On peut par exemple

montrer comment l'apprentissage et la pratique du tennis se différencient suivant les clubs d'une

agglomération urbaine (Nantes) lorsque des groupes nouveaux de joueurs s'approprient ce jeu. Mais

l'opposition entre les sports - ou entre les modalités d'un même sport - se charge de multiplessignifications propres à exprimer non seulement des distinctions entre groupes sociaux mais aussi des

différences entre les sexes, les âges et les valeurs qui leur sont socialement attachées. Ainsi les choix

et les transferts de pratique entre le tennis, le squash et le golf résultent d'un jeu croisé de concurrence

et de marquage symbolique entre les groupes sociaux, les sexes et les catégories d'âge.

Abstract

The space of sport, the social space and effects of age.

The rapid spread of tennis, formerly perceived as "bourgeois sport", makes it impossible to attach a

sport mechanically to a class and is an invitation to construct the System of sports as an interplay of 

constantly changing relationships between the sports - situated with respect to one another - and

classes objectively situated within the social space. For example, it can be shown that the learning andplaying of tennis are differentiated from one club to another in a conurbation (Nantes) when new groups

appropriate the game. But the opposition between sports - or between modalities of the same sport - is

charged with multiple meanings which express not only distinctions between social groups but also

differences between the sexes, the age groups and the values socially attached to them. Thus choices

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and shifts of interest between tennis, squash and golf resuit from a complex play of competition and

symbolic marking among the social groups, the sexes and the age groups.

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charles suaud

En un peu plus de dix années, le tennis est devenuun jeu ordinaire. La construction de courts jusquedans les communes rurales, la retransmission télévisée es grands tournois ou encore l'association desinstruments du jeu à la publicité d'objets de consommationcourante (boissons, vêtements, etc.) ont renforcé la proximité physique et symbolique de ce sportet imposé l'idée que celui-ci était désormais accessible

tous. L'accroissement de l'offre de tennis et latransformation des images qui lui sont attachées ontag i efficacement sur la pratique elle-même en annulant es barrières qui écartaient certaines catégoriessociales de joueurs potentiels. Le tennis vient aujourd'hui au second rang par le nombre de licenciéset figure parmi les spectacles sportifs télévisés lesplus regardés (1).

Une telle évolution d'une pratique sportive -longtemps perçue comme "bourgeoise" - montre àl'évidence l'impossibilité d'attacher trop mécaniquementn sport à une classe sociale mais n'autorise pasà rejeter toute relation entre espace sportif et espacesocial sous prétexte qu'on a affaire à un "sport de

l-En 1986, la Ligue de football des Fays de la Loire comptait135 670 joueurs licenciés tandis que celle de tennis en recensait79 282 et celle de basket-ball 5 1 740. D'après l'enquote effectuéepar l'Institut national du sport et de l'éducation physique INSEP), le tennis a été regardé pa r 53,7 % des Françaisâgés de 12 à 74 an s durant l'année 1985 et le football pa r 55,3 %d'entre eux. Cf . P. Irlingcr, C. I.ouvcau, M. Métoudi, Les pratiques portives des Français, Paris, INSKP, décembre 1987, t. II,p. 520.

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ESPACE

DES SPORTS,SPACESOCIAL

ETEFFETSD'AGEA DIFFUSION DU TENNIS,U SQUASH ET DU GOLFANS L'AGGLOMERATIONNANTAISE

masse" (2). S'il est utile et même parfois nécessairee mettre en correspondance un à un des sports etes groupes sociaux comme le font certaines méthod

ologies, c'est à la condition expresse de ne pas considérer ce qui est une propriété structurale comme unattribut isolé et quasi naturel des classes sociales oudes sports (cf. graphique 1) . Placer, par exemple, lefootball parmi les autres pratiques sportives dans uneposition homologue à celle qu'occupent les classespopulaires dans l'espace social ne signifie pas que lefootball est attaché de manière immuable au x conditions d'existence de s ouvriers et encore moins queles membres de ce s classes sont les plus nombreux àpratiquer le football (15,8 % des O.Q.- contremaîtresisent l'avoir pratiqué au moins occasionnellementurant les douze derniers mois (de 1981)

contre 19 % de cadres moyens) ; on exprime ainsique le football occupe une place prééminente, parfois exclusive, dans la structure des sports pratiquésdans les classes populaires. De même, attacher lapratique du tennis aux classes supérieures est unemanière, nécessairement réductrice, d'indiquerd'une part que les membres de ce s classes ont le plusfort taux de pratique (25 % en font régulièrement),d'autre part que le tennis occupe une place centraleparmi les sports pratiqués (le football ne comptantalors (jue 6 % de pratiquants occasionnels). Onpourrait aussi montrer que les cadres moyens ne sedémarquent pas tant de s cadres supérieurs par uneintensité moindre de la pratique du tennis (avec23,5 % contre 25 % de joueurs occasionnels) que parle fait de s'y adonner sans exclusion des sports pluspopulaires comme le football (avec 19 % de pratiquants occasionnels). L'enjeu de la sociologie dessports n'est donc pas d'établir des relations directesentre les sports et les classes sociales mais deconstruire le jeu de correspondances entre d'unepart un ensemble structuré de sports et d'autre partl'espace des classes sociales, relations qui s'organisentn un système des spons en continuelle transfo

rmation et qui est au principe de la structureparticulière des pratiques sportives des membres desdifférentes classes sociales (3). A partir de l'exempledu tennis, nous montrerons dans une première partie omment cet ensemble complexe de relationsrend compte et de la position sociale d'un sport à unmoment donné et des transformations de ses modalités 'exécution au fur et à mesure qu'il est adoptépar des groupes sociaux nouveaux de pratiquants quiimportent dans le jeu des valeurs culturelles différentes de celles que mettent en oeuvre ceux qui lemonopolisaient antérieurement et/ou des schemescorporels acquis dans d'autres activités sportives.

2-C'est le pas que franchit trop aisément Paul Yonnet dans sonanalyse du jogging. Cf . P. Yonnet, Jeux, modes et masses, Paris,Gallimard, 1985, p. 109.3-P. Bourdieu, Programme pour une sociologie du sport, Chosesdites, Paris, Ed. de Minuit, 1987, pp . 203-216.

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4 Charles Suaud

Pratique occasionnelledu football, de la gymnastique,du tennis et de la natationdans quatre catégoriessocio-professionnelles(CSP individuelle) ■ football

M gymH tennis

H natation

ouvriers employés cadres cadres sup.moyens

Source-Leypratiques culturelles des Français, Paris, Dalloz, 1982.

Le caractère abstrait de cette construction nedoit pas faire oublier que, du point de vue des agents,la pratique d'un sport consiste en l'accomplissementde séries de gestes techniques, à la fois codifiés et efficaces. L'intérêt de la notion maussienne de techniqueu corps n'est pas d'aboutir à l'idée que le sportest un fait social total, comme on le trouve expriméen bon nombre d'analyses, par une sorte d'automatismentellectuel. Il serait plutôt de rappeler que l'usage du corps dans la pratique sportive répondnécessairement à une logiquepratique et qu'il engage

des schemes culturels et moraux profondément enfouis, clandestinement inculqués à travers des exigences apparemment purement techniques et desmanières d'être strictement corporelles. Ce qui estvrai de la politesse, conçue comme "mythologie politique réalisée, incorporée", devrait l'être a fortiori dela pratique sportive où tout ce qui est appris estmoins de l'ordre du savoir objectivable que de ce quicontribue à définir Yidentité profonde de l'individu4). L'opposition entre les sports, mais aussi entre les modalités de la pratique d'un même sport, secharge alors d'une multitude de significations propres à exprimer non seulement des distinctions entre groupes sociaux mais aussi des différences entre

les sexes et les âges, ainsi que tout le système de valeurs et d'attitudes qui leur sont socialement attachées. Dès lors la correspondance entre Yespace dessports et Yespace social ne se réduit pas aux relationsentre les sports et les seuls groupes sociaux. Ou, plusexactement, cette correspondance ne s'effectue pasindépendamment des enjeux de lutte entre les sexeset les générations, comme le révèle, dans une seconde partie, l'étude des choix et des transferts depratique qui s'opèrent entre le tennis, le squash et legolf. Cette enquête nous conduira à introduire dansle modèle théorique du système des sports un modede correspondance à plusieurs dimensions, de façon

à restituer les effets du jeu croisé de concurrenceentre les groupes sociaux, les sexes et les catégoriesd'âge.

4-P. Bourdieu, Le Sens pratique, Paris, Ed. de Minuit, 1980,p. 116-124.

L'espace structuré du tennisOn ne peut saisir la pratique du tennis dans sa diversitéu à la condition de l'appréhender dans son espace réel. A travers leurs équipements d'inégalequalité (terrains couverts ou non, fabriqués en matériaux différents, etc.), les clubs d'une ville ou d'unerégion donnée constituent un espace d'offre de tennis sur lequel chaque club occupe une position particulière et à l'intérieur duquel s'organise laconcurrence pour l'accès au jeu. Le choix de constituer'échantillon autour de quatre clubs d'une agglo

mération urbaine (Nantes) provient d'une volontéde respecter les réalités de club (avec leurs propriétése nombre, de structure, de fonctionnement,etc.) et les relations qui existent entre eux (5). Cettesélection exclut, de manière délibérée, de s modalitésde la pratique pourtant significatives (pratique "sauvage", hors club, ou encore en club d'entreprise),mais elle a le mérite d'éviter les risques d'atomisationd'un échantillon aléatoire, composé d'individus isolés, saisis indépendamment des effets de club danslequel ils évoluent concrètement.

Les positions des clubs dans l'espace local dutennis ne se laissent pas définir de maniere univoqueselon des critères aussi objectifs que le montant desdroits d'inscription ou la nature des équipements offerts. L'investissement économique requis - pratiquement identique au SNUC (Stade nantaisuniversité club) et à la Raquette d'argent - ne peutrendre compte du recrutement social bien différenciée ces deux clubs qui accueillent respectivement63,5 % et 43 % de joueurs appartenant aux classes

5-En construisant des échantillons plus contrastés sportivement(donc socialement) et plus éclatés géographiquement, on restitue ne image plus fidèle de l'étendue des modalités d'une pratique portive, mais on s'expose à juxtaposer des monographies de

clubs qui n'ont de relations que su r le papier. Dans l'étude queJean-Michel Faure consacre au tennis, l'analyse de quelquesclubs de la région parisienne restitue parfaitement ce qu'est unepratique centrée su r la compétition. La brève description qui estfaite du petit club d'Evron situé dans la Mayenne ne sert plus alorsqu'à rappeler qu'il existe, ailleurs, une autre manière déjouer autennis, cf. J.-M. Faure, Sport, cultures et classes sociales, thèse dedoctorat d'Etat, Nantes, juin 1987, pp. 762-831.

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Espace des sports, espace social et effets d'âge 5

supérieures. Il faut restituer tout le pouvoir distinc-tif de leur histoire pour comprendre qu'ils ne recrutent i la même proportion, ni les mêmes fractionsdes classes supérieures. Le SNUC doit à son anciennetécréé en 1903) d'accueillir des joueurs dotés desplus fortes marques de l'excellence sportive (22,5 %

de classés à 30/1 et plus contre 9 % à la Raquetted'argent, 6 % à la Gagnerie et 3 % à Carquefou), quiappartiennent depuis plus longtemps aux classes supérieures (60 % des joueurs du SNUC en sont issuscontre 38 % à la Raquette d'argent) et présententune structure par âge équilibrée : 42 % d'entre eux

Les principales caractéristiques des quatre clubs enquêtesAfin de rendre plus facile la comparaison, on a présenté sous la forme d'un tableau les caractéristiques les plus pertinentes concernant'histoire des clubs, les effectifs, les équipements et quelques règles de fonctionnement. Les indications portent sur la saison1984-1985 et ignorent les modifications - parfois importantes - survenues depuis, comme l'ouverture de courts couverts à la Gagnerie, des changements dans le mode de réservation des courts au SNUC et à Carquefou.

Construit à partir de la population des pratiquants âgés de 20 ans et plus en décembre 1984, l'échantillon (= 252) a été tiré selon des taux de sondage différents suivant les effectifs des clubs (1/5 au SNUC et à la Gagnerie, 1/4 à Carquefou et 1/3 à la Raquette d'argent), à partir des listes de joueurs établies par la Ligue de tennis des Pays de la Loire. La passation des questionnairess'est faite avec la participation d'un groupe d'étudiants du Département de sociologie de la Faculté des lettres de Nantes, dans lecadre d'un cours sur la méthodologie de l'enquête statistique.

Cette procédure appelle deux remarques. Les listes disponibles au moment de l'enquête, en décembre 1984, concernaientles joueurs recensés durant la saison précédente 1983-84 et ne dénombraient que les seuls licenciés, i.e. ceux que les dirigeants declub avaient déclarés au Comité départemental de Loire-Atlantique. Or le nombre de licenciés n'est qu'une approximation du nombre ée l de pratiquants ; selon une enquête nationale, on a pu estimer à environ 30 % la part des joueurs pratiquant dans des clubs

affiliés à la FFT et qui ne sont pas licenciés (1). Suivant les clubs enquêtes, le taux de couverture licenciés/pratiquants es t très variable, allant de 100 % à la Gagnerie à 50 % à la Raquette d'argent Un aussi faible pourcentage s'explique par le fait qu'à d'éventuelles non-déclarations s'ajoutent les joueurs qui accèdent aux équipements du club par l'intermédiaire d'un autre club (clubd'entreprise par exemple) dans lequel ils sont officiellement recensés.

Par rapport à la population des licenciés, l'échantillon obtenu connaît une légère sur-représentation des joueuses (38 %contre 35 %), sauf dans le club de la Gagnerie où elles ne représentent que 35 % des enquêtes contre 40 % dans la population réelle.Le contrôle croisé par le sexe et l'âge fait apparaître que les hommes de 40 ans et plus sont plus représentés dans l'échantillon, ainsi ue les femmes âgées de 30-39 ans. Les écarts enregistrés n'ont pas ustifié de redressement de l'échantillon.

1-B. Galienne, Ch. Guindon, Rapport concernant les besoins en équipements et le développement de la pratique du tennis dans les clubsaffiliés, FFT, Société centrale pour l'équipement du territoire, Paris, octobre 1980, pp. 26-27.

année decréationstatutjuridique

emplacementgéographique

effectifs : -en 1982

- évolution82/81équipements : nb courtsextérieurscouverts

autresinstallationsmode deréservationet cotisations

école de tenniscours indiv.collectifs(adultes)niveau de

compétitionle plus élevé

SNUC

1903association loi 1901affiliée à la Fédérationfrançaise de tennis (FFT)

au N.-O, de Nantes,en bordure extérieuredes «beaux quartiers»

jeunes : 381adultes : 499

- 5,3 %

15 (dont 11 enterre battue)6

bar, restaurant,vestiaires- carte annuelle pourutilisation des courtsextérieurs (de mai àoctobre), avec- réservation par tranchehoraire des courts couvert!du 1/10 au 3/3= 1 600 Fouientre 110 et 130 F l'heure400 F(forfait annuel)hommes :  3 e division

nationalefemmes :  1ère divisionnationale

Raquette d'argent

1978société commerciale,affiliée à la FFT

à 7 km de Nantes,en campagne

jeunes : 239adultes : 219

+ 15%

35 (moquette)

bar, restaurant,jeux, vestiairesréservation par tranchehoraire, à l'année

carte annuelle = 1 800 F

oui120 F l'heure450 F pour 10 heures

hommes :  excellence

régionalefemmes :  3 e divisionnationale

T. C. Carquefou

1976association loi 1901affiliée à la FFT età la Fédération desamicales laïques (FAL)près de nouveauxlotissements individuels,à Carquefou

jeunes : 189adultes: 312

+ 46,5 %

42 (moquette)

réservation à l'heure,par inscription su rtableau hebdomadairecarte annuelle = 1 80 F

oui130 F l'heure200 F(forfait annuel)hommes :  promotion

femmes : idemparticipation auxcompétitions organiséespar la FFT d'une part,l'Union française des

T. C. La Gagnerie

1972association loi 1901affiliée à la FFT

à la limite des communesde Nantes et St-Herblain

jeunes :  342adultes :  545

+ 2%

81 (réservé aux courset entraînements)club house

réservation par dépôtde carte su r place, uneheure avant de jouercarte annuelle = 220 F

oui120 F l'heure370 F(forfait annuel)hommes :  honneur,

régionalefemmes :  divisionsupérieure, régionale

oeuvres laïques d'éducationphysique (UFOLEP)d'autre part

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6 Charles Suaud

Tableau 1La représentation des classes supérieuresparmi les joueurs de tennisdes différents clubs x>

C vu-tí'enSä«*

§ 'S

Uenseignantscadres supérieursmédecinsingénieurspatrons, professions lib.totalparí £?eí classes sup.

1935,728,69,57,2

1005J,5%

7,135,710,721,425

10043%

33,338,911,18,38,3

10029%

on t 45 an s et plus contre 24,5 % ah Raquette d'argent et 18,5 % à Carquefou. Club sans passé, la Raquette d'argent reçoit en revanche un ensemble plus

hétérogène de pratiquants dont les origines plus populaires (près du tiers sont d'une famille d agriculteurs, d'ouvriers ou d'employés) attestent uneaccession récente aux classes supérieures.

Alors que les taux de cadres supérieurs nechangent pratiquement pas d'un club à l'autre (entre 36 et 39 %), le SNUC se caractérise par une forteproportion de médecins (28,6 %), la Raquette d'argent par une part plus importante d'ingénieurs(21,5 %), Carquefou et la Gagnerie par une sur-représentation des enseignants (33 %). Par un effetd'homologie, l'espace des clubs reproduit, dans sesoppositions internes, les différentes positions

existant dans l'espace des classes sociales locales.Cette correspondance recouvre d'autres oppositionsbeaucoup moins visibles et cependant susceptiblesd'avoir des effets importants sur la pratique sportive.Ainsi 73 % des pratiquants du SNUC ont un niveaud'études supérieures sanctionnées par un diplômeuniversitaire pour 45 % d'entre eux (contre 9 % quion t des diplômes de grande école et 12 % des dip lômes professionnels). A la Raquette d'argent, lesjoueurs on t par contre acquis un capital scolaire detype plus technique (58 % on t atteint un niveau supérieur dont 32 % sont diplômés d'une grande écoleou d'une école professionnelle et 21 % diplômés del'Université) qu'ils font plus souvent valoir dans lesecteur privé (pour 61,5 % d'entre eux contre 53 %au SNUC). Comme si les noms de clubs étaient des

emblèmes - le club universitaire contre la Raquette' rgent -, les publics de ce s deux clubs se constituent

tenoanciellement sur la base d'une culture et d'unemorale universitaires d'un côté, sur des savoirstechniques et un esprit d'entreprise de l'autre.

L'implantation géographique des clubs parle moins que l'inscriptione leur public dans l'espace de la ville. L'éloignement du clubde la Raquette d'argent résulte directement de l'état du marchéfoncier au moment de sa création (1978) mais ne constitue pas,à lu i seul, un indicateur pertinent du positionnement de ce clubdans l'espace sportif local. Il est en revanche plus pertinent de

comparer l'aire géographique de recrutement du SNUC et de laRaquette d'argent dont aucune réglementation explicite necontrôle l'entrée (à l'opposé des clubs municipaux comme la Gagnerie ou Carquefou qui limitent le droit d'inscription aux seulshabitants des communes de Saint-Herblain et Carquefou). Leclub de la Raquette d'argent se caractérise par un recrutementgéographique très éclaté, dispersé su r les communes périphériquesinsi que sur l'ensemble de la ville. A peine remarque-t-on

une légère concentration des oueurs habitant le centre-ouest deNantes où l'on trouve des populations à dominante classes supérieures et professions libérales, bénéficiant de "critères d'aisance"élevés (6). Il en va différemment du SNUC dont la majorité desmembres résident dans les quartiers ouest et centre-ouest de laville, et une observation plus détaillée montrerait que ce club nerecrute guère au-delà des secteurs où résident les fractions lesplus anciennes de la bourgeoisie nantaise (7). L'histoire duSNUC et son fort enracinement dans les quartiers résidentiels

chargent ce club d'une signification particulière qui en fait unsymbole et un lieu d'excellence à la fois sportive et sociale.

Les états successifs de la pratiqueA condition de mettre dans une perspective diachro-nique les caractéristiques objectives des clubs que lestableaux statistiques juxtaposent, on peut fait 1 hypothèse que les quelques clubs retenus représentent,synchroniquement, des états successifs de lapratiquedu tennis, oscillant entre le pôle où les conditions matérielles (à commencer par la nature du revêtementdes courts) et la composition sociale du public sontrestées proches de celles qui existaient lorsque lesclasses supérieures monopolisaient le tennis (représenté ci par le SNUC) et celui où la pratique s'est leplus ouverte à des catégories nouvelles de joueurs(pôle occupé par les clubs de Carquefou et de la Ga-gnerieV Si le SNUC reproduit au mieux les conditions primitives" du jeu de tennis, la Raquetted'argent est le lieu où s'effectue un élargissement dela pratique vers les fractions nouvelles de s classessu

périeures, Carquefou et la Gagnerie accueillant unpublic plus large, plus hétérogène et, comme on leverra, venu plus tardivement au tennis.L'accroissement du nombre des pratiquants detennis s'effectue suivant des mécanismes qui "protègent"relativement certains clubs en canalisant lespostulants les moins légitimes vers les lieux de pratique lu s récents et, de ce fait, moins prestigieux. Laposition unique du SNUC dans l'espace local (etmême régional) du tennis met ce club à distance desjoueurs qui ont découvert ce sport à un âge plusavancé, quand bien même ils appartiennent au xclasses supérieures. C'est par auto-élimination quela sélection s'opère principalement, sans que les dirigeants aient à mettre en oeuvre une politique par

ticulière pour maintenir le niveau sportif, mais aussisocial, du club. Comme le dit ce joueur occupant unposte de responsabilité : "II n'y a rien à faire pour sélectionner. Pour l'école de tennis, c'est pareil. On neva pas chercher les jeunes ce sont les bons élémentsqui viennent". Cette régulation du marché assure auSNUC une réelle continuité du recrutement, insuffisante toutefois pour prévenir toute tension interne.La forte reproduction des conditions antérieures de

6-D. Rappeti, Vote et société dans la région nantaise, étude de géographie électorale, 1945-1983, Paris, Editions du CNRS, 1985.1-Ibid. p. 32. Il s'agit des quartiers de Monselet, Guist'hau, Gras--

lin et des Folies Chaillou. Le caractère arbitraire des limites derecrutement géographique des joueurs du SNUC s'estompe lorsque l'on prend en considération l 'histoire des quartiers de Nantes.Il es t par exemple remarquable qu'aucun adhérent du SNUCn'habite le quartier Jean-Jaurès qui jouxte ceux qui ont été citésplus haut ; il s'agit là d'un quartier à habitat autrefois plus populaire où des affinités politiques à gauche, aujourd'hui disparues,se sont exprimées électoralement jusque vers les années 60.

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Espace de s sports, espace social et effets d'âge 7

la pratique suscite, de la part des derniers venus oude ceux qui occupent les positions les plus faibles, desattitudes de dénonciation envers ceux qui "occupentle terrain" depuis longtemps. On comprend ainsi queles femmes (qui ne représentent que 25 % du public)soient les plus promptes à critiquer Inorganisationvieillotte du SNUC qui ne correspond plus aux aspi

rat ions des joueurs actuels" et à stigmatiser le fait que"les joueurs classés refusent de jouer avec les non-classés" (femme de cadre supérieur, fille d'ingénieur,41 ans, non classée). On trouve le même écho chezcette autre femme de cadre supérieur, âgée de60 ans, arrivée en 1970 à Nantes : "En 1970, c'étaitun club où il y avait un accueil et où l'on pouvait arriver avec sa raquette et rencontrer de s partenaires.Maintenant, c'est fini. Si vous êtes classe, vous trouverez des partenaires mais pour une personnecomme moi qui joue correctement, mais sans plus,c'est impossible".

Tout autre est la situation du club de Carque-fou (créé en 1976) dont les effectifs sont passés de200 a 500 membres entre 1978 et 1981 et où lesconditions de fonctionnement sont idéales pour observer les luttes que les différentes catégories dejoueurs développent pour imposer le type de pratique e plus conforme à leurs intérêts. D'une part, lemonopole imposé par la municipalité (qui n'accordeses subventions qu à un seul club par discipline) ainsiue le cadre institutionnel du club (section d'uneAmicale laïque) donnent au moindre conflit interneune ampleur et une visibilité accrues. En pleine"guerre des écoles" - la manifestation pour la défense de T'école libre" eut lieu à Paris en juin1984 -, la revendication d'une "carte libre" afin de

contourner l'inscription à l'Amicale a immanquablementris un tour politique et cristallisé de s énergiesdéjà mobilisées sur ce terrain. D'autre part, l'absenced'ancienneté, l'hétérogénéité du public, le faible niveau de compétition ont fait que les enjeux sociauxengagés dans ce s oppositions sont apparus pour cequ ils étaient réellement, faute d'être retraduits enenjeux sportifs, les seuls susceptibles de produire leconsensus ("le sport avant tout ). Il est en effet frappant d'entendre ce dirigeant de la première heure(ingénieur dans la fonction publique, proche du Partiommuniste), incapable de raconter l'histoire duclub autrement qu'en termes politiques visant àcontester la gestion de s dirigeants, militants socialistes pour la plupart : "Je suis partisan de l'ouverturemaximum, tout en défendant no s idées politiques.Maintenant, je suis retiré du comité directeur, maisà une certaine époque, le club a été lié à des gens queje qualifierais de sectaires. J'ai dit cela en affirmantqu'il y avait une mainmise politique sur le club ; cequi n a pas plu et qui fait qu'on ne se voit plus".

Les tensions internes au club de Carquefou ont pu atteindre desseuils critiques. C'est l'un de ces moments qui a servi de déclencheur la rupture effectuée par le responsable qui vient d'être cité. "C'était au tournoi de fin de saison, l'an dernier. On a vouluéliminer du tournoi interne ceux qui étaient inscrits ailleurs et quiétaient d'un bon niveau. Je ne trouvais pas cela logique car 'le

sport avant tout'. Et puis le gars a fini par abandonner, tellementle public a été odieux . Il reste que seuls ceux qui ont participé activement à la mise en place du club font une lecture aussi "poli-tiste" des dissensions. Pour ceux qui en sont plus éloignés, le club

serait plutôt monopolisé par "une bande" ou encore "u n petitoyau" plus ou moins suspecté de servir ses propres intérêts ense mettant au service des autres. Comme le dit cette femme decadre supérieur " II y a un noyau de gens qui organisent des fêtes

et qui se retrouvent entre eux. Cela n'empêche que c'est unebonne bande... Les équipes de championnat - toujours le mêmenoyau - bénéficient de pas mal d'avantages. Ils ont les terrains réservés pour les matches et ils ont au moins deux heures d'entraînement dans la salle".

Une correspondance aussi forte entre l'espace desclubs et l'espace social ne peut s'effectuer que par le

jeu de médiations symboliques, et plus particulièrementes catégories de perception à l'aide desquellesles individus évaluent les clubs situés sur l'espace local du tennis et en fonction desquelles ils réalisentleurs choix.

Le sens du placement

Les membres du SNUC on t la tranquille assurancede ceux qui, sur la base d'une affinité entre le capitalsportif,

culturelet

social détenuet la

position occupée ar le club dans l'espace tennistique, décriventleur adhésion comme une démarche naturelle, qui vade soi. A la manière du secrétaire général qui, aprèsavoir stigmatisé les clubs municipaux (qui "coûtentbeaucoup d'argent à la municipalité pour rien dutout"), affirme que le SNUC est "le club de l'Ouest",les joueurs on t une vision du champ tennistique local qui fait que le problème du choix ne s'est pas vraiment posé à eux. En raison de la parfaite imbricationde l'excellence sportive et sociale, il leur suffit d'invoquer, de manière parfaitement autonomisée, lavaleur sportive du club pour exprimer en même tempstous les profits sociaux qu ils peuvent en atten

dre8). Les joueurs des clubs situés plus bas dansl'espace du tennis sont plus portés à décrire réalistement les raisons de leur inscription. Alors que lesmembres de la Gagnerie recourent spontanément àl'argument de nécessité ou, si l'on veut, de commodité,omme si l'espace du tennis se restreignait auxclubs les plus proches ("Je n'ai que la ru e à traverser",Je vois les terrains de ma fenêtre"), ceux de laRaquette d'argent font volontiers des comparaisonsentre clubs pour justifier pourquoi ils ne sont pas ailleurs. Le cas de cet ingénieur des Arts et métiers âgéde 60 ans et venu à Nantes en 1978, au moment dela création du club de la Raquette d'argent, est typi

que "Pourquoi le choix de la Raquette d'argent ? Jevoulais que mon fils apprenne et parce que c'était lapériode d'ouverture, j'avais reçu de la publicité... Jeme suis dit : 'Si je vais au SNUC, j'aurai du mal à êtreadmis'. C'est un sentiment que j'ai eu. Je ne l'ai pascontrôlé. Alors qu'à la Raquette, je me suis dit queje ne devrais pas avoir de problèmes et je n'en ai paseus. C'est intuitif ce que je dis". La distance entretenuevec le SNUC, fondee sur une appréciation subjective des caractéristiques sportives et sociales deses membres, rapproche ce joueur des autres clubsprivés, de création récente. La relation qui va s'établir vec l'un d'eux naît des aléas d'une diffusion pu-

8-Les oueurs du SN invoquent spontanément toute une série dejustifications de leur choix de club dans laquelle les critères sociaux et sportifs sont intimement mêlés. Par exemple, ce cadresupérieur venu au club dans les années 70 avance successivementle maintien d'un "style" et d'un "esprit" universitaires, le niveausportif du club et le fait de pouvoir y rencontrer des cadres.

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blicitaire et c'est sur la base de valeurs plus moralesque sportives que le rapport au club se renforcera, lafidélité proclamée venant occulter l'arbitraire dupremier contact : "Je me suis attaché à la Raquette.Mon fils l'a quitté. Moi, je n'admets pas cela. Aucontraire, quand les autres s'en vont, moi je reste".

La décision finale de choisir tel club répond nécessairement à unensemble complexe de critères parmi lesquels les conditions matérielles peuvent peser lourdement (effet de proximité, du tempsdisponible, etc.), et l'on conçoit aisément que pour un certainnombre de joueurs il n'y ai t pas adéquation entre la structure ducapital possédé et ce que le club peu t offrir. Les situations induitespar ces décalages font apparaître encore plus nettement la forcedes mécanismes qui président normalement aux orientationssportives. Fille d'industriel nantais ayant appris le tennis avec songrand-père et habitant provisoirement la commune de Carquefoun raison des activités professionnelles de son mari (directeurcommercial), cette femme de 40 ans a toutes les raisons de se dire"spectatrice dans le club de Carquefou : "Je suis à Carquefou depuis 11 ans mais e suis nantaise depuis des générations, mais plusdu côté centre-ville. Pour nous, Carquefou, c'est du provisoire :dans deux ans, nous serons à Nantes. C'est pour cela que je suisspectatrice... Je ne suis pas la norme ; j'ai un oeil critique et parfois méchant". La position de cette joueuse dans son club en faitune informatrice privilégiée dans la mesure où le rapport au tennis qu'elle importe de sa famille ainsi que la distance à la populationui l'entoure ("Je n'ai pas besoin des gens de Carquefou pourm'intégrer à quelque chose") l'amènent à avoir une perceptiontrès aiguisée d'elle-même, de son jeu (à a fois sportif et social) etde ce qu'elle appelle, non sans une pointe d'humour", "la faune deCarquefou".

Parce que l'histoire des clubs est un principe efficacede structuration de l'espace du tennis, les pratiquantssont capables d'interpréter spontanément les opposition synchroniques entre les clubs comme des étatsde la pratique renvoyant à des périodes plus ou moins

reculées et reflétant les étapes successives de laconcurrence entre les groupes sociaux pour l'accèsau tennis. Le joueur de la Raquette d'argent cité plushaut explique fort bien qu'il a d'emblée perçu leSNUC comme "un club fermé", demeuré proche decelui dans lequel il avait appris à jouer, dans l'immédiatprès-guerre : "J'ai eu l'impression que le SNUCétait comme le club dans lequel j'avais débuté, c'est-à-dire comme un club de notables. Comme je neconnaissais ni le SNUC, ni la Raquette d'argent etque celle-ci se créait, je me suis dit que ce serait different". C'est bien le même raisonnement que tientla joueuse de Carquefou qui, issue de la vieille bourgeoisie nantaise, sait qu'elle peut aller au SNUC,sûre d'y retrouver ses amies de jeunesse : "Le SNUC,c'est très nantais, très fermé. Je n'ai jamais joué auSNUC. Je sais que mon père y jouait ainsi qu'un demes frères. Quand j'avais 15 ou 16 ans, mes amies youaient. Je pense que si j'y retournais aujourd'hui,

je les retrouverais alors que je ne les ai pas vues depuis 15 ans". Club d'un groupe socialement et géo-graphiquement délimité, le SNUC est l'un de ceslieux ou les membres de la bourgeoisie nantaise gèrent la continuité de leurs relations et, ce faisant, assurent la solidité et la permanence de leur groupesocial.

Les initiés et les tard-venus

II est convenu de dire qu'au tennis, "le psychologique"u "le mental" jouent un rôle important. Onpeut alors penser que la manière de s'approprier les

savoir-faire qu i commande et le contenu de ce quel'on apprend et le rapport vécu à ce qui est acquis,contribuera à la formation de la compétence sportive. Sans nier que les qualités physiques nécessairesà l'acquisition d'un bon niveau de jeu puissent exister indépendamment des propriétés sociales, ilconvient de montrer que les dispositions à exploiterces potentialités physiques sont inégalement réparties ntre les classes sociales et que ce s différencesproviennent, pour une large part, des conditionsd'apprentissage (9). L'acquisition précoce et par familiarisation de la culture légitime confère une aisance qui, mêlée à un fort sentiment de certitude desoi, sera vécue tant par l'intéressé que par ses partenaires, comme la marque indubitable d'une compétence aturelle. De a même manière, l'acquisition dutennis par imprégnation - survenue en principe dansle cadre familial - est propre à donner au joueurcette assurance et cette maîtrise de so i qui "impressionneront" les adversaires et lui permettront d'investir dans sa stratégie sportive des acquis culturels,

importés de son expérience du jeu social.Les modalités d'accès au tennis changent demanière significative suivant les clubs. Les joueursdu SNUC et de la Raquette d'argent sont venus lesplus jeunes : 38 % et 31 % d'entre eux ont commencépratiquer avant l'âge de 15 ans contre 15 % àCarquefou et la Gagnerie. Les deux autres clubs re

cru ten t les tard-venus : 45 % des joueurs de Carquefount touché leur première raquette après 30 an set 26 % de ceux de la Gagnerie l'ont fait entre 30 et40 ans. Conformément à ce qui se passe en matièrede transmission culturelle, les modalités d'acquisitiones bases du tennis s'inversent suivant les âgesauxquels on débute

:42,5 % des joueurs du

SNUCon t appris "en famille" (contre 35 % "avec des amis").Pour eux, l'acquisition de ce s savoir-faire ne se distingue pas de tout ce que la famille leur a transmisinsensiblement, invisiblement, et ils sont plus nombreux à déclarer ne les avoir "jamais appris" (pour21 % d'entre eux contre 14,5 % à Carquefou et6,5 % à la Gagnerie). Pour les joueurs de ce s deuxderniers clubs, l'apprentissage effectué le plus souvent en dehors de la famille ne peut plus être dissimulé de la sorte. Cinq fois sur six, les cours qu'ils on tsuivis sont des cours collectifs qui évoquent spontanément la situation d'apprentissage scolaire, explicite t progressif (10). Par les qualités d'assiduité et

de sérieux exigées, par la nature des exercicesconsistant en un travail de correction des "mauvais

9-Les analyses qu i suivent montrent que l'on peut tout à faittransposer à la pratique du tennis les analyses que Pierre Bour-dieu développe à propos des relations entre les manières d'acquérira culture et les rapports entretenus à celle-ci :"L'apprentissage total, précoce et insensible, effectué dès la.prime enfance au sein de la famille et prolongé par un apprentissagecolaire qui le présuppose et l'accomplit, se distingue de l'appren tis s age tardif, méthodique et accéléré, no n pas tant, commele veut l'idéologie du 'vernis' culturel, par la profondeur et la du-rabilité de ses effets, que pa r la modalité du rapport à la langueet à la culture qu'il tend à inculquer de surcroît. Il confère la cer

titude de soi, corrélative de la certitude de détenir la légitimitéculturelle et l'aisance, à laquelle on identifie l'excellence ; il produit ce rapport paradoxal fait d'assurance dans l'ignorance (relative) et de désinvolture dans la familiarité que les bourgeois devieille souche entretiennent avec la culture, sorte de bien de famille dont ils se sentent les héritiers légitimes", La Distinction, critique sociale du jugement, Paris, Editions de Minuit, 1979,pp. 70-71.

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Espace des sports, espace social et effets d'âge 9

gestes" exécutés en présence d'autrui, les cours collectifs donnent une visibilité maximale aux actes detransmission des savoirs tennistiques et leur confèreune signification morale. On peut penser que cesdeux modes d'accès au tennis sont au principe deschemes de représentation et d'action aussi opposésque ceux qui sont mis en oeuvre, dans le domaine de spratiques artistiques ou linguistiques, par les déten

teursde la "culture authentique" d'une part, les produits de la culture scolaire de l'autre.

Les rapports différenciés au tennis

L'assiduité de la pratique pourrait être prise commeindicateur du rapport entretenu au tennis si elle n'avait avec le club d'inscription une relation ambivalente. strictement parler, ce n'est pasparce que l'ons'inscrit au SNUC que l'on a une pratique plus sou

tenue (11) ; la question est plutôt de savoir qui valorise a continuité et l'intensité de la pratique au pointd'investir en temps et en argent dans des clubs quioffrent les conditions d'une forte régularité. Pourde s raisons d'équipements, le fait de s'inscrire uniquement à la Gagnerie diminuait (au moment de1 enquête) les chances de jouer avec assiduité et cechoix exprime un rapport distant au tennis de la partd'individus qui, en se soumettant aux aléas climati-cjues, se savent à l'avance condamnés à de fréquentesinterruptions. Il semble donc plus adéquat de prendre n compte de s aspects de la pratique qui ne sontpas directement liés aux conditions matériellesd'exercice et à travers lesquels on peut discerner l'action à peu près univoque des dispositions envers letennis.

Cet enseignant de 45 ans, membre du club de la Gagnerie, illustreparfaitement le fait que le rapport au tennis commande lechoix du club et, partant, l ' intensité de la pratique. C'est en tantque voisin ("Je vois les courts de ma fenêtre") qui "n'a guère detemps libre et qui n'est pas "mordu au point d avoir une heureixe" qu'il s'est inscrit à la Gagnerie où il joue de manière épiso-

dique avec un collègue. Il a pa r contre tenu à inscrire l'un de sesfils au SNUC dont il apprécie l'atmosphère (il dit s'y "sentir àl'aise") afin que celui-ci acquière une solide formation de base.Cet exemple suggère qu'une étude exhaustive de la diffusion dutennis devrait prendre en compte l'ensemble de la population parents-enfants. Ce qui était encore impossible en 1984 pour des

parents de classes moyennes devient immédiatement réalisablepour leurs enfants.

Les réponses à la question de savoir comment lesjoueurs préparent mentalement leur prochaine partie 12), permettent de distinguer trois types de rap

port au tennis qu i ne sont pas sans relation avec lesmodes d'accès décrits plus haut. Les joueurs de la RA

10-48 % des joueurs de la Gagnerie on t suivi des cours collectifs(contre 11 % des cours particuliers) tandis que 30 % et 23 % desmembres du SNUC et de la Raquette d'argent ont suivi des coursparticuliers (contre respectivement 16,7 % et 18,5 % des courscollectifs).11-Les joueurs du SNUC disent avoir le temps de pratique hebdomadaire le plus long : 36 % jouent trois heures et plus par semaine contre 23 % à la Raquette d'argent, 21 % à Carquefou et13 % à la Gagnerie. La part de ceux qu i jouent irrégulièrement(une fois par mois ou moins) es t respectivement de 12 , 9, 13 et32,5 %.

font preuve d'un remarquable esprit de sérieux : prèsdu tiers d'entre eux disent "toujours penser à l'avance" au "combat" suivant. Ils agissent ainsi à la manière de ceux qui, sans le support d'un fort capitalinitial, ne peuvent maintenir un rang, social ou sportif,u'au prix d'une sollicitation de toutes leurs ressources individuelles. L'attitude des pratiquants duSNUC est plus diversifiée. S'ils savent se mobiliserréellement "quand il y a un enjeu" (pour un tiers d'entreux), dans un cas sur deux ils se présentent sur leterrain sans préparation particulière. En se dispensante tout travail symbolique explicite qui les met àl'abri du danger de "trop penser sur le court", ils sedonnent les moyens de gagner quelques précieux"points psychologiques". Avec les club de Carquefouet surtout de la Gagnerie, les attitudes se transformentu point que les réponses au x mêmes modalitésu questionnaire viennent à changer de sens. Les63 % de joueurs de la Gagnerie qui déclarent ne jamais se mobiliser mentalement à l'avance, affichentun réel détachement par rapport au jeu. Le tennis

devient une détente a laquelle ils n attachent pasd'enjeu particulier et dont l'issue sportive (le score)n'est pas censée les atteindre dans leur identité.

Le degré d'ancienneté et les modalités d'acquisition du tennis organisent la pratique jusque dans les profits que les joueurs en attendent. L'analyse des réponses de premier rang exprimant ce qui"attire le plus dans le jeu" (13) fait apparaître une opposition entre les joueurs du SNUC et de la Raquette d'argent d'un côté,

qui voient d'abord le tennis comme un moyen de "se tenir enorme" (avec 26 et 23 % des réponses), de Carquefou et de la Gagnerie de l'autre qui se disent plus attachés à l'aspect "détente"(pour 35,5 et 37 % d'entre eux contre 27 et 29 % au SNUC et àla Raquette d'argent). Les réponses cumulées permettent de distinguer avec plus de précisions les profits physiques et symboli

quesifférents que les joueurs du SNUC et de la Raquetted'argent tirent du tennis. Trois oppositions, d'importance croissante, sont à signaler : 1) Les joueurs du SNUC déclarent aimer"se défouler" (comme expression de soi sans retenue mais néanmoins légitime, avec 44 % des réponses contre 37 %) quand ceuxde la Raquette d'argent sont plus attirés par la détente (dans43 % des cas contre 39 % au SNUC). 2) Les pratiquants de laRaquette d'argent apprécient que le tennis permette de faire untravail incessant de "perfectionnement" (20 % contre 9 % auSNUC) tandis que, libérés de ce rapport volontariste à la technique,es joueur du SNUC insistent davantage su r la maîtrise et lecontrôle de so i (21 % contre 17 % à la Raquette d'argent), et3) les membres de la Raquette d'argent adhèrent plus fortementaux attentes hygiénistes (49 % pratiquent le tennis pour "se maintenir en forme" contre 39 % au SNUC) alors que ceux du SNUCmarquent une plus complète incorporation de la pratique en l'intégrant à leur propre devenir : pour 25 % d'entre eux, contre12 % à la Raquette d'argent, le tennis attire comme un sport quel'"on peut pratiquer longtemps". On remarquera qu'au momentoù la pratique sportive, surtout en sa forme individuelle (14),s'accroît dans la population française, le tennis contribue à cette

12-Les enquêtes étaient invités à répondre à la question suivante : "Vous arrive-t-il de penser à l'avance à la partie de tennisque vous devez faire ? - Jamais - Quand il y a un enjeu - Toujours, quelle que soit la partie".13-A la question de savoir "c e qui les attire le plus dans le tennis",les enquêtes pouvaient donner plusieurs réponses ordonnéesparmi les suivantes : "Un jeu qui détend - Où l'on peut se défouler- ui maintient en forme - Qu'on peut pratiquer longtemps -Qui apprend à se contrôler - Qui développe l'esprit de

compétition - Où l'on n'en a jamais fini de se perfectionner techniquement".14-Entre 1973 et 1981, la part des Français de plus de 15 ans quis'adonnent régulièrement à un sport individuel es t passée de 9 %à 12,9 % tandis que la part de ceux qui pratiquent régulièrementun sport collectif a seulement augmenté de +1 % (de 6,7 à7, 5 %>), cf. Les pratiques culturelles des Français, op . cit.

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augmentation d'une double manière : par l'accroissement dunombre des pratiquants et l'allongement de la durée de la pratique.

Des rapports au tennis aussi différenciés ne respectentas de manière stricte les frontières des clubs.S'il est possible de construire une esquisse de type-idéal du joueur de chaque club, il existe des disparitésnternes dont les pratiquants ont eux-mêmesconscience. Spontanément, la joueuse de Carque-fou, fille d'industriel nantais, associe sa position mar-Í'inale dans le club à une manière différente de "vivree tennis", qu'elle sait devoir à ses origines : "Les gensde 30-40 ans ont eu le temps pour s'initier au tenniset ils se sont imposés... Je me mets un peu en dehorsde ça. Je me sens très différente d'eux. Le tennis, jel'ai toujours connu. Mes grands-parents avaient chacun un terrain de tennis et c'est eux qui les avaientconstruits. Ils étaient de classe complètement supérieure, des enfants d'industriels locaux. J'ai apprisavec mon grand-père, pas avec mon père. Le tennis

pour moi, c'est comme certains jouent au football.C'est comme on apprend à lire et à écrire. Moi, jen'avais jamais appris". De la même manière, elle esten mesure de rapporter les types et les styles dejoueuses rencontrées dans son club à des histoires sociales (15) : "Les jeunes femmes de 20-23 ans sontbeaucoup plus agréables que celles qui on t commencéard et qui mettent tout leur amour-propre là-dedans. Ce n est pas aussi fondamental que pour cellesqui on t démarré tard et qui y mettent tout parce quec'est un facteur de réussite. Plus l'origine sociale estmodeste, plus les gens on t envie de se démarquer, dese mettre en valeur. Pour quelqu'un qui a apprisjeune, il n'y a pas ce phénomène. Cela ne correspondpas à une espèce d'ascension sociale". Aussi l'histoirede cette joueuse mérite-t-elle d'être complétée parun point qui dépasse l'anecdote et montre ce que lacompétence technique doit au rapport socialementproduit, entretenu à la pratique. Il est vrai qu'un rapport socialement dominé à un sport peut toujours aller de pair avec la possession de grandes qualitésphysiques et une haute maîtrise technique. Mais detels décalages ne signifient pas indépendance dutechnique par rapport au social et l'autonomisationtotale des "contraintes ludo-motrices", pour parlercomme Pierre Parlebas (16), conduit à ignorer quec'est sur la base du rapport social au jeu que se déve

loppent des stratégies particulières pour tenter deréduire d'éventuelles faiblesses techniques. Ainsi,c'est à la suite d'une série de défaites contre de s partenaires (tard-venues) de son club que cette joueuse,sentant que "son orgueil était en jeu", s'est inscritepour la première fois à des cours particuliers, en vued'améliorer les coups déficients qu'elle n'avait jamaisappris rationnellement. En réalité, il existe des rela-

15-Une vision du monde social et sportif peut être ajustée sansêtre juste, au sens de scientifiquement exacte. C'est le cas de cettefemme qui décrit avec tellement de précision les comportementsdes joueuses de son club pour les inscrire, aussitôt, au compte dela nature humaine : "A Carquefou, ce sont des gens dont vraisemblab lement les parents n'ont pas fait d'études et qui ont atteintun niveau de vi e honorable et qui ont envie de profiter de tousles avantages de la condition humaine, ce qui es t bien naturel ethumain".16-P. Parlebas, Eléments de sociologie du sport, Paris, PUF,1986.

tions de dépendance réciproque entre le rapport socialement conditionné au tennis et la maîtrisetechnique, de sorte qu'il faut faire entrer le premierdans la définition exhaustive de la seconde. Non seulement une incorporation plus précoce et informelledu tennis a toutes les chances de conduire à une maîtrise technique plus solide ; elle peut être aussi à l'origine de stratégies de subversion ou de dépassementdes normes techniques établies à un moment donné,consistant par exemple à inverser symboliquement lavaleur de l'efficacité technique (c'est l'éternelle querelle du primat de la manière sur le résultat) ou encore à rechercher des techniques nouvelles plusperformantes (comme l'invention du lift par exemple).

Un jeu à armes égales ?Les armes dont disposent les joueurs de tennis sontde deux sortes. Les expériences antérieures, les savoir-faire ainsi que les schemes sensitifs et moteursdéjà acquis forment un capital sportif, variable d'unindividu à l'autre et susceptible d'être investi avecdes profits inégaux dans la pratique du tennis suivantles sports autrefois pratiqués. Pour ce joueur duSNUC (40 ans, cadre supérieur), la venue au tennisdans les années 70 s'inscrit, comme une "conversionnaturelle", dans le prolongement d'une carrière debasketteur de haut niveau (compétition en Nationale e division) ; sans suivre de cours, il obtient endeux années son premier classement (aujourd'huiclassé 30). Selon sa propre expression, on peut dire

que ce joueur a "reconverti" dans le tennis un capitalsportif antérieurement accumulé à un niveau élevéde compétition. Ce constat semble pouvoir être généralisé dans la mesure où le volume et la structuredu capital sportif importé par les joueurs au début dela pratique hiérarchisent efficacement les clubs. AuSNUC où l'âge d'accès est le plus bas, les pratiquesantérieures sont les plus nombreuses, les plus diversifiées (47 % ont pratiqué au moins trois activitéssportives différentes et 33 % ont allié sports individuels et collectifs contre respectivement 30 % et17 % à la Raquette d'argent) et les plus continues :40 % des joueurs s'adonnaient encore à l'un de cessports au moment de la découverte du tennis. Outrele fait d'avoir un corps continuellement entraîné etsoumis à l'exercice physique, ces joueurs on t acquisdes dispositions kinesthésiques et psycho-motricesqui, par transposition, viendront enrichir la pratique.

Le capital de pratiques sportives antérieures déclarées par les enquêtes varie suivant les clubs. Bien qu'ayant en commun un fa ible passé sportif, les joueurs de la Raquette d'argent et de laGagnerie se distinguent en ce que les premiers on t davantage pratiqué de sports individuels (32 % contre 26 % à la Gagnerie) tandis que les seconds ont interrompu momentanément toutepratique sportive dans une proportion plus importante (dans41 % des cas contre 28 % à la Raquette d'argent). Il conviendraitcependant de savoir ce que ces histoires sportives doivent au tra

vail de reconstruction du passé sportif que les pratiquants sontamenés à effectuer, au prix de multiples sélections, en fonctionde leur trajectoire sociale et des déplacements réalisés dans l'espace des sports. Lorsque, pa r exemple, les joueurs de Carquefouet de la Raquette d'argent qui appartiennent aux classes supérieures manifestent le même rejet du football (avec seulement6 % et 8 % des réponses) et la même prédilection pour les sportsindividuels (dans 45 % et 48 % des cas), on peut penser qu'il s'a-

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git là d'une cécité sélective envers tout ce qui rappelle une originesociale populaire, tant ce comportement tranche avec l'attitudedes pratiquants du SNUC appartenant aux mêmes classes (supérieures), qui n'hésitent pas à déclarer avoir joué autrefois au football (pour 31 % d'entre eux), sans que cela leur apparaissecomme une infamie.

Le tennis est d'autre part un sport instrumenté. L'in

vestissement technique, estimé au prix de la raquette, est proportionnel au volume du capitaléconomique possédé. Les joueurs du SNUC et de laRaquette d'argent ont acheté des raquettes de mêmevaleur, d'un prix allant de 500 à 60 0 F (en 1984V tandis que ceux de Carquefou et la Gagnerie déclarentdes sommes nettement inférieures, comprises entre400 et 600 F (17). Mais le rendement de là raquettene se mesure pas à la seule valeur monétaire. A prixégal, il existe sur le marché une gamme assez larged'instruments aux caractéristiques suffisamment diversifiées pour que la recherche d'une meilleureadaptation de l'outil au x possibilités physiques et tac

tiques de chacun puisse s'effectuer. Aussi le choixpertinent en la matière est-il subordonné non seulement aux disponibilités financières, mais aussi à lamise en oeuvre de catégories d'auto-analyse (de soncorps, de son jeu, etc.) et de dispositions à valoriserla recherche du perfectionnement technique (18).Ce sont par exemple les joueurs de la Raquette d'argent qu i achètent le plus souvent leur raquette aprèsen avoir testé plusieurs (pour 55 % d'entre euxcontre 46,5 % au SNUC, 36 % et 34 % à Carquefouet la Gagnerie) et si, quel que soit le club, environ untiers de s pratiquants sont dans l'impossibilité ous'abstiennent de définir les caractéristiques de leurraquette, la richesse et la précision de s qualités mentionnées s'élèvent quand on monte dans la hiérarchiedes clubs. Quand les joueurs de Carquefou secontentent de signaler la "légèreté" de la raquette,ceux de la Gagnerie donnent des informations unpeu plus riches (telles que la "souplesse du cadre" ou"la légèreté en tête") et c'est à la Raquette d'argentet surtout au SNUC que l'on trouve l'éventail desqualités le plus large avec, en particulier, trois foisplus de mentions portant sur "le confort", "l'équilibre"u "la bonne touche de balle" (dans 17 % des cascontre 6 % à Carquefou et à la Gagnerie). Commeon le voit, la compétence tennistique présuppose -dans ce qu'elle a de plus technique - des dispositions

socialement organisées portant à l'analyse de so i et

17-Comme chaque fois que l'on a affaire à des consommationsengageant du capital économique et à travers lesquelles une compétence technique est affirmée, les joueurs de la Gagnerie se démarquent par un moindre investissement (32,6 % d'entre euxdisent avoir acheté une raquette de moins de 400 F contre 22 %à Carquefou).18-Transposant les analyses développées par Ernst Cassirerconcernant le rapport de l'homme à l'outil, on peut penser quel ' instrument technique participe d'un processus à la fois d'expressiont de construction d'une connaissance de soi, autre dimensionu capital sportif incorporé. En effet, du point de vue de laphilosophie des formes symboliques qu i "fait porter l'interrogationur l'ensemble des fonctions d'expression de l 'esprit", l'outiln'est pas un simple instrument visant à asservir techniquementun monde extérieur préexistant. Il est aussi une médiation à travers laquelle l'homme, tout en "construisant une image de cemonde extérieur", progresse dans "la constitution de laconscience qu'il a de lui-même", cf. E. Cassirer, La philosophiedes formes symboliques, Paris, Editions de Minuit, 1972, t. 2,pp . 252-256.

permettant de surcroît le décryptage de situations dejeu nécessaire à la mise en oeuvre de tactiques appropriées.

Le questionnaire n'est sûrement pas le meilleur instrument d'analyse de la pratique tennistiquequi, accaparant toute l'attention, ne favorise guère1 auto-observation. De plus, l'imposition de modèles

de jeu - au double sens de manières légitimes dejouer et de personnalisation de ces normes à traversles champions - diffusés par la télévision et la presse,tend à organiser les images que les pratiquants on td'eux-mêmes et, partant, les réponses que ces derniers estiment devoir donner. Dans ce s conditions, laquestion posée aux enquêtes de savoir quel est leurtype de jeu habituel (de fond de court, de service/volée,tc.) permet au moins d'étudier le rapport qu'ilsentretiennent à ces modèles. C'est ainsi que la partde ceux qui disent ne pas savoir développer un modede jeu particulier s'élève régulièrement quand onpasse du SNUC et à la Raquette d'argent (17 %), à

Carquefou (29 %)et enfin à la

Gagnerie (35 %\Avec les mêmes précautions, on peut interpréter latactique que les joueurs disent adopter "lorsqu'ilssont en difficulté1 au cours d'une partie. Tandis queles joueurs de la Gagnerie sont plus portés à "ralentire jeu" ou, plus simplement, à "laisser filer la partie", une différence significative sépare ceux duSNUC et de la Raquette d'argent : 32 % des premiers disent que, dans cette situation, ils "changent"ou "adaptent" leur jeu en fonction de leur adversaire(contre 18,5 % à la Raquette d'argent), alors que29 % des joueurs de la Raquette d'argent affirmentqu'ils essaient de "casser le jeu" de l'autre (contre20 % au SNUC). "Changer de jeu" en fonction du

comportement de l'adversaire présuppose que l'onait à sa disposition une panoplie d'armes techniquessubstituables, mais aussi que l'on soit apte à analyserle jeu de l'autre et à se mettre à distance de so i afinde modifier rationnellement sa tactique : autant decomportements que l'on est amené à adopter fréquemment dans la vie quotidienne et qui, on le saitpar ailleurs, sont constitutifs de Inexperience bourgeoise du monde" £19). En revanche, ne faut-il pasvoir dans la volonté de "casser le ieu", très présentechez les joueurs de la Raquette d argent, une disposition fondamentale de l'habitus du groupe socialdominant dans ce club, composé d'individus moinsportés à euphémiser la violence contenue dans la relation avec l'adversaire et plus enclins à l'exprimerdans le langage d'un rapport de force quasiment mécanique ?

La lutte des classements

En dehors du travail bureaucratique de classementdes joueurs par catégories de qualification sportivequi ne concerne qu'une faible proportion de pratiquants (20), chaque joueur, du débutant au champion, dispose de critères implicites à l'aide desquels

19-Cf. P. Bourdieu, La Distinction, op . cit., p. 57.20-En 1982, les joueurs classés représentent 7, 3 % du nombredes licenciés recensés par la Ligue de tennis des Pays de Loire,contre 7,2 % su r le plan national.

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12 Charles Suaud

il classe les autres et se classe parmi eux. Actes strictement individuels et purement subjectifs en apparence, les évaluations que les joueurs des différentsclubs portent sur eux-mêmes ne sont pas strictementà la mesure du capital sportif importé et du temps depratique effectué (21). C'est au SNUC, où l'on commence à jouer jeune sur la base d'une forte expérience sportive antérieure et où l'on trouve le plusfort taux de joueurs classés (20 %), que les pratiquants se disent les plus "expérimentés" et les plusconfirmés" (pour 26 % et 15 % d'entre eux) ; mais

les écarts avec les autres clubs ne s'enchaînent passelon une logique purement sportive. A la Raquetted'argent, on a de s taux de joueurs "expérimentés" etconfirmés" inférieurs (de 15 % et 3 %) qui s'expl

iquent par une venue au tennis un peu plus tardivemais qui demeurent importants au regard du faiblevolume de s expériences sportives passées. De même,comparativement à ceux de la Gagnerie, les pratiquants de Carquefou s'accordent une compétencerelativement forte (35 % pensent "avoir les bases" et

42 % un "début de maîtrise" contre 43 % et 30 % àla Gagnerie), malgré leur accès au jeu à un âge plusavancé. Tout se passe comme si les jugements portéspar les joueurs sur eux-mêmes s'organisaient selon ledouble principe de structuration que sont d'une partla trajectoire sportive et sociale individuelle, et d'autre ar t la position des clubs dans l'espace du tennis.Le club agit comme un cadre collectif de perceptiontennistique à l'intérieur duquel chaque pratiquant,indépendamment de ses qualités personnelles, reçoitle bénéfice d'une plus-value ou subit le handicapd'une dévaluation symbolique. Ainsi, tous les joueursdu SNUC participent à ce capital commun attachéau club qui leur confère un surcroît

decompétence

;ceux de la Raquette d'argent, et dans une moindremesure de Carquefou, participent de cette force deprétention provenant de la conjonction de trajectoires sociales ascendantes tandis que les pratiquantsde la Gagnerie affichent la modestie plus distante deceux "qui n'ont pas tout investi dans le tennis".

La sélection effectuée à l'entrée des clubs suivant la position occupée dans l'espace du tennis commande la manière qu'ont lesjoueurs des différentes classes sociales d'apprécier leur niveau decompétence. L'homogénéité du recrutement et la force de la sélection font que tous les joueurs du SNUC, quelle que soit l'origine sociale, s'arrogent une forte compétence (avec 42,5 %'"expérimentés" ou "confirmés"), ceux des classes moyennes

étant cependant plus portés à dire qu'ils n'ont que "les bases dueu" (pour 35,5 % d'entre eux contre 19 % des pratiquants desclasses supérieures). A la Raquette d'argent, l'éventail des appréciations es t tiré vers le bas et les écarts entre les classes socialesaugmentent : 60 % des cadres supérieurs disent avoir "u n débutde maîtrise" du jeu (contre 33 % des cadres moyens) et 42 % descadres moyens "les bases" seulement (contre 23 % des cadres supérieurs). La moindre sélection à l'entrée du club de Carquefouse traduit par des écarts plus importants entre les classesmoyennes et supérieures tandis qu'à la Gagnerie, le jeu des réponses s'inverse. Dans ce club, les joueurs des classes moyenness'accordent le niveau de compétence technique le plus élevé :41 % d'entre eux déclarent avoir atteint un "début de maîtrise"contre 18 % des joueurs des classes supérieures dont 59 % reconnaissent n'avoir que "les bases du jeu".

En principe, les orientations se font de telle sorteque, du point de vue des agents, le rapport au tenniset au club se confond parfaitement dans une expérience heureuse du jeu. C'est dans les situationsde décalage entre le capital à faire valoir et l'espacesportif sur lequel on le met en pratique que naît le

sentiment de "ne pas être à sa place". Tel est du moinsle cas de la joueuse de Carquefou que ni le rapportau tennis, ni le réseau de relations sociales ne lientau x autres membres du club : "Le tennis m'intéresseparce que c'est un jeu fantastique, mais le club nem'intéressepas !". Et l'on comprend encore mieux cedistingo lorsqu'elle évoque ce qu'est, pour elle, "unvrai club", lieu où "en plus et en dehors du tennis, onpeut rencontrer des gens passionnants". D'une manière générale, le désajustement entre le capitalsportif et social possédé d'une part, la position duclub dans l'espace du tennis d'autre part s'avéreraitsûrement d'une grande utilité pour rendre comptedes changements de club, voire des ruptures totalesde pratique.

Les rencontres

Suivant la signification que l'on accorde au mot "rencontre" - pris au sens de compétition sportive ou derelation inter-individuelle -, le choix des partenairesainsi que les échanges entre joueurs peuvent s'analyser du double point de vue sportif et social. Legroupe des partenaires est ce par quoi la compétencetechnique est pratiquement sollicitée au point quecertains joueurs en viennent à changer de club (ou àenvisager de le faire) afin de se trouver des adversaires "à la hauteur" ("Si je suis tenté d'aller dans unautre club, c'est pour une question de niveau. L'andernier, on était deux dans le club de mon niveau",joueur de Carquefou, classé 15/5). Avoirun nombreimportant de partenaires accroît les chances d'êtreconfronté à de s adversaires de niveaux différents sachant recourir à des tactiques variées ; cela met aussi n situation de décoder le jeu d'adversairesinconnus et de s'y adapter dans les limites de ses possibilités. Mais le partenaire est aussi une relation etleur nombre donne une indication du rôle du tennisdans la constitution ou l'extension du capital social.C'est au SNUC qu'on trouve la part la plus importantede joueurs qui ont au moins trois partenairesréguliers différents (dans 51 % des cas), contre 41 %à la Gagnerie, 34 % h Carquefou et 28 % à la Raquette d'argent (22). Il en va de même pour la structure u réseau de partenaires. Limiter celui-ci à son

conjoint ou à un enfant peut être un choix doublementégatif : sportivement, le pratiquant est rivé aujeu d'une seule personne qui, le plus souvent venueau tennis en même temps, est au mieux de même niveau technique que lui ; socialement, cela l'enfermedans le cercle familial. La pratique revêt alors des si g n i fi c a t i on s très différentes entre les clubs selon quele tissu des partenaires se trame autour de s amis, collègues et relations d'un côté, de s parents de l'autre.Si le SNUC est le club où l'on vient le plus au tennis

21-Les enquêtes avaient à répondre à la question suivante "Diriez -vous que vous êtes actuellement un joueur ou une joueuse :- débutant(e) - ayant acquis les bases du tennis - commençant àbien maîtriser le jeu - expérimenté(e) - confirmé(e)".22-Le réseau de partenaires peut être interprété comme un réseau de sociabilité quand on sait que 71 % des pratiquants duSNUC disent s'être fait "des amis nouveaux" pa r le club contre59 % à la Raquette d'argent, 55 % à Carquefou et 50 % à la Gagnerie.

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Espace des sports, espace social et effets d'âge 13

par la famille d'origine, c'est celui où l'on joue d'abord entre amis et relations : 13,5 % jouent avec unseul partenaire "ami" et 44 % avec plusieurs partenaires de ce type ; la pratique du tennis - familiale-ment héritée - devient une manière de gérer unréseau autonome et personnalisé de relations. A laRaquette d'argent et à Carquefou, les partenaires

sont à la fois des amis et des parents tandis qu'à laGagnerie, une pratique assez fréquente avec desamis coexiste avec le plus fort enfermement dans lecercle de la parenté (dans 41 % de s cas contre 32 %à Carquefou et 24 % au SNUC).

La double réalité, sociale et sportive, du réseau de partenaires explique, sans réductionnisme abusif, la forte corrélation entre lastructure du réseau de partenaires et la compétence sportive queles joueurs s'attribuent. Tous clubs confondus, on observe qu'aufur et à mesure que le nombre de partenaires s'élève, les pratiquants sont de plus en plus nombreux à recourir à une techniquede jeu particulière : 12 % "laissent faire" quand ils sont en difficulté parmi ceux qui ont un seul partenaire contre 2 % parmi ceuxqui en citent plus de quatre. Si on les compare à ceux qui n'ont

que des parents comme partenaires, les pratiquants qui ne jouentqu'avec des amis et des relations "laissent moins filer" la partiequand ils sont dominés (5 % contre 25 %), "changent leur jeu"davantage (24,5 % contre 14 %) et sont plus à même d'adopterdes stratégies qui allient la prise de risque et l'exploitation d'uncertain bagage technique (16 % contre 3, 5 % "jouent plus vite").

Les femmes en-jeuL'élargissement de la base sociale du tennis ne s'est,pas réalisée uniquement des classes supérieures vers

les classes moyennes, mais aussi des hommes vers lesfemmes. La diffusion du tennis s'est ainsi effectuéeselon une combinaison d'effets de classe et de sexe,donnant de s configurations variées suivant les clubs.

Le sex-ratio constitue un bon indicateur de la transformation dupublic traditionnel du tennis au fur et à mesure qu'on descenddans le système des clubs. Dans l'échantillon théorique tiré à partir es listes de licenciés dressés pa r la Ligue régionale, onconstate que le SNUC a conservé un taux de 75 % d'hommesparmi ses membres (âgés de 20 ans et plus) tandis que les autresclubs accueillent une part croissante de femmes qui représentent33 % du public de la Raquette d'argent et environ 40 % de celuide Carquefou et la Gagnerie.

La constitution, par tirage aléatoire, d'un échantilloneprésentatif par club, pourrait empêcher, si l'onn'y prend garde, de voir comment les femmes accèdent à la pratique du tennis. Une comparaison formelle entre les joueurs et les joueuses ne devrait pasfaire oublier les conditions réelles de production dece s deux populations, qu i ne sont pas sans relationsentre elles. Parmi les enquêtes qu i viennent en couple, l est rare qu'une femme soit seule à jouer au tennisdans sa famille (dans 5 % de s cas) tandis que 25 %des hommes sont dans cette situation ; de même,82,5 % de s femmes mariées ont un conjoint qui pratique le tennis (seul ou avec des enfants) alors que

45 % de s hommes sont dans la position symétrique.Ainsi la féminisation du tennis s'inscrit sur le fondd'une dépossession traditionnelle des femmes enmatière depratiques sportives et participe à un processus général de restructuration des pratiques corporelles qui s'effectue dans le sens d'une égalisationentre les sexes.

La situation particulière des femmes par rapport aux hommes invite à distinguer des modalités de venue au tennis que le questionnaire avait insuffisamment prises en compte. Lorsque, tousclubs confondus, 40 % des pratiquantes disent être venues autennis "par la famille" contre 29 % des hommes, cette modalitéenglobe les deux catégories fort distinctes de celles qui ont apprisdans leur famille d'origine (en principe de manière précoce et pa rimprégnation) et de celles qui ont "choisi" le tennis tardivement,le plus souvent à la suite du conjoint. La lecture simultanée de lamodalité et de l'âge d'accès permet de restituer cette distinction.

Le double handicap pour une femme de s'adonner àun sport traditionnellement masculin s'annule pratiquement dans les clubs du SNUC et de la Raquetted'argent. Si ce n'est qu'elles sont plus faiblement représentées au SNUC, les femmes accèdent aussijeunes au tennis que les hommes (entre 40 et 50 %avant 20 ans) et le font, compte tenu de cette précocité, énéralement dans le cadre de la famille d'origine. Le plus fort taux d'accès "par la famille" chezles pratiquantes de la Raquette d'argent (46 %contre 30 % chez les joueurs) provient du cumul sous

la même dénomination d'une double modalité devenue, précoce par la famille, tardive (à plus de 30 ans)par le couple. Des deux autres clubs, c'est la Gagnerieui présente la plus forte dissymétrie entre lessexes, typique de la situation de dépossession desfemmes en matière sportive : 57 % des hommes disent être venus par des amis ou des collègues tandisque 56 % des joueuses déclarent l'avoir fait "par lafamille", en d'autres termes par le mari. Il en résulteune situation très contrastée entre les joueurs et lesjoueuses de ce club, 32 % des premiers ayant unconjoint s'adonnant au tennis contre 90 % des secondes . D'une manière générale, les écarts entre lessexes s'accroissent quand on descend dans la hiérarchiees clubs : proches des hommes quand elles accèdent au tennis par familiarisation dans le cadre dela famille d'origine (on a alors affaire aux joueusesdu SNUC et de la Raquette d'argent, appartenantplutôt aux classes supérieures), les femmes s'en éloignent le plus quand elles arrivent sur le tard, subissant alors les effets de la double disqualificationsportive et sociale.

La tendance suivant laquelle on joue davantage entre conjointset parents au fur et à mesure qu'on descend dans la hiérarchiedes clubs se trouve renforcée dans la population des joueuses detennis. Au SNUC, hommes et femmes ont eh commun de jouer

principalement avec des amis (dans 70 % des cas) ; si l'on y vient"en famille" (d'origine), on y joue, quel que soit le sexe, avec des"relations". Les joueurs et joueuses de la Raquette d'argent pr ivilégient eux aussi les amis mais il es t plus fréquent que lesfemmes jouent exclusivement en famille (pour 26 % d'entre ellescontre 1 1 % des hommes). Dans les deux autres clubs, les écartsentre les sexes s'accroissent de manière significative, plus spécialement à la Gagnerie où les femmes se cantonnent le plus dans lemonde de la parenté (pour 35,5 % d'entre elles contre seulement7 % des joueuses de Carquefou).

La position dominée des femmes, et plus particulièremente celles qui appartiennent aux clubs les plusouverts, attire l'attention sur les conditions socialesrequises par l'affirmation d'une compétence sport

ive.Tout se passe comme si, compte non tenu du niveau technique atteint, la reconnaissance de sapropre valeur sportive par un individu - qui nécessitele recours à des critères autonomisés d'évaluation -présupposait la mise à distance dans le jeu de tout cequi rappelle les relations engagées dans la vie quotidienne. Ce principe éclaire l'attitude du secretaire

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14 Charles Suaud

général du SNUC interprétant comme une disparitionrogressive de T'esprit de club" le fait qu'unepart croissante de "vieux joueurs" finissent par prendre 'habitude de toujours jouer avec les mêmes partenaires ; pour lui, le primat de la relationpersonnelle avec l'adversaire - qui devient alors unpartenaire -, faite de fidélité mais aussi de beaucoupde complicité, constitue une atteinte à la nature spor

tive du jeu. On comprend également pourquoi lesdispositions à se reconnaître une compétencetechnique qui décroissent selon la hiérarchie desclubs, se répartissent différemment selon les sexes.Les pratiquants-hommes que l'on sait préférer joueravec des amis plutôt que des parents, ne présententpas de grands écarts suivant les clubs dans la manièrede s'auto-évaluer. Par contre, les jugements sportifsque les femmes portent sur elles-mêmes sont biendifférenciés d'un club à l'autre, selon qu'elles instaurentu non avec le partenaire une relation proprementportive, indépendante de tout lien de parentéou de tout rapport social particulier (23). Quand on

passe du SNUC, à la Raquette d'argent, à Carque-fou puis la Gagnerie, en même temps que le réseaudes partenaires se referme sur les membres de la famille, les appréciations de la compétence techniquedécroissent régulièrement et chutent même brutalementla Gagnerie où 62,5 % des joueuses déclarent"avoir les bases" du tennis contre 38 % à Carcjuefouet 25 % au SNUC. Sans sous-estimer le fait qu'ilexiste des critères proprement techniques d'évaluationu niveau de jeu, on voit que la manière de lesappliquer tient beaucoup aux conditions socialesdans lesquelles la competence sportive est réellementmise en oeuvre.

La restructurationde l'espace des sports

L'introduction du squash s'est effectuée, à Nantescomme en France, au x alentours des années 80 (24).Sport sans tradition nationale, le squash s'est implantel'initiative d'entrepreneurs de loisirs qui, par leconcours de la publicité, on t cherché à constituer unpublic. Si les premiers courts on t été construits dès1978 à l'intérieur du club de tennis de la Raquetted'argent, la création du premier et seul club desquash à proprement parler remonte à 1980. Lesquatre autres clubs dans lesquels on peut s'adonner

23-On peut paraphraser les analyses de Marx en disant que, pourêtre socialement reconnue comme sportive, la relation entre partenaires doit être "formellement libre", i.e. indépendante de toutautre lien social susceptible d'introduire dans le jeu un rapportde force symbolique pouvant avoir une influence externe su r lecours et l'issue de la partie. On es t placé dans ce genre de situation chaque fois qu'en raison d'un rapport social particulier entretenu avec l'adversaire créé par exemple par une situation desubordination professionnelle au sein d'une entreprise ou encorela perception d'un handicap, un joueur s'interdit de "lâcher sescoups" au point de compromettre une victoire qui était assurée"sur le papier".24-L'ancien Comité français de squash s'est transformé en Fédération française de squash raquettes, indépendante et habilitéepar le Ministère des la jeunesse et des sports le 17 anvier 1981.Le nombre de courts de squash en France était de 15 en 1974,290 en 1980, 600 en 1984 et 725 en 1985.

L'échantillondes joueurs de squash

Le recensement des pratiquants de squash effectué parchaque Ligue régionale ne constitue pas une source crédibleour effectuer un éventuel tirage aléatoire. Fort peu dejoueurs sont déclarés auprès des Comités départementaux.haque club transmet le nombre minimum de noms

nécessaires à l'obtention de subventions et il va de soi queles listes ainsi constituées se limitent aux joueurs les plusexpérimentés formant l'ossature du club. Un échantillontiré à partir des listings officiels ne saurait donc que restituer une image des pratiquants les plus intégrés à la vi e desclubs.

La procédure suivie ne corrige que partiellementcet état de fait L'exploitation des listings a permis de joindre e noyau des joueurs qualifiés à qui le questionnaireétait proposé en situation d'entretien. Parallèlement, ungroupe d'étudiants en sociologie assura la passation dequestionnaires dans les six clubs de l'agglomération deNantes, en veillant, dans la mesure du possible, à respectera diversité du public fréquentant les courts. Au total,240 personnes, âgées de 20 ans et plus, furent enquêtées,pour la plupart sur le lieu même de la pratique, le corps en

coreparfois couvert de sueur et imprégné des sensations

ressenties pendant le jeu. L'échantillon obtenu se composede 81,5 % d'hommes et de 18,5 % de femmes. La populationest jeune puisque 68 % des joueurs ont moins de 30 ans etque 26 % ont entre 30 et 40 ans. Il s'agit enfin de pratiquants assidus : 20 % jouent durant trois heures et pluspar semaine, 34 % entre une heure et demi et deux heures,et 27 % une heure ; 18 % seulement disent fréquenter lescourts irrégulièrement Pour n'être pas représentatif, ce téchantillon n'en est pas moins significatif de cette partiede pratiquants qui "investissent" vraiment dans le squash.

à ce sport, créés entre 1983 et 1985, proposent tousun large éventail d'activités corporelles allant dustretching à la danse en passant par le sauna, la musculation et la piscine, parmi lesquelles le squash occupe une place parfois importante, le plus souventsecondaire. Ils sont tous gérés comme des sociétéscommerciales qui pratiquent soit des tarifs forfaitaires (entre 2 500 et 3 500 F par an) donnant accèsà l'ensemble de s activités, soit des abonnementsmoins onéreuxpour un nombre limité d'activités destinés à attirer une population de scolaires et d'étudiants. Il en résulte une grande diversité desconditionsde pratique du squash dont les techniquesd'échantillonnage utilisées ont nécessairement atténué les effets.

Cette présence du squash parmi les sports offerts a enrichi l'espace local des sports. La localisationu squash dans cet espace s'est effectuéeprogressivement, sur la base de ressemblances et dedifférences (réelles Ou non) avec les sports les plusproches, en particulier le tennis. C'est bien le sentiment qu'il existait une parenté entre squash et tennis qui amena le fondateur de la Raquette d'argentà construire quatre courts de scjuash, à côté de ceuxde tennis. De ces deux sports, il pensait que le premier, réputé plus facile d'accès, constituerait unebonne initiation au second. Avant que les clubs decentre-ville ne tarissent le recrutement, il dut constaterapidement que chacun de ces sports avait sonpropre public et que les transferts du squash vers letennis s effectuaient très mal. Ce simple constat invite plutôt à définir le squash par ses différences spécifiques. Placés dans un espace restreint et clos, lesjoueurs de squash sont en situation de proximité physique (à la différence du tennis), sans avoir toutefois

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à s'affronter directement ni même à entrer encontact (25). Les contraintes de "l'espace ludo-spor-tif impriment au jeu un rythme soutenu qui exige desprotagonistes de réelles qualités d'anticipation, dedéplacement, de réflexes et de résistance physique.Même si l'on doit s'interdire de mettre de s relationsde nécessité entre les caractéristiques intrinsèques

de ce sport et les propriétés socio-culturelles des premières générationsde pratiquants, on peut faire l'hypothèse que les oppositions entre le squash et lessports les plus proches permettront à certainsgroupes sociaux d'exprimer leurs valeurs plus complètement qu'ils ne pouvaient le faire dans l'état ancien de structuration de l'espace sportif.

Le squash,sport jeune, sport déjeunes

Sport jeune, le squash est un sport de jeunes quiporte les marques de s transformations survenuescette dernière décennie dans les pratiques sportivesdes Français. Dans l'échantillon de joueurs de squashde l'agglomération nantaise âgés de 20 an s et plus,68 % ont entre 20 et 30 an s alors que cette tranched'âge ne représentait que 15 % de l' échantillon comparable de joueurs de tennis. Jeunes, les pratiquantsde squash sont porteurs d'une culture sportive qu'ilsn'ont cessé de mettre en oeuvre : 37 % et 43 % d'entre ux estiment qu'ils ont eu une adolescence "très"ou "assez sportive" et, au moment de la venue ausquash, 28 % seulement avaient cessé toute pratiquesportive. Les effets de génération se lisent égalementdans la hiérarchie des sports encore pratiqués. Les"sports de raquette" (tennis, ping-pong, badminton)et "d e glisse" (ski, planche à voile) sont cités dans lesmêmes proportions (dans 31,5 % dès cas) tandis queles activités plus traditionnelles comme la gymnastiqueu le football ne sont déclarées que par environ10 % des enquêtes. La proximité tennis-squash dansl'espace des sports explique la fréquence des transferts de pratique du tennis, sport dominant dans lesannées 80, vers le squash. Mais on peut penser queles motivations les plus puissantes de ce s déplacementseposent sur de s oppositions entre ces sports,

fortement chargées symboliquement du point de vuedes individus les plus jeunes.Ces transferts de pratique sportive ne peuvent

pas être mis en relation avec des déplacements dansla structure sociale. Si les squasheurs appartiennentprès de deux fois moins aux classes supérieures queles tennismen (25 % contre 42 %), ils le doivent aufait de se situer, en raison de l'âge, en début de carrière et donc d'occuper des emplois de classesmoyennes. Par leurs origines, ils s'inscrivent en revanche plus fortement dans les classes supérieures

25-Non seulement les joueurs ne doivent pas entrer en contactmais celui qui vient de frapper la balfe doit impérativement se dégager pour laisser l'adversaire exécuter son geste sans gêne. Larègle du "let" - centrale dans le jeu de squash - autorise le joueuren train d'armer son geste à demander à l'arbitre (ou à son adversaire en l'absence de ce dernier) une remise d'engagement s'iljuge que la position de l'adversaire rend dangereuse l'exécutiondu coup dans les conditions dans lesquelles il voulait l'effectuer.

Espace des sports, espace social et effets d'âge 15

que les joueurs de tennis puisque 37 % d'entre euxon t un père cadre supérieur contre 28 % des pratiquants de tennis. En réalité, les différences les plussignificatives s'observent dans les conditions d'existence et plus précisément dans les traits les plusconstitutifs du style de vie : 47 % des squasheurs sontdes célibataires (contre 15 % des tennismen) aux

quels on pourrait adjoindre les 16 % qui vivent enconcubinage et les 6 % de personnes divorcées. Unetelle situation contribue sans aucun doute à définirles enjeux qui sont engagés dans la fréquentation descourts de squash et explique pourquoi certains clubsressemblent tant à des clubs de rencontre (26). Sportnouveau qui demande une forte dépense énergétique,e squash se prête tout particulièrement à exprimer a situation parfaitement condensée dans lecélibat, de ceux qui on t à "se battre" pour se faire,tant sur le plan psychologique que professionnel. Oncomprend du même coup que, dans la manière de sedéfinir comme joueurs, les squasheurs retiennent ensecond les mots qui évoquent des qualités techniquesou tactiques (9,5 % se disent "tacticiens") et se portent en priorité sur ceux qui désignent indistinctementes comportements sportifs, des attitudesprofessionnelles ou de s traits de caractère "jeunes"(27,9 % se disent "gagneurs", 14,6 % "cool" et 14 %"physiques") (27).

Tableau 2Comparaison de quelques propriétéssocio-culturelles des joueurs detennis et de squash(échantillons de joueurs de l'aglommé ration*nantaise âgés de 20 ans et plus, en %)

tennis squash621515503028394260

806847601937492562

hommesde 20 an s à 29 anscélibatairesdiplômes sup. au bacpère, classes populairespère, classes supérieuresCSP individuelle, classes pop. et moy.CSP individuelle, classes supérieuressecteur d'activité privé

La forte intégration du squash au mode de vi e des jeunes explique a forte différenciation des comportements des joueurs selonqu'ils pratiquent avec des parents et des amis ou avec des relat ions sportives (ces deux sous-population représentant respectivement 52 % et 48 % de l'échantillon). Pour les premiers, lesquash es t un moment fort de sociabilité entre amis où l'intensitée la relation vécue avec l'autre l'emporte su r l'enjeu proprementportif 63,7 % d'entre eux ne font jamais de compétition(ni officielle, ni interne au club) et 52 % ne changent jamais d'adversaires contre respectivement 23 % et 6 % de ceux qui jouent

26-Le fondateur de l'un des clubs nantais nous a déclaré "s'êtrelanté" dans la conception de l'espace du club. Il avait pris commemodèle d'aménagement des lieux de rencontre ce qu'il pensaitêtre le plus proche du club de squash, à savoir le club de tennis.Dans un club de squash, les relations sont plus spontanées, plusdirectes et s'inscrivent difficilement dans un espace aménage su rle mode du salon où le confort des sièges implique un certain

maintien du corps et plus encore une distance entretenue avecles interlocuteurs. Il faut également faire remarquer qu'à uneexception près, tous les clubs de squash organisent des fêtes à fortcaractère convivial (repas avec grillade, sangria, etc.) et relationnelsoirée dansante au club ou dans une boîte de nuit).27-Les enquêtes pouvaient choisir entre se dire "gagneur - bluf-feur - prudent - cogneur - technicien - physique - tacticien- cool".

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16 Charles Suaud

Paroles de squasheurs

"Le squash, c'est grisant*"Au squash, on n'a pas le temps de souffler entre lesballes. On est à un rythme de plus en plus accéléré aufur et à mesure que la balle s'échauffe. C'est absolument risant"

(femme, 28 ans, assistante dentaire)."Au squash, le terrain au sol est peu libre. Par contre,on joue sur quatre murs. C'est fou. On ne perd pasune minute d'attention. C'est le vide total" (21 ans,étudiant, fils de notaire).

"Venant du tennis, ilfaut se rééduquer""Au début, j'étais praticienne du tennis. J'ai dû me r

ééduquer en me contrôlant beaucoup parce que 'avaisdes coups de raquette trop amples et j'oubliais dem'effacer devant l'adversaire ; ce qui demande au départ un self-contrôle assez intense" (assistante dentaire)."Quand on est un joueur de tennis, habitué à prendretoute la place et que l'on se trouve si proche de l'ad

versaire,on doit retenir l'ampleur de ses

déplacements t de ses gestes de bras. C'est complètementifférent" (fils de notaire).

"Moi qu i ai été un bon joueur de tennis, j'ai dû passerquatre à cinq mois de rééducation du geste pour oublier la technique du tennis" (21 ans, étudiant, filsd'ingénieur).

"Le golf, sport de classe et de vieux !""Je préfère le style du tennis, mais le squash est mieuxpour s'éclater. Le golf est bien, mais c'est un sport deplus vieux. Quand j'aurai cinquante ans, peut-être !Quant au football, c'est un sport vulgaire qui n'a aucun intérêt et où on se traîne dans la boue" (22 ans,étudiant, fils d'industriel)."Le squash est le seul sport qu i me permet de me défouler... J'ai très envie de faire du golf. J'ai un copainqu i en fait et , par lui, je pourrais m'introduire dansun club... Je pense que le tennis est plus un sport declasse que le squash. Mais le squash est quand mêmeréservé aux classes supérieures car c'est relativementcher. On ne rencontre pas au club de gens ayant unBEP et heureusement d'ailleurs, car on n'a pas lemême style" (22 ans, étudiant en médecine, fils de chirurgien)."Le squash, sport de la vi e moderne"

"Au golf, on prend son temps, on est en plein air... Onpense. Le parcours est long et la pratique est onéreuse. Au squash, en 35 minutes, tu es en tenue, tu faista partie, tu prends ta douche et tu es dehors, dans tavoiture, en super forme. C'est extraordinaire pour lesgens qu i ont un emploi du temps compressé" (30 ans,représentant de commerce).

avec des relations de club. De la même manière, les premiers sedéfinissent, par ordre d'importance, comme "gagneurs" (24 %)et "cool" (16 %) alors que ceux qui se disent engagés dans une re

lation sportive se disent "gagneurs" (33 %) et "physiques" (18 %).

socio-culturelles des pratiquants permet de comprendre comment et à quel degré le discours sur cesport est codé. Dans cette phase de première diffusionréalisée dans des clubs qui on t intérêt à conquérire public le plus large possible sans qu'aucun freinvenant d'un groupe monopolisateur de la pratiquene s'exerce, le squash est reconnu par tous commeétant "d'accès facile" et "rapide". "Le tennis requiertun long apprentissage. Il faut au moins trois an s pour

jouer vraiment. Au squash, après trois ou quatreséances, on peut commencer à s'amuser"(homme,36 ans, PDG). Cette absence supposée de barrièretechnique fait du squash un sport "ouvert". Joué à unrythme intense, il est une activité "dévoreuse d'énergies" ui capte, pendant une durée relativementbrève, la totalité des potentialités (physiques et

chiques) de l'individu. "Pour libérer son agressivitéau tennis, il faut au moins une demi-journée. Ausquash, une heure suffit" (idem), ou encore "Au tennis, on prend le temps de placer ses balles, on peutanticiper. Au squash, la balle arrive comme un boomerang. C'est un jeu d'une très grande intensité quiexerce énormément les réflexes" (étudiant, 21 ans,fils de notaire). Aussi, le squash conduit-il, à la manière d'un rituel de possession, à un état de "griserieomplète" qui s'exprime parfois en un simulacre d'e

ffondrement total du joueur précédant le moment debien-être final : "Au début, je jouais pour le plaisirmais il y a vite une emprise de la progression à acquérirour devenir le meilleur. Alors là, on joue jusqu'àêtre à bout de souffle. On se surpasse et on se donneà fond jusqu'à l'overdose. J'ai remarqué que les gar

çons crient, s'effondrent, se grisent complètement.C'est parfois impressionnant. Au club, c est sur lesdeux courts de squash que le bruit est le plus fort avecle bruit des balles sur la plaque métallique et les expressions des joueurs. Il y a ceux qui tombent à genoux en exprimant leur désespoir d'une balle loupée,celui qui s'effondre contre le mur et qui se laisse glis-

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Espace de s sports, espace social et effets d'âge 17

ser à terre, terrassé, en nage, en criant : 'Non, assez !'" (femme, 28 ans, assistante dentaire).

Le caractère stéréotypé du discours explicite tenu par les pratiquants contraste avec la diversité des profits attendus du squashet des sensations éprouvées pendant le jeu. Le primat accordé àla recherche de "la forme physique" pa r les joueurs des classes populaires (ouvriers et employés) s'accorde avec les principes d'un

rapport au corps qui les porte à valoriser le bien-être corporel :60 % d'entre eux disent que la pratique du squash es t quelquechose "d'important pour la forme physique" contre 26 % desjoueurs des classes moyennes et supérieures. En revanche, la partde ceux qui associent le squash à la recherche d'une "forme physique et psychologique" s'élève régulièrement lorsqu'on passe desclasses populaires (23 %), aux classes moyennes (35 %) et supérieures (47 %). On enregistre des oppositions de même naturelorsque, en question ouverte, on fait décrire aux joueurs les sensations que le squash procure. Les réponses s'organisent principalement autour de quatre types, parfois difficiles à démêler, etqui, par ordre de fréquence, sont le "défoulement" (28 %), la "défonce" ("se défoncer", "s'éclater", "se vider", "se crever", etc.)(14 %), le "délassement" (à caractère psychologique, avec desprécisions telles que "relaxation", "oubli des soucis", "décompression",tc.) (13 %) et le bien-être (catégorie plus ambiguë pouvant s'apparenter au "défoulement" mais prenant parfois le sens

plus global de "liberté du corps") (11 %). Les variations parclasses sociales sont régulières. La "défonce" es t d'autant plusmentionnée qu'on descend dans la hiérarchie sociale (avec 9 %des réponses dans les classes supérieures contre 12 % dans lesclasses moyennes et 20 % dans les classes populaires). Le "défoulement" et le "délassement" sont au contraire les sensations lesplus citées lorsqu'on s'élève dans l'espace des classes sociales.Quand on passe des classes populaires aux classes moyennes etsupérieures, le "défoulement" es t cité dans 23 %, 26 % et 35 %des cas, le "délassement psychologique" dans 6 %, 12 % et 16 %des réponses.

L'ouverture du golfAu moment où le tennis, en Loire-Atlantique,connaît une stabilisation des effectifs licenciés (quioscillent entre 28 000 et 29 000 à partir de 1982), lenombre de golfeurs (de 659 en 1979Ys'élève régulièrement chaque année. Si les effectifs restent faibles,comparés à ceux des joueurs de tennis (1 557 contre28 910 en 1986), leur progression reste soutenue etles taux d'accroissement calculés par rapport au x licenciés de l'année précédente sont nettement supérieurs, depuis 1983, à ceux enregistrés pour le tennis ;par rapport aux effectifs de 1985, ceux de 1986 sonten augmentation de +22 % en golf, de +4 % en tennis. Le golf présente ainsi la particularité d'être unsport encore faiblement pratiqué (effet de rareté dûà la position très haute du golf dans le système dessports) et qui, du fait de la création nouvelle de terrains, connaît un afflux réel de joueurs nouveaux.Cette ouverture du golf ne peut se faire, comme celledu tennis il y a quinze ans, qu'en direction des différentes fractions des classes supérieures dans un premier temps, mais dans des relations avec les agesinversées par rapport à celles observées chez les pratiquants de squash.

Les licenciés de golf forment une populationétonnamment dispersée sous le rapport de l'âge, que

Tonpourrait à la limite qualifier de "vieille" quand onsait comment la pratique sportive varie suivant cettevariable (28). D'un point de vue strictement démographique (cf. tableau 3) , on remarque que si lesjeunes de 17 an s et moins sont bien représentés parmi es licenciés recensés en 1987 (12 %), la part desjoueurs s'élève régulièrement au fur et à mesure

structure par âgeeff.

14 663

5 3485 1296 8268 291

11 07 71441412 8399 55 07 576

25 669121 382

%12

4,44,25,66,89, 1

11,910,57,96,2

21,1100

augmentation en %1987/1986

22,3

32,241,735,725,320,627,343,926,434,910,925,1

Tableau 3Composition de la population desjoueurs de golf, en France, en 1987 et évolutionde ses effectifs

1 7 ans et moins

18-21 ans22-2 5 ans26-29 ans30-33 ans34-37 ans38-41 ans42-45 ans46-49 ans50-53 ansplus de 53 ansensembleSource— Fédération française de golf.

qu'on monte dans la hiérarchie de s âges (ici découpéen périodes quadri-annuelles) ou, ce qui revient

au même, que l'on avance dans le déroulement de lavie active les 22-25 an s représentent 4,4 % du totaldes licenciés, les 34-37 an s 9 % et les 38-41 an s 12 %.Sans doute, les taux décroissent-ils après 45 ans maisles plus de 53 an s forment encore 21 % des licenciés.Le rapprochement de ces pourcentages avec les tauxd'accroissement de pratiquants entre 1987 et 1986fait apparaître un double mode de reproduction de lapopulation de s golfeurs. En effet, les apports dejoueurs nouveaux surviennent, selon des déterminationsropres, à de s âges différents. Les tranches lesplus jeunes, allant de 18 à 29 ans, - qui sont les moinsreprésentées dans la structure actuelle des pratiquants -, on t des taux d'augmentation élevés(+41,7 % pour les 22-25 ans) ; on peut voir là l'arrivée 'étudiants et de jeunes nouvellement profes-sionnalisés qui accèdent au golf, profitant del'ouverture symbolique qui rend ce sport plus accessible t des facilités matérielles qui leur sont offertessur un marché qui cherche à s'étendre (29). Mais lesvenues les plus nombreuses se font à des âges plusavancés, compris entre 40 et 55 an s (les 42-45 an sconnaissant l'augmentation la plus forte, de+43,9 %). Il s'agit alors de transferts de pratique quis'effectuent à la suite de transformations physiologiques,ai s aussi sociales, par lesquels des réajustementse font entre l'espace des sports et l'espace des

positions sociales au fur et à mesure que les individusvancent en âge.

28-D'après l'enquête du Ministère de la culture, 62 % des Français ges de 15-18 ans ont pratiqué régulièrement un sport en1981 contre 30 % des 25-39 ans, 18,5 % des 40-59 ans et 9,8 %des 60 ans et plus. Cf . Les pratiques culturelles des Français,op . cit.29-On peut citer le cas de ce t enseignant d'éducation physiqueet sportive qui a introduit le golf dans un collège de la périphérienantaise et qui explique comment les enfants de classes populaires découvrent ce "sport de riches". Il décrit en particuliercomment des jeunes "dégoûtés par les sports collectifs et l'effort dusport individuel" en viennent à "s'accrocher au golf, sport méticuleuxù l'on es t seul". Ce même enseignant anime également uncours d'initiation au golf destiné à des étudiants (majoritairementde la faculté de médecine), dans le cadre du Service universitairedes activités physiques et sportives (SUAPS). De leur côté, les responsables du club de La Bretesche offrent des conditions particulières aux étudiants et organisent des séances gratuites dedécouverte du golf à l'intention des enfants de l'école primaire dela commune rurale su r laquelle le terrain es t situé.

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18 Charles Suaud

Transferts de pratiqueet profits symboliques"A 12 ans, on court vite... A 35 ans, on court nettement moins vite". En justifiant de la sorte son choixrécent du golf sans avoir délaissé le tennis (pratiquéau SNUC), ce médecin spécialiste, âgé de 40 ans, faitréférence à des données physiologiques incontestables. Pour qu'un tel raisonnement conduise à larecherche d'un nouveau sport, en l'occurrence legolf, et non à l'arrêt définitif de la pratique sportive,une double condition est requise. Il faut sans aucundoute que le capital économique détenu en permettel'accès (le prix des inscriptions varie dans la régionentre 3 000 et 6 000 F pour l'année 1988). Cela exigetout autant un rapport au corps et à l'âge qui soit àl'origine d'un impérieux besoin de ne pas subir négativement les effets du vieillissement et, si possible, decontinuer à se perfectionner sportivement. Dansl'exemple présenté, le passage du tennis au golf s'inscrit omme une stratégie à demi consciente de lutte

contre le vieillissement qui présuppose une anticipationes effets physiques de l'âge ("A 40 ans, au tennis, on finit par se faire mal et se casser") et ouvre surla recherche de nouveaux usages du corps procurantdes profits matériels et symboliques que la pratiqueantérieure ne pouvait plus assurer. Quand la "perf"au tennis (performance qui consiste à battre un adversaire mieux classé que soi) devient improbable,puis rapidement impossible, le golf offre les chancesd'une réelle progression qui sera d'autant plus valorisée que les joueurs auront le sentiment de sauvegarder ainsi l'intégrité de leur identité : "Je suisautodidacte en golf... On peut l'être à condition dene pas avoir l'ambition de devenir le champion

del'Ouest. Mais c'est frustrant de sentir qu'on jouemal ; on supporte mal la régression" (mêmes références) .

Mais le travail du temps ne consiste pas seulement à transformer les corps ; il est ce par quoi lescarrières professionnelles se réalisent et les positionssociales se conquièrent. La double modalité des venues au golf ne se comprend vraiment qu'à la condition e penser que l'espace des sports et celui despositions sociales, qui on t leur propre rythme detransformation, ne se correspondent qu'en subissantles effets combinés du temps et des âges. Dès lors, demultiples combinaisons sont possibles, dont trois ont

été analysées dans ce travail. Lorsque le marché dutennis s ouvre (entre 1978 et 1982) au prix d'unegrande diversification des clubs, des classes socialesnouvelles (moyennes) accèdent à ce sport, mais "surle tard", c'est-à-dire à de s âges plus avancés qui commandent un rapport particulier à la pratique ("lesforcenés du tennis"). L'introduction du squash, à partir e 1983, dans des clubs privés donc relativementonéreux, permettra à la classe d'âge des "jeunes" d'affirmer leur identité et leurs valeurs, à l'intérieurmême des classes supérieures. Opposé au tennis, lesquash apparaît comme le sport de la vivacité, de ladépense "folle" d'énergies, des relations simples et

décontractées et d'un style de vie "cool". A l'inverse,le golf, sorte d'anti-squash par excellence du point devue des conditions de jeu et des qualités requises, estle sport qui a conserve sa rareté sociale (du moins enFrance) et dont l'accès présuppose qu'avec l'actiondu temps, et par conséquent avec l'âge, une positionsociale supérieure se soit affermie. Ceci rend encore

plus parlant le constat dressé par les deux professeurs e golf, rencontrés dans les clubs plus ouverts,d'un "décalage entre la diffusion de l'image du golfet les pratiquants réels" ou encore "des trois ou quatre années qu i séparent l'idée de faire du golf et saréalisation". Les nouveaux arrivants laissent ainsiagir le temps qui les consacre dans leur situation professionnelle et sociale et, ce faisant, leur permet defaire le travail symbolique sur eux-mêmes nécessairepour se juger "capables d'entrer dans le milieu",condition indispensable pour accéder à la pratiqueelle-même. Comme le fait remarquer ce professeurqui, à quatre années d'intervalle, a tenu un stand deprésentation du golf dans le cadre de la Foire commerciale de Nantes : "Cette année, les gens sont venus pour la pratique et non, comme il y a quatre ans,pour savoir comment rentrer dans le milieu".

Parce que le squash es t le plus souvent proposé parmi de nombreuses autres activités (dans cinq cas su r six dans l'agglomérationantaise), il n'existe pas a proprement parler, comme on l'a

déjà dit, de "club de squash". L'accès à ce sport s'en trouve faiblement contrôlé institutionnellement. Les différences que l'on peutobserver entre pratiquants de squash résultent moins de mécanismes explicites de sélection à l'entrée des clubs que des règlescachées du rapport au corps implicitement exigé lorsque lesquash es t la pratique sportive dominante (clubs à majoritéclasses moyennes et populaires), ou lorsqu'il es t pratiqué aumême titre que le stretching, la musculation ou le sauna (clubs àdominante classes supérieures). Il n'en va pas de même des clubsde golf qui, comme pour le tennis à la fin des années 70 , se multiplient en se diversifiant, à partir de hiérarchies sportives et sociales anciennes fortement établies et institutionnellement biengardées. On observe une opposition radicale entre les clubs fermés, à numerus clausus, dont les membres, en général sociétaires,sont des golfeurs de la première heure, et les clubs commerciauxqui reçoivent, sur abonnement, le public le plus nombreux, le plusnouveau et le plus diversifié (sportivement et socialement). Parexemple, le club de La Bretesche qui appartient à la seconde catégorie, multiplie les modalités pratiques d'accès au golf telles quele'Torfait débutant" de 2 000 F offrant dix leçons et quatre moisde pratique gratuite, les contrats passés avec les écoles et l'université ou encore les cours spécialement organisés pour les personnes du "troisième âge".

Le golf comme sport individuelOn ne peut douter de l'intérêt qu'il y a à classer lessports du point de vue de leur logique interne ou, si

l'on veut, à partir de leurs caractéristiques intrinsèquest des contraintes ludo-motrices propres à chaque jeu (30). Cette démarche qu i apporte une réellecontribution à l'élaboration d'un système des sportsa pour contrepartie d'évacuer de la définition dessports le rapport que les agents entretiennent aveceux ainsi que le travail de codage symbolique que legroupe dominant de pratiquants effectue immanquablement .

30-Pierre Parlebas va jusqu'à énoncer des règles générales su rles effets systématiques des contraintes internes aux jeux su r lescomportements des pratiquants. "Les trois dimensions considér

ées,on t l'une se réfère à la violence des contacts et deux à l'espace des contre-communications, présentent une corrélationremarquable (...) plus la distance de garde es t prononcée, plusl'espace individuel es t important, et plus les contacts corporelssont violents. Cette progression conjointe apparaît tellementmassive que nous la tiendrons désormais pour critère fondamentale la catégorie des sports de combat", P. Parlebas, op . cit.,pp. 161-162.

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Espace des sports, espace social et effets d'âge 19

De même que les squasheurs définissent spontanément leur sport contre le tennis (31), les joueursde golf tiennent à affirmer, le plus souvent par rapport au tennis, la spécificité de ce jeu qui représenteà leurs yeux le spoil, individuel par excellence : "Letennis n'est pas un sport individuel parce qu'il y a unadversaire. Au golf, on est son propre adversaire ou,

si l'on veut, l'adversaire, c'est le parcours. On pourrait omparer le golf à l'athlétisme. Le jour où il y aune compétition, on joue contre son handicap et onjoue aussi contre les autres" (32) (profession libérale, 40 ans, quatre années de pratique). Le caractèrendividuel du golf repose sur l'organisation dujeu qui exclut toute interaction directe entre adversaires (cela fait même partie des règles de Y étiquetteque de s'effacer le plus rapidement possible duchamp de vision de l'adversaire, une fois que le coupest joué (33)) ; il désigne également la somme desqualitéspersonnelles - et néanmoins socialement enracinées - requises pour une bonne maîtrise du jeu.Le discours que les joueurs tiennent sur le golf est eneffet saturé de propositions morales et psychologiquesélébrant l'autonomie de l'individu, la connaissancee soi-même et le sens de la responsabilité :"Le golf est une grand école de vie. On est toujourspuni par là où on est présomptueux. La sanction estimmédiate. Je crois que c'est le seul sport où on estseul responsable de ce que l'on fait. Au golf, on nepeut s'en prendre aux autres. On est toujours bon oumauvais par rapport à soi-même !" (médecin). Demême, l'environnement "naturel" du golfeur fait partie e ces "situations où le milieu est instable et porteur d'incertitudes" (34) ; mais, du point de vue desjoueurs, ces données "externes" se convertissent im

médiatement en paramètres qu'il faut savoir intégreraux potentialités physiques et intellectuelles personnelles. Comme dit le joueur déjà cité, "l'analyse duterrain est quelque chose de fondamental. Il faut sa -

31-On voit à l'oeuvre ce pouvoir de redéfinition d'un sport dansce commentaire de l'auteur d'un manuel de squash édité par laFédération française de squash raquettes (FFSR) : "Ayant pa rgoût et de par ma profession pratiqué de nombreuses sortes dedisciplines sportives, je crois pouvoir dire que le squash de compétition s'apparente, tant dans le domaine psychique que physique, aux sports de combat ; de ce fait, une discipline et unelucidité toutes-particulières devront être demandées aux compét

iteurs fin de conserver l'Esprit du jeu et d'éviter tout accidentinutile", A. Médina-Giovanni, Parlons le même squash, sans date,FFSR, p. 34.32-Un parcours de golf comprend en général 18, parfois 9, trous.Suivant la longueur, chaque trou es t étalonné en "par 3, 4 ou 5"par rapport au nombre idéal de coups (3,4 ou 5) qui seraient né

cessaires à un professionnel, jouant normalement, pour entrer laballe. Le handicap exprime en points le niveau maximum dujoueur, établi en fonction du nombre de coups effectués au-dessusu par (le plus souvent de 72 pour un terrain de 18 trous).Chaque fois qu'un joueur réalise, sur une partie, un score inférieur de 1 point su r son handicap, celui-ci descend de 0,2 point.Dans ce s conditions, un joueur peut fort bien jouer seul, contrelui-même, en cherchant à faire descendre son handicap.33-11 importe de distinguer les règles du jeu de ['étiquette qui es tune sorte de code de bonne conduite du joueur de golf rappelant

les devoirs de respect du terrain et des autres joueurs. Il es t ainsi onvenu qu'on ne doit pas retarder le jeu en quittant le green(partie terminale du par, recouverte d'herbe très rase, su r l

aquelle on fait rouler la balle à l'aide d'un club spécial, le putter)aussitôt le trou achevé, en prenant soin de placer son chariot entr e le green et le prochain départ ou encore en veillant à noterson score une fois s'être éloigné du green.34-P. Parlebas, op . cit., p. 144.

voir intégrer la difficulté d'un terrain et ses proprescapacités à soi. Le golf, c'est savoir, en fonction deses possibilités, où on veut envoyer la balle".

Cette intériorisation de la compétence techniquexplique le discours passionné et total tenu parles golfeurs (35). Au golf, \z progression technique estsi fortement subordonnée dans l'esprit des joueurs à

l'acquisition d'aptitudes à "se maîtriser", "se voir", "seconcentrer", ou encore à "garder un mental d'acier",qu'elle ne peut être vécue et exprimée que sur lemode d'unperfectionnement individuel qu'il convientcependant d'assumer "avec humilité", tant sont fréquents et redoutables les moments de régression où"tout d'un coup, on ne sait plus jouer". On comprendainsi que toutes ces qualités qui, à d'autres époques,ont pu être prêtées a d'autres sports (au tennis enparticulier), soient aujourd'hui attachées au golf,sport demeuré encore rare et à travers lequel on peutmanifester la preuve d'une excellence sociale personnelle. Ce sont ces propriétés, inscrites dans les relations entre l'espace des sports, des classes et des

âges, qui confèrent au golf son statut social de sportindividuel.

Système des sports et effets d'âgeL'objet même de la sociologie du sport incite, de manière plus ou moins clandestine, à adopter un pointde vue réaliste. Si l'existence de relations entre dessports et des classes sociales de pratiquants est si a

isément admise, c'est qu'il s'agit là non pas d'une

connaissance sociologique à proprement parler maisd'une vérité première à laquelle le sens communadhère spontanément, comme à une croyance profondément ancrée sur la nature des sports d'un côté,de s classes sociales de l'autre. On pourrait en effetparler d'effets idéologiques de corps chaque foisqu'une relation effective entre un sport et les pratiquants d'une classe sociale (ou d'un sexe) est désignée d'une manière qui revient à inscrire dans lanature des corps la réalité de la relation. Ce mode deconnaissance, sorte d'illusion bien fondée comme di-

35-Dans leur formulation officielle, les règles du jeu sont rédigées comme des règles morales que les joueurs doivent s'appliquer eux-mêmes. Les propos des joueurs que nous avons déjàcités éclairent tout à fait ce t aspect : "J'ai pris beaucoup de plaisir lire les règles de la Fédération de golf. C'est une interprétationnglo-saxonne des choses. En Anglais, c'est 'should'. 'Youshould do that...'. Le conditionnel es t très important car la piredes choses es t de manquer aux règles. A la limite, on pardonneaux gens de ne pas être un bon joueur, mais pas de transgresserles règles. Cela peut parfois paraître des discussions de plaideurs,mais les règles régissent bien les bons rapports entre les joueurs".Quant au très fort investissement psychologique et mental dansle jeu, il es t devenu l'un des sujets favoris sur lequel l'humours'exerce dans le milieu du golf. On aime par exemple à reprendrece vieil adage écossais disant que "le golf n'est pas une questionde vi e ou de mort, c'est beaucoup plus sérieux". Aussi l'incorporationes gestes et de la culture du golf n'est-elle jamais mieux

évoquée qu'à travers les nombreuses "histoires drôles" qui identifient les clubs - surtout le putter - à une "maîtresse". On rapporte ainsi ce mot de Bobby Locke, champion sud-africain desannées d'après-guerre : "Un bon putter, c'est comme une bonnemaîtresse, même moche on n'en change pas. Pourquoi ? Parcequ'il connaît tous vos vices", cité dans D. Machenaud, C. deGuerre, Golf, 200 meilleures histoires drôles, Paris, Albin-Michel,1988, pp. 19 et 11 .

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sait Durkheim, confère à certains sports la valeur desymboles. Que le football soit le sport des classespopulaires est l'une de ces croyances collectives et toutdébordement de violence, comme celui qui est survenu au stade du Heysel en 1985, devient une occasion idéale pour dire au grand jour, et en toutelégitimité, les préjugés sur ce que sont réellement les

membres de ces classes. Selon la même logique, lessports sont attribués à l'un ou l'autre sexe de tellesorte que qualifier un pratiquant de sport masculin àl'aide d'un nom de sport socialement constituécomme féminin devient une insulte (comme parexemple traiter un footballeur de "danseuse"). Cetype de pensée réaliste (ou naturaliste) s'appliqueavec la même force pour mettre des relations de nécessité entre les sports et les âges. Quel que soit lemilieu social auquel on appartient, le vieillissementphysique a ses lois propres qui imposent des changements ou des arrêts - de pratiques sportives ; de cepoint de vue, les trajectoires sportives épousent lesrythmes du cycle de la vie biologique.

L'enjeu théorique de la notion de système de ssports est à la mesure de la force d'imposition de ce sconstructions spontanées. A condition, bien entendu,e ne pas en faire à nouveau une lecture réaliste,ni de la réduire à une sorte de cadre extérieurcontraignant dans lequel se déroulent des "actionsindividuelles disposant d'une marge d'improvisationet d'originalité non négligeable" (36). S'il est difficiled'être moins "sociologue que cette joueuse de Car-quefou lorsqu'elle perçoit les enjeux sociaux de l'afflux de pratiquants des classes moyennes vers letennis à la fin de s années 70 , on se doit de l'être plusencore en construisant le système complexe des re

lations objectives entre l'espace structuré des sportsà un moment donné et l'espace des positions socialesqui sont à l'origine de ce s transferts de pratique, sachant que non seulement chacun de ces espaces setransforme selon des logiques et des rythmes propresmais que, suivant la période considérée, les rapportsentre ce s espaces se chargent, sous l'effet de facteurs

36-11 suffit, comme le fait Pierre Parlebas, de donner une définition écaniste du système des sports impliquant "une liaison mécanique établie de façon bi-univoque entre classes sociales etsports pratiqués", pour qu'au nom de la bienséance sociologique,on soit conduit à se donner comme objet d'étude "la logique interne des différents jeux physiques en dégageant les conséquences que cette logique instituée entraîne su r les modalitésd'accomplissement de l'action motrice", P. Parlebas, op . cit.,pp. 26-27.

externes, de fonctions sociales nouvelles. Incontestablement la construction massive de courts detennis, aisément accessibles sur un plan économiquepour la plupart, a rendu possible l'afflux de pratiquants et l'élargissement de la base sociale du recrutement. Encore fallait-il que cette pratique sportive(aux dépens d'autres consommations plus tradition

nelles)épondît aux besoins des membres des classesmoyennes, dans leurs manières d'être et de se réaliserndividuellement, compte tenu des progrès de lascolarisation et des transformations qui surviennentdans les conditions de travail et d'existence (valorisation de la compétition individuelle, de la prise derisques, de l'hygiène de vie, etc.).

C'est par rapport au système de s sports que l'onpeut analyser les effets de l'âge ainsi que de tout unensemble de variables détenninantes comme le sexeou la situation géographique. Variable spécifiquerenvoyant à des dispositions physiques qui évoluentavec le temps, l'âge n'est pas autonomisable. Il estmême doublement lié aux conditions sociales d'existence dans la mesure où il exprime d'une part un rapport au coips particulier à chaque période de la vieet désigne d'autre part les changements professionnelsdonc de position sociale) qui surviennent aucours d'une biographie. Dans ces conditions, les trajectoires sportives individuelles ne peuvent se comprendre comme des enchaînements de pratiqueschoisies en fonction de s seules propriétés intrinsèqueses sports ; elles résultent d'une combinaisond'effets de générations auxquelles sont liés des étatsdifférents de l'offre sportive, d'avancement en âge etde translations sociales qui surviennent dans lemême temps. C'est ainsi qu'on a pu montrer qu'à la

même période (autour des années 80), les enfants dela bourgeoisie délaissent le tennis pour le squashcomme une manière d'affirmer la spécificité des valeurs et de la culture de leur âge, au moment où lesmembres de cette même classe troquent la raquettede tennis pour le club de golf, lorsque, l'âge venu, lesaptitudes physiques se transforment et que la consécration professionnelle les autorise à entrer dans unmilieu sportif (et social) qui s'ouvre. Toutes ces histoires sportives sont faites d'une succession de réajustements que les agents sociaux effectuent dansle temps, nécessairement avec des décalages, et quisont rendus possibles grâce à une intériorisation dusystème des sports tout entier qui leur donne, à cha

que âge et pour chaque génération, ce sens du placement sur l'espace sportif.