Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

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EXCURSIONS HISTORIQUES ET PHILOSOPHIQUES A TRAVERS LE MOYEN AGE.

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EXCURSIONSHISTORIQUES

ET PHILOSOPHIQUES

A TRAVERS LE MOYEN AGE.

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TTrocNAfatt! nRMtN-MBOT. MBSNtL (ECNB).

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CHARLES JOURDAIN

BS t.'At-Att6Mtt! BKH tS~KU-'Uns~ BT HEt.LE~.t.)iTT)tK'<.

EXCURSIONSHISTORIEESn

<' '<ET PHILOSOPHIQUES

A/TRAVERS~L LE MOYEN AGE.

PUBLICATION POSTHUME.

PARIS,LIBRAIRIE DE FIRMIN-DIDOT ET C~

MtPBttMCBSM t.'tttS'nrOT,BOBJAMB,6f;.

1888.

Page 4: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

AVANT-PROPOS.

Les vingt-deux notices, dont la réunion composece volume,

ont, pour la plupart, paru successivement du vivant de l'au-

teur, soit comme Mémoires lus à l'Académie des Inscriptionset Belles-Lettres, soit dans divers recueils scientifiqueset litté-

raires.

L'ensemble en est publié aujourd'hui sans moditication au-

cune par les soins de la famille de M. Jourdain, sur le vœu

qu'it a lui-même exprimé, et sous le titre qu'il avait choisi,titre rattachant ces diverses études à la même période histo-

rique. Une seule de ces notices, celle sur Jordano Bruno, quise rapporte au XV!' siècle, dépasse les limites du moyen Age,mais on n'a pas cru devoir la retrancher d'un ensemble de

travaux avec tequet elle est en harmonie par la nature du sujet.Paisse cette publication posthume être favorablement ac-

cueillie du public savant auquel elle s'adresse!

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BMMMOMNMMMomM. 1

DE L'ORIGINE

DES

TRADmONS SUR LE CHMSUANtSME

DE BO&CE.

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DE L'ORIGINE

t'E8

TRADITIONSSUR LE STIAMSME

DE BOÈCE.

La plus grande autorité philosophique du moyen ége aprèsAristote, c'est sanscontredit Boèce, l'habile interprète de la logi.que péripatéticienne; mais les traductions et les commentairesde Boèce, quel qu'en soit le prix, ont peut-être moins contribuéà son influence que la tradition qui le dépeignait comme unapologiste et un martyr de la foi. La collection de ses œuvrescontient, en effet, quatre opuscules où le dogme catholique estexpliqué très habilement, et qui avaient élevé leur auteur sup-posé au rang des maîtres de la théologie. L'histoire, ou plutôt lalégende, ajoutait qu'après avoiremployésa plume pour la défensede la religion, Boèce avait donné sa vie pour elle. et que sondévouement au catholicisme sous un prince arien était un desmotifsdu traitement barbare que Théodoriclui fit subir, et quise termina, en 6M, par sa mort.

« Humblechrétien au milieu du faste, écrivait D. Gervaiseaucommencementdu siècle dernier (t), solitaiMdans le tumulte dumondeet de la cour, ennemi du mensonge et de l'erreur, le sou-tien de l'Eglise, un modèle de fermeté et de patience dans lesplusgrandes adversités, enfinun généreux martyr de Jésu~Ch~,

(<)~~o~~Mee~ etc.Parb,Mta.iN.ta,p.

·

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< EXCURSKM8HMTOMQUESETPBtLOSOPHtQUES

c'est ce qu'a été Boèce. Dieu le donna à son Église pour en êtreun des plus fermes appuis. »

Cette tradition est-elle exacte? Boèce a-t-il été ce fervent chré-tien qu'elle nous représente? Est-il Fauteurdes ouvrages de théo-logie qui portent son nom? Sa foi religieuse a-t-elle contribuéaux persécutions dont il fut victime?'t

tl y a plusieurs années, le savant et vénéré doyen de la Fa-culté des lettres de Paris, M.Victor Le Clerc, posait déjà ces ques-tions, et il les tranchait par la négative, dans une série de leçonsauxquelles nous n'avons pas assisté, mais dont le souvenir estencore vivant chez ceux qui les ont entendues. Maisc'est en Alle-magne, surtout, que l'opinion commune a trouvé de nombreuxcontradicteurs. Arnold, Schlosser, Hand et bien d'autres l'ont sifortement combattue (i), que malgré l'habileté de ses défenseurs,dont les derniers, je crois, sont MM.Baur, Suttner et Schenkl (2),elle a perdu beaucoup de terrain.

Quand on parcourt les ouvrages les plus authentiques de Boèce,on est étonné, en effet, de n'y découvrir aucun vestige des croyan-ces pour lesquelles, dit-on, il serait mort. Je ne parle pas seule-ment de ses Commentaires sur l'0~<MM<Mïd'Aristote, ni de sesécrits mathématiques, dont le sujet ne se prêtait pas à l'effusiondu sentiment religieux; mais que dire de la Co/Mo/~M~M<M<~M'?C'est bien là l'oeuvre suprême de l'écrivain, la der-nière confidence de son génie, et pour ainsi dire son testament.A quelle heure et dans quel ouvrage aura-t-il épanché son ampet donné un libre cours Ases plus intimes convictions, si ce n'estdans ces pages qu'il écrivit sous les fers, un pied déjà dans latombe? S'il a été sincèrement chrétien, n'a-t-il pas dA proclamersa foi, lorsqu'il dissertait sur la justice de Dieu, au moment decomparaître devant elle? Et cependant quelle est l'inspiration

«)V.y. l'articledeMand.danar~e~~e deErschet Ombef.vol.xi, p,aaaT~EM~ de la la ~X~ ~SM. p. unedtMertatbatonte

:x~s~IaglerAen&Artne»,Berlin,1800,In'8°,

Mt. BMtt. ~M<&(.c&fM<M. ~t <MM~. Ba~t~m. M<t tt.-4~ZX'X! ?r~F~ D'~M

S~"fltllle" Waldodcpon,ote.Wiea,t869,In.4°.

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A TRAVERS LE MOYEK AGE. j.

dominante qui reparait dans toutes les parties de la composition?C'est une inspiration purement profane.

Boèce ne cherche pas à cacher le flambeau où s'allument sessuprêmes espérances. Ce n'est pas la religion, l'Évangile d'unemain et la croix de l'autre, qui vient le trouver dans son cachot,c'est la philosophie; c'est elle qui l'enseigne, l'exhorte et le con-sole. Les exemples qu'elle lui met sous les yeux sont ceux dessages qui ont souKert et qui sont morts pour la vérité Socrate,Anaxagore, Xénon, Sénèque, Soranus (t). Elle lui parle familière-ment comme à un de ses élèves qu'elle a nourri de son lait, /<<M~<y~«~ /<!<-?w<M~ ou comme Aun hôte au foyer de qui elles'est assise (2). Il révère en elle la maltresse de toutes les vertus,WMMMMM:a~'a M/M~; il lui reconnaît une origine céleste,c~e~ <w<&w d'<?/o~. Supposez un disciple des anciens quin'a pas encore été *ouché par la grâce; aurait-il employé des

expressions plus fortes?Parmi les écoles de philosophie, Boèce ne se montre pas fa-

vorable aux épicuriens ni aux stoïciens (3), qui se sont disputécomme une proie, dit-il, t-e/M<M~a~ew ~.p<& l'héritage deSocrate; mais quel sincère enthousiasme il laisse paraître pourMaton, qu'il appelle à deux reprises Mo< Plato (4), et pour sonrival Aristote! Ce sont ses modèles habituels, ceux qui lui sug-gèrent ses meilleures, ses plus profondes pensées. Cesse-t-il deles suivre? il ne les quitte que pour s'attacher aux Alexandrins,A.Plotin, à Proclus, dont la trace est facile A reconnaître dansplusieurs passages. Sans doute il se rencontre souvent avec le

christianisme, parce que la philosophie de Platon est. comme onl'a dit, la préface de l'Évangile; mais quand cette philosophies'éloigne en quelque point de l'orthodoxie chrétienne, il n'en

(t) Uh. t,)'r. 3 « Quod at nec Anaxagoro fugan), nec Soerattovcnettutn, nec Zt'xo-nto tofmenta,qaoaiMnxuat poregrina, novM, nt t~tthM, et Sfm'eas. xt 8<)MM<M,quorum ncc pervMtusta,une tacetebfts MCtuo~ est, Mtfe potutxt!)»(2) Mb. t, ff. 3 i Tune UtoMqut nostro qttottdatn tacte ntttfitua, n<Mt)')ncducatuttUtttctttte,ht vtrtHttantmi Mbur eva~rae? M/&M.p". 311 UMtx catndeduxt ocutott.ntuttumque deMxt,Maptdo nutrteent meaM.cutushb adotescettUahribua obversa.

« ttts fueram, phUoMphtMn.»(3)Lib. t, ~r. 3 « KpicuMumvut~ KatqtMstoteum. »(41Ibld. n Monneapud Mtofes queque, anh' Htxtf) Ptatoxis tetatftt). ? ') f.))).Ht,

('r. o t « UMtt) TtM~ePlalonl nostro p)ac<'t.Il

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EXCURSIONSHISTORIQUESET PMLOSOPHIQUES6

témoigne nul souci, et se montre fidèle à l'antiquité, même enses erreurs.

Il admet, par exemple, l'éternité des Ames, et considère l'exis-tence actuelle comme la déchéance et peut-être l'expiation d'unevie antérieure, opinion condamnée par la croyance de l'Église (i).

Aussi, dès le x" siècle, dans un commentaire sur la Co~o/a~de la ~V<Mo~K~ que le cardinal Angelo Maï a publié (2), unmoine de l'abbaye de Corbie, nommé A'wte, regrettait déjà queBoèce eut fait la part moins large aux vérités chrétiennes qu'auxdogmes des platoniciens, <<f<oMM-o<-MMM~M ~o~wH ~w-~/c ~Maw ~oc~~ ~e/y< tw~ et il ajoutait qu'onremarque même, en divers passages, des assertions contraires àla foi, ~MM~M c~o/M'.p co~a, Jean de Salisbury, cetesprit délicat, grand admirateur de l'antiquité classique, tout enrendant ttommage au génie du philosophe (3), avoue égalementque son ouvrage n'exprime pas le Verbe incarné, /< ille t~<-Aw~ ~<w <f~w~ /~c~<~MH~ et qu'il s'adresse &ceux qni fontprofession de suivre la raison, qui )'<~<MM'<M'jfMM/M~.

Envisagé sous un autre rapport, le chef-d'œuvre de Boèce neconfirme pas, mais contredit bien plutôt l'opinion qu'on se formegénéralement des motifs de sa disgrâce. Son catholicisme sup-posé a eu si peu de part dans sa chute, que c'est, au contraire, laphilosophie qui, d'après son témoignage, lui fut imputée à

(!) Consol.V, pr. 2 « Mumamsquidem animas Mberioresquidetn esse necesse est,« fBMse in mentis divinœ speculatione consenrant; minus vero cum dHabnntnrad« corpora, minusque etiam cum terrenis artubus eontigantar. a Onpeat citer ana~ lepassagesuivant du fragment De M« pf~eMMatt~j pobMépar M. Haseà la'suitede ronvrage de Lydos, De <~<ea~ Paris, t823, im-8< p. 346 « Anima necdam in

contagioniscerporeœ iadnmeato eTetnta,in itia absotutissima}paritatis sn<Bspecohomnium rerom pentiam perfectissime considérât. Pestqnam autem in hoc tatemn« corpus obraitur, acles ~"s terrenœ admistionistenebris eaMgosa,ab Ma snœ ingeni-

ta'<]nevMoais ~aritate eœcatnr. o !t fant maintenant eeeater le jugement qne saintt~on avait porté de cette hypothèse, un demi.siède environ avant Boèee « Referuntur« asserere animas qNmhumanis corporibus insernntnr~ fuisse sine corpore, et.in« coftesUhabitatione pecoMse. atque ab hoc a suMimibesad inferiora detapsasin di-

Tersa)qualftatis priMtpes iaddisse. Qoam impielatls fabulamex moltorum sibi« erroribus teMerant; sed omaeseos catholica 6des a corpoMuaitatts ahscMit. con-e stanterprœdieansatqueTeracite~qNed anim hominam priasquatnsnisinspiraren-« tur oorporibus,MBtRtere. t (8. Leonis Opp. Venetlis, 17M, in-Mio, 1.1. p. 706.)

(2) C~tMtcoMtMatM~o~NMe ~<<Ma<<c<M«e<&M,t. IM, Romœ,IMI, m.8", p. 333.(~Pe~ent«etM,YU,eap.XT.

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A TRAVERS LF MWEX A<:E ¡

crime (i). H paraîtrait même que ce grief, si honorable pour

Boèce, avait servi de point de départ, qui le croirait? à une im-

putation de magie, et que le savant interprète d'Aristote et d'Eu-

dide avait été dénoncé comme entretenant des relations impicsavec les esprits infernaux.

« Ils m'ont reproché, dit-il (2), de m'être, par ambition, souillé

du crime de sacrilège, comme si l'amour de la sagesse n'avait paséteint en mon cœur celui des biens périssaMes. Se peut-il que

j'aie invoqué le secours des plus vils esprits, moi qui n aspirais qu'ame rendre agréable à Dieu! ),

Un assez grand nombre de manuscrits contiennent, il est vrai,

sous le nom de Boèce, un traité De la ~~w < <A*A? PwwwM*

~< J~M-CAw< fOM~~ ~~ycA~ ~<'</o)' un autre lie

F~w~. avec un fragment sur le même sujet, et une ~~M~~.w~MM~v~ A~/i~f~w~, que René VaUin a, le premier,

publiée vers le milieu du xvn° siècle Mais l'authenticité de ces

écrits n'est rien moins que probable. Précisément parce qu'ils sup-

posent une profonde connaissance de la théologie, et que l'auteur

s'annonce comme le disciple de saint Augustin et l'interprète de sa

doctrine (3), on ne saurait les attribuer à la même plume que les

(t)CmMo~.t.pr. t « Sed.ouetas! istivero de tp~antierimini&tidemcaptant. atqtK*a hoc ipso videbimoradCnMfnisM tnaMeio, quod tois tmbnt! dMdptinis, tuis tnsti-e tnti tnoribns mmns. Ma non est satis nthM m!h! tnam prefnbse MverMtMam,nM<'ultro tu mea potins oHenatone taeereris.

(9) CotMo~.I, pr. 4 « Ob ambitam dignitatis fiaerM~iome <'ons<'i)'at:a)ttpoUtttss)'« mentKi sunt. Nec conveniebat TiUsittMorntnnM*apiritoura pKe~dia captan*.« quem tu in banc exeeUentiamcomponcbat, nt si'mtcm Deo acérés. » On a Mppo'wque le mot de <aerMe~<M)Mdevait s eatendfe ici du crime de lèse-majesté repHM'h~à Boèce,et l'on a produit plusieurs textes d'écrivains de t'antiquité dans teeqnebmot paraK etteetivement devoir être aiMi entendu. MaisBoècca parte plus haut d'*l'accusation de ièse-majesté, qu'it avait empêché un délateur d'élever eontM le sénat.ft il a dit en termes très clairs e Quibus senatum reum m~jestatis&)c.'n't.? tt partemaintenant des calomnies personnelles que t'étnde de la philosophie lui attire, et quiont servi à colorer l'injuste persécution dont il est t'objet c'est i Méede sacrilège.<'tnon pas une autre, que la marche du discours appelle. Que signifierait ce membre d'*

phrase « Viiisdmornm spMtaum pr<esid!acaptare? tt ne s'agi: pas là, évidemment.de menées politiques, mals de communicationsmystérieusesqui ont tous les carac-tères de la magie. J'ajoute que les plus anciens interprètes ne font jamais comprisautrement, et que leur opinion est connrmée par quetqaes manuscrite qui, an M)'ude MeW<e~f<~donnent M~M~to.

(3)De yr~M~ Proœm. aVobisMtudinspieiendnmest an M beatt Augustiniscrip-« t!<.SMxinarationum, auqnos in nos venientia, fructus extuterint. u

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« KXf~BS)OX8HtSTaMOtKSETPHtMSOPMtQ~S

livres de la C~MaA~/o~, et les Commentaires sur 1 0~<MMwd'Aristote, dans lesquels l'enseignement catholique n'a pas laissela trace la pins légère.

écarte de la discussion le fragment qui a pour titre CwM-M~~ /0~c ~MAf/~wp, M~</y~ SM~~tft <~ &tw<es<MMf~vA'A~ «K~~y. Dans les considérations abstnutes sur t être etsur le bien dont il est rempli, je trouve, en eNet, l'empreinte dunéoplatonisme, plutôt que celle de la métaphysique chrétienne;Hoèce a pu 1 écrire sans quil résulte de là aucune preuve desa religion.

J'écarte aussi le petite traité «Ao/~ww. quetout le monde, aujourd'hui, s'accorde à déclarer apocryphe. H aété attribué tour à tour à un certain Boethus Epo, maMre de ru-nivcrsité de Douai dans le xv" siècle; &Denys le Chartreux;!'ierre de Blois, et & Thomas de Cantimpré Ce qui n est pasdouteux, A en juger par le tableau animé que l'auteur a tracédes écoles de Paris, c'est que la date de la composition n'est pasantérieure au milieu du xn' siècle; mais elle n'est pas de beau-coup plus récente, car dès le siècle suivant l'ouvrage était lu, etil est

iréquemmenteitépar\incentdeBeauvais(i), Roger Bacon (2)yet XicolasTriveth, un des disciples de saint Thomas d'Aquin, dansson commentaire inédit sur la Co~o~/o~ de A:~7<M<~M'.

En résumé, A prendre les ouvrages qui portent le nom deBoèce, ceux que le christianisme a inspirés ne paraissent pas luiappartenir, et ceux qui paraissent authentiques sont des œuvrespurement profanes, d'où la pensée chrétienne est absente.

J aurais pu aisément insister sur ces différents points, si je neles avais considérés comme à peu près acquis à la critique, et si jen avais craint d'abuser de l'attention de l'Académie.

Cependant, je le répète, il existe une tradition très ancienneet très peu équivoque, c'est que Boèce n'était pas seulement unphilosophe nourri de la lecture d'Aristote et de Platon, mais leplus Ndèle chrétien; c'est qu'il a écrit pour la défense de sa foi,qu il a souffert et qu'il est mort pour elle. Cftte tradition sera-t-elle restée sans qu'on lait expliquée? Dansune simple question

Il, cap. ~MVM,ïMnK; XVM,cap t.vt,xM;~ec.I~ist.XXI,œp.xv.~) ~< M~tt~~ fap. Tt

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A TRAVERStE MUTES AUK. t

d histoire et de biographie qui doit surtout se résoudre par des

témoignages contemporains, par des raisons tirées du caractère

et des doctrines de l'écrivain qui est en jeu, j'admets qu il ne suf-

use pas qu une opinion soit très répandue et qu'elle compte plu-sieurs siècles de durée pour être acceptée comme une preuve<lécisivequi doit clore le débat; mais ne constitue-t-elle pas, tout

au moins, une forte présomption qui tient la critique en suspens,tant que celle-ci n a pas réussi Aen rendre compte?

Que Boèce, comme on l'a cru si longtemps, mérite une placedans rhistoire de l'Église à coté des docteurs et des martyrs, nous

ne le pensons pas; mais il nous parait indispensable de recher-

cher & quelle époque, dans quelles circonstances, par quelleconfusion de personnes et de noms, cette tradition s'est établie. Si

nous parvenions à découvrir ses origines, le prestige qui l'entoure

s'évanouirait, et l'erreur séculaire qu'elle sert Aentretenir per-drait son dernier prétexte.

t:'est là le but des recherches qui suivent; nous voudrions quec'en fut le résultat.

Nous possédons sur Boèce le témoignage de deux écrivains

qui furent en relations avec lui, et dont les lettres nous ont été

conservées, Ennodius, évoque de Pavie, et Cassiodore.

Ennodius, en plusieurs passages, loue ses grandes qualités, son

talent précoce, 1 assiduité dans le travail, une érudition assez

vaste pour embrasser la sagesse des (,recs et celle des Latins ~t).Mle nomme à la suite des personnages éminents par la naissance.le savoir et la vertu, qu'il propose pour modèles, dans ses con-

seils sur Féducation, à ses jeuues amis, Ambrosius et Beatus (2);mais nous ne lisons nulle part, dans cette correspondance, queHoèceeut allié aux études profanes la méditation des vérités di-

vines. Ennodius ne parle pas de sa religion, et ne le loue jamaissur ce point; il n'emploie même pas avec lui la formule chré-

tienne, fo~f Christo, dont il se sert avec d'autres, par exemple

(t}&MMdMM,jîpttt. \M, t3 Qaem (Boctiam) ta aMis pacritibos, sine a~atb

pnejmdteto,tadMtria &ctt antiquum, qui )ter (UMgentMMimpiesomnequod cogitur,« eot iater TttœeMtd!a Indusest lectionis aMidmttas,et deUebf sndor aHenas.f

(2)fafa'MMM <«<&MeaMca« Est BeeUtMpatricius in quo vit dtacendiannos respi-« e!<, et iateMigb petit!am saf~eM jam dawnd!: A' quo emeBdahtfaot jttdhtoit<<eteeUe. »

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«' EXCtJttSHtXSM)STOB)QUj;sET PBtMS~PMtQ~ES

avec Symmaque (i). Que, dans une société dont tous les membresont les mèm~j croyances, ces

témoignages particuliers ne soientpas nécessaires, puisque chacun est présumé, ju'qu'a preuve ducontraire, partage la foi de tout le monde j'en tombe facilementd'accord; cependant lorsque c'est un évèqne qui tenait la plume.comment ne pas s'étonner qu'il ont laissé dans l'ombre tout cequi touchait à la religion, tout ce qui pouvait la rappeler, sur-tout si elle avait été lit grande affaire du protecteur et de l'amiauquel il écrivait?

Dans les lettres qu'il adresse il Boèce, au nom de Théodoric.Cassiodore paye un juste tribut d'éloges & t'interprète laborieuxdes anciens; il vante, il admire et ces traductions savantes quiont enrichi les lettres latines de qnetqnes-uns des chefs-d'œuvreles plus importants de ta philosophie grecque (2), et cette variétéde connaissances qui permettait à l'éminent écrivain de descendredes hauteurs de lit théorie aux détails de ta construction d'uneclepsydre et de la vérincation du poids des monnaies (3). MaisBoècea-t-il été aussi versé dans les matières ecclésiastiques? Est-ilintervenu dans les controverses qui partageaient alors la chré.tienté ? Cassiodore n'en dit rien, même dans les ouvrages de lafin de sa carrière, dans ceux qu il écrivit au monastère de Viva-ria pour l'éducation des religieux. Je m'explique aisément qu'iln'ait mentionné nulle part les livres de la Co~o/~o~; car lescirconstances douloureuses dans lesquelles ils furent composés, etles attaques ouvertes qu'ils renfermaient contre le gouvernementde Théodoric, eussent difficilement permis à l'ancien secrétairedu roi des Goths de leur accorder un souvenir. C'est ainsi queVirgile et Horace, les chantres dévoués de toutes les gloires deRome, n'ont pas nommé Cicéron dans leurs vers, afin d'épargner

(t) Epist.VMt.25 <.Va)cta Christoa.MtM,Romana*genM<;MMUtiM..»(9)Cassiodore.~M-«MWMMb. 45 TMMt.<batbMt~ P~hamMaBMtsh-tM<.Ptot.~ .~n.m~ teguaturMath.N~m.~M .dthmeti.M.~m.tfi~ E.~.Md~ andtMtafA.M.ih. PlatothMt~s. Aristolelesquirinati diseeptant.«M<h.n:cam A~hh~d~ htMen,8!c.M.r<.ddMi~etqua~qn.dt~vd artM&cund.G~ch d~ TtM.edidit.te .M M.naM.E.« maneBornaMMeepK.QM.~tantaTedM.n.mtaeatenUareddidistictam<LtantaMtMea.patate coMph-OM,ai petaiMentet MM.pM tanmpneferre,sitttnuMaedhM-'<fiMent.»ta)ter<<trttMt!b.~Met4&.

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ATRAVERSM:MOYENAt:E. tt

a Auguste le souvent!* accusateur de sa mort. Mais nul motif dece genre n'existait pour des ouvrages de pure théologie. ttira-t-on que, Théodoric étant arien, Cassiodore n'a pas voulu louerdes écrits on règne la pure doctrine catholique? MaisCassiodorene partageait pas l'hétérodoxie des princes qui se servaient de so

plume, et en maints passages il a sévèrement jugé l'hérésie d A-

rius, qu il qualifie d'erreur insensée (i). Si donc Boèce avait écritles ouvrages qui lui sout attrihués, Cassiodore les aurait cités cer-

tainement, comme il a cité ceux sur la logique, l'arithmétique.!a musique, et tant d'antres ouvrages, dont les titres épars dans lacollection de ses œuvres peuvent donner une idée de son éruditionet de la précieuse bibliothèque réunie par ses soins t1Yivaria.

Lorsque Théodoric voulut envoyer à Clovis un musicien con-sommé dans son art, qui devait porter chez les Francs, à peineconvertis au christianisme, les premières tueurs de ta civilisation

romaine, ce fut Boèce qui reçut la mission de désigner 1 artiste.Dans la lettre qui lui fut écrite à ce sujet par Cassiodore, un sa-vant critique a relevé quelques phrases pompeuses sur les effetsdivins de la lyre de ttavid, et sur les nouvelles victoires que ludouce puissance du chant allait remporter, comme au tempsd Orphée. sur des cœurs Itarbares et païens (2). Ces expressions,bien que mêlées de beaucoup de réminiscences mythologiques,supposent sans doute, chez celui qui les emplovait, une semence

chrétienne; mais prouvent-elles que cette semence eut fructm<chez celui à qui elles étaient adressées?

Traversons le ve siècle, et cherchons si. au s~cle suivant, noustrouverons des indices plus certains du christianisme de Boèce

que chez Ennodius et Cassiodore.Isidore de Séville, qui mourut en 636, ce grand évoque si pro-

fondément versé dans toutes les branches de la science religieuse,auteur d'une encyclopédie qui, sous le titre modeste d'~yMo/o-

(<)Pf.f/ i. fMMeWMM,Opp.1.1),T «CuM)Satx')M)MdetMtat'M!<wt in Pa.tM. (<emeMAHtMddtmt<mtto Mt!a. P~t~~ «7. Oppt. Il, p. a7<StcutpMtat<<emeNMM<Xt<MArtamM.» (Cf.W. Tripart.t. c. xn.)(9)D''SehenM,<?&?-J~e<A<M<'M~<e<M.~eAMtt)tHMS,p. M.Vote!tepMM~d<-

<'asa!edore.r<tr<aMtmMb.Il, 40 <LoqaamnrdeMtolapsoe MetoPsattedoqtmdvirtotoorbefaotaMMsita tnodtttatotmproaa!nMBMspitatecomtMMtM.ut htahymnht

t etmentis~ntaernMnareat~,et dMnitaMsdngtttarhgratiaMnqntmtMr.Knqaod<'Mectttaa*mireturetfMdat pepotttnarMicatyMdiaboima,etc.

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'9 KXCUBSKMtSHtSMMQtJESETPMMtSOPtHQUKS

~s, résume tout le savoir de l'époque; Isidore de Séville a connules ouvrages logiques de Boèce, qu'il cite &plusieurs reprises (i);il a du connattre aussi la Co~Mo~MM A~~Mo~c, où, sui-vant la conjecture d'un ancien critique~ il aurait même puiséHdée première de ses ~o/ mais il n'en fait pas figurerl'auteur dans son catalogue des écrivains ecclésiastiques.

Chez Ildefonse de Tolède, même silence que chez Isidore deSéviUe.

t)ans un assez grand nombre de manuscrits, les livres de laCw~o~~ sont précèdes ou suivis de plusieurs notices que Ma-MMona déjà signalées (2), et dont quelques-unes ont été récem-ment publiées en Allemagne (3). Parmi ces notices, nous nousarrêterons pour le moment à une seule, qui contient le cataloguedes ouvrages de Boèce; nous l'empruntons à un manuscrit del'ancien fonds de la Bibliothèque impériale, et à deux manuscritsdu fonds de Saint-Victor, qui paraissent remonter au x° siècle (4);elle est assez peu connue pour qu'il ne soit pas superflu de latranscrire~ au moins en partie.

<'Boetius iste de familia fuit Torquati Manlii, nobilissimi viri.Uni etiam peritissimus fuit utriusquelingue grece et latine. Undefultus auctoritate grece scientie, multos libros de greco in la-

« tinum transtulit. Fecit et commentum super Isagogas, id est« introductiones Porphyrii. Edidit et aliud super Aristotelis Pe-« riermenias, id est interpretationes, quod divisit in duo volu-

mina, quorum aKerum Analitica, id est resolutoria appellavit,« ubi omnessillogismi artis rhetorice resolvuntur. Composuit mu-

sicam, quam transtulit de Pithagora et Tolemeo,Grecis; necnonetiam arithmeticam, cujus partes sumpsit de Nicomacho. Fecit

« et alios libros perplures. Novissime autem, jam senex, edidit< hune librum in exilio positus. M

C)~m~.M,M;Mt<9.(3) JtfMMMM«o~MM. 1.1. part. t. p. 9t9. Mette ParMoram. 1724,tM.4"

de l'édition de la~<M.f&~ d.~)

)'ar M.Th. Obbarius, p. XMvet <mtv..ïéNa. Mt3,ia.8".(4) Bibliothèque nathmate. âne. fonds, aMo; fonds de 8a!nt.V!etor 200 et 75<Je ne eathem! pas que cette not!ee est aMezsouvent mM~e, dans les mamMetits à<taetfM bbgmpMes abfe~es qui ~ot mention des ecrtts tMoî~atMade Bo< Mia

~Ue~~pM~mt d'enc d~ p!~ t~eat.. Ce Mnt des ~<. de dMeMat~'maK'M et de dMétemtsSectes que le copiste a ~an!!<.'nattes

Page 17: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSLEMOYENAt.E. t:<

Ainsi, les seuls ouvrages que le biographe inconnu, mais as-

surément très ancien, attribue à Boèce, consul et sénateur, cesont plusieurs traductions faites du grec, les commentaires sur

l'O~MMM~ deux traités d'arithmétique et de musique, et les

cinq livres de la C<MMO~MM.S'il ajoute que Boèce en a composébeaucoup d'autres, /!?<~ ~<M /~<M~yAM'~ il n'indique pas,même par l'allusion la plus détournée~ ses prétendus écrits théo-

logiques ce silence ne serait-il pas bien étrange, dans le cas of)de pareils écrits auraient circulé alors sous son nom?

On pourrait objecter que, parmi les œuvres du vénérableBède figure un commentaire sur le livre De /« ywM~(i); mais, de

l'aveu de tous les historiens, ce commentaire est apocryphe, et

effectivement, à en considérer le style et les divisions scolastiquesdont il est parsemé, il est aisé de reconnaltre une plume duxtv" siècle ou tout au moins du xuf.

Il résulte clairement, sije ne me trompe, de tout ce qui précèdeque, deux cents ans après sa mort, Boèce, déjà célèbre comme

écrivain profane, n'avait encore aucune notoriété comme écrivain

ecclésiastique, comme théologien. J'ajoute que, dans ces tempsreculés, on n'aperçoit non plus aucun vestige de la tradition deson martyre couronnant une vie consacrée à l'étude et à l'apologiede la foi catholique.

Sa disgrâce est attribuée par Procope (2) aux délations de gensenvieux, et à des motifs purement politiques. Le chroniqueurMarius(3) la mentionne, sans explication, sous l'année 62~. Gré-

goire de Tours n'en parle pas, bien qu'en son livre De la CAwvcles martyrs, il s'étende sur la persécution ordonnée par Théo-doric contre les catholiques d'Italie (4). Saint Grégoire le Grand.revenant sur les mêmes faits, raconte dans ses Dialogues (5) que.

(t; Oudin,Comment.de<t<f<p<oW6tMecc~tMttc~,1.1,col.t707,sexpHmeenCMtenmMMsujetdeeecommentaireaotetrecentemMhotastieepateitKBmethodnm;«andelongedistatabtpdsBedœtemportbNa.JuretgttorabommtbtMmterapor<aad«MtmhMticambatbaMemK-tteitnr.. Fabricius,Biblioth.med.e<<N/:latiaitatis,t. p. tM eBedmMppo~tameMenondubitantviridoet!.).

(2)Procope,BeeeMeCo<&<co,1.1.c. t.(8)NecweHdesMttof(etMdes6e<t<e<et deta ffaaee.t. H,p. là.(4)DeGloriam<M<tf<t<m,cap.xt.,danslerecueildesoptMcntMdeGrégoiredeTaMM

tmb!M,peut h SoeKMdet'HhMMde PMM!)'.~r M.Bordier,Paris,ta67.~.6".p. tt3.

(5)B<<!<IV,cap.MX,Opp.Pa~Mb,i706.in.M. t. M,p. 420.

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EXCURStOXS MtSTOMQ~ES ET PtMLOSOPMtQ~ES

le jour de la mort du roi des Goths, un solitaire qui habitait l'Ilede Lipari, près de la Sicile, eut une vision dans laquelle le princelui apparut couvert d'un sac, les pieds nus, et les mains liéesderrière le dos, s'avançant comme un criminel vers une fournaiseoù il fut précipité, U avait à ses côtés deux de ses victimes, le

pape saint Jean et le sénateur Symmaque, égorgés par ses or-

dres mais dans cette vision Boèce n'a pas de rôle, et son nom,quoi que prétende D. Gervaise, n'est pas même prononcé par lesaint narrateur.

Un martyrologe imprimé dans lit collection des œuvres deBède associe Boèce avec Symmaque au martyre de saint Jean;mais on tombe d'accord que ce martyrologe est une compositionapocryphe d'une époque plus récente. Celui dont Bède est l'au-teur a été publié par les Bollandistes; Boèce n'y ngure pas (i).

Non seulement Boèce n'était pas rangé, dans les premiers siè-cles du moyen Age, parmi les défenseurs de la foi; mais, dansl'une de ces anciennes notices que nous avons déjà citées, il semontre Anous avec des traits tout différents, avec la physiono-mie authentique qui ressort de ses véritables écrits. En eaet, l~après avoir raconté qu'il voulait affranchir Rome et l'Italie dela domination tyrannique des Goths, et qu'il avait dans cettevue entamé une correspondance avec Justinien, le biographeanonyme ajoute qu'il fut poursuivi comme se livrant à la nécro-mancie, et comme adorant les idoles, ~K<KMMM-A~WM<~M?<K/o-l'ator < ~MMiM~/wM~ cM~w (2). Ces derniers mots sont la tra-duction, sans doute un peu forcée, de ce passage du premierlivre de la C<MMoA~<M~que nous avons cité, et dans lequel Boècenous apprend que ses ennemis avaient tourné contre lui sonculte pour la philosophie, et qu'ils l'avaient accusé d'être encommerce avec les démons. Mais si le souvenir de ces griefschimériques s'est perpétué, s'il a été recueilli par les plusanciens biographes, à quoi se réduit ta tradition du christianismede Boèce, et quel cas peut-on faire de ces portraits de fantaisie

(t) Beda<Opera, Badtew, t663, ht-M. t. lit, p. 4t0; <t~oS. ~~WM, 1.1, p. xx.~) BiMtetMqMBnationale, tonds de Sorbonne, 3M MCorn accnsaretur quasi n!'citmMMtia)epeta~ et qttaatMatamM CMMM-,mwtthqtMatHaet!tata&as itKMsàreter. apud Tteinom exMteMie~tM est. La même notice, avec les m~MeaMpMit.

stom, selit dMMle tMmuao-M~Mda fonds de BatBt-Vtetor.

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A TRAVERSLK MOYENAGE. <5

dans lesquels il est représenté comme le champion du catholi-cisme persécuté?

En marchant pas Apas avec l'histoire, nous sommes parvenus&rentrée du VtM°siècle. Boèce, on l'a vu, n'est encore cité quecomme philosophe et comme traducteur; et cependant voici que,vers l'an 725, le roi des Lombards, Luitprand, lui élève un mau-soléeà Pavie, dans l'église de Saint-Merre-au-Ciel-d'Or, qui étaitfondée depuis peu. C'est ce mausolée, aujourd'hui détruit, queHante avait visité, et dont il est question dans ces vers de la D<-tMe C~MtA~ par lesquels Je poète salue Famé sainte de Boèce,

qui dévoila les mensonges du monde aux hommes attentifs A savoix

L'animasantaehe't mandofallaceFa manifestea cMdi leibéa*ade (i).

<)ny lisait encore, au Xtv°siècle, cette épitaphe g-rossièrement

composée, dont nous transcrivons les deux premiers vers d'aprèsun écrivain anonyme, auteur d'une description de Pavie, queMuratori a publiée (8)

Hocin sareofagojaeetpceeBoetiusarto

Magnuset omnimodomagniBeandnshomo.

Ceshonneurs, si nouveaux dans t'histoire, qui furent rendus

par Luitprand à la mémoire de Boèce nous annoncent que la re-nommée du conseiller de Théodoric s'était transformée, et quedésormais ce ne sera plus seulement l'interprète d Aristote dontl'autorité sera invoquée en sa personne.

En effet, mc~s d'un siècle après, Alcuin, au chapitre premierde son traité De /« ~'occ~o~ </M~w<J?~ mentionne sousle nom de Boèce l'opuscule ~p A<~M/ 11parle de l'auteurcomme d'un personnage également habile dans les lettres divines

(t) ~<tM)AX, t24et M)!v.«J étahaUéAMtH-t'MfM.aN.Ciet.dOf.dit M.Vatery(~o~MeN~e~ Paris,taaa. t. t. p. t<M),chercherle tombeaude Bo~cf. il n'yétaitplus;depuistrenteanscetteégliseestMpprimép,et eUeétaitencombréepar letettnwg~4'<mf~îaent polach*.Lf<~n d<tBoeeeavaitétémisàtacathedratc.»

(a)~M't~m<f~MM~ CeMMe)t<aWM<de ~NM<f<6)M~a~ap. Muratori,~«tM~oMe<tM<M«t~ t. Xt,MÎ.t3.

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'e EXCt~RSMXS !HSTOBtQfES ET PMtLOSOPHtQUES

et dans la philosophie, Bo~MMt/f ~<~«'s ~p<-~0~ ~M-.~opAtcMpo/MWKt~MsffM~Ms(i). Il ne dit pas à qui l'ouvrage estadressé, ni quel en est le titre, mais seulement qu'il a pour objetl'unité de la substance du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Hinc-mar, après Alcuin, s'appuie, dans les discussions sur le dogme,du témoignage de Boèce (2). Sigebert de Gembloux et Honoréd'Autun le comprennent parmi les écrivains ecclésiastiques (3et, à l'exception de l'&e/M~Mw .!oaMM<w<'de la foi cA<Aw<wqu'ils ne connaissent pas, ils regardent comme authentiques tousles autres écrits qui lui sont attribués. Mest cité en maints pas-sages par Abélard, qui se plait &couvrir ses propres opinionsd'une autorité aussi respectée (~). Enfin il trouve un interprète enGilbert de laPorrée, évoque de Poitiers (5), auquel ce commen-taire, semé de propositions malsonnantes, a valu, dans l'Église etdans l'école, une renommée très équivoque. L'~o~o~ .<<MM-~<M~ foi <A~M<w est le seul écrit à l'égard duquel la tra-dition ne soit pas encore fixée, car j'ai découvert qu'elle est citéesous le nom de saint Augustin dans le /)~ de Gratien (6). SaintAugustin n'en est pas l'auteur, puisqu'on y parle de l'hérésied'Eutychês, qui ne parut qu'après la mort de l'évoque d'Hippone;mais cette erreur est une nouvelle preuve de la facilité avec la-quelle les attributions les moins vraisemblables ont pu autrefoiss'accréditer.

Tandis que les ouvrages supposés de Boèce pénètrent ainsi dansle courant des études et de la controverse théologique, son nomse trouve associé à celui des mavtvrs.

(t) DePMMMtMeS.Sp(W«t~opp.curaet <i)u<UoFMbenM,Ratitbonm,t77t,).<-fol t. t, p. 763.(2)0~. ed.J.8t~<md.P.rMk,t<M6,t..M. t.1,p. 4eo.474.6M.M. (. M.p. a.J jL~ < ~P. "M; SigebertM.<M-t~Mece<e«a~<eM,cap.xMTM,ap.FabdeUB<6~ e<-e~<e~.Hambnmtœ.t7tX.la-fol.p. 87et97. a < <

Cousin, ~.MM. t. M. p. M, t<!3.4M. 4~.*'W et 807.

(t) CestMmBentatn-ssontà taaaMe Œttt~ de Bo&cedansl'éditionde Bé!t..«70, Mt*M.

? P. < D.xt.cap.vm Cathotteae~ta per.rbemdimMa,irtba&<Mdtsproba-tur existere.QoMqatdenimia çatenetu)-.aut MctM-MM<~wWptNMMm.aat tm.dH!ou~Ka!b. aut eertepropriaet nn~emattsintwpMtatto.ete.Toat MMM-X' ~?~ Gratienle transcritsousce titre e. ~<<~(~<a<M<aKttwde Me e&t~<<Mta.

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A TRAVEB8M MOMNAGE n

Mff.t.t)),)t.))!0.MCCMMttSMtStOttt~M. j

Parcourez les écrivains du tx* siècle, Paul Diacre, Adon de

Vienne, Anastase le Bibliothécaire, Adrevald, le chroniqueur desmiracles de saint Benoît; quand ils parlent de Boèce, ils le quali-fient de catholique, et le rangent parmi les victimes de l'intolé-rance religieuse du roi des Goths.

Cependant les idiomes populaires s'emparent du thème que latradition nouvelle a fourni. Alfred le Grand paraphrase en anglo-saxon, dans un sens catholique, la Co~o/a~Mi de /~M<M<~M';un ancien troubadour en tire le sujet d'un poème, dont la pre-mière partie a été publiée par M.Raynouard (i) le moine Notkerla traduit en allemand (2).

Nous venons de marquer, je crois, l'époque précise ou la tra-dition du christianisme de Boèce a pris naissance en Italie, et delà s'est répandue dans toute l'Europe; mais comment cette tra-dition a-t-elle pu se tonner? Quel motif poussa Luitprand à éle-ver un tombeau dans une église chrétienne, près du maitre-antel,dit-on, en l'honneur d'un personnage illustre sans doute, mais

qui ne se recommandait jusque-là que par des titres purementprofanes? Ce motif fut, autant qu'on peut le supposer, une confu-sion de personnes dont je crois avoir découvert l'origine.

Le nom de Boèce, sur l'orthographe duquel on dispute encore,et qui parait devoir s'écrire Boe~:M ou ~<M~w~ du grec po~<!?,était plus répandu qu'on ne pense chez les anciens. On connaîteffectivement plusieurs personnages qui l'ont porté, entre autresBoethus de Sidon, le disciple d'Andronicus de Bhodes (3); Boe-thus de Ptolémaïs, le contemporain de Galien (4) Boethus le stoï-cien, mentionné par Diogène Laerce (5); Boethus de Tarse, donton possède une épigramme (6); Boethus le platonicien, que citePhotius (7). Mais, !)ans remonter à une époque aussi éloignée,considérons seulement le vt" siècle; il ne noug offrira pas moins

(t)Choix<~M~M des<Mt<6<Mh)MM,t. il.(2) Ce&ef<e<:MM6'MM< JM<Mef)M~ der poM NMM<<« <w/<M~M 8 iMc~- ih'

Mt<ttBo)attoaepMtosophhB, s«tM ef«en M«(c Ae<'<nM9em'6Mvon Ë. C. Craff. BerMo.1837, in.a".

(3)FaMetM.mM<o~.~Fc.. t.Mt.p. Mo.(4) h iv. p. aea. MO et 6M.(6)FM. t. tu, p. Mo.(C)~M.t.tV.p.M7.(7)M~. t. III.h. tM

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« EXCCRMOX8MtSTOMQUESETPMtMSOPMtQUES

de quatre personnages plus ou moins considérables qui se sontappelés Boèce. Chose remarquable! ils étaient tous catholiques,et ils ont occupé de hautes fonctions dans t'élise d'Occident.

Le premier est un évoque de Cahors, qui assista, en 506, auconcile d'Agde, en 5ii, au premier concile d'Orléans, commenous l'apprenons par les actes de ces deux assemblées, sur les-quels il signa avec son nom et sa qualité (<).

le second était uu évoque d'Afrique, de la province de Bvza-cène. Vers l'année 504, il fut exilé en Sardaigne avec saint Ful-gence, et d'autres évoques, au nombre de soixante, puis de deuxcents, par le roi des Vandales Trasimond, prince arien, animédes dispositions les plus hostiles contre les catholiques. Le ban-nissement de tous ces prélats s<*prolongea jusqu'à la mort deleur persécuteur, qui eut lieu en 522 (2). Le nom de l'évoque Boèceou Boethus, comme l'appellent les éditeurs des œuvres de saintt~ulgenep, figure avec celui de quelques-uns de ses compagnonsd'exil dans trois documents des premières années du vf siècle.Le premier est une lettre au prêtre Jean et au diacre Veneriussur les mystères de la grâce; le second est une sorte de consulta-tion adressée aux évoques bannis, par les diacres Pierre, Jean etLéontius, au nom des moines de Seythie, sur l'incarnation et lepéché originel; le dernier est la réponse que firent les évêques;elle est très soignée, très approfondie, et a les proportions d'unvéritable traité sur la matière. Lorsque Jes jours meilleurs com-mencèrent a luire pour son église, Boethus a-t-il revu l'Afrique?Nous l'ignorons; mais il est beaucoup plus probable qu'il mou-rut en Sardaigne, car son nom ne figure pas dans les actes duconcile que Boniface, le nouvel évoque de Carthage, convoquadons cette ville, en 526, pour réparer les plaica causées par uneaussi longue persécution (3).

Soixante ans plus tard, l'église de ~rpentras fut égalementgouvernée par un prélat qui portait le nom de Boèce, qui as-

;t)C«MactfMoMc,t. p. h9t t~bbe.CoMc~.t. V.p M3etMa.~)BMenhM.~Ma~t MchMto~.cum<-rM.Ant. t. V,t~crn,t743.ttt'M. td mm.11)Baronlu8,AaaaleaecctBalaat.eamf~rll.Ant.rauil,LIIeœ,t:4tl,in·Coi,ac!nan.

~99.(. p.M Mt~M (MennMtB)(fMttwHMt~eptMopatuala AMeamtw<tcatM«etltpostnanar;'/8IulI,plem.fluiebhœretlc/ataerutextermtuatus.b(Uoaf.8.Fui.Mtpost ooMMvtgtnttMpteM.qutabhtCMttcte6M)-atettefmttMttM..(Oonf.8.Fat.t~nttt.NtMpMMt.teptMttptO~eM.PaHeMB.t<M4,)n.< p.MC,277pt9M.)

(!t)Labbe,t'Mf~. t. V,p. 183.

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A TRAVERS LE MOYEN AGE. ,0

sista, en cette qualité, au concile de Valence en 58~. et qui se fitreprésenter,'l'année suivante, par un délégué au concile de M&-con. Outre les indications que donnent sur lui les auteurs du~&« cA~s/MMa, on possède son épitaphe, qui nous a été con-servée par Suarez(i).

Le dernier personnage s'appelant Boèce dont je signalerai latrace est un évoque de M&guelonne (2), qui délégua l'archidia-cre Genesius pour le représenter au concile assemblé, en 589 &Tolède, par le roi Reccared; l'année suivante, il assista en per-sonne au concile de Narbonne, avec tous les évoques de sa pro-vince.

Si le nom de Boèce était assez répandu au vf siècle pour. que,dans l'espace de quatre-vingts ans, il ait appartenu, sans parlerdu consul, à quatre évoques, n'est-it pas naturel de supposer quel'un de ceux qui l'ont porté, martyr obscur de la foi, aura étéconfondu avec l'illustre patricien, et que ces deux figures, mê-lées en une seule, auront formé le personnage, honoré de l'Égliseet cher aux philosophes, dont la double renommée jette encoreun si vif éclat? Mais cette conjecture peut être pressée, et descoïncidences singulières, de fortes vraisemblances, à défaut depreuves directes, autorisent à croire que le personnage inconnuqui complète en quelque sorte le disciple profane d'Aristote etdes anciens, c'est le second des prélats que nous avons cités c'estBoethus, évoque d'Afrique, exilé et mort en Sardaigne.

Avant d'élever à Boèce un tombeau, Luitprand avait rendu lesmêmes honneurs à l'évêque d'Hippone, &saint Augustin. La dé-pouille mortelle de ce grand saint avait été enlevée a l'Afriqueet transportée en Sardaigne par ces mêmes éveques, victimes despersécutions de Trasimond, au nombre desquels se trouvait l'é-vêque Boethus. Elle y resta jusqu'à l'époque où, les Sarrasinss'étant rendus maîtres de l'ile, Luitprand racheta de leurs mains,moyennant une forte somme d'argent, ce précieux dépôt, qu'ilfit conduire à Pavie (3).

S ~S" t. p. BM.th. hnperi.tc.mM.8MM.t. V,p. M«.~) GaltlacAf~atta, t. VI,p. 730et a<ttv.f. M"

J~ Mb.Vf.cap. ap.Muratori,vero'<

d.tmp.t.t.BM<u,,t.,e~m tcMtth .M .M Attg~tMept~pi pMptervMKtMMem

Page 24: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

2" EXCPBStOXSMSKMUQCESETPBtLOSOPiMQPES

Tous ces faits nous sont attestés par Paul Diacre, OI~~ade, Adonde Vienne, l'auteur anonyme de la description de Pavie, et uneancienne charte que Mabillon a publiée dans son Voyageen Italie.

Mais la piété du roi des Lombards ne se borna pas là. Vou-lant aussi mettre à l'abri des outrages des soldats du Coran lesreliques des confesseurs de la foi qui étaient morts en Sardai-gne, il les recueillit pour les placer à côté de celles de saint Au.gustin. Parmi les martyrs dont il fit lever les corps, les historiensnomment Luxorius, Ciselius et Camerinus (t). Je ne sais si je mefais illusion, mais je ne crois pas hasarder une induction témé-raire en supposant que la tombe de Févèque Boethus fut retrouvéeavec celles de ses compagnons d'exil; qu'en raison de la ressem-blance des noms, qui rendait si facile ta confusion des personnes,elle fut prise pour la sépulture de l'auteur de la Co~o~/M~la ~<Mo/ et que les souvenirs, encore vivants, de la per-sécution de FËgIise sous le règne de Théodoric contribuèrent àenraciner cette erreur, qui devint générale après que Luitprandeut achevé dans Pavie le monument qui la constatait.

il est aisé, dès lors, de déterminer à quelle plume appartien-nent le livre De ?~~ celui Co~-e EM/yc~s, et 1 j~.M/<wAOM!MM~<~ foi cA~~M~p, vulgairement attribués à Boècele consul; je pense que ce fut en Sardaigne qu'ils furent compo-sés, et que Févèque Boèce en est l'auteur.

Bienque l'ère des grandes controverses fut fermée au vf siècle,le débat continuait avec subtilité, même sur les points qui avaientété réglés par les conciles de Nicée, d'Ëphèse et Chalcédoine.L'hérésie d'Arius, embrassée avec ardeur par les conquérantsgermains, celles de Nestorius et d'Eutychès, très répandues enOrient, remuaient profondément le clergé, et provoquaient, d'un

harbarontm«Mmtmnstataet honoriacefuerant.MdKa,fœdarent,misiteo,otdato<- magMpretio,acfepKettranstuliteainurbentTieineMemiMquecumdebitotanto

patnhonorecMdtdM.e (Cf.Baronius,AnnalesfeetMta~.ad annMn725 t \Mp. MOet~q. MabHton,.W<M.CMMt/a<<ct<m,1.1.p.2taet 2t9.)

(1)AnonymusTidnensM.ap.Muratori,t. XI,c.t. ta Efdesia8. Petriin Cœb-Aareo,quamampMeaTitLnitprandns,rex Lettgobardoram.atquedotavit.!nqua<.]MetcorpusbeatissimiAttgastini.eptecoptHippoaemia.docterbeximM,quiami.tasiMvirtutesostendtt;et corporaBB.MM.Luxorli,CisetU,Camerini,Rebostmn:etMarH,néenonB.Api~n!.ept~op!etfontfsMrb.qa<e«maiatranslatasuntdeSar-

« dmiaillue.cumcorporeB.AngustiniperdtOomregem.ItemcarpnsSe-verialBoetit« phttoMpM,viriDei.t

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A TRAVERSLE MOYENAGE. 9,

bout Al'autre de h chrétienté, de nombreux écrits dont quelques-uns sont parvenus jusqu'à nous. Indépendamment de plusieurslettres des souverains pontifes, je citerai les ouvrages de Vigilede Tapse, de saint Fulgence, de saint Avit et de saint Ëleuthère.En Sardaigne surtout, ces soixante évéques exilés formaient unesorte de concile permanent, qui délibérait sur les matières théo-logiques et donnait des réponses aux questions que des particu-liers ou des églises leur avaient soumises, comme on le voit parles documents méme~ au bas desquels se lit le nom de l'évoqueBoethus. Saint Fulgence (i), au témoignage de son biographe,était l'âme de ces réunions; c'était lui qui tenait la plume et quidirigeait les décisions; mais il ajoute qu'elles étaient d'aborddébattues en commun avec beaucoup de maturité. Il est probableque les écrits portant le nom de Boèce, et qui sont si peu en rap-port avec les ouvrages authentiques de l'auteur de la C<M<so/<~<M<

~~o.M~<~ n'ont pas'd'autre origine que ces délibérationsoubliées.

Et d'abord la date de la composition correspond exactementaux années que les évoques d'Afrique ont passées en Sardaigne.Le prologue du traité Co~~ Ft~c~ renferme, à cet égard,une indication très précise c'est la mention d'une lettre sur leseutychéens, dont il vient d'être donné lecture devant l'auteur,et qui lui a fourni l'occasion d'écrire sur ces matières. Les exprès~sions qui sont citées s'accordent, pour ainsi dire, textuellementavec. celles de l'exposé que le pape Symmaque reçut, en 5ii, dela part des Églises d'Orient, que ravageait IhérésM (2). Le traité

«) & M~M, episcopi NtMpCM~, ~e, a ~M~m efus discipulo cmMe~,cap. M «Post ddihemtt.nis autem longiasimasmoras, quidquid deS.:ti. c.mmMbtnvenerat, e~tteater aUegMAamsensMmscœtMoram beato Fn~enUe d!mtttebaturHatcethm qnandoounque tmtMaMftnh litteris de Me vd de diversis qn~teoi.« bus tntenroeabMtMtq);ae< respondere pro omnibus ab onmibns imponebatar.

S~ X'~ episcopostune catena ligabat etitU, quorum Maga. et~BhMmheatnsMgenMMepïaeopaftf.tit.. n'I du traité

~~< MaUeat ce qat saH Memtabt!, cum inMndMo ~Mta, ~t.~ MdhUmn N~ycMMM ex d~b~ Mh~ CbfMma CM.MMeMeonBten. in duabas oegaM; cathoKœsvero utrique dieto MempMBbere nam« et naturis ~nststere et ta dnabN. apud wm Met Metatores<BqaaU.« ter ?A!I. Voici maintenant ce que nous Ms<mBdans la tettM que tea éweqMead'Orient ee~iMnt au pape Symmaque,et que BaMaiM a reproduite (~MMÏ.<~M.t '&, a<t a<ttt.6t<) a Noseatm. emndem (ChdstMm)esse exhUmamas ex duabus

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M EXfUMSK~S M~TORtQt ES ET PHtLOSOPmQVES

C<w~<*J~y<~A! fut certainement rédigé cette année même onla suivante et les analogies qu'il présente, quant à la méthode etau style, avec l'opuscule et le fragment sur la ?Ww7<~je diraimême avec I'~ywM~/<w xowww~ la foi cA~~wtf, autori-sent à penser que tous ces ouvrages sont sortis de la même mainet qu'ils ont vu le jour Apeu près dans le même temps.

Sous le rapport des matières qui s'y trouvent traitées, et dufond de la doctrine, les productions dont il s'agit ne dînèrent pasde tout ce qui se pensait et s'écrivait en Sardaigne durant teséjour des évoques bannis. C'est sur la Trinité, l'incarnation, lesdeux natures et l'unité de personnes en Jésus-Christ que la dis-cussion roule. Les arguments sont ceux que saint Fulgence a sisouvent fait valoir, au nom de l'Église d'Afrique, contre les hé-résies répandues autour de lui. Ainsi, pour me homer à un seul

exempte, car je ne voudrais pas taire une excursion trop pro-longée sur ce terrain semé d'écueils, t auteur explique le mys-tère de la Trinité de la même manière que saint Fulgence, commelui développant les germes contenus, c'est son expression, dansles écrits de saint Augustin (t) il enseigne que les noms de Père,de Fils et de Saint-Esprit, marquent de simples relations entre lespersonnes de la Trinité, relations qui sont sans doute nécessaireset éternelles, mais qui, ne supposant aucune dinërence de nature.n'introduisent pas de division au sein de la substance divine. ÇAet là j'ai relevé aussi des expressions communes aux deux écri-vains, ce qui est d'autant plus remarquable qu'elles touchent àces nuances de la pensée, délicates et subtiles, dont la définitionexacte est le triomphe du théologien (2).

« natMtrbet in daabm natad~ tMi8M daabM quidem natnUs dtcentibM, la daa-« bas aatem non eoaNtemt!ba&nos M duabtMpt in dmbna pariter tUeimas ex doabos« enim dieeoteaex qathns subaistit oaMM;ta doabaa aatem ex quHme vism est.tes expressions rappelées dans te prologue da traité Co<!<~~x<ycAà<ot&ent unest frappante analogie avec celles de la lettre aux ëvtqoes d'Orient, qa a parait im.posaibte qa'eMes aient été empnmtëes à une aMtfe eentee.

(<)PnxBm. « Vobts inspidendum est an ex beaU Angmttai seWpth semina ra-e thmtttNatiq~M !a nos veateatta tmetas exMennt. N

(2)Je th dans le traité Contre NM~eM~ eap. ? Daos vero esse dicere Ohdstes,f niMt est aMadniât pneetpitata) meatb iasanh. Qoetqaes lignes ptas bas, eap. ~B<'Nee qaatemttatem Tdattath astral, dnm hanMaddUmrsaper pet&ctmn Demn..pEt veMla na da ttaKé, eap. vm Maadaeavtt (Cturistas)et Mt)M,et haman! eamoth*

«acb ihaftas est; qtMM!tMBe)'atmmMNe tn ChrMo, aaMa~!gaomt, s<'d potes-

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A TBAVEBSM MMEK A<:E. 9.!

J'ajouterai que, dans tous les ouvrages qui nous sont parvenussous le nom de Boèce, ta forme de la composition parait indiquermoins de véritables traités, au sens propre du mot, que des mé-moires sur des sujets en discussion. A peine le fait est-il contes-table en ce qui touche le traité Ce~v J?M~cA< car, s'il faut encroire le prologue, ce fut au sortir d'une assemMée où l'on avaitéchangé beaucoup de paroles, sans parvenir &s'entendre (i), quel'auteur prit la plume pour fixer ses idées sur les points en litige.La réunion dont il s'agit n'a pas laissé de traces dans l'histoire,et les biographes de Boèce sont très embarrassés pour en nxer lelieu et le caractère; nous y voyons, pour notre part, une confé-rence ecclésiastique tenue en Sardaigne, comme les évoques bannisen avaient entre eux habituellement.

L'opuscule sur la Trinité a aussi, dans un moindre degré, toutesles apparences d'une consultation, d'un discours adressé à plu-sieurs personnes réunies; c'est le sens que nous inclinons à donnerA ces expressions du prologue « tnvestigatam diutissime qua's-« tionem offerendam vobis curavi. Raris, id est, vobis tantum« colloquor. Quocnmque a vobis dejeci oculos. » Il est vrai quedans ta plupart des manuscrits t ouvrage est adressé ASymmaquele sénateur; mais ces manuscrits sont tous postérieurs &l'époqueou la tradition du christianisme de Boèce a pris naissance. Je con-viens également que le traitée A)ry~M~et celui C<Mt~'<'E<supposent, en plusieurs passages, la connaissance du grec; mais,si l'on en juge par les citations que les ouvrages de saint Fulgencerenferment, cette langue n'était pas inconnue aux évoques d'A-frique.

Une objection plus spécieuse, mais non pas plus décisive, ce sontles emprunts que l'auteur fait au péripatétisme pour l'explication

« tate, non necessMate.» le tnmTe les mêmes expressions chez saint Ftt~enee, e'7TWM<aMNMfMm~Hb.tM, cap. M « Nequts duos ChdstM nos edstimet c~defe. /;effe<nn)t <f<SMi.wm~cap. H Qn!sqais duas a~eMm nititar ln ChrMo teKonas.eaitoMm M non MaMatts sed Qaatemitatts agnoscat.. Ad Nc~OMm,<~M. M.<P. tv < Appâta Ch~stma ante ~M~oaem, tnM Maqaead PaMtoneMet mettetn.« mortale atque animale corpus habuisse. et pro nobia ta eodem corpore veram fa-e mem,veram sithn. &tteaUoaemqaesoMtMe.non aecesaHate. sed votMmtate.).

(t) PM<HN. < H!e omnM. hMonditnm eonamNmqaestMpfM née aM<Mht taate<- htmoHa.qui leviter aMt~m~ <pMMt:M~, a~tmt qat Mpedhet, !aTeatNsest.c TttUaigen~me, &temr,eompMMmqnetadottorom gKge, eoaUeNi..d

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9t KXCUBSKMtSHtSTOMQtJESETPH)M)80PtnQfE8

du plus auguste des mystères; mais Boèce le patrice n'était pasapparemment le seul homme de son siècle qui connut Aristote, etles traductions du rhétcar Victorinus avaient depuis longtempsrépandu de tous côtés les premières notions de la logique péripa-téticienne. Ne pouvons-nous pas supposer d'ailleurs que ces em-prunts ont été faits A Boèce lui-même? Le commentaire sur!W<~M~MM',auquel il travai~ait en 5i2, celui sur les C<~<MW.~qu il écrivit étant consul, c'est A-direen 5t0 (t), ne furent pas ses

premiers ouvrages; et tous ce jx qu'il composa dans cette périodesi prospère pour lui ont du, &peine achevés, trouver des lecteurs,même en dehors de 1 Kalie.

Si l'on s'étonnait ennn que Févéque Boèce eut été oublié de tousles historiens qui ont dressé le catalogue des écrivains ecclésias-

tiques, nous répondrions que cette omission s'explique tant parle petit volume et le caractère de ses ouvrages que par l'existencequ'H a menée au fond d'une Ue, loin de son siège épiscopal. Quel-que chose qui nous surprendrait bien davantage, ce serait qu'unpersonnage aussi considérable que le patrice Boèce eut écrit surles matières de théologie, et que parmi ses contemporains personnen'eut signalé les généreux eBbrts d'un grand esprit pouriadéfènsedu catholicisme.

Voici donc les dernières conclusions que nous soumettons avecune certaine confiance au jugement de l'Académie

i" Les contemporains et les successeurs immédiats de Boèce nel'ont pas rangé parmi les soutiens de la foi chrétienne; ils se tai-sent sur sa religion.

2° La renommée catholique de Boèce date du vnt" siècle; elleremonte a l'époque où le roi des Lombards Luitprand lui fit cons-truire un tombeau dans l'église de Saint-Pierre, à Pavie.

3° Ce tombeau lui fut élevé parce qu'on avait retrouvé, danslile de Sardaigne, les restes d'un ancien éveque d'Afrique appeléBoèce, qui vivait au commencement du vf siècle, et avec lequelBoèce le consul fut confondu.

4"Cet évoque est l'auteur des ouvrages de théologie vulgaire-ment attribués au consul.

H) Cette date nous est ~nrnte par Boèce M-tnême, ? Ca~or. t. Il a Etatans cum <~eMcmM)t!<MbtN~i«Bt qmBttms in h!s stut~ <MmMoMom, ph!.« aamq<M<~)etamemNmMtmaa.

Page 29: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A MAVEBS LE MOYENAGE.

Au moyen Age, le défaut absolu de critique, joint à la ferveur

religieuse et à la vénération de l'antique, conduisit souvent A

prêter aux personnages du paganisme des sentiments chrétiens

qui leur sont étrangers et des ouvrages qui ne leur appartiennentpas. La sixième églogue de Virgile était généralement regardéecomme une prédiction de l'avènement du Christ; et Abélard lui-même, malgré les libres allures de sa philosophie, embrassaitavec une véritable ardeur cette interprétation (i). Qui doutait alors

que Sénèque eut entretenu un commerce de lettres avec l'apôtresaint Paul (2)? S'il faut en croire la D/MM<*Co~A&c (3), le poèteStace avait reçu le baptême, et la crainte seule des persécutions tedétourna de faire profession publique de christianisme. Sous lenom de Ctaudien, les manuscrits nous ont conservé des hymn<'ssacrés que certainement il n'a pas composés (4). C'est par t'enetd'une erreur analogue, et sous l'innuence des mêmes causes, quela tradition la plus répandue de nos jours nous montre réunis,dans l'auteur de la C<MMo~/«wde /<<M< l'érudition pro-fane, la science du théologien et le dévouement du martyr. Sans

éprouver le moindre goût pour le paradoxe, nous avons penséqu'il était non seulement permis, mais utile de discuter cette tra-dition et, la suivant de siècle en siècle jusqu'à l'époque où ellea pris naissance, peut-être sommes-nous parvenu ai démêler laconfusion singulière dont elle fut le résultat.

Le seul personnage que nous reconnaissions dans Boèce, consulet sénateur, c'est celui dont l'image est retracée dans ses propresécrits et dans ceux de ses contemporains. C'est l'interprète d'Aris-tote et d Euclide, le consolateur des misères humaines, un sagequi s'était formé à l'école des anciens, qui avait appris d'eux &révérer la science, la liberté et la justice; que la décadence deslettres et la chute des vieilles institutions pénétraient de douleur:

qui consacra de longues veilles à réparer ces ruines que les haines

(<) fa<Md. a<<Mee~. t; T~eet. Christ. t, opp. t. H, p. 57. as, 397.(a) LaTériMdecetteMsmde aété MateMedeMejoaM par M.A. HMtfy.JMx~t~e< M(N< f<m<, tBM, 2 voL tn.e". (Voyez, ea aeas CMtMiM. MMdiMeftathm de

M.ANbe)rMn,F<<Mbef<M~«eao- <Mrapports MtmxM~entre MM~mtee<m<a<Fett~Pads.tM7,!a.N')

M–

(8) tw~ott~, MM.(4}CL Chadtant opera, emm. M.v eqq. t. M, p. 401 et Mhr. de rëdMoa qui fait

partte de la mMiothèqoe latine de tematM.

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M KXfUBSMMSHtSTUMQUESETPHM.OSOPHt<)UK<4

politiques n'épargnèrent pas, et qui, longtemps heureux, futenfin sacriBé, dans une heure de colère, par le roi barbare qu'ilavait servi.

Si le portrait que nous venons de tracer est exact, on s'étonneraque Boèce ait occupé les premières charges de l'État, malgré teslois édictées contre ceux qui ne partageaient pas la foi du prince.Mais, au v~ siècle de notre ère, le culte de la philosophie n'impli-que pas nécessairement la profession ostensible du paganisme.Boèce a pu vivre par la pensée et par le cu'ur dans l'antiquité, ila pu admirer et commenter ses philosophes, sans être, au senspropre du mot, un païen. Au reste, les lois des empereurs contrel'ancien culte admettaient danslapratique bien des tempéraments.à la faveur desquels ses derniers adhérents conservaient en faitune latitude qui n'était pas, sans doute, la liberté et la sécurité,mais qui pes-mettait la considération et l'influence. Proclus, morten 480, enseigna dans les écoles d'Athènes une philosophie quiavait pour but avoué d'interpréter le polythéisme à la lumière duplatonisme et du péripatétisme. Les disciples de Proclus, Marinus,Isidore, Zénodote et Damascius, continuèrent après lui le mêmeenseignement, qui ne cessa qu'en 529, sous le règne de Justinien.A la cour de ce prince, ardent défenseur de l'orthodoxie, le juris-consulte Tribonien, qui rédigea les Pandectes, et l'historien Pro-cope, avaient des sentiments si incertains et si chancelants sur lareligion, qu'on a douté s'ils furent païens ou chrétiens. En Occi-dent surtout, avecThéodoric, prince arien, la tolérance ne devaitpas être moindre. L'arianisme, qui méconnaît la divinité deJésus-Christ, prédispose à juger avec indulgence toute philosophiequi proclame l'unité et la providence de Men. N'est-ce pas Théo-doric qui écrivait aux Juifs de Gênes, par la plume de Cassiodore« Nous déplorons vos erreurs; mais nous ne pouvons commanderla religion (i). » Moinsde dix années après la mort de Théodoric,un de ses successeurs, le roi Théodat, disait à son tour « Nousn'avons pas 1~ présomption de décider des choses pour lesquellesnous n'avons pas reçu de mission spéciale. Lorsque Dieu permetqu'il existe plusieurs religions, nous ne prenons pas sur nous d'en

(i) CaMhtdeM, ~tfMfMMMb. Il, 37 CIReliglonel11tmpemM non posmma". qaia« tM)Ma<:o~!tMr.ut cfeAat MYitns.

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A TRAVERSLE MOYENAGE. a?

imposer une seule; nous nous rappelons avoir lu que les sacrificesau Seigneur doivent être offerts volontairement, et non pas arra-chés par la contrainte. Celui qui prétend établir d'autres règlescontredit manifestement l'ordre de Dieu (i). Voilà les largesmaximes que les rois gotbs proclamaient, sauf & les démentircruellement sitôt qu'elles eontrariaïent leurs intérêts ou leurs pas-sions. Sous des princes animés de cet esprit, la religion de Boëce,toute profane qu'elle fut, devait facilement trouver grâce; elle a<'lui fermait pas la carrière ouverte à son ambition par une naissanceillustre et un renom précoce d'éloquence et de savoir.

Malgré sestravaux, son intégrité et l'éclat de sa mort, Boècenous

parattrait plus grand si, au lieu de se réfugier dans une imitationstérile de l'antiquité, il avait demandé, comme on le croit vulgai-rement, un appui et des consolations aux saintes croyances quicommençaient à régénérer le monde. Nous faisons tort &sa mé-moire en venant soutenir qu'il n'a pas connu la lumière de 1 Évan-

gile, ou que, l'ayant connue, il l'a repoussée, comme les Alexan-

drins, pour suivre Aristote et Platon. Mais le devoir de la critiquehistorique n'est pas de prêter une fausse grandeur aux personnagesqu'elle étudie, c'est de dissiper les illusions, et de rétablir, autant

qu'elle peut, la vérité des caractères et des physionomies. Quantà l'Église, elle est désintéressée dans ce débat. Qu'importe à sonautorité que Boèce ait figuré dans les rangs des catholiques? Aceux qui ont combattu, à ceux qui sont morts pour la M, elle as-sure un immortel souvenir dans la mémoire et la vénération des

peuples; mais elle fait plus pour leur renommée qu'ils n'ont fait

eux-mêmes pour son triomphe; sans eux, elle eut poursuivi sonœuvre avec d'autres instruments et par d'autres voies.

0 CaMtodete.~~M~ar.X,26 aEantmatquMemreromjadktmnnonpfœsamimtM.andemandatmMapeetaMternonhabemas.Namcumd!v:n!<Mpatiatardiversastet!-

«gioBMesse,)M9amumNonaademastmponere.BeHnemuaentmtegbsenosTohtn-« tariesaetMeandnmeMeDomhto,noncatMqnamcogentisimperte.QtMdquiatiter« taeete.tcotavertt,erMentMecdestMtmjnMhMtUMMobv!avtt.

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Page 33: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

DE GOtLLACMEDE CONCHESET DE MCOLAS TR~~TH

COMMENTAIRESINÉDITS

CONSOLATIONDE LA PHILOSOPHIE

DE BOÈCE.

DES

SURM

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COMMENTAIRESINÉDITS

DE CMLLAUMEDE CONCHESET DE NICOLASTMVETH

8CBLA

CONSOLATIONDE LA PHILOSOPHIE

DEBOÈCE.

Leslettres antiques, à l'époque de leur décadence, n'ont pro-doit aucun ouvragequi méritât mieuxd'échapper à l'oubli que laCo~Mo~a~Mtde la philosophie de Boèce. Le sujet que traite l'au-teur, quelque rebattu qu'il paraisse, est un de ceux qui ne sau-raient vieillir, parce qu'il retrouve, de siècleen siècle,un éternel

A-proposdans les misèresde l'humanité. Aussilongtemps que lemal existera dans le monde, il fournira une ample matière auxdiscours des sages. Les exhortations adressées par BoèceAtousceux qui soufrent intéressentd'autant plus qu'elles lui sont ins-pirées par le sentiment de sa propre infortune. A peine songe-t-ilà la postérité commeil écrit au fond d'une prisonet à la veilledemourir, sa principale penséeest pour lui-même; il tend surtout àpréserver son Amede l'abattement, Arelever son courage et sesespérances. Le spectacle de l'instabilité et de l'insufBsancedesbiensd'ici-basl'élève aux plus hautes vues sur le souverainbien,le gouvernement de la Providenceet l'accord des perfectionsdi-vinesavec la liberté de l'homme. Sonlivre dépassede beaucouplaportée d'une leçon ordinaire de morale pratique; car il contient,

DES

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.M EXft-RStoXS MtSTOMOtES ET PHtM)SOPM)Q~ES

avec d'excellents préceptes, une métaphysique savante et en gé-nérât très exacte. La beauté de la forme, le mélange de lit prose etdes vers, ajoutent encore au charme de ta composition, dernierreflet de l'éloquence et de la poésie latines. Après Boèce, la tradi-tion de ce grand style, a la fois simple et noble, qu'il avait héritédes anciens, va se trouver perdue pour jamais.

Comme la plupart des ouvrages qui expriment avec éloquencedes sentiments et des pensées vraies, la

Co~o/o~ <<"o/~w a compté un grand nombre d'interprètes. Dèsle siècle,Alfred le Grand la traduisait en saxon, et, huit siècles plus tard~Leibnitz en composa un abrégé pour son propre usage (t). Entreces deux dates, marquées par deux noms célèbres, combien deplumes moins illustres ont travaillé sur le chef-d'œuvre de Boèc<-H a été traduit, commenté ou imité dans la plupart des langues del'Europe en provençal, au x~ siècle, par un poète inconnu (2);en allemand, au x~ siècle, par le moine Notker, de l'abbaye d.'Saint-Call (3); en français, au xnf et au xn", par Jean de Meun.Renaud de Louhans, peut-être Charles d'Orléans et des inter-prètes anonymes ~); en italien, en espagnol, en flamand (5) eten grec. Aux traductions et aux imitations en langue vulgaire.il faut ajouter un assez grand nombre de commentaires latins~les uns déjà publiés, comme celui qui a été &usscment attr~bue a saint Thomas d'Aquin. et les autres encore inédits. Parmices derniers se trouve une glose qui porte le nom de Guillaumede Conches, l'exposition plus récente d'un frère de l'ordre deSaint-Uominique. NicolasTriveth, et un discours de Pierre d'Aillv.composition de la jeunesse du cardinal (0). Nous sommes loin

(t) Cetabr~. quinec.Motwnd.au M-~te,queimd<-nxprc)..tcMt)~. a «é h..1!'ollvéparU. Il'nomteFoucuerde Ca.ll, quil'a puhllétlUIIRlorecueildl'8Letdvrxet<MU~~M~. <mt.. t-aucherde Can.!t,qutI'. puhMéd..Mte

~cadtdMM~M~<MCM<M~«M~(<e~e~M~ t'ttWa,<M~tn-8",p.MaetMth.

(9)RaynoMard.rA~ p<t<MM ~x&~oMt~,t. n.(3)M~ M.!M~'«~ der MM ~<M 6McAe<-Mo

F~Mat!~ pMt~phtw.:<tMteM<fH~e Aet-oa~c~~tvonE. G.(iMiT.th'rttt).lttay,in-8n.(4)PattttnParis, ~tMf~ /faM{'o<«dela jt<M(o~MedttNo<,). V.M3~ 43

Mt't8&;t.Vt.p.9M.97<.a77,343ct340.v~ P-~< V~ "t'~ M.nciuB.~MM~M ?«“VenetHB,i795,tn.4",t. Il, p. tM)"t t&t.

(0)CecoMmottatree~tdMtta)-LaMtt..y(~H ~aMn- M'"MM«A~Wo, Part~h.)<t77.in.4".p.<7M).EtMeeBoptn,le MvantMKcnrdMŒu<fK'~dcU<.rMn(CfMOM~

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A TRAVERS LE MOYEN AGE. 3:t

BMOMMfMMMMM~'M.

de nous faire illusion sur la valeur de pareilles œuvres, etnous ne conseillerons à personne de consacrer beaucoup de

temps à les étudier. Toutefois, après avoir examiné avec soin lesCommentaires de Guillaume de Conches et de Nicolas Triveth, ilnous a paru qu'ils ne méritaient pas l'oubli complet où ils sont

tombés, et qu'une courte notice consacrée il les décrire fidèle-ment et à dégager les lueurs nouvelles, les faits ignorés ou peuconnus qu'ils renferment, ne serait pas entièrement dépourvued'intérêt.

Lenom de (iuillaumc de Conches est familier à tous ceux quiont un peu étudié les origines de la philosophie scolastique (i).Il enseignait dans les écoles de Paris, vers le même temps qu'A-l~élard. Jean de Salisbury, qui suivit ses leçons pendant trois ans,le cite comme un des maîtres les plus accrédités du siècle. Son

enseignement portait principalement sur la grammaire; mais iln était pas étranger aux autres branches des connaissances. Il alaissé des ouvrages qui sont de véritables encyclopédies, ou les

sujets les plus divers sont abordés, où toutes les sciences ont leur

part, théologie, astronomie, physique, anthropologie. Le plusconsidérable, s'il faut <'ncroire les auteors de l'Histoire /<!w

la /~w<c~ avait pour titre ~~w de Met/Mw~A~/oM'o';mais on n'en connait aujourd'hui aucun exemplaire imprimé ni

manuscrit; les autres sont intitulés P~OMpAM mM<M',D~y~M-//poM/~7<M;c~AM'~,S<?rM~ et y~M /~7<M;opAM.La PA?7<M<i~www<~ faussement attribuée t1Bède et à Honoré d'Autun (2), ngaredans les œuvres du premier sous le titre de Mept At~eM~ sive

yfM/M~ de ~Aw:M~ /<Mo~M*, et dans celles du secondsous celui de P~/M~/wf MMMK~On possède, en outre, un com-mentaire de notre auteur sur le yw!~<?de Platon, que M.Cousin

<~e<'o,Antwerplo,)?<?.in-bt. 1.1,ln append.p.48B),ne t'a pasjogédigneJ'étn'tM)Mt6ittfaitparttodutus.3tMdel'ancienfondsdeta BtMtoth.nationale.

(t)VoyezenparHct)Mcrt'W«<o«wM<~ra<H'delaiiMMM~t. XM.p.<MetaMh.;t'ar-ttctedéM.Hauréau,danstaNouvelleB<<~fa~<e~M~fo<e,pubttéeparMM.Dtdot,t. XXVm.ctuneNotice&<o~cj)A<9t<c,M~<'fa<feet pA<~MopA<parM.ChaMna.Pa)4s.tM7,tn.a".

(9)N<M9avouetept~mier~xate t'IdenUtédeadeMouvrageaetétaMtquel'auteurétaitGuillaumede Coh-Aea,dansnotre<MMef~<OMsurl'étatdela ~M<M<~AteM.<NMMc<!?Oee<<f<M)<pett~o<t<<opremière<Mt<~du xn' <<ec(e,Parta,M38,ta.8",p. toi etBtthr.

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KXCUBStO~S MSTOMtQUES ET PittLOStU'HtQUKS:M

et retrouvé, et dont il et donné des extraits a la suite des ouvra-ges inédits d'AbéIard ( i ).

Les closes sur la CMMoA?/ y~ de Boèce sontinscrites sous le nom de Guillaume au catalogue des manuscritsde deux bibliothèques, celle de Troyes et celle d Orléans (3). Lemanuscrit de la bibliothèque de Troyes est un petit in-f duxu~ siècle, composé de vingt feuillets ai deux colonnes, dont laglose remplit les dix-neuf premiers. Le titre, à demi effacé, laisseapercevoir le mot de C<w<A/<,qui se trouve complété plus loinpar la mention suivante « Ëxpliciuut glosuhe Vuillelmi de Con-chis super Boetium Co~o~</M~ ~Vo. H Lemanuscritde la bibliothèque d'Orléans est formé de la réunion de plusieurscopies d'un Mgetrès différent; la glose sur Boèce occupe les pre-miers feuillets, cents ivdeux colonnes, en caractères assez fins

qui paraissent du xn" siècle. Le nom de Guillaume de Conches selit au verso du feuillet H, où s'arrête la ~lose. Outre ces deuxmanuscrits, nous en avons examiné trois autres dans lesquels lemême commentaire se retrouve avec quelques variantes sansnom d'auteur; ce sont les manuscrits i38i delà bibliothèque de

Troyes, 200du fonds de Saint-Victor de la Bibliothèque nationale,et J3i6 du fonds de Saint-Germain, Enfin ce commentaire, commeon peut s'en convaincre par le rapprochement des textes, est biencelui dont M.Obbarius, le dernier éditeur de la Co~o/o~ </<.

/<~MM.«~~ (3), a signalé l'existence dans un ancien manuscritde la bibliothèque de Leipzig, sous le titre de C/o.<w~'~M<~M~/P~~M.<fM~' 7~<W!.

L'authenticité de l'ouvrage n'est pas contestable. 11a visible-ment tous les caractères de ceux qui sont sortis de la plume deGuillaume de Conches; ce sont les mêmes matières, les mêmesdoctrines, le même style.

Ainsi les explications physiques tiennent une grande place dansle commentaire sur Boèce. L'auteur saisit toutes les occasions que

(t) OMM~M inédits <f~M(<t~ Paris, 1836,in-4". p. 646et suiv.(2) C<t<e<<~<M~tt~-o< des m<MM!Cf<t<des &?<««&.publiques des <f~MH<eNteN<<,

t. M,Paris, M65, in.4", p. 453; Septier, ~aatMCW« de la M«o<~Me d'O~MoM,Ortéaas, iSM, tn-S", p. 138.

(3) A)e<M<f~ CMM«<e«ONep&<toMp&<~NM Y. Adep<<mef«mM<w<tM.MM. /t-dem rMeM<M«,etc. Theod. Obbarins, teoa', 1M3, in.a". p. ïxvn, <.~t M).

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ATBAVKM;LEMOVKNACK. 3~

le texte lui offre de s'échapper sur ce domaine alors peu fréquenté.Il suffirait de l'avoir lu avec soin pour se former une idée de la

météorologie et de l'astronomie qui étaient enseignées autour de

lui, et qu'il professait lui-même. Mais si nous rapprochons ses

théories sur la pluie, lit neige, le tonnerre, les éclipses, les ma-

rées, les vents, etc., de celles qui sont e\posées dans les ouvragesdo Guillaume de Conches, nous serons frappés de la parfaite res-

semblance des définitions qui sont données de part et d'autre.

Arrêtons-nous A la théorie des marées. L'interprète de Boèce

suppose que, sous l'équateur, la mer se partage, A l'occident

comme &l'orient, en quatre courants, dont deux se dirigent vers

le midi et deux vers le nord. C'est le choc des flots, lorsque ces

courants opposés se rencontrent, qui produit, de rivage en rivage,le flux et le reflux, et cette agitation de l'atmosphère qu'onnomme le vent (i). En nous reportant aux chapitres Xtv et xv du

troisième livre de la P~?OM~M de Guillaume de Conches, nous y

trouverons, avec les mêmes erreurs, des expressions si semblables,

qu'il est impossible de supposer qu'elles soient sorties de deux

plumes différentes.

Je citerai un second exemple, qui ne me paraît pas moins con-

cluant dans le même sens. Comme Aristote, Pline et quelquesautres rivains de l'antiquité qui ont devance sur ce point la

phrénologie, sans tomber dans les mêmes exagérations que les

disciples de Gall, Guillaume de Conches admettait que les facultés

secondaires de l'intelligence ont leur siège dans certaines partiesdu cerveau (2). Ainsi l'imagination est localisée, suivant lui, dans

la partie antérieure, la mémoire dans l'occiput, et le jugementdans la partie intermédiaire. Il fait valoir, en faveur de cette hypo-

thèse, que les lésions éprouvées dans une partie entralnent la perteou l'affaiblissement de la faculté correspondante, comme on le

voit dans le cas cité par Solin d'une personne à qui une blessure

derrière la tête enleva l'usage de la mémoire, à ce point qu'elle

(t) C<MMO<.t, met.2, ms.deTroyesM8t,M.M «Cuu)ergomareiUad~rventtad«Oecidemtem,duasfacitreBnxhmesquanunanavertituradAustrum,atiaadSepten-trionem;similitertmOrienteduas,quarumunasiMimeradAastrnm,aliaadSepten-

« trionemTertttnr.DuoveroptedieteMa)t)t!onesad Septentrionemtemhmt.unaab

OccMeate,aMaab Oriente.Camin medioterreiacorront,seetidnatetfit regur-g!taUo.tndeestËunomacceadomariset reeeMh*queanetusdtdtur,et<.(2)MNiM.M. tV,<iap.~Mt.

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as EXCmstOXS HtSTOmQURSKT PHH.OSftPMtQUKS

ne se souvenait plus de son nom. Maisle passage suivant du Com-mentaire sur Boèce nous offre la même doctrine, exposée dans tesmêmes termes, et appnyée sur les mêmes observations et tesmêmes autorités (<) « tsta vero tria que perfecte fac-itantsapien-« tem in capite hahent sedem. Est enim in prima parte capitis« cellula cerebri in qua vis est intelligendi que vocatur phantas-« tica; quod ita probatum est cum vidissent phvsici aliqttem« boni ingenii, accepto in ea parte capitis vulnere, ingenium« amisisse, retinendo discretionem memoriamqué, compererunt« in ea esse vim intelligendi. tn medio vero capitis, alia est cet-« Ma in <pta vis est diseernendi, que similiter proitatur esse,« que logistica dicitur, id est, rationalis. m occipite vero, in ipsius« interiore parte capitis, est alia cellula que dicitur memorialis,Il in qua vis est retinendi, quod eodem modo probatur esse pet« vutnus, quia, ut ait Solinus, quidam accepto vulnere in occi-

pite, retinens vim intelligendi et rationem discernendi, ita« amisit memoriam ut nec se habuisse nomen cognosceret. x

Tout s accorde donc a démontrer que le Commentaire sur h)Co~Mo~M de Boèce, oublié par tous les biographes de Guillaumede Conches, M. Hauréau et M. Charma seuls exceptés, doit être

rangé parmi les productions les plus authentiques, u s'agitmaintenant de l'étudier de plus près et d'en apprécier la valeur

historique.Dans le manuscrit iiOi de la bibliothèque de Troyes, l'ouvrage

commence par cette phrase, qui manque dans les autres manus-crits « !n principiis phUosophorum, ista sex requirantur causa« compositionis operis, materia, modus sive ordo agendi, utili-« tas car agatur, cui parti philosophie supponatur, et titutus.Cet exorde, tout scotastique, est suivi d'une notice à la fois bio-

graphique et littéraire sur les circonstances dans lesquelles leslivres de la Consolation furent composés et sur le titre qu'ilsportent en voici quelques lignes

« Boetius iste nobilissimus civis romanus fuit. Catholicus extitit,qui contra Nestorium et Euticium, duos maximos hereticos,« cum non esset qui responderet illis, de Me catholica disputa-« vit, et in communi concilie hereticos comprobavit. Deinde, tem-

(t) Ca)M<t. pr. r, ms.de TMyMt38t, foi.e.

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ATMAVKBSLEMOYEXACH. S7

pore Theoderici, regis <~thorum, rempublicam ohtinentis. <tumnes Iwno<!sine alicujus c<mtradictione deprimentis, Boetius

iste, virtute fidei armatus, objecta sua auctoritate periculis,.< quostirannica rabies tieprimebat liberavit. Erat enim tant<

auetorMatis vir, nt ci qupm defenderet MaMasnocere anderft.V!<!enset~e rex Theodencus BoetMtmsolum tirannidi sue posst't~ststere, cep!t inquirere qnomotto eum callide perderet. Sedcmn in eum nullam justam eawstmt inveniret, duas fabnias

coaCnxtt, seilicet cum impedMsse delatorem accusationem se-natus scriptam ad se deferentem; et litteras ad Atexun (<)Cons-

tantinopotManutn impemtorem pro liberatione reipnbMcao< mistsse. Ht!s autem de causis, sine aceusattooe convenientis

persone, indefensus et absess, reusjudicatus est, et apud Pa-

piam in exilio felegatos est. H

t.HiUaome de Conches suit, comme on voit, la tradit!om quiavait prévalu depuis le tx~ siècle. Il croit fermement au catholi-t !smede Boèce, et il le considère comme t auteur avéré des traites

apocryphes contre Xestoriuset Eutychès. Je soupçonne même queh' concile dont il parle, et dans lequel ces deux grands hérésiar-

ques furent, dit-il, réfutés victorieusement par Boèce, M c~M-<MMM<c<Mtc</<MAp<'e~<c<McoM~~o&<tf/<,pourrait bien être, dans sa

penséM,le concile de Chalcédoine, où Eutychès fut condamné.

Assurément il serait tombé, &cette occasion, dans l'anachronism''le plus étrange, mais que d'autres avaient commis avant lui; carnous apprenons, par d'anciennes notices qui se lisent dans quel-ques manuscrits (2), que, suivant une opinion assez répandue,Boèce passait pour avoir été le contemporain de l'empereur Mar-

cien, sous lequel les évoques s'assemblèrent A Chalcédoine; ce

que le biographe anonyme cherche à expliquer en faisant re-

marquer qu'après avoir pris part, dans sa jeunesse, aux travaux

(t) ~er<mest tate~mdesnumaseUtsiMt et tMt deh MMMheqMdeTMyM;teMMMMOfttde ta MMi~heqaed'OrtéMMporte~~aNdfMm.

(2)Ainsi,dansanmamMcritdetaBibtietheqmeaat.,&md6d6Saint. VMer,76t.M<HMMsonscequisn!t «QMetttmra MMuUisquotempoMfnefitbte Boettos.Dttttnt

qaidamquod&tedttempoteMatetaoitmpemtorb.Bh'antamtemquod&c!t!)tma'<MbmmdesaaetaTrtaHate«mttaNesteriMmetEaUeen,MMmeaUenem&eHCatce.

deMadscoaeMM.PotestMMNedot adhacjave)t!asnbMan-tiMMNterit,etjamsettex~ubTh<t)d<trtCQregehanciibrameomptMOerit.MtJnenoticetouteN-mMaMeaété

d'Mm~~fM.'rheod.Obh~ftns.e.p.MVt.

Page 42: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

KX( HMStUXStttSTONM~ES KT PXM.OSOt'MtQUKSas

du concile, Boece a pu, dans un Age plus avance, occupe de~·hautes fonctions sous Théodoric. An reste, Guillaume est peu fat-milier avec l'histoire de l'Orient, puist~'il ignore le nom d<

l'empereur Justin, qu il appelle Alexis. H s'excuse lui-même dene pas rapporter de faits nouveaux, et de s'en tenir a des fait'.vulgaires; s il lesreproduit, c'est. dit-il, pour éviter le reproche d<les avoir oubliés par ignorance « quod quamvis videatur ;w/< ~/fMM(i), tamen ne ignorantia pKBtern)isissevidcar, exponam.

Dans la suite de son Commentaire, t.uittaume adopte une mar-che assez capricieuse tantôt il s'atiacite au texte et se borne à endonner le sens brièvement dans une ~rtoseconcise et toute titterate; tantôt il s autorise d'un mot pour se livrer aux digressionsles pins etmn~&tes il son sujet. C'est ainsi que. sous sa plume.

interprétation du tivre de Boeceressembh souvent. comme noust avonsfait remarquer, Aune page détachée d'un traité de physi-que et d'astronomie. Un p:t commentaire n'est pas susceptibled'une analyse suivie: sans nous astreindre il en parcourir tousles détours, il suffira de nous attacher A ce qui pent répandrequelque lumière sur les cotés les moins connus de l'enseignementde Guillaume de Couches.

J'y trouve d'abord une classification des sciences qui n'est passans doute originale, car elle est en grande partie dansAristote.mais qui n'en mérite pas moins d'être relevée (2). Tandis queBoèce captif écrit de beaux vers sur l'inconstance de la fortune,la philosophie se présente à lui avec une robe du tissu le plusfin et cependant le plus solide, sur laquelle on distingue les deuxlettres T et P, qui marquent la division de la théorie et de la

pratique. L'interprète en prend occasion d exposer toute uneclassification des connaissances humaines. Mpartage la scienceen deux branches, l'éloquence et la sagesse l'une est la connais-sance vraie et certaine des choses; l'autre consiste à bien les ex-

primer. ~éloquence a trois parties, qui sont la grammaire, la

rhétorique et la dialectique la sagesse en a deux, l'une théoriqueet l'autre pratique. La partie théorique comprend la théologie, la

physique, et les mathématiques, qui se subdivisent en arithméti-

(<)Snr cette expression, veyMte GtoMaifpde Da Cange, aox mots fftt~ttMtOM,rfM-~MttMOt,ynt<aaM. Fent~tte &nM! lire <r(«s<M<tM.

(~ <?!MtMf<, pr. t. ms. dp Tmycs t~t, foi. tOet MM~.

Page 43: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVRttSLKMttYKNAf.K f

que, géométrie, musique et astronomie. lit pratique comprend ta

monde, l'économique et h politique. Ce qu'il y a de plus remar-

quable, c'est l'ordre que <:uitlaume conseille de suivre dans 1 é-

tude de toutes ces sciences. tt vent que nous commencions par h'

morale et que nous finissions par la théologie. Suivant lui, ta

pt~tique. sauf de ratvs exceptions. doit précéder la théorie et y

conduire, et parmi les connaissances théoriques. la science des

corps, que nous acquérons par tes mathématiques et ta physique.

est 1 antécédent naturel de la science des êtres incorporets. qu!

nous éteve ette-tneme ;usqu au Créateur. A practiea adscen-

« dendum est ad theoricam, non de theorica descendendum ad

practicam, nisi causa communis utititatis. ~M) vtro sint it!)

~radus philosophie, id est ordo ascendendi de practiea ad theo-

riam, sicvidendum est. Priusesf bomoinstruendns in morihus

< per ethicam, deinde in dispensatione proprie iamitie per eco-

nomicam. postea in guhematione rerum p<'rpotiticam. Ueinde.

cumin istis periecte exercitatus fucrit. dettet transire ad cou-

temptationon eorum que sunt cirea corpora, per mathematican)

et physicam, usqne ad celestia: deinde ad contemptationem

incorporeorum usque ad Creatorem, per theotogiam. Et hic est

oKio philosophie.<' HemaMpMns en passant que les docteurs

scotastiques tombent géneridement d'accord que cette méthode

qui place les connaissances les plus sublimes au dernier ran~ dans

l'ordre des études, est celle qui convient te mieux à la philoso-

phie. Saint-Thomas tui-meme a écrit cette phrase remarquable« t,a première connaissance pour le philosophe est cette de lu

« créature; la dernière est cette de Dieu (<). IlS'il débute dans les

deux <!<ww:<'<:par les hautes parties de la science, c'est qu'il se

propose d'y parler en théologien encore plus qu'en philosophe.Guillaume de Conches portait dans l'étude de la nature lit cu-

riosité la plus hardie, et a ceux qui lui en faisaient un reprocheil ne craignait pas de jeter, sans égard pour l'habit quils por-

taient, cette invective amère (2) « Est-il parvenu à leur connais-

t) CM<fo~t<M,M,4 « tn doetnnaphitowpMf..prh'Mest Mm!!MemMo<h'

etMtmbet ultimade Deo.a

(2) PM<M. t, cap. Mm Bt tnqnhentem tUqaem Mtmt. tMom eMp hmret!<-am

« elamant, plus de 8UOœputto prœsumentes, quam sapienthe suæ rontldentt\8. St-fl,ctamant,ptaa deMMeapaMeptœsamemtes,qtmmsaptenttœMMemaMentM.Sett.

qutBse,tM'haMtutfMjM,~Men!mimptctamestqtmdettMtyWM'ft,<«. b

Page 44: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ht EX< MtShtXSMMTtUMQOËSET PMtt.OSOPMtQUtM

« sance que quelqu'un travaittc sérieusement A s instruire, ils« s'écrient C'est un hérétique! Pauvres gens qui tirent plus de« gloire d'un capuchon qu ils n'ont de connance en leur sagesse.;<Mais ayez soin, je vous prie, de ne pas vous laisser prendre il« ces dehors trompeurs. C'est le cas ou jamais d'appliquer ces

paroles du satirique latin

Ftonti natta Udes,quisenimnonvit'MsabundutTristibusobscœnis(<)?

même sentiment de nerté hautaine et la même ardeur a toutconnaitre se retrouvent dans le commentaire sur Boèce. Guit-laume s'élève avec vivacité contre les esprits timorés trop exclu-sivement attachés à la lettre des saintes t~eritures, et qui, mêmedans des matières qui ne touchent pas a t'édincation, condamnenttoute recherche libre et veulent que le philosophe se contente decroire comme le premier venu. "Statim obstrepnnt, dit-il (2),

quia in libris suis ita scriptum non inveniunt. Necvolunt quodatiquid supra id quoi scriptum est inquiramus, sed ut rustici

simpticiter credamus. Guittaume ne traitait pas moins sévè-rement les esprits vains et fanfarons qui parlent beaucoup et quisavent peu, mais qui se consolent de leur ignorance par des ca-lomnies contre les vrais savants. IlHarciones, dit-il (3) encore,

garmtitati intenti, et nihil philosophie cognoscentes, et ideo« signiScationes ignorantes integumentorum, erubescentes di-< cere Nescio, querentes solatium sue imperitie, aiunt hoc e~o-

nere tmtannicum esse. »

Cuittaume était tni-méme de ceux que i attrait de la science

profane avait poussés, comme Abélard, à des opinions peu con-formes à l'orthodoxie. Parmi les thèses téméraires qu'il a soute-

nues, il en est une qui parait avoir fait quelque bruit dans lesécoles du XM"siècle, et que la vigilante piété de Guillaume de

Saint-Thierry dénonça un joura saint Bernard c'est quele monde

(t)Juvé<Mt,&t<.n.a.t:/ Ce)M<XM.met.a, ms.de 'rM;M1381,M. M.t3)Me.de Troyes,foi.M. (MUMmea dit en termesà peuprèsaembhbtee,dans

«aMMMop~MiMw,Mb.t, pnef. aMMtdepMtosophtasdeatea,at~aMaeneadMcMtatetientheeceBtes,stœ haperttteBsetathmqamtentes.ea~as ae6c!a&ta~BMMtMHathminaacatttbprœdh'ant.u

Page 45: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TMAVEtM )<H MttVK~ A<:K tt

est un être vivant dont le Saint-Esprit est t Ame.~'tte doctrine

procètte visiblement de ce passage du Timee (t) Bien mit au

« milieu du monde une Ame qu it étendit dans toutes ses partie

<'tdans ta<mette il enveloppa même extérieurement ce grand

corps. Une exégèse aussi artutraire qu'audacieuse pouvait seule

coneture des paroh's de P!aton <j[U'Havait cru au Saint-Esprit, et

que le Saint-Esptit était, dans son système, !e ~eritaMe principe

de vie <nti anime ta nature. TeHc fut cependant ta ~~nctusion a

laquelle Attétant (2~ s ar~tit, et qui fut epdement adoptée par

<.uiMaumede lunettes, comme ou !e savait d~A par un passade

de sa P~/Mw~M' Mt/Mw(: et surtout par la tettre de <;uiitaunte

de Saint-tttierry (~). Mais voûtons-nous t'entendre exprimer fran-

chement toute 8<tpensée? nous n'avons qu a nous reporter au

commentaire de ces vers cetehres du troisième livre de la C<ww-

/~w /w~

Tu triplicistMpdi.<mMatureeunctaMM~eutetu

<~naeetensatUMMm.

t~ véridMtue interprète ne Mette pas ce qu it croit t est que

te monde a une âme partout présente, cause universette du mou-

vement, de la vie. du sentiment et de ta pensée; et queiie est

cette âme? <est l'amour divin, c est le Saint-Esprit. La troisième

personne de la sainte Trinité est aux yeux de t.uiitaume t'aj~ent

caché par tcquet te v~état eroK, l'anima! sent, l'tiomme pense.

Nais sur ce point délicat, il faut te laisser tui-meme exposer sou

opinion (5).« Anima mundi est naturatis vigor quo ttauent quedam res

tantum moveri, quedam crescere, qnedam sentire, quedam

discemere. Sed qui sit ille viëror slueritur. Sed ut mini videhn,

itie vigor naturalis est Spiritus Sanctus, id est divina et t~eni-

(t) JH)m.t'wx~ e:;t&t~e<"'~9~ M; M~! ta

C[Ùt<)tttpMitaht~ttWtj).;:)Voyezsm Mfo<<«e«MtA<at&ee~e, t. <.etMrhéologiec~~N~, t. ~v.

t. M.t<.37et suivantes,p. 378et suivantes<tft éd!t.donnée)'ar ?. Coada.t'a~,

tM6.M&9,22 vol, to-4"(8)rAMM.t, e. xv AntMMMNnd!,s<'<:UMdMt<)qMO!)J<tM.SpinttMSatu-maest.u

<t)TtMtM,IMM.fa<f.CittefccM.Bonettnte,tt~ in-M.1.tV.t' 127et

~)M~.de Tmyefmt, foi.61et ifuiv.

Page 46: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

KX< HMM~S MMTOHtQfES ET PHtt.tMtOMttQUKS

~na concordia que est id a quo omnia hahent e8s< movpri.cresceM. seatire, vhvfe. ttMcenMW. Qui bene d!e;turnahtM-

lis vigor, quia divino amoFpomnia crescunt et virent. Oui b<'n<-dicitur anima mnndi, quia solo divine amoM' et cafitate, nn)-

« nia que in mnndo sunt vivnnt et hâtant vivore. OM~daotvégétât <'t facit spnMrp, ut btu<aanima!ia, qn<'dam facit di«-cerncre. nt homines. ona et <~adctnmanens anima; scd non inomnibus Mcrept eamdpm potentiam. et hoc tarditah' pt natnntcot~Mrnm taciento, nndc Vit~iHns

~antum n<'nnoxia< erpnratardant.

<)nobjectait que, dans l'hvpothèse de l'Ame du monde, H y au-rait deux Ames dans chacun de nous. la nuire d'abord, puis celledu monde <equi ne se concilie ~uere avec l'unité de la personnehumaine si clairement attestée par la conscience. Guillaume essaieréchappera cet ecueit en subo~lonnant, :e plus qu'il peut, tavie individuelle Aia vie universelle. Notre âme, dit-il, ne possèderien en propre: font ce qu'elle a et tout ce quelle est, elle le tientde FEsprit-Saint. Mono le principe de vie qui nous anime n'estdouble qu'en apparence: au fond et à proprement parler, il estsimple et unique. Maiscette réponse ouvrait elle-même la voie ade nouvelles ditncnités dont le dernier terme eut été le pan-théisme. Aussi ne doit-on pas s'étonner qu'elle n'ait pas désarméles adversaires de notre philosophe. Lui-même reconnut par lasuite qu'il s'était trop avancé, et ainsi qu'Abétard il se rétracta,comme nous 1 apprenonspar le prologue de l'ouvrage qu'il avaitmtitulé ~M< ~M..w~. (i), et qui est adressé â un ducde Normandie, comte d'Anjou, qu'on croit être Geoffroy le Bel,pèK; de Henri H.

Même avant d'avoir renoncé à ces opinions tout au moins très-suspectes d'hérésie, Guillaume de Conches, malgré le penchantqui le poussait aux nouveautés, savait écarter les interprétationsdirectement contraires à l'orthodoxie chrétienne. Ainsi, dans lecinquième livre (2), Boèce dit que les Amessont nécessairement

JtXr~re MM~M <? j~Mcf. t. XM.p. 4~ et mttaahM!Ch~rna.6<ttf.MtfMerbtC!McA<M~p. tAet 45.

(9)CMMat.V,pr.9 «HmnaaMvero<m!mMKbMhMMqnidemOMX-McesMest,cum

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A TKAYKMS tK MOYHX A<:K M

plus libres, tant qu elles se repaissent de la vue de t intelligencedivine; mais que leur liberté diminue quand elles descendentvers les corps. et surtout quand sont attachées à des membresterrestres. Le sens n'est pasdouteux: t'est ici une réminiscencede la doctrine de Platon sur 1 éternité dosâmes, et les joies pures,ta félicite sans mélange, qu'elles ont connues dans une vie an-térieure a rexistence actuelle. MaisGuillaume n'a garde d'embras-ser cette opinion que la constante tradition de l'Église a condant-née. H la connait, il lit signale, mais sentement pour endétourner les esprits: '<non ut teneatur, dit-il, sed ut cognitafngiatur (i~. ), Hsouvent qu ette u expritue pas ta vraie doctrine

de ttoece, ni même cette de Platon, qui se plaisait, dit-il, à voi-ter M pensée. A son avis, Boèce, dans te passage dont it s'agit, avoulu peindre les différents états favorables ou contraires à lit li-

tterté, par lesquels Famé peut passer ici-bas, soit qu'elle se nour-risse des vérités divines dont ta méditation étève et affranchit

t homme,soit qu'elle s'abaisse a la recherche des biens temporelsqui égarent te jugement et asservissent la volonté.

t~' dernier trait que je relèverai dans le Commentaire de Guil-laume de Conches. c'est 1 interprétation qu'il donne aux allusions

mythologiques si fréquentes chez Boèce. Futgeniius Planciades.

qu'il ne faut pas confondre, comme Trithèmc l'a fait (2~, avecsaint Fulgence, évoque de Ruspe, et d'autres mythographesdont les œuvres ont été retrouvées par le cardinal Angelo Ilai (3),avaient expliqué plus ou moins fidèlement quelques-unes des fa-btes du paganisme. Cuitlaume de Conches, toutes les fois qu'il ena trouvé le prétexte. a touché à son tour ces matières. quoiqu'el-

? !nmenttsdittnmspecniaUonecooMrvMtminusvero,fumdHahunturadc<tr)'ora.mttMMetiamcomterrenlsartubuscolligantur.(1)MhmaMr.df TroyMt3<t, fol. i03 Quidam sunt(luipraveexponuntititMMveranm;quorumexposKtoaemtmnpmMt,nonat teneatur,sedut eogoMafughtnr;

"t ait idemBoeUnslu !bp<e~,vitarivHinmnisic<~o)tomnonpetest.Mtoromsen-tenttatath ~t M'eMadMmPta<<Mt«m<<athmphH<M<~<h<Mtomaeaaatmaashuttta

Cteatote tactaset MtpereteMMportaseMe,<tMdtiftMWtnentemasptelunt,tiheK-et!am abomnieoatagtone;deindedMfpndntttperptanetasusquead Mrpom,etc.~d quodPlato~ohtMetomnMehnatCMeereatas(animas),nusquamtaventtut,eed dtctumestperittt~snmentmn.a

(2)TrKh~tM,DeScript.Fee&w.c. cxct,damta MMtoMeMM'cMosMeedf Fabti-c'M~HamboMg,t7ta, in.M.~M<wr~< <o(<a<,Amatetodami,<Mt,ta-S".

(3)c<a'M<eofMMa<te<oMMte t~c<!M<itemN<~<M,t. ttt, Romœ,<Mt.tn.

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KXCUHSmjtStMStOMQLËSHTt'M)LOStH'tHQH!S

les exigeassent une connaissance de l'antiquité bien autrement

étendue que celle qu'il avait pu acquérir. Les divinités païennes,les demi-dieux et les héros chantés par les poètes, sont pour lui

autant d'allégories qui cachent une vérité morale. Ainsi Hercule

vainqueur des monstres, c'est ta sagesse qui triomphe du vice (!);Tantale mourant d inanition devant des mets que sa main ni ses

lèvres ne peuvent atteindre, c'est 1 image de l'avare a (lui ses

trésors sont inutiles (2) les Géants, fils de ta Terre, qui entassent

t'élion sur Ossa pour escalader le ciel et en chasser les dieux,

mais qui sont refoulés honteusement vers les lieux bas, ce sont

nos corps composés de limon terrestre qui se soulèvent contre

1 Ameet qui l'assiègent par d orgueilleux désirs, mais qu'elle

dompte Ason tour par la puissance de la raison (3).Parmi toutes ces interprétations, la plus curieuse nous a paru

être celle du mythe d'Orphée. Orphée, s'il faut eu croire Guil-

laume de Conches(~, représente la sagesse et l'éloquence; Eury-

dice, la concupiscence innée du cœur humain; Aristée, lit vertu.

Eurydice, poursuivie parAristée, tandis qu'elle errait dans la

campagne, nous offre l'image de nos vains désirs qui se laissent

aller à tous les biens terrestres dont la vertu s'eNbrce de la déta-

cher. Elle fuit Aristée, parce que ht passion redoute la vertu et la

combat; elle meurt dans sa fuite et descend aux enfers, c~est-à-

dire elle succombe aux séductions des sens. Orphée, qui pleuresa mort, ne peut surmonter la douleur qu'il éprouve, parce queles sages, si.habiles à combattre les vices chez autrui, sont im-

puissants contre leurs propres défauts. 11va lui-même aux enfers;

(<)CotMO~.Il, met.2, m: deTroyes<38t,fol.38 MerctttesproMp!entcet proetoquentepoaitar;undedMtnrmotMtraterredomarequiasaptenset etoqttCtM

«omniaviciadomat.M~) CoMMt.m, met.t9,ms.deTroyes,fol.73 «TaatahMpomMurproqaoMbetavaro

«quip!ea<MdtvKtte,malaegestatisln aMuenttapatitur,dumnonvntt!nneceesarttssuaexpendere,qnlanonMBUnetacorvamnamNmrmnininuere.

f~ Consol.m, pr. 12,me.de Troyes«CigfMtteadicontufquasiUegantea,Idest« geaitia terra; et hee sunt corporahumanaqueex terra genitasunt,quiaplusterre habeatqnamatiorMtnetetnentomm.8edcumulantmontentmentidtMmali.

q«b <mMHM"MmtMnMtntempMateaMtad~ngtt.et tndeMtp«rM<tMMperM<,«th<tcest, ut aMendantcetnnt.td e~t,ut per eaBanttMmortaieset beathet expel-

p1

lantdeoa.Id est,aMimMsubdantquesuntimmortatea«t dM;sedabipsisd!!ade-

JtduntMr,dmnMthtaeetmteMeetMsaperbtettiehttvalereostend«Btnr.x

(4)C<Mtoe<.Mt,met.t<.me.de Troyest3a<,fol.M.

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A TRAVERS LE MOYEN ACK t&

car le seul moyen pour le sage d'arracher son time à ht tyrannie

des biens terrestres, c'est de pénétrer ait fond de ces misérables

biens et d'en contempler le néant. Mais, une fois détaché d'eux,

il ne faut pas, comme Orphée, détourner la tète, et leur jeter un

dernier regard qui suppose un dernier regret c'est s'exposer &

ce qu'ils reprennent sur nous tout leur empire, Guillaume de Con-

ches a lit bonne M de convenir que l'on peut différer d'opinion

avec lui sur le sens du mythe d Orphée ~i) mais, s'il ne prétend

pas imposer son interprétation, il en réclame du moins l'honneur.

Il est donc probable qu'elle lui appartient, comme la plupart de

celles qu'il a proposées.Tel est dans son ensemble et ses aspects principaux ce commen-

taire de Guillaume de Conches, œuvre sans doute bien imparfaite,

mais dont les défauts sont ceux du temps, et qui vaut pour le

moins toutes les productions du même genre que le XH' siècle a

vu éclore. L'auteur, il faut le dire a sa louange, s'était imposé

une tache qui n'avait pas encore été remplie, si ce n'est dans des

proportions beaucoup moins larges. Avant lui, on ne possédât!

que de simples notes, les unes marginales, les antres interlinéai-

res, qui suivaient le texte pas à pas, qui l'expliquaient tant bien

que mal, mais qui manquaient de développement et d'originalité.

J excepteun commentaire partiel, sur quelques vers du troisième

livre, parle moine Brunn, de l'abbaye de Corbie (2). Guillaume,

autant que nous pouvons en juger, est le premier écrivain connu

qui ait consacré au livre de Boèce une glose approfondie et com-

plète dans laquelle il a donné carrière a son érudition et à ses

doctrines. S'il s'est approprié plus d'une fois, ce qui n'est pas

douteux, les remarques des anciens glossateurs, il y a fait des ad-

ditions considérables qui en ont changé entièrement le caractère

et la valeur.

(t) Ufautrapprocherde t'MpUfattoaproposéeparGuillaumede ConchesceMeque

Fugaceavattdonnée(~(Aot. lit, c. x)et laparaphrasebienmoins~vep quiselit

dansMamanuserltdécritpar M.PaulinParis(~ ~MeW« /hM(- eh-,t. VI.

p.34&).Je tronvechezFulgencequelquesmotsseulementqueGuillaumea copiés,

entreautrescettephraBe< Orphéedicitur~t. «M~,id estofUmavox. ~yez

aa~ ~(Md ptih~pM <&w'<tt)tiBM~M M~(<M,c. ~m. danala coHecthM

desMN<&'wapAMta«tM, p.990.)M CeeMnmentatrea étépubliéparlecardtnatAngeloMaKC~M.e.OMC<.<-~«e.

to~c.t. )n).

Page 50: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXt~BSHONSmSTOMQUESETPMLOSOPHtQUES

Nous nous sommes demanda si cette œuvre, aujourd'hui oubliéeavait fait quelque fortune au moyen âge, et nous n'avons pastardé à en découvrir des traces qui montrent qu'elle n'a pas étésans autorité ni sans influence dans l'école. Mais, pour mieux ap-précM.r le succès qu'eHea obtenu, il faut d'abord étudier lèse-fond commentaire que nous avons annoncé, celui de NicolasTnveth.

Nicolas Triveth, T~veth ou Traveth, est un dominicain anglais,né vers 1258, dans le comté de Norfolk. Son père occupait sousHenri Ht des fonctions dans la magistrature du pays. ConSé dèsson enfance aux frères prêcheurs pour être élevé dans la maisonqu'ils avaient a Londres, il entra dans leur ordre, avant mêmeque ses études fussent entièrement terminées. Sa vie se trouvadésormais partagée entre son couvent et les universités de Paris etd Ox&)rd,où il compléta son éducation et enseigna, par la suite,la philosophie et la théologie. Baie, Mis et Cave. suivis par Quétifet hchard, fixent la date de sa mort Al'année i328 (i).

NicolasTriveth, personnage aujourd'hui trèsenacé, commetantd'autres gloires de l'école, a été l'nn des plus savants hommes deson siècle, mais surtout l'un des plus versés dans la littératureclassique. Outre plusieurs livres de l'Écriture sainte et la C~D«w de saint Augustin, il a commenté Valère-Maxime AristoteSénèque, peut-être Tite-Livc, Juvénal et Ovide. On lui doit aussiquelques opuscules de philosophie et de théologie, et divers ou-vrages historiques, notamment une Histoire des rois d'Angleterre,de la maison d'Anjou, publiée par d'Achcry au tome VIIIde sonSptcuège, et dont il a paru depuis, en Angleterre deux éditionsplus correctes (2). Le commentaire sur la C~Mo~'o~ <~ ~aA<-/<~<p, que nous allons essayer de faire connaitre, occupe uneplace honorable parmi lestravaux qui attestent l'érudition de l'au-teur et son activité laborieuse.

L'ouvrage a été fort répandu au xtV et au xv" siècle, si l'on enjuge par les nombreux manuscrits qui le renferment, et dont il

(t) f~aS' t. l, °' Dotlcia,t. lil, col.8t!$et seq.

<tom!n!eant.~uts~t: Maf~MHt éd.Aat.MaU.OMn!it7t0.t79:,tn.a.. a wt. AdNdeMcodtcNmM.MMBCf<pt.mmMM~tt ThomMS..~ndtnt.MmpttbM~tetaus.tMa.ht.a'

~ceMM~MmaBHog.

Page 51: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MOtEK ACK. 47

existé jusqu'à cinq dans l'ancien fonds de la Bibliothèque natio-

nale, sous les numéros 6~, 6~07, 6408, <H09et 6~i. Le manus-

crit <mi otfre une particularité remarquable; les huit premiers

feuillets sont remplis par un commentaire dînèrent de celui de

Triveth et dont voici le début « Presentis lectionis ad nnem qua-

« tuor capitulis distinguamus Primo enim quid doceatur in hoc

libre. Et secundo qualiter idem. Et tertio ad quid doceatur vi-

deamus.Et quarto que sit tituli subscriptio. Aurecto du feuil-

let, comme l'indique une note écrite en encre rouge A la marge,

le commentaire anonyme, que nous n'avons retrouvé nulle part

iuueurs, rejoint celui de Triveth sur ce vers de la deuxième strophe

du livre

EtquacutnqaevagosstellarecursusExereet.

Dans un autre manuscrit ayant appartenu au chancelier Séguier

et au duc de Coislin, que Uuétif a connu, le commentaire de Tri-

veth se trouvait en regard d'un second commentaire attribué par

h' copiste à saint Thomas d'Aquin, bien qu'il diBërat entièrement

si l'on en juge par les premiers mots, de celui qui a été publié

sous le nom du saint docteur.

Nicolas Triveth nous fait connaître dans quelle intention il

prend la plume; c'est pour répondre au vœu de quelques frères de

son ordre, qui ne saisissaient pas toujours le sens de Boèce, et qui

lui avaient demandé de leur expliquer les passages obscurs. Au

x" siècle, un motif tout semblable avait inspiré au moine Bruno

le commentaire que nous citions plus haut. N'est-ce pas aussi sur

les instances de ses frères en religion que saint Anselme avait

entrepris le ~«~<M~ et saint Thomas d'Aquin la S<Mww'cMt-

~'c les GM<<A?Ainsi dans le silence du clottre, le génie et même

la simple érudition étaient encouragés à produire des oeuvres

utiles à tous ceux que la Providence avait moins favorisés.

A l'exemple de beaucoup d'autres interprètes, NicolasTriveth

donne, en commençant, la narration très abrégée du règne de

Théodoric et de la disgrâce de Boèce. Après ce dernier, l'autorité

qu'il suit de préférence est l'historien Fréculphe, mort évcque de

Liège en 85t mais le récit de Fréculpho n'a rien de particulier,

Page 52: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCUBStONS tMSTOMM~BK ET PHtL'tStWHtWKS;a

si ce n'est peut-être que, lorsqu il rappelle les persécutions exer-cées par le roi des Goths contre les catholiques, il n'associe pas 1<*nom de Boèce à celui des deux autres victimes du prince, le papesaint Jean et Symmaque le patrice; omission bien réparée d'ail-leurs par les écrivains du même Age. Paul Macre par exemple.Quand Triveth arrive à l'explication du texte, il ne manque pas,en sa double qualité d'érudit et d'Anglais, de citer la paraphraseanglo-saxonne d'Alfred le <;rand. Minvoque aussi la plupart desautorités que les scolastiques sont dans l'usage de suivre, saint

Augustin, saint Isidore de Séville, saint Grégoire le Grand, Ci-

céron, Sén~que, Ovide, Aristote; mais les emprunts les pins consi-dérables sont ceux qu'il fait a un écrivain qu'il ne désigne pas parun autre nom que celui de commentateur, fo~MM~w. C'est letitre sous lequel A verrons était connu au moyen âge; mais il est

trop évident que ce n'est pas lui dont il peut être ici question; lacitation s'applique à un interprète beaucoup moins célèbre dans

lequel nous avons facilement reconnu Guillaume de Couches.Triveth reproche en effet au commentateur d'avoir traité d'hé-

résie l'opinion de ceux qui croient que, dans les premiers instantsde la création, les éléments étaient confondus et formaient unvéritable chaos «Quodautem commentatornitituristud tanquam« heresim improbare, frivolum est (i\ Or, nous retrouvons tex-tuellement dans le Commentaire de Guillaume de Conches le pas-sage qui devait donner lieu a ce reproche (2) « Dieunt quidam« nuitantem materiam esse quatuor éléments in chaos, id est, in

« confusione, asserentes Deum in principio fecisse quatuor ele-< menta confusa et inordinata. qui mihi videntur ex verbis« aliorum philosophorum errare, et contra divinam bonita-« tem heresim afnrmare. Un peu plus loin, Nicolas Trivethadresse une autre critique à l'interprète anonyme qu'il a sousles yeux, c'est d'avoir mal à propos appliqué au Saint-Esprit ce quePlaton a dit de l'àme du monde (3) « Expositores Tymei Platonis« et commentator in isto loco fingunt animam mundi significare« Spiritum Sanctum; ad cujus cognitionem non credo Platonem

(t) CetM< Ht, met. 9; B:bMoth.nat. ancien fonds, ms. MM, fol. 62.(2) Ms. de Troyes t38<. M. 51.

(3) BtbUeth.Mt. ms. e<M, fol. N3.Au lieu de <<~t<eoM, qat.je crois, est la vraietee<m,le mamMefHporte HeeoW, qui na pas de ~<s.

Page 53: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSLEMOYENAGE. ?

« devenisse. MMaisne venons-nous pas de voir que la confusion

malheureuse du Saint-Esprit et de Famé du monde était l'un des

traits les plus saillants de la doctrine de Guillaume de Conches?

Ces rapprochements me paraissent démontrer que c'est bien

Guillaume qui se trouve désigné par Nicolas Triveth sous le titre

de coMMM~M~ son nom était oublié, son autorité subsistait.

J'ai pu constater aussi combien il avait été mis à contribution

par le nouvel interprète, qui ne se fait aucun scrupule de repro-

duire ses explications, et quelquefois de les copier textuellement

sans avertir de ces emprunts dans lesquels l'imitation dégénère en

plagiat. Ainsi Guillaume de Couches, parlant de la fortune, s'était

exprimé en ces termes (i)« Fortuna est temporalium mutabilitas; que pingitur ceca quia

improvise accedit vel recedit, vel quia eecum reddit hominem,

« extollendo in prosperitate, deprimendo in adversitate unde

« Cato, in instructione niii sui, ait « Noli fortunam que non est

« dicere cecam. Pingitur etiam ambiguo vulto; ita scilicet quod

habebat tàciem ante et retro; et erat anterior alba, et posterior

nigra; per anteriorem vero albam designatur prosperitas; per

posteriorem vero nigram, adversitas. MNicolasTnveth dit &son

tour (2) « Fortuna, que est temporalium mutabilitas, consuevit

depingi ut imago ceea, quia ex improviso accedit et recedit,

« vel quia homin~m cecmn reddit, extollendo prosperitate et de-

« primendo adversitate, non quod cecitas esset aliquid a parte

fortune, sed a parte hominis utentis. Unde Cato, in instructione

« Blii sui, dicit Noli fortunam que non est dicere cecam. Knge-« batur etiam cum ambiguo vultu, ita quod habebat faciem ante

« et retro; et erat anterior alba, per quamsigniScabaturprospe-« ntas; et posterior nigra, per quam designabatur adversitas.

Sauf trois ou quatre mots, l'identité entre les deux passages est

complète. Je pourrais citer un assez grand nombre d'explications

historiquef, littérales, mythologiques, empruntées de même à

Guillaume, et que Nicolas Triveth s'est à peu près borné à trans-

crire.

Toutefois, dans un passage fort insigninant par lui-même, je

(t) Ms.deTmyea<38t,fol.5;maisnousavonsaaivideptéNfeneetahtoapluscor-

rectedu«M.n0tdelam<mebibliothèque.(3)MMtothe~Mmttmate,tM.e404,foi.2 f.

MCMMOMmSTeBMtCES.

Page 54: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ExcuastoxstMsroatQUEs~r t'M~osoptMomsM

relèverai une variante qui indique, sinon un progrès véritable de

l'érudition, du moins la lecture familière d'un ouvrage inconnu

dans l'époque antérieure. Il s'agit de cette phrase ou Boèce parledes deux tonneaux qui, suivant Homère (t), sont placés à la portedu temple de Jupiter, l'un rempli de maux, et l'autre de Mens.

Guillaume de Couches se contente de dire (2)'<Yolens notarc mu-

« tabilitatem fortune (Homerus) describit domum Jovis, et dicit in« limine illius duo doua jacere, unum bonum, aliud malum.Triveth ajoute (3) « Et hec descriptio in templo Jovis Athcnis«

publiée depingebatur, ubi Boetius adolescens studuerat, sicnt« ipse narrat in libro ~Mf~/w« <fAo/<M//c~. Voilà un détail

très contestable, mais nouveau, sur l'éducation de Boèce aux

écoles d'Athènes, extrait d'un livre que Guillaume n'a mentionnénulle part. Ne sommes-nous pas autorisé à conclure de là que cet

écrit sc/toA~c~ D~c~w~ cité ailleurs par Triveth sous son

vrai titre De D~< w~o/w/Mw, n'a commencé Ase répandre

qu'au x)M"siècle, et que la composition n en doit pas être reportéeavant le XM"?Mais Nicolas Triveth n'est pas le seul écrivain deson temps qui se crût permis de copier autrui, chaque fois qu'ily trouvait avantage. S'il puise à pleines mains dans lœuvre de

Guillaume, elle n'a pas été moins exploitée par l'auteur du Com-

mentaire qui porte le nom de saint Thomas d'Aqnin. mais quetous les historiens s'accordent à regarder comme n'étant pas sortide la plume du saint docteur (~).Quelle que soit l'origine de cette

compilation apocryphe, elle n'est, en beaucoup de passages, quela reproduction servile de la glose plus savante et mieux rédigéede l'écrivain du xn" siècle. Cette similitude des deux commen-taires avait déjà frappé le dernier éditeur de la C<~Mo~/<o/<f~ A<

/~7<Me~«?, M. Obbarius, bien qu'il n'ait pas reconnu &quellemain appartenait la glose inédite qu'il avait retrouvée à Leipzig,sous le titre de G/<MM~~M~M/~ GM<7~eAM<(5). Ainsi, jusqu'auxiv" siècle tout au moins, Guillaume de Conches est resté, dans

(t) 7Ma<&XXtV,vers627et528 AoutytftpM~MettMtMMivtMAt&;MiSttAmpow,«htSMtMt,~M[~t,tKpe<? MMW.

(2) m. de TMyes <3M. fol. 38.

(3)MbMoth.aat.ms.64<M,fol.29.(4)&<. <M~~M~<ea<.1.1.p. 3*3;Bahets,C.JT&OM.BC~p.t. ViM,p. xv.(5)Pn~. p.t <' GhMMeemagh*)~GMHtehehat,q<MMtacod.Upa!eMt<~t!mointen!.matimampat~emcamThomœcammeatarMaeoa<p!fam,MdMsbMvtofMsont.N

Page 55: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TMVERS m MOYK!<AGE.

l'école, l'interprète en quelque sorte ofncie! du livre de Baèct~ il

a été désigné par le titre de ~otHMM'M~~M~qui marquait t'estime

dont il jouissait et rasage qu'on faisait encore de sa glose, malgré

l'oubli où son enseignement, naguère si célèbre, était alors tombé.

<~ fait assez curieux avait échappé Atons les biographes, et nous

sommes le premier à le signaler parmi les autres titres qui ont

mërité &notre antenr une place distinguée dans l'histoire litté-

raire du moyen âge.

Cependant, quelque larges que soient les emprunts de Nicolas

Triveth AGuillaume de Conches, H ne le suit pas à beaucoup près

sur tous les points, ni en métaphysique, ni même en physique.

Nous avons vu la singulière explication que Guillaume, infidèle

aux exemples des anciens, et même, je puis le dire, à ceux qu il

avait sous les yeux, donnait du phénomène des marées. Triveth,

mieux inspiré ou mieux renseigné, les attribue, comme l'avait

fait Pline, aux mouvements de la lune (i); et, bien qu'il se perde

à ce sujet dans de bizarres hypothèses sur le s<-cet l'humide, tt

sur la propriété que possèdent, dit-il, les rayons lunaires d'at-

tirer les flots, il faut lui savoir gré d'avoir préféré ne fut-ce que

t'éltanche d'une vérité mal comprise aux erreurs qui sul)sis-

taient autour de lui. Ailleurs Guillaume de Couches parait penser

qa'en raison de la position que la planète Vénus occupe dans le

ciel, elle peut &la fois se montrer le même jour et dans le même

climat avant le coucher et après le lever du soleil (2). Triveth

relève vivement cette méprise, qu'il appelle frivole, /wo/~ et,

se fondant sur le témoignage de Ptolémée, il établit, d'une part,

(t)Camef.t, m. 4, ms.6iM.fol.H !.anaspeeiatiterhabetvtrtMtHnmovendi

« humida,tumMnaturapropria,tumex pmprMete<us, tumex propinquitateejasetex paMtMMtateMrpommhmidoram. t.mHigMarasoeadenaapunctaOdent~

<superhemtsphertnmnoatrM~pMpterobliquitatemradiorumdeMMtermovereinci-

pit,et qttontamaseendendonm~ difittontormdM.&rt!Nset fbrthMmovetMhti.

Mandeet dhgMdando,qaoasqBeperveniatadmediomeeM.TaMsantemsNbtHiatie

&etttamoMmtamarietco~tmtaampermodamcojosdamebn!Mt!on~eataeresieut

«apparotta«MabatMente.BogerBaconOp<MaM!)M,P. IV,cap.v,donnelamême

MpBotMeada pheMmènedesmateea.Onconnaissait,da"eate,dèsle M' siècle,le

rapportdesBMtMNnentade la tMeavecleBnxet le ream; car Honoréd Anton

<exprimeencestermesau chapitrext.dnpremierthrredet'tMa~MMd< « ~tM

Oeeant,idestaeceMaaet reeeMasmaarnMqattor,cujusaspiMUoneretrotraMtur,«ejustmpnbaretnadttnr.QuotidieaatembisaBtaereetremearevidetur.Cnmlona

<cteacenteeresctt,enmdeereseeatedecreMit,etc.1)

(2)Ms.de Troyes<Mt,M. 31.Cf.FMMCp&htMMtMM~t.n, cap.Mt.

Page 56: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

excUBStONSNMTOBXMJESETHttLtMtOPMtQ~ES&

que Vénus n est pas plus éloignée de la terre que le soleil, ainsique Guillaume le croyait, et, d'autre part, que la double appari-tion, matin et soir, qu'il attribuait a cet astre, est démentie égalf.ment par l'expérience et par la raison (<). Par ces deux exem-ptes, il est facile de juger que, si te x~ siècle n'est pas encore1ère des grandes découvertes qui doivent illustrer les Kepplerles Copernic et les Galilée, cependant on commençait dès lors A~former de vieilles opinions qui avaient longtemps usurpé le nomde sctence.

Mais c'est en métaphysique principalement qu'il importeMit d<.suivre la transformation qui s'est opérée dans les esprits, de <.uit-taume de Couches a Nicolas Triveth. Linauence qui domine chez<.nittanme est visiblement celle du F;M<~ qu'il avait commenté.Boèce tm-mème, si familier qu'il noussemble avec Arisiote, étaittout imprégné de platonisme, et cette teinte reparait aussi chezson mterprète du XM"siècle. Ce serait une erreur de se reptésen-ter Nicolas Triveth comme hostile aux idées platoniciennes; et-pendant il ne les partage pas au même degré et ne les comprendpas de la même manière. Il estime que Platon en a usé avec tevulgaire comme les anciens théologiens et comme les poètes, etqu'il a voilé sa pensée sous des métaphores et des allégories quiont égaré plusieurs de ses disciples, même quand elles pouvaientêtre entendues dans un bon sens. « Plato, dit-il (2), in tradendo« philosophiam suam, juxta morem antiquornm philosophorum,« philosopbiam tradidit sub integumentis et verbis impropre« quorum occasione mufti sequaces ejus a veritate deviaverunt~< licet ipse forte bonum inteltectum habuerit. Ce qu'il y a dephMremarquable, c'est que pour interpréter les passages de Boècequi sont imités de Platon, Triveth s'inspire d' Âristote. Nous avonsentendu le juste reproche qu'il adresse à Guillaume d'avoir con-fondu l'Ame du monde avec le Saint-Esprit mais que devient alorscette force cachée qui, selon Platon et selon Boèce, anime toute

S ~° apparet <~ quod < hieX S~ eadem tmpore est eadem ~perti..11~1~ frivola est, i~~~r

~P~~h'rtem.qmmM! u? MMh<h.nation. M<.6«4. fol. 7t Triveth avait d~ diUm peu ptmM~tMd.&L6t v., Mat. pMhH.pMamsuam <MM tmdehat..<eM i~nUt~ me-« tapho~b impmtH~ snam lntentionm eejando sub tegamenth.? »

Page 57: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATttAVEBSM!MOYENA<:E. M

la nature, « cuneta moventem animam? Elle n'est rien de plus

pour lui que les moteurs des sphère célestes (i), par l'inter-

médiaire desquelles les péripatéticiens supposent que l'impul-

sion de la cause première se communique aux corps inférieurs.

Il est vrai que. selon Aristote, ces moteurs sont en assez grand

nombre; ce (pu ne répond guère A l'idée que les philosophes

se forment généralement de l'âme du monde. Mais, reprend Tri-

veth, l'harmonie de leur mouvement et l'identité de leur nature

ne permettent-elles pas de les considérer comme un seul moteur,

de même que tous les corps, étant composés de la même matière,

sont, pour Platon un même corps dont les objets particuliers sont

les membres?

Je n msMterai pas sur la partie dn Commentaire de NicolasTri

veth, ni de celui de Guillaume de Conches, qui est consacrée )~

l'analyse des opinions de Boèce sur le destin, la Providence et le

libre arbitre. Malgré l'importance des questions agitées, cette par-

tie offre peu d'intérêt. les deux interprètes se contentent de para-

phraser le texte original, Nicolas Triveth avec plus d'ampleur.

<;u)llanmede Conchesd'une manière plus concise, sans faire ni l'un

ni l'autre aucune addition notable &leur modèle.Lesidées de Boècc

touchant ces difficiles matières sont en général si saines qu'elles

avaient été adoptées par le plus grand nombre des docteurs

chrétiens, et qu'elles formaient corps, pour ainsi dire, avec la

tradition de l'école. A peine ai-je relevé chez Triveth quelques

allusions aux controverses qui avaient lieu de son t<'mps; je citerai

comme exemple un passage sur la distinction des attributs di-

vins (2), ce point si vivement débattu entre les disciples de Scot

et ceux de saint Thomas. Maisje ne voudrais pas en finir avec

l'œuvre oubliée de l'humble dominicain dont j'ai essayé de remet-

(i) Ma.MM,fol.63 «VMetnfpoMeNthmaMMerdtetquodperanimmmundi« intellexit(Plato)motoMSetMamquorumvirtuspermotaminomniaeorpomtiadif-

faadtmr.Needocet(potest?)obstarequodiMtmotoressantmbatanUemthmabMModistineteet divise;quoniama!e)tteo'poMmoadtnaturadistinde,propteranitatem

etd:at9ponitunumcmrpasdMmtampermembfa,aiemotoresorbiumperunitatemontMsin operationemoveadiponitmmmmtommperpartesdMtMtam.Neaatem

mponendofacilevideturenneteaMint~amentaPlatonisde tonstMathmeanime<'mondaM.

(2)Me.eM4,M.? < BxtatodietoBoetM,videturMMesseopinh*dteenUMmattri-«butadMeKe!n Deo,seomdMmrationemquenonest perapeMttMMmtnteMectm;« cNjnanMdtestmMoacceptaperquidditatemret ~nnaMtatem.

Page 58: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

si KXcmsKtXStttSTtmw(? ETPHtUtSOPMtQtEt

tre le nom en tunuere. sans avoir si~nate !es pensées etcvees,sentiments géné~ux qu: t iosp!raM'nt, et que les pesante funtM's<~ la scolastique n'ont pas entièrement étout!~ soMsst) plume.Quoique son style )M'vaille lms mieux qm' celui de lit phtpart titist.s

contemporains, il a des passages, que je s<.uha!terais moinsMtres, (pli M sont pas tout a fait indi~nea d'être <ites.

A:ttStBoèceadepe:nt, en beaux vers, les v«.ux et tes terreurmiséraMes par lesquels nous donnons pr!se sur nous A la tyran-nie des despotes (<)

Qttid tanmrn nosfn feros hf:t<:)Mts~Mrantur sine v!nbMs fHn'ntfs?Npc stères .)!i<)tddnec pxthnpst'as,Exannaveris tmpxtentM ir:t<t).

Le commentaire n a-t-it rien conservé de réner~qMe simn!icit~du texte ori~inat (2)?

« Vis tt'rrene potestatis ad oichii se extendit nisi ad tar~itionem«iMMtorum temporalium et privationem eorumdem; etidposMh« tMtestate terrena nullus redi~!tar, nM qui spcrat Mt& bona,« vel qui timet eorum pnvaHonem. Qui autant ncutn* modo aB<'c-« tus est, omnino est extra potestatcm terrenam; et ideo t<d!ter-« reM potestas non poterit benetaceM nec nocerc propter quod« dicit contM istos, tanqMam miseros, qui spe bcnot'nm tempoMt-« lium, vel timore privationis, subjtount se terrenis potest~ti-« bus. Quid, id est, ad qntd, miseri, propter miseriam aacciion!s« qua se sob;îciunt, mirantur tantum tyrampnos sevos; quod non« deberent eos mirari tantjuam potentes, quia non sunt potentesNde se, sed ex hcc quod aiH se eis subjiciunt. M

l'oiei un autre passage un peu plus long sur la sainte et vraietiberté que procure à l'ame sa soumission a la loi de Dieu (3)

« tn civitatibus terrenis, ubi plures principantur simat vel suc-« cpssive, eontin~it principes machinari quandoqae deputsioMm« civium, eo quod eorum depulsione, aut priacipatttm se esti-« mant facilius acquirere, vel acquisitum diutius obtinere, vel de

(t) fowM~.t, m. 4.

(9)Ms.eMt,M.nv<(3) CMtM<.t, pr. 5. ms. C4M, fol. 22.

Page 59: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVKMS LK Mt~KK A<:K &'

< ohtento sin~utarius preeminen. Sednon sic de patria K'M<

« tM'r <tuam mansionetu intm termines t~tionis inteni~it. h) ha<

enim est tantum unus princeps seiticet tteus qui est prin< i

piumet recula recte rat!<tn!s. Fn~ et tHUtst~ttst~te

in tttohon

vh M!<pcumhnM f<'< tatn Fa<i<ttM'm. ht <~mntM)n «nt)ji'u* t'<«!<

<Uv!n< m ~M<m)!<)M !n <pMnhtnt <~t!s vtvM st~nx.nun n't'tattt

« ntt!un<'m, )n tMohun «UMtt't )M pahi«et <'hiM<' pn'ptm. cojns

« ttt'us est ~Ft)tc<-ps, ptttot <pM'<) !n <:t))th)tM <)tt's ma)M't in ~ttr!a.

«ManhMM<M'<t!t )<<'o. Et qnnMtam ~r!n"'ps i)) subjoct~nc s<)<'

<un) <t<'<'httnt\ patft qu<'d th'Ms A'h'ctahtr. !)< tnnM!tM<tht''

< hmnt. Et <~M'ttMttMin tnMtttm <~Ms<pt)s

HtM't' <'st. io ~MMnttnn

est <~ tacnMas t~M'randis<t'nn<h<tn tatxMM'm. in tantun) Htth'Mt

<t)ti<Mtu<' <ttM't'«t<n tM'CHn<h«)) rationcnt in <;Ma)t<Hm suttjicihn

« Hco, nt)<n;t<'stHm <'st qwMtMtnuno tibottatis pxt 'pMMt h<HM«

<Uv!Mc h'~i sMt~!c!hn.

Sans voMtotr nutMiptx't' !<'s t-italii)it,4. j<' s:trn<de~t pncon' h s

tt~uM's stnvanh's <pti tn<' ;Mt)~!ss<'n< tnsph~'s pHfnn s<-nthn<'Mt h~

~h'~ df r<~at)<<s <MM)un<'s <'nhv <'<tx (<)

<:u)n in tM'tnhtf sint <tM< sctHc~ nnhna et c<npns. pah't ~M~!

mm est tMtm" ~M't' <'<'rp)ts, s<'<t pft' auitttatn, ex <'a p.u<<' tpta ta-

tionaiis est. St'<! <'<nh'tn est <n'i~o nninM !n "mnthos h<MniM)hus

<')~<* otnncs h<tt)MMcs, s<'enn<httn hue <ptod snnt, f~tM' <M'tnt<'s

sMMt; stJmn Mutcm ttti sunt ;~tM<tnt<<, qn! <te~en<'r<ntt a SM:<

wi~tne; aMttn~ auh'tn in sna ortK'nc pt'ot!n<t«est sitM)t!s th'<t:

<t Men mi soli a nuhtHtatc ~cg'wnM~. <?« vtpt~ts MtorUtUs

s!mHHMdtuem quant<'x <tf!~hM' c~nhaxt'ntnt «tr<t!!«un.

Les passée!! tfmanptahtt's <pM-nous venons de cito' n'<'x!stcn<

pas, m~mc en gprmt\ chfz <.MtManm<' de Conchcs. h~por~v<')~

h's études ttephysKpte et dastt~nomtc pom'accontornnp~'andt'

attpnt!on aux questions de monde; mMs on tes trouve A peu près

textueMemN~repKtduUf; dansteeonnnenta;re qu! porte te nom de

saint Thomas d'Aquin.Peut-être furent-tts ;nsp!rës

A Nïcohs Tr!-

veth part'esprtt de ta cétetu-e conunuuaut~ a taquettctt appartenait.

et dont t'esprit et la doctrine, peu favoraMes à !a puissancetem-

porelte, s'accordaient iacUement avec quetqueft-unes desmaximes

t'epandnea dMS les livres de la C<w<w/M~<. Mais qucUe qu'enait

(1) CooM<.t!t, )n<4.<t,M<M.fol. Mt

Page 60: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCCRSKM8msTOMQMM ET PtMLOSOPHiQMS&

été la source, d aussi gêneuses pensées, fussent-elles perdues a..fond d une glose aride, mériteront toujours d'être conservées, au-tant comme l'expression de vérités éternelles que comme le s~p-t6me du travail mystérieux qui opérait dans les esprits. Assuré-ment les interprètes de Boèce, ni même ceux d'Anatole, n'ont pas.-xcrcé une action bien directe ni bien sensible sur les progrès dela civ ilisation; les sciences elles-mèmes ne leur sont pas redevablesdes découvertes qui ont reculé les bornes des connaissances hu-mâmes; cependant il faut considérer que ces grands mouvements.JM changent la face de la philosophie, et quelquefois celle de !asociété, sont le fruit des efforts de milliers d'individus qui, chacundans leur sphère, pour ceux-ci plus obscure et pour ceux-là pluséclatante, ont travaillé à l'ouvre commune. Si l'historien ne te-naK pas compte de ces éiéments cachés de la vie des peuples,il s'exposerait à lasser échapper beaucoup de détails qui au-mient donné plus de sondité à ses récits et qui peut-être luieussent servi Il mieux pénétrer le sens des événements générauxLa critique dont la mission, en littérature comme en histoire, estde rectifier les erreurs anciennes et de mettre en lumière les faitsnouveaux doit donc poursuivre sa tache avec patience, quelquestéruequeUesembteparfois;sesdecouvertes les plus modestes ontleur utilité. Tel est l'espoir qui nous a soutenu dans les recherchessouvent ingrates dont nous venons de présenter le résultat. Uuoi-qu elles fussent renfermée par la nature même du sujet, dans lecadre le plus étroit, nous avons pensé qu'elles ne seraient pas en-tièrement infructueuses si elles contribuaient A tirer de l'oublideux monuments dont l'étude peut répandre quelque jour surl'état des lettres, des sciences et de la philosophie morale dansl'une des époques les plus ignorées de leur histoire.

Page 61: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

APPENDICE.

Comme complément et comme justification de la notice qui

précède, nous donnons, dans cet appendice, quelques extraits du

Commentaire de Guillaume de Conches. Les documents que l'on

possèdesur la première période de la scolastique ne sont pas telle-

ment abondants qn il soit sans utilité d'en augmenter le nombre,

ne fût-ce que par des citations un peu étendues des ouvrages quisont restés inédits. Quant au Commentaire de NicolasTriveth, qui

appartient &une époque plus récente et mieux connue, nous avons

jugé moins nécessaire d'en publier des fragments, dont le choix,

d'ailleurs, edt été assez embarrassant par la nature même de l'ou-

vrage.Dans établissement du texte, nous avons suivi le manuscrit i38t

de la bibliothèque de Troyes, qui joint A l'avantage d être pluscorrect et plus lisible celui d'être paginé, ce qui facilitelés renvois;

mais le manuscrit itOi de la même bibliothèque et le manuscrit

~30 de la bibliothèque d'Orléans nous ont fourni, comme on le

verra, plus d'une leçon.

t.

DIVISION DE LA PHILOSOPHIE.

(CotMot.t, pr. «Hammta extrêmemargineIl, suprêmeTeMQlegebaturintextam.BMs.deTroyes,fol.10eteeq.)

Scientie due sont species sapicntia et eloquentia. Et estsapien-tia rerum vera et certa (i) cognitio. Eloquentia est scientia profe-

(t) TttOtet0 aao.~<M<<<tdeMatinmd.Tt8St.

Page 62: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

M EXCURSIONSHtSTOBtQCESETPMtLMOPH!QUES

rendi cognita cum omatu verborum et sententiarum. Et dicuntur

specicsscicntiequoniam in istisdnobnsest omnisscientia, scilicetin cognoscendo res et cognitas proferendo ornate. Eloquentia' iressunt partes, scilicet grammatica, rhethorica, dialectica. Sapientiavero et pttilosophia idem sunt; sed unum nomen gra'cum, aliudlatinnm (t). Unde potest perpendi quod nec eloquentia, nec aMqnapa~ iHius de philosophia est quod auctoritate TuUii conNrma-tur (2) qui in prologo /ow.pdicit « Sapientia sine eioquentia'< prodest, sed parum; eloquentia vero sine sapientia, non tan-« tum non prodest, sed etiam obest. Eloquentia cum sapientia« prodest. Mlta votait esse diversa et eloquentiam et sapientiantet ita'unam non esse speciem alterius (3). Iterum Sallustius, in

descriptione Catilina*, dicit « Satis eloquentia inerat, sed parum« sapientie. »Ex hocpotestperpendi diversitas, quia inistisdnobusest omnis sapientia, vêt in contemplando, yel in agendo. Unde qui-dam philosophidicebanturotiosi qui soli contemplation! vacabant,

quidam ncgotiosi qui circa. rempublicam exercelmutur. Practicesunt tresspecies:echonomica, polithica, ethica. Et est echonomica

que docet qualiter unusquisque debeatdispensare propriamfami-liam. Unde echonomica dicitur, quasi dispcnsativa economicusenim est dispensator. Politica est de gubernatione civitatis (4);polis enim est civitas. Ethica vero est de morum institutione e~enim mos. Theoretice similiter très sunt species theologica, ma-

thematica, physica. Et est theologica contemplatio incorporeorum,quœ preter corpora sunt, ut de Deo et de ejus mente, de anima

mundi, de angelis; et diciturtheologia, quasi sermo de divinis;?%<'<Menim Deus est, logos, sermo. Mathematica vero est de hiis

qua* sunt circa corpora, scilicet de multitudine per se vel adaliud (5) relata, et de magnitudine vel mobili vel immobili; undesunt quatuor mathematice species arithmetica de multitudine

per se, id est, de virtute numerorum musica de multitudine relataad aliud, id est de proportionibus numerorum; geometria, de

magnitudine immobili; astronomia, de magnitudine mobili, ut

(<)T ttOt.SedM<t«M ~MMMMtdesuntin cod.T138t.(2) T not ceMpM&oW po<e~.(3)Tnot. T i38i J?<<<teoMHMtMMOHesttpedetaMeW<M.WTttOï CeMM~~ttMaaeMfMttM.f5) 8k 0 230. ~Ktt~ deest in cod. T ttOt et 138t.

Page 63: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEX At:iE. M

de firmamento et de stellis infixis (i). Et dicitur tnatbematica, id

<'stdoctrinalis, vel quia ibi sit doctrina de corporibus per ea qua-

ch'ca ipsa sunt; vel qu!a major ibi sit doctrina <juam in aliis arti-

bns, quia cum in aliis artibus solo sermonc doctrina fiat, in ista fit

etiam visu; quia quod ratione dicitur, Rguris ostcnditur. Physica

Yt'Mtestde propt'ietatihtis corporum et quaLtatibns; undephysica

dititur, id est naturalis. Sed quia, ut ait Moratius,

Se~niusirritantaninMSdemissaper aurcm.

Qnamqua:sunt oeutisSHbjtftaMptibus.

divisionem quam pîwdiximus oculis ostendamus

MUEXTtA.

BKXtCEitD*. SAttK~m.

<.rammaHca. Bhetortca. MatecMca. ThMn'Mca.PracUca.

Thcnh'sh'a. Mathematica. Physica. EtMca. Econumka. Pt't)t!ca.

Arithmetha. Mustca. Cenmotrtca. Asttouomia.

tnstrutnentaHs. Hf~ana. Mnndaoa.

MeHt'a. Mctrtca. Rithmtca

Oiatottca En:.rm<'n(ca. Cromattca.

practica adscendendum est ad theoricam, non de theorica

descendendum (2)adpracticam, nisi causa communis utilicatis.

Qui vero sint illi gradus philosophie, id est ordo ascendendi (3;de practica ad theoricam, sic videndum est. Prius est homo ins-

h'uendus in moribus per ethicam, deinde in dispensatione proprie

famMieper economicam, postea in gubernattone rerum per poli-

ticam. Deinde, cum in i <tisperfecte exercitatus fuerit, debet tran-

sire ad contemplationem eorum quae sunt circa corpora, per

mathematicam et physicam, usque ad celestia; deinde ad con-

templationem incorporeorum usquead Creatorem, per theologiani.Ethic estordo philosophie. In eloquentia vero, pnup est addiscenda

grammatica, quia principium est eloquentie scire recte scribere

(t) T iloi. M de <~<s desuat !n cod. T 1381et 0 230.

M T t38! <&KMN<~a<ftMaomttttt.

(3)T 1881 Of<!o<fe<eea<feM<«<Kp~MMop~o.

Page 64: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

M EXCMtMONSHtSTOMQUBSETPHtLOSOPmQUES

et recte pronuntiare scripta, deinde dialectica, quasi argumen-tum eloquentie, scilicet scientia probandi quod contradicitur.

Deinde rethorica, quasi perfectio. scilicet scientia dissuadendi vel

persuadendi.

t).

DE L'AME DU MOXM ET N! t.'AMK ttCMAMK.

(Co«M~. Ht, met. 9

TutripiicismediamnatartecunetaMMventcmConnectensanimamperconsonam<'mhraresotvis,etc.

Ms. de Troyes i38<, M. 57 et suiv.)

Ostendit philosophia hucusque divinam potentiam que est

efficiens causa mutidi, et t~usdem sapientiam que est formalis

causa, et bonitatem que est finalis. Hocfacto, istud idem demons-

trat per proprietates et per potentias anime, a tteosibi coUatas, et

primitus hoc ostendit circa animam mundi et ejus proprietates.Anima mundi est naturalis vigor quo habent quedam res tan-

tum moveri, quedamcrescere, quedam sentire, quedam discer-

nere. Sed qui ait ille vigor queritur. Sed, ut mihi videtur, ille

vigor naturalis est Spiritus Sanctus, id est, divina et benigna con-

cordia, que est id a quo omnia habent esse moveri, crescerc,

sentire, vivere, discernere. Qui bene dicitur naturalis vigor, quiadivino amore omnia crescunt et vigent. Qui bene dicitur anima

mundi, quia solo divino amore et caritate omnia qusB in

mundo sunt, vivunt et habent vivere. Visoquid sit anima mundi,videndae sunt proprietates ejus juxta corpora, quœ tales sunt,sciticet sensualitas~ vegetatio, ratio. Quedam enim corpora ve-

gétât et facit crescere, ut herbas et arbores; quedam facit sen-

tire, ut bruta animalia; quedam facit discemere, ut homines, una

et eadem manens anima; sed non in omnibus exercet eamdem

potentiam, et hoc tarditato et natura corporum faciente. Unde

VirgiMus Quantum non noxia corpora tardant. At diceret aliquisAnima mundi exercet rationem in homiac; ergo non anima homi-

nis quod aperte fa!sum est; quia, et anima muuJi. id est divinus

amor, et anima hominis sunt in homine, et in eodem utraque

Page 65: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEN AGE. M

bene potest uti ratione et quod anima hominis habet, hoc habet

ex anima mundi, id est ex divino amore. Si iterum dicatur anima

hominis et anima mundi sunt in homine, ergo due sunt in homine,falsum est. Dicitur etiam ha:c anima mundi a Platone a Deo esse

excogitata, quia Spiritus Sanctus, id est, amor que cuncta subsis-

tant, a Deoprocessif, hoc pacto, ex dividua et individua substantia

et ex eadem natura et diversa. Quia anima mundi et divinus amor

et incorporalia facit existere, que dicuntur individua, que cum non

habeant partes, non possunt dividi, et corpot~aque possunt dividi,et dicuntur dividua, quia omne corpus conjunctum ex partibus,

dhidipotest in partes. Et ex eadem natura et diversa que ita facit

quedam existere, que semper sunt ejusdem nature, ut celestia,

sive corpora sint, sive spiritus; quedam ita que diverse sunt ua-

litre, sunt enim variabilia, ut sunt terrestria. Sed cum ejusdem aiie

sint expositiones que ad rem non multum pertinent, de eisdem ad

tempus diSeramus, et hec et alia mulla de anima mundi dicemus,

tatione demonstrantes quare ita sint.

Littera sic legatur y~ ~'<'w/s cowwwf M~MA/'a,nam po-tcntia dividis animam per membra in corpora que dicuntur mem-

bra mundi, id est, partes. C<w<ow<,id est, convenientia ipsius

proprietatibus. quia divinus amor unicuique confert quod ei est

convenions. Co~M<'c~<?~<MWM<fM!,id est, conjungens ipsis corpori-bus. J~d~M~ id est, communem; nihil enim sine divino amore

et voluntate est nec esse potest. Quidam ita intellexerant animam

mundi esse mediam, non quod esset in omnibus, sed in medio

mundi posita, id est in sole, et inde vires suas et potestates in

corpora mitteret; quod, quia aperte falsum est, postponatur./<H/MMM;dico /«'M nature, id est potentie et proprietatis. Est

enim vegetabilis in herbis et arboribus, sensibilis in brutisani-

malibus, rationalis in hominibus. Af«t'M/<'M~Kwc/ Anima dici-

tur cuncta movere, quia sive generentur, sive corrumpantur, sive

augmententur, sive diminuantur, sive alterentur, sive de loco ad

locum mutentur, hoc facit anima mundi, id est, divinus amor.

(~ cMM.<?<'?<~MM~o/MMy/oMt~'a!)~ o~Mf. Hoc totum tractum

est etPlatone qui dicit Deum, postquam excogitaverit animam

eam extendisse et in duo secuisse, deinde ex itiis partibus in mo-

dutn X littere grece quiddatmfecisse, et post curvasse capita quoad

coirent et duos orbes fecissent. Quod ita intelligendum est Deus

Page 66: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

<H EXf~MMOKSHtSTOMtQUESETPHtLOSOPMtQ~KS

extenditanimam mundi, id est, suum amorem; cum solo amoM

creat et creata gubernat; deinde secat in duas partes, in modum

X littere, in qua sont duo bracchia, scilicet unum longius alio,<'t ita quod unum vadit obliquum per médium alterius. Que si

eurventur, fiunt duo inequales orbes. Per hoc voluit Plato dicere

animam mundi in celestihus ewrcere duos motus, firmametiti

sciHcet et planetarum; quorum unus in alio continehtr; quummotus planetarum infra motum firmamenti sit, et obliquus sit

motus planetarum contra nrmamentum, quia sequuntur Zodiacum

(lui oblique vadit per celum. Et hoc est quod ait Boetius, quodanima consecta, id est, diversas potentias exercens in corporibus,motum glomeravit in duos orbes, id est fecit duos orbiculares

motus, id est nrmamenti et planetarum. Orbicularis motus est

rediens ad idem punctum. lit ~Mf/ ~~M~a Mp~ Id est, movet

corpora iDa, reditura in semet ipsanït id est, movendo cetera,movet etiam se ipsam. Unde dicitur a Platone autochineton, id

<'st, movens se ipsam. Si aliquis querat quis motus sit anime,dicemus quod motus omnium anime sunt, quia omnia, anima

movente, moventur, et circuit inter profunda, id est, divinam

mentem et voluntatem, quia juxta divinam mentem et volunta-

tem omnia movet, que dicitur profunda, id est, subtilis, etnH

eam potest subterfugere vel latere. C<MMW/~c~w; simili MM~-

~Mp. Divine menti ut enim est divina votuntas, anima movet

celum.

?'Mc~M~ otM~M~/)~'<&<MM/«c MtMMM~~~of~M. Hic inci-

pit ostendere potentiam divinam per creationem anime hominis

et per vitas animalium, dicens Tu, Deus, provehis, id est, facis

esse animas hominum et vitas minores, seilicet brutorum anima-

lium. P~A~~ c<MMM,quibus et anima mundi; videlicet enim que-madmodum iUa movet se et cuncta, juxta divinam volontatem,ita anima hominis movet se et corpus hominis. Et Zpp~M~~M&/<-mes cM~&~ aptarts. !n hoc loco quidam damnant Boetium,

propter hoc quod dicit Deum aptasse animas sublimibus curri-

bus, putantes quod dicat Deum simul créasse omnes animas, et

posuisse unamquamque super comparem steMam et inde venire ad

corpus. Sed quia videtur PIato hoc habere, videamus quid intel-

lexerit PIato, quid Boe~os sequendo Platonem. tstud nusquam vi-

detur in Platone, quod simul omnes anime create sunt; sed quod

Page 67: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TBAVERS M MOtEX ACE. <

anime posite sunt super stellas a ~mino, hoc invenitur in <o;

quod sic intelligcndum est Anima posita est super steMas, quia

per rationem anime transeendit homo stellas et super eas repperitCreatorem; et hoc habent anime a Deo, et idciro dicit Plato DeutM

posuisse animas super stellas. Quia vero dicuntur stelle compa~sanimabus, ideo dicitur, quia quemadmodum anime semper suntin mota, ita et stelle; et quemadmodum anima ratiomaMUte)'

movetur, et sic stelle. Vel fjiter Deusdisposuit animas super stel-

las, id est ejus nature fecit animas, quod eNectu stellarum, ha-

bent suum esse in corporibus. Ex stellis enim est calor, sine duot st nuUa ~ta, nec anima esse potest; non quod dicnnt omnia que

contingunt, ex stellis venire homini, sed quedam, ut calores et

Mgora, quedam infirmitates et simiMa. Si vero aliquis dicat

Nonne ista a Deo fuerunt? Responsio Fiunt, seil per effeetumstellarum. Viso quid intellexit Plato, videamus quid dicat Boe-

tius, secundam atramqae predictam sententiam.M ~< ~<M

«~/M!~ f<w/A~ ~WM~M.!d est rationi et intellectui qui dicuntnr

mrrMSanime; quia déférant animam ad cognitionem reram. Aai-

mas dico sublimes. Sublimis anima est quia per eam homo similis

MtDeo, creatori sno. <<?/MW~WMt~K~ s~'M~quia anima om-

nis (<) ratione et intellectu habet cognitionem celestium et terres-

trium. Secundum aliam sententiam, ita dicatur ~t~M<M~MAt/AtMcww&M~id est stellis, SteMedicuntarcurrus anime, quiadéferont animam ad corpus, dum per effectum earum, anime

habent esse in corpore, et dicuntur leves, propter earum perpe-tanm motum. Et dicontur anime aptari stellis quia, quandiudurat uniuscujusque comsteUatio, et anima est in corpore,. /«

~/<w; ~c~ws~Kex~'M yM<f</~c A~~M. Quia et celestia et ter-

restria causa sunt quare anime sint. in corporibus. Ex celestibus

<'nim contrahit homo calorem, ex terra alimenta sine quibusanima in corpore esse non potest. Quas scilicet animas ? itv-

~Kc<facis ~M ~c~ id est cognitione et amore (2); cum enim

ubique Deus totus ait, ab eo tamen avertimur, cum per vicia ei

dissimiles sumus; ad ipsum revertimur, cum per virtutes ei nos

similes &cimns; quia, ut ait Augustinus, Deo, uhicumqne est,

(0 0 230. OMt~deMt ta cod. T <38t et ttOt.

(:) 0 230 addtt JM timore.

Page 68: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

M EXCUNStOKSHtSTOBtQPESET PHH.OSOPMtQUES

non locis sed actionibus, aut longinqui aut propinqui sumus, et

sicut séparât nos ab eodem dissimilitudo, ita conjungit nos simi-

litudo. Et hoc est )'e<fMc<~t<* id est splendore et fervore di-

tectionis: ubi enim est ignis, ibi sont ista duo, cator et splendor.SimiMter in divino amore est splendor quo illuminatur mens, ad

cognitionem celestium et est calor ad comprehendendum et

imitandum; ex quo enim aliquis Deum aliquis diligit, amor in eo

operatur illuminationem et desiderium celestium; dicitur enim

divinus amor ignis; unde Spiritus Sanctus, id est, divinus amor.

in igneis linguis apostolts dicitur infusus, qaoniam divinus amor

fervorem celestium eis contulit, et gênera linguarum eos edocuit,

quasi divets;s gentibus diversarum linguarum predicaturos, ut

ex fervore constantes et linguis inteUigtbUes in predicando cssent.

A~MCt. Quia enim anima a Deo habet esse, non revertitur ad

ipsum, nisi non amet divinitatem, quia, nisi amet, non querit;nisi querat, non inv enit nisi inveniat, non revertitur ad ipsum. Et

hoc est A~M~M lege. Lex enim scriptum assiscens honestum,

prohibens ejus contrarium. Hic vero divina prœdestinaHo dicitur

lex benigna, quia ibi omnia leguntur et continentur predestinataad vitam que predestinatio dicitur scriptum et liber vite. Unde

dicitur Deleantur de libro viventium, et cum justis non scriban-

tur. Adsciscit honestum omne et prohibet contrarium, id est,inhonestum. Hac lege revertuntur anime ad CreatoMm, quia,nisi predestinatus sit (i) ad vitam, ad ipsum non revertitur aliquis.

Pa/c~, ~M~M~~MM!c~/<c<MM<~M~esedenz.Hujusque fuit NM'-

~<~ id est suspensio orationis, ad unum finem tendentis (2), os-

tendendo di~Tnampotentiam et bonitatem. Modoponit quod petat

Tu, pater, qui taris es, da menti hujus Boe~i conscendere augns-tam sedem, id est, sedem summi boni; quod est dicere Da isti

cognoscere in quo summum bonum situm sit. Sedes summi boni

dicitur augusta, id est, nobilis, quia nihil iHi potest comparari,vel angusta et subtilis, quia magno labore ad eum pervenitur.Da/b~~M /<<s~~ï~Ao~M.Incipit ostendere qualiter ad illam sedem

possit attingerc, petendo hoc ab eodem; et hoc est Da /<M<id est inves~gare, /<M!~MAo~ fons enim a quo rivus habet exis-

(i) T HM. T t38i Fre<<M<Mta<Nr.

(!) T ttot et 0 230. Ad «MMtjSMem <eM<teMM<desant in eod. T t3Ni.

Page 69: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVEBSMMOYEttACE.

EXCCMMMM MMMMttCES. 5

tcre, et ipse a nu!to. Quadam similitudine dicitur Creator tons

boni, quoniam ab ipso omne bonum habet esse, et ipse a nuUo (<).Sed ut ad sedem predictam ascendatur, oportet ut investigetur;sed quia non sufficit querere, nisi inveniatur, nec invenire, nisidiiigatur, addit Da, /Mcc reperta, intueri, sciticet eognitioneet amore, po~MCMMa~MM!vultus in te defigere, scilicet rationemet intellectum quibus solis potest perpendi. Sed quia corpus quodcorrumpitur aggravat animam, dum est subdita iMi, subjungit/~?ce terrene McAM~~~OM< molis, id est, nebulosa pondératerrene molis, id est, carnis. Pondera vocat nimias curas tempo-ralium, que aggravant ipsam animam, ne ad cognitionem etdilectionem Creatoris possit erigi. Sed, ut cognoscatur sedessummi boni, oportet has curas dimittere et disjicere, quia nemo

potest duobus dominis servire, Deo et mammone. Sed quia nonsufËcit remotio cuNp temporalium, nisi adsit gratia illuminans,addit ~~Mc <Mo~MMAM'emica, id est, resplende in ejus corde.?'M~M~y~ ~~MMM. Ostenditeum per se illuminare, quiasere-num est quod reddit homines serenos. Et vere est serenum, quiest requies ~<?~M~ ~<M; quia in bac vita qui pii sunt, tuaconsideratione et desiderio requiescunt, et post aliam, vitam,in tua consideratione gaudebunt. Te cc~~y~. Finis est ultima

pars rei, ut finis agri; finis iterum dicitur consumptio rerum, utfinis vite; finis iterum propter quod fit aliquid. Ma in hoc locofinis dicitur Deum cemere, quia quidquid agunt sapientes, adhoc agunt ut Deum &cie ad faciem videant quoniam hec est veraet beata vita. P~MC~MMMa quo omnia habent esse. ~c/o~*quianos vehit per gratiam ad quod nos non possumus pervenire pernaturam. Unde in Canticis Trahe me post te. DM~~ratione du-cendo ad bonum. ~e~M~e~quoniam ad ipsum per ipsum venitur.~w;~M~ idem, quoniam ultra ipsum nihil est petendum sum-

mum, cum sit summum bonum et perfectum bonum.

(1)Qtta~Nt~M<N<<MKKe<psea MMKodesuatin cod.T1381.

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'? EXCUB8MNS HISTORIQUES ET PHtMSOPHtQUES

Euridice, conjux Orphei, dum per quoddam pratum vagaretur,ab Aristeo pastore adamata est, sed illa fugiens ejus cot~junc-tionem, catcato serpente, mortua est, et ad inferos ducta. Cujusmortem immoderate ferens Orpheus, cepit modos de ejus morte

componere et in cithara modulari. Suavitatem cujus cithare dictasunt sequi inanimata et animata. Sed non potens hoc modo con-

solari, post uxorem ad inferos descendons, infernornm dominos

demulsit in tantum, quod reddita est ei uxor, sed ea lege, nedum exirent inferos, eam respiceret. Sed prope terminos intèr-

normn, intemperantia ductus, eam respexit et iterum eam per-didit. Hocmtegamentnm prius exponendum est, deinde iigillatimea que sont in libro. Orpheus ponitur pro quolibet sapiente et

eloquente, et inde Orpheus dicitur, quasi orea phone, id est op-tima vox. Hujus est conjux Euridice, id est naturalis concupis-centia que unicuique conjuncta est nullus enim sine ea, nec etiam

puer unius diei, in hac vita esse potest. Unde iterum finxerunt

poete quemdam Deum esse, scilicet genium qui nascitur cum uno-

quoque et moritur. Unde Horatius Deus albus et ater in unum-

quodque caput (1). Genius est naturalis concupiscentia; sed hecnaturalis concupiscentia merito dicitur Euridice id est bonijudica-tio quia quum quisque judicat bonum, sive ita sit, sive non,concupiscit. Hec al) Aristeo, dum vagatur per pratum, adamatur.Aristeus ponitur pro virtute; Jb'~ enim est virtus; sed hec virtushanc Euridicem, id est hanc naturalem ooncupiscentiam, dum

vagatur per pratum, id est per terrena, que, quemadmodumprata, modo virent, modo sunt arida, adamans consequitur, quiasemper virtus naturalem concupiscentiam a terrenis abstraheretMtitar. Sed Euridice Aristeum rugit, quia naturalis concupiscentia

(t) Homt.fp< Il, n, v. 188et M9.

III.

(CCM< III, )oet. ta

OrpheusEar~dtcemsuamVMM.perdMM.eceMit.M~. perdidit,t38t,

M. 68.)ma. de Troyes 1381, fol. 68.)

Page 71: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE M<ME?!AME. <t7

cuntradicit virtuti, quia appetit votuntatem, cui virtus eontradicit.

Sed tune moritur et ad inferos descendit, id est ad detectationem

temporaUum. Sed, mortua uxore, Orpheus dolet, quia cum sapiensvidet intentionem suam et delectationem in temporalibus habi-

tans, displicet. Sed cum cuncta modM!ationibusvincat,doloi'em

de amissa wxore non vincit; quia, quamvis sapiens eloquentia et

sapientia sua vicia aliorum superet, suam concupiscentiam non

potest a temporalibus auferre; inde maxime dolet. Sed tune

Urpheus ad inferos descendit, ut uxoremextrahat, cum sapiensad cognitionem terrenorum descendit, ut, viso quod nichil boni

in eis est, concupiscentiam inde extpahat. Sed redditur ei hac

lege, ne respiciat, quia nemo mittens mannm suam ad aratrum,

t'espiciens retro, aptus est regno Dei. Expositasumma integumenti,

smgula, ut in libro continentur, exponamus, hoc ante premonen-

tes, quod si aliquis legens Fulgentium aliter hanc fabulam exponi

videat, idcirco hanc nostram non vituperet; quia de eadem re,

secundum diversam considerationem, diverse inveniuntur exposi-tiones.

IV.

KUÈMBNTSDE~A COXNAtSSAXCE.

(C<MMO<.tV,pr. 4. Ms.deTmyfst33t.M. ttt et tt9.)

Aliter percipit sensus, aliter imaginatio, aliter ratio, aliter in-

tellectus. Est sensus quedam vis anime qua videt, vel tangit, vel

facit, vel gustat, vel audit homo. Hoc est percipere formam rei

in subjecta materia, id est, percipere corpus, constans ex ma-

teria et forma. Neque aliud habet principium, nisi ex aliqua pas-sione que fit circa corporeum instrumentum, ut hec est lux que

feritoculos, et excitatur ipsa anima ad videndam aliquid. Ima-

ginatio est vis anime qua percipit homo figuram rei absentis, et

habet principium a sensu; quia quicquid imaginamur, ut vidi-

mus illud idem imaginamur, vel ad similitudinem alterius rei

ejusdem generis quam vidimus, ut rusticus Virgilianus qui num-

'{uam viderat Romam, ad similitudinem sue civitatis quam vide-

Page 72: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

M EXCURSKM8HtSKMHQfES ET PHtMSOPHtQPBS

bat, imaginabatur, dicena Urbem quam dieunt Romam,MeM-

bee, putavi atuKus huic nostrœ similem. Ratio vero est quedam

vis anime qua percipit homo quid ait unumquodque, in quo dif-

&rat ab aliis, et in quo conveniat cum aliis. Hec principium ha-

bet a sensu et imaginatione; quoniam, cum vidimus rem, et Bgn

ras ipsius, et colorem, et proprietates, tum discernimas quid sit,

et in quo differat, et in qoo conveniat cum atiis. MeUigemtia est

quedam vis anime qua percipit homo quedam incorporalia, cam

certa ratione quare ita sint; hoc ideo addimus, quoniam, si pe~

cipit homo aliqnid c~su, et non haberet certam rationem quare

ita esset, non esset intellectus, sed opinio. Hec habet principium

a ratione, quia per rationem cognoscit homo causas rerum et na-

turas et proprietates~ et cognoscit quedam corporea gravia natu-

raliter, et quedam moveri, ut humanum corpus; et cognoscit

quod aliud est quam corpus, quod facit movere corpus, quoniam

cum corpus naturaliter sit grave, ex se non habet quod movetur.

ergo ex alio; et ita ratione discemente, pervenit homo ad cogni-

tionem încorporalium, similiter ad cognitionem Creatoris.

Page 73: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

PHILOSOPHIE DES ARABES

LA

ET

DES JUIFS.

Page 74: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen
Page 75: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

PHILOSOPHIEDES ARABES

ET

DES JUIFS.

Après les Grecs et les Romains, l'un des peuples qui passent à

juste titre pour avoir exercé le plus d'influence sur la marche des

sciences et de la philosophie, c'est sans contredit la nation arabe.

Le règne de ses écrivains commence pour l'Europe chrétienne

un peu avant le xm" siècle, et il finit au xvf; mais dans l'in-

tervalle, quel éclat n'a-t-il pas jeté! Avicenne et Averroès éga-

lèrent au moyen Age la renommée d'Aristote. Ala faveur de tra-

ductions écrites dans un latin souvent barbare, leurs ouvrages

pénétrèrent dans les écoles, où ils furent invoqués par les mal-

tres les plus autorisés. Sans parler d'Albert le Grand, dont l'é-

rudition était prodigieuse, saint Thomas dit qu'il les avait tous

lus et n'éprouve aucun scrupule à les citer. Quand on parcourt la

SoMï~e de Théologie et la So~tMPcon~ les GM~ on y re-

trouve, pour ainsi dire à chaque page, non sans quelque sur-

prise, des arguments qui sont empruntés aux livres des infidèles.

L'exemple du saint docteur que ses contemporains et la posté-

rité ont surnommé l'Ange de l'école fournit, pour le dire en

passant, la preuve irrécusable que l'étude assidue de la Bible

et des Pères n'est pas la seule qui soit permise aux chrétiens,

que la piété la plus fervente se concilie facilement avec l'usage

dca ccrhTnns profanes, et qu'enfin ta sagesse paonne elle-même.

LA

Page 76: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

79 EXCCR8!OXSHISTORIQUESET PHÏLOSOPMtQMES

malgré ses erreurs, peut être souvent d'un utile secours pour la

défense de la vérité catholique.A mesure que le temps a marché, le silence et l'obscurité se

sont faits autour des anciennes gloires de l'islamisme; l'autorité

de ses philosophes s'est peu à peu auaissée, puis a été entière-

ment détruite; leurs livres n'ont plus trouvé de lecteurs; leurs

opinions, qui partageaient autrefois les universités, n'ont plusexcité ni colère ni enthousiasme. Il était facile de prévoir cette

décadence irrémédiable. St les systèmes contemporains qui sont

nés sous nos yeux, et qui réfléchissent plus ou moins nos doutes

et nos aspirations, nous rebutent souvent par leur obscurité ou

leur bizarrerie, que dirons-nous de ceux des Arabes que tant

de causes contribuent à nous rendre moins accessibles, la rareté

des manuscrits, les difficultés de la langue et le contraste mar-

qué de la doctrine avec nos idées et notre civilisation? Le gé-nie moderne, qui désertait les voies de la scolastique chrétienne,ne pouvait se laisser détourner par une autre scolastique ayant

pour point de départ et pour garantie le Coran de Mahomet.

Mieuxvalait suivre exclusivement le trait lancé au cerf de Descar-

tes, au risque même d'oublier un peu trop le passé et de se mon-

trer ingrat envers lui par ignorance.Pour remettre en lumière la philosophie musulmane, il a

fallu ce mouvement inespéré qui depuis un demi-siècle pousseles meilleurs esprits vers les travaux historiques. Lorsque les

moindres débris de la science et de la littérature des anciens

peuples, toutes les formes du développement de la pensée hu-

maine, tous les produits de son activité donnaient lieu à de pro-fondes explorations, la curiosité devait tôt ou tard se reporter,

malgré les écueils du sujet, vers cette nation vive et ingénieusedont l'exemple et les œuvres ont contribué à l'éducation de l'Eu-

rope chrétienne. Parmi les écrivains de nos jours qui ont donné

cette direction à leurs études avec le plus de persévérance et de

sagacité, il faut citer en première ligne M. Samuel Munk, en-

levé à l'érudition française en 1867, dans un âge encore peu

avancé, dix ans après que ses remarquables travaux lui avaient

ouvert les portes de l'Académie des inscriptions et belles-lettres.

M. Munk ne s'était pas borné aux écoles philosophiques des

Arabes; il, avait étendu ses recherches aux écoles juives mais

Page 77: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MOYENAGE. j3

quand je considère l'issue fatale de son dévouement pour la

science, je doute que son exemple fasse beaucoup de prosélyteset qu'il ait beaucoup d'imitateurs. Car, à déchimrer les monu-

ments à demi détruits de la sagesse musulmane, le savant orien-

taliste avait totalement perdu la vue. Après avoir consacré un

quart de siècle, ~WM~enaortalis aeMspa~M~ à recueillir et à col-

lationner des manuscrits, un jour était venu, comme il le ra-

conte avec une touchante simplicité, où la Providence lui avait

envoyé cette inexprimable affliction, la plus terrible qui puisse

paralyser les efforts d'un écrivain pour lequel, dit-il, la lecture

et les recherches les plus minutieuses sont à la fois un besoin et

un devoir impérieux. Combien d'autres se seraient laissé accabler

par un coup aussi rude! M. Munk eut l'héroïque sagesse de ne

pas fléchir devant la mauvaise fortune; aidé des siens, soutenu

par les encouragements de l'amitié, il poursuivit, même aveugle,

les travaux qu'il avait entrepris dans des temps meilleurs; et

c'est ainsi que, dans les dernières années de sa vie, les études

orientales lui ont du, indépendamment de divers mémoires dé-

tachés, deux publications du plus haut prix, les ~/<Myps de

/~o~~ arabe et ~MM~e(i), et la traduction du Guide <

~ya~ (a) de Maimonide. Le savoir exact et solide qui règne

dans ces ouvrages, le grand nombre de faits nouveaux qu'ilsmettent en lumière, les services qu'ils sont appelés à rendre, les

circonstances même dans lesquelles ils ont été composés, deman-.

dent qu'on s'y arrête avec sympathie et respect. Nous voudrions

en donner ici un aperçu rapide, et toutefois suf&santpour en faire

apprécier l'importance, ou plutôt, en nous aidant des indications

très précises et très neuves qu'ils offrent, nous voudrions esquisrser à grands traits les vicissitudes de la philosophie chez les

Arabes et chez les Juifs. La matière parait ingrate, nous le recon-

naissons mais les découvertes dues à l'érudition de M. Munk

en trompent sensiblement l'aridité et en accroissent l'intérêt.

S'il ne fallait pas tenir compte de la puissante activité de l'es-

prit humain, de cette vive et féconde énergie que les influences

extérieures peuvent bien comprimer, mais qu'elles n'étouuent

tt) Paf!<t, <??, i voL ia.8<

(2) Pada, MM.tM6,3 3 vol. in.8".

Page 78: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCUtStOKStMSTOBtQtESETPtftM~Ut'MtQt'KSTi

pas, le mouvement philosophique qui s'est produit chez les Arr-

hes, à partir du onzième siècle de notre ère, paraltrait un des

phénomènes les plus étranges de l'histoire. Voici un peupledemi nomade, partagé en différentes tribus dont les unes viventsous la tente, au fond du désert, et dont les autres sont répanduesle long du littoral de la mer Rouge et de 1 océan Indien, où elles

ont fondé quelques villes qui servent d'entrepôt au commerce de

1 Europeet de l'Asie. La religion de ce peuple se compose de su-

perstitions grossières, parmi lesquelles survit, comme un vagu<'souvenir, le dogme effacé de lunité de Dieu. Il sait un peu de

mathématiques et un peu d'astronomie, autant qu'il en faut

pour diviser ses champs et pour guider ses caravanes dans le

désert, à la clarté des étoiles; mais sa culture s'arrête a ces pre-miers éléments des connaissances les plus indispensables. Il est

sensible aux charmes de la poésie, et sa langue est la plus coloréf

que les hommes aient jamais parlée; mais il ne témoigne aucune

propension pour les études qui supposent moins d'imagination

que de raisonnement. Cependant, à la voix d'un législateur de

génie qui tient du guerrier autant que du prophète, ce peupleoublié des Grecs et des Romains s'apprête à jouer un grand rôle.

Les tribus errantes se rapprochent, abjurent leur idolâtrie, pro-clament un Dieu unique, et entreprennent d'imposer par la force

des armes leur symbole aux autres nations. Ce jour-là, une

transformation profonde s'accomplit chez les Arabes, qui renon-

cent à leurs goûts sédentaires, à leur activité mercantile, pouraffronter les combats et les aventures lointaines. Maisle Coran, quiles enflammait d'une sainte et belliqueuse ardeur, devait-il leur

inspirer l'amour des arts libéraux? Mahomet, qui les enlevait à

leurs troupeaux et à leur négoce pour les lancer contre les in-

fidèles, songeait-il à introduire parmi eux la civilisation des

peuples qu'ils allaient vaincre? Loin d'encourager la culture des

sciences profanes, l'islamisme s'y montrait fort contraire il pré-tendait subjuguer les esprits sans leur permettre la discussioncomme il n'avait que faire des livres des païens, il les proscrivaitet s'il n'est pas vrai, comme on le prétend, que la bibliothèqued'Alexandrie ait été incendiée par les ordres d'Omar, cet acte de

barbarie eut été digne du farouche capitaine à qui la renommée

l'a imputé.

Page 79: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSM MOYËXAGE. T&r.

Et toutefois, c'est ce peuple si mal préparé ou par ses tradi-

tions ou par son nouveau culte aux travaux de l'intelligence

qui verra bientôt s'ouvrir une ère de gloire littéraire. C'est lui

qui deviendra l'héritier de la Grèce et de Rome, et qui ranimera

chez les nations d'Occident les études presque éteintes. Cette mis-

sion en quelque sorte providentielle, qui parait si peu en harmo-

nie avec ses aptitudes, lui sera confiée, et pour la remplir il saura

triompher, sinon A tout jamais, au moins pour une assez longue

période, de tous les obstacles que la race, le climat, l'éducation

et le fanatisme religieux peuvent opposer au libre essor des fa-

cultés de l'esprit.Quelles sont les causes qui ont donné l'éveil au génie scienti-

iique des Arabes? Elles se réduisent à une seule, le contact et

1 imitation des peuples étrangers.Ce n'était pas la première fois dans l'histoire que, deux nations.

l'une barbare et l'autre plus cultivée, s'étant rencontrées, la

première, même victorieuse, avait subi l'ascendant de la seconde.

même vaincue. Les Grecs subjugués par les Romains avaient

enseigné à leurs maîtres la philosophie et les sciences. Les Ro-

mains, conquis à leur tour par les peuplades de la Germanie,

avaient vu recueillir par leurs sauvages vainqueurs les débris

échappés au naufrage des lettres antiques, aussitôt que les Ara-

bes eurent franchi la frontière de leur pays, ils se trouvèrent face

à face avec la civilisation grecque ils la rencontrèrent partout.

parce que durant prés de douze siècles elle avait tout rempli,

tout pénétré de ses souvenirs et de son influence. Mais ce fut en

Orient principalement qu'ils apprirent à la connaitre, à l'admirer

et à l'imiter. Une école fondée par les chrétiens, aux confins de

la Syrie et de la Mésopotamie, l'école d'Édesse avait répandu

dans toute la contrée des semences de philosophie qui s'étaient

conservées. Cesgermes furent recueillis par les disciples de Nesto-

rius, le fameux hérésiarque, lorsqu'ils vinrent chercher en Mé-

sopotamie un abri contre les anathèmes de l'Église. Enfin c'est

aux mêmes lieux que s'étaient réfugiés, moins d'un siècle avant

la venue de Mahomet, les derniers maîtres de l'école d'Athènes~

bannis par les ordres de Justinien, qui portèrent à la cour du roi

de Perse, Chosroes, l'écho de l'enseignement de Proclus. Les

Arabes, devenus maîtres de ces provinces, y trouvaientrassem-

Page 80: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCMtStONSHISTORIQUESET PHiMSOPIMQUESTa

blé tout ce qui restait des splendeurs de la Grèce, les ouvrages deses poètes et de ses philosophes, l'impression encore vivante deses doctrines et, par-dessus tout, le prestige immortel de sa re-nommée. Us cédèrent insensiblement à la triple séduction de lascience, du génie et de la gloire, et, sans répudier les préceptesque Mahomet leur avait enseignés, ils essayèrent de concilier leurfoi religieuse avec l'étude et l'imitation des chefs-d'œuvre de

l'antiquité. Ces aspirations, longtemps vagues et incertaines, sedessinèrent plus utilement lorsque la dynastie des Abassides eutsuccédé à celle des Ommiades. Les noms d'Almanhar, d'Haroun-al-Raschid et d'Almamoum sont célèbres dans l'histoire par la

protection que ces princes ont accordée aux lettres. Sous leurrègne et par leurs encouragements, les peuples soumis à l'isla-misme goûtèrent aux fruits les plus épurés de la culture philo-sophique. il y a bientôt trente ans, un critique allemand, M.Wen-rich, a donné d'après les écrivains orientaux le catalogue destraductions d anciens ouvrages qui furent composées vers cette

époque en arabe, en syriaque, en hébreu, en persan et mêmeen chaldéen (i). La plupart des idiomes de l'Orient avaient eu,comme on voit, leur part dans ce large travail d'interprétationpresque tous les genres s'y trouvèrent aussi représentés la poé-sie par Homère; la médecine par Hippocrate, Galien, Rufus d'É-

phèse et Dioscoride; les mathématiques par Euclide, Aschimideet Apollonien; astronomie par Ptolémée, Hipparque et Thond'Alexandrie; la philosophie ennn par Aristote, Théophraste.Alexandre d'Aphrodise et Thémistius. Platon, chose remarqua-ble, fut moins recherché, bien qu'on cite une traduction arabede la AtywM~ et des AoM.Les néo-platoniciens eux-mêmes, de

qui l'Orient avait reçu le dépôt des traditions, restèrent un peudans l'ombre Plotin ne parait pas avoir trouvé d'interprète, etde Proclus on ne traduisit que 1 abrégé dans lequel il a résumé.sous le titre d'Z~MP/~ sa doctrine métaphysique. Aux œuvresoriginales, la curiosité ou l'ignorance des traducteurs préféraquelques-unes des compilations apocryphes et sans valeur quivirent le jour dans les derniers temps de la décadence, la ?~o/o-

(t) De ssfterMM ~.BcM'MmMM~atttM e< eommea~ahM~rtacta, Arabids,MMMt<tc~feM<<'<to«ecommentatio, quam MttpsttJ. G. Wendch. UMiœ, iM2. <Tôt.ia'8".

Page 81: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MOYENAGE 77

<w <ws~' par exemple dont il existe une version arabe et

dent M Munk a signalé la trace dans les théories d'Ibn Gebirol.

Nous sommes déjà loin du xv<° siècle, ~i toutefois !e tressait-

lement que produisit alors en Europe l'introduction des monu-

ments originaux de la littérature classique fut si profond et si

général qu'il s'est prolongé jusqu'à nous. Cet Age mémorable

s appelle encore la ~~HM~~c~~ comme si le réveil du génie

moderne ne datait que du jour où il a connu la vraie antiquité.

Quelque chose d'analogue se passa chez les Arabes quand ils

furent initiés aux sciences de la Grèce. Il y eut parmi les esprits

cultivés un élan d'enthousiasme et une émulation généreuse pour

s'approprier les trésors de connaissances qui venaient de leur

t~treouverts. Maisces trésors étaient si abondants que ceux qui en

avaient recueilli l'héritage bornèrent pour ainsi dire leurs soins

a les compter et à les décrire, au lieu de s'appliquer à les accroi-

tre. Faute de pouvoir surpasser ni même égaler les modèles

qu'on avait sous les yeux, on se contenta de les reproduire avec

subtilité; l'imitation nuisit à l'invention originale, si peu favorisée

d'ailleurs par le génie de la nation. Je ne parle pas des mathé-

matiques et de l'astronomie, où les Arabes ont fait quelques dé-

couvertes; en philosophie, à peu d'exceptions près, ils n'ont

~uère laissé que des commentaires.

Dans les MeAM<~de AI. Munk, on trouvera le tableau abrégé

du mouvement philosophique chez les Arabes avec des notices

détaillées sur les principaux maîtres qui l'ont dirigé. En Orient

comme en Occident, la philosophie, avant de se séparer de la

théologie, traversa une période intermédiaire ou elle se confondit

plus ou moins avec l'explication du dogme religieux. Les versets

du Coran servirent de thème &la scolastique musulmane, de

même que ceux de la Bible à la scolastique chrétienne. La pre-

mière controverse qui s'éleva fut relative à la liberté de l'homme,

si arbitrairement méconnue par Mahomet. Une école entreprit

d'expliquer la doctrine du Prophète dans un sens favorable à la

responsabilité de l'individu, tandis qu'une école opposée pous-

sait au fatalisme le plus extrême. D'autres débats avaient pour

objet les attributs divins, que les uns se proposaient d'approtbn-

dir, et que les autres déclaraient inaccessibles à la pensée et a la

parole humaines. Ce furent là les démêlés les plus saillants de

Page 82: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCCMStUXS HtSTOMQCES Er PMtl.OSOPiUQUËS7s

toutes les sectes religieuses qu'on a réunies sous le nom de t/«-

~c~~Mw, et qui out précédé les philosophes proprement dits.

Quand ceux-ci parurent, ils agrandirent le champ de la discus-

sion, où ils firent entrer toutes les questions que l'étude des an-ciens et surtout celle d'Aristote leur suggérait. Le monde est-il

créé? S'il est créé, la création a-t-elle eu lieu dans le temps?Quelle est la nature de l'âme? Comment pense-t-elle? La penséeconstitue-t-elle une forcepropre, à la fois substance et cause, ou une

simple capacité de recevoir l'impression de la lumière divine?Cette capacité elle-même est-elle indépendante de l'organisation?La conscience et la mémoire, et par conséquent la responsabilité,

peuvent-elles survivre à la dissolution du corps? L'Ame est-elle

immortelle, comme le croit le genre humain? Dansces questionssi débattues par les Orientaux et que nous traduisons à peu prèsMèlement, comment ne pas reconnattre quelques-uns des pro-blêmes qui partagent encore les philosophes de notre âge? Tant

il est vrai que l'esprit humain est partout le même, que sa cu-

riosité et ses doutes s'adressent partout aux mêmes objets, ou

plutôt qu'il roule éternellement autour des mêmes vérités, sans

pouvoir ni s'en détacher, ni les saisir complètement ici-bas!1

Alkendi, qui vivait au tx" siècle, et AUarabi, qui vivait au

x", sont les deux plus anciens philosophes arabes que les his-toriens mentionnent et dont quelques ouvrages nous sont par-venus mais les détails qu'un possède sur eux sont si peu de chose

que toute l'érudition de M. Munk n'a pas sufn pour vérifier cette

partie aride de son sujet. Une physionomie plus intéressante pournous, paree qu'elle nous est mieux connue, c'est celle d tbn-Sina.

vulgairement nommé Avicenne. Son père était gouverneur de

l'une des principales villes de la province de huckava, où il naquiten 980. S'il faut en croire ses biographes, il fit preuve d'une

précocité sans exemple. A dix ans, il possédait le Coran et plu-sieurs des sciences profanes; à dix-sept ans, sa célébrité comm<'

médecin était déjà si bien établie qu'il fut appelé près de l'un des

princes du pays pour le guérir d'une grave maladie. Après la

mort de son père, il se mit à voyager, visita le Korasan, poussajusqu'à la mer Caspienne, et de là revint en Perse. Aumilieu de

ses excursions, il continuait l'exercice de la médecine, donnait

des leçons publiques, écrivait des livres, faisait une large part au

Page 83: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSLE MttYEXA<:K T't

plaisir,et dans l'occasion se mêlait d'intrigues politiques, menu'

au péril de sa vie. Cne fois, &Hamadan, ayant été nommé visir,

il faiBit être massacré par les soldats qnil avait mécontentés. A

quelque temps de là, par un retour de la fortune, l'émir de h.

contrée le fit enfermer dans une forteresse of<il passa plusieurs

années. Quand il eut recouvré sa liberté, il gagna Ispahan, s<'

concilia la faveur d'un nouveau maître, et reprit sa vie de dissipa-

tion et de travail, partagé entre l'excès de l'étude et l'excès de la

débauche. Lorsqu'il sentit que sa constitution commençait a

s user, il employa, dit-on, pour la soutenir, les remèdes les plus

violents, qui ne tirent qu'accélérer les progrès du mal. On raconte

que sur son lit de mort il montra un profond repentir de ses fau-

tes passées, fit distribuer de riches aumônes, et se livra à des

pratiques de dévotion, voulant mourir en bon musulman. Telle

a été l'existence aventureuse de l'homme illustre qui fut chez les

«rientaux l'expression la plus savante et la plus haute de la phi-

losophie. Dans sa doctrine, on s'attendait a trouver des sail-

lies, des hardiesses, quelque chose d'original et d'imprévu

(lui répondit aux orages de sa vie. La <TM~< la~W~w~

<<-stainsi qu'il intitule ses deux principaux ouvrages, dont 1 un

st une encyclopédie ne formant pas moins de dix-huit volumes,

..t dont l'autre, le seul qui ait été traduit en latin, est l'abrégé

.tu premier. Xe sont-ce pas là des titres expressifs qui promettent

la pensée de nouveaux horizons? Le chancelier Bacon nannoH-

aitpas de plus grands desseins lorsqu'il inscrivait les mots d'~s-

/<w~o w~w, ~w<f/<'~s~M, au frontispice du monu-

.nent qu'il se proposait de consacrer t1 la réforme des sciences.

Maiscombien de fois n'arrive-t-il pas que les philosophes pro-

mettent plus qu'ils ne peuvent tenir! Le seul remède que nous

enseigne Avicenne pour guérir l'intelligence et la délivrer de ses

..rreurs, c'est le péripat4tisme.Sa philosophie n'est guère que te

développement érudit de celle d'Aristote encore a-t-il évité ave.

prudence les écneils où l'imitation aveugle de son modèle pou-

vait le jeter. Dans les questions qui touchent de pr~s ou de loin

au dogme et a la morale, il penche habituellement vers la solu-

tion qui se concilie le plus aisément avec l'orthodoxie musul-

mane. S'il admet l'éternité du monde, il la subordonne a l'éter-

nelle action du Créateur. S'il professe que l'intelligence mhm.'

Page 84: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

8<t EXCURStOXS~~?TOR~<JS8 ET PHM.OSOPHtQPRÎ

n'a que des idées générâtes qui lui représentent seulement l'en-

semble de l'univers, il se garde bien d'abuser de ce principe, et

il imagine mille détours afin de ne pas dérober à Dieu la con-

naissance des choses particulières. Avec tous les péripatéiicieos,il distingue deux entendements l'un qui subit l'impression des

choses extérieures, et qui devient pour ainsi dire ces choses elles-

mêmes en les pensant, l'entendement en joMMMMtccou entende-

ment possible; l'autre qui éclaire ces impressions confuses et qui

en dégage, par sa vertu propre, la connaissance et la pensée,l'entendement actif. 11admet que l'entendemeut actif est antérieur

à l'acte de la pensée individuelle, qu'il existe en dehors de l'in-

dividu, qu'il est le même pour tous les hommes, que tous parti-

cipent &ses rayons; mais qu'est-ce pour lui que ce foyer commun

de lumière et d'activité? Selon quelques interprètes, c'est l'intel-

ligence divine qui éclaire tout homme venant en ce monde. Sa

métaphysique paralt par certains côtés peu favorable à la per-

sonnalité et &l'immortalité mais quand il est sur le point de céder

à cette pente, il s'arrête et, revenant aux vérités qu'il semblait

avoir délaissées, « il proclame hautement, nous dit M. Munk, la

permanence de l'Ame humaine, il reconnaît en elle une substance

qui. même séparée du corps, conserve son individualité. H

On assure qu'Avicenne ne garda pas toujours la même réserve,

et que, dans sa PA~~opAM'wwM~~ qui ne nous est pas parve-

nue, donnant carrière aux hardiesses de son esprit, il avait nié

ouvertement la distinction de Dieu et du monde. Cette imputation

ftit-elle sans fondement, son péripatétisme, il faut bien en con-

venir, était Alui seul une grande nouveauté qui devait alarmer

ses coreligionnaires. Ce qu'il y a de certain, c'est que bientôt un

cri de réprobation s'éleva parmi les croyants contre les témérités

qui menaçaient l'orthodoxie. Les philosophes furent dénoncés

comme des fauteurs d'hérésie, comme les ennemis de la vraie

foi. En même temps il se forma une école à demi sacerdotale qui

n est pas sans analogie avec certaines écoles de nos jours, et dont

la prétention avouée était de ruiner la science profane avec ses

propres armes. Entre tous ceux qui se dévouèrent à cette tache

ingrate, le seul dont le nom ait survécu, c'est Gazali ou Algazel.

Il avait une foi si profonde dans la vérité de l'islamisme, qu'après

avoir passé les plus belles années de sa vie à la défendre, il s'af-

Page 85: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MOYKSAt:K S!

MCCMtO'MmSTOBtQCES <i

nlia vers la 6n de ses jours à la secte des Couns et voulut mouriti-

dans un de leurs couvents. Ses ouvrages contiennent une attaqueen règle contre la connaissance humaine. Il ne poursuit pas h'

même objet que Descartes, pour qui le doute n était quête moyende s'élever Ala certitude; mais il est remaKmabIe qu'il débute et

que souvent il s'exprime pomme lui. Dans le plus populaire de

ses ouvrages, ~yant pour titre C<'~M/.<aMr<*</<"f~M'<'Mt<'M/t<

«' ~M/~Awr// A*<wt'M~~ (<),. il raconte que dans sa jeu-nesse il avait aimé la vérité avec passion et s'était enfoncé, selon

ses expressions, dans l'abune de la science en plongeur coura-

geux, mais que, n'ayant trouvé nulle part la garantie qu'il citer-

chait contre les chances redoutables de 1 erreur, il avait désespéréde pouvoir jamais la découvrir et s'était abandonné aux angois~st'sdu doute. Il avait douté des sens, parce que la raison contredit

souvent la sensation, et il avait douté de la raison elle-même.

parce qu'il existe peut-être au-dessus d'elle un arbitre qui, s'il ait-

paraissait, réformerait son jugement et convaincrait d'imposturetes notions qui nous paraissent les mieux assurées. Ne sont-ce paslà les mêmes idées, je dirai presque te même langage que chex

hescartes, dans les pages célèbres ou il nous fait la conndence des

incertitudes qui t'assiégeaient, avant qu'il se fût dit A lui-même

avec une infaillible évidence « Je pense, donc je suis? MAitleurs

<:azatiprend spécialement à partie les philosophes, qu'il attaquesur vingt points, dont seize appartiennent & la métaphysique et

quatre à la physique. est là que, parmi des subtilités qui échap-

pent à l'analyse, il bat en brèche la notion de cause par des

arguments que David Hume a reproduits et qui sont le pointculminant de son scepticisme, La conclusion que le fervent défen-

seur de l'islamisme tire de là est facile Aprévoir c'est qu'il faut

renoncer à des recherches stériles, confesser la vanité de la

science et du raisonnement, mettre en Dieu toute son espérance,se sanctifier par la pratique de sa loi, et attendre de lui, comme

récompense, la révélation des vérités que nos faibles moyens ne

nous permettent pas de découvrir.

Les mystiques de tous les pays ont souvent donné de pareils

t) Cetouvrageaété traduitenfnm~htt<arM.S<htoeeMeMd)MMtxm~M<*Mf/<.<écolesp&M<MepM~MMchezles Arabes<-<oe~MMM~sur la doctrine<f~as<M'.Paris,1842,in-a".

Page 86: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

M KXCtJBStOXS IIISTORIQUES ET PH))<OSOPMtQUES

conseils &la philosophie, qui s'est dispensée en général de les

suivre et qui a continué de marcher dans ses propres voies avec

plus de présomption que de succès. Mais l'entreprise de Gazait

repondait si bien à la disposition universelle des esprits, qu'ellefut à peine combattue et qu'elle eut pour résultat de discréditer

en Orient non pas tel ou tel système en particulier, mais la mé-

thode qui les engendre tous, je veux dire l'application des lu-

mières naturelles de la raison à l'étude des vérités de l'ordre

moral. La lecture du Coran l'emporta sur celle des ouvrages des

Crées, et Aristote lui-même, malgré l'éclat de sa renommée, fut

délaissé. Ainsi les destinées de la philosophie chez les musulmans

d'Asie avaient duré à peine trois cents ans, de la fin du <x"siècle

au commencement du xu*. Après quelques années d'éclat, elle

succombait pour toujours devant les préjugés et le fanatisme

qu'elle avait dû comprimer pour s'établir.

Chez les musulmans d'Espagne, sous la domination éclairée et

libérale du kalife de Cordoue, il semblait qu'elle eût à parcourirune carrière plus longue. En face des populations chrétiennes

qu'il venait de conquérir, l'islamisme, tempérant la rigidité de ses

préceptes, avait su déployer les splendeurs de la civilisation la

plus brillante qni eût paru depuis les Romains. S'il avait bâti des

mosquées, il avait aussi fondé des universités, des académies et

des bibliothèques. Cordoue, Séville, Grenade, Valence, Xativa,

Murcie, Alméria, toutes les villes de quelque importance soumises

à la domination des Sarrasins, étaient devenues des centres d'é-

tudes florissants, où les mathématiques, l'astronomie, la méde-

cine, la jurisprudence, étaient cultivées avec beaucoup d'art. Quefallait-il de plus pour développer cette semence de philosophie

que les Arabes avaient trouvée en Perse et qui portait déjà ses

fruits dans les écoles d'Orient? Mais en Espagne comme en Asie

les philosophes eurent &compter avec les justes défiances de l'au-

torité spirituelle, qu'ils blessèrent plus d'une fois et qui se vengeade leurs témérités en suscitant des persécutions dont ils furent

victimes.

Dans les JM~AM~Mde M. Munk, la culture philosophique chez

les Arabes d'Espagne est représentée par trois noms tbn-Badja ou

Avempace, Ibn-Tophaitl, et Ibn-Rosch ou Averroès.

Nous n'avons pas la prétention d'exposer ces doctrines; nous

Page 87: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A THA\ KMS~E MOYEX AGE. M

essayons seulement de les caractériser et d'en suivre les progrès.

Aucun témoignage n'esta cet égard plus précieux que le pamphlet

qui fut écrit contre Ibn-Badja et dont M. Munk nous a fait con-

naître le commencement. « L'homme de lettres Abou-Becr-ibn-

al-Çayeg, c'est le surnom que portait tbn-Badja, est une calamité

pour la religion et une affliction pour ceux qui sont dans la bonne

voie. Métait connu par sa mise méchante et par sa folie, et il se

dérobait à tout ce qui est prescrit par la loi divine. Indiffèrent A

ta religion, il ne s'occupait que de choses vaines; c'était un

homme qui ne se purifiait jamais d'un contact impur et qui ne

manifestait jamais de repentir. Il n'avait pas de foi en celui qui

ta créé et formé, et il ne reculait jamais devant la lutte dans

t'arëne du péché. Il n'étudiait que les sciences mathématiques,

ne méditait que sur les corps célestes et sur les délimita~ons des

climats, et méprisait le livre de Dieu, le très sage, qu'il rejetait

orgueilleusement derrière lui. Il soutenait que le temps est une

révolution perpétuelle, que l'homme est cueilli comme une plante

ou une fleur, et que tout finit pourlui avec la mort. »Sans doute

c'est un ennemi qui parle, mais c'est un ennemi exalté par le

sentiment religieux, et dont les plaintes amères sont un symp-

tôme remarquable de la lutte ardente qui se déclarait entre l'is-

lamisme et la philosophie. Que voulait au fond Ibn-Bad~a? Tous

les historiens et ses propres écrits en font foi, substituer les procé-

dés réguliers de la raison aux vagues élans du mysticisme, élever

la science au-dessus de la croyance, apprendre à l'homme com-

ment il peut arriver par ses seules forces à la vérité infinie, ou

comme on disait alors, dans un jargon barbare, unir son intelli-

gence à l'entendement actif. Ajoutons que, suivant tbn-Badja~

cette union de l'Ame avec Dieu s'opérait dans des conditions qui

mettaient fort en péril la personnalité humaine et la providence

divine.

Les anathèmes que l'audacieux philosophe s'était attirés par ses

rêveries métaphysiques n'arrêtèrent pas Ibn-Tophall, venu quel-

ques années plus tard. Comme Ibn-Badja, il se montra plein de

confiance et d'espoir dans l'énergie naturelle de la raison. Il con-

çut même, et ce qui vaut mieux, il eut le talent d'exécuter un des-

sein qui souriait singulièrement au siècle dernier, si jaloux de

connaître les origines de la connaissance humaine ce fut de re-

Page 88: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCURSiOXaHISTORIQUESET PMtt.OSOPMtQUKS84

tracer les transformations successives d une intelligence livrée «

elle-même et se développant dans la solitude loin du commerce

des hommes. Son héros se nomme Hayy. ou le t<f<M~~ </Mt'~y/-/M/. Il le fait naître dans une ile inhabitée sous 1 équateur. Hayyn'a ni père ni mère; il sort de la terre et une gazelle se chargede le nourrir de son lait. A mesure qu'il grandit, il acquiert quel-

ques idées dont le cercle s'étend de jour en jour. Ses premières

pensées s'arrêtaient aux objets sensibles et particuliers bientôt

il reconnalt dans la variété des êtres un élément commun qui les

unit et des différences qui les séparent il forme les notions d<'

substance et de queuté, de matière et de forme. Quand il a ré-

néchi sur l'origine de la forme et de la matière, et généralementde tout ce qui existe dans l'univers, il arrive à concevoir une cause

première qui meut et qui perpétue le monde, et ailaquelle notn'

âme doit rapporter tous les vestiges de perfection qui sont autour

de nous. Cette cause n'est assurément ni un corps ni une qualitédes corps donc notre pensée, qui la saisit, n'a rien elle-même de

corporel. Elle peut être gênée, altérée par les sens: mais elle

doit se soustraire à leur empire et s'élever à Dieu, qui est sa fin

dernière et sa vraie béatitude. S'ablmer dans la vie divine, oublier

le monde, croire qu'il existe en Dieu, et là seulement, et que tout

ce qui n'est pas Dieu n'a qu'un faux semblant d'existence, voilà

l'idéal de la perfection. Ce n'est pas avant l'Age de cinquante ans

que notre solitaire fait cette grande découverte. Il en est encore

tout rempli, quand un jour il rencontre au milieu de ses dé-

serts un sage, nommé Azal, qui, après avoir longtemps vécu parmiles hommes, tt'est décidé à les fuir et est venu chercher un re-

fuge dans l'Ile habitée par Hayy. Azal apprend l'usage de la pa-role à son compagnon de solitude; puis il l'instruit des vérités

apportées aux hommes par Mahomet. Tous deux ne tardent pas à

convenir qu'au fond le Coran est d'accord avec la raison, mais

que, pour le rendre accessible, le Prophète a su employer des

symboles auxquels l'imagination populaire s'arrête, mais quicontiennent un sens profond qu'un esprit exercé saura toujoursdécouvrir. Hayy jugerait préférable que, même ici-bas, la vérité

divine fut dégagée des nuages qui nous la dérobent en partie, et

comme il n'a pas l'expérience des misères humaines, il quitteson ile, malgré les conseils d'AzaI, pour aller l'enseigner aux hom-

Page 89: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEN AGE. M

mes, telle qu il ta voit et la comprend. Mais il a bientôt A se re-

pentir de sa généreuse imprudence. Accueilli d'abord avec fa-

veur, il voit peu à peu la foule s'éloigner de lui; il ne rencontre

plus que des cœurs distraits ou malveillants qui se ferment à ~cs

exhortations, et, désespérant de les ramener, il regagne son Me

avec Azai pour y terminer ses jours dans la solitude et la médi-

tation.Ce dénouement était l'aveu très explicite de l'impopularité de

la philosophie, et une protestation contre l'injustice et 1 ignorance

du vulgaire. Quant à l'ouvrage en lui-même, il proclamait l'excel-

lence de la raison, la supériorité de la science. Il laissait entrevoir,

ou plutôt il était destiné à prouver que l'homme qui réfléchit

peut s'élever par ses méditations à des vérités plus hautes, plus

pures, plus dégagées de nuages que le fidèle qui passe sa vie à ré-

péter les versets du Coran. Cette fois encore la. philosophie se

trouvait en opposition ouverte avec l'islamisme, disons mieux, avec

toute espèce de croyances religieuses. Chez Averroès, le contem-

porain et l'ami dtbn-Tophaïl, nous la verrons suivre la même

pente et aboutir aux mêmes résultats.

Ce qui frappe d'abord dans Averroès, c'est qu'il n'était pas,

comme sa renommée porterait à le penser, un savant de profes-

sion. U appartenait à une ancienne famille de l'Andalousie dont

plusieurs membres avaient rempli des fonctions dans la magistra-

ture du pays. On possède encore à la Bibliothèque nationale un

recueil volumineux de consultations juridiques qui est attribué à

son rival. Il fut lui-même cadi à Séville et à Cordoue, obtint la

faveur de plusieurs rois, vécut presque dans leur intimité, et mena

longtemps une existence non seulement paisible, mais honorée,

qui se partageait entre le soin des affaires publiques et la culture

des sciences et de la.philosophie. Le principal fruit des efforts dé-

sintéressés qu'il consacrait aux lettres, ce furent d'immenses tra-

vaux sur Aristote, travaux qu'il entreprit, suivant les historiens,

d'après les conseils d'tbn-Tophaïl, et qui lui ont mérité d'être sur-

nommé par les scolastiques le Co~MMP~~M', comme s'il avait

euacé tous les autres interprètes du Stagyrite. Il s'agit maintenant

de savoir ce que le péripatétismeétait devenu entre ses mains.

Malgré les nombreuses citations de ses ouvrages qu'on trouve chez

Albert le Grand et chez saint Thomas, il a été si souvent combattu

Page 90: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

86 EXCURSIONSMiSTOMQFESM PHtLOSOPtMQUËS

par eux et sur des points si graves, qu'on ne pouvait se mépren-dre sur la dangereuse portée de ses doctrines. Mais en présencedes nouvelles recherches de M. Munk et de là savante monogra-

phie que l'on doit à M.Ernest Renan (i), les dernières illusions,s'il en restait, ont dû se dissiper. Il est constant aujourd'hui qu'~travers beaucoup d'incohérences la philosophie d'Averroès aboutità un panthéisme très peu déguisé, qui compromet toutes les véritésde l'ordre moral. Aforce de subtiliser sur la nature et le mode d'o-

pérer de l'intelligence, il la dépouille de son activité essentielle et

la réduit à la simple capacité de subir l'impression des objets sensi-bles. Comme cette capacité est elle-même subordonnée à l'organi-sation, il méconnaît la spiritualité de l'Ame, et anéantit du même

coup ses espérances d'immortalité. S'il parait quelquefois lui at-tribuer une vie séparée du corps, ce n'est jamais la vie véritable,avec la grandeur et les risques qui sont attachés à l'individualité

c'est une part indéterminée de la vie universelle où se confondent,suivant lui, toutes les existences particulières. Il admet, en outre

des mêmes principes, que rien, à proprement parler, ne naît ni ne

périt ici-bas, que la naissance et la mort ne sont que de simpleschangements, que par conséquent le monde est éternel, et quece qu'on appelle la création n'est que la suite indéBnie des évo-

lutions de la matière. Un pareil système était la négation évidente

de toutes les religions positives. Quand il pénétra dans les écoles

d'Italie et de France, il y causa des ravages d'autant plus perni-cieux que le renom d'Averroès, comme interprète d'Aristote, était

plus grand. Saint Thomas d'Aquin, quelque haute estime qu'ilprofessAtpour certaines parties des ouvrages du philosophe arabe,

it tous ses soins &combattre des théories et des maximes qui sa-

paient le dogme par la base (2). Les averroïstes, alors en grandnombre dans l'université de Paris, se virent l'objet de la dé&ance

universelle, et leurs opinions, dans ce qu'elles avaient de dange-reux, furent proscrites sous des peines sévères. Mais cequ'il y eut de

remarquable, c'est que la doctrine d'Averroès reçut un accueil

pire encore dans son propre pays. La haute situation qu'il occu-

(t) ~ttWfo~et<perfotsM<<?Ma<historiqueparErnestRenan.Paris,1862,in-8">édit.,Paris1M.(2)NousavonsrésumécettepotémîqnedansnotrelivresurlaphilosophiedeM<M<

T~<M!MM<f~)t<M,t. T.p. 27?et-suiv.

Page 91: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MUYKN AGE. 87

pait, les fonctions publiques dont il était investi, ne purent le.

soustraire au jugement sévère et à l'indignation de ses coreligion-

naires émus de son impiété. On raconte qu'un jour qu il était dans

une mosquée, la populace, s'étant ameutée contre lui, l'expulsa

du temple. L'émir Almansour, qui l'avait longtemps protégé, le

dépouilla de toutes ses charges et l'envoya en exil Un véritable

soulèvement de l'esprit religieux contre la philosophie et les

sciences de l'antiquité eut lieu en Espagne. 11fut fait défense de

les étudier, et, à l'exception des ouvrages de médecine, d'arithmé-

tique et d'astronomie populaire, on livra aux flammes tous ceux

qu'on put saisir chez les libraires et chez les particuliers, Il est

vrai que, quelque temps après, l'émir se relâcha de ses rigueurs

et qu'il rappela même, dit-on, Averroès mais le coup était porté,

et la philosophie ne s'en releva jamais. Elle s'éteignit après Aver-

roès, parmi les Arabes d'Espagne, comme après Gazali, parmi

ceux d'Orient, étouffée de part et d'autre, lorsqu'elle commençait

à s'épanouir, par les antipathies de la nation que le zèle religieux

avait surexcitées et qu'il opposait à l'essor de la science profane.

Tandis que les Arabes s'essayaient aux études philosophiqueset poussaient l'étude d'Aristote assez avant pour mériter de servir

de guide aux docteurs scolastiques, une autre nation d'Asie, les

Juifs, poursuivait la même carrière sans beaucoup plus de prépa-

ration, mais pour le moins avec autant de succès.

Si la philosophie d'un peuple devait s'apprécier d'après les no-

tions qu'il se forme de la Divinité, la plus ancienne de toutes et

la plus épurée serait assurément celle des Juifs. Mais si la philo-

sophie suppose un certain développement de la rémexion, si elle

consiste dans la recherche raisonnée de la vérité par les seules

forces de l'intelligence, il est difficile d'admettre qu'elle ait existé

très anciennement chez le peuple hébreu. Nous ne conseillerons

à personne d'imiter l'exemple du savant Brucker, qui consacre les

premiers chapitres de sa grande histoire à exposer les destinées

de la philosophie antédiluvienne. C'est évidemment là confondre

l'intuition de la vérité et la connaissance raisonnée, la foi et la

sèience. Hâtons-nous de dire que M. Munk n'est pas tombé dans

<e grave défaut. En traçant le tableau de la philosophie juive, il

ne songe pas à en reporter l'origine aux premiers joursdu monde

bien au contraire, il avoue très nettement que « les Hébreux ne

Page 92: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

M KX(CRStO~SHtSTOtMQUESETPattOSOPtMQUKS

cherchèrent pas à pénétrer dans le secret de l'être et que l'exis-

tence divine, la spiritualité de rame, la connaissance du bien et du

mal, ne furent pas pour eux le résultat d'une série de syllogismes.Ils croyaient, dit-il, au Dieu créateur qui s'était révélé à leursancêtres et dont l'existence leur semblait au-dessus du raisonne-ment des hommes, et leur morale découlait naturellement decette conviction. Maisil n'existe dans leurs livres aucune trace deces spéculations métaphysiques que nous trouvons chez d'autres

peuples. »Renonçant à de puériles hypothèses, le savant historiense borne donc à noter avec précision les influences successives qui,sans modifier les traditions de la race d'Israël, l'ont inclinée peu à

peu vers des études qui ne semblaient pas conformes à son génie.Il signale les travaux mémorables par lesquels, sous le règne des

Ptolémées, l'école juive d'Alexandrie s'associait au mouvement

qui -rapprocha la philosophie grecque et les religions de l'Asie.Quand la civilisation grecque et la civilisation romaine ont dis-

para, que la religion chrétienne elle-même a subi de graveséchecs en Orient, que l'islamisme s'est répandu de proche en

proche jusqu'aux frontières des Indes, nous retrouvons les Juifs

occupés à recueillir les monuments de l'antiquité et à les traduiredans leur propre langue, tantôt sur le texte original, tantôt surdes versions arabes ou syriaques. M.Munk a raconté les mouve-ments divers qui furent produits au sein de la synagogue par l'in-troduction de la science profane, les discussions qui en résultèrent,les efforts des Karaïtes pour substituer à l'exégèse traditionnelleune interprétation plus libre du texte sacré, et la tentative opposéede l'école rabbinique de Bagdad pour montrer le parfait accorddu dogme révélé avec la raison. Après avoir esquissé le tableaude la philosophie hébraïque en Orient, il la suit en Espagne, oùfutson véritable théâtre. C'est à cette dernière partie des travaux del'éminent orientaliste que se rattache une précieuse découverteconcernant Ibn-Gebirol et la traduction du Guide des J~a~ deMoïse Maimonide.

Parmi les livres nouvellement traduits en latin qui ont faitle plus de bruit et de scandale dans les premières années duxm~ siècle, Albert le Grand et saint Thomas d'Aquin citent

fréquement un ouvrage intitulé la ~OM~~de t~, dont l'auteur,s'il faut les en croire, se nommait Avicebron. A quelle nation ap-

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A TRAVERS LE MOYEN ACE. M<

partenait-il? A quelle époque a-t-il vécu? Us ne nous en disent

rien et paraissent l'ignorer. Ils ne connaissent de lui que sa doc-

trine, suivant laquelle, à l'exception de Dieu, tous les êtres, même

rame de l'homme, même la nature angélique, sont composés de

matière et de forme; la forme seule établit entre eux des différen-

ces, mais la matière est la même pour tous. Quant à la .Sowce <A'

<w, qui contenait ces étranges maximes, la trace en était perdue

depuis longtemps, et il n'en restait pas un seul exemplaire connu.

M.Munk a eu la bonne fortune de remettre la main sur ce curieux

document; il a retrouvé du même coup deux manuscrits de l'an-

cienne version latine, et une troisième contenant une version hé-

braïque de l'ouvrage, qui fut écrit originairement en arabe; ce

qui vaut mieux encore, il a reconnu que sous le nom obscur

d'Avicebron se cachait un écrivain juif qui vivait dans la premièremoitié du onzième siècle, Salomon tbn-Gebirol, originaire de

Malaga, également célèbre parmi ceux de sa nation comme

poète (1) et comme philosophe. Enfin, pour faire profiter de cette

heureuse découverte un plus grand nombre de lecteurs, il a donné

de longs extraits du texte hébreu de la .So~w tw en les ac-

compagnant de latraduction française et de notes historiques.

Nous pouvons aujourd'hui, à l'aide de ces précieux matériaux,reconstituer presque en entier le système métaphysique dont saint

Thomas et Albert le Grand ne nous avaient transmis que quel-

(t) Daprès M.Munh.Ibn.Gebiroi fut le véritabte restaurateur de la poésiehébrit!-

que. S'ilimité les poètesarabes pour ce qui concerne les formes extérieures de la

versification,Mtes a surpassés par l'étan poétique, par t'étévation des penséeset dessentiments(p. 158). Nous ne saurions appréciert'étégahte et harmonieusebeautédu

rythme chez tbn'GeMroi; mais on peut juger du moins du caractère et de la gran-deur de l'inspiration par ce fragment que cite M. Munk

« Oublie ton chagrin, mon âme agitée! Pourquoi tremblerais-tu des douteux

d ici-bas?Bientôt ton enveloppereposera dans la tombe, et tout sera oublié.« Pourquoi ce trouble, o mon âme! 1 cetteagitation dont tu es saisie pour tes chose!!

de la terre? Le 8on<!ïes'en va et le corps reste muet; et lorsque tu retournes à ton

étémcnt, tu n'emportes rien de cette vaine gloire, et tu t envoiesà la hâte, commeun

uiseau vers son nid.Cequi te semble précieuxn'est qu'itinsion; tout bonheur, mensongequi s'écoute

et s'en va; et à d'autres reste, sans profit pour toi, ce que tu as acquis avec peine.« L'hommeest une vigne; la mort est le vigneronqui l'observeet le menaceà cha-

que pas. Mon atne cherche le Créateur; le temps est court; te but est loin. Ame

Mbetle)qu'it te suNised'avoir du pain. Oublie ces mMtfs, ne pensequ'a la tombf.

ne crains que le jour du jugement. »

Page 94: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

!'<' EXC~RStOKSHtSTORtQUes ET P)Ut.OSOPHtQUt!S

ques formules. Xi l'un ni l'autre ne possédait bien &fond l'histoirede lit philosophie, et l'érudition qu'ils étalent est souvent très

équivoque; mais on doit convenir à leur louange que cette foisleur sagacité n'a pas été en défaut et qu'ils ont exposé très Sdèle-ment la doctrine d'Avicebron, que désormais nous sommes en droit

d'appeler Ibn-Gebirol. La ~oM~'ccfA*!<M'est, comme on pouvaitle supposer par leur témoignage, le développement de deux idées

fondamentales, l'idée de la matière et l'idée de la forme, complé-tées par une troisième notion, celle de la volonté divine qui en-

gendre tout ce qui existe. Tous les êtres ont quelque chose decommun qui est le fond même de leur existence c est la matière;tous ont quelque chose de différent, tous possèdent certaines qua-lités propres qui les distinguent les uns des autres c'est la forme.

La matière est partout dans le monde sensible. Jetons, en effet,les regards autour de nous; que voyons-nous? Dans les objets del'art une matière artificielle, comme le bronze qui sert à faire une

statue; dans les oeuvres de la nature, tantôt une matière particu-!ière qui provient du mélange des éléments; tantôt une matière

générale qui se confond avec les éléments eux-mêmes; au-dessusde nos têtes, la matière qui remplit les corps célestes. Aces quatreespèces de matière correspondent sans doute autant de formes

qui les déterminent; mais de quelque façon qu'on s'y prenne et

quelque penchant qu'on ait à multiplier les distinctions, il fautbien avouer que le monde sensible ne contient que des corps, quetoutes les déterminations qu'on y observe sont des propriétés cor-

porelles d'où Gebirol tire cette conséquence que, pou tout expli-quer ici-bas, il n'est pas besoin de supposer plusieurs matières ni

plusieurs formes; une seule suffit le corps.Maisle monde sensible n'est que le reflet du monde supérieur

des esprits. Si donc il est composé de matière et de forme, et sila forme et la matière sont partout semblables, cette loi doit s'ap-pliquer également aux substances simples, telles que l'Ame et l'in-

telligence elles aussi doivent contenir un élément matériel toutcomme les objets qui frappent nos yeux et que palpent nos mains.Et d'ailleurs comment concevoir l'existence de la forme indépen-damment de la matière qui la soutient et qui lui donne pourainsi dire de la consistance? Ibn-Gebirol essaie par là d'éviter le

panthéisme qui le presse de toutes parts. Il avait, s'il faut l'en

Page 95: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATMAVERSLKMOYENAGE. '«

croire, l'intention de consacrer un livre spécial &traiter de la vt<-

lonté créatrice; mais, en supposant qu'il ait mis & exécution ce

dessein, l'ouvrage n'est pas parvenu jusqu'à nous.

La .SeM~cf~* vie n eut de retentissement véritable que dans les

écoles de la chrétienté. M. Munk a constate qu'eMe n'avait paslaissé de traces dans la philosophie arabe et qu'elle tomba promptement dans l'oaMi parmi tes Juifs eux-mêmes. Est-ce à la frivole

subtilité des arguments et à une imperfection du style qu<.se dis-

crédit doit être imputé? Mais les Arabes ont produit beaucoup

d'ouvrages qui n'offrent pas de moindres défauts et qui n'en ont

pa*<moins trouvé des lecteurs et des disciples.En considérant les substances simples comme des formes pures,

on ne méconnaît pas moins leur caractère véritable que si on les

réduisait à l'état de simple matière.

Ibn-Gebirol applique indistinctement cette théorie Atoutes les

substances simples, dont les principales sout la nature, l'Ame et

l'intellect. La nature est la cause prochaine qui communique I<*

mouvement au monde corporel; sans cesse en rapport avec les

choses sensibles, elle occupe le plus bas degré dans la hiérarchie

des substances simples. L'âme, sous sa triple forme, végétative.animale et tionnelle, est le principe de la génération et de lu

croissance, de la sensibilité et de la locomotion, et de la pensée.

L'intellect, enfin, a pour objet propre les essences intelligibles.

quil perçoit dans leur simplicité, en dehors des conditions de

l'espace et du temps, sans rien désirer au delà de cette intuition

sublime. De cette manière, les substances simples reflètent, partout l'ensemble de leurs opérations, les moments divers de l'exis-

tence universelle, le mouvement et la vie dans la nature, et chez

l'homme le sentiment, l'activité et l'intelligence; mais cette cor-

respondance n'est pas, d'après Ibn-Gebirol, un simple parallé-lisme. Il rattache, il suspend le monde terrestre au monde invi-

sible, et le premier est, à ses yeux, un effet et un écoulement du

second. Aussi, en vertu des mêmes motifs qui l'avaient conduit à

l'hypothèse d'une matière et d'une forme première, unique pourtous les corps, il enseigne que les substances simples ont toutes la

même matière et la même forme, et non seulement cela, mais

que cette forme et cette matière idéale engendrent les principessimilaires des objets corporels, de sorte que tous les êtres de

Page 96: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCUNSKMtSMMOMQtES ET PHtMSOPMKtt~sM

l'univers ne seraient que les évolutions indéfiniment variées dedeux éléments primitifs qui, de degré en degré et de métamor-phose en métamorphose, deviendraient toute existence.

Dieu seul échappe, selon Hebirol, &cette loi générale de l'être.!tégagée des liens de la matière et de la forme, sa nature n'admetaucune des distinctions qui sont le propre des choses unies; elleest absolument une; d'où il suit qu'elle est aussi absolument né-cessaire et invariable, puisque tout changement suppose la com-position. L'attribut par lequel eUe sort d'elle-même et crée lemonde est la volonté qui engendre à la fois la forme et la matière.imprime l'une A autre, et communique de proche en proche1 existence et le mouvement à toutes les régions de l'univers.

L'échec de la philosophie d'tbn-Gébirol nous semble tenir Aunecause plus directe, Al'ascendant que le génie supérieur de MoïseMaimonide exerça bientôt sur ses compatriotes. Il y aurait tout unlivre Acomposer sur Maimonide, « ce flambeau d'Israël, commeles écrivains de sa nation l'appellent, cette lumière de l'Orient etde i~cMent, dont l'éclat est si voilé pour la génération actuelle.!~apartie biographique ne serait pas la moins intéressante, carl'illustre docteur mena une vie fort agitée. Né en Espagne de pa-rents juifs, dans le cours du xn" siècle, il fut contraint de s'exi-ler pour échapper à l'intolérance musulmane, séjourna quelquetemps en Afrique, se rendit par mer en Syrie, fit un pèleri-nage à Jérusalem et ne parvint à se nxer qu'en Égypte, ou, étantdevenu médecin de la cour, il trouva enfin le repos, la célébritéet la fortune. Au milieu de ces vicissitudes, il eut le secret d'écrirede volumineux ouvrages de théologie, de médecine et de philo-sophie dont il serait important de donner une liste critique avecdes analyses succinctes. Enfin les doctrines mériteraient une expo-sition détaillée qui permit de les apprécier en eUes-mémes et quiOt connaître l'inBuence qu'elles ont exercée tant sur les Juifs quesur les autres peuples. Ce livre complet, dont nous marquons,en courant. les principaux chapitres, nul n'était mieux préparéà l'écrire que M. Munk; la mort ne lui a pas permis de nous ledonner; mais du moins l'éminent et courageux écrivain a eu lacoup Jation de pouvoir achever, malgré sa cécité presque com-plète, une savante édition et la traduction française du principaltraité de Maimonide, le Guide des ~yayAr; 1 ouvrage est divisé

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A TMAYEttS LE MOYEN A<:K. M

en trois parties dont la première a été publiée en t856. ta seconde

en <8M, et la dernière en t866 noMe exemple de ces lents et

profonds travaux devant lesquels nos pères ne réfutaient pas et qui

enrayent aujourd'hui notre impatience ou plutôt notre faiblesse.

Qu'est-ce que le <rM«~' ~w~? Ce titre sent nous l'indiqueassez clairement. C'est nne méthode pour arriver & la connais-

sance de la vérité. Chose remarquable. il se dit de tous côtés, et

c'est presque devenu un lieu commun que ta question de lit mé-

thode est une question toute moderne qui n a été posée pour lit

première fois que dans les ouvrages de Bacon et de Descartes. et

cependant nous voyons les écrivains arabes et juifs y revenir

l'un après l'autre avec une insistance qui montre qu'ils en com-

prenaient toute la portée, s'ils n apercevaient pas aussi bien ht

manière de la résoudre.

L'Ancien Testament présente un assez grand nombre d'expres-sions. tantôt des mots isolés, tantôt des phrases entières, qui ne

doivent pas être entendues dans leur sens littéral. Par exemple.

lorsque Dieudit, dans la Genèse: « Faisons1 homme&notre image M,il est évident que ce mot d'MM~yfne désigne pas une enigie ma-

térielle, mais la ressemblance morale de 1 hommeet de son diviu

auteur. Le premier précepte de la méthode. selon Maimonide, la

clef, dit-il, pour entrer dans les cieux dont les portes sèront tou-

jours fermées ici-bas au plus grand nombre des esprits, dans ces

lieux où les âmes qui pourront y pénétrer doivent trouver le re-

pus, la consolation et la joie, c'est 1 interprétation des termes fi-

gurés et de toutes les allégories dont la sagesse divine s'est servie

en parlant aux hommes. Il s'applique donc avant tout ai dresser

une sorte de dictionnaire du langage biblique, où chaque mot

employé par l'historien sacré se trouve expliqué non pas dans

son acception vulgaire, mais suivant son sens métaphysique et

moral. Le père Gratry, discutant la question du langage dans

l'un des plus beaux chapitres de son traité de lame, distingue

deux sens des mots, l'un divin, 1 autre humain. Maimonide fait

implicitement la même distinction mais négligeant le sens hu-

main, c'est le sensdivin qu'il étudie dans le plus grand détail avec

sagacité et profondeur. Prenons les verbes qui expriment, dans le

discours usuel, une manière d'être ou une opération purement

sensible, comme voir, monter, descendre, être assis, résider

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Mt KXCLMStUXaHtSTOMQUESET PMtLOSOPMtQUKS

presque tous prennent sous la plume Je l'habile interprète une

acception diCerente et deviennent le symbole des plus hautea véri-

tés. Celui qui réside dans le ciel, c e: le nom que la Bible donne

souvent à Dieu; ce nomsignine, selon jlaimonide, que Dieu est

stable comme l'est une personne assise, qu'il n'est soumis &au-

cune espèce de changement, ni dans son essence, ni par rapportA un état quelconque qui serait en dehors de l'essence. Moïse

demande à voir Dieu face et face, et Dieu lui répond « Maface

ne peut être vue; tu ne me verras que par derrière ». Le sens est

que la nature divine est inaccessible à l'esprit de l'homme et quenous ne pouvons ta connattre que d'une manière indirecte dans

ses opérations et dans ses œuvres.

Nous ne multiplierons pas ces exemptes. H est manifeste quela méthode de Maimonide est très périlleuse, car elle devient

facilement aussi arbitraire que l'imagination. Pourquoi ne pas

t'appliquer Ala nature aussi bien qu'aux textes de l'Ancien Tes-

tament ? La nature n'est-elle pas comme la parole une sorte de

tangage susceptible de plusieurs sens? Les objets qui nous entou-

rent n'ont-ils pas, indépendamment des formes qu'ils offrent A

nos sens, une signification mystérieuse? Ne sont-ce pas autant de

symboles de ce monde invisible où l'entendement seul, et non la

vue, ni l'oule, ni le toucher, peut pénétrer? Mais pouvons-nousdéchiffrer ces énigmes? L'explication cherchée n'échappe-t-elle

pas sans cesse? Et, ne pouvant pas la découvrir, l'esprit impatientne se prend-il pas aux hypothèses les plus déraisonnables, aux

rêves les plus chimériques? Ce qui sauve Maimonide, c'est quedans la recherche uu sens allégorique des Écritures il porte une

raison en général très droite et très circonspecte. D'abord, il

reconnaît l'indispensable nécessité des figures et des symboles

pour faire pénétrer la connaissance des vérités divines dans l'es-

prit grossier des hommes, qui ne supporterait pas naturellement

une lumière plus vive et plus directe. En second lieu, avant de

sonder les mystères que voilela parole révélée, il veut qu'on se soit

préparé par de fortes études « Celui qui veut obtenir la perfec-tion humaine~ dit-il, doit s'instruire d'abord dans la logique,ensuite graduellement dans les sciences mathématiques, puisdansles sciences physiques, et aprèscela dans la métaphysique.Enfin il ne fait nulle dîf&cutté d'avoner qu'il m'est pas donné à

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ATM~RRSLKMMENA<;E. <t5

l'homme de tout connattre, que son intelligence a une IttH'neoù

elle doU s'arrêter, et que, si elle ptisse outre, si elle prétend saisir

tes vérités au-dessus de sa portée, sa vue s'émousse eUe n'apet

eoit plus même ce quil est dans sa condition de découvrir; elle

est éblouie comme le serait une personne qui se fatiguerait A

fixer le soleil. <:race a d'aussi sages principes, Maimonide a évité

la plupart des exagérations dans lesquelles sont tombés quelques-uns de ses successeurs. Les explications qu'il propose sont en gé-

néral très simples; elles le sont à ce point qu'on regrette quelque-fois qu il faille un aussi grand appareil d érudition pour exposerdes vérités si familières et si faciles.

t?ne maxime qui n'est pas seulement pour Maimonide une

simple règle d'exégèse biblique, mais qui équivaut à tout un

système, c'est que Dieu n'a pas d'attributs qu'on puisse affirmer

de son essence. Quand l'Écriture parle de la puissance, de la

honte, de la justice, de la miséricorde et des autres perfectionsdu Créateur, elle ne fait que s'accommoder à la faiblesse de notre

intelligence, a qui les analogies tirées de la nature et de l'huma-

nité sont nécessaire pour s'élever plus haut. Maisces attributs, si

sublimes qu'ils soi nt, ne sont encore que des déterminations quicirconscrivent et ji par conséquent altèrent la vraie notion de l'ê-

tre divin. La v< a la plus sure qui s'ouvre à nous pour le con-

naître, c'est dé arter tout ce qui est contraire a sa nature im-

mense et infinie; c'est moins une méthode d'affirmation que de

négation; plus nous aurons éliminé de qualités imparfaites, de

fausses ressemblances, et mieux nous le connaîtrons. Ce n'était

pas la première fois dans l'histoire de la philosophie que de pa-

cillesconclusions se faisaient jour; elles sont l'un des dogmes

essentiels du néo-platonisme, et on les retrouve aussi chez plu-

sieurs Pères de l'Église grecque; mais nulle part peut-être elles

ne se présentent avec un caractère aussi décidé que chez Maimo~

nide, qui sans cesse y revient et qui les reproduit sous toutes les

formes comme le dernier mot de la métaphysique.

En continuant de parcourir la première partie du ~M~? <~<

Égarés, nous y trouvons une vive polémique contre plusieurs sectes

arabes. Cette controverse, curieuse en elle-même, est plus précieuse

encore par les documents historiques qu'elle renferme en abon-

dance. C'est là, par exemple, que nous apprenons à connaître une

Page 100: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

!? KXCURSMKSMtSTONtQmsHTpmLOSOPHiQFES

théorie singulière, qu'on dirait détobée à Malebranche, sur 1 im-

puissance des causes secondes et la souveraine euicacité de l'action

divine. « Les Motecallemin soutiennent, dit Maimonide, que cette

étoffe que nous avons teinte en rouge, ce n'est pas nous qui t'avons

teinte; c'est Dieu qui a fait nattre cette couleur dans l'étoffe au

moment où elle s'est mise a la couleur wuge. Ils soutiennent

encore que lorsque l'homme écrit, ce n'est pas SRmain qui meut

la plume; car ce mouvement qui naMdans la plume est un acci-

dent que Dieu y a créé. De même le mouvement de la main quidans notre opinion meut la plume est un accident que Dieu a créé

dans la main qui se meut. Dieu a seulement établi comme habi-

tude que le mouvement de la main s unit au mouvement de la

plume, sans qae pour cela la main ait une influence quelconqueou une causalité dans le mouvement de la plume. » N'est-ce pasta en propres termes 1 hypothèsedes causes occasionnelles si sou-

vent reprochée à Matebranche?

Dans les autres livres du ~M~A*~< C~~ Maimonide déve-

loppe tout un système de cosmologie semé de vues élevées sur ta

Providence et sur l'origine du mal.

Aristote est, après la Bible, l'autorité qu'il invoque le plus vo-

lontiers et qu'il suit le plus fidèlement. C'est aux péripatéticiens

qu il emprunte vingt-cinq propositions destinées à établir l'exis-

tence d'un Dieu unique et incorporel, cause première du mouve-

ment, au-dessous duquel sont placées les pures intelligences qu ilmeut en les attirant à lui, comme l'objet suprême de leur désir,et qui communiquent elles-mêmes 1 impulsionde l'attrait divin aux

corps célestes et au monde sublunaire. Les philosophes du paga-nisme ne connaissaient pas le dogme de la création Aristote admet-

tait l'éternité du monde, Platon l'éternité de la matière; tous deux,sans tomber dans l'excès d'un grossier fatalisme, professaient quela nature est l'oeuvre d'une cause nécessaire. Maimonide, au con-

traire, en disciple fidèle de la Bible, tient pour le dogme de la

création M w~/o;non qu'il prétende, comme les Motecallemin,1 établir par une démonstration rigoureuse prétention, suivant

lui, plus funeste qu'utile à la cause de la vérité; mais il soutient

que l'idée de la création ne renferme rien de contradictoire ni

d'impossible, et, loin de là, qu'elle est plus probable que l'hypo-thèse contraire. En se plaçant à ce point de vue, il bat en brèche

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A TRAVERSLE hOYEK A~K. 97

MMMKMMmSMBt~CM. 1"*1 1 1

à

les arguments des péripatéticiens; il fait ressortir avec force tes

paralogismes et les invraisemblances que renferme leur doctrineil prouve qu'elle ne rend pas compte de la variété et de l'harmonif

qui règnent dans l'univers, et qui s'expliquent naturellement par

l'opération d'une cause intelligente, agissant avec intention. H necherche pas à dissimuler combien la doctrine de la nécessité lui

répugne, combien elle le blesse et l'enraye, lorsqu'il considère les

conséquences qui en découlent par rapport à la religion; mais le

vrai motif, selon Maimonide, qui doit faire rejeter un pareil sys-tème, ce ne sont pas seulement les atteintes qu'il porte &la reli-

gion, dont il ébran'~ les bases c'est qu il ne repose sur aucun ar-

gument sérieux, et qu'il n'est qu'une hypothèse dépourvue d<*

toute valeur scientifique. Mais, si Maimonideadmet que le monde

a commencé un jour par un acte libre de la toute-puissance di-

vine, il n'en conclut pas que le monde doive nécessairement finir:

Uieu, qui l'a tiré du néant, peut le consecver éternellement et lui

accorder une permanence analogue à celle de la nature divine.0

Salomon lui-même n'annonce-t-il pas que tout ce que Dieu a fait

doit rester à perpétuité? Le seul point à réserver, c'est la liberté

du Créateur qui a le pouvoir de modifier certaines parties de son

œuvre, en d'autres termes, de faire des miracles.

On a pu apprécier par l'analyse qui précède ce mélange de sou-

mission religieuse et d'indépendance philosophique, de respect

pour l'Écriture sainte et de libre discussion, qui distingue les ou-

vrages et la doctrine de Maimonide. Il est à la fois théologien et

philosophe, et c'est à raison de ce double caractère qu'il est par-venu Ii une si haute renommée, d abord dans la synagogue, et en-

suite dans les écoles chrétiennes du moyen âge.

Lorsquil traite la question de l'origine du mal, ou qu'il exposele dogme de la Providence, Maimonide ne se montre ni moins ju-

dicieux, ni moins élevé, ni moins large qu'en parlant de la créa-

tion. Le mal, suivant lui, consiste, pour une chose quelconque,dans le non-être de cette chose ou dans la privation des conditions

qui sont nécessaires pour qu'elle soit bonne. Tout mal, en un

mot, n'est que privation. La mort est un mal, en tant que pri-vation de l'existence; la maladie, l'ignorance, la pauvreté, sont

des maux, en ce qu'elles sont pour nous la privation d'autant dt'

capacités. Mais si telle est l'essence ,~u Mal, il est manifestf

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EX<tBStOXStHSTOMQrESETPMtt.OSOPtttQUES!M

qui! ne vient pas de Dieu au moins directement, que Meu

M'en est pas l'auteur en effet, l'action de Dieu ne tend qu'à

l'être, c'est-à-dire au bien. Le principe, la cause immédiate du

mal, est la matière, dont la nature consiste précisément, selon les

philosophes, dans le non-être ou dans la privation. Si Dieu con-

tribue à l'existence du mat, c'est accidentellement et indirecte

ment, comme créateur de la matière que sa sagesse le porte à

unir à la forme dans les êtres créés et en particulier dans l'homme.

Envisagé sous d'autres rapports, le mal peut être imputé A

l'homme lui-même, à ses passions déréglées et à ses vices. Mais

la perversité humaine est-elle même l'effet de l'ignorance, c'est-

à-dire dune privation. puisque 1 ignorance est la privation de

la science; de sorte que, même pour les abus de la liberté, pourles fautes et les crimes, féconds en souffrances qui désolent l'es-

pèce humaine, nous nous trouvons ramenés à la cause premièrede tout mal, la matière.

Est-il nécessaire de faire remarquer combien, par certains

côtés, la théorie de Maimonide sur l'origine du mal se rapprochede la doctrine des Alexandrins, et de celle de saint Augustin et

de saint Thomas, qui enseignent aussi que le mal est une défail-

lance, un défaut, une privation du bien, mais que par lui-même

il n'a pas une entité positive? L'auteur du Guide des ~w~ serattache ainsi sur une question capitale à la tradition des plus

grands philosophes que 1 antiquité païenne et le christianisme

aient produits.Dans la discussion du dogme de la Providence, Maimonide re-

pousse A la fois et l'erreur des Épicuriens, qui attribuent tout au

hasard, et celle des péripatéticiens, qui croient que l'action pro-videntielle ne s'exerce pas au delà des sphères célestes, et celle

des Ascharites, qui, étendant cette action aux moindres particu-larités de la vie humaine, nient ou compromettent le libre arbitre

de l'homme, et celle des Motazales, qui pour justifier la Provi-

dence ne reculent pas devant des explications puériles, contradic-

toires et peu dignes de la majesté suprême. La liberté de l'homme,la justice de Dieu, ce sont là les deux vérités auxquelles Maimo-

nide se tient fortement attaché, et qui deviennent l'inébranlable

fond de ses convictions philosophiques comme de sa foi religieuse.!l ajoute, avec moins d'assurance, mais comme conclusion très

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A TRAVERSLR MOYKNAGE. aa

probable, que le vrai domaine ou s'exerce ici-bas l'action pro-

videntielle, ce n'est ni la nature inerte, ni même la nature nni-

mée, quand celle-ci est, comme chez la brute, dépourvue de rai-

son, mais que c'est l'espèce humaine, et non seulement respèce, mais

< hfcun des individus qui la composent. Comme ils participent à

l'intelligence divine, dont leur esprit est une sorte d'épanchement,ils sont en communication continuelle avec Dieu et ne peuvent

échapper a ses regards. La Providence ne s'occupe pas des autres

animaux, mais elle s'occupe de l'homme et des hommes; elle sur-

veille leurs actions et traite chacun d'eux selon ses mérites.

Si c'était ici le lieu de discuter cette théorie de la Providence, elle

soulèverait de notre part plus d'une objection, et peut-être ne nous

serait-il pas difficile de montrer qu'elle repose sur une distinction

moins exacte que i~btile entre l'homme et ?ereste de la création,

et qu'on ne saurait sans inconséquence sous raire A1 empire de la

sagesse de Dieu aucune partie de ses œuvres. Mais ce qui nous

sufRt en ce moment, c'est de constater l'intérêt et la grandeur des

problèmes agités dans le 6fKM~des J~u'~ tout ce qu'il y avait

de pénétration, de savoir et de véritable force ches l'auteur,

quels services il a rendus à la philosophie, quelle place il conserve

dans son histoire. Maimonide est sans contredit le nom le plus il-

lustre de sa nation depuis l'ère chrétienne; il marque le point le

plus haut ou elle se soit élevée dans les sciences. Avant comme

après lui, tout est confus, obscur, incertain; les travaux des Juifs

en philosophie se réduisent &quelques commentaires qui n'ont

pour ainsi dire ni retentissement ni influence au dehors de la

synagogue; Maimonide est le seul dont le génie vienne attesterl'

que les malheurs et la dispersion des enfants d'Israël n'ont pasctoune entièrement la sève généreuse qui les animait lorsqu'ilsavaient le dépôt des traditions divines.

C'est l'honneur de M. Munk d'avoir remis en lumière, même

au prix des plus douloureux sacrifices, un monument délaissé parla génération actuelle, et qu'elle placera très haut dans son estime

quand elle le connattra mieux. Peut-être un esprit chagrin de-

mandera-t-il pourquoi ces études sur la métaphysique des Arabes

et des Juifs, et quel parti on peut en tirer pour l'avancement de

la science. Je crois qu'il y a peu de branches de l'histoire de la

philosophie contre lesquelles on ne puisse élever la même objec-

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tuo EXCCR8MX8HtSMMQUESETPHtt.OSOPHtQCES

tion, et cependant elles continuent toutes &être cultivées avec

une ardeur que le temps ne ralentit pas. Nous nous sommesdonné en quelque sorte la mission de recueillir les anciens mo-

numents, d'exhumer les anciennes doctrines. Les découvertes se

multiplient; tous les noms oubliés reparaissent au jour. Quels faits

rapporterons-nous de nos excursions laborieuses dans le passé?Les questions vont-elles se simplifier? Les solutions vont-elles de-venir plus précises et plus sures? Verrons-nous s'élever une phi-losophie nouvelle, à la fois solide et élevée, où se trouvent réunies

les lueurs éparses dans les vieux systèmes? C'est l'espérance donton se berçait, il y a plus d'un quart de siècle mais quand bien

même le temps n'aurait pas tenu la promesse de cesjours d'illusionet d'enthousiasme, quand nous retrouverions aujourd'hui devant

nous les mêmes obscurités, les mêmes incertitudes et les mêmesécueils qu'autrefois, il ne faudrait pas regretter les veilles que lesétudes historiques ont coûtées. A l'égard du passé, n'étaient-elles

pas une dette sacrée? Elles ont entretenu dans le présent une

émulation généreuse, le culte des grands noms et le sentiment des

grandes choses. Espérons qu'elles ne seront pas inutiles même

pour l'avenir, et que, sans avoir donné tout ce qu'on attendait au

début, elles fourniront quelques pierres pour ce monument tou-

jours inachevé et toujours fragile que la philosophie s'est donnéla mission de construire.

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LES SOURCESPHILOSOPHIQUES

DES HÉRÉSIES D AAÏAURYDE CHARTRES

ET DE DAVIDDE DINAN.

MÉMOIRESUR

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LES SOURCESPHILOSOPHIQUES

L'histoirephilosophique du moyenAgeoffre peu d'événements

plus curieux que l'apparition inattendue des doctrines qui, sous

lesnoms d'Amaury de Chartres et de David de Dinan, surprirentet émurent les écoles chrétiennes dans les premières années du

xm" siècle: Cen'était pas la première fois que la paix des cons-

ciences et le repos de l'Église étaient troublés par des hérésies

contraires à la foicatholique. A dater de la fin du xf siècle, on

avait vu se succéder de hardis novateurs, tels que Bérenger de

Tours, Roscelin, Abélard, qui avaient fait courir de singuliers

périls à l'orthodoxiepar la témérité de leurs méthodeset de leurs

systèmes. Mais quelques assertions malsonnantes qu'ils eussent

avancées, leurs erreurs n'allaient pas jusqu'au renversement de

la foi, et consistaient moins à nier le dogme qu'à t'interpréterd'une manière nouvelle et hasardée. Humbles et soumis même

lorsqu'ils se montraient le plus hardis, ils vénéraient ce qu'ils

paraissaientébranler, et adhéraient du fond du cœur aux vérités

qu'ils étaient accusésde méconnaître. On ne saurait en dire au-

tant d'Amauryde Chartres, ni surtout de Davidde Dinan. L'abus

de la pMIosophi) avait égaré ce dernier jusqu'à l'impiété ou-

DES HÉRÉSIES D AMAURYDE CHARTRES

ET DE DAVID DE DINAN.

MÉMOIRE

8U)t

Page 108: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCURSIONS HISTORIQUES ET PHILOSOPHIQUES)0t

verte. Les maximes que tous les témoignages s'accordent à lui

attribuer sont une attaque audacieuse et directe contre les bases

du christianisme, et non seulement du christianisme, mais de

toute religion. C'est le panthéisme et le matérialisme avec le cor-

tège de leurs conséquences ordinaires.

L'agitation profonde causée dans les écoles par l'entreprise

d'Amaury, et après lui par celle de David; la procédure dirigéecontre eux et contre leurs disciples par 1 autorité ecclésiastique;la sentence qui proscrivit leurs personnes comme leurs écrits;

tous ces faits, consignés dans les chroniques contemporaines, sont

généralement connus, et le tableau véridique et émouvant quenotre savant confrère M.Hauréau en traçait naguère devant l'A-

cadémie suturait pour nous ôter toute pensée d'y revenir (i). Mais

il reste à éclaircir un point difficile et resté très obscur c'est

l'origine première, c'est la filiation de ces doctrines, objet de

scandale pour la catholicité. Aquelles sources furent-elles puisées,et sous l'influence de quelles lectures ont-elles pris racine dans

l'esprit de quelques maîtres en théologie, que leur éducation

avait imbus de maximes tout opposées? La question intéresse à la

fois les philosophes et les historiens; mais, quoique souvent dé-

battue, elle est encore indécise, et peut-être n'est-elle pas suscep-tible d'une solution évidente et définitive, car la critique n'entre-

prend jamais une tâche plus ardue que lorsqu'elle se proposed'étudier la génération des idées et de rechercher par quellesvoies mystérieuses une doctrine a pénétré dans des esprits quine semblaient pas préparés à la recevoir. Une telle recherche est

d'autant plus incertaine qu'il s'agit d'opinions qui ne nous sont

connues que par des témoignages étrangers, les écrits de ceux quiles ont professées n'étant point parvenus jusqu'à nous. Les seuls

indices que nous possédions pour remonter aux origines des hé-

résies d'Amaury et de David de Dinan, ce sont, avec la sentence

du concile de Paris et les récits des chroniqueurs, quelques textes

d'Albert le Grand, de saint Thomas d'Aquin et du chancelier

Gerson. Ces indices à coup sdr sont fort insuffisants; toutefois,en les pesant avec soin, nous ne désespérons pas de jeter quel-

(<)Séanceda 6octobreM64.(VoyezComptesfetMhMdes~<M(CMde f~ca<MBtiedes<MMWp<MMMet belles-lettres,t. vm, p. 29ietsuiv.)

Page 109: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSM MOYENAGE «'

(lues lumières nouvelles sur cet étrange phénomène d'un s) stèmo

subversif du christianisme, se pt~oduisant, non sans éclat, Al'au-

pore même de cet Age où la foi chrétienne passe pour avoir exercé

le plus d'empire sur les intelligences.Ainsi que tous les historiens nous l'apprennent, Amaury était

originaire de Bène, an diocèse de Chartres. Apres avoir étudié la

théologie dans les écoles de Paris, il se consacra lui-même a l'en

sfignement de cette science, non sans y porter une méthode et

des opinions singulières, qui le firent condamner d'abord parF! niversité de Paris, nouvellement constituée, et, peu de temps

après, par le saint-siège. Quelques traditions, recueillies par<:uitlaume le Breton (i), ne font peser sur lui qu'un seul reproche,c'est d'avoir enseigné avec opiniâtreté cette proposition « Tout

« Mêle est tenu de croire, comme un article de foi, sans lequelnul ne peut être sauvé, que chacun de nous est un membre du

'< Christ, ~'cw&~M C~'M/ Si maître Amaury n'avait eu li

s'imputer d'autre tort que celui-là, nous inclinons à croire qu'il

n'aurait pas soulevé contre lui des orages, car il n'aurait fait que

continuer l'enseignement de saint Paul ~'MtAw .wwM<f~WM

C~'M/<;et quand bien même on aurait eu a lui reprocher quel-

dues intempérances de langage, une telle faute n'était pas assez

grave pour attirer sur la tête de son auteur les foudres de l'Uni-

versité de Paris et du saint-siège. Maisil s'agit de savoir comment

Amaury entendait les paroles de l'Apôtre. Elles peuvent être en-

tendues de bien des manières, qui ne sont pas toutes également

exactes ni également innocentes. Tout porte à croire que l'inter-

prétation à laquelle Amaury s'était arrêté ménageait peu la per-sonnalité humaine et tendait. au contraire, à étouHer, à détruire

la vie individuelle sous l'action divine.

Ce qui parait le démontrer, c'est une série de propositions bien

autrement explicites que la précédente, propositions que prêtentà notre philosophe plusieurs auteurs très dignes de foi Martin

(1)t Semper suum per se modnm docendiet discendihaboit [AmatncM], ft ojMo-

netMprivatam, et judieiumquasi sectnmet ab aliis Mparatam. Cnde et in ipsa theo-

!ogia attSM est constanter Msevemre, quod quiMbetehdsttanM teneatur creden-

« se esse membrum Chdsti, nec aliquempossesatvari qui tMcnon erederet. <.(Guil-

laume le Breton, De CMMsJ'A<Mpp<~t<~<M«.apud D. Bouquet, Née des ~~<. ~<'

~oace. t. XVII, p. 83. CL Du Boulay, Bist. <M«c.Paris. t. M!, p. 26.)

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M: EXCUBSMXSMtSTfMUQmsETPH~OSOPMtQtES

do Pologne, de l'ordre de Saint-ttominique, qui mourut .en 078,après avoir été chapelain des papes Clément IV, Grégoire X, In-uocent V, Jean XX! et Nicolas III; le chroniqueur Nicolas Triveth,lequel, au reste, n'a fait que transcrire le passage de Martin d<Pologne; le célèbre canoniste Henri de Suze, cardinal et évoqued'ttstie; enfin le chancelier Gerson (i). Voici en quels termess'exprime Martin de Pologne (~

< Almarieus asserit ideas qua* sunt in mente divina creare etcreari, quum. secundum Augustinum, nihit nisi a'ternum atqueineommutabile sit in mente divina. Dixit etiam quod ideo finis

'< omniumdicitur Deus,quia omnia reversura sunt in eum, ut iu« Deo immutabititer quiescant, et unum individuum atque in-

commutabite in eo permanebunt. Et sicut atterius natura; non'<est Abrabam, atterius !saae, sed unius ac ejusdem; sic dixit

omnia esse unum, et omnia esse Deum. Dixit enim Deum esseessentiam omnium creaturarum et esse omnium. Item dixit

« quod. sicut lux nou videtur in se, sed in aère sic Deus nec ab« angeto, neque ab homine videbitur in se, sed tantum in crea-

turis. Item asseruit quod, si bomonon peccasset, in duplicemsexum partitus non fuisset, sed eo modo quo sancti angeti mut-

« tiplicati sunt, multiplicati fuissent et homines; et quod, post« resurrectionem, uterque sexus adunabitur, sicut, ut asserit, fuit« prius in creatione.

Bien que le texte qu'on vient de Ure ne présente aucune difli-cuité sérieuse, il ne sera pas inutile, pour l'ordre et la clarté denotre exposition, d'en donner la traduction

Amaury prétend que les idées qui existent dans la penséedivine créent et sont créées; tandis que, suivant saint Augustin,

< il n'y a rien en Dieu qui ne soit éternel et immuable. Il dit« aussi que Dieu est appelé la fin de toutes choses, parce que ton-« tes choses doivent retourner en lui pour y reposer immnable-« ment. Et de même que la nature d'Abraham n'est pas autre que< celle d'Isaac, mais que la même nature leur est commune à tousdeux de même, selon Amaury, tous les êtres sont un seul être.

«) CefMMttope~. Aatver)~B, <?<?.tn-M. t. IV, cet. 8M.(2) ~or/M< ~~mt< CAroatcMt~Antv~œ. <&7t,io-S", p. 393et sntv. C&CAya.

N<MM~co&t) anr<M~H,daBs le ~ct~ ded'Achery. paristM. <723, in-foi. t. Mtf. <M.

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A TMAVEBS MOYENAGK )0-

et tous les êtres sont Dieu. Msoutient, en eCet, que Dieu est

t essence de toute créature et 1 être de tonte chose. Ailleurs il

enseigne que, comme la lumière ne s aperçoit pas en elle-même.

mais dans l'air, de même b!en ne saurait être vu en soi ni parFange, ni par l'homme il ne peut être contemplé que dans

ses créatures. C'était encore une des thèses d Amaury que,sans le péché, la distinction des sexes n'aurait pas eu lieu, mais

que les hommes se seraient multipliés en dehors des lois ordi-

naires de la génération, A la manière des anges, et qu'après la

résurrection, les deux sexes seront de nouveau réunis, comme

ils l'ont été a la création. ~·

Ces doctrines furent-elles réellement professées par Amauryde Chartres? Nous devons le croire, puisqu elles lui sont formel-

lement attribuées par Martin de Pologne, c'est-à-dire par un

contemporain dont la véracité en pareille matière ne saurait être

suspectée. Mais il importe de remarquer que, suivant Martin de

Pologne, et suivant Nicolas Triveth, qui le copie, toutes les er-

reurs d'Amaury se retrouvent dans un certain livre qui est inti-

tulé /w<; « qui omnes errores inveniunturin libro quiintitulaiut' FW~~swM. Ce livre, il est aisé d'en reconnanre

le véritable titre et l'auteur c'est le traité célèbre de Jean Scot

Ërigène, n:~ yJe:M;~?M~<s/w~~M/wM' (t). Aussi.

dans son commentaire sur les Décrétales, Henri de Suze n hésita

pas a faire remonter jusqu'à Jean Scot la paternité des hérésies

professées par Amaury de Chartres. Le chancelier Gerson tient le

même langage; et, en eSet, tes diSerentes propositions que nous

venons d'énoncer, en tes imputant à l'hérésiarque du xm siè-

cle, se rencontrent aussi dans l'ouvrage du moine irlandais de la

coup de Charles le Chauve. Elles s'y rencontrent, non seulement

quant au sens, mais aussi quant à l'expression elles en sont, a

peu de chose près, MttéMtement extraites; de sorte que, en con-

damnant Amaury, c'est la doctrine, ce sont les écrits de Jean

Scot que le saint-siège anathématisait. Tel est le premier point

qu'il est facile, au moyen de quelques rapprochements,de

mettre hors de toute contestation.

(t)OMtdi.Mat.tn.M.L'oaTNgea été!mpriMéA' tMsjmtMenAMemagne.(Menas.tMii GttMtphaMomm,tM8, in.8'.) Cest &cette derntere édition, femme étant h phts

'répandne, que se testent nos tenTe!a.

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EXCUB8MNSHtSMMQUESET PMtt<QSOPMtQUKStea

Arrètons-nous & la première (tes propositions que maMre

Amaury, dit-on, avait enseignées dans les écoles de Paris Lesidées créent et sont créé<*s, H«/<f ww~ ~va~ C'est 1Aune des théories fondamentales de la doctrine de Jean ScotÉrigène. Dès le début de son livre, le moine irlandais distinguequatre modes d'existence i" la nature qui crée et qui n'est pas.créée; Sf cette qui crée et qui est créée; 3" cette qui est créée et

qui ne crée pas; cette qui ne crée pas et qui n'est pas créée. La

première nature est Dieu, conçu comme principe des choses; ladernière est Dieu, conçu comme leur fin; la seconde est l'ensembled<<scauses premières qui accomplissent t'œuvre de Dieu, et latroisième est cette oeuvre elle-même. c'est-à-dire le monde. Mais

quelles sont les causes premières qui accomplissent l'tfuvre deDieu? Ce sont les idées divines. De I&ces expressions, qui se trou-vent fréquemment dans le livre De M<w~w~w.p « Divina« natura faeit et ut, créât et creatur. Divina natura dum omnia« créât, in omnibus qnœ ab ea sunt, mirabiti modo creatur.< tdca* primordiales ab una créatrice omnium causa ereantur.

et ça qua! sub ipsis sunt créant nam primordiales causas et« creare et creari diximus (t). »

S'il ne peut s'élever de doute sur la filiation historique de la

première des propositions attribuées à maître Amaury, la secondetrahit non moins clairement son origine. Dieu est appelé la fin detoutes choses, parce que toutes choses doivent retourner en lui

pour y reposer immuablement et ne plus former en lui qu'unseul être, indivis et immuable. Cette pensée ne se trouve ex-

primée nulle part avec plus de précision, ni développée avec

plus de force que dans le cinquième livre du traité de Scot Ën-gène elle est son premier et son dernier mot sur la destinée del'homme et du monde; elle l'a conduit, entre autres conséquences,a la négation du dogme de l'éternité des peines. Il est vrai que,protégé par des scrupules inattendus contre les entraînements desa doctrine, Scot semble quelquefois hésiter; il se trouble àl'idée de 1 anéantissement des êtres individuels au sein de la viedivine; il voudrait leur conserver une sorte d'existence propre,même en Dieu; mais ces réserves, ces protestations du bon sens

(t) Mb.t, xm,p. UetMthr.;tih. M, p. <o7.

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A TRAVERS M MOYEN ARE «M'1

contre les excès de la logique laissent subsister la formule abso-

lue qui résume fidèlement tout le système. et A laquelle devait

s'attacher Amaury « Tota hominis natura in primordiales causas

« revertettir, quao sunt semper et incommutabiliter in Dec; ip~« natura, cum suis causis, movebitur in tteum, sicut aer movetur

« in lucem. Erit Deus omnia in omnibus, quando nihil erit nisi

« soins l)eus (i).Il en est de même de la troisième et de la quatrième proposition

enseignées, suivant les contemporains, parAmaury ce ne sont

j~uèreque des lambeaux de phrases extraits du h~ ~:M; {M~Jean Scot avait dit Il Non a!terius natursp nomen est .~braham.

« atterius tsaac, sed unius atque ejusdem (2). » Nouslisons, sous h

nom d'Amaury Et de même que la nature d'Abraham n'est pas< autre que celle d'Isaac, mais que la même nature leur est com-

« mune à tous deux, etc. » Chez Amaury, au témoignage de

Martin de Pologne et de Gerson, la comparaison dont nous venons

de citer le premier membre s'achevait ainsi De même tous

tes êtres sont un seul être, et cet être unique est Dieu. Dieu

« est l'essence de toute créature et l'être de toute chose. » On n'a

que l'embarras du choix entre les passages de Jean Scot qui rap-

pellent ces propositions. Nous nous hornons A quelques exem-

ptes « Cogis nos fateri omnia quaecumque alterna et îacta dicun-

tur, Dominum esse. Fidem certam stabititam es~, veraqueratione munitam esse vidéo. extra Dominum nihil esse. Non

«duo a seipsis distantia debemus intelligere Dominum et crea-

« turam, sed unum et idipsum. De)?sfacit oMnia et in omnibus

« fit omnia. Deusomnia in omnibu& est. Omnium cssentia est qui« solus vere est (3). »

Les dernières propositions dont it nous reste à parler ont his-

toriquement et philosophiquement moins d'importance que tes

précédentes; aussi n'y insisterions-nous pas, si elles n'étaient au-

tant de liens qui rattachent l'enseignement d'Amaury de Chartres

&Scot Érigène. Selon Amaury, « de même que la lumière ne s'a-

perçoit pas en elle-même, mais dans l'air; de même Dieune sau-

()) Ub. V, vnt, p. 44t.

t) Lib. 1. x<v, p. t6.(3) LUt. Mt. <Mt, p. 236, 23)t; p. Ma et euh.

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«M EXCtJastOXS MtSKMUQ~ESET PHILOSOPHIQUES

« rait être vu en soi ni par l'ange ni par l'homme il ne pe'.tt« être contemplé que dans ses créatures. a Cette proposition, quin'a d'original que la comparaison qu'elle présente, est la repro-duction ahrégee de différents passages du H<p~~:N; {Mpt~S,notamment de celui-ci « Solis lumen per se subsistens nuMosensu« corporeo comprehenditur; quum solare lumen aeri miscetur,Il tune incipit appaiere ita vero ut in seipso sit incomprehensi-« bile, mixtum vero aeri sensibus possit comprehendi. Ac per« hoc intellige divinam essentiam per se incomprehensiMIem« esse; adjunctam vero intellectuali creatur~mirabili modoap-«parère (i). AiMeursScotËrigene dit « M~nam essentiam nui!:

corporeo sensui, nulli rationali, nuM: humanoseuangeticoin-« teMectui per seipsam comprehensibitem esse (3). Oans ce der-nier passage, cette impuissance de voir Dieu en soi, à laquerJean Scot réduit l'entendement humain, se trouve attribuée auxesprits angéliques eux-mêmes, w«yc~o M~M~; ce qui expli-que pourquoi lange figure aussi bien que l'homme dans la pro-position imputée A maMre Amanry.

Enfin Martin df Pologne nous fait connaltre un singulier para-doxe d'Amaury sur l'origine de la distinction des sexes il la consi-dérait comme une conséquence du péché originel, et professaitque, sans ce péché, les hommes se seraient multipliés en dehorsdes lois actuelles de la génération, a la manière des anges. Nousretrouvons le même sentiment exprimé à peu près dans les mêmestermes par Scot Ërigène « Si primus homo non peccaret, natura'« sua: partitionem in duplicem sexum non pateretur; eoque modo« quo sancti angeli multiplicati sunt, intellectualibus numeris« multiplicaretur (3). H

Les différentes thèses que nous venons de parcourir sont, avecla maxime empruntée à saint Paul, ce qui avait frappé le plusles contemporains d'Amaury dans son enseignement aux écoles deParis. Nul historien ne lui prête d'autres opinions que celles-là,et c'est pour les avoir soutenues qu'il a été réprimandé par l'Uni-versité de Paris en i204, que le pape Innocent Ht l'a de nouveau

(<)Lib.t. x, p. 9.(3)Ltb.t. vm,p. e.(3)Lib.Il, vt, p. M.

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A TRAVERSLE M<MEXM.E. Ut

condamné en i205, le concile de Latran en iâ<5, et que le con-cile do Paris a ordonné en i2tC que sa dépouille mortelle tntexhumée et livrée an feu. Or nous venons d'établir d'une manièfe

irréfragable que cesopinions

n'appartiennent pas en propre A

Amaury, mais Il Scot Érigène. comme l'avait très bien vu le sa-vant Brucker, et que tes propositions qui les résument sont ex-traites Apeu prés littéralement, ainsi que Martin de Pologne etNicolasTriveth en font la remarque, du traite ~M~f ~M~<ta première eonsé<ptence qui découle manifestement de ta, c est

que, malgr<~le renom de hardiesse que s était fait Amaury, et

malgré la prétention qu'il affichait de suivre en tout son proprejugement et de penser autrement que tout le monde, il n y a riende moins original que ses doctrines. Mais, i1notre avis, on peutaller plus loin on peut soutenir qn Hn'a rien enseigné en son nom,''t que tout son r~te dans l'école de Paris a consisté à tirer de FouMi

t ouvragede Jean Scot, si peu répandu au moyen âge, et a Hntto-duire dans l'enseignement publie. Le cercte des études tendaitators As'étendre. Grâce au zè!edcs interprètes, beaucoup de livresinconnus aux Agesprécédents eommenraient à circuler dans i t ni-versité de Paris. Ce que d'autres faisaient pour Aristote et les

Arabes, Amaury le fit pour Scot Érigène. Majouta, de sa propreautorité, le moine irlandais Ala liste dfs auteurs, en petit nombre.

qui depuis le règne de Charlemagno avaient le privilège de ser-vir de texte aux leçons des maMresles plus renommés. !1porta danssa chaire le traité M:pt ~<KM<{MpM~oS,et il le commenta, selon

l'usage du temps, en ne s écartant pas du texte, et en se bornant a

une glose purement littérale. H est résulté de là que les proposi-tions qui lui sont reprochées se retrouvent textuellement dansScot Érigène, et que les anathèmes qui l'ont frappé atteignentdu même coup le maitre plus ancien qu'il avait choisi pour guideet pour modèle.

C'est ainsi, pour notre part, que nous comprenons l'origine, le

caractère et la portée de l'hérésie d'Amaury. Nous croyons quecette interprétation s'accorde de tout point soit avec les témoigna-

ges, soit avec t'analyse critique des propositions attribuées à ce

maitre.

Mais Amaury de Chartres passe pour avoir eu des disciples.

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EXCURSIONSMtSMMQfES ET PHM.OSOPMtQtJEStt' ~·

malheureux qui périrent sur le bûcher, à la suite de la condamna-

tion prononcée contre eux, en i2i0, par le concile de Paris. Cettt-

filiation entre les nouveaux hérétiques et Amaury est-elle bien

établie? Elle est signalée par Guillaume le Breton, César d'Heis-

terbach et Robert d'Auxerre (i); et elle est aussi attestée par la

sentence du concile, dans laquelle le nom du maître chartrain se

trouve associé àceux des novateurs plus récents que l'autorité ecclé-

siastique venait de livrer à toute la rigueur du bras séculier. Mais

peut-être ces témoignages ne sont-ils pas aussi décisifs qu'ils le

paraissent. Ils prouvent l'impression que l'enseignement d'Amauryavait produite et le souvenir qui en était resté faut-il induire de

là qu'il a été le fondateur d'une véritable école, dont les erreurs

n'auraient été que le développement des leçons du maitre? Nous

hésitons a le croire. Quoi qu'il en soit, entre la doctrine enseignée

par Amaury et les aberrations de ses prétendus sectateurs le con-

traste est manifeste. Nous n'av ions tout à l'heure devant nous

qu'un interprète fidèle jusqu'à la servilité, sinon un véritable

plagiaire, des maximes de Scot Ërigène avec David de Dinan nous

allons voir apparaltre un tout autre système, dans lequel prédo-mine le matérialisme, et qui conduit insensiblement, sinon l'au-

teur lui-même du système, du moins ses premiers sectateurs, aux

conclusions les plus opposées à la morale chrétienne, tl importe de

rechercher par quelles voies de telles maximes ont pénétré dans

renseignement des universités, et sous quelles influences diver-

ses, et assurément très complexes, elles se sont développées.Sur la doctrine de David de Dinan, nous possédons deux témoi-

gnages précieux celui d Albert le Grand et celui de saint Tho-

(t) Post mortem tjns surrenerant quidam, venenesa tjos doetritta iaCeeti.

(CuiMaumete Breton, Recueil des <f<t<.de f<'e«te, t. XVtt, p. N.) a MagMer« Emelrieus, qui pNedtttœ pmvKaMama~ater fuerat. (Césard'Hei~ettach, <M<<.)

Daboit initiam ha'e adiavenMeprofana Terbomm a quodam nomine Atmadco.

(Robert d AuxerM. Née. des ~«<. de j~roMee,t. XVIII,p. 279.) Ea présente de ces

témoignages si concordants, il est t pftne nécessairede discuter t aiM~ationisoléeet

t;rato!te d an throniqueur anonyme qui Mprésente Amaury comme le disciple deDavid de Dinan. Erat idem David snMiMsultra quam deeeret, ex cujus quatemis,ut creditur, magister Almaricus et eœteri hœretici httjas temporis snom haose-

rant errorem. (Née.des NM. de CraMe. t. XVUt, p. 7i&.)B. Mat, qui a le pre-mier paMié des extraits de cette chronique, reeoanatt lui-même (loco ~a«d.) quetaatenr, qu'il croit être Anghti~,commetà chaque pas des erreurs, broaiUe tes da-tes et doaae pour certaias les &its tes pms tavmtsembtaMes.

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A TBAVKBS LK MOYKS At.E. «:<

<uas d Aquin. Albert n'est pas seulement un contemporain, e\'st

une des lumières de l'ordre de Saint-Dominique c'est un mattrt'

(n théologie, très versé dans les sciences profanes, et mêlé par

profession et par goût à toutes les controverses de son temps.Venu un peu ptus tard, saint Thomas d Aquin, le disciple d'Al-

bert, n'a connu que par tradition les erreurs qui avaient été, au

commencement du xn)" siècle, le scandale de l'Université de faris

mais il s'en était rendu un compte exact, et nul n'était plus apt<'

que lui à en donner un résumé fidèle.

Or, que nous apprennent Albert le Mrand et saint Thomas d A-

quin? Uue. selon ttavid de Dinan, Men, l'intelligence et la ma-

tière, identiques par essence, viennent se confondre en une subs-

tance unique que, par conséquent, tout dans la nature est un.ainsi que l'ont enseigné Xénophane, Melissuset Parménide; que,

par conséquent encore, les qualités individuelles qui distinguentles êtres ne sont que de vaines apparences qui font illusion aux

sens et à l'imagination, mais qui ne sauraient exister pour la

raison. Le témoignage de saint Thomas est, sur ce point, d'une

précision qui ne laisse rien à désirer. « ttavid de Dinan, dit-il.« partageait les êtres de l'univers en trois classes les corps, le<:« Ameset les substances étemelles séparées. Il disait que la ma-« tière, y/<~ est l'élément premier et indivisible qui constitue les« corps; que 1 intelligence, ~o~t, est l'élément premier et indi-« visible qui constitue les âmes; que Dieu est l'élément premier et« indivisible qui constitue les substances éternelles; qu'enfin ces« trois choses, Dieu, l'intelligence et la matière, sont une seule« et même chose d'ou il suit que tout, dans l'univers, est essen-« tiellement un (i).

Nous voyons, par le témoignage dAlbept le Grand (2), (lue

(1)« Qoontmdam anttqaerNm phUMephentmerror fuit, quod De<MeMetde essenttaomn:mn reram. Pen~bant enim omnia esse nom stmpMdter, et non dMf~Me,niai

« forte aeeoaJma senMMnet «MUmationem,nt Parmenidesdixit. Et tMosetim ant!.<'qtMMph:hNoptMSMeaUsunt quidammedend, ut David de Dinanto. Divisitenim fes

ta partes tree, ln eerpom, aa!maaet tobstantias tetemas sepamtaa. Et primma ta*

dMa!Me ex quo MMtttmMtar cotpMa, dMt yte; pthnnm aetem tadhrMbMeM

qua eoMtttaantmr aatma), dMt noym wt taentem: p)f!mamaatem <ndtvMb!te!n<'<mtMtMt!iamtemb dbdt Be<m; et htMtria tMONMm et Mem,ex qaa Hernmaeqat.tur esse omnia per eMenttam M<m). (CoMM.ta ~o~. Se~M~antm, Mb. Il.

dbt. xvn, q. i. C~ Contra peaMtea,t, t7.)(2) SMmeMtt&eo&w~.p. M. tMet. t. q. 4. Opera, t. XVIII, p. M.

mcCMmtMmMeMeOM.

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<n EXCUBSMXStUSTOBtQUESETPBtLOSOPMtQUES

David de Dinan invoquait à l'appui de sa doctrine deux sortes

d'arguments, les uns empruntes, selon l'usage de l'école, Al'au-

torité, les autres, à la raison.Voici les principales autorités qu il alléguait d'abord, Anaxi-

mène, qui, selon Aristote, a enseigné que tout est un; seconde-

ment, les anciens philosophes auxquels Aristote, au premier livrede la P~~M<~ attribue la même doctrine; troisièmement, unvers d'Orphée, dans lequel il est dit que le monde est Dieu; qua-trièmement, ces vers célèbres de Lucain, au dix-neuvième livrede la P~wwA*

Superosquidqua'rimasultra?Jupiter est quodeumquevides,quoeumquemoveris;

cinquièmement enfin, ce passage nou moins connu de Sénèque« Qu'est-ce que Dieu? L'Ame de l'univers. » (~w/<M/ /~Ms?.Mew<w<«~M.

Quant aux arguments que David, après avoir cité ces textes,

empruntait à la pure raison, ils ne justifient que trop le reprocheque lui font quelques chroniqueurs de s'être montre subtil à l'excès,«MA~/MM/a ~M<MH<c~v/. Effectivement, sa discussion est d~jjahérissée de ces ténébreuses subtilités qui devaient corrompre la

scolastique et en amener tôt ou tard le discrédit.

Voici, au témoignage d'Albert, comment David raisonnait« Les êtres, tels que Dieu, la pensée et la matière, qui existent parsoi et non dans une chose qui soit autre qu'eux-mêmes, consti-tuent un même genre; les choses qui appartiennent à un même

genre ont un même principe indivisible d ou elles dérivent; parconséquent, Dieu, la pensée et la matière dérivent d'un élément

unique et indivisible. Or le principe des choses qui ne sont dansaucune autre et dans lesquelles toutes les autres sont ne peut être

que ce qui porte par excellence le caractère de sujet. Ce caractèreconvient essentiellement à la matière, car la matière n'a pointpar elle-même de sujet et elle sert de sujet à tout le l'esté. Le

principe essentiel de tout ce qui est compris sous la notion desubstance est donc la matière. La pensée elle-même n'est sub-stance que par la matière. »

Autre argument de David de Dinan, également reproduit par

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A TBAVEBSLE MOYENACE. U5

Albert « Dieu, la pensée et la matière se ressemblent comme sub-

stances, puisqu'ils sont la substance de tout ce qui existe; ils se

ressemblent comme principe, puisqu'ils servent également de

principe &tous les êtres, lesquels sont tous l'œuvre Je Dieu et celle

de l'intelligence déterminée par la matière; ils se ressemhlent

par la manière dont ils sont principe, car ils sont principe non de

1 accident, mais de la substance même de l'être. Enfin ils ne dif-

fèrent sous aucun rapport; or ce qui ne diffère absolument pas est

identique donc ils sont identiques (t). » Sur ce dernier point, Al-

bert eut avec un disciple de David, nommé Baudouin, une discussion

dont il nous a conservé quelques traits. Comment établir que Dieu

la pensée et la matière ne diBèrent sous aucun rapport? Le disciple

.le David esquivait l'objection avec moins de justesse que d'agilité

dans la dispute. Dieu, la pensée et la matière, disait-il, sont sim-

ples or les substances qui sont simples ne sauraient différer entre

elles, car toute dimérence introduirait dans leur nature un élément

de composition de simples qu'elles sont, elles deviendraient com-

plexes. Dieu donc, la pensée et la matière n'offrent aucune diifë-

rence, et dès lors il convient de les confondre.

Albert le Grand déclare que cet argument est le plus fort qu'il

ait entendu donner en faveur de l'opinion de David /c s«M/

/w~w« ~M<ï*df ~'wt' «~ Mc/ww«~w~; ce qui ne l'empêche

,t) Albertne nommepas Daviddans le passagesuivant. mais c'Mt lui t'ertamMoent

'tu Hen vue « ht! sont qui dicebant Deumnoym et materiam pr!mam eM«ejusdemessenUm,et vere eMe MbstanUam. et nihil alloram, sed omniaalla esseaM-tdentta

ft dtaposMionesMbstanthe, nUtotes hoc probaredtabas mttonHuM.QuaruMuna est

quod per ae et non ta aUoett9t''nttam est geoM Maom;omntom autfm qoœ suât ah

t«Mg)'neMa<tMMMt abnmo prtndpioiadtvtsiMM Deus i~tur. et noy: et mat<'ria

ab ana Nnont tnd!vidMMsubstaatta. PrincipiMmantemeontmet non snnt :n a)i«.ab una luunt Indivislbilisubstantia. Princilduinautem eorum quoenon sont lu &lie),

et in qtttbM omala a!~ sont, non patent esse ni&iid cul pfima rath)eon~ttU Mb.

~eett hoc autem prtnMeonveatt tMaterta':tMtenim n!hHsobetat, et xubstatemni-

b<Mattb; priftctptMMergo eMeatiatcomtttumeeram ')um Matln substantla Mt mate.

ria. Seeunda ratht Mt quod dtcebant quod Deus, noya et tuateria cnnventunt in

faUnneMbittaMdt NanmqtKtdqttecntot HtorumoMtttbuaxotMtat.Stt'tttiter unum-

quedqae tMofomt'unt attefo eottvea!tin ratione prtmctptandt;qModttbett'tthn(MorM)t)

MOtveMatKerest prUMtptnmomnt<))Momata entm nataraMaet opus dMnum Mnt.

et epM tntett<8entbe.et detenmtnatapef Matedam. StmtUterhtee tria MMMfenhmtht

Mtodopriaetptandi qModMhetenim Mtommprtnciptatper sttb~anttam, M«ttper aeet.

'<deoa. NectttventtatdMferenUaiUoram. nt dtcont. idem aatcm est qtMdnon dtafri

dMemntta hœcergo tch annt Mem atmpiictaeatm Mnt per Mtbatanttam.unam ra-

Uoaem prtadptt habenUa et ea..<de<nmodem prmdptaadt. ') (DecaMto et pro-

<fM<t~M<<< ttb. ), tmt't. t, cap. t. qpe~t. V, p. 6M.)

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ËXCUBS!<MSHtSTOMQtJESETPtMLOSOPHtQms<M

pas de trouver le raisonnement de Baudouin peu solide et mêmevil ~<~ licet M~W~M<&M'~W~W~~(i).

Les conséquences morales et religieuses qui découlaient de ladoctrine métaphysique de David de Dinan sont faciles à entrevoir.Si la matière est le principe universel, si toute existence en dériveet s'y ramène si les différences qui paraissent caractériser soitles espèces et les genres, soit les individus, ne sont que des erreursdes sens et de l'imagination, il n'y a plus Aparler ni de la spiritua-lité de l'âme, ni de son immortalité, ni des peines et des récom-penses de l'autre vie. Toutes les vérités enseignées par la religion,confirmées par la philosophie, s'évanouissent et disparaissentcomme autant de rêves nés de l'ignorance et de la superstition.Les cérémonies du culte ne sont plus qu'une imposture. La dis-tinction du bien et du mal s'efface elle-même; la loi morale de-vient une injuste tyrannie; et l'homme, affranchi de tout devoir,n'a rien de mieux à faire que de céder à la pente de ses désirs et à lafougue de ses passions.

Ces conclusions, qui découlaient rigoureusement de sa doctrine,furent-elles aperçues, furent-elles avouées de David de Dinan?Aucun passage d'Albert le Grand ni de saint Thomas d'Aquin n'au-torise &l'amrmer. Mais, en supposant que David, absorbé par despréoccupations métaphysiques, n'ait pas entrevu la portée de sespropres maximes, on doit reconnaître que les disciples qu'il avaitformés se sont montrés meilleurs logiciens que lui et qu'ils onthardiment poussé le système à ses défères conséquences. Le con-cile de Paris, qui condamna quatorze d'entre eux, avait en effet aleur reprocher des erreurs également contraires aux dogmes ré-vélés et aux vérités de l'ordre naturel. S'il faut en croire César

(<)«MM-tpatMantem ejMa[Oivtdb] quidam, BatdotMMnomine, contra metpauh.y

M"xtt raU.aem, qo~t quaicamquesunt et nttMomodo« dtBbmot sunt eadem. Deus et materla primaet nnyesunt. et nulle modo d)<!erxnt.« ergo sunt eadem. antem gr<.ce. latine Maat mens. Bt volebat quod ita sehaberet noye ad tateth-cHtmet ~tetttgtbUia stcat M habet yte ad MMtMtta.Quod!°. nullo modo aitebatur probare QomMmquenoUamdiffeMMUamhahent .u<bm.d. Me~nt; dtctt enhn AdatoteteB.ln V)t ~WMm, quod Me.

a quo non<' 8""ptMa aMtem~:M-. ~Uam dfa-ere.Mamhabent..t~ta at

~eMUam habe~nt. MMpMttaeaMnt.tteu.. y!e. Moy<stmpHctapftmaM.t, te~ autlam habent dt~eathun, nallo modo dWe~t! ot Bte. per eonMqaeMeadem sunt. Et hw est proposttM.ntpat~. Et h~t fortiora q~ de e~Mht. adme pefveMMnt. < (<<~ef«~<~ cp~w, t. xviM, p. 82.)

Page 121: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEN AGE. ))7

d'Hoistcrbach, tout à fait d'accord sur ce point avec Guillaume lettreton, <'ils disaient que Dieu était dans Ovide aussi bien que danssaint Augustin. Ils niaient la résurrection des corps, enseignantqu'il n'y a ni paradis ni enfer, mais que celui qui connait Dieu pos-sède le paradis, et que celui qui commet un péché mortel porteen lui l'enfer, comme ou a dans la bouche une dent gâtée. Ilstraitaient d'idolâtrie l'usage d'élever des statues aux saints et d'en-censer leurs images; ils raillaient ceux qui baisaient les os des

martyrs. Ils osaient proférer le plus grand des blasphèmes contre

t'Esprit-Saint, duquel procède toute pureté, toute sainteté. Si

quelqu'un, disaient-ils, possédant le Saint-Esprit, commet le

péché de fornication ou se souille de toute autre manière, sonacte ne lui est pas imputé &péché, parce qu'il a en lui le Saint-

Esprit, qui est Dieu, et que tout se fait en nous par l'opérationdu Saint-Esprit (i). Et ces doctrines n'étaient pas restées Al'étatde pures théories ceux qui les enseignaient, se hâtant de lesmettre en pratique, s'abandonnaient aux plus honteux désordres.

Malgré l'imputation que Martin de Pologne et NicolasTriveth (2)en laissent peser sur lui, Amaury de Chartres n'avait pas donnéde tels exemples; et, lorsque des assertions relativement timides

qu'il s'était permises on rapproche les scandales offerts par ses

successeurs, on ne peut qu'être frappé, nous ne dirons pas du

progrès, mais de la déviation qui, en l'espace de quelques an-

nées, s'était, à Paris même, opérée dans l'enseignement philoso-phique. A quelles influences cachées ce mouvement doit-il être

imputé ? C'est ce qu'il s'agit maintenant d'examiner.Et d'abord David de Dinan, comme Amaury, non pas au même

degré, mais dans une certaine mesure, ne s'est-il pas inspiré desdoctrines do Scot Érigène? Nous avons plus d'un motif pour lecroire. Le premier motif, c'est le titre de l'ouvrage attribué, endivers passages d'Albert le Grand, à David f< ~WMM: Z~<y< /<w!M.A ce titre, il est difficile de ne pas reconnaitre soit le

(1) Nce«eMf<<M~<<. de JR'aMee,t. XVH,p. (t3. Donofonte,Bibi. P«<<'«MtC«t<e'-ct(!<M<<(m,iaeo, to-M. t. M, p. 140.

(2) « Dixerat [AtmaftctM]ettum, tttter atta, quod in charttate MMtttutis nuMum?<*<catmn !mpntabatu)'.Unde, Httbtaït spoclepte~tts, ejM Mquac"<omnem turpHudi-

Il nem comMtttebattt. (CA'WM<coM,). t.) Martin de Pologne, et Tdveth. d'aprëa lui,attrtbut'nt, datM<'«t~ttagf, AMam'y <? qui ti'a <!tévrai '{uc dt''t <!toe!p!<'MJe Davtd.

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tt8 EXCUttStONS HtSTùBtQCES ET PHtMSOPMQt ES

traité de Scot, De <~pMM~<'M~w<~ soit un abrép quelconque dece traité. En second lieu, on rencontre chez Scot plus d*nn pas-sage qui, interprété plus ou moins fidèlement, mène à des con-

clusions très voisines de celles de David. Ainsi, que soutenait

celui-ci? Que Dieu et la matière première se confondent. Or il

n'y a pas très loin de cette thèse et des arguments sur lesquelselle se fonde au passage suivant du Ilept ~<KM;{Mpt~oS(i) « Il« n'existe. que deux choses qui ne peuvent absolument pas être dé-« finies, savoir, Dieu et la matière Dieu, l'être infini et indéter-« miné, qui, étant la forme de toutes choses, ne reçoit lui-même« aucune forme; la matière, également infinie et indéterminée,« qui, étant par essence susceptible de recevoir toutes les formes« sans en posséder aucune, n'a nul besoin d'être déterminée. Telle« est la ressemblance de la cause première, de laquelle tout dé-

rive, dans laquelle et par laquelle tout existe, à laquelle tout« doit retourner, et de la cause dépourvue de formes, je veux dire« la matière. n

Enfin il faut se rappeler que Scot rejetait le dogme de l'éternité

des peines; qu'il croyait à la victoire définitive du bien sur le

mal, de la bonté infinie sur la méchanceté des démons; ce quirevenait à nier, comme les disciples de David de Dinan eurent A

s'en défendre, les enseignements de l'Église sur l'enfer.Ce sont là les points de rapprochement que nous apercevons

entre Scot Ërigène et les hb~étiques du xm" siècle. Mais Ërigènen'a jamais fait de la confusion de Dieu avec la matière la basede la métaphysique. Il ne niait ni la résurrection des corps ni les

joies de la vie future. Malgré le caractère idéal et mystique de

sa doctrine, il ne condamna pas comme une œuvre de supersti-tion les pratiques religieuses ni le culte des saints. Il n'autorise

pas les désordres de la passion, sous prétexte qu'ils sont l'effet de

l'opération du Saint-Esprit dans les âmes. Quelles que soient ses

erreurs comme théologien et comme philosophe, il enseigne une

(t) «DuoMhttnmodoesseqaœnnHomodoposantdeCniri,DenmvtdeUeetatqat'e materiamDem,shpttdeminMtos mtbnnhqM,qnama noMoformatur,dmnsKt. formaomntum;materhshnMttertnRtrmbet inBaHa,aMamdenon t~nMtHind!gf<a nnif~ne,dumpersenontMmata,sedtbnnabMbsit.EteastmititadoeMMBomnium«Mqaa,etinqa)Ktperq)MMnetadq)mmomniasant,ettpsi<MeaaMeMbnBis,dieo« autemmatedœ (Ub.t, Lvnt,p.60.)

Page 123: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSM MOYEXA<:E 119

morale généralement pure et élevée, qui pousse l'&me aux élansde la piété plutôt qu'elle ne l'incline vers un grossier sensualisme.

L'innuence de Seot Ërigène ne suffit donc pas pour expliquerle mouvement qui s'est manifesté dans les écoles au commence-ment du H!M"siècle; et en admettant quelle y ait contribué, ce

que nous croyons exact, elle a été certainement associée à d'autresinnuences plus actives, plus eMcaces. qui ont, en dernier ressort,décidé de la direction suivie par les novateurs. Ces influences,

quelles sont-elles?

Tons les historiens s'accordent à reconnattre que, vers t2u9, di-vers ouvrages portant le nom d'Aristote, ou du moins relatifs à sa

doctrine, qui avaient été depuis peu introduits en Occident, cir-

culaient dans l'Université de Paris (i). Selon Guillaume le Breton,ces ouvrages arrivaient de Constantinople et étaient traduits du

grec. Ils roulaient sur la métaphysique <~MeA~/M!f/<~AyMew~.Suivant le continuateur de la chronique de Robert d'Auxerre, ils

concernaient la philosophie naturelle w.f/ww/</<M~-/)AMMMc~ Tel est également le titre que leur attribue la sen-

tence du concile de i2i0. Le concile crut reconnaître que ces

écrits favorisaient les erreurs déférées à son examen, et que,

après Amaury de Chartres et David de Dinan, ils pouvaient sus-

citer d'autres hérétiques. Aussi la lecture en fut-elle expressémentinterdite, soit pour un temps indéterminé, si l'on s'en tient aux

termes de la sentence du concile, soit pour trois années seule-

ment, selon Robert d'Auxerre. Cette interdiction fut renouvelée

par le statut que Robert de Courson, légat du saint-siège, donna

en 1215 à l'Université de Paris; elle n'a été levée, sous de nom-

breuses réserves, qu'au temps de Grégoire !X, comme nous l'ap-

prenons par deux bulles de ce pontife du 23 avril 1231, qui avaient

échappé à tous les historiens, et que notre savant confrère M. Mau-

téau a, le premier, retrouvées et mises en lumière (2).

Quelques écrits d'Aristote, supposés ou authentiques, voi!<<

ft) e tn<MebMUMetegebantarParbiMMbeÏMquidamabAristotele,ut dicebantur,« eompoMtt,quidceebMtmetaphy~cam,detatide nevoa ConstMtMaopoKet a gMee<ta tniananmtmnstati;qnt,qaoniamnonMimnprœdtctehœreftsententHssabtUibtM«ceoMteBempNebebant,imoetalitanondmm!)tventt9prmbeKpesstmt,jassiMtttom-a néecomburi.» (GotUamneleBreton.A<e.desF~. de ~resce, XVn,p.84.Cf.RobertdÂMen-e,Jh-c.dMtfM. de f~ttee, t. XVtM.p.979.)

<2)D<tBoat)~,m~.CMe.ParM.t.ut,p.8t.–BAtgeat~, Co<<~<o~«d<e<eM<M

Page 124: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

KXCUBSKMSHiSTNMQMSETPtMt.tMOPtMQUEttt-M

donc. suivant une autorité assurément très grave (le jugementd'un concile contemporain), la source tà laquelle les successeurs

d'A)Maury, je veux dire David et ses adhérents, sinon Amaury lui-

même, auraient puisé les fausses directions qui les ont égarés.

Maisles ouvrages d'Aristote. ceux-là mêmes qui ne se rapportentni à la logique ni à la morale, mais à la philosophie naturelle et A

la métaphysique, qui ne peut eu être séparée, sont en grand

nombre, et il n'est pas facile de discerner ceux que le concile de

HIC eut particulièrement en vue. Est-ce le douzième livre de ta

.M~a~yMyw~ consacré à l'exposition de la théodicée péripatéti-cienne ?Sont-ce tes livres de la My~yw? Est-ce le traité f~w?

Ne seraient-ce pas plutôt quelques commentaires de ces diCerents

ouvrages, que ces commentaires fussent 1 œuvre des ~rees ou

l'œuvre des Arabes?

Que la 3f~~y~w d'Aristote ait été connue de David de Di-

nan, nous n'avons aucun motif de le contester; mais il ne nous

parait pas qu'elle ait en rien contribué au développement de sa

doctrine. En effet, ni sur Dieu, ni sur l'Ame, ni sur la matière,elle ne contient d'assertions qui favorisent les erreurs condamnées

au concile de Paris. Loin de là, Aristote y distingue quatre espècesde causes la matière, la forme, la cause efficiente et la cause

finale; distinction capitale, exposée dès le premier livre de l'ou-

vrage, en partie contre ceux qui prétendaient tout ramener à un

seul principe. Au douzième livre, Aristote démontre l'existence de

ta cause première par le mouvement; il fait consister la félicité

de la nature divine et toute sa perfection dans l'acte ineffable de

la pensée qui se pense elle-même. S'il altère la notion de la

Providence en concevant Dieu comme étranger au gouvernementde l'univers, cette grave erreur, autant qu'on peut en juger, n'est

pas de celles qui circulaient au commencement du xm" siècle

dans les écoles de Paris.

Nous inclinerions à croire que les livres de la Mys~Mp n'étaient

pas étrangers à David de Dinan, et que c'est en tes étudiant qu'ils est familiarisé avec les spéculations des anciens philosophes sur

la matière et sur l'unité de principe. Peut-être même ne serait-il

<<e«Mb <MW<ttM,Latetiœ PatMmrmn, t7M, ht-M. t. Il. p. m et Mdv. –Amahte

Jeardain, ~eeAtM~ sur r~e el feW~ae des <KK~Ne«OMd'~W<f<~e,a*Mit. p. M7

rt suiv. Wo«<eaet e~o<~ des OMMMtW~,t. XXt, 28partie, p. 322et saiv.

Page 125: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TB~VEM M: MQYE?! AGK. )'<

pas téméraire d'auirmer qne David a connu, par une tratluction

aujtourd hui perdue. quelque fragment du petit traité conttt) Me-

tissusetXénophane, dans lequel se trouvent énoncées des propo-

sitions très voisines de celles (lue les contemporains de t~vid hn

Httribua!et)tt.

Au reste, si, en l'absence d'un texte p~c!s. la critique ne peut

procéder tpte par voie d'h;TM)these, elle a cependant, pour échn-

n't' sa marche, un guide preeteux c'est AMM'rtle Grand.

A plusieurs reprises, nons l'avons vTt, Albert a parlé de David

tie Dinan; il connaissait a fond sa doctrine et il en savait t'origine.

Ur. entre tons tes reproches qnit adresse A David, la première

tante dont il le Marne, c'est d'avoir suivi sans le bien compren-

dre. Alexandre te péripatéticien. Apres avoir exposé t hypothèse

de l'unité de toutes choses, « telle fut. continue Albert, l'opinion

« dn péripatéticien Alexandre. David de Dinan y a fait, selon ses

moyens, quelques emprunts; mais il ne t'a pas pleinement ni

profondément comprise. ~y<w/ ~<, ~ww/WM

~a~ <A' M<o ~t' ~< ~~w~ ~<w w/~

A'r~ (t). Cet Alexandre, disciple d'Aristote, quel autre peut-il être

qu'Alexandre dAphrodisiade,le plus célèbre des anciens com-

mentateurs du Stagirite ?Cette conclusion soulève, il est vrai, une objection que suggère

te texte même d'Albert. Ce dernier, en effet, prétend que la se-

menée des erreurs enseignées par David de Dinan est un hvrc

d'Alexandre dans let~el sont reproduites les doctrines de Xén

phane (2). Or, qu'Alexandre ait été, Aquelque degré que ce soit,

le sectateur de Xénophane, c'est là une supposition que contre-

disent et la lecture la plus superficielle de ses commentaires et

tous les témoignages historiques. Albert s'est donc, sur ce point,

gravement trompé. Avait-il entre les mains l'ouvrage auquel il

fait aUusion? Ne l'a-t-il connu que de seconde main? Qu'était-

ce que ce livre apocryphe, et questril devenu? Nous manquons

de renseignements pour répondre à ces questions.Un seul point

résulte avec évidence du rapprochementdes textes c'est que

toutes les fois qu'Albert prononce le nom du pérîpatéticienAlexan-

(t) ~~apA,lib.l, tnet.IV, r. VI.Opera,t. III,P.3.t9)H~MpostUMtMMHigmtiMMlibroAlexandriRKM!Fn~dmaPwipaMh:.

a ~nte~niMMa!~tMXenophantspostm)aMwepK. (?«<.p. ~.)

Page 126: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

KXt t hStoxs tHSTUMQUESET PM)t<CS<H'HtQms)!'<

dre. il Men vue le célèbre interprète du Stagirite. Faut-il rejeterabsolument ce témoignage parce qn il est mêlé de jugements er-

ronés, et que. malgré son érudition, vraiment prodigieuse pourte «M siècle, l'auteur ne connait que bien imparfaitement lu

pinlosophie ancienne? Une telle rigueur serait ici ires inoppor-tune, et, dans la fecherche épineuse que nous avons entreprise.il nous parait phts sa~e de recueillir tons les indices qui s'offrent

a nons, sauf a les rectifier s'ils sont inexacts et a tes compléters'ils sont insuffisants, coBr.menous allons essayer de le faire.

Ce n'est pas ici le tien (~epaMonnr tes nombreux commentaitet

qn Alexandre a laissés, ni même d'en dresser h. liste. On n'ignore

pas qu'il existedans le nombre un double commentaire sur te traite

/Mf, et un extrait de ce commentaire, qui forme un opnscntea part sous ce titre /M~'AMy~w<'< <A'/7~AA'. Or nous

croyons être en mesure d'établir, sinon avec une complète certi-

tude. au moins avec une vraisembtance assez haute, que ce sont

précisément ces écrits et le traité anquet ils se rapportent qui.mètant tenr mnnence à eHe de l'ouvrage de Scot t~ri~ne, ont

égaré David de Mnan et l'ont poussé aux conclusions qui lui sont

imputées.

Reportons-nous ait troisième livre du traité /M~. & ces

théories sur entendement, aussi ardues que célèbres, qui ont fait

le tourment de plusieurs générations d interprètes. Aristote appli-

que la distinction métaphysique, fbndamentate a ses yeux, de ta

puissance et de l'acte, de la matière et de la cause etnciente ou

motrice. tt admet deux états, deux formes de la pensée, ou, selonses propres expressions, deux entendements l'entendement possi-ble ou en puissance, et l'entendement en acte (<). L'entendement

possible ressemble à une tablette à écrire sur laquelle aucun carac-tère n'a encore été tracé; susceptible de tout connattre, il ne pos-sède aucune connaissance il a donc le même caractère essentiel

que la matière, puisque, simple et sans mélange,dépourvu, comme

la matière, de toute forme, il est apte à les recevoir toutes et à su-

bir l'impression de tous les intelligibles. Dès que cette impressions'est fait sentir à l'entendement, sa virtualité se détermine il de-

vient la pensée en acte, dont le propre est d'avoir un objet qu'elle

t) Deanima.édit.TMndetentMttfg,lib.M),v, p.9t etsuiv.

Page 127: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVHMS LE M«YEX AKK <'3

pense aéettement. guette est la nature de t entendenn nt? Msemitte

qu'il fait essentiellement partie de t'ame; que, au contraire. il est

indép<ndant de torjS'anisatien; que. pouvant t'n être sépara, il

peut lui survivre. et <ptainst ra<nt' renfennf une p<n't!e imn~'t

tettc t't vra!ntcnt divine. MaissMrc<'stMfRSK'ntspoints, <t Macint-

puftanee majeure, Aristote s'exprime avec un taconisnM*dést't-

~rant et av<'<*unt*teth* obscurité tpu' sa doctrine a donné Met).

dt'st'antMpMtM,a deux interprétations opposées l'une favoraMe.

l'autre contraire &la spintnaMté dn principe pensant. Or a t inter

pretation matérialiste est attaché le nom d Alexandre d'Aphrodi-siade (<). Msoutenait que l'entendement actif est que~ne chos<

d'extérieur il t âme,non pas un pouvoir qui lui soit propre, mais

une lumière venue du dehors, qui rayonne dans Fintetti~ence.

l'éclaire. ta meut et entendre la pensée. Quant a t entendement

possible, le seul, suivant Alexandre, qui appailienne A t âme, te

cétettr*' interprète du Sta~ririte considérait cette partie de nous-

mêmes, a laquelle il réduit notre être spirituel. commete résultat

du mêtan~e des éléments dans le corps humain en un mot. comme

un eMetde ~organisation. Il n'admettait pas, dès tors, que t'intet-

ligenee ou t'&me pût subsister quand l'organisation est détruite,

et il enseignait ouvertement qu ette ne survit pas au corps. Ana-

lysant d'autre part les caractères essentiels de l'entendement.

Alexandre faisait remartmer que l'entendement et la mahefc

ayant, d après Aristote lui-même, le même attrilmt essentiel quiest Faptitude A recevoir toutes les impressions et toutes les formes.

sans être aucune forme déterminée, ces deux natures se ressem-

htent et peuvent être comprifes dans la même définition, tte ta

vient qu'il donne en termes exprès & l'entendement possible

'[ualiBcatton de w~Aw/, qui ne se trouve pas, &notre connais

sance, dans Aristote. « L'intelligence, dit-il, qui ne pense pas« encore l'intelligible, et qui a seulement la puissance

de ie peu-« ser, est quelque chose de matériel, ~M~, (à). »

Telle est la doctrine qu'on trouve exposée dans les commentaires

(t)BrtMh'r,BM.<vM.philos.t. M,il.481. tUMer.i?~. de la~~M. aie. L tV

de latmd.~Mc.p.M2. Ravaisson.~<M<sur la JW«<f&?~Med'~W~<'<e.t. tt.

P.MM.(2)Ne9t< t~ttM M~, &M~M«e;? t.t<M:te<T~~tt. <M!' S' <

<~o~t ~<h. <<)~n4t~o9:.(CfOM'mo.V<'tM't!b.<5M.in-M M. t43~.)

Page 128: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

)9t MXCmSMMM MtSMmtQtES KT PH<MSt)PH<WJES

d'Alexandre sur le traité /M<e et dans l'opuscule De ~t~

~~f /M~~r<A~, qui en est extrait. Cespérilleuses inter-

prétations de la pensée péripatéticienne étaient parvenues, dès les

premières années du xtM"siècle, à la connaissance des théologiens,et le danger qu'elles présentaient n'avait pas échappé à ces der-

niers. Guillaume d'Auvergne consacre ailes réfuter plusieurs cha-

pitres de son traité f~M<?, s'enorcant d'établir contre le té-

méraire disciple du Stagirite que l'existence de 1 âmene dépend

pas du mélange des éléments, mais qu elle a sa vie propre et quecette vie est immortelle. « Comme, entre tous les philosophes grecs« et tous les commentateurs dAristote, dit-il (i), cet Alexandre

n a pas jeté un éclat médiocre, il importe d'autant plus de eom-« battre ses maximes, qu'elles peuvent faire plus de mal et en-

« tramer des esprits mal exercés et peu instruits. D'un côté, en

« elfet, les esprits de ce genre sont faciles à égarer: et, d'un autre« côté, l'autorité de ce philosophe et sa réputation de sagesse« donnent une certaine créance &ses sentiments, qui trouvent par« là plus de facilité à pervertir les âmes. Albert le Grand combat

aussi, en maint passage, les théories d'Alexandre d'Aphrodisiade;il les lui reproche dans les termes les plus amers, comme des

erreurs indignes d'un esprit aussi éminent, comme des extrava-

gances destructives de tonte grandeur morale, qui doivent être

repoussées d'une manière absolue et bannies de la société des

hommes (2). Saint Thomas d'Aqnin ne s'exprime pas sur ce sujetavec moins d'énergie que son maKre Albert.

Lesindications qui précèdent, et que nous aurions pu aisément

(t) Qata !nterGMtesphUeMpheset apadArMoteMsMpaa!torMnonmedlo.« criterctamitMepMhtMptMM),eostadhMtaset peKenttattMejnerminandaest ej<M

fwntenttaerrorquedestmendas,qoo vaMdMrest ad Meendamet sab~ertendampMmneMrcKatMetadnmdiemndoctesfjnserror tma quiafjMmodihom!aMadCMdM)dmnmagis<ae!teadmtquamoporteat,tomquiaetMacetoritaset sapientiaiientenMam~a~CMdiMMMen)eNdunt,et, at itadleator.!npentMemaBdientinm

« famdeme'tacNNmt.a (G«<HehM<~~era<,f~Mept~eWt~eN<<<,opera,AoMtta'<te7t,in.& t. H,p. tt4 etMir.)

9) «Atetande~etsi tn mattbbenedixerit.tamentomateriahaepejusM<tn!ht!<«determhMvM;etMq~Karexdtcto~MsanimamcmneorporepettM,etantmamatte*« fartatteratecorpore,etmottaallaqumabsurdissimasuatet daw philosophomi-a M)Mdigna.QMamob caasamabjiciendaest peaMasMtenthtsta et extragènes« ttomummeittenainanda.taaqnamerrorpeasimasexqmototinsnoNIttatiset perpe-« tultatisantma*intetteet~œseqaitnrdestntctto. (Deo~mc, lib. M!,tMet Il,<ap.n. Opéra,t. Mt,p. t3e.)

Page 129: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATBAVKn~<RMOYKXA<:H t

multiplier, suffisent pour faire apprécier la réprobation que les

doetrines d'Alexandre d Aphrodisiade avaient encourue, et sans

doute aussi les ravages qu'elles avaient d~A produits dans tes

écoles chrétiennes au commencement du xtM~siècle. Maisce qu it

est important pour nous de faire remarquer, c'est queces mem<-s

doctrines sont précisément celles dont nous retrouvons la trace

chez David de Dinan et chez ses disciples. En effet, nous avons

entendu David professer, comme 1 avait fait Alexandre 1 Aphro-

disiade, que la pensée a le même caractère essentiel que la ma-

tière, savoir l'indétermination don il conclut que la matière et

la pensée ne sauraient être distinguées t'une de 1 autre ce (lui re-

vient, en bonne logique, a afnrmer leur identité. Quant &F 'pinion

des disciples de David sur l'enfer et sur le paradis, c'est-à-dire

sur la vie future, qu'ils n hésitaient pas &rejeter, en plein moyen

a~e, comme des croyances superstitieuses que la raison désavoue.

comment ne pas y reconnaitre, sous une forme, il est vrai, moins

métaphysique et plus populaire, la doctrine même d'Alexandre

d'Apbrodisiade sur l'anéantissement qui est réservé &i'ame lors

de la dissolution du corps? Alexandre d'Aphrodisiade peut donc

être Abon droit considéré comme ayant fourni, on du moins

comme ayant contribué à fournir le germe de ces nouveautés,

qui parurent si monstrueuses a t'Université naissante de Paris. le

fait est attesté par Albert te Grand et ~/<yw</ .i/MM~ ~<

de DAM~~o<MC<M~;et ce témoignage si considérable est cosarmé

par le rapprochementdes assertions authentiques de David avec

les doctrines du philosophe grec. Aussi, lorsque nous nous repor-

tons au décret du concile de Paris qui frappa d interdiction les

ouvrages d'Aristote sur la philosophie naturelle, et les commen-

taires qui s'y trouvaient joints, nous ne croyons pas nous trom-

per en supposant que ce mot de co~MM~~cdésigne les commen-

taires d'Alexandre d'Aphrodisiade sur le traité !tept

Par quelle voie la connaissance de ces écrits et de la doctrine

qu'ils renferment s'est-elle répandue en Occident? La voie qui pa-

rait la plus vraisemblable, ce sont les versions latines, faites sur

le texte grec, et nouvellement apportées d'Orient, dont parle

RniMMUMle Breton. Toutefois une traduction du petit traité

De fM&MCf et de fintelligible, qui a très anciennement cir-

culé chez les chrétiens, parait avoir été faite d'après un texte

Page 130: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

<2': KXCURSMMSMMTUMQUKSt!T t'HtLOSOPMt~~es

arabe. Cette traduction existe encore on la retrouve dans deux

manuscrits de la BiMiothëque nationale, tous deux du X)))*siècle,et dont l'un avait appartenu à Gérard dAbttevitie, qui le téguaaux étudiants en théologie de la maison de Sorbonne (<). t~n

écrivain de t âgede ta Renaissance, Jérôme Bagolini, fait remar-

quer, avec peu d indulgence, que cette vieille version, rédigée A

une ép<M~uede barbarie, est écrite dans un style embarrassé, et

que, de la première page Ala dernière, ette est criblée d~erreurs (2).Tette qu ette est, avec ses défauts, que nous ne contestons pas, ette

suffisait pour faire connattre .~exandre d Aphr'tdisiade dans les

écoles chrétiennes. Vautres traductions des ouvrages de notre

phihtsophe sont parvenues d assez bonne heure à la connaissance

des docteurs scotastiques. Sans parler de quelques opuscules ou

fragments qui dans divers manuscrits portent le nom d'Alexandre,Atbert te <.rand parait bien avoir eu sous les yeux une traduction

latine du traité Df /« ~<M'o~, thpt {M~eM;;car it fait longuementattusion aux doctrines qui s'y trouvent développées. Quel a été te

surt de ces traductions, toutes renouvelées au xvf siècle par des

interprètes plus habiles que ceux du moyen âge? i'eut-étre ont-elles

péri comme tant d autres ouvrages. En tout cas, elles ont dA être

fort rares, même dès l'origine, enveloppées qu elles étaient, ainsi

que tout le fait présumer, dans t'anathème tancé par le concile

de Paris contre les écrits récemment apportés de Constantinople.Il s agirait maintenant de savoir si, indépendamment de l'in-

ttuence de Scot Ërigène, d Aristote et d Alexandre d'Aphrodi-siade. il convient de faire une part. dans t hérésie d'Amaury de

,t; Anctennemeottttad&deSedMntte. tTMet t7M; aujaardhn:&ads latin, t<!60'!<'t t66t3. Le dernier feuillet du manuscrit t6609 contient la t<tenthmsuivante « Mf« tH~f est paupernm<<Mg!stmn)matttden)!am Pa)Mi< ia theoïegta. ex !<'gatMMMgMriIl Gerodi de Abbatt~Vina. Le nMmnserttt6M9 t~nCmne diveM émis dAtMandf

d AphMdMade De <emp<tM; De M<Mt<et MMM<o, Q<Md«tt~MeN~tMte<MCM-weMtMM~t«'<M<<tforma et non in ~e. Latraduction du premier de eeooptMCttteaest~trtbnee à Gérard de Cr~Mtte, qui t auraHécrite dans la ville de Totede <nnM~<-~M~a mnglstro C~«f<<ftf~CNM«MM<,(N Ï~~O.

2, <'QtMtemet miM hajM epttt~ttMDe <a<eMttc<<t,tncerto interprète, hb dtebtM, amenuaquamante MtittmdteMam,vMiMeeo)~!git~nterpretathmem) ia qm~ pMeter

t t<tmthM!9!Nt<t!ntatnMr~M, errata mmmatto verbis paoetora, ab !pM stattm Km!M« ~teateem <Nq<M.sese !egea<MnMB<d)bdttcterant. f ~H~M~a~Fa~<t< t%nMM<M«M <a<e~~a«o<MM ~hsMtMM ~p&M<«.!e<De <aM<ec<Mpr. Vemam, t&tN.ta-4*.)

Page 131: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATMAVKMSMOYKKAt.K t'~

Chartres et dans celle de David de Dinan, A rinHuenee des écri-vains arabes. Ncus ne le pensons pas. Le célèbre ouvrage d tbu-

<birol, la ~oM~cf t'M*.le livre f~ CM~~ et quelques écrits

d Averroès, destinés à devenir un peu plus tard un ferment d'agi-tation, étaient sans doute traduits et commençaient, dès les pre-mières années du xnf siècle, A trouver des lecteurs et des disci-

ples dans les rangs de t Universitéde Paris; mais nulle part on ne

tes voit cités par les contemporains comme ayant été connus d A-

maury ni de ttavid, ni comme ayant contribué au développementde leurs doctrines. Quelles que soient les analogies que la critique

peut constater entre tes opinions de ces deux novateurs et celles

d'tbn-Cebirot sur lit nature des choses et en particulier sur t:'

matière, nous doutons que t historien soit autorisé Aétablit entre

tes uns et les autres un rapport de filiation. Ce qui nous parattressortir au contraire avec quelque précision des recherches qui

précèdent, cest que Scot Éri~ene et Alexandre dAphrodisiadesont les véritables auteurs du mouvement philosophique. promptement comprimé par l'autorité religieuse, que les premièresannées du xnt siècle ont vu éclater dans le diocèse de Paris.

\maury de Chartres s inspira de Jean Scot Hrigène exclusiv

tuent, et entreprit de relever dans les écoles sa doctrine oubliée.

t~avidde Dinan, an contraire, suivit, outre Jean Scot. Alexandre

d Aphrodisiade, sur la trace duquel il se perdit dans tes voies du

matérialisme.

Le xv" et le xvf siècle étaient jusqu ici la seule époque, de-

puis l'antiquité, où les traces de la doctrine d Alexandre d Aphro~disiade eussent été signalées par tes historiens, et dans laquelleil parût avoir exercé une sérieuse influence sur la marche de la

philosophie. En euet, il inspire alors Nicolas de Cus, Pomponatet l'école de Padoue il est le promoteur des tendances rationnelles

qui poussent la métaphysique Améconnaître la nature spirituellede l'homme et la personnalité divine. Mais~ fait curieux et trop

ignoré, trois cents ans auparavant, lors de cette preauère renais-

sance de la philosophie ancienne, qui s opéra au XHf siècle sous

t'innuence des livres d'Aristote et des Arabes, introduits eu Occi-

dent, Alexandre avait eu sa part d'impulsion et de direction dans

le mouvement considérable imprimé aux écoles. Sescommentaires,

comme nous venons de le voir, avaient frappé les esprits; ses doc-

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t98 EXCCRNON8 N8TOMQUJË8 ET PmMSOPNtQOES

trines, quelque contraires qu'elles fussent au christianisme, avaienttrouvé des partisans; et si, dès son apparition, cette école de ma-tériatisme avait été dispersée par la vigilance rigoureuse du pou-voir ecclésiastique, c'est qu'elle avait devaucé les temps et qu'eU<'ne pouvait être, en un siècle de foi, qu'un sujet de scandale et de

persécution cruelle. Cependant, malgré les anathèmes et les bû-

chers, il est probable qu'elle ne fut pas étouBee entièrement et

que ses débris allérsot rejoindre la secte plus dangereuse encoredes Averrotstes, contre laquelle Atbert le Grand et saint Thomas

d'Aquin ont soutenu, au nom du christianisme et de la philosophie.de si vives controverses.

Page 133: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EMCMmtMnNWtmtcm. 9

DISCUSSIONDE QUELQUESPOINTS

PB

LA BIOGRAPHIEDE ROGER BACON.

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Page 135: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

DISCUSSIONDE QUELQUESPOINTS

UK

LA BIOGRAPHIEDE ROGER BACON.

Roger Bacon est un des personnages les plus considérables que

présente l'histoire des sciences et de la philosophie au moyen âge,

et, en même temps, c'est un de ceux sur lesquels nous possédons

le moins de renseignements. Comme le remarquait dernièrement

l'auteur de la monographie la plus savante et la plus complète

qui lui ait été consacrée (i), son nom n'est prononcé ni par Vin-

cent de Beauvais, ni par Tritheme; les premiers biographes qui

aient parlé de lui sont Leiand, Bale et Pits. Ce qu'ils rapportent

de sa vie et de ses travaux a passé dans les ouvrages de leurs suc-

cesseurs mais à quelles sources avaient-ils eux-mêmes puisé tant

d'informations? Nous ne le savons pas; et les erreurs qu'ils ont

commises en maint passage laissent planer un doute sur leurs as-

sertions, lorsque celles-ci s'offrent à nous sans autre garantie

que leur propre parole.Serait-il possible, avec les matériaux dont nous disposons au-

jourd'hui, de dissiper entièrement les obscurités qui environnent la

naissance, la famille et beaucoup de points encore mal ëclaircis

de la vie de Roger Bacon? Nous sommes loin de le penser, et, en

tout cas, nous n'avons pas une si haute visée. Notre unique dessein

(t) Jh~ef~cc<Mt,<o M e«M~M.ses<<oe<WMM,<<'a~ <~e< <)t<M«<

parËMMcChartes,PMhtt<?<,tn- f. a.

Page 136: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

<39 EXCUNSMNSHtSTOMQUESETPHtLOSOPHtQPES

serait d'examiner de près quelques-unes des traditions que les

plus anciens biographes de cet homme célèbre ont les premiersémises à son sujet, d'essayer certains rapprochements qui n'ont

pas été faits jusqu'ici, de chercher enfin si une interprétationmeilleure donnée à d'anciens textes connus avant nous n'ouvrirait

pas la voie à des conclusions nouvelles, offrant un certain degré de

vraisemblance et d'intérêt.

Et d'abord, quelle est la date de la naissance de Bacon? La plu-

part des historiens s'accordent à la fixer à l'année 1214. En nous

appuyant sur deux passages de l'Opus ~WM~ nous croyons qu'on

peut la faire remonter jusqu'en 1210. Il est constant que l'C~t~K<M a été composé en 1267. Or, l'auteur y déclare que, depuis

l'époque où il apprenait l'alphabet, il a consacré quarante années

de sa vie à l'étude des lettres (1). En supposant qu'il eut appris

l'alphabet à l'Age d'environ sept ans, nous serions reportés pourla date de sa naissance à quarante-sept années avant 1267, c'est-A-

dire en 1220. Maisces quarante-sept années paraissent devoir se

compter à partir, non pas de 1267, mais de 1257, époque où Ba-

con, suivant un autre passage de l'Opus ~w~ sur lequel nous

aurons à revenir, se retira des écoles et commença une vie, nou-

velle pour lui, de silence et d'oubli. Nous nous trouvons ainsi re-

portés A1210, et cela avec d'autant plus de vraisemblance que Ba-

con, en 1267, se représente comme déjà vieux, M!eMMP~t(2), ce

qu'il n'aurait pu faire s'il n'avait compté alors que quarante-septans. On conçoit aussi qu'étant né en 1210, et ayant, par consé-

quent, vingt-trois ans en 1233, il ait pu, à cette date, figurer

parmi les clercs de la cour du roi d'Angleterre et se signaler, dans

une scène que raconte Mathieu Paris (3) par la vivacité spirituelleet presque audacieuse de ses reparties.

Maisquelle était la patrie de Roger Bacon? Suivant l'opinion

unanime de ses biographes, il serait né en Angleterre. Antoine

Wood assigne même avec précision le lieu de sa naissance ce serait

la petite ville d'tichester, dans le comté de Sommerset (t). Wood

(i) Fr. Ne~eWBaconopera?tM~<MtAae<e<MM<ne</Ma.EdKedby J. S. Brewer,London,M5C.in-8".p.? « MoMnmiaboraviin scieatiiset linguisetposuijamqma-dragtntaannospostquamdîdïciprimoatphabetam.»

(9)OpusNM~tM,cap.x,edit.VenetUs.t7M,in.M.p. t9.

(3) JM~~M-htaM~ t~ndia!, M40, Jn-M. p. 386.

(t)Historia«<<&?<«<!<?OtMMttOM~in-fol.p.i36.

Page 137: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MOYENAGE. 183

en réière sur ce point à un ouvrage manuscrit d'un érudit anglais,John Rowse, lequel vivait deux cents ans après Bacon, car Tanner

le fait mourir en i ~9i (i). A l'appui de l'opinion émise par le savanthistorien de l'Université d'Oxford, quelque répandue qu'elle soit,nous voudrions un témoignage plus décisif; mais nous n'avons

découvert ni dans Bacon, ni dans les documents contemporains,aucun texte qui l'appuyât. Nous sommesdonc obligé, jusqu'à plus

ample information, de la considérer comme une conjecture pure-ment gratuite. Ce ne serait pas, d'ailleurs, la seule fois que les

biographes anglais se seraient hasardés à émettre des hypothèses

auxquelles on peut en opposer d'autres qui sont, à tout prendre,aussi plausibles. Voici un contemporain de Bacon, Adam de Ma-

risco il serait également originaire, selon Leland, du comté de

Sommerset; le savant éditeur de ses lettres a la franchise d'avouer

qu'il ignore sur quel fondement repose cette opinion, (lue cepen-dant il veut bien accepter, le comté de Sommerset pouvant aussi

bien qu'un autre, dit-il, réclamer l'honneur d'être la patrie de ce

personnage (2). Nous sommes moins accommodant que M.J. S. Bre-

wer, et nous serions tenté d'être moins réservé que lui. Serait-il

donc contraire à toute vraisemblance de soutenir qu'Adam de Ma-

risco était originaire, non pas du comté de Sommerset, mais d'une

petite localité de Normandie, voisine de la ville d'Eu, dont l'église

s'appelait au xm~ siècle ecc/~sM<&~Mo~co qui s'est appelée de-

puis ~M<M'<M~le A<M'MMMM~,et qui se nomme aujourd'hui PoNTSET

MARAÏS?

Constatons, sans insister, qu'Adam était en relation avec l'ar-

chevêque de Rouen, Eudes Rigaud; qu'il avait parmi ses amisun

certain Pierre de Pontoise; qu'il s'intéressait aux aNaires de France,

qu'il en écrivait et en faisait écrire à la reine Blanche de Castille (3);tous indices qui semblent trahir une origine française.

Nous revenons à Roger Bacon.

Irons-nous jusqu'à prétendre que Roger Bacon n'était pas An-

glais ?Nous avons deux motifs pour ne pas pousser le scepticismeaussi loin. Le premier, c'est que Bacon est quali&é d'Anglais par

(t)B<M(o<&ee<tBW<OMM<co.~f<terK~Londini,1748,in-fol.

(2)~e)M<MeH<a~HC~eaM, editedbyJ. S.Brewer,London,<8M.ht-8",p. t.MVtetMxvn.

(3)~(t~deJMaWMOepb<o~ep.vt,vu,ccxvt;ibid.,p.?), M,38t.

Page 138: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

):« KXCCnStOXS MtSTOMQ~ES KT !MM'SOt'M)Qt KS

deux écrivains de la ?0 du xtv* siècle et dit commencement du

xv~ siècle, Pierre d'Ailly (t) et saint Anionin;le second, c'est que

t'Angteterre est. de tous les pays, celui qui possède le ptus grandnombre de manuscrits de ses

ouvrages.Encore que ces manuscrits

ne portent pas dans leur titre 1 indication précise de la patrie de

fauteur, on ne saurait s étonner qu'un écrivain dont tes ouvragesse rencontrent si fréquemment dans tes bibliothèques d Oxford.

tle Londres et de Cambridge soit revendiqué par l'Angleterrecomme l'un des siens. Toutefois, pour confirmer cette induc-

tion, it ne serait pas inutile de connaître a quette famitte Maçon

appartenait. Or, sur ce point, plane encore beaucoup d obscurité.

Bacon nous apprend lui-même qu il sortait d une famitte nobte,

ricbe et nombreuse, engagée a certain degré dans les attires du

temps. Pouvons-nous retrouver quelques vestiges certains de ses

ancêtres?

Au siècle dernier, Dugdale, dans le grand ouvrage qu it a inti-

tulé ~'<M«~/WM~a retracé l'histoire des anciennes iamitles d An-

gleterre: aucune famille du nom de Bacon n'y figure.Cenomse rencontre une seule fois dans I'w/M<w< me~~<

<V A~ de sir Henry Ellis, parmi ceux des tenanciers dont ta

possession était antérieure à la conquête de l'Angleterre par tes

Normands (2). Nousl'avons inutilement cherché dans cet ouvragesur la liste des compagnons de Guillaume le Conquérant qui, aprèssa victoire, se partagèrent le sol anglais.

Nous avons été plus heureux, a quelques égards, soit avec le

catalogue des fiefs inscrits dans les registres de la cour de t'Ëchi-

quier au temps de Henri 111(3), soit avec les différents recueils des

anciennes chartes, lettres patentes et lettres closes conservées à

la Tour de Londres, précieuses collections publiées par les ordres

du gouvernement anglais.Au catalogue des fiefs, nous trouvons mentionnés à diverses re-

prises des personnages du nom de Bacon ou Bacun, notamment

Henri, Alexandre, Richard, Robert Bacon, et une femme, Mabille

(t)a DoctorquidamAngMcas,-<<MtPierred'AiMy,Contra~ronoatM, col.78o,danslesomîtesdeGerson,cd. t706,1.1.

(2)AycKera!tttttwdttfMoMtoB<MM<teot, by(thrHenryEMb,<?!<,!n.ft*.9vol.(3)?~~<tde ~MM, liber/&o<~ofMmCK~ wacca~ ~m~.~fcMf.7/~

Mtr.f, 1M7.in.M

Page 139: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TMAVKMtLE MOYËKAGEt)t

Bacon. Henri possédait un tief Esselir, dans le comté d oxford;

MalMlleet BotMTten avaient un a ttandindon, dans le même comté

Bichard ARmewode, dans le comté de Soutbampton; Alexandre

est qualifié de garde, cw<es, charge en vertu de laquelle certains

deniers doivent lui être payés.Les coftcctions de chartes et de lettres patentes ou closes ottrent

les noms de Bichard Bacon, de <:uiHaumeBacon, de Boger Bacon.

Ce dernier hahitatt le comte de Norfolk. Il avait un neven qui

portait te même nom que lui, ~u'it ~r<ta;t comme ota~e. et il

recnt dit roi Jean l'ordre de le mettre en liberté. Mparait nue ses

terres avaient été confisquées, sans doute parce qu'il avait pris

parti contre te roi. dans la ~uerette de celui-ci avec ses barons:

mais elles lui furent restituées des la première année du re~rnede

Henri Ht. après qm! fut rentré en grâce.

En i2:!3, nous trouvons encore un personnage du nom de Bo-

ger Bacon, le même peut-être que le précédent, et auquel te roi

confia une mission en trtandc (t).

Bes indications que nous venons d'emprunter aux sources tes

plus authentiques, it résutte qu'en An~teterre, sous te rê~ne de

Henri Mt, it a vécu un certain nombre de personnes qui, ayant été

les contemporains de Bacon, ont porté le même nom que lui, ont

appartenu comme lui, la plupart du moins. &une nohle race. et

ont habité soit ia contrée même oft ses biographes placent le lieu

de sa naissance, soit les contrées environnantes.

C'est assurément ta un renseignement qui n'est pas sans mtérêt

mais ce qui en diminue pour nous la portée, c'est qu'A la même

époque le nom de Bacon était aussi porté en France par plus d un

personnage de noble extraction.

Au nombre de ses familles les plus anciennes et les plus illustres.

le duché de Normandie comptait la famille Bacon, qui possédait

la seigneurie du Molav, aiquelque distance de Caen (2). Plusieurs

de ses membresavaientjoué un rôle dans les affaires deleur temps.

Guillaume Bacon, premier du nom. accompagna le duc de Nor-

(t) No<ttBM«etWMmc<a<MantM<M~~f-o~M~ aMen'a«.MeuranteTh.ma

Da~MHatfdy,vol. <a33,ht-fot.p. Mt, 383.634.

(9)Voyezh' mémoirehM.dq.cMFlad.MeU.~et les~n~ duM.t~.n.

parrabMB~teM,damtesA-.ttM:~.~<e< sur la ~t~. t'e' 2 m.H.

p. 607etsaiT.

Page 140: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

KXCUBStONSHtSMRtQURSETPMMA'SUt'HMUES

mandio dans la conquête de l'Angleterre. Il n est pas aussi certainque Guillaume, deuxième du nom, ait suivi, comme on la cmquelquefois, le due Robert Courte-Cuisse il la première croisade.

Au xt)~ siècle nous trouvons plusieurs personnages du nom deBacon, qui appartiennent certainement Acette même ftmitle.

On possède encore le catalogue des vassaux qui devaient Je ser-vice militaire au duc de Normandie. Cecatalogue a étu commencéen ii7â par t ontn' de Henri t!, et achevé par l'ordre de t'hitippe-Auguste peu de temps après In réunion de la Normandie a lucouronne. <tny voit figurer un vassal du nom de Roger Bachon.ou Roger de Bacon, possesseur d'un fief qui paratt bien avoir étésitué sur te territoire de Campi~ny, dans l'arrondissement doBayeux, canton de Balleroy.

En t266, un arrêt du parlement de Paris, rendu &ta re<ptète det'aM~ de Cerisy, Mtdéfense à messire Bo~er BttConde transporterau mardi le marché qui se tenait !e dimanche a Bemesq. Cft arrêtmentionne le père dudit Roger en le quaun~nt de ~w~(M.V«A/M(t); et d'autre part, dans tes lettres du i9 mai <3<H~puconvotptent a Arras l'ost du roi de Frauce, nous retrouvons parmites noms des vassaux dubailliage de Caen cetuide Roger de Bacon,comme seigneur de Montay, fief dans lequel il est aisé de recon-naître la seigneurie de Motay.

En i:t7i, en i27a, en i3M, le nom de Roger Bacon réparait, soitdans tes actes du parlement, soit dans les listes des seigneursféodaux appelés sous les armes. tin arrêt de <3<8 nous apprendque Roger avait un cousin, Guillaume Bacon, et qu'ils s étaienttous deux permis de maltraiter un sergent du roi (2). CitonsencoreRichard Bacon, mentionné dans un registre commencé en 1220et terminé en i270, comme possesseur d'un fief dans le Cotentin;Robert Bacon, appelé par lettre close du 5 août i303 à t'armée quise reunissait près d'Arras; Godefroy Bacon, qui habitait aux en-virons de Viezvi, son fils Jacques Bacon; Jean Bacon, inscrit au

nécrologe de Longuevitte parmi les bienfaiteurs de l'abbaye, etc.Sans qu'il soit nécessaire de poursuivre ces recherches plus

longtemps, nous croyons avoir sufnsamment établi que la France,

(<) i~ <??, t~NMs par le comte BeogMt, tN*4", t. t. p. M<.~) ~<<e<du ~f<<NMH<de Paris, par Il. BoatMic, Pmrb, iM7<ia-<<,t. t), p. 3M.

Page 141: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A THAVER8 LE MOYEN A'.K. <=t7

comme 1 Angleterre, a compte au x)tt* siècle plus d une tamitte

nobte ayant porté le nom de ttacon, et répondant assez fidèlement

A t idée que notre philosophe nous tienne de sa propre paM'nté.

M serait des lors difficile ou, pour parler plus exactement, it serait

impossible. A moins de <tfM'uments nouveaux, Je dm' <ptets sont ses

aît-MX. M se peut que ces tamiMes que nous truuvuns sut' les eôh's

de Km'mandM' et daus les eMMtes d Oxford et de Kw&dk sotent

reeMenM'nt disHnetes tes unes des autres: it se peut aussi qu'ettes

so!ent de shuptes brauettes d une metue Mee. ayant pour auteur

commun <.uH!aume tbMon qut avaH suivt !e due de ~~mandie

en An~teterre. Ko~et tttteoM était-il d ori~tue ao~taise san<< tuetan~e

de san~ étranger? ou tuen eta!t-)t tt on~ine nonnande. < t p:u

conséquent son nom, qut fau t'or~ueu de t An~eterre. uep<nu-

nut-n paset~ r<'vend!que parla FMtnce, ait moins pom une patt?

Xoh:: posons ta question sans lit résoudre. Xous tenious A taire voir

qu eUeest ptus incertauM' qu'on ne te croit ~etteratement: ce point

etaMi, nous ne tot'cet'ons pastes conséquence:; des indications que

nous avons reunies et qui pourront un jour ou 1 autre mettre sur

ta voie de ta vérité.

Nous continuons ta discussion de ta tuo~raphie de ttacon. Les

tMstoriens veulent que des ses plus jeunes auuees it ait annonce de

ttrittantes dispositions: qu au sortir de ta maison pateruette it ait

été envoyé auxécoies d oxford; on montre même dans ces écoles

ta maison A t'enseigne du JV~ tA'A<w< que, dit-on, it habitait.

Nous serions curieux de savoir sur quettes preuves reposent ces

assertions dont ta tface n'apparatt pas avant Letand. et que Wood

& recueiUi~, développéeset a~ravées.

Que Bacon ait fréquentétes éeotes d «xibrd, te fait n est pas dou-

teux. Nous connaissons parson témoignage te nom de t on des

mattres qu'M y a entendus c'est te Menheureux &imoud. arct(e-

vèque de Cantofbéry, qui expliquait alors tes ~y<wM <<-

y~jxd'Aristote, et dont les leçons, malgré t aridité dn sujet, inté-

ressaient tout au moins par leur nouveauté; car e était ta première

foisque cette partie

de l'0~w<w< était commentée publiquement

en Angleterre (t). Roger Bacon nous apprendaussi que t optique,

(t) V<~ <M &agmente ~a Cem~H~Ma <<<KM(Aec~.f. ~MMa t~ M. ChMb~

à h (iatte de <a pt~eteme nmmgmtMe, p. 4<a.

Page 142: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

t~ EXt UBSM'XStMST«ntQfES KT PHtMSOPMtQtËS

//t' qn; n était pas enseignée &Paris, fut par deux loisenseignée dans tesécotes d Oxtbrd (i) et tout porte a croire qu'iln<'parle pas de ce double enseignement d'après autrui, mais entémoin bien informe. Enfin H ressort de la lecture des ouvragesde Maçonqu'il a fréquenté plusieurs personnages qui notaient peut-être pas tous Ansrtais d'origine, mais qui vivaient alors en Ans.fte-tert <\ et que la renommée si~atait comme animes du zete le plusvit pour l'étude des sciences, entre autres, Adam du Marais etHottert <:rosse-Tete.évèque de Lincotn. Ce dernier surtout paraitavoir exercé sur notre philosophe une sérieuse influence. Ko~erMaçonne parte jamais de i évoque de Lincotn que sur le ton de

admiration la plus sincère. Il ne tarit pas en éloges de sa pro-fonde connaissance du j?rec et de t'héttreu. de son savoir en ma-

thématiques, de ses découvertes dans tes branches de la philoso-phie naturette les plus ignorées des Latins.

Mftts.après avoir t'assemblé ces indices dupassade de Bacon auxécolt's dOxibrd, on doit reconnattr<~que ce sont les seuls qui soient

auHtentiqnes. Combien de temps Bacon a-t-il séjourné en Angle-terre? Aquelle époque et pourquoi 1 a-t-il quittée? 11est facile detaire à cet e~ard des conjectures, elles ne K'posent sur aucun texte

positif. Mêmeabsence de renseignements quant Ala date certaineet quant aux motits de 1 arrivée de notre phitosophe en France.Les biographes veutent qn'it soit venu a Paris, selon i'usa~e deséconers d Oxtbrtt, pour y coMp:éter son instruction, et s'y livrer al'étude de la theoto~rie.C'est ia conjecture émise pour iapremièrffois par Letand. M/~'< /w/< M/ ~«~ dit Baie (2),reconnaissant Mi-même, par cet aveu implicite, que l'opinion qu'iladopte n'est pas justifiée. ConÏëssons-te, si quelque nouveau bio-

graphe s avisaitde prétendre que Bacon étudiait à Paris en i229;que Université, A la suite de troubles graves, s'étant alors dis-persée. il quitta la France, et comme tant d'autres Anglais, sur1 invitation de Henri Ht (3), passa en Angleterre, ou il fréquenta

(t ~cm inedita,p.37 «Hœescientla(feMpectiva)NMtesta&nct<f<aPar:8in<néeapudLatines,nM bisOjmniœinAn~ia.m

Sfft~efKM<MM<MMMM<t~f<a~W~HN~ea~MM, Basiteœ.t559 ia.tOL)'. :m.

(3'VcyMla Mt)'ede HenriIIIauxM~U<'Mde Parisdansle ~Cff H<oef<eoc<-<t.~c.Londini,<774,in-a",1.1.p.469.

Page 143: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TM~YKRS LK Mi~KX A<.K. M't

désormais tes écoles d Oxtbrti, quelle ol~ection pourrait-on élever

contre une pareiMe assertion. sinon quelle est toute gratuite?

C'est exactement te même reproche que nous sommes en droit

d'adresser a t~tand, A t'iis et à Mate, ainsi qu'A Wood qui tes :1

suivis.

Nous ne connaissons qn un seul fait, mats un fait d une ;mp<M-hmc'' t-apitate, <jM)soit tucn av<h'é <st le tnnu s<~o<n'de Hacnn

t'n Fnuxf. Xous l'y trouvons avant O~?; il y ostt'nco~' <'n i2<;7.

< il n<'paratt pas <ptcdans c<'svingt ann~s il ait quitta un seul

j'tOt' t<'sol français. C\*st tA <jnpsont vcnn<'s t'' tKum't tt's tt'tttt's

dfCt~tnt'nt tV; c'tsttA ~n Hacomp«~ t ~pw/w/M<;d<' sortt'<;n'

s'il n'appat'th'nt pas din'ctcntcnt a unf fannUf tt'ancats<\ ta t fanp<'

dn moins a été pour lui comme une seconde patrie. Heja M.~)ni!t'

Chartes a pn'Mve que Itacon avait habite ta France i den\ ep.

<p)esdin'et'entes; en suivant tes traces mêmes du savant écrivain.

«n peut. selon nous. atter plus loin que tni, et snntenir élue des

avant 12~7. et a partir de ta jusqu'en 1267. sinon jusqu'en <277.

ta t'Mmce a été ta résidence hatntnette de Rac<'n.

Le premier texte A l'appui de cette c~nctusion est te passaa-e

dans teqnet ttacnn déctare avoir deux fois entendu, ~A

t'évoque de t'aris, <;nittamne d'Auvergne, condamner, en présence

de n'niversiM, tes assertions de certains docteurs sur t'intettect

a~cnt (t): <;ntttaume d'Auvergne, mort en t2M. ent a frapper

plus d'une tois les e< reurs qui circulaient alors dans tes ecote«. t.a

sentence qu'H avait portée contre deux maures qui n'ont pas taisse

d antre souvenir, M°Jean de Hrescia et M~Raymond, fut confirmée

en 12~7 par te cardinal Eudes de Chateanronx. Elle avait ette-

mûme été précédée par d'antres censures, notamment par cette

qm porte ta date de i2~ et dont quelques articles nous ont été

conservés (2). C'est évidemment à cette lutte de Cuittamne d'Au-

vergne contre les hérésies philosophiques de son temps que Ho~er

Bacon fait aUnston lorsqu'il déclare avoir lui-même entendu deux

fois le docte évoque. Peut-être se trouvait-il AParis dès t2Kt. mais

il y était certainement avant 12~7.

(i) Oipera tMedMo. p. 74 « EiM bis andhi T.wrahMfm aatt'tih-M t'an-ii. n'.t.. M<h-

<nœ. ~MNinMmGattMmam AhrerneMem. con~n~ata nnht'Mita~foram M. J)

(2)D'At~ntte,CeMec«e~«d<CMf«m tfetMrb ftVorftMt, Par! <7M. !n-f<'). 1.1.

p. t5S et saiv.

Page 144: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ne EXCt'MStOXSHtSMMQOES ET PBtt.OSOPtMQUIiS

En second lieu, dans un chapitre de l'OjpMx~~MMM,discutantune question relative aux angles solides, Bacon dit qu'environvingt années auparavant il avait engagé une controverse analogueavec (les maures de ITniversité de Paris, A l'occasion de cette

épreuve sectaire appelée alors ~M<~<WM (i). L 0~w<~Mayant été composé en t~<;7, nous sommes reportés par ce passage,aussi clairement que par le précédent, A l'année <a~? commedate certaine du séjour de Maçon&Paris. Ce fut sans doute &cette

époque qu'il entra en rotation avec Pierre de Maricourt, un deshommes qu il a le plus admirés; car dans 1 OjpM~MMMM,com-

posé vers le même teuMMque t'~M~ ~MM, il fait allusion &cesavant maure, si protoudément initié à tous tes secrets de la na-ture. « C'est le seul que j'ai trouvé, dit-il (2), qui ait su les péné-trer et c'est Alui seul qu'i! y a vingt ans j'en ai du la connais-sance. »

Remarquons à ce propos que Pierre de Maricourt était Picard,et qu'il n'habitait pas Paris. S'il eut voulu venir A Paris et yproduire quelques-unes des œuvres de son merveilleux savoir, ileut, s'écrie Bacon, entraîné Asa suite le monde entier. Ce n'estdonc pas AParis que Bacon t'a entendu et qu'il a reçu ses leçonsdou il suit que Bacon, durant son séjour en France, a du voya-ger, sans dépasser toutefois un rayon peu étendu.

Roger Bacon, qui était en France avant i~7, s'y trouvait en-core à l'époque de l'insurrection des Pastoureaux, c'est-à-dire en1252. il fut témoin de ce soulèvement populaire; it déplora quela reine Blanche, la plus sage des femmes cependant, se fut laissécirconvenir par ces bandes indisciplinées qui promettaient d'alleren Terre-Sainte délivrer le roi Louis IX. Une fois même, il serencontra avec leur chef; H le vit de ses yeux, vidi <-MM!oc«/&M~M, s'avancer pieds nus, au milieu des siens, portant en sesmains une sorte de talisman, qu'il montrait au peuple, et qui, nerassurait nullement Bacon. Notre philosophe, qui, en dépit de lascience, était fort superstitieux, soupçonnait là quelque peu de

(t) O~Mfe«tedMa~p. t39.(9t)<~pent<M<M<t,p.?9. li. Btewersupposequeeepaaa~ ~p~ce &M)ertde

UMota;maisdansle manuscritde la Bodtéteme.collationnéparld.Chartes(Roger~m-aa,e<c.,p. teet p.3&7),laaMu~eporteMo~Mt~Mfe<ntm~cequis aeconteavectes temottjMgesrendusaMïeoMpar Baconà la sctemedePierredeMarieeart.

Page 145: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSUSMOYENAGE t4<

magie sans quoi, dit-il, le maKre des Pastoureaux aurait-il Ace

point ému les foules en France et en Allemagne (t) ?*?

Tandis que tes dangers qu'il courait en Palestine servaient de

prétexte à une aussi vive agitation, Louis tX, sorti des mains des

Sarrasins, envoyait un religieux de l'ordre de Saint-François,Guillaume de Rubruk, vers le roi des Tartares, qu'il espéraitconvertir A la foi chrétienne. C'est au mois de mai < 253que ce

voyage fait entrepris. Nous en connaissons les étapes pour ainsi

dire jour par jour. '1 embrassa tout le pays compris entre la mer

Noire et la mer Caspienne, et dura un peu plus de deux ans. L'in-

trépide missionnaire ne fut de retour en Asie Mineure que sur ta

tin du mois de juillet 1255. Ses supérieurs t'ayant attaché Al'é-

g!ise de Saint-Jean d'Acre, il dut se contenter d écrire au roi la

relation de son voyage. Cette relation, un des monuments les pluscurieux des connaissances géographiques au XMt"siècle (2), a été

entre les mains de Roger Bacon; il t'avait lue avec soin, et il la

cite plusieurs fois; mais, ce qui omre pour nous un intérêt parti-

culier, il rapporte qu'il a connu personnellement l'auteur et qu'ila contéré avec lui, <MMc/tM ~Kc~o<vc<M~M/<.Mrésulte de là

deux conséquences, qui ne sont pas sans prix la première, c'est

que Guillaume de Rubruk, selon le vœu qu'il exprimait au roi,

avait fini, sans doute gr~ce A sa protection, par obtenir du gé-nérât des franciscains la faculté de revenir en France, fait in-

connu de ses biographes la seconde, c'est que Roger Bacon se

trouvait lui-même en France vers i256 car ce n'est pas antérieure-

ment à cette date qu'on peut placer le retour de Rubruk en Europe.Nous ajouterons que Bacon résidait encore en France vers

i26< en effet, d'après son témoignage, c'est aux environs de

cette même année, cinq ou six ans avant la composition de

l'Opus MM~Met de t'C~MMtertium, qu'il se chargea de l'éducation

d'tm enfant pauvre, auquel il fit apprendre les langues, les ma-

thématiques et la perspective, et qui surpassa bientôt en savoir

tous les étudiants de Paris. Bacon l'avait à ses cotés lorsqu'en

i266 il commença la rédaction de ses grands ouvrages (3) et ce

(0 optMWM~tM,p. 189,<w.(2)Voyezau tomeiV~p.M9et Mtv..JM~mo~<'<de sociétéde ~fc~op&«',

uneéditionde eet Itinérairedueauxsoinsde MM.Franc.Mtchetet Th. Wright.(3)CtKttttM~M~p. 149.

Page 146: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

<;a EXCURStOXSmSTORtQUESET PMtL<MOP)HQUË8

fut cet élève, objet de tant de soins et d'affection, qu'il chargea,maigt~ sa jeunesse, d'aller les présenter au pape.

Il s'agirait maintenant de savoir si ce long séjour de Bacon en

France, et le plus souvent &Paris, ce séjour attesté de la manièrela moins équivoque, n'a pas été entrecoupé de quelques voyagesen Angleterre. Aucun indice, aucun témoignage n'autorise A le

supposer.

Cependant un événement considérable s'était accompli dans

l'existence de Bacon il avait pris l'habit religieux dans un cou-vent de l'ordre de Saint-François. Les biographes sont très in-certains sur la date de sa profession; nous croyons qu'on peut lafixer à l'année i~7 et qu'elle a eu lieu en France. Nous nousfondons pour cela sur le passage suivant de la lettre au papeClément tV~qui forme le premier chapitre de l'O~M<~<wM

« Recolens mejam a decem annis exulantem quantum ad fàmamstudii quam retroactis temporibus obtinui, meam parvitatem reco-

gnoscens, et ignorantiam multiplicem, ac os elingue, et calamum

stridentem, vestramque sapientiam admirans, quod a me jamomnibus inaudito, et velut jam sepulto et oblivione deleto, sa-

pientiales scripturas petere dignetur, etc. »

Cesmots, ~co~M~ me jam a decent <Mt~Mp~-M/a~cM,ont étéentendus jusqu'ici dans un sens littéral, comme s'ils marquaientun exil réel ce qui conduirait à supposer que Bacon, ayant jus-que-là vécu en Angleterre, avait quitté son pays en i25T or nous

avons démontré que dès i2M, et dans les années antérieures, il

était en France. Le sens littéral doit donc être abandonné. Selon

nous, il s'agit ici non pas de l'éloignement de la patrie, mais de

l'éloignement du monde, de la retraite dans un asile où s'étei-

gnent toutes les renommées, celles de l'école ainsi que les autres,où le bruit qui retentissait autour de vous fait place à l'oubli et

au silence, ~M~aM~M~Ma~MW<M~/<~M<MM~M< en un mot, nous

croyons qu'il est ici question de la vie du cloître succédant &la

vie du siècle. Bacon naguère, sur les bancs ou dans les chairesdes universités, avait connu la gloire, /<HMaMM~<«/M ~'oae~

~M/MM~tMoA<M<M<,et depuis dix ans déjà, lorsque Clément IVdai-

gna se souvenir de lui, nul ne prononçait plus son nom il était

oublié et pour ainsi dire entré dans la tombe, fe/M~aw ~M/~oo&/<MOM<*<A*/c~o.Pourquoi? Parce qu'il avait quitté le monde.

Page 147: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

AMAVKB8LEMOTE~AGE. tt!<

Quelques observations de détail confirment, à nos yeux, l'inter-

prétation que nous avons donnée au passage dont il s'agit. Ainsi,

on est frappé de l'insistance que met Bacon à rappeler au souverain

pontife qu'il n'a pas toujours vécu dans l'état oùil vit maintenant,

~< ~o ~<~< quo t M/, MAo<*</a<M~MoxwMw~o il a un sou-

venir si présent des deux états qui partagent sa vie, que le dernier,

l'état monastique, devait être en 1267 encore assez nouveau pour

lui. Une autre circonstance est A noter, c'est (lue de son aveu il

n'avait rien écrit d'important avant de se faire religieux, M «/w

s/M ~<~ feci .w~/MW M/~K<M//~7o'M~A~ et que cependant,

comme on l'a vu plus haut, il s'était acquis une véritable illustra-

tion il était connu dès lors pour avoir consacré plus de temps et

de labeur que personne autre à l'étude des langues, comme à celte

des sciences. ~V«<wM ~M<w~M//<M .w~~ et /M<yMM~A<«-

t'/7/«?CAM/MM~MC</~OM.W?~MwA<fM/~M Of/fOstatu ~MOC~ (1).

Fait important, d'ou il est permis de conclure que c'est en pleine

maturité d'âge, d'esprit et de renommée, et non pas, comme on

l'a cru jusqu'ici, dès sa première jeunesse, que Bacon a renoncé

au monde et s'est afBlié à l'ordre de Saint-François.

Suivant une chronique publiée par Leiand, Roger Bacon aurait

été admis à prononcer ses voeux dès son entrée dans la commu-

nauté, avant d'avoir fait une année de probation. Cw~Mf~M~w

ipso t~CM~'essM~Mt'C/A~ ~'O/t~n; sicque fecit /)'«<C~M' MM?M~-

~oy~<M ~co/<. Ce passage en reproduit textuellement un

autre qui se lit dans l'ouvrage de Thomas de Eccleston sur l'ar-

rivée des Frères Mineursen Angleterre et comme le chapitre d'en

il est tiré se rapporte au temps où Albert de Pise exerça les fonc-

tions de provincial de la communauté, c'est-à-dire aux années i 23S,

i23? et i238, nous nous sommes demandé si l'on ne pourrait pas

tirer de là une objection contre notre sentiment. Maisil est facile

de constater que dans le texte primitif, qui est celui de Thomas

deEccleston, d'une part, il ne s'agit pasdes Franciscains, mais des

Dominicains, et d'autre part, qu'au lieu du nom de Roger Bacon,

en toutes lettres, on lit seulement R. Bacon « tpse (F. Albcrtus

de Pisa)recepitmandat)Mn domini papa! Gregorii, quod Fratres

PMedicatores nuUum obligarent, quominus posset ad quamcum-

(i) Ctpefa Mte<Wa,p. t3,05, etc.

Page 148: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCFBStONS HISTORIQUES ET PmMSOPMtQUESw

que veUet religionem intrare, nec fratres suos novicios, nisi com-

pleto anno probationis, ad professionem reciperent. Consueveruntenim ipso die ingressus sui, si voilent, pronteri; sicque fecit

bon<pmemoriœ frater R. Bacon (i). » Comme il est ici questiondes Frères Prêcheurs, ces mots ~ro~ R. ~coM ne désignentévidemment pas Roger Bacon. Nous n'hésiterons pas A croire

qu'ils désignent Robert Bacon, mort en i248, qui est cité parMathieu Paris comme un des savants théologiens de son temps,et qui fut en effet une des premières gloires de l'ordre de Saint-

Dominique.En fixant à l'année 1357 le changement d'existence de Bacon,

nous ignorons d'ailleurs, avec tous ses biographes, les motifs quipoussèrent un esprit aussi indépendant, nous pourrions dire aussi

présomptueux, à faire le sacrifice de sa liberté, et à rechercherle joug facile et sanctifiant pour d'autres, mais périlleux pour lui,de la vie religieuse, Il est certain qu'il n'eut pas à se féliciter de sa

résolution, et qu il ne tarda pas à en éprouver de cruels regrets.Ces retours fréquents que dans sa lettre au pape il fait sur le passé,sur la renommée qu'il a obtenue autrefois et à laquelle a succédé

l'oubli, n'annoncent pas uu cœur satisfait et ne sont pas le lan-

gage d'un frère de l'ordre de Saint-François, résigné aux devoirsaustères de son état. Bacon n'avait plus les mêmes facilités quejadis pour se livrer à ses travaux de prédilection, ni surtout pours'instruire, comme il avait fait jusque-la, dans le commerce d'au-

trui. Il conservait le droit de lire et d'étudier, et même celui de

composer des livres; mais la règle du couvent lui défendait de com-

muniquer ses écrits~ qui que ce fut, et il ne trouvait pas facile-ment a Paris de bons et Sdèles copistes. Tout porte Acroire qu'ilfut d'assez bonne heure l'objet d'une surveillance jalouse et queles tracasseries ne lui furent pas épargnées; car il se plaint amère-

ment à Clément IV des entraves qu'on apporte à ses travaux et des

mauvais traitements auxquels il est en butte. Après la mort du

pape, son protecteur, les vexations qu'il avait à subir redoublè-

rent, et aboutirent en i27T A la sévère sentence du général des

Franciscains, Jérôme d'Asooli, qui, de l'avis de beaucoup de

membres de la communauté, le condamna A l'emprisonnement.

(t) ~MWtMf!~fMttM'~C<MM,p. Met MO.

Page 149: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEK AGE. H5

MCMMKMM)tMT<MttQOË9. M

La sentence, au témoignage de saint Antonin, avait pour motifsles nouveautés suspectes que renfermait la doctrine de Roger Ba-con, qualifié de maître en théologie. Et en effet quand on par-court non seulement l'Op!~ ~M!/M<,mais 1'OpM.sMM~M,l'0/w.s/<T~M, et surtout le Cf~<?~<~M~ .</M</<Y~A~oo~A~~ composéen 1271, on ne saurait s'étonner que les contemporains de Baconse soient émus de la hardiesse de ses opinions théologiques et phi-losophiques, en même temps qu'ils étaient scandalisés de sesdures et injustes appréciations des maîtres les plus autorisés,Alexandre de Haies, Albert le Grand, Thomas d'Aquin. Notre des-sein n'est pas d'insister sur cette partie de la biographie de Ba-

con, n'ayant rien à reprendre non plus qu'à ajouter au tableau

que tous les historiens en ont tracé. Sa captivité se prolongeacertainement durant plusieurs années; et il serait difficile de direavec précision à quelle époque elle cessa, Il se peut qu'elle aitduré jusqu'il la réunion du chapitre des Frères Mineurs qui se tintà Paris au mois de mai i292, par les soins de leur nouveau géné-ral, Raymond Gaufredi, auquel une note marginale d'un trèsancien manuscrit du /<7~A JtftMPMWattribue la délivrance de

Roger Bacon. Quoi qu'il en soit, cette date de 1292 est la dernièredate certaine que la biographie de Bacon présente c'est la datede l'année dans laquelle, ainsi qu'il l'apprend, il travaillait au

C~M/M~MM~«a?/< ~co/oy/tf. L'ouvrage, encore inédit, n'est

jusqu'ici connu que par l'analyse et les extraits que M.Charles ena donnés. Il ne paraît pas que l'âge et la persécution eussent mo-difié sensiblement les opinions de notre philosophe; toutefois dansce nouvel ouvrage on ne retrouve plus les vives attaques qu'il se

permettait autrefois contre les plus fameux d'entre les maltres

contemporains.Combien de temps Bacon a-t-il vécu après 1292? La date de i29~

admise par quelques biographes est la plus reculée qu'on ait as-

signée à sa mort, et, comme le remarque M.Charles, elle n'a rien

d'invraisemblable. Ce qui parait constant, c'est que Bacon, au

sortir de sa captivité, revint en Angleterre et y mourut. On assure

même qu'il fut enterré à Oxford, au couvent des Franciscains, tra-

dition que nous n'avons aucun motif de contester.

Page 150: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen
Page 151: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

DOUTESSUR L'AUTHENTICITÉ

DE

QUELQUESÉCRITSCONTRELACOURDE ROME

ATTNBU~SA

ROBERTGROSSE-TETE.ttv&QM M HXCOtX.

Page 152: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen
Page 153: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

DOUTESSUR L'AUTHENTtCtTÈ

PE

QUELQUESÉCRITSCONTRELA COURDE ROME

ATTMBUËSA

ROBERTOROSSB.T&TE,)~VË<t)'EBBUXCOUt.

JE<!<Mt<du Bulletin <~ f~icfK~m& f~M7<Mer(p<<OM &!&<-ZeMM<.

t)e l'aveu de tous tes historiens, Robert, surnommé Grosse-Tête,

qui fut évoque de Lincoln de i235 &i353, occupe un rang élevé

dans l'histoire littéraire du moyen âge, comme l'un des prélatsles plus instruits que l'Église d'Angletene ait eus à sa tête du-

rant la première moitié du TUïf siècle. !1 parait avoir étudié et

même enseigné &Paris (i) il enseigna certainement à Oxford et

la faveur dont il ne cessa d'entourer par h suite FUniversité nais-

sante de cette ville ne contribua pas médiocrement à sa prospérité.Il ne possédait pas seulement desconnaMMmcesthéologiques, telles

e .a. '1 '1que les suppose l'énunente ibnction dont il fat investi doué de

cette curiosité active qui est la mère des sciences, il s'était appli-

(!)D)tBoahy.~M.Ma<N.j'aft~t. m, p.2Met p.709;tf~.M~o~~e~JP~MM.t. XVHt,p. 4~7etsuiv.

Page 154: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

BXnJBMO!<StMSrOMQUESETPM!MSOPMt<~JE8t&M

que avec ardeur Aétendre le ee~te de son érudition. !t avait ap-

pris le grec et t'itébreu, et savait en philosophie et en mathéma-

tiques tout ce qu'on pouvait savoir de son temps. <~nlui doit mM

version latine de ta Monde ANicomaque, faite sur h' texte grec, et

une traduction du Testament des douze patriarches, Ataquette un

moine de Saint-AttMUs travailla par ses or<tres. <htt<~un grandnombre d'opuscntes sur dinërents sujets, il a laissé des commen-

taires sur la tonique et ta physique d'Aristote, et des traités du

compnt et de la sphère. R<~cr Bacon, si sëvere pour beaucoup d<

ses contemporains, nepartedet'évôquede Lincoln qu'avec respect.et même avec admiration. tt vante A la fois sa profonde connais-

sance des tan~rues et son habileté comme mathématicien, tt te

place, Acoté d'Adam de Marisco, parmi tes hommes de {?eniequi.At'aide des mathématiques, ont su pénétrer tes causes des phén<~menés naturels, et exposer d'une manière satisfaisante tes sciences

divines et profanes (i).Cette grande figure mériterait assurément une étude appro-

fondie. Ce n est pas t'otqet que nous nous proposons quant à pré-sent. Nous ne voulons considérer ici ni l'interprète des textes grecs

et hébreux, ni le commentateur d'Anstote, ni le maître et le pro-tecteur de l'Université d'Oxford, mais seulement le théologien et

t'évèque. Nous n'avons même pas l'intention d'étudier complè-tement à ce point de vue la vie de Robert Crosse-Tête. Nous non

bornerons Adiscuter la valeur des documents et des témoignages

d'après lesquels l'attitude du docte prélat vis-A-vis des ordres

monastiques et de la papauté a été appréciée jusqu'A ce jour parla grande majorité des historiens.

Selon l'opinion la plus commune, lévêque de Lincoln, prélat de

mo'urs pures et d'une piété exemplaire, se montra, dans le cours

de son épiscopat, l'ennemi des moines et le censeur audacieux,

sinon l'adversaire déclaré des papes. Son austérité ne se consolait

(i) OpM m<~M<,p. M, dist. t, e. 3 NpbcopaaRobertns LînmMensb, et Frater

Adamde Mar!aco. per potestatem malhematice aeiverNat causas eamtam expBean'et tam hamam qttam divina smCMMteruponere. C!p<M<e~t«M, dans l'édition

donnPe par M. Brewer, Londres, <M9, in-a", p. 33 « 8ot)MMas scivit sdenthM, ut

Un<Mtn!en~9~tscepa)!. « CompaMKttnt<<«<?p&MtMopt~, <&M.p. 473 e SohMd~

tninas Robertns, pmpter btt~tndtnem vtta!et vias mirabiles qa!bos MNNest, prœ atM!'

homtmibNaM'!vttscientias.

Page 155: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVEMt M! MtUfE?! A<:K. t:n

pas du relâchement de la discipline ecclésiastique. t~nvaineu

que Fi~norance et les désonires des clercs étaient le plus ~mnd

péril qui pût menacer la stM'iëtéchrétienne, il dénonça. il pttur-suivit les abus avec une indomptable énergie. Mne se fomenta

point de remédier, selon ses forces, aux misères mond<'s quil avaitsoMsh's ycMx, il <'n lit t~monter la n'sp«nsa!titiM jus~M'au saint-

si~ il h's imputa, dans !<' tan~< te phts acMnMni<'M\,at)\

ctMpMtpmeMtsde lit courde K~tne sur t'autont~ des év~ucs. aux

exemptions dont <<' était pt'<nM~neen taveMt'des m<mast~n~. aux

dcptot~btes choix do pasteurs incapables ou indigne" qu <<*< hat~

~eaMarbitrairetnent du soin des paroisses. quetqut'fnis par ne~H-

~fno*, plus souvent par népotisme on par cnpidit'Telle est ridée <p<eles historiens en ~énënd donnent du carac-

tère, des sentiments et des actes de Rottert de Lincoln. Nous n<

parlons pas seulement des écrivains protestants, teh~que Browa ( i~udin (a), Wharton (3). <~ave(4) et Tanner (5 qui n ont pas man-

qué denroter Itobert sous teurtMnnien'. en !*exattant avec anec-

tationcommerumdesprecnrseurs de Wiclefet deLuther. Kiuaidi(6)lui-même conteste a peine les procédés de t'évOpte de Lincotn A

t'égant du saint-siège, ses remontrances impérieuses et ses aHures

indocites. Fleury avoue que le ze!e du prêtât était amer et ses dis-

cours sans modération (7).Ces jugements, qu'on peut quanner d'unanimes, sont adoptés

par tes écrivains récents. On tes retrouve à !a fois dans t'~fM/w~'

~M<~w~*de la France sous la plume de M. Daunou, et chez te

D*Lingard. Que cette appréciation du caractère de Robert de tjn-

coin ait un fonds de vérité, nous ne le contestons pas; car on ne

saurait nier que le pieux et savant évêque ne se soit montré l'éner-

gique défenseur de la discipline ecclésiastique et l'infatigable ad-

versaire des abus. Maisnous croyons en même temps que l'iml)or-tance de ses démêlés avec Rome a été fort exagérée, et que ses sen-

(t) ~ppetMt&ead ~Me~a~MMtrerumMpeteM~a~Met /hy<M<fat<fM«&Or~WanGratio<tM<MN,etc.,Londini,t<NO,in-fol.p. 944ets.

(2) CeMNteM<<M~Mde <cWp(eht<M Cee~M<<B,Upahe, t73- tn.M. t. Mt. Mt. t3<;et

(% ~H~<a Sacra, t. K, p. M< et

«) .scr<p<erNme<-c<M<a~<cor«Hthistoria, OMaii. t743. t. Il. p. 2M.

(6) BtMteMeca eW<<t<«t<M-H~ef<t«M.

(e) ~<Ma<Meee<~<<M«e<,ad ann. M63, § nun, 487.

(7) N<<<0«'<'eee&M<M<~M~Uv.LXXXIII, <-h. tun.

Page 156: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXtMRSKtSS MtSTMBMtES ET PMtMNt'PMH~UKS<M

timents véritables ont été méconnus, parce qu on en a jugé d apt~sdes documents qui ne sont pas authentiques et d après des témoi-

gnages qui ne sont pas irrécusables. C'est le point que nous allons

essayer de démontrer.

Lesjugements dont la conduite de Hot<ertCrosse-Tête a étéjus-

qu ici l'objet reposent sur les fondements que voici t" un mé-

moire quil aurait ternis au pape Innocent iV en H5u, et qui au-

rait été lu par ordre du pape en présence des cardinaux; une

lettre adressée en i~Kt au même pontite; 3" une autre lettre de la

même époque à la nohiessc d'Angleterre et aux ttourgeois de Lon-

dres (<); le témoignage de MathMUParis et des chroniqueurs

qui l'ont suivi.

Dans le mémoire quon prétend avoir été remis à Innocent tV,

la situation de t ÉgliM-est dépeinte sous tes plus sombres couleurs.

L'auteur déclare en gémissant que la science, la foi et lit piété sont

éteintes dans le clergé: que presque partout ta passion du lucre,

la gourmandise et la luxure ont remplacé les vertus sacerdotales;

que la maison de prière a été changée en une caverne de voleurs;

que la plupart des pasteurs ne craignent pas de spolier la veuve

et l'orphelin; qu'ils sont voleurs, adultères, incestueux. Et quetteest la source première d'aussi grands désordres? Selon le rigide

écrivain, il ne faut pas chercher cette source ailleurs que dans

la connivence de la cour de Rome, qui non seulement n'a pas su

prévenir te mal, mais qui n'a cessé de t'encourager par de mau-

vaises pratiques, telles que la collation directe des bénéfices à des

sujets ignorants ou vicieux; telles que les exemptions trop multi-

pliées qui, en affranchissant les couvents de la surveillance des

évoques, assurent au clergé régulier une liberté dont celui-ci

abuse; telles que les appels et recours qui compromettent l'auto-

rité épiscopale et énervent les jugements émanés d'elle; telles

enfin que ces formules despotiques par lesquelles le pape régnant

(!)Decestroisopascutes,tesdeM premiersont été pnbMésparEdwardBrown,.t~pex~Mtad /!MC<e«<MB~etc,etc.,p. 250et p. 400et 9.Lesecondfaitparttede laGmndeChroniquede MatMeMParis,et seretrmnredanstouteslesedtMomdecette

chronique,i) a été réimpriméparDuBoatay,danssonHistoirede fpMtMr<<Mde

<*aW~t. tu, p. MOet suiv.,etparM.Lnarddans éditionrécenteqnHa donnéedeslettresdeRobertGrosse-Tête,Londres,1801,ia-S",p. 432.Letroisièmeopusculeqaenousavonssignaté,la lettreà ia noblessed'Angleterre,a été misaujonr pourla

premièreMis,&notreconnaissance,danscettemêmeédition.

Page 157: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TBAYEBSLE M<tYEXAt.E. <M

prétend imposer sa propt~' volonté, nonoltstant toute re~fteet tout

privilège consacrés par une décision de ses prédécesseurs.La lettre ait pape Innocent IV, que litrenomméeattribue, comme

!<!mémoire précédent, &MoltertCro<ise-Tète,renferme l'exprt~stiondes mêmes griots énoncés en moins de me~ mats dans d* s tentM's

pFt~tjW id<'nt!qu<*s,(le sorte <jMoles doux ducuments s«nt. a n'en

p<ntvoir douter, r<pnvr<<de !a )n6m« pttHMf.Totdefms. dans cf

nouvel écrit, t'aut<'ur nf t-aït plus contenir les sentiment d indi-

g'Matiunet de cot~tt*qut t «ppt~~sent peu s <?ntaut qH)! ne com-

pare le pape & i'Antechrist, et il <«'dedarf prêt A lui ~sistot.

J ohêisavec respect, dit-il, aux commandements ap()stt)t!<pt<*s.Mats nul commandement ne saurait ett~ quattSé d'apostouqne.s'U n'est conforme à la doctrine de Jésus-Christ et des apAtres.

Après io péché de Lucifer, continue-t-it, il n y en a point de plus

grand que cetui qui consiste a perdre !es âmes,en les frustrant du

service une nous leur devons en nnttite de pasteurs, et en ne son-

geant qu'à pressurer le troupeau pour en tirer des commodités

temporelles. Lesaint-siège, qui a reçu la pleine puissance de

Jésus-Christ uniquement pour l'édification, n a pas le pouvoir de

rien ordonner ni de rien faire par hti-meme qui tende a fa-

voriser un péché aussi abominable et aussi pernicieux pour le

genre humain; dans ce cas, en eSet, il abuserait manifestement

de son autorité; il s'éloignerait du tronf de Jésus-Christ pour aller

s'asseoir en enfer dans la chaire de pestilence. Quiconque a voué

au saint-siège une obéissance pure et sincère, quiconque n'est

point séparé du corps de Jésus-Christ par le schisme doit se re-

fuser à de tels commandements. C est pourquoi je déclare que,loin d'y obtempérer, j'y fais résistance et opposition.

Le troisième document que nous avons mentionné, la lettre aux

barons et aux bourgeois, contient de nouvelles et amères plaintes

soit contre les taxes qui sont levées sur l'Église d'Angleterre et

qui, au mépris de ses antiques libertés, la réduisent à l'état de

tributaire, soit contre l'intrusion dans les bénénces de sujets

étrangers, accourus de contrées lointaines, qui ne connaissent pas

la langue du pays, qui négligent le soin des Ames, qui s'appro-

prient les revenus aRectés à des oeuvres pies ou au soulagement

des pauvres. L'auteur interpelle le peuple et les grands, et les

somme de déclarer s'il convient que l'Angleterre soit tondue

Page 158: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXnH8MN8HiSTOMQFESETPBtt.OSOPMQMESt54

comme un agneau, et soumise au joug comme un h(puf; que des

étrangers et des oisifs récoltent ce quette a semé, et qu'ils dé-

vorent sa propre substance. Il invoque l'appui du pouvoir séculier,et conjure ce pouvoir de s'armer et d'agir avec vigueur, afin de

déjouer les desseins des hommes pervers qui ont jeté sur les Églisesdu Royaume-Uni un œil de convoitise.

Nous devons ajouter que, dans un grand nombre de manuscrits

appartenant aux bibliothèques d'Oxford et de Cambridge, les trois

documents que nous venons d'analyser portent le nom de Robert

<;ro'!se-Tète.

Les inductions qui semblent pouvoir être tirées de là, relati-

vement à la conduite et aux opinions de t'évoque de Lincoln, sont

corroborées par le témoignage de Mathieu Paris et de plusieurs

chroniqueurs. Mathieu Paris ne mentionne ni le mémoire au papeni la lettre aux barons d'Angleterre mais il attribue très expres-sément ARobert la lettre si vive adressée à Innocent IV. H assure

qu'elle fut écrite sous l'impression d'un bref venu de Rome et con-

tenant des ordres que le prélat jugeait injustes et contraires Ala

raison (i). La tradition porte qu'it s'agissait d'un canonicat dont

le pape, de sa propre autorité, aurait disposé en faveur de son

neveu. Frédéric de Lavania (2). Sit faut en croire la suite du ré-

cit de Mathieu Paris, la conduite de Robert dans cette affaire au-

rait excité au plus haut point l'indignation d'Innocent IV, qui,laissant un libre cours ti son mécontentement, aurait témoignél'intention de sévir contre te prélat récalcitrant, et ne se serait

abstenu que sur les instances des cardinaux. Dans un autre passagede l'Historia MMyo~ou sont racontés les derniers moments de Ro-

bert Grosse-Tête, le chroniqueur nous le représente exhalant une

plainte et une protestation suprême contre les empiétements de

(t) Historia M<~or, de Wats, Londial, i6to. in fol. p. 870:a Cam dominns papa<tMMcent!<<V stgnMeasset per apostolica seripta pnedptendo episcopoUneoMens!

Roberto, quatenus quiddam faceret quod el vMebat)trit<i)Mtumet ration! dtMMMM)).

proat frequenter fecemt M),et allie An~tm pneiaMa,tfMedpBHel in hoc verba. e

(2)Le bref que le pape aurait donné à ce sujet a été publié par Brown, ~pea~~r,

p. 399. et par M. Luard, dans une note qui aceompagaela lettre de Robert à Inno-

tent tV. Cf. jtttMa~ <f<!B«<~M, dans le reeuetl intitulé: ~M<M~ Me<Mt<He<,égale-

ment publié par M. LNard, ~ndK-a, tM;, tn-a~ p. an; Henri de Knygton. De eeea.

tibus ~Mc«a*,dans le Meneil de Twyedea, J~«(eW<e~M~MeoH~<e<~p<orM,Londini,

iM2. la-fol. t. M,cet. MM.

Page 159: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEN AGB t5&

lu cour de Rome, contre les pasteurs qui trahissent leurs trou-

peaux et contre les religieux, notamment contre les Dominicains

et les Franciscains qui se rendent les complices de pareils crimes (t ).

)/abrégé de la <:rande Chronique de Mathieu Paris, qui est

généralement connu sous le nom d ~M~o~MMM~or,relate les mê-

mes faits, Apeu près dans les mêmes termes. 11ne manque au

récit, sous cette Corme nouvelle, que les dernières paroles de Ro-

bert Grosse-Tête à son lit de mort (2).C'est un témoignage considérable sans doute que celui d'un

chroniqueur contemporain des faits qui! racc ~e, comme rétait

Mathieu Paris. Cependant l'autorité historique du célèbre anna-

liste anglais n'est pas & l'abri de tout reproche. Non seulement il

se montre en toute circonstance animé contre le saint-siège d'un

esprit de dénigrement et de haine qui fait suspecter sa bonne foi

et sa véracité; mais on n'est pas entièrement fixé sur la part quilui revient a dater de l'année i2M dans l'ouvrage qui porte son

nom. On sait qn il n'a pas mis la dernière main à cette partie de

1 ~M/<MWMt<~<M'et que des plumes étrangères ont travaillé à la

compléter en même temps qu'à la continuer. Il se pourrait donc

que les passages relatifs à Robert Crosse-Tête eussent été incom-

plètement rédigés par Mathieu Paris, d après des documents qu il

n'avait pas vérifiés, ou même que ces passages eussent été, après

coup, insérés dans le texte par la main d'un continuateur.

Quant aux manuscrits dans lesquels les trois documents que

nous avons mentionnés sont attribués à lévèque de Lincoln,

nous nous bornerons à de courtes observations. Cesmanuscrits ne

nous sont personnellement connus que par les catalogues où ils

sont indiqués et par quelques descriptions qui en ont été don-

nées mais la connaissance que nous en avons, tout indirecte et

tout incomplète qu'elle est, nous suffit pour affirmer que les at-

tributions qu'elles présentent sont équivoques, contradictoires,

et qu'elles méritent peu de créance.

Ainsi, n'est-il pas remarquable que la prétendue lettre de Robert

(t)Historiamajor,p. Ma,s?<.(!) demtèMpartie t'N<~w«tw<tM<cettequinousintéresselepUM,n pas

encorevu le~oar;maisnousaveMd6àt ebUf~Mede notresavantet vé<tét<con-

frèreM,NataMsde Wailly,la communicationd'ânecopietrèsexactedu manuscrit

aMto~aphedecetoaTtagpquepexaëdeleNr<«<&W<MeMM.

Page 160: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

<S<! EXCURSKMStMSTOKtQtJESET PmLOSOPHtQUSS

de Lincoln à Innocent IV contre les empiétements de la cour de

Rome ne se retrouve pas dans les manuscrits les plus anciens quicontiennent les lettres de ce prélat; que dans quelques-uns elle fi-

gure sur un feuillet séparé ou sur une page laissée en blanc:

que, dans ce cas, elle soit écrite d'une autre main que le reste du

manuscrit, comme une pièce ajoutée après coup? Je m'en réfèn'

sur tous ces points à la notice qui accompagne la belle édition de

la correspondance de Robert de Lincoln que 11.Luard a donnée.

il y a quelques années, dans le Recueil des documents relatifs A

l'histoire de la Grande-Bretagne durant le moyen Age (i). J'ajoute

que, dans un autre manuscrit, la lettre au pape Innocent IV se

trouve confondue avec celles d'Adam de Marisco, sous le nom du-

quel M.Brewer l'a publiée sans la reconnaître (2) erreur d'autant

plus excusable que, dans le manuscrit, elle ne portait aucune

suscription. Ailleurs, la suscription est évidemment altérée. Elle

se lit ainsi qu'il suit dans le texte publié par M. Luard « Rober-

tus Lincolniensis episcopus magistro Innocentio, domino pap:e,salutem et benedictionem. Jamais les évêques, s'adressant au

pape, se sont-ils servis d'expressions semblables? Le pape n'est

pas seulement un maître, ~M~M~ c'est un père; il envoie su

bénédiction aux Rdèles, ses enfants; il ne la reçoit pas d'eux. Le

corps de la pièce renferme, au reste, desexpressions qui ne répon-dent pas à la suscription. On croirait que l'auteur l'écrit au sou-

verain pontife; et néanmoins, quand il est sur le point de conclure,il s'adresse à ceux qu'il appelle ses vénérés seigneurs. « C'est pour-

quoi, dit-il, vénérés seigneurs, ~cp~M~ <~<MMMM,en vertu du

devoir d'obéissance et de fidélité qui m'attache au saint-siège apos-

tolique, etc. »La contradiction que présentent ces leçons, évidem-

ment fautives, est levée, il est vrai, par d'autres manuscrits dans

lesquels la lettre dont il s'agit est adressée, non pas au pape,mais à l'archidiacre de Cantorbéry et au scribe du pape, maître

Innocent; Ca~MaMc~cAK/Mco~o et ~M~M~'oL~occ~/e~ do-

MtMMpapx ~'<<M'< (3); ce qui explique l'expression Discretin

(t) Bo&efMCf<M<e-M<eepiscopi~tMMtdoNtt<<MM~)<et«~~<s(of~.MMedt'yHenryMettantsLuard.Loadon,t86i,!n.8".

(2)A~cdeJMaWMOep<!<ota?,epist.ccxvt,daMleprMeMreeneittntttNMJt.hMM-m<'<t<eF<'<Me<<e«Ma,Londres,MM,in-8",p. 8Met a.

~3)Brown,Appendix,etc.,p. 400.

Page 161: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TMAVËRS LE M~YKX AGE. t~7

r<"f/~ et jusqu &un certain point celle de ~t'e~~ <~eMtM~

quoiqu'il semble étrange qu'un évoque qualifie de « nos set~HeM~r~MW~» un archidiacre et un scribe. Mais, dans ce cas, la sus-

cription donnée par le manuscrit est en opposition avec le texte del'<M'Mt MM/<M'et de 1 /~M/<MMM!M<<~où il est dit expressément

que la lettre contre les abus de la cour de Rome fut adressée au

pape lui-même « Quum dominns papa Innocentius IVsignincas-sct per apostolica scripta, pra;cipiendo episcopo Lincolniensi Ro-berto quatenus quiddam faceret quod ei videbatur injustum etrationi absonum, rescripsit ei in ha'c verba, »dit rHM/o~ Moyo~Ilrescripsit eidempapa'Innocentioepiscopus pr<edictus, répèteavec plus de précision l'7/M/o~MMM«M*.

Nous ne prétendons pas attacher aux circonstances qui vien-

nent d'être relevées plus d'importance qu'elles n'en ont; et quels

que soient les doutes sérieux qu'elles suggèrent sur l'authenticitédes écrits attribués à Robert Grosse-Tète, nous nous serions gardé

d'insister, si le caractère apocryphe de ces écrits ne résultait paspour nous d'un témoignage que nous mettons bien au-dessus et de

celui des chroniqueurs et des présomptions que peut fournir l'exa-

men des manuscrits; nous voulons dire le témoignage de Robert

de Lincoln lui-même ;ion que nous ayons &produire dans ce dé-

bat aucun document inédit d'où il résulterait que le pieux évè-

que eût désavoué la conduite qu'on lui prête et les libelles quiont circulé sous son nom; mais entre sa correspondance au-

thentique et ses lettres prétendues, entre les opinions qu'il a

toujours. professées et celles qu'on lui suppose, il y a de telles

dinérences, un contraste si tranché, quon ne peut s'empêcherde reconnaitre que les traits de cette austère et sainte physiono-mie ont été gravement altérés par l'esprit de parti.

Nous posséions le recueil des lettres de Robert Grosse-Tête; il

se compose t'e cent vingt-six lettres dont l'authenticité n'est pascontestable. La plus grande partie a été insérée par Edward

Brown dans l'appendice qu'il a joint à ta compilation de l'Alle-

mand Graes, intitulée ~Mc~'M~M~'p~MM~f~t~'MM ~<w-<~MM. Le recueil complet a été tout récemment publié, comme

nous l'avons dit plus haut, par M. Luard, d'après d'anciens ma-

nuscrits des bibliothèques d'Oxford et de Cambridge.Le premier éditeur, Edward Brown, était un curé anglican,

Page 162: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

)M EXCURSIONSmSTOM~ESET PHtMSOPmQUES

très attaché à sa foi religieuse et par conséquent adversaire exalté

des papes et des ordres monastiques. Il éprouva une joie natve A

s'appuyer sur le témoignage de Robert Grosse-Tète contre la cour

de Rome et à ranger le pieux évoque parmi les défenseurs de ce

qu il regardait lui-même comme la vérité. Cependant il ne pouvait

lui échapper qu'en maint passage ce prétendu précurseur de la

réforme exprimait des sentiments fort contraires à ceux de Luther

aussi cherche-t-il à l'excuser, imputant ses erreurs à la barbarie

du temps, et même à la falsification de ses écrits par la main des

moines. Nous n'avons pas les mêmes motifs que Brown de nous

faire Anous-méme illusion; et, étranger à l'esprit de secte qui

l'animait, nous pouvons mieux apprécier que lui les sentiments

intimes de l'éveque de Lincoln.

Quelle est, par exemple, l'opinion du savant prélat sur l'éten-

due des droits de la puissance spirituelle? U est facile de s'en

rendre compte en se reportant au passage suivant, extrait d'une

lettre écrite à un officier du roi Henri III, Guillaume de Raleigh

« Que nul, écrit-il (1), que nul ne commette la faute de croire

que les princes séculiers puissent rien statuer, observer ou faire

observer aucune loi qui soit contraire Ala loi divine et à la consti-

tution de l'Église, sans par 1Amême se séparer du corps de Jésus-

Christ et de l'Église, sans s'exposer au feu éternel et au renverse-

ment de leur puissance. Les princes du siècle tiennent, selon

l'ordre de Uieu, leur puissance et leur dignité de l'Église, les prin-

ces de 1 Églisetiennent l'autorité qu'ils exercent non pas des princes

de la terre, mais immédiatement de Dieu. »Et plus loin « Les

princes du siècle doivent savoir que l'un et l'autre glaive, le

(t) Bpist. xxut, p. 00et s. « Nec se deciplat quisquam eredendo quod prtncipes

sectU MMatntaUqutd ataUtere et quasi tegem observare vel observari facere, qnod

.tbttet tegt divine, MMconstttationt ecete~taattc<B,niai in dtvbhmem sut ab unitate

corports Christ!et eecteattc,et perpetuamadjectioaem tgot gehcnnm,et justam sabver-

sionem aMa)prtBpMttMne.Prtncifeeetthn secaMquidqutd habent potestatis a Ceo or-

dhtatm et dtgnMatbreetptMatab ecctMta; prtMtpea vero ecetestœ nthtt potestatis aut

dignitatis ecctes~Ucm reetpttttttab aUqua seculari potestate, sed tmmedtate a Det or.

d~aattone. Debent prtnctpM aecuMn<Meequod ttterqae gladius, tam materiaMsvide-

Mcetqnam aptrMatte.gta~M est Petri sed sptrttaMgladlo Mtatttm'principesecetesta)

qui vtcemPetri. et toeMMPetri teae)tt per aemeUpM~matertaMautem gladio Ntant«r

pftncipMeedMtat per manttm et mtntatertMmpr'ndpNMnectttarfum,qui ad natom et

dbpMtMonetMprtactpam ecetesta'. gladium quem portât ~hent evagtaare et la tocam

8))umfemittere.? Il

Page 163: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEN AGE. ,59

glaive matériel et le glaive spirituel, est le glaive de Pierre. Lesprinces de l'Église, qui tiennent la place de Pierre et qui le repré-sentent, se servent du glaive spirituel par eux-mêmes, et du glaivematériel par les mains et le ministère des princes séculiers, quidoivent tirer le glaive qu'ils portent et le remettre dans le four-reau sur le signe et par l'ordre des princes de l'Église. »

C'est par un sentiment d'inébranlable fidélité à ces maximesque Robert de Lincoln est, à plusieurs reprises, entré en lutteavec le roi d'Angleterre. Tantôt on le voit soutenir contre les lé-gistes de la couronne les droits des enfants nés hors mariage, maislégitimés par un mariage subséquent, et qu'une jurisprudencetrop sévère, opposée à la loi canonique et à la loi naturelle, consi-dérait comme des bâtards (1). Tantôt il écarte des fonctions sa-cerdotales les candidats, recommandés par le roi, qui ne remplis-sent pas les conditions d'Age et de savoir exigées par les lois del'Église (2). tt maintient de tout son pouvoir la liberté des élec-tions ecclésiastiques, et il conjure l'archevêque de Cantorbéry dene rien négliger pour la défense d'un droit aussi précieux, quemenacent l'intrigue, la violence et la captation (3). Il interdit auxprêtres de son diocèse, en fussent-ils requis par un ordre duprince, d'exercer les fonctions de justicier que l'Église a déclaréesincompatibles avec le caractère sacré de ses ministres. Il leur in-terdit de même, et il refuse personnellement de répondre à aucunecitation devant des juges séculiers, n'admettant pas que le ma-gistrat civil ait juridiction sur la personne des clercs (4). 11n'i-gnore pas au reste à quels dangers il s'expose par une telle con-duite, et il laisse entendre, avec une simplicité touchante, qu'ilaimerait mieux ne pas avoir à les affronter. Maisil songe à son

(1)Npb<.xot,p. 77 « MtMtexquaprolos,nataantematrimoniumsubsequens,pMttcMttraetmnmatrimoatumvehttUte(tHtmaexhairedatttf,lexeutintquaetmj~ta,J)tr<nat)M'aMetdivino,canonieequoqueeteiviltcontraria.o

(2)~pM.xvM.p.M aW.deGranahacratitmeM)aadcurampastoraïemnonad-tnlUlmU8,quo&ipseestwoodsœtaUset Itterall1rœminussumclentls,JluervldeUt'ctmUMmut).q<Mdtpaeest mttMfhœtattset Uterattu'mminnaMtCMentitt,puervtdeUfetadhocadOvidhtmephtotammpattMampon-tgetM;quaMnonpoMemMscuraMpMtora.lemcoMmitteMnMtranaftredtendottgutasMcr<epagtntBet reverendassanctorutnpa.tt<UMMMMtttttU<MMth))/J

(3)~t~. umm, p. Mt et 206 MFamavolitanteperomniumora,dectamatarquodlaetectiontbttsfactemdbJamiaM'pHmoHuMgmvbtermrh,m!aarMmetprecumatOMtarometseducenUamhtandittamm~fofUterinvateacere.»

(4) ~M. M~M, p. i<M; Mvm, p. iMtunu~p. i!0&et«.

Page 164: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCCRStOXSMtSfOMQUESETPMtLOSOPtMQ~ES160

salut éternel, et cette pensée le rend invincible; car il aime

mieux, dit-il, tomber entre les mains des hommes, auxquelles on

peut échapper avec ]a grâce de Meu, qu'entre les mains du Dieu

vivant, auxquelles nul ne saurait se soustraire (i).En se portant le défenseur énergique, et quelquefois hautain,

des immunités et des lois de l'Église contre le pouvoir royal.ttobert Brosse-Tête se soumet humblement à l'autorité du saint-

siège. Partout, dans sa correspondance, il témoigne la déférence

ta plus respectueuse pour le souverain pontife. My représente la

papauté comme la lumière des peuples chrétiens, comme la mal-

tresse des Églises, comme le fondement sur lequel repose le

monde. Il se déclare, quant à lui, fermement résolu à la servir et

Alui obéir.

« De même que dans l'ordre visible, dit-il (2), le soleil dissipeles ténèbres du monde par l'éclat de sa lumière, et, selon l'opi-nion des sages du siècle, règle et tempère par son mouvement le

mouvement des autres corps naturels, de même, dans l'ordre ec-

clésiastique, le souverain pontife, qui en est le soleil, dissipe, parla lumière excellente de la doctrine et des bonnes oeuvres, les

ténèbres de l'erreur, répand la connaissance de la vérité, et parses décrets ordonne, règle et gouverne les mouvements de l'Égliseuniverselle. Et de même que, selon la science profane, après le

(t) xxvt.p.104et t05 SisecunduMpMescriptamformamdominoregirM-<rtbaM.thneoincidereinmanusDe!vhentis siverosecundumpraescriptamformam

denegemtuerescriptoram.dMMUsvideturMasio.quinineMaminmanu~hominom.ConNdMterincidendumMtpotiusin tnannshominum,deqn!bnsDeaspotesteripere,quaminmanost~'i.de quibusnonest quiposdtcruerp.

(2) xxT!,p. <96 «Qut'madModnm,ut sentinnthujusseeuMexquisitoresprudeatia?et intpM!g<'))tia',mundistatus,decoretordo,postmundiconditoremange-thwqnt-spuritnsadconditorisnmtamadministratortcs,debentsesolivisibilimMndiqnecardinibus;sic,ut veracitersentiontqui qoMsarsumsuntsapiant,postmundieon-ditoremetredemptorem,curiamquecœtestemexslriritibusbeatisangelorumet Mne-Inrumadunatam;status,deccret ordouniversalisecelesiaedebetsesuos~M,suisquefardinibns,hocestsummopoutificisibiqueassistentibtseardinalibns;ideeqnesaocteBrotiMna*ecete~tœdebetarab universisecetes!a!Ntitsdevotissimaebedientia,honora-M~sitMreverentia,fer~entiss'mnsamor,snb}e<'ttS9imnstimor;ft hœcethissimMiaabe:sdebenturebtigattnaetfortiusquipersabitmitatemgradusecctesiastMfastigioec-

ttefiiœ,idestsamtnopomti6cietcardinalibus,adharentproximius.Qa!aig!t))ret ego,licetindignus,ind~nMatMepiseopalbgradumsimsnbMmatus,faleormetantoaretiusetobligatinssnbjeetionisetobedientHesummoponttM aanctœqueecetestœromanceMnstMutumdebitorem,quogradumadeptnsMmattMfem.M

Page 165: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRADERS LE MOYf-S AGE. t6<

EMCMMMNtMOM~CM. <'t

Créateur et les célestes intelligences qui sont ses ministres, lemonde doit sa stabilité, sa beauté et l'ordre de ses parties au soleilvisible et aux potes de l'univers; de même, selon ceux qui pos-sèdent la science des choses d'en haut, après le Créateur et le Ré-

dempteur du monde, environné de la cour céleste que forment

autour de lui les anges et les saints, la stabilité, la beauté et l'ordre

de l'Église dépendent de son soleil et de ses pôles, je veux diredu souverf.tn pontife et de ses cardinaux d'où il suit que tousles enfants de l'Église doivent à l'Église romaine obéissance, res-

pect, amour fervent, crainte et soumission; et ces devoirs enchal-

nent chacun d'eux d'autant plus étroitement qu il occupe un

rang plus haut dans la hiérarchie. Moi donc, qui, malgré mon

indignité, me suis vu appelé aux fonctions de l'épiscopat, je me

considère comme attaché au saint-siège par des liens d'autant

plus étroits de sujétion et d'obéissance, je reconnais ma dette

envers FÉglise romaine pour d'autant plus grande que ma chargeest plus élevée. »

Telle est la profession de foi de Robert Grosse-Tête; elle est

franche, elle est simple; elle ne tend pas à établir entre les bul-

les apostoliques des distinctions captieuses qui autorisent la déso-

béissance et la rébellion.

Dans son dévouement au saint-siège, l'évèque de Lincoln était

résigné d'avance à tous les sacrifices d'argent et autres que, parle malheur du temps, la cour de Rome se trouvait réduite à

réclamer. En 1246, le pape Innocent IVavait en Angleterre un lé-

gat, nommé maître Martin, qui cherchait depuis deux ans à re-

cueillir des subsides pour le saint-siège, engagé dans une lutte for-

midable avec l'empereur d'Allemagne Frédéric M.Le roi Henri 111,

qui avait lui-même besoin d'argent, craignait d'appauvrir son

royaume; exaspéré par les instances d'Innocent, il alla jusqu'à in-

terdire provisoirement au clergé d'Angleterre de payer aucune taxe

au légat (1). Il est vrai qu'il revint bientôt sur cette décision rigou-reuse et accorda au pape la levée des six mille marcs que celui-ci

réclamait. Quelle fut dans ces conjonctures l'attitude de Robert

Grosse-Tête? Se prononça-t-il contre l'avidité des Italiens, contre

les extorsions de la cour de Rome, ainsi qu'on pourrait le supposer

(t)MathieuPari%HM. m~or, p.707,7t6 NM.Mhter,M.HO,T«,2.

Page 166: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCUSIONSHtSTOMQUESETPHILOSOPHIQUES<69

d'après le caractère et les sentiments que la tradition lui prête?

Figura-t-il même à côté de ces prélats, faibles et indécis, que

Mathieu Paris et d'autres historiens nous montrent remplis d'an-

goisses, incertains s'ils obéiront au pontife ou au prince? Nulle-

ment. Son attitude, son langage furent bien autrement tranchés;

il prit la défense du pape, et ne craignit pas d'adresser au roi la

lettre suivante, qui nous a été heureusement conservée (t)

« Votre Seigneurie nous a écrit qu'elle s'était étonnée et émue

que nous eussions formé le projet d'imposer aux religieux et aux

autres membres du clergé de notre diocèse une taxe pour le ser-

vice du pape. Votre Seigneurie sait qu'en cela nous n'avons point

agi de notre propre autorité, et que nous n'avons pas été les seuls

A donner un tel exemple, mais que nos vénérables frères dans

l'épiscopat ont tenu la même conduite que nous, selon l'invitation

qu'ils avaient reçue du légat du saint-père, maître Martin. Nous

nous sommes les uns et les autres comormés aux ordres du souve-

rain pontife, envers lequel la désobéissance est un péché de magie,

(t) B~M. cxtx, p. MOet s. « Sfdpsit nobis tWfenda dMntnathtwstfa vos mifart

non medh amet moveri saper eo, qnod taMagiomde viris religiosiset dedeis asstdere

et coM!gMead opus domini pap)Bpropmtimusper ans ipsos. Noverit itaque vestne s!n

wrKatts dMcn'tio, qmod nos nihil ta bac parte per nos ipsas tacimns, hoe est, nestŒ

auctoritate, vel soM,cam venerabiles patrea coeptaeep!nostri H idem raclant, ve!jaM*eft~tat maneipaverint, seeundum fonnam a magistro Martino, domini papœ nnne!o,

dum adhac tn M<partibus moram ÊMueret.eisdemtraditam qota stmititer ai nos ad

id c<HnpetUtsammiponUNebanetodtas et prœceptum, cui non chedire quasi peMatomest ariolandi et quasi <ce!us idololatriaenon adquiescere. Non igitar est admïmthme

dignum, quod eoeptscMttinostri et nos ta hac patte &eimns st'd admiratione malta et

ind~natiene quam phtrima esset d!gn:Mtmam, si etiam non reaatt vel jtMsiathpnd

hnjtMmodt vel etiammajus non iàcerenMM.Videmusenim patrem nostrum et matrem

sptrUatesquibus incamparaMMterplus qnamcarnalibus tettemurad honorem, obedien-

ttam, reverentiam, et ta suMneee~tatHMMommmodam MbvenUoaem, exiMeretega-tus, peKeenthmibMSet tribulationibus andique coangtMtatos.patdnMnto aao Npotiat<M,de propria, unde, nt decet, sustententur, non habentes. Si tgttaretsin tali statce~ds-

temtitMsnon sMbveniamM~certum est quod maadatum dominide honorando patentes

tKMMgtedimar;necsuper terfam tonga-vtedmas, née in NtNsjueaadaMmar, necin die

oraUonis nestrœ exa<td!emMrthooMmqneDmainiab~idemos,et benedietionemip~usnotumas, domesqae ationtm inNmMMua,nobis ipsis dedeeori MMNS,taMtammatam

et Mtated!ctionemsaper nos accMBtttamtM,sicut ex sefiptorfBtestimonMsevidenter

perpeadere possumus. Non igitar regia clementia,qmo thronum Bhnat regium, inhi-

hfbtt aut !mped!et NMespatrem et matrem honorare volentes,sed ntagts hoc eoram

propositain, at regiam decet magaiSeenuamet magnanimitatem, laudabit, juvabit et

pMmoMMta~qoead ceasMMBationetB.Sciât qnoqmepro certo vestra dominatio, qnod

qtticumque vobis in hac patte alind eoasntnnt, honori Kgto non ptospiciMnt. u

Page 167: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATBAVKB8M:MOinEKA6E. <63

et la rébellion un crime d'idolâtrie. Une pareille détermination de

notre part n'a rien qui puisse étonner; mais ce qui devrait sur-

prendre au plus haut degré, ou pour mieux dire exciter utM in-

dignation profonde, ce serait que, même en l'absence de toute

recommandation, nous eussions procédé autrement que nous ne

t'avons fait. Arégard de notre père et de notre mère spirituels,

nous sommes tenus à plus de respect, &plus d'obéissance, à plus

d'égards qu'envers nos parents charnels; c'est un devoir pour

nous de subvenir à leurs nécessités. Or nous les voyons exilés,

persécutés, en butte à mille tribulations, dépouillés de leur pa-

trimoine, ne possédant plus de quoi pourvoir par eux-mêmes à

leur propre subsistance. Quand ils se trouvent réduits à une aussi

déplorable condition, si nous ne leur venions pas en aide, nous

violerions la loi de Dieu qui nous commande d'honorer nos pa-

rents nous n'aurions pas à espérer de longs jours sur cette terre;

nous ne serions pas réjouis dans nos enfants, et nos prières ne

seraient pas exaucées nous repousserions loin de nous la crainte

du Seigneur, et nous renoncerions volontairement à ses grâces

nous ébranlerions les maisons de nos fils, en attirant sur nous-

mêmes la honte, l'opprobre et la malédiction, ainsi que chacun

peut s'en convaincre par le témoignage des saintes Écritures. C'est

pourquoi la clémence du roi, laquelle est le fondement de son

trône, n'entravera pas et ne retiendra pas les enfants qui veulent

honorer leur père; mais bientôt, comme il convient à la magna-

nimité et à la majesté royale, elle approuvera leur dessein; elle

l'encouragera et le secondera. Que Votre Seigneurie en soit bien

persuadée ceux qui lui donnent d'autres conseils n'ont pas de

souci de son honneur. »

Nous sommes loin, il faut en convenir, du ton amer et violent,

des invectives outrageantes contre la cupidité italienne, que les

historiens mettent dans la bouche de Robert Grosse-Tète et qui

caractérisent quelques-uns de ses écrits supposés. L'évoque de

Lincoln, dit Mathieu Paris (i), se montra ouvertement le censeur

du pape, <~MMMM~Mf ~<M~ MMMM/M~le contempteur

et le marteau de Rome, ~<MM<M<M'M~ co~e~p~ et,

tout au contraire, quand le fidèle prélat prend la plume il nex-

(i) Hist. M<~<M,P. 876.

Page 168: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

KXCURSMXSHISTORIQUESET M!!t.OSOPHt<~E8f!t

prime &l'égard de la papauté que les sentiments du fils le plussoumis et du champion le plus dévoué.

est vrai que Robert Grosse-Tête ne s'est pas toujours trouvé

d'accord avec les légats du saint-siège en Angleterre, et que plusd'une fois il est resté sourd aux recommandations qui lui étaient

faites en leur nom, comme il restait sourd aux recommandations

du roi lui-même. Mais les refus qu'il oppose à des demandes in-

considérées ne trahissent aucun sentiment acrimonieux, aucune

veHéité de résistance haineuse et schismatique. Bien plus, il ré-

pudie nettement toute pensée de ce genre il désavoue toute ex-

pression qui aurait paru blessante a ceux dont il a repoussé tes

sollicitations indiscrètes (i). Ainsi le cardinal et légat Othon avait,sans en prévenir Robert, disposé d'une prébende de l'Église deLincoln. en faveur d'un clerc attaché à son service, mattre Acton.

Robert insista pour que cette nomination fut rapportée; mais en

quels termes réclame-t-il? En reconnaissant que le pape a le droit

de disposer de tous les bénéfices ecclésiastiques (2). Il constate

seulement que l'exercice arbitraire de ce droit, sans l'avis préa-lable des évoques, avilit l'autorité épiscopale, expose à faire de

mauvais choix, et engendre des scandales. Peu de temps après, le

cardinal Othon eut Apourvoir un autre clerc, maître Thomas, filsdu comte de Ferrare. Cette fois, il n'osa point nommer directe-

ment son candidat, et il se contenta de le recommander à Févéquede Lincoln. Comme le candidat était jeune et sans instruction. le

prélat, cédant à des scrupules de conscience, ne put se résoudreà lui confier une cure; mais il délégua ses pouvoirs au cardinal,et le laissa maître d'agir à son gré, en émettant l'avis qu'il serait

opportun d'adjoindre un vicaire à maltre Thomas, si celui-ci

était nommé, et que néanmoins mieux vaudrait encore le dé-

charger de toute fonction active, et lui laisser seulement une partdans les revenus de la paroisse, qui serait alors pour lui une sortede bénéfice sans charge d'Ames (3).

(t) NpM.ut, p. W Avertata nobisDomtnasut qaenqaam,nedmnvestramSanctitatemaoMaperpetnocarissimammaligaitatisaMo~asaculeoattemptemuscon-ttagMe.B

(2)~p4<.xux,p.M5 Sdoetveraciter<c!o,domhttpapeeeteaneteMmanmec-dMitetmnfessepotestatem,at de cmnib<MbeneacHsecelesiasticisNbeMpoMitor-<MnaH*.x

(3)~pM<.m, p. i6t et e.Cf.~pM. n~ p. <M.

Page 169: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVEBSLEMOYEXA~E. t<!5

Les faits qui précèdent démontrent que la papauté n~ut pttsun adversaire, ni même un censeur rude et acerbe en la per-sonne de Robert Grosse-Tête, mais plutôt un ami fidèle et unserviteur. Elle reconnut elle-même la déférence et le dévouementdu prélat en lui donnant les marques de bienveillance les moins

équivoques. Ainsi, dans ses fréquents démêlés avec son clergé, son

chapitre et les diocèses voisins, presque toujours il eut gainde cause en cour de Rome (t). Mathieu Paris prétend qu'il acheta

ses succès Aprix d'argent (2); nous aimons mieux croire qui! hs

dut à son bon droit et Asa bonne renommée. Mêmeen cette ma-

tière, alors si délicate, de la collation des bénéfices, il éprouva1«satisfaction de voir les maximes qu il avait constamment défen-

dues triompher enfin des hésitations du saint-siège. Innocent 1\

en effet, au mois de mai <252, promulgua une bulle par laquelleil convenait des mauvais choix arrachés à la cour de Rome parla brigue et les sollicitations, et restituait Al'autorité diocésaine

et aux abbés des monastères le droit de pourvoir aux bénénces

ecclésiastiques, nonobstant toutes provisions accordées par le

saint-père ou par ses légats (3). Cette bulle était un remède

officiel, et, pourvu quelle fût suivie, efficace, aux abus contre

lesquels Robert Grosse-Tète s'était élevé avec autant de fermeté

que de modération. Elle rendait superftue toute protestation

nouvelle, et dès lors elle achève d'enlever toute vraisemblance

à l'acte d'énergique opposition qui aurait, dit-on, terminé la car-

rière de l'évoque de Lincoln. On pourrait objecter, en s'appuyantsur un passage des .4w<a/M de Bw~o~ (&), que la bulle d Inno-

(t) MathieuParis cite plusieurs bre&du 8aint-&!ege,tousfavorablesà RobertGM-sc-·

Tete. savoir un bref du 23 août 1M3contre l'abbaye. de Cantorbéry; un autre

du 25 août 1245contre te chapitre de t'éveehé de Lincoln; un troisième,du t7

mal 1250, qui dessaisissait d'une partie de leurs revenus les religieuxdu diocèse

nmdernier Mnn du 23 septembre 125~ permettant à Robert d'ttaMir d<svica-

riats.

(2) Ad. ann. ta45. p. 688 Post multos labores et pecuniarum in~stimabitium

eOasiones.» -Ad ann. 1250,p. 772 « Non sine maxime pecuniœeffusione.»

(8) MathieuParis, ad ann. 1252,Hist. NM~or,p. 846; ~M~. M<Nor.fol. 153 V, 2

« Temporesnb eodemconcessitdominus papa Usqui dignitatibus gandebant, et supra

modum in partibus maxime transalpinis epprimebantnr, ut rite de ipsis dignitatibus

ipsiad quos pertinebatelectio, Deumhabentes prœ oeulis ordinarcnt. e

(4)~MtM<Mde ~t<f<oa,p. 3t4 « Eodem tempore (ad ann. 1253)acceptispnedictis

literis domini episcopi UncotnitBet eisdem leetis et iateUeetis summns pontifexar-

Page 170: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

«M! EXCURNON8MtSTONtOC~ ET PHtLOSOPMQUES

cent IV relative aux bénéNces ecclésiastiques n'appartient pas à

l'année 1352, mais au mois de novembre 1353; qu'ainsi elle n'a

pas précédé la réclamation suprême de l'évoque de Lincoln;

que, loin de la, elle a été la réponse dn pape &cette réclamation.

Mais, outre que le témoignage anonyme de l'annaliste de Burton

ne saurait infirmer l'indication si préoise donnée par Mathieu

Paris, les ~~</aMP~~ qui complètent l'Historia major compren-

nent deux bulles d'Innocent IV touchant la collation des béné-

Sces (t) l'une est en effet datée de Latran, le troisième jour des

nones de novembre de la onzième année du pontificat d'Innocent

(ce qui correspond au 3 novembre 1253); mais l'autre est datée de

Pérouse, le dixième jour des calendes de juin, neuvième année

du pontificat, ce qui nous reporte au 23 mai 1253. Mathieu

Paris, en deux passages différents, se réfère tour à tour à l'une

et à l'autre bulle; et il est si loin de considérer la plus récente

comme une concession du saint-siège aux acerbes remontrances

de Robert Grosse-Tête, qu'il nous montre, dès le paragraphe sui-

vant, Innocent IV aveuglé par la colère, s'acharnant contre la

dépouille du vénérable évéque de Lincoln, lequel lui apparaîten songe, lui reproche sa coupable conduite, et le laisse tout

meurtri d'un coup de crosse au côté droit (2). Quant à cette

dernière partie du récit, elle appartient au domaine de la légende,

et nullement au domaine de l'histoire. Si elle prouve quelque

chose, ce sont les sentiments personnels, les préventions et la

crédulité de l'historien.

Nous venons de voir, d'après la correspondance de Robert

Grosse-Tête, quels étaient ses sentiments et quelle fut sa conduite

à l'égard du saint-siège. ll nous reste à toucher quelques mots

de ses rapports avec les ordres religieux.11était pour son propre compte rigide observateur des lois ca-

noniques, et il n'en tolérait pas la violation chez les autres. Il a

dû par conséquent se montrer impitoyable contre le relâchement

t-h!epbcop!s,epiacopis et qnibasdam abbatibus regni AngtîœXM paria literarum vel

ampthMbnMatasab hac ihrma tmnsmMt. Sait une baUe datée de Latran, Bt non.

de novembre,m'année du pontMcatd'Innocent IV.

(<)Pag. 184et i9t. Watas a interverti t'ofdre de ces denx buMe~.Il n'est pas inctite

de faire.remarquer que le texte de la batte de M62 est très certainement mmUté.

(2) Ad ann. 12M, p. 883.

Page 171: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A MA~EM LE MOYEXARE. i&7

et l'ignorance qui régnaient dans les vieux monastères. Sous ce

rapport, sa conduite justifie pleinement les rancunes de Mathieu

Paris, qui ne lui pardonne pas d'avoir rendu la vie très dure aux

religieux. Cependant il n'était pas, comme on l'a prétendu, l'en-

nemi des moines, et nul au contraire n'attachait plus de prix aux

services que les communautés monastiques peuvent rendre a

l'Église, quand elles ne s'écartent pas de l'esprit de leur fondateur.

A la voix de saint Dominique et de saint François d'Assise, les

premières années du xnt" siècle avaient vu s'élever deux ordres

nouveaux, dont l'ardente charité contrastait avec l'indolence

et les vices de beaucoup d'autres ordres anciennement fondés.

Robert Grosse-Tête prononce rarement le nom des Dominicains et

des Franciscains, sans rendre hommage à leurs lumières, &leurs

vertus, à leur dévouement. C'est dans les rangs de ces deux con-

grégations qu'il aimait à choisir ses coopérateurs et ses conseillers

les plus intimes. Il existe plusieurs lettres de lui, adressées aux su-

périeurs, et par lesquelles il demande que quelques frères soient

délégués près de lui pour l'assister dans le gouvernement de son

diocèse (i)..1 les veut surtout versés dans la connaissance du droit

civil et du droit canon, afin qu'il puisse prendre confidentiellement

leur avis dans les cas litigieux, rendus de jour en jour plus fré-

quents par la mobilité des lois et par la contrariété des juge-ments (2). U n'approuvait pas les prélats qui redoutaient de voir

les couvents se multiplier et se faire concurrence les uns aux

autres. Telle était l'appréhension de l'évoque de Coventry et de

Lichfield, Alexandre de Stavensby, qui, voyant les Franciscains

à la veille de s'établir dans la ville de Chester, où les Dominicains

avaient déjà un couvent, nt le plus mauvais accueil aux nouveaux

venus. Robert Grosse-Tête se mit en devoir de rassurer et même

de tancer vertement le prélat trop craintif

« Votre Seigneurie, lui écrit-il (3), sait combien la présence des

(~ Bp<!<.MV, nv, xx~ MH, XL.xu. p. 59, 61, 71, 117, 131, 133.

(2)Bpiat.ïv, p.Ci «Addentesaliquemte<-H<uudefratribusvestris,quiinjurisci.

vMiset canonietperitia~torttprobatuset exercitatna,cujuspossnmsanoet incor-

ruptontt secretinscmMMo.ta tot daMiarasibusineesMnteremefgenttbus,et intanta

jmfisperKontmhomtmNmsecatadamnutanteet iacertavarletate.»

(3)~<. Mxnr,p. 121 Sctt vestMdiscretioquamutOtsestpopulo,curaquo

habitant,FratmmMinorampftMemtiaet cohabitatio,cumtamverboprœd!cattoats

qnamexemploMnctmcœteattsqaeconversationisetdevotionejngtsorationiscontinue

Page 172: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

<M EXCfR8MM<8MtSTOMQUESET PHILOSOPHIQUES

Frères Mineurs dans une localité est ntile'aux habitants. Leur pré-

dication, l'exemple de leurs vertus, leurs prières sont une source

de paix et de lumières les évoques trouvent en eux des auxiliaires

qui en grande partie les suppléent. Vous avez craint que l'arrivée

des Frères Mineurs dans la ville de Chester ne nuislt aux Frères

Prêcheurs, déjà établis dans cette ville, comme si les aumônes

des habitants ne suffisaient pas à l'entretien de l'une et de l'autre

communauté. Mais veuillez considérer combien cette appréhen-sion est vaine, l'expérience démontrant que la présence simul-

tanée de deux familles religieuses dans les mômes lieux est pourtoutes deux une cause de richesse et non d'indigence. L'aumône

est comme une source vive qui répand ses eaux avec d'autant plusd'abondance qu'on y puise plus largement. Connaissaut donc

le fervent amour qui vous anime pour le bien, nous avons l'espoir

qu'après y avoir rénéchi non seulement vous ne repousserez pasles Frères Mineurs, mais que vous les appellerez à vous et vous les

adjoindrez comme auxiliaires. »

On peut juger, par les indications qui précèdent, que la phy-sionomie de Robert Grosse-Tête, telle qu'elle ressort de l'étude

de sa correspondance, n'est nullement celle que la tradition lui

attribue. Si les lettres que nous avons citées sont authentiques, et

leur authenticité n'est pas contestable, il est manifeste que les

documents sur lesquels la tradition repose sont apocryphes; que les

récits, en apparence inattaquables, qu'elle a recueillis et con-

sacrés, sont mensongers. Vainement on croirait tout concilier en

alléguant que les hommes changent, que l'évoque de Lincoln a

changé comme tant d'autres, et que, sur la fin de ses jours, aprèsavoir longtemps défendu le saint-siège, poussé &bout par les

empiétements et les extorsions de la cour de Rome, il s'est re-

~tindefesseportentpacemet patriamiUnminent.snppïeantqaein hacparte,proma-

parte,defectumprœlatomm.S!antem(brtetimnbtisad horamqnodFratrnmMi-nommapudCestriamprœsentiaFratribusPreedicatoribasibidemdegentibusobesset,

quasint risquenonforetMfMeMad vietumcivinmpopnllqueeteemosynaadvertat

dttigentiusvestradisereUoquamvanafnertthujustimorisMtMtndo.cnmexpertenttacomportantait,quodutrorumquefratrumineademcivitatecohabitauonentrisvergatin egestatem,sedutrisqaein abundantiam.NeeoMsynaenimest stcutfonsvivus

qui tantocopiosiusfonditaquas,qnantouberiusbauriuntur.Cumig!t)tfin voMa

semperabnndaveritet abnndetvertboniiërvidnaamor,speramnsqnod,perhibitade-

iiberatione,dictestratresnonMÏumnonrepeUetVMtrœeanctitatisdiscretio,sedde-siderantersibiadsdseetin adjutorfum.»

Page 173: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEN AGE. «:<t

tourné contre elle et a donné un libre essor aux sentiments qn ilavait contenus jusqu'alors. Quelle que soit la mobilité des opinions

humaines, de tels changements ne se supposent pas; il faut, pour

y croire, que la critique en trouve quelques traces dans le témoi-

gnage des contemporains. Or, nous ne lisons nulle part que Robertt

(.rosse-Tête ait jamais varié de sentiments et d'attitude; qu'il ait

figuré tour à tour dans des camps opposés, et que les impatiences

et les colères de sa vieillesse aient démenti les convictions de

sa vie.

Comment expliquer maintenant que Mathieu Paris, un contem-

porain de Robert Grosse-Tète, ait donné place dans son histoire A

des faits controuvés, relatifs à un prélat qu'il avait connu, et't

dont il ne pouvait ignorer ni les sentiments ni les actes? ruelles

que soient les préventions de l'historien, quelque partialité hai-

neuse qu'il témoigne contre la cour de Rome, il est difficile de

penser que, fût-ce pour nuire au pape, il eût osé mentir de propos

délibéré et propager impudemment des fables dont il aurait été

le premier auteur. Dirons-nous que ces fables sont des interpola-

tions qui datent de la fin du THM"siècle et qui sont l'oeuvre des

continuateurs de Mathieu Paris? Cette conjecture n'aurait rien

d'improbable si le B~/M~ Mt~CMMtne possédait pas un exemplaire

de l'~M~Mï MtMMM~écrit de la main même de l'auteur, et dans

lequel sont reproduits, à peu près textuellement, la plupart des

récits de l'~M<o~ major. Mais l'existence même de cet exem-

plaire autog.'aphe ne suf&t-elle pas pour écarter tout soupçon

d'interpolation? Remarquons cependant que la partie de l'ouvrage

que Mathieu Paris passe pour avoir lui-même transcrite s'arrète

à l'année 1352, et qu'à dater du commencement de 1253 une

autre main parait avoir tenu la plume; de sorte que cette der-

nière partie, qui contient précisément les passages relatifs A

Robert de Lincoln, n'a pas la même autorité que les précédentes.

Remarquons &usai que la violente diatribe contre la cour de

Rome, que l'Historia MM/<M*attribue à Robert de Lincoln mou-

rant, ne se retrouve pas dans l'~M~M t~w~ soit que dans

l'~M<<M'Mmajor elle ait été ajoutée au texte original par rinR-

déiité de quelque copiste, soit que Mathieu Paris, après l'avoir

admise d'abord, l'ait ensuite rejetée lui-même comme apocryphe.

Quoi qu'i! en soit, quand nous considérons les faits controwés

Page 174: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

t70 EXCURSIONSHISTORIQUESET PHILOSOPHIQUES

relatifs à Robert Grosse-Tête que retrace l'Historia major et

même l'jHM<<M~minor, ce qui nous parait le plus probable, c'est

que le moine de Saint-Albans, implacable adversaire de la pa-

pauté, toujours prêt, en dépit de l'habit qu'il portait, à dénoncer

la tyrannie et les abus de la cour de Rome, se sera rendu, sans

le vouloir, le complice d'une fraude; c'est qué, abusé par d'in-

justes préventions, il aura trop légèrement accueilli des anecdotes

suspectes qui flattaient ses rancunes, et des documents supposés

que les ennemis du saint-siège faisaient courir sous le nom de

l'évèque de Lincoln.Dans plusieurs manuscrits sans doute, aussi bien que dans

l'j~f~ofM major, la lettre au pape Innocent IV est attribuée à

Robert Grosse-Téie; mais nous ne croyons pas être accusé de

témérité en conjecturant que le copiste, sinon le rédacteur lui-

même, de cette pièce apocryphe, l'aura placée sous un nom

vénéré pour donner plus d'autorité aux plaintes qu'elle exprime.Nous en dirons autant du prétendu mémoire adressé au souverain

pontife en i250, et de la lettre écrite à la noblesse d'Angleterreet aux bourgeois de Londres. On sait que ces fausses attributions

n'étaient pas rares au moyen âge; elles avaient lieu d'autant plusfacilement qu'elles s'adressaient à des esprits crédules, et échap-

paient au contrôle de ceux qui auraient pu les rectifier. Unefois en

circulation, elles acquéraient peu à peu la valeur d'une tradition

à peine contestable. C'est ainsi, à notre avis, que les vertus épis-

copales de l'évoque de Lincoln ont servi de thème à des récits

sans vérité et à des lettres supposées, dans lesquelles la noble

fermeté du prélat se trouve transformée en une résistance ouverte

et presque factieuse au saint-siège. De là est née une tradition

fausse qui date du moyen Age, que les disciples de Wiclef ont dA

recueillir et propager, et dont l'expression la plus complète fat

au xvt" siècle un poème sur Robert Grosse-Tête qui a été publié

par Wharton. Au reste, il n'est pas facile en général de remonter

à la source des erreurs historiques les mieux démontrées, ni de

découvrir où elles ont pris naissance et comment elles se sont

répandues. Un point demeure constant, c'est que les écrits contre

la cour de Rome, attribués à Robert Grosse-Tête, aussi bien queles faits correspondants racontés dans l~fM~M'M:major et dans

l'~&M; MM~<M'sont en contradic~on manifeste avec les opinions

Page 175: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSM: MOYENAGE. i7t

qui se font jour Achaque page de la correspondance authentiquede l'évoque de Lincoln. La critique est donc en droit de rejeter

ces écrits comme apocryphes, ces faits comme controuvés, dût

l'autorité historique des deux ouvrages de Mathieu Paris en souf-

frir quelque peu. Tel était le seul point que nous nous fussions

proposé d'établir dans les pages qui précèdent.

Page 176: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen
Page 177: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

UN OUVRAGE INÉDIT

DE

GILLES DE ROME,

PRtcjUTJMJBM PHtHHttLEBN.,

EN FAVEURDE LA PAPAUTÉ.

Page 178: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen
Page 179: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

UN OUVRAGEINÉDIT

PB

GILLES DE ROME,FBÉOBtDMUt DE PBIUPPB M BN.,

EN FAVEUR DE LA PAPAUTE.

Les annales de notre pays oSrent peu d'événements plus consi-

déraMes, par les questions qui s'y rattachent et par tes suites

qu'ils ont eues, que la querelle de Boniface VH1et de Philippe le

Bel. Le clergé de France payera-t-il au roi, sans la permission

du pape, les mêmes impôts que le reste de la nation? Enverra-

t-il au pape, sans la permission du roi, de l'argent et d'autres sub-

sides ? Voilà le prétexte et l'origine du dinerend le dogme et la

discipline ecclésiastique n'y paraissent pas d'abord engagés..

Cependant le terrain de la dispute s'agrandit. Pour soutenir

leurs prétentions réciproques, le pontife et le monarque invoquent

les droits que leur donne l'éminence de leur dignité le pontife

soutient qu'il est le juge et le mattre des rois; le roi répond qu'il

n'a sur la terre, dans l'ordre temporel, d'autre supérieur que

Dieu; une contestation purement fiscale à son point de départ se

trouve ainsi transformée dans le cours de quelques mois en un

débat de la portée la plus grave sur les fondements du pouvoir et

sur la mission temporelle de l'Église dans la sociétécatholique.

Cen'était pas sansdoute la première foisque l'autorité spirituelle

et l'autorité civile donnaient à la chrétienté le triste spectacle de

leurs discussions et de leurs luttes. Quel retentissement n'avaient

pas eu les querelles du sacerdoce et de l'Empire depuis le pontifi-

Page 180: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCUB8MX8 HISTORIQUES ET PHILOSOPHIQUES<7<!

cat de Grégoire VI!, et ces sentences d'excommunication lancées

contre les princes des dinerents États de l'Europe qui étaient

signalés aux rigueurs du saint-siège par le scandale de leurs

mœurs privées et par leurs crimes publics! Maisdans ces démêlés

orageux et sanglants les droits rivaux qui se trouvaient aux prises

n'avaient pas été clairement définis. Lesouverain, qui résistait au

pape, suivait son intérêt ou sa passion, sans s'inquiéter si sa

résistance pouvait ou non être justifiée doctrinalement. Le pape,

de son cûté, montrait plus d'empressement à maintenir ou à

ramener les princes temporels dans son obéissance qu'à énoncer,

sous une forme générale et absolue, les maximes qui étaient le

fondement théorique de sa suprématie. Mais, au temps de Boni-

face VIII et de Philippe le Bel, le conflit entre les deux puissances

change de caractère et tend à devenir, sinon plus modéré, du

moins plus savant les universités y prennent une part aussi

grande que les armées; de côté et d'autre, on se combat avec la

plume et la parole autant qu'avec le glaive; la prérogative royale

a ses apologistes comme la papauté a les siens; la question de

la souveraineté, si longtomps négligée, apparaît dans toute sa

gravité, et, résolue tour à tour dans le sens de l'autorité sacerdo-

tale et dans celui de l'autorité laïque, elle soulève entre les théo-

logiens et les juristes une controverse opiniâtre qui devait se con-

tinuer longtemps après que ses premiers acteurs auraient disparude la scène.

Parmi les personnages que leurs antécédents, leur position

élevée et leur mérite personnel appelaient à intervenir dans le

débat, se trouvait l'archevêque de Bourges, <<Egidiusou Gilles

de Rome, nommé aussi Gilles Colonna. Italien par le lieu de sa

naissance et par sa famille, il était e~tré, jeune encore, dans la

communauté des Ermites de Saint-Augustin. Bien qu'il ne portât

pas le même habit que saint Thomas d'Aquin, il suivit ses leçons

pendant treize années, disent les historiens. Au sortir des mains

de cet illustre maître, il s'élança lui-même dans la lice avec une

vive ardeur et une hardiesse de sentiments qui parait avoir ému

1 autorité ecclésiastique; car il dut bientôt rétracter quelques-unes

des opinions qu'il avait d'abord soutenues (i). Moinssévère enveM

(ilFleury,m~. eee~<<M«?tte,liv.LXXXIII,f. MtM.

Page 181: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSLEM<MfENAGE. t777

lui que ses maux et ses juges, sa communauté le choisit pour

provincial, et peu après, en 1287, elle lui donna le témoignagele plus éclatant de confiance et d'admiration en décidant quedésormais sa doctrine serait seule suivie dans les maisons de

l'ordre, dont tous les membres devaient s'engager ai la recevoir

et à l'enseigner.Le renom que Mutes de Rome s'était acquis dans l'Université de

Paris l'avait fait choisir par le roi de France Philippe le Hardi

pour être le précepteur de son fils aîné, de celui qui dans la suite

s'appela Philippe le Bel. Ce fut à la demande de son royal disciple

qn ~gidius composa le traité célèbre <~MG~M~MM'M~ <<-

ces, tle /~MM~Me~'M«~w~ dans lequel il trace le code détaillé

des devoirs d'un souverain (1). En t285, lorsque Philippe le Bel,

élevé au trône par la mort récente de son père, fit son entrée dans

Paris, nous retrouvons ~Egidins aux portes de la ville, venant ha-

ranguer le nouveau roi ait nom des maîtres de l'Université. Son

discours nous a été conservé par les historiens; malgré les défauts

dont il est semé, il respire un sentiment si vif de la justice, il ren-

ferme de si nobles pensées, qu'on oublie le ton un peu déclama-

toire dans lequel il est écrit, pour ne songer qu'aux fortes

maximes de cette admirable morale que l'Église s'efforçait de faire

pénétrer dans le cœur des rois.

Après l'abdication de Célestin M, en i294, lorsque Boniface VIII

eut été désigné pour le remplacer, Gilles de Rome, alors gé-néral des Augustiniens, composa un traité f~? ~<M~<M<c

/M~ (2), dans lequel il soutenait, contre les adversaires du nou-

veau pontife, que les lois de l'Église n interdisaient pas au papede résigner ses fonctions; que, par la retraite volontaire de

Célestin, le saint-siège était devenu vacant, et qu'ainsi le choix

de son successeur était régulier et légitime. L'ouvrage ne fut ac-

cueilli nulle part avec plus de faveur qu'en Italie, à la cour de

Boniface VtH dont l'élection était contestée par un nombreux

parti. Voulant témoigner sa gratitude comme son estime au docte

(t) LetraitédeNe~tmftMpftncipMM<-sthabilementanalysédanstathèselatinequeM.Coordawanx,pmCBMearde rhétoriqueanlycéedeTroyes,a soumisetoutrécem-

mentà laFacuttéde Pariset qai luia méritéle titrede docteur.

(a)Ceimitéa étépubliéparRoeraberti,an tomeMdesa BibliothecapM~CK~tm.M.

EMCMMMMBNMMOOM.

Page 182: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

i7ft EXCUBStOXS HISTORIQUES ET PHILOSOPHIQUES

théologien, le souverain pontife le promut, en 1295, au siège de

Bourges avec l'assentiment de Philippe le Bel, qui ri eut garded'écarter son ancien précepteur. Gilles de Rome, porté par un

double suffrage aux premiers honneurs de l'église, quitta dès lors

et sa communauté et l'école pour aller gouverner l'un des plusgrands diocèses de France.

Il n'est pas téméraire de conjecturer que le différend survenu

peu de temps après entre le pape et le roi de France causa une

vive affliction à l'archevêque de Bourges et le jeta dans une grande

petplexité. Théologien consommé, prélat éminent, aussi versédans la pratique des aNaires que dans les controverses scolastiques,ni son rang, ni ses antécédents, ni sa juste renommée ne lui per-mettaient de se tenir à l'écart. Mais quel parti prendrait-il dans

le conflit douloureux qui allait diviser l'Église? Il se trouvait placéentre un prince dont il avait élevé la jeunesse, et un pontife dontil avait déjà soutenu les droits; il avait reçu de tous deux des

bienfaits, et il ne pouvait se prononcer pour l'un ou pour l'autre

sans paraître infidèle ou ingrat.

L opinion la plus accréditée, c'est que Gilles de Rome embrassa

le parti du roi et qu'il composa même en sa faveur un traité,dans la forme scolastique, sur les rapports des deux puissances,</<*(7/Me Po~p. Ce traité est bien connu; il figure dans le

recueil célèbre où Goldast a réuni tout ce qui a été écrit de plusfort contre la suprématie pontificale (i). Bossuet le cite sous le

nom de l'archevêque de Bourges dans sa Défense du c/e~ de

~WM'<'(~). Tous les écrivains modernes que nous avons consultés

ont plus ou moins fidèlement suivi la tradition. Parmi eux, un sa-

vant magistrat, historien du Berry, rattache notre personnage à

la famille des Colonna, si tristement fameuse par leur hostilité et

leurs violences contre Boniface VIH;il le représente comme animédes mêmes sentiments que toute sa parenté, et il semble attri-

buer à ce motif presque personnel et son attitude dans la querelleentre le pape et le roi, et la composition de l'opuscule recueilli

par Goldast (3).

(t) Monarchia MtcM Romani <m~'<, Franceiordiee, 1614, in-foi. t. M.p. 9<!et M9.

(2) Lib. tu, c. Mv, ŒMT. compl.. édit. de VersaMtes, t. XXXt. p. M5.

(3) Raynal, du Berry, Bonrgeti, tM6, in.8", t. M, p. 269 et MO. Voyezao~t Rohfbaeher, NMotre unir. de f~hc, 2" éd:t., t. XtX, p. 473.

Page 183: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYE~t AGE. t~

Que cette conjecture soit ingénieuse et que la tradition qui l'a

suggérée compte en sa faveur de graves autorités, nous n'éprou-vons aucun embarras à l'avouer. Toutefois, en nous renfermant

dans l'étude des documents contemporains, nous croyons être en

mesure d'établir i* que le traité de L~'f~MePo~s~e n'est pas de

<.illesde Rome; 2" que l'archevêque de Bourges, loin d'embrasser

le parti du roi.. se rangea du côté du saint-siège; 3" qu'il peutêtre considéré comme ayant inspiré, peut-être comme ayant ré-

digé la célèbre bulle t~«MM~<c~~ qui causa une si vive émo-

tion à la cour de Philippe le Bel, et contre laquelle les défenseurs

de la prérogative royale se sont si souvent élevés.

Il y a dans le traité de ~~«e Potestate un passage remarquabledont l'élévation contraste avec la sécheresse toute scolastique du

reste de l'ouvrage c'est celui où l'écrivain anonyme rappelle les

grands exemples de vertus chrétiennes et de dévouement à l'Églisedonnés par la maison royale de France, et, invoquant les souvenirs

du roi Louis IXque le pape venait de canoniser, place les droits de

Philippe le Bel sous la protection de ce grand et saint monarque (i ).J'ai peine à me persuader qu'un Italien se fût exprimé dans ces

termes et que, pour louer des souverains dont il n'était pas le su-

jet, il eut trouvé des accents aussi pénétrés et aussi attendris. Il

importerait du moins que l'authenticité dn livre où se rencontre ce

beau passage fut pleinement établie. Or, ni les plus anciens ma-

nuscrits ni les contemporains ne l'attribuent à /Egidius, tandis

que les faits historiques les mieux constatés se réunissent pour dé-

montrer le caractère apocryphe de la composition.

Lorsque le dissentiment entre le pape et le roi eut dégénéré en

lutte ouverte, Boniface VIIIpublia une bulle portant commande-

ment à tous les prélats de France, docteurs en théologie et autres,

de se rendre auprès de lui pour aviser de concert aux moyens de

réprimer les entreprises de l'autorité sécuUérecontre les biens et

les personnes ecclésiastiques, d'assurer la liberté de l'Église et de

(t) Goldast,-l. t, p. t02 « PMb~t bonilas vitre, claritas <amœ.devotionis~rvor,

sineedtas Odetchrbtianœ, quee semper in K~bus nostris Tiguitet in K'~to.pfa! <-œ-

teris regibus et regnis hujus mundi. Dominus noster tex eodemtitutoet <'odeM})tn'

tenet regnam suum et possidet, qno tenait beatus Ludovh'Bs. Pro nobbrespendcat

beatns Ludovieus, respondeatejus vita sanctissima, qaa)u crebra M:ra<tt!a pntt<htatt-tnr. »

Page 184: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

t80 EXCURStOXS HISTORIQUES ET PHM~OSOPHMUES

reformer le royaume et le roi. Philippe le Bel, de son coté, fit con-

voquer à Paris une assemblée des états du royaume, la premièreoù les députés de la bourgeoisie aient été admis, pour délibérer

sur les mesures à prendre dans l'intérêt de la couronne. En même

temps, voulant s'opposera la réunion ordonnée par le saint-siège,il interdit, sous des peines sévères, à tous ecclésiastiques de se ren-

dre en pays étranger.Ces invitations et ces défenses contradictoires émanées de deux

puissances, l'une et l'autre respectées et redoutées, placèrent le

clergé dans une situation pleine d'embarras. Une partie, et ce ne

fut pas la moins nombreuse, accourut à Paris porter au prince des

protestations de fidélité et de dévouement; mais six abbés, trente-

cinq évoques et quatre archevêques, bravant les menaces du

pouvoir temporel, passèrent les monts et s'en vinrent offrir à

Boniface VIII l'appui de leur autorité et de leur expérience. L'his-

toire a conservé les noms de ces courageux prélats, consignés dans

les actes par lesquels le roi ordonnait la saisie de leurs biens (i).Or, parmi eux figure l'archevêque de Bourges, celui-là même

qui passe pour s'être constitué l'apologiste officieux de la puis-sance royale. Et il faut bien que, dès l'origine de la querelle, Gilles

de Rome n'ait pas caché ses véritables sentiments et que son atti-

tude ait surpris et irrité profondément Philippe le Bel, car sa pro-motion à l'épiscopat fut l'un des griefs allégués contre Boniface VIII

devant les états généraux. « Lesbénénces de l'Église de France,s'écriaient les orateurs du roi, sont livrés par le pape à des étran-

gers, aides Italiens qui en recueillent les revenus et qui appauvris-sent le pays. x Bien que Gilles de Rome ne fût pas nommé, les

cardinaux romains ne se trompèrent pas sur le sens de cette apos-

trophe, et dans les lettres qu'ils adressèrent tant aux députés de

la noblesse qu'à ceux de la bourgeoisie, ils répondirent que les

seuls Italiens pourvus de bénéfices en France étaient l'archevêquede Bourges et l'évoque d'Arras, qui ne pouvaient être suspects au

prince et dont l'émiuent savoir et les autres qualités étaient bien

connus (2). Le cardinal de Porto, devant le consistoire qui se tint

(1)Dopuy,N~etre dM<S~rettdd'être të~c~e/tOM~Ct~ffe< PA~pc <eBel,foy<fefMMtc,Paris,t66&,in-M., p. M.

(9)VoyMdansDapayta MtMdMcard!naMxauxbaMMde royaume, t,p. 64«Nestr<eqttoqaememoriœnonoecMnritquodcathedraMbusecetMMadieur~nt provi-

Page 185: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEK AGE. lst

&Rome, fit la même remarque, et il ajouta que le roi de France

n'avait pas à se plaindre de pareils choix faits par le pape, puisque

frère ~Egidius, dont il s'agissait, avait été nommé et élevé dans son

royaume. Cesapologies, dans lesquelles le nom de Gilles de Rome

parait seul &côté de celui de l'évoque d'Arras, ne permettent pas

de douter que tes invectives des défenseurs de la cause royale ne

fussent dirigées contre lui (i). Ver~ t301, Philippe le Bel traitait

donc son ancien maître non pas comme un partisan sur le dévoue-

ment duquel il pût compter, mais comme un adversaire dont il

avait tout Acraindre. Ses appréhensions étaient sans doute fon-

dées, puisque l'éminent archevêque avait quitté son diocèse pour

se rendre auprès de Boniface VIII; mais Gilles de Rome aurait-il

changé d'attitude et, ayant soutenu d'abord la cause du pape,

aurait-il ensuite embrassé le parti du roi? Cette conjecture, il faut

l'avouer, n'est rien moins que probable et, pour la justifier, de

simples allégations ne suffiraient pas. H&tons-nousd'ajouter, afin

d'abréger la discussion, qu'elle est contredite ouvertement par

un document très précieux, qui n'a pas encore vu le jour, mais

dont l'authenticité n'est pas contestable.

Les historiens de l'ordre de Saint-Augustin, Gandolfo et Ossin-

ger (2), parlent d'un traité manuscrit sur la puissance ecclésiasti-

que, de Ecc~sMs</cf<Po~/< qui existe dans quelques bibliothè-

ques d'Italie, sous le nom de Gilles de Rome. Gandolfo ajoute que

si ce traité devait jamais être publié, il fournirait des arguments

derit (dom. penti~x) depeKonis Kathts,nis: Bituricen. etAttfebaten.EMtesn~'ttti-

bus de peKonb provtdtt tpsts reg) non suspecta et régna, quorum em:mMssetpntiit!at''

patet, née sunt conditiones eoram inMgnitœ.

Les cardinaux tiennent le même langage aux matTes~t érhevins, 1.1. p. 71 « Qui

quoqne Dominusnosler (PontMex)deMUoarcMepistt<pttvet ep!s<opoprevidit alic-ui

cathedraMEecte~tœdieUtegn;. nisi de oriundis de ipso tegM, Bituricen. An Mept~opo

et Attrebaten. Episcopo duataxat exMptb, quorum eminens scientia tate patet, et

tMntnotœ laudabiles condUtonM eotUtn.a .ttft) Dupny,H. p. 76 «Beneveram est quod sammos Ponhfexdommosnoster ~.tit

fratrem~tdMm de Romade erdhM'AugusUnorMm.nottlnsisto ad eju~MMmendaHo.

nem, sedtamenvMSCttisquaUsctencusest, tpseestmag:sterintheo~a,etfutt uutn.

ta5eteducat<t9tnregaoH!o."(2) Gandolfo,D<M~aMo&~nca de <f«Mat.<ceMeH-<m~~«~~<«n<~p«"

f<6<M,Rama.,i704, in-4". p. 33; O~inger, ~M<o<Aeeo~«~<"«'K< tngobtadt, t~,

in-fol.Je pense que e'e~t !emêmeouvragequi, dans un mannscrit .'a couvent des Au.

gnstinieus à Vérone, étatt intitulé, au témoignaged'Ossinger, f/e~ceHeN/<« ~mmt

pO!t<~CM.j

Page 186: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ttH KXCtJBSiOXS MtSWRtQUES ET PHtï.OSOPHtQtJKS

décisifs à ceux qui regardent comme apocryphe 1 opusculemis au

jour par Goldast (i). Nousn'avons pas exploré les richesses biblio-

graphiques de l'Italie, mais la Bibliothèque nationale de Paris

possède un volume in- d'une écriture du xtv*' siècle, pro-venant du fonds de Colhert, et inscrit à l'ancien catalogue des

manuscrits latins sous le n* 4229, dans lequel se retrouve, avec

un traité de Jacques de Viterbe et quelques autres opuscules surdes sujets analogues, l'ouvrage de l'archevêque de Bourges, <

?< f/~M~/ca Po~c. Comme il est inédit, nous croyons utile,

malgré la délicatesse de ces matières, d'en présenter rapidement

1 analyse.

L'ouvrage est dédié au pape Boniface VIII. Bien que les formes

de la dédicace ne s'écartent pas sensiblement du style usité, cer-

taines nuances trahissent un sentiment particulier d'obéissance et

de dévouement pour le saint-siège. Ainsi les expressions de mal-tre et seigneur y sont plusieurs fois répétées avec un accent de

filiale soumission. L'auteur, primat d'Aquitaine, archevêque de

Bourges, se reconnait, malgré les dignités dont il est revêtu, l'hum-

ble créature du pontife romain, c/M ~MMM/Mc~<w~ (2). Lasuite,comme on va le voir, ne dément pas ce modeste début.

L'archevêque de Bourges a partagé son livre en trois parties.La première partie, qui traite de l'autorité sacerdotale dans ses

rapports avec le glaive matériel et l'autorité séculière, comprendneuf chapitres formant un peu plus de huit feuillets du manuscritde la Bibliothèque nationale. Après un court prologue, ou ildit que c'est un devoir pour tous les fidèles de bien connaître

l'étendue de la puissance du saint-siège, l'auteur établit d'unemanière générale que, par l'éminence et la sainteté de sa juridic-tion, le pontife de Rome peut être comparé à cet homme spiritueldont parle l'Apôtre, qui juge toutes personnes et toutes choses,sans avoir lui-même d'autre juge que Dieu; souverain arbitre de

(t) €:amdo!tb.<6M.« L!britresde PotestateeedesiastM'ain unovoluminequiHbrtm'oeMarioimpression!tradendtsant, ut mettnsostcndaturiabitaslibried!MàGotdasto.?»

(3)« Sancttsstm'tpatria<'dominosac,dominosm~thri,dominoBonifacio,divinaprovidentiasactosancta)MmaMBac nnîveKaMsccclesiœsummopontMci,fraterEgydius,qus humiliscreatura,eademmMeraMone,BytnrtcensisareMcptscopos,AquKania)primas. »

Page 187: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEK AGt!. <)H

r&CMqu'~1peut retrancher de la société des Mêles, il le devient

par là de l'homme tout entier dont 1 Ameest la maîtresse partie.

Ces principes poses, il s'agtSSMtde les appliquer à l'autorité laï-

que. Mais déjà la question ne se trouvait-elle pas tranchée itupli-

citement contre elle? Donc, suivant Gilles de Rome, il appartient &

l'Église d'instituer les rois, et, quand ils gouvernent mal, de les

juger. C'esi &elle que le Seigneur s'adresse par la louche de son

prophète Je t'ai établi sur les nations et sur les royaumes, pour

que tu les arraches de la terre et que tu les détruises, et que, les

ayant dispersés, tu fondes et élèves de nouveaux empires.

Quatre faits démontrent la supériorité du sacerdoce i" la percep-

tion de la dlme par l'Église; 2" le privilège qu'elle a de bénir et

de consacrer les puissances séculières; 3" le mode d'établissement

de ces puissances, qui ont toutes reçu leur institution du pouvoir

sacerdotal, à l'exception de quelques-unes qui furent un brigan-

dage organisé; t" le spectaclede l'univers, dans lequel nous voyons

les corps grossiers régis par l'intelligence, comme les princes tem-

porels doivent l'être par le souverain pontife. Ajoutons la priorité

historique du sacerdoce, qui date du premier sacrifice offert &

Dieu par Adam et Abel, et qui, par conséquent, a existé bien

avant qu'il y eut des rois. Ainsi, &l'image de la nature humaine,

qui se compose de deux substances et qui réclame une double

nourriture, la société, pour se défendre, a deux glaives, l'un

spirituel, l'autre temporel; et de même que l'esprit doit comman-

der au corps, de même le glaive temporel doit être soumis au

glaive spirituel. Cesdeux glaives sont tous deux aux mains du pape.

comme ils fui'cut, sous l'ancienne loi, aux mains de Moïseet des

grands prêtres; mais le pape n'en fait pas un égal usage. Tandis

qu'il se réserve le glaive spirituel, il abandonne le temporel aux

princes séculiers, pour qu'ils s'en servent à son ordre et sous son

autorité. Toutefois la suprématie pontificale n'a pas à souffrir de

ce partage, qui relève au contraire la dignité du sacerdoce; car

il est conforme à la nature que les causes les plus élevées aient

sous leur dépendance les causes inférieures qui leur servent d'in-

termédiaires et d'instruments pour réaliser la fin de leur opé-

ration.

Cet exposé rapide, mais fidèle, je crois, des matières dévetop-

pées par Gilles de Rome dans la première partie de son ouvrage, i

Page 188: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

184 EXCCBStONSHISTORIQUESET PHtLOSOPHtQUES

permet d'apprécier le caractère et l'intention du traité de Ecc/e-;K<M//<MPotestate. Mais si quelque doute subsistait encore surJ'étendue des prérogatives que le docte théologien reconnait à la

papauté, il serait facilement dissipé par l'analyse des quatorzechapitres de la seconde partie. L'auteur y traite du pouvoir del'Église sur les biens temporels. Il commence par établir, et jene pense pas que, de nos jours, il trouve sur ce point des con-

tradicteurs, que la possession de ces biens n'est pas interdite au

clergé par l'Ancien Testament ni par le Nouveau. Mais, commeon peut le présumer, il ne s'en tient pas à cette apologie de la

propriété ecclésiastique. Dans son opinion, l'Église non seulement

peut posséder, mais, en la personne du souverain pontife, elle adroit sur tout ce qui peut être l'objet d'une possession. Quelle estla destination deschoses temporelles? N'est-ce pas l'utilité du corps?Et le corps n'est-il pas subordonné à l'âme, qui est elle-mêmesoumise au souverain pontife? Donc, en vertu de l'autorité même

qui lui appartient sur l'âme, le souverain pontife a sous sa juri-diction les choses temporelles; nos âmes, nos corps et nos biens,tout relève également de lui. Alors même que cette dépendancen'existe pas en fait, méconnue qu'elle est par les passions des hom-mes, elle subsiste en droit; elle constitue pour les fidèles une dettedont ils ne peuvent pas absolument s'affranchir (i). L'archevê-

que de Bourges corroborait cette conclusion par ses précédentesmaximes sur les rapports des deux puissances. En eSet, si le pou-voir séculier, qui a le soin des affaires temporelles, doit rester sou-mis à l'autorité supérieure du sacerdoce, n'est-on pas amené parla force des.choses à reconnattre que la compétence du sacerdoceembrasse même le temporel, qu'il dispose de tous les éléments etde toutes les forces de la société civile, et que c'est un devoir pourles souverains de tout régler dans leurs États selon ses vues et pourson service, l'armée, les finances, la législation, l'ordre judi-ciaire, la constitution politique du pays? « Il est évident, s'écrieGilles de Rome, que l'art de gouverner les peuples consiste àles coordonner aux lois de l'Église, comme la matière est coor-

(t) P. Il, c. tv, fol.14,y <fPatetquodomniatemporaliasuntsubdominioEc-desiœeoHofata,et si nonde facto,quoniammnMfortehnicjari rebeUantnr,dejure tamenet ex debitotemporaliasummopontiBctsunt subjecta,a quojureet àquodebitonattatMMM{XMMmtabwtv!.

Page 189: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEN AGE. 185

donnée &la forme (i). Cette formule parattra sans doute bien

excessive Ala plupart de nos lecteurs, et cependant elle n'est pasencore le dernier mot de l'archevêque de Bourges; elle n'exprime

pas les dernières conséquences de ses principes. Telle est, suivant

lui, l'étendue de la puissance ecclésiastique, qu'elle comprend

même les propriétés privées, et que, par exemple, le posses-

seur d'un champ ou d'une vigne ne peut pas les posséder juste-

ment, s'il ne les possède sous l'autorité de l'Église et de par l'É-

glise (2). L'enfant qui a recueilli la successionpaternelle est moins

redevable à son père qu'à l'Église; car si son père l'a engendré

selon la chair, l'Église l'a régénéré selon l'esprit, et autant l'es-

prit l'emporte sur la chair, autant les droits que sa régénération

spirituelle lui confère l'emportent sur ceux qu'il tient de sa géné-

ration charnelle. Sans le baptême et sans les sacrements, que som-

mes-nous, sinon des esclaves du péché, des créatures rebelles &

qui cette désobéissance a enlevé toute espèce de droits non seule-

ment sur les biens de l'éternité, mais encore sur ceux de la vie

présente? L'Église seule, en nous réconciliant avec Dieu, nous

t'ait recouvrer ce que nous avons perdu, et légitime en nos ma~ns

les possessions qui composaient l'héritage de nos pères (3). Mais

quoi! les infidèles qui n'ont pas été régénérés par le baptême,

(1)C. vt. fol. t8, V « Patet ergo, qaod terrena potestas et ars guberaandipopu-

lum secundum terrenam potestatem. est ars disponens materiam ad dispositionem

ecdesiasticeepotestatis. Ipsa terrena potestas debet sic esse sabje<-ta~testatt <t-.

ftesîasticœ, ut seipsam et omnia organa et instrumenta sua ordinet ad obsequium

et ad nutum spiritualis potestatis, et quoniam organa et instrumenta potest~tM<pr-

~nœ samt civilis potestas, arma bemca, bona temporalia qn~ habet, h'ges et cons-

titutiones quas condit, ideo seipsam et omnia htec tanquam ejus organa et instru-

menta ordinare debet ad obsequium et votnmtatemecctesîasttcœpotestatis. »

(2) Cap. Tt, fol. 20, r" HM <'rgodeclaratis, volamas descendere ad pro{'<M'-

<tUHet ostendere quod nullum stt dominiam cutn justitia, née rerum <cmpora)tnm,

t)t'e pemonarnm taïcaram, nec qnoramcumque quod non sit sab Ecet~ia ft pM-r

Etclestam. ut agrum, vel vineam, vel quodeumqae quod habet hic homo, vel ille,

non possît habere cum justitia. nisi habeat id sub Ecclesia et per Eectesian).

(3) ~M.. fol. 20, )- Vtdcsergo quod ~d justam et d!gnam possMMOMMrerum

ptus facit regeneratio per Eectesiamqum est .pMtuatis, qnam generatio primaqu~

Mt carnatis.. » Fol. M. Mag!s es d..MMnspossessMnis tua- et cujuscnmque

rei quam habes, quoniam es Ecdestm Mms spiritualis, .taamq'tonMMesahtMpatris

.amaMs..» Cap. M. fol. 23, v- « QatUbet fidelesquot!Min pecentummortale la.

bnntar et per Ecetesiam abMtvuntar, toties omnia bona sua, o.nMs honores omnes

potestates et facultates suas debent recognoscere ab Ecftesta. p.-r quatn absolnti,

facti sunt talibns digni qn~ns, ffm pe<fate serviehant. er&ntindigni. Il

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M6 EXCURSIONSHtSJMUQUESETPMM.OSOPtUQCES

les chrétiens eux-mêmes qui n'ont pas été purifiés de leurs fautespar la pénitence, tous ceux qui vivent en dehors de l'Ëglise, nesont-ils pas, maigre !eurs souillures, les justes propriétaires desbiens qu'ils possèdent? Non, répond Gilles de Rome; cette posses-sion en leurs mains n'est pas légitime; elle a lieu contre la véritéet le droit. Tout ce que nous avons, nous l'avons reçu de Dieu; sinous ne remployons pas pour la gloire de Dieu, si nous nous éle-vons contre l'Ëglise de Dieu, nous ne sommes que des dépositairesdéloyaux et d'iniques détenteurs des dons de la Providence (i).

Je ne sais si GiUesde Rome avait en vue ces étranges maximes,si dures, si outrées, si capables d'effraver et d'irriter les esprits,lorsque, dans le prologue de son ouvrage, par une précautionoratoire sans doute bien nécessaire, il conjurait ses lecteurs d'at-tendre, pour le juger, qu'ils eussent achevé de le lire entière-ment. Quoi qu'il en soit, dans une troisième partie, qui n'était nila moins difficile à composer, ni la moins importante, il tempèrela rigueur de Mtdoctrine sur la primauté du sacerdoce, et essaied'établir qu'elle n'altère pas la notion et ne compromet pas lesdroits de l'autorité civile.

Quelle est la mission de l'Église? C'est le salut des Ames. Il estdonc juste qu'elle intervienne toutes les fois que ce grand intérêt,confié &sa garde particulière, se trouve menacé ou compromis;et comme il arrive souvent que la recherche des biens temporelsle met en péril, elle est naturellement appelée à connattre, commele magistrat séculier et avec une autorité supérieure à la sienne,des questions qui se rattachent à la possession de ces biens. Ce-pendant, quelque préjudice moral que les jouissances terrestresnous causent en nous détournant de nos fins éternelles, il estcertain que les richesses, les fruits de la terre et les autres biensmatériels sont spécialement destinés à l'entretien de notre corps,et qu'ils ne concernent notre âme que d'une manière trèsindirecte. Conséquemment, pris en eux-mêmes, ils tombent sous

(1)Cap.M,M. 26,v « Volumusad ipsampossessionem,et dominimmet po-testateminCdeMamnos comvertere,ostendentesquodnnUampcsseashmem,nullumdominium,nnUampotestatempossuntinMeteshaberevereet cumjnstitia.» ~<d.,fol. 27,r* « ADeo habemnsres temporaleset dominiaet potestates,quoniamnonestpotestas,nisia Dec qnantoergomagishœcomniahabemusa Deo,tantosMMMmagisinjustipossessores,si indenonservimusDeo.»

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A TRAVEBSLE MO~EXAGE <87

la juridiction immédiate de la puissance civile, « qui le soin de

tout ce qui regarde le corps est dévolu. C'est A cette puissance

qu'il appartient de prononcer sur les dmérends dont ils sont l'objet

parmi les hommes, et par exemple c'est elle qui doit régler l'ordre

des successions; l'Église en ce cas a seulement une compétence

lointaine, et comme un droit de contrôle inhérent à son caractère

sacré (<). Le partage entre la propriété ecclésiastique et la pro-

priété civile s'opère d'après des principes analogues. L'Église ~or-

coit la dime, les oSrandes et les autres revenus appartenant aux

institutions religieuses; elle a, en outre, sur toute espèce de Mens,

un droit primitif, supérieur et général, en vertu duquel elle con-

sacre les possessions individuelles. Mais cette primauté du sacer-

doce n'anéantit pas la propriété du souverain temporel, qui con-

serve toute latitude pour retirer de ses domaines et obtenir de

son peuple les ressources nécessaires au bien de l'État. Ainsi tout

ce qui est à l'Église, c'est-à-dire à Dieu, est rendu &Dieu, et tout

ce qui appartientà César est laissé &César (2). Aillesde Rome ajoute

que le souverain pontife doit user avec modération de l'autorité

qui lui est confiée, ne pas s'en servir pour porter le ti'ouble dans

les États, ne pas :ntervenir à tout propos dans leurs affaires; auss<

longtemps que .ntérèt spirituel n'est pas engagé, la raison veut

qu'à l'exemple de la Providence, qui laisse agir les causes secon-

des, il laisse les princes gouverner leurs peuples selon qu'ils l'en-

tendent (3). Toutefois, comme la pensée dominante de l'ouvrage

(1)Part. 111,cap.v, M.47, T" «K's!immineatspiritualiscasns,si agatur<

temporat!bM,at tempomHasuntet ut sunt in sustamentumcorporMnnostf.n.M.

~pectabitad judicemcivilemet ad potestatemterrenamde !psistemporaMK.sjM.

difaMsecmtdmnimmediatNnexec.Uonem.Sed si agaturde te.np.rahb~.n'

suntinmalmnet ln damnatmnemanimarumnestraram.ronsequensedt qtMdEc-

ctesiahabeatsupertempomMbasjnddietionemnonsetamsnpfri.rcmet t.rhnariam.sedet immediatamet executoriam» ,).

(2)P. m, cap.M,fol.65,V «AMtererant(res)sab Ecctes,aet alitersub

(dominotempomU)erant.Sab Eeete~.aerunttanquamsubeaqaa.habetdominium

superi~etprimarium,quodd~m~iumest principaleet nnivc~e; sed

dominotemporalitanquamsubdominoquihabetdominium

immediatamet eMentodmn.Exhocautemdominiosuperiori,d..b<.ntarEcctesKB~

omnibustempomMbnsdécimaet .NatioNes;exdomini.veroinferionet

debenturp.te.tatib.s terreniset t<-mp.ra)ib.sd.minisde ip~ t.m,.oratH~rebu.

aMmuMMtateset aliaemoinmentaqua)proveniuntex tem)Mra).b.srebus. tn«-m.

poraUbns,suumjus habetEcetesiaet momjMShabetCésar.

(3) Part. tM. cap. N, <bl. 43.

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<M EXCCMStOXSmSTOMQUESETPtMMSOPUtQU~!

est celle de la suprématie pontincale, il a pour conclusion un

chapitre dans lequel le pieux écrivain exalte une dernière fois la

puissance de 1 Église et déclare qu'il est impossible d'en calculer

et d'en mesurer l'étendue (~Me<~M ~Ct 7~Mest ~a jo&M

/)~~M~VM'~t?/<M/<O~C est ~M<?~OM~e, HWMe~O tM~MMW.

Nous avons reproduit, aussi exactement que nous pouvions, le

fond de la doctrine du traité de ~cc/f~M~M Potestate, sans nous

attacher aien suivre les développements chapitre par chapitre,car elle peut se ramener à un petit nombre d'idées principales

qui reparaissent pour ainsi dire à chaque page, non sans amener,

même dans la forme, d'assez fréquentes répétitions pour lesquellesl'auteur lui-même demande grâce. A peine est-il nécessaire de

constater que jamais la puissance pontificale n'a eu de défenseur

plus énergique et plus sincère. Si d'autres sont allés aussi loin

que Millesde Rome dans la déduction des prérogatives temporel-les du saint-siège, certainement personne n'a poussé plus avant.

La modération du langage forme un singulier contraste avec l'in-

flexible rigueur du système; les maximes les plus absolues, qui

supposent une conviction ardente, sont exprimées avec cahne et

sérénité, sans que nulle part une invective contre l'autorité laïquetrahisse la passion.

Mais ce qui fait Anos yeux le principal intérêt historique du

traité que nous venons d'analyser, c'est l'analogie frappante des

doctrines qui y sont exposées avec quelques-unes de. celles qu'&la même époque la cour de Rome cherchait à faire prévaloir. Il

existe trois bulles de Boniface VHt dans lesquelles la redoutable

question des rapports de l'autorité civile et de l'autorité spirituellese trouve posée résolument. Ce sont les bulles C/e~cM ~?0~ du

mois de septembre 1296; .ttMC~ du 5 décembre i3M, et

~MMH«~c/<wt, du mois de novembre i302. Quel est le sens de

ces actes célèbres? Tout le monde le sait; ils sont l'affirmation la

plus éclatante des immunités de l'Église et de sa suprématie même

temporelle vis-à-vis du pouvoir civil. La bulle Clericis /«?c<Mcon-

teste au roi la faculté d'imposer le clergé et frappe d'excommuni-

cation tous prélats et ecclésiastiques, réguliers ou séculiers, qui,sans l'expft 'a autorisation du saint-siège, payeraient aux laï-

ques la dime, ou toute autre partie de leurs revenus, ou une

contribution quelconque. Dans sa buMeJt<MCM~a/M~que Philippe

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A TMAVEHSLE MOYESAGE. tem

te Motfit brûler A Pans, le pape décore que Meu l'a étatdi sur

les rois et tes royaumes pour attacher détruite, perdre, dissiper,

édifier et planter au nom de Jésus-Christ et par sa doctrine. Kntin

la bulle t7wMM~Me~w, plus précise et plus absolue encore.

enseigne que le pouvoir appartient sur la terre &l'Église, qu'elte

est la maîtresse et t'arbitre des rois; que la puissance du glaive

n'a été remise aux princes que pour s'en servir suivant l'ordre et

la permission du souverain pontife. Ne sont-ce pas M exactement

tes maximes que nous venons de retrouver dans le traité <A

C/CWM/~MP<~M~<*?

Maisl'analogie ne s'arrête pas au fond des doctrines, elle s étend

il leur expression. Ayant rapproché le texte de la hutte r~w

.w~ et celui de Fouvrage de l'archevêque de Bourges. n«us

avons retrouvé presque mot a mot dans notre manuscrit toutes tes

phrases principales de l'acte pontificat. Quelques citations sont ici

nécessaires pour bien faire eom~Tcndrc 1 étendue et la portée d(

ces ressemblances.

Après avoir rappelé que dans l'Église de Jésus-Christ il ne doit

y avoir quun troupeau et qu'un pasteur, ttoniface VM!enseigne

que l'Église possèdedeux glaives, le spirituel et le temporel

l'un qu'elle emploie elle-même, 1 autre qui doit être employé A

son service et suivant ses ordres, par les rois et par les guerriers.

Puis il continue en ces termes

« Oportet autem gladium esse sub gladio, et temporalem auc-

toritatem spirituali subjici potestati. Nam cum dicat Apostolus

Non est potestas nisi a Deo; qu:e autem sunt, a Meoordinale sunt

non autem ordinata essent, nisi gladius esset su!) gladio, et tan-

quam inferior reduceretur per alinm in suprema. Nam secundum

heatum Dionysium, texdivinitatisest, innm& per mettia in su-

prema reduci. Nonergo secundum ordinem universi, omnia a'qn<'

ac immediate, sed innma per media, et inferiora per superiora

ad ordinem reducantnr.

Voici maintenant en quels termes s exprime Cilles de Rome, au

chapitre tMdu livre

«Non est potestas nisi a Dec sed et omnis babet ordinata esse

quoniam, nt tangebamas, quœ sunt a Deo oportet ordinata esse.

Non essent autem ordinata, nisi unus gladius reduceretur per

alterum et nisi unus esset sub alio. Quoniam, ut dictum est per

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190 EXCURStOXSH!BTOMQUESET PMtLOSOi'HtQMS

Monysîum, hoc requirit lex divinitatis quam Deus dédit universis

rébus creatis et hoc requirit ordo universi, id est universarumrerum creatarum, ut non omnia <eque immediate reducantur in

suprema, sed inSma per media et inferiora pc" superiora. Cla-

dius ergo temporalis tanquam inferior reducendos est per spiri-tuatem tanquam per superiorem, et unus ordinandus est sub

altero, tanquam inferior sub superiori. »

Boniface VUtpouMUtt la comparaison des deux puissances tem-

porelle et spirituelle'<Spiritualem autem, et dignitate, et nobilitate, terreaam

quant iibet pr:eceUere potestatem oportet tanto nos clarins fateu,

quanto spiritualia temporalia antecellunt. Q)tod etiam ex deci-

marum datione, et benedictione et sanctUicatione, ex ipsiospote~tatis acceptione, ex ipsarum rerum gobernatione, claris ocutis

intuemur. »

Gitles de Rome tient à peu près le même langage, dans son cha-

pitre n« Quod sacerdotalis potestas dignitate et nobilitate procédât

potestatem regiam et terrenam, apud sapientes dabium esse non

potest quod possumus quidem declarare primo, ex decimarnm

datione; secundo, ex benedictione et sanctiËcatione; tertio, ex

ipsius potestatis acceptione; quarto, ex ipsarum rerum guberna-tione. a

La conséquence des maximes précédentes, c'est évidemment

que la puissance spirituelle a le droit de juger la temporelle; aussi

Boniface VtHréclame-t-il sans détour cette prérogative« Ergo si deviat terrena ~testas, judicabitur a potestate spiri-

tuali sed si deviat spiritualis, minor a suo superiori; si vero su-

prema, a solo Deo, non ab homine poterit judicari. »

Maisque dit Gilles de Rome sur ce même sujet?« Si deviat ergo terrena, judicabitur a potestate spirituali, tan-

quam a suo superiori; sed si deviat potestas spiritualis et potissime

potestas summi pontifieis, a solo Domino poterit judicari. »

Nous aurions pu multiplier ces rapprochements; mais ceux qui

précèdent suffisent pour démontrer d'une manière péremptoire la

conformité qui existe, dans le fond comme dans la forme, entre

l'acte le plus célèbre de Boniface V1U et le traité inédit de Gilles

de Rome. En remontant au delà du xm" siècle, on retrou-

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A TBAVEMt LE MOYEN A<:E. f't

verait une doctrine et même des expressions entièrement sem-blables che< plusieurs écrivains ecclésiastiques, par exemple,chez saint liernard et chez Magnes de Saint-Victor, mais il resterrait toujours à expliquer l'étrange coïncidence qui a permis qa<-ces expressions fussent empruntées il la même époque et pourainsi dire au même moment par lit main qui a écrit la bulle tw~ta~c~Mt et par l'archevêque de Bourges. Est-ce la bulle ponti-ficale a qui la priorité appartient, et dont le texte aurait passé,par un plagiat bien excusable, dans l'ouvrage de 1 illustre théolo-gien ? Cet ouvrage, au contraire, serait-il le premier en date,et aurait-il satisfait à ce point le rédacteur anonyme de la bulle,que celui-ci se serait contenté d'en extraire les passages les plussaillants et de les coordonner au moyen de transitions? Ce quine semble pas douteux, après les citations que nous avons don-nées de ces deux manifestes en faveur de l'autorité pontifi-cale, c'est que l'un a servi pour composer 1 autre, quel que soitd'ailleurs le modèle et quelle que soit la copie. Ne pouvons-nouspas supposer qu'ils sont sortis tous deux de la même main, et

que, dans cette controverse périlleuse avec un puissant monar-

que dont la papauté Frontait la colère, elle avait trouvé, pourexposer et pour défet ~reses prétentions, la plume savante et exer-cée du prélat franc? <?Les historiens (i) s'accordent pour regar-der la décrétale <MM~M<c/wMcomme l'œuvre du concile quise tint à Rome au .nois d'octobre i302. Or, Cilles de Rome, nousl'avons vu, avait quitté son diocèse, malgré les ordres du roi.

pour se rendre à cette assemblée. Tout porte à croit <quil passa

quelque temps en Italie; car, au mois de décembre de l'année sui-

\u*e, il n'était pas encore de retour dans sa ville épiscopale,lorsque le chapitre de la cathédrale et plusieurs religieux appar-tenant à différentes communautés se réunirent, sur la demande

d'un envoyé de Philippe le Bel, afin dadhérer à tout ce que ie

roi avait arrêté (2). Partisan courageux de Boniface VUt. théolo-

gien illustre, homme d'expérience autant que de savoir, n'était-il

pas au nombre de ceux sur qui la papauté devait se reposer le

plus naturellement du soin de défendre sa suprématie? Nous li-

(t) NMU-y,NM.ecc<<th. XC, eh. MMt.

(2) Dotmy, 1. p. tTNet SMiv.

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192 EXCURSIONSHtSMMQUES ET PHtL080PH!QUE8

vrons Anos lecteurs cette conjecture, que nous ne serions pas en

mesure de démontrer directement, Mais qui nous parait s'ac-

corder assez bien avec l'ensemble des faits jusqu'ici connus.

On connaM la fin prématurée de Boniface VIII, tué par le cha-

grin, à la suite des scènes violentes dont la ville d'Anagni avait

été le théâtre. On sait aussi les changements qui suivirent cette

mort inattendue, et la nouvelle attitude que prit la papautésous Denoit XI, mais principalement sous Clément V. Le roi de

France l'emporta, les excommunications qui avaient été lancées

contre lui et les siens furent levées; la butte C/<?~cMlaïcos fut

retirée; la bulle ~Mw wMf/~M expliquée dans un sens favorable

au pouvoir royal. Clément V déclarait, Il la vérité, qu'il n'enten-

dait pas innover, mais laisser les choses en l'état où elles avaient

toujours été; doù l'on pouvait conclure qu'il ne renonçait pasentièrement aux anciennes prétentions du saint-siège sur le

temporel des couronnes; mais cette réserve implicite, que les

canunistes ont relevée plus tard, frappa beaucoup moins les es-

prits que les marques éclatantes de faveur que le pape prodiguaitau roi de France, et qui furent regardées, par les amis et les

ennemis de ce prince, comme le triomphe de sa politique. Dans

cette situation, il n'est pas surprenant que les ouvrages composés

pour la défense de la suprématie pontincale aient été laissés

dans 1 ombre. Si le vainqueur avait intérêt à en effacer le sou-

venir, le parti vaincu pouvait à peine, sans protester par une voiedétournée contre su défaite, en multiplier les copies et les produireau grand jour. Le traité de l'archevêque de Bourges sur la puis-sance ecclésiastique partagea le sort de celui de Jacques de Vi-

terbe, composé pour la défense de la même cause (i), et qui,<

L'ouvragede Jacquesde Viterbeest dédié,commecetntde Gillesde Rome,&Boni&ceVIII,et fait égatementpartiedmmanuseritque nousavonsen sonslesyeux.EnvoMledébat « SancUsstmoin Christopatriac MvefendisatmodominoBoaifaciodivinaprovidentiameroMnctœae aniveraatisecotesizepontMc!sommofraterJaMtbtMdeViterbio,ordinisHcMmitarMmsanetiAttgustM,theotogtcmfacul-tatb t'Mfessoflicetinutilis,camsammadevotione,obed!enttaet reverentladevotapedjtmoscatabeatoram.Opuscommenbditnmde regtmmechristianoquoda~KdimeiodaxMHtiattsdevottoad safKManctMnmatremEceteatamalquesedemaposto-McaMcui pastoret regmateKœsacerprtneepa,disponenteAKissmM,pMMMethcoa~dent~!mtMiessedtgmaseCbMttdttmq<mmTe~ttteMnettePatermtatiqaa)adlibertatemecctestasUctKgtmmbet exattattonemcathoMcœveritaibpradenteretaagmntermvtgUat.

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A TRAVERSM MOYENAGE. M3

étonne dès son apparition, est resté inédit, malgré son mérite in-

contestable, tandis que des productions beaucoup moins savantes

obtenaient les honneurs de la publicité. Gilles de Rome est cité,

par l'apologiste de Bellarmin, parmi les défenseurs du pouvoir

temporel du pape (i); mais son livre était si peu répandu, le rôle

qu'il a joué si mal apprécié, que l'opuscule de <7/M~w<'Po~/<~<%

de tout point si contraire à ses véritables sentiments, avait pu

paraUrc sous son nom dans le recueil de Goldast, et avait été

accepté comme authentique par Bossuet. Peut-être n'était-il pas

sans intérêt de signaler cette erreur, de mettre en lumière un ou-

vrage important, et d'éclairer une partie peu connue de la carnètt'

politique de cet illustre archevêque de Bourges, la gloire de l'or-

dre de Saint-Augustin, et l'une des plus grandes figures de ITm-

versité de Paris et de l'épiscopat français.

Ann de compléter l'analyse que nous avons donnée de l'ou-

vrage de Gilles de Rome sur la puissance ecclésiastique, nous

reproduirons ici la dédicace et l'intitulé des chapitres de tout

l'ouvrage. A défaut de citations plus étendues, cette table des ma-

tières permettra de mieux apprécier le caractère et le plan de la

composition.

Sanctissimo patri ac domino suo, domino singulari, domino Boni-

facio, divina providentia saerosanctœ romanœ ac universaUs Ecctesia;

(t) Voy. Apologiapro «hM<r. Car<<.BeKanaUM. aaet. Ad. Schulkenio ap. ttoc.

caherti J!<&Mo~.postée., tom. Il, p. 12. Nous citerons comme exempte, dans un

sens tout datèrent, qaetqne&p~M très <-ar!emesd'un ouvrage dm commea<'eMM)t

du qnatenteme siècle. que M.Natatb de WaiMy,a retrenvé (.tMM.de f~ca~. <fMIns,

cWpMoMet ~eKM.te«r<!t, t. XVm. p. 435 et sutv.) et qui parait devoir être at-

trtbné à Pterre drnBois, avocat royal an batUiagede CtMtancM,qui dégea dans htt

assembléesdesétats sous te règne de PhtUH'e te Bet. CetouvrageMt intitulé SMMtMo-

Watfee~ et eo)MpeM<«Ma<teefWao/M<e~<'zp~MM<<te<aMrep«t«<')tts~<e<'ran<M

ae MtWMregni ft~ncontM. L aatear M prépose d étabMrque tes papes ne sont pat

aptes èeKK-er la puissance temporelle.Pardonner, vaquer à la teftnrp et à t oraison.

p~her, rendre au nom de tt~be des jnaMNentséqaHabtes. rappetera la paixet à la

roncorde tes princeacattmtiqnMet tes y maintenir, ann de pouvoir rendre à Dieu ieii

ameaqui leur sontconNees,Toitàla véritable miMiondu vicaired'' Jesus-Chri~t,miMion

purement spMtMeUedont Mest détourné par le soin de gouverner ses États, MM qn'it

réuasiMeà réprimer t'orgaeM,les fébeUioMet tes complotsde ses eonpabtessujets, La

conclusionque tire t auteur est que le parti le ptus avadta~ux pour le pape serait

de eéjer le patrimoine de i'~gtise an roi de France, moyennantuneredevanceannuelle

égale aux impôts qutt percevait (i. t, p. 4!3 et 444).

EtCCRMOftSMSTOMQCES. a

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EXCURSIONSHISTORIQUESN PHILOSOPHIQUES19t

summo pontitici, Frater ~Egydius, ejus humiMs creatura, eadem miset~-

tione Byturicensis archiepiscopus, Aquitaniœ primas, cum omui sub-

jectione seipsum ad pedum oscula beatorum infra scriptam compila-tionem de ecelesiastica potestate eisdem beatis pcdibux humititer

offerentem.

Fol. i, r". Incipiunt capitula prima' partis pr:f sentie libri de oc-

ctcsiastica potestate, in qua tractatur de potestate summi pontiiteis res-

pcctu materialis gladii et respectu potentiec secularis.

Ibid. Capitulum primum. In quo est prologus hujus libri decÏarans

qnod, ne ignoremur a Domino, non debemus summi pontificis poten-Ham ignorare.

FM., v°. Capit. Il. Quod suntmus pontifex est tantte potestatis

quantee cs~ tt!e spiritualis homo qui jodicat omnia, ci ipso a Memin<*

judicatur.

Fol. 2, r'. Capit. tH (i). Quod xummu:! pontieex esttanhB potestatis

quod est iUa potestas cui omnis anima debet esse subjccta.

Fol. 3, r". Capit. IV, Quod spiritualis potestas instituere habet ter-

renam potestatem, et si terrena potestas bona non fuerit, spiritualis

potestas eam poterit judicare.

MM., V. Capit. Y. In quo adducuntur tx rationes quod sacerdota-

lis potestas sublimior et dignior est omni regia potestate.

Fol. t, v". Capit. Vt. Quod sacerdotalis potestas non solum digni-

tate, sed tempore prior est regia potestate.

Fol. 6, r*. Capit. VII. Quod sicut in homine est duplex substantia,

corpus et spiritus, et sicut est dare duplicem cibum, corporalem et

spirituatem, sic est ponere duplicem gladium, quorum unus alteri de-

bet esse subjectus.

Fol. 7, Y". Capit. VtH. Quomodo hii duo gladii in una et eadem

persona, videlicet in summo pontifice per quamdam exceMeniiam re-

servantur.

FoL 8, v*. Quod decet Ecclesiam habere materialem gladium non

ad usum, sed ad nutum, et quod sic habere hune gladium est majoris

perfectionis et exceMentieepotioris.

Fol. 0, v". Incipit secunda pars hujus operis ubi agitur de Eccte-

sitc potestate quantum ad hœc temporaMa quee videmus.

(t) BaMle M)~ da volume,le eha~M m )Mttele nomém2; ceLteerreur quiM

Mpmd~t Aeetmpttteen ehap!tMJMsqaàlaNnde la pfemieMpaftte,N'etMepas dansla tableqat ? lit an fomtnenfemfntde l'oavrage.

Page 199: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TBAVEKSLE MOYENACK. )9&

Fot. 9, v". –Capitulum primum. Quod liceat Ëcctesiœ et generaliter

cloricis habero temporalia.

Fot. <0, v*. Capit. H. In quo sotvuntur dicta Evangctii qum vidcn-

tur nostro proposito contraria, quod non liceat clericis temporatia ati-

qua possidere.

Foi. t2. r". Capit. Ut. tn quo solvuntur dicta et aucturKat''s V<

tcns TestanMnt:. quod non Mepat clericis temporatia possidere.

Fol. i3, r*. Capit. IV. Quod omnia temporalia sub dominio et po-

lestate EcdeaKB et potisxitnc summi pontittcis collocantur.

Fol. H, v". Capit. V. Quod potestas regia est per potestatem ec-

ctesiasticam, et a potestate ccclesiastica constituta est et ordinata, in

opus et obsequium eccte«ia9t!c<Bpotestatis, propter quod clarius ap-

parebit quomodo temporaMa sunt sub dominio Ecctesta; cottocata.

Fol. i(:, r". Capit. Vt. Quod terrena potestas tum particulariur,

tutn quod materiam pr jparans, tum quod etiam !onginquius attingit

optimum, secundum se et secundum sua, spiritu~U potentiœ jure et

merito famulatur.

Fol. 19, r". -Capit. VII. Quod omne dominium cum justitia, siv~

rerum, sive personarum, sive sit utile, sive potestativum, non nisi snb

Hcciesia et per Ecetesiam potest esse.

Fol. 20, v". t~pit. VIII. Quott nullus est dignus hereditate paterna.

nisi sitservus et Mius Kcdesiœ. et nisi per Ecctesiam.sit dignus he-

reditate tetema.

Fol. 22, r'. Capit. tX. Quod licet non sit potestas nisi a Deo, nullus

tamen est dignus aliqua potestate, nisi sub Ecctesia et per Ecctesiam

fiat dignus.

Fol. 23 v". Capit. X. Quod in omnibus temporalibus Ecctesia ha-

bet dominiam universale; fideles autem de jure et cum justitia domi-

nium particulare habere possunt.

Fol, 2U.v". Capit. Xi. Quod inudetes omni possessione et dominio

ac potestate qualibet sunt indigni.

Fol. 27, Capit. XU. Quod in omnibus temporatibus Ëcctesia

habet dominium superius, ceteri autem solum dominium inferius ha-

bere possunt.

Fol. 30, V. Capit. XUL Quare sunt duo terreni gladii in EccÏesia

et quomodo Mi duo gladii sunt sumendi.

Fol. 38. v". Capit. XtV. Quod cum duo gladii sint in Ecclesia,

quinque de causis gladius inferior non superNuit propter supenorem.

sed hMduo gladii decorant et ornant Ecclesiam militantem.

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<96 EXCURSIONSHISTORIQUESET PHtMSOPHtQ~S

Fol. 37. v". Capit. XV.Ubi plenius agitur quomododuo gladii quisunt in Ecctesia adaptantur ad duos gladios in evangelio nominatos.

Foi. 38, v". Incipit tertia pars hujus operis in quasolvuntur objec-tiones qum contra preehabita fieri possunt.

/M< Capitutum primum. Quod cum dictum sit quod Ecclesia in

temporaMbushabeat universale dominium, quomodo inteiMgendumsit

quod non est de rigore juris ut a civili judice appelletur ad papam.

FoL40, v~ –Capit. Il. Cum Ecclesia super temporahbus habeat uni-

versaio dominium, quomodo intelligendum est quod summus pontifexnon vult juridictionem regam perturbare, et quod non ad Ecctesiam,

sed ad reges spectat dp possessionibus judicare.

Fol. 43, r". Capit. ttt. Quod ratio persuadet prima, matenatia et

naturaMamanifestant, née non et tertio divina gubernatio hic déclarât

quatiter summus pontifex circa temporalia se debet habere.

Fol. 44, r". Capit. !V. Quodcum omnia temporalia sint sub domi-

nio Ecc!esiœ, quomodo intelligendum est quod ait Innocentius Ht quod« cunctis causis inspectis, temporalem juridictionem casuatiter exer-

cemus.

Fol. 46, r". Capit. V.Quod si temporaHa fiant spiritualia, vel an-

nectantur spiritualibus, vel e contrario temporalibus spiritualia sint

annexa, sunt spirituales casus per quos Ecclesia juridictionemtempo-ralem dicitur exercere.

Fot. t8. r°. Capit. VI. Cumpro quolibet criminali peccato po ssit

Ecclesia quemlibet Christianum corripere, et ex hoc temporalem juri-dictionem peragere, qualiter precipae ad Ecclesiam spectat, cum liti-

gium temporalium contrariatur paci, et cum pacis fœdera sunt jura-mento Brmata.

FoL 49, r". Capit VH.Quod tam ex parte rerum temporalium, ut

superius est narratum, tam ex parte potestatis terrenm, ut in hoc capi-tulo ostendetur, quam etiam ex parte potestatis ecclosiasticae, ut in

sequenti capitulo dectarabitur, possunt sumi spirituales casuspropter

quos summus pontifex se de temporalibus intromittit.

Fol. Si, r". Capit. VIII. In quo narrantur speciales casus, sumptiex parte potestatis ecciesiasticee, in quibus ad Ecctesiam pertinebit

jurisdictionem in temporalibus exercere.

Fo!. 52. r". Capit. !X. Quod est p!enitudo potestatis, et quod in

summo pontince veraciter potestatis residet plenitudo.Fol. S3, v°. Capit. X.Cum in summo pontlilce sit plenitudo potes-

tatis, non tamen sit in cœio hujus plenitudo, qualiter potestas ejusdicatur esse cœiestis.

Page 201: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSm NM\EN AGE. 197

FoL 34, v". Captt. Xt. Cum in summo pontiCce plenitudo resideat

potestatis, quomodo intelligendum est dictum Mugonis, quod pia de-

votione fidelium, temporalia qaœdam ecctesns concassa sunt possi-

denda.

Fol. 86, f. capitulum ultimum. Quod in Ëcctesia est tanta potes-

tatis plenitudo quodejus posse est sine pondere, numero etmensura.

HxpMcit liber de ecctesiastica potestate sive de summi pontificis

potestate.

Page 202: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen
Page 203: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

SEXTUS EMPIRICUS

er

LA PHILOSOPHIE SCOLASTIQUE.

Page 204: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen
Page 205: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

SEXTUS EMHMCUS

NT

LA PHÏLOSOPHÏÈ SCOLASTIQUE.

Sextus Empirieus est le dernier représentant du scepticisme en

Grèce, et, après Pyrrhon, il est celui qui a conservé parmi nous h-

plus de renommée. S'il est inférieur sous le rapport de l'inven-

tion à ses modèles, Agrippa et Enésidême, il a sur eux un pré-cieux avantage le temps, qui n'a épargné que le souvenir de leurs

opinions, a respecté ses ouvrages, que de nos jours encore le crih-

que et le philosophe consultent avec fruit. Cependant, malgré les

services qu'il avait rendus aux doctrines sceptiques par l'érudition

et la lucidité remarquables avec lesquelles il les a exposées, il fut

si peu remarqué de ses contemporains que sa biographie nous

est tout à fait inconnue et que no~s ne savons même pas l'époque

précise où il vivait. La conjecture la plus probable est qu'il ap-

partient an commencement du me siècle de 1ère chrétienne. Sans

contradicteurs et sans disciples avérés, son nom, négligé des

historiens, a traversé presque inaperçu la dernière période de la

philosophie grecque.Ce sont deux Fraocais, Henri Estienne et Gentian Hervet, à qui

généralement on attribue Ihonneur d'avoir fait connaître à l'Eu-

rope savante les ouvrages de Sextus. Estienne publia, en i562, en

raccompagnant de précieux commentaires, une version latine des

~~o~MMe~y~oM~M'~ dont le texte original, alors inédit,

Page 206: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

M EXCURSK~SMtSTOBM~KSM PHtLOSOPtMQMES

ne parut que cinquante ans plus tard. Her~et traduisit peu aprèsles onze livres Co~ /~< M~~M~/A ~< qu'il avait retrouvésdans la bibliothèque du cardinal de Lorraine. Ces travaux d'inter-

prétation répandirent une sorte d'éclat sur notre philosophe, qui,dans l'arène ouverte par le génie de la Renaissance a tous les sys-tèmes de t antiquité, apparut aussitôt comme 1 expression la plusérudite et la plus ndèle du pyrrhonisme. Tous ceux qui faisaient

profession de douter te reconnurent pour leur maMre, et il avaitsuscité dans le cours d'un siècle et demi Montaigne, Charron,Sorbière, Huet, la Moihe le Vaycr, Foucher et Pierre Bayte.lorsque, en i7<0, Fabricius donna une édition définitive de sesœuvres, monument durable élevé a sa gloire (<).

Toutefois les sentiers ouverts par t érudition du xv<"siècle n'é-taient pas aussi nouveaux qu <'Mele croyait eUe-m&me.Ses eHbrtset ses découvertes avaient été devancés par de laborieux inter-

prètes qui, peu jaloux de la ptoire humaine, n'ont p<~ laissé denom pour la plupart. Trois siècles pour le moins avant que Henri

Ëstienne, entre les accès d'une cruelle maladie, se fut avisé, parmanière de passe-temps, comme il nous l'apprend (2), de traduiretes /~o~Mw< ~y~ow<ww<, il existait une ancienne traduc-tion de cet ouvrage, écrite dans un latin barbare, mais Mète,et qui. il défaut d'une autre version plus élégante, aurait pu ré-

pandre dans la scolastique le goat du pyrrhonisme, si la disposi-tion générale des esprits et la vigilance du pouvoir ecctésiastiqueeussent permis alors le succès d'un pareil enseignement.

t~ traduction dont nous parlons parait avoir échappé complè-tement jusqu'ici à toutes les recherches des bibliographes. Fabri-cius lui-même n'en soupçonnait pas l'existence; Harles ne la

~) .<«'.fMFm~We<opera~.rce M<n<Cr.BMejcMM.<-<!<?'?<«ea«~ap«, ee~*«MM<'N!M~c~<M~ep<<~tM~<eMapef<tM<<MafM«<«y«&.Albert« J~t~tM.L:)'sim.t7ts, ta M.Leséd!tioBSMbséqnpntes,cettemêmede M.Bekker,n'ontmit«nëFequereproduirecettedeFaMeins.Surla vieet ladoctrinede Sextus,onpeutconsulter,outreleshistedeMgènemaxdelaphilosophie,unsavantartietedeM.Victorictère, dansla BiographieN~pe<-M~~e,etunedissertationdeM.PMMppeLebas,.'«-q'HC<B~«MO~~MC<tMdMm-SM~<NM~<ei~ft~OM<<M~!fp0~p<MMM«)t~<tttionesc~!po~Mo.Paris,1829,tn.4°.M.~er ~o~~Nta*B~eo~. Paris,t8M,in.a*.p.226et257)a iad~néextreSextusEmpiricuset tegrammairienApeMonitMdeapointsdeMppMehementaquipeuventservirà fisert'agednpremier.

~) Vayezta pre&ce qui aeeompagtte la tMdufMoa des H~~MM, et t~Mat <Mfla pte ewpM~ de tfeNW ~«teNap, par iLeon Feugère, Parie, iasa, p. 67.

Page 207: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TBAVEM t<EMMIfENA<:R 'KM

mentionne pas (~; parmi tes écrivains plus récents, nous n'en

connaissons aucun qui l'ait citée. Nous l'avons découverte, sans

la chercher, dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale, du

fond:!de Saint-Victor, inscrit au nouveau catalogue sous le nu-

méro 32. Ce manuscrit est un in-folio, sur vétin, &deux colonnes.

dont récriture semble inditluer la seconde moitié du xm siè-

cte. !t ne forme pas moins de ~Oufeuillets, et renferme plusieurs

ouvrages d'une importance inégale, qui sont pour ta plupartdes traductions du grec, de t'arahe et de hébreu. La critique

contemporaine l'a souvent exptore, et elle a mis en tumière

une partie des richesses qu'il contient. Monpfre y a retrouvé une

ancienne version latine des ~w~yw d'Aristote, faite d après

t arabe (2); M. Cousin, un traité sur la dialectique ~u tartde

raisonner, composé, en H32, par Adam du t'etit-Pont 3):

M.Munk, le livre cétèbre de !a ~«M~'</<* 'w. attribué par !e.;

docteurs scolastiques A un écrivain juif qu'Us appellent Avice-

brou et dont !e vériiabte nom est !hn-€eMro!. de Malaga (~).

Le:!~~M~c~'Aw~~MM occupent les feuillets 83 à <32.

Deux tables des matières, l'une ancienne, t autre plus récente,

qui sont au verso de la ïeuiHc de gante, les attribuent &Aristote,

ce qui ne dénote pas, il faut en convenir, une connaissance bien

exacte de la philosophie antique, ni même du péripatéiisme: mais

cette erreur ne se reproduit pas dans le cours du manuscrit, oit

Fouvrage de Sextus ne porte aucun nom d'auteur ni de traducteur.

Nous avons collationné en très grande partie le texte grec et ta

version latine et nous nous sommes assuré que ceMe-cine pré-

sentait que des lacunes sans beaucoup d'étendue dans les passages

un peu difficiles que t'interprète n avait pas compris. Ette est

partagée, comme l'original en trois Hvres, division qui se

remarque aisément car Sextus ne termine jamais un livre

sans avertir le lecteur. Chaque livre est divisé en chapitres; mais

les titres manquent absolument dans le premier livre et n'exis-

(t) 7e&.~<.Fabridi~<M<o<A<'co~r<MO,f<'r.Hartes,MaMbuf6i.<7as "t

p.627et 199.(9)Nec&e~MMtrMecetroW~ae~we~oMor~a'Mtt.. p.ce<

(3)J'~aeme~pWeMpMtNMM~M~~<M~~4t«-. Paf~ WM.f. tt7e<M~.

(4)VeyMJtM<nt9M pMeM~~e~fe eM&f.<'ars. Mnnt.,Parts, t~<.

ta*a*.

Page 208: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCONStONSMtSTOMQUESETPMH)SOPHtQUE89~

tent que dans la plus faible partie du second et du troisième. Voici,comme spécimen, quelques phrases que nous empruntoM au com-mencement I

PwWtM~WMM/a~Ma/~MM && /MMM.

Querentibus aliquam rem vel inventionem conset~ oportet,vel negationem inventionis et incomprehensibilitatis confessioneminquisitionis (i). Propter quod fortassis et in hiis que secundumphilosophiam queruntur, hii quidem invenisse verum dixerunt,M; vero asseruerunt non possibile esse coniprehendi h:! autemadhue querunt. Et invenisse quidem putant qui proprie vocanturdogmatM't ut hU qui eirca Anstotctem et Epicurum et Stoioos et

quidam a!ii. Tanquam vero de incomprehensibilibus quidam atiienunciaverunt qui circa Clitomaehum et Cameadum (2), et au!Academiaci. Querunt autem sceptiei. Unde rationabiliter viden-

tursupreme filosofie tres esse docmatiea. academiaca, sceptica.tte aliis quidem igitur aliis congruet dicere; de sceptica verosecta in presenti nos dicemus, illud predicentes, quia de naUoeorum que dicentur certificamas, tanquam sic se habente omninosieut dicimus, sed secundum quod nunc videtur nobis historicede nno quoque anounciamus.

Sans prétendre multiplier les citations, nous croyons utile dedonner aussi la conclusion de l'ouvrage, qui dans notre manuscritne forme pas un chapitre à part comme dans l'édition de Fabri-cius

« Scepticus propter id quod amicus hominum est, dogmati-corum superbiam et presumptuositatem, secundum posse, curaresermone vult. Quemadmodum enim corporearum passiouummedici differentia secundum magnitudinem habent pMBsidia, ethiis quidem qui vehementius patiuntur, vehementiom horumofferunt, qui vero leviter leviora; et scepticus ita differentes inter-rogat et secundum fortitudinem rationes, et gravibus quidem, etpotemter destruere potentibus dogmaticorum arrogantie passio-nem, in hiis que patiuntur vehementi presumptuositate, utitur;

(t) Lfgteeperte &pwxK<<Sp«MM<&tM. ~tM&e~,<i~K(M~t~MM<.Lettad~tcar en le copisteomettm(K~,ef qui rendla phraseinintelligible.

!2)LemanNMr!tde Saint-Vietorporte~ea<'N<'a<<<MM.

Page 209: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATBAYEMt<<EMOYENACE. MA

levioribus autem in Mis superncietenus et facile sanaltile m~ha-

Itenitibus) arrogantiepassionem, et a levioribus persuasionihusdestrui potentibus. t'ropterquod. aliquando quidem graves per-

suasionibus, aliquando et ttebiliores apparentes non piget rationes

interrogare qui a scepsi motus est, aperte tanquam suMcientes

sibi multociens ad pronciendum propositum. »

Les extraits qui précèdent permettent d'apprécter tes ;neorret

tions tte tout genre que cette ~rosstere traductton renferme et tes

perpétuels outrages que la syntaxe tatme y reçoit; mais elle pat~-

tage ces défauts avec beaucoup d'autres versions, notamment

celles d'Aristote, dont !a tecture serait jugée aujouKThui un

moyen peu commode et surtout peu attrayant d'étudier le péri-

patétisme, et qui cependant, comme fait historique, comme ex-

pression de la culture nttéraire &une époque donnée, ne sont

pas indignes de l'attention de la critique.Ala vue de ces vieux monuments de l'érudition de nos pères, in

première question qui s'étëve est de savoir si l'interprète & quinous les devons a eu sous les yeux le texte grec original, ou s'il a

travaiHé sur une version plus ancienne écrite dans Fune des

langues de l'Orient.

La critique moderne a dressé, d'après les écrivains orientaux

eux-m&mes, le catalogue à peu près complet des ouvrages de

l'antiquité qui furent traduits, à différentes époques, en langue

syriaque, arménienne, persane et arabe (t). Ce catalogue est très

riche; les plus grands noms de la poésie et de la philosophie

grecque y figurent à côté d'écrivains moins célèbres: mais on y

cherche en vain Sextus Empiricus. !l !t évident que ses pré-cieuses compilations n'avaient pas trouvé d interprètes dans ces

contrées plutôt portées à tout admettre et à tout croire qu'à dou-

ter de tout. L'Orient n'a produit au moyen âge qu un seul écrivain

qui ait nié ouvertement la portée de la science humaine; cest

Gazait, vulgairement appelé Algazel, qui vivait au xr* siècle.

Mais Algazel, disciple fidèle de l'islamisme, et qui s'était même

laissé entratner aux spéculations mystiques des SouSs, n'a rien

qui rappelle les sceptiques anciens. Quand, eNrayé des périls

(1)VeyMaotatmmenUemétMHredeM.W~arteh.eoMt-onné,it y a queh~ ann~

par la SocMtéroyaledeGoMasMe.j~<~an~t~<MK~M<'<c<MMMK-<<??<yW<MM,<traMe«,ofNMtttae~,pentc~e MmmMt~o,M)~. tM9,in-8'.

Page 210: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

9M! EXCMSKMtSMtSTOBtOMESETPMtLOSOPHtQUES

que courait l'orthodoxie musulmane, il entreprit d'exposer, se-

lon le titre de l'un de ses ouvrages « Ce qui sauve des égare-ments et ce qui éclaireit les ravissements (<); torsqu it battit en

brèche la certitude rationnelle au nom de la foi religieuse, atta-

qua toute espèce de phitosophie et contesta même la notion de

causalité, les arguments qu'il mit en œuvre n'étaient pas emprun-tée aux sectateurs de Pyrrhon ce n'était pas une simple réminis-

cence des dix vieilles objections contre l'entendement de l'homme.

mais l'inspiration personnelle et originale d'un esprit vigoureux

que les impiétés des métaphysiciens avaient dégoûté de la méta-

physique. Tout conduit donc a penser que si tes ~~M/~oow <jc<fA<MMt'Mw~ont pénétré dès le moyen âge en Occident, la connais-

sance n'en est pas due aux Arabes, qui eux-mêmes ne paraissent

pas les avoir possédées, et qu'elle a eu lieu directement, & la fa-veur de quelque manuscrit en langue grecque, retrouvé dans un

monastère ou apporté de Constantinople après la quatrièmecroisade. Mais nous n'en sommes pas réduits sur ce point à des

conjectures, et il suffit d'avoir lu trois ou quatre pages de la tra-duction que nous avons retrouvée pour se convaincre qu'elledérive immédiatement du texte original.

Ce qui frappe d'abord, c'est le grand nombre de mots grecs

qu on y rencontre, et qui s'y trouvent plutôt transportés que tra-

duits, avec un simple changement dans la forme des lettres. Nousciterons comme exemples w~MM ou pour être plus exact, ~~M~,~<M. ~<y)//CW~~OC~ /~M/<MM~ ~9~WMf/M<MW,~M0/~y~

/~«~yM<M~MM<,/M~M<traduction de~e~TOt, c<MM<pour x~~etw,

ciguë, MK'e~Mpour ~}Mwe(ovou ~eHn~etov,opium (2).En outre, la construction du texte original est reproduite par-

tout avec la plus scrupuleuse mdélité. tl est bien rare que des

mots soient déplacés, et même que les particules si fréquentesdans la langue grecque, si rares à proportion dans les autres lan-

gues, soient oubliées. Souvent il résulte de là beaucoup d'obs-

(<) TMd. )tar M. SthmoetdeM à ta Mtte de son ~Mt<M< <e<M~A<&Mt~&<-~e< des ~o~ Parte, MM, iM.8*.

(2)M. 88, r", eot. i aEMt anfemanu8d!<'untant!catrMnta drat~NMMtt dne péricate aecipiens. JUstavero Mteoeft quatuor dmgmas si<MMsttMammebat. ~M<t.v%cet. 3 a QaMthMBMtem~wM qatthm ettstentM degmatM dicont wpotteM MtpMsaitia hotntnttMatHM~ne ta judielo. (L!h.t, c. nv.)

Page 211: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVEBS M MOYEN AGE. 2<t:i

curité dans la traduction la lettre servilement suivie empècttc

d'apercevoir le sens. La définition que Sextus a donnée du scepti-

cisme est bien connue il le considère comme la faculté d opposer

les apparences que la sensibilité nous offre aux conceptions de

l'entendement; comme les unes et les autres ont un poids égal en

sens contraire, elles produisent, en se détruisant, un état de

parfait équilibre qui consiste pour 1 âmedans la suspension com-

plète du jugement, accompagnée de tranquillité morate et d'indif-

férence *E<ÏTt~6 H CXeltTU~~X;JH{, <!MTt«:TUM:~XtW~tWMXXt

woutttwx, x. T. Comment ne pas préférer la définition original''

au latin barbare et a peine compréhensible du traducteur, fol.

83, r° col 2 Est autem sceptica potentia oppositivn visibilium

et intettigibitium secundum quemlilM't modum; a qua venimus,

propter etptaiem potentiam que est in oppositis rebus et rationi-

bus, primo quidem ad desistentiam, postea vero ad imperturita-

tionem ? »

Un peu plus loin je lis cette phrase inintelligible, foi. :t3. v

cet. 2 « Putunt enim quemadmodum que omnia sunt fa!sa vox

cum aliis et se ipsam fatsam esse dicit. !~aphrase grecque est

suivie pas a pas; mais it est indispensable de s'y reporter pour

saisir le sens des mots alignés pour ainsi dire mécaniquement par

l'interprète, 1, 7 Y~~x~~ ~t Mci?: ~rx Mît ~ï,

mM~ tMTatTM~~M~ x~ ectMTt:~~e~ï SMMMyet. Dans la p<'nsé<'

du sceptique, cette proposition Toutes choses sont fausses, si-

gnifie qu'elle est fausse elle-même, comme tout le reste. Il

Lesidiotismes grecs ne devaient pas embarrasser médiocrement

la fidélité minutieuse du traducteur; aussi, sans viser à concilier

la correction et la clarté avec l'exactitude, il se contente du simple

mot à mot. Par exemple, ce membre de phrase Hii qui circa

Aristotetem et Epicurum et Stoïcos, est le calque, pour ainsi

dire, d'une expression bien connue même des commençants Ot

mpt 'Aptew~Aw x<M'E~m~pw, xaHt<K:<STMMMtc,les disciples

d'Aristote, d'Épicure et des Stoïciens.

Maisc'est surtout quand il rencontre une citation de Pindare.

d'Euripide ou d'Homère, que Finterprète anonyme se tient près

de son modèle, sauf à ne pas traduire ce qu'il ne comprend pas.

Sextus, en parlant des diverses occupations des hommes, cite ce

fragment de Pindare qu'il nous a conservé

Page 212: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

2M EXCPRSMN8 H)8TOB!QOœ ET PmMMOPMQU~

'At~MKSMW(t~ TtW*~pa!wM<wt'n!MW

T'j~9'~w~ e~~awot,<o!)t8*<wn~u)~pu<Mt<

Q~e!}Mttpt<t«t'T~«cn S4

t~<tt< tit*JSt*' <&MKvai60?Kx~'nc ia' o~ô~a'dlatovval 8o~t25<8M~e(6Mw(<).

Le traducteur, qui ne connaissait pas l'adjectif ee~Mtt!

n a pas hésité à l'omettre avec le substantif Mnn~; mais comment

a-t-il traduit la suite?..Letincant honores et coronœquosdam, aut

in habentibus muitum auri titalamis vita; gaudet autem aliquis

per undam marinam navi veloci pergens. Toutes les expressionsdu texte original se retrouvent dans Stt traduction, sans le plus

léger changement, même dans l'ordre des mots. Maisoù retrou-

ver dans cette copie servile et inerte, le soufne de génie qui ins-

pirait Horace écrivant ces beaux vers, à l'nnitation du poète thé-

bain

.%intqittismmu-tilopuiveremOlympieumSontqMnscMrricMtopohercmOtynapieMmCoHegtssejuvat;mftaqneCervMisEvitatarôtis, patmaqttcnobilisTenrarumdonrinosevelit ad deos.etc.?

En dernier lieu, il est assez remarquable que les prépositionset Mutresparticules qui servent à former les termes composés sont

relevés scrupuleusement par le traducteur, qui cherche toujourset qui trouve quelquefois des équivalents plus ou moins heureux.

Ainsi, les mots TMpaoMt~tMe~r~ ~Mo~tû~ nous donnent, dans

la version latine, ~~f<w/<&~ ~A<~?/<MopA<M;eN~MMTMW~eyo-

{t~MW,MMVMM~M'M~O~W! ~M<*<~CM~M~;eU{MKptYp<t~et,CM'<'MM<-

W~/A~; WTatpa~Mt,MM~M~~M; ~O~OTM:, MtOpMMA~ T~

M ~*pM, M/M</MSy~r~; ~nMTftM~Mt~ M~~o~K~~M~;eMetYO~-

VD)~,M~~<M~MC<aMt.

Ces rapprochements, qu'il serait serait facile de multiplier, ne

permettent pas de conserver un doute sur l'origine de la traduction

qui nous occupe; quelles que soient ses imperfections, elle dérive

certainement du grec, à la différence de beaucoup d'autres ver-

sions des écrivains de l'antiquité, en usage dans les écoles du

(<)Noussuivonsletextede léditiondf Pindaredonn<eparIl. BeiMoamdedansMCoMetthmdespoètesgréée,p. t08.

Page 213: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MMEX AGE. 309

moyen âge, qui avaient été faites sur un texte arabe, syriaque ou

hébreu.

Mais, ce premier point éclairci, une seconde question s'élève

a quelle époque vivait ce traducteur anonyme, et quel a été le

sort de son œuvre? On ne saurait admettre qu'il soit antérieur

aux siècles de la scolastique, car les formes si incultes de son

stylo démontrent de la manière la plus péremptoire que l'anti-

quité est bien loin derrière lui, qu il est séparé d'elle par d'é-

paisses ténèbres et qu'il essaie péniblement d'en retrouver la trace

oubliée depuis longtemps. C'est dans une langue autrement cor-

recte et lumineuse que Boèce traduisit les monuments de la phi-

losophie péripatéticienne. An tv° siècle, la culture intellectuelle

était en pleine décadence; mais on connaissait, on admirait, on

goûtait les chefs-d'œuvre littéraires de la Grèce et de Rome. Ci-

céron et Virgile étaient des modèles que, tout en désespérant de

les égaler, on se sentait le courage et le droit d'imiter. Mais les

derniers reflets de la civilisation antique ne tardèrent pas à s'ef-

facer entièrement, et l'Europe, sillonnée par les barbares, tomba

dans une nuit profonde que la puissance et le génie de Charle-

magne ne parvinrent pas à dissiper. Avec le xt" siècle commence

a poindre l'aurore d'une renaissance véritable dont les progrèsfurent lents et laborieux, et que favorisa, cent cinquante ans plus

tard, l'introduction en Occident des ouvrages d'Aristote et des

Arabes. C'est vers cette époque riche en traductions de tout

genre, les unes dérivées du grec, les autres de textes orientaux,

toutes grossières et incorrectes, que l'ancienne traduction latine

des H~o/~<MM ~w«<'Mw~ nous paraît remonter. Toutefois,

les catalogues, en assez grand nombre, que nous avons con-

sultés, non plus que les recherches historiques auxquelles nous

nous sommes livré, ne nous ont rien appris de sa date précise.

Ces infatigables interprètes à qui le moyen âge dut la connais-

sance de l'antiquité philosophique sont restés si longtemps igno-

rés que l'obscurité qui environne encore quelques-uns de leurs

travaux n'a rien qui doive surprendre. A défaut du nom et de

l'époque de son traducteur, recueillerons-nous du moins quel-

ques détails sur l'influence de Sextus Empiricus au moyen âge?

C'est là un sujet de recherches qui offre plus d'intérêt qu'uue

simple date ou un nom propre; mais les résultats n'ont pas en-

BMCMMtMMMMttQMN. 14

Page 214: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

2ta EXCURSKtXSMtSTOMQfKSETP!<tLOSOP!ttQtJES

tièrement répondu A notre attente: et, comme on le verra, ilssont partout négatifs.

Le moyen âge était préservé du scepticisme par l'énergie de ses

croyances religieuses et par cette confiance magnanime il laquelle

l'esprit humain s'abandonne si facilement, tant que des échecs

repétés ne l'ont pas convaincu de sa faiblesse. Les Ames les plusindociles dont l'ascendant de l'Église comprimait à peine les rélM*I-lions et qui cherchaient a se frayer des sentiers nouveaux en de-hors du dogme traditionnel, un Scot Urigène, un Bérenger. un

Abélard, se montraient plutôt téméraires que découragés, et, loinde contester la puissance de la raison, ils l'appliquaient a des en-

treprises qui la surpassaient.Parcourez l'o</Mc//a~ « ?%o~ et la ?~Woo«' cA~-

/MW<ed'Abélard quelle naïve confiance le présomptueux écri-vain ne témoigne-t-il pas dans les ressources infinies de la dia-

lectique Il sait et il confesse que la nature divine recèle des

profondeurs que 1 œil de l'homme ne peut sonder; mais ces im-

pénétrables ténèbres ne l'arrêtent pas; la sainte Trinité, l'Incarna-

tion, le péché originel, les mystères de la nature et ceux de la

grâce, il prétend tout expliquer. Combien nous sommes loin de la

plainte désespérée des sceptiques anciens contre l'irrémédiablefaiblesse de l'intelligence!

Cependant, au moyen âge même, l'élan généreux des espritsn'avait pas entièrement euacé la trace des objections dirigées au-

trefois contre la certitude; le pyrrhonisme n'était pas tout A fait

inconnu, et à deux reprises diC~rentes, au xu" siècle dans les

ouvrages de Jean de Sarrisbéry, au xtM"siècle dans ceux de Henride Gand, vous le retrouvez, sinon enseigné ouvertement, toutau moins exposé et combattu, comme un système considérable

qui, bien qu'il soit faux, n'est pas Amépriser et mérite une réfu-

tation. Mais, chose remarquable! Sextus Empiricus est tout Afaitlaissé dans l'ombre, et assurément ce n'est pas la lecture de seslivres qui a suggéré cette polémique inusitée.

Dans plusieurs passages de ses ouvrages, et notamment au VU"

livre de son ~o~c~<yM~ Jean de Sarrisbéry parle de ces philoso-

phes qui ne reconnaissent pas A l'esprit de l'homme le pouvoirde s'élever Ala vérité, qui flottent incertains entre les opinionscontraires et font consister la sagesse à douter de toutes choses.

Page 215: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSLKM<HKKAt:E. su

H s'élève contre cette feinte ignorance qui ravalerait l'homme au-dessous de la brute, si elle était effective; il demande si ceux quil'enseignent doutent aussi de leur doute et ignorent qu'ils igno-rent (i). C'est l'objection mémo que par la suite se posait Uescat-

tes, dans le cours de ses perplexités, et qui l'aidait à remontert échelle des vérités métaphysiques en partant du fait même deson doute. MaisSarrisbéry, qui touche en courant a mille sujets,rit des sceptiques sans discuter les arguments sur lesquels ils fois-dent leurs maximes, et comme it les désigne tous généralementsous le nom d'Académiciens, il indique assez par cela seul a

quelle source il a puisé ce qu il nous dit de leur système. Ses au-torités habituelles en cette matière sont, en enet, les /t<w~M~w<de Cicéron et de saint Augustin, et les ~VM//f«~Kc< d Autu-t.eile;ce sont &peu prés les seules qu il cite, et nous ne sommes pas endroit de supposer qu'il ait connu par d autres témoignages le scep-ticisme des anciens.

Henri de (,and est plus didactique et plus complet que Jean de

Sarrisbéry. Son ouvrage capital, la .S~MW~*~A*~~M'y~ s'ouvre

par la question même qui partage les Pyrrhoniens et les dogma-

tiques C~w< <'w</Mt<y«~~w</wM<<~yw~ w~w?« L. hommepeut-il savoir quelque chose (2)? Selon la marche usitée dans l'écote,il commence par exposer les arguments en faveur de la négative,et il en trouve sept. Ne sommes-nous pas reportés, sinon aux dixmotifs de suspension du jugement ou raisons d'~oyw de Pyrrhonet de Sextus Empiricus, du moins à des objections approchantes'!Nous l'avons pensé d'abord, mais notre erreur a été de comte

durée. En quoi consistent les motifs de doute invoqués par tes

anciens sceptiques? C'était un tissu assez habile d'objections tirées

de la mobilité des opinions humaines et des contradictions qu eths

présentent, selon lage, le tempérament, l'état de santé ou de mala-

die, la disposition des objets, l'habitude, 1 éducation, les lois

civiles et la religion des diNërents peuples. Comme les jugements

(t) ~o~cff<«c<M.Mb.VII, <-ap.M «8) de tttnguXaafademtoM<)o))Mat.< nuito<~)rtasMt. AnthtbKettacerUMMhabet,<htmtmeh)M)Mne!)ctt,unMMt'tat.Cf.~<.<&eMe<M,v.727etaqq.,etv. )t37et sqq.NoMavonssousiMyeuxt~ditt'Mtdes?«.vresdeJeande t~rftsbéry,pttbttéf.il y a quelquesannées,)'arle D'nt)es;Ox~t.tNM;6 vol.ta-8".

(9)NeMWeta Cax~aMS«MMainM ~Mf<M~e«<M.t'erraria',tM't,tn-M.t. ).art. t. q. t.

Page 216: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

KXCmStOSS MtSTOMQFES ET PtHLOSOPMtQUES20

des hommes varient presque &1 infini, que sur des objets identi-

ques la plupart pensent différemment, et que même chacun de

nous, aux difïerents âges de sa vie et dans des conditions dinéren-

tes, professe des sentiments opposés, Pyrrhon concluait que le dis-

cernement du vrai et du faux n'est pas possible et que, dans cette

prodigieuse diversité d'avis contraires, la sagesse consiste à ne

pas se prononcer, Ane dire sur rien ni oui ni non, &s'abstenir,

A douter. Chez Henri de Gand nous ne trouvons rien qui puisseêtre comparé à cette curieuse et trop célèbre polémique, Il si-

gnale, mais légèrement, la diversité des sensations, qui engendre

celle des jugements. Il objecte la nécessité de la démonstration, et

cependant le progrès à l'infini où se perd celui qui prétend tout

démontrer, la difficulté de savoir ce qu'on n'a pas appris et d'ap-

prendre ce qu'on ne sait pas; l'instabilité des objets qui sont la

matière de la connaissance humaine; le mystère qui environne

l'essence des choses: l'origine purement sensible de nos idées je

passe sous silence d'autres difficultés secondaires. Lorsque, dans la

suite du discours. Henri de Gand fait la revue des philosophes quise sont constitués les adversaires de la science, il nomme Prota-

goras, Héraclite, les Académiciens, Leucippe même et Démocrite;

il omet Pyrrhon et ne prononce pas même les mots de sceptiqueset de scepticisme. Après avoir énoncé les motifs de doute, il s'ap-

plique a les éclaircir et a justifier la raison et la philosophie. Contre

ceux qui nient les principes de la croyance humaine, il constate

que l'on ne peut argumenter régulièrement, qu'il faut se contenter

de leur opposer les preuves susceptibles de porter la conviction

dans un esprit bien fait. Les témoignages sur lesquels il s'appuieseraient faciles à démêler quand bien même il ne prendrait pasle soin de nous les faire connattre; ce sont encore les ~lc<M~MyMp<de Cicéron et de saint Augustin. Mais il s'y joint une autorité

nouvelle que Jean de Sarrisbéry n'avait pas connue, je veux dire

Aristote, qui, dans le quatrième livre de sa Af~a~A~MyM~a si

profondément réfuté les objections de Protagoras contre le fonde-

ment de la certitude. Protagoras avait poussé aux derniers excès

l'esprit de doute et de négation. Une même chose peut tout en-

semble exister et ne pas exister, tout est vrai et tout est faux A la

fois, ou plutôt rien n'est faux et rien n'est vrai voilà en deux

mots la formule du système que le subtil sophiste enseignait &lit

Page 217: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEX AGE. 213

jeunesse d'Athènes, que Socrate et Platon combattirent, et que,même après ces immortels génies, Aristote ne jugea pas Indigned'une réfutation régulière. Ce sont les traits principaux de cette

réfutation victorieuse qui étaient présents à la pensée de Henri

de Gand lorsqu'il écrivait les premières pages de la -S~HtM~</<'

/o/oy/e c'est I& qu'il a puisé ses arguments les plus décisifs en

faveur de la certitude. U avait appris d'Aristote non seulement à

définir les notions fondamentales de la philosophie, mais aussi à

combattre les erreurs qui ébranlent les bases de la science hu-

maine.

On peut en dire autant de Siger de Brabant, bien que chez ce

dernier peut-être le dogmatisme paraisse moins sur de lui-même

et qu'il s'y trouve mêlée quetque propension au doute. 11nous reste

de Siger un ouvrage qui attire d'abord l'attention par son titre

/~M.<M~7M,/AÂW4'wt/XM.-MA/M(i). Et en effet la première thèse

que l'auteur met dans la bouche d'un sophiste, et qu'il réfute en-

suite, c'est que Dieu n'existe pas. D<*MM/<~ï <?&sc.La seconde thèse,

c'est que le monde n'est qu'une image pareille Acelles qui s'of-

frent à nous dans les songes, et que notre âme n'a la certitude de

l'existence d'aucune chose (2). Nous voilà tombés en plein scepti-cisme. Maisles motifs de doute que Siger met en avant, sauf A les

combattre un peu plus loin, se réduisent à un seul, la diversité des

sensations et des jugements, jointe à l'absence de tout moyen de

discerner les sensations vraies et les fausses (3). La discussion est

moins étendue et moins profonde que chez Henri de Gand, mais

autant qu'on peut en juger, elle dérive des mêmes sources; elle ne

parait pas supposer la connaissance des Zf~oo/~o&pAde Sextus.

Si nous passons maintenant A d'autres écrivains de la scolas-

tique, le souvenir et l'influence du véritable scepticisme grec sont

absents également de leurs ouvrages. Albert le Grand, dont la cu-

riosité embrassa presque toutes les sciences; saint Thomas d'Aquin,

(t)B!M. nationale, mes. lat. t0'!97. Cf. NM. litt, de la ~'aMM, t. XX). p, 121et s.

(2) Fol. «WM « Otnnta que nobis apl'arent sunt simulacra et atcut Mttnnta, in

qutbtMnon simul certt ne exteteottaattcujMrel. B

(3)fM(t. f De nulla retudtottMf MttMmqotninveatatur iudtcaMMmttfartttm. Qttf<t

ft dtcat quod non equali ratione o~deadum e<t vlgllantt et donntentt, nce Mno et

tn<!rmo,nec saptenttet tMtptent!, eadem ratione a~uituf Nullus etttm apparctattcut Mptena.qNtn appareat attt tMtptcna. NuMnaenim apparet quod habeat Mnom

ouatum. qutn appareat eontrartutn. »

Page 218: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCURSMXS MtSTOMQUES BT PH!MSOPH)QtJE8an

qui toucha d'une main si ferme toutes les vérités fbndanr laies

de l'ordre mora! Vincent de Beanvais, dans les encyclopédies ou

~'<wt qui ont fait vivre son nom; Itoger Bacon, que son savoir

et ses découvertes tirent surnommer le Docteur admirable; Duns

Scot, qui porta dans la controverse une habileté si subtile, ces

maîtres illustres entre tous ceux que l'école applaudit, ne parais-sent pas soupçonner les arguties que la sophistique grecque en-

tassa autrefois contre la certitude. C'est A peine si pour eux la

question existe, tant ils s'abandonnaient avec confiance aux facul-

tés que l'homme a reçues de la Providence pour la recherche du

vrai! Au début de son .S/~<MW ~c/wwA'j, après avoir tracé les

grandes divisions de la connaissance humaine, Vincent de Beau-

vais signale tour a tour les conditions les plus favorables pourl'étude des sciences, et les principaux obstacles qui peuvent les

entraver, comme serait la prétention de tout lire et de tout con-

uattre, même les choses inutiles; mais dans cette curieuse revue

des empêchements qui nuisent à notre éducation intellectuelle jerelève une grave omission le savant écrivain ne parle pas de la

manie de douter de tout, non moins funeste à l'intelligence quela manie de tout effleurer (i). Ailleurs il critique les Académi-

ciens, qui prétendent que le savoir n'existe pas pour l'homme et

que tout est incertain; mais dans aucun passage, à notre connais-

sance, il ne mentionne l'école pyrrhonienne.Nous serions moins éloigné de rec~nnaMre l'influence du Pyr-

rhonisme, disons mieux l'influence de Sextus, chez un bachelier

en théologie de l'Université de Paris, nommé Nicolas d'Outricourt,

qui, au témoignage de Du Boulay, n'avait pas craint d'avancer en

diverses occasions les propositions suivantes

« Mia!propositiones /)<?Ms~s~ Deus ww est, penitus idem signi-

ficant. –Ex eo quod una res est, non potest evidenter, evidentia

ducta ex primo principio, inferri quod alia res est. Ex eo quoduna res est, non potest evidenter inferri quod alia res sit. Ex

eo quod una res est non potest evidenter inferri, evidentia de-

ducta ex primo principio, quod alia non sit. De substantia

materiali alia ab anima nostra, non habemus certitudinem evi-

dentiœ »

(t) C<&Mo<Acc<t<ttMM<M,MMNpecttMm<~ofMFtKMM~M~Mt~ttK<«tomusaeeundM.

Duact,t694,ia-&t.p.2t etsqq.

Page 219: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSLKMOYEXA<:R 9)&

Les propositions qui précèdent attaquent l'évidence du sens etl'évidence du raisonnement; en voici d'autres, également son-tenues par Nicolas d'Ouiricourt, qui étaient dirigées contre la no-

tion de cause.< Ha~cconsequentia non est evidens evidentia deducta ex primo

prineipio ignis est approximatus siuppae et nuUum est impedi-mentum ergo stoppa comburetur. Quibuscumque acceptisqua'

possunt esse causa alicujus effectus, non scimus evidenter quod ad

positionem eorum sequatur effectus positivus. Nulla potest esse

simpliciter demonstratio qua ex existentia causarum demonstretur

existentia effectus. Ista consequentia non est evidens A est

productum; igitur aliquis producens est A, vel fuit (i). »

On ne saurait disconvenir que ces propositions n'offrent de frap-

pantes analogies avec les thèses sceptiques soutenues par Sextus

Empiricus au second livre de ses ~/M/~KMM. Mais,a peine eurent-

elles été produites qu'elles furent déûoncées et condamnées a

Rome par le pape, et à Paris par l'Université Nicolasd'Outricourt

les désavoua publiquement, et brûla de sa main. conformément

aux ordres du saint-siège, les ouvrages qui les contenaient. EUes

sont restées sous le poids de cet anathème, et oubliées, après une

émotion passagère, elles n'ont laissé aucune trace dans la contro-

verse de l'école.

Un écrivain du commencement du xn" siècle, Walter Burleigb,a composé un livre curieux ayant pour titre t'M'et M«fM~<tdes

~<~o/)A<~ des poètes (2), qui peut donner une idée de l'éru-

dition philosophique de ses contemporains. U possédait, au moins

en partie, l'utile compilation de Diogène Laërce, car il le cite

fréquemment à côté de Cicéron, Sénèque. Valère Maximeet saint

Augustin. M sait les biographies de plusieurs personnages de

l'antiquité sur lesquels il a recueilli toutes les anecdotes que ses

lectures ont pu lui fournir. Maiss'il connaît Anaximandre et Ana-

charsis, Périandre et Thalès, Empédocle et Pittacus, les noms, je

(t)DMBoatay.NM«WaP~peM~a~PaW~M«.t. tV.p. 308et s.; dAn;cn<)~.C<tMec«o~!<dte<efMMdeM<M~<'tTM~<M.Parisiis,t7M,in-fol..t. 355ets.

(:)~.fMttMdet~a moW&<Mp&~<Mo~Aofmet poetarum,souventréimprhMsurla Cnduquinzième8!Me.NoMavonsea soustesyeuxuneéditiondeNoMmbe)~.1477.in.4".Ontrouved'intéressantsdétailssur toa~r~e de WalterBarteighdans

unediMertaUondeM.WeUain.Ca'ctMBa<&<<feH<t?Mp~~MOpAen<m~M<BMper-<tM~;Bas!teœ.1845,in-4"

Page 220: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

316 KXtCHSMtXSMtSTOM~ESETPtnMSOPtttQtES

ne du ai pas d Ënésidème et de Sextns Empirions, mais de Pyr-rtton et de son disciple Timon, ne sont pas parvenus jusqu'à lui.Tout CMcoté sceptique de l'histoire de la philosophie ancienne

échappe évidemment a son érudition.

Aussi, quoique soit!intérêt que paraisse otTrir ta découverted une traduction de Sextns Empiricus, qui remonte aux temps de

ta scolastique, nous nous garderons d y chercher te thème ha-sardeux d un paradoxe difficile il soutenir, et nous n'attribuerons

pas aux ~~<M < /<~wMw~, des !e siècle de saint Thomas

d Aquin et de Hoger Hacon. une renommée et une influence qu'el-tes n'out obtenues que trois siècles ptus tant. Si l'ouvrage a été

traduit, il n'a que bien peu circulé; il a eu peu de lecteurs; il aforme peu de disciples: il est resté ta propriété solitaire de ses ra-res possesseurs. Il arrivait quelquefois que des princes et mêmedes particuliers tissent taire pour !eur usa~e personnet ta traduc-tion des œuvres qu its ne pouvaient pas tire dans te texte original.C est ainsi que plusieurs ouvrages de l'antiquité et des Arabes ontété traduits par tes ordres de l'empereur Frédéric t! et de son filsManfred. Saint Thomas d'Aquin fut pour sa part, ait témoignagede plusieurs historiens, le promoteur de travaux semblables que<.nittaumo de Meerbecke entreprit sur At'istote. Peut-être en a-t-i!été de ntème pour t ouvrage de Sextus Empiricus; soit que le texte

original ait été accidentellement retrouvé en Europe, ou qu'il aitété rapporté de t'<h ient, peut-être fut-il traduit a invitation de

quelque protecteur éctairé des lettres qui ne possédait pas la lan-

gue grecque et qui appela le savoir des interprètes au secoursde son ignorance. Maisles livres ont, comme les personnes, leurs

destinées, ~A~~M /a/~ ~&c/ Tandis que les monuments de ta

philosophie péripatéticienne se répandaient dans tout t Occidentet devenaient la base, en quelque sorte officielle, de l'enseigne-ment public, les ~po/yp<MM~y~owcwM~ inutiles aux théolo-

giens et hérissées de propositions malsonnantes qui devaient scan-daliser leur piété, restèrent enfouies dans les bibliothèques. On

oublia bientôt qu'elles avaient été traduites, et elles ne commen-

cèrent à retrouv er des lecteurs qu au xvt* siècle, dans une so-

ciété qui n'était plus celle du moyen âge, et après que Henri Es-

tienne eût fait paraitre une nouvelle version plus pure et plus at-

tr&yante que l'ancienne.

Page 221: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

AmW:HS) K Mt'YKKA<:H ?)T

Connue la traduction une nous avons sous !es yeu~ i~uitt ori~ina!

de tr~s près. et <pt adotant du mérite de t ete~ante. ette oure e<hu

de t'exaetitude titterate, nous avi msA nous demander si eue ne

serait pas de onehjue utitite p<Mnht «mstUutittU dn h'\t< <<

si, danst<'s ~M<ss<~<4<'<mh<m'rs<'s.h' mttt latin m' tttt'thith ~xs

sm ta ha<Mdu )M<~ff~'c dunt il est h' <id'jtx' <i<!<h'. Xtms !n«ns

<s<ty~<t)t<'hnM'sr.)ppMMh<')n<'nts<!<*c<'~'ntf, «tats Us n< tnms<mt

pas <h')m'~<)<'tcsottats <ptiMM~!t' n<<t <'tn' s!~n:(tcs.htst q)t<'ta

tmcms t'n fait !a )Mat't<t<'<). t<<" d<s ~y/w<~ px~'nt'

attjoMt'<rhMthx'n peu <h' difMt)ttt< s scri«ts<s: il paratt anssi tm'n

<~«ht!<tM<tn tf \t<' <<<'t'aM<)~mt~)M'utt tn Ap' im' y autait )t

~tan<'<dans n«h~' manttst't'H '~Mh)H<'s at iaMh's<?)!, dans )a ph)

pa)~ <h'scas, vi<')«ha!<'ntil t'appxt <h'sc<ttK't'!i«ns pn~n~s ~tt

)c<'<~hn' t~t!t<;M)';xtaisc't'st !a on travaU h'stnmtttit'n\<t <t''s

at i<t<'<tuntnotts <!<\(msc[MU~u<'t hts<~h<) <ss<< t ) ftumia nos ht

tCHt~.

KMt~sutu'~sans <'xa~r<'r t'hnp<taMt't' h!st«t!<~«' '') tt)tU<'t"M

<mc<!<'c<'tt<!aM<:nM<' hadtM Hun<t<s ~~«/ <. il faut tM'ns.a

h'nh an sitnnh' fait <pt!nnus <'stt~veto par h' manns<n< <t<Sa!nt

Vh<<n\c\'st <{na nnt' t~MMjtM'antctKHt~ att \)v si<'<tt-, un inh't-

pK'h' dont h' non) n<'st pas \cnn jnsqua n<msa\a!t <~)!t, d apx's

h' texte ~)t'< nn<'wt'SMUttaUno 'h' t'tmvt'a~' <!<'S'h)s Entptfi-

cus, <pti. sans av<m' eu tK'aucunp <!<'sn<«'s, avait t'~M'ndant

tn'uvc ptac<-dans lit httdiut!t<'<nt<'d MtM'HhtstM' ahhay< <ntt<' t<s

<t<nn<~t'sdAMstutc et <!<'sphit<<oph<'satatM!s. Cefait i~mtt~jos-

qnici, nous le croyons, <~t une pn'nvc d<' ptus <ptit y ont an

moyen a~<*des sources t'ach't's d'érudition, <?«' t*'x''t<'dt-straduf-

teurs avait ouvertes, et dans te-MUteMesta phitosophic sco!astiqu<

ponvait tibrement puiser, bien avant la prise de Constantinoptc et

ta t'cna!ssance définitive des lettres antiques.

;t) ~a-/0< M(ttmt))ptudmasM«)tda<Mt~uM:ta ut jtauetMitMalarujaMpuh'tx

sMf<'rfsseinquibusà Sextisensuin twtxmett'hthtfntt'ratK-rn'txr.M

Page 222: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen
Page 223: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

COLLÈGEOMENTALA PARIS

AUXMt'StËCŒ.

UN

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Page 225: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

M. Jules d'Arbaumoni, membre de la commission des anti-

quités de ia Cote-d'Or, a retrouvé dans les archives du départe-

ment, et a communiqué à la section d'histoire et de philologiedu Comité des Sociétés savantes, la quittance d'une somme de

douze deniers, à laquelle avaient été taxés, en l'année i3t9, les

chanoines d'une ancienne église de D~on, aujourd'hui détruite,

afin de subvenir en commun, avec le clergé du diocèse de Lan-

gres, à l'entretien d'un juif converti qui résidait & Paris, ou il

devait enseigner les langues hébralque et chaldalqne« Ego Jacobus, sigulator Lingonensis, deputatus a venerabili

et discrète viro domino. de Sacilliaco, canonico Arriciensi, rev<-

rendi in Christo patris ac domini, domini t.niMietmi, Dei gMtia

Lingonensis episcopi, vicario generali ad recipiendum a persocisecclesiasticis civitatis et dyocesis Lingonensis summam pecnnietaxatam pro expensis magistri Johannis de ViHanovaRégis, Bei-

vacensis dyocesis, qui olim a judaice cecitatis errore ad ndem

cathoHcam se convertit, ab ipso hoc anno faciendis Parisiis pro

scotaribns erudiendis per ipsum in linguis caldea et hebrea, re-

cepi a decano et capitulo capeUe divitis Dyvionensis duodecim de-

nanos bonorum pansiensium pro dictis expensis. Datum sub si-

gillo curie Lingonensis die sabbati in festo purincationis beate

Marie virginis, anno domini m" ccc dechno nono (t).

Après avoir ttsmacrit cette pièce, M.d'Arbanmont rappelle com-

(t) AMMvMA: la tetMgMetMM.DanM,dtte la ChapeMe-MM-Mehs,à D<tM,CattMt. (Atehhresdela CAte~'Or.)

COLLÈGEOMENTALA PARIS

AU XtM" StÈCLE.

UN

Page 226: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

t~Mfastes HtsroatQHMer pmt.osoMMQtKs9'3

bien Maymoud Lutte se montMMtfrappé, vers la fin du xm sie-

cle, de l'importance de l'étude des tangues, et combien il avait

fuit d enorts pour la répandre. Dom Martene a publié estenet tr<MS

lettres adressées au roi de France, a Université de Paris et a un

ami. dans lesquelles t'illustre dominicain s'applique A montrer

qu on ne doit pas se renfermer dans l'étude du latin, ni dans tess

frivoles débats si ehers A l'école, mais une les idiomes pariesen t trient, le grec. l'arabe, même !e tartare, méritent aussi quetes esprits sérieux s'en préoccupent qu it est urgent d'installer

des chaires ouces langues seraient enseignées, ne fut-ce que pourformer des missionnaires capables d'évangéliscr tes nations inti-

detes et d'opposer la puissance de leur apostolat comme une di-

gue A l'invasion de jour en jour plus menaçante des hordes

asiatiques~).Avant Maymond Lnite, le franciscain Roger Bacon avait conçu

le même dessein. Dans plusieurs chapitres de t Oj~w~< et de

t'~M< /<< (2 Hdéplore que l'hébreu, le grec et l'arabe ne

soient pas mieux connus de ses contemporains; it fait ressortir

les inconvénients qui sont résultés de là, principalement pour la

philosophie; il appelle de tous ses vu'ux le jour o& une étude

aussi importante pour les sciences et pour la religion sera en-

couragée et cultivée; il ne cache pas, du reste, qu'elle exigent

beaucoup de sacrinces et des dépenses qui seraient au-dessus des

moyens d'un simple particulier et pour lesquelles il faudra re-

courir a la libéralité des princes.Le concile de Vienne, qui se réunit en i3H, entra dans la

pensée de Roger Bacon et de Raymond Lutte, tt promulgua une

constitution célèbre, aux termes de laquelle les langues orien-

tales devaient être enseignées désormais à Rome, à Paris, à Bolo-

gne, AOxford et à Satamanque. Le roi de France était invité à y

pourvoir dans ITniversité de Paris; le clergé tant régulier queséculier d'Italie, d'Angleterre et d'Espagne était chargé du même

soin dans les autres universités (3). C'est à l'exécution de cette

(t) Martene. I&M. ~MMtM. t. l, cet. t3i5 et saiv.

(9) C!tMt<MM~tM,p. Mh Veaetib,t7M. in-t~p. 33et mhr. Voyea MMi C'p<M<

Mt<m,cap. x, dme t MMioades OMtVfMin&Mteade ~er Bae<mque pnMieen ce mo.

ment Il. Brewer, Londres, tM9, !B.B*,t.1, p. 33 et sntv.

~) C~m<'tt<<H.t. V, Ut. t. cap. t, dans le CmyK~w«eatM~e<.

Page 227: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TNAVEM U! MOYEN ACE 223

grande mesure que se rapporte, selon toute probabilité, la pièceretrouvée par M. Jules d'Arbaumont. La découverte est d'autant

plus précieuse que le fait si curieux de renseignement des lan-

gues orientâtes en France, pendant le xtV siècte, n'était démon-tré jn~u ici que par une lettre du pape Jean XXt!, qui tend plutôtAle restreindre qu'à en favoriser l'extension. <~ommesi le contactdes sciences de l'Orient lui paraissait menacer l'orthodoxie chré-

tienne, le souverain pontife recommande, sous la date de t3~3.

que les maures chargés du nouvel enseignement soient 1 objetd une surveillance sévère, afin qu ils n'introduisent pas dans les

écoles, à la faveur d'explications grammaticales, des doctrines

particulières funestes pour la piété (t).Il faut donc savoir gré a M. d'Arbaumont de son intéressante

communication, qui contribue à éclairer un des cotés les plusobscurs de l'histoire littéraire du moyen âge. Puisque l'attentiondu Comité des Sociétés savantes R été appelée sur ces difficiles

questions, je profiterai de l'occasion qui mest offerte pour cons-

tater que, bien avant le concile de Vienne et les avertissements de

Raymond Lutte, même avant ceux de Roger Bacon, la papautés'était préoccupée des moyens de propager la civilisation chré-tienne en Orient. Je ne parle pas seulement de la mission qui fut

donnée, après la prise de Constantinople, il un certain nombre de

clercs distingués par leur savoir, que le pape Innocent invita

les évêques de France à envoyer en Grèce avec des missels pour

y prêcher la foi, comme 1 empereurBaudouin l'avait demandé (2).Je néglige également les efforts qui furent faits dans le même but

par l'ordre des Frères Prècheurs, que leur nom même paraissait

désigner plus spécialement pour la prédication de l'Évangile.

Mais, pendant tout le xm" siècle, les différents papes qui se sont

succédé eurent soin d'entretenir à Paris vingt clercs originaires

d'Orient, familiers par conséquent avec l'arabe, 1 hébreu et les

autres langues de ce pays, qui complétaient leur instruction dans

les écoles de l'Université, et qui, retournés ensuite dans leur

patrie, répandaient autour d'eux la semence du christianisme.

(t) DMBoulay,JM~M'«t~cef~aKa P<M~<eM~t. IV,p.:MN;Crevter,~M<e~f-<<efOMM'M«<'<?Pa~ t. U.p. 227.

(2) NetUM C<tM«!Mf)tMSertptores, t. XtX, p. 47t et t75; DM Boulay, <H<<.FKtr.Par<< t. Ut, p. M.

Page 228: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

934 exCUBSMSS HISTORIQUES ET PHILOSOPIIIQUES

Leur entretien avait lieu aux frais des églises et des monastèresde France; il arrivait quelquefois que certaines communautés re-fusaient de payer les sommes auxquelles l'autorité ecclésiastiqueles avait taxées, et prétextaient, pour s'affranchir de cette contri-

bntion, les privilèges que la cour de Rome leur avait accordés;mais, dans ce cas, le pape intervenait et obligeait les récalci-trants à payer leur quote-part.

Dans la collection des lettres des papes, due aux soins de LaPorte du Theil, que possède la Bibliothèque nationale, j'ai re-trouvé deux lettres, l'une d'Alexandre !V, l'autre d'Honorius IV,où sont indiqués tous les faits que je viens de rappeler (i). Ueuxlettres analogues d'Innocent IV, dont l'une avait été indiquée parM.Guérard, dans le Cartulaire de l'abbaye de Saint-Père de Char-tres (2), font partie, sous les n"' 8i et 82, d'un recueil de bulles,concernant ce monastère, qui vient d'être formé à la Bibliothèquenationale, et que M. Léopold Delisle a eu l'obligeance de nous

communiquer.La première lettre d'Innocent IVest datée des calendes de juillet

de la cinquième année de son pontificat, ce qui correspond aul"' juillet 12~8; elle est adressée aux religieux de l'abbaye de

Saint-Père, qu'en considération de leur pauvreté elle affranchitde l'obligation de contribuer annuellement, jusqu'à concurrencede dix livres parisis, aux dépenses des clercs orientaux, pourvuque l'abbaye ait trois années durant versé ladite somme. Parune seconde lettre, en date du même jour, écrite à l'abbé de

Sainte-Marie-du-Pré, dans le diocèse de Rouen, Innocent IV le

charge de veiller à la conservation de ce privilège.La bulle d'Alexandre IV, adressée au chancelier de l'Université

de Paris, porte la date du 22 avril i258. Elle est dirigée contre les

religieux des abbayes de Prémontré, de Cluni et de Marmoutiers,qui se refusaient de payer leur part contributive de dépenses.

La bulle d'Honorius IVest également adressée au chancelier de1 Université de Paris; elle rappelle toutes les bulles précédentes,et renouvelle au chancelier l'ordre de pourvoir, par tous moyensde droit, selon les intentions du saint-siège, à l'entretien des

;t) BiMtothèqueimpériale, Mppl. tat., cod. tN4, 99, et cod. tCtt, f* 272.(2)T. t, pré&cc, p. ccïVM;t. M,p. 700.

Page 229: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MttYEX AGK.

clercs orientaux. Uest probable que cette lettre est celle que Wad-

ding, rappelant les efforts d'Honorius IVpour encourager l'étude

des langues orientales, mentionne, sans la reproduire, comme

ayant été adressée au cardinal Cholet (t).Comme ces dinérentes lettres nous paraissent inédites et qu'elles

répandent quelque jour sur un fait très peu connu, sinon absolu-

ment ignoré, nous pensons qu'il ne sera pas sans intérêt d'en

donner le texte. Nous écartons toutefois la lettre d'Innocent !VA

l'abbé de Sainte-Marie du Pré, qui ne fait que répéter celle du

même pontife aux religieux de Saint-Père.

L<'M~tf~MM< J~. « tnnoccntiusepiscopus, servusservo-

rum Dei. Dilectis unis abbaii et conventui monasterii Sancti-Pctri

Carnotensis, ordinis Beuedicti, satutem et apostolicam benedictio-

nem. Exigentibus nostre devotionis meritis, votis vestris libenter

annuimus et petitiones vestras, quantum cum Deo possumus,favorabiliter cxaudimus. Cum igitur, sicut ex parte vestra fuit

propositum coram nobis, canceUarius Parisiensis, oui super pro-visione facienda quibusdam pueris Orientalibus, Parisius studen-

iibus, litteras nostras direximus, nobis mandaverit, ut eis de-

berctis in decem libris Parisiensibus annis singuUs providere,nos attendentes quott vestrum monasterium est gravatum, ut ad

provisionem eorumdempuerorutn, dummodo per tres annos eis

pensionem predictam solveritis, compelli per litteras apostolicas

impetratas aut etiam impetrandas minime vateatis, auctoritate

vobis presentium indulgemus. Nulli ergo omnino hominum liceat

hanc paginam nostre concessionis infringere vel ci ausu temerario

contra ire. Si quis autem hoc aitemptare presumpserit, indigna

tionem omnipotentis Dei et beatorum Petri et Pauli, apostobrum

ejus, se noverit incursurum. Dat. Lugduni, iO kai.juMi poniinca-tus nostri anno quinto. »

Lettre <f~/M'<MM&'e 7t~. « Alexander, etc., dilecto RHo. can-

(t) Wadding, AtK. JtftH.,t. V, p. 137 HonoriMs, ponti~x. Me! Chr~tiattfc <M)a.

tathMM'mfmmmoantoM dMtdemvtt, tta Mtpro convertendisSatrmwntftet reduccMd)!<

M-htMnaMctaOrteotaMbMS,AmMcmet aMamm ~rpg~naMm M)tn"aTamstadtMmPaft.

aMsab tnnoeentto, Alexandro et Ctenx'MtehMj))«noininis tV, ut MXten'ttx- M')'h)«

pneceptam. atque ab tatennedMa ponttMctb))!)wterter MMttM'ndattun,Mteomn!tto

tMMtutwtuertt; de que MtMlitteras dedit ad J~n~m Ch~'tU. tHuMMnetm Cf.

ettte cardtnatem, la OaMtaMdtxap<MtoMc<BtexatuM.qa'e adhuc tfgOBtm-la nw'

Vatitane.

KXNmMeK~MMMM~M. Ii

Page 230: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

2M EXCUB8!0?!SMtSTORiQUESETPHK.OSOPntQUES

cellario Parisiens!, salutem, etc. Felicis recordationis Innocentius

papa, predecessor noster, et nos etiam tibi litteras apostolicas,sol) certa forma, pro dilectis filiis, decem pauperibus clericis

transmarinis, dicimur pluries direxisse, ut eis, Parisius insistenti-

bus scolasticis disciplinis, ac totidem aliisiUarum partium, cum

essent Parisius, ab aliquihus monasteriis vel ecclesiis regni Fran-

cie, unicuique ipsorum videlicet in decem libris Pansiensibus,

annis sin~uUs, providen, et provisionem hujusmodi eis apudPat'isius faceres assignan. Quia vero nonnulli Prcmonstratensis et

Chmiacenis ordinum, ac Majoris monasterii Turonensis abbates

et conventus et monasteriorum ipsorum persone, dicentes sibi

esse ab apostolica sede indultum, quod ad provisionen) alicujus

compelli non possint per litteras apostolicas, que plenam et ex-

pressam de dictis oKlmtbns et monasteriis ipsorum, ac de indultis

hujusmodi de verbo ad verbum non fecerint mentionem, superexibenda eis provisione hujusmodi ipsis imposita se propter hoc

reddunt inttexibiles et molestos, pro parte dictorum clericorum,ad nostram providentiam habitus est recursus. Cum itaque pietas

apostolica intenta potissime consolationi pauperum, quod de pre-dictis incepit clericis relinquere non debeat imperfectum, nos

devotis eorum precihus inolinati mandamus, quatenus, non obs-

tantibus predictis, vel quibuscumque aliis indulgentiis, cujuscum-

que tenoris existant, ad provisionem ipsorum per te vel alium

procedas juxta traditam tibi formam. Datum Viterbii, 10 kal.

maii anno 4. 22 aprilis i258. »

/e ~MtowM IV ait fA~ce~' de f~Mf< de ~<«'M.

« Ue affectione pia et moderatione provide felicis recordationis

Innocentii papa* IV, predecessoris nostri, dudum noscitur pro-

ccssisse, quod ipse quosdam clericos, tam in Arabica quam in

aliis linguis partium Orientaliumeruditos, tali de causa mitti dis-

posuit Parisius ad studendum, ut doctrinam sacre pagine conse-

cuti, alios ad saîutem in transmarinis partibus erudirent. Pie quo-

que momorie Alexander papa IV, predecessor noster, ne iidem

clorici qui erant tune Parisius ab incepto studio pro necessario-

rum defectu desistere cogerentur, quondam canceiiario Pari-

siensi, predecessore tuo, ad instar ipsius predecessoris tnnocentii,

suis suh certa forma dédisse dicitur litteris in mandatis, ut ipsisd<'o<'mpt t~idftn atiië, cum eMent ibidem, ab atiqMibtMmonas-

Page 231: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSM MOYENAGK. 237

teriis vel ecclesiis regni Francie, ita tamen quod in singulis

monasteriis vel ecclesiis eisdem, singulis prefatis clericis, vide-

licet viginti, vel aliis eis cedentibus, vel decedentibus in loco

succedentibus eorumdem usque ad numerum pretaxatum, faceret,

per se vel per alium, in decem libris Parisiensibus, annis singulis,

qnaadiu Parisius hujusmodi studio insignirent, provideri, dum-

modo monasterium, vel ecclesia, quod vel que per triennium id

solveret, super hoc non gravaretur ulterius, 'eadem gratia quan-tum ad alla monasteria vel ecclesias in suo robore nihilominus

perdurante, contradictores, etc., usque compescendo. Postmo-

dum vero, felicis recordationis Clemens papa, predecessor noster,

quondam magistro Odoni de S. Dionysio, canonico Parisiensi,

suis sub certa forma dedit litteris in mandatis, ut ad provisionem

dictorum decem et aliorum decem clericorum ejusdem terre, cum

Parisius essent, per se vel per alium procederet juxta tenorem

predictarum litterarum eorumdem predecessorum Innocentii et

Alexandri ad dictum cancellarium directarum; ac postmodum,

pie mcmorie Gregorius papa X, predecessor noster, eidem ma-

gistro Odoni, per suas mandavit litteras, ut ad provisionem dic-

torum clericorum, per se vel per alium, procederet secundum

earumdem dicti predecessoris ~lementis continentiam litterarum.

Nos itaque, volentes ut quod per predictos predecessores nostros

in bac parte demandatum extitit, plenum consequatur effectum,

discretioni tue per apostolica scripta mandamus, quatenus ad

provisionem dictorum clericorum, per te vel per alium, auctori-

tate nostra procedas, secundum eorumdem dictorum predeces-sorum nostrorum continentiam litterarum, non obstante, si prc-

latis, vel collegiis, aut personis monasteriorum et ecclesiarum

predictorum, seu quibuscumque aliis a sede apostolica sit indul-

tum, quod ad provisionem alicujus in aliquibus pensionibus mi-

nime teneantur, quodquo ad id compelli, seu interdici vel cxcom-

municari non possint per litteras apostolicas, non facicntes plenum

et expressam de indulto hujusmodi mentionem, seu qualibet dicte

aedisindulgentia, cujuscumtpM tenoris existat, perquame!ïec-tus presentium impediri valeat, vel differri, et de qua cu~usquc

toto tenore de verbo ad verbum oporteat nostris litteris ncti mcu-

tionem. DatumRomtB apud S, Sabinam. 10 kal. februarii, ponti-

Rcatus nostri anno primo. 33 januafii i285 »

Page 232: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

M8 EXCURStOXS mSTCMtQCES ET PtttLOSOPtMQCES

Les bulles que nous venons de transcrire ne permettent pasde douter que, pendant une grande partie du xtM" siècle, tout

au moins depuis le pontificat d'Innocent IV jusqu'à celui d'Ho-norius IV, l'université de Paris n'ait compté, parmi ses étudiants

accourus de tous les pays de l'Europe, un certain nombre de

clercs venus de Grèce et d'Asie pour recevoir une instruction chré-tienne. Serait-il téméraire de conjecturer que ce sont ces pauvresclercs, placés sous la protection spéciale des papes, qui ont formé

le collège de Constantinople, établissement sur lequel les opinionssont très partagées? Ce collège, s'il faut en croire Du Boulay (1),aurait été fondé, immédiatement après la prise de Constantino-

ple, pour de jeunes Crées que l'empereur Baudouin se proposaitd'envoyer a Paris. Une autre tradition, également recueillie

par Du Boulav (2), en fixe la fondation à l'année 1286; Sauvai (3)semble, au contraire, vouloir reculer cet événement jusque versle milieu du xtV siècle. Cette dernière opinion est évidem-ment erronée loin que le milieu du xn' siècle soit l'époque del'établissement du collège de Constantinople, ce fut en 1362 quele dernier de ses possesseurs, M"Y van, du diocèse de Novare,traita de la location des bâtiments, alors abandonnés, avec Guil-laume de la Marche, fondateur du collège de ce nom (4). Quantà la date de 1286, il nous parait probable qu'elle fut celle, non

pas de la première fondation du collège, mais de son agran-dissement. Sans nous ranger tout à fait à la première opinionexprimée par Du t<ou!ay, nous inclinons a penser qua l'époqueoù Innocent Ht, sur la prière de Baudouin, envoyait des maîtreschrétiens en Grèce, il fit venir en Europe de jeunes Grecs, et lesconfia aux soins de ITniversité de Paris, léguant A la sollici-tude de ses successeurs cette pieuse et utile institution, que ceux-ci

protégèrent et développèrent, et qui devînt peu à peu un vérita-ble collège.

Quoi qu'il en soit, au xtv" siècle, on perd la trace des étu-diants orientaux, et il ne parait pas non plus que le vœu formé

par le concile de Vienne et les mesures qu'il avait adoptées pour

(t)~fM.Unir.faW~t. Ht,p.10;Crevier,t. t. p.487.(2) ~t~. FHtp. ~<!fb.,t. tV. p. 304; Crevier. t. t!, p. 4tC.

(3) ~N~M~M de Paris, t. t, p. t08; t. H, p. 3à5.

(4) Du )<<M)tay.t. tV, p. 364.

Page 233: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS hR M<tYK~ A<:K 2M

lu propagation de l'Évangile en Asie aient en Itcaueoup de suc-

cès. Lesrésultats descroisades tendaient de jour en jour s'eMacer

la barbarie musulmane reprenait possession de tons les tienx <pu'

la sainte ardeur de Codefroy de Xouitton et de ses compagnons tni

avaient disputes. Qu'eut-it servi de former des missionnaires pour

aHerévan~tiserpes peuptes, ennemis de lu <:roix, <p)e!c fana-

tisme et de brutales passions poussaient comme un torrent vers

FEurope? La chrétienté ayant perdu )~la fois Fespoir de les eon-

~nerir et celui de les vaincre, elle at)andonna les projets <ptecette

double espérance lui avait inspires en des jours plus heureux. Le

cottege de Constantinopte s'éteignit, pour ainsi dire. sans laisser

de traces, et en même temps, et par tes mêmes causes, dis-

parut t institution plus récente et font aussi stérite dont 11.d'Ar-

haumont a retrouvé et nous a transmis un des rares souvenirs.

Page 234: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen
Page 235: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

L'ENSEtCNEMEKTDE L'HËBMEU

DANS LFNtVEHStTÈ DE PAtUS

DE

AUXV M&CLE.

Page 236: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen
Page 237: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

L'KNSE~NKMKiV)m: L1!f:MU:U

HANS LUNtVR~StTÉ HE PAtUS

AUXV"S!ÈCLH.

A quette époque t'enseignement des tangues orientâtes, et de

l'hébreu en particulier, a-t-il été institué dans i'é<ote de Paris?

En admettant que son institution soit antérieure A ta renaissance

des lettres antiques, cet enseignement a-t-it existe d une manière

constante, ou plutôt n'a-t-il pas subi des interruptions, et son

histoire ne présente-t-elle pas des tacune~ conaidérabies? Entin

queMeétait ta condition des maMres char~s de ie distribuer? La

question n'est pas sans importance et vaut ta peine qu'on t'exa-

mine.

Un professeur du CoMegede France, qui occupa successivement

la chaire d'éloquence latine et cette de philosophie, toutes deux

instituées par François f, Pierre Galland, dans le panégyrique

qu'il prononça en l'honneur de ce prince, lui attribue l'honneur

d'avoir le premier introduit parmi nous 1 enseignement des tan-

gues orit~ttates. « Avant ce grand roi, s'écrie-t-it, qui donc en

France avait jamais songé à la langue hébraïque (i)?Cette exclamation, arrachée à l'orateur par son enthousiasme

pour le monarque dont il avait reçu tes bienfaits, exprime, sans

(t) PassageetMpart'ahMCoujet.JMM.&M.e< sMr CoMeycroyalde

~aaee, 1.1, p.28.

DE

Page 238: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

93t KXCPMMON!;))!SMB!QCt!S ET PMM.OSOPH~)!S

aucun doute, le sentiment général des contemporains de rran-

eois t~; mais elle Mest pas conforme entiejM'meni Ata vérité his-

torique.L'utilité que la connaissance des idiomes de 1 Orientprésente,

ne filt-ce que sous le rapport retigieux, avait frappé, dès le

XM<~siècle, l'esprit des souverains pontifes, et au commence-

ment du siècle suivant, le concile de Vienne, interprète de leur

pensée, et répondant peut-être a un vu u exprimé par BaymondLuile, oKlonnait, de la manière la plus formelle, que des chaires

d arabe, de grec et d hébreu fussent etatdies At'aris, A ~xfont~ A

Satamanque et A ttoto~ne. Que la création de ces chaires ne soit

pas restée At état de simpte pro~'t, qn eMesaient existé eneetive-

ment A Paris, on ne saurait contester ce fait, en présence des

documents parvenus jusqu'A nous qui en démontrent l'authen-

ticité. Xous avons nous-tneme recueitti quetques-uns de ces docu-

ments nous nous sommes e(!orcé ailleurs de tes mettee en tu-

miêre; aussi jngreons-noussnpernu de les produire de nouveau,

et d'insister sur des résultats qui paraissent acquis.

Toutetbis, ce qu'il faut 'n m&me temps reconnattre, c'est quela nouvette institution s'établit avec peine, c'est qu'ette prit peude développements, et qu'elle ne produisit pas des fruits féconds

ni même durables. Elle avait si peu de racines dans les écoles;elle excitait dans les rangs d'une partie du cter~é, quoique décré-

tée par un concile, de telles appréhensions enfin elle était si mal

dotée, il l'époque ou elle prit naissance, qu'elle put à peine subsis-

ter l'espace d'un siècle; après quoi elle disparut, non sans laisser

après elle, chez quelques amis des lettres, un sentiment de regret,dont on retrouve la trace dans les actes du temps.

Nous avons sous les yeux un document inédit qui prouve la

continuité de l'enseignement de l'hébreu à Paris jusque dans les

vingt premières années du xv" siècle, et qui atteste en même

temps la situation précaire des maîtres par qui cet enseigne-ment était donné nous voulons parler d'une lettre que l'Uni-

versité adressait aux habitants de Besançon, en mars i42t, pourleur recommander l'un de ces malheureux maîtres. Ce document

a été retrouvé, depuis peu, dans les archives de la ville de Be-

sancon, par M. Auguste Castan, l'un des correspondants du mi-

nistère de l'instruction publique pour les travaux historiques. En

Page 239: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TMJ~KBS).K MOYKSA<:K 2~

le rapprochant de quelques autres pièces, en partie inédites,

peut~trt! nous seM-t-it possittte de jeter un peu de jour sur ce

point très ottscur de l'histoire tittéraire du xv~ siecte.

t'n des traits qui caractérisent tes nomttreuses co~tonnions qneIn moyen aj~e avait vuess'ct<!v<'r <'t<?«' h' muuvctnent <tcla chi-

Ms<tt!oumoderne a <~trn!t' s; MnM<tfscansos du pn'sti~e <tHÎtes

entourait et d<' rinMM<*nc<'<p)<'H<~ont <<'n'M< ce n<' sont pastK'ntenM'ntles privitA~'s importants <pnh'nr avaient <~ a«'or<tes

parFautoritM civit<'ou par !<'pouvoir t'(ct<~siasti<ptt',t*<"<taussi ta

prot<!Ctionvisitante <p«'!h'}!Mtt'n<tai<'ntantonr n'<'n''s; <st t <'m-

presst'nM'nt on'<*n<'stMeKaienta venir <'n ai<tt' A h'nrs tnotnhres

aussi souvent que roccasiou }<'<'npr~M'ntait. h t~uiversitM<t<*t'aris

s'est tait rfmar<pM' <'u<n'toutes t<'sautres par t activité vraiment

tMttemenM<pt'<*H<'deptoyait enfaveu) <t<'sKSetoti<'t~.<'t<M!tous

ceux en ~cucrat <p)) s honorah'nt<t otr<'app<tes s''s supp<~ts.t'our

<p«*la sottieituue <tur<'<'h'ur fut cvfiuce, pour uu'H tuM<'umou-

vptm'nt ta compa~ui'' tout <'nti<'r< it u ~tait pas uco'ssair~ nue

t'ttonnt'ur < tt<'sint'~ts <t<'p<t<ci fussent <tir<'ct<'m<'nten~ag~s;

plus d'une fois c<' fut ass<'z <!<'la prière J un simple f?ra<tne

qui reetamait protection et appui. Les archives <tn ministère <te

t'instrnction put'ti'pM' renterment un certain nombre <telettres

qui furent écrites <tans le courant <tu xtv sieete par tTniver-

site de t~ris A des prêtais français on même étrangers, et à

d'autres grands pentonna~s, cottateurs de ttënéiices ecclésiasti-

ques, pour tenr recommander des candidats qui avaient figure

sur ses bancs. Ainsi, en i:t37. tt'niversité recommande au cha-

pitre métropolitain de t'élise de Reims, pour t'ofnee de margnit-

lier, l'un de ses t~edeaux, Menri Le Vasseur, qui l'avait etie-meme

ndetement servie durant trente ans. Kn 1350, ette prend avec

énergie la défense de Pierre Berceure, t un de ses écoticrs, qui

se trouvait alors détenu dans les prisons de t évoquede Paris (i).

Le document qu! a été retrouvé par M. Castan se rattache a

l'ordre de faits que nous venons d'indiquer. L'Université de Paris

fait appel à la bienveillance des gouverneurs, bourgeois et ha-

bitants de la bonne ville de Besancon, en faveur de <' maistrc

(t) Ces deM~eees 6mt partie de netf)' /<M<e.cctro<M~<ct« c~a~oraM ad &M<e-

f<am ~<t<MMKaM<ParMetMM <tpee~H<<MM,p. ia4 et t46.

Page 240: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXrmMOXSmsWKMX!KSKTPM)L<M!«PMtQUKSaw

t*aul Je Monnetoy, maistrc en Ebrieu et on Caldee. MEtte expose

que maistre Paul a composa un livre en hébreu sur ta foi catttoli-

que; que son intention serait de le faite traduire en latin; qu'A cet

etÏet il se rend en pays étranger: qu'il est dépourvu de ressour-

ces, et qu'A tous ces titres il mérite d'obtenir aide et secours; car

« de présent, il est, au pays de France. le seul docteur en Rbrieu et

~ddée. HVoici, du reste. le texte même de cette curieuse missive

« Très chers et bons amis, pour ta titteratme et autres bonnes

vertus que con~noissons estre en la personne de maishe t'ant de

Honnc Foy, maistre en Khrien et en <~ddee, de nostMt p<~oir,

nous sommes perïorcex de lui administrer ses vie <-testât jtts<p<es

il cy; et cependant la hdtoure et compose en Khrien certain nota-

hte livre sur nostre foy, te~net a inteneion de faire transtater en

!an~tM' tatine par un maistre de par de!a, ou il a son piaisir, et,

pour ce faire, soy y t)raust)orter. Et mesmement, pour ta très

grant charte de vivr<'s<p)ide présent par deeA, pour tauneMe

sa provision ne peut ttonnement fournir son vivre, si vous prions

et requérons très acertes que, pour amour de ttieu et en faveur de

!a foychrestienne, il Jaquette !edit maistre faut, Il la confusion

des Juifz, ennemis de Meu et de tadite foy, s'est converti, et

en contemptacion de nous, il vous piaise tedit maish~* Paul,

venu par devers vous, avoir pour espéciatement recommandé,

et lui aidier et secourir en ses afaircs par de!&, principaiement

à restat de sa vie, afin que un si notaMe clerc qui de présent,

ou pais de France, est seut docteur en Ebrieu et Catdce, au grant

reproche de tous chrestiens et au deshonneur de nostredite foy,

ne soit contraint de retourner au premier et dampnaMe estât de

ténèbres, duquel Dieu la appelé a lumière, ou mendier honteu-

sement, pour avoir entre nous chrestiens sa poure vie, et qu'il

puisse son euvre achever; car il pourra sortir d'icelle bien grant

fruit. Et, en ce faisant, vous ferez ouvre de charité, agréable A

Nostre Seigneur, et à nous très grant et singulier plaisir. Et s'au-

cune chose vous plaist que puissions, nous la ferons bien volon-

tiers et de bon cuer, prians Nostre Seigneur qu'il vous ait en sa

garde. Escript alParis, le vi~ jour de mars (<). »

(t)Surteversodelafeumedettarchemtaoa Utla noteMhrMte« Cespréte~Mfurentteeeucsenla ma!Mndela vitte,le imtdtnejourde juingmitMtfet ut. »

Page 241: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TMAVKHS ht: MttYKX A<:K 9S7

Université de Pans s<~servait en générât de ht tangue latine

pour traiter les atïaires qni la concernaient, Aquelque titre quece fut. C est dans cette tangue que la plupart tles actes émanés

dette, ses déiit~rations, ses statuts, sa correspondance, non

sentement avec les s<mverainspontifes, mais avec tes princes, tes

instructions qn'ette donnait à ses tf~ats, étaient ~di~es et pu-hti~s. Cfp<'n<tant d'' n<'n)hn'MX<*xt')np!<'spt~nvt'nt que, <!<-sh'

xtV sH'ch', et A pins torie MtSttn no xV\ ette conuMencait A

<ntptoy<'t la hm~Mc vut~ain'. Ainsi, ia retptôh' <pt\'He adM-ss~t,t'n 1380, AChattes Vt, p<n.fse ptaindn; dt's vexations du pt~votd<' Pans, ttM~m's Anht'iot, t'st <'n han<;ais (i). Ccst en hancais

<~at<'tn<'ntqucst ~crit<' une tt'ttr*' Jtt mois dcjanvM'r m7, ad-

K!sst~'aux ttattitants de Reims, t't communi<ptee p! M. Louis

t'arisaMJoM<<rw/<A'«/<'Mc/<«A/ (~). H M'estdonc

pas étonnant tjuc, <ptchp«'s années ap)'~s, le recteur, ayant A

faire parvenir une recommandation aux habitants de Hesaneon,oit préfère cette fois encore te français an latin. Le document re-

tronv~ par M.Castan conserve d'aitteurs l'empreinte en cire ron~edu grand sceau de tTniversité, décrit par ttu Mouiay dans son

tivre /w/<w</< /t A~wtWM (3) ce <pn ne permet aucun

donte sur t'anthenticité de la pièce dont il s'agit.t)enx faits paraissent clairement établis, dans ta lettre aux

ecttevins de Resanc<Mt,par le propre témoignage de n niver-

sité le premier, c'est que. jnsoue dans les premiëres années du

xv~siècle, elle n avait pas cesse de compter dans ses rangs quel-

flues maMres, en générât des juifs convertis, qui savaient t hé-

breu et qui se chargeaient de t'enseigner; le second, e'est quele nombre de ces maîtres avait successivement diminué, et qu'aumois de mars H:5i on n en connaissait plus qu'un seut &farts

misérable condition d'un enseignement capital, et pour lequel le

concile de Vienne semblait avoir rêvé, dans l'intérêt même de

t'ortbodoxie catholique, des destinées plus brillantes.

II serait intéressant de savoir quel était ce maure Faut de ttonne-

foy, qui avait su inspirer aux témoins journaliers de ses travaux

un intérêt asse~ vif pour que la r'acutte des arts se décidât A tui

(t; MM:c~Meh~MtMchartarum,été..p. <7M<4M!v.

(~ AMée t855. n" too.

(3)Pa~ta. «?9. in-tf, p. t" <'tsuiv.

Page 242: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCOBStnXSXtSTOMQUKSKTPMtMSttDMQUES238

accorder des lettres de recommandation. U figurait sans aucun

doute au nomb des maMres, fameux alors, que possédai I'ec<Je

de Pans, et qui réunissaient autour de ses chaires des étudiants

de toute nation avant que les calamités de la guerre en eussent

rendu quelques-unes presque désertes. Cependant nous avons

cherché inutilement ce nom, soit dans la ~«/A~ M~/M'

~MM' /<w/~ de Fabricius, et la ~M M'/M~~ de Colo-

mes (i), soit dans les recueils spécialement consacrés Ala littéra-

ture rabbinique. tels que la 7~/M/~w de Christian Wolf et te

7~</MMww<'fA'<MM~M«Ap~ de Rossi. <m vit bien AParts,

dans les premières années du xv" siècle, un Israélite espagnol,

lequel, ayant été converti au christianisme par la lecture de

saint Thomas dAquin, prit le nom de Paul de Sainte-Marie,

fit ses études théologiques, reçut même le bonnet doctoral, par-

vint aux premiers honneurs de l'Église, et mourut évoque de

Burgos en i~35. «n possède de lui, entre autres écftts, des

additions aux CoMMM~ de Nicolas de Lire sur l'Écriture

sainte (2); mais il ne peut évidemment être confondu avec Paul

de Bonnefoy, qui n'a de commun avec lui que d'avoir porté le

même nom, d'avoir vécu à la même époque et d'avoir possédé

la langue hébraïque.Nous désespérions de parvenir à nous procurer aucun rensei-

guement sur ce personnage ignoré, qui parait avoir échappé jus-

qu'ici à tous les biographes, lorsqu'on compulsant les archives de

l'Université de Paris, nous avons découvert un document inédit

qui mentionne son nom avec certains détails précieux à recueillir.

Le traité de Troyes venait d'être signé depuis quelques mois.

Après s'être montré aux Parisiens, Henri Vs'était mis en route, sur

la fin de l'année H20, pour retourner en Angleterre, en passant

par Rouen. Lorsqu'il était encore dans la capitale de la Norman-

die, l'Université de Paris, qui l'avait déjà sollicité plus d'une fois,

sans obtenir tout ce qu'elle désirait, lui envoya une nouvelle dé-

putation composée de Jean Basset, mattre es arts et licencié en

~) CafMaeWM~ ~MCaMontMqui H~«am~e<'f.roM<x~aM<MOWem<a<M

MMhten<tt<eM~.&!6.Met <<)««ofa«« CohtMMM.~pe~tM«. H~ C«Mttb,

<M.t.tn.4".NotMaToMMMutt~t'MttaussivainftnMtunautreouvragedumêmeau-

teur lIalia e<Jf~patttaMWeM~<M<;Mambuf)!t7:<o.tu-4".

~) Wolf,MM.Met.,t. t. p.M3.

Page 243: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TMYEB8 LK Mt)YK?< A<:K. !!3''

droit canon; Jean de la Fontaine, maMre es arts et tMM'ttetieren

droit canon; <:uittaume Quignon, maure es arts, bachelier eu

droit canon et licencié en droit civit; l'ierre Amint, maure es arts

et bachelier en droit canon. t.es députés latent porteurs d ins-

tructions (t) qui indiquaient tous tes points sur lesquels ils de-

vaient appeler t attention tn<'nv<Mant<'dn ptnssant roi d'Anffh'-

<<'n'< dt'venn p'u' !<' coutt! des vicissitud<'s humaines tt~ent du

twauux* de France. Ces instructions n'ont jamais ét~ putdiees: ce-

(M'ndant t-H'-sne sont ~s sans intérêt pour t'histoin' potitione et

titteraire du xV sieete. t'armi tes points qn'enes touchent, nest-

il pas t'etnar<tuahte de voir M~urer renseignement de ta langue

ttetn~tune? t/tniversité se plaint que cet ensetfirnonent, qui de-

vrait, d'après tes anciennes ordonnances, compter A t'aris plu-

siem-s chaires, soit tettement dégénère, en raison du matt)eur

des temps, qu'il n est plus donné, au moment ou elle écrit, que

par un seul professeur. Ette ajoute quctk avait sotticiM sur cette

matière importante un reniement générât, mais qu ctte avait seute-

ment obtenu d'Henri Vta promusse d'une attocation de cent francs,

destinée Al'unitluts ttet<ra!santqu ette eut conserve; sur ce chit!re,

cetui-ci n'avait reçu que cinquante francs. Ktte demande en con-

séquence que te prince veniue tMen compléter sa libéralité, et

que des mesures soient prises pour en assurer tes euets d'une

manière durable. Nous ajouterons que tTniversité donne le nom

de ce mattre, assez peu favorisé de la fortune, sur loquet repose

désormais dans Paris renseignement de t'hébreu c'est mattre

Paul de Bonnefoy, te même assurément qui fait t'otqet du docu-

ment transmis par M. Castan. Voici le texte même du passa~e

inédit et inconnu jusqu'A ce jour que nous venons d'analyser

(t) <!necopiet)t'8amh'nnf.et tt-Nt-~femtm<-la mhutt't)f!t<i"at''deM"ins)rm-

tians,est fun~fT~'dansle pn-tnier<artondes afebiv~<<<'randcntx!ttniv<'K!t'''h'

farts,ao~nrdhnt d~MMéMaitmtnM~<'de) )))")rtt<ttenpnMi'ttt.Knvoiri)Mt'n-

mtètwtiRttw '<SMinntur!n!(trtteti.t)t~~oafunax~tt'rJt.hannMttaMt-hM.maj<h'rt"

artthuaet Mc..nt)atM9ln det-M-Usa<-pr<M.)ot<n-titthcMttatittfa~h'n~; J.tt'ann.-td.'

P<mtt'x-tghh')-t<tafUbuttetbathatartnxind<'<wtt".~rdtnatiad<.M')u''t")t)t)(.~nt.-nta

lu t.rtnxtartt'-ut.t;et <!)Mt)ehntMCu~tMM.MMn)"tnartH.tM,it«'n<-iat))!(it').t!ihuf-t

tMfhatartu"lndecn'Ma;P<-<n)ttAtnhttt.ma~ft<-)-in arUbMset tif<'aciam<t)))~)n''a.

n.Mth~.aMbaMtatofMe~tMdemUatv.-Mttattx,ad ~Mt'hM)h.<Uhta<.v)f<)')<M)~hnMn)

t.ftn.-hM'tn,dMnhMMreeeMAn~ie.h<.r.-de)net n't;te'" ~at <-faM<d~hMt),ob-

M'rtan'habebnnt.N.MMn.n)ftpmtwmMdepuNtwletextetnt'-gca)dé-redocut.M'nt

daMlapKM-hatn''OvraiMMdan«tH'f~M eAfM~<ct«.

Page 244: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

2t0 HXCMtStOXSn)STOR)QUESET PHtMSHPtMQUKS

« Item, quum ex antiqua ordinacione debeant esse in Univers!-

tate doctoMS plures sancti [sermonis et de pra'senti solum sit

unus doctor hebreus qui propter iniquitatem temporis vix potestvictum et vestitum honeste continuare, explicetur domino regnti,

quod super his ponatur universalis provisio; et quum pro spécial!

provisione Serenitas domini regentis ordinaverit et disposuerit in

Corbolio, quod dicto doctori et magistro, t'aulo de Bona Fide,

('xpediantur centum franci, et super his non receperit nisi quin-

quagenta francos, dignetur Sua Serenitasjut)ere ut rcsiduum dicto

doctori expediatur, atque sibi solide provideatur in futurum. »

Le passade qu'on vient de lire confirme tes renseignements quinous étaient fournis par lu lettre de ITnivcrsité de Paris auxéche-

vins de Besançon; il montre aussi la juste importance que l'Uni-

versité ne cessait pas d'attacher a renseignement de l'hébreu, ou,suivant ses propres expressions, de la langue sacrée, ~c~.w~

Mo~M;la vive douleur qu'elle éprouvait de voir cet enseignementsi déchu; enfin ses efforts persévérants pour le ranimer et le re-

lever.

Tout porte a croire que le roi d'Angleterre ne se laissa pas tou-

cher par les doléances de la députation qui lui était envoyée; que;les cinquante francs qui restaient dus au maître d'hébreu, en

vertu de la promesse royale, ne furent pas payés à ce dernier, et

qu'enfin aucune mesure ne fut ordonnée en faveur de cet ordre

d'études. Ce fut alors, autant qu'on peut le conjecturer, quemaure Paul, ne sachant que devenir il Paris, conçut le dessein

d'aller chercher fortune en pays étranger, peut-être sur ce sol fa-

vorisé de l'Italie qui voyait déjà poindre l'aurore d'une nouvelle

renaissance des lettres antiques. Au moment où il songeait à se

séparer de l'Université, dans les premiers mois de H2i, celle-ci

lui accorda ce q ''elle refusait bien rarement à ses maitres, je veux

dire des lettres de recommandation. Durant cette lamentable

période d'anarchie politique et religieuse, l'école de Paris venait

de conquérir dans les affaires de l'État et dans celles do l'Égliseune telle inuuence, que le témoignage de sa protection n'était

pas pour ceux qui l'avaient obtenue une formule sans efficacité.

Toutefois il nous paratt douteux que maître Paul ait tiré partides lettres qui lui furent délivrées; car en 1433 nous le retrou-

vons à Paris, et il donne quittance au bedeau de la Faculté de

Page 245: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS JLKMOYEN AGE. Mt

théologie, Jean Vacheret, d'une somme de seize sous parisis, qui

venait de lui être comptée Ala décharge de la Faculté. Cette (luit-

tance, au témoignage de Richer (i), qui l'avait retrouvée dans un

ancien livre de comptes, portait la signature du créancier, écrite

a la fois en lettres hébraïques et en lettres vulgaires. A partir de

cc'moment, nous perdons entièrement la trace de maître Paul,

&moius qu'il ne soit le même qu'un certain Paul de Slavonie, qui

eut, de iMO à i&40, d'opiniâtres démêlés avec la Nation d'Alle-

magne. Maisl'identité des deux personnages n'est nullement éta-

blie et, fût-elle avérée, la querelle dont nous avons saisi la trace

dans les registres de l'Université avait pour motif certaines infrac-

tions à là discipline salaire, et ne concernait eu rien l'enseigne-

ment des langues.

Malgré l'abandon dans lequel les études orientales étaient

laissées par les princes rivaux qui se disputaient la France, il est

constant que ces études ne furent pas complètement oubliées car

on vit dans les années suivantes s'élever quelques maîtres qui se

montraient disposés à donner des leçons régulières de grec et

d'hébreu, pourvu qu'on leur assurât des émoluments convenables.

En H30, certains d'entre eux en firent la proposition formelle a

la Faculté des arts; la Nation de France~ comme nous l'apprenons

par le témoignage de son procureur, Cordier de la Rivière, les ac-

cueillit avec faveur; elle avait même exprimé l'avis que des béné-

fices d'un revenu suffisant fussent affectés à la rémunération de

ceux qui enseigneraient dans l'école de Paris les idiomes de

l'Orient (2).

(t)Onsaitqu'EdmondRteheravaitréunilesmatériauxd'unehistoiredet'Untversité

deParh, quin'apasvulejour,maisdontle manuscritse conserveàlaBtbMothequc

nationale,Cad.tat..CM3et suiv.AutontetHdecettehistoire,fot.147V,Mtit tet'as.

sagesuivantquimériteassurémentd'ètrerecueil!) Annot433,inlibrecomputonnutnemoraUJohannisVacheret.t<'f;ituracceptitattoPaulideMonnefoy,ma~strtet tM-torh

tit!umUebraicmet CaMaioeinUntversttateParisiensi!quaaeceptiiattonefateturse

sMtdceimMUdoeParisionsesaccepissea prn-dictoJeanneVacheret,nomineFacultatif

ineujusrettesttmontumnomensuumscrlbitliteris<-hristianoru<nethcbraifisMtcrtM

autemchristtenorumappoUatnostrascommunes,literasquibusscribimus.Ricix'r

ajoute: HinoautemeonjtcioHtistemporibusatiquosjuda~scbdstianosvenisseLute.

tiam,ut literasorientalesdocerent,et AcadetntamPartsiensematiqntdstipenditillis

annuatimdependhae.)) v(2)Voicien quelstermesDuMontayrendcompiet.ecesfaits,lliat. </?<?.,t. V,

p. 398 i «Eodemquoqueanno(i430).profeMoresquidamOrfeet,th-br<ctetChaMm)

postutaruntab UntveMttatesttpendtumM))quoUsuMetensut possentH!asdisetptinas

6XCt!M!OMmSTOBtOCM. ut

Page 246: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

a~ EXCCRStOXSmSTOMQUES ET PHtLOSOPtMOFES

Quel résultat cette délibération produisit-elle? Nous n'avons

que trop de raisons de supposer qu'elle resta provisoirementstérile. Cependant l'Église n'avait pas renoncé à l'espérance de

convertir les juifs et les in&dètes, et beaucoup de membres du

clergé estimaient qu'un des plus surs moyens d'opérer cette con-

version si désirée, c'était l'enseignement et la prédication. En

conséquence ils persistaient à demander qu'on avisât aux moyensde former des docteurs sachant parler la langue de ces peuples

qu'il s'agissait de ramener dans le giron du catholicisme. Le con-

cile de Baie se rendit à ces vœux. Dans sa dix-neuvième session,

qui se tint au mois de septembre H3~, il invita les évoques A

envoyer dans les localités de leurs diocèses habitées par les juifsdes missionnaires éprouvés y porter la parole de Dieu; il renou-

vela en outre la constitution du concile de Vienne, portant qu'il

y aurait dans les Universités deux maîtres chargés d'enseigner les

langue hébraïque, arabe, grecque et chaldéenne. On décida

même que chaque recteur, à son entrée en charge, ferait le ser-

ment de tenir la main à l'observation de l'ordonnance du con-

cile (1).Il n'est pas à notre connaissance que cette dernière disposition

ait été jamais exécutée. Du Boulay nous a conservé (2) la formule

du serment que le recteur nouvellement élu à Paris était tenu de

prêter: elle mentionne seulement, en termes généraux, la pro-messe d'exercer les fonctions rectorales dans l'intérêt et à l'honneur

de l'Université. Cette formule est, à la vérité, très ancienne; elle

remonte au XMt"siècle mais il n'est pas douteux qu'on ne re-

proMeri; quorum supplicationi <mnM:tNatio GaUieana,ita seribente sno pMexmtereM. ~gidio Cordier de Riparia.. QM&.ttmnad prtmam pnnctum, etc., s!gnanter volnit,<.iMadaddi, nt scUtcetprovid~~tar aUqaibas docioribusGnects, Hebfœb et Chatda)!&

Hde beneficiosutBctenti, ut passent per eosdemin Universitate ParMeMi itta idiomata

a patefieri. » Crevier,selon sa coatame, répète, en t'abrégeant, le récit de Ba Boulay,~t~. de rc~ t. IV, p. M.

(i) SacnMaac~oeoMcMM,etc., studio Ph.Labbei, Latetia*Parisiorom, M79,in-tetio.t. XH. p. 547 t Ut autem hœc praedicatioeo ait &aet)t<Mior,que pNBdieante:ttitgna-rom habuerint peritiam, omnibus m<Mtiaserrari pMectpïmtMeonstUntioNemeditam tn

cmcitto Viennensi, de duobas doepre debentibus in studils ibidem express Ungoas

Hebmicam, Arabiem, GMMamet Chatdœam q)MBut eNcaeiMsobservetnr, redorea

istomm stadiorum, inter alia qua) in asantaptiane reetoratm jnrant, hoc etiam addi

voiamm, operamse pro ipsina censtiMiettia ebaorvatione dataMa. »

(2) NM<.~<p., t. lU, p. 5?3.

Page 247: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVEBSm MOYENAHR. 9t3

trouvât la trace des additions qu'elle aurait subies, si tes dé-

crets du concile de Baie avaient reçu !enr entier accomplissement.Et cependant, comment l'école de Paris, si favorable d'ailleurs

au concile de Bâte, n'aurait-elle pas accueilli avec satisfaction

un décret qu'elle semblait avoir elle-même inspiré par ses vœux

réitérés en faveur des études orientales? Elle paraît du moins avoir

fait ce qu'elle avait le pouvoir de faire pour la restauration de ces

études. Non seulement elle vit se relever une chaire d'hébreu,

mais elle consentit durant quelques années a l'entretenir à ses

frais. Un texte curieux, cité par Du Boulay, nous apprend que le

maKre chargé de renseignement de la langue hébraïque réclama

en mai H55 les honoraires annuels qui lui étaient promis; sa de-

mande fut accueillie par la Faculté des arts; chaque Nation se

cotisa pour le paiement; la Nation de France en particulier y con-

tribua pour la somme de huit écns (t). Il est probable que les

autres compagnies se montrèrent un peu moins généreuses; car

dans un ancien registre de comptes de la Faculté de théologie, que

possède la Bibliothèque nationale, la dépense figure seulement

pour quarante-huit sous parisis, qui furent payés au maître d'hé-

breu, le 8 mai H55, par le bedeau de la Faculté, en vertu de la

délibération de celle-ci (2).C'est 1~le dernier indice que nous ayons découvert de l'exis-

tence d'une chaire d'hébreu à Paris avant la renaissance des let-

tres. A mesure que le moyen âge approche de sa tin, la vie tend

à se retirer des anciennes écoles; leur activité s'épuise en de

misérables débats, et, au lieu d'avancer comme la société elle-

même, elles laissent échapper une partie du terrain quelles

avaient conquis autrefois sur l'ignorance et la barbarie. L'ensei-

gnement officiel des langues orientales dans l'école de l'aris su-

bit à la fin du xv* siècle une manifeste interruption; il ne doit

(1)DuBoulay,~M<.Univ.,t. V,p. 6M «tn tMeme<nnKi!s(6maHt4M),sut')'cavitvirquidamreNgmaaaprosMpendioanano,pollicitussesehctamHUerarMMMe.

bMh'armahabitanMn.CujtMsappUcaUen!anau:tOniverattas;et!nrationibusNation:!)

GaMtcanmvideo«étéMatadatami religiosofuisselegentilitterasHebHMfiMpn' sne

salario.proquotaNationis,ex<'t<Md<'meonetustone.Cf.Crevier,~M. f<<'f~<p.,t. IV,p.993;iM. KM.dela jRraHec,t. XXtV,p.387.

(2)Bibi.«a< Ccd.tat.6657C.fol.a4 <'Item,tradidit(LattMMtosPontretU,bi-

d~tasFactdtatbthMÏog!a?)mat;MMhwM hebmtcttm.ex detibemthmt'Facultatis,X*dieBtaU,MTtMMMd<M.a

Page 248: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

KX(MtStOXSHtSTtHUQUESETPnX.OStM'tOWKSan

reparattrc, en quelque sorte avec le prestige de la nouveauté.

que sous le règne de François t~, après la fondation du Collège

royat. MaisA ce moment tKgtise voyait lui échapper t empire,

presqtte toujours victorieux, qu elle avait exer*é jusque'lA sur tes

âmes. Ue jour en jour, les prédications des Intitériens sapaientl'autorité de la tradition, et disposaient les esprits 0 ne consulter,dans l'interprétation des saintes Écritures, que ta lumière inté-

rieure de la raison. Comment tes appréhensions que l'enseignement

public de 1 idiome sacre avait excitées dès l'origine ne se se-

raient-ettcs pas réveillées plus vives que jamais? Lorsque te con-

cile de Vienne ordonnait que des chaires de ~ree, d'aratte et

d'ttébren fussent établies dans tes principales universités de t Eu-

rope, il avait pour ottjet de pourvoira un ~rand intérêt reti~ienx;et cependant le prestige qui s attachait a ses décisions n avait passuffi pour calmer tous tes scrupules du clergé. Telle était d'ait-

pour ce qui touche a i'orthodoxie, t inquiète vigilance de

t'Universitcde Paris qn'cn H72, le cardinal Bcssarion, te~at dn

s<unt-sie{fe, ayant offert la traduction d'un dialogue de t'taton a

ta compagnie, celle-ci ne permit pas que l'ouvrage circulât dans

tes écoles avant d'avoir été soumis a l'examen de chaque Fa-

culté (i). ApresLuther, ce sentiment de défiance invétérée s'ac-

crut naturellement, par l'expérience des périls que les novateurs

faisaient courir Alit discipline et ait do~me. Aussi l'école de Paris,moins encore peut-être par attachement pour ses privilèges que

par excès de zèle pour la religion, se montra-t-elle en général très

contraire aux nouveaux enseignements institués par François I*

Tandis que 1 Europe savante retentissait des louantes du prince

pt'otecteur des lettres et fondateur du Collège de France, la Faculté

de théologie citait devant le parlement de Paris Agathe <.ui-

dacerio, François Vatable, Paul Paradis et Pierre Danés, coupa-bles d'enseigner le grec et l'hébreu, et par conséquent d'inter-

préter les textes sacrés, par délégation et aux frais du roi, sans

avoir été approuvés par la Faculté (2).Cette attitude de l'Université de Paris contre une institution ex-

cellente, que le temps devait consacrer, nuisit à sa propre gloire.

(t)DuBouhy,<fM.Ot<p.,t.V,p. C!)7.(2)DuBoulay.~M~.f M<c..t. Vt.p.Mtt't SMtv.MtMen,M~.dePNf&.

Page 249: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

HtAVRhSt.HM"Yt!<A<.K

Kth' a fuit <mht!<'f aux c<M~<'M~MH~ms t't A !:< ~M~s~ <~f h". <h'-

vanfit'M d< <'<'s tMt'\<n:tht<4 c<')ts<'tn"< <ht C<tt!<<' < ~r.m< o a~ax )<<

<'<)\-m~)n<'s<'n('<ntMt~M t<'s ~t)«t<'s ut«'Mt«t<'s. <'< pt~huMaux n)'

t)t<nnht<'s < t'ox)!<'ns <ht sifth' Lc<m <'t <t<' t')':m<;uM tpitt ~m'

<(tt<'s to~nthos ~nin<' ~tn'aiont 't"' pitst~'s

)'«<tn<'nf s<tt)s t.

tt'ncc, t~t<m~)'<h's nim'nt ttuon~'tn'' 's n~uttids tn~tMM'K's <~

~ph~m~x's.Hn <'<~upM<s:tnt

<)'' v!n\ tn<tt))nn''nts. tumsavnns n'-

t m'UK t<'s v<'st!~t's <~MH~ <)<' < t's h'ntativ' s ~M~ aius; dht' <tvw-

tM<s. !<<'s faits <t<M' n«ns \<'<MH)s <t < xtH"" < )xms ~<n<iss<'n< <~ i-

siis; its d'~n"ttt~'nt <tu< jtts<j)< a)) n)i)i<'u <tn xv sn'< !<' h~t ao

moins, h' MM'ycn a~<' notait p«'«~')tx't)t~M~'h))n<'ttt ch~M~'t' A

ta c<'HtM!s<Htttc<'<!<' h* hm~u<' tn'ht'aï~ttc;t't')nv«~:)c <h' t'atis <'n

txutictd!<'t, )<pt~'sa\<Mf p)ssc<tMp<'n<t:'nt<f''h~n' <<'<npsptnsM'm~

ntaK~'s <;tt! t'ns<na!<'nt cctt<' htn~ «<\ n'avait pas vu t!)tni)tn''r p<'u

A p<'u tctu' notnh)~ s<uts finn' <)<' tnuahh's ftit~ts pntn !<'s t<'h'-

)nr<'t nt~mo p<'tn' t<'m'tf<nn<'t' <!<'sstK«'sH<'n~<. KMtht s<'<'a-t-'t h<ns

d<'pt-~MM,

en <<'nn;n:mt, <t<' t'app''t<'f <)«<' t'' p)'m;<'r<m<<'Mt' <)'n

:<!t fait tntpnnu'ren ~nmc<' <tn<' ~t'innnt:'h'<' <h' t~ !)m~'M' hc-

ht'~UM <'st un nmth't' de M"t~' ~)nv<'t's!h', t't'ancois T!ss:tnt?

Page 250: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen
Page 251: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

TAXEDES LOGEMENTSDANSL'UNIVERSITÉ

DE PARIS.

LA

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Page 253: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

LA

TAXEMS MOMENTS t~ANSLTNtVEMStTË

HR PAMtS.

Une des préoccupations les plus sérieuses du père de famille

qui envoie ses enfants au loin, dans une ville inconnue, pour y

commencer ou pour y continuer leurs études, c'est assurément de

leur ménager un gMo convenable qui remplace passttgerenM'nt

pour eux le toit paterne!. <tte préoccupation tient aux sentiments

les plus pfotonds de la nature humaine aussi n'est-eMe pas par-

ticulière u notre époque; eMeexistait déjà au moyen a~c, et t'en

peut dire qu'eMe n'était pas alors moins f?énénde ni moins vive

qu'eue ne l'est aujourd'hui; mais elle n obtenait pas sdisfaction

aussi facilement que de nos jours, et il est A présumer qu'A tori-

g!ne le plus grand nombre des mères Aqui la sagesse conseittait

de se séparer de leurs fils, ann de leur procurer le Mentait de

l'instruction, ne les voyaient pas sans une inquiétude mortetie,

prendre le chemin de l'Université de Paris ou de t'Université d'Ux-

fbrd.

Lorsque Abétard eut ouvert une école sur la montagne :4ainte-

Geneviève, une multitude d'auditeurs venus de tous les pays de

l'Europe se pressa autour de sa chaire. Sous t'hilippe-Augustc.

Paris s'appelait déjà la cité des philosophes, eK~<M~A<Ao<

M<M,et comptait dans ses murs, dit l'historien Ki~ord (i), plus

(i) «h dMMMmh atMaïamMNeRromNotebatPa~tta, Béeh~taMMtantamaM.

quaudoRthtseMhohdmnfMqaenUMBA'~nh vel~gyptivelinqualibetpartenmn<M

quantat~nm pfedtctMmetudendigratiainculebat;quodnonwtMMNebatt'fopter

Page 254: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

95f EXCCR8MXS(MSTttMQUBSKTPMH<ttS<tPM!QtES

d'étudiants que n'en eut jamais ni Athènes, ni l'Egypte, ni au-

cune contrée du monde. Et ce qui attirait ces étudiants, continuele même historien, ce n'étaient pas seulement l'admirable beautédu site de Paris et les jouissances que chacun pouvait s'y pro-curer c'étaient les garanties et les privilèges que Philippe-Au-guste et avant lui son père avaient accordés aux écoliers.

Cette nombreuse jeunesse accourue d'Angleterre, d'Allemagne,d Italie, même des contrées septentrionales comme ta Suéde et le

Danemark, il plus ïbrte raison des provinces de France, notam-

ment de la Normandie et de la Picardie, s'était groupée sur la

rive gauche de la Seine, dans le quartier où venaient de s'éleverles premières écoles, qui s'est longtemps appelé le quartier de

l'Université, et qui a retenu, sinon dans la tangue officielle, du

moins dans le tangage usuel, le nom de quartier latin. Mais com-ment parvenait-elle il se toger? tt n'a pas toujours existé Parisdes cottèges pour y donner t hospitalité aux étudiants venus de

loin: et même après 1 établissement des premiers collèges, ni les

bourses comprises dans leur fondation. ni les pensionnats qui ne

tardèrent pas a se multiplier, ne suffisaient pour donner un asile&la foule de ceux qui fréquentaient les écoles de l'Université. Ou

donc allaient-ils chercher un gMe? A quelles conditions t'obte-naient-ils ? Quelles mesures l'autorité ecclésiastique et l'autoritécivile avaient-ettes prises à cet égard? Il semble que la questionn'est pas dépourvue d'intérêt. Quoiqu'elle n'ait pas échappé à Du

Boulay ni a son abréviateur Crevier, elle est restée assez obscure

pour qu'il ne soit pas hors de propos d'y insister. Sans prétendreapporter des documents nouveaux et inédits, nous nous conten

torons de mettre à contribution, plus complètement qu'on ne l'afait jusqu'ici, les documents déjà publiés; et peut-être le rap-prochement des indications qu'ils contiennent nous foumira-t-il

quelques lumières nouvelles et utiles sur le sujet dont il s'agit.Paris a possédé des écoles et môme des écoles florissantes bien

avant qu'elles fussent constituées à l'état d'M~MW~. Le premiermonument authentique concernant l'Université de Paris est la

lociilllusadmiraMtcmam<tmitatemet bonommomntomMtpembnndaBtemaNnen*tim, aedetim proptertibcraMtatemet spectatemprefogattv<MMde&tMtonb,quamPhiMppusrexet paterejusanteipsum<pat~sehoîaribustmpendebaat. (DaBo<t!ay,~M. F<t<o.,t. Mt.p. 25.Cf.&ecMeMdMA<<<.deFrance,t. XVM.J

Page 255: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVMS M<HTE!<AUK. 2M

charte célèbre datée de Fontainebleau, en l'année i2MO,par la-

quelle PiMlippc-Augttste prend les écoiiers sous sa protection,

défend au prévôt de la ville de les maltraiter, et, en cas de délit

de leur part. renvoie le jugement de l'ailaire & la juridiction

ecclésiastique. Ue même, l'acte le plus ancien, a notre connais-

sance, où it soit fait mention du logement des écoiiers, est l'or-

donnance promulguée dans le courant du mois d'août de l'an de

grâce <2i5, par le cardinal Robert de Courson. Écartant les dis-

positions de cet important statut relatives & la tenue des classes,

au choix des auteurs qui devaient y être expliques, et généralement

à la discipline scotastique, nous nous contentons de relever un

seul article (i) « r'acere possunt ma~istri et scholares tatn per se

quam cum aliis obti~ationcs et constitutiones, fide, vêt pu'na, vêt

juramento vattatas. pro taxandis pretiis ttospitiorum. » « t'ou-

voir est donne aux maMres et ecotiers de contracter, aussi .bien

entre eux qu'avec des personnes étrangères, des pactes ou obliga-

tions, passés de bonne foi, avec une clause pénale ou sur la foi

du serment, en ce qui concerne la taxe de la vateur des foyers. »

Apres avoir lu cet article, on peut conjecturer, ce semble, sans

trop de témérité, que dans les premières années du xm" siècle,

ce n'était pas chose facile pour les écoliers que de trouver à se

loger; que des conditions très dures leur étaient faites par les pro-

priétaires, et que souvent déjà ils s'étaient plaints de l'avidité de

ces derniers, lorsque Robert de Courson, accueillant leurs plaintes,

leur fournit les moyens de se protéger eux-mêmes et de mettre

fin aux exigences déraisonnables dont ils se disaient victimes.

Toutefois l'autorité d'un cardinal, légat du saint-siège, quel-

que vénérée qu'elle fut alors, ne sufnsait pas pour faire accepter

ses décisions par toutes les parties intéressées, alors que lesdites

décisions portaient une grave atteinte aux droits et & la liberté

des propriétaires. Aussi quinze ans s'étaient écoulés depuis le

statut de Robert de Courson, sans que la situation à laquelle il

avait voulu remédier se fût améliorée sensiblement, lorsque le

pape grégoire IX, par ses lettres du i4 avril i23i (2), fit appel A

l'autorité royale en faveur des écoiiers de Paris, et supplia le roi

Louis tX de leur accorder le droit de faire établir la taxe des

(t)D)tBoMhy,t.ÏM,p.a2.(8)DnBoM!ay,t.ut,p.t43.

Page 256: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

2M KXCUHSfONS M)8TOM)Q<ES M MttLOSOt'tttQUËS

loyers & leur usage par l'entremise de deux maîtres de l'tinivcr-sité et de deux bourgeois assermentés. t~*pap<*rappelle que le

règlement qu'il sollicite est conforme à l'usage, </fM~/w/ co~-

<w< d où nous pouvons conclure que la taxe des loyers était

déjà passée en coutume: mais en même temps il demande qu'ellesoit autorisée, ~wtM< /o/~wt~' ~«< M~yA~ f/ ~~v

Aw~c~ /?~ ~< ~~w <f f/~< M/ < o~c~M ce quiparait prouver ciairement que, si elle avait existé jusque-la, es-tait sans l'autorisation du roi et non sans difncutté.

Quoi qu Hen soit, it n'eut pas été d une sa~e politique de mé-contenter i't~nivcrsité de Paris, toujours prompte a s'irriter, et quipeu d'années avant, sous un prétexte frivole, avait interrompu ses

leçons, menacé de se transporter dans un autre pays et permis A

quelques-uns de ses maures d'aller se iixer en Angleterre. AussiLouis tX, de l'avis de son conseil et de sa mère, Manche de Cas-

tille, accéda sans peine au vœu du souverain pontife, commenous l'apprenons par une bulle du pape Innocent tV, du 5 mars

i2H (t), dans laqueUc il est dit que ta taxe des loyers fut étahtie,t~*t'M/MM/0!/PfWM~W ~W/'<M/M</ C~A~M/?/ M0<</r/<!7/~<M~'<MC«MW!~y~.

Maisce n'était pas seulement la cupidité des propriétaires qu'il

importait de réprimer dans l'intérêt des études par une taxation

équitable de leurs maisons; il fallait aussi contenir les rivalitésdes étudiants et de leurs maitres eux-mêmes, qui se disputaient à

prix d'argent et trop souvent s'enlevaient sans scrupule, par unesurenchère déloyale, l'habitation ou la salle de classe que le pre-mier détenteur croyait s'être assurée. Telle était alors, avec beau-

coup d'éléments d'une prospérité certaine, la misérable condi-tion de l'enseignement &Paris maîtres et écoliers y affluaient;mais les premiers ne savaient où enseigner, ni les seconds où se

loger.En i239, une lettre de Jacques, évoque de Préncste, légat du

saint-siège, dont nous avons retrouvé et publié le texte, inédit

jusqu'à nous (2), enjoint au chancelier de faire publiquementdéfense à tout maître et à tout écolier de louer le local occupé

(t)DuBoutay,t.Mt,p. tOO.(:)VoyeznotreIndexcAfoMo/o~cx:c&ar<<MMM/MM'«)te)t««Mad historiamt*«<-

f<'M«a~PaW~eM<<,n"LV.

Page 257: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVKMSLE MOYE'< A'.E. 9M

par un antre, sans le consentement du détenteur, & moins que

celui-ci n'ait n'fusé, par pUK' malice, de le céder « Quia non

omnes qui t'arisius ad studendum veniunt, moribustjuc scien-

tiam anerunt, se exercent; immo unusadalteriusaspiranslu's-

picium, ipsum sibi reddit interdum pt'etU carioris; nosvotcntcs

indetunttati connn consnh'rc ac presumptioni tnati~nantium oh-

viare, dtscret;ont tue, qua fun~muf auctoritat'' !naudanms

<ptat!nus mtnb!'ionpm facias gencr.dcm, in scolis sin~oHs puhli-

candam ut nnHus magistrorum sen scolariutn Patisi<'nsiutn, at-

tcrius condttcat hospHiunt, tluamdiu ipsnm absque manifesta ma-

t!cia retincre votucrit iuquUinns. »

Mais sur ce point particulier, comme sur la ma<it'r<-des !o~c-

ments en général, le document capital est le statut du mois de

février 12~ (t), adopté après mure délibération, par le sunra~o

unanime, <A'CMMM!WM<w<~ww des mattres de l'Université.

Nul, s'il n'est régent, n'occupera une salle d'école pour y ensei-

guer.Nul ne s'emparera de la salle d'école occupée par nu récent,

tant que celui-ci y donnera des leçons et s'acquittera des obliga-

tions par lui contractées envers le propriétaire.

Nul, moyennant surenchère, ne se rendra locataire d'une mai-

son louée par uu autre.

Nul ne paiera pour :me école un loyer supérieur au prix de la

taxe.

Si un écolier ou un maître loue une maison et qu'il veuille en

auècter une partie à des écoles, il sera tenu compte dans la taxe

desdites écoles du prix de location de la maison.

Nul ne se rendra locataire d'une maison, tant que ceux qui

l'occuperont voudront y demeurer et qu'ils s'acquitterontde leurs

obligations, conformément à la coutume de Paris.

Si le propriétaire d'une habitation refuse de la céder au prix

fixé, oSert par un écolier qui présente toute garantie, l'habitation

sera interdite pendant cinq années. L'écolier ou le maUre qui aura

loué une habitation interdite, ou qui, ayant séjourné dans cette

habitation, ne la quittera pas au plus tôt, sur l'injonction soit du

recteur, soit du bedeau, du procureur ou du messager envoyé

(t) D)tBoutay,t.Ht,t'.iM.

Page 258: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

95t EXCUBStOXSMtSTOtttQCESETPHtLOSOPHtQUES

par le recteur, sera considéré comme déchu des privilèges de

l'Université.

Cette dernière clause était la seule sanction, mais la sanction

très efficace, des mesures prises par l'autorité ecclésiastique et

par l'autorité civile pour modérer la cherté des loyers. A quelssoucis en effet, à quels mauvais tours, a quel préjudice ne s'ex-

posait pas le propriétaire imprudent qui entrait en lutte avec cette

puissante corporation de l'Université de Paris? Quant aux maîtres

et aux écoliers réfractaires, leur situation n'aurait pas été meil-

leure, et chacun avait intérêt a respecter des règlements quitournaient au profit de tous et dont les bourgeois seuls pouvaientse plaindre.

Le pape Innocent IV, par sa bulle du 6 mars i2H, approuvala délibération de l'Université et défendit à son tour que nul

maitre et nul écolier ne prit à loyer la maison occupée par un

autre ou une maison interdite. Ne a/~w~ a/M< fc~oAM~M<

A<M/M/<WM<Me <7/M<A<(P/S~, t'C/ .ff~/fMCM<~<M~/W M~-

~M~'MfC/ O~CMf/<P<M'M<CFM!//</e~</<~ CM~MCPWtel ~'P~MPW

~'MMMM~.Ce qu'il faut savoir, c'est que personne n'échappait A la taxe

des loyers. Les ordres religieux et même le clergé séculier cher-

chaient il y soustraire les immeubles qu'ils possédaient a Paris,mais ils ne réussirent pas à obtenir une exception en leur faveur.En même temps que la bulle directement adressée à l'Université,

que nous venons de rappeler, Innocent IV en adressait au chan-

celier une autre dans laquelle il blâme sévèrement la conduite

tenue par les religieux et par les prêtres; il trouve scandaleux

que les membres du clergé régulier ou séculier se refusent à des

sacriQces imposés aux laïques et qu'ils auraient du être les pre-miers Aaccepter. Il enjoint en conséquence au chancelier de rap-peler les Templiers les Hospitaliers, les Cisterciens, ceux de Pré-

montré, et tout le clergé en général au respect de la loi qui est

commune a tous les propriétaires (i). Cette interprétation équita-

(t) VentMquianonaoUtreligiosiet ch'ctctsecutarexquidomoahabeotParkhM,tM<tHdomoalisausMiMtmo)'a«UMtur.pMpterqttod~faMM'attJatmnorttarintercifeo,pMVtdfr!superhocperMdema)'oatot)c<tmpetterunt.CumigtiarindtgnumsKut«dcmt~M~Mtetdech'ttnhoetithtbpant9t'dtN<tes,tn '~0 atios,prmetpNetaïcos,dttft pt)8beneV(t!cp)'œv<'M!re,d~n'Uoa!t<tu)pprapMtoMca(~t~~ maadamas,qua*

Page 259: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYE!< AGE. 2M

Med'un règlement vexatoire peut-être, mais devenu nécessaire, se

trouva confirmée le 28 juin 1277, dans une délibération aussi

solennelle que l'avait été celle du mois de février 1244. Les quatre

Facultés de théologie, de droit, de médecine et des arts étaient

présentes; elles donnèrent toutes leur assentiment; et le procès-verbal de la séance porte à juste titre que les conclusions adop-

tées furent l'œuvre de l'Université tout entière, /o/~M <~<-

<'W~/<W,~M<«M' ~tCM/A~ /!OC<'oA'~A~S.

tt s'agit maintenant de voir en action ces dispositions adminis-

tratives dont nous ne connaissons encore que l'intention et le

texte. Lesarchives de l'Université, qui font aujourd'hui partie de

la bibliothèque de la Sorbonne, nous fournissent à cet égard un

renseignement précieux c'est le texte original de la taxe établie

en 1281,1282, 1286, 1287 et 1288 par les commissaires chargés

de cette délicate opération. Le document a une certaine étendue,

et comme nous l'avons publié dans notre /wA' ~ww /w<-

//M~<</WMtiti A~MWM Lw'f~s/M P~w/e~sA, nous croyons

superflu de la reproduire intégralement; nous nous contenterons

d'en extraire quelques faits choisis parmi beaucoup d'indications

(lui ne sont pas inutiles tant pour la topographie de l'ancien

Paris que pour l'histoire de ses écoles.

Voici pour chaque année les noms (les commissaires qui furent

chargés de fixer le prix des loyers

En 1281, deux mattres en théologie M"Adam de Gouly ci

Pierre de Vilarceaux ils taxèrent 18 maisons.

En 1282, deux maîtres en théologie frère Hugues de Billom,

de l'ordre des Frères Prêcheurs, et frère Allot, de l'ordre des

Frères Mineurs, et quatre maîtres ès arts ou bourgeois, dont deux

sont nommés dans notre document, Jean qui dort, dit l'c/~

et Nicolas d'Auxerre ils taxèrent 42 maisons.

En 1286, deux maitres en théologie frère Gilles, peut-être

Gilles de Rome, et Jacques Dalos; quatre maîtres es arts et deux

bourgeois ils taxèrent 39 maisons.

tMtM,st Maest, taMtoHMM<MM<M~~cn)in taMthMMhMptUontOtMfornm,stc ln

eoMmdemreMgh)Mrum.etet TemptarM.th~t'itatadt.CMefetensesaut Pnemonstra.

teMBM.autc~UM-MMMtMecrdtniafuednt.etln clerirorutndotntba~anctorttatenosira

députaspMcurM.< ~a BoMtay.t. tn, p )M.)

Page 260: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

9M EXCUSONS tMSTORWES ET PMtt.OSOPMQPES

En 1287, maître Ernoul de Bruxelles et frère Remond Rigauld,maîtres en théologie, assistés de quatre maitres es arts et de deux

bourgeois ils taxèrent 17 maisons.

En 1288, trois maîtres en théologie MeJean de Muni, MePierrede Saint-Omer et Lambert, dit Boucher; quatre mattres es artsM" Guillaume d'Auxerre, M~Cilles d'Angrene, MeJean Case, etM"Jean Hasse ils taxèrent 18 maisons.

Nous citerons quelques-unes des maisons qui furent ainsi taxéesdans ces différentes années

Et d'abord en 1281La maison de M"Clément, prêtre d'tssy, située sur la place

Maubert, devant la maison de la Halle taxée 6 livres.La maison de MeGuillaume de Charleis, rue Saint-Corne, de-

vant la maison au Cerf 4 livres et demie.La maison neuve des Sorbonistes, dans le cloitre Saint-Benoit

20 livres.

La maison de l'église de Blois, vers le milieu de la rue quiallait de la porte d'Enfer à Saint~Jacques 13 livres.

Lesécoles au Grand-Breton, rue d'Arras 110 sous.La maison de l'Hôtel-Dieu, rue Pierre Sarrasin, près d'un ter-

rain non bâti 7 livres.

La maison de Guillaume de Saint-Cyr, rue Serpente, avec un

petit pré et un cellier, sans les étables 18 livres.La maison de Jean de Boigeval, rue Sainte-Geneviève

50 sous.

La maison de Richard le Fenier, rue du Pl&tre 8 liv. 4 sous.La maison de Pierre d'Auvergne, rue Saint-Victor, près la rue

Alexandre l'Anglois 8 livres.

La maison des héritiers de Guillaume de Poncel, rue Pavée,

près la maison d'Ëtienne de Moret 6 livres 5 sous.

La maison des Deux-Moutons 6 livres 7 sous.Les écoles de Thomas Flamang, ayant trois portes, avec colon-

nes 11 sous.

La maison de Hugues de Hermen, avec étables, rue Pavée8 livres pour la maison; i0 sous pour les étables.

La maison de MeYves, doyen de Clisson, devant la maison descomtes de Bar 16 livres.

Page 261: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSLRMOYESA~E. a&7

EXCCM«M<9BM'MMQOM.i7

La maison Je M~Yves, chanoine de l'al)liaye de Saint-Mellon,

&~ontoise, rue Sainte-Geneviève tQ livres et demie.

La maison de Nicolas, dit te Maçon, aux Carneaux, rue Saint-

Hilaire 7 livres.

La maison de Nicolas l'tmagier, rue Sainte-Geneviève 60 liv.

En 1882

La maison du neveu de l'évoque de Cahors, rue de la Bucherie

i08 sous.

La maison d'Adam d'Arras, composée de cinq chambres, rue

Galando iOO sons.

La maison de t'Hotet-Bicu, rue Saint-daeclues, Ai'ensei~ne de

la CM 6 livres et demie.

La maison d'Ëticnne de Limoges, me du Maire iM5 sous.

La maison neuve de Michel Fresnel, rue Saint-Jacques 8 sous.

La maison des écoliers de Sorbonne. rue des Sorbonistes, !a

première maison en venant de Saint-Corne, qui sert d'habitation

aux clercs iO livres.

La maison de Gui de (.rêve, devant la maison de Robert de

Thourettc 9 livres et demie.

La maison de Thibault le Breton, rue des Amandiers, com-

prenant quatre chambres, un cellier et une grande cuisine

7 livres.

La maison de Gui de Grève, au-dessus de l'église Saint-Milaire,

en face la rue du Chaudron, comprenant cinq chambres, une cui-

sine au rez-de-chaussée, un cellier et des étables i2 livres.

La petite maison de Mathieu Lombard, rue du Four, composée

de cinq chambres, d'une sixième chambre au-dessus de la cuisine,

sans office iiO sous.

La maison de Gilbert de la Voûte, rue Charretière 4 livres

iO sous.

La maison de MeRemy, rue Sainte-Geneviève, ayant douze

chambres, un bon cellier et une petite cuisine 10 livres.

–Eni286:

La maison de Jean de Limoges, rue Saint-Victor 8 Mvres.

La maison de maître Henri Rance, ancien chanoine de Paris,

me Sainte-Geneviève t6 livres et demie.

Page 262: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

9M EXCfRStOXS HISTORIQUES ET PmLOSOPMQUES

La maison de Richard le Bourguignon, rue du dos-Bruneau

4 livres 10 sous.

La maison d'Odon de Neauphle, rue Sainte-Geneviève, près la

porte Saint-Marcel, aux Quatre fils Aymon 10 livres 10 sous.La maison du chapitre de Saint-Marcel, rue Charretière 9 liv.

10 sous.

La maison de dame Agathe, la maréchale, rue Saint-Jacques, <tla longue entrée 10 livres.

La maison de dame Denise d'Aneires, rue Gervêse Loharenc,

aujourd'hui Gervais Laurent ii livres.

En 1287

La maison de défunt Jean, le bedeau, rue Saint-Victor 9 liv.La maison de Guillaume, dit le Clerc-Fourré, rue des Lavan-

dières 68 sous.

La maison de Henri de Grève, rue Saint-Séverin livres.Lamaison d'Archambaut, le cordonnier, rue de la Harpe 6 liv.

10 sous.

La maison de Marie de Sens, rue du Pl&tre i8 sous.

En 1288

La maison neuve de Saint-Mathurin, rue Saint-Jacques &liv.et demie.

La maison de Guillaume, dit Hereford, rue de la Harpe 4 liv.La maison de Pierre de l'Encloistre, rue Pierre Sarrasin 8 liv.

5 sous.

La maison d'Ëlie, dit le Rouge, rue Saint-Jacques, devant Saint-Mathurin 8 livres 12 sous.

La maison de Saint-Victor, près la maison des Quatre fils

Aymon, rue Saint-Victor 14 livres.

La maison du chapitre de Saint-Étienne des Grès, rue Saint-

Jacques 10 livres.

Le document auquel nous avons emprunte les indications quiprécèdent, indications que nous aurions pu facilement étendre,suggère diverses observations.

Remarquons d'abord que la nomenclature des maisons taxéesne comprend pas toutes celles qui étaient ou qui pouvaient êtrehabitées par les écoliers, utilisées par les maîtres pour leur ensei-

Page 263: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSM MOYEXACE. 959

gnement. En efret, chaque année la nomenclature change lesmaisons mentionnées dans une liste ne le sont pas, a bien peud'exceptions près. dans la liste suivante. H résulte évidemment d~la que les titres que nous avons sous les yeux ne renferment quedes additions ou des modifications aux listes anciennes et qu'il adû exister un tableau générât contenant le taux de tous les loyersdu quartier latin, tableau qui n'est pas parvenu jusqu'à nous.

Un autre point à noter, c'est le prix auquel les commissairestaxateurs évaluent la location de chaque maison taxée. Ces diSc-rents prix représentent le loyer d'une année entière, mais d'uneannée seulement. C'est ce qui nous parait résulter du texte mêmede notre document. Ainsi, en i28i, a propos de la maison neuvedes Sorbonistes, il est dit qu'elle est taxée, comme l'année précé-dente, à vingt livres parisis, a~ ~M~ ~'<M~WM/~M~, ~c~owM ~p/<o. Et plus loin, en 1282, en taxant à 8 livres la mai-son de MichelFresnel, les taxateurs ont soin d'ajouter que la taxeest ainsi nxée pour la présente année seulement, ~WM ~w<WH~MM. Mêmeobservation en i387 au sujet de la maison de Henride Grève; elle est taxée A 4 livres pour la présente année, islutfMMO.

Nous pouvons apprécier dès lors quel était le loyer annuel desmaisons qui étaient susceptibles de servir d'habitation ou d'écoleaux étudiants et à leurs mattres. Les plus grandes maisons, commela maison des Sorbonistes, coûtaient 20 livres, d'autres 18livres,d'autres 8 livres, 7 livres, 6 livres, c'était le plus grand nombre.Les écoles de Thomas Flamang, en i28i, ne sont taxées queii sous. Toutes ces évaluations ont certainement Heu en monnaie

parisis, bien que le motjM~MMne soit pas ajouté d'une manièreconstante aux mots sou et livre. La livre parisis sous le règne desaint Louis et de ses premiers successeurs, d'après les tablesdressées par M. de WaiUy(i), valait 22 francs 46 centimes. Le

loyer de la maison des Sorbonistes évalué 20 livres représentedonc 449 francs 33 centimes; le loyer des écoles de Thomas Fla-

mang représente i2 francs 35 centimes. S'il y a un grand écartentre ces deux chiffres, on voit qu'il y a un abîme entre les loyersactuels et les loyers d'autrefois. On voit aussi qu'à la faveur des

(t) NeeweMdesMt~oWetMde ~<mee,t. xxn, p. Muux.

Page 264: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

9M EXCUBStONS HtSMMQUES ET PHt<.OSOPiMQrES

mesures prises par l'autorité ecclésiastique et par l'autorité civile,les étudiants de ITniversite de Paris de la fin du XMt~siècle pou-vaient se loger &bon marché.

Mais ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que la difficulté detrouver un gite peu près convenable, qui ne fût pas trop dispen.dieux, n'existait pas pour les écoliers de Paris seulement; ellepesait du même poids sur ceux des autres universités, notammentdans lit ville d'Oxford. Aussi cette grande école d'Oxford, qui ba-

lança la renommée de récote de Paris, avait elle-même des statuts

protecteurs, analogues aux règlements que nous venons de faireconnattre. La taxe des loyers s'y faisait en vertu d'une charteroyale, tous les cinq ans; elle était confiée à deux clercs et a deux

laïques; les clercs prêtaient serment AITniversite les laïques auroi. Quand les premiers avaient à prêter un nouveau serment, lamême obligation était imposée aux seconds.

Un statut de 1290, qui rappelle et confirme ces dispositions, en

parle comme d'une coutume d~a ancienne (i).Cependant cet usage de taxer les loyers n'était qu'un expédient

très insuffisant pour assurer aux écoliers une habitation conve-nable. Aussi, dès que leur nombre se fut multiplié, vit-on de géné-reux bienfaiteurs, desévcques, de simples prêtres, des commu-nautés religieuses, de hauts et puissants personnages fonder descollèges qui étaient autant d'asiles ouverts à la jeunesse studieuseet dans lesquels elle trouvait la plus utile hospitalité.

Le plus ancien collège de l'Université de Paris parait avoir étéle collège des D~A~, qui remonte au moins à l'année ii80.En i256 fut fondé le collège de Sorbonne; en 1268. le collège duTrésorier; en i280, le collège d'Ilarcourt; en 1290, le collège deTournai; en i 291, le collège des Cholets; sans parler des maisons

(1) AdquodDominasRexvnitet nrmiterprœeipitqaodtaxationesdomorominvillaOxoniœ,fiantde quinquennioin quenquenniom,proutin cartadominiregis,)'erduoseierico~et duosMeosjuratos,et si clericijurentpersacramentNmqaodiccerontUniversitati,taîcijnrentpersacramentumquodDominoreg!fecerunt;et sielericinovnmfaciantjuramentum,quodtaMhociaciant,et inlocoubitemporibusre-troactisfacereconsMeveroBt.?(~«H<me~<t~M~eNttc~or CocMMeH~illustrativeof~ca<<eM<ca<a~and~«<MMof Oxford,byrev.HenryAtMtey,London,1868,in.8".1.1,p. 66.)Nousemprunteronsà ceprécieuxrecueil,troppeuconnuenFrance,uneautrecitationquiprouvele soinaveclequeltUniveNitéd'Oxford,commeceiîedeParis,s'eft'orçaitdegarantirà sesmaîtrestelibreusagedesécolesohUsavaientensei-gnéunepremièrefois:ellefait partiednn statutde i260 Statntmaestde com.

Page 265: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYE~ AGE. 36<

établies par plusieurs ordres religieux, comme les Bernardins,les Blancs-Manteaux, les Carmes, les Cordeliers, les Frères Prê-cheurs, ceux de Prémontre, ceux de Cluny, en faveur des no-vices ou des frères de l'ordre qui venaient étudier à Parts. AuxtV siècle, les fondations de ce genre se multiplièrent. Ce futalors qu'on vit s'élever les collèges d'Arras, d'Autun, de Bayeux,de Beauvais, de Boissy. de Boncourt, de Bourgogne, de Caivi,de Cambrai, du Cardinal-Lemoine, de Cornouailles, de Dam-

ville, des Écossais, de Fortet, de Huban, de Justice, de Laon, de

Usieux, des Lombards, de Maître Gervais, de Marmoutiers, de

Mignon, de Montaigu, de Narbonne, de Navarre, du Plessis, de

Presles, de Saint-Michel, de Tours, deTrégnier. Au xv* siè-

cle, s'élevèrent encore les collèges de la Marche, de Beims, deSéez et de Coquerel; au xv<*siècle, les collèges du Mans, deSainte-Barbe et des Grassins. En vertu des actes de fondation,chacun de ces collèges devait recevoir un certain nombre de

boursiers qui s'y trouvaient logés et nourris, bien qu'ils dussentle plus souvent aller s'instruire ailleurs; car l'enseignement, pasplus celui des lettres que celui du droit et de la théologie, ne sedonnait dans tous les collèges. Il serait assez difficile, et peut-êtren'est-il pas nécessaire de dresser le tableau exact des bourses quifurent ainsi fondées. M. de Laverd (1) en comptait 388 dans les

petits collège:; qui furent réuais en 1763 au collège Louis le

Grand; dans les autres collèges, y compris ceux qu'on appelaitgrands collèges ou collèges de plein exercice, il en existait en-

viron 250. C'était donc pour ITniversité de Paris, prise dans sou

ensemble, un total d'à peu près 650 bourses, chiure qui sera

jugé bien insnfnsant, très minime même, si on met en regardla masse des écoliers qui fréquentaient naguère les écoles de

Paris, et que l'ambassadeur de Venise, Mariuo Cavalli, évaluait

encore en 1546, de seize a vingt mille (2). Mais il importe de

considérer que la création des collèges avait été bientôt suivie de

tmontcoMeaNtmagiatMramet pro eonun quiete et stadenttMM,quod si aHqat mh&-bitent domos in quibus fuerint atiquando schotœ, quod omn! modo sin<*aliquaeontMdtettoMeliberentur magistris ln eisdem !~eM volentibus.

(t) C<Mt<p<<}feM<<«<<«<2 NOMM~re1763concernant la <~M«!0«des boursiers

fondés dam les collègesde non-plein ejeBrctcesis en la ville de J*aW<~in-4", p. 76.t (2)Relations <<<tam6<MMdeMMp~M:M<'M<,etc., pnbUéespar TommMeo Parts, 1838,

tn.4<t.t,p.M3.

Page 266: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

M9 EXCURMCXSHtSTOMQtESETPt!tLOSOPM)Qt'ES

l'établissement des pédagogies on pensionnats, annexés le plussouvent aux collèges, et dans lesquels étaient reçus et entretenusà prix d'argent les écoliers qui n'avaient pas la jouissance d'unebourse. Mieux va!ait assurément pour eux, à tous les points de

vue, être remis par leurs familles aux mains d'un pédagogue oumattrc de pension, que d'aller chercher un gMe dans quelquemauvaise chambre d'une maison particulière. Les plus anciensbaux de pédagogie que nous connaissons datent du xvt" siè-cle (t); mais les pédagogies remontent beaucoup plus haut; eUesfurent dès l'origine le complément heureux de la fondation des

collèges; elles uHlisf'rent le plus ordinairement les locaux va-cants que les collèges possédaient, sans pouvoir, faute de revenus,y placer des boursiers; en tout cas, elles comblèrent une lacunedans l'organisation de l'enseignement public et répondirent à unbesoin qui devenait d'autant plus sensible que les études étaient

plus florissantes.

Mais tandis que, soit sous une forme, soit sous une autre, les

moyens de se loger se multipliaient pour les étudiants, on com-

prend que le prix des logements ait baissé et que la taxe des loyerssoit devenue moins utile. Est-ce pour ce motif qu'à partir de i27Tnous n'en trouvons plus de trace à Paris? Il est vrai que nous laretrouvons en i290 à Oxford, comme on l'a vu plus haut; mais AOxford même a-t-elle subsisté longtemps? Il est vraisemblable

qu'elle est tombée peu à peu en désuétude, que les règnes désas-treux de Jean le Bon et de Charles VI la firent oublier, et qu'auretour de la paix, dans la seconde moitié du règne de Charles VII,étant devenue moins nécessaire, elle n'a pas été rétablie.

Ce qu'il y a de certain, c'est qu'au temps d'Étienne Pasquier,c'est-à-dire à la fin du xvr*siècle, les étudiants qui fréquentaientles écoles de Paris se trouvaient partagés en deux classes, les

~c~MM~M~retou <w~efM<M,logés et nourris par un principalou un pédagogue, le plus souvent dans un corps de bâtimentattenant à un collège, puis les~M~ ou yo/cc~M, logés en

ville, là où ils avaient trouvé un gîte, qu'ils quittaient pour assis-ter à la leçon de leur régent (2).

(t) NwMavonsn<Mt<-n)eme~Nié deax<teCMbaMï,t')mdo1506,J'autrede iM2.Voyeznotre~t<fM'cAroMO~<CM<.n<"MDXLVIetMDCCUX.

(2)Pasquier,Nec&efc~e<~etc.,1.tX,eh.xvtt.

Page 267: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TMAVMS MOYHX A<.K ''M

On n'aura nulle peine Acroire que les martinets et les galoches,

livrés en grande partie A eux-mêmes, atfranchis sinon de toute

surveillance, du moins de toute direction, se montraient les plus

indisciplinés de ~ousles ccoUffs. ils 'w st~M~'H'nt Ixtr t'*nt' tnrhn-

!<;ocelors de la grande émeute qui eut Heu en i5~7 au t'ré anx

(:!ercs. A cette occasion plusieurs furent emprisonnes, et t'nn

d'eux, quotfpt'U se dM eterc tonsnr~, fut cnudamn~ a être pendu.

Il est juste d'ajouter qu'Us ne furent pas les seuls auteurs du

désordre si sévèrement reprimé et qu'on avait vu n,nurer parmiles émeutiers un écoUer du eoMe~ed'Autun, A(lui le recteur, dit

l'Université dans une lettre au roi, a fait donner la satte (!},

c'est-a-<Ure qu'H ordonna de fustiger. Koussommes aussi loin de

ces mœurs tlue du siècle qui en fut témoin. Nous possédons pour

l'enfance et pour la jeunesse des lycées, des collèges et des maisons

d'éducation particulières, qui ont des salles d étude, des réfec-

toires et des dortoirs spacieux, et (lui réunissent les meilleures con-

ditions de bonne discipline et d'hygiène. Nosétudiants en droit et

en médecine qui n'habitent pas avec leur famille sont, il est vrai,

abandonnés à eux-mêmes et réduits Achercher un gîte dans quel-

que hôtel du quartier latin; mais ils sont mieux logés, mieux

nourris que ne l'étaient leurs devanciers, et bien que leurs mo'urs

ne soient pas irréprochables, que de loin en loin ils troublent

encore la paix des rues, ils ne se livrent presque jamais A des

désordres qui*àppellent sur eux les dernières sévérités de la loi.

il, comme en d'autres points, se font remarquer le progrès et

l'avantage de notre civilisation.

(t) Du Boulay. N' ~M«' t. Vf, p. &t3.

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LE COLLÈGE

DU CARDINALLEMOÏNE.

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Page 271: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

LE COLLÈGE

DU CARDINALLEMOINE.

1.

Parmi les quarante collègesque l'Université de Paris possédaitencore au xvm" siècle et dont les murs vénérables avaient vu

passer une longuesuite de générations accourues non seulement

de toutes les parties de la France, mais de l'Europe, pour se

former aux lettres profanes et sacrées, un des plus anciens, et

sans contredit un des plus illustres, était le collègedu Cardinal

Lemoine.

Qu'était-ce que cette maison naguère célèbre entre toutes,

mais dont il n'existe aujourd'hui pas même une ruine, et queles habitants de Paris ne connaissent plus que par une rue quis ouvresur la rive gauche de la Seine, en face du pont de la

Toumelle?Comment et par qui fut-elle fondée? Quelsétaient ses

règlements? Quelles furent ses destinées? C'est là ce que nous

nous proposonsde faire connaître dans les pages qui suivent.

Versle milieu du xm" siècle, à une date qui n'est pas connue,

naissait dans le diocèse d'Amiens, à Crécy, où les Françaisfurent au siècle suivant défaits par les Anglais, un enfant dont

le père s'appelait Lemoine, et qui reçut le prénom de Jean. Il

était issu d'une famille qui tenait un certain rang parmi la

noblesse de Picardie, et qui devait posséderd'assezgrands biens,

si l'on en juge par la fortune dont lui-même a joui dans la suite.

Les historiens racontent qu'un des membres de cette famille,t

Page 272: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

!MM EXCUBStOKStMSMBtQUES ET PMtMSOPtUQOKS

étant passé en Italie, se mit au service d'Alphonse f d'Aragon,roi de Naples; qu'il devint grand maMre de l'artillerie sousFerdinand fils d'Alphonse, et qu'après lui sa parenté con-tinua d'occuper une haute situation A Naples et en Sicile. Nousne saurions nous prononcer sur l'authenticité de cette traditionrecueillie par François Duchesne (i). Ce qui est constant, c'estque Jean Lemoine avait un frère plus jeune que lui, appeléAndré, qui fut évoque de Noyon et que nous retrouveronsplus loin. Un ancien compte publié au tome XXÎ! du 7~cMp<7

~f/<Mw~ de ~w<c~ (2) lui donne pour neveu un personnagedu nom de Henri, dont le surnom est à peu près et!acé dansles manuscrits. Un autre de ses neveux, Jean Blassel, chanoined'Amiens, est mentionné dans un document cité par Duchesne (S).Enfin parmi les témoins qui furent près de lui à Avignon, le 21juillet i3i3, et dont les noms figurent au bas d'un acte surlequel nous aurons A revenir, on remarque un certain Jean Le-moine, ./oc~w«M ~<Mac~ du diocèse d'Amiens, qui parattbien avoir été de sa parenté comme de son pays, et que nousinclinons fort A confondre avec Jean Blassel.

Jean Lemoine fut-il, dès sa première jeunesse, envoyé parses parents aux écoles de Paris? Sans l'affirmer ni le nier, bor-nons-nous A dire qu'il fréquenta certainement ces écoles, alorssi florissantes; que ses études furent dirigées surtout vers lathéologie et le droit canon, et que, s'étant voué à la carrièreecclésiastique, il acquit par ses vertus et par ses talents une assezgrande renommée pour être devenu chanoine de l'église de Pariset doyen de celle de Bayeux, titre sous lequel il figure de l'annéei288 à l'année i292 (4). Mais Dubreul avance une assertionerronée et tout à fait gratuite en disant qu'il fut évéqne de Poi-tiers (5). François Duchesne commet une faute semblable enfaisant de lui un évêque de Meaux la liste des prélats de cesdeux diocèses n'a jamais donné lieu à aucun doute, et Jean

(<)~t<<e de tous/Mcaf~tMM.f/)'aMfO!<~e MtMMMce,-Pat-}, tOM,tn-fot.t. t.p.3Mett)t)tv.

(2)NMtteM historiensdefMttce.t. xxtt. p. 707 HettricusdeMont. nenosJoh)MM)!)tMot)MMCatt)h)a!tx.M»

(3)Duchesne.1. 1., t. H,p -?0.(4)DueheMte,1.1., GalliaCA<'M««Me,t. XI,col.400.(&)rA<MMdesAt<~(t«esde ~f~ Paris,tf!t2,tn.4- p.6S<.

Page 273: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYKN A<!E. ?9

Lemoine n'y figure pas, non plus que dans aucune autre liste

épiscopale. A partir de 1291, nous le retrouvons a Rome, où

il avait été bien reçu, pour emprunter les expressions de Du-

breul, « d'aucuns cardinaux. » Appelé d'abord par le papeNicolas IV au poste de vice-chancelier de l'église romaine, il fut

lui-même élevé en 1264, sous le pontificat de Célestin V, & la

dignité de cardinal-prêtre, du titre de SaInt-Marcellin et de Saint-

Pierre. Sa faveur continua et son autorité grandit sous Boni-

face VHt. Lorsque celui-ci eut adressé, en 1298, à l'Université de

Bologne la collection de Décrétales connue sous le nom de ~.c~,

parce qu'elle forme en quelque sorte la sixième partie du recueil

analogue publié par Grégoire tX, Jean Lemoine se fit l'interprètedu recueil nouveau dans un commentaire qui reproduisait avec

force la pensée et les prétentions de Boniface VIII, et qui se ré-

pandit rapidement dans toutes les écoles de la chrétienté. On

lui doit un autre commentaire, animé du même esprit, sur quel-

ques décrétales isolées, qu'il adressa lui-même par les mains de

M"Geoffroi de Fontaine, a la date du 16 février 1301, avec son

explication du .S~e, aux écoliers de l'Université de Paris (1).Mais s'il s'était placé par ces deux ouvrages au premier rang des

canonistes de son temps, il s'était fait connaltre, d'une manière

non moins avantageuse, pour son habileté dans le maniement

des affaires. Boniface VIII n'avait pas de conseiller plus fidèle,

de serviteur plus dévoué. Aussi, lors dbs démêlés entre le pape et

le roi de France, Jean Lemoine, bien que sujet du roi, prit parti

pour le pape; bien plus, il fut envoyé par Boniface VIIIà la cour

de Philippe le Bel, sur la fin de 1302, avec la délicate mission de

convertir ce prince et de le ramener à de meilleurs sentiments

envers la papauté. Il est vrai qu'il échoua dans cette négociation;il ne persuada pas à Philippe le Bel la soumission et l'obéissance;

il se laissa lui-même soupçonner de menées occultes tendant à

soulever le clergé du royaume contre le roi; et, redoutant lit

colère du prince, il quitta Paris nuitamment, au mois de juin

1303, un peu avant la Saint-Jean-Baptiste, et se hâta de retour-

ner en Italie, six mois environ après l'avoir quittée (2).

(t) Voyeznotre~ndiMcleronologicuseAa~afMMpCfMMeM<M(Mad M~oWoMFK<Mt'<!«aM<PaW~ftMt~!n-M.p. 73,note9.

(2)Recueildes?<«. de ~aMee,t. XXt.p. 040 «Attte&8tumSancttJohanniit

Page 274: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

370 EXCFBStOXSHtSTOMQfES ET VHtt.OSOP!MQ~ES

Tel est le personnage éminent dans l'Église, éminent aussidans l'État, qui fut le fondateur du collège destiné à porter sonnom pendant près de cinq cents ans.

Cefut à Rome, à la cour des papes, que le cardinal Lemoine

conçut le projet qu il devait exécuter un jour. M acquit à ceteffet aux environs de Paris diverses pièces de terre donnant uncertain revenu, puis a Paris même une maison dite du Char-

donnet, qui avait appartenu aux Hermites de Saint-Augustin et

(lui était située rue Saint-Victor, entre le monastère de ce nom etle couvent des Bernardins, proche les murs de la ville. Elle fut

acquise au prix de mille livres, et le contrat d'acquisition fut

passé A Rome le 13 mars i302, en présence de témoins venus de

France, avec cette clause importante à noter que les Augus-tins, anciens possesseurs de l'immeuble vendu, continueraient a

l'occuper au nom de l'acquéreur jusqu'au jour où celui-ci ju-gerait a propos d'en prendre effectivement possession (t). Enjoi-gnant A la maison du Chardonnet les constructions et terrains

y attenant jusqu'à la Seine, on avait A sa disposition un empla-cement qui suffisait pour un collège de cent élèves. Et en effetle cardinal Lemoine aurait voulu y recevoir soixante étudiantede la Faculté de théologie ou /~o/o~/M, et quarante étudiants dela Faculté des arts ou w~MM, comme on les appelait alors. Maisle défaut de ressources, et peut-être aussi le manque de sujetsaptes à occuper les bourses, ne lui permirent pas de réaliser cevaste et généreux projet. En dépit de ses intentions, il ne putinstituer que quatre écoliers artiens et deux théologiens. Quoiqu'il en soit, il avait préparé pour ce futur collège un règlementen vingt-neuf articles, dont voici les principaux.

Ce collège devait s'appeler la maison </MC<M*d~«f/,et celui quiserait chargé de la diriger, le ~M~p de la ~MMo~dit C~v~H~A

Quiconque, ecclésiastique ou laïque, y fonderait des bourses,aurait droit de présentation auxdites bourses, et transmettraitle même droit à ses héritiers à perpétuité. Quant à la valeur des

bourses, le prévoyant donateur avait voulu la rendre indépen-

Bapt!ft<erécessifab Francialegatnspnedtetns.JohannesMonachns,in noctearri-piensiterdeorbePafisius.«

(t) Onpeutliredamt appendicedece travail,semaletf t, taetede vente,qcenousavonsKtMavéauxArchivesnaMon.ttfi!et quenouscroyonsinédit.

Page 275: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A THAVEMS t.M M<tYK?<A(:K. X7t1

(tante de lit variation des monnaies, néau si Mqnent sous Phi-

lippe le Rel, et il l'avait fixée d apr~s te poids même de l'argent,

pour chaque bourse d'artien A quatre marcs, et pour ettaquebourse de théologie A dix marcs d'argent par an, poids de Paris.hes iMursiers présentés au MW/ ou, comme l'usage de dire

prévalut, au y~w~M~' du collège, devaient être de bonnevie et mœurs, idoines Al'étude: si te grand maure ne tes jugeaitpas tels, il pouvait les refuser et demander au cottateur uneautre présentation, et si le nouveau candidat ne le satisfaisait

pas mieux que te premier, il acquérait le droit de disposer direc-tement de lit tiourse vacante, A ta coàditiou de t'attribuer A unecotier originaire du pays même du cottateur. Ne pouvaient êtreadmis au cottè~c les artiens ayant un revenu annuel et personnetde plus de trois marcs, et les théologiens de plus de quatremarcs, que ce revenu provint de leur ptttrimoine ou d'un t<ene-fice eccMsiastique. Lesthéologiens devaient avoir été reçus maureses arts dans l'Université de Paris ou dans cette d Oxford. !.e bour-

sier, théologien ou artien, qui s'attentait. était, après trois moisd'absence non motivée, déchu de sa bourse ~w /c<o. he cottegene devait pas avoir d'écurie, et nul étranger ne pouvait être

admis A y coucher. Les théologiens pouvaient étudier te droit

canon; mais Aquoi moment? Durant les vacances dispositionpmtot restrictive que favorable, un peu singulière de lit part ducardinal Lemoine. (~egrand canoniste accorde cette sente men-

tion Ata science qu'il avait cultivée avec succès; il ne la comprend

pas dans ses fondations, et par conséquent il t'en exclut tacite-ment. Faut-il croire avec Duhrcut (t) qu'il redoutait l'esprit decontradiction qu'etle pouvait développer chez les maures en théo-

logie, pour la plupart candidats aux bénéfices ecclésiastiques,alors si convoités et si disputés?

F.n poursuivant cette analyse des premiers règlements de lit

maison du Cardinal, nous y trouvons d'abord l'institution <t ou

prieur choisi parmi les théologiens et élu par eux tous les ans, te

jour de la Saint-Luc, avec mission de régler ce (lui concerne tes

(t; ~e f~~M~M ~M«~t<MM~<;te. )) na touteM). t«utu t«nt)<-rs«n t')th's''qM<'de bf<ur)HersthéotoK'ens to~not~-iant que ta ptuspart n'Mtxdh'nt en df'ti< t canon<)))<'pour ehtquancr des bémeNtM. Et pour ceste ttte~ue miiiCM.Il m' (t<;nu<'ta aucun th; sex

bt'arMeM d'aM<*raux Mehotex d'' tteere), sinon durant !M tacation~.

Page 276: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

273 EXCOMSKMSmSTOMQPES ET Pim.OSOpmQCES

messes, les jeûnes, les prédications, les offices pour les morts, les

disputes scolastiques des théologiens. L'article suivant institue

deux procureurs chargés du service économique, et tenus, conjoin-

tement avec le grand maître, de rendre leurs comptes deux fois

par an, au mois d'avril et au mois de septembre, en présence des

théologiens et du prieur. La librairie, parlons plus clairement, la

bibliothèque du collège n'est pas oubliée; et le cardinal veut que

tous les ans, dans la première semaine de carême, il soit procédéau recensement des livres qu'elle renferme; que l'inventaire d'une

année soit comparé Acelui de l'année précédente; que les livres

manquants soient recherchés avec soin, et les livres nouveaux

inscrits a l'inventaire. 11 veut aussi que les études comme les

mœurs des boursiers, artiens et théologiens, soient surveillées;

que deux fois par an les uns et les autres soient examinés par le

grand maître ou par le prieur, et que ceux qui auront une mau-

vaise conduite ou qui n'auront pas profité soient exclus. M dé-

lègue, après sa mort, au doyen et au chapitre de Saint-Vulfran

d'Abbeville le droit de présenter aux deux bourses de théologien

et aux quatre bourses d'artien, qui furent, comme nous l'avons

dit, le modeste point de dépa~ la nouvelle fondation. Enfin il

désigne pour maître de son collège Simon de Guiberville, cha-

noine de l'église de Paris, la nomination devant appartenir dans

la suite à l'évêque, au doyen et au chancelier de cette église (<).

Lorsque la rédaction de ce règlement eut été arrêtée, Jean Le-

moine le soumit au pape, qui l'approuva par une bulle datée du

palais de Latran le 13 mai i3C2 (2). Boniface Vill rappelle dans

cette bulle que le saint-siège apostolique a toujours secondé par

des faveurs spéciales les efforts de ceux qui cherchent &s'instruire

dans la science sacrée. Il fait remarquer l'utilité des études théolo-

~t)Lesstatutset règlementsdu collègeda CardinalLemoineontété recueillisparlessoinsdEdmendB:chersousce titre ~o~a eoMc~M<'<M~M~/M<'MBtoK~~'tM<tMc<MM)<<H<pré MfMMd~a~aMorMM<~erj)r<'M«M</offM.Q<Kea«M&'mMa~<~erF~MKHhMRicher,<foc<a)'theologuset Ma~MMeeK~f MM~f, M<

<V~<M<~<M~<M~tM~Mel aMNO? CA. typisMte<<~0eMM<P<</~KOma-

gnimagistrietAafMfM~Mc*«<stM<a/~cMcMeMM~.ocpace<Met coMon~oM<a<<r

se «cfMrediscant.FéUMena reproduitla phMgrandepartiedntravaildeRieberauV~volumedesonHistoiredeParis.Commecedernierouvrageest h-ptnsrét<ando,m<MMrenverrons depréKMn<-enosteeteaM.

(9)FfMMen,t.t.,p.607.

Page 277: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A THAYEHS LK MOYEN A<!K. ~-3

'EMttMUMM MMTOMMBt )K

giqnes, fécondes en fruits pour la maison du Seigneur, et le profitque t'élise peut retirer des études de philosophie naturelle etde phitosoptue morale qui facilitent lu pleine conuaissimcc de la

ttteotogie (i). Il autorise en conséquence les reniements préparespar le cardinal t~emoinepour le futur cottege, et il l'espoirque bien voudra inspirer a d'antres Ames Mêles la volonté decontribuer &une o'uvre aussi utile et d'arroser par leurs tiheratitescette plantation nouvette qui promet tle devenir un arhre sifertile.

Lahutledettoniface VHt, nq~procttee du contrat d'ocquisitionde ta maison du Chardonnct, marque lit vraie date de la fondation

ducotte~e du Cardinal Lemoine; date qui ne doit pas être reculée

jusqu\'n i296, comme l'ont cru Corroxet et Sauvât, ni retardée

jusqu'en t3< comme te veut ttuttois, ni même jusqu'en t:M:t,selon le sentiment de t'at~ t.ebeuf, mais nxée a l'année !():comme l'a très bien vu Jaittot.

Dans les années suivantes, le cardinal Lemoine ajouta denouveaux articles au premier statut qu'i! avait donne pour son

cotte~c. En i308, il ordonne que les portes de la maison soientouvertes et fermées A une heure convenable, et que les ctefs ensoient remises, des t'entrée de lit nuit, au prieur; que nul éco-lier ne découche sans ta permission du prieur, qui ne ta donnera

que pour de bons motifs; que pas une femme ne prenne ses repas.1ne boive, ni ne couette au colte~e, que toutes les semaines il y aitune dispute scolastique à laquelle tous les boursiers seront tenus

d'assister, a moins d'empêchement légitime; que tes artiens ne

conservent pas leur t~ourse au detAde huit ans, ni tes théologiensau delà de neuf ans; que les uns ni les autres ne fassent aucune

leçon ordinaire ni extraordinaire sans ta permission du ~randmaMre (2).

Kn <3t0, nouveau statut, disposant, dans tes termes les plus

exprès, tlue deux seulement des boursiers de la maison qui sont

devenus maitres es arts pourront donner des iecons ordinaires,

(1)t'etibifn,t. i., p.<M7«San''ttetithttuan~hitexhihMa<ttNti))<'hat,~u'M)tu aut:-ttetttuM<a)ttttatMnx~h~fa!.f)fu<'ttt!tqMxtamuht'reitht do)))"«')n)i)tt.ft pmpithtJMf;ih*rjBeK'ntb.nMn"net natomtbactuurath)'hH<Mttt'Maejx'f~uaMa't ~h'natnn"'Uttamttatmtheoto~ea*6tfnttaMstae!Mu~{)ertett!tut.!ftMt)h')')t'i'tMatM.

(<)MttbiMt.1.1..p.6to.

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EXCtJKStOXStttST(HMQFES)?rPBtLOSOPtMQUKS97<

l'un sur les livres de logique, l'autre sur celui de philosophie na-

turelle que deux seulement, parmi ceux qui ne sont pas encoreadmis &ta maMrise, pourront, durant deux années, faire des leçonsextraordinaires; que les théologiens ne prendront pas leurs repasà la même table que les artiens, et que la dépense des premiers,comme celle des seconds, sera proportionnée au taux de leurbourse (<).

Ennn, par un quatrième statut, daté du 31 juillet i3<3. le pieuxet docte cardinal, qui savait A la fois le prix des livres et lafacilité avec laquelle ils s'égarent. fait défense, sous peine d'exclu-

sion, a tous ses écotiers, quel que soit leur rang, de prêter aucunlivre appartenant à la maison, l'emprunteur eilt-il oiR'rt de laisserun gage ou de donner caution (2).

Ajoutons, pour en finir avec les actes souscrits par Jean Lemoine,que le 22 septembre i3t2, une année environ avant sa mort,voulant accroître ses libéralités envers le collège qu'il avait fondé,il fit en sa faveur l'abandon de tous les biens et revenus dont iln'avait pas disposé autrement (3).

En 1308, par un bref du 30 août, le pape Clément V avait au-torisé dans le nouveau collège l'établissement d'une chapelle,desservie par un chapelain ayant pouvoir d'entendre en confessiontes écoliers et de leur donner l'absolution, sauf dans les cas réser-vés au saint-siège (4).

En 1310, le chapitre de l'église de Paris céda, moyennant lasomme de 200 livres une fois payée, les cens et redevances qui lui

appartenaient sur une partie des terrains du Chardonnet vendueau collège (5).

Des cessions analogues furent consenties par les ayauts-droitpour les cens dus pour les maison, pièces de terre et autres biens

que Jean Lemoine avait acquis près Paris, A Nogent-sur-Seine,par exemple.

C'étaient là de précieux avantages. Cependant ce qui devait

paraître au cardinal Lemoine d'une importance plus haute pour

(t)FéMMen.t.t., p. 611.(2)FéMMen,t.t.,p.6n.(3)Jfftd&cchronologieusc~ftat MNt.etc.,p.M, n"Ct)V.(4)FéUMen,t.i.,p.6t2.(&)Voir à t'appMtdice. fMMMte nu H.

Page 279: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYES At:E. 975

ht sécurité mémo de son œuvre, c'était que ses nombreuses libéra-

lités fussent ratifiées, selon l'usage et la loi, par l'autorité royale.On peut conjecturer qu'à raison des sentiments bien connus du

cardinal et de son dévouement à ta personne de Boniface Vttt,

cette ratification souleva d'assez graves difficultés. EUe ne fut

pas en effet obtenue en 130~, du moins pour ce qui concerne

la maison du Chardonnet, comme le supposent la plupart des

historiens de l'église de Paris, mais seulement au mois de

juin 1311 (i). A ce moment les circonstances n'étaient plus les

mêmes que dix ans plus tôt. Boniface VIII était descendu dans la

tombe; Philippe le Bel s'était réconcilié avec le saint-siège. et

ta situation des afFaires le portait &se montrer bienveillant envers

tes anciens serviteurs de la papauté. En parlant du cardinal Le-

moine, il se sert d'expressions qui méritent d'être rappelées; il

l'appelle son citer et particulier ami, /~< c/ .~<'tw/ «M/t~

Il oublie, il veut oublier que dans son commentaire sur

le ~f~ le cardinal, champion convaincu de la suprématie

pontificale, a écrit ces phrases significatives « Tous les hommes

sont soumis à la juridiction du pape. Le pape peut déposer les

rois et les empereurs; il peut mettre en tutelle les royaumes&qui nn tuteur est devenu nécessaire (2). »

Cependant les espérances que Boniface VHIavait exprimées s'ac-

complissaient le cardinal Lemoine trouvait de généreux imita-

teurs qui enrichissaient de leurs libéralités son collège naissant.

Dès le mois de septembre 1310, Gérard de Courland~n, Pierre

de Latilly et Simon de Marigny, exécuteurs testamentaires de

Simon Matifas, évoque de Paris, fondaient en son nom au collègedu Cardinal Lemoine six bourses, trois pour des artiens, trois pourdes théologiens. Deux des boursiers devaient être originaire!' du

diocèse de.Paris, deux du diocèse de Soissons, deux du diocèse de

(i)Voirà l'appendice,souslenuÏtt.(9) Glosa aurea <Mper M~o Becr~aMxm M&M<r<KMNfef Bepefen~M. P. ?"?<-

awat~<MHn<emJtfOMacAt.etc., fol. cxxvu Quid ad papam den-gibtMct eorumn~nis?

VhMmf immMen< tateem sttam in tness"m atioMun, quod esse non d~het. Ohf' ttttxt

papa tn qoemKbet habet jnridMionem. Sicot Domint est terra et pt~ttudo qoit, sie

ejasvicar!:patentasnonest Mmitataterrihtn<tvêt ccrt~personis.Sicatpapapmptf)'delictumpotestdeponereregemettmpefatorem.ergo)MoM<'magiscaraton'mdar<*

mdiaenti.~amexqnorexnescitauumre~nux)dcU'osarfet p.t«'tt)ht eo~serrarc.

preserttmprore)is:<Misetmi~'Mhmbntpfrsnnis,bt)!!curatord<'))etdari.

Page 280: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

RXCURStOSStUSTOBtQUESETPiHMSOPHtQUESa76

Reims. Les collateurs étaient les prélats de chacun de ces diocèses.Les biens et revenus anectés au service des bourses, et par consé-

quent cédés en toute propriété au collège, n'étaient pas sans im-

portance. Ils comprenaient une habitation dépendant du prieuréde Bréon avec les terres y attenant, plusieurs pièces de terre,d'autres pièces de vigne et diverses redevances en argent on ennature.

En i3i5, le frère du cardinal Lemoine, que nous avonsnommé

plus haut, André Lemoine, évoque de Noyon, légua à la maisondu Chardonnet quatre mille florins d'or de Florence, représentantun peu plus de trois mille livres tournois, somme moyennant la-

quelle Nicolas de Bailly et Jean Collet, chanoines de Noyon, sesexécuteurs testamentaires, font l'acquisition de divers immeubleset revenus destinés à l'entretien, dans ladite maison, de huit

boursiers, savoir trois artiens et un théologien du diocèse de

Noyon, trois artiens et un théologien du diocèse d'Amiens. Lesimmeubles étaient situés dans la Brie, à peu de distance de Nantis.C'étaient, entre autres, un manoir avec ses dépendances à Bruille,

près la Croix-en-Brie, deux cent neuf arpents de terres laboura-bles touchant au bois de Bruille, vingt autres arpents confinantaux terres de l'hôpital, quatorze arpents de prés proche l'abbayede Jouy, quatre-vingt-dix arpents de bois en divers lieux, etc.Bien que ces domaines fussent chargés de certaines redevances au

profit des curés du voisinage, les produits en étaient assurément

plus que suffisants pour la destination qui leur était assignée (i).Dans la suite des temps, de nombreuses donations qu'il serait

fastidieux et superflu d'énumérer furent faites à la maison du Car-dinal. Toute&t~, même dans les jours les plus prospères, elle ne fut

jamais assez riche à beaucoup près pour entretenir les cent bour-siers que son fondateur avait rêvés. Au commencement du xvi" siè-

cle, elle n'en avait que quatorze, c'est-à-dire deux de moins quene comportaient les fondations réunies du cardinal, de son frèreAndré et de l'évoque de Paris, Simon Matifas. Cette i ~ductionn'était pas justifiée par l'état des revenus, qui auraient permis defaire plus et mieux s'ils n'avaient pas été en partie détournés de

(1)Dansnotre IndexcAtW<e!o~c<M~etc., p. 83, m"CCCLXXXViM,et p. M,n"CrxxVM,nousavonsreproduitle texteJusqu'alorsinéditdesdonationsde Si-monMatMaset dAndréLemoine.

Page 281: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATBAVEBSt.E MOYENA<!E a77

leur destination. Aussile parlement, averti de l'état des choses, y

mit bon ordre. Sur la proposition du grand maître, Léon Aubert,

il éleva, par un arrêt du i5 janvier i5H (<),le nombre des

bourses à vingt-quatre, savoir dix-huit bourses de théologiens et

six bourses d'artiens.

H importe au reste d'observer que, malgré le petit nombre de

ses boursiers et Araison de l'étendue des bâtiments, le collège du

cardinal Lemoine eut de bonne heure une~o~, nous dirions

aujourd'hui un pensionnat, qui ne se confondait pas avec le

collège, mais qui s'y trouvait annexé. Parmi les écoliers qui

composaient ce pensionnat, les premiers étaient les boursiers logés

et nourris au collège, en vertu même de l'acte qui leur assurait

la jouissance d'une bourse; les autres habitaient les chambres que

le grand maUre, de l'avis du prieur, du procureur et de la com-

munauté des boursiers, louait ou cédait gratuitement a l'un d'entre

eux, ou a un étranger, qui prenait le nom de principal et auquel

incombait la surveillance et la direction de la pédagogie, Il arriva

souvent que le grand maître obtint pour lui-même ou s'attribua

la charge de principal. Un grand collège trouvait dans une péda-

gogie bien dirigée l'avantage d'avoir dans ses murs un cours

d'études, ce qu'on appelait alors le plein ~c~. quand le cours

d'études comprenait & la fois des études de grammaire, d'hu-

manités et de philosophie. Non seulement ces classes intérieures

servaient à l'instruction des boursiers artieus; mais en outre elles

attiraient et retenaient une clientèle composée d'elles non bour-

siers, quelquefois même des élèves externes, qui les uns et les

autres ne coûtaient rien à la maison, qui n'étaient pas entretenus

à ses dépens, et qui cependant contribuaient par leur affluence à

sa renommée et à sa prospérité.Jean Lemoine n'avait pas prévu cette utile annexe de son collège,

et il n'en vit pas même les premiers développements. Après l'éta-

blissement de la papauté a Avignon, s'étant nxé lui-même dans

cette ville, il y rendit son âme à Dieu le 22 août t313; André

Lemoine mourut à Sampigny, près Noyon, le il avril i3i5. La

dépouille mortelle des deux frères fut ramenée à Paris et déposée

dans la chapelle du collège qu'ils avaient l'un institué, l'autre

(t) FéMMeo,1. 1., t. !V. p. 715 et Mtv.

Page 282: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCURStOXSHtSTOMQURSET PtnLOS<M')MtHHS2?!<

enrichi. Leurs deux tombes se touchaient, et chacune portait une

inscription qu'au temps de ththreul l'altération des caractèresne permettait d~a pins de lire entièrement. Maisleur souvenir ne

s'effaça pasde longtemps de la mémoire des écoliers. Fne fête futi~stitutée au collège du Cardinal Lemoine elle se célébrait le13 janvier et s'appelait la solennité du Cardinal. La veille, tousles anciens boursiers, assemMés au collège, désignaient l'und'entre eux pour représenter Jean Lemoine. L'élu prenait aussitôtdes habits de cardinal et se rendait aux vêpres accompagné d'unaumônier portant son chapeau rouge. Le soir il donnait un repassuivi d'une distribution de dragées. Le lendemain. jour de saintFirmin, il assistait à la première messe, dite par la dation de

Picardie, et distribuait encore des dragées. 11 était présent le

mêmejour a la grand'messc s'il était prêtre, il la disait lui-mêmeavec toute la pompe requise. Le soir tous les écoliers venaient le

complimenter, et récitaient des vers et des harangues en son hon-

neur, mais surtout à la gloire du cardinal illustre et bienfaisant

qu'il représentait. Longtemps, dit-on, les comédiens de lilûtel de

Bourgogne eurent leur rôle dans cette solennité; ils serémanent

à la grand'messe et la chantaient avec accompagnement, parreconnaissance pour Jean Lemoine, qui, suivant une tradition,avait aidé les Confrères de la Passion à se rendre acquéreurs del'hôtel de Bourgogne (1).

Il.

Nous n'avons considéré jusqu'ici que l'histoire extérieure du

collège du Cardinal Lemoine il serait intéressant de pénétrer dansrintériear môme de cette maison qui s'était acquis une si bonne

renommée, de rechercher quel enseignement s'y donnait, quelsmaitres y ont professé, quels hommes illustres à divers titres yont passé leur jeunesse et s'y sont formés. Mais de pareilles re-cherches ne donnent pas en général des résultats qui satisfassent

pleinement la curiosité. Les documents font presque partout dé-

faut, et c'est à peine si l'on peut glaner e& et là quelques détails

(<)Nousempruntonstouscesdétailsà Fétibien,1.1.,1.1, p. 606.

Page 283: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

r

A.~AVRMSLEMOtRKA<!K. 379

dignes sans douted'etre~eleves,

mais insuffisants pour un tableau

complet.tl ressort clairement des si~uts et des actes de fondation, qui

viennent d'être analysés, que la théologie était dans la maison du

cardinal l~moine la principale araire du plus grand nombre des

boursiers; mais si elle y fut constamment étudiée, elle n'y fut

jamais l'objet d'un enseignement régulier. C'est aux collèges de

Navarre et de Sorbonneqnj~aient

lieu les cours de théologie,

suivis par les candidatssé~ers

qui prétendaient aux grades.

Quant aux membres des communautés religieuses, tels que les

ttominicains, tes Franciscains ,~es Bernardins, ceux de Ctuny ou

de Prémontrë, ils trouvaient à l'intérieur même de leurs couvents

des leçonset des exercices qui les dispensaient d'en suivre d'autres.

Il n~enétait pas de même pour les études qui composent le do-

maine de la Faculté des arts, la grammaire, les humanités et la

philosophie. Comme nous en avons fait plus haut la remarque, le

collège du Cardinal Lemoineeut des maitres qui en exposèrent les

éléments à de jeunes écotiers, et ce fut même par là qu'il devint

un des collèges les plus importants de l'Université de Paris. Quels

furent ces maîtres? S'il s'agit de ceux qui enseignaient au xtv" et

au xv' siècle, leurs noms, ignorés même de leurs contemporains,

ne sont pas parvenus jusqu'à nous. Quelle fut leur méthode? Elle

ne différait certainement pas de celle qui était en usage dans HJm-

versité de Paris; l'riscien. Donat, le /~(/ d'Alexandre de

Villedieu pour lit grammaire, les livres d'Aristote pour les diverses

parties de la philosophie servaient de texte à leurs leçons.

Voulons-nous découvrir au collège de Jean Lemoine la trace

d'un elfort original, d'un pas en dehors delà tradition? Il faut

nous transporter au xvf siècle. t.a curiosité généreuse, la noble

ardeur, le long espoir qui enflammaient alors les meilleurs esprits

pénétrèrent dans la maison du Cardinal et y donnèrent une

heureuse impulsion aux études littéraires.

Le premier professeur royal de langue hébraïque, Francots

Valable, y avait été boursier, comme étant originaire du diocèse

d'Amiens; et quoique, selon les statuts, le terme de lajoutssance

de sa bourse fut arrivé, François l"' ordonna qu'il la conser-

verait, qu'il serait, suivant les formes de l'arrêt du i5 janvier

i5~. « entretenu et gardé en son état, maintenu en sa charge

Page 284: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

280 EXCURSIONS HISTORIQUES ET PtHMSOPHtQCES

pour le bien public, utilité de l'Université, décoration et hon-neur du collège (i). »

A coté de Valable, faut-il placer les noms de Tumèbe, deBuchanan et de Muret? Crevier hésite à croire qu'ils aient en-seigné au Cardinal Lemoine, et effectivement il n'a pour garantiede ce fait que le témoignage du biographe de Buchanan (2).

Fne marque mieux avérée de l'essor des études dans la mai-son du Cardinal Lemoine, c'est le cours de grec qui s'y donnaiten 1528, sous un professeur nommé Bonchamp; un des maîtresde Jacques Amyot. Trop bon helléniste, selon la remarque d'uningénieux critique, pour garder un nom aussi gaulois, Bon-champ avait traduit ce nom en grec, et était devenu Evagrius;« la classe duquel, ajoute un vieil auteur, s'appelait l'escholedes Grecs, à cause qu'il ne s'y lisoit que du grec, contre le quod-libet, lors vulgaire 6~'o?eMMe. ~< /<?y~w (3). »

Quelques années après, le collège du Cardinal Lemoine eutpour principal un Espagnol, Jean Gelida, originaire de Va-lence, qui dans sa jeunesse ne suivait qu'Aristote et la purescolastique, mais qui plus tard, attiré par les chefs-d'œuvre de

l'antiquité classique, en admira les beautés et essaya d'en répan-dre le culte autour de lui. Bien qu'il ait passé peu de temps àParis, et que sur les instances d'André Govea et du cardinal DuBellay, il ait quitté cette ville en t547 pour aller à Bordeaux

prendre la direction du collège de Guyenne, on ne saurait nierque son trop court enseignement n'ait exercé une salutaireinfluence sur la marche des études (4).

En i 550,le collège du Cardinal Lemoine prit part à une con-troverse qui venait de s'élever au sein de l'école de Paris:lequel vaut mieux pour l'étude des langues anciennes, de con-

(0 FéHMen. L 1., t. IV, p. 716. Cf. Gou}et, ~Mmotre AMo~«e et littéraire </?Collège royal de ~CMee, t. p. t3t.

(2) Crevier, Histoire de f~upe~tM Paris t. V, p. 234.(3) Nous a~~s trouve la première mNtUottde ce fait curieux dans t'J?M« sur

/t<M~ et ~M. -~ac<eMM~OM~ au XM< siècle, par M. Augustede MigaièrM, ou-vrage excellent d'an écrivain entevé prématarément aux lettres qu'il cultivait avecune rare déitcatessede RoAtatttée à un savoir très sotido.

(4)Jean Gelida a !a:ssé des lettres et quelques vers grecs et latins pnN!és sous cetitre loannis Ce<M~, ro~a~ Btt~~eM~ <t«f<ttM~MM, ep<<M.BaM~Mo~et c<tfM<M/MocheUm,apud BarthotomœamBertonem, t67t, tn.4".

Page 285: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVKttSM!MOYENACE. Mt

fier renseignement du grec et du latin au même professeur, ou

d'avoir pour chaque langue un professeur spécial? Au collège

de Presles, le second système avait prévalu; mais il était vive-

ment critiqué ailleurs et surtout au collège du Cardinal

Lemoine. Les arguments en sens contraire s'échangeaient d'un

collège à l'autre dans des harangues latines que les professeurs

de chaque parti mettaient dans la bouche de leurs élèves. Nous

possédons quatre discours de ce genre (i); deux sont censés

avoir été prononcés par deux rhétoriciens du collège du Cardinal

Lemoine, dont l'un était le futur président du parlement de

Paris sous Henri IV, Achille du Harlay. Ces discours, empreints

d'une élégance un peu recherchée, témoignent du changement

profond, disons mieux, du progrès (lui s'était accompli depuis

un siècle, au sein des écoles publiques, dans la manière de

comprendre et d'écrire la langue de Cicéron.

Continuons a recueillir les faits saillants qui se rapportent

a notre sujet. En i570, le docte Lambin, professeur royal de

langue grecque, avait choisi le collège du Cardinal Lemoine

pour y expliquer devant quelques élèves d'élite, en dehors de ses

leçons ordinaires, les harangues de Cicéron (2).

C'est à ce même collège que Jean Passerai, uu des auteurs de

la-S~f ~c~K~ enseigna quelque temps les humanités (3).

Là également professa Théodore Marsile, qui fut au siècle sui-

vant le successeur de Passerai dans la chaire royale de langue

latine (~.A considérer ces noms qui ne sont pas inconnus dans l'histoire

des lettres, nous sommes autorisé à dire qu'au xvf siècle l'cn-

seignement du collège du Cardinal Lemoine ne manquait ni

d'éclat ni de nouveauté.

Sur quelques autres maîtres et sur les auteurs expliqués dans les

classes, les mémoires d'André d'Ormesson nous offrent de pré-

cieuses indications que nous ne saurions négliger.,

(~ De ??? PreMaMntm <M<«t«Mae oM<t<MM~Matwer M<Wtt~<. per~m

C<M-<KHaM«M.partim apud PMH.CM habite y M'M HM«~M i550;ParM.b,

tMO, in-t*.

(2) G<Miet,t. 1.1. p. 466 et 472.

(8)Ibid.,t. H,p.363.t4) MM., t. M, p. 379.

Page 286: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

KX(UMStONSmSTOMQUNSETPHîLOSOPtHQUESM3

André d'Ormesson fut le père d'Olivier d'Ormesson, qui devintmaître des requêtes au parlement de Paris, et quia laissé unjournal intéressant, dont la publication est due A notre savant

collègue et ami, M. Chérnel

« En l'année quatre-vingt-six, dit-il (l),je fus mis au collège duCardinal Lemoine, soubs M. Le Dieu, Picart de nation, mon maistrede chambre, avec sept de mes cousins qui y demeuroient desja, sça-voir Messieurs Claude et Jean Leclerc, Olivier Chaillou et Jean Chail-lou, François, Olivier et Charles d'Alesso.

« Allant en classe soubs M. Jard en la septième, sixième, et cin-quième, il nous fit apprendre une quantité d'épistres de Cicéron, entreautres celle que Cicéron adresse à Lucitius pour estre insérée dansson histoire, laquelle commence « Coram me tecum, etc., » etce, les matinées. Les après dinées, il nous leu les Eglogues de Vir-gile, les Comédies de Térence intitulées « l'Eunuque, où Chœreaprend l'habit de Dorus, eunuque, .pour jouir d'une belle fille donnée àThais, a cette de Phormio, qui représente ung vray uateur ou hommede Cour, qui entend le moien de s'enrichir en se rendant agréableaux grands et à ceux qui ont le commandement des Estatz. I! nous leuencore t'épistre d'Oenone, nimphe des bois, à Paris, fils de Priam,qui l'avoit abandonnée pour ravir et jouir de la belle Hélène, femmedu roy Menelaus: et encore t'épistre de ~f/ea: ./<MOM:,en laquelleMédée se plaint à Jason de ce qu'ayant perdu son frère et ses paronspour luy faire conquérir la toison d'or, il l'avoit abandonnée, pour es-pouser Creusa, fille de Créon, roy de Corinthe, et tuer le Minotore

« En la quatrième classe, soubs M. Seguin, qui a esté depuis méde-cin de la Reine Anne d'Autriche, l'oraison Pro ~e Dejotaro, deCicéron; la première satire d'Horace contre les avaricieux, qui com-mence Qui fil ~AifcpM<M;quelques odes d'Horace, avec t'épode à lalouange de la vie rustique et champestre qui commence ~a<M$ t//equi ~M-oc~neyo~; la satire de Juvénal contre la noblesse faisneante,qui commence &eN!M<!<<ï~aM /ae/:Mt<; la cinquième tusculane deCicéron pour prouver ~M«~ se! 6eKe<~<'M<~ se ~e esse con-<e~aM<; le commencement du premier livre de la métamorphosed'Ovide qui commence In M~at/c~ attMM<M;le poème /? ?<??, contre

(t) Andréd'Ortnessonest revenudeux foh dans sesmémoiressurce qui concerneson édncatton.Cesdeux passagesont été reproda!bfar M. CMrue!.l'un dans sonécrit Del'Administration de LouisXIY,Paris, <860,tn s", p. 203et saiv.! l'autredans l'introductionau Journal <<'o~<c<efd'OHtMMoa.Paris, isao, in-4",t. t.p. x~ et s. C'estlepremierpassageque nous transcrivonsici.

Page 287: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYES ACE. 283

un envieux qui le persécutoit pendant son exil, où il lui souhaite tous

les malheurs qui sont jamais arrivez les plus cruels, racontezdans les

poètes et les fables de l'antiquité. »

Lors du siège de Paris, ouvert au mois de mai 1590, André

d'Ormesson fut retiré du collège du Cardinal, et alla demeurer

dans la maison de son père, <' notre maistre, M. Le Dieu, dit-

il, n'ayant pas moyen de nous nourir, mon frère de Leseau et

moy, à cause de la nécessité du pain et des vivres et de la

grande famine qui fit mourir une infinité de monde de faim. »

Et en effet, il nous apprend ailleurs qu'on ne mangeait au collège

du Cardinal Lemoine que du pain de son et de la viande de che-

val. Ces tristes jours de disette et d'anxiété, les habitants de Paris,

enivrés des splendeurs de leur ville, ne s'attendaient pas à les

revoir jamais; et cependant ils les ont revus aussi cruels et plus

longs qu'au temps de la Ligue!Au mois d'octobre suivant, deux mois après la levée du siège,

André d'Ormesson quitta de nouveau la maison paternelle, et fut

envoyé avec son frère au collège de Navarre pour y faire sa rhé-

torique. Quel était l'enseignement du collège de-Navarre? Il va

nous l'apprendre. Il se trouvait « soubs la charge de Monsieur

Naquis, fort habile homme, dit-il, et fort homme de bien, qui

prit ung grand soing de mon instruction.

« Ce monsieur Raquis, continue-t-il, nous leu le matin l'oraison/?

Vatinium, et par après, l'oraison pour Z~6 M<tH~«ï,en faveur de

Pompée, pour le faire eslire général de l'armée romaine contre le roy

Mithridates. L'après dtnée, il nous leu la dixième satire de Juvénal

qji commence OMMt&MSin ~t'M, où il monstre qu'il ne faut ny sou-

haicter les richesses, ny les grandes dignités, ny la grande éloquence,

ny la beauté, ny la vieillesse, mais seulement ce qu'il plaist à Dieu,

et MCK~NtjMMaHtln co~fe sano. Par après, il nous leu le premier livre

des epistres d'Horace tout entier, ou est contenue toute la sagesse de

la philosophie morale des anciens philosophes, et les appris toutes

par cœur et les ay retenues toute ma vie. Et encore quelques odes

d'Horace les plus sentencieuses; et encore Quod M~ sectabor t~'? du

poète Ausone. L'année quatre ving unze, commençant en octobre,

Monsieur Gaultier, qui a esté depuis docteur en théologie et curé de

Saint-Denis de la Châtre, fit la première et dernière première pour lu

seconde année. 11nous leu le matin l'oraison Pro .Vsrco ~afceMo, où

Page 288: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXC~BSMX!!MtSTORtQUESKT PMtKtSOPMtQUESM<

Cicéron parle pour Marcellus, son amy, qui avoit suivi comme luy leparti de Pompée, où il flatta et gagna tellement l'esprit de César qu'ilpardonna à Marcellus contre sa première ir:tention. Il nous leu l'aprèsdinée. t'unziemb Ihre de t'Ëneide, qui convenoit fort bien au tempsdo la Ligue, où la couronne do France estoit contestée entre plusieursgrands princes compétiteurs, comme estoit la couronne du roy Latinusentre Tumus et Ënée. Par après, il nous leu le songe de Scipion,où Cicéron exhorte Scipion, par la bouche de son grand-père, do

mespriser la terre et gloire des hommes et d'aspirer au ciel où lademeure est toute divine et miraculeuse. »

Nos lecteurs, nous eu avons la confiance, ne regretteront pasque nous ayons placé sous leurs yeux ce passage si curieux et si

précis qui nous fait en quelque sorte toucher du doigt le sys-tème d'études suivi au xvr' siècle. Que d'observations pourraientsuggérer et la variété des ouvrages qu'on expliquait alors dansles classes, ct le caractère licencieux de quelques-uns des textes

que le professeur n'hésitait pas à placer sous les yeux de ses élèveset devant lesquels aujourd'hui reculerait avec raison notre res-

pect pour l'enfance; ennn ce culte exclusif de la langue latine,cette complète absence de toute explication grecque après une

période où le grec avait été cultivé avec une sorte de passion!Mais en insistant nous sortirions de notre sujet. Bornons-nous àtirer du témoignage d'André d'Ormesson deux conséquences quiparaissent en ressortir et qui nous touchent directement la pre-mière, c'est que dans les divers collèges de l'Université de Paris.le plan des études était le même, et que l'écolier qui a.&it com-mencé son éducation dans l'un pouvait la continuer dans l'autre;la seconde, c'est que l'enseignement du collège du CardinalLemoine valait alors celui du collège de Navarre, et que ces deuxmaisons, qui dataient du même temps, étaient au même niveau,jetaient le même éclat et se partageaient la confiance des meil-leures familles du royaume.

Telle était donc avant le siège de Paris la situation du collègedu Cardinal Lemoine. Cependant, quelle que fut sa prospérité,il renfermait en lui-même un germe de décadence la concorde

n'y régnait pas depuis longtemps le grand maître et les bour-siers étaient presque toujours en querelle et en procès.

Par son arrêt du 15 janvier i5H pour l'interprétation et la

Page 289: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYE?! ACE '"t5

réforme des statuts du collège, le parlement avait décidé que,le grand maître étant choisi « pour exercer œuvre pitoyable et

non pour grever ledit collège, ne devait pas y être togeni recevoir aucun émolument; il avait seulement concédé au

grand maître alors en fonctions, M"Léon Aubert, à raison de ses

bons services, la jouissance de quatre chambres, mais pendant

cinq années seulement. H est vraisemblable que M" Aul~rt

trouva le moyen de les conserver même au delà tb terme fixé;

mais lorsqu'il eut remis sa charge ea i558 à maure Nicolas Be-

guin, celui-ci prétendit aux mêmes avantages que ses prédéces-seurs et ne les obtint qu'après un procès contre les boursiers. A

Nicolas Beguin succéda M" Pierre de Modic nouveau procès quidonne lieu à plusieurs arrêts en faveur du grand maître, sous

la date des i8 janvier, 9 février et ~0 décembre i565, <4 jan-

vier 1567. Pierre de Hodic, appelé A la cure de Saint-Jean en

Grève, résigne la mattrise entre les mains de M" Etienne Laffilé,

docteur en théologie, dé;& curé de la maison du (cardinal Le-

moine les boursiers entrent aussitôt en lutte avec lui, et s'adres-

sent aux supérieur et réformateurs du collège, l'évoque, le

doyen et le chancelier de l'église de Paris, qui repoussent leur

réclama :on par décision du 28 mai 1578. Quelques années se

passent durant lesquelles ces misérables querelles de famille sont

interrompues par l'effervescence des passions religieuses et par la

guerre civile. En 1595, &la mort de Laftilé, son parent ? Guil-

laume Chenard lui succède; il reste en fonctions deux ans,

n'ayant avec lui au collège que quatre boursiers, et retenu

constamment au lit par une attaque de paralysie (i). Il meurt

en i597, et, le i7 septembre de la même année, il est remplacé

par MeEdmond Richer.

Nous n'avons pas à retracer ici, et nul d'ailleurs n'ignore le

rôle que Richer a joué dans les querelles théologiques de son

temps. A d'éminentes qualités ce savant homme joignait une

humeur batailleuse qui le faisait se complaire dans la lutte. En

qualité de grand maître du Cardinal Lemoine, il ne faillit pasà sa vocation; il eut procès sur procès avec les boursiers pour

(1)Lesfaits,nomset datesqui précèdentsontempruntésau recueilde Bteher,.!<o<«t<teoMe~MCtM-~atMtt,etc.Nousles avonsdéjàreproduitsdansnotreIndex

e~<MM<OyhtM,ete.,p.37C.

Page 290: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

M': EXt rBStttXS MtSTOBtQtES ET PH!t.080PH)QfES

des questions de prérogatives; et non seulement avec les boursiersmais avec l'Université ette-mème. La Faculté des arts avait élu

pour recteur Mnboursier du collège du Cardinal, M' Nicolas Paris,bachelier en théotogie, nonobstant l'article des statuts dressés

par Jean Lemoine, qui détendait Ases boursiers d'accepter lesfonctions rectorales. Richer, armé de cette disposition, notifia aurecteur la saisie de sa bourse, refusa de lui en payer désormais les

arrérages. L'affaire fut portée devant le conseil privé, qui donna

provisoirement gain de cause A M*Paris, et renvoya les partiesdevant le parlement pour être statué au fond par un arrêt défini-tif qui ne fut jamais ni sotlicité ni rendu (i).

Cesdissensions sans cesse renaissantes ne contribuaient certai-nement pas au bien des études. Cependant jamais la concorden avait été plus nécessaire pour atténuer le préjudice causé A lamaison du Cardinal par les discordes civiles. Un contemporain atracé le plus triste tableau de ta situation misérable des écolesde l'Université lors de l'entrée de Henri IVà Paris. « ttes soldats

espagnols, belges et napolitains, mêlés aux paysans des campa-gnes voisines, avaient rempli, dit-it, les asiles des muses dunattirait de guerre, au milieu duquel erraient les troupeaux. f)ftretentissait autrefois la parole élégante des maMres de la jeunesse,on n entendait plus que la voix discordante de soldats étrangers,les bêlements des brebis, les mugissements des bœufs.? » Loind'é-

chapper au malheur commun, le collège du Cardinal fut un des

plus éprouvés. Un détachement de la garnison s'installa dans tesbâtiments et y causa tous les dégâts que peut faire une solda-

tesque enrénée. Lorsque Richer vint en prendre possession, iltrouva partout l'image de la dévastation (2).

Avec Henri tV et Louis X!H de meilleurs jours avaient com-mencé pour lUniversité et ses collèges, comme pour la société

française tout entière. Le collège du Cardinal Lemoine eut sa

part de cette renaissance qui préparait aux lettres françaises leur

plus brillante époque. L'ordre et les études s'y rétablirent peu à

poulet le recteur M" Lebourg (3), assisté de son conseil, étant

(t) SancUe afMr~veyfznotreM<<o<n;étéft/M<MM<Wde.Pa~oM J~tW~OM~rtW < p. Met<t. et ~CM~M~!caMt!M.p. 3o.

(2) N~t. <~ fPMtp. de ~W< ait .XTM' «ee~, p. 2.

(3) FM., p. <M.

Page 291: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATBAAKB8t.EM~YRXA<:K 987

venu le visiter le 23 novembre <6%2, ta tenue de la maison fut

l'objet de t'approttation générale.M" Pttitippe Poureet était alors depuis plusieurs années ~rand

maMre du collège du Cardinal, t't cumulait avec cette tonction

cette de principal. En quoi consistait ta charge d<' principal, quene mentionnent pas les statuts primitifs d<' la maison, mais A

taquette il est fait allusion dans plusieurs articles de tart~t du

<5 janviet' t5H (<)? X«us l'avons dejA sufSst~mment fait entcn-

dK*, te principal était celui <ntidirigeait s<mssa n'sp«ns<d)i!ite la

peda~o~ie annexée au eoMe~e,<ptichoisissait les relents, <pn tes

payait, <pMveillait A t'exet~iee, eu d autt'es termes & ta iMmue

tenne des ctasses, et qui percevait a son protit les rétributions

acquittées p.tr tes pensionnaires. ~uetqueMs te ccttègc attritMtait

sur ses propres fonds une indemnité annuelle au principe!, t~a

charge pouvait donc ~tre iucrative, et nous comprenons <pt'eiteait été recherchée, t'o'f'eet, déjà grand tnaHre, émit la préten-tion non seulement de la garder pour lui, mais de t'unir pohrtoujours à la grande maîtrise Les boursiers ne s y prêtèrent pas,et il en résulta un procès devant le parlement de Paris, t'ar une

heureuse exception, toute cette querelle finit au mois de janvierIC47 par une transaction que nous avons retrouvée dans les ar-

chives de t'Fniversité, aujourd hui déposées Ala bibliothèque de

la Sorlionne (2). Malgré lu tong'ueur de l'acte, peut-être ne sera-

t 'it pas sans intérêt de le transcrire car il jette un jour utile sur

le régime intérieur du collège et sur les conditions auxquelles

tespédagogies s'établissaient vers le milieu du xvn* siècle.

« Furent présens vénérable et discreU' personne M*Philippe Pour*

celle, grand maltre et principal du coHèycdu Cardîna!Lemoine, fondéen l'Université de Pans d'une part, et MM.tes prieur séculier, procu-reur et bourciers audit cottè~e, scavoir M''HenryDamevat, prieur ''t

bachelier en théologie, 3. Bersin, Il. Barbier, Vatteran de Neufvme.

Huchon,AndréDuvat, P. t~auemant, procureur dudttcoUè~ Frison.J. de h Mortiers, tous bachctiers en théoto~ie,Vacquer. Nico!asHardy,NicolasLefebvre, Ësticnne Bousseau, Simon Croiset, Sanson Hernu.

Robert Aubryet Guillaume Detestre, tous bourciers duditco!

(t) Ve)MtMtaMtm')))hftaftkh~7 <'tM:MMMm.1.L. 1.IV,il.7tT<t7<«.

(2)CartonXVII,n"8.

Page 292: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCURNOXStMSTOMQUESET PHtLOSOPMtQUES288

représentant la plus grande partie dudit co!!ège, assemblez en la

chapeMe, lieu accoustmné pour irait ter de leurs auairoi', au son de la

cloche, en !a manière accoustumée lesquels, suivant la conclusion

prise et arrestée en l'assemblée desdits st~urs grand mattre, prieurséeuner, procureur et boureiers le dixiesme oa présent mois et an pourterminer et assoupir le procès qui estoit pendant par devant nos sei-

gneurs de la Cour de Parlement entre lesdits s" grand mattre, prieurséoui<'r, procureur et bourcicrs pour raison de la principauté dudit

< uih'ge; en considération des services que ledit sieur grand mattre. aassidueHement rendu et rend joumcijement audit co!<cge depuisquinze à seize ans, tant en ladite quaHté de gran~ maître que de princi-pal, iceux s" prieur séculier, procureur et bourciers dudit cottége ont

par ces présentes consenty et consentent, mesme promettent, tant

pour eux que pour tours successeurs, garantir de tous ompeschementsquelconques audit sr Ilourcel, grand maître, sa vie durant, icetuygrand maitre ce acceptant. la principauté et pédagogie d<"ïit coHége,aux droits, prérogatives et préséances accoustumées, pour en ice!nycoUège, faire par iceluy s~ grand maître continuer Ins bonnes rési-dences actuelles, en teHe sorte qu'il ne soit absent six mois dudit

cottegc; instruire les enfants en t amour et crainte de Dieu, en la

foy et religion catholique, apostolique et romaine, en bonnes moeurs,

langues grecque et tatinc, sciences de t'étude humaine et es arts

libéraux; contraindre les enfans de parler latin et à porter l'habit

scolastique, selon ta forme ancienne et accoustumée en ladite Uni-versité de Parts: et à la descharge de la conscience destits s**grandmattre, prieur séculier et bourcicrs dudit cottège, davantage d'ensei-

gner le catéchisme aux entants dudit co!!ège pour de ladite principautéjouir par ledit s~ Pourcel, grand mattre, sa vie durant. Ce présentconsentement et bail à vie, fait aux charges ci'dessus déclarées, ensem-ble à celles qui ensuivent, à sçavoir de par lesdits sieurs du cottège,leur procureur ou receveur, donner et payer audit sieur Pourcel, savie durant, par chascune année, la somme de cinq cens quarantelivres pour bien et duement entretenir ledit exercice par ledit s' Pour-

cel, grand mattre, qui ne pourra rien demander ny exiger desdits s"*

bailleurs, de leurs successeurs, ni des enfans escoliers qu'ils auroientdans leurs chambres, soit pour le droit de camerisage et autres choses,sinon ce qui pourroit appartenir respectivement audit s~ principal et&ses régents, pour les droits de déterminances, licences, maKrisesf's arts, bancs, et toutes récompenses et honoraires que l'on doibt aux

régcns de classepour leur peines et sallaires. Néantmoins seront tenuslesdits sieurs principal et régens recevoir en leurs classes les enfants

Page 293: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TMAVKBSLE MOYENAGK ast

escolliers desdits a" bailleurs pour estre instruits et disciplinez, ainsi

que les autres escoliers et enfans estant en la pension dudit s*~prin-

cipal, comme aussi lesdits s" bailleurs ont deslaissé et deslaissent, et

promettent faire jouir comme dessus ledit s" Pourcet, sa vie durant,

des lieux cy après déclares, estant des appartenances dudit collège,

scavoir est, des deux corps d'hostct. ainsy qu'ils se comportent, sis

sur la rue Saint-Victor, au-dessus de la porte dudit collège, tenant

d une part au collège des Bons-Enffns, d'autre à une maison appar-tenant a MM.de Saint-Victor, avec toutes les appartenances et dépen-

dances, sans en rien réserver; item, un autre corps d'hostel contiguet

attenant les dessus dits, aussy avecq les appartenances, sans aucune

réserve faire par lesdits s" bailleurs desdits tieux item deux chambres.

où est a présent demeurant (i; au corps de logis dudit s' grand

mattre; item, la grande satte du corps d'hostct de la cloche, où l'on

fait à présent la logique; et y faire les actes et exercices ordinaires du-

dit collège; item destaisser audit sr Pourcel, grand mattre, toutes les

classes, qui sont du costé des Bernardins, excepté les deux bûchers

qui sont au bout desdites classes, du coté de ladite salle, avec ta

grande cour dicoltuy collège pour récréer les enfans et escottiers, sans

insolence ni rupture des vitres, soit de la chapelle ou autres logis du-

dit collège; et pour cette cause, ne leur permettre ledit s~Pourcel jouer

auxdites classe et court avec raquette, et empescher lesdits enfans

de jetter des 'rres par la court et sur les toits et couvertures desdits

logis, ou du c Jège ou dortoir des Bernardins, suivant la coustumc de

tout temps ( servée audit collège tous lesquels lieux et places sont

en bon estat comme il appartient dont ledit s*~Pourcel s'est contenté

auquel estat il sera tenu les entretenir pour le regard des menues ré-

parations et où il se trouveroit que par sa faute et négligence, ou de

ses régens, pédagogues et enfans tesdites menues réparations seroient

tournées en grosses, en ce cas ledit sr Pourcel sera tenu desdites gros-

ses réparations, et entretenir le tout en bon estat, pour estre iceux

conservez, fors t usureordinaire en tous lesquels lieux, ledit s~Pour-

cel ne pourra aucunement desmolir les grosses murailles et cloisons,

ny mesme y faire aucune ouverture ou rupture pour faire estude,

cloison ny portes et autres choses sans l'exprès vouloir et consepte-

ment desdits s" bailleurs; tesquets ledit s*~Pourcel promet tenir et faire

tenir net pour obvier aux inconveniens qui en pourroient arriver, sans

qu'il permette de jetter par les fenestres des chambres en ladite cour,

aucunes eaux, ordures et immondices, ains contraindre tous les servi-

(i) My lei dansle manuscritMn<'spaceen Manc.

BMOMMtMtMMOM<t')M. f

Page 294: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

KXC~ttStOXSHtSTORtQOESNTPHILOSOPHIQUES2!M

leurs dudit collège de porter lesdites eaux et ordures aux lieux quiseront advisez entre lesdites partyes. item. sera tenu ledit sr Pourcelentretenir bien et deuement &ses depens les régens qu'il conviendraavoir pour l'exercice dudit collège, et pour ce faire, fournir et pour-veoir de regens capables aux classes de dialectique, phisique et

grammaire, estans de bonne doctrine, de bonnes mœurs et de la

religion catholique, apostolique et romaine; lesquels i! obligera d'as-sister au service divin qui se dit et célèbre en la chapelle dudit

collège, principallement les testes et dimanches, et en teur sepmainefaire devoir de bon catholique es testes solemnelles et bons joursde l'année, comme aussy de porter habits honnestes, décents, pourservir de bon exemple à la jeunesse, et en outre de se rendre assidusen leur debvoir, entrer en classe et en sortir au dernier son de lacloche.

ttem, sera tenu le s**Pourcel entretenir et gaiger un portier pourouvrir et fermer la porte du collège &heure deue, à icello porte demeu-rer continuellement, la bien et soigneusement garder, sans employerledit portier à autre service que garder ladite porte; lequel portier nelaissera sortir les enfans et escoliers, ny mesme les meubles desditsbailleurs et autres maitres demeurans audit coHège, sans un congéexprès. Semblablement sera tenu ledit s' Pourcel assister ordinaire-ment ou faire assister pour le moins un de ses régens au service divin

pour les enfans, lequel service lesdits bailleurs feront dire et célébreren ladite chapelle dudit collège aux heures accoustumées, sans empes-cher les leçons, mesme au salut qui se dit et commence par le ctercou t'un des bourciers un peu devant souper. D'avantage est accordé

que ledit s' Pourcel sera tenu faire classe en grammaire, et le cours en

philosophie, comme aussy lesdits s" bailleurs présenteront audit sr

Pourcel, par chascun an, sa vie durant, deux bourciers seulement pourrégens mois avant la Saint-Remy pour le moins; et à faute de cefaire, ledit s~principal se pourvoira d'autres tels que bon lui semblera,sans que lesdits s**puissent prétendre à la régence pour cette année-là. Ne sera tenu ledit s" Pourcel de donner gages, nourriture et pen-sions, ni mesme loger lesdits bourciers pour leur droit de régence,lesquels seront tenus de se contenter des chambres qu'ils aurontcomme boursiers. Pareillement ne sera tenu le s**Pourcel de leurdonner autre chose que ce qu'il voudra et bon luy semblera. Et outre,sera tenu y celuys' Pourcel de faire bien et deuement enseigner lecours de philosophie deux ans entiers; notamment es quatre pre-mières classes dudit collège, aux heures que ledit sr Pourcel et les-dits s"' du collège adviseront ensemble pour le bien et utilité de la

Page 295: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVEHS LE MOYEN AGE. -Mt

jeunesse, à la capacité de laquelle ledit s**Pourcel obligera ses régen~de s'accommoder totalement et leur enseigner le plus familièrement

qu il leur sera possible.Ne pourront réciproquement lesdites partyes loger ou retirer audit

collège gens vagabonds et mal vivans, mains gens de bien et catho-

liques, sujets à la disciphine, suivant qu'il est porté par les règlementset arrests dudit cottège. Défendra et empeschera les enfans ledit s~

Pourcel de s'aller promener et rien gaster audit collège. Plus, on ac-

corde que ledit sr Pourcel et lesdits s" du collège ne pourront soustenirles enfans et escoliers l'un de l'autre. Aussy ne sera tenu le s**Pourceld'aller ou envoyer aux portes ny sentinelles, ny contribuer aux em-

prunts, si aucuns se font sur ledit collège, ni mesme des boues, chan-

delles, lanternes, fortifications de cette ville de Paris ou autres chargeset subsides qui pourroient estre mises ou imposées soit de la partdu roy et de la ville ains le tout sera acquitté par lesdits s" du

collège. Et sera tenu ledit s*Pourcel faire ouvrir la porte au jardinierdudit cottègc, à six heures du matin en hiver et à quatre heures en

esté. Ne pourra le s* Pourcel se démettre de sa charge de principalsans le consentement exprès desdits s" du collège, et céder tadit''

principauté à qui que ce soit. Lequel Pourcel jouira, outre les lieux

cy dessus spécifiés, de tous les autres lieux et jardins qu'il occupe à

présent comme grand maître du collège; et au moyen dudit présentbail à vie, ledit s**Pourcel, grand maistre, s'est désisté et désiste parces présentes des lettres et requestes par luy obtenues pour l'union

de la principauté avec le grand maitre du 'collège, qu'il consent estre

et demeurer nulles, ainsy promettant, s'obligeant et chascun en droit

soy renonçant. Fait et passé audit collège, l'an 1C47, le i5 janvier,

après midy. Ont signé ainsi Pourcel, Dameval, Barbier, Lallemant.

Bersin, de Neufville, Vacquer, Loisel, de la Mortière, Frison, Hardy,

Lefebvre, Boisseau, A. Duval, Aubry de Lestocq, ituchon.

Signé: !.EONYet LEROY,notaires. »

Le document que nous venons de transcrire fait connaitre qu Ala date de 1647, toutes les classes qui comprennent aujourd'hui les

études secondaires étaient en pleine activité au collège du Car-

dinal. La physique et la philosophie y étaient enseignées comme

la grammaire; on y avait même repris l'enseignement du grec,

interrompu au temps d'André d'Ormesson. Ce résultat était dA

sans doute au zèle actif et persévérant de M"Pourcel les bour-

siers eux-mêmes rendent hommage à son administration, et !f

Page 296: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

192 EXCURSIONS HtSTOMQtES ET PMtMSOPtMQUES

motif qu'ils font valoir pour lui continuer les fonctions de prin-cipal, ce sont les services qu il a rendus seize années durant à lamaison. On pouvait croire la paix cimentée pour longtemps maisl'événement trompa cette espérance. Deux ans et quelques moiss'étaient écoulés depuis la transaction de i6~7, et de nouvellesdissensions éclataient entre les boursiers, qui prétendirent conser-ver indéfiniment leurs bourses, et le grand maître, qui prétendaitles en priver, aux termes des règlements du collège, quand aprèsneuf ans révolus le terme de leur jouissance était arrivé. Il fautnous donner le spectacle des incroyables désordres auxquels ceconflit donna lieu. Nous n'avons, il est vrai, que le témoignagedu principal (t); mais il est trop précis pour n'être pas dignede foi.

Donc, le 7 août i649, un boursier, P. Barbier, un ancien bour-

sier, Dameval, récemment expulsé de la maison, réunissent leurs

adhérents, ameutent les écoliers, se font assister d'une troupe de

valets, et au milieu de la nuit sonnent la cloche, poussent des criset commencent par donner un charivari au grand maître avecdes poêles, des chaudrons et tous les ustensiles de cuisine qu'ilsont pu saisir. Puis ils s'emparent de beaucoup de meubles déposésdans un bûcher, et ils les brûlent au milieu de la cour, tirent des

coups de pistolet sous les fenêtres du grand maître, frappent A

coups redoublés de bûches et de hache les portes de son apparte-ment, et comme elles ne cèdent pas, ils essaient d'y mettre le feu.Ces scènes de violence durent de neuf heures du soir à troisheures du matin. Quinze jours après, nouveau tumulte. Le samedi2t août, raconte M" Pourcel, une vingtaine de vagabonds ettralneurs d'épée pénètrent dans le collège où ils sont furtive-ment introduits par Barbier et reçus par Boisseau, l'un des bour-

siers et pendant qu'une partie se tient dans la cour, et l'autredans le jardin, de manière à garder toutes les issues, quatred'entre eux, munis d'armes et d'épées, entrent dans la maison du

grand maître, tirent des coups de pistolet qui mettent en fuite les

domestiques, s'élancent dans la chambre à coucher et cherchent

(t) Voyezle mémetrcde M"P<MtKetintMoté<cM<MMdu procédéet <<ela COM.f/Mt~c<~Mgrand maistre, a<fM<M<~n~eMr<tttC~Ma~ ~oy<M,à f~o~ des&a«r~M<~tmMmecollège.~Mc«tt<HM'eMMpoaflespM<fo~a«PMdela chargedey<*<tM<~MtttM~C.

Page 297: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEN AGE. '3

M"t'ourcel de tous côtés, même sons le lit, annonçant l'intention

de se défaire cle sa personne.M*'Pourcel porta plainte au pat'tement et en cuet les violences

dont il avait failli être ta victime étaient des crimes qualifiéscontre lesquels la puis'Hmcedes lettres, comme il le fait remar-

quer dans sa requête, est trop faible, et qu'il n'appartient qu'aux

magistrats de réprimer et de punir.Il faut reconnattrf que l'état généra! du pays, la situation cle

Paris en particulier, n'étaient pas favorables :m maintien de lit

discipline et du bon ordre, même dans les collèges. Nous sommes

en i<9, c'est-à-dire en pleine Fronde; les factions se disputent

te gouvernement; l'autorité publique est sans force, le parlementeu rébellion, la loi facilement méconnue. Qui s'étonnerait que tes

écoliers eux-mêmes se montrent tumultueux et indociles? H ne

parait pas que les scandales qui avaicn troublé la maison du Car-

dinal Lemoine s'y soient renouvelés; ait préjudice morat

que l'indiscipline des boursiers avait causé Ace collège, s ajouta

te tort matériel que lui portèrent les inévitables incidents de ta

guerre civile. Comme il était situé et la porte Saint-Victor, tout

proche des remparts, il était plus expose qu'un antre au danger

d'un assaut, surtout aux excès de ta soldatesque, et il ne réussit

pas Ase préserver de ce dernier genre de péril. J ai cité auteurs,

d'après M.Leroux de Lincy i i, le texte d'une requête qui fut pré-sentée en juin 1652 au bureau de la ville par le grand maître et

les boursiers il en résulte que « quelques particuliers, ennemis

des études, obligeaient te grand maMre de tenir le collège ou-

ve"t tant le jour que la nuit; qu'ils passaient Atravers, tambour

battant, soit pour monter ta garde, soit pour faire l'exercice dans

la cour; qu'ils tiraient au blanc contre tes murs, cassaient les

vitres, enlevaient les lianes des classes; qu'ils avaient coupé plu-

sieurs arbres, et par deux fois brise et brute les portes.Ces déplorables conséquences de ta guerre civile disparurent

avec cite. Dans la suite du règne de Louis XIV, tes collèges oà

s'élevait la jeunesse retrouvèrent, comme l'État lui-même, sons

un pouvoir respecté, les conditions de l'ordre et de la paix. Toute-

(t) N< de FMttpe~M. <'t< p. (8. Cf. ~e~frM de !'Me< de o<He, ~c.. pubM~

par MM. Len'ux de Mncy et MoMetd'Afo), t. H, p. 377 et Miv.

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EXCt'RStOXSHtSTOtUQfES ET PHtLOSOPHtQFES?4

fois les beaux jours de l'Université de Paris étaient plissés ils nerevinrent pas, si ce n'est pour quelques années, au temps deHollin. Tandis qu'autour d'elle les lettres, les sciences, les artsprenaient un magnifique essor, elle s'effaca, eUe s'endormit enquelque sorte et ne déploya d activité que pour la défense de sesantiques privilèges, dans des querelles mesquines, tantôt avec lesJésuites, tantôt entre ses membres.

L'histoire n'a pu se dispenser d'enregistrer les questions deprééminence qui s'élevèrent, et les interminables débats qui enfurent la suite, entre les quatre Nations de la Faculté des arts etles Facultés de théologie, de droit et de médecine, qu'on appelaitles facultés supérieures. Un régent de rhétorique du collège duCardinal Lemoine, Pierre Lallemand, était recteur depuis quelquetemps, lorsque, au mois de juillet 1653, les doyens de ces Facultésrefusèrent de se rendre à la procession qu il avait indiquée à laparoisse de Saint-Barthélémy, et firent célébrer en leur proprenom l'office divin dans l'église de la Sorbonne. Pierre Lallemandprotesta contre l'outrage fait A sa dignité et le dénonça au parle-ment dans une requête appuyée de textes nombreux sur l'obéis-sauce duc au chef de l'Université par tous ses membres ~i).

Cinq ans après, le conflit durait encore, aussi vif, aussi animéque jamais; et ce fut de nouveau un régent du collège du CardinalLemoine, M"Cauvet, qui eut à soutenir en qualité de recteur lesdroits de sa charge et les prétentions de la Faculté des arts contreles doyens des autres facultés (2).

Si la maison du Cardinal donnait aussi souvent des recteurs àl'Université, il est permis de penser que les maitres qu'elle s'étaitattachés jouissaient d'une haute considération dans l'école.M. Cauvet, nous devons l'avouer, a laissé un nom très obscur;mais on ne saurait en dire autaut de Pierre Lallemand, huma-niste excellent, orateur disert. La piété l'ayant poussé Aquitterl'habit de prêtre séculier et à prendre celui de chanoine de Sainte-Ceneviève. il devint prieur de l'abbaye, puis chancelier de l'Uni-versité Ala mort du P. Fronteau, arrivée en i660. Ses contem-porains admiraient la facture éloquente des allocutions qu'il

(H~o<t-e de fFM<M<< etc.,p. <Metsuiv.~)MM.,t'.M3et~tth.

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A TRAVERS LE MOYEN AGE. 995

adressait aux nouveaux maîtres es arts en leur remettant le bon et

de la maîtrise. Mmourut en i670.

Plusieurs années se passent sans que la Faculté des arts appelleà la dignité de recteur aucun régent de la maison du Cardinal

Lemoine. Maisenfin, le iC décembre 1690, le choix se porte sur

le récent de philosophie du collège, M Rcgnault Gentilhomme,

qui, pour le dire en passant, avait eu soutenir plus ,d un litigeavant de s'être assuré la paisible possession de cette chaire. Ke-

gnault Gentilhomme se trouva mêlé, durant son rectorat, A une

aiTaire très grave. Malgré son caractère hautement spiritualiste,malgré les adhésions les plus éclatantes qu'elle avait eues de la

part des juges les moins suspects, la philosophie de Descartes

rencontrait alors la plus vive opposition dans les rangs du clergéet surtout dans le gouvernement. L'archevêque de Paris, M. de

Harlay, invita, au nom du roi, M°Gentilhomme Afaire souscrire

par ses collègues, les professeurs de philosophie des din~rents

collèges de l'université, une déclaration par laquelle ils prenaient

l'engagement de ne pas enseignet un certain nombre de proposi-tions incriminées par exemple, qu'il faut se défaire de toutes

sortes de préjugés et douter de tout, avant que de s'assurer d'au-

cune connaissance; qu'il faut douter s'il y a un Dieu, jusque ce

qu on en ait une connaissance claire et certaine par un long et

sérieux examen; que nous ignorons si !)ieu ne nous a pas voulu

créer de telle sorte que nous serions toujours trompés dans les

choses qui paraissent le plus claires; qu'en philosophie, il ne faut

pas se mettre en peine des conséquences fâcheuses qu'un senti-

ment peut avoir pour la foi, quand même il paraîtrait incompa-tible avec elle, etc. Il est aisé de reconn<dtre dans ces propositions,nous ne dirons pas l'empreinte, mais la substance même du carté-

sianisme. C'était bien le cartésianisme qui se trouvait proscrit.Les ouvrages et la doctrine de Descartes auraient. par la volonté

de Louis XtV, disparu des écoles publiques, s'il était «u pouvoirdes princes les plus puissants d'arrêter, dans un pays chitisé, ta

marche des idées (i).A ce moment le collège du Cardinal Lemoine avait depuis qua-

torze ans pour grand maître Jacques Leullier, auquel succéda en

(t M< <h'f~tecMt~, p. 2<M.

Page 300: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

M6 EXCUNSKMtS HISTORIQUES ET PHtMSOPMtQUES

1694 son frère Claude LcHllier. Un régent du collège, qui se nom-mait Fiot, a consacré deux pièces de vers latins à célébrer lesavoir et les vertus des deux frères il leurpromet à tous deux unerenommée immortelle (i). Cependant il ne parait pas que l'admi-nistration de Claude Leullier ait été paisible. La bibliothèqueSainte-Geneviève possède Acet égard un document assez curieuxc'est une requête adressée dans les premiers jours de mars 1699 à

l'archevêque de Paris par deux professeurs, MIBeguin et M"Hu-

guet (2): il en résulte qu'une insurrection venait d'éclater aucollège du Cardinal Lemoine dans la classe de philosophie; quedes carreaux avaient été brisés, des serrures forcées: que le prin-cipal avait du appeler à son secours un détachement de soldasqu'une correction plus que sévère initigée de sa propre main, surle refus des soldats de se charger d'une pareille besogne, à l'undes écoliers les plus compromis, n'avait fait qu'exaspérer les

autres; que dans la classe de physique les élèves s'étaient barrica-dés que l'intervention des professeurs avait seule réussi à rame-ner les mutins dans le devoir, sous la condition que la troupearmée (luitterait la maison.

Ce qui présentait plus de gravité que~tte mutinerie, c'était !a

complicité secrète de quelques professeurs, leur partialité pourl'insubordination des étudiants, leur malveillance a l'égard du

grand mattre. Ils seplaignaient de son despotisme, de ses empié-tements, de son avidité. Peut-être la passion religieuse entrait-elle pour quelque chose dans ces récriminations, car ClaudeLeullier avait pris parti dans les querelles religieuses; il s'était

énergiquement prononcé contre le jansénisme, et lorsque parut lacélèbre con~itution ~M<yc/<<~ il fut un des premiers a ta sou-tenir et i1la défendre. Quoi qu'il en soit, lit mésintelligence entrele grand maure et les régents alla toujours s'aggravant. En ni8,Claude Leullier ayant appelé A la chaire de sixième un maîtrees arts qui n'était pas boursier de la maison du Cardinal, les bour-siers protestèrent, et il s'ensuivit devant le conseil d'État un long

(1) Ceuxqui xoratettt curieux d<<lire eeo deux pttceBde vers ten trouveront dana uttM'cttettde la bibliothèque <!<*t'OniveMtte, fotë M.t- u. OS, n" 20et 3o.

(2) Cette ~uete fait partie df ce grand ttomttft'de fte~ détachées que MM.les«tMtM'nrateuntdf la Mbttotheque 8a)nta.G<'Mtiew H'M'cu)M'nten ce moment de <'a-tatt~uer et de damier. Ott en tMUVt'rah' te~.t<,à t'appendtfe, M"tV.

Page 301: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MUYËNACE. M7

procès dans lequel intervinrent l'archevêque, le doyen et le chan-

celier de l'église de Paris, comme supérieurs majeurs de la mai-

son le recteur et son conseil, an nom de l'Université M"André

Courteille, que Leullier avait désigné pour la chaire vacante: son

compétiteur, M"Enguehard, nommé par l'archevêque de Paris:

la Nation de Picardie, à laquelle les boursiers appartenaient tous;la Nation de Normandie, qui prétendait les exclure du partage des

revenus de l'Université; enfin Claude Leullier, qui avait a défendre

les prérogatives de set charge, mais qui, sans y renoncer, ne

persista pas dans le choix qu'il avait fait et sacrifia M"Courteille.

Après huit ans de débats, quantité de requêtes, de mémoires,

d'arrêts anciens et modernes, produits en sens contraire, le conseil

d'État rendit sa décision le 19janvier 1T2G. U maintint nu princi-

pal le droit de nommer seul aux chaires, en donnant la préférenceaux boursiers du collège qui se montreraient aptes à les remplir,mais sans pouvoir être contraint dans ses choix par la commu-

nauté des boursiers. Ala charge de grand mattre il unit pour ton-

jours les fonctions de principal, qui jusque-là, comme on l'a vu,

n'y étaient pas légalement rattachées. Knfin il soumit le collège

du Cardinal Lemoine à l'inspection du recteur de l'Université et

de son conseil, inspection que le collège avait acceptée autrefois

et que depuis il avait déclinée, sous prétexte qu'il avait pour

supérieurs majeurs l'archevêque, le doyen et le chancelier de

l'église de Paris (t).A cet arrêt les boursiers étaient ceux (lui perdaient !<'plus,

car leurs prétentions se trouvèrent toutes écartées. Le grandmaître obtint ce qu'il n'avait cessé de demander, et de sou côté

l'Université de Paris avait pleinement gain de cause; elle acqué-rait la certitude que désormais le collège du Cardinal Lemoinf

ne pourrait se soustraire A son autorité.

Claude Leullier survécut six ans A son succès. 11mourut dans

un âge très avancé, au mois de juin i7M (2), laissant la maîtrise

du collège du Cardinal AAntoine Debacq, qu'il avait depuis quel-

(lues années près de lui en qualité de coadjuteur. Debacq,licencié en théologie de la maison de Sorbonne, ancien professeur

(t) Nousavonsreproduitceth~MX-taotart~t dansh'« /~CM./M.~c~CM<)t)ifunt«Mitaà notre~«<<t~ede <'t'<t'oeM«~n"CLXXt.tt. t8t'-thutv.

(!!)A'o«Mt(MeeeMo<<M(~MM,'mnet't7i)3,f. <?.

Page 302: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

398 EXCURSIONS HISTORIQUES ET PHtt.OSOPHtQFES

de rhétorique au collège Mazarin, était un des maMres les plusdistingués de l'Université de Paris. Du iO octobre i708 au i0octobre 1709, époque douloureuse pour la France, il cvait exercéles fonctions de recteur et, durant son administration, une ins-pection importante avait eu lieu dans les collèges de Paris. Hiigu-rait d'ailleurs comme Leullier dans les rangs des adversaires dujansénisme et il avait adhéré un des premiers à la hutte ~~<L

Aussi, lorsque Louis XtVeut arbitrairement imposé en i7H ala Faculté des arts un chef animé des mêmes sentiments, MePhi-lippe Poirier, on remarqua que, seul des anciens, MeDebacq avaitassisté à l'installation du nouveau recteur.

Sous l'administration de Me Debacq, nous retrouvons MeEn-guebard régent de troisième dans ce même collège où il avaitdisputé la chaire de sixième à MeCourteille. Comme si la paixn'eût pas été possible dans la maison du Cardinal, Enguehardétait déjà en querelle et en procès avec le nouveau principal ausujet de la chapelle du collège; mais, fait plus grave, l'insuffi-sance de son enseignement donnait lieu à de telles plaintes quele roi jugea utile d'intervenir et destitua par une lettre de ca-chet le professeur incapable. Cette révocation fit quelque bruitdans les écoles. L'Université se plaignit (i) au cardinal Fleuryqu'un des siens eut été frappé sans avoir été entendu, et sans quele tribunal du recteur eût été appelé à le juger. Le cardinal ré-pondit que « Sa Majesté ne s'étoit déterminée qu'après les avisréitérés qui lui av oient été donnés sur la négligence avec laquellele s' Enguehard faisoit ses fonctions; que sa classe étoit presque dé-serte, et qu'il avoit paru nécessaire d'y apporter un plein remède,afin de prévenir l'interruption des autres classes qui n'auroitpas manqué de s'en suivre du défaut d'exercice de la troisième. »Fleury ajoutait que « si l'Université avoit jugé à propos d'y met-tre bon ordre, le roi ne se seroit pas servi de son autorité en cetteoccasion (2). Le sévère ministre finit par s'adoucir, et M" En-guehard fut réintégré dans ses fonctions. Maisle fait nous a parudigne d'être relevé; il montre que sous l'ancienne monarchie,

(i)Mémotfed<t17avrilt734.(2)Lettredm20avril t73t.L'Unhrersttéy répMtd:tparde MureMesobservations

àla datedu l'Etna!.OntronveratouscesdocnmentsdansnosPiècesJustHtcatives,p. 187et sahr.

r

Page 303: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MOYEKACE 399

malgré les privilèges du corps auquel ils appartenaient, les mem-bres les plus humbles de l'Université, même pour des faits pure-ment scolaires, n'étaient pas à l'abri d'une destitution prononcéedirectement par le pouvoir royal.

Nous sommes parvenus Aune époque où la maison du CardinalLemoine cède la première place à d'autres établissements, mieux

administrés, et ne figure plus qu'au second plan et de loin euloin dans l'histoire des collèges de Paris. Mest A remarquer queses élèves n'obtinrent jamais de brittants succès au concours gé-néral. Lors do la première distribution des prix en 17~7, pas unseul ne fut nommé; dans les années suivantes, quelques rares no-minations rappelèrent seules le nom de ce collège, qui naguèreétait classe parmi ceux qui honoraient le plus H niversité! fmannée même, en 1784, de grands désordres ayant éclaté pendantla composition du discours français, dont le sujet était l'éloge de

Rollin, t"s rhétoriciens du Cardinal Lemoine fureut accusés d'a-

voir été les instigateurs du trouble, en haine de Rollin et de Jan-sénius (1).

Malgré ces symptômes d'une décadence qui n aurait pas étésans remède si les événements ne s'étaient pas précipités, le

collège du Cardinal Lemoine continua de posséder, durant toutle cours du xvnf siècle, des maîtres habiles, aimant les lettres

classiques et capables d'en inspirer le goût autant par leurs exem-

ples que par leurs leçons. fnc églogne latine, à 1 imitation de

Virgile, dans laquelle un régent, M"Pipon, exprimait en 1699 la

douleur de voir réduits ses modestes émoluments et ceux de ses

collègues, est une pièce agréablement versinée et qui méritait tle

nous être conservée (2). Un autre régent, M**Pierre Pestel, qui

occupait la chaire de rhétorique, fut, de 1686 à 1712, comme !<'

poète attitré auquel était dévolu ou plutôt qui s'était attribué lesoin de chanter, dans la langue de Virgile et d'Horace, lesdouleurs et les joies de la France. On a de lui sur les sujets les

plus variés, les uns tristes, les autres joyeux, un grand nombre

de pièces de vers latins qu'on peut lire dans les recueils de la bi-

(1)M~. deft~e<'MM<f,etc.,p.47t.(2)Voyezle fecueUde Gaullyer,Selectaearm~a ~N~oMM~we<M<m<MMM

~'M<M'<tNM<K<Min (W<Mf~<t<efaf<«eM~ro~MontNt,etc.;Pan! t797.in-t2,le.:tU.Cf.H~. de t'C~eef~ p. 279.

Page 304: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

3tf EXCm~OXS MMTOBtQLESET PHtM~SOPHtQtJES

hliotheque de la Sorbonne (t). En Hta. J. Marie. 1 un des succes-seurs dp Peste! dans la chaire de rhétorique, remerciait Louis XVd'avoir permis. par ses moralités. que les régents eussent untraitement indép< ndant des rétributions acquittées jusque-IA partes écoliers, et que chaque père de famille, sans avoir rien a

payet. pût envoyer désormais ses entants aux classes du collègede son choix En i725, un autre récent, M~Longuet de Pré-fontaiue, publiait une <~le sur le mariage du roi. L'abité Lerov,qui enseigna au collège Mazarin avant d'être attaché au coMe~redu Carttinat Lemoine, s'était fait remarquer par un ~rand nombrede pièces de circonstance, odes, discours, etc., lorsque, de)A pro-iesseur émerite, it fit paraMre. en 1773, ses ~MM~

A~~f y~'f~w, .<< <A.~W~ ~OMt'~M~'< /<~A f/ ~jt~f <'f f/M HO/MMM/WM/~<MM/<.w~/ f'y~

~t~cA~ <V~< e/ /<w ~t/~p~ etc. <3). Mais le cot-tege du Cartlinal peut revendiquer des noms plus connus queceux que nous venons de tirer de FouMi. N'a-t-ii pas, dutant

vingt ans, compte parmi ses relents le modèle des mattres de1 enfance. Hmmond, qui ne voulut jamais quitter sa chaire desixième et qui la conserva jusqu'au jour oA il en fut expulsé parla Révolution? A côté de Lhomond, )!' Lange, moins modesteet moins sur que son humble coMègue, enseignait la philosophie,non pas la philosophie dAristote, ni même celle de Descartes,mais la philosophie de CoudiMac.Séduit par les idées nouvelles, ilosa, dans une thèse qui! présidait, faire soutenir par l'un de sesécoliers ce paradoxe renouvelé de Bayle, que l'athéisme est pré-férable au polythéisme (~). Quand la Faculté des arts eut décidé.à la tin de t789, que l'enseignement de la philosophie auraitlieu désormais en français. Lange composa des J~Mp~ de y~y~-yw~ le premier ouvrage en ce genre, écrit dans la langue na-

tionale, que 1 Universitéde Paris ait adopté pour l'usage des clas-

t) LaMMiothi-qwdf tTahersHc))ossM<-un grandootttbMde K-cucibfacthMren~mmnttMj'itt~.df verscompas ))ardesrégentsde t'ancienneUahe~MédeParis,LesptèfMqui portentle nomde Pestettonttwth' desvolumes:MCT)tssousleslettresIl. F.nttMtéMS6tt,6t,C5.

~) Bibl.de tUniv.,H. F. n. 67.(3)PaïM.Barbea. ia-t2de tt(t pages.~) ~«t~Met ecclésiastiques, an. t7M, p. (69 et suiv.; JM«. de fPH(pe~«~,

p. 463.

Page 305: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TMAVEN8U! MO~X Af.K :H

ses (<). Citons encore, parmi les régents du cottt'ge du Cardinalun savant qui devait acquérir plus tard un nom illustre en créantla science de la minéndogie, t'abt~é Hatty.

Lorsque le généreux fondateur de ce collège l'avait institué,

près de cinq cents ans auparavant, la première condition tlu'ilavait exigée de ceux qui seraient appelés it continuer son <fuvre,c'était une foi sincère et pure, une soumission filiale à t Eglise.Ses intentions furent respectées jusqu'au jour ou l'antique mai-son qu'it avait fondée disparut dans la tourmente qui emportala vieille société française. Assurément les maMres qui en occu-

paient tes chaires dans les années voisines de la Révolution n é-taient pas tous des esprits éminents mais le plus ~rand nombrese faisaient remarquer par un attachement inviolable a la reli-

gion de leurs pères. Aussi, quand la constitution civile du clergéeut été publiée, M°lange et deux de ses collègues furent les seuls

qui eurent ta faiblesse d'y prêter serment le serment ne put être

obtenu du grand maMre Baudouin, ni des autres professeurs et

boursiers, savoir Lhomond, Le Vasseur. Masse, Riche, Henoque,

fipaut.Casset, Courtin, Brallet, Mauy(3). Avant que la suppres-sion des universités eut été définitivement prononcée, ces fidèles

chrétiens, ceux du moins qui occupaient les chaires, furent rem-

placés par des maMres moins soucieux de leurs devoirs envers

tËgtise et plus dociles aux volontés du législateur civil.

Le collège du Cardinal Lemoine comptait alors 23Mélèves, tant

externes qu'internes (3).Les recettes s'étaient élevées en 1755 à !H,807 livres 17 sous

6 deniers. Parmi les articles qu'elles comprenaient, nous nous bor-nerons à signaler les suivants jardin, chantier et terrain atte-nant au collège. 5,342 livres; cens et rentes dus au collège pourmaisons sises quai de la Tournelle, 87 livres 10 s. d. rentes

foncières, 7621.7 s.; revenus provenant des fermes, bois et autresbiens sis hors Paris, 6,769l.

La même année, la dépense avait atteint le chiffre de 36,367 li-

vres 7 deniers, ce qui donnait, comparativement aux recettes, un

excédant, c'est-A-dire un déficit de i.559 1. 2 s. 9 d.: mais il

(<)NM.de fftMMM~. t*.4M.(9) jM<<. de rCM<MM<~ p. M7.(3) Rapport au roi sur HMhrtMtt<Mtsecondais. Parb. MM. !a 4 p. 298<*t 299.

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EXfmstOXS MtSTOBM)UESKT t'HtLU80Pt!!QUESaoa

importe de remarquer qu'à ta dépense ngurent des non-valeurs

pour t5,525t. <).Dans le compte de i790, la recette s'élève a plus de 62,009 1.

Ce qu ette oNre de remarquable, c'est l'augmentation des produitsdes immeubtes. Ainsi le jardin, le chantier et le terntin attenantau cottège rapportent 7.300 livres, au lieu de 5,3~2 en H55. Lestermes et autres biens de campagne rapportent <6,u97 livres, aulien de 6,769. Les rentes foncières montent &2,383 livres, aulieu de 762 en i755 (2).

La fortune de la maison n'avait donc pas cessé d être bien ad-

ministrée, qnoiqueite eut subi, depuis le xn siècle, de nom-breuses transformations.

Maistes institutions les plus prospères étaient destinées au mêmesort que celles qui tomttaient en ruine les unes et tes autres al-

laient disparaMre pour taire place à des institutions nouvettes queta société française n engendrerait qu après une longue attente et

qu au prix des épreuves les plus douloureuses. Par le décret du <5

septembre 1793, In collège du Cardinal Lemoine fut supprimé,comme tous les autres cottè~es de ptein exercice, comme les Fa-

cultés de théologie, de droit, de médecine et des arts qui existaientsur le territoire de ta France. Quelques années après, ses biensfurent vendus; il ne resta pas pierre sur pierre des bâtiments

qu il occupait dans la rue Saint-Victor; et, ainsi que nous le di-sions en commençant ces pages, le seul souvenir que la ville det*aris ait conservé de cette maison naguère illustre, c'est le nomdu cardinal, son fondateur, donné a une rue.

H) ArfhhM! national. H. 2773.

(2, An'btVf~ nathtnai~. X. !77<.

Page 307: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

tn nomine Domini nostri Jesu Christi amen. Anno nativitatis <'jus-dem t~MH,indictione quindecima, die quinta mensis Martii, pontiuca-tus sanctissimi patris domini Honifacii papa* octavi anno octave, in

pHe'M'ntMmei notarii et tesUum sahscriptorunt ad h<tcspectat!t<*rvo-

catorum et rogatorum, rcU~iosus vir fratcr Franctscus, prior gene-ratis ordhns Fratrum t!ercmitarum san<ti Au~ustini. ha!)pns, ut di-

ccbat, a «ode apostolicu potostatem alienandi, vendendi, dandi et

tradend! dumum quandam seu locum, cum pprtincncus suis, vocatum

de Cardinet« vutgariter, quam seu quem idem ordo habebat et inhabi-

tare consue\ it i*ansiMs in vico Sancti Victoris juxta domum qua* vo-catur domusBonorum pueMium, domum ipsam s~n locum de Can~i-

neto, cum omnibus libertatibus, immunitatibus, juribus et pertinenciissuis alienavil, vendidit, dcdit et tradidit impcrpetuum, prout idem

ordo eam seu eum tenuit et possedit, reverendo patri Domino Johanni,miseratione divina titnti sanctorum MarceitiHiet Pétri presbytère cardi-

naU, accipieuti pro se et ad opus pa'~erum schotarium studentium in

artibus nec non et magistrorum eamndem artium theotogica facultate

instruendorum, ad habendum, tenendum et possidendum, cum omni-

bus et singutis ad istam domuut seu ipsum tocum spectantibus, et cum

omni jure et actione sibi dictisquc pauperibus scohribus et magistris

pro ipsa domo seu ipso loco aut eidem domui seu loco pertinente, pro

pretio mille tibrarum Parisiensium. Quod quidcm pretium idem prior

generalis confessus fuit et in veritate recognovit se habuisse et récé-

pisse a pnefato domino cardinati, exceptioni non dati et non soluti

pretii omnino renuntians. Quam quidem domum seu locum cum per-tinentiis et juribus omnibus idem venditor se, nomine ipsius Domini

cardinaUs et pMedictorum magistrorum ac pauperum, constituit possi-

dere, donec idem dominus cardinaUs et dicti pauperesac magistri per

APPE~MŒ.

Page 308: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

~XCmSMMS MtSTOMQFES ET PMtLUSOPHtQt~S304

se vêt per alium aut alios possessionem dictœ domus seu dicti toci ac-

ceperint corporalem, quam accipiendi sua auctoritate ac retinendi dc:n-

ceps eis licentiam omnimodam dedit. Promittens per se et fratres dictiordinis prœtato domino cardinali et dictis pauperibus ac magistris sti-

pulantibus litem vel controversiam eisdem domino cardinali ac aliis

pra'dictis de dicta domo seu loco ac ejus juribus et pertinenciis aut

a!iqua parte ipsarum ullo tempore non inferre, nec inferenti consentira,sed ipsam domum seu locum cum pertinenciis ante dictis ab omni ho-min~ et unh ersitate tegitime defendere, et ipsum dominum cardina-icm ac prœiatos magistros et pauperes in potestate facere potières. K<si quo tempore lis, vel questio aut controversia quocumque jure volmodo de domo seu loco de Cardincto et pertinentiis supradictis tnove-bitur cisdcm domino cardinali vêt pauperibus aut magistris, ipsamlitem, questionem seu controversiam idem prior et succossores sui,dicti ordinis priores et fratres in se recipiant, quando et quotiescum-que eisdem fuerit denunciatum, etc.

Actum Romm in hospitio prœtati domini cardinalis, prœseniibus re-

ligiosis viris, domino Deodato de Severiaco, priore de Toleniaco, Lec-torensis diocesis; fratre Johanne de Brayo, canonico VaUis Scolarium

Parisiensis; et magistris Simone de VaMeregia, capicerio ecctesitpSancti Stephani, de Gressibus Parisiensis; Thoma de Gayssard, Am-bianensis diocesis, capellano supradicti domini cardinalis, magistroJohanne de Caserta, canonico ecctesiœ sancti Audomari Morinensisdiocesis, ac fratribus Roberto de Monterubiano, Gregorio de Luca etAtexandro de Sancto Elpidio, ordinis ante dicti, testibus ad hoc vocatis

specialiter et rogatis.Et ego Blasius notarii Mathei de Sugio publiens apostoUea et impe-

riaMauctoritato notarius. etc.

(Archives nationales, S. 6392, n" i7.)

M.

Universis presentes litteras inspecturis decanus et capitulum Pari-siensis ecclesie salutem sempitemam in Domino. Noveritis quod nos,pensata et considerata utilitate nostre Parisiensis ecclesie, et amore

atque aCëctione reverendi sub Christo patris ac domini, domini Joan-nis, Dei gratia tituM sanctorum MarceMiniet Petri presbyteri cardinalis,erga eandem ecelesiam nostram et capitulum Parisiense qui domum etlocum de Cardineto quem prier et fratres Ordinis Heremitarum sancti

Augustin! antea habebant et habere sneverant FMisius in vico Sancti

Page 309: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEN AGE. :«t&

MCKMMM MMeM<tt:M. <<'

Victoris. nuper omit ab Ho<tcm priera et fratr!bus. idque ad opus

pauperum schotanum stndfntium in tibcrattbus ariibus, n<'c non

in thooht~icaiacuKatpinstru<'ndorMm,Mt ibidem coMcgimn eri~rct.

c«j)ts htci seu coMo~iisnpcrioritat~n idctn r~<'rendus in Hhrist~ pair''

.te domino dominus J'*ann<'scardinatis d<'mandavit dotninis cpiscopo ''<

d<'ca))'t crptes:e t'aris)ens!s,votuitquG ut i)d<'nt tna~i~trum dicti coth'g);

cti~re, <'totectum d e causa amov<w, et athun in cjjus ttM'umidotM'MMt

subr<~aM vatercnt atquc insuper ma~istrMtnShnottom de thtibfrvina.

< anun:cmndtftf! <'cct<'sioParisicnsis, prhunm ma~ii'trmn dicti coU~ii

essp wdinavtt Nos cons:d<'rantcs hcc <'ta!!a b'-nctioa p~r d)ctu!n r~-

vercndum pattcm dotninuot Joanncm C.ud!nah'tn nubi'! at!as et t'cct''

si<' tM~hc hnpft)~, fircutnspectamquc patcrnitatis ipi!!us prMdcntiant

Mobiset cpctcsK' n'être pn'dift<' suc)'<<:s!vistcntporihMs D''o pn'pit!~

pt~dcsse sperantcs. habita ct!ant "Mpcr hoc dt'Hh<'raHom' ptent'tn'.

pn'c;hus et votis r'-vprcndi patns cardinat!a annuore votent<'s, b~ni~ni-

tcr, j)uc con~hc et dominii quod MbftMmus s))p<'<qnatuur i)tp<'Mh<

tprr'' vct drcitcr, situaia in dicto tocu Catdit«'ti, vendita atqMc atnur-

tisata ffatri JuvcnaH, vicario ParisiMs rcti~iosi vi)i fMtn<«:h'm''ntts.

priuris ~oncmtis Fratrutn ttc~mitarutn ordinis sancti Au~usUnt. vie''

et notuint* dicti pt-iuris et totius otdinis, ut :patet tittt'ris supct' t'a n'

factis unno Dotuini M"<x""rttta~'simo v", rt'v'rcndu pain et dunnno.

dotni)M Joanni Cardinati, et magistris ar schotaribus dict<' dotnns,

causatu ejus habit uris, tradidimus conccsshuus p)-<)pn'<io duc.'n-

tarunttibratmn Pansicnsinu~jatn n«bisadictu rcYt'rcndo patn' dominn

(~ardinati ttaditarum in pt'cxnia nonfrata. de quo ad ph'nutn nos N f

ctesia nosit-a quittavinms pn'dictum doutinnm cardinatt'm et tna~ish~s

et sphotare<idicte domus, tenGntns nos b''nc patates, cfd~ntt's <'is <'x

nunc, ut perpctuo in eos ut fMtnn succ<'ssorfs, sivc ab pis causant

habituros. pcnitns tnntsfct~ntt's dictum jus c~nsivc et doutinii quod

hab<'baatus aut pcrcipcre poteramus ex prcdictis quatuor a)p''ntis

terre, etc. Datum anno Domini M"ccc"dfcimo die martis post ihan-

dones. In cujus rei tcstitMooium pres<'nh's titt~fas sub cadcm data

nostro sigit!o ff'citnus roborari.

(Archives nationaics. S. <:3! n" 4.)

))!.

PhiHppns, Dei gratia Francorutu rex, nutttm tacimus «niversis tam

presentibus quam futuris, quud cum di!ectns et spcciatis amicus nos-

ter, Johanoes, tituU sanctorum Marce!tini et Pétri presbyter cardina-

Page 310: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCmSMXS tHSTOMQt ES ET PtMKtSOPtMQfES3"a

Us, domum d<?C:<rdin<*toque fuit Fratrum ordinis HcrpmitarMm sancti

Augustini, et in 'pta hahcs ipsi tuorari soh'baMt, t.ihnn Parisius in vicoSancti Victoris, conti~uam ex una parh' <L'mibu!<Sanfti Victoris ut t'xutia part'' dontui Bonontm Puornrum, <'t a parte mf~rion donubusSancH Bt'rnardt <'t)nnr!'<civitat!~ CHm~uibusdantatos dunubusconti-

guis, jar<Uni~, ptatfis p<pertin~nois d"mornm ipsannu du'h)m ac<j)n-si<'n<ac dmaos tpsas cutu appendictis t't pcrHnoncu~. suptadtctis proHso ''t inhabitacione paupcrutu maj~t'.tr~'nnn et scutanum Pari'-iu« stu-dpncimn conc~ss~rit et deputaverit intuitu pictatis~ X"s pju!' taudabttom bac parte prop0!<!tmn con)nn''ndantes. Htudquc bcnevutu pros<'(ptt'n-tcsaH~ctu, fjus in hac part'' d''vot!s precibns ann)t''nt< acquisittonctnpredictaot !.<udanuts. vohuuu~ ''t apptobumus <'xpn's< t't ex «'rtast'!ontia auctoritatc rc~ia c'mtinnatnus.

Actum in abbatia ~anc!~ Ma)if M<dis ptope Pontii-xaram, anno Do-tnini nuttpsitno tr<'Ct')tt)'-nnt' )U)d''<hno tncns<'jnnii.

iArchhes nationatt' tr'~ut <!<"<(~art~s, ~y. JJ, M;, pn'ce 20.

tV.

J~~«t< <«ac lettre f/f dettx /Mo/CMfK~ f/« Co//fye ~M <arf//KH/~wo/MC f< ~a~Acr~Mc de Paris, m'M!.

Monseigneur,·

Le cours de t'aGaire dans laquelle s'e sont trouvés insensiblement

engagez la pluspart des Professeurs du collège du Cardinal Lemoinecontre M' leur Principal. leur ayant fait connoistre que c étoit à Votre<!randeurà qui il ndtoit s adresser en qualité de supérieur dudit cottegecomm<*à l'arbitre des ditïerents qui y arrivent, nous venons avec con-fiance en la bonté de notre cause, vous prier, Monseigneur, de vouloirbien examiner par vous même si nous avons tort ou raison. (Juelquesoit le succès de notre entreprise, nous nous rejouissons d'avoir pourjuge un Prélat aussi ectaire et aussi zeté que Vous t'etes. Monseigneur,pour que tout soit dans t ordre.

Avant que Votre Grandeur puisse juger de ce dont il s'agit, il estnécessaire qu'on lui fasse un récit également Bdete et succint de ce

qui a donné occasion à 1 auaire qui nous fait recourir à elle.Le <3'*mars il arriva audit College un désordre dont on a parte dans

tout Paris. )P le Principal voulant punir quelques philosophes qui man-

quoient de respect pour lui et qui avoient rompus (sic) quelques car-

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A TBAVKBS M: MttYEN U:E. :«t7

reaux de vitres et une serrure dans ledit cottege, s'avisa do faire venirsix soldats aux gardes armes, tesquets furent bieutôt suivis de quelquesautres. M.le Principal étant entre en Logique a ta teste de cette troupelorsque tout etoit fort catme les soldats tirèrent t'epee, et M'te Prin-

cipal désigna ceux qu'il vou!oit Hure prendre. Us se saisirent de deuxmais it n eu resta qu un entre leurs tuaius. tts menèrent ce malheureuxdaus t appartement de M'te Principal qui avoit dessein de lui fairedonner te fouet mais tes soldats refusant leur ministère pour ceta. illui fit t'ter son justaucorps, et lui donna tui-mème, à ce qu'ou dit. ptu-sieurs coups d'une dist iptiue taitte de cordes. Après ce traitement, lessoldats le conduisirent comme un criminel, t epeetirée, hors du couche,par la porte qui mené a cette de Saint Hernard, n'ayant pour tout ha-bit qu'une veste.

Cette scène s étant passée eu Logique, il voulut eu donner une se-conde en Physique: mais tes physiciens qui avoient entendu le bruict

qu on vcnoit de faire chez leurs voisins, se barricadèrent dans leurclasse, craignant qu on en voutut aussi à quelques uns d'entre eux. ttsavoient raison de craindre; car eu~ctivement t orage vint fondre sureux un moment après. M"te Principal se présenta avec sa suite, com-manda qu ou ouvrit la porte, lu voulut faire enfoncer, trouvant de larésistance. l.e professeur, qui craiguoit qu it n'y eût du sang répandu siles soldats entroient, parce qu'i! tes voyoit animes et résolus il se def-fendre, tint bon a la porte. Un lit apporter une èchettc pour entrer parune croisée au dessus de ta porte, où il n'y a qu'un châssis de papier.t n soldat des plus hardis étoit prest de jetter bas te châssis pour setaire passage. Le tumulte etoit si ~rand que les voisins et tes passantss'attroupoient aux portes. Les uns étoient montes sur les pites de bois,et les autres avoient mis ta teste aux fenestres pour estre témoins dece tragique spectacle. Il sert ut infailliblement arrive du malheur, siles professeurs des autres classes qui furent obligés de sortir, n eussentcontenu les écoliers dans le devoir, et s its n'eussent empêché t exécu-tion du projet de M~le Principal. Ils tirent retirer te;<soldats, et ce nefut pas sans s'attirer beaucoup d'insultes de la part de ces gens lu.

A la fin, M*~le Principal se rendit &la raison qu'il n'avoit pas voutuécouter dans la première chaleur. On lui Ut sentir qu'il perdoit entiè-rement le cottëge par un tel procède; qu'il yavoit des voyes plus dou-ces et de moindre éclat dont on "e servoit dans t'Universit~, quandil s'agissoit de punir un ecotier. Xos remontrances produisirent t'euet

que nous en espérions, 11donna ordre aux soldats de s'en aller, pro-mit aux physiciens qu'it ne leur feroit rien, et le trouble cessa de lasorte.

Page 312: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCmStOXS tMSTOMQUKSET PHtMtSOPHtQtJES308

La frayeur et la consternation de tous tes esprits, loin do diminuer,redoubla par les réflexions qu'on eut le tems de faire au danger auquelavoit exposé et les maistres et tes disciples l'imprudence de leur chef

tes uns et tes autres en étoient également indignés. Les parents des

Écoliers furent bien plus irrités, quand ils apprirent ce qui s'étoit passé.Ceux de l'ecolier qui avoit été maltraité formèrent aussitost leur

plainte chez un commissaire, et en suite chez M~te Recteur qui nous

fit appetter le landemain (sic) pour rendre témoignage de ce que nous

scavions. Nous ne trahimes ni la vérité, ni nos sentimens. On ordonna

dans cette première assemblée une descente sur tes lieux; ette se ut

quelques jours après; nous nous y trouvâmes et on nous demanda ce

que nous croyions devoir contribuer à l'établissement d'une bonne

discipline nous dfmes de vive voix ce que nous en pensions, et en

conséquence de ce, nnus ffmes les demandes qui sont le sujet de la

contestation d'aujourd'hui. On dit de présenter requeste nous l'avons

donnée, signée de six de nos confrères. M"le Principal s'est soumis à

la juridiction du tribunal de M~le Recteur, puisqu'il a comparu trois

ou quatre fois sans demander de renvoy. Cependant lorsqu'il a préveu

que le tribunal ne lui seroit pas favorable, il a eu recours à un déctina-

toire fondé sur un arrest du Conseil d'Etat du Roi qu'il dit avoir, par

lequel toutes les affaires concernant ledit collège sont renvoyées pardevant vous, Monseigneur, et ses deux autres supérieurs, savoir M" le

doyen du Chapitre de Notre Dame de Paris et chancelier de ladite

Université. Le tribunal lui a demandé coppie de t'arrest, et c'est ce

qu'il n'a pas encore exécuté depuis près d'un mois.

Voila, Monseigneur, en quel état est cette affaire. La quinzaine de

Pasques n'a pas été un iems propice à la poursuivre. M' le Principals'en est servi à détacher le pins qu'il a pu de nos confrères, tes uns

par des motifs d'interest part)i"utier, et les autres en les intimidant. Il

y en a qui se sont retirés ou qui n'ont point voulu prendre de partisous prétexte qu'on n'obtiendro:t rien. Celui qui porta la parole pourtous devant le tribunal n'a pas signé la requeste pour cette raison.

Pour nous, Monseigneur, qui sous une cause commune, nous voyonsabandonnés de nos propres confrères, nous faisons ptus de fond qu'euxsur votre équité, etc., etc.

Signé L. BEcuM, professeur de 5*\

GcschT, professeur de 3".

Page 313: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

L'Ui\!VKHS!T~ i)E PARIS

AL'Kf'QUH

DE LA DOMtXATtOXAX<,LAiSE.

Page 314: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen
Page 315: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

L'UNIVERSITÉDE PARIS

AL'EPOQUE

DE LA DOMiNATtONANGLAISE.

Extrait clu Bulletin de Mca~MMe des 7t!ac~<<o)Met Be~-Ze~'M

des MMM<~yM<~ août 1870.

Les historiens racontent qu'après la victoire de Bouvines leroi Philippe-Augusteécrivit à l'Universitéde Paris « LouezDieu,très chers amis, nous sommes sortis vainqueurs de la bataille la

plus terrible que nous ayonsjamais eue à livrer (i). »Il y avait alors quatorze ans que les étudiants et les maîtres des

écoles de Paris avaient obtenu du roi certains privilèges quidonnaient à leur corporation une existenceofficielleet authenti-

que. Apeine constituée, cette corporation puissante se trouvaitassociéepar la dépoche de Philippe-Augusteà la politique royaleet aux intérêts nationaux.

Cespremiers liens, ces liens patriotiques entre l'UniversitédeParis.naissante et le pays déjà fier de la posséder, s'étaient res-serrés de siècle en siècle, tant par une communauténaturelle desentimentsquepar l'effetdes services rendus, lorsqueles désastres

(t)«L<HK)ateïteum~cartMtmt,qntanunquamtamgravematHictnmevae!mu6.o(?<<MM~M~J~~ t, XiX.tt.aM.)

Page 316: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

an EXCMt8KM<SHtSTOMQUESETPDMt.OSOPiMQUES

du règne de Charles VI et la démence de ce prince mirent unepartie de la France aux mains des Anglais.

Dans'ces douloureuses conjonctures, il n'appartenait pas &I U-niversité de retenir l'État sur le penchant de sa ruine; elle n'enavait ni la mission ni le pouvoir. Mais elle parut alors céder tropfacilement au cours des événements politiques. Son attitude rési-gnée ne répondit pas aux espérances des bons citoyens, et ne futmême pas toujours digne du rote que l'École de Paris avait joué.depuis la mort de Chartes V, dans les anaires de la nation et danscelles de l'Église.

C'est un tableau assez triste que celui des défaillances, mêmeexcusables, d'une grande institution qui, après avoir servi, nonsans éclat, le pays, se détache de sa cause par faiblesse et parégoïsme. Cependant ces défaillances appartiennent à l'histoire etne sauraient être couvertes par son silence. C'est le motif qui nousa engagé à écrire les pages qui suivent, dans lesquelles nous es-sayons de retracer la physionomie et les actes principaux de l'Uni-versité de Paris à l'époque de la domination anglaise.

Nous ne parlerons pas des tribulations que l'Université eut àsouffrir à la suite de la prise de Paris par le duc de Bourgogne ent4i8. ni du massacre et de la dispersion de ses maîtres les plusillustres, ni de l'exil volontaire de Gerson, ni du pillage descollèges. Nous ne mentionnons ces événements, antérieurs dequelques mois au triomphe des Anglais, que pour avoir le droitd'ajouter qu'ils sont la meilleure explication de la contenance ré-servée, et à certains égards blâmable, que l'Université gardaensuite durant plusieurs années.

Après la mort tragique de Jean sans Peur à Montereau, lorsquedes conférences étaient sur le point de s'ouvrir dans la ville deTroyes pour le rétablissement de la paix entre le roi de France, lenouveau duc de Bourgogne et le roi cl'Angleterre, l'Université deParis fut invitée par Charles VI à venir prendre part à la déli-bération. Pour la représenter, elle désigna sept de ses membresles plus notables, maîtres Thomas Lemoine, Jean de Boissy, JeanManson et Jean Beaupère, tous quatre maîtres es arts et docteursen théologie; Guillaume Enurie, maitre es arts et bachelier en

théologie; Jacques Saquespée, maître ès arts et docteur en mé-

decine enfin, Pierre Cauchon, le futur évoque de Beauvais, alors

Page 317: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TMAVUMSLK M(tYE!< A<:E :<t3

simple licencié en décret (<). Il est a présumer nue tous ces

personnages siégèrent dans les conseils multiplies qui forenttenus, selon Monstrelet (2), dans tes derniers jours du «Misde MM).en présence du roi, de la reine et du duc de Bourgogne, et quipréparèrent le traité de Troyes. t/~niversité de t'aris, en ta

personne de quelques-uns des siens, eut ainsi ofnciettement s<t

part de responsabilité dans ce traité funeste qui, au mépris deslois de ta monarchie, dépouillait le fils de Charles M et livrait laFrance a l'ambition anglaise. Kn des temps meiMeurs. eUe eutrallié autour d'elle par d'énergiques protestations tous (eux quimaudissaient un pareil traité, « /MM~'<y~~ f/'<'M<<'w/f'M<fw~,Il

comme s'exprime Juvénat des Ursins (:<), « ~w A' ~M/M~~Mt</A'w<ï/p< ~<?~ » mais dans ces jours de trouhte et d afMic-

tion,, décimée par les factieux, ayant perdu ses chets tes plusuonn6tes et les plus respectés, épuisée par ttmt d'épreuves et a

demi ruinée, elle ne songea qu'A son propre saint, et mit ex-

clusivement ses soins, durant quelques années~ a sauver les privi-lèges deux Msséculaires qui étaient la base de sa constitution.

L'inuuence que les avis et les démarches des députés de l'Uni-

versité ont exercée se reconnatt aisément dans tes articles du traitéde Troyes qui garantissent aux bénéficiers la possession paisiblede leurs bénéfices, et aux églises, universités, études générâteset collèges d'étudiants la jouissance de leurs droits, prérogatives,libertés et franchises (4). Cependant, et si claires que soient tes

promesses contenues dans ces articles, peut-être ne furent-ettes

pas jugées suffisamment explicites; car, peu de temps après la

conclusion du traité de Troyes, l'Université de Paris envoya dans

cette ville deux nouveaux députés, M'Philippe Marescat, procureurde la nation de France, et M"JeanBasset, qui, sous le nom de promo-teur, représentait la corporation près le tribunal du conservateurde ses privilèges apostoliques (5). Mesleur arrivée, Marescal et

(t)DuBoutay,WM.~p., t V,p.3t3.(9)C&fOM<ot)ede Monstrelet,édit.de la SndetédetMBtoircde HrMfe,t. Ht,

p. 378 « Et en aucuns briefa jonK enaatvaos furent aMetnhtezptnfiienrs< nnsautt)'nla

ptésencedu roy, de la royne et da duc de ttonreogne, pour avoir advis sur la patï. u

(3)Histoire de Charles VI, dans la cettect. Michandet Poujoutat, p. 557.

(4) CAtwt~Mede ~e<M<fe~, t. Mt.p. 3Wj;CAfOM~«edu <-e~<et<~de A~M<.

B~H~, pobt. et trad. par M. Betta~uet, t. Vt, p. 42t.(5) DuBoulay, ~<. t~fN.. t. V. p. 3M.

Page 318: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXr~BStOXS )USTOMQtT!S ET PtMMSOPMtQt ES3t<;

Bassetdevaient se mettre en rapport avec ceux de leurs collègues.enfants et suppôts comme eux de Université, que renfermaitalors la capitale de la Citampagne; ils devaient leur rappeler leursserments d obéissance et de dévouement filial envers Décote deParis, et les conjurer de lui venir en aide dans la circonstance

critique on elle se trouvait. Pierre Cauchon commençait Aêtre encrédit singulier auprès du roi d'Angleterre; aussi les instructionsdes deux ambassadeurs signalent-elles Pierre Cauchon comme un

personnage important, qui peut leur prêter 1 appui le plus utile,qui se chargera de parler à Charles Vt et qui saura disposer fa-vorablement Henri V.

i! s'agissait de représenter à Chartes Yt ta situation déplorablede i Université, les cruelles vexations auxqueties, en dépit de ses

privilèges, elle était en butte, les lourdes charges qn'eutnuuaitpour ses écoliers et pour ses maKres le service de jour et de nuitsur les remparts et aux portes de la ville, service qu'on exigeaitd'eux avec rigueur, au grand préjudice non seulement de leur

tranquillité, mais de leurs études. Mais a quoi bon ces lamenta-tions ?Xavaient-elles pas été mitte fois exprimées? Klles n'appre-naient rien de nouveau A Chartes Vt; loin de là, par des édits

récents, par de pressantes recommandations adressées soit aux

généraux commandant les troupes, soit au lieutenant de police (i).le malheureux prince avait fait ce qui dépendait de lui pour épar-gner aux étudiants les tristes effets de l'état de guerre. Ce quiétait plus opportun, et ce qui nous parait avoir été le véritable

objet de la mission connée AJean Basset et A Philippe Maresca!,c'était d'amener le roi d'Angleterre A exécuter loyalement les ar-ticles du traité de Troyes en faveur des gradués de Hniversité, pos-sesseurs de béné&cesecclésiastiques, ou inscrits, selon l'usage, surle rôle deprésentation, pour être pourvus à la première vacance. Lalettre comme l'esprit du traité voulait que les droits des uns et desautres fussent respectés; que ceux-ci ne fussent pas troublés dans la

perception de leurs revenus, ni ceux-là frustrés dans leurs espé-rances, même quand les bénéfices dépendraient de la provincede Normandie, la récente conquête des Anglais. L'observation

loyale des engagements contractés onrait d'ailleurs d'autant moins

(t)LeUïMdu19juin t4t9,et des ta et 25avriltMO.

Page 319: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MUYKX A<.K. ;«:.

d inconvénients, que les négociateurs de la paix de Tt~ s na-

vaient pas stipulé pour tons les liénénciers indistinctement, sons

quelque iMumiere qu'ils se fussent enrôlés durant les troul'ies du

royaume, mais seulement pour ceux qui rempliraient les clauses du

traité, qui feraient serment de s'y soumettre, et qui se montreraient

sujets fidèles dn roi <tet tance, partis~ms (Mvoucsdn duc d<'thun

pt~Ht*. c<'qui voûtait dir< alors, ennemis du dauphin <'t phn"t

An~tais que vcrUahh'nM'nt traacais. Il s<'mhtaH <pt<t<' M'rm<'nt

n<'dut ~trc exi~M<pt<'des (an<tidats aux Mn~tices: est n~ditc, s n

faut en cttHro Thomas MaxiM(t ), il fut huposë. aussi hm~'mps <pu'dum la domination an~taiso, a tous tes ccotict~ candidats aux

gt'adfs, dans <pM4qu<*facutt~ <pt<'ce fut. L't niv<'t~it~sp t~i~na.non sans douleur, nous aimons Ale croire, Acette dutr- condition

ette fit seulement pt~poser, par For~ane de M~Marescat et de

M°itasset, que le serment en question fttt prêté entre tes mains du

recteur, et qa it pût être prouvé pur un simph' certificat de ce

magistrat, dont !a signature devait faire foi devant t auto~te supé-rieure et dispenserait de tout autre temoi~najue.

H est constant, par le temoi~na~e de Thomas Haxin, que ce

dernier point fut accordé: quant aux autres, nous ignorons quet

fut exactement le restdtat de !a mission contiee saMareseat et ai

!tasset; mais, quelques semaines plus tard. t t'niversitc envoyait

en députation vers Menri Y deux députes nouveaux, Jean de

ttonesquc et Eustache itu Mesnit. (~'ux-ci avaient pour instructions

de ~gner tout d'abord tes bonnes ~t~ces du duc de Hour~otrn''

et de son conseiller, Jean dp la Sautx. seigneur de (~urtivron,

celles de Farcheveque de (~antorttéry et celles de réveque d'A-

miens. Il leur était aussi recommande de mettre a profit. dans

l'intérêt de l'Université, le crédit de jour en jour croissant de

Kerre Cauchon, récompensé depuis peu, par t'éveché de t<eau-

vais, de son dévouement à la cause anglaise. Les points a dé-

battre et à obtenir étaient d'ailleurs les mêmes qui avaient fait

l'objet des requêtes précédentes, c'est-à-dire l'exemption du guet

et des autres charges militaires en faveur des supp"ts de t't ni-

(t) W~or.CaroHy~ Mb.1.1.xn, 1.1, p.36det edit.d«M.QnMtcMt <j(MM.diuUtu~MitasParMenaMma<MHaubohedientMAngtorMMt.nmnft!<f)M)a!!tKt.siad

gradMMath~emmqtmcumqtK'facultateptomo~'hantur.inh'ralia,htMannn'ctwum

tMvcMUaUs,hujusmodipaccmseservatnM~McrNMBtotirmaMad~t'bantttr.

Page 320: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

KXcmstOXS HtSTOMQt ES ET PHtLOSOt'H~KS3)<i

versité. et t'octroi de tettres patentes pour garantir aux tténé-neiers et aux gradnés le complet exercice de tours droits sur lescures, prébendes et abbayes du royaume, même quand ellesseraient situées en Normandie (i).

Si ces requêtes t~pétées trahissaient chez leurs auteurs despréoccupations un peu étroites, elles u avaient rien d excessif nid insolite; et comme elles ne paraissent pas s'être renouvelées.tout porte a croire qu eti<~ furent accueitties. Mais t't niversité de!'aris pouvait déjà pressentir. elle comprit mieux encore par liasuite que le joug de retracer serait pour ette ~tus tourtt a sup-porter que iautorité patemette des princes -te la maison deFrance.

Au mois de décembre suivant, Henri V faisait son entrée A!'aris. et comme il udvient fré<memment en de telles conjouc-tures. un des premiers soins du monarque victorieux fut de con-voquer une assemblée de notables oit ne siégèrent que ses par-tisans de réctamer des subsides et. comme conctusion, de frttpperles habitants d un impôt extraordinaire déguisé sous lit formed'un échange, (trdre en cOet fut donné a chacun de portera t ho-tel des monnaies une certaine quantité de mares d'argent pro-portionnée il sa fortune, et en échange de laquelle il devaitrecevoir des espèces monnayées, mais avec perte d'un huitièmesur les valeurs métalliques déposées 2). En vain H'niversité. in-voquant ses vieux privilèges, s cHbrcad'échapper a ta toi com-mune. en vain ses écoliers et ses maîtres portèrent en suppliantsleurs réclamations au pied du trône; Ju vénal des Ursins nous ap-prend ce qu iis ~a~nèrent à cette démarche « Msfurent rebutés,dit-il, par le roy d An~-teterre qui parla hautement Aeux; ils cui-dèrent répliquer, mais al la fin ils se turent et départirent; carautrement on en e~t logé en prison. Alors aussi Mtoit-it dissi-muler par toutes sortes de personnes, et accorder ce qu'on de-mandoit ou autrement on les eust tenus assez légèrement pourArmagnacs. »

()) ttana notre 7'M~Mc&~tt~o~ctM c&«t~t<M~<MtM««m a~ Ab~ftMM <y«<-Pc~t~Mt PartMCMM, n~ MCt~XYt.)Mosaton:. paMié te texte dM instntcHMMqui<)tn'ntdonn~Mà J< aMd~Botte~ue ft à Eustache Du MesaM.

(2 Jawna) des Uratas. W< de Charles VI, ceUett. Michand et Poujoatatp. M2; Vallet de V!riviMt'.Hist. de CA<tf<e< t. t, p. 237.

Page 321: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSH! MOYENA~E ~t7

Cet écnec, non moins douloureux pour sa fierté que fuueste Ases intérêts, ne mit pas fin aux sollicitations de ITniversité; carun mois ne s'était pas écoulé, qu'elle se décidait à députer de nou-veau vers Henri V, alors ARouen. M*~Basset, que devaient accom-

pagner Jean de la Fontaine, maKre es arts, bachetier en droit

canon; <:mHaume <:ui~rnon. mattre es arts, bachelier en droitcanon et licencié en droit civil; enfin Pierre Amioi, mattre esarts et ttachetier en droit canon (i). t'armi les attires tpti de-vaient être humMement recommandées au roi d Angleterre, nous

si~fnaterons le payement des ~a~es de M~Paul de Bonnefoy, quienseignait alors la tansrne hébraïque dans tes écoles de Paris.Henri V avait promis eu sa faveur une allocation de !<? fr., sur

tesquets 50 seutement avaient été payés, et il salissait d'obtenirle payement du surplus (3). Nousvoyons ugrurcr pour !a premièrefois une autre réclamation ayant pour objet d'assurer aux éco-tiers et a leurs mattres la ~cutté de circuler librement dans !e

royaume, tant par eau que par terre, avec leur bagage et lesenets à eux appartenants, sans être assujettis à aucun droit de

péa~e. C était ta uu privitej!?caccordé de tout temps aux suppôtsde Hniversité et qui ne pouvait ~uere lui être eutevé ni mêmecontesté en principe. bien qu it fut exposé, en des jours si troublés,a de fréquentes violations.

Au mois daoùt H3t, tandis que Henri Vassiégeait la ville de

Ureux. nous trouvons encore la trace d'une députation qui fut

envoyée vers hti pour implorer sa royale protection auprès des

évoques et même auprès du saiut-sié~e, en faveur des graduésde Université, candidats aux bénéfices ecclésiastiques. La col-lation des bénéfices donnait tieu alors à beaucoup de discus-sions dans rËgMse et même dans Fécole, par la difficulté de

concilier les privilèges des gradués et les droits des coltateurs. Lesdocuments recueillis par MuHoulay sont incomplets et ne laissent

pas voir clairement ce qui se passa devant Dreux entre les en-

voyés de l'Université. U en ressort cependant qu une discussions'éleva entre l'évoque de Paris, Jean Courtecnisse, prélat très

(<) fttf~c~ eAroM~<c<t<. p. 245.

(2) VoyH! notre <~r!t, De re<Mf~«eM<'N~ < f~6~<'M dates fCTt«w~t~ de P<t~<.

')M{, avant d'«fe publié à t<art, avait )'ant dans la Revue des .~c«'~ .wtWH~M,avril <863.

Page 322: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

318 EX<tTtStOXS HtSTOatQrES ET t'H~ttSOPtMQFKS

mal vu de la faction anglaise, et M"Jean BeaMpère, de ta Facultéde théologie, dévoue aux intérêts de cette faction. On ne par-vint pas ti ~entendre. et la députation dut regagner Pâtis sansavoir conclu a rien, ni rien obtenu. A son retour, eHe fut ac-cneittie an ctoitre des Matiturins par l'explosion du mécontente-ment générât, et une partie de tassetnbtée invita te recteur asévir contre ceux qui avaient si mal servi les intérêts de la com-

pagnie '< Peut-êtrefaut-il rattachera cet incident !a retraite deJea't Courtecuisse. qui peu de temps après quitta le siège de Paris

pour aller occuper celui de Genève.

t/année suivante, a quelques semaines de distance, moururentHenri Yet Chartes M, l'un le 3< août. l'autre le 2< octobre i~,Aux termes du traité de Troyes, H niversité de Paris devait re-connaître te fils de Henri V, qui. il peine âgé de quelques mois,venait d'être proclamé roi de France et d'Angleterre, sous lenom de Henri Yt. Trop empressée, pour sa gtoire, de faire actede soumission il ta domination étrangère, eue se hâta de faire

partir pour londres deux de ses maîtres. Jean Beaupèro, quenous avons déjà vu paraître tout à t heure, et Jean Saquespée, dela Faculté de médecine. Ils étaient porteurs de lettres de créance

près ta reine mèrf et le duc de Glocester, qu ils avaient missiond entretenir « d'aucunes choses, disent ces lettres, touchant la

seigneurie de notre souverain seigneur Henry, roi de France et

d Angleterre, et la paix d'iceux royaumes (2). MCes démonstra-tions prématurées de dévouement obtinrent la récompense qu'el-les méritaient: et, dès le mois d'août H23, parurent des lettres

patentes de Henri VI qui étaient conçues dans les termes suivants

Henry, par la grâce de Dieu, roy de France et d'Angleterre,au prévost de Paris et à tous noz séneschautx, bailli", prévosts,vicontes, et autres noz justiciers, officiers et subgez, ou à leurs

lieutenants, salut. De la partie de nos très chiers et bien amezles recteur, maistres et escoliers de notre très chière et très amée

fille, 1 Université de Paris, nous a esté exposé en complaignant,que en plusieurs pais et lieux de nostre royaume de France, ilzsont par vous ou aucuns de vous molestez, troublez ou empesehiez

(t) Da Boulay, N«< tM<c., t. V, p. 349 et suiv.(9) Du Boatay, Nf~. t~xr., t. V, 360 et 36t.

Page 323: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATBAYKHSm MOYKXA<.t:. .!<

en t exécution de leurs privilèges, d'ancienneté aeulx octroiex.desquels Hx ont joy notoirement <'t paisit~tement partant <'t httemps qu il n est mémoire du contraire, stms taquets ilz ne pour-t~tient vaquer ne entendre Mleur estude: tcsqu<lles motestatious.troutdes et empeschcments redondent a leur très ~rand ~rief.pr~udice et dommages; requéranssur ce notre provision d rt-tMé<t«;et pour ce, nous, ces <'h«st'scons;<!t~'<-cs,<*t, :)~'c ~raos<'t ummn~t'ahtcs tm'ns <'t fnus. <?< <antMMantp!~in<n. accMn*st-tMpntctd~t~'o'M' d<' la foy c.tthotMpt~ c<nttm< at<tr<'mct)t. s<'s<tut eMMMtet <<usuiv<'n<df t~tnps <n h'mps, n«n s<'nt<')n<'ntc«pntrc dit myanme de t'tan<'< ma:sjtfMncm!<'nt<'nten toxtoctms-ttante, et tes ~rans sciences, iatte<u's et dtti~ences d~ wtn' dx-tefille et des supposts d tcette; h's vodans pnMtfe favunser. en tantque setuMUieHet t-aison tah-e Je pouvons, en ensuivant te traictéde ta ptux nnat, fete entre noz très chiers seigneurs, a veut etpère, auxquels !tieu pantoint p<u tadvtsde nostre très chier ettrès âme onctejekan, n~ent nost~ myaume de France, duc deHedtbrt, avons oste et usions de présent tesdiz trouhtes et empes-cbemens, et voulons que tesdiz exposans jouissent de teurs privi-teges, selon la forme et teneur de lit paix dessus dicte. Si vousmandons, commandons, et expressément e~oi~nons. et il chacunde vous, si comme à lui appartendra, que tesdits troubles et em-peschements vous estez, et tesdiz exposants et chacun d eutx fêteset souffrez joir et user de ceste nostre présente voutente, seton saforme et teneur, sans tes motester, traveitter ou en.'pescher estaucune manière au contraire (1), M

bans les lettres patentes quon vient de tire, Henti VI, roid'Angleterre, tient le langage qui convient A son rôle: tout An-glais qu'il soit, il parle en roi de France, parce qu il porte ce titre.aux termes d'un traité qui subsistera tant qu il n'aura pas été brisepar la force des armes. Maisquels sentiments de tristesse et quett.'humiliation ne devaient pas éprouver tes vieux maîtres de lt ni-versité de Paris, chez qui les discordes civiles n avaient pasétouffé le patriotisme, lorsque sous leurs yeux cette grande école.qui s'honorait d'être appelée la fille aînée des rois de France, nepouvait obtenir la confirmation de ses privilèges que par lu

~t)fttdMct~Mtoh~cM,p. 947.

Page 324: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

3!" EXCCNStOKSMtSWMQUESETPH!MMOPH~ES

grAee d'un duc de Bedfbrtt, Ala condition de s'entendre appelerla iitte d'un MMtl'Angleterre!

A partir de <~23, tTniversité de Paris cesse d'envoyer des dé-

putations AMenrîVt et de lui adresser des requêtes. Était-ce qu ellefut satisfaite, ou bien avait-elle ia conscience de ne pouvoir rien

obtenir désormais? Ce qui n est que trop constant, c'est que lasituation oit elle se trouvait n'était rien moins que norissante. Le

nombre de ses écotiers avait sensiblement diminué, de même

que celui de ses maîtres. Au lieu de trente cours de médecine (luiétaient en pleine activité A Paris vers le commencement du

xn siècle, ou ne comptait plus que dix riquinze docteurs récentsde ia Faculté qui donnassent des leçons publiques (i). Les collè-

ges étaient en pleine décadence. Cetui de Navarre, un des pinsconsidérables, avait été dévasté, et ses ma Mresmassacrés ou misen fuite, lors du sac de la ville par tes Bourguignons en 1H8 (2).Vautres collèges, moins importants, étaient, faute de ressour-

ces. abandonnés par leurs principaux: et, bien qu'il se trouvAtencore des compétiteurs pour se députer les postes vacants, lecandidat prétéré ne trouvait le plus souvent que ta pauvreté etla ruine tAoit il avait cru découvrir pour lui des moyens assurés

d'existence (3).<:ettc lamentable situation, qui s'aggravait d'année en année,

se continua, sans incidents remarquabies, depuis t avènementdeHenri Ytjustpt Al'époque oit tes exploits de la Pucelle d'Orléans ra-nimèrent tout AcoupIespérancedansIecoBMrde ceux qui n avaient

pas subi sans une amère douleur l'autorité d'un prince étranger.

Cependant cette fois encore H nivcrsité de Paris, malgré l'exempledu chancelier (.erson, se montra infidèle à ces traditions de pa-triotisme qui taisaient naguère son honneur et sa force. A la nou-velle des combats-heureux livrés par les Français sous les murs

d Orléans, le pieux chancelier, retiré à Lyon au couyent des Cé-

lestins, avait pris la plume, et dans un écrit qui peut être consi-

t<)Voyezsar cepotntunen<ttede notre~)f/ffcAtwofo~ctM,p. 223,? 3.~j LMUMy,Ae~'tAlaparMC~~<tM«~«<oWc<ParMis,t677,in4".p. tM.(3)Dtt BoMtay,<fM~.< t. V.p.M5,dte fette déctarattondMpmcuMttrde ta

nattondeFrance e Met6 menaisma!!t4T9,<'oo(!regavinationemtraneiœ E~pMn!naüondr Fraace itie16mensismaüt42a,~aqre~vinatioaemFranciae.ExposuinattentquoderantptnmcoMegtanaHenbquœ<~oti)MedemoM<tnt)tr))MpterdeBM'tntnmagi~mntm.»Cf.<Mcf.,p. 950et Mt.

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A TB\Vt!as LE MttYEt ACE. ?<

déré comme son testament, car cet écrit est daté du H ma)<M!&et précéda seulement de quelques semaines la mort de l'au-

teur, il avait défendu Jeanne d'Arc contre les imputations de sorti-lège, d impiété et d'inconduite que !a faction anglaise commençaitIl propager (t). )! avait montré (lue, coml<attant pour son roi et

pour son pays contre des ennemis acharnés, la cause qu'elle dé-fendait était juste et sainte; quelle n'avait usé ni de fraude nide malétices contraires a la loi de l'Église que Chartes VMet souconseil ne s'étaient pas décidés sans de bons motifs a suivre ses

avis; qu elle s était conduite avec prudence dans ta guerre, ttn'avait jamais témoigné cette présomption ni cette témérité quiest une manière de tenter Dieu (2); qu'entiu tes œuvres qu'elleavait accomplies~ quette qu'en fût 1 issue, ne devaient pas êtrenécessairement attribuées a l'esprit malin, mais plutôt il la puis-sance divine. Tel était le jugement du chancelier Cerson surJeanne d'Arc. Mais sa voix n'était plus écoutée dans les écoles

qu'il avait dirigées si longtemps. L'Université ne comprit ni lecaractère ni la mission de la jeune fille inspirée qui sauvait la

franco; elle ne sut même pas rester neutre, et prit parti pour les

Anglais avec une ardeur aussi inconsidérée que pusillanime. A

peine Jeanne d'Arc fut-elle tombée devant Compiegae au pouvoirdes Bourguignons, commandés par Jean de Luxembourg, quel'Université de Paris se uAta d écrire il ce dernier et au duc de

Bourgogne (3) pour obtenir d'eux que la prisonnière fût remiseaux mains de l'inquisiteur de la toi ou de l'évêque de Beauvais,dans le diocèse duquel la capture avait eu lieu. Elle ne cacha

pas dans ses lettres la douleur qu'elle ressentirait de la déli-vrance « de cette femme qui se dit la pucelle, au moyen de la-

quelle l'honneur de Mcu a été sans mesure ouensé, la foi blessée,

l'Église déshonorée. S'il faut en croire Du Boulay, ce serait a

(t) Cet eertt de GeKon, pttbtx*dans le rancit de sea emvn's, <70C,in-fol. t. tV,p. M4, a ~té produit au pm<'<Mde )whaMt!tat!<tnde la Pucelle dOrMan! et rè!tn-

prhné à ce titre par M.JntMQmchcrat, P~oc~ <?~MMttcd'Arc, t. Ht, )'. 29Xet Mth.

(2) ffocét f~ ~'aMte <<fc, p. 3«t « P!c et satabrttfr jMtpst df pietate Odeift

devottonta sustinerl CMtMmitthMPofHte. pm'wrHm ex M«!<aSnatiqn<BjustisatmaMt. M!t!cet)feaMt<ttitt)f~a ad n'gnnm xamn, et t<<'rt!nac)Mtm«n)tn}tt!.t!-o.hMaK'pMM'tsm dt'MMo. x MM., p. 808 mPMnderandttm~t quod hœe poc)ta pt<'iadhaifent~MtMttan'sMa dim!ttnnt vtas hmnana' pfMdenHw.

(3) Procès A' Jeanne d'Arc, t. t. p. S ft suiv.~CCKi.MXSmtttuh! ~t

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a~ KXCURSKMSMtSrOMtQCES).rr DMLOSOPmQUES

l'instigation de l'évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, que l'Uni-versité aurait fait ces démarches (i). Je crains que, par un sen-timent de respect filial, le docte historien ne M soit trop hâté d'a-moindrir la part de déplorable initiative qui revient dans cetteaffaire à la grande école dont l'honneur lui était si cher. En cNet,1quelques mois s'étant écoulés sans que Jean de Luxembourg se futdessaisi de sa captive, on vit l'Université de Paris gourmanderla tiédeur de l'évoque de Beauvais (2); elle s'en prit en quelquesorte à lui-même de i'~ournement du procès qu'elle croyait urgentd'ouvrir devant un tribunal ecclésiastique (3) elle fit appel à l'au-torité du roi d'Angleterre (4) elle le conjura de mettre fin A«cettelongue retardation de justice qui devait déplaire à tout bon chré-tien, » disait-elle si bien que ce prince, en délivrant les lettrespatentes qui lui étaient demandées (5), se félicita publiquementde « déférer aux vœux de sa très sainte et très chèt-e fille, l'Uni-versité de Paris, et de dévotement obéir aux docteurs et maîtresde sadite très sainte et très chère.fille. »

Cesmaîtres es arts, ces docteurs en théologie et en droit canon,qui auraient du être les défenseurs de Jeanne d'Arc, et qui pre-naient les devants pour la condamner, cédaient sans doute à la

pression exercée sur eux par une faction dévouée à l'Angleterre;toutefois il faut reconnaitre, non pour les absoudre, mais pourexpliquer leur conduite, qu'ils obéissaient aussi à des préjugés età des ressentiments partagés par la grande majorité de la popu-lation de Paris.

Les Parisiens avaient fait l'expérience du gouvernement desArmagnacs, qui formaient le gros du parti de Charles VII. Ils serappelaient les impôts forcés, les exactions et les pillages qu'ilsavaient eus à subir, quinze ans auparavant, de la part de maîtrescupides et dissolus; et, quelque odieuse que fut pour eux la domi-nation anglaise, ils se résignaient à la supporter plutôt que deretomber sous le joug de leurs anciens oppresseurs. Aussi, quand

(<)Da Boulay, NM. CM<<t. V, p. 305 « Untvo-oKas,htsUganteM. Petro Caa.ehM, cptMepoBetvacen~. M-dpsÏtad dnceMBut~uadhe. ut eamËccteshBtmdefet.

(3)fMe~ de ~<aMtte<M<<re,t. p. <&.(3)~M., p. to e 8!threan t)tejus rei prosMuttoneVMtMpatemtta~dUigcaMampra'.bntMetacdoMm~BNneitt eedesiaoUMjndtcto causa pnBtahBmatteria afK'Mtnr.t(~ ftw~ de Jeanne <~rc. 1.1, p. <?.?) f6M.. p. ta et M.

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ATBAVER8t.EMOYENACE. 993

les troupes de Charles VII parurent sous les murs de la vilk-espérant remporter par un vigoureux coup de main, non seule-ment la Pucelle ne reçut des habitants aucune aide, ils ne tentèrenten sa faveur aucune diversion, mais ils s'unirent résc*ament auxAnglais pour la. repousser. Durant le combat, ils la traitaient de;MM7Mc et de MAaw/c (i); enrayés des représailles qui auraientpu accompagner sa victoire, ils regardaient sa défaite comme unedélivrance pour eux-mêmes; et, s'il faut en croire Monstrelet, ilsrenouvelèrent le serment de résister jusqu'à la mort au roi Charles,qui les voulait, disaient-ils, tous détruire (2). »Cette animosité etces terreurs presque unanimes des habitants de Paris furent cei-tainement au nombre des causes qui déterminèrent l'attitude del'Université. Ses instances réitérées, ses lettres, ses démarchespour décider le duc de Bourgogne et le roi d'Angleterre à fairejuger la Pucelle furent l'écho des malédictions que proférait contrel'héroïque jeune nlle une foule prévenue et inquiète pour sa

propre sécurité.

Lorsque le procès qu'elle avait sollicité avec un zèle aussibruyant qu intempestif eut été engagé, l'Université 8gura dansle tribunal en la personne de quatre de ses anciens recteurs,Denis de Sabevrois, Guillaume Evrard, Pierre Maurice et Thomasde Courcelles, auxquels furent adjoints plusieurs maîtres ès <.fts,plusieurs docteurs en théologie ou en décret, entre autres Jean

Beaupère, Jacques de Touraine, Girard Fueillet, Jean de la Fon-taine, Nicole Midi, Jean Basset. On possède encore l'état des in-demnités qui furent, par l'ordre de Henri VI, payées à la plupartd'entre eux pour leur participation au procès, à raison de vingtsous tournois par jour (3). Deuxdes juges désignés, Jean Tiphaine,

(t) JbKnx~ <t'MMbourgeois de PaWtt, cott. Mkhaud et Poujoutat. p. 2M.(2) CtfM~Me de MeM<<M!e<.t. (V,p. 35 «YceutxPart~eM avoient unecomnmtM

voutentë d'eottdeB'adrc, sans y avoir division. Et les deMMdtz PariotoMplus quepar avant M recontbnn~K'nt les ungs avec les autres, prometana que <tt'tout tcurpMtsMnceU~tesbteroiettt~MtMesàta MOtt contre teetuyioy Charles qui tes voutoitcomm'' t!~dtMh'nt, du tout détmtM. »

(3)Voyezdans te~M&< de~MMHe<Jn', t. V, p. <??et suiv., uu tuandatdcThomattBrount, trésorier et {~uwHMtn-g~nefat dee anattees dmroi en tfonnaadtc. adreMe APierre Sureau, receveur générât, pour qu'il ait Apayer A maltre Jehan BeaupèM,Jacques de Thottmtne, McoteMMt, PterM Mortco. Girard toetMet, docteNfa. et AThotnasde Courcelles, baeheMerformé en théologie, la MMmede vingt Mas toantok<*hata!<,per chaque jour qa'Ms aNhmeront avo!r ~'a<pîcau procès de Jeanne d'An*.

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3:4 EXCCRStONSMtSTOMQFESET PHILOSOPHIQUES

docteur en médecine, et Guillaume de la Chambre, licencié de lamême Faculté, s'étaient d'abord récusés, en prétextant leur pro-fession qui les rendait inhabiles à donner un avis en pareille ma-

tière mais, nonobstant leurs scrupules, ils se virent contraints de

siéger (i). Parmi les plus acharnés contre Jeanne d'Arc, il fautciter Thomas de Courcelles, qui opina pour qu'elle fut soumise àla torture (2), et Nicole Midi, soupçonné d'avoir réduit le procèsaux douze assertions qui devaient servir à perdre l'accusée (3).M"Jean Basset, au contraire, inclinait a l'indulgence; il hésitait àse prononcer sur le caractère des visions que Jeanne d'Arc s'était

attribuées; il ne les regardait pas nécessairement comme l'œuvredu malin esprit; il admettait qu'elles pouvaient venir de Dieu sansnéanmoins l'affirmer, et se contentait de blâmer ce qui, dans laconduite de la Pucelle, lui paraissait choquer les bonnes mœurset s'écarter de la soumission due à l'Église catholique (4). Son

opinion se rapprochait à quelques égards du sentiment exprimépar <:erson, bien qu'il se montrât, sous d'autres rapports, beau-

coup moins favorable a Jeanne d'Arc que le pieux chancelier.

Quand l'instruction du procès fut achevée, Jean Beaupère, Jac-

ques de Touraine, Girard Fueillet et Nicole Midi furent députés AParis pour communiquer les pièces & l'Université ils recurentmême pour cette misson, s'il est permis de consigner ici ce détail,une indemnité de cent livres chacun (5). L'Université ayant ren-

DonnéARonen,let"-maMi430. Quittancedecettesomme,le4 mars1430. Let.trèsduroi d'Angleterre,accordantà JeanBeaupère,docteuren theotogte,t.e gra-ttttcattonde trentelivrestournoisen susde sesjournéesdeprésenceau procèsdeJeanned'Arc.Le 2avril i43<. Nouveaupaiementde sixvingtUvreotournois,faitparlereceveurgénéraldesfinancesdeNormandieauxmattre-tenthéologiede11'-MiveMit~dePariaquiavaientvaquéauprocèsde Jeanned'Arc.Le9avrilt43t.

(t) Pw~ <~Jeanned'~ 1.1.p. 198;t. 111,p. 47etM.(2)~M(<t. 1, p. 403 MagioterThomasdeCoureeiihtdixitquodsiMvidetur

bonumesseeamponere[intortura].v(3)DépositiondeThomaade Coureetiefdanaleprocèsde rehaMittation.Procêsde

JeaMtted'Arc,t. ïtt, p'.CO «Fucrunt<actiet extracttcertiarticuli,numeroduo-decim. ut sibivideturexverMmiUbusconjecture,perdetunetummagistrumNico.taumMidi.

(4)i'roc~ de Jeanned'~fc, t. Ï, p. 342etauiv.(6)Lettresduroid'Angleterreaccordantuneindemnitéde centMvreatournoisà

mattreJehanBeaupère,JacquesdeThouraine,NicoleMidietGirardFueiiiet,envoyésà ParlepourcoumettrelespiècesduproefMdeJeanned'Arcà t'UniveMitë.DonnéARouen,!)'< avt'!t)43t.(~<x;~f~~e<!Mtte~i. V.p.M3.)

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ATRAYKM8LEMOYENAGK. 32&

voyé l'examen de l'affaire &la Faculté de théologie et à la Facultéde décret, ces deux compagnies, au bout de quelques jours, firentconnaître leur avis par l'organe de leurs doyens, dans une assem-blée générale des quatre facultés qui se tint aux Mathurins, sousla présidence du recteur Pierre Gonda, le 19 avril H3i (i). Cetavis, comme on ne pouvait que trop s'y attendre, était sur tous lespoints d'une rigueur impitoyable contre Jeanne d'Arc. On la dé-clarait convaincue de mensonge, de superstition, de blasphème,d'apostasie, de trahison, de fourberie, de cruauté, d~orgueil, derévolte, etc. Après en avoir délibéré, l'Université vota ces con-clusions farouches, que le recteur fut chargé de transmettre autribunal ecclésiastique séant à Rouen. Le prestige que conservaitl'École de Paris donnait à son jugement une autorité presque irré-cusable. Les ennemis de Jeanne d'Arc ne manquèrent pas de fairevaloir qu'elle avait cm.tre elle les plus notables docteurs de la pluscélèbre école qui fût au monde. On nous dispensera de retracerles derniers incidents de ce simulacre de procès. Condamnée unepremière fois pour ses méfaits prétendus à la prison perpétuelle,Al'eau d'angoisse et au pain de douleur, Jeanne d'Arc, peu dejours après, pour avoir repris des habits d'homme, était con-damnée de nouveau comme relapse, et abandonnée au bras sé-culier. Le même jour, qui était le 30 mai H31, elle expirait dansles flammes d'un bûcher, après avoir eu à subir, &ses derniersmoments, les exhortations d'un théologien de l'Université de Paris,de ce Nicole Midi, son persécuteur implacable (2).

Le rôle que l'Université de Paris a joué dans le procès de Jeanne

d'Arc, la part qu'elle a eue à sa condamnation, ontpesé long-temps sur elle, comme un reproche que l'histoire était en droitde lui faire, et que ses' ennemisne lui ont point épargné. Deuxsiècles s'étaient écoulés depuis le tragique événement; et sur lafin du règne de Louis X1H,dans le feu des contestations ardentes

qui venaient de se renouveler entre l'École de Paris et la compa-gnie de Jésus, celle-ci disait, en parlant de sa rivale

« N'ont-Mspas conspiré contre la PucoMed'Orléans, envoyée de

(1)DuBootay,JM~.~t~ t.V,p.3Meta.Procès(leJeanne<~fe,t, t, p.4tt ets.(3'.'fM~tde Jeanned'~t'c,1.1.p.470 nProt~tts(JmMMMB)stdutMtMhnonUbneet

poputiœdiecattone,futt8otpton!9pt'a!dt<'<tt)opefex)miumtheotogtœdoctoMmNtcotauMMMt.

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EXCURStONSHtSTOBtQUESETPHILOSOPHIQUES326

Dieu miraculeusement pour le salut du royaume très chrestien,et dans une assemblée générale des Mathurins fait lettre au roy

d'Angleterre, Henri VI, pour le supplier, avec toutes les instances

possibles, de la faire punir?. Ne l'ont-ils pas condamnée, cette

saincte vierge, après de longues consultations, et déclarée sor-

cière, invoquant les diables, idolâtre, schismatique et hérétique?Et les juges qui lui firent ensuite son procez, ne disent-ils pas dans

cette inique et cruelle sentence portée contre son innocence, son

honneur et sa vie, qu'ils en ont usé ainsi ayant esgard et respectaux délibérations des maistres des Facultez de théologie et décret

en l'Université de Paris, voire et de tout le corps d'icelle Univer-

sité (i)? »

Ces reproches amers étaient fondés, nous avons pu nous en

convaincre; mais, pour être tout à fait juste, il aurait fallu ajouter

que, par un revirement, facile A prévoir, de l'opinion publique,Jeanne d'Arc ayant disparu de la scène, 1 UniveKité,qui avait pour-suivi sa condamnation et pris parti jusque-là pour les Anglais, se

sépara d'eux insensiblement, et, sans devenir tout à fait leur en-

nemie, contraria souvent leur politique. Elle fit encore bon ac-

cueil à Henri VI, quand, au mois de décembre H3i, le jeune roi

vint à Paris se faire couronner dans l'église de Notre-Dame par les

mains du cardinal de Winchester (2); elle sollicita peut-être, et

en tout cas elle reçut de lui avec reconnaissance une nouvelle

confirmation de quelques-uns de ses privilèges (3). Mais un mois

ne s'était pas écoulé, Henri VI érigeait l'Université de Caen pourl'étude du droit canonique et du droit civil (4) grave sujet de

mécontentement, sinon de préjudice, pour les écoles de Paris.

U est vrai que Charles VU, à peu près à la même époque, fondait

l'Université de.Poitiers (5); mais il récompensait par là les popu-lations qui s'étaient montrées le plus fidèles à sa cause, tandis

que le roi d'Angleterre n'avait pas les mêmes motifs de créer

(t)~MpoMMattire &*<««?ApologiepourPFMMMtMa~faWscoatreledMCOttMd'MKJésuite,Pans,t643.tn.i2, p.Metsaiv.

(2)C~reN~Mede.MaK~v~,t. V,p.1etsaiv.(3)O~HHMMCMdesroisde France,t. XtH,p. 169.(4)Lettrespatentes,datéesdeRouen,dumoisdejanvieri43i,cequfeorrespondpour

nousaumoisdejanvierM39. p. 176.(~)LettrespatentMdu 19marst43t DuBoatay,N<<<.t/a<f.,t.V,p.M4et sntv.;

OntMMHtM,t. XtN,p.i79.

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ATRAVERSt.EMUYKXAt.K a''741

une concurrence aux écoles do la ville où il était venu se fairecouronner et qu'il pouvait appeler sa seconde capitale. Ce coupinattendu et îmmérité fut vivement ressenti par H'niversité deJ'aris. Elle s'en plaignit avec amertume elle représenta que !anouvelle fondation avait été faite contrairement aux clauses dutraité de Troyes qui garantissaient les privilèges de l'École det'aris; qu'elle oterait Acesëcotes tout moyen de se relever de foursruines; que d'aiMeurs elle serait sans utitite, même pour la Xor-mandie, qui, étant un pays de droit coutumier, n'avait nul t<e-soin d'une Facutté de droit canonique ou de droit civil. Ces éner-

giques réc!amations furent portées devant le parlement parGuillaume Evrard, que nous avons vu figurer au procès deJeanne d'Arc eUe;;furent même adressées aux pères du conci!ede tt&Iepar l'entremise des envoyés de ITïMversité (t) Ëst-itnécessaire d'ajouter qu'elles n'eurent pas la puissance d'empê-cher ni même de retarder Feaet des concessions de Henri Vt enfaveur de la ville de Caen?

Un autre édit de ce prince, qui touchait aussi par certains cotésaux intérêts de l'Université de Paris, causa dans ses rangs un très

(t) Da Bouiay,M< t/M<p.,t. V, p. 4M.FeHbh'n. de far~, t. IV, p. 5<h.donnele procès-verbal df la séance du parlement où furent portées ies remontrances deifnhersité a Du XMnovembre~433). te jour les recteur et députés de i Universitéde Paris et le prévost des marchands firent dire et remontrer au chancelier et auxprésidons et conseillers de Parlement, par la bouchede MeGuiMamneErart, maistreen tht(t!ogie,qu'ils avoient entendu qu'un vouloit instituer. establir ou fonder en laville de Caenestude de toix <-tde décrets, et eommi'nt en pourroit redonder au granddommaigeet préjudicedu roy et de son royaume,ou préjudice et à la dimmatioa auconfusion de la foychrétienne, on prejndife de la souverainetéet ressort de la Courtde Parlement, contre le traieté de la t~, et s;nguHèrementprejudicteroit à la restau.ration de la cité et estude. Déclairoiten o dtre iedh't Erart tes dommaiseset incon~e-niensdisposezd advenirpar ledit estudede Caen, et avec ce remonstroit commentiedict estudene seroit mie utile ne nécessaire,espéciatementpour le pays de Normandiequi est tout reigié et gouverné par coustumes; et commentà Louvain. à Dote et ail-leurs avoit estudesde !oixpar fournirce royaumede testes et juristes. Par quoyvoutoitdire iceluy Erart qu'il n'estoit nécessiténe utitité de estabiiriadicte estudede Caen;et que, en tant que besoingseroit, i Universitéde Paris oNroitde consentiret permettreà Paris estude de droit civil ad ~eMpMXaindique seroit advisé; en suppliant au chan-celieret à la Court, qae ce voutsissent remonstrer ou faire remonstrer au roy et à sonconseil où il appartiendroit, aBa que iedictestude ne soit estably ou fondéen ladictev!Mede Caen. Sur quoy le chancelier Nstresponse,en disant auxdessus nommezqu'Ilsbaillassentpar escript devers la Court leur oBtedcssusdict, et que onauroit advis snrcequi avoitesté diet et et requis de par l'Universitéet ie prévost des marchands deParis. ?u

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SM KXfMMMOXSHtSTOMQUESEt t'))H<MK)P)))Q~KS

vif émoi nous voulons parler de l'édit qui permettait de racheter

moyennant une somme douze fois égale au revenu annuel les ren-tes constituées sur les maisons et héritages de la ville do Paris etde ses faubourgs (i). Un grand nombre de ces rentes apparte-naient à des églises et à des coltèges qui trouvaient plus d'avan-tage a les toucher qu'à recevoir un capital d'un emploi peut-être difticile. L'édit qui permettait le rachat datait du mois dejuin H28: it avait passé d'abord inaperçu; mais il fut renouveléle 3i mai <~3i. Les collèges qui possédaient des rentes s'atarmè-rcnt; H'niversité prit fait et cause pour eux, et protesta devantle parlement. Cette fois encore, M"Guillaume Evrard fui l'inter-prète des doléances de sa corporation. il insista sur le tort qu'eMeéprouvait et qui atteindrait, en même temps qu'eMe, un grandnombre de fondations pieuses, et par conséquent les Ames destrépassés pour lesquelles, faute de revenus, on cesserait dechanter et de prier. I! se plaignit amèrement que l'édit, qui com-

promettait de si respectables intérêts, eut été préparé dans l'ombreet sans que les gens d Église eussent été consultés. Il mêla mêmela menace à la plainte, disant que, si les rois et les princes, au

temps passé, avaient prospéré pour leurs bonnes œuvres, par lecontraire il était Acroire vraisemblablement qu'il MM'«~~w/ a:

c~M~w/~a~~œMr~MWMMMM. «Pompeius, s écria l'orateur,fut très glorieux en son empire; mais tantost qu'il fist de l'Egliseestable à ses chevaux, il finit meschamment (2).

Les dispositions de l'Université à l'égard de ses dominateursétrangers étaient donc modinées, et elle ne laissait pas échapperl'occasion de le témoigner. Au mois de mars H32, quelques-unsde ses mattres, entre autres Jean Basset, sont arrêtés à Rouen etemprisonnés par les ordres du bailli, sous l'inculpation de complotcontre l'autorité du roi d'Angleterre. Leur vrai crime, c'était leur

(t)Voicifart. fde tédtt du&ljttUtettM8 aQNftoutesmanièresderentesconsti-tuéesparachatet à pdsdatent. pardons,taisouaotn-ment.sur lesmaiMnsethéritagesaMb&Parbet ès &uMMMMd'icelle,à quelespannes qu'ellesappartien-nent,soientélises,eettègesoma~Mspera.MMMa,lespropriétairesd'icellesmaisonsouhctitaees.qui sontà présentoa quiserontpourle temsà venir,poissentracheter,cest assavoirle denier,douzedeniers,monnoyecouranteà présent..(O~Mta.t. XIM.p. tM. Cf.«M., p. t7<.)

(9)DuBoulay,N~. t. V,p.4M;VaKetdeVMTitie,WM.deCAaW~W,t*M~p.332.

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A TMAYKMXt KMUYKSACK :0't

attitude dans le procës de Jeanne d'Arc, et Fintén t qnits avaientmontt~ pour !'accnsée, t appui qu i!s avaient essayé do lui prê-ter (t). Oubliant !a conduite toute diu~rente qu'eUo avait eUe-meme tenue en cette triste conjoncture, et la part qu'eue pouvaitrevendiquer dans la sentence de condamnation, t Université de

Paris éteva ta voix en faveur des siens, et, comme sa plainten'avait nullement ému les magistrats du baiMia~e de Rouen,elle porta l'alfitire devant le parlement. qui se montra moins in-

exorable. En enet, ano délibération du 2~ avril 113:<fit défense auhaiMi de Rouen de rien Mre ait pr~udice de t'appeMation de Hniversité (2). ne tek arrêts, rapproches des griefs qui h's avaient

motives, frappaient, comme autant de coups indirects, le ruineuxédifice de la domination anglaise.

Maisqneïque chose de plus grave encore que les incidents quivienneat d'être rappelés, ce sont tes démarches que fit Université

auprès du duc de Bourgogne en faveur de la paix.~èst'annee i t29, des pourparlers s'étaient engages entre Char-

les VMet le duc de Bourgogne (:t). Bienque ces premières négocia-tions n'eussent pas abouti, même t1 une trêve si nécessaire de

part et d'autre, cependant elles n'avaient pas été entièrement

rompues, et les exploits de Jeanne d'Arc, joints aux sentiments

personnels de PhiMppe le Bon, à ses scrupules tardifs, Ason dé-

goût de l'alliance anglaise, avaient ouvert de jour en jour de nou-velles chances de pacification. Cefut dans ces conjonctures que, le

cardinal de Sainte-Croix ayant été envoyé en France par le papeEugène !V pour travaiMer au rapprochement des partis, tt'ni-

versité, encouragée sans doute par sa présence, n'hésita plusà se prononcer.

Dans une assemblée qui se tint aux Mathurins le 7octobre iM2,sous la présidence de M~Gérard Gehe, alors recteur, un cri s'élevacontre les maux de la guerre, et il fut résolu qu'on enverrait uneambassade porter au duc de Bourgogne les doléances et les vœuxde l'École de Paris. Les députés dont rassemblée fit choix furentM"Jean de Brion, évoque de Meaux, conservateur d<*sprivilèges

(t) PMc~de~MMte<f~re,t. V,p. 272,37a.(2)DuB<mtay,~M.«Nie.,t. Y,p. 4Met 4M Valletde Viriville,~M<.deC~a~.

<f<~F, t. ît, p.833.(3)CAnMMytK'tte~fe)M<fc~c<~t. tV,p. 3t8.

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330 KXtTMStUXSM)ST<mt~'KSKT!')«MtS<H')HQt~s

de la compagnie, et M~NicolasOuoquerel, maMrees arts. Commeils réclamaient cent talents d'or pour leurs frais de voyage, etque le trésor de l'université se trouvait à sec, les nations do France,de Normandie et de Picardie avancèrent la somme, sons !a con-dition que le payement serait garanti par les Facultés de théo-logie. de droit et de médecine. Les instructions données aux deuxambassadeurs les chargeaient de représenter à Philippe le Bonta déplorable situation de !a France, la désolation des campagneset des villes, l'aMiction de l'L'niversité. Les deux ambassadeursdevaient s'enbrcer d apitoyer le puissant vassal et le conjurerd employer tous ses soins pour le rétablissement de la paix, d'unepaix sérieuse et durable, et, à défaut de paix, pour la conclusiond une trêve qui permit d'adoucir tes plaies de la guerre (i).

C'était, depuis douze ans, la première fois que l't niversité sehasardait il intervenir dans les affaires du pays; qu'elle reprenaitson rôle, non pas d'arbitre, mais de conseillère ette-méme in-téressée au succès de ses propres avis. Elle ne s'adressait pas, choseremarquable, au roi d Angleterre, bien qu'it fut par elle saluédu nom de roi de France; elle s'adressait à un prince français,se disant peut-être qu'il se montrerait plus sensible que desétrangers aux maux du royaume et qu'il avait entre tes mainstous les moyens de salut. Néanmoins, dans les instructions quel'Université avait données a ses ambassadeurs, elle ne prononçaitpas le nom de Chartes VU; bien plus, elle le désignait sans tenommer, comme rennemi de la nation, et ne laissait percer nullepart le soupçon qu il putjamais '~monter sur le trône et rentrerdans Paris. C'est ainsi qu'à la veiite des événements qui doiventles toucher le plus les partis cherchent à dissimuler et quelquefoisn'osent pas s'avouer à eux-mêmes leurs craintes et leurs espérances.

La démarche de H'niversité de Paris fut pour le moment sansrésultat. Malgré une trêve aussitôt violée que conclue entre lesFrançais et les Bourguignons, les hostilités se continuèrent dansla plupart des provinces. Maisen i435, lorsque s'ouvrirent de nou-velles et sérieuses négociations entre les belligérants, l'Universitéeut de nouveau l'occasion d'élever la voix en faveur du rétablis-sement de la paix. Le roi d'Angleterre l'invita lui-même à se ren-

(t)NousavonspabUéle textedecestnstntcttoosdansnotreJMct c&MMo&MtetM.p. 3SC.

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ATRAVERSt.KMMYEXAt.K 331

dre au congrès qui se réunit au monastère de Saint-Woast, dansla ville d'Arras (i). La se rencontrèrent un tégat du pape EugènetV, et nombre de prélats, abbés et docteurs, députés par le con-çue de BAte,et tous animés du désir d'apporter un terme aux ca-!amités d'une guerre si longue, LTniversité de Paris, Sdète Ason

rôle, se proposait d'exprimer, par l'organe de ses envoyés, sa

pitié profonde pour les maux incalculables du royaume, et ses

souhaits ardents pour !a cessation des hostilités et !a eonclusionimmédiate de la paix..

Les églises pittées et dévastées, les reliques des saints jetées au

vent; tes vases sacrés profanés; les immunités ecclésiastiquesfoutées aux pieds; des viots, des meurtres, des incendies; nom-br<?d enfants morts sans ttaptéme et égorgés jus<pte dans le seinde leur m~re des chrétiens traités si cruellement par des chrétiens

;u'M eut mieux vatu pour eux tomber dans les mains des patenset des iundetes; tes écotes désertes; les campagnes dépeuplées; lesroutes si peu sures qu'on n osait pas s'y hasarder; partout l'imagede la désolation et de ta misère voità le tableau que la France

présentait en H35, et que i Universitéavait chargé ses envoyésde dérouter sous les yeux des puissants personnages réunis au

congres d'Arras (2). Pour mettre fin par une paix solide & de si

épouvantaMescatamités, faMut-ii abandonner une partie du terri-toire de la France Aceux que l'Université appelait encore, dans

(t) C'est « qui résulte de4instructions mêmesdonneesàsM amba~MdMtM,7«<fMcAroM~CM, p. 2M « Prim significabuat ip~m eonvendenem fuisse iottBmtamd!etœUniver~tati es partedomini rps~, cnjas chtempefandoman<tatM,ipsaCnhefM-las !)'Ms traa~mtstt ambassiatore~ u

(9)Index c&feNoto~Mt. <6M. « Sunt en!m naiveNe eeetesie tnana MerMfgade-

pMdatc~ortMtefMaMterb et po)')tlo; destrurte et in minam irreparabiliter toU~e;sacre Ktht<t!eet vasa sacra violenter asportata; ymo ipsum precio~ssimom Christi

CMptMsepe infideli temoritate irreverenter tractatum, et viliter hnmi p~cctom, ad

depFfdationetnsacri vasis ad ejus custodiam otdinatt. Saat !nsuper hamMd!ahtnu-

mera. eetam in Meds perpetrataedtbus, tempta Htccensa~oi. et ad ea Mnfogtentesinnocentes, qualibet spreta eMnnitate, abiiqne «Meosa, inimman:ter trucidati, autalias, absqueptetate, gladio inten'mfti. NequeveM deMdbi possinttyraanidesquibus{odMereatertam MMgiosiaut eectesia~tCtquam scbolares!mp!e.immanMMHet divers!"termententm speeiebuset penanua ttenedbttitsumtaNict!. adeoquod eciam tnMctcsft pagantpopatam Chtistianam tanta MermucrndeMtatetr~tarc tereMntur, si eMemtt'Hmtman'ddcMhtr. QaamteiMapefmMUeteavMate.irir~nesdenorate, conjugiafe-data sunt, pre~Matea maBeres sutbeate; paritMet parvaMatMqaebaptiaM et sept'in nteto tnatris pericUtatis)mHExpdmi non possitpreterea ')<? edithiortoa demoUeto

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KX< t HSMXSH)ST<mtQ< ES KT t'M)LOS<M'HW!ESa:<'}

ses instructions, les adversaires du t~yaumc, ~«'~«~M )~M~cest.A-dire aux partisans de Charles VM, elle y consentait: mais.gardienne toujours visitante de ses privilèges, ette demandait unegarantie en faveur des bénéficiers dont les bénéfices feraient

partie du territoire abandonné. Elle déclarait d'ailleurs que, sila guerre devait continuer. il ne restait plus qu'une ress<mrce

pour tes habitants du royaume, c'était de s'expatrier (t).Le contres d'Arras uc repondit pas entièrement aux espérances

do t rniversité de Paris il ne rendit pas la paix à la France; maisit amena nn rapprochement sincère et définitif entre Chartes VMetle duc de Bourgogne, qui ne tarda pas il tourner ses forces contretes Anglais, si longtemps ses alliés. Les affaires prirent alors uneface nouvelle et se précipitèrent vers le dénouement que les ex-

ploits de Jeanne d Arc avaient préparé. L'Université de Paris,qui était restée plus française au fond que quelques-uns de sesactes ne le feraient supposer, n'eut aucune peine Asuivre l'essor

imprimé par tes événements aux idées nationates. Après ta réduc-tion de Paris au mois d'avril 1436, elle se hâta de témoigner ta

part qu'eUe prenait Alajoie publique, en ordonnant une processionsotennette qui eut lieu en i église Sainte-Catherinedu Val, et dans

laquelle parurent environ quatre mille maîtres et écoliers, por-tant des cierges (2). En même temps elle désigna quctques-unsde ses membres pour se joindre à la députation qui allait porter àChartes VHles requêtes avec les hommages des gens d'Église etdes bourgeois de la ville (3). Ce qu elle avait la certitude d'obte-nir et que cependant elle sollicitait avec instance comme une fa-veur difficile, c'était ta confirmation de ses privilèges. Charles VUpromit « de lui en bailler des lettres en forme, ainsi qu'avoient

et ruinaMiMMapatMMest,etnonMtquiterrasvelagrosaudeateMcdere.nequepervhM!nc~eM,sotmavitepedeato;et, quodtx-jusestreferre,omniMmoeothiano.tuerumt&mes.t-atamita&etmtwrh,qa!baomattKndeinnomefaMMapopulietpriva.torumttacectasienet~riM.Et utmaKabrev!verbodicanturintantummatafMM.t crtMt,qn<)dnattainiquitaset tmptetassaperMcogHar!valeat.»

(t) NAperiatorqHomodopouderejptcrrarMmregnambtnd in tantumestde-pntattm.quodamptiMsgaerramMMtiMrenonposett;et ubi pa~noniaterveah't<ompetMtnécessitasK!!a!cohsad tocaextmneatranittreetpartesFranchen'tinqMpredésertas.

.2) Du B<mtay.~< Pttfc., t. V. p. 435; Fétibh-n. aw. Paris, t. IV, p. MS;Vaitet de VMvUte,~<. <~ Charles t. M,p. 3M.

(3) Féliblen, <&M.,p. 8M; t. V, p. 269.

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A TRAVERS LE MOYHK AGK :M3

tait d'ancienneté ses prédéecssenrs. Ces lettres. dénvrées ABourses au mois de mai, furent enregistrées au Châtelet de Pâtish' 2juin suivant; elles étaient conenes dans les termes tes plusexplicites et les plus favorables. « fh'sirans de iont nostre co'ur.disait h' roi, voir de nostre temps nostre nlle, premier<' née.Université del'estudede Paris, norir, fruetiner, eroish'e et mul-tiplier en comble et plantureuse abondance de vertus et tousbiens, et estre souverainement exaucée et élevée par tous hon-neurs, grâces et tiheratitez: v<Huanstonjonrs persévérer en nosfaits, selon tes vertueuses œuvres de nos prédécesseurs. touset ehaeuns les privUe~es, Mbertezet franchises par nosttits pre-dece<~eurs donnez et octroyez nostredite iitte rt niversite deFestude de Paris et aux supposts d'icelle, ensemble les autres

droits, cottstumes, usai~es d'iceHe nostre nUe et de sesdits st'p-posts. Nous iceux ayans fermes et agréables, de nostre ~racespéciale, pleine puissance et autorité royat. jouons, approuvons,certifions et connrmons par ces présentes (t). M

Maigre d'aussi formettes assurances en faveur du maintien deses privilèges, tTniversite de Paris, des l'année suivante, nefut pas exemptée de l'emprunt, ou, pour mieux dire, de la cou-tribution de guerre qui venait d'être imposée aux habitants deParis pour la délivrance de !a ville et du château de Montereau.encore aux mains des An~-tais. Enconsentant d'assez bonne grâceà payer sa part de c<;subside extraordinaire, elle obtint du moinsde Charles Vitla déclaration expresse <}uece dangereux précédentne serait pas invoque contre cite et ne pr~udicierait pas dansl'avenir à ses immunités t~t.

Deux mois s'étaient écoutés depuis ces derniers incidents, lors-

que Charles VU, s'étant décidé enfin à quitter ses ndeles pro-vinces du centre du royaume, rentra dans Paris le 12 novembre

H37, après une absence qui avait duré près de vingt ans et

qui avait eu toutes les amertumes de l'exil le plus navrant. Au

parvis Notre-Dame, il trouva le corps de l'Université qui étaitvenu le complimenter (3). Par un caprice du sort ou de l'élection,

(t) Recueil~MpWpt~M~f ft~pM-~t', p. is; OnfctM.~Mroisde f'r<m<'<t. XHLp. 9t9; DuBoatay,J!fM.t~«., t. V.p. 4M.

(2) Recueil des pW«/~<M, 1). 9:t; Or<<OMa.,t. XIII. p. M'(3) C&rotH~Me de JM<MM~M, t. V. p. :Mt.

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33t EXftmSt~sMtSTOMtQUESETPtHt.OSOPMtQ~KS

l'orateur qui devait porter la parole au nom des quatre facultés

était ce Nicole Midi que nous avons vn ~i acharné contre Jeanne

d'Arc. Quelle attitude pouvait avoir devant Chartes VMvictorieux

cet ancien adversaire, ce juge inique de la Pucelle? Selon l'usage,Nicole Midi avait reçu des instructions contenant la substance de

l'allocution qu'il devait prononcer. H eut donc a exprimer les

élans de l'allégresse générale au retour d'un prince chez lequel

resplendissaient, dit-il, toutes tes qualités qui conviennent à un

roi catholique, la pureté de la foi, la soumission a tneu et A1 É-

glise, l'amour de la justice, la clémence et la miséricorde, Il eut

ensuite a retracer tout ce que l'Université avait souffert, alors

que, pareille a une orpheline, elle était privée de son protecteurnaturel. Enfin, après avoir dépeint les malheurs que la desuuion

entratne et les bienfaits de la concorde, Xicole Midi déposa aux

pieds de Charles Vit les protestations de l'obéissauce filiale et du

dévouement de l'École de Paris (i).Ainsi fut scellée, après de longues et mutuelles épreuves, la

réconciliation de lUniversité de Paris et de la royauté des Valois.

Cependant Charles VI!, qui ne pardonna jamais à la ville de Paris

de l'avoir expulsé et combattu, se souvint également, jusqu'à la

tin de son règne, que 1 Universitéavait méconnu ses droits, aban-

donné et trahi sa cause pour se douner aux Anglais. Il maintint,comme il l'avait promis, ses anciens privilèges, mais sans y ajou-ter de nouvelles faveurs. Il se garda d'étendre le rûle déjà si consi-

dérable de cette corporation, vénérée é juste titre, mais arro-

gante et présomptueuse, qui s'était mêlée un jour des aMaires de

l'Église et de celles de 1 État, avec la prétention à peu près avouée

d'en rester l'arbitre. Loin d'encourager ses visées ambitieuses, il

les réprima elle prétendait relever immédiatement de l'autorité

royale, il la soumit ù la juridiction du parlement (2). Elle conti-

nua de s'appeler la fille amée des rois de France; mais elle appritde Charles VU qu'elle était leur sujette en même temps que leur

fille aînée, et elle sentit de plus en plus dans la suite le poids de

cette sujétion. Ainsi la décadence politique de H'niversité de Paris

suivit de près 1 extension un peu abusive de son influence. Après

(1)DaBootay,NM.<M<c.,t. V,p.4M;VatïetdeViriville,a~. de CAertMW,t. Il, p.3Met Mthr.

(2)(~MMaMCM~t. Xin,p.467.

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A TMAVKMSLK MOYKNAOK. :M5

avoir rôv~ les plus hautes destinées, elle vit, en moins d un

quart de siècle, ses espérances a demi réalisées, puis crueUe-

meni dëcues. tisonnais snrveitjée, contenue, aiiaihtie, elle at-

,tait se trouver peu a peu ramenée au r<~te<jui était le sien, celui

(t'une ~ranth' ecote qui a pour mission deiever ta jeunesse, <'t

qui doit se contenter de sa tache et s ydévouer exclusivement avec

une légitime fierté; car si, par certains cotes, cette tache iaho-rieuse paraH obscure et même ingrate, il n'en est pas, après tout,

qui importe ptus aux famines et a t t~tat.

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t!xct)B9MtM nMWMQCM. aa

L'UNIVERSITÉDE PARIS

AU TEMPS

RETIENNEMARCEL.

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L'UNIVERSITÉDE PARIS

AU TEMPS

D'ÉTIENNEMARCEL.

Quel a été le rôle de l'Université de Paris; quelle attitude a-t-elle

gardée en présence des projets de réforme et des tentatives ré-volutionnaires qui ont marqué en France le milieu du xtv~ siècle,et auxquelles le nom d'Étienne Marcel est resté attaché?

L'Université de Paris touchait alors au plus haut point de

splendeur et d'inuuence qu'elle dut atteindre. Il y avait plusd'un siècle et demi qu'elle avait été officiellement reconnue parun édit célèbre de Philippe-Auguste. Le nombre de ses collègess'était accru d'année en année, et en i356 elle en possédait dé}àquarante, administrés par des séculiers ou par des communautés

religieuses, et fréquentés par une multitude d'étudiants accou-rus no)t seulement de toutes les provinces de France, mais detoutes les contrées de l'Europe. Elle avait vu monter dans seschaires les maitres les plus illustres que la chrétienté eût connus,Alexandre dp Hales, Albert le Grand, saint Thomas d'Aquin, saint

Bonaventure, Duns Scot, Jean Buridan. La pompe même de ses

processions ajoutait à son prestige, et lorsque la longue suite deses suppôts, formant le cortège du recteur, s'étendait à travers la

ville, depuis le cloître des Mathurins jusqu'au delà de la porteSaint-Denis, l'impression unanime de tous les habitants de Parisétait un sentiment de respect pour l'illustM corporation qui leur

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EXCMtStOKSn)8TOMQOESET PHtKNOPHtQUESMO

offrait ce spectacle de sa puissance. Fière de ses privilèges et desa haute situation dans ta cite, l'Université de Paris ne se con-tentait pas du rôle spécial que son institution lui assignait; il nelui suffisait pas d'enseigner la jeunesse elle intervenait dans tesaffaires de l'Ktat; et à la mort de Philippe le Bel, elle avait prisune délibération par laquelle elle reconnaissait pour héritier dutrône de France son fils Philippe le Lon~ (1).Comment dès lors,au temps détienne Marcel, se serait-elle tenue à l'écart? Commentdans ces jours néfastes se serait-elle montrée indiuerente auxdangers qui menaçaient le royaume? Elle avait Achoisir entreplusieurs attitudes; elle pouvait ou prendre parti pour ceux quidemandaient è des institutions nouvelles le salut de l'État, oucombattre leurs desseins comme subversifs et soutenir envers etcontre tous les droits de la royauté; elle pouvait enfin garder unesituation intermédiaire et n'user de son influence que pour calmerles esprits et iai~e prévaloir des idées de conciliation. A quellesrésolutions s'est-elle arrêtée, et quelle ligne de conduite a-t-elle

<>suive?

Les chroniqueurs contemporains parlent de plusieurs démar-ches qui furent faites par Ifniversité auprès du duc de Norman-die, celui qui dans l'histoire s'appellera Charles V, et qui déjà,comme fils atné du roi Jean, gouvernait le royaume pendant la

captivité de son père, prisonnier des Anglais. Ils citent un maîtreen théologie, Robert de Corbie, qui n'était pas sans crédit dansles écoles et qui fut un des partisans les plus résolus détienneMarcel et du roi de Navarre, Charles le Mauvais. Quelques écri-vains ont conclu de là que l'Université s'était montrée favorableaux idées de Marcel, et que parmi les meilleurs soutiens ducélèbre agitateur figuraient les écoliers et leurs maîtres.

Dans ses 3fMHo~ en général si exacts et si complets, sur leroi de Navarre (2), Secousse garde, il est vrai, une sage réserve.Il se contente de noter au cours du récit les démarches de l'Uni-versité il blâme les paroles adressées au duc de Normandie par

(1) Nous avons fuMié le tette de cette importante déMbérationdans notre /a<~cAMM/o~x-tMcAat-<an<m~er~neM««M o~ AMeWaM ~~f~aM-t ParMeMM.p. M.

(9) .tMm<w~ pour Mwra fA~~M de CAar~ roi de J~Mf~, Paris, i768.in.4<

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ATRAVERSLEMOYEXA<:K ait

le général des Frères Prêcheurs, Simon de Laogres; mais il ne

représente pas l'École de Paris comme engagée dans ta factiondu prévôt des marchands et comme ayant prêté à sa cause un

appui volontaire et efficace. L'opinion de notre savant et vénéréconfrère M. Naudet nous paratt se rapprocher beaucoup decelle de Secousse (i). Mais les historiens qui sont venus aprèsSecousse et M.Naudet, surtout les plus récents, assignent Al'Uni-versité une part bien autrement active dans le mouvement in-surrectionnel du x)V siècle. M.Henri Martin affirme que le ctergéétait disposé A s'associer au tiers état; ailleurs it montre ITni-versiié qui s'ébranle et se joint avec te ctcrgé diocésain au corpsmunicipal; puis, après avoir raconté comment les beaux jardinsque les Frères Prêcheurs possédaient aux portes de Paris furentsacrifiés aux nécessités de la défense de la vitte, it ajoute « Lesbons frères ne murmurèrent point; ils étaient aussi dévoués a lachose publique que les gens des métiers (2) » M. Jules Quicheratva plus loin; dans la remarquable notice qu'il a consacrée AMienne Marcel, il avance que « tes plus solides appuis du prévôtdes marchands, c'étaient tes riches bourgeois, tes professeurs de

l'Université, tes moines mendiants, tous ceux qui maniaient l'ar-

gent ou la parole (3). Mjjans l'édition primitive de son livre surE~c~tp M~'ce/ et dans son mémoire sur ~Hocw/~ Mtow~

(4). M. t'errens avait textuellement reproduit cette assertionde M. Quicherat; elle ne se retrouve pas dans ta nouvelle éditiondu premier ouvrage, que Fauteur a récemment donnée sous les

auspices de la ville de Paris (5); son sentiment actuel, s'il faut en

juger par ses derniers travaux, c'est quel'Université resta neutredans la querelle entre la bourgeoisie et la royauté.

Cette appréciation de l'attitude et de la conduite de l'Universiténous paraît plus exacte que le sentiment opposé; mais nous vou-drions ne pas nous borner, comme l'a fait M.Perrens, &l'énoncer

rapidement nous voudrions la développer et la compléter, de

(t) C<M~MM<<«Mt<f~«etttte Marcel contre fautorité fo~ate, t'aris, ixt5, in4".(2) Nb<o<fe de France, 4'édit..t. V.p. t&9, t6t, tM, 190.(3) te PMa~M français, parts. 1844,1.1. p. 33~.(t) MteaMe Marcel e< ~MMnMMen< de la 6oM~eoM<e ax .X~" siècle, Paris.

tN66, !a. p. t<M; la ~Mmecf<t<<eau m~ea d~ Paris, 1873, in-a", 1.1, )'. 245.(5) E«eMtM WoMe~~t~cd< ~M Marc&aK<~ (<3M-t35a). Paris, t874, in-4".

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EXFUtMOOXStMSTOMQOESET PHtt.OSOPtMQUES.m

manière &caractériser le rôle de l'Université pendant les annéesi35T et <358aussi nettement que le permettent les témoignagesdont nous disposons. Nous ne venons pas en effet exhumer desdocuments enfouis avant nous dans les bibliothèques; nous n'a-vons & produire aucune pièce nouvelle. Mais l'étude des textes

déjà connus est-elle donc épuisée? A-t-elle fourni tout ce qu'ellepeut donner? En nous attachant à ces textes, en les examinantavec soin, sans nous écarter des relies d'une saine critique, nousne désespérons pas de pouvoir jeter quelque jour sur un pointd'histoire qui n'est pas sans intérêt, et qui jusqu'ici, en général,nous semble avoir été imparfaitement éclaire!.

C'est l'effet ordinaire des grandes calamités publiques de réu-nir, ne fut-ce que pour un seul jour, les esprits et les cœurs dansun sentiment commun de dévouement au salut du pays. Quandla nouvelle du désastre de Poitiers parvint AParis, tous les his-toriens tombent d'accord qu'eue causa chez les habitants d'' toutecondition une douleur inexprimable. Le peuple et ta bourgeoisie,comme la noblesse et le clergé, n'eurent qu'une pensée délivrerte roi, tombé aux mains des Anglais, et sauver le royaume,en s'unissant au duc de Normandie, fils atné du roi et son lieute-nant. C'Mt~e~&c&f ~o/a, dit le continuateur de Guillaumede Nangis avec une précision énergique, yM<M/ d'oMMMWA~O/MM ~M/<M~MJ~TWM/M/ ~Pt e~W/W tota patria M~

<w~ (i). Il s élevait, a la vérité, un concert de voix indignéescontre la chevalerie française, coupable, disait-on (2), d'avoirtaché pied devant l'ennemi; mais le défaut de courage et lestrahisons supposées qui étaient reprochés à la noblesse n'intimi-daient pas les esprits et ne faisaient qu'exalter le patriotisme desclasses populaires. Il serait surprenant que l'Université de Parisne se fut point associée à cet élan généreux de la population.Aussi vit-on siéger aux états généraux de t356 quelques-uns deses membres. Nous en connaissons deux seulement, Me Robertde Corbie et MeGrimer, qui, dans une pièce authentique, re-

()) CAtWttpte latine de CM<~Mme<fe~aM~ éd. GéMnd. t. tt.p. 3~2.(9) CAfOM<?<tMde ~B<Mar<. éd. Luce, p. 37. 38 et MS. Voyez surtout la com-

t'taimtcsaf tabatMNe de P~M<-M)MMiMpar M.de Beam-Bpa:re,a(M. de r~eo~ deschartes, Mt*série, t. M.p. 260et suiv.

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AfttAVKBS).KM<H)RXM:K ;M:<

trouvée par M.HouetdAn~ <t). se trouvent quatitiêxde maureson divinité, o* qui veut dire mattres de ta r'aentté de tttéoto~ie.Maista liste eomptête des députés aux états ne nous est pointparvenue. Ils étaient ptus de trnit cents, dont quatre cents <t~-

p)tt~s(!<'sbonn<'sviHcs(~) ta ?!<*<'<!<)Mt'nons v<'n<Mts<b'<ii<')'n<'tnentxmtM'<ju<*tn'M<<<p)at~'n<nns,h's tM'ttts<t''t'oux qui ih~'nt

pa!'t!<*<!<!<~HS<*it<!<'s<~ats.t! )«*~ttt~fait pas <'ot)<*h)n'<<Msitt'n<f<tcsh)st<n'icnset de <axtn'tM<h'sdot'nnt~nts <?«' 11 t)h«rs!<o)M'fut M'ptvs<'ntë<'<ptcpar <!<'uxdes stt'ns 'tans t assonhh~'<pt<'h*<tm'de N«tmand! avait «mvo<ptc<\

Ma!s,onht' c<'pt')M«'<'ih's états, ta t~nno ttatn~M! <j)«'tt'sntath<'t)fs(h' ta hanc<' pat'aissa!f)tt av«h' cimentée, u<'subsista

pas tnn~tetnps. Avant datc«r<!<'t't<'ssntMid<s<pti tt'm étaientdentandcs, soit pum' contin'f'r ta ~n<'t'r<*cuntrc t<'sAmi'tais,soit

p<mrpayet'ta rançon <ptis<*t'ait<'<'rtai)x'tn<'nt<'xi~o<'do t'«i, tes

députes d<'stmis «tttn's, pat*t<'scotts<itsd'ti<'Mn<'et d''

t'év~pte de t~ann,H«tM')tt.<*C<tq,entn'ptin'nt <!<')~f<n)n<'rh'sabus et d't'n châtier h's anteufs. Lesc«n)tnissai)'es<pt'it<avaient

charges de ce soin notitiO-entait daupttin te t-esuttat de tem'sdetibërations c'eta!t t de rectatnet' ta délivrance du nti de

Navarre, Chartes d'Évreux, en)pris(mnepar t'ordre du Hti Jean;2*'de dénoncer plusieurs des ufticiers royaux connueta principalecause des maux du pays; 3" enfin de demander que tous cesofficiers fussent non seulement prives de leurs charges, maisarrêtes et poursuivis devant des ju~cs pris dans t'assemblée desétats. Le duc de Normandie n'était a~é <ptede vingt ans, maisi! avait déjà, malgré sa jeunesse, ia ferme habileté qui devaitlui mériter sur te trône te surnom de .S~ye.PJusirrité des som-mations qui lui étaient adressées sous forme de requêtes quedisposé à les accueillir, mais assez mattre de lui-même pourdissimuler son mécontentement~Ucrut ne pouvoir mieux faire

que de temporiser. Aubout de quelques jours, sousprétexted'euréférer, avant toute décision, au roi son père, et d'atter à larencontre de l'empereur d'Allemagne, son oncle, dont i arrivée

(<)FMM.<~F~cofedesc&af~ t" sfrie.t. )t. p.382etsoiv.(2)VeyMtfj'M'CM.tcrbatdetaséancedesétat' paMié)'art!fam)n'rt,N<'cxe«des

NMCMMae<lois/)'o«CN«et,t. Ut,p.77t.Cf.Phot.W~. ~<~~<~fN<tr,t. ),p.44etMiv.

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KXt FBStOXStMSTORtQN~ ET PtMLOSOPtnQUKSaii

AMetz était annoncée, il ajourna sa réponse et invita les états a

suspendre provisoirement leurs réunions, fuis, après avoir en-

voyé un certain nombre de délégués dans les bailliages solliciterdes subsides au nom du roi, il quitta lui-même Paris, le dé-cembre, et n'y rentra que dans les premiers jours de jan-vier <357.

Afin de subvenir a la détresse du trésor royal, te dauphinavait fait publier pendant son absence un édit qui réduisait demoitié ta valeur de la livre tournois. La bourgeoisie se montraittort mécontente de cette mesure, ~tienne Marcel, escorté d'une

troupe de jour en jour plus nombreuse, était venu trois joursde suite au Louvre porter au duc d Anjou, frère du duc de Kor-mandie, d'énergiques protestations. Le « commun de Paris, sitfaut en croire tes G/'M<~ C~'o~y~ (<), étoit moutt ému, Met

plus d'une fois l'agitation avait failli dégénérer en tumulte et ensédition.

Quels étaient alors les sentiments de l'Université et de quel cotéinclinait-elle? Un incident peu remarqué des historiens permetde t'apprécier.

Parmi les officiers royaux que les commissaires des états avaientdénoncés, le plus détesté de tous comme chef de l'ancien gou-vernement, celui dont le châtiment était réclamé avec le plus de

passion, c'était le chancelier du royaume, Pierre de Laibrét, ar-

chevêque de Rouen. Mais tandis qu'à Paris de puissants adver-saires travaillaient à faire mettre en jugement le malheureux pré-lat, celui-ci était traité par le saint-siège avec une éclatantefaveur il recevait du pape tnnocent Vt le chapeau de cardinal.Malgré les dénonciations haineuses dirigées contre son adminis-tration, malgré les dangers que pouvait courir sa personne, lenouveau cardinal, qui s'était éloigné de Paris, ne craignit pas d'yrevenir. !l y rentra en même temps que le duc de Normandie, lei4 janvier, c'est-à-dire peu de jours après des scènes de désordrequi n'avaient pas été sans gravité. Si l'Université avait pris parti, 1comme on le croit, pour la bourgeoisie soulevée par ÉtienneMarcel, elle n'aurait fait sans doute qu'un médiocre accueil auprélat contre lequel s'élevaient alors de si graves accusations et

(t)ZesCtWM&NCAnMM~MM<~ef~Mce.éd.de M.PaaMaParis,t.Vt.p. 46et47.

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A THAVKHSLK M<~KXAt.R. .:t&

une si vive aniuwsité. Que fit-elle cependant' Htte s'empressad accourir an-devant dp lui, et. pendant que le prévit des mar-

chands et les bourgeois de sa suite s arrêtaient a la porte Saint-

Antoine pour y recevoir le due de Normandie, les ~w~*<f f~<<

racontent qu un grand nomttre de collèges et tes ordres

religieux vinrent en procession jusqu'au delà des portes de la

ville, a la rencontre du nouveau cardinat <t). ~ue ce fut par ré-

vérence pour sa dignité, le rédacteur des t'M~w< te dit expres-sément, et nous navons pas de peine A te croire. MaisPierre de

Laforet était un perso))na;ifetrop considérable dans te royaume,

pour que tes honneurs qui tui étaient rendus n eussent pas un<double signification, l'une rclijirieuseet l'autre politique. Un ecté-

brant son arrivée a t*aris, t niversité ne pouvait donc pas se faire

illusion ette ne s'acquittait pas seulement d'un devoir traditionnel

envers un prince de l'église elle témoignait etnirement qu'ellene partageait pas tes ressentiments des ennemis de Pierre de La-

forét, que tours dénonciations et leurs cris de vengeance n'avaient

pas trouvé d éctto dans ses écoles, qu'on y gardait, malgré tout,le respect du A ta personne du chancelier de France aussi bien

qu'A la dignité de cardinal.

H est constant d'ailleurs que le clergé, celui de Paris comme

celui d'autres villes, qui s'était associé d'abord aux projets de ta

bourgeoisie pour ta réforme des abus, se sépara des états aussitôt

que la conduite et le langage des partisans d'Étienne Marcel lais-

sèrent soupçonner des intentions factieuses c~. Beaucoup de ses

membres, qui avaient assisté aux réunions du mois d'octobre i35<ne siégèrent pas à celles du mois de février suivant; 1 archevêquede Reims, Pierre de Craon, qui avait porté la parole devant le ducde Normandie, avec une singulière fermeté, au nom de la pre-mière commission, s'abstint dans la suite de paraître aux assem-

blées, se prononça en faveur du prince, et fit tant, dit Secousse

(i)te<Cf<Mt<&tChroniquesdeFrance,éd.d'' M.PaulinParis,t. Vt.f. i8.(2)Il fautlire surcepointlechapitredMGrandesC&fOtt~MM.p.59ft Mtiv.Coment

la pM«MMeeiniquedes trois «<<MfMe/<M<fet vint â M~an<.FMMMrtdit de soncMé.p.95 HVousdiqaeMmoMedouroyaumedeFranceet li prélatdesainteÉglisesecommencièreatà tanerdel'empireetordenancedestroiscstats.Sienlaissoientlepre-vostdesmrchans~«aveniretancamdesboargotsdeParis,pourM*queci!tt'ettm-tremettoientptasavantqueil nevoMMcnt.Cf.Secousse,~MoMeo,etc.,p. t37t'tMtiv.

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BX< MMtMXSH!SW«)Q< KS KT PH<MS(tpHtQUES;<M

qu'il devint son principat conseiller (0. m seul prélat, HobertLeCoq, évéqne de Laon, resta fidèle Atienne

Marcel, jusqu'A de-venir te complice déctaré dp tarét~ettion contre l'autorité royale (a)Cependant il avait figuré dans les conseils du roi Jean, et il avaitété comblé de ses faveurs.

Nousn avons pas Araconte.. tes événements de année <357 anmois de mars, le triomphe éphémère des cttefs de la bourgeoisiepanstenne; la création d'un nouveau conseil d.. ~onverne.nent.jUtconcentre tous tes pouvoirs en ses mains; le renvoi des onieiersroyaux que le duc de Normandie renonce A maintenir dans leurscharges; la grande ordonnance de rëiormation, subie plutôtqu acceptée par le prince; au mois d'avril, une nouvette réuniondesétats, dont

tesran~séctaircissentdcptusenptus; la résistancedes provinces aux ordres venus de Paris: A Paris même de fré-quentes scènes de tumulte et un commencement de réaction enfaveur de l'autorité royale; dans tes mois suivants, te propres det agtiatton, les voyages du dauphin ARouen, APoitiers et A Char-tres tes efforts d'Ëtienne Marcel pour conserver et accroître sapopularité: les états généraux pour la troisième fois appelés Aseréunir AParis, au mois de novembre; dans la nuit du 7 au S dece mois, la délivrance du roi de Navarre, alors détenu au châteaud'Arleux, dans le Cambrésis; son arrivée à Paris; ses relationstantôt secrètes et tantôt avouées avec le parti populaire; son ap-parente réconciliation avec le duc de Normandie. L'Université pautant qu'on peut en juger, resta étrangère à tous ces événementset à toutes ces intrigues, sur lesquelles par conséquent nous nesaurions insister sanssortir de notre sujet. Mais, au mois de janvieri358, il se produisit deux incidents, l'un que tous les historiensont mentionné, l'autre que les écrivains les plus récents passenten général Foussilence, mais qui tous deux témoignent clairementdes dispositions du corps universitaire.

Dèsles premiers jours de l'année i358, Étienne Marcel, voulantdonner un signe de ralliement à ses partisans, ordonna par leen d'un héraut, à tous les bons citoyens, d'avoir à porter un

(t)8eeMM!ie.i.p. t38.h 2~T~ '~T~' T" ?' Coq, parM.D..ët d Anqd~s

!e~ dear1', 100 et 110.

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A TBAVBMSLE M<HKXA'.t:. 3t7

chaperon m! parti rouge etpers, c'est-à-dire bleu foncé. avec ttes

agrafes d'argent entremêlé d'émait vermeil et azuré. Sur i agrafese lisaient ces mots t Aw<w en signe d attiance, disent deslettres de rémission du 10 août i:;58 (<), de vivre et mourir avecle pt~vot contre toutes personnes, tt est intéressant tic savoir quel-le fut alors la conduite de 1 Université. V seulement elle n'o~tt

pus à t'ordonnance d'Étienne Marcet, mais elle tit savoir ~n'eMene s'y tMmmetirait pas. Un mandement dn recteur fit défense &tous mattres et éconers de porter aucun signe de faction. C est par)tn Ronlay (2) <~)enous connaissons ce fait important. Contre son

habitude, te scrupuleux historien, ainsi que notre savant confrèreet ami M.Pantin t'aris (3) en fait la remarque, ne citeancnn textea l'appui de son assertion. Toutefois, nn ne saurait douter qu'iln'eut sous tes yeux ou t'acte même dont il parle, ou tmettpteancien registre dans te<jne!cet acte était mentionné. Malheureuse-ment les registres de t't niversitéde Paris qui se réfèrent &cette

époque ne nous sont point parvenus (& de sorte que nous ne

pouvons vérifier par nous-meme le témoi~na~e de Du Boutav, ce

qui n'en infirme nullement t'irréfra~abte autorité.

Quelques jours après le mandement du recteur, eut tieu unautre incident qui fut la confirmation de cetui que nous venonsde rappeler. le samedi i3 janvier, monseigneur le duc de Kor-mandie, racontent tes ~ew(/M CA~M~MCf,fit venir au Louvre

plusieurs maures de Paris. Par ces mots, maltres de Paris, » ilnous est impossible de comprendre les notables de lu vitte, commeSecousse paraH disposé A le croire, sur la foi d'une chronique.Parmi les notables habitants figuraient sans doute les maîtres quienseignaient dans les écoles; aussi l'expression de Mo~A~ a-t-etle pu leur être appliquée par un chroniqueur. Maisquelle que

(t) CestettrMontétépubliéespar SfuMMM,dansteRecueilA-y~eMquitunut-leMcondvolumedesesAMme~fMsurt<'roideXa<rarn',p.85et<?.

(~ ~M<.Ca<peM«aM<tPafMteMM.t. tV.f. 33H.(3) Grandes MM<t<?tte<t. t. Vt, p. sa.

(t)LeptMancient~egistreqnenuust'tMMdionaet)t<'ei(ddelaNationdAitemagne.dontle t<'cteMtKMtveMd'aMe!!ton~extraitsdans notre~ecAMM~a~tM, anxannéest332.1333et 1338.Maistf n'8i!itn-s arrêteà t annéet3;7,etnen'prendqu'à&tannéet3M.Touteiapartieintermédiaireest deputxtongtottp!:tterdne.eoxMneentem~nt-la notesuivante,duneécriturettèt ancienne«RegistrumprocuratorisdetttnqnagintaanntsamtMnmest,quodhamediatehocsequidebet.tdeohocqnndse-quiturhtdpitinannot3M.Magnafuitetadhminfo)np!uritMMt'stne~igentia..e

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KX<UHMttXSMtUTUtUQtrRSKTt'H<).<'aM't<)OUKS3)s

soit au moyen a~e lit diversité des sens du mot w~ ce mot,dans le passage des ~w<~ ~<'o~~w<, dont il s'agit, nous

parait incontestablement désigner le corps enseignant. Et quel futl'entretien du dauphin avec ces maMres df t't!nivcrsi<Mqu'i! avaitréunis autour de hti? tl tcm' parlat sur le ton le plus aMabie, et!etu' demanda de se conduire envers tui-meme comme de ttons

sujets, tem' promettant d'être pour eux un bon seigneur. Ceux

:lui étaient présents répondirent an prince qu'ils vivraient etmourraient pour lui. Ils ajoutèrent <ptit n'avait que trop tardea prendre le gouvernement (t). Que les paroles du duc de Nor-tuandie témoignent d'une certaine appréhension et du désird<*rallier des partisans Asa cause, nul ne saurait le contester:mais. dans Faccueit que c<'s parotes reçurent, dans l'appel ftuifut adressé au prince pour qu'il prit d une main ferme lit con-duite des anaires. n'y a-t-il pas la preuve manifeste que t't ni-verstté restait étrangère aux menées fâcheuses d'Htienne Ilareel,et qu'elle conservait au fils (h) roi Jean un dévouement fidèle et

courageux?il est vrai qu'au mois d<'février, l't niversité reparut devant le

duc de Normandie; elle accompagnait cette fois le prévôt desmarchands et une députation de bourgeois et de membres du

cierge. Hs'agissait de la paix publique, plus que jamais menacée

par les nouveaux dissentiments qui se manifestaient, malgré des

protestations amicales, entre le duc de Normandie et le roi deNavarre. Le général des Frères Prêcheurs, Simon de Langres,adressa au régent un discours que Secousse qualifie d'insolent (2),et qui sous ce rapport fut dépassé, se~ le même écrivain, parl'interpellation d'un autre moine, prieur d'Essonne prèsCorheit.Qu'avait dit cependant Simon de Langres? Qu'il fallait en nniravec le roi de Navarre; le mettre en demeure de produire en uneseule fois toutes ses réclamations; cela fait, lui rendre les forteres-ses qui lui avaient été enlevées; examiner ensuite avec maturitéses autres demandes, et lui rendre sur chaque point bonne jus-tice. Leprieur d'Essonne ajouta que MeSimon n'avait pas tout dit;et se tournant vers le ragent, il déclara, au nom des assistants,

(t)Ct'aH~MC~MMt~ttc~,p.M.Ct Secousse,~MO<rM,p. t7a.)9,'Secnu!!sc,Mémoires,li. t78,t79.

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A TBAVEMS M: MWKX AHE 3M

que si l'une des parties, un le récent lui-même ou te MMde Na-varre, repoussait ta transaction proposée, ils avaient résolu de semettre contre échu qui l'aunut repoussée et de prectter contrelui (t). !'aut-it interpt~ter ces paroles comme une adttésion a lapolitique détienne Marcet? Nous ne le pensons pas nous n<'suu-rions y voir qu'une invitation a la concorde cotre les princes deta maison de Valois, et le témoi~na~e vivement exprime (te cebesoin de tranquiltité et d'union qui commençait a devenir domi-nant. Ni te générât des treres frécheurs ni te prieur d Kssonnene font allusion aux griots récipt-oques de lit ttonr~eoisie et de la

royauté ils ne s'occupent l'un et t'autre que roi de Navarre etdu dauphin, et des bons rapports Aétatdit' entre les deux princes;ils parlent en médiateurs, ou, si 1 on veut, en artMtres its ne

parlent point eu rehettes; et c'est, Ii notre avis. par une fausse

interprétation de leurs paroles que ta plupart des historiens tesont représentés tous deux comme appartenant A la fac'ion d Ë-tienne Marcel.

t! nous semble aussi qu'on est tombe dans une singulière mé-

prise a propos de t excommunicationlancée par t'évoque de Paris.Jean de Meutan, contre le maréchal de Normandie, Robert deClermont. H n'est que trop évident que Robert de Ctermont s'é-tait attiré, par sa violence inconsidérée, la censure ecclésiastiquela plus rigoureuse, Il avait forcé les portes du cloUre de Saint-

Merry, où s'était réfugié un apprenti changeur, Perrin Marc. à lasuite du meurtre de Jean Baillet, trésorier du dauphin: il enavait arraché le meurtrier, et l'avait fait pendre il avait doncviolé le droit d'asile, droit que tes décisions répétées des conciles

(t) Voici,danssonintégrité,le p-MM~'deseMM<~CAMn~ttM,)'. 8a,quenousvenonsdf résumer Cetteseptuaine,fUniveMitéde Paris,teetetnie.leprenMtde-.tMan-hanaet ses<'oMpai);nons,aterent)'ardeveMxmnsetgneur!educ,au palais,et(afu ditauditduc,parfrÈreStmende LansM~.tMM&ttede l'ordredesJae~biM,quet<KMtesde~MMMotnmesavaientestéensemMeanconseil,etavoieBtdéUbéréquelen.ydeNavarreferoitfaireauditductoutessesdonandesà une<bis;etquetantostqueittôtauroitfaites,leditdueferoitrendreauditroideNavarretoutes!ies<brter<fM-set,aprèsleu regarderoitsurtonteslesre<tueste<duditroy,etluypassaitl'entoutcequet'endevroit.EtpourcequetedHmaîtrenedisoitp!us,unMoinedeSaintnenisent'fanee,Maiatreen theotogteet prieurd'Essonne,dit auditmatstrequeit n'avoitpastoutdit.Stdistalorsleditprieurà Monseigneurledne,queencoreavoient-Usdéiibérequese itouleroydeNavarreestoientrefusansdeteniretacco<np)irleurdéMb~ratiot).Ilsoeroieattouscontreeetuyquienseroitrefusant,etpreseheroientcontreluy.

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3M KXFMtStONSHiSWHtqPESET PtMMSOPMQCES

avaient consacré, et que l'Église n'avait jamais laissé enfreindresans frapper d'anathème les coupables (i). L'évoque de Paris eut

manqué aux devoirs de sa charge, s'il eut laissé impuni t'attentâtcommis par le maréchal de Normandie. Il est superflu et pres-que puéril de chercher des motifs politiques, une connivenceavec Ëtienne Marcel, des haines de parti, pour expliquer l'ex-communication qu il lança; cite était commandée par des motifs

religieux, par le respect de la loi ecclésiastique et la protec-tion due aux antiques immunités du cloître Saint-Merry. Mais,bien que dans cette circonstance Jean de Menton, fidèle à sondevoir épiscopal, n'ait point hésité A braver le mécontentementdu dauphin, aucun témoignage n'autorise A h' classer parmi lesadversaires de l'autorité royale. S'il rendait ADieu ce qui est ADieu, il savait rendre à César, comme l'a remarqué M. !'er-rens (2), ce qui est ACésar. Aussi, quelques mois plus tard, lors-

que, toute sédition étant apaisée, le dauphin rentra dans Paris,Jean de Meulan fut de ceux qui allèrent au-devant de lui ettinrent place dans son cortège.

L'évoque de Laon, Robert Le Coq, fut le seul prélat, Robertde Corbie fut le seul maMre de l'Université, (lui prirent résolu-ment parti pour Étienne Marcel et pour le roi de Navarre. Nousn'avons pas A parler de Robert Le Coq, personnage d'ailleursbien connu, et dont les documents publiés par M.Douët d'Arcqont mis l'attitude et les méfaits en pleine lumière. Robert de Cor-bie n'appartenait à aucune communauté religieuse c'était unmaître séculier. Il assista aux états généraux de i356, dans les

rangs du tiers état, comme député de la ville d'Amiens, fut aunombre des commissaires désignés par ces états pour la réformedu royaume, prit une part très active aux menées d'Ëtienne Mar-

cel, se prononça pour le roi de Navarre après la mise en libertéde ce prince, porta souvent la parole dans les assemblées popu-laires, et mit tout en œuvre afin d'assurer le triomphe de son

parti. Mais, quelque rôle que des convictions profondes, ses rela-tions d'amitié ou son ambition l'aient poussé à jouer, la question

(t)VoyezlasavantedissertationdeM.WaHea.P«droit<fe<t~Cefutlathèsequenotreemtneatconfrèreprésenta,en1837,à la FaeattédealettresdeParispourobtenirlegradededocteurestettrM.

(9)ÉtieMe~foM~et le~oMMfWMftt~etc., p. 3M.

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ATRAVERSm MOYENAGE. gjn

est de savoir si, dans la voie oft il marchait, il fut suivi par sescollègues, maîtres en divinité comme lui, et par de fidèles disci-ples. L'Université de Paris laissait, après tout, à ses écoliers et &ses maîtres, en des conjonctures aussi graves, une certaine libertéd'opinion et de conduite. Tant qu'elle n'avait pas elle-même pro-nonce, chacun pouvait se laisser aller à sa propre pente. La penteoù Robert de Corbie s'était engagé fut-elle suivie dans les écoles?Aucun témoignage, aucun fait ne l'établit. Robert de Corbie ap-parait donc à l'historien comme une recrue isolée que Marcel<4 le roi de Navarre avaient gagnée à leur cause, mais qui n'en-trama pas avec elle d'autres défenseurs de tours projets. Ajoutonsqu'après la mort d'Étienne Marcel, Robert essaya de rentrer engrâce auprès du régent, et qu'il obtint des lettres de rémissionet la restitution de ses biens et bénéfices (1). En i364, nous le re-trouvons à la Faculté de théologie, prenant part à une délibéra-tion de la compagnie contre les assertions d'un cordelier, frèreSoulechat, sur la pauvreté volontaire (2).

11ne faut donc pas s'armer du nom de Robert de Corbie poursoutenir que l'tïuiversité, abandonnant la cause du dauphin, c'est-A-dirf la causo de la royauté, était passée en majorité dans lecamp d'Ëtienne Marcel. Nul ne se méprenait alors sur ses anec-tions et sur ses vœu~ loin de I&,son amour de la paix et son at-tachement au roi, représenté par le dauphin, d'autre part ladéférence du dauphin envers elle, étaient si notoires que, lasituation devenant de jour en jour plus critique pour Étienne Mar-cel et ses partisans, ce fut A l'Université que le prévôt des mar-chands s'adressa pour servir d'intermédiaire aux Parisiens prèsdu duc de Normandie.

Le 22 janvier i358, le jeuue prince avait vu massacrer A seseûtes, dans son propre palais, les maréchaux de Champagne etde Normandie, et il avait entendu Marcel ordonner froidementce meurtre, que Robert de Corbie osait le lendemain justifierdevant les députés des bonnes villes. S'il n'avait pas quitté Parisimmédiatement, c'est qu'il s'y sentait surveillé et en quelquesorte retenu prisonnier. A peine eut-il atteint sa vingt et unième

(t)iKM. <<<'<co~e«'A<M~t"'fierté, t. Il, p. 3<7.(~ FM~.pc~foHo~tcx~ «te.. p. M3.

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aM EXCURSt~NS ntSTOMQHES Et PntLOSOPHtQOES

année, le H mars suivant, il échangea son titre de lieutenantdu roi contre celui de régent du royaume; puis il s'échappa for-tivement par la Seine, la douleur et l'indignation dans rame,résolu de ne pas rentrer dans Paris avant d'avoir tiré vengeancedes meurtriers (i). Apresêtre allé a Meaux, de I&ASentis, puisà Provins pour assister & la réunion des états provinciaux de

Champagne, it avait gagné Compiegne, où il venait de convo-

quer les états généraux. Ce fut dans cette ville que vinrent le

trouver, dans les premiers jours de mai, sur les instances d Ë-tienne Marcel, le recteur de l'Université et deux maîtres de cha-

que Nation, précédés des grands bedeaux. Selon la mission qu'ilsavaient reçue, ils s'eit'orcèrent de Méchh le prince, et lui donnè-rent l'assurance que les Parisiens étaient prêts à lui accordertoutes les satisfactions qu'il ordonnerait, pourvu qu'il ne deman-dât la mort de personne. Le régent accueillit la députation avec

bonté; mais il ne consentit à rendre aux Parisiens ses bonnes

grâces qu'autant que dix ou douze, et tout au moins cinq ousix des personnages les plus compromis dans les troubles de

Paris, lui seraient livrés. 11déclara d'ailleurs qu'il leur laisseraitla vie sauve (2).

Lorsque la réponse du prince eut été transmise à Marcel, celui-

(t) Continuateur de Guillaume df Nangtft,t. M,p. 254 a Arivitate PariMpnitt fOM-ternatus antmo abittet recessit, propoaeM ad eam non revfrtt,nM pr!us vtndtctaaHquath de preetath fuerit eobM'cuta. »

(9) ~e~. Nationis ~<<c., ad dient ? mait t3M. <'itépar Du Bouhty.t. IV, (*.nx8K)ueaUdie (post festum ?. Jar.obiet PhUippi;farta t-ongrcgattoncad S. Mathurhnm

Facultatis arttum ddibe~tum fuit concordMer,quod duo magistri de qttatttx't Nath'ncuna eMMH. rMton' et bed<'ttompfrtoM untttM;nJt)s<)ueNattonh iD'nt ad domtnutn U.Nonuantm proptt'r pao'tn et Htn<'o)tttamtrtumtttatuam;ethoc extt'tt~it pn)pr!<8,t<aqaod qoaiMbftNatio ferret expensas tatorum qui in-nt de itla Nattone. MContinuateurd<'f!umauttte de Nangis,t. il, p. 26&: a ProRposttoaprmtatus et itUqui sutx'rttattom'tMt'tvMatiesibi post fMMttun d))ci)t«M'opérant,sNppti<a«'m))tt!ntv<'rsitaHStudii Pari-~nst9 ttuatfnoe ad dictum duMtMregptttfm a<'M'dfrent.et <').pxparte <'orunt et h'.Musurbis, hMmttih'rmppMt'areot.quateotMtndignattonon <tuaMer(!atpMacivrs cont'<p'rat. a corde suo dutciter axtoveret; promittentea et oN'<'rentesMneodamcondtgnatMstM !a<M')f,saiva vita onuttuM.honore et retcrentta qna decebat. Universitas autetn,pro botto ehKatht, Hh<'nttanhtm oUxttpturea MÎMnne!' deputatoa auppUcaturosproMegotUttsupradictis. Qut qMMen)a domino duce et atita doininis cutn omnt b<'ntf<nt-tate r<tfptt, r~portarottt quod unas numerus Mt)xparvus, ut pula decem vel doode.ctM. ~etttaUMnqotnttuevct wx virorum qu! Magtsdento negotio pcrpetrato 8U:p<'etfLihabehatttMt',non tntendt'tts eorum mortfm et lune x) hoc <acen'ttt, tthentM dux<utdh't'txtt. M'tpsutntt))hMUt<)atn)<)t!ath Mtantfa rctbrmarpt. ?a

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A TRAVERS LE MOYEK AGE. 3M

MCt)MM!tt MtattMtWM. 23

ci jugea, non sans motifs, qu'un pardon offert dans de telles con-ditions offrait peu de garanties à ceux qui l'obtenaient. Il se pré-para donc &soutenir la lutte avec plus d'ardeur que jamais, fit

réparer les anciens murs, creuser des fossés, élever des rempartsnouveaux, placer des balistes aux portes. Maisparvint-il à entraî-ner avec lui l'Université? Tous les faits démentent une pareillesupposition.

L'Université n'avait pas réussi il procurer par ses démarchesle rétablissemeut de la paix, mais elle ne la souhaitait pas moinstrès vivement, autant, il faut le dire, dans son propre intérêt

que par un sentiment de patriotisme. Lespréparatifs d'une guerrecivile que tout faisait prévoir ou, pour mieux dire, qui se trou-vait déjà engagée, lui portaient le plus grave préjudice. Le con-

tre-coup des agitations de la place publique se faisait sentir dansles écoles et troublait les études. « Que sont devenus, s'écriait Pé-

trarque (t), témoin véridique de cette afnigeante situation, quesont devenus les bataillons pressés des étudiants, et l'ardeur qu'ilsmontraient pour l'étude, et la gaieté qui les animait? Ce n'est

plus le bruit des controverses, mais des bruits de guerre qui re-

tentissent ce ne sont plus des amas de livres, mais des monceauxd'armes qui frappent la vue il n'y a plus ni syllogismes ni ser-

mons, mais la voix des sentinelles qui font le guet, près des ma-chines de guerre, sur les remparts de la ville. » La sûreté des

personnes, surtout quand elles appartenaient à l'Église, étaittellement menacée que le dauphin, après sa rentrée dans Paris,a pu écrire au comte de Savoie (2), en parlant des Navarrais, al-liés détienne Marcel « Et ainsi devoient entrer en la dicte ville;et si tost qu'ils y eussent esté, ils eussent murtri et mis à mort toutle clergié et genz d'église. » Aussi, dans une délibération du

chapitre de Notre-Dame de Paris, en date du 13 avril 1364, etrelative à des vexations commises par les adhérents d'Étienne Mar-

cel, cette triste époque est-elle dénoncée au jugement de l'his-toire comme une époque de tyrannie, ~M~M'e tempeste ~WiMMe-~Mp/M~ P<K'MMM(3). En admettant que ce témoignage, postérieur

(t) t~M. rer. MM«.,t. tt. X,ep.n.(9) Penenx. ? MMMefaKc att mo~M dge, t. tt, p. 369 et autv.

(3)Ar~h.Nat..Reg.44!M~,f 489.No)MdevonsceK'Metgoemctttà l'obligeancedutXMntéditeurdeFMtaMrt.M.StméonLuce.

Page 358: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCUSONS HISMMWnBS ET PHn.OSOPH!QM~aMb

an triomphe de la cause royale, parut sttspect, on ne saurait mé-

connaître que, sous le règne du prévôt des marchands, les intérêts

matériels des collèges et des maisons religieuses sounraient de

cruelles atteintes. Ainsi on avait vu, comme nous en avons fait

la remarque plus haut, les beaux jardins des Frères Prêcheurs,

qui s'étendaient en deçà et au delà des murs de la ville, saccagéset détruits pour faire place à des travaux de défense, fossés, rem-

parts etchemins de ronde (1). Nousajoutions que, suivant M.Henri

Martin, a les bons frères ne murmurèrent pas n. Nous serions

heureux de savoir quelle autorité l'éminent historien pourrait

alléguer à l'appui de cette assertion. Sans vouloir nous jeter nous-

mème dans la voie toujours périlleuse des suppositions, nous

croyons être plus près de la vraisemblance en conjecturant queSimon de Langres lui-même vit avec tristesse la dévastation des

propriétés du couvent dont il était le supérieur, et qu'il en sut

mauvais gré à la bourgeoisie parisienne.

Lorsque, dans ces tristes jours, l'Université avait une plainte à

élever, a qui venait-elle demander appui et protection ? A l'au-

torité royale. La rue de Fouarre, ou se trouvaient, comme on sait,les écoles de la Faculté des arts, était fréquentée la nuit par des

femmes de mauvaise vie et par des gens sans aveu. On y entassait

des immondices à infecter tout le voisinage; on s'introduisait dans

les salles de classe, et on souillait la chaire des professeurs et la

paille destinée servir de siège aux étudiants, comme si on eût

voulu empêcher ceux-ci de recueillir, selon l'expression du temps,lit fleur et la perle de la science, /?o~~M ~:<H'y<M'~wtWM~M*.

Il semblerait que la répression de ces scandales fût de la compé-tence exclusive du prévôt des marchands, premier magistrat,et alors, pour ainsi dire, maître absolu de la ville. Cependant,fait curieux! ce ne fut point à lui que l'Université fit parvenir ses

doléances; elle s'adressa directement au duc de Normandie, quide Compiègne l'autorisa à établir, à chaque issue de la rue de

Fouarre, une porte qui resterait fermée la nuit. Les lettres écrites

à ce sujet par le régent (2) offrent ceci de remarquable, qu'il y

(<Cent.deGutUaomedeSaog!s,t. Il, p.257«FueruntdestructahospitiaetdomosquasFratresPrep<<a<cr<MhabebantetMmoM&extramurosPatMenses.EtnonsolamdomosquasœdiBcaveMntperdideruntexterins,sedettamdomos!ntramœn!a.»

(2)Lettresdu moisde mait3M. N<'c«e~desaoc. loif, etc.,t. V,p. 26et saiv.

Page 359: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TMAVEHSLE MOYEXAGE. 3)t&

parle de IfniverMté dans les termes les plus atîectueux. 11déclare

qu'il forme des vœax pour elle du fond de ses entrailles, lotist'MC~<&M<<i~c/ofM<M~et qu il travaillera énergiquement A luidonner repos, honneur et sécurité. H fait en particulier l'élogede la Faculté des arts; il la signale comme le fondement, l'origineet le prineipe des autres sciences, /MM<~KH~!<<w~o~Mtc~! arc

~rMte<p!MMa/M~twt scMM/w~MMt.En regard de ces déclarations

et de la concession bienveillante qu'elles servaient à motiver, si

l'on place le silence et la conduite d'Étienne Marcel, qui ne paraitpas avoir accordé aux élèves et à leurs maîtres une seule faveur,

pas même une parole d'encouragement; qui, bien au contraire,

par ~a politique agitée et par ses machinations, compromettait de

la manière la plus grave tous les intérêts, il n'est point difficilede comprendre pourqu~ l'Université de Paris n'a pas embrasséla cause du prévôt des marchands.

Cependant les événements suivaient le cours qu il était facile de

prévoir. « Bon commencement eurent, dit un chroniqueur en

parlant des états de 1356, mais mal finirent (i). ? Tandis que letrouble et la confusion croissaient à Paris, quelques-unes des pro-vinces voisines étaient la proie de la plus cruelle anarchie. En

Normandie, en Picardie et en Champagne, la jacquerie était

venue ajouter d'enroyables scènes de meurtre, de pillage et d'in-cendie à tous les symptômes de dissolution qui menaçaient laFrance. La misère était générale, et de jour en jour plus doulou-reuse et plus accablante. Elle entrainait les populations, quimouraient de faim, à tous les excès d'une rébellion sauvage; elle

disposait la bourgeoisie épouvantée à subir le joug d'un maître

dont le pouvoir ne fût pas mis en question, et qui rendit à cha-cun la sécurité et la paix. ·

Si la jacquerie, eh se disciplinant, avait pris de la consistance,

peut-être anrait~ellè pu venir en aide à Marcel; mais, après s'êtresouillée par des crimes sans nombre, elle ne tarda pas à êtreécrasée en plusieurs rencontres par les nobles, ralliés enfin pourla défense de leur famille et de leur propre vie. Le régent s'était

rapproché de Paris, et depuis les derniers jours de juin il cam-

pait avec trois mille gentilshommes, suivis de leurs valets et de

(t) CAnMtt~Medesquatrepremiers~aMs,publiéeparM.Luce,p. N.

Page 360: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

3M EXCUR8MX8MtSMBtQUESETPMt.OSOPtMQf~

leurs écuyers, du côté de Clmrcnton, ce qui le rendait mattre ducours supérieur de la Seine. Le roi de Navarre était A Saint-De-nis, à la tête d'une petite armée; les Parisiens l'avaient pro-clamé leur capitaine; mais ce prince ambitieux n'était pour eux

qu'un allié flottant, incertain, toujours prêt Ales trahir. Il n'a-vait pas empêché que les communications de la ville avec ta

campagne fussent coupées, les approvisionnements compromis.Les habitants, exposés a ta famine, ne cachaient ni leurs crain-tes ni leur mécontentement (<). A la fin du mois précédent,deux d'entre eux, accusés de trahison, avaient été mis A mort

par ordre de Marcel; mais leur supplice avait accru l'elferves-

cence, bien loin de la calmer. Il était évident que la violence nerendrait pas au prévôt des marchands lu direction des espritsqui lui échappait.

Dans ces conjonctures, l'Université de Paris fut appelée de nou-veau Aremplir le rôle de médiatrice, rôle pour lequel lit bienveil-lance du régent semblait la désigner.

La veuve de Charles le Bel, Jeanne d'Évreux, tante du roi deNavarre, s'affligeait des dissensions qui armaient l'un contre l'autredeux princes de sa famille. Elle avait essayé plusieurs fois de tesréconcilier, et de réconcilier en même temps le dauphin avecÉtienne Marcel. Dans le courant du mois de juin, elle entama denouvelles négociations en vue de la paix, et elle supplia l'Univer-sité d'intervenir. Le rédacteur d'un vieux registre, aujourd'huiperdu, auquel Du Boulay a emprunté le fait, n'a pas négligéde nous appreudre le caractère de la démarche que fit la reineJeauned'Ëvreux ce ne fut pas un ordre, ni même une simpleinvitation, ce fut une prière, M~/<c<~MM-~ qu'elle adressa aurecteur. Elle avait le droit de compter sur le succès, comme veuvedu dernier roi, fils lui-même de Philippe le Bel, et d'une autrereine de Navarre, qui, dans les dernières années de sa vie, avaitfondé à Paris le collège de Navarre, richement doté et devenubientôt florissant. Comment l'Université n'aurait-elle pas gardéle souvenir de ce bienfait et témoigné une juste déférence aux

(t) Chronique des quatre pMMters Valois, p. 84 e Une p)rine!patcame qaHt~M tôt fit tourner le commun 4e Paris centf~ te pfévest de Paris, d fot poor ta dcf&utte de vivres qu'ila avaient ea en ta dicte cité et par espédat de pain.

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A TMAVKMSLU M'~K~ A'.K ?7

héritiers de hienMtrice (<)?Le recteur d'alors, tout )~< emmentélu, était Jean de ht Marche, tlui fut, avec son neveu et ttéritier. =Guillaume de ta Marche, le fondateur du collège de ce nom. Surla convocation du recteur, lit Faculté des arts se t~unit, h' juin,aux Mathurins, et fut d'avis, conformément au vu'u de !a reine,d'aller troMvct' lu duc de Nonnandx', mais )«mslit c<tndit!<Mtqm't<'sprocut'CHrs des quatu' Nations do lit Faodto d<'sarts fft'ax'oth' voyait aux frais de tf'm'sNations r<'sp<'cth<'s,t'n h-nant «t)nnt<'aH n'eteut' de s<tpropn' d'~M'nsc: t'tans<' <'ttri<'<tsc,<)m montre a

<nte]sdétails ntinnti«MXd<'sc<')tdaient<px'tqu<'foist<~dMti~ratiottsdans !')!:eoh'd<' Paris. !/Uaiv<'rsitc s); trouva, sans avoir t-hcrch~c<tthMMM'tH',ap~d&< p~M<rt'r et a secondf)' Ja transaction <pneut lieu, le 8 juillet, entre )<!roi de Navarre e< le dauphin maisce stérilo traité ne rendit pas ta paix a )'tat, car les conditions enfurent aussitôt violées nne convenues.

tMj&cependant le pape Innocent Yt avait hu-meme eteve litvoix contre tes sanglantes a~itK~ons du Royaume Très Chrétien.

Innocent Vt, (lui était français, avait appris avec une extrêmedouteur les désastres de son puys natul. Apres lit bataiHe de foi-tiers, il était intervenu en faveur du roi Jean, et avait fait tousses embrts pour modérer tes prétentions des Aurais et obtenird'eux une paix honorah!e (2). Il ne paratt pas, a Fori~tne, avoirdonné une sérieuse attention aux événements qui se passaient aParis. Soit qu'il tes jugeât sans gravité, soit qu'il Mt distrait pard'autres soins, it ne se mêta pas, dans le principe, Alit nuerette duduc de Normandie et du prévôt des marchands. Maisquand le dé-

(t) M.Sime«nLn~'a signalélepremier,je <-To:s.t':nnt«'nc<'queh: souvenir<)<-lafondationducoUegedeNavarreavaitpuavoirsur tesdémarehMde Unt~'n.itA(B'M.de ~<-e<<!deschartes,t. XXt(an.)M9t860),p. 276.)

(2)DaMsondiscouMsur t'etatdeslettresen Francfau ]nv"siècle(~M/.M~.f/<;la ~Troace,t. XXIV,p. t68),M.Victor Clerca citéqaeiquMpassagesdelaJettMtouchanteque,dèsle ti octobret3M.c'està~iifeenvirontroissemainesaprèslabataillede Poitiers,tnaocentVIadressaità !'eMpereard'Allemagne«Montn~cherab, uneatgmndeamertumea remplimonccettr~unesi poignantedouleurtadeehifé.à lanonvelledet'événementsinbtn-qui frappemontrèsfherfilsenJésns-Christ,Jean.t'mustrcroideFrance. qu'Hma semNéquemaforce,tonsmessensmabandonnaientà lafois.Il faudraitêtredépourvude raison,depitié,d'huMan:tf,pournepointfondreenlarmes,pournepointlaisseréchappertesplustriéesaccents,pournepasectahireagémtMemeots.enpleurs,enlamentations,ensaagtots,à l'aspectdetoutcesangeht~ttenrépanduparlesplusnoblespeuples,decetterainedesfamil-tes ndètes,decesdangerspourtesâmes. M

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EX< UttSKtXS MtSTOMQUESHT MMt.uSttDttQt'ES

saecord ont dégénéré en conflit armé, et que, dansle même temps.les atrocités de la jacquerie eurent consterné la société chré-

tienne, Innocent Vt ne se résigna pas plus longtemps a garder te

silence. H écrivit à l'archevêque de Lyon, liaymond Saquet, a

l'évoque de Paris, Jean de Meulan, au prieur de Saint-Martin des

Champs, Jean Du l'in, et les chargea de parler en son nom auxhabitants des villes et campagnes, et de les exhorter a cesser toute

sédition et à fuir les nouveautés pernicieuses. Il adressa en même

temps a i Universitéde Paris une lettre qui nous a été conservée.

Il y exprime avec émotion l'afniction amure que lui font éprou-ver les maux qui désolent l'illustre royaume de France, ces cri-

minelles inventions ou se sont laissés aller Paris et d autres villes,ces fureurs populaires déchaînées contre tant de nobles seigneurs:

enfin, pour des milliers de personnes, la perte de tours biens, de

leur vie et même de leur âme. Le pape, en conséquence, invite

l'Université à s'unir à lui pour l'amour de Dieu, et par respect

pour le saint-siège apostolique. Elle ira trouver le prévôt des mar-

chands Ëtienne Marcel, les échevins et autres bourgeois de la

ville de Paris; elle les conjurera d'abandonner leurs projets perni-cieux, de faire acte d'humilité et d'obéissance; elle concertera ses

propres demandes avec celles de Farcheveque de Lyon et de l'évo-

que de Paris; elle méritera ainsi la bénédiction du saint-siège etcelle de Dieu.

Cette lettre, datée de VilIeneuve-Iez-Avignon, le i4 juin i358,fut apportée par le recteur Jean de la Marche à l'assemblée quise tint le i 6juillet suivant au cloître des Bernardins (i). Quel fut

l'accueil fait par l'Université aux injonctions charitables du sou-

verain pontife? Fut-elle mêlée aux dernières négociations qui eu-rent lieu entre le régent et le prévôt des marchands? Osa-t-elle

conseiller au premier la clémence, au second la soumission et

l'obéissance? Nous n'avons à cet égard aucun témoignage. Mais,à considérer la situation générale des affaires, on ne voit pasquel rôle utile l'Université pouvait encore jouer à la date du i5

juillet i358. Les pourparlers qui se continuaient n'attestaient quel'indomptable opiniâtreté d'Étienne Marcel à défendre une cause

perdue sans retour. Mn'avait pu rallier à son parti, malgré son

(1)DuBoulayNM. t~. Paris.,t. tV,p. 344et354.

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ATMAVEBSt.KMttYKNA<.K tim

éloquent appet. lit bourgeoisie des bonnes vities du royaume. ttmettait son suprême espoir dans te ru! de Navarre et, malgré decruettes déceptions, il ne reculait pas devant lit pensée de In pro-clamer roi de France. Mais, torsqu'it croyait s'être assuré duconcours de ce prince, de sangtauh s collisionséclataient entre litmilice pnr!s!<'nn<'<'t !<'sNav<n'n<!s six cents bun~ctus sMccotn-tMMHntaux p<n't<'sd<' Pat'Msons t<'sMMtpsd*' t'<'n\ ~nc te pfevôtdt's marchands d)~c!nm)t s<'salliés. Nous n'ontn'nms ptts dansle t~c!t d'événements bien connus, <Mran~crsA r~bjet sp~-Mddo ce travail. Tont s avançait tapidemt'nt v<'t~ un démntptncnt

ttop ccrta!n. t~ns la nuit du :H juillet, un cchevin. Jean MaU-

t.nd, se fit rintorpr~h' du m<!c<Mtt~nt<'mentd~s Parisiens et l'ins-trument des p<'nsccsde vengeance qui animaient tM'aut'uupd\'ntn'eux. t~ette nuit tnetm'. A ta suite d'une viotente nUetcation avecMat-cet,Jean Mai!ta<'dse repandit avec tes siens dans ta ville, auxo is de Mnntjoie et Saiut-ttenis Au t'oi et au due » Mareet

périt, frappe de sa main, setou te récit de FnMssart, uu, suivantd'autres, sous les coups de meurtriers restés inconnus. Plusieursd'entre les amis du prévôt furent e~or~es A lit même heure quelui; d'autres furent massacres ou pendus tes jours suivants, t~' re-

lent, qui se trouvait AMeaux, fut rappelé avec instance AParis,et y rentra des te 2 août en grande pompe. 1~ réhettion était

vaincue, l'autorité royale rétatttie et vengée; il restait Aréformerles abus qui avaient causé les malheurs de la France, motivé tes

plaintes sévères des états généraux, et servi de prétexte aux vi-sées les plus téméraires et aux plus coupables intrigues d ÉtienneMarcel.

On peut apprécier, par ce qui précède, l'attitude que l'IItn-versité de Pans a conservée pendant cette crise mémorable de tamonarchie. Elle n'a pris aucune part au mouvement insurrec-tionnel elle s'y est montrée plutôt contraire que favorable; elleinclinait du coté de la royauté qui la protégeait et l'honorait,plutôt que du côté de la bourgeoisie qui l'inquiétait et qui la trou-blait. Elle ne se refusait pas à la réforme des abus qui venaientde compromettre l'existence même du royaume de France maisles projets des réformateurs l'effrayaient, et elle ne consentit-pasà s'y associer et à les soutenir.

De là résulte une conséquence qui n'est pas sans intérêt pour

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360 KXCURSKMtSHtSTOMQUESET PHILOSOPHIQUES

l'intelligence des événements de ces terribles années, L'entre-

prise d'Étienne Marcel ne fat pas aussi populaire, elle ne réunit

pas à Paris autant d'adhésions, elle n'y trouva pas autant d'appuisque les historiens les plus récents l'ont pensé. Elle n'eut pour elle

que la partie la plus remuante de la bourgeoisie; elle eut contreelle la noblesse et le plus grand nombre des membres du clergé;elle ne parvint pas à rallier cette corporation puissante de l'Uni-

versité, qui sut se maintenir, sur samontagne Sainte-Geneviève, endehors des dissensions civiles, toujours prête à porter 'au princedes paroles de paix, jamais à devenir complice d'une séditioncontre lui. Qui n'a lu, dans I'<wv <A?~w<c<*de M.Michelet (i),le tableau saisissant de la ville de Paris vers le milieu du xtV siè-cle ?D'un coté, sur la rive droite de la Seine, la ville commerçanteet industrielle, avec son corps de métiers, ses habitudes laborieu-

ses, ses richesses lentement acquises et les aspirations libérales

que développent le travail et l'aisance; sur la rive gauche du

fleuve, la ville savante, la cité des philosophes, <'M'~<M/~<Mo-~<MWM, comme on l'appelait dès le siècle précédent; des écoles

célèbres dans la chrétienté; tout un monde d'étudiants et de

maîtres, parmi lesquels les gens d'Église et les théologiens n'é-taient pas les moins nombreux, tous hommes d'étude, mal pré-parés aux agitations de la place publique, plus soucieux de leurs

privilèges que des libertés de l'État, dévoués à la royauté qui lesavait toujours protégés, défiants envers les novateurs dont les des-seins leur échappaient ou leur nuisaient. Les quartiers com-

merçants et industriels se prononcèrent en majorité pour Marcel

mais il ne réussit pas à entrainer la ville savante, le quartier latin.H représentait la pensée et les vœux d'une partie considérable dela population, vœux à beaucoup d'égards légitimes et sages de làviennent sa fortune passagère et le nom qu'il a conservé dans

1 histoire. Mais comme il ne représentait pas la population en-

tière, et que, par ses menées tumultueuses, il blessait les convic-tions et les intérêts de beaucoup d'habitants, il était condamné à

n'être jamais que l'homme d'un parti, jusqu'au jour où, n'ayant

pas réussi par la persuasion, il aurait recours à la violence pourassurer le triomphe de ses idées. Quelque sagacité et, souvent,

(t) NM. de Nattée, t. Ht, p. 376et saiv.

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ATNAVHK8t.EMOYENA<;E. Mt

quelque prévoyance qu'il ait alliées a une rare fermeté de parae-

tèrf, son ech<'c étatt mévitaMe, et l'historien n<' saurait s't'n

affliger, pour peu que l'historien considère le degré de puissanceet de prospérité auquel la France, délivrée des agitations po-

pulaires, parvint en peu d'années sous le règne réparateur de

Charles V.

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COMPTEDE LA NATIOND'ALLEMAGNE,

DEL'UNIVERSITÉDEPAMS,

UN

AUXV SIECLE.

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UN

COMPTEDE LA NATIOND'ALLEMAGNE,

DE L'UNIVERSITÉDE PARIS,

AUXV*8IÈCM!.

Les écoles de Paris furent fréquentées dès le xn* siècle par un

grand nombre d'étudiants, accourus de toutes les contrées de

l'Europe. Un contemporain d'Abéiard, voulant le consoler de sesmalheurs par le souvenir de ses succès d'autrefois, lui rappellequ'autour de sa chaire se pressaient jadis les enfants de l'Italie,de l'Angleterre, de l'Allemagne, de la Suède, de la Flandre etde l'Espagne, confondus avec ceux de la France (i). Henri M, aucours de sa querelle avec Thomas Becket, en appelait au juge-ment des écoles de Paris, originaires de différentes contrées,ScAo/arï&MSdiversartim provinciarum (2).

Tout porte à croire que ces écoliers venus de tous pays, commeleurs maMresenx-mèmes, se partagèrent, selon leur nationalité,en groupes différents, bien avant qu'ils eussent été réunis parPhilippe-Auguste en corps d'Université. Quoi qu'il en soit, ces

groupes peu à peu transformés et réduits ont formé, au sein dela Faculté des arts, ce qu'on a nommé les quatre Nations de

France, de Normandie, de Picardie et d'Allemagne, dont la pre-

«). Voyezla lettrede Featqte,t'rteorde Deuil,danslesœnvfead'AMtard,ëd.Cousin,1.1,p. ?<?et Miv.

(2)DuBoalay,RM. tMc. J~f«. t. K,p.306.

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3M EXCMtStONSH!STOR!QUBSET PHiMSOPMtQUES

mière trace authentique se trouve dans une bulle d'Innocent !V,du mois de mai 12~5 (i), et qui n'ont disparu qu'en 1789.

La Nation d'Allemagne, la seule qui doive nous occuper, s'était

longtemps appelée Nation d'Angleterre. En 1378, l'empereurCharles IV étant venu à Paris au moment même oA la guerrevenait de recommencer avec les Anglais, elle exprima le vœu de

quitter son nom, porté par les ennemis de la France, et de

prendre celui du peuple, alors ami, auquel appartenait le princequi visitait le Royaume Très Chrétien (2). Ce changement néan-

moins, comme Crevier le remarque, ne s'opéra pas immédiate-

ment car c'est à partir de H3<! seulement que, dans les registresde l'Université, le nom de Nation d'Allemagne remplace d'unemanière dénnitive celui de Nation d'Angleterre (3).

La Nation d'Allemagne était anciennement partagée en trois

tribus la Germanie supérieure, la Basse-Germanie, et l'Ecosse,

comprenant l'Angleterre et l'Irlande. Une délibération du 30 dé-cembre 1528 ramena ces trois tribus A deux, celle des C<M!

taux, ou écoliers originaires d'Allemagne, et celle des 7i'MM/<K~,ou écoliers originaires des Iles-Britanniques (4).

Outre les trois patrons communs à toute l'Université, la sainte

Vierge, saint Nicolas et sainte Catherine, la Nation avait deux

patrons particuliers, saint Edmond, roi d'Angleterre, et Charle-

magne (5). Elle se réunissait pour le service divin et pour les fêtessolennelles dans l'église de Saint-Cosme et Saint-Damien, dontelle avait le patronage. C'est là qu'étaient conservés ses ornementset ses archives. Un tombeau situé près du chœur et portant les

armes de la Nation était destiné à la. sépulture de ses suppôts (6).Un procureur de la compagnie, qui fut élevé &cette charge le

(1)DuBoulay,tMd.,t. Ht,p.202.(2)«AnnoDomintÉ377,die 5 janaartifuitcongregattoNationisAnglicaneapud

S.MatarhmmadhabendamcoasUtumdemodoadeundiD.tmperatorem,etpetitionibusfactendta;et eranttres pet!tioaes primade mutattonenomtnbNationisAngMcanœinnomenNationisAtmanorum. Cttédanslesadditionsà la M/~Medesdroit.,det't~ttoeMtMdeParis, Paris,1667,!n-4",p. 67.

(3) Hist. de fPM<cef«M de Paris, t. IV, p. 73, 74.

(4)DuBootay,1.1,t. Vt,p. 213et fmtv.Crevier,t. ï. t. V,p.23t.(6)Voyezle ttvrede DuBoulay,de jPa<MM<<Wa«oMM<aPM(MM«<t«~t0«2,

in-8".(6)DuBoulay,JtfeMo<re<!sur M<t~!ce<tquisont a la c<o«o<tde<'PM<ow«f'

deraW<(,Paris,t078,tn-4*,p. tt&et sotv.

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A TRAVERS LE MOYEN AGE. 307

i6 décembre i44i, Albert Lécrivain, nous a laissé de curieuxdétails sur les écoles qu'elle possédait dans le quartier latin (1).Rue du Fouarre, elle ne comptait pas moins de huit écoles, com-prises dans deux maisons dont l'une s'appelait les Grandes~M~, JM<?~M?,Sco&!?,et l'autre, les Écoles des sept arts, ~co~~~M ~~M~. Ces écoles devaient annuellement à l'abbaye deSainte-Geneviève, l'une 30 sous parisis, et l'autre 7 sous 6deniers.Rue Galande, la Nation possédait une autre maison, à l'enseignede la Pomme rouge, avec un terrain qui rejoignait la Seine. C'estla maison qui avait été cédée en H30 par le collège de Laon, enéchange de celle qui appartenait anciennement aux écoliers ducollège de Dace, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève. M"Lécri-vain mentionne deux autres maisons, l'une rue du Clos-Bruneau,ayant pour enseigne A /'M~e de Notre-Dame, l'autre rue Saint-Hilaire, en face le collège des Lombards. Sous les noms de collègede Skarpa.et de collège de Lincoping, elles étaient destinées auxétudiants suédois; mais n'étant pas habitées, faute d'écoliers dece pays, elles avaient été remises, il y avait un demi-siècle dé;a,aux mains de la Nation d'Allemagne, du consentement de l'Uni-versité, ~M~y~M~0~ <e~HM aco/WtMW<7/<K'MM~'Ot<<MCM-~M ad MMMMMA~'<MÏMex e~~P~~MMP ~Mf~'S~~M et sententiu

~~MMM~~oc~ce <~pp~~M/< porte un procès-verbal du 5 avrili392 (2).Enfin plusieurs actes cités par Du Boulay et par Jaillot (3)ont conservé la trace d'un collège dit des Allemands, ~/<MM<M~domus, situé rue du Mûrier, autrement appelée rue Pavée, la-quelle allait de la rue Traversine à la rue Saint-Victor. En 1618,la Nation d'Allemagne possédait dans cette rue quelques corps debâtiments (4), qui étaient sans doute les débris de l'ancien collège,alors détruit, quoiqu'il semble, à la manière dont en parle Du-breùl, que ce collège ait encore existé de son temps (6).

(t) NousemprantoM tes <httsqui suivent aux extraits des rentres de la Nationd'At.Icmagneque nous avons publiés dans notre ~<<M ctoWarMm ~e~neM~«M ad A~.<oWaMMM~ ~N~M~, PartaUe. iM9. tn.fM., p. M7 et Mtv.

(2) /M<~ c~~Mo~<e<M~etc., p. 969. Cf. Thurot. De fo~oM~MoM fe<Me<.CMemeK<<(aM!'PtHoef«M de f<.W<OMMo~Mdge, Paris, <aM. tn.8". p. M8.

(3) DuBoulay,~<. c~ t. IV,p. aM, 3~8; MUot, NeeAere~~ Ville deParis, quartier de la place Manbert, p. i07. ioa.

(4) Archives de ttiniv. départs, Reg. vu., foi. ta! v.(6) te MefKfe des e!tK?M«A <!e ~aW<.Parie, iota, tn-4". p. ?<t.

Page 372: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

a<M EXCCRSKM8 Ht<ffOMQCES ET PH!MSOPMQCES

Au reste, nous n'avons pas l'intention d'écrire l'histoire de laNation d'Allemagne; les ligne*; qui précèdent n'ont dans notre

pensée d'autre objet que de servir de préambule et d'explicationau document qu'on va lire. Ce document est un compte de recetteset de dépenses présenté par MeGeorges Wolf, qui dans l'assem-blée tenue aux Mathurins, l'an de l'Incarnation H9t, la veille de

la Saint-Mathieu, c'est-à-dire le 30 septembre, venait d'être

nommé receveur de la Nation. Nous l'avons extrait d'un vieux re-

gistre de comptes qui fait partie, sous le n° 85, des archives de

l'Université de Paris, longtemps déposées au Ministère de l'Ins-

truction publique, et aujourd'hui conservées à la bibliothèque de

la Sorbonne. Une note qu'on lit au premier feuillet nous apprendque ce registre, qui va de l'année H9% à l'année 1530, était le

quatrième de la même série. Les trois qui précédaient sont au-

jourd'hui perdus.Un compte de recettes et de dépenses n'est jamais dépourvu

d'intérêt; c'est une des voies les plus sures par lesquelles nous puis-sions pénétrer dans la connaissance intime des institutions et des

mœurs des temps passés. Toutefois, comme les documents de cettenature sont très arides, il faut se garder de les multiplier quandils se répètent ou qu'ils reproduisent des détails analogues. C'est

le motif qui nous engage à nous en tenir, sauf un très court

extrait, au compte d'une seule année, bien qu'il nous eût été

possible d'en publier quelques autres.Il nous reste à présenter de rapides observations sur celui que

nous allons mettre au jour.A commencer par la recette, on remarquera qu'elle consiste à

peu près exclusivement dans les rétributions acquittées par les

nouveaux bacheliers ou licenciés, et par les nouveaux maîtres ès

arts, à l'occasion de leur début dans les fonctions de l'enseigne-ment.

Les rétributions exigées des bacheliers et des licenciés étaient

subordonnées plus ou moins à leurs ressources pécuniaires; elles

étaient donc très variables. Or la mesure des ressources pécu-niaires, en un mot, de la fortune de chaque candidat, était la

somme qu'il dépensait dans une semaine pour son entretien, dé-

duction faite du loyer de sa chambre et des gages de son dom~'sti-

que. Cette dépense hebdomadaire, qu'il devait déclarer sous ser-

Page 373: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A MAVEB8 LT MOYENAGE. a<i9

MCMMtOtMMMTMttQtiES. 2;

ment (<), s'appelait &M~a; de là vient qu'à la suite du nom d''

chaque bachelier ou licencié notre compte indique la valeur de s:tbourse, qui est estimée zéro, lorsque le candidat est pauvre. Quanttà ce nom de AM~m,il tire son origine, s'il faut en croire Meher( à),d'un usage qui de la maison de Sdrbonne s'étendit aux autres

collèges de HJniversité de Paris. Tous les vendredis, chaque étu-diant versait une certaine somme entre les mains de l'économe du

collège pour sa nourriture pendant la semaine toutes ces sommesétant recueillies dans une bourse commune, l'expression t'~wla AoM~edevint usitée dans les écoles, et la quote-part acquittéepar chacun s'appela elle-même &M~o.On voit, dans notre compte,que, selon le taux des bourses, certaines rétributions scolairess'élevaient à 6 livres, tandis que d'autres descendaient à 6 sous.Voici rengagement qu'un ancien statut de la Nation d'Allemagnequi date du milieu du xive siècle imposait aux bacheliers « Sol-vetis receptori Nationis 5 bursas, et proscholis proportionahihter,priusquam vicum intrabitis; videlicet, si septimanatim expendetisin bursa 2 vel 3 sol., dabitis pro scholis 20 sol. paris. si autem

vel 5 sol., dabitis 30 sol.; si autem 6 vel 7 sol., dabitis ~0sol.si autem 8 vel 9, dabitis 50 sol.; et sic deinceps (3). tl nous aété impossible toutefois d'établir un rapport constamment exactentre les dépenses présumées de l'étudiant, et le droit qu'il étaittenu d'acquitter. Et en effet nous voyons, dans une délibérationdu mois d'avril 1423, qu'une assez grande latitude était laisséesous ce rapport à l'appréciation un peu arbitraire des examina-

teurs, et à celle du procureur et du receveur de la compagnie, sousla réserve de ne pas fixer au-dessous de 4 sous la taxe exigée desnouveaux bacheliers « Conclusimus. quod minor bursa solvendasit quatuor solidorum, ulteriorem vero taxationem temptatoribusin bacchalariatu cum procuratore et receptore relinquentes. »

(t) M.Thurot,p. 6t. a transcritlafonnuledeceserment «Dicetisquant:titt<)nbarseVMtM,adeMter,sinedoto,computandoomo!aordinariecomsMtnptaetexposit.)inbursa,dantaxatlougiohospitiiet MUarto&mttMexclusts.MOntrouveradansi NM<o<r<'<~fi)M<f«e(MHtpMM~Meen Nw~pe,parM.A.VaMetde ViritiHe.Paris,tM9.i8a2,ht-4",p.3MetM!v.,lessermentsqueprêtaient,dansleconradnxn' Mëch'.lesécoliersde la Nationd'Attonagne,transeritsdapr~sundesMgMtr~de-tetteNa-tionquiMeMMetveataujourd'huià laMbMothëquedelaSorbonne.

(2)Richer,~M. ~caAfafM.,Bibt.Nat.,Cod.tat.MM,1.1,p.t9i. v(9)Tharot,p.?; VaMetdeVMv!tte,1.1.p.36t.

Page 374: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

a?o EXC~RS~SMtSTOMQ~ESETPMt.OSOPtMQ~ËS

Indépendamment des rétributions variables que nous venons de

mentionner, les nouveaux maKres es arts, M~t~wM~, payaientune somme fixe de 3 livres, comme droit de bienvenue et pourla robe du recteur, pro yocMM~o<t~fe~M cappa rectoris.

11n'est pas et il ne pouvait pas être question dans notre comptede la taxe perçue par les bedeaux et Aleur profit; mais peut-êtrene sera-t-il pas hors de propos de la rappeler. Elle avait donc étéainsi réglée en H23 « Quod determinantes, bacchalarii, licen-tiati et magistri solvant sua sallaria bedellis, prout retroactis

temporibus est consuetum videlicet, in determinantia, medium

francum; in bachalariatn, pro ducendo ad scolas, quatuor soli-

dos, et pro temptaminibus, duos solidos; in licentia vero,duos solidos; in magisterio vero, pro hedellis Nationis unum fran-

cum, et pro communitate bedellorum, in petendo Placet, qua-tuor solidos cum octo denariis paris (i). »

Il serait inutile de nous arrêter aux personnages, bacheliers,licenciés ou maîtres ès arts dont le nom figure dans le compte deM**Wolf; aucun, &notre connaissance, n'a marqué dans l'histoireet n'a laissé de souvenir & la postérité. Ces listes d'étudiants,tombés dans l'oubli, n'onrent d'intérêt qu'à un seul point de vue;elles montrent que IT-~versité de Paris, quoique déjà bien dé-chue à la fin du xve siècle, conservait encore assez de prestigepour attirer dans ses écoles un grand nombre d'étrangers de tous

pays.Maintenant que nous connaissons les principales recettes en-

caissées par le receveur de la Nation d'Allemagne, voyons Aquelsobjets s'appliquait la dépense. Elle consistait surtout dans lesdistributions faites aux suppôts de la Nation distributions lorsde ses assemblées particulières, lors des fêtes solennelles, lorsde la procession du recteur, lors de Fobit d'un régent. Elle

comprenait aussi, chaque fois que le service religieux était célé-

bré, le droit du curé de Saint-Corne, ceux de l'officiant, des chan-tres et de l'organiste, la somme donnée à l'offrande, les frais de

luminaire, les cierges, les chandeliers, les ornements, le lavagede l'église, etc. ajoutons à ces déboursés les indemnités éven-tuelles ou régulières que touchaient quelquefois un ancien rec-

<) MM e&f<M<~<~<fM<,etc., p. 249.

Page 375: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TBAVEBSLE MOYENAME. 37<

tour, plus ordinairement le procureur ou le receveur sortant decharge, et les bedeaux des autres Nations qui avaient accompagné!e recteur à Saint-Côme, quand celui-ci appartenait à la Nationd' Allemagne, un petit nombre d'aumônes, enfin certaines rede-vances comme celles qui étaient dues à Fabbaye de Sainte-Gene-viêve, sur le territoire de laquelle étaient situées les écoles de laNation.

Ce sont là, à peu d'exceptions près, tes dépenses qui reparais-sent non seulement dans le compte de iM5, mais dans tous ceuxque nous avons eus entre les mains. Rapprochées des recettesqui permettaient de les acquitter, elles n'offrent pas l'image etelles ne donnent pas l'idée d'une comptabUité très compliquée;mais elles confirment ce qu'on savait déjà de la modicité des res-sources de nos anciennes écoles, et de la pauvreté des maîtrescomme des écoliers.

Mais il est temps de faire succéder à ce commentaire histori-que le texte même du document que nous avons annoncé a noslecteurs.

Fo!. i, r". Anno ab incarnatione Jesu Christi Salvatoris nostri nona-gesimo quarto supra miucsunum quaterque centesimum, veaerandaAlmanorum natio fuit congregata apud Sanctum Mathurinum, vigiliaSancti Matheiapostoli et evangoliste, super novi receptoris electione.Itaque elegit via Spiritus Sancti magistrum Geot~ium Wottf, Baden-sem, diocesis Spirensis, qui fecit receptas et impensas, ut mfcr:nspatebit.

Sequitur prima recepta.

Pnmo recepi a magistro GeorgioNoortich, antiquo receptore, qua-draginta tres libras, unum solidum paris., cum tredeno et dimidioturon.

~MM~Mf nomina~MOn<<?«&tNt~MC~MN~Mante primumCOM~MMDominus Johannes Uberman, diocesis Spirensis,

c~us bursa valet 0 (i) (; s. p.Pro jocundo adventu et cappa rectoris g t;b.Dominus Martinus Brandeburch, diocesis Constan-

tiensis, cujusbursa valet 0 < nUa<

(t) XoMn MsKoMpasàtraduireparo les~ne4. quenousretrouvons..mmein-diquantla valeurdnn certainnombrede bM. Cesont~Mpm.m.ntt~ h<mMMdontn est dit souventdansn<Mr~gtattMC~<«~«MMM<H<&~

Page 376: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

KXCCBStONSmSMMQUESET PHtMSOPHtQCES3?a

Pro jocundo adventu et cappa rectoris a Mb.Dominus Cristoforus Cratït, dyocesis Lausanonsis,

cujus bursa valet 4 sol. ~b.Pro jocundo adventu et cappa rectoris 3 t;b.Dominus Wuillelmus Phillipson, dyocesis Aburdo-

nensis, cujus bursa valet sol. 4 t Hb.Pro jocundo adventu et cappa rectoris a t!b<

Sequuntur nomina baccalauriorum istias anniDominus Bohustaus de Bertensthleren, dyoccsts Hat-

bersiattensis, xm sol. o ~b. 15 s.Dominus Kduardus Cockburn, dyocesis Btascucnsis,

cujus bu~a valet iO sol. s lib, to s.Dominus Robertus Pringuil, dyocesis Btascuensis,

cujus bursa valet sol. 10 s lib. ~o s.Dominus Martinus Letner, dyocesis Constuntiensis,

cujus bursa valet 0 QDominus Hermannus Suttcnho, dyocesis Trajecten-

sis, cujus bursa valet sol. 9 'Hib. i S s.Dominus Renfridus Pï~stenhofen, dyocesis Argenti-

nensis, cujus bursa valet sot. 7 3 ),b. s.Dominus Stephanus Swench, dyocesis Frisingensis,

cujus bursa valet 0 lib. cDominus Robertus Pirson, dyocesis Sanctt Andree,

cujus bursa valet sol. 4 3 lib. m s.Dominus Andreas Teller, dyocesis Argentinensis,

cujus bursa valet sol. 7 3 lib. 15 s.Dominus Christianus Delà', dyocesis Trajectensis,

cujus bursa valet sol. 4 g n;). ioDominus Petrus Huyne, dyocesis Trajectensis, cujus

bursa valet 0 (;~Dominus Huberthus de Weloria, dyocesis Colonien-

sis, cujus bursa valet 0 ~t,b. Qg.Dominus Wibrandus Daconis, dyocesis Trajecten-

sis, cujus bursa valet 0 lib. e s.Summa hujus pagine ascendit ad nonaginta quinque

tibras paris., cum tribus solidis, decem denariis paris.et turon.

Fol. i, Dominus Johannes de Trajecto, dyocesisTrajectensis, cujus bursa valet sol. 4 2 lib. i0 s.

Dominus WuiM.Jacobi de Tiela, dyocesis Cotonien-sis, cajus bursa valet sol. 4 g ~b. M s.

Page 377: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSm MOYKNAt!K :t7:t

!). Wuill. Mtf, dyocesis Trajectensis. cujus bursa

valet sol. 6: 3 lib. <0s.D. Jacobas Copier, dyocesisTrajcetensis, cujus bursa

valet sol. 9: 4 lib. t:; s.D. David Loys, dyocesis S. Andreo, cujus bursa

valet sot. 4 a lib. tMs.D. David Sybold, dyocosis S. Andrée, cujus bursa

valet sol. 5 2 !ib. t3 s.

Sequiturnomen uniu!<baccataurei recepti ante Bran-dones in aîia rocepta; et quia non solvit aho receptôri,non fuit inscriptus. Sed pro prcsenti soWit; id<'« sub-

sfquitur.D. Ft~nciscus HoMeres, dyocesta M<~unUnensis.

cujus bursa valet 0 i Mb. <!:<.

Sequitur nomcn unias bacca!aurii hoc anno receptiD. Johannes ltudinger, dyocesis Basitiensi! cujus

hursa valet sol. <! 3 tib. 10s.

Sequitur nomencujusdam magistri, sive incipientisWisberthusRoynsbut~k, dyocesis Trajectensis, cu-

jus bursa valet sol. S i lib. 5 s.Pro jocundo adventu et cappa rectoris 2 lib.

Recepi a magno bede!!o duos francos, quos de d'uuosua debebat in computo antiqui receptoris 2 lib.

Summa hujus pagine ascendit ad viginti octo libraset tres solidos paris.

Summa totius recepte ascendit ad centum viginti très Ubras, sox

sotidos paris., decem denarios paris, cwn uno turon.

Fol. 2. &~«t<M<'MHpe<MO~M<yeeep~aMaa<e primum<?OMtpO<MM.'

Et primo, PROBMTMBUTMttmCStN ViGMAMATME!.Pro distributionibus magistrorum et bidellorum

in vigiMa Mathei i0 <2 s.

Pro jure procuMtoris et suis distributionibus ineodem die i 41,.

Pro continuatione magistri magni Boy 4 s.

Pro instrumento ade}nssorum 4 s. t2 t.

tnprocessionerectorismagistriJohanmsMorain: iOs. 6 t.In prima processione rectoris magistri Johannis

Gaisset, in fèsto Symonis et Jude, ad petitionemsupremi domini mei regis ii s. 3 t.

Page 378: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

~'4 EXCtJRSMXS mSMRM~ES ET PB<MMOPm<KIES

Pro distributionibus regentium apud S. Mathuri.num proxima [die] post [fëstum] Omnium Ani-marum ils. 3 t.

Pro distributionibus regentium apud eumdem,altera die Sancti Martini 22 s. 6 t.

Pro continuatione magistri Petri Hemstreete in

procuratorem 4 s.Pro continuatione magistri Petri Bemstreete 4 s.Pro cappa rectoris magistri Johannis Gaisset 2 i0 s.

DtsTMBUTMXESFACT~IN FESTOAtEMANOBUM.

tn distributionibus magistrorum et bidellorum i2 1. 13 s.Pro cantoribus qui aderant i h 8 s.Pro prelato, qui fuit magister Johannes Xantina Ms.Pro oneriorio in officiomisse i s. 5 tPro cappis et c!erico .6 s. i21.Pro distributionibus domini curati 6 s.Pro organista 2 s.Pro parvo cterico <;t.Pro pauperibus S t.Pro mundatione ecclesie et candetabrorum 4 s.Pro straminibus 3 s. 3 t.Pro mundatione omamentorum ecclesie i s. S t.Pro Serto Sancti Eadmundi i s.Pro bono homine 12 t.Pro duobus bidellis alterius Nationis qui conduxe-

tant dominum rectorem ad Sanctum Cosmam i s. 9 t.Pro cera candelarum, tedarum et refectione illa-

rum 3 L 8 s.Summa hujus pagine ascendit ad triginta septem

libras cum quatuor decim solidis paris, et duodecimturon.

FOI.2, V. PROBtSTBtBUtÏONU'PSFAOTtStXFESTOSAKCTECATBARME.

Pro distributionibus magistrorum et MdeUorum 21. il s.Pro offertorio 2 s. 21.Pro cappis et cterico 5 s. 9 t.Pro disuibutionibus curati 2s.Pro capellano 4 s.Pro organista 2 s.

Page 379: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEX AGE. 3755

tn crastino, in missa Universitatis pro distributio-

nibusregentium: Ils. ai.

PROCRASTINOSANCTIANDREE.

Pro distributionibus magistrorum et bidellorum 2 i2 s.

Pro ouertono 2 s. 4 t.

Pro cappis et clerico S s. 9 t.

Pro distributionibus domini curati 2 s.

Pro capellano s.

Pro organista 2 s.

PRO FESTOSAXOTtNICOLAI.

Pro distributionibus magistrorum et bidellorum 2 i2

Pro otEertorio 2 s. 6 d.

Pro cappis et cterico S s. !) t.

Pro distributionibus domini curati 2 s.

Pro capellano 4s..

Pro organista 2 s.

!n crastino, in missa Universitatis ii s. 3 t.

PRO FESTOCONCËPTMXtSMAHtK.

Pro distributionibus magistrorum et bidellorum 2 1. iS s.

Summa hujus pagine ascendit ad quatuor decim

libras, tres solidos, octo turon., cum duobus dena-

nis paris.Fol. 3, r*. Pro oCertorio 2 s. M t.

Pro cappis et clerico S s. 9 t.

Pro distributionibus domini curali 2 s.

Pro capeUanoPro organista 2 s.

In secunda processione magistri Johannis Gaisset,

Parisiensis, tune rectoris ii s. 3 t.

Pro electione et continuatione procuratoris ma-

gistri Stephani 8 s.

PRO FESTOKAROLIMACS!.

Pro distributionibus magistrorum et bideMorum 2 1. i3 s.

Pro otfertorio 2 s. 3 t.

Pro cappis et elerico 5 s. 91.

Page 380: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCMtSMNSHISTORIQUESETFHM.OSOPHÏQUESa?t

Pro distributionibus domini cuMti a s.Pro capeHaao 4 s.Proorganisia: as.Pro cappa rectoris magistri Roberti Hasteville 2 14 s.

PROFE8TOPuatHCATMMSNOSTREDoMINE.

Pro distributionibus magistrorum et bidellorum 2 i4 s.Pro oNertorio 4 s. 51.Pro cappis et c!erico 5 s. Mt.Pro distributionibus domini curatt s.Pro capcMano t s.Pro orgamsta g s.Pro cor.t caade!arum,tedamm et refectione illa-

rum Ht.Pro candela domini canceMani 3 s.!n missa Universitatis in crastinum PuriOcationis 9 s. 9 t.

Pro electione et continuatione procuratoris ma-gistri Doncani de Camat~ 8 s.

Pro parvo clerico et pauperibus i2 t.Summa hujus pagine ascendit ad viginti sex libras

paris, duodecim solidos paris, et undecim turon.

Fol. 3, v~ In processione rectoris magistri RobertiHasteviHe 10 s. 6 t.

Pro donc gratuite antique receptori 41.Pro libro receptoris 7 s. 101.Pro bursis nMgni MdetM 71. 7 s.Pro bursis parvi MdeHi 3 i3 s. 6 d.Pro stipendie receptoris 4 LPitantiario Sancte Genovefe, de fundo terre par-

varum scholarum nostrarum t3 s.Eodem pitantiario de fundo terre magnarum Scho-

~rum: Ss. 6d.Summa hujus pagine ascendit ad viginti unam

libras, unum solidum paris, et unum turon.Summa totius impense ascendit ad nonaginta novem libras, duo-

decim soMdosparisienses, duos denarios parisienses et duos turonos.Recepta comparata ad misiam, recepta excedit misiam in viginti

tribus libris quatuordecim solidis parisiensibus et septcm denariisparisiensibus.

Duncanus de Camera, pro tune procurator, manu propria. Ita est.

Page 381: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSLE MOYENAGE. 377

Recepta post ~MMm eaatpo<MM.

Sequitur nomen cujusdam baccataurii recepti cujusnomen sequitur

Dominas Benedictus Steyner, dyocesis Constantien-

sis, cujus bursa valet so!. S 2 tib. 15 s.

Sequ<mtur nomina baccalauriomm post primumfompotum

Dominus ttoberthus Waltierson, dyocesis SanctiAndrée. Bursa valet 4 sol a tib. iO s.

D. Johannos Cock, dyocesis Sancti Andreo. Bursa

valet 7 sol. 3 lib. ioD. Patricius Adamson, dyocesis Sancti Andree. Barsa

va!et 7 sol. 3 !ib. io s.

D. Cutberthus Simon, dyocesis (Hascuensis. Bursavalet 4 sol. 2 !ib. 10 s.

D. Andreas Aldeorum, Scotus. Bursa va~et 4sol. 2 !ib. 10 s.

Thomas Bortyck, dyocesis S. Andree. Bursa valet7 sol. 3 tib. io s.

D. Johannes Dickson, Scotus. Bursa valet 7 sot. 3 tib. i8 s.

D. Guillelmus (?)Gregorii, Scotus. Bursa valet 0 i tib. 6 s.

Summa hujus pagettee ascendit ad quadraginta no-

vem libras et septem denarios paris.

Fot. 4. Sequuntur nomina quorumdam baccalaurio-

rum receptorumDominus WotC~angus Sifrid, diocesis Augustensis.

Bursa valet 6 sol. 3 tib. 10 s.

D. Johannes Sorgel, dyocesis Bambergensis. Bursavalet iH) sol. 2 lib. iO s.

Sequuntur nomina licentiatorum hujus anniD. Rolandus Blacadir, dyocesis Sancti Andree, cujus

bursa valet 9 sol. 2 tib. iS s.

Thomas Lauson dyocesis Sancti Andree. Bursa valet4 sot. i lib.

Guillelmus (?) Simson, dyocesis Motaviensis. Bursa

valet 4 sol. 1 tib.

Reginaldus Strang, dyocesis Moraviensis, Bursa va-

!et4so! Hib.

Allexander Scherer, dyocesis Abordonensis. Bursa

valet 4 sol. i lib.

Page 382: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCMtStOXS HISTORIQUES ET PHtMSOPHtQUES37X

Thomas Andree, dyocesis Sancti Andree. Bursa va-let 4 sol. t,,b.

Johannes Maior, dyocesis S. Andree. Bursa valet4soL: ~,b

Guillelmus Asson, dyocesis S. Andree. Bursa va!et4 sol. i lib.

D. Nicolaus Wurmser, dyocesis Argentinensis. Bursavalet 10 sol. 2 lib. M s.

Mtcbae! Rot, dyocesis Argentinensis. Bursa valetil sol.

i!ib. S s.Andreas Francisci, dyocesis Brandeburgensis. Bursa

valet 0 g gJohannes Dolmans, dyocesis Leodigensis. Bursa va-

let C sol. i lib. 10 s.Henricus de Livonia, dyocesis Tarbatensis. Bursa

vaietoso! ~,b. 5 s.Johannes Dolff, dyocesis Trajectensis. Bursa valet

4 sol. t Mb.Adam Wi!er, dyocesis Spirensis. Bursa 5 sol. i lib. § s.Hieronymus Rebwiler, dyocesis Basiliensis. Bursa

o sol. lib. 5 s.David Vocat, dyocesis Sancti Andree. Bursa vatet

â sol. iïib. 5 s.Jodocus DeMf, dyocesis Trajectensis. Bursa valetsol. i lib. 15 s.Cornelius de Haga, dyocesis Trajectensis. Bursa valet

5 sol. IHb. 5 s.Johannes Mathie, dyocesis Leodigensis. Bursa va-

6s.Johannes Cadiou, dyocesis Glascuensis. Bursa valet

68.

4soL: t~b.Anthonius de Brisach. Bursa valet 4 sol. 1 lib.Ista pagina habet triginta duas libras, duos solidos

paris.

Fo!. 4, v°. Johannes Wachtel, dyocesis Moguntinen-sis. Bursa 0 g g

JoacMm Delff, diocesis Trajectensis. Bursa 0 6 s.Adam Elphinston, diocesis Glascuensis. Bursa 9 sol. 2 lib. 5 s.Christtannus Erb, diocesis Augustensis. Bursa 0 6s.Nicolaus de Gauda, diocesis Trajectensis. Bursa

4soL: v ~;b.

Page 383: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERStN MOYENAGE. a-a

Johannes Schuppenaget. diocesis Coloniensis. Bur-saO: 6s.

Johannes Henrici, diocesis Basiliensis. Bursa valet7 sot.: Ilib.iSs.

FranciscusHofrerer.dyocesisWormatiensis.BursaO: 6 s.

Allexander Leviston, diocesis Sancti Andree. Bursa3 sol. i tib. 5 s.

Sequuntur nomina incipientium hujus anniAdam Elphinston, diocesis Glascuensis. Bursa 9 s. 2 lib. 5 s.

Projocundo adventu et cappa rectoris 2 lib.Rolandus Blacadir, diocesis S. Andree. Bursa 9 sol. 2 lib. 8 s.Pro jocundo adventu, etc. 2 lib.Cornelius de Hagis, diocesis Trajectensis. Bursa

o sol. t lib. S s.Pro jocundo adventu, etc. 2 tib.Henricus de Livonia, diocesis Derptensis. Barsa

5 sol. 1 lib. 5 s.

Pro jocundo adventu, etc. 2 lib.

Nicotaus Wurmser, diocesis Argentinensis. Bursa.10 sol. 2 lib. 10 s.

Pro jocundo adventu, etc. 2 Mb.

Hieronymus Hebwiler, diocesis Basiliensis. Bursa

valet 5 sol. i tib. 8 s.

Pro jocundo adventu, etc. 2 lib.

Michaet Rot, diocesis Argentinensis. Bursa valeta sol. i lib. 5 s.

Pro jocundo adventu, etc. 2 lib.

Johannes Dolmans, diocesis Leodigensis. Bursa valet6 sol. i tib. 10 s.

Pro jocundo adventu, etc. 2 lib.

Ista pagina habet triginta septem libras et quinquesotidos paris.

Fol. 5, r°. Johannes Delff, diocesis Trajectensis.Bursa 4 sol. i lib.

Pro jocundo adventu, etc. 2 lib.

Nicolaus de Gauda, diocesis Trajectensis. Bursa

4 sol. i lib.

Pro jocundo adventu, etc. 2 lib.

Jodocus DeMf,diocesis Trajectensis. Bursa 7 sol. i tib. 18 s.

Pro jocundo adventu, etc. 2 lib.

Page 384: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

380 EXCURSIONSHISTORIQUESET PHILOSOPHIQUES

Antonius de Brisach, diocesis Constantiensis. Bursa4so! i}{b.

Pro jocundo adventu, etc. 2 lib.Adam Wiler, diocesis Spirensis. Bursa vatet S sol. 1 Mb. a s.Pro jocundo adventu, etc. 2 lib.Andreas Francisci, diocesis Brandeburgensis. Bur-

sa 0 6s.Pro jocundo adventu, etc. 2 lib.Johannes Henrici, diocesis Basiliensis. Bursa 7 sol. i lib. iS s.Pro jocundo adventu, etc. 2 Mb.

Johannes Treveris, diocesis Treverensis. Bursa 4sol. i lib.Pro jocundo adventu, etc. 2 lib.Bircardus Thoe Boechoep. Bursa valet 7 sot. i lib. i3 s.Pro jocundo adventu, etc. 2 Mb.Johannes Calciatoris, diocesis Argentinensis, cujus

bursa in aliis duabus receptis ultimis signo nichili esttaxata, solvit pro nunc, ut gauderet privUegiis Natio-nis, quatuor solidos pro bursa, pro baccalauriatu, li-centiis et magisterio 2 lib. i2 s.

Item recepi a magistro Petro Cesaris, pro tune ma-

gistro domus Alemannorum, ex parte provincie 2 lib. 16 s.Item a magistro Simone Doliatoris recepi 1 lib. Us.Ista pagina habet triginta quinque libras et quin-

decim solidos paris.

Summa totius recepte post primum compotum extendit se ad cen-tum quinquaginta quatuor libras paris., duos solidos paris., et sep-tem denarios paris.

Sequuntur ~eMM* ~M~primum COMpO~MM

FoL 3, v". Pro distributionibus magistrorumet ofuciariorum in primo compoto 10 1. 16 s.

Pro procuratore et suis distributionibus i t. 4 s.Pro priore Sancte Genovefe de fundo terre

Scholarum Anglicarum 18 s.Pro brandio temptatorum baccalauriorum 1 i2 s.

PRO ÏËSTOANNONCtATMMSMARM.

Pro distributionibus magistrorum et ofBcia-riorum 2 i. i2 s.

Page 385: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEN AGE 3~

Pro capellanoPro curato g~?M cappis et ctericisPro otfertorio d.Pro organista 2 s. o.Pro electione magistri Theoderici Venlo in

procuratorem

IN OBtTt;MAGtSTRtPETRIDELFFPIEMEMMUE.

Pro distributionibus magistrorum atque oftï-ciariorum 21. i0 s.

Pro capeHano s.Pro domino curato 2 s.Pro cappatis in Vigiliis, recommendationibus

et missa 8 s.Pro offertorio et cterico 4 s. 31.

PRO FESTOTRANSLATIONISBEAT!NtCO!.Aï.

Pro distributionibus magistrorum et bidel-torum atque oïSciariorum 2 t. 9 s.

Pro capellano 4s.Procurato: 2s.Pro cappis et clerico duod.Pro offertorio 2 s. i alb.Ista pagina ~abet viginti quinque libras un-

decim solidos paris., cum quinque denariis

paris. et uno turon.

Fol. 6, r". Pro organista 2s.Pro continuatione magistri Theoderici de

Ven!o:Pro cappa magistri Roberthi CorbeUn i 1.10 f.Pro distributionibus regentium et ofScia-

riorum in processione. CorbeUn 10 s. 6t.

PRO FESTOVtStTATÏOftSBEATEMABtK.

Pro distributionibus magistrorum et officia-riorum 2 t. 0 s.

Pro capettano 4 s.Procurato: 2s.

Page 386: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

382 EXCCBSIONSBtSMMQCES ET PHtMSOPHtqMS

Pro cappis et clerico ? duod.

Proorganista: 2s.Pro onertorio 8 a!b. 2 t.Pro cappa rectoris magistri Hemskrecke 11. i8 s.Pro electione magistri Bortholdi in procu-

mtorem x.Pro bydeHis alterius Nationis qui duxerunt

r<'ctor<!mad Sanctum Cosman 4 a!b.

PROFESTOASSCMPTMNÏSETJ)tSTRÏBCT!OXtBUSPROPRANBMBEGESTtCM.

Pro distributionibus magistrorum et officia-riorum i5i.i4s.

Pro cape-Hano s.Pro curato s.Pro cappis et cïerico 7 duud.Pro oHertorio j0 alb.Pro organisa s.Pro continuatione magistri Bertholdi in pro-

''uratorem t s.Ad purgandam ecclesiam atb.!sta pagina habet viginti quatuor libras, sep-

tom solidos paris. cum uno duodeno.

FOI. 6, V". PRO FESTONATtVn'ATt8BEATEMARIE.

Pro distributionibus magistrorum et officia-riorum · it.i?s.

Pro cappeUano s.Pro curato 2 s.Pro cappis et cierico duod.Pro oHertono 7 alb. 3 t.Pro organista i s.Pro stipendie receptoris 11.Pro bursis magni bydelli is L i3 s.Pro bursis parvi bydeHi 71. i6 s. 6 d.Ista pagina habet triginta libras, unum soti-

dum paris., sex denarios et duo turon.

Summa impensarum extendit se ad octuaginta libras paris. unumsolidum et quinque denarios paris.

Recepta excedit misiam in septuaginta duabus libris paris, cumundecim solidis.

Ma. Andreas Rudentz procurator. Ita est.

Page 387: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATBAVEMM MOYENAGB. asa

Le compte de recettes et de dépenses présenté par le receveur

Georges WoKestimmédiatement suivi, dans le registre que nousavons eu sous les yeux, du compte dressé par son successeur?* Jean MaktuUo, du diocèse de Rochester, qui fut élu en ~95receveur de la Nation d'Allemagne, dans t'assemblée tenue aux

Mathurins, selon l'usage, la veille de la fête de saint Mathieu.«insi que nous l'apprend la note suivante en tête du compte

« Anno ab Incarnatione Jesu Christi Salvatoris nostri nonagesimoquinto supra miHesimum quaterque centesimum, veneranda Allema-norum Natio congregata fuit apud Sanctum Mathurinum in vtg!!iaSancti MatheiapostoMet ovangeMstp,super novi receptoris Section'

Itaque elegit via Spiritus SaucU magistrum Johannem MaktuMo,Kof-fnnsts diocesis, qui fecit receptas et impensas, ut inferius patcbit. »

Nous avons transcrit cette note, afin qu'en la comparant à celte

qui précède le compte que nous avons publié, chacun puisse faci-lement se convaincre par soi-même de la similitude qui existeentre tous les documents de cette nature, du moins sous le rap-port de la forme. Quant au fond même, nous ne trouvons dans lenouveau compte qu'un seul article qui nous paraisse intéressantà reproduire, attendu qu'il ne figure pas au compte précédeutc'est l'état des i jus occasionnés par des travaux de réparationsaux grandes écoles de la Nation d'Allemagne. En voici le texte

Seqnuntur impense facte pro reparatione antiquarum schoiarumnostrarum

!n primis pro quinque centum tcgHs i Mb. t s.Pro dietis cooperantium t lib. t2Pro lignis j0 s.Pro plastro et dietis laborantium in hujusmod! 3 lib. 10Pro latis lapidibus ponendis in fundo camini 3 f.Pro duobus stUMcidHs lib.Pro deportatione emundiciarum extra scholas 4 x.Pro deportatione dictarum extra urbem i2 s.

Citons encore, en terminant, trois articles de dépense qui font

suite au précédent, et que nous n avions pas encore rencontrés

Pro prandio temptatorum baccalauriorum et ofBcia-riorum 3 lib.

Page 388: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

:Mt EXCURSIONSHtSTOBtQUBSETPNH.OSOPMtQt~

Ultra pecuniam nuvorum magistrorum pro prandmNations 2~. 8s.

Procappa d~nini rectttris, vidt'UcctMtchae!k Ny~attb. 2s.

Nous n'avons aucune observation à présenter sur cette dernièredépense; mais nous rapprocherons des deux précédentes les dis-positions du statut de i423 qui concernent tes banquets univer-sitaires. Sans proscrire ces fêtes domestiques, passées en habi-tude, la Nation d Allemagne voulait en modérer les frais, ceuxsurtout qui pouvaient retomber à la charge de sa propre caisse.Voiciles règles qu'elle avait posées à cet égard, et qui n'étaientpas toujours fidèlement observées, comme le prouvent les indi-cations mêmes de notre compte

« Il y aura chaque année trois banquets seulement de la Na-tion le premier, lors de la reddition du premier compte; la dé-pense à la charge de la Nation ne devra pas y dépasser 2 francs;le second, le jour de la fête de saint Mathieu; la dépense y seraégalement de deux francs au plus ce qui dépassera restera à lacharge des convives présents. Le troisième banquet aura lieu lejour de la fête de saint Edmond. Quelques jours avant, le procu-reur convoquera la compagnie qui avisera aux mesures à pren-dre, tant pour la célébration de l'omce divin que pour le banquet.<tn s entendra amicalement de manière à éviter &la Nation toutpréjudice (i). M

rne pensée d'économie est la seule qui perce dans cette délibé-ration. Cependant les repas en usage dans les écoles du moyenAge avaient des inconvénients plus graves, pour les mattresetpour les écoliers, que celui d'épuiser leurs modiques ressources;ils donnaient lieu souvent & des scandales amigeants pour lamorale et pour la religion. Aussi dans la suite la plupart furent-ilssupprimés et quelques-uns même sévèrement interdits par l'Uni-versité de Paris.

(<)AMfMcAnMto~tCM,eh.,p. 949.

Page 389: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

MOJMtNM mMOM<tCM. 35

MËMCtRE

SUR LES COMMENCEMENTS

ht.

LA M AKtNE MtL!TA<RE

SOtTSPHtUPPEt~:BE)..

Page 390: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen
Page 391: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

MÉMOtRE

sm LKS COMMENCEMENTS

LA M AtUNËMtUTAtRES<WSPHtUPPE~EBEL.

Ce fut jusqu'à os jours une opinion très répandue, qu'aumoyen Age les r s de France ne possédaient ni vaisseaux nimarins; qu'en ça de guerre maritime ils s'adressaient a des ar-mateurs étrangerj, le plus souvent Vénitiens, Pisans on Génois,et leur nolisaient des navires, auxquels s'ajoutaient ceux qu'onavait pu se procurer dans les différents ports du royaume. Quel-ques érudits m&meont cru pouvoir soutenir que, si la constitution~uliè~ de l'armée de terre date en France de Charles VII,il fautdescendre jusqu'à François pour trouver l'établissement d'unemarine royale.

Tel est l'avis clairement énoncé par Legrand d'Aussy dans unintéressant travail dont la classe des sciences morales et politiquesdeimshtut a entendu la lecture à la fin du siècle dernier, et quiest inséré au tome H de ses JM~<~ « Les rois, dit le savant.<

académicien, par une suite nécessaire de l'aSaiblissement o.. lesystème féodal avait réduit leur puissance, n'avaient et ne pou-« vaient m6me entretenir d'armée sur pied. Il en fut de ménh.pour les guerres de mer; ilsn'eurent ni arsenaux, ni ateliers de

Page 392: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

3<M EXCCRSKM8MSTOMQfËSETPHILOSOPHIQUES

construction, ni marine en activité constante. En fait de mer,« c est sous François qu'on voit commencer l'établissement« d'une marine royale. Et, à la fin de son mémoire, Legrand

d Aussyrépète, presque dans les mêmes termes, en se résumant« Nosrois, pendant bien des siècles, n'eurent pas de marine ré-a glée; et aucun même, jusqu'à François t" ne parait avoir com-« pris la nécessité d'en avoir une (i). ~>

Le sentiment de Legrand d'Aussy, longtemps partagé par lesmeilleurs historiens, a rencontré, dans ces dernières années, de

sérieux contradicteurs. Dans la thèse qu'il présentait en 1877, pourobtenir le diplôme d'archiviste paléographe, thèse qu il a publiéedepuis, un élève de l'École des chartes, M.Dufourmentel, établis-sait d'une manière irréfragable que, dès le commencement de la

guerre de Cent Ans, Philippe Vtde Valois avait possédé des flotteset promulgué des ordonnances pour la construction des navires,la levée et la paye des marins (2). L'année suivante, un autreélève de la même école, M.Léon Pajot, poursuivant les recherchesde M.Dufourmentel, fit voir à son tour, dans une thèse dont mal-heureusement les positions seules ont vu le jour, que, sous Char-les V,de 1364 à 137%,il existait en France ce qui constitue à pro-prement parler une marine militaire à savoir, un personnel,un matériel, une administration et une législation maritimes (3).La même opinion a été défendue, avec une érudition originale,par M. le marquiï. Terrier de Loray, dans un solide travail surJean de Vienne, qui commanda les flottes de France pendant les

règnes de Charles V et de Charles V! (4).Cette opinion est-elle conforme Ala vérité historique? Nous le

croyons. En effet, comment le contester? Les écrivains dontnous venons de rappeler les travaux ne se livrent pas A desconsidérations arbitraires qui n'auraient que la valeur d'une

hypothèse plus ou moins vraisemblable; à l'appui de leurs

(t) Mémoirest~MtM~thMsedesiicieacMmoMtMet politiques,t. H,p. 324,37t.(9) to JMsWNCMilitaire<'H~<Meeau cetHMftttpate~ ?guerre(leCe<t<~!M,

Paris.t8M,!n.S".(S)LaNeWttCNtM«o<f<'dufoM<M~,entret3Met 1374.danslespositionsdeatMMtt

wateaNeaparlesétève~det Éeotedescharte<de lapromotionde 1878.Paris,t877.ia-8".p. etmit.

(4)Jean de Vienne,amiral de Froxce,t34t.i3M.Étudehistorique,etc.Paris,1878,in.<

Page 393: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSM MOYENAGE. :Ma

assertions, ils produisent des faits précis, qui ne laissent dans

l'esprit aucun doute. liais nous estimons qu'on peut aller plusloin et remonter plus haut qu'ils ne l'ont fait. Ce qu'ils ont dit deCharles Vet de Philippe Vt, on peut le dire, Anotre avis, des filsde Philippe le Bel et de Philippe le Bel lui-même. Selon nous,c'est a ce prince qu'on doit faire remonter l'origine de la marinemilitaire en France Men a préparé et ébauché, sinon complétél'organisation.

Cette conclusion, qui aurait semblé paradoxale il y a un d< mi-

siècle, est celle qua présentée avant nous l'écrivain qui a le ptusétudié et le mieux co Mul'administration de Philippe le Bel, notre

regretté confrère M. Edgar Boutaric (i). n se proposait de con-sacrer à l'examen de la question un mémoire spécial une mort

prématurée ne lui a pas permis de l'achever. Les vues qu'il avait

indiquées plutôt qu'exposées, et quelques-unes des preuves A

l'appui, ont été savamment résumées dans un opuscule récent deM. le baron de Rostaing, ancien capitaine de vaisseau (2). Nousmettrons &proSt les tt'avaux de nos devanciers, en connrmantleurs conclusions à Faide de divers documents contemporains dontl'authenticité n'est pas contestable et qui, pour la plupart, sontrestés jusqu'à ce jour inédits.

Que les prédécesseurs de Philippe le Bel n'aient pas eu de

marine; que, pour aller guerroyer au loin, ils se soient trouvésdans la nécessité d<!passer des traités avec les étrangers qui leur

fournissaient, àde dures conditions, non seulement des bâtimentsde transport, mais des navires tout armés et garnis de troupesmercenaires; que les seigneurs féodaux qui les accompagnaientdans leurs expéditions aient été plus d'une fois réduits à noliser Aleurs frais les bâtiments sur lesquels ils rejoignaient eux-mêmesleur suzerain ce sont là des faits que les témoignages les plusdignes de foi ne permettent pas de mettre en doute. En ii90, Phi-

lippe-Auguste, sur le point de partir pour la Terre-Sainte, s'enga-geait à payer aux Génois 5,850 marcs d'argent pour le secours

(t) La~MMce<o<Mt&M~jpele Bef,parEdgarBoatartc.Paris,t8M,t vêt.tn.p.376<'tsuiv.Cf savantonvmseaétécoNMnnéen<8Mpart Aeadémb'destnecrin.thnMetMtes.!ettK8.

(9) ~eWtMmM«e<fede la f~taeeMtMMtKj~e<eBel,parlebaronde Res.talng,Paris,M7e,hut.. (Extr.deta JteMteMcWMMMetto&m<o~.)

Page 394: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

3W EXCURStOXSMtSTONtQUËSETPHtMSOPittQUES

f

qu'ils lui avaient promis en hommes et en matériel de transport (i ).Lors de la quatrième croisade, les croisés ne s'adressèrent pas auroi de France pour avoir les vaisseaux qui leur étaient néces-saires ils envoyèrent six messagers & Venise, où ils pensaienttrouver, dit Villehardouin, « une plus grande quantité de nefs

qu en nul autre port (2). HSous le règne de saint Louis, lamarine royale n'existait pas plus que sous ses prédécesseurs; ce

roi. pour ses deux croisades, dut s'assurer, il prix d'argent, teconcours d'armateurs étrangers. On possède encore le texte de la

convention qu il avait projeté de passer avec les Vénitiens et decelle qu'il passa définitivement avec les Génois, suivant t exemptede son aïeul, p<.ur l'expédition de Tunis (3). De son coté, Joinvittenous raconte, avec sa sincérité habituelle, comment il s'était en-

tendu, en i2t8, avec le sire d'Apremont, pour noliser ensembleil Marseille une nef qui les conduisit en Egypte avec leurs

gens (t). Le comte de Blois et de Saint-Paul, Hugues de Chatilton,

plus opulent que le sire de Joinville, put agir avec plus de ma-

gnincence; il avait fait équiper à Inverness, nous dit Matthieu

Paris, un magnifique vaisseau qui devait transporter en Asie les

gens de Boulogne et de la Flandre mais la mort, qui le surprit à laveille du départ pour la croisade, rendit ses préparatifs inuti-

les (5). Y eut-il, sous le règne du saint roi, quelque projet, quel-que effort pour changer la situation que nous venons de décrire,

pour créer une force navale qui appartint au prince, qu'il edten quelque sorte sous la main, et qu'il put, à son heure, mettreen mouvement? Les documents connus ne mentionnent pas et ne

permettent pas de supposer aucun dessein, aucune entreprise de

ce genre.Sous Philippe le Bel la situation se modifie, non pas que ce

~) Documents!goateparM.deMasLatrie,t. JIdela sériedes~rcA.desm~s.<K'«M. Parts. MM,in-8"~p. 369.

~9)LaCot~x~edeCoM~owHMOph'.édit.deM.de Wailly,§ M.(3;La conventionavectesGénobet tes ;èfee quia rattachent,au noMbre<<<-

vingt-cinq,ont été MtfouyéMet pubM~'sp~M. Jal, en partiedans Mm~~t'o-/<~<etXtt'cfe,et plusfomptëtementautomet~du recueilde DocumentstMoW~MM<M~<~Mtt~dela B<M<oM~<f)'royale,Paris,iM9,in.< p.sut etsuiv.

(4'~~o<M saint~o««. édit.deM.de WaHiy.g112.:&)Mattha'asParis.,ad an. 1939.Cf.M<'<(lec<'<e< dates,Paris, 1784,in-

foi..t. Il, p. 776;Fr.Michel,les~coMN~fMi~MCf,Paris,1862,tn.8*.t. 1,p.83.

Page 395: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSLEMOYEKACE ~t

prince ait entièrement rompu avec la tradition, ni qu'il ait renoncéau secours précaire que ses prédécesseurs demandaient à quicon-

que pouvait leur procurer des nefs et des marins, mais du moinson peut constater, Apartir de son règne, une série de mesures

qui se complètent l'une l'autre, et qui, dans leur ensemble, indi-

quant la résolution d'organiser une force maritime dont la direc-tion appartienne &l'autorité royale. Engagé dans les luttes fré-

quentes avec ses voisins, tour Atour en guerre avec l'Aragon,avec 1 Angleterre et avec les Flamands, l'hilippe le Bel compritque, dans les conjonctures graves, une Mottene rendait pas moinsde services &un peuple qu'une armée, et il mit ses soins à réunirsur mer comme sur terre des moyens nouveaux, bien que très

insuffisants, de défense et d'attaque contre des ennemis redou-tables.

M.Boutaric a publié, entre autres document inédits, un trèscurieux mémoire sur les moyens d'opérer une descente en Angle-terre ce mémoire fut adressé à Philippe le Bel vers i295; il a

pour auteur un capitaine génois, Benott Zacharie, qui avait com-mandé en diverses circonstances, notamment en 128~ et en 1286,les galères de sa patrie (i) et qui était passé depuis au service dela France. Nous aarons à citer plus d'une fois son nom dans les

pages qui suivent. Tout porte A croire que Xacbarie avait eu la

première idée de 1 audacieuse descente qu'il proposait: toujoursest-il qu'il la considéra comme le meilleur moyen pour le roi desoutenir la guerre sur mer, en causant à l'ennemi grand dom-

mage, et en se procurant a lui-même honneur et gain. Voici en

conséquence les avis qu'il donne à l'hilippc le Bel.C'est en premier lieu d'équiper un certain nombre de navires

portant des chevaliers avec leurs chevaux, et des hommes de piedhabites à manier l'arbalète, la lance et le dard. Cesnavires aurontune triple mis-non i" ils attaqueront l'ennemi sur mer; 2" ils dé-vasteront ses cotes; 3° si les cavaliers qui les montent peuvent des-cendre à terre avec les hommes de pied, ils mettront le pays &feu et à sang, détruisant les bestiaux, saccageant les viU<'set lesbourgs qu'ils pourront prendre. Zacharie fait le compte des vais-

C~ '~tintant (Agostino).~ttMoMdella rept<M<fadi CeMOM,Cmoa. MS7.:n.M., Mv.Mt. p. 100 et iM.

Page 396: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

3M EXCURSIONS HISTORIQUES ET PHtMSOPtMQCES

seaux et des hommes qui seront nécessaires pour l'expédition qu'ilprojette il faudrait vingt de ces navires qu'on appelait alorshuissiers, et qui avaient une porte pour l'entrée et la sortie des

chevaux, quatre galères ou vaisseaux de forme et de grandeurordinaires, et vingt-quatre bateaux. L'équipage devait se com-

poser de quatre cents chevaliers, quatre cents chevaux, 4,800marins et soldats de pied engagés pour quatre mois au moins.Les dépenses a prévoir, non compris celles qui seraient à la chargepersonnelle des chevaliers, étaient évaluées à 63,800 livres tour-nois, dont 38,&00 livres pour la paye des marins, à raison de40 sous tournois par mois et par personne.

Le mémoire dont nous venons d'indiquer rapidement les pointsprincipaux ne prouve pas sans doute l'existence, et moins encore

l'organisation régulière d'une marine militaire en France dans lesdernières années du THn"siècle; mais il témoigne que, dans lesconseils du roi, les esprits commençaient à se préoccuper duservice qu'un pareil établissement pouvait rendre au royaume;car Benoit Zacharie, quoique marin, n'aurait pas eu l'occasionde proposer à Philippe le Bel de tenter une descente en Angle-terre, il ne lui aurait pas soumis tout un plan d'organisationnavale, si la pensée de ce prince n'avait pas été déj& tournéevers cet important objet.

Et en effet, dans la table de Robert Mignon, publiée par notresavant confrère et ami M. de Wailly au tome XXI du Recueil desA~o~e/M de France, on lit ce qui suit, à propos de la guerrede Gascogne commencée en 1293 « Compoti operum galearum« et aliorum vasorum, ac armatœ maris pro dicta guerra. » Et

quelques lignes plus bas, à propos de la guerre de Flandre

« Compoti operum, galearum, ingeniorum, artilliaturarum et« aliorum, ac armat<e maris pro dicta guerra quœ incepit anno« 1296. » Ces passages confirment, à beaucoup d'égards, l'induc-tion qu'on pouvait tirer du mémoire de Benoît Zacharie, et,quand même ils seraient isolés, l'historien aurait le droit d'enconclure que l'entretien d'une marine militaire, sinon exclusive-ment composée de nationaux, du moins vraiment royale, fût-elleen partie recrutée à l'étranger, est un des grands intérêts qui ontattiré l'attention de Philippe le Bel et auxquels il a consacré avecses soins une partie des revenus de son royaume.

Page 397: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MOYENAGE. M3

Nous reconnaissons que les textes que nous venons de citer sontbien courts et qu'ils ne permettent pas d'apprécier l'étendue ni la

durée des dépenses et des sacrifices dont ils signalent l'existence.Le document auquel nous les empruntons n'est en effet qu un

simple sommaire dont l'auteur s'est borné à indiquer les grandeslignes de l'administration de la France au commencement duxtv" siècle, sans entrer dans les détails. MaisRobert Mignon avaitdressé un second inventaire qui développait le premier, et dans

lequel il avait catalogué les comptes particuliers tenus par les

agents de tout ordre chargés du maniement des deniers royaux.Cesecond inventaire avait pour titre M~' de MM~«f/o < WM~«-~MMtO~MtOfMM'MHtC< «~'MMt~' Me~O&e~MMtAfM~MMt«~<t~Mf.L'original s'est perdu; mais la Bibliothèque nationale en possèdeune copie (t), qui, malgré de nombreuses incorrections, éclaired'un jour nouveau beaucoup de points de l'administration de

Philippe le Bel. Sur le rapport de notre savant confrère et amiM. Léopold Delisle, la commission des travaux littéraires del'Académie des inscriptions et belles-lettres a jugé le documentassez important pour être inséré au tome XXIVdu Recueil ~MAM<<M*~MMde ~<MM*e.Il abonde notamment en indications sur lamarine royale au commencement du Xtv" siècle et sur la fin du

xur*; nous n'aurons qu'à recueillir ces précieux indices, en les

complétant par quelques indications tirées du JoM~< </«T~so~'

pour une partie des années 1298, i299 et i30i. Des textes au-

thentiques, nombreux et concordants, nous permettront d'établir

que, depuis la guerre de Gascogne jusqu'à la fin de son règne,Philippe le Bel s'est occupé de faire construire des navires de toute

grandeur, de les équiper, d'en affréter d'autres dans les ports deFrance ou dans les ports étrangers, de veiller à la garde des côtes

qu'il a eu des amiraux préposés aux commandements de ses flot-tes et des agents chargés des fournitures; qu'il a frappé des con-tributions spéciales sur les villes de commerce voisines du littoral,intéressées plus spécialement à la sûreté des mers; qu'enfin, sansavoir à beaucoup près complété l'organisation du service mari-time, il a laissé sous ce rapport, à ses fils et à leurs successeurs,une tradition et des exemples que ceux-ci devaient continuer.

(t) Fonds latin, n" MM.

Page 398: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

3M4 EXfUNSKMS MtSTORtQCES ET PHtLOSOPHtQUES

Fne série de comptes qui comprennent plusieurs centaines d'ar-ticles fort diSérents ne sont pas susceptibles d'être analysés. Onne peut qu'en faire des extraits qu'on classe plus ou moins métho-diquement, selon la matière à laquelle ils se rapportent. Cettemarche nous a semblé la seule qui pût être adoptée. Nousavons relevé aussi exactement que possible les faits épars soitdans la table de Robert Mignon, soit dans le JoM~w~M ?W~scit dans les autres documents qui nous ont passé par les mains;ipuis nous avons classé ces faits dans l'ordre qui nous a paru leplus favorable à la clarté de l'exposition. Nous avons été ainsiamené à parler successivement des vaisseaux, des marins, descommandants des flottes, des villes oft les vaisseaux se réunis-saient, de la garde des côtes, enfin des contributions spécialesétablies en vue de pourvoir aux frais occasionnés par la surveil-lance du littoral et par la guerre maritime.

Mne serait pas possible de fixer, même d'une manière approxi-mative, la quantité de vaisseaux dont Philippe le Bel disposaitdans le cours des différentes guerres qu'il eut à soutenir. Maisunpoint constant, c'est que ces vaisseaux, quel qu'en fùt le nom-bre, provenaient de différentes origines.

Et d'abord il en existait plusieurs qui avaient été ou construitsou achetés par l'ordre du roi et à ses frais, et qui, par consé-quent, lui appartenaient en propre. Nous savons déjà, par lemémoire de Benolt Zacharie, que Philippe le Bel possédait, eni295, sinon &une époque antérieure, treize navires, dont la gran-deur n'est pas indiquée, savoir 7 ARouen, 5 à la Rochelle et ala Réole, et le treizième à Calais (i).

En i29~, à l'époque ou la guerre était engagée avec les Anglaiset ou il importait de pouvoir soutenir la lutte même sur la mer.le bailli de Cotentm avait à faire fabriquer des boucliers, deslances et autres objets destinés à l'armement des vaisseaux du roiA~wwM, dit Philippe le Bel, MMMWï~M~t)Mw: /<ïcMw/M.Ajoutons que ce bailli anectait &ces travaux des arbres coupésdans un bois appartenant à un habitant du pays, et qu'il s'attri-buait à lui-même une partie de l'indemnité due au propriétaire.

«)<.Nous en avonsXIIIau dit roi t VUsont&Koupa.)tV &ta Hachetteet&la Rtottf.et liXtttMtè Kataya.w'Boataric.t. < p. 3:.d)tUragcApart.)

Page 399: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MOYENAGK. 395

Celui-ci ne supporta pas sans se plaindre une pareille exaction, et

Philippe le Bel enjoignit au bailli de la réparer sans délai (1).A la même date, Guillaume Bocuce s'occupait à Marseille de la

construction de vingt galères.Ce Guillaume Bocuce, que nous retrouverons plus loin, était

alors viguier d'Aiguës-Mortes. Il avait été, quelques années aupa-ravant, trésorier de la sénéchaussée de Beaucaire; c'était un des

agents les plus dévoués et les plus actifs de l'autorité royale (2).Fut-ce par ses ordres et sous sa direction que d'autres galèresfurent construites en 1297, dans cette même sénéchaussée de

Beaucaire, &l'administration de laquelle il avait pris une part si

directe, travail qui motivait un payement de 663 livres 9 sous

3 deniers, ou comme acompte, ou comme solde (~)?Renaud Barbou, bailli de Rouen, reçoit, d'après le J~w/

du T~o~ le 3 mars 1299, 1,000 livres tournois, et le 6 mars

15,000 livres pour les dépenses des galères et des flottes du roi

y)~ M<*yoc!'oya/c~'MM !M~ ~'o M~ocM w~y/7 ~y~.Dans un compte dressé cette même année 1299. nous voyons

figurer, comme étant la propriété du roi, un navire dont le nom

est tellement défiguré, dans les manuscrits, qu'en l'absence de

(tt « Phi)ippus, Dei gratia Framorutn rex, bitllivo Constantin), satutetn. Signit!-a <'avttnobi~RobertnaBertfan. mitei', (;uodde suis neMoribuspro <')ipeis,tancer et

nostrarum muatmenth navtum faciend)s~ccpistt vel <apif<'fii.tipro tue MMtovolun-

tati)t,ac. predicla faciens approciart nonora, tertiat))partptn etdanxeriuM no~trutn« n'tinui~tt de pretto supradicto, contt'a fjusdem mHith votuntatetn. Quoci<~atnati-c dMNUtUMqnatcnus nonomm hujusmodt precium. absqw rctenUone (tuacumque.<'dicto Miitti t~ddi et restitui faclas indtlatc. Votutnus etiam quod cidem militi sf'u« heredibuit suh au* succcssot'tbussuis ofeafion)' pfeMisiiormuin futurutn non va-« tcatprejudtciumaUquodgenerari. ActHmParM~, die lune pu&tdominit'atnqua catt-

)atur Letarc JheroMtetu, anno Dotniut tnt)Mtnxt ducentMtmononagMitnoquinto.« Reddetitteras dtct«n~Mttvel Mrum latori. (Cartul. <<<'la <wo<t)tM'de /~<cy«H-« bec, appartenantà M. tet'otMpttter FéHx, fut. 34. Nous detoMsta Mmmufttt'ation« do cette pt~cc&notre savant confrère et ami M. Mf'potd Dcttste.)

(2) ~MM< de Robert Mignon. p. 000 « UuOtcttt)~ !(ocuH). vh'arhtt Aquarutn« mortnarum. )) (Cf. Ocnnatn, N~. <<;<coMMfn'e (le WoM~e</<et-,<a<!t,t. p. tMet M7.)

(3) Robert Mignon, p. 805 et Uut « CotnpottMdotntn) G. Bocucii. de custudin« Ratcaruotff«)« apudMaretUtan). CompotusOMi)te)miBof-ttttidesa'ets fa<;t)~apud« MamtHtam) redditus Curtmxabbathopost fcsttU))beat<uLu<'i«!i29~. Attus fotnpo.

tua tpttux de vtgitttt ttaMt;novis qum ttunt fpud MarcHHatnab As~umpttonpbeatMMartee<20t, etc. M Kober.tMtg)ton. p. MB « DeMtaaDuata gab'arum Mtetarum

'<BetMcadr). Bt eat t'arma tmmit Yt* MUtt.. tx s., Htd. 11

Page 400: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

3M EXCURSIONSHISTORIQUESET PHILOSOPHIOUES

tout renseignement, nous n'osons pas nous hasarder à en pro-poser une restitution qui serait arbitraire. Le même compte etle JoM<o/ </M7~<~ mentionnent un autre navire appelé la ~M-perbe, ~Y~ qui se construisait à Bayonne; d'où il suit quecette ville, rentrée provisoirement sous l'autorité du roi de France,avait dès lors un chantier de construction (i).

Nous trouvons également des traces de chantiers à Dax et àNarbonne. Dans cette dernière ville, le chantier était sous l'au-torité d'un bourgeois nommé P. Binucci et qualifié de connétable.En i3i0, sur une dette qui remontait à i294, le roi devait encoreà Binucci une somme de i,600 livres (3). Malgré cette lenteur duTrésor à s'acquitter, Narbonne n'en conserva pas moins ses ate-liers, dans lesquels, s'il faut en croire les documents résuméspar le P. Anselme (3), l'amiral Gentian Tristan venait, en i325,chercher des ouvriers pour les envoyer à Rouen réparer les nefsroyales.

En l'année i300, au mois d'avril, sire Robert d'Heleville, che-valier, et Michel du Mans, reçoivent du frère de Philippe leBel, Charles, comte de Valois, dont le fils régna sous le nom dePhilippe Vt, l'ordre de faire armer des vaisseaux à Calais. Lesfraisde l'armement s'élevèrent à i,i25 livres ii sous tournois (4.).Déjà, en 1295, le Trésor royal avait eu à payer des dépenses dumême genre pour les nefs qui se trouvaient alors dans le port deCalais (5).

En i304, le sénéchal de Saintonge dressait l'état des dépenses

(i) RobertMignon,p. 897 Compote P. Kantde receptiaet expensispronave <UetasuperbiaBayonœractnst999. Tradiditin finedicticompotiquandam« cednlamde 'P"" erantin naveregisvocata. y<KH-~<,xxvjanii1299.<PetrusKantpronneMmpet.sutdeexpensisfaetiscircanavemqoœdiciturSuper-«bia Bayorne.»(2)RobertMignon,p. M5 « CompoteP. Binneeti.bargensisNarbonensis,Me.toriscoastabuUanœoperariormnNarbonensinmquosadduxitdictasG(Gerardns«de Noat.bns)adexercitumprœdietNmannoiM4.Redditnssabbathoin&stosancti<'AraotpMt3t0. Bebenta)-eiproNaedicticompotiN.vr'» u(3)~Me<re~tMfe&~t~Mde la maisonde~oMce,t VM,p. 742.(4)RobertMignon,p. 972 Compotmsdominide HeIevUta,miMtis,et Michae.«hs de Cœnomane.de navigioquoda-ceruatparareapudCaiesiamde pra-cept.dominiValesioe,annoiaM,menseapriM.Totusestdeexpensiaqaœest(~c]xMxxvUb.,H tnr. »(&)Robert Mignon, p. Me a Comptas magistri G. Gorniti super armamento ga.tearum et aliorum vasorum que erant apud Catesiam t295.? »

Page 401: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVEBS LE MfHKX AGE. 3!'T

occasionnées par la réparation de dix gâtées Saint-Savi-

nien (t).Un des centres d'armement tes plus actifs, c'était sanscontre-

dit Rouen. La ville de Rouen était mieux située qu'une autre

pour servir à un établissement maritime. D'une part, le largecours de la Seine oNrait de grandes facilités pour la navigationd autre part, tes sinuosités du fleuve et l'éloignement de la mer

semblaient mettre le port et ses alentours A t'abri d'un coup de

main. Les avantages de cette position furent mis &profit sous le

règne de Philippe le Bel. Un terrain dépendant de la paroisse de

Saint-Ëtoi, qui avait été jusqu alors affecté aux constructions nava-

les, fut abandonné on y substitua de nouveaux chantiers et des

magasins qui sont connus sous le nom de <7<Mdes 6~M. Dans un

intéressant mémoire, M. de Beaurepaire a démontré que le clos

des Gâtéesétait situé sur la rive gauche de la Seine, ARichebourg,c'est-à-dire tout à coté et au nord du faubourg de Saint-Sever (2).Un document, cité par M. le marquis Terrier de Loray (3), nous

apprend que ce clos était entouré d'un long fossé communiquantavec le fleuve par un double canal muni d écluses pour aider à lamise à flot des nefs nouvellement construites. Que cette savante

installation ne date pas du règne de Philippe le Bel, bien qu'il aitfait exécuter des travaux au port de Rouen, nous en sommes

pleinement convaincu; mais on ne saurait douter que le clos des

Galées n'ait été, à plusieurs reprises, utilisé par ce prince pourles armements maritimes. En effet, il est souvent question, dans

nos comptes, des préparatifs qui se font à Rouen, des vaisseaux

qui s'y rassemblent, des approvisionnements qu'on y forme. Noustrouvons des indications à cet égaïd, notamment pour tes années

i295, i296, i29T, 1298, i299, i302,1304, Hu5(&). Uncompte, quiest relevé dans l'inventaire de Robert Mignon, concernait les dé-

penses faites à Rouen pour le service des galères depuis le i~ mars

(1)RobertMignon,p.972 «CompotusdominiP.deBaleux,s~nescaMiXaactonensis,« deKpafattonedecem~ateammapadSanctumSavinianum.

(2) ff~t de l'Académie <<essciences, 6eK<'<fM et arts de ~ottea, années

1863-1864, in-a".

(3) Jean de F<e<tMe.etc., p. 72.

(4)NonamnlUpUedonsà t'exc~tescitations,si noustratMcrivioMtouslespassagesde rtnven<a!Mde RobertMignonauxquelsnousempnmtonscesdates.Nonanousborneronsà qaehntesMnvobauxpagesaM,Ma,MO,970,<*tt.

Page 402: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCUKSMXSHtSTOMtQtJESET PHtLOSOPtMQUES398

t3<Hjusqu'au t novemhM <308 (<). Parmi les oMciers royaux Aqui l'exécution des ordres du prince fut eonnée, le même inven-taire mentionne Pierre L'Huissier, Pierre La Bôve, archidiact~ dela Rivière, au diocèse de Soissons, et te Itailli Renaud Barbon.

Après la mort de l'hilippe le Bel, le port de Rouen conservason importance au point de vue militaire, en même temps que sonactivité commerciale. Ainsi, au mois de mars t3<7, BérangerBlanc, qualiné d'amiral. reçoit l'ordre de faire construire &Bonendes nefs et dromons, <p /<Mw~o ~< M«f'~ <'<fA'aM~<ps,et defaire réparer d anciennes gâtées (2). En 1326, Jehan Le Mire,sergent d'armes dn roi, présente le compte des avances qn'itafaites pour la visite et la réparation des galères et nets du roi &Rouen et autres lieux, « <t~~«' ~ow ~/<'wwMMat «MM«'y~ ~Mw/~~w~~KM (3~.

Dans le recueil d'~c/~ ~o~M<?~~ /? <ow c«MM)/M,dontla publication est due a l'inépuisable érudition de notre confrèreM. Léopold HeMste, on trouvera plusieurs pièces qui démontrent

que, sous Philippe de Valois, le clos des <.alées fut & la fois unchantier dans lequel des vaisseaux furent construits par l'ordre duroi et un arsenal assez riche pour fournir ai 1 armement des netsqui stationnaient dans les ports voisins (~).

En descendant la Seine et à une faible distance de son embou-chure, on trouvait sur la rive droite un autre port, celui d'Har-fleur, que les sables devaient un jour obstruer, mais qui, au

temps de Philippe le Bel, était <rèsprospère.Renaud, comte de Gueldres, avait des droits sur cette ville et

sur celles de Montivilliers, d'ËtretatetdeFécamp; il les échangea

(t) RobertMignon,p. 97t CompotosRenaud:RfnteretPtœ~ti de epeUbust ~parma apudRothoma~uma primadiemarliiamm1304usqueadprimamd!eM«novembristsos.

(2)~M.~p. 'M9 «la aliorotato]pneceptnmquodhabuitmMMemarUtt3)7[Befptt-«t~riNi!Btaae,adMiraMMMMrMjdereparationegalearumapudRothttmagom.lu«e<tdem.at!ttdquodhabuittunedefacieadoNeftnav~et dmmen<'s!btprœdtctUit"admtMMtM.a

(9)RobertMignon,p.93B «AMuscompotusde mMit~factisipsius(Johann~Med:ri)«proreparationeet viaitationegalearumet naviumRegisapudRoHMmagametalibi.Plusloin,p. 985,JeanMedMtreeoitle titred'*sergentd amMfda roi,&<MMaWtMar.Montât~M<a<<~<.

(~)~e&'<t «oMM<t«<&de la Chambre ~M comptes MK<PM~pe de Valois, poMté:ipar Léopold DetMe. (Roneo, ta?!, in.8". pages Ma, m. )t53, !<?, 170, 185, t8N, etc.)

Page 403: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TBAVEBSLE MOYEXAME. SM

contre âne rente de t,300 livres qui lui fut assignée par le roi aitmois d'août <803 (t). Le territoire d'Martteur appartint dès tors~ms réserve à Philippe le M. L<tposition avait d'autant plus d im-

portance qu'it existait ta, comme &Rouen, un clos de gâtées ou

galères, pouvant servira la marine royale de chantier d'arsenalet de lien de refuge. Nous y voyons rassemblé, pendant lesannées i295 et 1296, par tes soins des agents royaux, le matérielnécessaire a l'équipement d'une flotte (2). Bien que notre intentionne soit pas de dépasser tes premières années du Xtv*siècle, nous

espérons n'être pas accusé de sortir de notre su;<'t en rappelantque c'est n MarMeurque fut construite, en i3M, cette nef donttes contemporains disaient, selon tes ~<ww<M CA<'o~M<'s<A~vwe~, que .<

onques nef si tM-tten'avait été armée ni mise enmer (3).

Mêmes traces de préparatifs militaires A Leure, a Mieppe. il

Cherbourg. Un agent de Philippe te M. dont le nom a déjà passésous nos yeux, t'ierre La Rêve, avait dressé le compte des dé-

penses faites à Cherbourg en 1395 pour la solde des mercenaires

qui montaient tes gâtées et galiotes réunies dans ce port (~. Ce futlà, selon toute apparence, te motif du payement de 8,83â livres

que, d'après le Il. Anselme, Philippe le Bel ordonna, en t2!M,au profit de l'amiral Othon de Tocy (5). Sur i Océan, tes vais-seaux du roi avaient des points de ralliement a la Rochelle et,à Nantes (6), sans parler de Bordeaux ou s'équipait la Hotteque nos documents désignent sous le nom d'w~<A' ~Mtw/<*

~<M«~ WMM~ ~ow~ t n compte porte même ~M<~

«)Lacharteroyalequier~ cette rentefait)~rth'<te«'t)<'squiftah-nte~«M<s,<uM78,dansh-sj~h~~ delaMbMethè<tn<'nationale.~VoyMNo<<~<?<oM<'t<e~M~,etc..a<'393.ChartMdeCothert.a*30.)

9) Mtert Mignon, p. 83t « CoMpotus Johanob de Aqab de ~ro~htotbas navisiifactis apud Han'aavmm, amM t~5.. ~<d., M5 « C.tmfotM MMetiCastellani de

{~rmisionibas tm-tb apad RottMMagtM)).Leram et MaMauftxM, <a< tMSabhaU)! )'f«mtivMatem BeamohaMMBapU~ tM6.. Cf. t&M., p. XM.(3)~M Grandes Chroniques de France. pnbMM-spar M. Paulin Paris. Parb. <83T,

M'.6".t.V.p.4M.(t)RobertMignon,p. 898 wCompotnaP. LaReveproexpensis<a<;t!~apudChere-bMKepM8Mpend!arH9MdstenttbnsinearnMenibasgaharHM't galeatorum<2!'5.(5)Hisl.~M~ t. VII,p, 734.(6)RobertMtgnom,p.aM aCempotMftMMsixtrhG.G<M-ni<i.etJ<thaMhdeHyea.wtMadeetpeMbperipsostaetbapadRupeMam. CompotMRobertiMa~er:.h.

<'«amMonibMtaettsNamteUbosetreat295.<

Page 404: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCtJBSMXSMtSTOBWESETPMtMSOPtMQUESMM

tf~Ma?fjMWM~~M~<~o<M.L'équipement était con&é, en i2& il

Uérard des Monts, de Hgeae (<).Il y avait, comme nous l'avons dit, des vaisseaux achetés

pour le compte du roi. C'est ce qui résulte de plusieurs men-

tions portées au JoM~a/~M ?W.MM'.Ainsi, au mois de juin i298.

Jean Boulart et Jean de Versi, mandataires de ta société Michel

Livre, touchent i,2~5 livres 8 sous tournois pour solde des

navires acquis de cette société, pro M<tt~&M<cw~/M ~&Pis. Au

mois d août suivant, une galiote vendue au roi, <M<~A~ est

payée 200 livres tournois à Jean Calmète, varlet du roi. Au mois

de décembre, Amoul t'erceval achète &Jean Bourguignon une

nef pour laquelle il reçoit, sans doute comme simple acompte,70 livres parisis Ii prélever sur la caisse du bailli de Senlis (2).

Quelques textes nous portent à croire que les acquisitions d<*

cette nature étaient en partie couvertes au moyen de cotisations

plus on moins volontaires levées dans les ports de mer. Ainsi, le

H novembre i298, te Trésor fait recette d une somme de 200 li-

vres tournois versée par la ville d'Harneur pour une galère,

//<H*e/?!o~/M'o M~a ~/e<t. Même somme est versée le

même jour avec la même destination, au nom des villes de Leure

et de Chief-de-Caux (3). ChieMe-Caux est aujourd'hui Sainte-

Adresse.

Voila un ensemble de faits non contestables qui nous parais-sent attester de la manière la plus authentique un effort sérieux

de l'autorité royale pour se procurer une marine. Ils ne lais-

sent rien subsister des doutes exprimés par Legrand d'Aussy,

())RttbMtMignon.p.895« CompotMGerardideMmtUtMMKg!aei,provisorisMma-tuneGitondm,tredditasCnrtœnMKMn!antenatatetM5.e(Cf.?<<<p.M4.)~i Journal,etc., T*janMt998 aCepimussupert~em prodenatUaperPetrum

a de Netet,receptmremP!etave<Mem,Mtatbet tfadtttsJohanniBoulartet Johami«de Verd,pMcamtoftbosMtehaeMaLivreetMetoram(jos,pro reddacdeaaricMmnt-ib!d~MentmpronatUMMemptisabeis.xtf M.v1.vm s. t. M ?«., 4' aa-

gastt tM8 « Johaane~Calmete,faHetasregis,tam de donoregiseamaservicii,« gnainex TendKhmenatasgideota)vendKtBreg!per eumdem.eomthtentismna gnbpmaentavêtdretter,?!.< MM.,die M*dMembdsi:M «DeJehmme« Burgandi,pronoanavequam ArnulphusParcivatMémitab ipsoJotaaBeum.

et. p. M(3)JommaL.24novembristaM «DevUhHareaoUpro unagatean c. t. t.

e cent.per vice-comKemMeaastetMVitta<-tssuperbauhrtamCatett. DeTiMisa LeartBetCapNisCatett,prounag~deaperemademTke'comitemne1.1.supereMm-ndembattivan).

Page 405: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TttAVKNSLE MOYEXAHE. M

BMCMMtM MMOM~M. 3);

qui, ne pouvant se résoudre il croire que Ptutippe le Bet eûtpossédé, en i2a5, quelques vaisseaux, frappait de suspicion tespreuves ottïciettes de ce fait déjà produites par le P. Fournierdans son ~y~'o~~A~' (t ).

Maisles vaisseaux qui appartenaient APhilippe te liel ne cons-tituaient pas, ni dans les premières ni dans les dernières an.nées de son règne, une force suffisante pour qu'il put soutenirseul une guerre maritime. ACn de suppléer a ce qui lui man-quait, it usa de trois moyens t°it contracta des alliances uti-les: a' it anréta des vaisseaux étrangers: 3" ;t mit a profit ceuxqu it trouva dans les ports français, et dont les propriétairesétaient pour la plupart des nationaux, ses sujets.

Kn ta!M, lit guerre avec t Angleterre que, depuis quelquetemps, la rivatiM et les incursions récipnMMes des marins desdeux nations pouvaient faire présager, venait d'éclater. Philippete Bel n'avait pas attendu le commencement des hostitités pourentamer des négociations avec les princes qui pouvaient lui prê-ter leur concours. N'est-ce pas un fait curieux a tous les égardsque l'alliance qu'il conclut avec le roi de Norvège, Uric? Auxtermes d'un traité dont le texte a été publié dans t'.t«~/<~~a~/c de M. Jal (2) et dans ta ~M/~yw /A. ~s <~< (3), Eric devait fournir annuellement au roi de France deuxcents cratères et cent vaisseaux de grande dimension, munis d'ar-mes et de vivres, et portant cinquante mille hommes. Philippele Met. de son coté, s'engageait à payer au roi de Norvège unsubside annuel de :M,<MMlivres sterling. le traita, bien que ra-tine des deux parts, a-t-it été suivi d técution? Nous en dou-tons car, outre que les historiens ne parlent pas de l'arrivéed'une flotte norvégienne sur les cotes d Angleterre, nous u''trouvons dans nos propres documents aucune trace des paye-ments ni des comptes auxquels les engagements des deux roisauraient nécessairement donné lieu de la part du roi de France,s'ils eussent été remplis.

Les conventions avec les Génois eurent des suites pratiques

<)LegranddArnsy.1.1..p.39!). L,.(.. F~mter, ~r<~<~<e. Mit.,Parb.<68T.ht.M.,Hv.Vt,eh.M,~3<t.

(2)T.M.p.297etMthr.(3) t"' série, t. tV, p. 3M et suiv.

Page 406: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCfRSMXS tHSTOMQUE~ET PtMt.OSOPtMQfEStea

mieux avérées. Nous n'en avons pas ie texte; mais il résulte d un

compte dressé par Huillaume Bocnce, qu'il avait été chargé,en i20~, de négocier, au nom du roi, l'affrètement de galères

génoises (t Nous voyons en effet des nefs de cette nation arriver

en France. Aplusieurs reprises, pour se joindre aux nettes roya-les. Le témoignage des chroniqueurs est entièrement conforme,sur ce point, avec les comptes que nous analysons (à il met

en pleine lumière la part très active que les Génois ont priseaux expéditions navales ordonnées par l'hilippe le Bel.

Parmi les forces auxiliaires que la politique prévoyante d<

ce prince avait su se procurer, nous devons également signalerdes vaisseaux portugais et espagnols; ce qui n empêcha pas

que, sous Charles !V, des deniers appartenant A des marchands

d'Espagne (:t) n'aient été saisis sur mer par les Français comme

étant de bonne prise. Les noms de quelques-uns de ces vais-

seaux nous ont été conservés dans une pièce que Bobert Mignona connue et que M. Jal a publiée assez imparfaitement d après

l'original qui existe encore aux Archives nationales nous vou-

lons parler du compte de Cirard le Barillier « pour 1 armée

<:de la mer faite l'an de grâce i296 (4). Parmi les nefs aux-

quelles des rations de vin furent fournies, aux frais du trésor

royal, dans les ports de Normandie, <*irard mentionne les nefs

Holoc de Dieu, Notre-ttame et Sainte-Marie de Portugal, Sainte-

Marie et Sainte-Catherine de Santander, Sainte-Marie deTineo.

Saint-Laurent de Castro, Sainte-Catherine et Sainte-Marie de Fon-

tarabie.

Cependant, quelles que soient les ressources que Philippe le

Bel ait trouvées dans les marines étrangères, celles qui lui furent

(ti ihtbert MitjMMt.p.9"< Competo~<:nit!ptm!Bocttfii.. de négatif stbi coM-

« mis~ ex partf rtttis ~u fMh'btapad JanoaM an. t2M. e

2)f&MM.C<tM~W<<«<eCoMoMp,ttaMt<'<<v.<<MN~ffaNCf,<.XXtt.p. te:tHe b'mt'on' ()9M) Tenentnt Uon)tnon~i FrantoraM MMart!Venettci et GeMetid.

<' t-cienteodeh'ttare et dttMtdpre se ht mari. qni taxHaa naïM Anglorum d<'s*« tntMnMt. f ;Cf. ~o JÏMMC&edes Mya)~ ~o~cyM. t&<f<p. 25i et sa:)

(3, tbtbert Mi~MO.p. a87 « CmnfotM t.) ntiant TfMan de LVMb. par. in

t'tefttngb tactts iMprameMateM~ntapaMia*.u

(4 An'h. nat., t: M, t'Mee<3.Ce compte 6)nne MBrouleau de parehemhtao ven-o

duquel oa lit « Cumpotae CiranM Le BarMtiorfactus anno Bomitti M*CC" Nona-<'ge~imosetto diemetenr)! t'o<tPascha pro annata maris. B

Page 407: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TMAVKM LE MUY)~ A<:E. 4~

oNertes en France même par commerce national ne furent

j<astes moins importantes. Avons-nous te moyen de tes appréciermathématiquement? Assurément non mais du moins nous pou-vons en affirmer la réalité et retendue.

Le compte de Girant te Barittier nous fuit eonnaih~ tes portsde Normandie et des parties avoisinantes de ta Bretagne auxquelsle roi s'était adressé, te nombre dt; bâtiments qui s y trouvaient

)~unis, et même les noms de tours propriétaires. I:e sont autantde détails dont elltteun, prisa part, est tort insi~ninant. mais oui,rapprocttés, onrent un ensemble assez curieux.

En 095. Philippe te Metavait donc sous la main (et fournissaitde vin et, selon toute probabilité, d'autres vivres), dans dinerents

ports de commerce, les bâtiments que voici, qui n'étaient passa propriété, mais dont tes patrons étaient a son service

A Rouen, ta nef U~iet-de-Moy et cette de Jacques Mardouin.les ratios de <:uittau)ne Pt're. Xicotas Franc, Vaspat, Touque!tronari, Jehan te Courtois, ttu~ue Bonze, Pierre Ferrez. !« ~a-lie de la Capitaine, lit j~atie t'ayante, les galies d't gué Bonté, deJehan Lecourtois, t'ierre Raphaël, Aubert, Lion Uouce, Monsei-

gneur Henri, Jehan Uest)e, Xicttotette t'ornant.A Leure, neufne~

A Dieppe, les nefs de ltenri Saint-Jouin, Martin Malneveu, Mi-chel (.odebont, Adam de Neville, Je'tan dEndrenas, Mictt<t

<rs-d argent, Cuiitaume Bcstendonne, Raot te Petit, (.uittaum''

d'Endrenas, Jeltan Savien~enanUordetin. <:itettert Petit, ttaot

Honmolin, Maoi de Boitevitte, CniUaume Meret, Jehan tfame,<.autier Sonart, Symon-a-t<ttone, Thomas Varin, Jehan Heris,

HernicrMarescot, Symon Tolin, Richard, ~uieMe-Vittc, Jehan

Bernart, Jehan Trouart, Robert Renaut, Robert Lemire, Richant

ttoumotin.Tttomas le Valois, Richard le Meunier. Jehan Renier,Michiet LeBorgne, Michiel Uespe, Jehan Xordest, Guillaume Uan-

deiin, Jehan Darmors, Jacque ««'use, Jehan Potin, Pierre Rous-sel, Richard le Tonteur, Richard Uandenas. Barthetemi Roiet~,Micbau Dandenas, Perrot Matneveu, Machien, ChieMe.Vitte,Gautier MMaut, Andrieu de Retevilte.

A Ëtretat, que Girard le Barillier écrit J?< les nefs deThomas Satel, Robert de Dovre, Gautier de la Hese, Guittaume

Tontain, Jehan Triseboure, Symon don Mestier,Jehan le Bouchier,

Page 408: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

4"t EXtFMSiOXSMtSTOBtQUKSEt PtMLOSttPHtQtES

Guillaume Boutin, Richard Amonrous, Andrieu Triseboure, Henri

S:turoy, Jehan Mtelaine, Jehan Guillehache.

A Veutetes, les nefs de Guillaume François, Raoul Leber, Tho-

mas Saillant, Robert Chaste!, Guillaume Bremenchon, RolM'rt

Cote.

A Cherbourg, que Girard écrit C~w<AoM~y, les nefs de Je-

han Lt'franc, Philippe Balle, Jehan Le Valois, Michiel Betart,thtrand Catien, Thomas Quellingont Raoul Ma!aisic, Yvaiu Aous-

tain, Guillaume (.uiHot.

A Ilonfleur, tes nefs de Gautier Errant, Nichole Atnhetot, Eus-

tafhe Le Cordier, <:niHauntede Remieres, Nichole Mautavis.

A Leure, à ChieMe-Canx (c'est-A-dire A Sainte-Adresse) et A

HarcMenr, tes nefs de Jehan Vilain, Andrieu Vilain, Raoul Trié-

cat. Cites de Bordeaux, Robert de <:aUi, Jeban de Gatti, Jehan

Oedei, Guillaume Thomas, Cumaume Girart, Jehan Bac, Robert

Oin, Robert Gonel, Wuillaume Ormis, Symon Our, Raoul Sache-

Espée, Richard Escende, Jehan Ertaut, Symon Hardi, Colin Sa-

ehe-Espée, Robert Briefer, Rogier Gué, Robert Errant, Machieu

Sechier, Robert Le Cousins, Raoul Lorenz, Wuillaume Alain.

Martin Home, Robin Sechier, Jehan Chevalier, Gautier Dant,GuiMebert Boullint, Robert Sa~nare, Bertin Beren~ier, Martin

de la Croiz, Willaume Briefer, Rosier Thomas, Antiaume de Cor-

neville, Robin Richier, Nichole DoniMoit,Heme le 6uz-&-lavielle,Denis Manchele, Thibaut Hochart, Robert d'ingoville, Wuillaume

Ermus, GuillebertSoutein, Robert Peste!, Guillebert Lorenche,Robert Ourseil, Guillebert Lemoine, Bertin Quesnel, Guillaume

Rose.

A Caen, les nefs d Aubert Le Telier, Henri Colombier, Jehan

Nobles, Richart le jene, Nicholas de Bri~nesart, Rosier Aquart,Thomas Danere, Thomas Angot, Jehan Blondel, Pierre Caval,Nicholas Hors, Pierre Martin, Guillaume Brimel, Jeham Colomp,Elle Petitpas. Henri Hellart, Jehau Le Breit.

A Touque, les nefs de Bertaut Machon, Andrieu Tesson, Estace

Mulon, Denis Boncel, Renaut Orillon, Wuillaume Poinon, Pierre

Ernaut. Guillaume Tesson, Jean Babe, Henri Tirant.

A Saint-Malo, les nefs de Colin Pilart, Renout Baudin, Guil-

laume de Caune, Geuffroy Comart, Colin Maudet, Thomas Agin-

gnart, Robert de Bernaville, Pierre Le Moine, Geufroy Le Brun,

Page 409: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MuYEX At:E. i03

tuivier Marnant. Michiel La Boe, Thomas Godes, Thomas Tous-

tain, Richartt Videcoc, Jehan Durant, Jeufroy Robert, Jehan

Morant, Muillaume Ambaut, Ëstienne Les Couchie, <!ui!laume

(.autier, Pierre tambredort, Vilain Hue, Raoul Lambert.

A técamp, les nets <!eJehan Leblond, Symon Le Prévost, Wuil-

taumeTourpant, Richard Labe, Guillaume Poitevin, Guillaume

Le <Iomte.

A la Hogue, les nefs de Raout Monde!, Robert Torel, Pierre (le

Launoy, Robert <:ocetin, <.M)Uautne<Mhier, Jehan Mc<jueit,Jeu-

frey Bouia, Anfrcy RequeU. Guillaume Tresoner, Raoul Aivre. J<

han de la Rosé.

A BareQeu, les nefs de Nichole Rouchart et <!uiUaume <.oine.Il faut ajouter aux listes précédentes quetques navires qui s<'

trouvaient dans les ports de Flandre, savoir tes nets de Pierre Bel-

tant, Jehan Pompes, Henri Mueront, Cyrart )[)achier, Ernaut le fils

Ëtamt~ourc, et la nef dn maMre de Sainte-Catherine d'Espagne.Enfin nous apprenons par le compte de (.irard ie Barillier (pte

trente-trois pdies ou galions étaient réunis à Honfleur.

Telles sont les ressources que PhiMppe le Ret avait tirées, en

France, de Ja marine marcitande. En les réunissant A celles quedes travaux de construction vivement conduits et des empruntsfaits à l'étranger lui avaient procurées, il était parvenu à se créer

des forces navales qui lui permettaient d'auronter la lutte sur mer

avec quelques chances de succès.Sur les côtes de la Gascogne, il avait une flotte qui est dési-

rée dans les comptes, ainsi que nous l'avons dit, sous le titre

d\4)'MM~ C~o~Ap. En i295, après avoir rallié les vaisseaux quise trouvaient dans les ports de la Manche, elle se dirigea vers 1 An-

gleterre sous le commandement des sires d'Harcourt et de Mont-

morency.La plupart des historiens racontent la funeste issue de cette ex-

pédition. La flotte française obtint d'abord quelques succès. Elle

parvint a s'approcher des rivages du comté de Kent et a débar-

quer un corps de troupes non loin de la ville de Douvres. Tousles alentours de la ville jusqu'à l'enceinte ïbrtinée furent occupéset incendiés. Guillaume de Nangis assure que l'Angleterre eut étéfacilement conquise si les amiraux ne s'étaient point hâtés d'or-donner la retraite) pn laissant à terre une partie de leurs équipa-

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EXCUBSMXSHISTORIQUESET PHILOSOPIIIQUES)<'<!

ges exposée aux vengeances de l'ennemi et à une mort trop cer-taine (1). Le retour ne fut pas glorieux. Les <~w~M C'~WM~w.~écho du sentiment national, reprochent à la Hotte française d'êtrerentrée au port « sans avoir rien fait. » Quelques années après,la guerre n'ayant cessé avec l'Angleterre que pour recommencerl'avec les Flamands~ Philippe le Bel, non content de faire avancercontre eux une puissante armée, équipa une nouvelle Hotte. Elleétait composée de trente galères françaises, huit galères espagno-les et seize galères génoises. Un capitaine calaisien, du nom de

Pcdrogne, avait spécialement sous son autorité les vaisseaux fran-

çais et espagnols. Le commandement supérieur de la flotte en-tière avait été remis an Génois Renier de Grimaldi, avec celui des

galies de sa nation. Après avoir longé les côtes de Flandre, la flotte

française, arrivée à l'une des embouchures de l'Escaut, y joignitprès de Zierikzée la Hotte flamande commandée par Guy de Xa-mur. Dans la chronique en vers intitulée ~WM~ o~.t~<w.//M~o~~ le poète Guillaume Guiart nous a laissé un récit prolixe,mais intéressant, de la bataille à laquelle il nous apprend qu'ilavait assisté (2). L'issue fut quelque temps douteuse; mais, grâceà d'habiles manœuvres, la victoire resta aux vaisseaux du roi deFrance. Les nefs flamandes furent mises en pleine déroute; Guyde Namur fut fait prisonnier (3). La même année, Philippe le Bel

gagna la bataille de Mons-en-Puelle de sorte que ses armes furenten même temps victorieuses et sur terre et sur mer.

Comme l'indique la variété des noms qu'ils portaient, les na-vires à la disposition du roi se parltgeaient en plusieurs classes.Il y avait des nefs, des dromons, des pâlies et des galiotes. Le mot

(t) C&tWttCOM,année 1~5, édit. Gerand. t. p. 99t « PotutsMtqoe tune, ute dicebatur, tetos exercitos qui eMt in tMVtbasdp gente Fmocontm totam de <a-« ctMAagtiamoceupaMe, si non anctorMasdictorum am!)~t!)tmobsUitMet;nam t)a).<classe a porta revocata, iMo~qui exierant pMtcUtariet occtdt permiaeraat. M(Cf.les GfNM~ CAfMt?MMde France, édtt. P. Paris, t. V. p. it3; Co)~. CAt~Mtc<Ct~a~M (<6f)ae~e<o, dans le Nec«eHdes historiens de France, t. XXI, p. <3.)

(2)Rec.des AMottetM, t. XXtt, p. 968, v. <6760et te76t t

Qut vit la au de ta bMufgueEt te premier commeMement.

(3) Otttre la chronique de Guillaume Gulan, que Legrand d'Auaay a BdÈtemeatMtttte.voyez tes htatortem contemporatna, Rec. des /< t. XXI, p. M,194,044, etc.

Page 411: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATHAVEHSLKMOYËXAGE. 407

de w/n'a pas en général, dans la langue du moyen âge, une

signification bien déterminée il s'applique, chez les chroniqueurscomme chez les poètes, &des navires de toute forme et de toutedimension. Toutefois, d'après les savantes recherches de M.Jal, il

paraît désigner plus spécialement le navire de forme ronde, ayantun ou plusieurs ponts et marchant à la voile. Les nefs qui ser-vaient aux transports s'appelaient ~MM~e~.Nousavons vu qu'ellesavaient des portes qui s'ouvraient pour l'entrée et la sortie des

chevaux. Rappelons ici que Benoît Zacharie recommandait A Phi-

lippe le Bel de se procurer vingt-quatre huissiers pour unedescente en Angleterre. Nous ne retrouvons pas dans notre inven-taire ce mot d'~MM-M~mais nous trouvons le terme de a~'o~oM

opposé à celui de «oft'M.En effet, le dromon était un bâtiment de

forme allongée, ayant un ou deux rangs de rameurs, 1 un infé-

rieur, l'autre supérieur il était construit de faron à marcher à la

voile, ainsi que la nef, quand le temps s'y prêtait mais il était plusrapide que la nef. La galie ou galère était, comme le dromon, un

bâtiment à rames; mais, d'après un texte de Geoffroide Vinesaufft ),le dromon était plus long, plus large, par conséquent moins légeret moins facile à manœuvrer. Quant aux galiotes, c'étaient de

petites galies. Nous voyons, au reste, par le compte de Girard le

Barillier que les galies qui s'y trouvent mentionnées ne reçurentpas toutes la même quantité de vin. Une seule figure au comptepour cinq tonneaux, d'autres pour quatre, d'autres pour trois, le

plus grand nombre pour deux ou pour un; ce qui dénote avec

évidence des bâtiments de grandeur fort diuérente, montés pardes équipages très inégaux en nombre et en force.

Comment Philippe le Bel avait-il pourvu &l'équipement de ses

vaisseaux?

L'équipement d'une ilotte comprenait alors, comme aujour-d'hui, les vivres d'une part, et d'autre part les armes et les agrès.

En ce qui concerne les vivres, Benoît Xacharie conseillait à

Philippe le Bel de donner à ses marins du pain, des fèves et des

pois, rien de plus, et de leur laisser le soin de se procurer eux-

mêmes, moyennant une solde un peu plus forte, du vin, de la

(t) Nousempruntonsce texteà M.Jal,~H'A~o<.Hae.,t.1, p. 230 «Tresmajores<tnavessabMqtMMtur,qaasvutgodtom~-tesarpeUantt t~emverotevtorea,et adqumMbetaptandaagUtottes,subsequumtur.M

Page 412: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

408 EXCURSIONSHISTORIQUESET PHILOSOPHIQUES

viande et les autres denrées nécessaires à la vie. C'était, à son avis,le seul moyen de s'épargner leur « murmuration et leur « groi-gnissement. »Philippe le Bel ne parait pas avoir suivi ce conseilcar le compte de Cirard le Barillier, sur l'autorité duquel nousaimons à nous appuyer, contient le détail des quantités de vin quifurent envoyées aux nefs et aux galies des ports normands àRouen et à Leure, 36 tonneaux; à Dieppe, 30; à Ëtretat, 7; à Veu-lettes, 3; à Cherbourg, 5 et t pipe; à Honneur, 4 et 2 muids; àLeure et Sainte-Adresse, 57 tonneaux, 5 pipes, 2 muids et 6 se-tiers à Caen, 11 tonneaux; &Touque, 6 et i pipe; à Saint-Malo,26; à Fécamp, 2; Il la Mogue, 7; à Barefleu, 2: dans la Flandre,t5 tonneaux et 5 muids; à Harfleur, pour les galies et galiotes,58 tonneaux, 2 pipes et 2 muids, sans compter les fournitures fai-tes à M~ Jehan d'Harcourt pour l'approvisionnement de ses nefset bien d'autres fournitures encore. L'inventaire de Robert Mignonne mentionne qu'assez rarement des dépenses de vin mais nous nedevons pas oublier qu'il cite le compte de Girard le Barillier et

qu'il s'y réfère. Mmentionne d'ailleurs, sans indiquer les quan-tités, les autres genres de fournitures, de blé, de fèves, de pois,de fromages.

Un document que Du Cange a connu et souvent cité, dont M.dePardessus et M. Jal ont déploré la perte, et que M.de Boislisle aretrouvé dans un manuscrit de l'abbaye Saint-Germain des Prés,le même que Du Cange avait eu sous les yeux (i), les fM/ow~-~OMM)M<MM~MM<M,confirme et complète ces renseignements. Onyvoit figurer des fournitures de biscottes, de figues, de lentilles.de viandes et de poissons salés pour les marins, et des fournitures

d'orge pour les chevaux.Bien que les /b)'M~<MtM ne se rattachent pas aux guerres

soutenues par Philippe le Bel, mais Aun projet de croisade forméen i3i6 par Louis, comte de Clermont, nous avons cru devoirnous y référer; car elles contribuent à faire connaître les provi-sions alimentaires qu'emportait, au commencement du THVsiècle,un vaisseau de guerre. Quant aux fournitures spécialement indi-~

quées par Robert Mignon, les unes proviennent drs villes de Nor-

(<) ~KM<tf.6KMeMode ta &tc. <?<Mc<M ~eFrance, Mh~e <6?a,!M.8",p.33~et autv., p. 940et Mtv.

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A TRAVERSLE MOYENAGE. 4U9

mandie, notamment de Gisors; les autres d'Abbeville, d'Amiens,de Corbie, de Senlis, de Sens; quelques-unes même deDax et de

Bayonne. Tantôt les denrées sont achetées et les agents du roi les

payent immédiatement (I); tantôt elles sont prises, co~ (2);mais, dans ce dernier cas, autant qu'on peut en juger, elles nesont pas enlevées brutalement, et ceux qui ont été requis de leslivrer sont portés dans les comptes comme créanciers du roi.

Ainsi, à la suite du compte des fournitures faites en 1303 à Robert

Ansgans, panetier du roi, pour l'armée de Flandre, il est dit entermes exprès que ledit Robert doit libérer le roi en payant auxfournisseurs ce qui leur est du. Même déclaration est rendue ~u

profit des personnes à qui des denrées avaient été enlevées en1303 ou en 1304, date laissée incertaine dans le document, parun autre panetier royal, Jehan Coulon de Saint-Paul (3).

Quant à l'autre partie de l'équipement d'une flotte les armes etles agrès, nos textes démontrent que Philippe le Bel a mis tous sessoins à se les procurer. En 1294, Pierre Vitalis, maître charpen-tier, présente le compte des carreaux de bois, ~!M/'<o/'<~M,qu'ila livrés pour l'armement de la flotte durant la guerre de Gasco-

gne (4). En 1295, MeArnaud achète à Toulouse des balistes des-tinées au même armement (5). En 1296, Guillaume Bocuce dressel'état des frais de l'envoi ARouen d'ouvriers calfats (6). Ce vais-seau appartenant au roi, dont nous ignorons le véritable nom.

(t) RobertMignon,p.889 «GarnMonesempttede Mandateregis.x /<«(/f. MO «Compotusde bladisempt~apudAbbatisvillam.Compotaedegarnisio-ntbnaempUoetfactisapudAquaaet Bayonam.»(2)RobertMignon,p. 8X8 a CompotedeNadtacaptisapadAmMannmet Cor-beyamprobtMotoregisfaciendoannot29S. /6M. «B)adacapta!nvicecomita-tuEbroteenei.t « MadacaptainbattMvtaGtscrU).))–~M., p.890« Compotns

KdebladiscaptisinbaUUviaSenonenet.?»(3)RobertMignon,p. 959 aCompotusMoberttAtMgatM,pattetariiregis,de ga).

«uisioaibusfaeth ))ertpaumanno <303. Deb<'tMtvcredictusR. porsontsquas«(rad)dttlnNaccompottquibusdetx'baturdedictisgamtetonthus.et regemacqu).«tare. –/&M.,p.BOo«PartesgarnMouumcaptarumperjnhannemCoulondeSanct"«Pauto,paaetariumrcg~anno1301ve!anao )ao3. DebetarpemonbMtudquod«<'aptumfuitabets.»

(4)~Md.,p. 894 aCompottumagbtrtP. Vttathearpcntatorts,maghtr!qoarettorumarmata!GtMttda!de annoiM4. o

(6)Ibid., p.897 nCompotoaMagteMArna)dtde annaturiset baUottBquaeetntt'<apudThoîoMmprodictaarmatara(martapraVaocon)a).»

(6)~CM.~p. 897 i CompotusdominiU.BocaeHdoexpenutscatetatofuMmteataKc.«thomagompereum.))»

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EXCURSIONSMtSTOMQCESET PHtLOSOpatQ~ES410

mais que nous avons déjà eu l'occasion de signaler (i), ~rtait unarmement qui fut remis à Pierre Lhuissier. Nous trouvons men-tionnés dans notre inventaire un grand nombre de comptes rela-tMs à l'armement des Cottes, ou, pour traduire littéralement letexte latin, à l'armée de mer, aux arsenaux maritimes :o o~Ma-ta MW~'M,~M~' 0~!<W!PM/0~/<MM!~ pro O~~AMtyOf~O'MMet

~~MMw~M<. H ne nous parait pas douteux que les comptes dé-taillés que nous ne possédons plus n'aient compris des articles re-latifs aux engins de guerre et aux agrès. Les Archives nationalesnous offrent, du reste, un très curieux document, qui suppléeamplement aux détails qui nous manquent dans notre inven-taire (2) c'est le traité passé par le roi au mois d'août 1294 avecPierre-Guillaume de Mar, fils de ce Guillaume Bocuce que nous necessons pas de. rencontrer dans les négociations de cette nature,et dont le rôle important s'explique par son office de viguier d'Ai-

gues-Mortes. Ils appartenaient tous deux, selon toute probabilité,à la famille de Guillaume de Mar, syndic de la commune de Mar-

seille, à qui saint Louis s'était adressé, en 12~ pour le nolisse-ment de vingt vaisseaux (3). Quoi qu'il en soit, le traité de i294

stipule d'abord le nombre des galères qu'il s'agit d'armer et celuides marins qui devront être fournis pour en faire le service

Je Guillaume Pierre de Mar faz savoir à touz ceus qui verront cesprésentes lettres, que je ai à nostre Roy de France teles convenances.C'est à savoir que je et mes compe~jnons li armerons trente de sesgalies de Provence pour le pris de trois cenz et soixante livres de tor-nois petiz le moys pour chascune galie; et li donrons cent et soixantehommes pour chascune galée; et paierons les gages et les viandes desdiz hommes pour le pris dessus dit. Et nous obligerons de donner etde metre les diz hommes bons et soutBsansen toutes choses de mer,à la connoissancede ceus que nostre Sires li Roys y envolera.

De son coté le roi conserve à sa charge l'équipementEt MRoysgarnira les dites galies de armeures soumsement, et les

fera appareiller à ses propres despens toutesfois que mestiers sera.

(t)Voyezplushaut.p.895.(2)Cedocument,d~às~naiéparBoaiMie(lafMMceMtMPAtM~w? p. 37$).

a été.engrandepartie,publiédanale~<M~< Arch.<M<«MM~,Paris, M72,in~n"29P. 1

(3)Jal, ~cM~. MO.,t. n, p. 383.

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A TRAVERSLE MOYEKAGE ttt

Maisen quoi consistera t'éqnipement? Le traité le marque avec

précision

Et est à savoir que ce sont les armeurs qui faillent selonc mon ditpour chascune galie, \T' targes bonnes et soufBsanz;vt" bacinez; V)"cousteners; vt" espaulières.

7~M.nmde bons quarreaux de Jennes, d'un pié; un"*d'autres quar-reaux, ï" de quarreaux de t pié; tm"' d'autres quarreaux; r" de quar-reaux de u piez des bons do Jennes.

//CM.M plates.//eM.M gorgiers de plates./??. uc ganz de plates d'une main.Item. r.xarbalètes, c'est à savoir xï. d'un pié, et xx de Mpiez.Item. t dozaine de longues lances.Item. n dozainesde rondes, c javaloz quisont appelezgalthorihl.

Mpots de chaux vive.

Tel était donc, au point de vue des armes et des agrès, l'é-

quipement d'un vaisseau armé en guerre sous le règne de Phi-

lippe le Bel; le document que nous venons de citer nous endonne le détail précis, complet, authentique des targes ou

boucliers; des bacinets ou casques; des p~WM~M'~et des y<M'-ywc.~ pour protéger les épaules et la gorge des combattants;

des plates ou gants bardés de lames de fer; des eo!M/e~ ou

geignards; des carreaux à lancer sur l'ennemi des arbalètes, des

lances, des javelots; enfin de la chaux vive. Des renseignements

identiques ou analogues se trouvent dans les ZM/b~Mï~MMesmas-

silienses, qui les complètent.par de longs détails sur la formeet la dimension des vaisseaux, sur la m&ture~ les voiles, les cor-

dages, etc. (i).Quant à savoir d'où arrivaient les marins qui montaient les na-

vires, nous ajouterons sur ce point quelques détails à ceux quiprécèdent. Nous avons donné la liste nominative des marins quifigurent dans le compte de Girard le Barillier. Parmi tant de nomsoubliés aujourd'hui, il s'en trouve un qui devait être porté deuxsiècles plus tard par un armateur illustre. Thomas Angot, du portde Caen, est-il un des ancêtres de cet Angot qui dut à ses expédi-tions maritimes, sous le règne de François son opulence et.

(t)~HH<M<fe<~<aSoeMh~eihiatoiredeFrance,an. 1872,p.2MetM)!v.

Page 416: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCtïH8)C?!8HtSTOMQ~ESETPHttOSOPHtQUEStt9

une cétébrité durable? Quoi qu'H en soit, un fait est constant,c'est que, dès la fin du X)n"sièc!e, la Normandie, toujours teeondeen navigateurs, fournit en grand nombre APhilippe le Bel aussi

bien des nefs que des hommes de mer pour les monter. Mais,nous

le savons déjà, ce ne fut pas le seul pays ou le roi de France re-

cruta sa marine.

On vient de voir que Guillaume de Mar s'était engage par son

traite Aprocurer des hommes pour les galies que le roi avait sur

les côtes de Provence, a raison de t60 hommes par galie. Nous

retrouvons dans nos comptes, a la date de 1295, la trace de ma-

rins queson père, Boeuce, avait embauches a Gênes et qu il envoya

d'Aigucs-Mortes A Rouen (t). La même année Jacques Maetou et

Raimond Seqner amènent de Provence i57 marins. Jehan de

Chartres et ses associes en amènent du même pays i~2; PhiMppede itoret et François Bon-et-Bel, 220: GuiUau.nede Quart et Ber-

trand de Garcia, it8; Pierre Leroux de Khnes, et ses associes

Robert de Vatbrègue et Cappoboni de Florence, 2H (2). ~'autres,au nombre de 200, envoyés par Bonifacede Sienne, appartiennentau port d'Aigues-Mortes (3). Payen de Florence et Jehan des

Moulins en conduisent 300, dont la provenance n'est pas indi-

quée (4). En 1290, vers PAques, un certain nombre sont amenés A

Rouen par Nicolas, prieur de WatteviUe (5). En i299, Guillaumedu Verger et Albert Bonard vont en Provence faire de nouveUes

(t) RobertMignon,p.MO «Comf'otas.deexpt'nsisquarondamJanttenMNmqo<ft« GMHtetmasBoemtH,~tcartmAq~arumNortaantto.mMtde AqnhMortoisapad«ttothonMgtNn."–?«< p.Mt «CompotusGaMtetm!BoemMt.deexpensismis<acMat'Mcomadohominesmadnattos.(9)7~M.,p. M9 «CompotusMaehttN!et itaiinundiSeq~rMdeexpensisaddntendo

fic~v~~madnadosdf PMTincia. CempotMJohaanbCantotenataet Metonnasno-nnn de etpensbaddacemdovn~n madnadMde Provincta. CompotnsPMJippi«deBoretoet FMnehc!t!oN~t-MproMf madtMdb. CompotasGotMmideQNarte et BertmadtGaMiœde Mvmmadnadtsde PMv!nc!aaddncendot2M.

CompotusPetriLeRouxde XemaaM,PetriRohertideVetoMgneet Cappohoni,hemtnb de Non'ntta,capHaneontmdaceatontmet quadragintatminshMNinam«madnarodam. Con)potn9P. LeRouxde NemaMMet soetontmaNenunde Hf«martnartemmaddaeeadedePmveneia1295.»

(3)RobertMignon,p.9M a CompotusBomitaettdeSeoeproe~penststf tMm!nomqMMaddoxitprofactomarisabAqnisMortMts.»(<)~M.. p. MO a CompottMPayant de Florentla et Johanais de tMeadmio in At.

« Tentta de me maW)MrH~a<Mat<'nde.w

(5) Ibid., p. Ma a CompottMNteotai, prioris de Vatevilla, de nm~aMMaper eam<'addneMsBoUMmagum,videlicet aMo t9M, e~a Paseha. f

Page 417: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TBAVEM LE NtHKK A<:E 40

recrues pour l'année de mer (t), Des Espagnols également sontembauchés et dirigés sur Harttenr, comme on le voit par an

compte de Jehan de l'Hôpital, qui était relatif a leur solde pourtes annéesmt5 et ~96 (2).

BenoKXacharie fixait a quarante sous par mois. par conséquentA environ un sous six deniers par jour, la paye des marins auservice du roi. Nous n'avons pas relevé de renseignements précissur ce point pendant lit durée du règne de Philippe le Het; maisnous inclinons a croire tpte le chiffre inditlué par BenoMZachariefut augmente de six deniers: car, au compte qui fut rendu en laville de Rouen, le 23 août <:<t6. par Bérenger Btane. la solde desmarins ayant servi sous ses ordres se trouve eatcutée à raison dedeux gros tournois par jour. La somme qu'il eut il payer s'éh'-vait a 1,227 livres <5 sous tournois (3). sans qn it soit possible dedéterminer, faute d'indication, à combien d hommes ou a eom-bien de jours elle s'appliquait.

<tutre leur paye régulière, les marins iouctMnent une part des

prises faites sur l'ennemi. Ainsi, dans son traité avec le roi, <,uit-laume de Mar avait stipulé qu'il aurait la moitié des prises faitestant sur terre que sur mer, Ii l'exception des villes, châteaux et

forteresses, et la moitié de la rançon des prisonniers, ail'exceptionde cette des chevaliers, gentilshommes et clercs. Ce n'est pas,ce semble, s'aventurer beaucoup que de considérer ce partage

(t) Robert Mignon, p. 973 « CMupctoaDNnM GoMtehoide Viridario. scrvh'ntisa MttMtfMMregis, et Atberti Benatd!. m!Mon)min PMTiNfiotMpro marinariis addu.

rendis !n eMfdtma Ftandfim anno <3M. e

(2)?<<< p. 9<6 « Cton~tM J. <<<*MMpttaHpro ~tipMdtattis Mt~pa~ommafndMarMttftMMsoivendis t~S et t996..3)~M., p. Ma e Competusquem reddidit Ben-oganos Btanf, admtmtdas maris.

« magistroP. de Comdete,atcMdiafOBoLandanM:,).apad NttthemagOM,tutMB?4 au-sosU t3t6, de vadiis martnar)en)m qui fnertmt fMMM in annata <uarista naTibnitftvaNsn<m)tnat!8in dkte eompute, de qMibnspefMoisqnitibet perctptt pro vadns dH<m

« gMMMtemmenaes per diem. Et f<t!t immmatetatix x~ YtMM,Mb.M, tur. L~/«~M'MaM'JNM~aM<MMMMcontiennent un article qui semble t)r~ ptée!eM ponr la6Mtion do la paye des marins: « Sunt aeeeMani m qaaUbft ~<-a cxxx hom!n<wqa!etfectpteat quolibet mease ccc libras, ad fatMoem Lx sotidonu))pro quolibet ho-

mine. BMab cette phrase ptèseate nne etmtKMMeMon.En eaM, si chaque MMis

e!~t)aemarin touche ex sous, e Mt~dtMnt livres, la t'ay<*mensuellepour cxxx marimssera cccuotM !itfM et aoa pM cce. Veat-ea maintenir tf eM<!H:de ccc livres,cetot dpM MMdoit etM ratnHtéà M.<rt. Nemavons ptéSté af pas fa!re entrer dans notre ex-position ce texte eomtMd!et<~e.

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EXCUMSKMtSmSTOMQPESETPmMSOPtttQUES4tt

des prises comme ayant été habituel sous le règne de Philippele Bel. Ce qui m'est pas douteux, c'est qui! resta en usage sous

les successeurs de ce prince; car, en t3t9, un compte de Con-fina Tristan mentionne une prise de M5livres 10 sous parisis,dont une part fut attribuée Ala ville de Calais, et l'autre aux mu-

riniers (i).A ces navires de toute grandeur, à ces marins venus de divers

pays il fallait des chefs qui ne te~r ont pas manqué, et qui méri-

tent un souvenir de l'histoire.

Quelques-unes des indications pte notre inventaire fournit acet

égard ont déjà passé sous les yeux de nos lecteurs, et nous n'a-

vons plus qu'A les réunir en les coordonnant.

Les historiens avaient oublié, et M.Boutaric a remis le premieren lumière le rôle et les services de Benolt Zacharie, le conseil-

ler de Philippe le Bel, qui soumit tl ce prince en iâ95, peut-être A

une époque antérieure, un mémoire si ferme et si sage sur les

moyens de créer en France une marine. Nous aurions aimé a

pouvoir fixer d'une manière un peu précise la part qu il a priseaux aSaires de son temps. Ciustiniani, dans ses <iwM' (le~w<,nous le montre, en i285 et i286, investi du commandement des

galères génoises (à). Il entra ensuite pour quelques années au

service de Philippe le Bel, pénétra fort avant dans la conHauce

de ce prince, dirigea en partie les armements maritimes de la

France, fut chargé de diverses missions, reçut le titre d amiral.et eut sous ses ordres dix galères et une galiote envoyées sur les

côtes de Flandre. 11ne paratt pas que les services qu'il fut appeléArendre & l'hilippe le Bel se soient prolongés au delà de 1298.

Peut-être les estimait-il un prix élevé, qui eCraya l'économie du

roi. Aux termes d'un arrangement conclu avec lui par les maî-

tres des comptes, une somme de i2,000 livres lui fut allouée pourses peines il la reçut en plusieurs payements inscrits à leur date

au JoM~t«/ <~«?~<M' (3), et dont le dernier était &l'échéance du

(t) RobertMignon,p. 9N7 CompottMGentianiTristande t.v1.<0e.,inxh-r-'<Mnj~aeaptitMpefmerfatereatBspanta)tn galea,eojtMsommaBmedMMt'ert!n<t«vtMwC<(tMH,<'taMamartMurib.a

~9)~MHaHdella ecee&aed <KtM<WM<nte~«Miea di CeM~re,t537,in'M.,t" M6v et t08 V.

(3)RobertMtgnm,p.900 «CempotusBf~oatdtBarbondesotnthtntbaaperipsnm

Page 419: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSM:MOYENAUK. 4~.Il~

mois d'août 1399. tn ouvrage célèbre de Un Cange, t'o~e

Co~M~om/Mo~ «MM <'M~M'~M'</<w«<~ (<), donne quelquesdétails sur les vicissitudes qui remptirent les dernières années dede Benolt Xacharie. Étant revenu dans sa patrie, les Génois ren-voyèrent, en i3(H, guerroyer contre les Sarrasins. tt fit aussi laguerre pour lui-même, s'empara de i Mede Chio, y bâtit desforteresses, et parvint a s ymaintenir avec l'agrément de t empe-reur Andronic Il, auquel il payait un tribut. Mfigure, comme sei-gneur de Chio, de Samos et de Cos, dans la généalogie des dv-nastes génois de t'Arehipet, donnée par M.Chartes MopeAla suitede ses C/M'ow~w~~~M-~w<~<c< (i).

Hcnott Zacharie avait un fils, Patéoto~ue Zacttarie, (lui fut lui-même employé par l'hilippe le Rel. En H97. il se trouvait ù laKocheMeavec son père. Au mois de novembre 1299, le roi techargea d une mi~ion rctutive &la marine, qui est rappelèe aitJ~wf/ f/M y~w (3). Nous perdons désormais sa trace, et sonnom ne réparait plus daus nos documents, mais il est mentionnecomme seigneur de Chio dans le tableau généalogique dressé par11.Chartes llope.

Nous avons nommé plus haut les sires dHarcourt et de Mont-

morency qut commandaient, en 129~, t expédition dirigée contreles côtes d'Angleterre. Le premier mourut en 1302; le second,sur la fin de année i30~ ~).

6t<M8apodMothonMgnm,tuamantet'a~thatMK,putttx-fn)gah-i:!et «M~atiotttttiMsin HMMtdam,<t«ibusth'n<~thtnsXa<-han<t'fuit adtntratJ))~. Ct'mtftut

«Beo<!d!eUZa<'hMM\adtMratd!tMari~,denf<-)'t!!<<'tMpfnsi~()UM6ttt rationeuHxi:sa!,tMetirt-taontst296e<t297.n-dJitt)-.dna sat-bato~t PasettatXtX.Ut'bet)tnr

fre)!nedtct)<'omtwti.pMcertac.mtentittMt'f)tioanehotmeoperMagktms)a<<a,xnM.t. tuMnetMes. Attt<'<M<f~ Trésor,2' diealritis t2!M BpnedktnsXa.

«thatftp,admh-atdtMmv!~ regis,de donot~b mMeompMtMtMOMM«erntM.fr M<ftparMtMhafteaMSFfg!impens!.<Mtnont-)proexpensis,m~onibM,debitis't

atibqMthuMamqMeinqntbMsMX{Mteratfi h'ner!usqueadmartis)'o~tita)M<'9Pal-«MMamqaaftMndiemaprilisMttM,deMtmmaïn M1.1..mn1.t. M /oMf«a~dit

y~o< 3'dieangMsHM99 «Bem'diettMZacharie.fK)toton-sidaodeXHo1.1.MMa debMhm.H.1.1.))erPateotegnmBitMMsnum,')

(1) t'aris. t657. in-foi., )H' partie, p. 112 et snh.(2) C&fCM<~«M~<~M-MM<tttM <tt~~ea ou ~fM ce«~<te< pubMë~ par Chattes Mejc.

Bertin, VeMmam, ie73, < Tôt. tn-a".

? ~<MtHtat,etc.,xt*noTenth)~t~M PaieetogasZMharictuissusadpafh~tMari-a MmM.BVoyezaussile P.Ansetm't. VH,p. 73S.On trouved intén-ssantsdétailsurDenonZacharieet surMafils.

(4) Le P. Anselme, t. VU, f. 733.

Page 420: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCUK8MX8tt!ST«MQtE8ET PtMLOSOPMWES

Tandis qu'ils laissaient échapper le succès promis à leur en-

treprise, Othon de Tocy, ayant comme eux le titre d'amiral.

gardait les côtes de France depuis l'embouchure de la Garonne

jusqu'à celle de la Seine. Nous avons déjà dit que Philippe le

Bel lui fit payer 8,832 livres pour les galies et galiotes quiétaient a Cherbourg le i avril 1286 (t). Uans d'autres circons-

tances, Toey, reçut encore une somme de 20,000 livres. Apr~ssa mort, mentionnée au Joww~ </M?'t'~<«*comme antérieure

au 27 juin <29&, les navires dont il avait le commandement

furent ramenés à la Rochette, par sire Henri le Marquis, che-

valier, qui fut aussi quelque temps sous les ordres du sire de

Montmorency (2).En t206 et i29?, un autre ofScier a la solde de Philippe te Bel,

qui est cité plus d'une fois dans nos documents, Michel de

Navarre, opérait en mer, ii la tète de ses marins, des prises sur

ceux qu'on appelait les ennemis du royaume, ~<y~' MMMWM

«'~t/, c'est-à-dire sur les Anglais. Cinq vaisseaux, entre autres,tombèrent en son pouvoir sur les côtes de Flandre. Le comptede cette prise fut rendu à lit Chambre des comptes, le dernier

jour de mai 1296, par Léonard le Sec, maire d'Amiens, et parun habitant do la ville du nom de Jehan. Michel de Navarre

parait avoir été mêté, en <3<H, aux préparatifs de la guerremaritime contre les Flamands (3;.

Voici un autre nom qui doit nous arrêter, Renier de Cri-

.t) Let*. Aasfhne. t. VH, p. 73t. Vt~ezphM haut, p. 39W.

'9)J<MMTM<.etc., 6 {«nMi393 «HeartcasLeMarquis,taMM,proB' romtatittui< de&ctoNMHscumdem!abHan'ar!œet MontisMoreadaei. ~Md.,UtUmadi'

~nM « MearicMMMMqMb,tuiles,proNneeomtMHM)!deSanctttMartinoent"« ttotMnbHaKMfite<'tMont!sMoMoeiaei.e fMd..27~nii tM9 ett<-nrtca8MMar-<qnh. m!tM,proMaecufpott Mide <*xj)en~sah factisin t!"etraVaseonbecm)'e dominoOthoaede Touciinmari,et proMditasuoemmj~eis poattnortemipsius«apmtRnpettaM.etproMpt'nabCtftisapudRothomagamcireagatM~.B

3) RobertMignott.p.f3t « CompotMsMiehaeitsde Navarradepfbib ler eMM«taeUsMtperiaiMt!eMMt~i,redditusCMriMdie VenerbpostieatombeatiNicoMbie-maUa tMO.e RobertMf~oo,p.MM aCompotusLeonardiLMee,lnajorisAnt.« t':atMMi:t,etJohanabde AmMaaht.de bonisqamqneMTiamcaptanHnimFhn*<.dr!) taperAngMfosperMiebaetemde Navarm.tredditmeadmpenattimadtemaiia t!M. t ?<<<p. 294 «CompoUMdom!ntSyMonisLoutardtde boniscaptisin« tnariperM.de NaTarraet <~<MadjutoresaaperimimicosM)!at,~ttts per dericMNc MMnnquMamaU<M8. Cf.<M<t.,p. 9M. /M~p.972 «CompotasMichaetb

deNavarradeai!quibtMexpeasisqnastee!tproannataBMtdst)MM.

Page 421: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TNAVERSLE MOYEKAGE. 4<77

EMMMMMBBMM~M. a?

maldi, vaillant capitaine, f~M~f e /~<M«~~MûMo,disent les cou-

temporains, affrontant sans peur les hasards des combats ma-

ritimes, A<*Me~pe~M~soM ~Mp~~ di ~M~ (<). Métait originain'd<'Gènes, et son a!eul avait été prince de Monaco(2). Philippe leBel sut l'attacher & son service; et, s'il faut en croire Villani, ilaurait amené A ce prince du port de <:&nesseize galères bienarmées (3). Qu'il ait en des vaisseaux génois sous son commande-

ment, le fait n'est pas contestable mais tes avait-il recrutes lui-même en Italie et conduits en France? Ce qui nous étonne etnous suggère que!uucs doutes, c'est que, dans la table de Ro-!M;rtMignon, si riche en détails de cette nature, nous n'avonstrouvé aucun indice qui confirme t'assertion de ViMani; nous ylisons seulement les deux mentions suivantes «

CompotusReneri de Mrimatdi, admiraldi maris, de armata galearumanno 1302. » « Atius compotus ipsius Reneri, ratione oîncii« sui, videticet a principio mensis iebruarii t303 usque ad

dominicam ante nativitatem ttomini 130~ (~). » La généalogiedonnée par le P. Anselme nous apprend que Renier de Gri-

maldi, deuxième du nom, était chevalier et seigneur du Cagne etde Vitteneuve Normande. La victoire navale qu'il remporta &Xie-nkzée sur les Flamands justifia la confiance que Philippe le Bellui avait témoignée. LeP. Anselme fixe la date de sa mort à l'an-née i304.

`

Après Grimaldi sans prétendre donner la liste complète <*tla biographie des amiraux de France au temps de Philippe teBel, nous devons nommer Thiebaud de Cepoy ou Chepoy, quifigure avec ce titre dans l'ouvrage du P. Anselme. Bien qu'il soit

question de lui dans notre inventaire, il ne s'y présente jamaiscomme étant chargé d'une fonction touchant A la marine. Ce-

pendant il résultait d'un registre de la Chambre des comptes.aujourd'hui perdu, qu'il avait commandé sur mer dans la Mé-

diterranée pendant les années i306, 1307 et i308. Ce registrf

indiquait à quel chiffre ses émoluments et ceux de ses compagnons

((; VMtan!,apadMnmtod.~mat ~.M<t. XtU, 4tt.(~ Le P. Anselme, t. tV, p. 489. et t. VU, p. 738.

(3)Mmatort,<M<t.«. DaGenovefavenue«wt)MMdi FtaadfiaeonMgâtéebenpe annatealMHodetM.

(t) BobMtM!gmm, p. Mt et ?73.

Page 422: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

~M EXCmStOSStMSTOBtQUESKTt'MtMStWHt~ES

avaient été nxés il recevait personnellement trente sous parjour; chaque chevalier touchait quinze sous; chaque écuyer septsous et demi (<). En i307, il se trouvait il Venise, et ce fut danscette ville qui! reçut, des mains mêmes de Marco Pol, pour le

frère du roi, Charles de Valois, un exemplaire de l'ouvrage ducélèbre voyageur. Thiebaud de Cepoy a consacré le souvenir dece don dans un préambule qui se lit en tête d'un manuscrit dela Bibliothèque nationale, et qui, aux yeux des meilleurs juges,démontre l'antériorité de la rédaction française des voyages deMarco Pol (2).

Parmi les chefs qui ont exercé un commandement maritime,citons encore Bérenger Blanc. Après avoir commencé par être

sergent du roi, nous le trouvons investi, en <3i5, du titre et de

l'emploi d'amiral, Il exerçait encore ces fonctions en i3t7, épo-que Alaquelle l'ordre lui fut donné, comme on l'a vu plus haut,de veillera la réparation d'anciens navires et d'en faire construirede nouveaux. La liquidation des dépenses qu il avait faites, soit

pour l'équipement de la flotte, la construction et la réparation des

vaisseaux, soit pour la paye des marins, fut laborieuse, autant

qu on peut en juger par 1 inventaire de Robert Mignon nous yapprenons (lu elle se prolongea jusqu'en i32t (3). Sous les rè-

gnes des successeurs de Philippe le Bel, on voit le commandementdes flottes passer à Gentian Tristan et à Pierre Mége, etc. Mais iln'entre pas dans notre sujet de pousser aussi loin cette étude surles origines de la marine française.

Les vaisseaux de Philippe le Bel n'étaient pas seulement em-

ployés à des expéditions plus ou moins lointaines; ils croisaientle long du littoral veillant à la garde des côtes, et formant ce

qu'on appelait alors le guet de la mer, yMe~MMw<?~ (4). Cettesurveillance rendait de véritables services aux villes voisines,surtout aux villes commerçantes, dont elle protégeait les navires

(t) Le P. Anselme, t. VH, p 739.(3) Ma. fir. 5C49.Dans un M~motte tu à la t~amf des cinq AeadémiMle 25 oc.

tobre <8o0.notre regretté confrère et ami M.PaaMn Paris a s<gna(eM des premierst impeftaneedu texte Tafpof~ en FMMe par Thiebaud de Cepoy.VoyezMMatta )Mm-vette éditionque M. FaMtMefa donnée da livre de MarcoPol (Paris, i8<!&,in'<< in-trod., p. S9 et Mtiv.).

(3) Robert Mignon p. 9M et 9M.

(t) lbid., p. 6M « Pars receptionis gMeUBmrb in ba!)MvisCaletensi anno ;2a9. H

Page 423: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MOYENACE. 4t«

et les marchandises; mais, comme on peut aisément le croire,elle ne laissait pas que d'être dispendieuse pour le roi. Estimant

que tout service rendu doit être payé. Philippe le Bel établit nn

impôt spécial, non pas peut-être sur toutes les villes du royaume,mais sur celles qui avaient des motifs sérieux d'apprécier la sé-curité de la mer. Nous trouvons des traces de cet impôt dès i29<tsous les titres d'O&o~p<~ ~Ae~wM~<WM.Robert Mignonle mentionne comme ayant été levé en i29<; ARouen, en <299 a(iisors et dans le pays de Caux, en 1303 dans tout le littoral de litNormandie (i). U portait essentiellement sur les marchandises, nuiétaient taxées, d'après leur valeur, à raison de quatre deniers

par livre. Nous sommes très porté aicroire qu'il a été levé pen-dant toute la durée du règne de Philippe le Bel. Ce qu'il y a de

certain, c'est qu'à la date de t3t7 il est encore question d'un im-

pôt qui se prélève sur les denrées entrant dans un port de mer,<'t qui sert a payer les frais de l'artuement destiné à garder lamer et les marchandises qui ia traversent (2).

Pour apprécier exactement l'administration de Philippe le Bel,non seulement les projets qu il a mis Aexécution, mais ceux qu'ilavait conçus, il faudrait des documents que nous ne possédonspas. Que nous reste-t-il du ~<w~ <~<~? A peine trois an-nées (encore ne sont-elles pas complètes), les années 1297, 1299<'ti3u2. Qu'est-ce que l'inventaire de Roltert Mignon? Une simpletable des matières qui ne signale que très indirectement, qui fait

supposer plutôt qu'elle ne montre, les faits contenus dans lespièces de comptabilité dont elle donne la liste. Cependant lesinductions que nous avons pu tirer de ces documents incompletsne sont pas, nous le croyons, sans quelque importance ni sansquelque nouveauté. Nous sommes autorisé à dire que la marinen'a pas été une des moindres préoccupations de Philippe le Bel.

ti)RobertMignon,p.Ma Comfotusdemeepta.oboMmarisia baMiviaRotho.ma~Mi. « annotMO.. lbid, 5~ j~ta factapermodmn«M~Mtl.tboiontmpro factomath. annot'K)9(CatetnMet Gisortium). /M~ p. <oot~mpottMmagbtriJohanaisGaldrede subventioMtb~toUeetisinportttbusmaristottMs NonaaNiœ.videtieetquatuordenariispraHbm.anh'Mnetut.tHUarinmt302

n~Mead OmnesSanctos1303..»? RobertMignon,p.6M Compotns Symoniade Billy,MiUtb.bailliviibi (Am.

Mants). de hnposKhmefactasupermeMatarisv.'nientibM<ad portUMmarie,pm« ? MMatmrameonstitutamad coittodiendMMMMr<ttttercamra~tmos.-nnt.'spef itM, Mdditas21dcpcmb~t3i7.

Page 424: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

4M MCUBNONSmSMBKtCESETPNtMSOPtMQtTES

Le manque Apeu près absolu de vaisseaux et de marius avait ducauMr plus d'un souci aux rois de France ses prédë~sseursmais ils n'avaient fait aucun effort dont it soit resté quelquetrace; ils n'avaient pris aucune mesure pour obvier à cette péril-leuse lacune dans le système des forces offensives et dé&msivesdela France. A-t-elle été comblée par Philippe le Bel? Nous sommesloin de le prétendre; mais it t'a du moins aperçue; il en a sentile danger; it s'est imposé J<*ssacrifices pour se procurer desvaisseaux et des marins soumis à son autorité; il a entrepris en-fin de se soustraire à cette périlleuse et funeste dépendance &l'égard de Gènes et de Venise, dans laquelle la rovauté fran-çaise s'était trouvée jusqu'à lui, toutes tes fois qu'elle avait eu àdéfendre sur mer l'honneur et les droits de la nation. Tel estle service trop oublié que l'administration de Philippe le Bel arendu au pays, et que nous nous sommes efforcé de mettre enlumière.

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COMMENCEMENTS DE L'ECONOMIE POUTIQUE

DANS LES ÉCOLESDU MOYENAGE.

MÉMOIRE

SURLES

Page 426: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen
Page 427: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

MÉMOIRE

8CRLES

COMMENCEMENTS DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE

DANS LES ÉCOLESDU MOYENAGE.

A quelleépoque et par quelles voies la science de l'économie

politique a-t-elle pénétré au moyen âge, dans les écolesd'Occi-dent? Sous quelles influences et dans quelle mesure s'y est-elle

développée? Quelsrésultats a-t-elle produits dès sonapparition?Tel est le point peu connu de critique philosophique et d'histoire

que je meproposed'examiner. Laquestionn'est pas sans Intérêt;et, pourvu que celui qui la traite s'appuie sur des textes authenti-

ques, elle est susceptible d'une solution certaine et précise.L'économiepolitique est la science des faits sociauxqui se rat-

tachent à la production et à la circulation de la richesse. Cesfaitsne noussont pas moins familiersque les phénomènesles plusvulgaires de la nature physique ils se reproduisent partout ouleshommesréunis en sociétés'adonnent à des professionsdifférenteset échangent entre eux les produits de la terre et ceux de leur in-

dustrie, en se servant d'un moyen d'échange qui est la monnaie.Il semble donc que l'économie politique, trouvant chez tous les

peuplesun champ plus ou moinsvasted'observation~ait du attein-dre de bonne heure, dans chaque pays civilisé, un certain degréde développement. Maisl'expérience démontre que les faits quisent mêlésle plusIntimement à l'existence de l'hommen'attirent,en général, qu'à la longuel'attention desphilosophes et, de même

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EXCCMSMKSBtSTOMQUESETPHILOSOPHIQUES4M

que, parmi tant de merveilles de la nature extérieure, les pre-mières qui ont été observées ne sont pas celles qui nous touchentde plus près, comme les animaux et les plantes, mais celles quisont le plus éloignées de nous, comme le spectacle des cieux;de même, dans l'ordre moral, les spéculations métaphysiquessur l'être et le non-être, sur l'origine et la fin deschoses, ont de-vancé plus d'une fois l'étude de l'âme elle-même et des lois de lapensée. Ainsi, chez les Grecs, Xénophane et Parménide ont pré-cédé Socrate.

C'est, au reste, un point de fait dont tous les historiens convien-nent. que durant la première période du moyen Age, du VHi"siè-cle, par exemple, jusqu'au XMf, on n'aperçoit chez les écrivains latrace d'aucune préoccupation, quelle qu'elle soit, des questionssociales qui sont le domaine de la science que nous appelons au-jourd'hui l'économie /'o/~M< Le prêt à intérêt figure dans uncapitulaire de 789 (i), qui l'interdit, et dans les décrets de plusieursconciles, dans les lettres de plusieurs papes qui le condamnent (2).Charlemagne va même jusqu'à prohiber comme usuraire, et dèslors comme criminelle, la vente d'un muid de blé ou de vin Aunprix plus élevé que celui qui a été payé au temps de la vendangeou de la moisson (3). Mais ni les motifs de ces prohibitions sévères,ni les raisons qui pourraient être alléguées en sens contraire, nefournissent la matière d'aucune controverse. Les villes de Cham-pagne voient s'ouvrir des marchés et des Mres qui sont, durantprès de trois siècles, le eentre habituel des transactions commer-ciales d'une partie de l'Occident (t); mais le commerce en lui-même, l'influence qu'il exerce et les services qu'il rend à la so-

(t)Batnzc.Cept~aWaregum~oncwMM,ParMis,t7M,1.1. toi. 2t5.(2)n~ye~ P. M,e. Hv,q. 3. Cf.BeeM~. Greg.IX,t. V, t. MX,de PMM-(3)C< V,ann.808.~m, t. !,coL455 «QNiecmqneiempotemessisvelrimte.

«miœ,nonnece~tate,sedpropterotpïditatem,tempamtannonamautvianm,verbi«sMUa,de<hMbMdeaatiiscompamtmodiumanam,et servatosqaedmnvenandafi«po88itcontradenarioaquatuor,aut sex.seuamplinshocturpehtenamdieimm.«Ibid., t. l, eo).4M.Ottp~.t, ana. S09 «Ut nemoproptercupiditatempeeaoiœ<'etpropteravaritiamsaamprimdetpretinmetfutaramcoempUeNemaiMpmpatet,<!nt daptamwt triplumlunerècipiat,sedtanlumquandofractaspHMeMeet,Htos<*eomparet.B

(t)Voyezle savantmémoirede M.BoaK(aetotsur tesfoiresde Champagne,insétédanslerecueildes~~M~r~~~e<t~ par ~ceMMMH<<<*<tte<MM<ed~ <MeWp-tionset 6eHM~e<~M.9' série,t. V.

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A TKA\ERS M MOTfENAGE. 435

ciété, sont des sujets d'étude qui passent inaperçus. M en est de

même de la monnaie; elle circule de mains en mains, comme la

garantie nécessaire de toutes les valeurs et comme l'instrumentde tous les échanges, sans qu'on songe à en expliquer l'origine, lerôle social et les lois nécessaires.

Pour constater d'une manière irrécusable l'indifférence des pré-curseurs de la scolastique à 1 égard des questions économiques.il suffit d'ouvrir leurs ouvrages. Nous avons compulsé tour à tourles œuvres d'Alcnin, de Raban Maur, de Scot Ërigène, d'Hincmar,de Gerbert, de saint Anselme, d'Abélard. Ce sont assurément làles plus grands noms qui aient illustré la théologie et la philoso-phie du moyen Age avant le xm" siècle; ceux qui les ont portésont tous, à des titres divers, joué un rôle éclatant et exercé uneinnuence manifeste sur leurs contemporains lequel d'entre eux

pourrait être, avec quelque apparence de raison, revendiqué parles économistes? La plupart ont approché des princes et ont étémêlés au maniement des affaires humaines; ceux qui ont vécu,comme Abélard, loin des cours, et qui n'ont pris aucune partau gouvernement, avaient médité du moins sur les devoirs de

l'homme, et ils ont laissé des traités de morale dans lesquels sont

ingénieusement débattus quelques-uns des points les plus déli-cats de la science des mœurs. Mais. quelles que fussent leur péné-tration habituelle et l'expérience qu ils avaient acquise, trop en-

foncés, comme écrivains, dans l'interprétation de la Bible et de

quelques parties de I'0~w«w d'Aristote, ni les uns ni les autresne paraissent avoir soupçonné que la poursuite de la richesse,qu'ils méprisent, occupe trop de place dans la vie des nationscomme dans celle des individus pour ne pas offrir au philosopheun sujet fécond de recherches et de rénexions pratiques, utiles &cette poursuite même.

Nous opposerait-on le Po~a~et~ de Jean de Salisbury? Mais,malgré quelques rénexions morales sur le luxe et sur la fisca-lité, éparses dans cet ouvrage, Jean de Salisbury n'a évidemmentnul souci des questions qui préoccupent de nos jours les écono-mistes.

Indépendamment du caractère complexe des phénomènes quel'économie politique étudie, deux causes principales devaientcontribuer à la laisser dans l'oubli durant les premiers siècles

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EXCfRSMXS HISTORIQUES ET PMttMOPBtQUES~<:

qui ont suivi la mort de Charlemagne c'était, d'une part, t'étatmiséraMe de la société, encore Ademi barbare et à peine consti-tuée, presque sans industrie et sans commerce, et aussi pauvrequ'elle était grossière et ignorante; c'était, d'autre part, 1 ab-sence de toute tradition et de tout modèle susceptible de donnerl'éveil aux esprits. H avait fallu tes C~~e~M et l't~Hp~Md'Aristote pour que la cbaine des études logiques ne fat pas in-

terrompue les ouvrages de Donat et de l'riscien avaient sauvédu naufrage les théories grammaticales; quelques débris de 1 an-

tiquité, quelques traités élémentaires, tels que tes neuf livres deMarcien Capella, De JV~Ms 3~'c~M PA~/oy/ allaient per-pétuer dans les écoles un ensemble tel quel de notions de physique et d'astronomie plus ou moins inexactes; nous ne parlons nide la métaphysique ni de la morale, auxquelles le christianismeouvrait des horizons nouveaux, que Rome ni la Grèce n'avaient

pas connus. Mais quelle était la part de l'économie politique dans

1 héritage du passé? A y regarder de près, cette part était abso-lument nulle. Mn'existait aucune donnée qui indiquât la natureet l'étendue des questions a étudier, aucun germe qui put êtrecultivé et développé. Non seulement on ne possédait pas ceux des

ouvrages des anciens qui touchent, dans quelques parties, a lathéorie de la richesse; mais la trace elle-même de la doctrines'était eCacée. Ainsi, dans les J~~o/o~M d'Isidore de Séville,cette encyclopédie abrégée qui fut si utile à l'éducation du moyenAge, la monnaie se trouve mentionnée, mais en quels termes?« La monnaie, M<M!C/<~est ainsi appelée, dit Isidore, parce qu'elle« avertit, MM~c~de peur que quelque fraude ne se glisse dans« sa composition métallique ou dans son poids. La pièce de mon-« naie est le sou d'or, d'argent ou de bronze, lequel est appelé« M<WMMM<~parce qu'il porte l'empreinte du nom et de l'effigie« du prince. » Isidore oublie que nomisma ne vient pas du latinM<MMCM,mais du grec w~ et toutefois cette étymologie peuexacte vaut mieux que celle qui est proposée par l'auteur quelqueslignes plus bas « Les pièces de monnaie, MM~tMK,ont été ainsi« appelées du roi de Rom~. Numa, qui le premier, chez les La-« tins, les marqua de l'empreinte de son image et de son nom.« Il y a, continue Isidore, trois éléments essentiels de la mon-« naie le métal, l'effigie et le poids. Faute d'une seule de ces

Page 431: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSt.E MMYEKAGE 4'

« conditions, la monnaie n'existe plus (<). » Voila les seules no-

tions sur la monnaie qui eussent été recueillies par Isidore dans

les livres anciens, et qu'il eut transmises a ses successeurs. Est-il

surprenant que de pareilles pauvretés aient laissé les esprits in-

diMerents aux vérités économiques, et que, dénués de tout autre

enseignement et do toute autre lumière, ils n'aient fait aucun pasdans une voie qui ne leur était pas même ouverte

Mais, dans les premières années, et surtout vers la fin duxnr*siècle, la scène avait singulièrement changé. Amesure que lasociété féodale s'organisait, quelque imparfaites que fussent encoreses institutions, la sécurité qu'elles garantissaient aux intérêts

privés avait contribué au progrès du travail et de la prospéritépublique. Les produits de la terre s'étaient accrus; plusieursbranches d'industrie s'étaient développées; les relations commer-ciales avaient pris une grande extension, rendue bientôt plus ra-

pide par l'intlucnce des croisades. La formation d<' la richesse.comme sa circulation, offrait par conséquent aux philosophes un

champ de plus en plus vaste de faits Aobserver et de questions Arésoudre. En même temps le cercle de l'érudition s'était agrandid'une manière inespérée. Il n est personne qui ne sache que lesécoles chrétiennes avaient vu se répandre chez les disciples commechez les maîtres un grand nombre d'ouvrages de 1 antiquité grec-que, nouvellement traduits en latin. Parmi ces ouvrages, inconnus

pour la plupart aux âges précédents, se trouvaient deux des plusexcellents traités d'Aristote. la 3/o~A* J JVKWH~w et la Poli-

~M< Nous ne parlons pas de l'~coMOMM~w,bien que l'ouvrageait été connu sur la fin du xnf siècle par la traduction latine attri-buée à Durand d'Auvergne (2} car il tntite exclusivement de l'ad-ministration domestique, en d'autres termes, des soins que lepère de famille doit à ses enfants et à sa maison et, dans ces

conseils, empreints d'une grande sagesse pratique, la science

(t) ~moF.tib. XVt,e. xvn Monetaappellataeat, quiaMonet.nequafraasinmetatto velponderefiat.NomiaaMestsoMdMsaun'MTêtargenteus.sive<MMM,quiideo nonthmadieitur,quianomtntbnspriaeipamemgM~Kesignabatnr.Nommi

veroa Nmna,Romanormnfege,VMattsmnt,qateosfrt:aamapadLatinesitnagin!-busnotavitet tttoteMmtataMipraMcripsM.tnMmismatetrtaquœmntMrmetal-

tmt, Sgnmetpondus.Stex ib aBqttiddetnerit,nomismanonerit..(9)J<mrdatn,NecAeM~««' Ma'eet l'originedestraduction'<f.tW<tMc.nouv.

edit.Paris,tMs,ia-a.,p.7~ jj~ France,t. XXV.p.58etsuit.

Page 432: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCCRStOK~HtSMMQCESETPtMMSOPMQPESM8

que nous appelons l'économie politique n'occupe, &vrai dire,

aucune place.La .MB~p MJVMMMf~M<*et la F'e/~M<? ette-même n ont paa pourob)etprincipal,nous l'avouons, !a théorie (te ta richesse pas pour

objet principal, nous l'avouons, la théorie de la richesse; dans lesdeux ouvrages, cette théorie se trouve, ou peu s'en faut. reléguéeau dernier plan et remplit Apeine quelques pages. Toutefois, a

pins tt'une reprise, elle est touchée en deux de ses points tes p'usessentiels, t utilité de la monnaie et 1 intérêt de l'argent. Or ces

passages, que nous allons citer, offrent cela de précieux pour l'his-

torien, qu ils sont le vrai point de départ de la seience de i éco-nomie politique au moyen âge. t nmaure illustre de la philosophiecontemporaine a écrit que la scolastique était tout entière sortied unephrase de Porphyre, traduite parBoèce. sur tes notions uni-verseHes d'espèce et de genre (i); nous croyons fpt'on peut avan-

cer, avec non moins de raison, que les premières spéculations etles premières controverses qui aient eu lieu, depuis l'antiquité,sur les questions économiques, ont été suggérées à nos ancêtres

par quelques textes de ta J7<fet de la /M<' d'Aristote, dontelles sont le commentaire.

Voici en quels termes Aristote s'exprime dans la J~M~' Ni-

~wM~t~ au sujet (le réchange et de la monnaieToutes les choses échangeables, dit-il, doivent, jusqu'A un

« certain point, pouvoir être comparées entre elles. C'est de là

qu'est venue l'invention de la monnaie. La monnaie est unesorte de mesure qui sert à évaluer toutes choses; elle évalue ce

« qui manque chez l'une, et ce qui chez t autre est en excès. Elle« montre, par exemple, quelle quantité de chaussures il faudrait« pour égaler la valeur d'une maison ou une quantité donnée< d'aliments. La mesure commune de toutes choses, continue

Aristote, ce sont en réaUténos besoins, lesquels sont le lien uni-verse! de ta société: car, si les hommes n'avaient aucuns besoins,

< ou s'ils n'avaient pas des besoins semblables, il n'y aurait pas« entre eux d'échange, ou, du moins, l'échange ne se ferait pas< de la même manière. Mais,par un commun accord, la monnaiea« été, pour ainsi dire, substituée à nos besoins, et en est devenue« le signe conventionnel. C'est pourquoi elle a reçu te nom de

t) Cousin,Oac~M <<«<<<?<<<&<~onf,!ntMd.,p. metsuiv.

Page 433: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TBAVEKS ~E NOYES ARE. 4'

«~~<ï{Mt,aun d indiquer qu'elle tire son origine, non de !a na-

<tturc, ~<Mt~mais de ta loi, w~ et qu it dépend dp nous de la« changer et de lui Mer s<m utilité. En supposant que nous

« n ayons actuettement aucun besoin, la monnaie que nous gar-'<dons en main est une garantie que t'échange pourra se taire plus« tard, des que le besoin mettra dans le cas d*yavoir recours; car

« Hfaut que celui qui donnera alors sa monnaie soit assuré de trou-« ver en retour ce qu'il demandera. Au reste, ta monnaie est ette-« même soumise a des variations: elle ne conserve pas toujours« lit même valeur, bien que cette valeur soit cependant plus fixe

«et plus uniforme que cette des choses que la monnaie re-

« présentent).

Apres avoir ainsi explique dans la 3/~wA* JVt~M~w le

rote de la monnaie comme mesure universeite des valeurs de dif-

férente nature, Aristote signale dans la ~W/w tes autres ser-

vices qu elle rend &la société.« A mesure, dit-il (2). que des rapports de mutuels secours s<

développèrent entre tes hommes par l'importation des objets« dont on était privé et par l'exportation de ceux qu on possédait« en abondance, la nécessité introduisit l'usage de la monnaie, tes«denrées dont la nature nous fait un besoin n étant pas, en« générât, d'un transport tacite. <m convint donc de donner et« de recevoir dans les échanges une matière qui, utile par elle-< même, tut aisément maniable dans les usages habituels de lae vie ce fut du fer, par exemple, ou de l'argent, on telle autre« substance analogue dont tout d'abord on détermina simplement« la dimension et le poids, et qu'enfin, pour se délivrer des em-

barras de continuels mesurages, on marqua d'une empreinte« particulière, signe de sa valeur.

A entendre ces explications si lumineuses, non moins justes queprofondes, sur futilité et, si je puis parler ainsi, sur la fonctionsociale de la monnaie, comment s'étonner que, même en un siècleindifférent ou étranger aux problèmes de cet ordre, elles aient

frappé et convaincu tous les esprits sensés, en discréditant à leurs

yeux le frivole avoir dont ils N'étaient contentés jusque-là?La ,MoM~#

~oNM~tM a été connue en Europe dès les prc-

(t) JMeM~AWtMM~M.). y, f. y.(~PoM~e, t. t. c.m.

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EXCUaSKM!8MtStUMOUES ET PH)t.OSOt')tWES490

mières années du XMt~siècle par diverses traductions latines faitessur le texte grec, et par une autre dérivée de l'arabe (1). Ce futun demi-siècte après seulement queGuittaume de Meerbecke donnaune traduction de la Po/~M~ (2). Mais la lecture de la Jtf«~/<'avait suffi pour enseigner aux Latins le vrai système de la mon-naie. Aussi le trouvât-on exposa dans plusieurs écrivains de cetAge. d'après Aristote lui-même.

Nous citerons en première ligne Albert le <:rand. Sa vie se passadans les couvents des Frères Prêcheurs. tantôt AParis, tantôt &Cologne, a méditer les ouvrages d'Aristote. a les interpréter, àeu développer le sens pas à pas, pour i instruction de ses contem-

porains. Ur les commentaires qu il a écrits sur la JF<~a/<?ne,sont,en ce qui touche la monnaie, comme pour tout te reste, 'm'unesimple paraphrase du texte original.

La monnaie, dit-il (3), est ta mesure de toutes choses, elle estla mesure de ce qui excède chez les uns et de ce qui manque chezles autres. A'MMMM« MM~w/ <wMw; M<?~tw~ <w~M et ~<w<-~w~M~MM ~/<wM. Elleen est la mesure, non par rapport Aleur nature intrinsèque, wwM/KM<~M~/wtWM yMo< MtjMw~ww afc~~ mais par rapport &l'usage que nous en faisons,st < Mw/wM~c/~owMw~ M~M, c'est-A-dire par rapport a l'utilitédont elles sont pour subvenir à nos besoins, ~pc<M~MMyMo</1~/<in <MMM<~)/e~ M~<'M~aw. Ette sert &maintenir une proportionégale entre tes objets à échanger. Le laboureur à qui le cordon-nier donnerait une chaussure pour un sac de blé recevrait moins

qui! ne donne, et le cordonnier recevrait trop. !~amonnaie ré-tablit l'équilibre, et cela pour toute espèce d'échanges, non seule-ment pour les échanges qui se rapportent à des besoins pressants,mais pour ceux qui deviendront nécessaires dans la suite. SelonAlbert, le possesseur de la monnaie qui a cours dans un État doit,en l'échangeant, pouvoir se procurer ce dont il a besoin. Mais,fidèle jusqu'au bout A la pensée d'Aristote, Albert reconnalt aveclui que la monnaie ne garde pas toujours sa même valeur qu'ellevaut tantôt plus, tantôt moins; qu'elle peut arriver même à ne

())jMHMtt,Jhf~M~M,etf.. p. <7a<~SNtV.(9)Jourdain,<MA.p. 70et tM ~M. titi,dela France,t. XXt,p. tMet suiv.(3}m<c., Mb.V,tract.M.c.1.1. IV,p. 9Met mhr.delagnMtdeéditiondes<MVKs

d'AtbertleGranddonnéeparJammyen XXIMt. ta-M.

Page 435: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TBAVERSLE MOYENA<:K. Mt

plus rien valoir; d'où il suit qu elle n'est pas une garantie absolu-ment sure. ~<MMMM~MOMe~/M~Msso~ce~Ms.

Saint Thomas dAquin, à l'exemple d Albert le Grand, son

maître, a commenté la 3~a~A*d'Aristote et les premiers livres dela Po~<yM< e'est-A-dire que les doctrines du Stagirite sur lamonnaie lui sont familières; que, dans ses Commentaires, il les a

reproduites tantôt à la lettre, tantôt avec de courts développe-ments, et qu'en toute circonstance il s'y réfère et les invoquepour les besoins de son argumentation.

Chose remarquable! Les volumineuses compilations dues riVin-cent de Beauvais n'offrent, en cette matière, aucune citation

d'Aristote, que nous sachions du moins, Dans le chapitre de son~M~M*Mef~w/qu'il a consacré Ala monnaie et au numéraire (i).Vincent de Beauvais s'en tient encore an passage d'Isidore quenous avons transcrit, et a une page de Pline le Naturaliste surtes plus anciennes variations de la monnaie romaine (2). Mais lathéorie péripatéticienne de la monnaie reparait chez la plupartdes autres écrivains du xnf siècle. Elle est paraphrasée habilement

par Gilles de Rome, le précepteur de Philippe le Bel, dans sontraité célèbre Dela cow/<M/e<«~~ 7~<MM~/M'Mt~wMt;et le docte écrivain la recommanda à son royal disciple commetrès utile pour les pères de famille et pour les souverains qui ontun peuple ou leur maison Agouverner (3). Elle a inspiré, un peuavant le milieu du xm* siècle, le curieux chapitre de f~wycm<MM~ « Porquoi monnoie fut establie (~). » On la rencontre,sinon dans le Tesoro même de Brunetto Latini, du moins dans unfragment anonyme qui se trouve intercalé dans plusieurs manu-scrits de cet ouvrage (5). Enfin il n est pas dimcile de reconnattrele vestige et l'inMuence de la même doctrine dans plus d'un pas-sage desécrits de saint Bonaventure, de Henri de Gand et de DunsScot. On peut dire sans exagération que, vers la fin du x)n~siècle,les parties élémentaires de la théorie de la monnaie étaient pas-

(t; ~Me~MMM<NM~,i. VM.c. Ut.(9) ifM. Ma«M- t. XXXUt, c. ïMtet Mt~.(8) De N~<M<Mpf<)M-~«M, M, p. 3, c. M, éd!t. de Rome, <607,in.8", p. 3M <t

NMV.

(4)HM. M(. de te~oMe, t. XXIII, p. 3t8,8t7.(5)Z< «MiMdea MMf, par BnMetta Latini, paM. par M.Chabaille dans la ecti..

tim des Boemneats inédits Mr t hMoirede France, Paris, M63,ia-f, p. e2t <<sutr.

Page 436: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

1!M KXCtJRStUXSMtSTORtQMKSETPMLOSOPMtQUËS

sées, dans les écoles d'Occident, à Fêtât de lieu commun phi-losophique.

Telle est donc l'influence exercée par Aristote sur l'apparition <'tles premiers développements de l'économie politique au moyenAge. Avant que ses ouvrages eussent pénétré en Europe, la seule

pâture oHerte aux esprits, ce sont de puériles étymologies quin'instruisent pas et qui ne poussent pas même A s'instruire enexcitant la curiosité. Maisà peine les efforts de zélés traducteursont-ils propagé parmi tes chrétiens la connaissance des livres du

Stagirite, que déjAdes notions précises et vraies commencent à s<*faire jour. Des idées analogues A celles d'Aristote existent, il est

vrai, chez d'autres écrivains; et le D~ par exempte, a conservéun curieux fragment du jurisconsulte Faut, dans lequel l'origineet le rôle de la monnaie se trouvent expliqués en peu de mots avecune exactitude remarquable (t). Mais, bien qu'au xtM~siècle If

Digeste ne Mt pas inconnu, ce n est pas A cette source que lesniaitres de cet Age ont emprunté leur théorie de la monnaie; cene sont pas, dans cette matière, les PwM~c~ qu'ils invoquent et

qu'ils commentent, c'est Aristote: et voilà pourquoi nous attri-buons au Stagirite, et non pas à d'autres que lui, une part d'in-fluence décisive sur l'introduction première des notions économi-

ques dans les controverses de l'école.MaisAristote n'a pas traité que la question de l'origine de la

monnaie, il a parlé aussi du prêt à intérêt, et tout le mondesait qu'il l'a condamné, au nom de la logique, de la manière la

plus sévère. Il vajusqu'A dire que le prêt Aintérêt doit être enexécration à tous les hommes pourquoi? Parce qu'il est un

moyen d'acquisition tiré et comme engendré de la monnaie elle-

même, et qui la détourne de la destination pour laquelle le numé-raire a été inventé. La doctrine péripatéticienne, sur ce point, se

(t)EM~e.~MM.Mb.XVttt.ttt t.§t Origoemeadivendendiqaea permutationth))~« eoepHethnettttMnonMaerat tMMacMMnequeen!mattadmen. aMadpn'MuM«vocabator.sedMMsqut~Mp.seeandomnecesdtatemtemporamac reram.nMtMM~tnatM!apennntabat,qoandoptefamqoeeveatt,nt quodattertaMpeMstattertdMtt.

«SedquianonsempernMfatttecoaeartehat,ut, quamtu hahetesqaodeKOdeêt-«demMm,hx'h'emhaheMmqwedta accipeMwt!M,eteetaamtertaest,e~m pu-«bliraae pefpatMaestimatiodiNcattattbMpermatattonammqMatitateqaantttath<sabtrentMt;eaqoemateriaibrempubilcapereaMa<Mnmdomtatamqaenotttamex«substantlapMehetqnamex qtMmtttatenecnttmmerxutrumque,sedatterompré*<tttutnToeator.f

Page 437: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

ATRAVERSM MOYENAGE 433

tM~t~Htammem<t<

trouvait en parfait accord avec les opinions reçues, puisque 1 u-sure était interdite, ainsi que nous l'avons rappelé, par les capi-tutaircs des rois et par les décisions des conciles. Maiscette doubleréprobation ne se rattachait, dans la pensée de ses auteurs, àaucune vue systématique; elle n'était de leur part qu'un acte desoumission A l'autorité des livres saints, qui, en plusieurs passa-ges, susceptibles, il est vrai, d'interprétations diSërentes, frap-pent d'anathème les usuriers. Aristote fournit aux scolastiques lemoyen de justifier rationnellement les prohibitions portées par laloi civile et par la loi rengteuse; et de là découlèrent, pendantla seconde moitié du moyen âge, ces débats relatifs à l'usure quifurent alors une des principales formes de l'économie politiquenaissante.

Que la controverse ait été engagée au XM<"siècle et pas avant,c'est la ce qui résulte avec évidence du passage suivant tiré d'unopuscule De M~M~ qui porte le nom de saint Thomas d'Aquinet qui figure dans la collection de ses œuvres, bien que l'authen-ticité en soit très douteuse aux yeux des meilleurs juges. « Nous« avons appris, dit l'auteur, que de notre temps ii s'était élevé'<entre tes docteurs des controverses nombreuses, non seulement« sur des questions de philosophie naturelle, mais aussi sur des« questions de morale, matières dans lesquelles la diversité des« sentiments et des opinions est périlleuse. Nous savons que ces« controverses portaient principalement sur cette branche de la« justice qui concerne les échanges, la justice commutative,« comme l'appellent les philosophes, et sur le précepte qui s'y« trouve compris, de ne pas se livrer au péché d'usure (I). »

Cependant la trace de discussions sérieuses n~pparaK pas chezles écrivains du commencement duxnf siècle. Guillaume de Paris,Alexandre de Hales, Albert le Grand lui-même, se contentent derappeler les textes de l'Ancien et du Nouveau Testament qui pa-raissent condamner l'usure; ils ne recherchent pas la raison phi-losophique de cette réprobation.

~"M'. ~0. t. XVM.!? <MM-«t<Tcmp.rMMMtMsMsau-h <~r<~iM !nterd~to~ nonMt.mi. Mtt.ratMKM<,M-sU.ni.T' moratibus,ln<P'MMMperieMhmest dtverM~MM et~~1 parte 1"~ eommatativadicitara philosophie,

'.etbtapMto~sdemq~~t~f

t:o'tl'J:llJoü.

Page 438: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

4M EXCURSIONSM<SIOMtQfE8ETPHtLOSOPHtQUES

Saint Thomas est un de ceux qui ont les premiers traité la ques-tion avec le p* s de soin et le plus de développement. Il y revintdans tous ses grands ouvrages, dans ses QKM//OM<<wA?MW/,dansses QMM<~M~Mo~t, dans son CoMMMC~M~e /p .t/wdes ,S<w/<<~ et dans sa ~oMMMe /A~o/o~c. Nous laissons &partle traite De ~«~ puisqu'on s'accorde, nous le répétons, A le

regarder comme apocryphe.Les arguments de saint Thomas varient peu; ce sont les mêmes

en général qu Hreproduit en toute occasion; mais il ne les repro-duit pas dans les mêmes formes. D'ailleurs, à voir le nombre des

objections qu'il se pose &lui-même, et que, suivant son habitude

constante, il discute une Aune, on sent l'importance qu il attacheà la question et qu'on y attachait certainement autour de lui.

Il y a un premier argument contre l'usure, qui avait eu, Ace

qu'il parait, quelque succès, et que saint Thomas n'hésite pas à

rejeter. Une somme d'argent, disaient quelques docteurs, ne su-«bit pas d'altération par l'usage. Donc l'usage qu'on en fait, sous ]acondition de la restituer, ne doit donner lieu à aucune indemnité.

Mais, répondait saint Thomas, une maison ne se détruit pas par lefait d'être habitée, et cependant le droit de l'habiter se paye;d'où résultent deux conséquences la première, qu'une indemnité

peut être due au prêteur par l'emprunteur, même en l'absence detout dommage éprouvé par ce dernier; la seconde, que, si, dansle prêt d'une somme d'argent, il est inique de réclamer quelquechose en sus du capital, ce n'est pas seulement parce que la resti-tution du capital suffit pour que le prêteur soit garanti de tout

préjudice (i).Selon saint Thomas, la raison essentielle de l'injustice du prêt

à intérêt se trouve ailleurs; elle tient, comme le soutenait Aristote,à la nature même et à la destination propre du numéraire. Il n'enest pas du numéraire, non plus que du vin, du blé et de milleautres choses, comme il en est d'une maison qu'on peut prêter ou

(t) ~aK&.Sentent.nt, d.37,q. t,art. tv « Quidamdieunt,quodMeopecnnhun«proeertetaeroconcederenont!eet,sieutdomum,vêteqnMM,velaMahojaM))od!.<'quiapeeanianondetertoratarex usu,sedatttsrebusatiqatddeperitex usu.Sfdiatarationonest generaUs,quiain aMqatbnsrebus,proquantmcoaceMioneatt-

«quidacdptpotestMette.nihHexusadeperit,BtentiaeoaceMioaedomusadusumad«MnatMdiem;etproptereapretiumquodaccipiturnoneommeaMMtardamnoquod«accMttexusute!. M(Cf.QMa~.<~~«~. q.13,art. tv.)

Page 439: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVËKS LE MOYEt AGE. Ma

louer il autrui, tout en en conservant pour soi la propriété. A l'égarddu numéraire, l'usage ne saurait être sépare de la propriété, et la

ct-ssion de l'une entraîne celle de l'autre. En effet, le numéraire,

pris en soi, est ce qu'il y a de plus stérile au monde; il est inca-

pable de rien produire, et surtout il ne se reproduit pas lui-mêmeil lie vaut que comme moyen d échange; il est le signe et la mesure

des autres valeurs, et sa fonction propre est d'être échangé contre

t'es valeurs. Il n'y a donc qu'une manière légitime de s'en servir,

qui est de l'échanger, c'est-à-dire de le consommer. Le prêteur le

prête a cette seule fin, et dt's la, lorsqu'il prétend recevoir, sousforme d'intérêt, outre son capital, le prix de l'usage de ce capital,comme si l'usage et la propriété du capital étaient distincts, le

prêteur se fait payer la même chose deux fois, ce qui est contrairea toute justice (i).

Xous n'examinons pas quelle e.!t, au fond, la valeur de ces ar-

guments nous nous contentons de les exposer, en abrégeant quel-

ques détails. Aristote en a certainement fourni les éléments; maisest-il besoin de faire observer combien ce premier germe s'est déve-

loppé et transformé entre les mains des scolastiques, disciples du

philosophe de Stagire? Celui-ci s'était borné à dire qu'il est con-trat ve à la nature des choses que l'argent engendre l'argent surcette simple base, on vient de voir quel enseignement doctrinal,

t<) H, 2 S., q. 78, art. t Aettpere (Mmrampro pecunia mutuata est seeundom!.<-injutitum quia vendtttu- M quod non est per qnod tnanitMtc tna-quaUta: con~i.

« ttlitar, qam Ju~Htm contrariator. aQaa'dam res Mot q)Mntm UMMest :pMram reunn conanmptio, ~cot v:num eon.

Munirnooeo utendead potom,et trtttfmu c<KMam:UMMeo uteudoad otbom. con. msuininius eu ulencload potuin, et triticuiti oonsumimusco uteudo ad ~ibum. Unde intatibas non débet seoMmmcomputari u~ua rei a re ipsa; sed cutcumq<tecomccd!.tnr usus, ex hoc ipso concedHur res; et propter hoc in tatMMMpermtttuttmtranii-t<')ttNrdo<t)tn!MM.Si quiaefReMCMumvellet vendere vtnum, et vellet seorsamven.

dere Mum ~!nt, venderet eamdem rem bis, venderet id quod non est undcMantte~te per t~<MtHtampeecaret. Et simili ratione injostmam committit qui mu-

tMt viaum, aut triticum, peteM stbt dari daas tecompeMMUornes;unam qaideMrestituUONCMaiqMaU~Mt; aUam vero, prettum us)M,quod <tMradicitur.«Qttœdam vej-oaant quorum usus noa est ipsa fei consomptio, sicMtMM doMtM<~t fnhabitaUo~non autem dtMtpatio. Et ideo in talibus seorsum Mtest otrumquc« coaccdi.« autem ~~P~~ est inventa ad commutattone~faciendas;et ita propriuset prittctpam peeanta! MM est ipshMconsumptiosive dlstractio, Mcundmnqood.fa commMtattoBeeexpeadttur. Et propter hoc. secuadom M est HtMtum pro usupecMta)m)ttttat<BacetpeMpfeU)tmquod diettar aMM; fh'ttt afia Injuste MqmaKa<. t~w hom. MUtueM. tta pecMniamqoam per u~tam aeceptt. »

Page 440: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

436 EXCUMMOXSMtSTOMQUESETPHtLOSOPtMQCES

quelle argumentation tout au moins spécieuse saint Thomas d'A-

quin a su élever.

La théorie de l'usure, qui reparatt partout dans les écrits du

saint docteur, doit-elle être considérée comme son œuvre person-nelle ?Nousn'oserions l'affirmer; mais assurément nul n'a présentécette théorie avec plus de science et de clarté que lui. Elle fit for-

tune au xme siècle. Non seulement elle ne fut contredite par aucun

théologien de quelque renom mais la plupart l'adoptèrent. Nous

1 avons retrouvée même chez les écrivains qui n'appartiennent

pas à l'ordre de Saint-Dominique, tels que Henri de Gand, Gilles

de Rome et Richard de Midieton.

Les écrits de Henri de Gand offrent une nouvelle preuve de l'in-

fluence qu'Aristote a exercée en ces matières sur la marche des

idées. Henri commence en effet par analyser les passades de la

Politique et de la Jt/Mv</<?~%wM<~Mp relatifs à l'institution de lu

monnaie; il rappelle que, d'après le Stagu'ite, elle n'est qu'un

simple instrument d'échange, impuissante par elle-même à pro-duire la richesse qu'elle a seulement pour mission de représenter;et il part de là, comme saint Thomas, pour établir que, l'argentétant du nombre des choses qui se consomment par l'usage, on

ne peut en céder l'usage moyennant intérêt et en retenir la pro-

priété ainsi que le propriétaire d'une maison en cède l'usagesans qu'elle cesse de lui appartenir. Comme l'usure est permiseindirectement par la loi romaine, les légistes, dit Henri, supposent

qu'elle n'aurait rien d'illicite, si elle n'était pas défendue parles canons de l'Église et tout au contraire les lois de l'Église ne

la défendent que parce qu'elle est illicite en soi (i).Chez Gilles de Rome, nous retrouvons la même doctrine ap-

puyée des mêmes arguments. Pour le précepteur de Philippe le

Bel comme pour saint Thomas, comme pour Henri de Gand, l'u-

sure viole la justice et la nature la justice, en exigeant un double

(t) HeMWc<c6aMf<at'oo«fM~«oM~a. Vcopttb,1613,tn-fo! quod). Vt,

q. xMt.p. 374 « Mttttnmerrantqtttdamtegtstmqui, ignorantesnaturampeecati«uMtMe,qtta tnveahtotUMtraatn tegtbtMeuhpenntMae,et nonproMMtas,ntot!n-«directe,dtcnntquodMsora!nonunt MHcttœ.aisiquiaacanouevelabNecteetaaunt«proMbttfe.CumtatalitersereehabeatmodoMntrar!o,MtMcetquodnoasuntprohi*oMt<e,ntetquiammtUUetta). Quantà RicharddeMtdteton.voy.Nay. ~c<!<'<<<~c~ed<a.y«<osuperf~ M&h~Sen<ftt~a<'t<tM~H~~tt~, Mb.ÏV,dist. xv,art.6 (BrtxhB.tMt),<n.M.t. !V.p. 9:9.

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A TRAVERSLE MOYEXAGE. t37

prix pour un même objet; la nature, en attribuant au numéraire

consommé par l'usage une vertu de reproduction que naturelle-

ment il n'a pas. Aussi Gilles de Rome conseille-t-il aux princes de

ne pas tolérer l'usure dans leurs États (i).Du moment que les théologiens professaient que le numéraire

ne devait pas, en règle 'générale, produire d'intérêt, la logiqueles amenait à repousser comme autant d'infractions à la règle tous

tes contrats, quels qu'ils fussent, qui impliquaient, au profit du

prêteur, quelque bénéfice déguisé. Raymond de Pennafort nous a

laissé dans sa ~OM!M<?~<M/<M'a/<'(2) un tableau curieux des ruses

que l'esprit de lucre avait imaginées pour échapper à la rigueurdes préceptes ecclésiastiques. Tel prêteur se faisait remettre en

gage des biens dont il percevait les fruits pendant la durée du

prêt. Tel autre stipulait une indemnité excessivepour la nourriture

des bestiaux qu'il avait reçus en nantissement. Celui-ci achetaitdes denrées au-dessous de leur valeur, parce qu'il en versait le

prix avant la livraison. Celui-là, en faisant une avance à un vi-

gneron, exigeait de lui, jusqu'à l'époque du remboursement, uncertain nombre de journées de travail. Il était tout simple que lasubtilité des casuistes fit effort pour déjouer les ruses des usuriers,

pour avertir les consciences chrétiennes; mais elle ne sut pas se

modérer elle-même, Trop ardents à poursuivre sous toutes lesformes le bénéfice résultant du prêt des choses fongibles, la plu-part des théologiens du XHi*siècle arrivèrent à flétrir comme usu-rières des opérations qui, dans la suite, furent reconnues parl'Eglise comme parfaitement licites. Nous n'en citerons qu'unexemple, le contrat de rente viagère Henri de Gand n'hésite pas àle condamner (3);et cependant l'entière régularité de ce genre de

(t)Def~M<MepWac~MHt,I.H,p.3,c.H Q«<~<MKMtest.<tMp!<e<<<<M<ff&<e<quodeamdecet~M <~principespMA<Ac<'e.

(3)t,aSoMMe~<M<o)'o~de Raymondde Pennaforta ctepubliéepourtapremièMfoisparnotreconfrèreM.RavaiMon,d'aprèsunmanuscritdelabtbtMhequedeLaon,&lasuitedu cataloguedesMaauM-rUsdecettevUte).(Voy.Ca~h~wedesHMtMMCW~des déparlPanente, t~arts, 18. t, l, l'. G2t I.t G22,)Le Ims6ligeauquel nous nous référon!!se</<~Mf<<'MeM<~t'arh), la. 1.1.dans<'tbeaulivrepa~eauque!no<MnotMréféronsMtrouveanatyaétreahabHementdanstebeauthre de notreconfrèreM.L.Déiste,A<Mf/e«Xf~<!c~Mo~W<'o~eM~'onMaK~ea«Mto~p~e,ËvreM,)M<,p. 203etMttv.

(3)QMo<M.Ub.t. q. MMx,p. ~tt Contractnsflic ln ftoocmantarrcdttu:adtitan). fttmpMetterestasurartus;necin attquoexcusaturpropterdubtummort))!

« lu émeute,» tt convintd'ajouterquecettedécisionrigoureuseest contestM-p:u'

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498 EXCmSMXS HtSTOBtQUES ET PMMSOPHtQf~

contrat et de beaucoup d'autres contrats analogues ne trouve plusde contradicteur, même au point de vue canonique, depuis les

bulles des papes Martin V et Calixte !1! (i).Les maximes qui régnaient au xur* siècle en matière de prêt

ne devaient pas inspirer aux docteurs scolastiques des sentiments

favorables au commerce; aussi le jugeaient-ils fort sévèrement.

C'est dans le sens le plus rigoureux qu ils décidaient toutes les

questions de casuistique morale auxquelles la pratique du négoce

pouvait donner lieu. Ainsi, pour nous bornera quelques exem-

ples, ils autorisaient la société de commerce, à la condition que le

gain et la perte fussent partagés entre les associés mais ils la ré-

prouvaient comme n'étant qu'un contrat usuraire, dès que le

bailleur de fonds stipulait sa participation aux bénéfices et nonaux pertes. Raymond de Pennafort allait plus loin il frapped une réprobation commune tous ceux qui achètent des denrées

pour les revendre à un prix plus élevé que celui auquel ils les ont

achetées. Il ne faisait d'exception qu'en faveur des artisans quiavaient transformé par leur travail la matière première, le fer,le plomb ou le cuivre qu'ils avaient acquis; il leur permettait,comme rémunération de leur peine, de bénéficier sur la re-

vente (2). C'était absoudre et justement honorer le travail indus-

triel, mais aux dépens du négoce. En effet, comme on demandait

à un vieux négociant, rapporte Ibn-Khaldoun (3), la nature véri-

table du négoce « Acheter à bas prix, répondit-il, et vendre« cher voilà en quoi le négoce consiste. ? Si les décisions des

casuistes rigides avaient pu devenir la loi des consciences, elles

auraient eu l'effet désastreux que Montesquieu (4) leur impute;elles auraient entrainé la destruction du commerce.

Entré dans l'ordre de S tint-Dominique à l'époque de la plus

grande renommée de Raymond de Pennafort, saint Thomas par-

l'auteurdel'opuscule(Deusuris,quiporteienomde8. Thomas.«Fatemur,ditit,c.M),nosnasqoamlegisseanteritatem,necaudivisse,senin canone,seninepisto-lisextraTagantibns,prohacopinionefacientemaMqnM.B(t) CM~tMJMWscanonici,ExtmTagantMDetretales,1. Mt,Ut.5. (Cf.Troplong-

Duprêt,Paris,1845,in.8%p. 355et sah.)(2)CitéparHenride Gand,Q<m<M.t, q. 40,p. 42.(3)LesPfo~em~tM <<t.MtaM<MM,traduitsen &ancaiset commentespar

M.deStane,Paris,t865,a*partie,p.348.(4)Espritdes lois, lib.XX!,e. M.'

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A TRAVERSLE MOYES AGE. Ma

tançait, à beaucoup d'égards, les opinions de l'ancien général desFrères Prêcheurs. A ses yeux, le commerce avait quelque chose dehonteux en soi, parce qu il n'impliquait pas essentiellement unetin honnête, mais un gain pécuniaire (i). Le saint docteur re-connaît toutefois que le gain procuré par le négoce peut recevoirune destination légitime auquel cas le négoce est licite (2).C'est ce qui arrive, continue-t-il, soit au négociant qui demandeà son commerce un bénéfice modéré, afin de soutenir sa familleou de venir en aide aux pauvres, soit à celui qui se livre à des

opérations commerciales dans l'intérêt public, pour que sa patriene manque pas du nécessaire, soit enfin à celui qui recherche dansle gain, non pas le gain lui-même, mais la juste récompense deson travail.

Sur tous ces points, les contemporains et les successeurs de saintThomas sont dans les mêmes sentiments que lui, sauf peut-être,chez quelques-uns, une appréciation plus indulgente des avan-tages du commerce et des conditions auxquelles il peut s'exercer.

Celui de tous qui parait avoir eu, à quelques égards, la notionla plus exacte de ces matières, c'est Henri de Gand. Quelque peudisposé qu'il soit à l'indulgence envers les usuriers, il ne s'as-socie pas à la réprobation injuste que Raymond de Pennafort atancée contr~ le commerce en général. « Quoi! s'écrie-t-il,« faudra-t-il donc envelopper dans le même anathème tous ceux«qui se livrent Ades opérations commerciales? Assurément non.« H est vrai que saint Chrysostome condamne ceux qui achètent« des denrées pour les revendre purement et simplement, sans«que la marchandise ait éprouvé aucune transformation; le grand« saint les compare à ces trafiquants que Jésus-Christ chassa du« temple. Maisn'est-il pas juste de tenir compte des changements«que les denrées subissent entre les mains des négociants qui les« achètent pour les revendre, changements de lieu, change-« ments de temps, changements de condition? Telle marchan-« dise est vendue à vil prix dans le pays où elle abonde, qui se« vendra fort cher dans un autre pays où elle est rare. Le com-

? 77, a NegottatM,secnndmnse consHerata,qMamdamtor-pitudinem quantumnoaimportatdesut ïa~oacNnemhoaestam..»(!)n. 2S., q. 77,art. 4 MMt prohibettMeramordinariad aliquemNnemne-<'eeMarhMnve!etiamhoneBUua.et aieae~ttat!.licitafeddMur.»

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EXCUBSMNSHtSMMOCES ET PHtMSOPHÏQCESMO

« merçant qui a pris soin de la transporter est en droit de ta« vendre ce qu'elle vaut, quoiqu'il l'ait payée moins cher; car,« outre le prix d'acquisition, i'acheteur doit lui rembourser lesa frais dé transport. Ainsi de même l'artisan <~uiafbrgé une barre« de fer doit recevoir à la fois et le prix du métal et le prix de son« travail (i). M

Henri de Gand, au témoignage de Vatère André (2), avait com-

posé un écrit De M!<~c~MMMs~<'yocM~owAM~.Uest i1regretterque cet écrit ne soit pas parvenu jusqu'à nous; on y eut trouvéde précieuses indications sur les doctrines de t'écote en matièrede commerce. Son existence seule sufnt &prouver l'intérêt quel'auteur attachait à ces questions.

A l'exemple de Henri de Gand, Duns Scot fait entrer dans l'es-

timation de la valeur des marchandises le labeur qu'elles ont

coûté et les risques de tout genre qu'elles ont fait courir au mar-chand. Il reconnaît d'ailleurs le double service que le commercerend à l'État, soit en conservant à la disposition des citoyens les

denrées qui peuvent leur être nécessaires, soit même en importantdes pays étrangers les denrées que ces pays produisent et qui

manquent ailleurs (3).Le disciple de Duns Scot, François de Mayronis, partage l'opi-

nion de son maitre; et, malgré les répugnances des casuistes pourle trafic de l'or et de l'argent, il n'hésite pas & ranger le changedes monnaies parmi les professions autorisées par la loi de Dieu

comme utiles à l'État (4). Gilles de Rome, avant François de May-

(t) CMMN&.t, q. 40, p. 43.

(2) Cité dans t'J~Mfe littéraire de la France, t. XX, p. <6i.(3) H&.7F~eM<eM«er!<M,dist. XV. q. 2.Opp., t.ttgduot, t639, t. IX, p. t85 «Rei-

pabthte ntile est habere eonserrateMs rerom venaUmmet prompte possint iavenMab i)MUj;enti!MM,volentibus Htasemere. tn MUertor!etiam gmda utile est MipobMefBhabere aNerente~M~necessadas, qaibns illa patria nonabMadat et tamennaas eantmihi est at!Mset necessarins.Ex hoc seqaMor, quod meMatorqui aNieftrem de patriaoM abandat, ad patriam nbt deNcit, vêt qui ittam emptam conservat, ut promptea htvematMra volente eam emere, habet actum utilem retpabMeœ.»

(4)In quatuordibr~ovSententiaru»a, Venetils,1620,ln-fol"lih.IV, dist. 16, q. 4, fol.(4) ~tM~MO)'MnMt.SeM~NMafMM,VenetMs, t520, !n.M..tib. ÏV, dist. M,q. rebus204 «MercaMoest vitœ hamante neeessafta. BomineaeommomMerindt~eat MbtMa ejusdemmtionis aient ejusdem spedet. Regionesautem non omneahabent res ejns-« dem rattonts. AitqMœbabent viaNm, aliquae~as. tdeo meKat!o est neeeesaria,« ut tratM~rantur de am ad aitata. Sieat ars me<'eat!o<tM)mlicite &eta est natNMMs.<' Ka pecaaiœ temmutattones, sive eamptiones, quia Mna'wneta earrit ln ana Mgtone« et noa in aMa eade pro eao tabore aUqnidpossnat luerari licite. »

Page 445: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TBAVEM8M MOYEXAGE, w

« rouis, avait soutenu la même thèse car, dit-il, les monnaies«qui sont en circulation dans les dinerentes contrées n'étant pasles mêmes et n'ayant pas la même valeur, il faut bien que tes« habitants puissent, en cas de besoin, se procurer par voie de

change te genre de monnaies qui leur est nécessaire pour leurs« transactions en pays étranger (i). »

Ainsi, quelques notions sur la monnaie, des maximes sévèresen matière de prêt, d injustes préventions contre le commerce.tempérées par le sentiment de ses avantages sociaux tel était,au XMfsiècle, le fond des idées économiques en circulation dansles écoles. La science commençait à poindre et elle jetait quelquespâtes renets, empruntés d'Aristote. Ce n est qu'A l'aide du temps,par le lent progrès de la philosophie, des lois et des institutions,et surtout par le développement des relations commerciales, queces faibles lueurs devaient s'accroMre et s'éctaircir, de manière Aformer une véritable science.

Dans les dernières années du xm" siècle, on vit se produire,en matière de finance, un fait non pas entièrement nouveau, maisassez rare jusque-là dans l'histoire de la monarchie française, etqui, tout à coup répété avec un scandaleux éclat, nous paraitavoir exercé une influence très notable sur la marche de 1 éco-nomie politique nous voulons parler de l'altération des monnaies.Philippe le Bel, avec moins de scrupule qu'aucun de ses prédéces-seurs, chercha plusieurs fois dans ce triste expédient le moyen desubvenir à la détresse du trésor royal. Ce fut en vain que les plusMêles conseillers du roi, tels que Pierre du Bois et Mouchet, luiobjectèrent que la mesure était détestable; qu'elle causait plus dedommage au pays que ne ferait une guerre; qu'elle ne profitaitqu'aux fermiers et aux fabricants de monnaies (2) Philippe le Belne tint nul compte de ces sages avis, et prêtera s'attirer de l'in-dignation populaire le surnom nétrissant et mérité de faux mon-

(t) Ben'~m<MprMM~,MNt. Mb.H, p..n, p. 370.(a) Voyez le mémoire de notre savant confrère et mut M. de Vaitty sur Pierre du

Bois,n~. des 'M<rfp< t. XVHt, partie, p. 349. Voyez aussi un article

ae~ Tatarie, ~e<t<e eoN~mpofatKe, avril t~M, tes documents relatifs à Philippe~Bet, pNMMft par le même auteur dans le recueil des NeMee<tet extraits des ma.«M~<f~ t. xx, t"' partie; enfin t intéresMate notice que notre confrère M. Renan aconsacrée à Pierre du Bois dMM le XXVI-' volume de t'NM~~ «Wra< p. 47tet sulv,

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EXC~RStUXS M!STOMQUES ET PHM.OSOPHMCE8ttt

nayeur. Après lui, le fâcheux exemple quit avait donné netrouva que trop facilement des imitateurs. Les rois qui lui succé-

dèrent. voyant s'épuiser leurs ressources, ne se firent aucun scrn-

pule de s'en procurer de nouvelles en fatsinant tous plus ou moinstes monnaies. Le règne de Jean t~, notamment, offre bien peud annéesdurant lesquelles le taux monétaire n'ait pas été plusieursfois remanié dans un intérêt purement fiseal. On peut même citercertaines années, comme l'année <35t et t année 1355. ou ce tauxne changea pas moins de dix-huit fois ff). Le changement était

quelquefois si soudain nue, de l'aveu du roi Jean tui-mème, dansses lettres du i7 septembre 1361, « a grand'peine estoit ttomme« qui en juste payement des monnoyes de jour en jour se put« connoltre (2). »

Ces variations, pareilles à une maladie devenue chronique.portaient atteinte Ades intérêts trop nombreux elles excitaient,dans tous les ran~fs de la société, noMesse, clergé, ttour~eoisM',un mécontentement trop générât pour ne pas attirer de la ma-nière la plus directe l'attention de l'école sur les questions quise rattachent à l'institution de la monnaie. Les problèmes de cetordre n'avaient encore été qu efMeurés il devenait d'autant plusopportun de les traiter il fond, que le pouvoir royal tendait àfaire considérer la mutation des monnaies, dit très bien Se-cousse (3), comme un droit domanial, comme une manière delever des impôts plus prompte, plus facile, et moins à charge au

peuple que toutes tes autres. Aussi la controverse déjA ouvertene tarda-t-ette pas à prendre des développements considérables,dont le XM!"siècle n'offre pas le plus faible vestige.

.Nousciterons comme premier exemple quelques passages trèscurieux des commentaires sur la Jtfew/e et la Po~~KC d'Aristote,

parvenus jusqu Anous sous te nom d'un maître de la Nation de

Picardie, qui fut recteur de l'Université do Paris en i327, et quivivait encore en i358, Jean Buridan (4).

Mansses <~<«MM ~w les (lix ~p~ des J~t~K~ QtM~oMM

~M~' <~cew libros ~c<M'MM, ouvrage imprimé plus d'une fois

(t) <tf<~M.<&'< M~ ~<MMf.t. Il, p. t9. et t. Mt,p. 13et tmiv.(2)MM.,t. !t, p. av et MO.(3)Of<f<MM.<<Mteyt, t. Mt,pré&ce,p.et.(4)DuBautay.~h~. P~f. fa~ t. tV,p.996.

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A TXAYEBSM MOYENAOE. H3

au xv" et au xv~ siecte (<), Buridan s'attache A démontrer utinte

de la monnaie; et, autant qu'il nous est permis denju~er, ce<t<'

démonstration est aussi complète que mmineuse.

La monnaie, dit Mnridan (~), est nécessaire dans tescehan-« ~es: je dir:n phts, eHe est absolument indispensidde au soutien

de la vie humaine. J'en donne plusieurs preuves. Une premier'

preuve se tire de tetoi~rnement des lieux ou existent tes objets

échanger. Ainsi Arras produit du bte <'t ne produit pas deIl vin: ses habitants voudraient échanger leur bte contre du vin

de <:asco~ne; mais. pour transporter leur bte en <.asco~ne, il

teur en coûterait plus que le blé ne vaut et. s'its rapportaientdu vin. ils en rapporteraient bien peu. Que se passe-t-it alors?

« !t devient nécessaire d avoir une matière échangeable, qui, étant« d un faible volume, soit facile a porter, qui cependant nit une

grande vateur, et qu'on pui"se donner pour du bte ou pour du

tt t.fdittMtt que nous avans ene M))'<h'a ypax <*st<!<-<5t.<:eth' tendait à Paris<)«'! t'fntct.pn'ax, fM' Satnt-Ja~Nt~. pr; tes Mathnrtns. air<*ns<M'dMt~Mq'.

(2 Ltb. V, <).Ii « McM)<)t)M))H«ttad )M'rfe<ta)MhtOttintth) f<tn)M)nn)<ath'nM«<*<<xnstpntaMoot'MnutMtM'tae~ nw~arhtM in ~m)Mutit)ht))i)tt)s;hmt. pulo qu<Mt<i)'sn)M<-stx}mp)tfit<-rnMMtartato ad ittius hominMMtqu. ounc <-fttM)uttMttd!ni'.< snsteutatiMneM.HtM'MMM'ttMh')'nt<<a<MrMtHH:)'ti<iter. rrhn't qt))d''M px distantia

tm~rom ubt sont eommMtando')'<<.VcrM s~ia. (N Atn~'atM ~ant fmMwota <'<nontina; fm fromenti)! igitur suis Totunt hatx're viM d<'Castonia. t'ertaM au-<MMad CaseooiaMsaa frutneata Majuds sutoptus MM-t<~am fromenta vatcn'nt.et lia nihHaut modh'UMvini reportaK-nt. Quid i}:i<urM ? Sfeesse est es«ealiquitipartw qoantttatis. ut sit hcne portab)))-,<'t va!or!s toa:)!. qu~t ait Mtnmntattih'

fntnx'otMet vine. Et hac est numistM quod ac<'t}'!aM)pro tfMMx'nto.<-<pro eo vhMMH« n'portabo. Et ad istumn"'dMmtOMMnutatMnb«ftimi sunt ttun'n!. SM'undehoc idem« patet M dktantia tentporuMt. Vert))~ratia. nanc habt'o Tinum BtuMaM.et antx'a SM)M<*n)tindtgebo;nec vtnnm quod ttab<'«senaM fossum, quia pMtrfCfret.Ergo n)'-e fesse Mt quod ego aMqnMacdptam pro Tin<t.quod tetiFHfr servare )mssimsiMf

Mtoptn et stne patretaeMone. et hoc est numhima. Tertio idem patet ex nostra< Btn)tqttMindigentia. YerMt;mtta,istepaoperopertet qo')d labore suo lucrelur ftibi<-nMessada.Laborat igitur tribus dtebus uni dMti! et sibtdeMoBt panis. carnes, lac.

~MP~M. etf.~ qua: non habet it)f dives, sedhabet tapi.tes preci<M09.Quid igiturBef NetCMeest ut pro labore Mci)nat rem ad pana parttbMetn; pro cujus una« parte habeat he. et pro atta paMm. et de de aMis. Et ad hoc est neressarta"mtootapeomta. Quarto idem patet ex qoorumdam <omtnataMtium magnt va-

loris "Mitate. Verb! gratta, equau) habeo, et iodigeovest. taMatoenth et~°' ''T" Memmnon dabo cariarto, quia forte non hahet vestes, neque« agHeottpquia forte non habet faMamenta, et forte agrtrota et conarias non in-

digettt eqao. tgtmr pro eqoo oportet pecnntam accipere, cujus unam partem dab.~pro panno. attam pro eatetamento. reliqum pro frumento. Et ut sit ad nantudicere. eonsMeranUmoMteneces~tates aumbmatis apparebunt. »

Page 448: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXfmStOXS mSTOMQCESET PMK.OSOPMtQMESM

« vin. Cette maigre est la monnaie qui me sera remise en échangede mon Me, et que j'échangerai contre du vin. Seconde preuve,

« tirée de l'époque lointaine &laquelle réchange se trouve par-« fois reculé. J'ai cette année beaucoup de vin; l'année pro-« cbaine, j'en manquerai peut-être et cependant je ne puis gar-« der le vin que je possède, car il s'altérerait. H faut donc que'<j'échange mon vin contre une chose que je puisse conserver sans< crainte qu'elle s'altère, et sans trop de dépense. Cette chose est

la monnaie. C'est ce qu'indique Aristote dans le passage où« il est dit que la monnaie nous est une garantie pour les échanges

a venir. Troisième preuve, tirée de la multiplicité de nos he-« soins. Voici, par exempte, un pauvre homme qui se trouve ré-« duit a chercher dans son travail les moyens de sustenter sa vie.« Memploie trois journées Atravailler pour une personne riche.« Mn'a ni pain, ni viande, ni lait, ni sel, ni moutarde. Le riche n'a'<rien à lui donner de tout cela; il ne possède que des pierres pre-« cieuses. Que va-t-it arriver? Il importe qu'en payement de son« travail le pauvre puisse M*cevoirune chose divisible en petites« parties, dont il donnera l'une pour du lait, l'autre pour du« pain, et ainsi du reste. Or c'est en cela précisément que consisteIl futilité de la menue monnaie. Quatrième preuve, tirée de« rindivisibitité des objets échangeables ayant une grande« valeur. J'ai un cheval, mais je n'ai ni habit, ni chaussures, ni« pain. Je ne donnerai pas mon cheval au cordonnier, qui peut-« être n'aurait pas à me donner de vêtements, non plus qu'au« laboureur, qui n'aurait pas de chaussures; et d'ailleurs il peut« advenir que ni le cordonnier ni le laboureur n'ait besoin d'un« cheval. M faut que je change mon cheval pour d" l'argent,« dont j'emploierai une partie à acheter du drap, une autre, des

« chaussures, et le reste, du blé. En y rénéchissant, ajoute« comme conclusion Buridan, on découvrirait bien d'autres avan-« tages de la monnaie. »

Les écrivains du moyen âge, ceux surtout du Mv" siècle, s'ex-

priment si rarement dans un style naturel et populaire, que cette

page d'une glose oubliée nous a paru digne d'être recueillie, tantelle contraste, par la clarté familière de l'exposition, avec le jargonobscur et prétentieux de l'école.

Mais Buridan ne s'est pas contenté de mettre en lumière le

Page 449: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A THAVERSM MOYENAGE. 4M

rôle social et l'indispensable nécessité de la monnaie. Dansun autrede ses ouvrages, dans ses QM~/M~ <M<'A<P«/~«c <f~t~o~ t <),il a consacré un chapitre spécial à rechercher quels sont les carac-tères constitutifs de la monnaie, et s'il est permis de la changer.

Cinq choses, selon Buridan, sont Aconsidérera as la monnaiela matière, le poids, la forme, le nom et l'usage. La matière de tamonnaie doit être précieuse et rare c'est tantôt la nature et tantôt1 art qui la fournit. Sa forme résulte de 1 imagedont elle reçoitl'empreinte. Elle a têt t<utel poids; elle porte tette ou telle déno-mination; etie est en usage dans tel ou têt pays. Kuridan ajouteque la monnaie ne doit pas être détournée de sa fin essentielle,qui est de servir A1 échange des produits naturels (~. tt constateen même temps que, si lit monnaie n'a pas le titre et le poidsquelle doit avoir, si ta matière en est commune, elle n'est pasréglée selon le droit (3). Maisest-il permis de changer ta monnaie?Une telle prérogative, selon Buridan. ne saurait, en tout cas,appartenir qu'au prince, qui seul a qualité pour rester ce quiconcerne lit monnaie; et, par ce mot de prince, il faut entendretous ceux qui ont en main les auaires du pays, et non pas la seulepersonne du monarque ( ~).Quant au changement en lui-même, ilpeut être de diiïërentes sortes. Mpeut porter sur la matière ousur le poids; quand il porte sur ta matière, il peutêtre général oupartiel générât, si l'on substitue une matière à une autre; par-tiel, si l'on se borne à former un alliage de la matière primitiveet d'une matière nouvelle, à taêter, par exemple, de l'or avecun autre métal moins précieux. Maisce qui établit une distinctionessentielle entre toutes les modifications possibles de la monnaie,

C)CtM~MMM<Noc~ M'fMfeHMMrMa,O~onii.t6M.in.4".tib.t, q.M,p. 51C.M.mNM.tam~Mtq~nquetM~enmda, MiMcetmateda.pondns,~ra..p.«peuau.et Mns.MatertadébetessepreUMaet Mra;et quandoqneMinmmode«a aatMMmtBtstratnr.atiqmndeabartp.HgMraat impressioneimagtab.PondusAppethMo.qn!a appettatar.U~. qaodipsanatanturbomtNMta M~tonetat!pt tatt. Il

t f

(ï) QK.B<«<Me~,etc. «OrdtaaremonetasadatiamMaemquamadcomm)ttaM<memfiboncrmnnaturaliumest nMmetaabuti.»(~MM.. 8t tMMtanonait de materiarara et pret!.M.et annhabeattantnm

M~ ? .TT* ~~c~'Mh<'M.tunemenetanonest recteordinata.»(4)t. Ad P~nctpempertinetmonetaromMtttaMo.quia.T pertinetmonetamordinare.EtcapituriMprincepsnon«proM. h<Mn!neMta.n.aedproonmtbasquihabentpoKHamMgeM.»

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4'C EXCUBStOXSHtSTOMtQUESET PHtLOSOPMtQtES

c'est que tes unes tendent Al'utilité publique, et que tes autres ne

peuvent être expliquées que par un caprice du prince cettes-ciue sont jamais permises; cetles-tApeuvent être Mcites.Ainsi quandta matière qui composait ta monnaie, te fer, par exempte, estdevenue très commune, it est avantageux au public et, par con-

séquent, it est permis d'y substituer une autre matière plus rare.Le prince peut également, et par te même motif, changer ou te

poids ou te titre, ou même tout & ta fois te titre et te poids d une

pièce de monnaie tt. Ainsi l'on peut frapper de nouvettes piècesdu même métal qui aient moins de poids et, par conséquent,moins de valeur que tes anciennes. Mais ce qui n'est pas permis,c'est d'attribuer ta même valeur à des monnaies qui n ont pas temême poids ni te même titre, et c est d'opérer de pareils change-ments d'une manière arbitraire, sans qu'ii doive en résulter au-cun avantage pour ta communauté.

Tette est ta doctrine qui était enseignée par tturidan aux éco-!iers de Paris, et qu'ii a résumée dans un chapitre de ses QM<M-/~t <M'/<~/W/<' <f~c. Mest, A notre connaissance, le

premier des écrivains de cet Age qui ait protesté, au nom de tascience et du droit, contre tes variations de ta monnaie. Quoiquenous n ayons relevé dans ses commentaires aucune allusion auxévénements contemporains, ne sommes-nous pas en droit de regar-der ta discussion Alaquelle it se livrait devant ses disciples commete contre-coup de l'émotion causée, jusque dans 1 Université de

Paris, par l'incessante mobilité des valeurs monétaires?Si nous voulons suivre maintenant le progrès des maximes

énoncées par Buridan, nous tes reverrons reparaMre, mais lar-

gement développées, et revêtues cette fois d'une forme systémati-que, dans le traité de Nicolas Oresme sur les monnaies, traité

qu un écrivain érudit signalait, il ya quelques années aux écono-mistes, et dont plus récemment notre savant confrère de l'Aca-démie des sciences morales et politiques M. Wolowski a publiéune remarquable édition (2).

<!«.M< etc. tn nntto casa propter tMMm prhratttm, natta motatio moneta'est McHa. Pmpter MMUNaneboaum tmmutt;a<-<Mtb)MtMta Mt mutaMomonettp.;2) y<'a<eMef<e <ft~<'e<)tM''e<Nfe<t<tO)tdes <<M<u«)<e<~e ~co~e Or~Me. textes

ffan~ et )aUn, etc.. et traité de ta monnaie de Copernic, pubMéaet annotM ~)-M. L. Wetow~M.Parb, t864. in.a". Voyez anMi i'M< Wf <s e<e e< les o«p<~e.<~e ~Mt~e OcMMC,par Francis Meunier~Parts, t857,tn-S".

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A TttAYEMS LI: M~TEX AGE. H7

NicolasOresme, mort évoque de Lisieux en 1382, est au nombredes esprits les plus savants et les plus judicieux que le Xtv~siècleait vus paraitre. «n lui doit des traductions en langue vulgaire de

plusieurs ouvrages d'Aristote, et quelques écrits originaux quitémoignent A la fois de son érudition et de son habileté commeécrivain. L'ouvrage qu il nous a laissé sur la monnaie est un traite

complet de la question, fauteur y expose d abord, d'après Aris-

tote, la manière dont la monnaie fut inventée et les services qu'ellerend aux hommes. Il distingue ensuite, comme j avait fait tturi-dan. le" din~rents aspects sous ies<Metson peut Fenv ~ger et lesvariations correspondantes dont eUe est susceptible, par rapporta la matière, au poids, A la forme, au nom, ete. Hais ce qneNicolas Oresme s'attache surtout a bien établir, c'est que la mon-naie ne doit pas être changée, sans motif sérieux d'utilité publi-que, par un simple caprice ou par un calcul intéressé du prince.En cuet, la monnaie n'appartient pas au prince, quoiqu'elle porteson effigie; elle appartient a la communauté et aux particuliersdont elle est la propriété, et il n'est pas permis d y toucher arbi-trairement. Ainsi, à moins que les pièces qui ont cours n'aient étéfalsifiées par des contrefacteurs ou que le métal n'en soit usé, le

prince n'a pas le droit de les retirer de la circulation, ni d'enfaire frapper de nouvelles portant son effigie. A plus forte rai-son, le prince ne doit-il pas abaisser injustement le taux de lamonnaie quand il s'agit de la faire entrer dans ses caisses, ni l'éle-ver quand elle doit en sortir, ni en altérer le poids ou la matière;ce qui serait une violation de la foi publique, une fraude détes-

table, et, pour tout dire, l'acte d'un faussaire. Nicolas Oresmen'avait pas de peine à démontrer, mais il démontre avec une émo-tion éloquente, dans une suite de chapitres excellents, les tristeseffets des variations de la monnaie, lorsque ces variations ne sont

pas commandées par la nécessité la plus urgente et lorsqu'ellesn'ont pour but que de grossir le trésor royal. Elles sont alors pourles particuliers une véritable spoliation, et pour la communautéune cause d'appauvrissement car elles tendent à diminuer dansle royaume la bonne monnaie, celle qui contient le plus de mé-taux précieux, et que les étrangers et les changeurs accaparentpour y substituer une monnaie plus faible en or et en argent. Enfaisant le malheur de l'Etat, ces variations de la monnaie pr~)u-

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4M EXCCRSKMSMtSTOMQUESET PHtLOSOPMQCES

dicient au prince lui-m&mo; elles nuisent à sa renommée, ébran-lent son pouvoir et compromettent le sort et la fortune de ses en-fants « car, dit Oresme(<), oncques la très noble séquelle des rois« de France n'apprint à tyranniser, et aussi le peuple gallican ne« s'accoustume pas Asujétion servile; et pour ce, se la royaUe sé-« quelle de France délinque de sa première vertu, sans nulle doubte«elle perdra son royaume, et sera translaté en d'autres mains. »

Alire ce fier et douloureux avertissement qui termine le doctetraité de Nicolas Oresme, H est difficile de ne pas rapporter lacomposition de l'ouvrage aux années les plus calamiteuses et lesplus oppressives du règne de Jean 1~, lorsque, par la faute desconseillers du malheureux monarque, la perpétuelle mobilité quenous avons signalée dans le taux monétaire aggravait de mois enmois la détresse du royaume et les souffrances du peuple. Sousle sage gouvernement de Charles V, la situation s'améliora commepar miracle; et, bien que Nicolas Oresme n'ait pas été, commeon l'a souvent écrit (2), le précepteur de ce prince, et qu'il aitseulement vécu à sa cour, l'influence des fermes avis, des patrioti-ques protestations de l'évoque de Lisieux, ne fut sans doute pasétrangère à la régularité que le système monétaire présenta durant

quelques années. Maisbientôt les désastres du règne de Charles Vt1amenèrent de nouvelles perturbations qui ruinèrent le pays. Cettefois, l'Université en corps se rendit l'interprète du méconten-tement général dans les remontrances qu'elle adressa au roi, eni4i2. « Et n'est point à oublier, disait-elle (3), comment depuis« ung peu de temps en ça vostre monnoye est grandement dimi-« nuée en poix et en valeur, en tant qu'un escu est de mendre« valeur qu'il ne souloit, de deux sols, et les blans de deux blans,« chascun de trois mailles; laquelle chose est ou préjudice de« vostre peuple et de vous premièrement. Et par ainsi est la'<bonne monnoie expurgée; car les changes et les Lombars cueil-« lent tout le bon or, et font payement de nouvelle monnoie. »

Est-ce la lecture du traité de Nicolas Oresme qui avait inspiréaux maîtres de l'Université cette protestation? Un fait constant,

(t)y<-a<<etc.,p.M.(!)M.Fr.Meunierréfutesolidementcetteenfeur, p. 23et satv.(3)C~H~M <~<MM~e~,édit.donnéeparla Sociétéde l'histoiredeFrance,

t tt, p. 326.

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A TRAVERS tE MOYES AGE. 4~9

ËMMUMNSMM'MM<tCEB. 99

et que nous croyons avoir mis pleinement en lumière, c'est que,dès le xn" siècle, les délicates questions qui se rattachent à l'ins-titution et au rôle de la monnaie pénétraient dans l'enseignementdes écoles et étaient débattues tantôt dans des écrits spéciaux,tantôt sous la forme d'un simple commentaire de la 3/o< ou de la

/W<~Me d'Aristote. Ce qu'on peut encore affirmer sans crainte,c'est que l'ouvrage de Nicolas Oresme n'était point passé inaperçu,mais que ses contemporains le tenaient en grande estime, et qu'a-près la mort de l'auteur il ne tomba point dans l'oubli, maistrouva des lecteurs et même des imitateurs. Nous n'en voulonsd'autre preuve que le petit traité de l'Allemand Gabriel Biel surle même sujet (i). Biel est un des derniers maîtres de la scolas-

tique, et il a longtemps conservé dans les écoles d'outre-Rhinune certaine renommée. Or, en écrivant sur les monnaies, ilavait sous les yeux, comme il est facile de s'en assurer, l'ouvragede Nicolas Oresme. On retrouve en effet dans son opuscule lesmêmes divisions, les mêmes idées et jusqu'aux mêmes expressionsque chez l'évoque de Lisieux. Ce dernier n'était pas indigne deservir de modèle à ses successeurs. Les juges les plus compétentstombent d'accord qu'il a connu les vrais principes de la monnaieet qu'il les a professés avec autant d'exactitude que de netteté etde décision. C'est le témoignage que lui rendaient récemmentM.Roscher et M. Wolowski. De l'aveu de notre savant confrère,l'ouvrage de l'évoque de Lisieux contient une théorie de la mon-naie qui demeure encore parfaitement correcte aujourd'hui, sous

l'empire des principes reconnus au THX"siècle.Tandis que le débat s'engageait avec vivacité sur les mutations

de la monnaie, les lois et les théories relatives à l'usure se modi-fiaient insensiblement par l'influence des mœurs et du progrès dela civilisation.

Le pouvoir royal hésita longtemps avant d'autoriser le prêt àintérêt disons mieux, il ne le permit jamais d'une manière ex-presse néanmoins il fut amené à le tolérer et à fermer les yeuxsur des pratiques qui avaient été jusque-là poursuivies et répri-mées comme illicites.

(') BeMOMe((tMmpo<M<o<ee<utilitate,Norimberg,<M2,itt.4" CtunMatthtetBoMttaddiMontbaa.CohM.,<674.ht.8'. V. fabrtcHts,~MM.M<J.ut tM/.latin.,ft. Ili.

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<M EXCUR8MXSMISTOMQUESET PHILOSOPHIQUES

En i3ii, Philippe le Bel interdit, sous peine de corps et debiens, à la volonté du roi, de prêter à usure au delà d'un denierpour livre par semaine, de quatre deniers par mois, et de quatresols par année ( i). Est-ce donc que l'usure allait être officiellementpermise dans ces limites? Les dispositions de l'édit royal sem-blaient l'indiquer; mais le roi repoussa une telle interprétationde ses volontés, et, par une nouvelle ordonnance du 8 décem-bre i3i2 (2), il déclara réprouver et défendre toutes manièresd'usures, de quelque quantité qu'elles fussent, comme elles sontde Dieu et des saints Pères défendues. Il accorde, en conséquence.aux débiteurs qui s'étaient engagés à payer des intérêts, ta fa-culte de ne point les payer, et à ceux qui les auraient payés lafaculté d'en répéter le montant contre leurs créanciers. Le roiajoutait « qu'a l'égard des usures de menue quantité, encore« qu'elles ne fussent pas frappées d'une peine spéciale, il enten-« doit que ceux qui les recevroient, useroient ou séqucsteroicnt,« fussent corrigés et punis ainsi comme, selon Dieu et droiture,« profit public des sujets du royaume seroit à faire. » Mais cesprohibitions inopportunes étaient impuissantes contre des habi-tudes que les nécessités ordinaires de la vie et les besoins du com-merce avaient de plus en plus enracinées chez les populations.Aussi, en 1332, sans précisément autoriser l'usure, Philippe V!de Valois prit l'engagement de ne lever ni faire lever amende.quelle qu'elle fut, à l'occasion des usures qui ne dépasseraientpas un denier la livre par semaine (3). Ce qu'il y a de plus re-marquable, c'est le consentement tacite que le clergé avait donnéa l'ordonnance royale. En principe, il n'en approuvait pas lesdispositions, mais il ne les condamnait pas non plus; et le roi sefaisait fort, comme il dit, que les prélats, à son exemple, ne lè-veraient aucune amende sur les préteurs qui se seraient renfermésdans les termes de l'ordonnance (~).

Ces adoucissements apportés A l'ancienne législation ne pou-vaient rester sans quelque influence sur les controverses de l'é-

t ) <MoMMffHCM <-o~ de oMcc, tn.fot., t. p. 484et sutv. p. 494 et suit.~~M.f.Ma.(8) UrdMtn. du 96 MMMt332. M~oMM.des fo~ de ~««ce, t. n. p. <&.(4' fM. Et CMt article tca prëht). tt'acttoteat ne canthtdtMtt), & ~f~nt; tt~

t nou~ faisons fort que tt N en ièteront nnUo) amende..

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A TRAVERSLE MOYENAGE. 45t

cote, alors surtout qu'Us avaient été concertés avec les repré-sentants de l'Église. Et, en enet, A partir du ~V siècle, lesdocteurs scolastiques ne se montrent plus aussi unanimes dansleurs sentiments sur le prêt à intérêt, et la rigueur des ana-thèmes portés contre les usuriers tend à uéchir. On s'accorde,sans doute, à enseigner que l'usure est, selon l'expression d'Al~!t le Grand (1), tout à fait opposée à la perfection de la viechrétienne, qu'elle constitue un péché et même un péché mortel.Néanmoins il est constant que le droit romain la permettait; neserait-ce point qu'elle n'est pas aussi contraire à la loi naturellequ'elle est contraire Ala loi plus parfaite promulguée dans 1 É-vangile `!

Sur cedernierpoint.Iesavisétaientcertainementpartagés. Fran-

çoisde Mayronis, tout disciple qu'il est de Duns Scot, estime quela loi naturelle ne réprouve pas d'une manière absolue le prêt àintérêt. L'argent, dit-on, est stérile, comme il ne produit pas defruits, c'est exiger plus qu'on n'a prêté que d'en vendre l'usage,comme si l'usage se distinguait ici de la propriété. « Je réponds,« dit François de Mayronis (2), que, au point de vue de l'État,« 1 usage des choses s'apprécie par l'utilité dont elles sont dans« l'État. Leschoses ne sont ni stériles ni fécondes par elles-mêmes,« mais selon le profit qu'on peut ou non en retirer. Or, qu'il y ait« de grands profits à retirer d'une somme d'argent, nul ne saurait« le contester. »

N'estrce pas là au fond l'argument que les économistes de nosjours allèguent en faveur du prêt à intérêt? L'argent, qui estl'objet du prêt, disent-ils, est une valeur que l'usage transformesans la détruire, et que celui qui la possède peut employer trfsutilement pour la société et avec bénéfice pour lui-même com-ment dès lors ne serait-il pas licite d'en céder l'usage, moyennant

« u~X I' nonstatuant, pertniltunt«usuras~T~ enltn. ~tur Jmninium.~S?~e~ est coMt~~tect~m religiunischrht! scdcontraIltlvillanonest,1/

5~!)~S~X~'quod«etS~n d. <~8MtM i U.um u~ œrb.Pec~a sterM!.e.t.«

P~ ~1'~ ~tu.tu.. Mt. K~n.&X~ unde serea non« danturBM-ntM,sedut eadmttaM~ quo~nnia estMuHumuuttt..

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EXCPNStOXSMtSTOMQCESETPMt.OSOPHtQtJES4M

une redevance, comme on tire un loyer de sa terre, et un salairede son industrie (1)?

Mais, si le prêt à intérêt n'est pas absolument contraire Ala loinaturelle, jusqu'à quel point cependant doit-il être toléré par laloi civile? Telle est la question que se pose Buridan (2); il la résout

par la considération de l'utilité générale. Quand il y a plus d'in-convénients que d'avantages à prohiber l'usure~ non seulement ilfaut se garder de la prohiber, mais il faut la permettre; dans lecas contraire, il convient de l'interdire. La décision à rendre, lesrèglements Afaire en cette matière, se trouvent donc subordonnésaux circonstances; d'où il suit, comme le fait remarquer Buridan,que les politiques qui autorisent ou qui interdisent l'usure dansun pays doivent être des gens sages, avisés et sachant prévoir deloin l'avenir, /M'ocM/cM~t~ e~ /M/WM.

Cette doctrine juste en soi, que le législateur civil peut, enconsidération même de futilité sociale, autoriser l'usure, a sug-géré &Durand de Saint-Pourçain, de l'ordre de Saint-Dominique,une idée assez singulière (3). Il n'admet pas que les simples par-ticuliers puissent, sans offenser Dieu, percevoir, de leur autorité

privée, un intérêt, quelque léger qu'il soit, sur l'argent qu'ilsprêtent. Maispourquoi ces prêts ne se feraient-ils pas au nom et

par délégation spéciale du souverain? Pourquoi n'y aurait-il pas,dans chaque cité, un magistrat qui, moyennant une redevanceautorisée par le souverain, prêterait à ceux qui auraient besoind'argent? Celui qui remplirait cet officede prêteur public ne com-

«)Say.Traité<f~eoNont<epolitique,Mv.Il, eh.vm.(a)QM.M<.<MUb.PeH<M-p.07 aIn atiqaocasu,inpoUUabeneet reeteordinata

«usuraest pennittenda.quiaimaMqaocasaad prohibitionemMMtMemultoptaM«MMtaeveniuntquamdet-jnspennissioae.fnat!quoCMN,MMmMBestpennittendaempotHi&beneKeta. quiaex fj<Mpenm!ssienep!aMmataewniaatin aUqaeeasu.«DepermtssKmeTêtetiamprohiMMoneaMMBin politia,oportetprocedeteMeandum«diversasctrenaMianctaslocorumettempommet tMmimnm.ExquosequiturcoMt.t larie,qnodopartetpmMbentesMsnraaessesapientesetpMcatvidentesde futuris.»

(3) lib.S<M<eM<.tib. ïn, dut. 37,q.2 aSialiquisaaetoritateMMosquipNeeatMi.<'p)tb!icœordiaatetarsenstatuereturadtradendummutuumindigenubm.etde hoc«senr:MtreipnMca),inquasuâtquampluresquimatoisindigent,etnid hKenitHttqnieis mMtNnmtradMent,notabiliterdamoiNcaMatur,et respabitcain eb si ta!b,

a inquam,tfad~as~fatiismutuwnreeipeMtproservitioqnodeommaaiftiexhibetali.aqoodcertamaatadam,aaMatitn,taMadamaaetwitatiilliusquipneest,nonvidete-tur esseiUicitnm,quiaqttitibetserviensfeipabMea).deeertitioBcitoet teipabNee

eneeessarioBMMtnrmereedemMaremaneHttieaem.»

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A TRAVERS LE MOYEN AGE. m

mettrait pas le péché d'usure, même en recevant une rétributioniixce annuellement; car il n'agirait que par les ordres du princeconformément à la toi, et les émoluments qu'il percevrait ne se-raient que le juste salaire du service qu'il aurait rendu &l'État. Le

précepte qui interdit l'usure ne serait donc pas violé et cependantles malheureux qui sont a bout de ressources trouveraient a em-

prunter dans de bonnes conditions. Tel est le plan que Durand de

Saint-Poureain met < navant pour concilier, en matière d'usure,h points de vue opposés de la théologie et de la politique. Mn'ya qu'un malheur, et Durand lui-même a la bonne foi d'en con-venir (t) ce plan, trop ingénieux, n'a été réalisé ni même essayénulle part. Il n'a servi qu'à prouver, avec les bonnes intentions del'auteur, les difncultés d'~ problème à résoudre.

A mesure qu'on avance dans le moyen Age, on voit se prononcerde plus en plus, chez les théologiens les plus orthodoxes, le sen-timent de ces difficultés et le désir d'y échapper. Comme chré-

tiens, ils condamnent tous le prêt A intérêt; mais ils s'étudient

plutôt a restreindre qu'à étendre la portée de cette réprobationbeaucoup l'interprètent dans le sens de l'indulgence plus volon-tiers que dans celui de la rigueur. C'est &ce point de vue quenous parait notamment s'être placé Jean de Gerson, chancelierde l'Église de l'aris, dans son traité Des eo~'< On peut, sansdoute, extraire de cet ouvrage plus d'un passage sévère contrel'usure; mais, chez le pieux chancelier, la raison politique setrouvait-elle pleinement d'accord avec certaines décisions du

théologien? Il est au moins permis d'en douter. Quellesque fussentla tournure mystique de son esprit et ses aspirations vers la viecachée en Dieu, Gerson avait longtemps vécu au milieu dumonde; il s'était trouvé mêlé à ses agitations, et, dans ce contact

prolongé avec les réalités de l'existence, il avait appris que la loicivile ne doit pas être aussi inflexible que la loi religieuse, etqu'elle ne renverse pas ni ne blesse pas celle-ci en s'accommodantaux besoins sociaux. De là cette page remarquable dans laquelle,sans absoudre le prêt à intérêt, Gerson absout le législateur hu-main qui l'autorise.

«) f&<?.,été. <tSedhttamtnodnmnonteginecaudMatienMstatatnmvelefdma.f'm. SurD.deS,PouMain.voy.notreMvMdela~AMMoeMe Thomas,

«t.n.p.metsMiv.

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EXCURSIONSHISTORIQUESET PHILOSOPHIQUESt3t

« H ne faut pas, dit-il (i), reprocher Ala loi civile d'être con-« traire à la loi divine ou à la loi

ecclésiastique, lorsqu'elle tolère« certaines usures. Le législateur civil a surtout en vue la conser-vation de l'État et le maintien de la paix entre les citoyens; il<' cherche à prévenir les vols, les rapines, les meurtres et les« autres crimes qui troublent la société. Et, comme it arrive sou-« vent que les excès de la méchanceté ne peuvent pas être entière-« ment réprimés, le législateur agit à la manière d'un médecinprudent; il tolère de moindres maux pour en éviter de pires.< Or de légères usures, moyennant lesquelles il est pourvu à des« nécessités urgentes, sont un moindre mal que le défaut de res-« sources, qui entraine des malheureux soit à voler età piller, soit« Ase défaire de leurs biens mobiliers et immobiliers &vil prix,« avec une perte bien autre que le payement d'un intérêt modi-« qne. On échapperait par cet expédient à l'incroyable oppression« que les usuriers font peser sur les chrétiens, et qui leur crée A« eux-mêmes d'opulents loisirs. H est constant qu'une pareille« tolérance est conforme au jugement de la raison naturelle;« j'oserais même dire, n'était le péché commis par celui qui en« profite, qu'elle n'est pas contraire à la loi divine. Et, comme« les biens temporels, et surtout ceux des laïques, ne relèvent pas« immédiatement du pape, il est constant aussi que le pape ne« doit pas casser les lois utiles qui sont faites pour la conservation« de ces biens, encore que l'usure implique un péché qui ferme«à son auteur l'entrée dans la vie étemelle, »

(t)BeCM~acMx~p.H.prop.17,Opp.t. Ht.eo!.)83 < Lexcivilis,toleransMsanMaliquas,nonideosemperdicendaestcontrarialegidMoœvelEechfdœ Legislatorec.nhsattenditconsisteatiamre!pabUeœad consecMtmnempaeiNe!eonvictasinter«cives,ut quodnonNantfarta,Mpina),homicideet ceterahumanumcoaTichune tnrbmUa.Sedquiafrequentereffrenatasegntttanonpotestex totoeompesei,agit«morepradeatMmediei toleratminoramala,nt ptjoravitentnr. Appamttaatem

«miansmatam.quodasanelevesCerentprosuecursuind!genttMm.quamut induee-« rentnrperindigentimfnrari MpereantpaMimdistraheresaa bonamoMMaw!e 'mmoMMa,vitiMimopretio,eumdamnolongemajeriqnamessetmoderatatecept!easubosarb;necindeJadœtviTerpntinotioper oppfesshmemineredibUemOMstta-«norumqMibmNBneNNtNr.ConstatantemqaodhœeMeraneaconsonaestd!etamint«nataratisrationis,immoet dtvinœlegis,ptœsMpposîtopeeeato.Constatprmterea

qaodpapa,ohmtnonest immediatusdomtnMbonoromtemperaUmn,pt-aMertimetatcMma.sienondebetpassimtt-rKan;legesutNesprodhtpenMt!onetaihtmbonomm<-consUtatas,utiles,baquameMUter,Meetfiantcumpeccato,qaod impeditoacad«Nnembeatttmitntscoaseqnendœ»

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ATRAVERSLEMOYEXAGE. 455

Ailleurs Gerson s'élève contre le rigorisme outré de ces casuistesqui enchatnent les consciences par des lois impraticables Qui« ne sait que l'usure doit être extirpée? s'ëcrie-t-il (<). Maisil seraitbon de dire dans quel cas il y a vraiment péché d'usure, aunque l'on ne confondM pas le juste avec l'impie, que l'on ne« qualifiât pas d'usuraires certains contrats parfaitement légi-

times, et qne, par une rigueur mal entendue, on ne s'exposâtpas a compromettre les revenus mêmes de beaucoup d'églises, aCe qui contribuait assurément à discréditer le rigorisme aux

yeux de l'école, c'était son impuissance de jour en jour plus mani-feste. A quoi bon lancer des anathèmes contre le prêt a intérêt,si!s n'étaient pas respectés? Déjà, au XMt"siècle, un glossateurde Guillaume do Duranti avançait qu'on ne rougissait plus dupfché d'usure, si grand était le nombre de ceux qui le commct-taient (2). Quefut-ce donc au xtV siècle, lorsque certains gou-vernements italiens ouvrirent des emprunts publics avec stipula-tion d'intérêts, lorsqu'ils créèrent des institutions comme le 3~o~/de Florence et comme la célèbre banque de Saint-Georges, aGènes, qui attiraient les capitaux par de séduisantes promesses,<'tqui les appliquaient aux besoins de l'État, non sans profit pourles prêteurs (3)? La, dans un intérêt national, l'usure était prati-quée en grand, non point avec l'assentiment tacite, mais sous lesauspices et avec le concours du pouvoir civil. Comment de tels

exemples n'auraient-ils pas rendu illusoires les recommandationsdes casuistes?

Au reste, les souverains pontifes eux-mêmes avaient du fairefléchir devant l'impérieuse loi des circonstances la rigueur despréceptes du droit canon. Ainsi les fragments de la correspondancede Boniface VIII, recueillis par La Porte du Theil (4), contiennentplusieurs lettres qui autorisent des évoques et des monastères àemprunter; or peut-on supposer que ces emprunts aient été con-

(t) DeCMXMte«6<M,cot.186et i87 « Deosœqa!sstme.qnianesciatetshnoniMnet«notrammodtsomnibuse~Mrpandasesse?Sedprimitusdec!arand)tmsnbquibuscastbasetquibuslntentionibuspropriedictasimoniavêtusuraeonnmttimr.»(2)NpectthMtt~M~,Mb.tV «Etubeseentiahnjnsvitiicessatproptermnttitadiaempeccantinm..(SnrGamanmeDoranti,voyezFM<.?<“ t.XX,p.4ii etsu~.(3)8<<.pb,BM. M?M<t<fot«a~enNe,Paris,1861.iN.8",t. ï,p. 189;t. !t.

p. xttetsntv.(4)B!bLnationale,fondaMoreau,1229,passim.

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*M EXCUBStOSS HtSTOBtQUESET PHILOSOPHIQUES

tractés à titre purement gratuit, et que les banquiers aorentinsqu'on y voit ngurer aient pousse le scrupule au point de ne sti-puler en leur faveur aucun intérêt?

Mais tout s'enchaîne ici-bas. En même temps que la nécessitésociale du prêt A intérêt commençait A être mieux appréciée,les conditions de l'échange et de la vente étaient aussi mieuxcomprises.

Dans leur déSante sévérité A régard du négoce, les docteursdu XtM"siècle s'étaient eubrcés de maintenir un exact rapportentre le prix de vente et la valeur des choses vénales. Maiscom-ment apprécier cette vaïeur? Est-elle absolue et immuable?Ou bien est-elle relative et varie-t-elle? Et, dans ce dernier cas.quelle est la règle qui sert Ala fixer? La question valait assu-rément la peine d'être examinée, car l'économie politique en offrepeu qui soient plus intéressantes. Or voici la réponse qui, par uunotable progrès dans les idées, tend à prévaloir au Xtv~ sièclec'est que les choses n'ont pas par elles-mêmes de valeur; que leurvaleur est proportionnée au besoin qu'on en a et que, par consé-quent, elle trouve sa mesure dans le besoin même.

Cette vérité importante avait été entrevue, comme bien d'autres,par le maître commun de tous les maîtres de la scolastique, parAristote. N'a-t-il pas écrit, en effet, dans la J/o~/e à ~co~M-~<?(i), « que la mesure de toutes les choses échangeables, c'est« le besoin que nous en avons? » Dans son commentaire sur la~<M'<~ Eustrate, ou plutôt Michel d'Éphèse, paraphrase habile-ment la pensée du Stagirite; il montre que le besoin que nousavons les uns et les antres de beaucoup d'objets est le lieu de lasociété, puisque, ne pouvant pas nous les procurer nous-mêmes,nous sommes obligés de nous adresser à nos semblables pour lesobtenir. Le commentaire qui porte le nom d'Eustrate a été connudes chrétiens en même temps que la J~a/p à ~c<wM~Me. Il enexistait au xm" siècle une traduction latine dérivée du grec, dontla Bibliothèque nationale possède plusieurs manuscrits (2), et quia laissé des traces nombreuses dans les écrits d'Albert le Grand etde saint Thomas d'aquin. Sur le point qui nous occupe, le docteur

(t) L. V, c. v. éd. Michelet, Berlin, tM9, t. ï. p. IM A< ivi wt ~.eï.9<TeOrao M t~i tttw~9<~ xp<M, K<htw M~M.(9) Jourdain, Recherches sur les <MK<.d'~W~o~ p. 62, iM et 440.

Page 461: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MOYENAGE. ~T

angélique suit à la fois Aristote et son interprète, empruntant à tous

deux et complétant ses emprunts par quelques explications qui

lui sont personnelles. Cette partie de son commentaire se retrouve

tout entière transcrite dans celui de Walter Burleigh (t), et l'on

peut en suivre la trace jusque dan~ les Q<M*~«M!c~ ~M~' <A'c<w<

/~<MJ~K'<M'MM de Buridan; mais, chez ce dernier, la doctrine

est énoncée avec une tout autre netteté que chez ses prédéces-seurs. Il sent qu'il est en présence d'une question de quelque

gravité, et cette question, il la pose en termes précis, et la diseur

avec ce ferme jugement qui lui est ordinaire.

Les besoins de l'homme, dit-il (2), sont la mesure naturelle d<

< la valeur des choses échangeables, ce qui se démontre de la ma-

nière suivante. La bonté ou la valeur d'une chose s'apprécie d'a-

« p.s la fin pour laquelle cette chose existe; aussi n'y a-t-il rien de

« bon, suivant Averroès, que par rapport aux causes finales. Mais

« la fin à laquelle les choses échangeables sont naturellement

« destinées, c'est de pourvoir aux besoins de l'homme. Par exem-

pie, si j'ai besoin de blé dont vous possédez une grande quan-« tité, et si vous avez vous-même besoin de vin, que j ai en abon-

dance, je vous donne du vin pour du blé, et nous nous trouvons

« pourvus tous deux de ce qui nous manque. H suit de là que la

vraie mesure des choses échangeables, c'est la part qu'elles ont

(t)CMaKef! ~Mf&e<e~~M<MoMes<Mper~ecemlibros Ethicorum, Venetils, iMt.ln-fol., fol., 92.

.2) Lih. V, q. i6 <*Meendum est qnod iadigentia hnmana est mensura natnrati"

œnunMtabiMnmqaod quidcm pmbatnr sic Bonitas sive valor rei attenditur ex linet ))Mpterquam exhibetnf; unde Commentator seeandometaphydeœ Nihilest bonum<'nM pmpter causas Snates. Sed finis naturalis ad quem jnsUtia commutativa ordinat.<exterlora eommatabiMaest supplementuin ind~entiœ hamanœ. Verbi gratia Si

indigeo blado quo tu abnndas, et tu indiges vino quo ego abnndo, commuto tibivinumpro blado; et ita ntraque nostra iadigeatia est repleta. tgttnr sopptetnentnmind~entiœ hmnanœ est vera mensnra commntabîMam.Sed sapptementxm videturMensnmfiper indisent!am majorisenim vatofis est supplementnm, quando majoremsnpptet tadigeattam, steat qnando major est doMicapacitas et vacuitas, tanto ph)s

"de vino reqaMtnrad Kptendnm illud, etc. Item hoc probatur signo qnodTidemas."quod illo tempore quo vina deficiunt, quoniam magis indigeremas els, ipsa Nunt« cariera. SimMïtervina snnt eariora ubi non eresennt quam ubi crescunt. eo qaod i)Mc« magis iodi~emas.Et sic de aUts.Item in commutativanon œstimaturprecinm com-Matabmmn seenadnm natatatem vatorem ipseram sic enim musca plus valeretquam toton aaram mandt; sed œstimamas valorem ipsorum !,eeandum qnod

'<ventant ln ostun nostrma, et non veniont in nsnm nostrnm, nisiad nostras snpplen-« das indigentiaa. Sed eontm hoc objieitnr sic, etc. a

Page 462: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

tM EXCm8!ON8 HtSMMQtUES ET PHH.OSOPH~CES

dans la satisfaction de nos besoins, et qui se trouve Ason tour« mesurée par ces besoins mêmes. Cette part, en effet, a d'autant« plus de valeur que nos besoins sont plus grands; de même que« plus est grande la capacité d'un tonneau vide, plus il faut de vin

pour le remplir. C'est ainsi que, dans les années où levin man-< que, il est d'un prix plus élevé, parce qu'on en éprouve plus« généralement le besoin. C'est ainsi encore que le vin coûte plus« cher dans les pays qui n'en produisent pas que dans les pays de

vignobles; en effet, dans les premiers, le besoin qu'on a de vin« est ressenti plus vivement que dans les seconds. Ajoutons que,< dans l'échange, le prix des objets à échanger ne se règle pas

« d après leur valeur naturelle; car, dans ce cas, une mouche« vaudrait plus que tout l'or du monde. La valeur des choses

« s'apprécie d'après l'usage que nous en faisons, c'est-A-dirc« d'après les services qu'elles nous rendent, en nous procurant« ce qui nous manque. »

Après avoir expliqué en ces termes, aussi clairement, ce semble,

que pourraient le faire les écrivains de nos jours, le fondement de

la valeur que les hommes attachent aux choses, Buridan se posedeux objections la première, c'est que le pauvre, à ce compte-la,devrait payer le blé plus cher que le riche; la seconde, c'est que

beaucoup de choses sont très coûteuses, qui cependant sont mé-

diocrement nécessaires, et que les riches se procurent, non pourleurs besoins véritables, mais par supernuité et pour des plaisirsluxueux.

Buridan examine tour à tour ces deux objections. établit d'abord

que le besoin qui sert de mesure à la valeur des choses échangea-bles n'est pas le besoin particulier de tel ou tel individu; ce sont

les besoins ordinaires de la généralité de ceux, pauvres ou riches,

entre lesquels l'échange est susceptible de s'opérer (1). Il analyse

ensuite, non sans subtilité, la position dinérente du riche et du

pauvre. Le premier a des espèces monnayées en grande quantité;le second, s'il n'en possède pas, a un fonds qui manque au riche.

c'est le travail. Lorsqu'il s'agira de se procurer du blé, chacun

sera disposé à donner ce qu'il a en abondance, le riche son argent,le pauvre son travail; mais le pauvre ne consentira à payer le

(<)Lib.V,q. M «ÏmUgentiahthMhomtaisvelitHusnonmensatatvaloremmata-«bMhun,aedindtgenttaeommmtiseommquiintersecommntMepoMOBt.

Page 463: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TBAVERS LE MOYEN AfiE.

blé qu'au prix le plus bas; cap il est dépourvu d'or autant que defroment (t). Ainsi, par la force des choses, l'équilibre se rétablira

pour le blé entre les prix d'achat payés par le riche et par le

pauvre, l'un poussant A1 élévation des prix et l'autre Aleur ahais-st'ment. Quant A ces objets dispendieux et superflus dont le prixest hors de proportion avec leur utilité, Muridan fait observer

qu'il y a deux sortes de pauvreté et de richesse d'ou résultentdeux natures de besoins et, par conséquent, deux natures de va-Ifurs. En un sens, la pauvreté consiste a être privé des biens dela fortune, et, en un autre sens, a manquer non pas des choses

qui sont absolument nécessaires, mais de celles qu'on désire, bien

qu'elles soient superflues. Ce dernier genre de pauvreté se remar-

que chez les gens, même opulents, qui, en dépit des tecons de ta

philosophie, ne savent pas se contenter df ce qu'ils possèdent.Les besoins qu'ils éprouvent sont factices; mais ils sont dispen-dieux, et ils contribuent, comme les besoins uaturels, il régler lavaleur des choses. De là vient que tant de supertîuités sont sicoûteuses (2).

Assurément ce sont là des vérités très simples, très élémen-taires et toutefois, au xtV siècle, n'y avait-il pas quelque mériteà les dégager, pour la première fois peut-être, aussi nettement

que l'a fait ce maKre, ignoré aujourd'hui, mais alors célèbre et

populaire, de l'Université de Paris?Nous recueillons avec soin daus les ouvrages des écrivains an-

térieurs à la Renaissance toutes les traces qui rappellent la pre-mière apparition de l'économie politique dans la controverse desécoles. C'est le motif qui nous engage à relever, dans le traité duchancelier Gerson sur les contrats, une page très curieuse en fa-veur de l'établissement d'un prix officiel et légal pour toutes lesmarchandises généralement. il y a eu, à toutes les époques, un

(t) Lib.V,q. t6 « Pauper,quoadea quibusabundat,mnttoptnriprecioemiteaquibustndtgetquamdtvM;plusenimapponcretde laborecorpcmMproonoMxtario&nmenUquamdhreapro tigtntt;sedpluspecuni<enonapponereteoqaod<<indigeteattcatetfrmMeotovidelicetenimindigetextt'r!or!busbonis.(2jIbid.: .n)<rttMet paaperesdepMciteraceipiNntnr.Unomodo.sccnndMmhaberp«multumdebonisteftanœaNtmodiemnet sieposaceipitvulgus.A)Mmodoseenn-

<'dumNtNdent!ametnonsaBMentiam;etsiecapiMntmrrcMdhUia!et verapauper-« tas.DequibusdieitSeaeca«{p~.ad ZMc«<MM)nonqa!pannnhabet,sedqntplus<'cMpit.panper.»

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EXCmSMMtSHtSTOMQtJESETPHiLOSOPtUOUESt60

certain nombre de denrées qui ont été taxées. Ainsi, au xm" siè-cle, dans l'Université de Paris, on taxait le loyer des habitationsdestinées aux étudiants; on taxait aussi le louage des livres dethéologie, de jurisprudence et de philosophie à leur usage (i). Ausiècle suivant, en i350, le roi Jean 1~ rendit une ordonnance quiréglait non seulement le prix de beaucoup de denrées de consom-mation, mais le taux des salaires dans la plupart des corps d'é-tats (2). Par amour de la paix, afin de prévenir entre les vendeurset les acheteurs ces discussions qui dégénèrent fréquemment enrixes, Gerson proposait de taxer toute espèce de marchandisessans exception.

« Il serait possible, dit-il, de régler par une loi équitable le« prix des marchandises de toutes sortes, meubles, immeubles,« cens, etc. Au delà de ce prix, il ne serait pas permis au ven-« deur de rien exiger, ni à l'acheteur de rien offrir de lui-même.« Dans le contrat de vente, le prix convenu est en quelque sorte'<l'équivalent de l'objet cédé; mais, comme les passions contraires« et dépravées des hommes rendent difficile la fixation de cet« ériuivalent, il est bon qu'il soit déterminé par un sage. Or, dans« un État, nul ne doit être censé plus sage que le législateur.« C'est donc surtout au législateur qu'il appartient de régler au-« tant que possible, pour chaque chose, le juste prix qui ne doit« pas être dépassé par les particuliers, en dépit de leurs caprices« qu'il faut enchaîner et réprimer dans la mesure où l'exige le« bien de l'État. Plût A Dieu que le prix de toutes les denrées fui« réglé comme l'ont été le prix du pain et celui du vin! Combien« on éviterait par là d'altercations, non seulement inutiles, mais« impies, qui s'élèvent chaque jour entre les vendeurs et les achc-« teurs! De tels débats seraient impossibles dès que l'on pourrait« dire, sans beaucoup de paroles et en termes absolus cette« aune de drap vaut tant; cette mesure de blé, tant; cette pièce« de vin, tant; ce fromage, tant. Payerait le prix qui voudrait;

(i) Nousavonspubliédeuxtaxesdecegenredansnotre/~e.c eAM)M/<~<MeA<t~<ontmad ~mtaat PMf<M«M<iAM'MtMMM~'W<MM«Mm.ParisUs. 1802.tn.tut.p.64etsuiv.,74et Mtv.

(9)<M<MtM.desM~ de France,t. M.p. 3Met suiv.Notreeon&èreM.t~vaMeura doanél'analysede cetteordonnancedans sonJ?<<Mtw<fetc&MM<ouvrières,Parb,MM,t. 1,p.9M.

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ATRAVERSM MOYENARE. 4<:<

<. celui qui le trouverait trop élevé s'éloignerait sans tenir de« mauvais propos. La mesure est d'une application difficile, j'en« tombe d'accord; mais combien elle aurait d'eSets salutaires!« Elle serait une source de paix pour les hommes de bonne vo-« tonte, et de gloire pour Dieu (i). M

Nousne chercherons pas dans cette page, empreinte des sen-timents pacifiques de l'auteur, la preuve du savoir ou du génieéconomique de Gerson. Elle donne en effet aux législateurs unfort mauvais conseil, qui n'a jamais profité aux États assez mal

inspirés pour le suivre. Mais, quelque erronées que puissent êtreles vues du pieux chancelier en matière de commerce, nous les

signalerons comme un nouvel indice des préoccupations qui, surla fin du moyen âge, avaient pénétré dans les écoles, tandis que,durant la période qui s'étend de la mort de Charlemagne à la findes croisades, on n'en trouvait la trace nulle part. La science del'économie politique n'est pas alors constituée le sera-t-ellemême avant le xvn~ siècle? Saura-t-elle discerner, avant Smith.en dépit de quelques essais originaux, son objet propre et sa mé-thode vraie? Maisil est arrivé plus d'une fois que certaines ques-tions, qui devaient entrer un jour dans le domaine d'une science,fussent agitées avec ardeur, alors qu'on ne s'était pas rendu com-

pte du but que cette science poursuivait, ni de la voie qu'elle de-vait suivre pour l'atteindre. Telle nous paraît avoir été la situa-

(t) De M))(M<eM&<M,pïop. t$. Opp. t. Ht, col. i76 Jo~ta te~ potest instita!prettotn reram venaMam,tam mobilium quam Immobilium, tam censuaMumquamnoneensMatiam,Eeadatiumet non feudalium; ultra quod RMUamnon tieeat vendi.

tort exigere, tmo nec emploridare. maxime prtvata Toîantate. Cnm itaque pretiumett incontmeUbas tanquam mediumadœqaathram, et dlBctîe stt tale mediumsemper

< iaveattp propter affectiones varias et corraptas hommmn, pMMasexpedteM est nt'Modmedhtmcapiatur prout sapiens jndtcabtt, stcMttoqnttor Aristoteles de medio

« virtutb. NuUusaMtemdebet censer!sapientior in regimtnereipaMte~quamlegislator.« PMpterea apectat ad eum pMec!pae,quantum peMibHeest.jnstttm pretium statupre,< quatenon MeettmnNgredtprivata voluntate qoœ débetcoerceriTei ligari prout reipu-

bttemdeposettmtUMas.EtaUnam preUasicomntbnttMbMseMentimposHa,quemad.« modam videmaa, in paneet in vino! Quot eritarentur altercationes, nedaminutiles,sed petJNMe,et hnp!e, qaas experimur quotidie Nert inter emeotes et wndente<!<' Qaodnon Nefet,ai n<~o verbo et absoluto, statim diceMtar prettum, ut ntna panni

tantum tatet. modiam b!adt tanttun vatet hœccada vtotest hujM pretii. hie caMN<<' tanU)et tta de stmMMMM.Tnnc daret pretium, qui ~eMet qni noUet,aMret. atterca.<'tione dimtaM.DUBciteMt &temor, aed tam Mtobriter facttbUeapod homiaea boaM

~hMtaUo, qatbttt ex hoc easet pax et gtorh Dec. ?u

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462 EXCURStOKSHtSTOMQUESET PHtLOSOPHtQUES

tion de l'économie politique dans la seconde partie du moyen Age.Elle n'est pas même soupçonnée dans les écoles chrétiennes aussilongtemps que la Bible, quelques ouvrages des Pères de l'Kgliscet les premières parties de l'O~MMt d'Aristote sont les seuls li-vres qu'on y explique. Mais, dès qu'une version latine de laj~-

et de la Po/~Me a commencé à circuler, de nouveaux pointsde vue se découvrent aux esprits; de nouvelles questions sontposées; le prêt à intérêt, réchange et quelques parties essen-tielles de la théorie de la monnaie servent de thème à des contro-verses plus ou moins sérieuses. Aristote a donné le signal; il afourni les premiers éléments de ces discussions; le progrès ducommerce et les vicissitudes de la politique les ont favorisées enappelant l'attention des esprits sur des problèmes sociaux qui jus-que-là n'avaient pas eu la même opportunité ni le même attrait.Ainsi s'est formé peu à peu un courant d'idées

économiques, en-core bien faible, sans doute, mais qui était destiné à grossir d.siècle en siècle, en attirant à lui les esprits généreux que séduitl'espoir d'améliorer la condition de l'homme ici-bas. Peut-êtu-n'était-il pas inutile de remonter à la source première de c<courant et de décrire sa marche pénible durant les années où iln'était qu'une branche négligée et obscure de la science humaine.C'est la tâche assez laborieuse que nous nous étions proposée dansles pages qui précèdent; puissions-nous ne pas l'avoir rempli.d'une manière trop incomplète ni trop aride

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MÉMOIRE

SCR

L'EDUCATION DES FEMMES

AU MOYENAGE.

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excUMMM MMOM~M. gj)

MÉMOIRE

SUR

L'ËDUCATtONDES FEMMES

AU MOYENAGE.

Quandona devantles yeux lé tableau des universitésqui furentétabliesdu xm" au xv"siècle dans les diSërentspays de l'Europe,tet particulièrement en France; quand on considèrela multitudedescoures dont elles se composaient, les privilèges importantsconcédésaux écolierset à leurs maîtres par les papes et par lesrois,ennn ce grand nombre de bourses fondéesen faveur des étu-diantspauvres; quelque lent que paraisse le progrès desétudesetdes sciences durant'le moyen âge, on ne saurait mëconnaMreque l'éducation de la jeunesse n'ait été alors une des plus cons-tantes préoccupationsde l'Église et de la royauté, des seigneursféodauxet de la bourgeoisie. L'éducation desfilles fut-elle, pournospères, l'objet de soins aussi diligents et aussi soutenus quecelledes gatcona? Hserait déraisonnable et frivole de le préten-dre Fénelon (i) se plaignait que, de son temps, rien ne fut plusnégligé que l'éducation des filles; combien de fois les moralistesde nos jours n'ont-Uspas élevé la même plainte contre le siècle

(1)DeM<<<teaMoade~Met,eh.t.

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EXCUB8MKS HtSTOMQUES ET PiUMSOHMQUES4C6

présent Ke soyons donc pas surpris si le moyen Age a encourule reproche auquel, malgré notre brillante civilisation, nous n'a-vons pas su échapper, et s il n'a pas pourvu, avec plus de dili-

gence qu'il ne l'a fait, aux moyens de répandre parmi les femmes

elles-mêmes, à tous les degrés de l'échelle sociale, le bienfait del'instruction. Cependant, même aux époques les plus sombres de.l'histoire depuis la chute de l'empire romain, jamais ce grand in-térêt n a été entièrement oublié. Pour s'en convaincre, il suffit deconsidérer la suite nombreuse de femmes éminentes qui, de Char-

lemagne &saint Louis et de Philippe le Bel à Charles VU!, se sontdistinguées non seulement par leurs vertus publiques ou privées,mais par la variété des connaissances, et quelquefois même parle talent d écrire. Pour qu'elles atteignissent à cette culture d'es-

prit si remarquable dont témoignent les historiens, il fallait biensans doute que leur enfance comme leur jeunesse eussent étéenvironnées de soins intelligents, qui ne profitaient pas à ellesseules, mais qui ont dù s'étendre à leurs compagnes et em-brasser, dans une certaine mesure, toute leur génération. Maisoù avaient-elles puisé, ces femmes remarquables, l'instruction

qu'elles possédaient? Quelles écoles avaient-elles fréquentées?Quelles leçons avaient-elles reçues? En un mot, et pour ramenerle problème à ses termes les plus généraux, quelle a été, au moyenAge, l'éducation des femmes? Ce curieux sujet d'études est d'au-tant plus difficile n creuser profondément qu'il touche à la viecachée des familles, aux secrets du foyer domestique, où l'œil del'historien ne pénètre guère et ou si souvent s'achève l'éducationde l'enfant. Aussi ne prétendons-nous pas épuiser la question quenous avons posée nous voudrions seulement coordonner quel-ques-uns des faits qui contribuent à en éclairer les aspects prin-cipaux, soit que ces faits aient été signalés par d'autres éruditset se trouvent déjà connus, soit que nous les ayons recueillisnous-mème aux sources et qu'ils soient mis en lumière pour la

première fois.

Dans un fragment lu devant l'Institut de France, il y a bientôttrente-six ans (i), M. Michelet a éclairé d'une vive lumière cer-

(t) Seance paM~MC annuelle (les cinq académies, tenue le 2 mai 1838, ia-4".Il. STt't 8a;T.

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A TRAVERStE MOTfENAGE. ~?

taines faces du sujet que nous nous proposons de traiter. Notre

prétention ne saurait être en aucune sorte de refaire ces pagesmagistrales; mais, en nous plaçant à un autre point de vue nuenotre illustre confrère de l'Académie des sciences morales et poli-tiques, peut-être nous sera-t-il donné de jeter quelque jour sur lescôtés de la question qu'il n'a pas eu à envisager.

C'est la religion chrétienne qui la première a consacré et faitprévaloir les maximes sur lesquelles s'appuieront toujours ceux quiréclamentpour lesfemmes une sérieuse éducation. Lechristianismeproclame en effet que la femme, bien que soumise à l'homme, nevaut pas, devant Dieu, moins que l'homme; qu'elle ne forme

qu'une même chair avec l'homme; qu'elle participe à ses devoirsen ce monde et à sa destinée dans l'autre.

Telle est, d'ailleurs, la dignité originelle de la femme, qu'unefemme, une Vierge, a été choide pour concourir à la rédemptiondu genre humain en mettant nu jour l'enfant divin qui devait leracheter. Dès lors, comment la condition de la femme ici-bas se-rait-elle d'ignorer les vérités sublimes qu'elle a autant d'intérêtque l'homme à connaître? Aux yeux môme de la foi, les noblesfacultés dont elle est douée demandent à être cultivées, et c'est serendre coupable envers Dieu que de leur refuser cette cultureindispensable. Sans doute l'apôtre saint Paul recommande que lafemme se taise dans l'Église, c'est-à-dire qu'elle ne s'arroge pas ledroit de disputer sur le dogme ni sur la morale il veut qu'elle semontre obéissante envers son mari (i) mais en même temps il l'ho-nore assez pour ne pas dédaigner de l'instruire et pour confondredans sa sollicitude les diaconesses avec les diacres de la primitiveEglise. A l'exemple de saint Paul, les Pères grecs et latins donnè-rent par la suite une attention particulière à ce qui concerne~éducation des femmes. Sans parler des traités spéciaux que plu-sieurs d'entre eux ont écrits sur la virginité, et qui sont remplis depréceptes propres à diriger l'adolescence et la première jeunessedes vierges chrétiennes, on pourrait aisément relever, chez saintClément d'Alexandrie, chez saint Basile, chez saint Grégoire deNazianze et chez saint Augustin, pour nous en tenir à ces seulsnoms, un grand nombre de passages sur l'éducation de la jeunesse

(') /CM~ e. ïtv, v. 34et 35;1 Timoth., u, v. 11<-t12.

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EXCURSMSSHtSTOMQCESETPMt.OSOPHtQ~ES468

qui ne s'appliquent pas moins auxjeunes nUesqu'aux jeunes gar-çons, et qui seront toujours lus avec fruit par les mères de famille.Les lettres que saint Jérôme écrivait à Eustochium, à Paula, &

Gandence, à Lteta, a Marcella, ne sont pas la partie la moins pré-cieuse ni la moins célèbre de ses œuvres; et que renferment-ellessinon des témoignages répétés de la plus active sollicitude pourl'instruction des femmes, tantôt des règlements de vie, tantôt des

explications savantes de quelque passage obscur de la Bible,

tantôt, comme les lettres a Gaudence et &Paula, tout un plan d'é-ducation destiné à de jeunes filles ?

Lesraces germaines qui se partagèrent l'empire romain étaient

mieux préparées que d'autres à recevoir les enseignements duchristianisme sur la condition de la femme. Tacite nous apprend,en effet, que les Germains reconnaissaient dans les femmes quel-que chose de divin; ils écoutaient leurs avis et ajoutaient foià leurs prédictions. Dans la paix et surtout à la guerre, ellesétaient pour eux des compagnes fidèles, endurcies au travail,intrépides dans le combat, généralement chastes, dignes des hon-neurs rendus par la nation à leur bravoure et à leur vertu (1).Quand le christianisme fut prêché <t ces races grossières, il trouvadonc le respect de la femme empreint dans leurs usages. Il épurace sentiment traditionnel; il le sanctifia, l'affermit, et, le tournantcontre la barbarie, le fit concourir à la civilisation des peuplesgermains.

Ainsi, par la foi religieuse et par quelques-unes de ses traditions

nationales, la société du moyen âge se trouvait poussée à honorerl'la femme comme épouse et comme mère, et à la protéger, dès ses

plus tendres années, en veillant à son éducation.A quelle époque remontent les premiers pas dis dans cette

voie? On ne saurait le dire avec une entière précision; car ilsfurent si incertains et si rares, selon toute vraisemblance, qu'ilsn'ont, pour ainsi dire, pas laissé de traces. Un fait constant, c'est

qu'au ve et au vie siècle il existait sur le sol de la Gaule plusieursmonastères dans lesquels les lettres divines et humaines étaientcultivées par les religieuses, et où de jeunes enfants étaient ad-mises et élevées.

(t)DemcW~MCerma~a*,f. vm,xvm,M.

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A TRAVERSLE MOYE~ACE. 4'M

Ainsi, au v<"siècle, sainte Radegonde, reine de France, retiréenu monastère de Sainte-Croix, qu'elle avait tonde &Poitiers, lisaithabituellement saint Grégoire de Nazianze, saint Basile, saint

Athanase, saint Hilaire, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Au-gustin, Sedulius et Paul Orose. Elle exhortait ses compagnes Aimiter son exemple; elle les instruisait elle-même; et, quand onfaisait la lecture en commun, elle expliquait les passages obs-curs et difficiles, C'est elle dont le nom reparatt sans cesse dansles vers du poète Fortunat, fixé lui-même à Poitiers par la pluspure aûection pour Radegonde (i).

Au vn" siècle, sainte Gertrude, abbesse de Nivelle, qui savait,dit-on, par cœur la plus grande partie de l'Écriture sainte, faisaitvenir des livres de Rome et des maîtres d'Irlande pour l'enseigne-ment des novices (2). L'abbaye de Chelles, dirigée par sainte Ber-tille, avait une école qui compta plusieurs élèves de l'un et del'autre sexe, venus d'Angleterre, et qui fournit des maîtresses etdes livres aux pays voisins (3). Au monastère de Saint-Jean, ilLaon, sainte Anstrude s'exerçait à l'enseignement des lettres,qu'elle avait étudiées dans son enfance (4).

Ouvrons, au reste, la règle donnée par saint Césaire, évoqued'Arles, au monastère de femmes qu'il avait fondé de 507 A5i2dans sa ville épiscopale; nous y trouvons les recommandations lesplus précises au sujet des études. Il veut que les religieuses de cemonastère apprennent toutes les lettres, <WM~/<M discant (5Jque tous les jours, en tout temps, elles consacrent à la lecturedeux heures de la matinée.

Quelques annéesaprès la mort de saint Césaire, une abbesse

't', M"MM<"),.tft. Ord, s. CfM.. t. t. p. 3M; for~MM corM~a, Xogantiw,t~ p. p. 347; Monta!. M.

~M~. ''arts <MS, in.M. t. M. p. 256 et suiv.MaMMon,ibid., t. Il. p. 4M tta ftKtM ni patuit in itta ut pœM omncMtMbUo.

n'MaMdtvhMBt.~ meM.)r!w reconderet. Per MM nanties. tMa: t~timonitTiMS,M.Mt.mm patMetoh v.t ~t~ina de ~,be R~ t~MMarin~ r~.on!.

'<<m.. u(3~ t6M., t. tM. 35.t/M.. t. !),(.. 976.

~f~T't~ "~Mf~w~MMMOK~<Mrwm,A~Ns<a;Vindeti<-onHn.r4!t. 1,*°~~ « litterasdiseant;emnitempoM.dnabushoris.hocestaf~ ad 'ï~. t~Hont~t.. ~M. 364 L.ct:.H.mantt

'MM t~at, ..t legentisverbatôt. p~re ~tptat. i)a1

Page 474: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCURSIONS H~TOMQfES ET PH!t.OSOPHtQfE8<7$

qui portait son nom, sans être sa sœur (i), comme on Fa cru àtort, sainte Césanne, renouvela, dans une lettre à sainte Rade-gonde, les recommandations du saint prélat. Après avoir insistépour que les jeunes filles reçues dans le monastère fussent toutesastreintes à l'obligation d'étudier les lettres et de savoir par cœurle psautier, eUe ajoute que l'instruction, qu'elle ait été acquisepar la lecture ou qu elle soit le fruit des leçons d'un maître, cons-htue le véritable ornement de Famé, quelle est comme une parurede pierres précieuses, laquelle sied bien aux femmes qui prati-quent de bonnes oeuvres (2).

ttans une règle anonyme, qui paraM être fort ancienne, carelle est citée par saint Bt-noK d'Aniane (3), l'auteur fait aussides recommandations aux religieuses sur la manière d'élever lesplus jeunes filles; il rappelle les soins pieux dont ces enfants doi-vent être entourées au couvent, de peur qu'elles ne contractentdans le premier âge des habitudes d'indolence et de légèretéqu'il serait difficile de corriger plus tard; puis il ajoute qu'ellesdoivent être exercées de bonne heure à la lecture, ~A<.<~ /<.c-~w M~M, afin d'acquérir, dès leurs plus tendres années, lesconnaissances qui leur seront utiles Aune époque plus avancéede la vie (4).

L'enseignement donné par les cloîtres profita dans la suite auxlaïques; mais à cette époque voisine de l'invasion barbare, ou lasociété civile était encore dans le chaos, nous inclinons à penserqu'il s'adressait exclusivement, dans chaque monastère, soit auxsœurs de la communauté, soit à de jeunes filles destinées à pren-dre le voile. Et, comme les écoles monastiques sont les seules

(t) JM~.KM.dela France,t. tu, p. 275.(2)Martene,Me..Anecdot.,t. p. 3 <,NnMasit de intmatibasqumnonMMen~tttscat;cmnesPsalteriummemoriterteneant. LecUonesdithtasjugiteramtMh'autaadtte.qaiaipsaesnntornamentaan:mœ;ex ipsispretiosasmatsantasandbas<.aHxndtte;ex ipstaaanatoset dextMMa.Dambonaoperaeterceth,bisemamentMf decommtBi.»(3)~o&~tM, 1.1,t. t. p. 393.(4)Regulaet~a~ompotris,c. xm, <6M.,p. 4M in~ntes innmnasterh*qnantacura et disciplinasintenatrie.td<Bmultisdidieimusdocamentis.Debentenlmena.tndcamOMatpMatbaCeetaet d:M)pUn<emiaistermne desMhBvêt!a!e:via!vitiombtenerateta~macatata!.aat v!x,aat naMatenaapossiutpMteaeorrigi. Ha-

b~anttecOoaisusum.ut NtbpaertMtetatediscantquodadperfectumdedocUspro-<'Sftat.')

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A TRAVEH8 LK MOYKX ACE. 47t

dont on aperçoive alors quelque vestige, il faut bien en conclure

que sous les Mérovingiens, malgré des lueurs isolées et passagères,l'ignorance était aussi générale parmi les populations et aussi pro-fonde que la misère.

Nous n'avons pas &retracer ici les efforts énergiques de Char!e-

magne pour apporter un remède au mal; mais il appartient Anotre sujet de constater que, dans ses plans de fondations scolai-

res, ce grand prince n'avait pas méconnu l'importance de l'édu-cation des femmes. « Il voulut, dit Ëginhard (i, que ses filles,« aussi bien que ses nls, fussent instruites dans les arts libéraux« que lui-même cultivait. IlElles ne négligeaient sans doute pasles occupations qui conviennent particulièrement & leur sexe;elles apprenaient, pour se préserver de l'oisiveté, à travailler la

laine, a manier la quenouille et le fuseau; mais ces soins ne lesabsoritaient pas, et elles s'adonnaient, par la volonté de leur père,aux études qui ornent l'esprit (2). On voit, en effet, un groupe de

jeunes filles se mêler aux fils de Charlemagne et aux seigneursde la cour qui assistaient, dans l'école du palais aux leçons d'Al-cuin. Parmi elles figurent la sœur du roi, Gisèle; deux de ses fil-les, Gisèle et Richtrude; Liutgarde, une de ses femmes; (,on-trade, sœur d'Adalhart. Les objets de leurs études étaient ceuxde l'enseignement d'Alcuin, c'est-à-dire les premiers éléments dela grammaire, puisés dans Priscien et dans Donat, quelques aper-çus de rhétorique et de logique, empruntés & Cassiodore et àBoece, peut-être même directement tirés d'Aristote, quelques va-gues notions d'arithmétique, de géométrie et d'astronomie bienpauvre fonds d'érudition assurément, mais le seul qu'on etitalors; de sorte que les femmes de la cour de Charlemagne, enpossession de ces premières connaissances qui nous paraissentaujourd'hui si peu de chose, avaient parcouru le cercle entierde la science de leur temps et pouvaient, à bon droit, passerpour très savantes. Aussi voyons-nous qu'elles étaient placées très

«) t~a~tMH <m~m-<t~Wx,édtt.Teulet.t. t. p. 64 a LiberosMosita censuittamfililquamBtbeprim.libeMUtMM~Mb. <HMtet .wMm

dabat,entdiKntar.).t <

(2)~<t, ele « FUtMlani6eioassuescere,MtoqoeacfaM.neperotiumlorperent,operamimpendere,atqm.t<mMemhonMOHemerudMJMNH.u (Cf.~~<~ .par

t.Monmer.Patts.MM.in~.p.MetSMtv)

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EXCUBStOXS HtSTOBtQUES ET PHILOSOPHIQUES<?a

haut dans t'estime de leur maître Alcuin, qui leur a dédié quel-ques-uns de ses ouvrages. Les cinq premiers livres de son com-mentaire sur l'Évangile de saint Jean tarent adressés à Gisèle, lasœur de Charlemagne, et à Richtrude; son Traité de la nature del'âme, à Gontrade, sous le nom d'~M~ qu'elle portait à l'écoledu palais (i).

En dehors de la cour de Charlemagne, les ordonnances quece prince rendit pour relever les études dans toute l'étendue de sonempire ne furent certainement pas sans influence sur le progrèsde l'éducation desfilles. Lorsque, en 787, par unecircatairecélèbre,il recommandait d'une manière si pressante que, dans les évèchéset dans les monastères, on prit soin, non seulement de vivred'une manière régulière et conforme aux saintes lois de la reli-gion, mais d'enseigner les lettres à tous ceux qui, par la grâcede Dieu, avaient la capacité nécessaire pour les étudier (2) quand,l'année suivante, en transmettant aux églises un homiliaire corrigépar Paul Wameiried, le puissant monarque exhortait toutes per-sonnes à suivre son propre exemple et à cultiver les arts libé-raux (3), il n'est pas probable que des recommandations partiesde si haut, et si exactement conformes à l'esprit et aux traditionsde l'Église, n'aient pas fait sentir leur effet jusque dans les monas-tères de femmes. Les moines, il est vrai, sont seuls nommés dansles lettres de Charlemagne; mais les graves motifs qui, dans lapensée du prince, devaient pousser les religieux à s instruire.n'existaient-ils pas presque au même degré pour les religieuses?Demême, lorsque, dans le palais d'Aix-la-Chapelle, en 789, Ch&r-lemagne ordonnait d'établir des écoles de lecture pour les entantsde condition servile ou de condition libre, et d'enseigner, dans;es monastères et les évéchés, le psautier, le chant, le calcul et 1«grammaire (4); lorsque Théodulphe, évoque d'Orléans, animéd'un zèle égal pour l'instruction, prescrivait aux curés de sondiocèse de tenir école dans les bourgs et dans les campagnes et de

(<)JK~. K«. de la France, t. tV, p. aoe et 3t0.(3) C<~K<t&!Wofe~«m ~MMfMM, PatMis, t7ao, in.M., t. t, col. 201 et 202.(S)Ce~We~, de., 1.1.1~. 203 et saiv.(4)?<<<.t. 1, co!. 237 « Non sottumservUis conditionis intante', sed etiam ingenno-

a mm tHosadgregent dbtqne sodent (mMgM altarfs Dei). Et ut aehotœ t~eattum« paeMram fiant, psaimos,notas, cantm, CMnpatam,gtammaticamper sumolamonas.e teria vêt episcopiadistant, e

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A TBAVEBSM MOTTESAGE. 473

recevoir gratuitement tous les enfants qui leur seraient envoyéspar les fidèles (i), on ne saurait se refuser de croire que les filleselles-mêmes n'étaient pas exceptées, et que, dans certains diocèsessinon dans tous, elles trouvaient à se procurer les connaissancestout au moins les plus élémentaires. Ce qui confirme cette pré-somption, c'est que, dès la fin du tx° siècle, comme on le voit parune ordonnance épiscopale de Riculphe, évoque de Soissons (2),les évoques commencèrent à défendre que les filles fussentréuniesaux garçons dans les écoles tenues par les curés preuve irréfra-gable que les écoles étaient déjà fréquentées plus ou moins tant

par les filles que par les garçons.Au reste, il est constant que, du IXesiècle au xnt% il s'est

rencontré dans les rangs les plus élevés, il est vrai, de la société,beaucoup de femmes qui avaient reçu un certain degré d'ins-truction, appréciaient l'utilité de la science, aimaient les livres,recherchaient le commerce des savants, et parfois cultivaientelles-mêmes les lettres et la poésie. Citons les noms de quelques-unes d'entre elles d'après les indications éparses que fournissentles historiens.

Au tx" siècle, c'étaient l'impératrice Judith, la seconde femmede Louis le Débonnaire, à qui Raban-Maur a dédié son commen-taire sur les livres de J~A et d'Es~' (3) la reine Hermen-trnde, femme de Charles le Chauve, que Jean Scot a célébréedans ses vers (4); Berthe, comtesse de RoussUIon, dont on citequelques vers brodés sur une nappe d'autel qu'elle avait envoyéeà l'église de Lyon (5); Dodane, duchesse de Septimanie, auteurd'un manuel dans lequel, entre autres avis qu'elle donne à sonSis, elle lui recommande de ne pas négliger, au milieu de la vie

« R~ ed. dac.Shmond.t. H. p.2t5 «PresbyteriperTiMaset~h.~et, si fidelium P~M discendaslitteras<~

~n 'f'M etdaeereMarenoMt,sedtomsammaeharit&te~nt. CM.ergoeMdocent,n;MtabeispretUprohacreejdgant.»~< c<MMMM..t.t~ Ph. Labbe,LutetheParMMUM,M?t.m.f.«nn~. «MonemM.utpresbyteri.MhoiafiossuosmodestedMnngaat,<-Mt..siclitterisinstrnant,nt malac.nveMatt.M..w d~tM~t; <.tpw!htf.?q< suisin scholasuanequaquamrecipiant.»S

P. Mt.!'ave)rti<Mment. ·

(~!U<m,o~ t. 143. flist. li&t. de la Fratice, t. V, p. 4;a:J..1.~t8.

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EXCt-MSMXSMSTOMQUES ET PHILOSOPHIQUESt't

mondaine, t'acquisition d'une bibliothèque d'ouvrages propres& t'instruire et à ï'édincr (i).

Au xe et au xf siècle, nous citerons l'impératrice Adélaïde,femme d'Othon le Grand, qui reçut plusieurs lettres de Ger-bert (~); Helvide, issue des ducs de Lorraine et mère du papeLéon !X, qui parlait le latin aussi facilement que sa langue mater-nelle (3) Agnès, première femme de Geoffroy, comte d'Anjou.qui, pour se procurer un recueil d'homélies, donnait deux centsbrebis, un muid de froment, un autre de seigle, un troisième demillet, et un certain nombre de peaux de martre (~) la comtesseMathilde, si ndèL M.Grégoire VU,qui possédait plusieurs langues,et que les soins du gouvernement n'empêchaient pas de s'adonneraux lettres ni de s'être formé une nombreuse bibliothèque com-

posée d'ouvrages de tout genre (5); une autre Mathilde, fille deBaudoin V, comte de Flandre, et femme de Guillaume le Conqué-rant (6); ses deux filles, Adèle, comtesse de Champagne (?), etCécile, religieuse de la Trinité de Caen (8), toutes trois citées parles historiens pour leurs goûts littéraires, leur instruction et leursessais poétiques; Emma, selon toute vraisemblance, abbesse deSaint-Amand de Rouen, à qui le poète Baudri, abbé de Bourgueil.adressa des vers en réponse à ceux qu'il avait reçus d'elle (S).

(t)MaMMoa,<M<t..t. V,p. TSX«Admoneote, utintermundanassœeaUcarasplu-rima TotumîMlibroromtiMacqnirinonpigeas,»

(2)ŒMM~deCer6er<,collationnéessur lestaannsedtsparA.Olleris,Paris,t876.in~ p. tt, M.7~ <30,etc.

(3)Mabillon,ibid., t. IX,p. 64; ~M~.litt., t. VH,p. 459.(t) MaMHon,~<t't.0~. N.~eKe<<t. IV, p. 574.C'estpar erreurquelesBéné.

dictins,~«<. ?< t. VU,p. 3, attribuentceca&~axmarchéà Grécie,la premièrefemmede GeoSrey;it a eu lieu, commeon peut le voirdansMabillon,par t<~t-ciMde la eemtesaeAgnès.

(a)r«c ~o~<M~, ap. Mnratori,Script. rer. ital., t. V,p. 392 Teatonieam,<tFraneigenametLombardîcamoptimenovitMaguam. ?<<<p. 396 «Fuitetiam«scientiarutnstadiodicata,et MberaMumartinmgrandisNNiotheeastbinondefuit.M(Cf.<M<~p. 381.)

(6)OrdedcVÏtaI,~a<.<;ee~éd. Leprevost,ParMis,ta40.ia.8",t.M,p. M9 «Bc-eginambancdmntdecoravereforma,gênas,Utteraramseientta,ttmctamorametvir-« tmtumputehritndo.

(7)if<M<. <<e/<<tMee.t.X.p.i3i.ett.XI~p.M3etS))tv.;d'AdMisdeJnbain.ville,~«<.deseo<!t<e<de C&ampa~c,t. U.p. 9Met 252.

(8)JNtt~.litt., t. Vu. p. <63.<9)D"dMsnp,NM<M-M?FrancorunMWp<er~t. tV.p.377;JKt<<n-.lifter., t. Vu.

p.t&4..

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A TRAVERSLE MOYENAGE. 475

Haudri composa aussi pour la comtesse de Champagne plus d'unepièce rimée (t), et un poème encyclopédique longtemps inédit.que notre savant confrère et ami, M.Léopold Delisle, vient depublier d'après une copie aujourd'hui déposée à la bibliothèquede Tours, et prise, il y a quelques années, sur un manuscrit duVatican, par M.André Salmon (a).

Au XM"siècle, où se manifeste une sorte de renaissance litté-raire, on voit s'accrottre le nombre de femmes lettrées. Tellesfurent alors Marsilie, qui gouverna l'abbave de Saint-Amandaprès Emma, et a qui l'on doit le récit d'un miracle accomplidans la chapelle du monastère (3); Mathilde d Anjou, secondeabbesse de Fontevmult, que dirigeaient les conseils affectueux dePierre de Celles, qui s'appelle son ami en Jésus-Christ. <MM!CMs/«C~A~ (4); la sœur Angélucie, religieuse du même couvent,dont elle était la fleur, nous dit l'historien de ses derniers mo-ments (5); Héloïse, qui dut sa renommée à son savoir autant qu'àses fautes et à ses malheurs; Adélaïde, nièce d'un archidiacre dePoitiers, que Pierre de Blois, dans une lettre à cet archidiacre,témoigne avoir été nourrie de fortes études littéraires, ~MWM«w

(C)! sœw Relinde, abbesse du monastère de Hohen-hourg, fondé depuis peu par sainte Odile, et dans lequel l.~ssctences humaines étaient cultivées avec une véritable ardeur (f);Herrade, qui succéda, à Relinde dans les fonctions abbatiales,et dont il nous reste une si curieuse encyclopédie, moitié prose,moitié vers, 1' <~<-M!/WM,le J<~t ~<cps (8); sainteHildegarde, célèbre par ses visions et par le commerce delettres qu'elle entretint avec les personnages les plus considé-rables de son temps (9) voilà pour les femmes qui avaientembrassé la vie religieuse, D'autres, qui continuèrent à vivre

~t'aSS~ Baudri('0 Irarlant de la comtease de Chatnmoe.

~«?'«'~ ~jMM~3~r!o. t. XXVUt. Caen,1871, in-4°,

S ~L~'X.P 383.

& M~' t. 'X.P.t~.S~? ~<t.Mt,c.l. nt0.X! XX1\p.976.,7) lill, t. XIII, p, &87et lui.

SS~ t. '.r.~ <uh.W tab~tua. m6t. t.HM., Patav! t7M,in. t. iM.p. t60.

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476 EXCURSMXSIIISTORIQUESET PHILOSOPHIQUES

dans le monde, peuvent être également citées pour leur cul-ture littéraire ainsi Ermengarde, duchesse de Bretagne, à quiMarbode adressa des vers (i); Blanche, comtesse de Champa-gne (2); les deux femmes d'Henri 1~, roi d'Angleterre, l'une, lareine Mathilde, dont il existe plusieurs lettres adressées à saintAnselme de Cantorbéry (3), et l'autre, ta reine Adélaïde, quicorrespondait avec Hildebert de Tours (4), et encourageait !«muse de deux poètes anglo-normands, Philippe de Than et I)a-vid (5; Constance Fitz-Cilbert, que charmaient à ce point les poé-sies de Havid qu'elle paya un marc d'argent pour les faimtranscrire. Elle s intéressait aux travaux historiques d'un autrepoète de la même nation, Geoffroi Gaimar, jusqu'à emprunterdes livres à son intention (6).

Sans qu'il soit nécessaire d'étendre la liste qui précède, un<conséquence nous parait en résulter, c'est que, durant la périodeassez longue que nous venons de parcourir, l'amour des lettres.l'étude et l'instruction n'ont pas été un phénomène aussi rar~parmi les femmes que le feraient supposer les malédictions d<Pierre le Vénérable contre l'apathie de son temps pour les artslibéraux, et en particulier contre l'ignorance du sexe féminin.« Ce sexe a totalement rejeté loin de lui les leçons de la sagesse;« il n'en a gardé aucun vestige, » s'écrie l'abbé de Cluny (7), et.tout au contraire, ce sexe, jugé trop sévèrement par le pieu\abbé, avait contribué pour sa part à renouer la chaîne des tra-ditions littéraires.

Dans l'éducation de quelques-unes de ces femmes, toutes re-marquables à des titres divers, dont nous avons recueilli les noms.peut-être y a-t-il à faire déjà une certaine part à d'autres influences

(1)~af&o~tcarmtMcMWe,à la suitedesŒ'Mcr~<MMMe6er<de Tottrs,Pa-ris,1708,in.fo).~cet. t5M.

(2)Martene~~ttp~M.CoHee<t. I, col.1025.DArbo!sde Jubainville,~<comtesdeChampagne,t. IV,p. 297.

(3) JM~. ~< t. X, p. 438.

(4) <HM< MOp~<t,<-ot. 45,57,170, etc.

(&) <H~. M«.,t. Xttt.t.. 61 et 66..

?) Ibid., p. 63 et 66.

(7)Epist.ad ~MoMMM,inter.t&a!!<M'<«Opera,PatieMst,M49,in.4<t. p.7tt'< QummqueabhisexercitiM(discendarumaftiam)detestandadesidiatot<Mpenetorpeat

MNndm.etubiantMisteFepossitFMMph'ntia',nondicamapttdeexam&mÏMum.« a quoex Mo explosasest,sedDx apadipsosvirilesanimosinvenirevateat..~>

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A TBAYEBS LE MOYEN ACE. t77

que celles de l'Église et du cloKre. Ainsi des écoles laïques com-mençaient à se montrer, témoin l'école que tenaieat les filles deManegoldde Lutenbach, dans laquelle nous les voyons enseigner,vers la fin du Xt"siècle, les personnes de leur sexe (i ). D'un autrecôté, il faut tenir compte des éducations privées qui eurent lieuau 6)yer domestique, le plus souvent d'une manière fort incom-plète, mais parfois aussi plus savamment, avec le concours demaltres éclairés, qui n'étaient ni moines ni prêtres, mais de sim-ples laïques. Ainsi le chanoine Fulbert avait donné à sa nièceHétoïse un maître laïque, le plus habile à coup sur, le plus élé-gant et plus séduisant de tous. Sous la direction d'Abélard, Hé-loïse, déjà très instruite, fit des progrès singuliers dans les lettreset dans la philosophie; par son savoir encore plus que par sabeauté, qui cependant n'était pas méprisable (2), elle s'attiral'admiration de tous ceux qui rapprochaient, en attendant qu'eueexcitât leur pitié par son infortune.

Mais de pareilles exceptions étaient rares. La plupart des pa-rents n'étaient pas assez riches pour payer un précepteur. Quant&ceux qui auraient pu se permettre un pareil luxe, ils préféraientse décharger de pénibles soucis en confiant leur iule au monastèrevoisin. N'était-ce pas le parti que saint Jérôme recommandait AL:cia, qui l'avait consulté au sujet de l'éducation de sa fille Pau-la?. « Vous dites, lui écrivait-il (3), que, vivant à Rome, au

llillieu du monde, comme une femme du siècle, vous ne pouvez« pas remplir tous les devoirs que l'éducation de votre enfant'<vous impose? Ne prenez donc pas un fardeau que vous vous sen-<' tez hors d'état de porter. Mettezvotre enfant dans un cloître« Au milieu des chœurs des vierges, qu'elle s habitue A ne pas« prendre en vain le nom de Dieu, et à regarder le mensonge

~t' ~< ap.Martene. C. t.V,eo!.n~XX~ Mene~ pM)< d~. 1

ejuset6liæ,religione«dorentes,S~(loeebant.IJ(CfNist.tttt., t. IX,p,280etsuiv.)

perfaciemnonesset.SS XSt~ ~nun ~t suprema.N.mquobonumhoc,t)tt<.rat.~~S~t~~ eat rarius,eo puellam~mendabat..t il#

C~'«<~M..ep.«.,ibid..p. 7t0.)H)S.~e~~<0~a.p.tb~M9~y p.

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478 EXCURStOSS HISTORIQUES ET PHtMSOPHtQ~ES

« comme un sacrilège; qu'elle ignore le péché; qu'elle vive d'une« vie angélique; que les aiguillons de la chair n'atteignent pas« sa chair. Épargnez-vous ainsi à vous-même ce qu'il vous en« coûterait de soins et de peines pour veiller sur elle. Mieux vaut« que vous ayez à regretter son absence et que vous n'ayez pas« à trembler incessamment à son sujet. » Soit nécessité, soitlibre choix, jamais les avis qu'on vient de lire n'ont été suivisplus fidèlement par les familles chrétiennes que durant la pé-riode qui nous occupe. Abélard, chose remarquable a pris soinde les citer dans une lettre aux religieuses du Paraclet (f ), commesi le souvenir de ses leçons privées et de ses entrainements cou-pables sous le toit du chanoine Fulbert eùt fait mieux compren-dre au séducteur d'Héloïse l'opportunité des conseils de saintJérôme.

Puis donc que l'éducation monastique était à peu près la seulequi fut donnée aux femmes, riches et pauvres, nobles et roturiè-res, du )x" au XM"siècle, il importe d'examiner en quoi cethéducation consistait et jusqu'où elle pouvait aller.

Nous aurions un grand intérêt &pouvoir distinguer ici les le-

çons données à des enfants placées dans les cloîtres par leurs fa-milles pour y être instruites, sans se destiner à la vie religieuse.et les leçons qui s'adressaient aux novices et aux religieuses pro-fesses mais les documents nous manquent pour établir cette dis-tinction, et il n'est pas même certain qu'elle ait existé dans la

pratique ordinaire des couvents. En effet, si les jeunes filles qu'ony admettait ne devaient pas toutes prendre un jour le voile, Invocation monastique pouvait, à un jour donné, se développerchez toutes par l'effet même de l'éducation reçue; et il importaitdès lors de ne laisser aucune d'elles sans une sérieuse prépara-tion aux devoirs de l'état qu'elle serait peut-être conduite Aem-brasser dans la suite.

U est vraisemblable que, dans beaucoup de monastères, l'ensei-gnement ne dépassait point le cercle des connaissances usuelles,telles que la lecture, l'écriture, le chant et le comput; mais ail-leurs il était plus élevé, plus complet. Ainsi les premières annéesd'Héloïse s'étaient passées au couvent d'Argenteuil; elle y avait

(t)~6~<M~Opefa,t.t,p.227.

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A TRAVERS LE MOYEN AGE.

été reçue tout enfant, ~Me//M~ (i), et quand elle prit les leçonsd'AbéIard~ il témoigne qu'elle avait déjà une brillante instruc-tion et qu elle la devait a l'enseignement du couvent.

La vie religieuse, pour les femmes surtout, offrait de longs loi-sirs. La faiblesse de leur sexe ne permettait pas qu'elles fussent as-sujetties aux durs labeurs que la règle de Saint-Benoit prescrivaità ses disciples; elles ne défrichaient pas la terre; elles ne la culti-vaient pas, et les travaux manuels auxquels elles se livraient consis-taient surtout dans les soins divers que réclament les besoinsquotidiens de toute communauté. Abélard en fait lui-même la re-marque dans une lettre à Héloïse, et il tire de la cette conclusionque les religieuses resteraient exposées à trop de tentations si ellesne consacraient pas leurs loisirs à l'étude des saintes lettres (2).

L'étude, si efficace contre les séductions de l'oisiveté, deve-nait d'ailleurs une sorte de nécessité dans les cloîtres où les règlesles moins austères imposaient aux nonnes l'obligation de fréquentset longs offices qui se récitaient en latin, et de lectures commu-nes ou particulières qui supposaient à un certain degré ;L'habi-tude de cette langue. Les religieuses étudiaient donc le latin, etcelles qui en possédaient le mieux les éléments les enseignaientaux novices et à quelques jeunes filles appelées à rentrer bientôtdans le monde. Ainsise perpétua parmi les femmes la connaissancede la langue latine, longtemps après qu'elle eut cessé d'être lalangue vulgaire.

Mais la connaissance du latin n'était pas dans les monastèresune science stérile. On l'appliquait à la méditation de l'Ancien etdu Nouveau Testament, à la lecture des Pères de l'Église, desécrivains

ecclésiastiques, des historiens, des poètes, et, en gé-néral, de tous les ouvrages, même récents, qui pouvaient servirsoit à

lédincation, soit même à la seule instruction. De là cetteérudttMn, remarquable pour le temps, qu'on observe, durant lapériode qui nous occupe, chez les religieuses et chez plusieursfemmes du monde. Héloïse possède à fond l'Écriture et les Pères,

'~S~(abbatia)Argentoolumvocatar,ubiip~« ,Hetoh!M)olimpudtohedacatafueratatqueermUta.»

(2) (~w"" "M'.) tant.magb.peMM<hM~~t. quantaT~ quammonachi P~. .tUquMc

«atqoeinannitateNatMrœ&ctMu9mtentaUonemM)!Il

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EXCOBHOXS HISTORIQUES ET PHM.OSOPMQMSMa

On y trouve de curieux échantillons de la poésie du cloMre, telleque les religieuses d'autrefois la comprenaient, poésie le plus sou-vent incorrecte et vulgaire, à peine semée de quelques inspira-tions be~euses, quand celle qui tenait la plume vivait au couventd'Argenteuil et écrivait sous la dictée d'Héloïse. On voit aussi dansle recueil de M.Delisle que ces hommages rendus aux trépassés.en vers pompeux et vides de sens, étaient vertement Marnés parde rigides censeurs, qui les dénonçaient comme un frivole pass<temps, disons mieux, comme une sorte de délire (1). C'était as-surément les juger avec beaucoup de sévérité. Quant à nous, cequi nous importe, en notre qualité d'historien, c'est le nouvel in-dice que de pareils essais, tout médiocres ou même tout détesta-bles qu'ils sont, nous offrent du degré de culture qui existait dansles couvents et de l'instruction que les jeunes filles de la bour-geoisie et de la plus haute noblesse y recevaient. Nous avons citéles noms de quelques femmes à qui des pièces de vers latins étaientadressées ou qui en avaient elles-mêmes composé; ce goût et Cftalent de la poésie latine n'étaient-ils pas un souvenir de l'édu-cation du cloître?'t

Enfin, parmi les occupations de la vie monastique, utiles auxlettres et pouvant en inspirer le goût aux religieuses et à leursélèves, on nous reprocherait de ne pas rappeler la copie et l'enlu-minure des manuscrits. Ce genre de travail, si recommandé auxmoines, n'était pas étranger aux couvents de femmes. Au monas-tère de Wessobrunn, en Bavière, la nonne Diemueth, qui vivaitau temps de Grégoire VII, consacrait à ce pieux exercice la plusgrande partie de ses journées. A sa mort, elle avait transcrit unnombre incalculable de volumes, parmi lesquels se trouvaient desmissels et autres livres d'église et plusieurs ouvrages de saint Gré-goire le Grand, de saint Augustin, de saint Jérôme, d'Origène, d<-Cassiodore, de Paschase Ratbert et de Lanfranc. Aussi, lorsquedans la suite une tombe lui fut élevée, l'infatigable copiste y fut

(t) /6M., pag. 192, ~~M;Mo<<!r<«m!<r6<sBa<Aott<eM<a

QoM furttis nenniBf QtH<lamatts carmen iMme?

<}uid nosbucctcropa sermonummote gravatte?QuM teritis tempus, ventosaque verba rotatis,tMnttis versas et ploratus pucrttes?

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A TRAVERS LE MOYEX AGE. M3

représentée une plume à la main (<). Le seul manuscrit de 1 ~<lits <~A'c~M~ que l'on connaisse fut exécuté vraisemblablement At abbaye de Mohenbourg, sous les yeux mêmes d'Herrade' on yadmirait des miniatures d'une merveilleuse délicatesse, qui fai-saient honneur &1 habileté et au goût des religieuses, compagnede l'auteur. Ce chef-d œuvre de

calligraphie et d'art était un desjoyaux de la bibliothèque de Strasbourg; il été consumé en1870, avec bien (l'autres richesses, dans l'incendie allumé par lesbombes prussiennes.

Résumons-nous la lecture, 1 écriture, le chant, le comput, leséléments de la grammaire et de la versification latine, l'art ducopiste, l'Ecriture sainte, les Pères et les écrivains

ecclésiastiquesce furent là, du axe au xn" siècle, les principaux objets d'étudesdans les monastères de femmes, et par conséquent les matièresprincipales de l'éducation qui s'y donnait. L'abbesse et les plussavantes parmi les religieuses instruisaient elles-mêmes leurs com-pagnes et les novices; on vit cependant des maîtres étrangersparaltre quelquefois dans les couvents. Cécile, par exemple, Miede Guillaume le Conquérant, est citée comme ayant reçu, étantreligieuse à la Trinité de Caen, des leçons de grammaire de

Mnoul Mauclerc, qui fut depuis patriarche de

Constantinople.< t aoûtles historiens vantent l'habileté comme dialecticien etcomme orateur (2).

L'usage et l'influence de l'éducationmonastique persistèrente"~ siècle, commeon peut s'en convaincre par de nombreux

exemples, Ainsi, quand de pauvres veuves de chevaliers morts enTer~unte venaient implorer saint Louis, accompagnées de

confesseur de la reineMarguerite, « aucune fois demandoit se aucune de ces filles savoitlettres, et il disoit qu'il la feroit recevoir a l'abbaye de Pontoise« »

complétait l'édncatio.de la jeune orpheline dont les premières années s'étaient passées

S ~.?~ P-

~~S~ <"<"n.db.n.gb A~t.~ a~r.rudis,regisAnglorumfi1iatnmonachamdindisciplinadocuerat,» (Cr,nta

Mf.tMde~~Mte.t.M~<tt~!pMMd<M:ueMt..(Cf.NM.freMf.

(3)<ec.eMdes~< t. XX,p. 95.

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~4 EXCt BMOX8HtSTOBtQUES ET PMMSOPHtQtES

sous le toit paternel. La sceur de saint Louis, Isabelle, fondatricede l'abbaye de Lonchamps, « entendoit moult bien le latin. » rap-porte la sœur Agnes, qui a écrit sa vie (t) « et si bien t'entendait.« que quant les chapelains ly avoient escrites les lettres qu'eue« faisoit faire en latin, et il ly aportoient, elle les amendoit quand« il y avoit un taux mot. H La bienheureuse Julienne, du Mont-

Cornillon, au diocèse de Liège, savait également le latin, et mêmeassez &fond pour avoir pu travailler avec le frère Jean à l'officedu Saint Sacrement. Lorsque le frère Jean avait i(cuei!li danst'Ecriture sainte les passades les mieux appropries au sujet, onraconte qu'il les soumettait à la sœur Julienne, qui écartait lesuns et retenait les autres (2). Citons un dernier nom, Margueritede huyn, prieure de la Chartreuse de Poletin, dont il nous reste.entre autres écrits, des méditations en latin qui témoignent d'unecertaine érudition théologique, et même de quelque talent d é-crire (3).

Cependant dès le xur* siècle, sinon dès le xu", il était facile d'a-

percevoir qu'un changement se préparait dans la manière dontles femmes avaient été jusque-ta élevées, et qu'un mode d'édu-cation différent résulterait des institutions, des usages et des goûtsnouveaux qui tendaient à prévaloir de jour en jour dans la so-ciété du moyen Age. On n'ignora pas que la fondation des uni-versités porta un coup funeste à la prospérité des monastères oùles lettres étaient enseignées; car elle eut pour effet de créer sur

plusieurs points de l'Europe, et principalement en France, descentres d'études très actifs, qui attirèrent la jeunesse de tous lea

pays au préjudice des anciennes écoles. Bientôt celles-ci furent

abandonnées, Ace point que les moines eux-mêmes désertèrent

(t) ~K~.M<.de la froHcc,t. XX,p. tôt.(2) ?<<< t. XtX. p. t4 et suit.

(3)MM.,t. XX,p. 305ft suiv.« Humblerecluse,dit M.VictorLeclere,enter-minant lanotieedeMargueritede Duyn,qui,dansan telstèeie,eetprhnaKenlatinavM plusdeeem'ettonetdenettetéqa angrandnombrede sescontemporains;qui,comme ecrhramfrançds,toutenlaissantvoirqu'ellehabitaitlefondd unepmvMMf.et aMMs écarterdesformesordmatresamxtdtomesdoNMt,trouvaitcependantde}àqne!qnea.nnsdesmouvementspropresàcettelanguequicommençaità devenirnotre!aatpte (raneaise;dontt instmcMoan'étaitpointcommune,pnhqa'eueeiieDaniel,

'« FMames,lesProwrbes,tes ÉMogHes.lesÉpttresde saintPant.saintFrantoi!.a uAssise,etqn'eMeaTaitcertainementparcourulesPèresoada moins prmcipMKe mystiqoes.»

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A TRAVERSLE MOYENAGE )SJ.

les classes de leur couvent pour se rendre à Paris ou &Oxfordet y compléter leur instruction. Les abbayes de femmes subirentle contre-coup de ces vicissitudes, qui paraissent, au premier coupd<fil, leur être Il peu près étrangères. Soit que le zèle des pre-miers jours se fut refroidi, soit que le mauvais exemple donné pari-les moines eut été contagieux, les études déclinèrent d'autantplus que la diffusion rapide de la langue vulgaire tendait à renou-veler les matières de 1 enseignement, même pour les jeunes fil-les. Xous pourrions, il est vrai, citer une abbesse du monastère deChateau-Cbalonj. Mahaut de Bourgogne, qui déclarait, à la datedu mois de juin i289, avoir vu et lu twAo t~AwM un di-plôme de l'empereur Frédéric H (<); d'où l'on serait en droitde conclure que les religieuses ne renoncèrent pas immédiate-ment ni absolument à la connaissance du latin. Mais il est cons-tant qu'elles en négligèrent l'étude; le latin tomba peu à peu eudésuétude parmi elles, et, a mesure qu'eues le délaissaient, ellesperdirent l'habitude et le talent de la versification dans cette lan-gue. Ainsi, ces ~OM~ <~ wo~ dont nous parlions plus haut,et qui étaient, jusqu'au xu" siècle, semés de pièces de vers, seréduisent, quand on avance dans le moyen âge, à quelques lignesd'une prose aride, qui semblent être la reproduction d'un for-mulaire. Comme l'intelligence de la langue latine commence Ase perdre, on compose, a l'usage des nonnes, quelques versions enlangue vulgaire des auteurs ecclésiastiques; on écrit pour elles enfrançais la vie des saints et de longs poèmes, comme les JU~'acA'<</elit r~ye, par Gautier de Coinsy. Vainement, en i2t2, le cha-pitre général de l'ordre de Saint-Dominique défend aux confes-seurs de traduire à leurs pénitentes aucun sermon, aucune homé-lie, aucune sorte d'ouvrages mystiques et ascétiques (2) la défensene concernait que les monastères de l'ordre, et, en supposant'm elle ait été respectée, elle atteste, puisqu'elle la combat, l'in-vasion de l'idiome national à l'intérieur des couvents de femmes.

Tandis que l'éducation du cloître se modifiait ainsi d'une ma-nière mseasible, sans jamais s'être altérée an point de répondrecomplètement aux profanes aspirations d'une partie de la société,e

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~M~. p. <M..3) M..h.n< y~. ~(, t. y, p. t. xvt, p. Mi.

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4M EXCMtSMXSHtSTOMQfESETPHtLOSOPHtQrtS

provençal, FMrw~M Co~w~M/M(<). ~u nord, il serait facilede dresser une liste nombreuse de nobles châtelaines et de prin-cesses de sang royal qui se distinguèrent par leurs goûts lit-téraires. On y verrait figurer la sœur de Philippe-Auguste, Marie,comtesse de Champagne, f~ui est nommée dans les chansons de

Quènes de Béthune, et snr la demande de laquelle Chrétien de

Troyes composa le roman de CAwyp//c (2~ la seconde femmede Philippe le Mardi, Marie de Brahant, la protectrice du poèteAdenez, qui lui dédia les ~~CM <f0yw~ et écrivit sous ses

yeux le roman de C/~OM! (3; une femme vraiment animée dusouffle de la poésie. Marie de France, l'auteur du pt~a~w <A'

WM/ P~~w~' et de lais fameux, qui, s'il faut en croire un con-

temporain (t), faisaient les délices des comtes, des barons, d<'schevaliers et surtout des dames; enfin, dans les dernières annéesdu xn" siècle et les premières du siècle suivant, une autre femmedu mérite le plus rare, supérieure à Marie de France par la va-

riété des aptitudes et par l'étendue des travaux, assez richementdouée pour avoir réuni dans sa personne l'inspiration du poètfa la gravité réfléchie du moraliste et à la ndélité de l'historiennous avons nommé Christine de Pisan.

Entre le cloître avec son inflexible austérité et ces femmes bril-

lantes, quelques-unes légères, toutes mêlées plus ou moins aux

pompes et aux plaisirs du siècle, qu'y avait-il de commun, la reli-

gion mise à part? Sauf quelques exceptions honorables, elles n'a-

vaient pas la solide et sérieuse instruction que le cloître donnaità celles qui l'avaient fréquenté; mais elles possédaient le sen-

timent des arts, une science aimable et une délicatesse de goûtdont ni le modèle ni la source n'était dans le cloître. Comment

leur esprit et leur cœur s'étaient-ils formés? Quelle avait été leur

éducation? Ce point est celui de tous peut-être qui présente le

plus d'obscurité, car c'est celui qui touche de plus près à la vi(

privée, non moins difficile à observer dans le palais des grands

(t)FMrtel,N<<f.fte la poésiepfeeeMfate,t. M.p. Met suiv. j~M.H«.de fa~fMee,t. XXt,p.M3etsuiv.

(3) D'Arbois de JnbataTiUe. J!fM<.<fe<comtes de CAaMpapHe, t. tV, p. MOet suit

(3) <K~. M<.<& la i~atMM, t. XX, p. G82et Mttv., p. ?Met Mthr.

(4~VoyezTristan.NeB«eMde ce~<t<est M~<'dMpo~mM<~aM~&<e<<tMM<«rMt'ubMéparFMnebqNeMteM,Londres,<))35,in'a",i. t,p. cxvta.

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A TRAVERSM MOYENA<;E. tm'

que dans la modeste habitation du roturier. Nous ne saurionsnous contenter des renseignements en petit nombre fournis parles historiens, qui ne descendent pas, en générai, à ces détaild'intérieur, négligés même des biographes; mais nous trouveronsd'utiles indications chez les poètes. Lacurne de Sainte-Palave ifait remarquer que nos vieux romanciers appliquaient presqu<toujours au temps dont ils faisaient l'histoire, vraie ou fabuleuseles usages des temps où ils vivaient. Nos auteurs de fabliauxpeuvent aussi être considérés, jusqu'à certain point, comme lespeintres des mœurs contemporaines. Nous sommes donc en droitde les inter~.ger, les uns comme les autres, sur l'éducation d<sfemmes de leur temps.

Dans une pièce de vers qui fait partie du recueil de M. Ray-nouard (2), un troubadour, Pierre Corbiac, décrit les connais-sances variées qu'il avait su acquérir par son travail, et qui com-posaient pour lui un trésor plus précieux, plus cher et de plus d<valeur que « fin or et argent. » Il avait d'abord été initié auxmystères de la création, a l'origine du péché, au bienfait de larédemption, en un mot, aux vérités de la foi contenues dansl'histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament. !1 avait étudiéensuite les sept arts libéraux, et notamment la rhétorique, c'est-à-dire l'art de colorer les paroles et d'y répandre de lagrément.Puis il avait appris à fond sa propre langue, la langue populaire,ne voulapt point faire de barbarisme, ni dans le choix des motsni dans la prononciation. !I n'avait négligé ni l'arithmétique, nila médecme, ni l'astronomie, ni même la nécromancie. Il savaitla musique, et il avait étudié, suivant la méthode de Boèce etJ~ d'Arezzo, le système des gammes et les règles des ac-cords. n jouait de plusieurs instruments, et possédait l'art decomposer des lais et des chansons à refrains avec leurs airs. Pourcompléter son éducation, Pierre Corbiac s'était livré Ala lecturedes romans. Les aventures de Brutus dans la Grande-Bretagne, savictoire sur les géants, et les prophéties de Merlin, ne lui étaientpasmoms familières que les hauts faits de Romulus et de César,de

Charlemagne et de Roland. Verséenfin dans la musique sacrée,

S S~lX~ t. XVU.t.. TM.H) Ct.p~ t. v. 3,0; N~. ?< t. XtX. p. M..) .h.

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EXCCRStOXSHtSTOMQtESETPmMSOPMtQCES490

il savait chanter au lutrin, en donner les versets et les répons.)tans la pièce que nous venons d'analyser, il s'agit de l'édu-

cation d'un troubadour, et non pas de celle d'une jeune fille; et

cependant cette pièce renferme plusieurs traits qui conviennenta ta jeune fille de haut lignage, élevée dans le manoir paternel.sous les yeux de sa mère, avec le concours de maîtres étrangers.

Comme le troubadour et le trouvère, comme la novice dansson ctoMre, comme tous les enfants nés en pays chrétien, ces en-tants des grandes familles étaient initiées avant tout aux véritésde la religion; elles apprenaient l'O~MOMdominicale, la S<t/K~-lion <H!y~w, le Symbole, et quelques faits principaux de l'An-cien et du Nouveau Testament. Quant à la partie profane de leur

éducation, elle avait compris anciennement, au xm" siècle elle

comprenait encore, au moins par exception, les éléments dulatin; mais elle avait certainement pour fond la langue vulgaire.

Notre savant confrère M. Guessard a publié deux grammairesprovençales qui remontent au xnr* siècle (i). Bien que les auteursde ces grammaires, Hugues Faidit et Raymond Vidai, paraissentles avoir destinées aux troubadours, les règles tracées dans cellede Hugues Faidit, qui est imitée de Donat, comme l'annonce h'titre même de l'ouvrage, JP<MM~P~'op~a~ sont cependant peucompliquées et n'offrent rien qui soit au-dessus de la portée de la

jeunesse.Un des correspondants de l'Académie, M. Thomas Wright, a,

de son côté, retrouvé et mis en lumière (2) un vocabulaire françaisque, sur la fin du xuf siècle, un chevalier anglais, Gautier de

Bituesworth, grammairien et poète très oublié de nos jours,composa en vers pour lady BiouyHa de Monchensi, du comté deKent. Ce curieux doctrinal, dans lequel les règles du langage sontmêlées Il des préceptes de conduite, offre cette particularité que

(t)CfamMa<fMprop«!fa~deJ~MMfM<Met dejBo~so~t~M de JhwotMfoH.2°ed!t..Pa)fb.tMe.tn-8<

(3)Wright. t~«me<'feoea6«<«WM,~ontthetentAMH<«~? ~e~eeM<A,t8&7.iM'4°.)'. tt9 etMt!v.{VtetorLpe!pfc,Discours«M*Mc< deslettra CMxtf<<M',édK.ia.S",1.1.p.440.Touttéeemment.M.PantMeyerapabMé(Neetteer<<~«e~<~e el de ~M<~o<NM',M'"complémentairesdp ta7o),d'âpre on mmoMHtdelaMM<othèqaeMartétcnne,un petit trattécomptMéen t8Mpar unAt)ght)a,pourM-~apf, selonlestermeadet amtem',àpMh'ret&écrireeofteetementadouxMm~«selonl'usageet contmaede France.M

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A TRAVERSU! MOYENAGE.

le mot anglais s'y trouve assez souvent sous le mot français. EnFrance, chose singulière! on ne découvre au XMt"siècle aucunlivre du même genre, mais de simples abécédaires, tels quecelui qui fut acheté 45 sous tournois le 30 mais Hi5 pour une

petite-nlle du duc d'Orléans, alors âgée de six ans (i); de sorte

que nous devons à l'Angleterre un de nos vocabulaires les plusanciennement connus, pour ainsi dire contemporain des vocabu-laires latins-français, de même que nous lui devons notre premièregrammaire savante, r~cAwcAfWM~c~/M /w~M<<wtfo~e~ ou-vrage composé par Jean Palsgrave un siècle et demi plus tard.

Cependant, malgré cette absence de traités didactiques, lorsquenotre langue non seulement était apprise par les dames étrangè-res, mais était préférée par Brunetto Latini à l'italien, comme la« parleurela dusdélitable et plus commune A toutes gens (2):pouvons-nous admettre qu'elle n'ait p~s, comme le provençalesinon comme le latin, fourni Anos ancêtre la matière de quel-ques préceptes et d'un enseignement tout au moins oral, tantpour les filles que pour les garçons?

Ce qu'il y a de certain, c'est que, dès le xm" siècle, certainesfamilles nobles des pays étrangers envoyaient leurs enfants enFrance pour y apprendre, disent les chroniqueurs, « le langagede France. » C'est le motif qui avait fait placer par leurs parentsà l'abbaye de Saint-Nicolas du Bois, sous le règne de saint Louis,trois malheureux enfants, originaires de Flandre, que le sire deCouci fit pendre pour un délit de chasse commis sur ses terres (3).

Outre la langue maternelle, les études des nobles damoiselles etd en petit nombre d'enfants de la haute bourgeoisie comprenaientquelques notions d'histoire, comme on peut le conjecturer d'aprèsd'anciens manuscrits publiés par M. Thomas Wright (&); maisleurs

principaux objets, c'étaient la récitation des fabliaux et desromans, le chant, l'art de s'accompagner sur les instruments le

!nX.~ ~p~~MaKMcW~ B~oM~MefM~n~. Parta, <aaK.¡n. toi, p. lot,

(9)t<?'fM.r«,t.t,p.ch.t.1.S X~~

XX,p. 398.~f~T~ a .««.X~M

<«'~ «'SS~

""M~. N~ M~t cJHed Lm thecrfgtMtm.nMseriptaby Thomas 'Wright. London, t87a, itt.8".

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EXCURSIONS HtSTORtOtES ET PHtLOSOPMïQUESt!'2

pius en vogue, comme la harpe et la viole; un peu d'astrologie,un peu de fauconnerie, la science des dés et des échecs, si fitmi-lière à la société féodale; enfin les connaissances médicales né-cessaires pour soigner, au retour d'un tournoi, d'une chasse oud'un combat, les chevaliers blessés.

Sur ce dernier point, nous nous contenterons de renvoyer auxtextes savamment rapprochés par M.de Roquefort dans une notede son recueil des ~.<w< .M~? ~w~e (i). Sur les autrespoints, nous ne manquons pas de témoignages aussi concordantsqu'on peut le désirer.

Et d'abord un document daté du mois de mars i597, et dontnous devons la communication à l'obligeante érudition de M.Léo-pold Delisle, peut donner une idée des livres qui composaient,sur la fin du xm" siècle, la bibliothèque d'une famille flamande,<-tqu'une mère, en mourant, laissait Ases enfants c'est le testa-ment de dame Maroie Payenne, bourgeoise de Tournai, dont l'ori-ginal existe Ala Bibliothèque nationale (2). Entre autres disposi-tions de dernière volonté, la testatrice déclare léguer « aJakemin, 9« son Ris, une décrétale en langue romane et son grand safir; à« Katerine, sa fille, le livre de Nostre-Dame et l'esmeraude; a« Hanekin, le psautier en roman et le livre des Estoiles; à Gonte-« let, le livre des Pères: à Biernart, le roman du C/ ~MC~e. » Voilà donc les ouvrages, les uns sacrés, les autres pro-fanes, tous en langue vulgaire, que dame Payenne avait possédés,et qui n'étaient pas sans prix pour elle ni pour ses héritiers, puis-qu'elle en faisait, en même temps que de ses bijoux, l'objet d'unedisposition particulière de son testament.

Écoutons maintenant le témoignage des romanciers et despoètes.

Dans un passage cité par M.Francisque Michel (3), l'auteur duCA<'M/Ky<MM c~~ dit, en parlant d'une jeune nlle

Et lisoitd'un romande TroieK'eteavoittantostcommenctë.

J' 1. p. 197et suiv.Voy.aussi Michel,Roman /«Violetteou <Mf<tMt(le~~M~af <?<~e~de~mtft-c~.Paris,t894.tn-B",p.tMetsuivantes.

(2)Colleet.deFlandre,voi.t83,piècecotéeyoMfMn~,8.(3)~oMNttde (« Violette,p. xut.

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ATRAVERSLEMOYEXAf:E. 49:<

Le prince Floire et son amie Mancenor, dans le roman quipot't~ leur nom (i), élevés tous deux sous le même toit,

Livreslisoientpaienors.Et quantà l'eseolevenotentLortablesd'yvotreprenoient,Ad'tMtleur veisstezeserireLetreset versd'alors.

Mansle conte de <y~ ~o~ ew~ ~os~ D~M<'elM<w.~le poète s'exprime en ces termes, touchant ce

personnage

Et fu courtoiseet avenant,Latin sostbienlire et roumant.

La prieure mise en scène par Chaucer, dans ses Co~M C'«~-/c~wy, avait appris le français & l'école de Stratford le Bow, unfrançais baritare, & la vérité, et qui n'était pas le français deParis

AndFrensehshcspakM fair andfetysly,Atturthe scoleof Stratibrdatte Bowe,For FrenschofParyswasto hir unknowe(2).

Combien de langues n'étaient pas familières à Mirabel, cetteprincesse sarrasine, qui joue un des rôles principaux dans leroman d'Aiol!

Ellesotbienparierde quatorzetatms,Ellesavoitparlerpt grigoiset hcrmtn,Ftamem'et bourguigonet tout le sarrasin,Poitevinet gascon,se Ii vientà plaisir(3),

Une autre princesse sarrasine, Meur d'Épine, la fille de Ma-citabré, dont les aventures sont racontées dans le poème de ÛM~-/)'<~ avait une instruction plus variée. Non seulement elle savait,

(t) Mo<f<!et B(ottee/!o<poèmeduxMt"siècle,publiéparM.Ëd.duMert).Paris,tSM.tnt8,p.t)ett9.COiTAeCaM~~tt~<a<e<t,theprologue,v. )24.CttéparM.t'fattciwttteMichel,le

~<éM de MMLouis,WestmtMter.t87t.tn~ pr~f.,p.tv.<9)NM.MM. ~aMee.t. XXU.p.aM.

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EXCURSICXSIMSTORtQUESET PHM.OSOPHtQUES494

dès l'tige de quatorze ans et demi, parler latin et entendre roman,joupraux dés et aux échecs, mais elle se connaissait mieux quefemme du monde au cours des étoiles et de la lune

Et du coursdesétoileset de la luneJnisantSavoitmouttplusque faméde chestsièclevivant(<).

C'est aussi le témoignage que l'auteur de la C~'o~Mc (~~MMC/Mrend à la femme de l'illustre connétable, dame Thié-phaine, « de hautes gens extraite et engendrée. »

Trente-trois ans avoit, ne fit point mariée,Maisc'estoit la plus sage et lu mieulxdoctrinéeQtd Rtstcng ou pais n'en toute la centrée.Du sens d'astronomie estoit bien escoléeEt de philosophieestoit sagecsprovëe (2).

Dans les ~Mp~w/M/M de j~o~ ce dernier semble attacher l'moins de prix pour son fils à ces hautes connaissances qu'auxtalents agréables, si utiles pour réussir dans le monde. « Fiz, »

dit-i!,

Fiz, se tu sez contes conter,Ou chansonsde geste chanter,Ke te !.)!ssepas trop proier.

L'abbé de la Rue s'est cru autorisé A conclure de ces vers quel'art de réciter des fabliaux et de chanter des chansons de gestefaisait alors partie de l'éducation, et que 1 habileté dans cet artétait, selon le langage du temps, une preuve de gentillesse et decourtoisie (3). A l'appui. de la même thèse, nous pouvons produireun autre texte plus complet, et d'autant plus précieux pour nousqu'il concerne spécialement l'éducation des femmes. Ainsi, dansle roman de et Z.«~ qui est un épisode du poème de ~MW-

(t) CaK/ chaasun de geste pttbti~ par MM.OuMMrdct ChabatUe.Pafte. t6M).)'t.<8.p.6S. ·

(2) C/«'o)t~t«. de ~f~aM~ ~« C«CMM)t,pubU~ par E. Chan-tëtc, Paris, tt):!)~<t).4- 1.1. p. M. v. 93:0.239! Cf. <M., 1.1. p. tM. t. M,p. <6«.

(3) ~Mt<<t/<<<t<oW~Mc<<<«' les 6a~M. ~oMp<e«Mee tes <f<M«~'MMon«aM~''«tMp/o.MofHMtt~ Caen, <8~. tn.8\ t. ï, p. Mo.Cf. M«.,t. XXIII, p. 230.

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ATRAVERSLEMOYE~tAGE. 4M

dons, le poète Robert de Blois décnt en ces termes les talent queLiriope possédait (i)

Faucon, tercieul et esprivierSout bien porter et afnitier;Mou!tsot d'acbas, moult sut de tables,Lire romans et conter fables,Chanter chansons, envoiséures;'foutes les bonnes apresuresQue gentil fame savoir doitSont elle, que riens n*if:)UfMt.

Dans une autre partie du poème de ~c~«~«<M,qui forme unepièce séparée, sous le titre de C~<M~<w!<?/~des f~M~ (2), Robertde Blois s'est gardé d'oublier le chant parmi ses préceptes

Se vousavezbonestrumeutDechanter,chantezhautement.Biauschantersen leu et en tansEstunechosemoultp!esant.

Aussi Tristan, « ki bien saveit harper, u dit )Iarie de France,avait-il appris cet art a tseult

Bonslais de harpevusapris,LaMbrctunsde vostrepais.

Et dans le ~OMM~cle /f< FMA?~ le poète fait défiler devantnous les dames et les damoiselles qui sont les hôtes du roi, chacunea son tour chantant, après le festin, une chanson amoureuse, œu-vre de quelque trouvère (3).

Pour revenir des fictions du roman aux réalités de l'histoire, onn'tgnorc pas combien la musique était en honneur, sous les pre-miers ValoM,auprès des princes et des princesses. Dans son remar-quable ÛMcoM<-$.««' /'<~ «/<; M xtv'' ~c/c (t), notre savantconfrère, M. Renan, rappelle que le premier dauphin, fils d<-

(U M«.,t. xXtU.p. 748.(a)Mat-baMttet MAon,~'«MKtM~et Contesdes~««M~MfOM.(< i'aW~tMX,t~('. )Mt(3)Ï'«M< ct< p. tooet nO!~~M ~)/<!<-? ~'o<tec,t. t, t'. ;i))tt.ff. Ao.

M(tKde~t Wo<<'«(',p. )?.(4)Mt.tn.8".t.u.p.Ma.

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EXCURStOXS MtSTOMQtJES ET P!UMSOPB!QUES

Charles VI, jouait de la harpe et de l'épinette; qu'Isabeau de Ba-vière et Valentine de Milanjouaient de la harpe. Leurs comptes,en effet, mentionnent assez fréquemment soit l'achat de cordes,soit des payements aux faiseurs de harpes pour avoir appareilléet mis à point leurs instruments.

En continuant à compulser les documents contemporains, nousne doutons pas qu'on ne découvre d'autres témoignages qui con-urmeraient ceux que nous venons de citer. Il nous parait dé-montré par la que, dans l'éducation des jeunes filles, de noble ex-traction le plus souvent, qui n'étaient pas envoyées au cloître etque leurs parents faisaient élever sous leurs yeux, la littératurefrançaise et quelques arts d'agrément occupaient une grandeplace. De même que nous mettons entre les mains de nos enfantsHomère et Sophocle, Virgile et Horace, Corneille et Racine, Féne-lon et Bossuet, les œuvres qui honorent le plus les lettres et quenous jugeons les plus propres à former l'esprit et le cœur de lajeunesse; de même, au xm" et au xtv" siècle, on laissait lireaux jeunes filles les romans du cycle de Charlemagne et ceux ducycle d'Arthur ou du cycle d'Alexandre, d'abord parce que cesvastes épopées étaient les seuls poèmes qu'on possédât, et en se-cond lieu parce qu'elles paraissaient être les chefs-d'œuvre del'art, et cela avec d'autant plus de vraisemblance qu'elles étaientdès lors adoptées, admirées et imitées dans toute l'Europe.

Que beaucoup de mères prudentes et pieuses préférassent,comme sujet de lecture pour leurs filles, les Vies des Saints et laLégende <~<M'~dont il existait des traductions, nous n'y contre-disons pas. Nousaccordons qu'il s'est trouvé, au xtv" et au xv" siè-cle, plus d'une femme, plus d'une mère. telle que le panégyriste-du CAeea/~ .MMMreproche nous dépeint, un siècle plus tard, lapremière femme du seigneur de la Trémouille, Gabrielle de Bour-bon, qui <tse délectoit sur toutes choses à ouyr parler de la saincte« Escriture, sans trop s'enquérir des secrets de théologie, » et« emploioit une partie des jours à composer petitz traictez à l'hon-'<neur de Dieu et à l'instruction de ses damoiselles (i). »

Cependant on ne saurait méconnaître que l'éducation des fem-

(i) JeanBouchât, P<MM~Wcd« e~M~r sons reproche, dt. xx, dans ta eoNecthmMtchaadet Poojoaht, i" série, t. IV, p. 443.

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A TMAVEB8 m MOYEN AGE. 4W

EMCMMtM HMMM~CM. 3~

mes est, en général, appropriée à leur condition et au genre devie qu'elles seront appelées à mener dans la suite. Or, au moyenAge, à la cour du roi et dans les châteaux de la noblesse, lesromans et les fabliaux fournissaient une matière inépuisable dedivertissements très goAtés. Devant un cercle attentif, le jongleurrécitait tantôt quelques fragments détachés d'un grand poème,tantôt des fables et des lais, ou des chansons d'amour. Quelque-fois, comme on le voit dans le roman de la t~A-M~ de nobles da-mes remplissaient elles-mêmes l'office de jongleur. Puis, quandla récitation et le chant avaient cessé, les vers du poète, le caractèreet les aventures des personnages mis en scène étaient un sujetd'entretien; c'est Marie de France elle-même qui nous t'apprend

Et quant Metht ut feni,Li chevalier après partèreMt;Tjesaventures racontèfeot

Que soventes fois sont venupsEt par Bretaignesont vëues (t).

Comment les jeunes filles destinées à prendre part un jour àces passe-temps littéraires n'auraient-elles pas été initiées d'assezbonne heure à la connaissance de cette littérature si goûtée, deces œuvres poétiques et romanesques, qui volaient alors de boucheen bouche et qui charmaient le peuple comme les grands?

Aussi n'apprenons-nous pas que Froissart ait éprouvé aucunétonnement lorsqu'il trouva entre les mains d'une jeune fille dela cour le roman de C/MMM~. Loin de la blâmer, il aima mieuxcontinuer avec elle une lecture qui les intéressait tous deux; ilosa même,c'est lui qui nouale raconte, envoyer à la jeunelectrice,devenue son amie, un autre roman, le B<K~M</ <MMOM',non sansglisser pour elle dans le manuscrit une ballade qui n'était pasmoins qu'une véritable déclaration des plus tendres sentiments (2).

Nous n'aurions pas l'exemple de Froissart pour en témoigner,il est manifeste qu'une éducation qui admettait la lecture, l'étude

(t) PoésiesdeMarie~~< t. p. SM.C~~<tMMdela Violette,p. 6. t5a,307~80S,etc.~LaMTMdeMnte.Maye,AMM.(Msur la vie ~~MM<,dansles~ttm~'ter~Md.dM<tM<f(~<eM,me. e.M..t. IX,p. M7;f~~ J. ~.<~r~ pubU~

parJ. A.BadMa.Pads, taM,tn~ p. 2M.

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4M EXCM<SMN!SHtSTOtUQ~ESET PMtLOSOPHtQOES

même des trouvères, ces inventeurs si audacieux pour te fondde la pensée et si peu chastes dans l'expression, n onrait rien derassurant pour les bonnes moeurs. Elle ne contribuait pas A lesfaire fleurir dans les familles; elle ne prévenait ni ne reprimaitl'euervescence des passions; loin de ta, elle exposait, elle poussaitles imaginations aussi bien que les cœurs à de funestes égare-ments.

Je crois qu on peut attribuer en partie il l'influence des fabliauxet des romans, quels qu'ils soient, romans d'aventures, romans

allégoriques et même chansons de geste, les idées qu'une fractionde la société du moyen âge s était formées de 1 amour hors du

mariage, idées qui, sous des noms spécieux, cachaient de si gra-ves erreurs de doctrine et autorisaient de si honteux scandales.Aussile chancelier de Gerson a-t-il écrit un traité en règle contrele F?<MM~ lu /hM<*(<), que, dans une sorte d'allégorie morale,il fait dénoncer par la justice aux magistrats dépositaires de l'au-

torité, comme un livre de perdition qui prêche Ala jeunessel'amour du plaisir, la dégoûte du mariage, excite les plus mau-vaises passions, sape tous les fondements de la morale chrétienne.

L'auteur du .S<~</<?<~Mt<c<M'<'wt ne fait point appel au brasséculier contre le danger social des mauvaises lectures, mais,s'adressant au jeune roi Charles Vt « Tu te dois, dit-il t1ce prince,« délecter en lire ou oyr les anciennes histoires pour ton enseigne-« ment. Tu te dois garder des livres et des romans qui sont« remplis de bourdes, et qui attraient le lisant souvent à impossi-« bilité, &folie, vanité et pechié (2). »

Enfin, dans son livre de 1 ~</««f/«~ A</PMMMCfA~Mw

(De ~<~M//MM?/~M~ c~'M~M ) (3), Louis Vives n'hésite pas Acondamner aussi la lecture des romans comme funeste à la vertudes femmes. Autant il insiste pour que les jeunes filles reçoiventune solide instruction, qui n a jamais, suivant lui, perverti aucuneâme et qui en a sauvé plusieurs de la contagion du vice (4), au-

(t) CentraNMMM~M«e BMM,Opp.AtttwrpHp.17o6,io-M.,t. tM,cet.297fteatv.

PassagecitéparM.LeClerc.Discours~r f<~ des lettres,etc.,1.1. p. 245.(3) tttA t<c~opera,VatenttœMftanmrum,l?83,ia.M., t. tV,p. 66et sniv.(t)~M.p. 79 KNaMamferetave<t!eMtMdoctamimpadicam,immotem pteraqNt'

« omtdafeminarmtM)j)Met sopefiontmsecMtoromvitia. extnscMiasontpM&eta.n

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A TRAVERSM MOYE?!AME. ma

tant il désapprouve qu'elles perdent leur temps et qu'elles se dé-

pravent l'imagination en lisant les ~fe~M~s~wo~ de ~'M~wet de L<Mcp~ Lac, et autres ouvrages d'écrivains dénués desens, dit-il, et ayant vécu dans l'oisiveté ou dans le libertinage ( i ).

On peut conclure de la protestation de Jean de Gerson et decelle de Vivèsque la vogue de nos vieux romanciers ne cessa pointde tout le moyen âge et qu'elle persistait encore au xvi° siècle.Elle se prolongea en euet jusqu a Michel Cervantes, qui lui portale coup mortel en France comme en Espagne.

Maisla société du moyen âge, quel que fût alors 1 empire deta religion, parait avoir été. en fait d'éducation, moins sévère qued'autres époques plus sceptiques. Elle n'avait pas au même degréque nous le respect de l'enfance, ni l'appréhension de troubler sasérénité et sa pudeur par des récits équivoques et par des tableauxlicencieux, tt faut entendre les invectives généreuses du chance-lier Gerson contre l'inexprimable incurie des parents qui exposentaux regards de leurs enfants des peintures obscènes, qui fontentendre à leurs oreilles des chants lascif (2). Ce qui démontre,à nos yeux, que Gerson n'exagérait pas le mal, c'est un ouvragequi a eu quelque renom, le Z~f~ f/M c~cK~~ t~p/« yoM~ que(.eonroy, seigneur de la Tour-Landrv, écrivit en 1371 et en 1~72

pour l'éducation do sestroisnttes(3). L auteur, au début, annoncete projet de décrire « les bonnes mœurs et bons faits des bonnes« dames, afin que toutes dames et demoiselles y puissent prendre« bon exemple et belle contenance et bonne manière. »Mais,pourmieux leur enseigner ù se garder du mal, le chevalier de la Tourdécrit également « la mcscbanceté d'aucunes femmes mauvaises

(t)~.t. nox<~).,p.)?:" Mirertoniatos~rM hocsuistiMabMa~nnUtefe.ut ne-<'qaiUœfMttimeaMttMcanttegendo.»fag.87 a Tutuetd<'ffsHferislibris,tujusmodtsMt ta H:panhAmadMas,S~mdianu~,Ftertsandus,etc.; in CaMia.Lan~Musa)Laett,Pariset Vtetma,Ponthus<'tSidonia.PetnMpmvttteiaHs<-tMaguetetta.Mehtsiaa,etc. quosemnesMbrosconsetipserMnthmninMotM. m<te~~t!.

«imperiti,vitHsaespaMMitedediti. FemiNa:ht cMn<'aMbrinon<secw<pMmtt~-M«tel eo!pinaavetsandtmnt. »

(a)~<<<'eMtMcorn<p(<oaeM~Mpea<M~aFer<a<c<pa<imagines.Opp.t. !M,to!.992.(3)te ~foMdit c&eta«e<-de la roM<~a<K~pour fe'MC~')<!M<«<desM~Meo.

faMiéparM.AoatotedeMbatai~oa.Paris,t8M,in.M.Sur carieMXouvrase.vo)ezt~tMd d'Am~,No«eesetM~t~ des<!MtHM<?~<,t. V,p. tMetsuiv.,maissurtoutPa<d!aParb,ka ~aatMcf~~M~ dela ~tMMM~Me<<Mroi, t. V,p. 73et sM:v.;V.LeClerc,C~eo«MMf f~a<des lettres,1.1.p. M.

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EXCMtSKMMH)8TORtQ<JE8BT PHM.OSOPMQt'ES5(M

« qui malosèrent et eurent blasme. Aussi, dans le cours de l'ou-

vrage, combien d'anecdotes et de tableaux qui bravent 1 honnê-teté et que nous rougirions de lai&ser lire &nos enfants, depuisl'historiette, renouvelée d'un fabliau, où la vertu d'un ermiteest gravement exposée par la dame même qui lui avait donné

l'hospitalité, jusqu'aux confidences peu morales des trois damoi-seMesqui jouent inutilement à la courte paille le trop volage Bou-

cicant! Qu'une certaine grâce na!ve règne dans ces récits, et qu'a-près avoir diverti les dames de la cour de Charles VI, ils ne soient

pas sans charme même pour nous, je t'accorde mais, sous la

plume d'un père s'adressant à ses filles avec l'intention de les

instruire, quelle idée un pareil ouvrage ne donne-t-il pas du re-

lâchement qui s'était introduit dans l'éducation des femmes

nobles!1

Devant la dépravation précoce qui s'insinuait par la lecture et

par 1 étudedans les âmes les mieux douées, on comprend que des

esprits scrupuleux se soient demandé s il était bon que les fem-mes reçussent quelque instruction littéraire. Chez les anciens, Plu-

tarque, entre autres, s'était posé la même question, et, dans un

traité que nous ne possédons plus, mais dont le titre nous a étéconservé par Stobée (t), il s'était prononcé pour l'affirmative.

C'est la solution exactement contraire qui fat adoptée par un

jurisconsulte du xm" siècle, Philippe de Navarre, dans son

ouvrage intitulé ~< ~M/~ /~M~< fAe~MMp.« Toutes fames,« dit-il ~2),doivent savoir filer et coudre; car la pauvre en aura« mestiet et la riche conoistra mieux Fovre des autres. A fame M'« doit-on apprendre letres ne escrire, se ce n'est especiaumeni« pour estre nonain car par lire et escrire de fame sont maint« mal avenu; car tiex li osera baillier ou envoier letres ou faire« jeter devant li, qui seront de folie ou de prière en chançon.<!ou <;n rime, ou en conte, qu il n'oseroit dire ne proier de« bouche, ne par message mander; et si n'eust ete nul talant de

(t) 'On Mtti~wtMt<mt6t«t<M.(Vey. Fab~das. ~<6~.er.ce., e<t.Harles, t. V, p. M7.)(9) PasM~ cité pat M. Beagoet. dans la notire sur la vie et les écrits de Philipped<'

Navarre. IHM~A~M <? ~co~e des cAaWM, f série, t. Il, p. 1 et miv. Dans temaa<Mer!ttrat~a la MMiothêqaonationale, 2<43t, f* tM v, !en~me passatieMHt avec des variantes dont M)t devons h eommaaicathm &M. FraaehqM Mehet.Nous en avons mis qMtqaM.MOM&ptoKt.

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A TRAVERSLE MOITE!!AGE. j,~

« mal faire, li deables est si sentis et extendans à faire péchier,que tost la metroit en corage que eles lise les letres et H face

« respons. H

François de Barberino soutient le même avis dans son curieuxlivre ~p/ ~y~M/o <& c~<MH/ < ~~c, écrit au com-mencement du x~ siècle (t). Savoir coudre, filer, faire desbourses, travailler, en un mot, des mains, c'est là, selon Barberinocomme selon Philippe de Navarre, la science qui convient propre-ment aux jeunes filles, celle qui par la suite, quand elles serontmariées, leur sera le plus utile, non seulement pour occuper leursloisirs, mais, en cas de revers de fortune, pour sustenter leur exis-tence. Est-il bon qu'elles soient instruites et même qu elles sachentlire et écrire? Le sévère moraliste avoue que les avis sont par-tagés, et qu'en se prononçant pour l'ignorance il étonnera etscandalisera de bons esprits; mais les danger de 1 instruction lefrappent encore plus que les avantages qu'elle peut avoir pourles femmes.tes connaissances qu'une femme possède, fussent-ellesbornées à la lecture et à l'écriture, Barberino appréhende qu iln'en résulte pour elle des occasions et des tentations de pécher.

Je ne prétends pas, dit-il, qu'on puisse garder une femme quine veut pas se garder elle-même; mais je pense que l'hommepeut enlever à celle qui a un mauvais nature} les occasions de

« mal faire, et écarter de l'âme de celle qui est bonne tout cequi pourrait altérer sa pureté. Le meilleur parti, selon moi,<<est de faire apprendre aux filles toute autre chose qu'à lire et à« écrire. Barberino excepte le 'as où il s'agit d'une jeune fillequi se destine à la vie religieuse. il permet qu'on lui enseigne alire, afin qu'elle soit en état de remplir les devoirs imposés par larègle du couvent: « Et toutefois, ajoute-t-il, n'était ce dernier« motif, je louerais les parents de la laisser sans instruction. «

Nous itérions à l'opinion de Barberino quelque chose de sa si-gnification vraie, si nous n'ajoutions qu'il est bien plus expliciteà égard des filles du peuple et de la bourgeoisie qu'A l'égard desfilles nobles. Il conserve encore quelques doutes sur la maniè:ed'élever celles-ci; mais il n'en a aucun sur le mode d'éducation

J')! "°~ ouvrage,M~ rare en France,et sur !a.t<ttr, ..a~~L~ Revue/)-<Mf.~Mat1838,p. )t9 etNthr.

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EXCtJMStOSSHtSTOMQUESETPMtLOSOHMQUES~9

qui convient à celles-là il ne veut entendre parler pour ellesd'aucune instruction, même la plus élémentaire il les confinedans les soins du ménage, dans le travail des mains, et, pour h'reste, dans l'ignorance.

Heureusement pour les femmes et pour le propres de leur édu-cation, le sentiment de François Barberino trouvait, comme il s'yétait attendu, moins de partisans que de contradicteurs. Sansparler de Vincent de Beauvais.qui engage les familles nobles Adonner de l'instruction à leurs filles, Christine de Pisan, aussijalouse de l'honneur de son sexe que passionnée pour !a science,a consacré un chapitre de sa C~ ~<r dames à réfuter « ceux qui

dicntqu il n'est pas bon que des femmes apprennent lettres (i). »« Je me merveille trop fort, dit-elle, de l'opinion de aucunshommes, qu'ilz ne vouidroient point que leurs filles, femmes ou

« parents, aprenissent science, et que leurs mœurs en empire-« roient. Par ce peuz tu bien veoir que toutes opinions d'hommes« ne sont pas fondées sur raison et que ceulx ont tort; car il ne<doit mye être présumé que de sçavoir les sciences morales, et« qui apprennent vertu, les moeurs doyent empirer, ains n'est point« de doubte que ils anoblissent. Comme doncques est-il à penser« que bonnes leçons et doctrine les peust empirer? Cette chose« n'est pas à soustenir. Je ne dis mye que bon fust qu'aucune

femme estudiast es sciences de sorts et defendues; car pour<' néant ne les a pas l'Église ostées du commun usaige; mais que

les femmesempirent de sçavoir du bien n'est pas à croire. N'es-« toit pas de celle opinion Quintus Ortencius qui fut à Rome« grand rhétoricien et souverain orateur. Cellui ot une fille« nommée Ortence, qu'il aima pour la subtilité de son engin, et« la fit étudier en ladite science de rhétorique. Pareillement, à« parler de plus nouveau temps, sans quérir les anciennes ystoires,«Jehan Andry (2), solennel canoniste à Bouloigne, n'a pas Lx« ans, n'estoit pas d'opinion que mal fust que femmes fussent« lettrées, quant Asa bonne et belle fille qu'il amatant, nommée« Novelle, &st apprendre lettres, et si avant, que quant il estoit« occupé d'aucune besoigne, par quoy il ne povoit vaquer et

«) Uv. IV, fh. xxxvt. Bibl. nationale, MM.ffan~. ao7,BOSet eoo.a) tt s'agtt, dans te pMsage,de Jean André, JartsconsoMe,mort à Bologne en 1348.

(Voy.Fabrielus, J! med. et ~/1 ~MM.~1.1, p. 9t. d t. tV,p. 49.)

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ATRAVERSLEMOYENARE &M

lire à ses escoliers, H y envoyoit Novelle, sa fille, lire en sa« chaire. Et, atin que la beauté d'elle n'empesehast pas la pensée'< desescoutans, elle a voit une petite courtine devant son visaige.< Et par cette manière elle aucunes {bis allégeoit les occupations« de son père, lequel t'ama tant. que pour mettre le nom d'elle

en mémoire, nst une table en sa lecture de décrets qu'il nommade sa <ilte la ~Vcf<< M

Ainsi s'exprimait Christine de t'isan avec nne noble confiancedans le pouvoir moral des arts libéraux. Elle prouvait elle-même,

par son exemple, que la pins solide instruction peut s'allier cheztes femmes aux plus nobles vertus: mais. au milieu des désordresde la cour de Charles Vt, elle.était une bien rare exception, a.ttant

par ta régularité de sa conduite que par son brillant savoir: et,

quoique zèle qu'elle montre dans ses écrits pour la défense de son

sexe, il n'ourait pas alors, surtout dans les iamiUes féodales,

tteaucoup de modèles dignes d'être suivis. L'amour des lettres etcelui des arts, ta passion des tteaux manuscrits et des sptendidesreliures, ce sont là, n'en déplaise a Christine de Pisan, les meil-

teures qualités des grandes damesdu XtV"et du xv° siècle. Soustes découvrons chez Jeanne de Valois, s'eur de Philippe Yt: cttexBonne de LMxendMur~, première femme de Jean le Bon; chezisattcau de Bavière chez Valentine de Mitan, duchesse d'Orléans;chez Marie de Clèves, sa bru chez Charlotte de Savoie, la secondefemme de Louis XI (1). Tel était le fruit précieux des leçons queces femmes de noble race avaient reçues dans leur jeunesse mais.chez plusieurs de leurs contemporaines, les qualités de l'espritavaient été mieux cultivées que celles ductBur; te goût des artslibéraux était plus développé quête sentiment du devoir; leur

éducation, à beaucoup d'égards, avait été frivole, et cette frivolitéest une des causes qui ont dû contribuer a la corruption desmœurs de la noblesse française.

Que devenait cependant l'éducation des femmes dit reste de la

nation, c'est-à-dire de l'immense majorité du pays? Ceserait une

(t)LesavantoMvraaede notre<'<Mtff<'ffM.L<'opotdBfMstpsurteCoMttef~MMMMtM-<'<-<?de la MM~A~ftMimpériale,Paris.tMX,!n.4<1.1. fournitde nombreuxtenmigaaeMdu soinVMimenihonorabh*<t)t<*la ~tafartd'*cesgrandMdatnesduïV st~-temettaientà seprocurerdebeauxmanuscritset debellesreMures.(Voypt!notammentp.14,ta,30.9t et au~ Mt. 119,taa,et<}

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S(H EXCUBStOXSHISTORIQUESETPHtMSOPmQt-ES

égale erreur de croire qu'elle fut entièrement négligée, ou qu'ellefut l'objet de soins particuliers, suivis et féconds.

Parmi les jeunes filles, les unes, pour la plupart de familles

bourgeoises, étaient envoyées au couvent; les autres demeuraientavec leurs parents, et, quand ceux-ci étaient des artisans ou des

laboureurs, elles étaient grossièrement élevées. Elles apprenaient,dès leurs plus tendres années, ainsi que l'avait ordonné, en t2t6,le concile de Béziers, le l\4t~3fa~w, le CMo, mais rienou très peu de chose au delà, si ce n'est Afiler et a coudre, et,dans les campagnes, à manier la charrue, à sarcler l'avoine et leblé. Telle fut, pour citer un exemple illustre, la première et laseule éducation que reçut Jeanne d'Arc, qui ne savait, disait-elle,ni ni A.

Il ne faut pas croire que, dans les rangs de la bourgeoisie,même la plus haute, il n'y eut pas de femmes tout aussi peu let-trées que le fut la Pucelle; car la femme de Guillaume de Saint-Germain, procureur du roi au parlement de Paris de i365A i383, Denisette Mignon, ne savait elle-même ni lire ni écrire (i).

Cependant il ne manquait pas alors, dans les campagnes nidans les villes, d'écoles élémentaires pour les deux sexes.

A partir du xte siècle, on apercoit dans la plupart des pro-vinces la trace authentique de petites écoles, dont quelques-unesdevaient, à notre avis, remonter jusqu'à Charlemagne. Le plusgrand nombre étaient destinées aux garçons; mais sous le rè-gne de Philippe le Bel il en existait aussi pour les filles, et ellesse multiplièrent alors sensiblement. Dans le rôle de la taille deParis en < 292,on ne voit figurer qu'une seule maîtresse, dameTyfaine, qui résidait rue aux Ours, près la rue Saint-Denis (2~:en 1380, on en trouve vingt et une, répandues dans les différents

quartiers de Paris et formant une communauté (3).A Paris, les maîtresses étaient, comme les maitres d'école,

soumises à l'autorité du chantre de Notre-Dame. Avant d'entreren exercice, elles promettaient de lui obéir et d'observer fidèle-ment les statuts de la corporation. Ce serment prêté, elles rece-

~)Le~Kag<cfde PoWs,traité de moraleetd'économie<<om<M«Me,etc.Par!<<M7.t)t~.t.n.p.tM.

('!)ParMMMsPhilippele Bel,parH.G~nmd.Parla,1837,tn. u.M.t3)MiMen,Wt~.de ~<M-«,t.Mt.p. 449.

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A TBAVEM8LE MOYENAGE. 5W.

valent du chantre, pour un temps limité, en général pour une

année, qui expirait soit au 6 mai, jour auquel tous les maîtreset maKresses de Paris se réunissaient sous la présidence du chan-

tre, soit au 2~ juin, à la Saint-Jean, la permission de tenir école,

d'y façonner les jeunes filles aux bonnes mœurs et de leur en-

seigner l'abécédaire; car c'est là l'unique sens raisonnable quenous puissions donner à ces mots //<w!/MM ~c< /)w//<M M/À ~WM~M~t~~ qui se retrouvent dans la formule duserment et dans les diplômes parvenus jusqu'à nous fi), Ils ne

désignent certainement pas la grammaire prise dans tonte son

étendue, mais ses parties les plus élémentaires, c'est-à-dire laconnaissance des lettres et la manière dont elles s'assemblent,ennn ce qu'il faut savoir pour être en état de lire couramment.

Uue les enfants qui suivaient l'école aient appris à compter enmême temps qu'à lire, c'est ce qui semble résulter d'un passage du

.V~M< (~ Paris, dans lequel nous voyons plusieurs bourgeoiss'amuser entre eux à faire l'épreuve du savoir de leurs femmes<*nfait de calcul. « Emprcu, Il dit Tassin à dame Tassine. Celle-ci,

par orgueil, répond « Je ne suis mie enfant pour apprendre àIl

compter (2). »

Le règlement scolaire le plus ancien que nous possédions estde i357 (3). Il renferme une disposition remarquable dont on

\t) Voie:ux de ces diplômes que nons croyons inédit nous t'emprmtOtMaux <u.thives de t'Université de Paris. longtemps déposée!!att ministère de t'tnstmction pu-blique <-taujourd'hui à la Sorbonne, fartoo ter. liasse 3". a" 7 aArturus de Vattdt'tar,« cantor et eanonicasEcfteste Parieiensis. ad romanam Ecctesiamnotto medio pt-rti.

nentis, ditefte nostre Perrette la ConppetMiroMtatem in Domino. Cum ad nos<'ratione dicte caatorie aoatte spectet seoiiarum Parisins et banteace, tam de jun-

quam de oau. paeiaeaet approbata consnetodine. collatio et regimen hinc est quoda nos de vestris satMentia et ydondtate in DominoeontMentes.rendis ticoitaPa-rMns in paMehiaSancti Germant Antissiodorensis, docendiqueet instmendi pMeita"in bonis moribns. lltteris grammaticatibas ac alits ticiUs et hoaesti«. recepto tamen

« prias a vobisJuramento in tatibmsprestari Miito. de gratia speeMi. Mtentiamvobisimpertim<tspMMentibMmqae ad nostram proximam synodnmtantunuuodo vaiitu-

'<rh. Oatum sub sigiUonostro, anno Dotnini M"<:ccc"oetnageitimoquarto, <)iesextt)<'tnensia maii. B

(2) Le JM~tM~terde PoW~ 1.1. p. t<o.(3)Fêllbien, Nio. de Perm, t. DI, p. 417, a publié le texte de ces l'ègl..tlll'uts d'I,rèK(3) FéUMea,m<<. faWt, t. Ut. p. <i7. a pnbUéte textede tea ~tehx'Mt~d'après

te Mcneitdes ~o<<t~ « <!e~Me<M<tMpe«<e< Me~es, imprimé &Paris en t~2.t wLin.tx. Voyezaamt le solide et précieux travau. malheureusement inachevé d..U. Philibert Pompée. B~~rt ;tb<o<t<e <Mf écoles Br<mc<fMde ville ~e~«Wo.Paris, t" partie. i889.t ta~ p. tM Miv.

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M<i EXCURStOKSHtSTOMQCESET PMLOSOPHtQUES

rencontre déjà quelque trace dès le <x~siècle c'est la défenseabsolue qui est imposée aux maîtres de recevoir les filles avec lesgarçons dans leur école, et aux mattresses de recevoir les garçons8avec tes filles. Une pareille défense a-t-elle existé chez les nationsétrangères? Nous n'oserions l'affirmer; car nous apprenons, parle témoignage d'tm chroniqueur, qu'un maître irlandais réu-nissait dans son école de jeunes filles avec de jeunes garçonsles clercs avec les laïques, qu'il ionsurait même tous ses élèvessans distinction de sexe ce qui eut pour résultat de le faire ex-pulser d'Irlande (i). Quoi qu'il en soit, la prohibition dont ils agit fut renouvelée à différentes reprises; jamais, sous l'an-cienne monarchie, elle n~ fut levée, et, au xvn" siècle, noustrouvons la séparation des sexes dans les écoles consacrée toutAla fois par les vieux statuts, par les ordonnances épiscopales etparles arrêts les plus récents du parlement (3).

Mne serait pas sans intérêt de savoir comment se recrutaientles maîtresses, ne fut-ce que pour mieux apprécier quel était leurdegré d'instruction, et jusqu'oit elles pouvaieut conduire leursélèves. Nous ne possédons aucun renseignement à cet égard;mais, sous Louis XIV, dans une réponse au livre de Claude Jolysur les écoles ecclésiastiques, parmi les reproches que l'auteuranonyme. soit Edme Pourchot, soit Jacques de l'CEuvre, adresseau chantre de Notre-Dame, nous voyons figurer celui d'avoir ac-cordé fréquemment l'autorisation de tenir école, non pas ù desmaîtres es arts, mais A des sergents, à des fripiers, à des maçons,à des joueurs de marionnettes, à des personnes de toute profes-sion (3). Il faut bien que Claude Joly ne se soit pas montré difficilesur les garanties d'aptitude à exiger des maltres et des maltressesd'école, pour qu'un pareil reproche ait pu lui être publiquementadressé; mais ce reproche même nous met sur la trace d'un faitqm a du se reproduire au moyen Age bien plus fréquemmentqu'au vnx* siècle c'est que les personnes pourvues de quelque

(t)W<w«M-«t~~a<~ H~MeWdeCofcMMa,etc.,pdtteAbyWMHmaStabb~Lon-don,t872,in-S*.1.1, p. ?.

(2) Voyezn~m m~o~e <~~'Jx~M~ de Paris e~ xv!t~et ait xt Mt~Mec~e,p. !<?.~) ~c<<t)MOMTraité historique dM écoles de <'P~~eM<M(le far<< ett généralf<M<M~foM t200; dM <'eo<e<de ~KMMaaffeen pof~c«Me)' afeH< t'aM iMO,de fe~f-

c<f<' petites écoles et (fe <e«fdirection, contre M. Claude JotM, etc. t689, ta-4".p. M.

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A TRAVERSM MOYENACE. 507

instruction, pouvant et voulant se consacrer d'une manière exclu-sive &la tenue des petites écoles, étaient fort rares, et que, fauted'en trouver, le chantre de Notre-Dame était réduit à accepterdes femmes d'artisans, des marchandes, de simples ouvrières, quiicumulaient avec leur profession ou leur travail le soin de veillersur les jeunes filles de la paroisse et de leur apprendre A lire etécrire. Parmi les vingt et une maîtresses d'école qui figurentdans un document authentique de l'année 1380, nous conjec-turons qu'il en existait plus d'une appartenant Acette catégorie.

Nous n'avons parlé jusqu'ici que des écoles de Paris ce sontles seules en effet sur lesquelles on ait des renseignements certainset précis; mais il n'est pas douteux que des écoles analoguesn'aient existé dans les autres villes de France et dans les cam-pagnes, soit qu'elles aient relevé, comme & Paris, de la juridic-tion épiscopale, exercée par le chantre, soit qu'elles aient étédans la dépendance du seigneur de la contrée. Ainsi un titrede i405 mentionne une maltresse d'école que les gens de l'hôtelde ville de Rouen dispensent des aides sur les vins, en raison deses fonctions. Dans un autre titre, qui nous éloigne un peu dtimoyen âge, car il est de i5i9, il est question d'une école defilles établie sur le territoire de I'abbave de Saint-Amand, etsoumise Al'autorité de l'abbaye (i).

Citons, comme dernier exemple, une légende qui atteste &1:)fois l'existence d'écoles rurales et le charitable concours que lesfamilles aisées prêtaient quelquefois a l'instruction des enfantspauvres. Une jeune fille de la campagne, raconte Thomas deCantimpré (3), conjurait son père de lui acheter un psautierpour apprendre & lire. « Mais comment, lui disait son père,

pourrais-je t'acheter un psautier? c'est Apeine si je gagne cha.« que jour de quoi t'acheter du pain. L'enfant, dans sa détres-se, implora la sainte Vierge, qui, après une année de prières,lui apparut en songe, tenant A la main deux psautiers. Mais, auréved, le songe se dissipa, et l'enfant, déçue dans son espoir, semit à fondre en larmes. « Mon enfant, lui dit alors son père,« le dimanche et les jours de fête, va trouver la maltresse d'école

.~L~ pMM~t«'dans((.~.t-<.«. Jh,:<t.aMt'a~t780.).M~Ch.deBeMMpatM.~MM~t«?2.ta.s..t.t.t..M.~) ~MtMMMH<t~M~de<!p<&tM,UtMf!,tM7.tn-8',1.l, <.MUt.(t. 03.

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EXCURSIONSHISTORIQUESET PmLOSONHQUES5M

« de la paroisse; prie-la de te donner quelques leçons, et efforce-« toi, par ton zèle à bien apprendre, de mériter l'un des psautiers« que tu as vus aux mains de la Vierge. » La petite paysanne obéit,et telle fut la rapidité de ses progrès dans la lecture, que les au-tres entants, de familles aisées, qui fréquentaient l'école, en furent

émerveillées; croyant à un miracle, elles se cotisèrent entre elles,raconte la légende, pour acheter à la jeune fille pauvre le livrede classe et de piété que ses parents n'avaient pas pu lui pro-curer.

De tout ce qui précède il résulte que les parents d'une jeunefille, si humble que fut leur position, n'étaient pas, au moyenâge, absolument dépourvus des moyens de la faire instruire pardes mains étrangères. Profittiient-ils toujours des facilités qu'ilsavaient? J'en doute beaucoup; car si l'on en juge par le témoi-

gnage de Christine de Pisan, hors la cour et quelques grandesmaisons, c'était peu l'usage de donner de l'instruction aux filles.

Combien l'existence elle-même des écoles était précaire! Ellesrestaient à la merci des événements qui se passaient dans la con-trée d'alentour. Lecontinuateur de Guillaume de Nangis témoignequ'après la peste de 13~8 on ne trouvait plus de maîtres pour en-

seigner les enfants (i). Ce fut bien pis encore après la guerre decent ans contre les Anglais, lorsque, dans la moitié de la France,les campagnes eurent été dévastées, et que, dans les villages,le nombre des feux eut diminué d'une manière sensible (2). Beau-

coup d'écoles durent alors disparaître, et certainement celles quiétaient destinées aux filles ne furent point épargnées. L'igno-rance devint générale parmi les femmes de la campagne; ellese répandit dans les villes, et elle atteignit la bourgeoisie, sans

épargner la noblesse elle-même.A ce moment Constantinople succombait, et les Grecs, chassés

de leur pays, apportaient avec eux en Europe les plus beaux chefs-d'oeuvre de la littérature antique. Une lumière inespérée éclairait

(t)C~W!~«edeC«M<<t)<MOde~KH~o,etc.Parte,tt)43,tn-N°,t. tî, p. 2t0 cPauctinwntebantnrqui sclrentant veMentta dotnibus,viithtet castda,tn~nnaret'"<

« rosta gfMMaath'aMbUttMdtmentta.? »(3)SurladépopulationdescatnpagnMenBoMfgo~neau comMencemeMduxv'oièd'

voyezun «avanttravailde M.8hu<MMM'tdanslesM~Motreade l'AcadémiedesM'ten-CMet belles-lettresdeDtjon,Iresérie,t. XM,au,t8<H.Nousen avoMrenducomptedaaa!a«<f<w<?<NoeMM!MMM~ 4"~!e, t. v~,p. 163ete<tiv.

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A TRAVERS LE MOYEN AGE. ~9

tout à coup les ténèbres qui s'épaississaient sur J'Occident. Quellepart les femmes ont-elles prise à cette renaissance des lettres païen-nes? Quelle influence a-t-elle exercée sur leur éducation? Nouslaissons à de plus érudits que nous le soin d'élucider cette cu-rieuse question. Bornons-nous, en terminant, à constater, commela dernière conclusion de nos humbles recherches, que si, de

Charlemagne à Louis XI, l'éducation des femmes laissa beaucoupà désirer sous une foule de rapports, cependant elle ne fut pasaussi nulle qu'on le croit généralement, et qu'il y eut alors desécoles monastiques et de petites écoles où les jeunes filles de toutecondition étaient recueillies, tandis que les enfants des graudes fa-milles recevaient au foyer domestique une assez riche culture,dont l'unique défaut fut souvent d'être un peu trop mondaine.L œuvre, en un mot, était ébauchée; la partie, si je l'ose dire,était engagée contre l'ignorance au nom des lumières et de lacivilisation chrétienne il s'agissait de la suivre et de la.gagner.C'est la tache difficile et honorable que la société du moyen âgelégua aux générations suivantes.

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MÉMOIRE

SCR

LA ROYAUTE FRANÇAISE

ET LE DROIT POPMAÏRE

B'APRÉSLES ECMVAÏNSDU MOYENAGE.

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t~MMMMtMMMW~ 33

&

MEMOtRE

8Nt

LA ROYAUTEFRANÇAISE

ET LE MMMT POPULAIRE

CAPRES LES ECRtVAtKS DU MOYEN AGE.

Le moyen Age a vu se produire deux systèmes opposés sur tasouveraineté le système du droit pontifical et celui du droit im-périal.

Lepape, vicaire de Jésus-Christ suprême interprète des paro-les divines, infaillible gardien du dépôt de la foi; l'empereur,légitime héritier des Césars, investi de tous les pouvoirs qu'ilsavaient exercés, armé comme eux du glaive pour commander àla terre et dompter la résistance des nations rebelles voilà, dansles temps qui suivirent la mort de Charlemagne, les deux typesde la puissance et de l'autorité souveraine qui s'om-irent à lapensée des écrivains politiques. Comment les uns prirent partipour le pape et exaltèrent ses prérogatives jusqu'à proclamer sasuprématie, même dans l'ordre temporel, lui assujettissant lescouronnes et lui reconnaissant le droit d'en disposer; commentlesautres se constituèrent les défenseurs de la puissance impériale,t élevèrent au-dessus de toutes les autres puissances, prétendirentim subordonner même l'autorité pontificale et renouveler ce ré-gMM, tombé avec le vieil empire romain, sous lequel le prince,McmmttmtmM~MMm~, r <

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EXCURStOXS HtSTOMQtES ET PtMLOSOPMtQMSan

maMre de la religion, domine les consciences beaucoup d'autresl'ont raconté avant nous, et notre dessein n'est pas de reprendsce récit, auquel nous pourrions Apeine ajouter quelques traits.Le but que nous poursuivons est plus astreint. Entre les ambi-tieuses visées des champions du despotisme impérial et les doc-trines théoriques favorables A ta suprématie temporelle dusaint-siège, nous voudrions suiv~ la trace des idées que les écri-vains de la scolastiquc, théologiens, phitosophcs, légistes, sermon-naires. se sont tbrmtcs de la royauté, et qui. de siècle en siècle,ont abouti Aune notion du gouvernement dans laquelle l'idéemonarchique se concilie avec le sentiment du droit populaire.C'est en France principalement que ta marche de ces idées peutêtre utilement observée. La France, en enet, n'a pas vu se pro-duire citez eMeces luttes acharnées du sacerdoce et de l'empire,qui ont si profondément troublé l'Allemagne ettttatie; elle n'apas subi le joug humiliant des nouveaux Césars, ni la dominationdes doctrines théocratiques; et elle s'est frayé cUe-meme sa voie,:t travers d'innombMMes écueits et en dépit des systèmes les pluscontraires, vers un gouvernement tempéré qui lui fut propre.C est cette voie obscure et diffieile à reconnaMre qu'il s'a~t pournous de retrouver, non pas dans les faits qui sont du domaine deschroniqueurs et des

historiographes, mais plutôt dans les doctrinesqui reaetent les faits, et qui tantôt préparent, tantôt consacrentle progrès des institutions sociales.

Université de Bologne, qui prétendait remonter jusqu'à Théo-dose le Jeune, venait de recevoir de l'empereur Frédéric Bar-berousse ses premiers statuts et d'importants privilèges, lors-qu'une controverse eut lieu, dit-on, entre quelques-uns de sesprofesseurs, sur le point de savoir si l'empereur était le seigneurdes seigneurs et le roi des rois désigné dans ce passage de l'A-pocalypse (i) A..y ~yMm et ~MtMMM<~tw<M~M. Les his-toriens a}outent que l'affirmative trouva de nombreux défen-seurs (2), et il est constant qu'elle devint la doctrine en quelque

(1).tpoe.,c. Hï. v. M.MBMMtU, ~o <~p<~ e&e p~«M. w/b~a. etc., Londra, i832.

T'~'~<'M-' <<w

n~ dai Seb. C..t.p Pi~ MM. in~. p. 5, 38 et suiv., tM. Cf. 0~.narchia OaM«<t,ParMh, <8&3.to-s". p. 5.

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ATMYEBSLEMOYEXAGE. M~

sorte oHieieIle de la nouvelle école de jurisconsultes. C'est au fond

la th~~ que Dante lui-même a soutenue dans son traite célèbre

Mo~M~f~, bien que !e tempérament altier et peu docile du

poète Rorentin ne parut pas le destiner &être le champion d'une

pareille cause.

Tout autre est l'aspect sous lequel ta royauté se présente dans

tes ouvrages de nos plus anciens écrivains. Elle y apparat comme

une autorité purement locale, dont la juridiction s'arrête au delà

d'une certaine étendue de pays, et qui n aftiche aucune prétentionà la souveraineté universelle. Néanmoins, si humble qu'elle fut,

comparée a ta puissance impériale, les traditions do la législationromaine s'accordaient avec les enseignements de FÉgIise pourassurer a la personne du roi le respect des peuples et la soumis-

sion du clergé. Selon la loi romaine, encore si vivante longtemps

après la chute de Rome, la volonté du prince n'a-t-elle pas force

de loi (1)? Selon rÉ~lise, tout pouvoir ne vient-il pas. de Dieu, et

ne lui devons-nous pas obéissance? Aces motifs en faveur de la

royauté, s'ajoutait une raison qui devait vivement frapper' les

descendants des races germaines, nous voulons dire le devoir de

fidélité qui rattachait les anciens leudes &leur chef et qui ne dé-

pendait ni de rétendue des domaines de celui-ci, ni du nombre

de ses vassaux, mais de la foi jurée. Ainsi se développa, sous l'in-

t!upnce de causes multiples, l'idée d'un pouvoir souverain, uniquede sa nature, auquel appartenait le droit de commander et d'être

obéi dans le territoire dont il était possesseur. Cette image de la

puissance ou plutôt de la majesté royale pénétra de bonne heure

dans tous les esprits, chez les ignorants comme chez les doctes;

et de Clovis à Charlemagne, de Charlemagne à Philippe-Au-

guste, on en suit facilement la trace chez les chroniqueurs et

chez les théologiens.Combien les récits de Grégoire de Tours ne nous offrent-ils pas

de scènes dans lesquelles le pouvoir monarchique figure avec des

prérogatives qui l'élèvent au-dessus de tous les autres pouvoirs!« 0 roi, » disait lui-même le courageux historien à Chiipéric,au moment où ce prince, aveuglé par la colère, allait sévir cruel-

lement centre Févèque de Rouen, Prétextât, « ô roi, si quelqu'un

(<)B~e~. t, 4 aQtMdprincipipheaitt~a habetvigorem.

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EXCMB8MXSMtSTOMQCESET PHM.OSOPHtQt~S5t6

« de nous veut s'écarter du sentier de la justice, tu peux le cor-« riger; mais si toi-même tu t'en écartes, qui te reprendra? Nous« te parlons, il est vrai; mais tu nous écoutes si tu veux. Si tu ne« le veux pas, qui te condamnera, si ce n'est celui qui s'est pro-« clamé la justice même (i)?

Sous la seconde race, il est enjoint Atous les fidèles de prierpour le roi et pour les grands qui composent sa cour (2) ceux

qui refusent de lui obéir, ceux qui ourdissent des complots contrelui sont frappés d'anathème par plusieurs conciles (3). « Si

chacun, disait Agobard (4), est dans l'obligation d'accomplir« la promesse qu'il a faite à son semblable, comment ne serait-il«

pas obligé &une ndélité encore plus inviolable envers le prince« qui a reçu de Dieu le gouvernement de la chose publique? M

Au x" siècle, un moine de l'abbaye de Saint-Benott-snr-Loire,

Hugues de Sainte-Marie, comparant la royauté et le sacerdoce auxtrois personnes de la sainte Trinité, déclare que le roi, à qui toute

puissance appartient dans son royaume, est l'image de Dieu le

Père, de même que l'évêque est l'image de Dieu le Fils, ou <!e

Jésus-Christ; d'où il tire cette conséquence que, le Fils étant sou-mis au Père, les évoques pareillement doivent être soumis auroi (5).

Cependant, si l'Écriture sainte recommande aux sujets, commeun devoir sacré, l'obéissance envers les rois, elle rappelle aux

(!)Greg.deTours.~M<.de f~aMM,t. V,c. Ht, t. H,p. 935det'éditiondonnéeparlaSoctétédel'histoiredeFrance.

(2)Cap«. an.769,art. 13 «QnandodenanMatamfaeritproMgeve!proMeHba"«sais, qaattbeteaasa. orationesfacere,nemoinhocnegMgensappareat.e (Vo;.Npctte~desHistoriensde ~mee, t. V,p. M6.)

(3)Concilede Loire,en 8*3 « 8)qnh contraregiamdignitatemdoloseet callide«pemMosesatagerefempMbatosfnerit. nisidigaissimeMtia&eerH,anathemathe-ntar. Siqais s'oteatatiregxp.quaenonest,jmtaApostotnm,niâtà Deo,eontnxmctac«<na.ttesp!rtta.contraanctoritatemet ratioaem,perttnacttercoatmd!cerepMMnmp-«Mdt, et ejoajustts et rationabilibusimperiis,MeuadamBeam,et auetoritalt'IIIet~testasUeam,etjas c!viîe,obtemperareirtefrasabitMernotaertt,anathematisetur.

(Voyez.Cracha CaMt.t',ed.Sirmond,t. m. p.8.)(4)Agobardi~etM«PpMMttde dtfMoM<MpefM~raMMfMm<<!<efJÏ«MZM-

<<<w«timperaloris,dansla Patrologiedet'abbéM~ne,t. CIV.p. 287.(6)~ae~. de fe~a potestate,t. t,e. u <tReximr<~atsaieerporePatrhomBttM.tentbobtinerevideturimagtnem.eteptscopasCnrMt.UadertteKgtaubjacereviden-

<~tar omnesregnitp~asepiMopt.sientPatriMMas.a (Cf.JT~. M~.oe ? France.t. X,p. 985et suiv.)

Page 519: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MOYENA~E. ~.t7

rois, en maints passages, les obligations qu'ils ont eux-mêmes A

remplir envers leurs sujets. Si la législation romaine admet que tavolonté du prince a force de loi, ta législation canonique enseigneque la loi suppose le consentement du peuple, et qu'eue a pour fin!<'bien de la communanté (1). Enfin, quelque respectée que fut la

religion du serment, la fidélité qui rattachait les descendants dest.crmains à leurs chefs s alliait, chez eux, a un sentiment habituelde ficrté qui relâchait les liens de leur dépendau<;e; de telle sorte

que, dans les premiers siècles du moyen âge, les motifs qui por-taient à exalter l'autorité royale se trouvaient balancés par desmotifs contraires, qui poussaient, sinon à la méconnanre et à la

supprimer, tout au moins à la tempérer et à la contenir dans de

justes bornes.`

".Le mot de roi, » écrit saint Isidore de Seville, au troisièmeUv~ede ses ~c~/e~t~ (2), « le mot de roi veut dire celui qui gou-« verne avec sagesse. C'est le titre qui est décerné aux bons prin-'<ces, mais qui ne saurait être conservé aux mauvais. H Quel estdonc le nom qui convient &ces derniers? Celui de tyran. « Lesan-« ciens, dit ailleurs saint Isidore, ne faisaient pas la distinction des

rois et des tyrans; mais, parmi nous, l'usage a prévalu d'appeler'< tyransles méchants rois, qui écrasent le peuple sous le poidsde leur ambition et de leur cruauté, » Ces lignes d Isidore deSéville ont été reproduites, commentées, amplifiées par la plupartdes théologiens des âges suivants. Elles leur indiquaient la voiequ'ils ont suivie, les uns avec plus de hardiesse, les autres plustimidement.

Au vuf siècle, Févèque Rattier, qui occupait le siège de Vérone,mais qui était né au pays de Liège, et qui avait étudié en France,décrivant, dans un ouvrage intitulé .ly<MM~c<M,les devoirs des di-vers états, proclamait que la nature humaine est partout égale àelle-même; d'ou cette conséquence que Dieu na pas donné al'homme le droit de commander à son semblable. « Faites atten-

(t) CeefeHFf, dtat.M,e. t tet~t <~tconstitntiopopuMqnamajoresnatu~it<tujcmNptdtibasaMqaMs~axemat.. ~«f.. <Mst.tV.e.N Ertt atttcmtoxhoae~a.j'Mta.poMibtUs,MCMadmnnatMMm,etc.,nuHoprivatoeomtnodo,MdpMcommuât<MomNt!Mtateeonacdpta.(~ Cap.M.TMt« RegMa Kcteagendat<tcattsont,ideoqnerecto&c!endf.nf~<<nomeatenetur,peccandoemttUtor.»

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EXC~R8)OXS MtSTOBtQUES ET PHtLOSOPHtQUES&<tt

« tion, disait le docte prêtât (<\ à cette parole de Dieu. lorsqu'il« créa l'homme « Croissezet mu~tipliez~remplissez et soumettez la< terre; commandez aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel« et aux bêtes de ta terre. » Par la. Dieu a voulu faire comprendre« qu'il était dans la destination de l'homme de commander aux« oiseaux. aux bêtes et aux poissons, mais non pas a l'homme<'que tous, au sortir des mains du Créateur, sont naturellement« égaux, et que tes hommes doivent s'imputer a eux-mêmes cette« inégalité qui a le plus souvent pour résultat de placer les meit-« tcurs et les plus vertueux sous le joug d'autrui.

t'eut-étre le souffle de démocratie qu'il est aisé d'entrevoir danscp passade se retrouverait-il moins facilement chez tes autres

théologiens de ta même époque: mais un point sur lequel ils sonttous fixés, sur tequei ils insistent tous, c'est l'étendue, c'est la

grandeur des devoirs imposés A la royauté.Sur la fin du v)tf siècle, un évoque d'Orléans, appelé Jonas,

a écrit un traité de t'7~</M//oM My~A', dédié à Pépin le Bref (2).En développant le texte d'Isidore Je Sévitte que nous citions plushaut, il rappelle que le roi est ainsi appelé parce qu'il a pour mis-sion de régir son peuple avec piété, avec justice, avec clémence.Si le prince ne possède pas ces vertus, s'il se montre impie, in-

juste, cruel, il ne mérite pas le nom de roi, mais celui de tyran.Les sujets sont sans doute obligés d'être fidèles à leurs princes;car, suivant la parole de l'Apôtre, celui qui résiste aux puissancesétablies résiste à Hieu lui-même. Mais le ministère des princesconsiste A gouverner avec équité ils doivent écouter les griefsdes petits et des pauvres, et ne pas permettre qu'ils soient oppri-més par des officiers subalternes, négligents, cupides ou violents.A cet effet, il est opportun qu'ils s'entourent de conseillers crai-gnant Dieu, selon l'exemple donné par Moïse, qui avait choisi

(!)Martëne.Ampliss.CoM..t. iX,col,805 «AttendeDenmta prinetptocn-attonts<tmmaaœdtxifMeepMM'Mppt MMÎtipticamM.et Mptetetcrfam,etMtt~eMceam.<4domtnamhttptsethosmarisetTotatitthu~c<BHetbe~tMth'rra; ut !nteHigashomtoc"

« nonheminih<M.sfdvotattHhas,bestihetpht'tbMMsapmetatM;omnesquea Deona-<. tMMa)qMah~€MKMt'M.sedtn~ttaMtatemoram<adente,aiib allos intantamsnp-p<Mtt<M.ut ptentmqaea<Mdeminpntu)'etiammpUortbns.') (Cf.B~. MM.<<«

~OMCf,t. VI.p. 348et M<!v.)(2)Cetraitéa été publiéparB'Achery,.S~e~e~t. t, p.233et snh., et dansla

P<t~M~<edet'abbéMifme.t. CVi.Cf.~«<. t. V,p. 9&;t M:v.

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A TBAVERS LE MOYEX AGE. 5t9

parmi le peuple d'Israël des hommes courageux, détestant l'a-varice et amis de la vérité, pour l'assister dans le gouvernementde la nation. Enfin, les rois ne sauraient oublier que leur puis-sance vient de Dieu, et non pas des hommes; qu'elle ne s'acquiertni par les vices, ni par l'ambition, ni par la force, mais par unsecret jugement de la Providence.

Quelques années après l'évoque Jonas, vivait un écrivain quifut mêle aux controverses religieuses sous le règne de Charle-magne, et aux aSaires politiques sous Louis le Débonnaire. Sma-ragde, abbé de Saint-Mihiel. dans le diocèse de Verdun. Il a laissé,entre autres ouvrages, un imité dédié à Louis le Débonnaire,qu'il a intitulé A<t u/c ~y~f; Iw ~p~ (i). Ce traité contient

l'exposition des devoirs qu un prince chrétien doit remplir, s'ilveut prospérer ici-bas et, en quittant son royaume terrestre, par-venir au royaume des cieux. AimerDieuet le prochain, se montrerjuste, miséricordieux, clément, pacifique; placer sa gloire nondaus la richesse, mais dans la vertu se défier de l'orgueil et de1 envie, s'entourer de bons conseils et agir avec prudence, répri-mer sa colère, écarter les flatteurs, ne pas permettre que la mon-naie soit falsifiée voilAles devoirs d'un roi selon le cœur de Dieu.Quelque sages qu'ils soient, on pourrait reprocher à ces préceptesd être uu peu vulgaires; ils avaient leur prix cependant à uneépoque où la royauté franque était a peine dégagée des langesde la barbarie. Maisce qu'il y a de remarquable, c'est l'obligationque le pieux abbé imposait n son royal disciple de ne pas permet-tre l'esclavage dans ses États..Très clément prince, ne permettez« pas l'esclavage dans votre royaume. Montrez-vous le fils très« fidèle de ce Père céleste que vous priez chaque jour avec tous

vos frères, en lui disant « Xotre père, qui êtes aux cieux. »Aimezce qu'il aime, et défendez ce qu'il défend. Il a lui-même

« ordonné, par la bouche de Moïse,que celui-là fût mis à mort qui,« pour de l'argent, aurait vendu son frère, fils d'Israël. Il nous« enseigne, par la bouche du prophète Amos, qu'il ne pardonnera« pas Ala ville de Tyr d'avoir réduit ses frères en captivité. Nousc devons ADieu une obéissance vraie; or, de tous les devoirs de« charité que Dieu nous impose, un des premiers c'est de rendre

(t) PubMepar D'Acher},,~fc~-y., <. ~am h Pafm~e de t'abM Ntg~, t. Cil.

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MO EXCUMStOXSmSTOBtQtJES ET PHILOSOPHIQUES

« la liberté à nos esclaves. Considérons que ce n'est pas la na-« ture, que c'est le péché qui a institué l'esclavage. Nous sortons« tous égaux des mains de Dieu; le péché seul a détruit cette« égalité naturelle, et réduit l'homme sous le joug de son sem-

« Mable(i).

Ainsi, dès le règne de Louis le Débonnaire, un cri de libertéretentissait à la cour des rois francs.

Mais continuons à recueillir les enseignements des théologiensdu !x" siècle sur ïes devoirs de la royauté. Hincmar. qui joua,même au point de vue politique, un rôle si considérable sous le

règne de Charles le Chauve, a tenu A ce prince, dans plusieursécrits, le langage le plus austère. Dans son traité De <'<<<o~

~M w/MM~w (2), il enseigne que Dieu fait les bons rois et

permet les méchants; que le suprême bien pour un peuple, c'estun bon roi; que la bonté d'un gouvernement en fait la puissance;qu'il faut au prince de bons conseillers; que lui-même, dans l'in-térêt de son pouvoir, doit posséder l'art de gouverner; que lanécessité seule doit l'engager A faire la guerre et à étendre ses

États; qu'A l'intérieur de son royaume, il doit user de la force

pour ramener chacun Al'observation de la loi, user de clémenceavec discernement, redouter les présents et les natteries des scé-

lérats, n'avoir avec eux aucun commerce. Ailleurs (3) Hincmardénonce ACharles le Chauve les vols et les rapines commis parles gens de guerre, et il le somme de réprimer ces violence*Comment le prince pourrait-il, sans impiété, exiger des sujets deson royaume l'acquittement des impôts et autres redevances, s'ilne leur ménageait pas par sa vigilance les moyens de payer ce

qui leur est réclamé, s'il ordonnait et faisait ce qu'il lui plaît, s'iln'interdisait pas, mais laissait faire aux autres ce qui déplaît ADieu? Mais la partie la plus intéressante des œuvres politiquesd'Hincmar, c'est l'écrit dans lequel, résumant un opuscule d'A-

'.))Cap,xxx e Prohibe,clementissimerex, nein rogna<MoeapttvttasHat.eh..VemobedtredebethemoDeo. InterattapM!C"ptaMintarta,etoperarectaqui~ufHbeMsdébetdhnMh'reeervos,«MMhh'ran''qata noniUteoanatMMtMhe)~t.MdcMtpa.CondithMMeaua a-qMatKercréât!sumas,M-datttftaht cutpasubacU.

~t'aMagecité('art'abMOlouet,<ffjt<.de fe~MM,Verdun.tM7,tn.8".t. t. p. 2)t(2)fo(fe~<< t. CXXV.p. 834etMttv.(3)Voy.<6M.,p.9Metaatv.,la tettreà ChartesleChauve.DeeoefceMf~MW<t<M

tt~'ttb.

Page 523: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MOYENAGE. 5~

dalard, abbé de Corbie, De o~M/M~Y, il trace le tableau desassemblées qui se réunissaient sous les règnes de Charlemagne etde Louis le Débonnaire (i). Deux fois par an, dit-il se tenaientdes plaids auxquels assistaient les principaux d'entre les clercset d'entre les laïques. On choisissait, autant que possible, deshommes craignant Dieu, et si fidèles, qu'excepté leur salut éter-nfl, il n'y avait rien qu'ils missent au-dessus de l'intérêt du ruiet du royaume amis, parents, bienfaiteurs, douces flatteries,sentiments de haine et de vengeance, chacun les savait prêts atout sacrifier, éclaires qu'ils étaient par cette vraie sagesse quiconfond les sophismes et les ruses de la sagesse du monde. Lesavis n'étaient pas contraints; chacun donnait en toute liberté ce-lui qu'il jugeait le meilleur. On arrêtait ce qu'il y avait à fairepour l'année courante et pour la suivante. Le décision prise étaittenue secrète, qu'elle concernât les affaires du royaume ou lesparticuliers.

Le vœu d Mincmar était que ces assemblées, dont il avait pu,dans sa jeunesse, apprécier l'utile influence, fussent appelées ré-gultèrement à se réunir, et que les successeurs de ceux qui lesavaient composées autrefois se montrassent dignes de leurs ancê-tres. Avait-il a cet égard beaucoup d'espoir? Nous en do tons;car le vigilant et judicieux prélat ne pouvait méconnaître le ra-pide progrès de la féodalité, qui venait d'arracher a Charles leChauve le capitulaire de Kiersy, confirmant l'hérédité des of-fices et des bénéfices. Or le régime féodal, qui morcelait leroyaume, était manifestement incompatible avec tout pouvoir,assemblée ou monarque, ayant juridiction sur le royaume en-tier. Les plaids que Charlemagne et Louis le Débonnaire avaienttenus cessèrent donc de se réunir, et on pourrait dire que laroyauté, privée de ses conseils naturels, affranchie de tout con-trôle devint absolue, si la féodalité, de plus en plus oppressive,n'avait pas singulièrement rétréci la sphère d'action du pouvoirroyal.

Toute réduite, tout humiliée qu'elle était alors, l'autorité duroi trouvait une garantie dans les obligations que le droit féodal

0 ~<A, p. ioo3 et sn~. Ad ~focefco < e~ ~-e <<MMt<«eMC<tWMt)MM~<fM'<«ntMe pa<o<«. ~f. ~Mo~e M~ra<~ <<<-<a ~~c. t. tV. ).. MO.)

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~2 EXCUBStOKSHtSTORtQCESET PHtLOSOPtHQUES

imposait envers elle & ses vassaux. Entourée du prestige que luiassuraient les lois, la religion et les mœurs, elle apparaissait Asessujets, dans son domaine étroitement circonscrit, comme la plushaute expression de l'autorité ici-bas, l'Église exceptée. Maiscomment était-elle jugéepar les rares écrivains qui s'appliquaientaux questions politiques? Quelle opinion se formaient-ils de sonorigine et de l'étendue de ses droits?

Lorsqu'elle était tombée au dernier degré de l'abaissement, versle milieu du x" siècle, la manière dont les monarchies s'étaientétablies Al'origine donnait lieu à d'étranges débats, et il circulait:'t ce sujet des doctrines que la démocratie la plus avancée ne dé-savouerait pas. C'est ce que nous apprend un écrivain dont nouscitions tout Al'heure l'ouvrage en faveur de la monarchie, Huguesde Sainte-Marie.

« Oui, dit-il (i),j'en connais, parmi nos contemporains, qui« croient que la royauté tire son origine, non de Dieu, mais« d'hommes ignorant Dieu, habitués A vivre de rapines, de« trahisons et de meurtres, couverts enfin de toute espèce de« crimes, qui, dans les commencements du monde, ont eu, par

l'inspiration du diable, l'aveugle ambition et l'inexprimabletémérité de prétendre dominer les autres hommes leurs égaux.Une doctrine si peu monarchique affligeait profondément Hu-

gues de Sainte-Marie. « A quel point elle est frivole, dit-il, nousle savons par le témoignage de l'Apôtre, lorsqu'il dit que toute

<'puissance vient de Dieu. » Mais, frivole ou non, la doctrine

comptait des partisans, qui la répandaient dans le clergé et par-mi le peuple. C'était une semence qui n'était pas destinée à périr.

La royauté se dégagea peu à peu des liens qui l'entravaient;elle réagit contre la puissance des grands vassaux et parvint Al'abattre et & la dominer, ad prix de quels efforts habiles et

persévérants, nous n'avons pas à le raconter ici; mais il entredans notre sujet do faire voir comment, A mesure qu'elle se rc-

!t)~e regiapotestaie,t. c. t a ScioqttosdamnostristeMpertbuaqui tegMautumantnona Deo.sedab bis habntwepdnctpiumqui,HeutnigoMNtes,attper.bta.faptnte,perMta,homtctdtiset pootremouniveraispcneacelbrtbus,tttmundt)"'ittctpto,dtabo!(tagitante,suprapareahotnhtMdomtnartcœcacupdMateet inenar.

a raM)taNectavefMntpreMumpttoneet tt'merttate.QttonMnaentottUaquamsttMvotaHquetapostoMcodocameato,quiait« Noneatpotestas,nisia Deo.»

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A TBAVM8 UE MOYEX ACE. M3

levait, surtout à partir des règnes de Louis le Gros et de Philippe-Auguste, elle ne cessa d'être rappelée au sentiment de sa missionet de ses devoirs par la voix des écrivains qui donnaient quelqueattention aux affaires publiques.

Nous ne citerons qu'un seul témoignage, qui en résume et quien vaut beaucoup d'autres, celui de Jean de Salisbury, l'ingé-nieux auteur du /~o/y<<?//cM~et du 3~CM~ mort ëvéque de

Chartres, en 1180.Bien qu'il eût embrassé avec ardeur le parti de Thomas Becket

dans la lutte du saint prélat contre le roi d'Angleterre, Jean de

Salisbury ne saurait être classé parmi les adversaires de la royau-té. Loin de là, il tient pour constant que les rois sont en quelquesorte la représentation de la Divinité ici-bas, et le crime de 1~-se-

majesté est à ses yeux le plus énorme. Maiscombien il est éloignéde permettre que la "oyauté se montre despotique et arbitraire,qu'elle s'élève au-dessus des lois, ou plutôt qu'elle n'ait d'autreloi que son caprice! Il est de toute justice, avait dit saint Isidorede Séville, que le prince obéisse aux lois que lui-même a éta-blies (1). Jean de Salisbury exprime la même pensée avec moinsde concision et avec plus d'énergie.

« Tous les hommes,d Ml, sont assujettis à l'obligationd'obser-« ver la loi, Amoins qu'on n'en cite à qui la licence de commet-« tre l'iniquité ait été accordée. Aussi, lorsqu'on dit que le prince« est aSranchi des liens de la loi, ce n'est pas qu'il soit permis au«

prince de faire le mal; c'est parce que l'amour seul de la jus-« tice, et non pas la crainte de la peine, est le motif qui doit'< pousser le prince a. se montrer équitable, A procurer le bien« de l'État, à préférer en toutes choses l'utilité des citoyens à« ses caprices personnels. Quand'il s'agit des affaires publiques,« qui pourrait mettre en avant la volonté du prince? Il ne lui est« permis de vouloir que les choses qui sont voulues par la loi,« conformes A l'équité, ou bien celles qui sont commandées par« l'intérêt général. En pareil cas, sa volonté a l'autorité d'un

jugement, et c'est avec raison que sa décision doit faire loi,« parce qu'elle est supposée être toujours d'accord avec l'équité.

« Entre le roi et le tyran, continue Jean de Salisbury, il y a

(t)Sentent.,c. u.

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Mt EXCUR8MXSMSTOMQ~ESETPtMMSOPHtQUES

« cette seule dinërence que le roi obéit à la loi, gouverne son«

peuple selon la loi, se considère comme le ministre de la loi, ré-« clame pour lui-même, en vertu de la loi la première part dans« les devoirs et dans les charges publiques, et n'a enfin d'autre« titre de supériorité, sinon que dans l'État les particuliers ont« chacun leur charge propre, tandis que toutes les charges pèsent

réunies sur le prince (t). ?»

Il serait superflu de reproduire tous les passages des écrits deJean de Salisbury dans lesquels il a développé la même idée mais,avant de quitter ce sujet, nous demandons la permission de citer

quelques lignes sur la tyrannie, empreintes d'une éloquenceamère.

« Le tyran, selon le portrait que les philosophes nous en ont'<laissé, est celui qui fait peser sur le peuple une domination« violente, tandis que le vrai roi gouverne par les lois. Or la loi< est le don même de Dieu; c'est la forme de l'équité, la règle de

la justice, l'ouvrage de la volonté divine, la garantie du salut,« un principe de force et d'union pour les peuples, la raison des

« devoirs, la destruction et la mort des vices, le châtiment de la'< violence et du crime. La loi est combattue tour à tour par la« violence et par la ruse; tantôt elle est déchirée par la dent« cruelle du lion, et tantôt elle ne sait comment se défendre contre« les embûches du dragon. De quelque manière qu'elle succom-« be, il est évident que les coups dont elle est ffappée sont dirigés« contre la gràce elle-même, et qu'ainsi Dieu se trouve en quel-« que sorte provoqué au combat. Le prince défend la loi et la li-« berté du peuple; le tyran s'imagine n'avoir rien fait, tant qu'il« n'a pas anéanti les lois et réduit le peuple en esclavage. Le« prince est en quelque sorte l'image de la Divinité; le tyran est« l'image de la violence qui se révolte contre Dieu, et de la per-« versité, fille de le'nfer. Image de la Divinité; le prince doit« être aimé, vénéré, obéi; image de la perversité diabolique, le

« tyran doit, dans la plupart des cas, être mis à mort (2). MAinsi Jean de Salisbury poussa la passion pour le règne des

lois et l'aversion pour la tyrannie jusqu'à permettre, disons mieux,

(t\ ~fycfaMfM, tV, c. t et m.~) fo~e<'a<M'M~t. VtH, c. xTtt «. tnMgodeitattsprimcepsamandus, venprandu~

« Mt et eotendus; tyrannus, pravitatis imago, plerumque etiam oecHemdMS.»

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A TRAV~S LE MOYEXAGE. 59~

jusque conseiller le meurtre des tyrans. Et ce n'est pas la une

parole échappée t1l'écrivain dans l'ardeur de la composition; caril a écrit un chapitre entier pour démontrer que font tyran est unennemi public, que non seulement il est licite, mais juste etéquitable de mettre à mort. Quoi qu'il en soit, ce qui ressort destextes que nous avons cités, c'est l'obligation qui incombe auprince, d'une part, d'observer les lois, et d'autre part, de tra-vailler au bien général.

Maisle bien général comprend celui des classes déshéritées dela fortune, comme les laboureurs, les artisans, les serfs. Cesclasses, longtemps opprimées, commençaient, vers le xn" siècle.à trouver des interprètes de leurs souffrances et des sourdes colè-res qui les agitaient. On a souvent cité ce cri d'appel au sentimentde 1 égalité originelle, selon 1 heureuse expression de M.AugustinThierry (t), qui retentit dans ces vers du ~OMMM<~ AeM

~ous sommeshommes commeils sont,Tons membres avons comme ils ont,Et tout aussi grand corps avons,Et tout autant souurir pouvons:Ne nousfaut fors euer sulement.

Nousempruntons à la CA<'ow~M~<~s<~Mc«~~«~M~t~un pas-sage non moins curieux, qui peint avec &rce la dure existencedes paysans ~2)

Cil endurent tes grefs tormenz,Les nefs, tes ptnyes e tes venz:Ust ocrent la terre od lur mains;Od granz mesa:ses e od fainstdst r'ont assez as')rp vie,

Povre, SMCtTtitoseet mendie.Senz cest ordre, senz eeste gentXe sai nue com MtcmentLi autre peassent durer.

Et plus loin, ce cri de colère et de vengeance

Mauvaisavomestéf f«usDMnt tant avom plaissiez t~, cous;

't N<«. du ~er~ ~<tf,édit. im.<°, tntMd., {.. xxv.(2 Paris, t839, t. t, (). 465.

Page 528: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

&ac EXCtJRStOXSMtSTOmQUESETPHtMSOPHtQ~ES

Kar homessûmestbrze durs,Plusaduns et plusseurs,Et n)MhplusMMMtbrae plusgrautQueMne snnt"Hautretint.Par un HM'ttsunt, samesnost'ent.

La philosophie avait-elle été moins touchée que les poètes de

la dure condition des vilains? Était-etle restée sourde A leurs

plaintes? On a peine a le croire. Lorsque de toutes parts tes villes,secouant le joug de leurs seigneurs, s organisaient en communes,

et nue les campagnes elles-mêmes commençaient a s'agiter, pous-sées par le sentiment de leur misère et par 1 irrésistible désir d a-

métiorer leur sort, comment admettre que tes écrivains qui se

donnaient ta mission d'instruire la royauté aient omis, parmises devoirs, ceux qu'elle avait &remplir envers les classes qui se

trouvaient à la lois les plus laborieuses et les plus pauvres? Nous

avons cité plus haut quelques graves paroles de 1 abbé t4maragde

en faveur de l'aurauchissement des serfs; Jean de Satisbury,dans son Vo/yc~~M~ nous offre un texte dans loquet on sent cir-

culer le même soufue de charité chrétienne et de politique libérale.

Le docte et ingénieux évèque ne cherche pas sans doute à nous

apitoyer par d éloquents tableaux sur le sort de ceux qu'il appelledans son langage figuré les pieds de l'État; mais il montre, avec

l'autorité du bon sens, à quel point it importe au bien public de

ne pas mécontenter une classe de personnes aussi nombreuse et

aussi utile, en la livmnt à une injuste oppression.« J'appelle les pieds de l'État, dit-il, ceux qui exercent d'hum-

« bles professions contribuant à la marche terrestre de l'État et

« de ses membres. Tels sont et les laboureurs, constamment atta-

'< chésà la terre, et les artisans qui travaillent la laine, ou le bois,

« ou le fer, ou l'airain, et ceux qui se chargent de pourvoira notre

« nourriture, et ceux qui fabriquent mille objets nécessaires à la

« vie. C'est un devoir pour les inférieurs de respecter leurs su-

périeurs; mais ceux-ci, à leur tour, doivent venir en aide a

« ceux qui sont au-dessous d'eux, et aviser aux moyens de pour-« voir à leurs besoins. Plut~rque donne avec raison le conseil de

« songer aux humbles, c'est-à-dire à cette partie de la nation

« qui est la plus nombreuse, le petit nombre cédant toujours au

« plus grand. De là est venue l'institution des magistrats, qui

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A TRAVERSLE MOYEKAGE. M7il

ont mission de protéger le dernier des sujets contre 1 injustice,« de manière que le travail des artisans procure à l'Etat de l~tu-« néschaussures. La chose publique est en quelque sorte déchaus-

sée lorsque les laboureurs et les artisans sont en proie a 1 injus-tice. Mn'y a rien de plus honteux pour ceux qui gèrent les

« magistratures. Quand ta masse du peuple est dans l'aftiiction,c'est comme si le prince était atteint de l'innrmité de lagoutte (i). M

Le passage qu on vient de lire n est que la paraphrase d unécrit

ayant pour titre ~c /M/~ ~~w, que la tradition attri-buait a Plutarque et que nous ne connaissons que par les extraitsque Jean de Salisbury en a donnés. L évoque de Chartres a fait alautiquité bien d'autres emprunts dont il ne se cache pas. Sescontemporains, quoique moins érudits qu'il n était lui-même, ontaussi beaucoup imité les anciens. Toutefois il serait sans intérêt

pour nous de suivre la trace de ces imitations; elles se perdent,en effet, dans linuuence générale exercée par le christianisme,qui a donné un sens nouveau et communiqué une vertu vivifianteaux maximes de la sagesse païenne, stériles jusqu'à lui. Ce qu'ilnous importe d'ailleurs de connaltre, ce ne sont pas les antécé-dents des doctrines qui ont régné du vm au XM"siècle, maisces doctrines elles-mêmes, puisqu'elles caractérisent les siècles quiles ont professées et pratiquées. Écartons par conséquent ces rap-prochements inutiles, et attachons-nous aux résultats positifs del'étude à laquelle nous venons de nous livrer.

En réunissant les différents traits de ce tableau, chacun peutaisément se rendre compte des mérites et des défauts des premières

conceptions politiques qui se soient produites en France au moyenâge, en dehors des théories extrêmes de la suprématie pontificaleet du droit impérial. Certes on ne saurait méconnaître ce qu ily a de vérité et même de grandeur, ce qu'il y eut surtout desalutaire, d'abord en présence de la barbarie germaine, un peuplus tard en présence de la féodalité oppressive et dissolue, danscette notion du pouvoir royal, à qui chacun était tenu d'obéir,mais qui devait lui-même obéissance à la loi; de ce pouvoir dont

(1)Po~croMctM,t. IV,e.M.Cf.t. V.< t etn. Voyezaussit !nMtMMnteétudedeM.l'abbéDemtmMHsnr JeandeSaH~x~, Paris,M73,in-8~p. na et M~.

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EXCPNMOXSHtSTOMQUESETPHttOSOPmQfESMa

le prince n'était pas investi dans son intérêt personnel, mais dans1fntérèt commun, que, par conséquent, il ne devait pas employer&satisfaire ses caprices, mais consacrer au bonheur de ses sujets,sous peine d'être justement qualiSé de tyran; de ce pouvoirenfin à qui les sages d'alors, échos et interprètes de la sagessede tous les siècles, imposaient l'obligation de se montrer équi-table envers tous, mais surtout envers les petits, c'est-à-direde couvrir de sa protection les artisans dans les villes, les la-boureurs dans les campagnes, et de garantir les uns et les autrescontre l'oppression et la violence. Que de pareilles maximes d<

gouvernement, développées dans tes chaires chrétiennes, ensei-

gnées dans les écoles, aient exercé une sérieuse et utile influencea une époque où ia société française était encore dans un étatvoisin du chaos; qu'elles aient alors contribué A rallier autourde l'autorité royale la bourgeoisie et le peuple, c'est là un pointqui n'est pas sérieusement contestable. Il est à remarquer ce-

pendant que, pris dans leur ensemble, les passages empruntésil divers écrivains que nous venons d'analyser offrent à peine les

premiers linéaments d'une théorie politique: ils ne contiennent

gut're autre chose que le simple énoncé des devoirs de la royauté.Ils forment, à l'usage des princes, une sorte de code moral qu itétait excellent, surtout au xi" et au XM"siècle, de placer sousleurs yeux, mais qui n'offrait à eux-mêmes et à la société civiled'autres garanties d'un sage gouvernement que leur capacité etleurs vertus personnelles.

Quelles que fussent les lacunes de la doctrine, l'idéal qu'eMcproposait &l'imitation des rois, à la vénération et aux espérancesdes peuples, se trouva un jour réaiisé dans la personne de LouistXLe fils de Blanche de Castille sur le trône est bien le roi que le

premier âge de la scolastique avait rêvé. On peut lui reprocherl'des fautes politiques, mais pas un acte où la morale la plus austèreait quelque chose à reprendre. Auxqualités de l'esprit et du cœur

que doit posséder un prince, il joint les vertus qui élèvent lechrétien jusqu'à la sainteté. Il connaît ses droits, et il sait les faire

respecter; mais il est encore pénétré plus Afond du sentimentde ses devoirs. Nul n'est esclave de la loi au même degré quelui. Sii ne permet pas qu'elle soit violée par personne, il est le

premier à l'observer. Ses décisions, quelles qu'elles soient, ne

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A TRAVERS ).E MOYEK AGE, ~9

MCCMtOXSBMTOMQtM.g

sont pas des coups arbitraires d'autorité Hn'agit pas par caprice,mais par vertu. L'équité est sa règle constante, même &l'égard deses ennemis. Comme il aimerait mieux mourir que commettre unpéché mortel, il se ferait scrupule de causer injustement à autruile plus léger préjudice. tl contient les grands dans 1 obéissance,

en même temps il se montre compatissant aux petits et auxfaihtcs. Il aime A recevoir mi-même leurs réclamations et Ajugerleurs dinerends. Les sentences qu'il rend sous le chêne de Vin-t ennessont en quelque sorte l'image de la protection vigilantequ'il ëtend sur tont son peuple. Xous ne parlons pas de 1 inépuisa-ble charité dont il donna de si éclatantes preuves, ni de tant d hô-pitaux qu'il fonda sur ses domaines pour le soulagement de tousles genres de misères. Le gouvernement de Louis IX mit en reliefle caractère de haute moralité et de paternelle justice, de dou-ceur sans faiblesse et de fermeté sans arrogance, que le pouvoirroyal peut revêtir entre les mains d'un prince capable et éclairé,que remplit le sentiment du devoir, uni &la pensée de Dieu. Unpape contemporain, Alexandre IV, pouvait dire ajuste titre enparlant d'une telle royauté (. C'est un soleil de foi, un foyer de« dévotion, un miroir de bonnes ouvres. Ellebrille par la noblesse< de la race et par la pureté de l'esprit. Le trône qu'elle occupe< oSre réunis la dignité la plus vénérable et de magnifiques ver-« tus, 1 élévation du rang et la splendeur d'une bonté surémi-« nen<e(t). »

Lorsque Bossuet composait son livre célèbre, la Po~Mc tirée</<'~<~w.<«tM~ il avait devant les yeux la monarchie deLouis MV, et il cherchait dans ce modèle la plupart des traitsqu tl annonçait avoir empruntés &la Bible. Mne serait pas absolu-ment exact de prétendre que le règne de Louis !X a de mêmefourni aux docteurs de cet âge le plus grand nombre des

aperçuspolitiques semés dans leurs ouvrages. Toutefois les opinions qu'ilsexpriment, les règles qu'ils établissent, les conseils qu'ils donnent,

~î* ~~<-t "t'MMtmM.~Mm. q.!b~ p~M~t..ttM-AhHM Charitatesang.i.bn.tMat.aniMtpuritatepnehJt; mag..MquidemestSXe" S ~~T~ nobilitate~'S~

a)Htu<!mesta~,sedpnBeeMenUabonKatbillustre. DatumNeapolisept.MendaaS-ltoia ~oHarcAiQue, t. l, p. Lzvt.)

Page 532: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

MO BXCCNSttMSMtSTtMMQUESM PUtt.OSOPHIQUE8

sont, &beaucoup d égards, le commentaire des actes du saint

roi. Assm'ément il aurait approuvé, comme étant d'accord avec

ses propres maximes, les nombreux passages des écrits de saint

Thomas d Aquin où l'Ange de l'école enseigne que le but de tout

gouvernement est le bien de la communauté; que les gouverne-ments ne sont pas institués pour la satisfaction personnelle de ceux

qui sont à leur tête, mais pour l'utilité publique; que les rois sont

les pasteurs des nations, et qu un bon pasteur songe, avant toutes

choses, à l'intérêt de son troupeau. Et ailleurs, lorsque saint Tho-

mas dit qu un prince vraiment digne du nom de roi ne doit re-

chercher ni la richesse, ni la puissance, ni la gloire, si souvent

achetées au prix du sang et de la fortune des peuples; que les

seuls biens dignes de lui sont les biens éternels; que c'est ta quedoit tendre la visée de ses efforts et de ses espérances; que son pre-mier devoir envers ses sujets, c'est de leur inspirer l'amour de ta

vertu et de leur ouvrir ainsi les voies vers la félicité dernière i )1 âme du saint roi n'aurait-elle pas reconnu dans ces paroles une

expression encore plus fidèle, s'il se peut, d'elle-même, de ses

sentiments et de sa politique? Mais la doctrine de saint Thomas

n est pas un accident isolé dans le mouvement des écoles au x<n

siècle on la retrouve chez tous les écrivains de ce temps. Elle a

inspiré à Gilles de Rome quelques-unes des meilleures pages de

son traité DMyoMPc~pMMM/des Mcp$. Le trait commun de ren-

seignement politique des contPmporains et des successeurs immé-

diats de saint Thomas d Aquin, c'est la prédominance de l'élément

moral et religieux. Leur honnêteté, qui trouve sa garantie dans

la piété la plus fervente, ne leur permet ni de conseiller ni d'en-

trevoir même les pratiques déloyales et les sentiers tortueux dans

lesquels la politique sera, deux siècles plus tard, entrainée par

Machiavel, et dont elle aura tant de peine à se dégager.

Cependant la connaissance de la Politique d'Aristote, depuis

peu traduite en latin, venait d ouvrir aux esprits des horizons nou-

veaux. Ainsi, à côté d'autres vues profondes et originales, on

trouvait chez le philosophe grec une savante théorie des formes

de gouvernement, classées à la fois d'après leur but et d après le

(t Nous demandons la ~rmtaehtn de renvoyer. sur tous ces t~tats, &notre livre

de la Philosophie de saint MeeMM<f.~t«tt, t. t, p. 4<M,423 et Mh.

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A TRAVERSM MOYEKA<:E. .3t

nombre de ceux qui participent à la souveraineté. L'intérêt com-mun est-il la fin dernière du gouvernement? h' gouvernenx'nt

s appellera la monarchie ou la royauté, s'il est aux mains d uu

seul; l'aristocratie, s'il est aux mains de plusieurs; la démocratif,s'il est aux mains de tous. L intérêt particulier <'st-il. au contraire,le mobile suprême des gouvernants, 1 intérêt public est-il sacriuéA leurs caprices et à leurs passions? la royauté va dégénère) en

tyrannie, l'aristocratie en oligarchie, la démocratie en démet-

gogie (1). <~cttethéorie savante et vraie n'était pas en désaccordavec la doctrine traditionnelle de l'école sur la mission du pou-voir social; aussi fut-ette aussitôt adoptée que connue. Nous la re-trouvons chez Albert le Grand, chez saint Thomas, chez Jean de

t'aris, chez HunsScot. Elleprend place désormais parmi les pointsles moins contestés de la science politique.

Aristote, dont le véritable sentiment sur la monarchie n est pasfacile à démêler, fournissait néanmoins en sa faveur un argument

que les scolastiques étaient préparés tl comprendre et a mettreen œuvre c est qu'elle est. à tout prendre, la forme de gouverne-ment qui est plus conforme A1 ordre de la nature, puisque, dans

l'univers, un seul Dieu a créé et gouverne toutes choses. <~mmedisait le vieil Homère « Hn'est pas bon d'avoir tteaucoup df chefxn'en ayons qu un seul. O~x ryx~ M~x<~9MM{e~; x~x~;MTM(2).

Mais, en même temps, l'exemple d'Aristote, le portrait qu iltrace des maximes et des mœurs de la tyrannie. devaient rendrede plus en plus vive la réprobation dont elle était déjA 1 ob}et.Nous avons entendu Jean de Salisbury flétrir la tyrannie; avec

quelle énergie croissante n'est-elle pas réprouvée par saint Tho-mas Où est la sécurité, demande le saint docteur (3), ta oft ledroit ne sert plus de règle, et où la volonté, ou plutôt le capriced'un seul, en tiennent lieu? Le tyran, selon la passion qui le

possède, se livre à tous les genres d'oppression s'il est avare, it

prend les biens de son peuple; s it est violent, il verse le sangau moindre prétexte; il tue par caprice, non par justice. Il per-sécute les bons encore plus que les méchants, enrayé de leur

(UPeH~tMt<r.M<Me,t. Ut,ehap.v.(2)Aristotetenaiaeparcevorsd HomtrfteXU"livre<!<'!a~<<tp~<~«e.(3)ta JRMtMo~edeM!<N(MeM<M<~«<M,t. )'. M7<'txMiv.

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&M EXCmStOXS!USTOMQfE8ETPtULOSOPHtQUES

vertu. qu'il regarde comme une menace pour son injuste domina-tion. U est l'ennemi de la concorde et de la paix il sème ou en-tretient les divisions et les défiances parmi les citoyens, il em-

pêche ce qui pourrait favoriser le rapprochement des volontés; ilavilit les âmes par la terreur; il les rend incapables de tout euurtviril et courageux. Maiheur aux nations courbées sous un pareiljoug: H n est pas plus crue! d'être la proie d'une bête féroce quede tomber aux mains d un tyran.

Hais it y avait a tirer de la PM/yw d'Aristote un autre en-

''ei~nement que la haine de la tyrannie c'est que les formes sim-

ples de gouvernement, royauté, aristocratie, démocratie, ne sont

pas par elles-mêmes tes meilleures de toutes, mais que chacunedemande a être tempérée par quelques emprunts aux deux autresformes. « Certains auteurs croient, dit Aristote (i), que la consti-Il tution parfnite doit réunir jes éléments de toutes les autres. C'est

« pourquoi ils vantent celle de Lacédémone, où se trouvent com-binées la monarchie représentée par les rois, l'aristocratie partes gérontes~ la démocratie par les éphores qui sont toujourstirés des rangs du peuple. La leçon ne fut pas perdue pour

les docteurs du xm" siècle, et saint Thomas se l'est appropriée,non pas seulement dans son commentaire sur le texte du philo-sophe grec, mais dans sa ~<W!Wfe~ théologie.

<'Deux choses, dit-il (2), sont nécessaires pour fonder un ordre« durable dans les États. La première est l'admission de tous à? une part du gouvernement général, afin que tous se trouvent« intéressés au maintien de la paix publique, devenue leur ou-

« vrage. La seconde est le choix d'une forme politique où les pou-« voirs soient heureusement combinés. La plus heureuse combi-< naison des pouvoirs serait celle qui placerait à la tête de la cité« ou de la nation un prince vertueux, qui rangerait au-dessous de< lui un certain nombre de grands chargés de gouverner selon

les règles de l'équité, et qui, les prenant eux-mêmes dans toutes« les classes, les soumettant à tous les suffrages de la multitude,« associerait ainsi la société entière aux soins du gouvernement.

Un tel État rassemblerait dans sa bienfaisante organisation la

(<)~oKM~Me,t. M,chap. tn. trad. de M. Barthélemy Saint MMre.('! AaPhiloopAiede m~< Mom<M~~M~ 1.1. p. <t3.

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A TRAVERSLE MOYE~ AGE.

« royauté représentée par an chef unique, l'aristocratie carac-« térisée par la pluralité des magistrats choisis parmi les meilleurs« citoyens, et la démocratie ou la puissance populaire, mani-« testée par l'élection des magistrats, élection qui se ferait dans

les rangs du peuple et par sa voix.Ainsi la science politique, sous 1 influence dAristote, fit, au

xtM" siècle, un nouveau pas, et un pas considérable. vers une

conception plus complexe et plus haute du gouvernement qui s'a-

dapte le mieux aux besoins des peuples et a la faiblesse humaine.Elle ne considéra pas !a royauté elle-même, quelque vénérable

qu elle se fût montrée sous saint Louis, comme étant la meilleuredes constitutions; elle chercha des garanties, dirai-je seulementcontre la tyrannie? non, mais contre les défaillances éventueltesde la personne du roi; et elle les trouva dans le mélange de toutesles formes, c'est-à-dire dans la participation des grands et du

peuple aux auaires publiques. Ajoutons que là encore la communedoctrine de l'école se rencontrait avec la pratique habituelle deLouis IX. Le gouvernement du saint roi n'oSre sans doute pasl'image, pas même l'ébauche d'un gouvernement représentatif,comme l'a cru &tort M. Beugnot mais s'il se réservait, sur-tout dans les cas importants, la décision suprême, comme l'a mon-tré si clairement notre savant confrère et ami M.de Wailly dansses éclaircissements sur JoinviHe (2), Louis IXaimait à s'entourerde bons avis; il se faisait assister par un conseil de seigneurs et de

prélats: il ne refusait pas aux bourgeois des diiférentes villes Favan-

tage d'être consultés sur les affaires relatives à leurs intérêts, surles monnaies, par exemple. Un pas de plus, et la logique va nousconduire &l'idée d'une imposante réunion dans laquelle tous leséléments de la nation se trouveront rapprochés, l'Église et la so-ciété civile, la bourgeoisie et la noblesse, et qui, sous le nomd'états généraux, aura pour mission d'appuyer, de guider et decontenir l'autorité personnelle du monarque.

(<)D.MMMn~<t<at«'<MttM~<K«(MMdfMt«t<to'tX, couronnéen M2t )'.trtAc.t-dén):edea inscriptions et beUes.h'ttM~ (V~y~, -Mrcet ouvrage, un article d)<DatMot),Journal des .SaMtt~ 1822, p. 3' tt stttv.!

(2) U n'est perMnM qui ne connaisse ft qui n ait admiré la magniBquf<Mttmttd'su'uvrM de J!MM<,«fe Joinville, dnnnée par M. de Wailly ~Parb. tt<?3, gr. ia~(Voyez,p. 04 et suiv. de cette éditiun, lédiUf<:iMe''Mntsur le tiuMMirn'ya).~

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63: EXfUMtCXS Ht~TOmQCES ET PtHMSOPtHQtES

Chose remarquable ce dernier progrès s'accomplit en fait souscel"i des successeurs de saint Louis qui poussa le plus loin l'in-fatuation de son propre pouvoir Philippe le Bel, comme on l'a

remarqué, fut le premier qui s'abstint de viser dans ses ordonnan-ces l'avis des gens de son conseil, et qui se servit de cette formule

despotique Par !a plénitude de notre autorité « royale. «Mais,lorsque l'ambitieux monarque se vit aux prises avec la papautédans un conflit qui rappelait les luttes des empereurs d Alle-magne et des pontifes romains. il ne crut pouvoir opposer à sonredoutable adversaire une défense plus efficace qu'en faisant

appel au dévouement de tous les ordres de l'État, clergé, noblesse.bourgeoisie. Ainsi fut convoquée l'assemblée mémorable qui setint à Paris en 1302, et qui est considérée par la plupart des his-toriens comme la première réunion des états généraux. La situa-tion critique où la royauté française venait de se placer eut pourrésultat d'assurer, sans coup férir, à la nation la plus haute ga-rautie qu'elle pût réclamer pour la bonne gestion de ses affaires.

Comme il importait de frapper l'opinion publique et de la con-

quérir, Philippe le Bel mit en mouvement les légistes qui fré-

quentaient sa cour et qu'il était dans l'usage de consulter. Ceux-ci.nourris de l'étude et pénétrés de l'esprit des lois romaines, em-ployèrent toute leur habileté, tout leur savoir historique, juridi-que et théologique, à démontrer l'entière indépendance de laroyauté française et les droits qu'elle tenait de Dieu. Nous n'ana-

lyserons pas longuement le traité célèbre, faussement attribué àGilles de Rome, qui a pour titre De M/~Mp jM/M~e (i). Le butavoué de l'auteur, quel qu'il soit, c'est de prouver que le pouvoircivil est distinct du pouvoir ecclésiastique, et que le pape n'a pasautorité sur les princes en matière temporelle. Cette thèse estétablie, dans une première partie, par quatre sortes de preu-ves i° par des preuves tirées de la nature; 2' par des preuvestirées de la théologie; 3" par le droit canon; 4"par le droit civil.Nous sortirions de notre sujet en insistant sur cette discussionhérissée de textes et de subtilités; mais, à la fin de la seconde

partie de l'ouvrage, nous devons signaler le chapitre où l'auteur

t)Pubtt~dansle reeaeUdeGotdMt,Moaotr&taMxcMNomoK<t<HpeW<,Franco.fordia!.Mt4,ttt~ftt.t. M.p. M <twtv.

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A TRAVEE LE MWEX AGE Ma

réclame pour la royauté capétienne l'indépendance et les droits

qui sont reconnus A la puissance impériale. Les Francs n'exis-ta ient-itspas avant l'empire d'Allemagne, et même avant l'empireromain? Ils descendent (les Troyens: ils ont lutté avec une vaieur

infinmptable contre les légions de Rome ils n'ont jamais subison joug. Établis d'abord dans la Pannonie, puis sur les bordsdu Rhin, enfin dans la taule, leur nation n'a été la vassale d'au-cun autre peuple. En fût-il autrement, les Francs, à une certaine

époque, eussent-ils reconnu un autre suzerain que leur chef, ilsvivent indépendants depuis un tel nombre de siècles, qu'il yaurait, sous ce rapport, prescription à leur profit. Le roi de Francen'' reconnattpasde supérieur ici-bas; son pouvoir vient de Dieuet ne relevé pas d'une autre autorité que celle de Dieu.

Telle est la conclusion du traité De M/~Mp potestate. C'est éga-lement le cri que tes députés de la bourgeoisie firent entendredans un pamphlet, sous la forme d'une adresse au roi, qui paruten i302. lors de la réunion des états généraux « A vous, très« noble prince, not)!'esire, par la grâce de Dieu, roi de France,

supplie et requiert le peuple de France, que vous gardiez la« souveraine franchise de votre royaume, qui est telle que vousne reconnaissiez de votre temporel souverain en terre, fors que« Dieu. »

L'auteur de cette supplique prétendue était un conseiller de

Philippe le Bel, Pierre du Bois, énergique adversaire de la pa-pauté, contre laquelle il avait composé, sous le titre de <M</<o/ jo~<p, un traité qui ne doit pas être confondu aveccelui que nous venons d'analyser.

Considérez maintenant les progrès de la pensée de Philippe leBel, dans d'autres écrits de Pierre du Bois, dans les mémoires

politiques qu'il adressa au roi à diverses époques, ouvrages du

plus haut prix, dont le principal a été retrouvé et mis en lumière

par M. de Wailly, et plusieurs autres par M. Boutaric (1). Il ne

s'agit plus pour l'auteur de défendre l'indépendance de la royauté

LomfmotMdeM.d~WatttysurPierredaBotsaétépnbMédanstaBtMtoM~K"(! r~ofe <f<<chartes,2-'sé)'!e,t. Mt.et dans!M~mo<rMde ~Mt~Mte<<M<M.<'<<~Mo«~t.XVIII.LesécritsretrouvésfarM.Botttartcont parudanstetomeXX.u. Il8rtle,desroticeset extraitsdes»aar~uscrits.Voyezaussil'articlequeIL Renantt"parMe,à ~o<tcM e<e~<t<~tomeMMMXMf~.Voyezlittéraire delaFrance.<.cMMacrpa Mcrrcda Botaaa tomeXXV!de t'~t~fe MMfotfede ?ff<Mcc.

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536 EXCCRSMNSHISTORIQUESET PHILOSOPHIQUES

française, mais de lui préparer tes voies vers la domination uni-verselle. Pierre du Bois estime que tout le monde est d'accordpour souhaiter que les Français commandent à l'univers. Inspirépar cette ambitieuse confiance, il montre comment le

roi deFrance, tantôt par la ruse, tantôt par la force, un jour par destraités, le lendemain par la guerre, pourra s'emparer des Étatsde l'Église et de la Lombardie, devenir le suzerain de Cons-

tantinople, de l'Espagne, de la Hongrie, aspirer même au tronc

d'Allemagne. De si vastes desseins ne sauraient évidemment s'ac-

complir sans que beaucoup de sang ne soit versé; mais qu'im-porte ? En supposant que quatre-vingt ou cent mille hommes nerevissent pas leurs foyers, la population n'en paraîtra pas pourcela diminuée. « Vous possédez, dit à Philippe le Bel l'impi-« toyable publiciste, un trésor inépuisable d'hommes qui suffi-« sent à toutes les guerres qui peuvent se présenter. »Dure parole,que saint Thomas d'Aquin n'aurait pas prononcée, et que Gillesde Rome, s'il l'a connue, n'a pas dû approuver. Pierre du Bois,il est vrai, n'aime pas la guerre; il en détourne Philippe le Bel,et il a donné pour titre à l'un de ses écrits ~M~MM~*M<~ abbre-t'M~OMe~M<weH'M~</oc~'MM.Mais, s'il redoute le péril des aven-tures belliqueuses, c'est pour le roi plutôt que pour le peuple;ses scrupules l'abandonnent lorsque l'existence qui est en jeu estcelle non du prince lui-même, mais des hobereaux qui ne possè-dent que peu ou point de terres.

Ainsi la royauté française, qui ne voulait d'abord que s'af-franchir de la tutelle des papes, était poussée par ses ardents

apologistes à sortir de ses anciennes voies, à étendre au dehorsson influence, à revendiquer pour elle-même l'universelle do-mination que les empereurs s'attribuaient. Il est manifeste que de

pareilles prétentions s'accordaient difficilement avec les légi-times prérogatives des états généraux aussi n'ëst-il nullement

question de ces assemblées dans les écrits de Pierre du Bois. Lesavis qu'il émet s'adressent à un monarque qui peut ce qu'il veut,et dont l'autorité ne doit être gênée par aucun contrôle.

Nous ne trouvons de même aucune mention des états géné-raux dans le commentaire de Jean Buridan sur la Politique d'A-ristote. Ailleurs, et sur d'autres matières, l'auteur a fait preuvede sugacité et de hardiesse; mais quand il arrive aux questions

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A TRAVERS LE MOYES AGE. M7

de gouvernement, il montre une réserve excessive. Il v.~ jusqu'àdire que le roi, à la différence du tyran, n'ayant en ~.ue que lebien de ses sujets, doit posséder un pouvoir sans limites, une au-torité absolue (i). Il n'admet pas que le maniement des aSaircsde l'État tombe aux mains des pauvres (2). Comme dit Albert

II n'y a rien de si intraitable qu'un pauvre qui est parvenu. ».i~WM~V p~/MM~e çuna co~M~ M~wM. Le premiersoin des pauvres, s'ils avaient le pouvoir, serait de s'enrichir,et, une fois devenus riches, ils se rendraient oppresseurs. Cepen-dant Buridan est loin de préférer la richesse aù mérite; et il en-tend que les fonctions publiques soient conférées non aux plusopulents, mais aux plus dignes (3). Ce qui nous paralt le plusoriginal dans ce commentaire de la Politique d'Aristote, c'estrénumération des avantages de la monarchie héréditaire. L'au-teur accorde qu'en soi et d'une manière absolue, se et A/M-/~c< (4.),l'élection, qui permet de choisir pour prince le meil-leur, vaut mieux que l'hérédité; mais il a très bien vu et il ex-pose avec beaucoup de précision les côtés principaux par lesquels,dans la pratique, l'hérédité est préférable à la monarchie élec-tive. i° Leprince, qui sait que son fils doit lui succéder,le prépareavec soin à recueillir l'héritage de la puissance royale; 2° lessujets, accoutumés Aobéir au père, acceptent sans peine l'autoritédu fils; on n'a pas à redouter les brigues ni les divisions quiaccompagnent une élection; 4" le~~ume n'est jamais sans roi;dès que le roi est mort, il est remplace par son fils. Bossuet, danssa Po/~Me ~.ec <A?~c~we .sa~ n'a pas fait valoir d'autresarguments en faveur de l'hérédité monarchique.

Mais, lorsque Buridan soutenait cette cause, et lorsque Pierredu Bois, avant lui, encourageait de sa plume les desseins despo-tiques de Philippe le Bel, ni l'un ni l'autre n'était l'unique etcomplète expression soit du sentiment public, soit des doctrinesde l'école; et a côté d'eux s'élevait plus d'une voix incommode

(!)QMaMMMMa<<oe<oMf<MPo«/<cafMM.Oxont!,1040,in.4",Tt,q. 2. r. t8(1) tn 8M )w!ttta Mon

dehet habcr.. potcstatemiimttatam. hnodébetMMsumMtM..)IlRn lnAnapollua11011debethaberi-poteatatemlimtlatarn,hnoltebet1.'8$t!I\UmIUIIS.1)

(a)C!MM«oMeo,etc.,tu, q. s, p. i~.(3)~M.Mt.q. i9, p. 157 pftnehtaHMsuutdtstrtbuen.ttsecundotndignitat.-Mti) usperquodpoUUaordinatur,mumht ttMmdcbttum,sedhocestMcunduM\ir-« tutwot nonmciindamdMttas.(<) ~M.Mt~q.M.p. t09.

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Mt EXCURStOXSHtSTOR!QfESETPHILOSOPHIQUES

qui soutenait, tantôt indirectement, tantôt dans les termes les

plus précis et les moins équivoques, les droits de la souveraineté

populaire.Nous hésitons à ranger Duns Scot parmi les partisans des doc-

trines démocratiques; il ne les a pas, en tout cas, hautementsoutenues, et son nom n'est pas resté attaché à la défense decette cause. Que dire cependant des lignes suivantes de sonCwWMC~/<WC~K~/f JM<?/ des XC~/MCM(i)?

« il y a deux sortes de principal ou d'autorité, savoir l'au-« torité paternelle et l'autorité politique. Celle-ci, à son tour, est

double, en ce sens qu'elle réside en une seule personne ou dans« !a communaaté. L'autorité paternelle est juste en vertu de« cette loi de la nature qui oblige les enfants à obéir à leurs pa-« rents. L'autorité politique, qu'elle réside dans une seule per-

sonne ou dans la communauté, peut également être juste envertu du consentement général et du choix de la commu-

« nauté elle-même. Que des personnes étrangères les unes auxau-« tres, s'étant proposé de bâtir une ville ou de l'habiter, aient re-« connu qu'une autorité quelconque leur est nécessaire pour être« bien gouvernées, elles pourront convenir de confier le soin de'<les r<!gir soit à un chef unique, soit à la communauté; et, si« elles font choix d'un chef unique, elles pourront se réserver« le droit d'élire après lui son successeur, comme il a été lui-mêm"< élu, ou bien elles le choisiront, lui et sa postérité. »

Le consentement du peuple n'est-il pas représenté dans les

lignes qui précèdent comme la source de tout pouvoir politique?Maisla théorie du droit populaire est beaucoup plus nettement

accentuée chez d'autres docteurs, entre autres chez Marsile dePadoue.

L'ouvrage le plus considérable de Marsile de Padoue est le traité

quil écrivit contre la suprématie pontificale, vers l'année i32&,sous le titre de De/c~Mo~-~ac~ (2). Les discussions théologiquesy occupent moins de place qu'on ne pourrait s'y attendre; au

contraire, la politique y reçoit des développements qu'il est rarede trouver chez les écrivains de cette époque. Après une exposition

(t)At&~CM<ttb. tV,dist.t5,q. 2.p.M5.(2)PabUépar Gotdast,.M<Mtan-~M!,etc.. t. n.Cf.Franck,iM/bfMaMM~e<pu-

blicistesde~tM-<~18M,ia-8",p. 142et sniv.

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A TRAVEB8 LE MOYEX AGE. &?

très diffuse, d'abord de l'origine de la société, puis des dinéren-tes formes de gouvernement, Marsile aborde les questions fon-damentales. Il distingue dans chaque État deux sortes de pouvoir,celui qui fait les lois, ou législatif, et celui qui veille à leur exécu-tion, ou exécutif. Le pouvoir législatif réside dans l'assemblée dupeuple. La loi est l'expression des suffrages de l'universalité des ci-toyens ou de la majorité d'entre eux(i). Après avoir voté la loi, c'està eux qu'il appartient de la promulguer, afin que nul n'en ignore.de la changer, de l'interpréter, de la suspendre, selon les dif-férentes nécessités des temps et des lieux. Sont seuls privés dudroit de suffrage les enfants, les esclaves, les étrangers et lesfemmes (2). Aceux qui lui opposeraient que la multitude, en géné-ral, ne possède ni le savoir, ni l'expérience, ni les vertus qui doiventdistinguer le législateur, Marsile répond que le soin de préparerles lois doit sans doute être abandonné à un petit nombre de per-sonnes capables, mais que l'acceptation déSnitive de la loi app:M'-tient au peuple et ne saurait être prononcée par personne mieuxque par l'assemblée du peuple; et pourquoi? Parce que la fin dftoute législation est le bien du peuple, et que le peuple s'entendparfaitement à discerner si les mesures qu'on lui propose ne favori-sent pas les intérêts d'un seul ou de quelques-uns au détriment de1 '~térét de tous (3). Si la loi émane des citoyens, la puissanceexecutive, qui a pour mission de faire exécuter la loi, dérive, aplus forte raison, de la même source. Loin de reculer devant cetteconséquence de sa doctrine, Marsile y insiste et la développe aveccomplaisance. Il se prononce, avec la plupart de ses contempu-rains, pour l'unité du pouvoir exécutif, c'est-à-dire pour la mo-narchie mais il la veut élective, Il ne méconnaît pas, il exposemême très amplement les avantages de la transmission héréditairedu pouvoir, mais il n'en est pas touché. Il estime que l'élection

t~f ?~' M~M" seeundnm«-rHatematquec<msmamAns.toM~IegtshtoKmsencatMamtegis eaectiTam.prtmamet propnam,MMpopntnm.ntotells,legislatoremseucansamlegisetfectivam,prim81netpropriam,essepopulum,~~2~ejusvalentiorempartem,per .uamt-h.ethmem

generali ""W~M< perMnN.nemexpMMNn..S~ Separanturac!Tib~paeri,servi,adve~M mtdieres..u

< mn. Ex "s.m~tM.dtnem~ attendHurt~ corn.utilitas.eoquodnemosibi libenter.~M~< < potestq.!Mbet1 X~i~ aut <omm.d~quamaliorumavelcommunitatis.»

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EXCUnS!OXSH)ST<HMQUE8ET PtHMSOPHtQOESMO

oure plus Je garanties que l'hérédité, qu'il y a plus de chances

pour qu'un roi élu possède la prudence, la justice, l'énergie etles autres qualités indispensables à la bonne conduite des aBaires.La force de la logique, si respectée de l'École, conduisait Mar-sile &reconnaltre au législateur, c'est-à-dire au peuple, le droitde corriger le prince, partons plus clairement, de le déposer, s'il

transgresse les lois. Lepeuple, en effet, est le premier souverain~s/ <WMtMtM/& <A)M~<M~<(/<M'.Maisit est juste d'ajouter quelesexplications de notre philosophe sur ce point délicat sont assez

embarrassées, comme s'il était lui-même enrayé de la téméritéde ses maximes. En tout cas, il donne au peuple le conseil de ne

frapper que les transgressions graves, scandaleuses, qui peuventamener la subversion de l'Etat, et de négliger les fautes légères.les abus passagers (t).

Marsitede Padoue, comme son surnom l'indique, était originaired'Italie, et c'est en Allemagne, Ala cour de l'empereur Louis de

Bavière, qu'il a composé le traité auquel nous venons de faire

quelques emprunts. Mais, dix ou douze ans seulement avant demettre au jour cet ouvrage, il avait été recteur de l'Universitéde Paris, comme en témoigne la part qu'il prit à une délibération,en date du i2 mars i3t2, que rapporte Du Boutay (2). 11appar-tient donc par ce côté à ta France, où it compta des sectateurs

ardents, entre autres Jean de Jandun, maître des artiens au col-

lège de Navarre. Une traduction française de son ouvrage circulamême dans les écoles de Paris (3), non sans y causer quelquetrouble, qui émut la cour de Rome. Il est à remarquer que, siles propositions qu il a émises contre la primauté et l'indépen-dance du saint-siège ont été censurées par la Faculté de théologieet condamnées par le pape Jean XXM, la censure ne s'appliquepas A ses doctrines politiques. Pour mieux apprécier l'influence

que celles-ci ont exercée, il serait intéressant d'avoir sous les yeuxles leçons sur la Politique d'Aristote, auxquelles MeNicolas d'Au-

(t) Ce~MMfpae«,p. t7&,179,tM, !?.(2) ~r~. PMtp. Paris., t.iV~p. 163.

(3)~M.,p. t77 «Cm aceeptMet(SacraFacultas)MaKitHerroresinMngMmGai-«HMoamadcoatnmeMamSanetteSedtsaBoanatH~versasfuisse,conataestaaetaremadetegere. (Cf.V.LeClerc,~MtOMMsur f~o<deslettresaMJKF"sit-cle,<MH.:n-a<1.1,p.377.)

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A TNAVEBSLE MOYKKAGE. &U

tricourt conviait, en <3t8, la jeunesse de Paris. Le juste et l'in-juste devaient former la matière principale de l'enseignement:et le professeur promettait a son auditoire de lui apprendre lesmoyens d'établir de nouvelles lois et d'amender tes anciennes ( t).Nicolasd'Autricourt était, en effet, un novateur, comme en témoi-gnent des doctrines entachées de scepticisme, qui le firent con-damner par la Sorbonne. En métaphysique et en logique~ ilmontra une telle hardiesse, que nous attacherions beaucoup deprix à connaître ses doctrines politiques. Hest à présumer qu'ellesétaient fort libérales, et plutôt tournées vers ta souveraineté po-pulaire que vers la royauté.

Maisun ouvrage que nous possédons, et dans lequel il est facilede retrouver, sinon la lettre, du moins l'esprit des maximes prè-chées parMarsite de Padoue, c'est le traité de Nicolas Oresme,ilCf /Mtw<oM de la Mo~ow. Cet ouvrage, consacré à un sujetspéciai, n'aborde pas directement les questions politiques; mais,de la première à ta dernière ligne, il respire l'amour d'une sageliberté, la haine de la tyrannie. L'auteur menace d'une chute pro-chaine les monarchies qui écrasent leurs sujets sous un joug dé-testé. Les rois veulent-ils conserver leur trône et le transmettreà leurs descendants? Aristote leur en indique le moyen c'est dene pas abuser de leur pouvoir. Que le prince ne pressure pas sespeuples; qu'il ne les irrite pas par d'injustes exactions; qu'il res-pecte leurs franchises, s'ils en ont, et qu'il leur en octroie, s'ilsn'en ont pas; qu'il se garde de les troubler dans l'exercice de leurliberté; qu'il ne réclame pas pour lui-même l'absolue puissance:qu'il se contente de celle que la loi et la coutume lui accordent.II faut abandonner le moins possible, comme dit Aristote, à la dé-cision arbitraire du monarque. En développant ces maximes,Oresme tourne ses regards vers la France, et il remercie Dieu den'avoir pas permis que les francs courages des Français fussent siabattus qu'ils consentissent à devenir serfs. Puis, dans quelques

(t) D'Argentré,Ce<tee<t«<<c.de Mop.en-er~tM (Lutethe ParMornm, t728, ln-fol.1.1. p. ?7). iMMMammer~ Je texte de cette corienseaNehe «Qotetunquevoluerit

MdiMMbtmn Politicornm ArietoteMs, cnm quibMedamqtMMMontbasln quibus« dtaMptatar dejasto et injmte, per quas poterK novas leges eondere, eonditas, si<. qaœsint con-~endœ, eerrttcete. veniat ad (a~m locum; taveniet magtstnun Nteo.etaamdeANtticarta, qNtdocebitomniaista in dicta lectum.

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543 EXCmStOSS HISTORIQUES ET PHtLOSOPHtQt'ES

lignes menaçantes, que nous avons eu occasion de citer aillent 1),supposant que la maison royale de France n'a oncques appris à

tyranniser, ni la nation de France a servir, il ne craint pas de pro-phétiser que le jour ou la tyrannie aura prévalu, le royaume

périra.Moins d'un demi-siècle après le règne de Philippe le Bel, et

malgré les courts des légistes, champions de la monarchie absolue,il existait donc en France un fonds de doctrines libérales, démo-

cratiques même, qui avaient eu dans les écoles quelque retentisse-ment et auxquelles les esprits les plus judicieux n'étaient pasdemeurés étrangers.

Cesdoctrines, que nous avons vues poindre dès le vn~ siècle,n étaient destinées ni a disparaître ni a rester enfermées dans leslivres et dans l'enceinte des écoles. Auxétats généraux de 1355 etde 1356. le sentiment des malheurs du pays ayant contribué à les

propager dans les rangs de la bourgeoisie parisienne, elles ins-

pirèrent les tentatives de réforme politique auxquelles se rattachele nom détienne Marcel. La volonté du peuple fut alors proclaméepubliquement la première des lois; et Marcel, devenu le chefd'une puissante faction, essaya d établir un gouvernement nou-

veau, dans lequel les états généraux, régulièrement convoqués,auraient exercé une influence décisive sur la marche des affaires.Aux mouvements populaires que l'exemple des Parisiens suscitadans plusieurs villes, répondirent, dans les campagnes de l'Ue-de-France et de quelques parties de la Normandie et de la Picar-

die, le soulèvement des paysans et les scènes sanglantes de la

jacquerie. Maisil suffit à la royauté de laisser l'insurrection s'userAParis et jeter répouvante dans les provinces pour avoir raisonde ses derniers efforts. La réaction qui suivit ne se montra violente

que durant quelques jours elle fit place bientôt Aune calme ap-préciation des besoins et des vœux du pays. Lorsque Charles Y futmonté sur le trône et qu'il se vit en pleine possession de l'autorité

royale qu'il avait exercée comme régent pendant la captivité duroi Jean, son père, il usa de son pouvoir avec modération, et

accomplit peu &peu, à petit bruit, quelques-unes des réformes

t) DansnotrememeiMsur lesComatemeMeN~def~e<Mte«Mepolitiquedans&*<~c<~e<duMK~eMd~e.

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A THAVEBS LE MOYEX At:E. ~i:<

pour lesquelles Étienne Marcel avait combattu et était mort. Mais.tout modéré qu'il était, le gouvernement royal testa alors sans

contrepoids. n est a remarquer que, pendant le règne de Char-les V, les états généraux ne furent convoqués que deux fois une

première fois AChartres, en 1367, si l'on peut appeler du nomd'états généraux la réunion des députés de quelques provincesseulement; une seconde fois il Paris, en i3C9. Le roi s'attribuata nomination des agents chargés de veiller au recouvrement des

impôts il éleva de sa propre autorité le droit de fouage il quatrelivres dans les villes, et à deux livres dans tes campagnes. C'estla monarchie absolue qui vient de renaMre, tempérée parla sagessepersonnelle du monarque, tolérante, éclairée, laborieuse, capa-ble de grandes choses a force de patiente modération, mais af-franchie de tout contrôle et n ayant à rendre compte de ses actes

que devant la conscience du monarque et devant Dieu, exceptédans ces jours d'aveuglement de la part du souverain et de colèrede la part des sujets, où l'excès du mal pousse le peuple à la ré-volte. Est-ce à dire que la marche des idées fut suspendue? Assu-rément non; car, lorsqu'une idée s est fait jour dans le monde, ilse peut que son cours se ralentisse; il ne s'arrête pas. Cependantil est constant que, sous Charles V,on n entend plus s'élever, enfaveur de la souveraineté du peuple, ces revendications énergi-ques dont nous avons retrouvé l'écho sous les règnes précédents.Le droit populaire s'efface pour un quart de siècle devant la

royauté, ou, s'il reparait dans quelque ouvrage, c'est à la dérobée,comme une parenthèse inattendue, qui témoigne de la persis-tance des aspirations démocratiques.

Un écrivain que la Faculté de droit de l'Université de Parisavait admis, en i369, au rang de ses docteurs, Philippe de Leyde,a laissé deux ouvrages où sont agitées des questions politiquesce sont un traité De cw<~~'p~~M* ~o~e jtM'Mc~<M~ et un

autre, qui appartient à la vieillesse de l'auteur, Dp/o<'MMet ~M/M

«~M~c~ (i). On y trouve les vues les plus saines sur le but de

1 État, qui est le bien de la communauté, et sur les obligations duprince, qui doit se montrer le fidèle observateur des lois et met-tre tous ses soins à défendre les intérêts de ses sujets. Philippe de

(0 Mt«pp<de ~<<e«<yae(<t<<M.~trM<eo.po(t(M:t,etc.ABMhehxtamt,i70t, !n-4'.

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Mt EXfTHStOXa MtStMtQVES ET P)Mt.080Pt)tQt;ES

leyde insiste d une manière toute spéciale sur la protection duc

aux habitants de la campagne; il veut que leur sécurité et leur

liberté soient assurées, qu'ils puissent vaquer paisiblement à la

culture des champs de ces conditions surtout, suivant lui, dé-

pend la prospérité de 1 État (<). Ce sont assurément là de sages et

nobles maximes: toutefois il ne faudrait pas en conclure que Phi-

lippe de Leyde est d avis de restreindre tes prérogatives du prince.Hien au contraire, il réclame pour le prince et la richesse et la

puissance, et il Marne énergiquement ceux qui cherchent il limiter

son pouvoir.Les cités, dit-il (3), qui invoquent leurs privilèges pour en-

e chamer, contenir et entraver la puissance dit souverain, ces

cités ne mettent pas le bon ordre dans 1 État. mais bien la con-

« fusion et te désordre. Et, en elfet, lorsque, dans une cité, les

gens du peuple et les grands travaillent à dépouiller le prince,« et en quelque sorte à le déplumer, il advient de deux choses

« l'une ou le prince, A force de patience et d'habileté, arrive,« par des voies obliques, à rompre les mailles du filet qui l'en-« lace; ou blea, courbant la tête sous le joug, conduit comme un

< esclave là où il ne voûtait point aller, il voit s'écrouler sa puis-« sance; et, malheur plus grand, 1 État tombe aux mains d'une

« foule de maîtres qui, sous prétexte de veiller à son salut, l'op-

priment et l'étouuent. »

Faut-il voir dans ces paroles une allusion au triomphe passagerd'Étienne Marcel et de ses complices?

Considérons maintenant un ouvrage qui eut un bien autre re-

tentissement que les traités de Philippe de Leyde, le Songe dit

t~~M'. Peu de livres ont trouvé plus de lecteurs et ont été plusgoûtés, sur la fin du moyen Age, que ce dialogue célèbre entre

(t) De/bfMtaetMM<<~re~xM<e.p,p.402 eUbiagrtotttofesoperasmsUeMMcr-<'fêtepMMhentar.ibiMtosdiapersaet ineurvata.CaltoresagroramnMdeblitaM'«bertatefnMmtar.ft~KatM«ptendiftaofdiaaUoaefeMgMt.

(9)MM.tp. !?< aCi~ttatesqueeperprWt~htipsteMneeNapetcaMampfiBdp!<cathenant,Mgant.hapedinntet in servttutemtedtgaat.MabenerMapnbticamdb-« cathenant.figant,impediantet in servitutemredlgunt,nonbenerempubliemdis-apottuat,aedveredtMtpatttet deformant.Et MMcivitates,ptebe!ieeatMJoMSMper«bunommprtactpbdeptnmaMonelaborant,jadtdatnresidebitinbterumatteram aut«diM~MMindustdap~neipantisperobMqnasviaslaqueos<ab)~cat<)8aveMet.auteob«}agomaMtMaUspaaii~MdecMnaM.tandemqaononvalt tmnttdaetas,potentia«Macorruet;et MspabMca.quodgraveest,pluresdep!omb!tMbpaMtoeoMnîeBUam«prtndpateseamdemaoBOcante~»

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A THAVEtM! LE MOYEN A'!E. M5

MCHMMMMM<tM<tCM.

un clerc qu! défend la papauté et un chevalier qui prend partipour la prérogative royale.

Quel qu'en soit l'auteur, qu il faille lattribuer A Philippe deMézières, ainsi que M. Paulin Paris la soutenu dans ne savantmémoire, ou bien à Raoul de Prestes, comme le croit M.Franck ile but de l'ouvrage n'est pas doute c'est 1 apologie, c'est laglorification de la royauté française. L'écrivain anonyme s'at-tache Adémontrer que cette royauté ne relève ni du pape ni de1 empereur. Serait-il vrai qu'elle relève du pape? La Bible, Aris-tote et la tradition prouvent le contraire. Mais elle peut encoremoins être considérée comme la vassal des empereurs d AHema-~ne. Ni par la loi de Dieu, ni par la loi naturelle, ni par la loi civite.eMene dépend de l'empire. L'empire est l'héritier de !a puis-sauce romaine or les Romains n'avaient aucun droit sur le restedu monde, si ce n'est celui que la force brutale peut créer~ et ja-mais ils n'ont subjugué les Francs. Le roi de France ne reconnaitd'autre supérieur que Dieu. Telle est l'étendue de sa puissance,qu'il peut, de son autorité propre, lever des impôts (2), et quec'est pour tous ses sujets un devoir de conscience d acquitter ceuxqu'il a établis. Il est vrai que les mesures qu il ordonne doiveutêtre inspirées par le bien public et, autant que possible, confor-mes à l'usage; il ne doit s'écarter de la coutume du royaume etcréer de nouvelles charges que si la nécessité le commandemais les cas ou la nécessité justifie une contribution extraordi-naire sont, si nous en croyons l'auteur, en assez grand nombre.Ainsi, la défense du pays, la guerre sacrée contre les in&dèlesou les schismatiques, la captivité du roi. une naissance dans la li-pnée royale, la chevalerie du fils du roi, le mariage de sa Elle,

(1) .Me'M.de <c<!<<.des «M<-f~MM<~t. XV, p. 336 et Mtivt Fraxch. ~/bfMa.h')<Met p«&Mc~et ~«n~M, Paris, i8M, in~ U y a, comme on M:t, deuxtextes, t'Mt français, l'autre latin, du ~oa~p du Vergier. t~ texte f~nfaift, qui parait"n Mre le tMte or!gt<MÎ,existe dans ptusteorstxaMttMrKs;H a été joint au y~<M ~p<«M~ des libertés de f~Mtc ~aMtCMKe,ParM, t?3i, tN.foh t. H. Le texte tatin faitpartie du !<" votmnedu recueilde Goldast. MoKare/tto~etc., que nousavonscité plusd une fois dans le eonMde ce travail.

(2) Goldast. 1.1. p. tu « Que jure rpx FMnetfppc~tt gabetta~. !mp<M!MomMet« alla enera extraordinaria MMtUs iNdm-ere" Respondeo quod r~gM'lui mm M.KnoscantsnppdotMNin ten-ts. pesant tates exactioneaintroducere; fujus modi estMXFmnehp. »

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EXCURSKH~ tMSTOMQUES ET Ptm.OSOPIMQCES5M

l'acquisition d'une province, voilà autant de circonstances qui au-

torisent la levée tie nouvelles taxes en vertu de l'ordre du prince.

JHaisquoi! se peut-il que cet ordre émane de sa seule volonté?

Les états généraux ne seront-ils pas appelés a donner leur appro-bation a l'accroissement des charges publiques? Point délicat;sur lecluel le .S<M«~</« t~'<~M'<*garde un silence prudent. Apre-;

que le clerc a cité comme un des caractères (le la tyrannie 1 aver-

sion que le tyran professe pour les assemblées et le soin qu il prend

d empêcher, autant que possible, les citoyens de se réunir, le cire-

valier se croit dispensé de répondre a ce reproche par les louan-

ges qu il donne au gouvernement de Charles V. Est-ce donc un

tyran, s écrie-t-il, que le prince qui aime son peuple et qui con-

sacre toutes ses pensées, tous ses etibrts, à procurer à ses sujetsla tranquillité et la paix? Et toutefois, dans le cours du dialogue,

1 auteur, par la bouche du chevalier, fait une concession dif-

ficile à concilier avec l'ensemble de sa doctrine. Non seule-

ment il admet que les ressources provenant des taxes doivent

être exclusivement employées dans l'intérêt public, mais, si elles

reçoivent un autre emploi, si elles sont aNectées à des divertisse-

ments et autres dépenses de luxe, il déclare que le prince man-

que au premier de ses devoirs, que sa faute est d'autant plus

grande que son autorité est plus absolue, qu'il mérite d'être dé-

posé, et que le peuple est en droit de choisir un autre sou-

verain, sauf à laisser dormir ce droit par crainte de plus grandsmaux ~t). Charles V aurait-il approuvé cette concession faite au

droit populaire~ qu'il aimait à laisser dans l'ombre? On peut croire

qu'il l'estimait peu dangereuse sous un règne prospère, comme le

sien, où elle ne pouvait trouver son application. Quelque juge-ment qu il en ait porté, la maxime échappée à l'auteur du ~<M~'

(<)Goldast,t. t, p.tu Siprinfepsjustitiamdenegaretsubditis. si sintinductiredttnsextraordiaarHjastadecausaseilicetprodefpMhmepatrtc,neceomododeR'M-daturq<MpoMitetdebet,necredKusadtUnmtMntn,sedlnatiomeonvertantnr,tnnc

«tatMreditusjuste~saentd~negariimojurescrtpto,MtperdtctaminerectœrationtsfMndato,merKoa rt~mtNe[prtneepBJtanquamindtgnttsforetdeponendM.Etsi

<')arfgtmtaetotiusregalsicnegligeret,emtttMdeponendus;et tteeretpoputoaKum«<iiMpr!tK:!p<'MfMgere. » H est&K'txaftNMque paeM~est shtgttMèK'meutadoucidansletextefrançais,quine contientMêmepas,au moinsdanslesedttton!'etdanstesmanMMrttsquenousavonseussousles yeux,lesmembresdephrasestt'spluscaractéristiques.

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A TRAVERSLE MOYE?)A6E. M7

</MF~'y~ méritait d'être signalée comme une preuve curieusedes tempéraments que les plus énergiques soutiens de la pré-rogative royale apportaient parfois dans la défense de cettecause.

La politique habile et heureuse de Charles V avait comprimepour quelques années, elle n'avait pas réussi à étonuer enti~'K'-ment les doctrines démocratiques qui dès longtemps s'étaient fait

jour, soit dans les agitations populaires, soit dans les harangues etdans tes livres des docteurs. Charges V mort, elles reprirent leurcours avec une étonnante rapidité.

Six semaines n'étaient pas écoulées depuis les obsèques du

prince défunt, une insurrection, qui présageait les malheurs du

règne de Charles VI, éclate AParis. Lepremier jou!\ le chancelierde France, messire MUesde Dormans, croit qu'il suffira de quel-ques paroles sévères pour faire rentrer le peuple dans l'obéis-sance. « Vous savez, dit-il à la foule ameutée, que la ville de Paris« a été privilégiée par les décrets des anciens rois, embellie de

mouuments par une sag*eadministration des revenus publics,« et qu'elle a toujours été entre toutes, que dis-je? par-dessus tou-tes les villes de France, traitée avec beaucoup d honneur et d'ai~Il fection. Mais que veut dire ceci, d'oser venir ici, tout agités« de fureur, pour adresser vos demandes à la majesté royale avec« le ton du commandement plutôt que dans un langage respec-

tueux, et la menace à la bouche plutôt qu'en suppliant? »

Inutiles remontrances! Le lendemain, comme la sédition con-

tinuait, le chancelier en était réduit non seulement à concéder1 abolition des taxes que les Parisiens se refusaient à payer, mais

s'incliner devant la souveraineté populaire. « Les rois, s'écri~'<t-il, auraient beau le nier cent fois, c'est par la volonté du peu-« pie qu'ils règnent, et $<ccMe~sM<'ye~,~pf ~M~~ s!<~<<<~o~M~'KM; c'est la force du peuple qui les rend redoutables.« Les succès des sujets donnent de l'éclat à la royauté; mais il« est du devoir des rois de pourvoir avec vigilance au salut de'< leurs sujets, et de leur procurer les charmes de la paix, les« douceurs du repos et de l'aisance (i). »

(1) C~MM~Mfdu religieux de MfM<.DeH~ t, th. V). trad. de M. BeMaguft,t. 1, p. 4&et 6)ttv.

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EXCNtStOXS HtSTONQUES ET PmLOSOPtMQCES5t8

Sous le règne de Charles V!, comme dans la suite au tempsde la Ligue, les prédicateurs se livrèrent souvent, du haut de leurs

chaires, aux attaques les plus virulentes contre l'autorité royale.Bien que les invectives et les menaces qu'ils se permettaient trou-vassent leur excuse dans les malheurs du temps, elles n'en étaient

pas moins un symptoms grave de l'état des esprits, et elles attes-

taient, dans les rangs du clergé et dans les ordres religieux,certaines tendances, disons mieux, une doctrine très arrêtée, plu-tut sévère qu'indulgente pour la royauté.

Maisdes paroles échappées à l'improvisation, des discours ins-

pirés par les circonstances, et qui n'ont laissé de traces que dansles écrits des chroniqueurs, offrent pour nous moins d'intérêt

que les œuvres méditées à loisir, qui contiennent l'opinion rénécbiede leur auteur. Ce n'est pas que, dans les années calamiteuses dela fin du xn" et du commencement du xv" siècle, la France ait

produit quelque ouvrage éminent, consacré à la science politi-que mais la misère du peuple, la pénurie du trésor, les discordes

civiles, la triste situation de l'Église elle-même, déchirée par le

schisme, l'assassinat du duc d'Orléans et l'apologie publique de cemeurtre par Jean Petit, suscitèrent beaucoup de controverses et

beaucoup d'écrits, dans lesquels la subtilité scolastique se donnatrès souvent libre carrière, mais qtd renferment aussi des partiesintéressantes sur les questions de gouvernement. Il y a même cecide remarquable que, dans quelques-uns de ces écrits, le senti-ment monarchique se réveille fréquemment avec une énergie inat-tendue. Les écrivains, les orateurs connaissent les obligations quisont imposées &la royauté, et savent les lui rappeler; mais plus ladémocratie parisienne se montre factieuse et criminelle, plus landélité au roi et à sa descendance apparatt comme une garantiede bon ordre et de paix, tandis que l'intervention des assemblées

qui doivent contrôler l'exercice de l'autorité royale est jugée

inopportune et dangereuse.Voici, par exemple, un conseiller, un secrétaire de Charles VI,

Pierre Salmon, que le roi est supposé consulter, et qui lui adressedes avis, '<touchant son état et le gouvernement de sa personne, »ainsi que porte le titre de l~uvrage. Salmon n'ignore pas, et il

rappelle A Charles Vt, que les rois sont investis de la puissanceroyale, non dans leur intérêt, mais dans celui de leurs peuples;

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A TRAVERS LE MOYEN AGE. 549

qu ils doivent les gouverner débonnairement et avec justice; que« le peuple a toujours l'œil au roi, » et que, si le roi n'est hommedroiturier et équitable, son royaume est bientôt corrompu et dé-truit. Mais, Ala suite de ces sages conseils, qui tendent à modé-rer l'exercice du pouvoir royal, vient se placer, sous la plume dePierre Salmon, un avis de tout autre caractère, c'est que le roi doitse déSer des assemblées de nobles et de bourgeois, et gouvernerplutôt par lui-même « Gardez, sur toutes choses, que nulles gran-« desassemblées de nobles ni de communes ne se facent en vostre

« royaume; mais toutes questions et descors ja meuz et à mou-« voir prenez en vostre main, et remettez comme roy et souve-« rain à raison et justice; et que par vous justice soit maintenue« et bien gardée en vostre royaume (t). »

Mais c'est principalement le chancelier Gerson qu'il faut en-tendre sur ces matières, d'abord parce qu'il a été un des espritsles plus éclairés et les plus honnêtes de son temps, et, en secondlieu, parce qu'il a pris la part la plus directe aux événements

publics.Gerson est partisan déclaré de la monarchie, et la raison qu'il

donne de sa préférence pour cette forme de gouvernement est lamême que nous avons déjà rencontrée chez saint Thomas d'Aquinet chez d'autres docteurs c'est que l'unité dans le gouverne-ment est un principe de force, de paix et de stabilité; que, prised'une manière générale, l'unité est la loi du monde, et que, pourbien gouverner une nation, il faut un seul chef, comme il y a unseul Dieu pour gouverner l'univers (2).

Non seulement Gerson est partisan de la monarchie, mais il laveut héréditaire. « Le royaume, dit-il, se gouverne et se maintient« mieux par succession que par élection. En divers passages deses écrits, il signale deux avantages de l'hérédité monarchique le

(i)Les~lemandesfattespar leroiCharlcsy'l, touc%aretao~eli'tat,ctc.,ac~eclesr~f-(i)Les(<pot<Kt<<M/a«<'<Par le )'e< CAa~exr/, ~oMC/<aM<MM/~<!<,e<c.,afec/Mr<<-poa~M<~Pierre-Satmo~Mmseere<<!tM~am<«ef,pobMcMparA.Cmpetet.Part~,M33.gf. tn.a",p. tOt.

(2) nafe~we /<ttc<e au nottt de ft~MMtM de ~«~, etc., en <40&.Pxfia, <Mt,in.8", p. 3 « La BUe(ht roy. la mëfe des Mteaces congnott ft stait par ta docMtX' th's

théotogteM.juristes,phUoMphMet poètes,enespectaïparladétermiaattonexpre~ed'AftstoteenMaPo!<«~«M.queroyaumeourègneestpotieeet gouvernementmeU-

"tearetptus durable,convenableet raisonnaMequisoit,à!'exemp!edumondequiM'estgouvernequeparunDteasouverain.?t)

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EXCURStOXS HtSTOMQUES ET PHILOSOPHIQUESSjO

premier, c'est que le roi, qui considère le royaume comme sachose propre, est dirigé, dans l'éducation de ses enfants, par la

pensée qu'ils recueilleront un jour son héritage; le second, c'est

que les sujets, accoutumés à obéir au père, sont plus enclins à obéirAson fils qu'à des maures nouveaux et étrangers (i).

Aces maximes profondément monarchiques, à des déclarationsdp Mélité quelquefois enthousiastes, comme celles qui remplis-sent le célèbre discours prononcé devant Charles V!en i t05, sur cetexte t7''<<r/ on trouve mêlés, dans les ouvvrages de Gerson,les plus austères conseils pour la royauté, l'énergique revendica-tion du droit des peuples, la haine de la tyrannie. « C'est une er-« reur de croire, dit-il, que les rois peuvent user à leur gré de la

« personne et du bien de leurs sujets, les grever arbitrairement

d'impôts, sans que l'utilité publique l'exige. Agir ainsi, ce n'est« pas se conduire en roi, mais en tyran. » « C'est une autre« erreur, dit-il encore, de croire que les rois sont aSranchis de« toute obligation envers leurs sujets; bien au contraire, selon ledroit naturel et selon le droit divin, ils leur doivent iidélité et'<protection. S'ils manquent à ce devoir, s'ils se conduisent in-« justement, surtout s'ils persévèreut dans leur iniquité, c'est le« cas d'appliquer cette règle de droit, qu'il est permis de repous-« ser la force par la force. Sénèque n'a-t-U pas dit qu'il n'y a

K pas de victime plus agréable à Dieu qu'un tyran (2)? »»

Étrange citation dans la bouche d'un écrivain qui devait pour-suivre avec une ardeur infatigable le libelle de Jean Petit en fa-veur du tyrannicide Ailleurs Gerson rappelle, et cette fois il

parlait devant Charles Vt, que « peu souvent tyran meurt de mort« naturelle; il est bay de Dieu et du monde; et n'est presque si

petit, s'il veut sa vie aventurer pour oster la vie au tyran, qu it

(t) MnfpH~Me~p. <2 Onobétstptu~voluntiersa cettiyqu'on a accaustuméque a un

Mtrangeou nouvel. Il(Cf.Opp. t. tV,cet. 6M.)(9) CoHaMefo<tottM~~MCtp<&«<te~<feM<M<<<t«HM<m~.Opp. t. ÏV, cot. 622; ~M~.f«). 62~ « Erforest dicere lerrenum prinripem in nnMosuIssubditis domino duranteoMtgari,quia aecandmn JosdMoum etnatnratemtBqMitatctnct vcrNtndomintitncm,qut'txadmodnmMtbdMtdebent MdMu,Bubstdttunft senittum domitto,sic eUamdomi-nasmbdithttdein debet et )'MtKt!oncm. Et si eos manifesteet cam obstinatione lninjurtaet do facto prosequatur princeps, tune regula hmcnataratts Vimvi rfpeMerp

« ttcft, toeom tMtb'4; Mft<'Hfe~tf trago~h <H<tHattw gMt~f <t!ma q<t<mtyra".OU!n

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ATMAVEMÎ.EMOYEKAGE. 55t

« ne puisse trouver manière et voie de le tuer et délivrer le« pays(i)." )1

C'est par de tels avertissements, nous pourrions dire par de tel-les menaces, portés jusqu'aux pieds du trône, que Gerson serattache aux tendances démocratiques; il tempère ainsi, non sans

s exposer au reproche d'inconséquence, la vivacité qu'il porteailleurs dans l'expresssion de son dévouement à la royauté. Maison peut, Il bon droit, s'étonner que l'illustre chancelier, qui dé-teste les abus du pouvoir et 1 injustice, n'ait pas vu que le moyenle plus efficace de les prévenir ou d'y remédier, c'est le contrôled'une assemblée qui représente la nation auprès du roi. H n'in-

dique ni cette garantie ni ce remède; il en parait enrayé plutôtqu'il n'y est porté. Aussi, après avoir marqué le rang qui appar-tient dans l'État au clergé et à la chevalerie, c'est-à-dire à la no-

blesse, il ne laisse en partage à la bourgeoisie elle-même que letravail et la sujétion. « En l'état de bourgeoisie, dit-il, doit être« le fer du labeur et la force d'humilité. C'est expédient A

« l'état populaire, continue-t-il, qu'il soit en subjection. C'est« expédient que l'état populaire soit par les autres plus hauts états« gouverné. C'est expédient que le roi, qui est le chief d'or en« valeur et en authorité, ne sueure point confondre les offices< des membres dessous soy. Le chief ne doit point user des

« pieds comme des bras en sa défense. Si ne doit point comman-der aux populaires et aux bras de bourgeoisie, quils soient« armés régulièrement comme les bras de chevallerie doivent

« estre car ce seroit confusion. Si seroit l'accoustumance très« périlleuse, injuste et dommagieuse (2). »

Dansces paroles de Gerson, si défavorables à l'action politique,nous ne dirons pas de la multitude, mais de la bourgeoisie, il

faut tenir compte de l'impression produite sur lui par le spectacledes funestes désordres dont il était chaque jour témoin. Il étaitau fond plus libéral que quelques passages de ses discours ne leferaient croire.

Voulons-nous écouter un docteur contemporain qui se trouvemoins mêlé que Gerson à la lutte des partis, et qui sut peut-être

(t) NaMM~tte/0t<e<ea« MM~crr~fM'~ p. 94.(2)Oratioad Ne~eMt,4 sept.14t9,0/ t. IV,col.676.

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Ma EXCURSIONSHtSTOMQUESET PHILOSOPHIQUES

les apprécier avec plus de calme? Voici en quels termes le car-dinal de Cambrai, Pierre d'AiUy, s exprime sur les avantagesd'une monarchie pondérée

O-Xpnm

« Le gouvernement monarchique, dans lequel un chef uniquecommande &la multitude avec sagesse, est sans doute préfëra-

« Me& toute autre forme simple de gouvernement cependant,« si la monarchie est mélangée d'éléments empruntés les uns Ll

« l'aristocratie, qui consiste dans le gouvernement des meilleurs,'<les autres à la démocratie, qui est le gouvernement du peuple,

ce gouvernement mixte l'emportera sur tous les autres, attendu

« qui! fait participer Al'exercice de la souveraineté le peuple et les« grands. Legouvernement monarchique ne mérite la préférence« qu &la condition de n'être pas corrompu. Or ce grand pouvoir

qu'on accorde au roi expose la royauté à dégénérer en tyrannie.« a moins que te roi ne possède une vertu parfaite, qui se ren-« contre rarement. Aussi, dans la nation d'Israël, a qui le peuple« chrétien a succédé, les rois que Dieu avait institués ne possé-« datent pas la plénitude de la puissance. Un seul chef commandait'< à Israël: mais cette monarchie était tempérée d'aristocratie,

puisque soixante et dix vieille ds étaient délégués pour remplirl'office de juges à côté du monarque; elle avait aussi quelque« chose de démocratique, puisque ces soixante et dix vieillards

étaient élus, et que le peuple entier participait &l'élection (i). »C'est en i4i7, durant le concile de Constance,que Pierre d'Ailly

écrivau les lignes qu'on vient de lire. Il avait alors en vue le gou~vernement de l'Église autant que celui de l'État; il prétendaittempérer lautorité du souverain pontife par celle du concilegénéral de même que le pouvoir royal par le contrôle d'une as-semblée librement élue. En ce qui concerne l'Église, il put croire,à considérer quelques-unes des décisions du concile, que la cause

qu'il soutenait était gagnée; mais il ne pouvait nourrir le même

espoir pour la société civile, surtout en France.Ala faveur de la division qui régnait entre les princes du sang,

et que l'incapacité du monarque, atteint de folie, ne contribuaitque trop Aentretenir, tous les ressorts du gouvernement s'étaientbrisés. La souveraineté populaire avait eu dans Paris ses jours de

t Ceecclesia et car~~a~MM <KtC~W~a<c,au tome H des <EMtW<de CerMa.

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ATRAVERSLEMOYENAGt:. 5M

triomphe, et, à plusieurs reprises, tes habitants de cette grandecité avaient fait 1 expériencedes excès auxquels peut se porter laviolence d'une foule aveugle et déchaînée. Or il serait contraire &la nature de l'esprit humain et aux lois de l'histoire que les fu-reurs démagogiques n'eussent pas refoulé du côté de la monarchie

beaucoup d'esprits honnêtes, dégoûtés de la liberté politique <'tde la démocratie.

« Votre successeur légitime, et la reine, et votre chevalerie,votre clergé, votre bonne bourgeoisie, disait Gerson devant le

« roi, après l'insurrection des cabochiens, estiez comme en ser-

« vage et en très dure et vile servitude, par l'outrageuse entre-

prise d'aucunes gens de petit ou de nul estai qui vouloient« donner et quérir leur propre profit. Dieu l'a permis, afin (lue

nous connoissions la domination royale et celle d'aucuns po-« pulaires car la royale a communément et doit avoir douceur« et miséricorde. Noble cueur li est piteux; mais cueur villain a

domination tyrannique et qui se détruit elle-même (i). »Dans son Z~e de la Paix (2), commencé en Ht 2 et terminé

vers Hi4, Christine de Pisan tient le même langage, mais avec

plus d acrimonie. Serait-ce qu'elle veut l'oppression des peu-ples ? Bien au contraire « ~e plaist à Dieu, suivant elle, que ils« soient à princes trop asservis, ne foulez par outrageuses char-« ges. » Mais, encore tout émue des mouvements tumultueux, tourà tour grotesques et sanglants, auxquels elle avait assisté, elle

entend qu'aucune part ne soit accordée dans le gouvernementaux gens de mestier, qui ne connaissent d'autre travail que celuides bras et des mains, qui ne sont jamais sortis de leur atelier,qui n'ont pas fréquenté les légistes, coustumiers en chose de droitet de justice, qui n'ont point appris à parler ordonnément parraisons belles et évidentes, et qui, sachant à peine le P< /«M/<v,

incapables de se gouverner eux-mêmes, voudraient gouvernerl'État. Que dire des assemblées où ils se concertent? Leplus fou

(i) Opp.t. IV.cet. 6M.(2)LeLivredela M~ commebeaucoupd'autresouvragesdu mêmeauteur,est

encoreinédit;maisM.RaimondThomaMyena puMiéde longsfragmentsdanssonL~ssaisur leséeritspolitiquesdeChristinedePiaare(Paris,i838,in-8°).Nousavons~Ma<~t«'er)~~<<~MesdeCAWt«<!e<<efMa<t(Paris.1S38,dansles lignesquiempruntéà ce ttwaii exeeMenttes testesque nousanalysonsdanstes ti~nesquistuvent.

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EXCtJBStOXSmSTOMQrESETPHK.tSOPMQUES554 i

y patte, le tablier sur soi, un pied en avant, l'autre en arrière, les

mains au c&té. Les conclusions qu'ils adoptent sont prises sans

débat. Au sortir (le là ils sont prêts à toute espèce de crimes. tt

suffit que l'un d eux commence, ils suivent comme des moutons

la fureur du sanglier le plus féroce ne saurait leur être comparée;ils ne respectent ni prince, ni princesse, ni seigneur, ni maître,

ni voisin, ni voisine; ils tuent, massacrent, pillent, dérobent.

Yoi!:<,selon Christine de Pisan, ce que produit la domination des

menus populaires, nous dirions aujourd'hui de la vile multitude.

Ces invectives éloquentes et courageuses contre les excès de la

démagogie répondaient Apeine aux sentiments d'indignation et

d'horreur éprouvés par tous ceux qui en avaient souffert. Christine

(le Pisan, si contraire à l'influence politique du bas peuple, ad-

mettait du moins celle de la bourgeoisie. Aux bourgeois notables

et d'ancienne lignée, comme elle dit elle-même, elle accordait

certaines prérogatives, elle reconnaissait le droit d'intervenir dans

les affaires de leur cité, et sans doute aussi dans celles de l'État.

Mais, à mesure que les malheurs s'aggravèrent avec le désordre,

ils ne laissèrent place dans les âmes découragées qu'au besoin de

la paix et d'une autorité assez forte pour la rendre au pays.En Hi7, le duc de Bourgogne reçoit la soumission de plusieurs

villes du royaume, qui lui rendent hommage, dit le religieux de

Saint-Denis, commeà un envoyé du ciel, ~<M~M<MMde ca?/oemissu.

« Comme je demandais souvent, continue le même chroniqueur,« la cause d'une adhésion si subite, de ces applaudissements et

« de cette joie inaccoutumée, il me fut répondu « Les habitants

« du royaume sont à ce point accablés d'exactions et de vexations

« pécuniaires et autres, que ce mot est le seul sur les lèvres de

« chacun « Vive, vive quiconque pourra dominer, pourvu que« la chose publique puisse jouir des biens de la paix! Vivat,

« MP<?~~M<<~<MMMMM'<~0~'<<~M ~<MMCMMMMe~C~MM~~P~)M-« A/«'<?in ~M/C~~MMJtMCM (i)! »

Le jour où cette paix, objet de vœux unanimes, serait rendue

&la France, n'avait pas encore lui en Hi7. Avant d'y arriver, le

pays devait subir, durant de longues années, tous les maux de la

'guerre civile et de la domination étrangère. Sauvé enfin par Jeanne

(t)C&roM~Me<<Mfet~tett~<~eSat'CeM~,t.Vt.p. Bt,tmd.deM.BeUagaet.

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ATRAYKMm MOYENAUE 555

dArc, il eut, après tous ses désastres, la chance inespérée de

trouver en Charles VI! un roi digne de ce nom, qui réussit en

quelques années à pacifier, à réorganiser et à relever le royaume.Mais, dans les années prospères de ce règne inauguré si triste-

ment, la volonté du prince devint la seule loi. Meut près de luiun conseil dont il prenait l'avis et auquel il avait donné d'assez

larges attributions; mais il ne réunit pas les états généraux, et,:) l'exemple de son aïeul Charles V, « il gagna ce point (i), selon

l'expression de Commines, d'imposer tailles Ason plaisir. Ce

fut en vain que les princes réunis à Nevers, en 1H2, firent en-tendre quelques doléances et essayèrent d attirer a eux les nobles.les gens d'Église et le commun peuple, « pour faire tous ensemble

nouvelles ordonnances et bailler gouvernement au royaume de« par les trois états. » Charles VHleur fit savoir que si jamais ils

tentaient quelque chose contre lui ou contre la majesté royale.il laisseroit toutes besongn~ pour leur courir sus. » Il dé-

clara d ailleurs que, « de son autorité roiale, ven les grans aBai-« res de son royaume, x il pouvait mettre des tailles, et qu'iln'était Mnul besoin de assembler les trois estats pour mettre sus« lesdictes tailles, car ce n est que charge et despense nu povre« commun peuple, qui a à payer les frais de ceulx qui y vien-

nent (2). ?»

Nous ne pousserons pas plus loin cette étude historique. Nous

sommes parvenus, en effet, aux confins du moyen âge, et notre

intention n'est pas d'aborder le tableau des événements ni celui

des doctrines qui appartiennent à l'ère moderne. Toutefois, avantde poser la plume, il nous sera permis de nous arrêter un moment

aux états généraux de 1484, l'assemblée la plus considérable quiait représenté la nation, depuis celles qui s étaient tenues à Parissous le roi Jean et qui avaient laissé de si tristes souvenirs pourla royauté (3).

Quel était, en 1484, l'état de l'opinion? A quelle doctrine se

rattachaient les personnages les plus considérables du pays?

(1) Commines, Mv.Vt, eh. vt, t. H,p. 225 de lédit. de ta Soc. de iHist. de France.

(2) MeaatMtet. éd. Donet. d'Arcq, t. Vt, p. 39 et 50. Cf. Dansin, ~<M!e sur le ~<w-<!erttemett<de Charles fM. SttMbourg, tM6, !n- p. 30 et Mtiv.

(3) Journal des états généraux tentes à Tours en t48~, dans la CoMee/. des Doc.<H<M.sur fN< de France.

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EXCmStOXS HtSTOBtQCES ET PHtLOSOPtUQUES556

A l'ouverture des états, le chancelier de France, Guillaumede Rochefort, rappela en termes éloquents les sentiments d'in-violable fidélité que la nation avait gardés, même au milieu des

plus cruelles épreuves, a la famille de ses rois.« Vous surpassez, disait-il, les nations étrangères par une in-

« fatigable activité d'obéissance. Nous ue lisons nulle part qu'un« seul jour la légèreté de l'esprit, des ordres royaux trop sévères,« les victoires de l'ennemi ou enfin des maux quelcouques,aient contraint la nation de France a être infidèle envers son roi.

Bien au contraire, pour le défendre, pour soutenir son parti,« elle a coutume de courir aux armes avec tout son courage, et

« de mourir même volontairement, si le sort l'ordonne. Ce qu'il« y a de plus difficile devient aisé au peuple de France, quand il'<faut garder la vie du prince et obéir t1ses commandements. Nos

« histoires sont pleines d'exemples de fidélité et de constance.

« Ouvrons les chroniques des nations étrangères nous verrons

'< souventles princes abandonnés de leurs sujets pour la moindre

« cause. Depuis que Guillaume 1~ a conquis l'Angleterre, les

« Anglais sont au neuvième changement de dynastie; et, à daterdu commencement de leur monarchie, c'est le vingt-sixième.« Personne, sans doute, ne reprochera aux Français une telle in-« constance. »

A ces souvenirs habilement évoqués, à ces protestations d'obéis-sance et de fidélité monarchique, un député de la noblesse de

Bourgogne, Philippe Pot, seigneur de la Roche, opposait de gra-ves avertissements et une revendication presque amère des droitsdu peuple.

« Comme l'histoire le raconte, et comme je l'ai appris de mes« pères, dans l'origine, le peuple souverain créa des rois par son« suffrage, et il préféra particulièrement les hommes qui sur-« passaient les autres en vertu et en habileté. En effet, chaque peu-« pie a élu un roi pour son utilité. Oui, les princes sont tels, non« afin de tirer un profit du peuple et de s'enrichir à ses dépens,« mais pour, oubliant leurs intérêts, l'enrichir et le conduire du

« bien au mieux. S'ils font quelquefois le contraire, certes ils« sont tyrans et méchants pasteurs, qui, mangeant eux-mêmes« leurs brebis, acquièrent les mœurs et le nom de loups, plutôt« que les mœurs et le nom de pasteurs. N'avez-vous pas lu sou-

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A TRAVERS LE MOYEK ACE. &&7

« vent que l'État est h chose du peuple? Or, puisqu'il est sa chose,comment négligera-t-il ou ne soignera-t-il pas sa chose? Com-ment des Oatteurs attribuent-ils la souveraineté au prince qui

n'existe que par le peuple? Est-ce que, chez les Romains, cha-

« que magistrat n'était pas nommé par élection? Est-ce qu'une« ici y était promulguée avant que d'abord, rapportée au peu-« pie, elle eut été approuvée de lui? Dans beaucoup de pays en-« core, selon l'ancienne coutume, on élit le roi. Je veux que

vous conveniez que l'État est la chose du peuple, qu'il l'a con-« née aux rois, et que ceux qui l'ont eue par force ou autrement,

sans aucun consentement du peuple, sont censés tyrans et usur-« pateurs du bien d'autrui. »

Où trouver l'expression la plus fidèle des doctrines politiquesauxquelles les enseignements de l'école et la leçon encore plusimpérieuse de l'expérience avaient conduit le moyen Age? Est-cedans les parotes si hardies du député de la noblesse de Bourgo-gne ? Est-ce dans les protestations si fidèles du chancelier deFrance? Nous n'hésitons pas à dire que c'est à la fois dans les uneset dans les autres. Philippe Pot et Guillaume de Rochefort repré-sentent les deux aspects sous lesquels nous avons vu que la mo-narchie a été envisagée constamment depuis ses origines les plusanciennes jusqu'à la fin du xv" siècle. C'était le premier articlede la foi politique du moyen Age, que les peuples doivent soumis-son et fidélité au prince; mais un second article, également admis,également professé, c'est que le prince, de son coté, se doit à ses

peuples, que ses droits dérivent de ses devoirs, et que, s'il man-

que aux uns, il compromet les autres. L'école enseignait quec'est une règle de conscience pour les sujets d'honorer les rois etde leur obéir; mais elle ajoutait que l'autorité royale a été ins-tituée en vue des sujets eux-mêmes et pour leur plus grand bien;que ce n'est pas un pouvoir absolu, illimité, tyrannique plutôtque royal, qui permette au prince de tout oser et qui oblige les

peuples à tout subir. Quelques docteurs n'hésitaient pas à rappelerque c'est l'élection, c'est-à-dire le consentement du peuple, qui,dans l'origine, a fait les rois, et qui les fait encore dans certains

pays. Enfin c'était un sentiment très répandu, que, dans l'intérêtdu prince non moins que dans l'intérêt de ses peuples, pourgarantir ceux-ci de l'oppression, et pour préserver le prince des

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6M EXCURStOXSMSMMQCESETPtMM80PMt(H!ES

entramements qui conduisent à la tyrannie et des fautes que les

meilleures intentions n'épargnent pas A la faiblesse humaine, il

est indispensable que la Myauté se soumette au contrôle des états

généraux de la nation.

Au reste, cette notion complexe de la royauté, qui se dégagede t'élude des doctrines comme de celle des faits, sinon dans l'Eu-

rope entière, du moins en France, pendant le moyen âge, n'était

pas destinée à se transmettre dans son intégrité aux générationsfutures. Les courants opposés qui s'étaient réunis pour la former,

le droit monarchique et le droit populaire, ne devaient pas tarder

à changer de direction, et, sur le terrain nouveau où ils allaient

s'engager, tout présageait que le premier absorberait et étouf-

ferait le second. La royauté française marchait depuis Philippele Bel vers la monarchie absolue; elle y toucha sous Charles V et

sous Louis XI; avec Richelieu, elle s'ynxa; et sous Louis XtVelle

connut, et la nation connut avec elle, les séduisantes splendeursattachées à l'exercice d'un pouvoir sans contrôle, de même que les

périls certains et les épreuves quelquefois mortelles qui en sont

le châtiment.

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NICOLASORESME

KTMS

ASTROLOGUESDE LA COURDE CHARLESV.

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NICOLASORESME

ET LES

ASTROLOGUESDE LA COURDE CHARLESY.

L'astrologie judiciaire repose sur deux hypothèses 1 une, queles événements qui se passent sur la terre, et qui font le malheurdes hommes ou leur bonheur, sont liés aux mouvements des corpscélestes; l'autre, que cette liaison n'est pas dérobée à nos regards,mais que l'observation, aidée du calcul, nous fournit le moyend'en discerner les lois principales. Ces deux hypothèses~ quelquejugement qu'on en porte, se tiennent et se complètent, et la pen-sée n'éprouve aucune peine à passer de l'une à l'autre. La pre-mière d'ailleurs est, pour ainsi dire, suggérée à l'intelligence del'homme par la nature elle-même. A la vue du spectacle descieux, de ces milliers de corps, les uns fixes, les autres errants,qui sont placés au-dessus de nos têtes, et d'où rayonne vers nousla chaleur avec la lumière, comment ne serait-on pas tenté decroire que ces foyers brillants, dont les positions apparentes rè-

glent le cours des saisons, exercent une influence décisive sur leschoses de ce monde, et en particulier sur nos destinées? Poursurmonter ce penchant que la curiosité favorise, que l'imagina-tion entretient, il ne faut pas moins que l'eNbrt vigoureux de laraison éclairée par une longue expérience. Encore'la victoire dela raison n'eat-clle jamais complète; le pr~ugé persiste malgré

tOMOMtMMMMOMWtM. 30

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562 EXCURSIONS'HISTORIQUES ET PHILOSOPHIQUES

les démentis qui lui sont infligés par les faits, et l'aveugle foi dans

la puissance des astres, le fol espoir de lire dans les cieux le secret

de l'avenir, continue à faire des dupes, même aux époques les plusavancées de la civilisation.

On ne saurait donc s'étonner que l'astrologie judiciaire remonte

à la plus haute antiquité, et qu après avoir été cultivée par lt,s

prêtres de la Chaldée et de l'Egypte, par les Grecs et par les ro-

mains, elle ait continué durant le moyen Age à exercer un puis-sant prestige sur les imaginations, même chez les peuples chré-

tiens.A partir du xm" siècle, deux causes principales, la connais-

sance de la Jtfc/o~y~Me d'Aristote et celle de quelques ouvra-

ges des astronomes arabes, contribuèrent à donner le plus rapideessor à cette science fallacieuse.

Après avoir établi que le mouvement qui emporte le monde sup-

pose un premier moteur qui lui-même est immobile, Aristote,au Xlf livre de sa Jtfc~~y~Mc, enseigne que les astres, ayant

reçu l'impulsion du premier moteur, la communiquent au reste

de la nature; qu'ils servent ainsi d'intermédiaire entre Dieu et

les êtres inférieurs qu'ils sont pour ceux-ci le principe immédiat

de toute vie et de toute action. Assigner ce rôle aux corps célestes

dans le mécanisme de l'univers, c'était poser le premier fonde-

ment de l'astrologie judiciaire. Si, en effet, le mouvement et la

vie émanent des astres, l'homme lui-même comme les animaux

et les plantes, comme tous les phénomènes naturels, est soumis

à leur influence sa destinée dépend d'eux, elle est en rapport avec

les apparences qu'ils nous offrent, et, pour la connaltre, il suffit

d'observer exactement ces apparences mobiles et changeantes quila déterminent. L'orthodoxie chrétienne reculait devant cette

conséquence; elle protestait, au nom du libre arbitre et de la

morale, contre un système qui assujettissait à la nécessité les dé-

terminations volontaires de l'Ame humaine; et voilà pourquoisaint Thomas d'Aquin, quoi qu'en disent quelques écrivains, ne

saurait être rangé parmi les adeptes de l'astrologie judiciaire. S'il

croyait, avec Aristote, au pouvoir des astres dans l'ordre matériel,il n'a jamais concédé que ce pouvoir s'étendit aux actes humains,

et sa doctrine soustrait absolument à l'astrologie ce domaine de

la liberté dans lequel l'imagination des faiseurs d'horoscopes

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A TRAVERS LE MOYEX AGE. 5G9

s'exerçait avec le plus de complaisance et le plus de scandale (i).Mais l'autorité d'Aristote n'était pas la seule qui pût égarer

dans ces voies périlleuses la crédulité des esprits. En mêmetemps que la ~<we du philosophe de Stagyre se répan-dait en Occident, l'Europe chrétienne voyait circuler dans lesuniversités le <?«a~ de Ptolémée et les tables astrologi-ques de quelques Arabes, comme Alkindi, Albumazar, Alcabitius,Abenragel. Jusqu'alors ceux qui cultivaient l'astrologie n'avaienteu d'autres guides que Censorinus, Manilius et Julius Firmicus,1,qui pouvaient bien séduire quelques rêveurs isolés, mais qui n'a-vaient pas assez de poids pour entralner le plus grand nombredes esprits. Ptolémée, dans le Q««(~< les Arabes dans leursspéculations les plus hasardées, apparaissent au contraire commeles maîtres d'une science régulière, ayant ses principes et sa mé-thode propre, et pouvant conduire ses adeptes à des résultats in-comparables. Aussi trouvaient-ils des sectateurs jusque dans lesrangs de ceux qui semblaient préservés de cette superstition parune certaine culture. Il y eut désormais peu de mathématiciensqui ne nssent métier de pronostiquer l'avenir d'après l'aspect descieux. Beaucoup de médecins, avant de prescrire un médicament,vérifiaient la position des planètes (2).L'astrologie devint la sciencela plus admirée et la plus recherchée, surtout par les grands.Presque tous les princes de l'Europe eurent à leur service, comme

l'empereur Frédéric 11,des astrologues, sans l'avis desquels ilsn'auraient osé ni livrer bataille ni décider aucune aNaire im-portante (3).

En France, de même que dans les autres pays où des traduc-

(1)B<°./<MHe~<M<<w«M.Opp.t. XIX.p. 286,ed.Rnbeis etSiattquii'jttdieMsas.tforamutaturadpraMMcendumcorporatcsetiectus,pntatempestatemetserenitatcmaeris,MottatemvelinNrmitatemcorpot-is.vetubertatemet eteritttatetnfrugumetthntUaqua:excorporibuset Nattt''atibtMcausisdépendent.nuHttmtidetoressepec-''atum.NamomneshominescircatalespNectusaM~naobsMvaUoneutuaturcorporumcœtMtiMM,sieutagdcot<Bseminantet mftuntcertotempore,quodotMcrtatursceun.dummotamsolts. MocautemomtttnMt<-tte)'eopoft~tquodvoluntashumint~nonpxtsnbJectaNeMM:taMa8trorMm;attoquittperirettiberttMatbOt'tumf qucoubtato,nondeputarenturhomtntnequebonaopéraad merKum.McqaemataadcMtpam.Et !deoprocertotenendumest,gravepeccatumeMecirraM quaia voluntatehomttthdepen.deatJMdtcHaastMmn)utt.?Cf. C. CeM<M,iM,c.82.84.86.86.

(2)Germain,~<. dela eoMMMKef/e~e<t~eM<e<t.IU, p. M8.(3) Mbf), AM. des sciences MN~M'ma~MM, t. M, p. 50 et «ui~.

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56:¡ EXCURStOXSMtSTOKtQUESETPtmoSOPtMQfES

tions latines avaient propagé la connaissance des ouvrages grecset arabes, les horoscopes iirég des astres excitèrent dès h*xm° siè-

cle autant de curiosité que d'espérance, et donnèrent lieu à beau-

coup de recherches et de travaux. Un poète provençal Bératd de

Baux. poussa, dit-on, la passion pour de semblables études jus-

qu Aen perdre la raison (t Quelquesâmes curieuses et timorées

se demandaient s'il est permis de s'adonner à l'astrologie et con-

sultaient Acet égard les théologiens. Parmi les ouvrages contenant

d''s pronostics, on distinguait déjà les livres permis et les livres

défendus Albert le Grand a dressé le catalogue des uns et des

autres 2). et il a même encouru par cet écrit les reproches du

chancelier t.erson. qui blâme son excessive indulgence pour des

ouvres dignes d'anathème (3). Cependant saint Louis n'était pasun roi qui encourageât les spéculations équivoques et justement

suspectt's. !l navait pas d'astrologue Asa cour, et certainement,

à l'exemple de saint Thomas, il regardait comme un péché très

grave de consulter les astres sur les événements à venir qui dé-

pendent de la volonté des hommes. Mais les rois qui lui succé-

th'reMt u imitèrent pas sa réserve. A partir des Valois surtout,

t astrologie judiciaire prit en France un développement compa-rable à celui qu'elle avait en Italie, en Allemagne et en Espagne,au temps de Frédéric It et d'Alphonse X. Ses disciples se multi-

pt~'reut et furent confondus dans l'estime publique avec les

véritables astronomes. Ceux-ci, &la vérité, prêtaient à l'erreur du

vulgaire en cédant eux-mêmes à la tentation de dresser des

horoscopes. Il y a sans doute une exception Afaire sous ce rapporten faveur de Jean de Lignières, que Trithême appelle le restau-

rateur de la science des astres ~), et qui a laissé plusieurs ou-

vrages sérieusement conçus et non dénués de valeur. Mais son

t.i~M<.<<M.de lit ffeMec, t. XVt. )'. ni'.

Voyei:son .s~fcx/tftMf'~t'oMOMtft'M).<)<~Ko de H&WN/<t<H<e~ ~M<'«tafff-

<«t(/<t~t'0('('t.V.t'.<!5aftstth.(3) r<'Me~<t<m<!<~r<"«'m<tP~eof~<Mf.ï.0)')' 1.1. u. co).20t a VMetMfautem.

saho tant! doctoris honore. quod Blentln pïtmnpndts libris tthUtKOphifb. timtam cu-

M)n apptMuit. tta et in apt'r«battoMqoont)adam ttbMruMaatMnotntœ.prfpMfttmdfhni~tntbu! de nattvitatibU! etc., tthntitad partptn Mt'CMt!ttonuM),ratione caMtttium.

dch'nninaott." 1)

~) 0« « W~.<'<t'/f< < <MM~ AfttfttnomM&umntMmMMh'm(MMeetebeMima~.qui)).(mdt~tj'ttttam a MtfttMftahomtttttm jam pcMpabfaMta magMMttpimtauravtt.

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A TMAVEBS LE MOYEN AGE.

disciple Jean des Murs avait rédigé une P<'M<M~«M sw.Co~~c/M~ de ~a~vM~ J~ de J/a~; eUe se lit encoredans quelques manuscrits (i). Un autre disciple de Jean deLanières, Jean de Saxe, ne se borna pas à composer des canonspour la connaissance des éclipses; il commenta Alcabitius, et, s'ilfaut en croire Simon de Phares, il tint à Paris école d'astro-logie (2). L'astrologie peut réclamer, et à meilleur titre encore,1bien d'autres noms, avant comme après Jean des Murs. Ainsi,deux médecins de llontpellier, Arnaud de Villeneuve, auteur d'untraité de médecine astrologique, ~y~c<M ~<~~MM~<~WMP/<M<<w~ et Bernard de Gordon, imbu des mêmespréjugés, comme on peut le voir par son traité De~'oy/M~'cÂ,dans lequel il fait la plus large part aux influences stellaires;

maître Symon de Cuiro, qui prédit la grande peste de 1348dans son traité De ccw'/Mo Solis et .S'c~wM; maitre Guillaumede Louri, que « son grant sens et singulière expérience de lascience des estoilles firent envoyer par les Anglais de Bourgesa Londres « pour y desennuyer le bon roi Jean durant sa cap-tivité messire Jacques de Saint-André, chanoine de Tournaiet grand aumônier, qui eut, à ce qu'on rapporte, l'heureusechance d'avoir prédit la bataille de Cocherel et la victoire de DuGuesclin; enfin le plus célèbre de tous, Thomas de Pisan, lepère de Christine de Pisan, qui fut appelé de Venise à Paris,en i368, par le roi Charles V, pour devenir son astrologue entitre (3).

Nous avons nommé Charles V tous les historiens tombent d'ac-cord qu'il poussa le goût de l'astrologie plus loin qu'aucun deses prédécesseurs. Il était « très expert et sage en icelle, » nousdit Christine de Pisan (H, « et aimoit celle science comme choseesleue et singulière. » Les ouvrages d'astrologie étaient sans com-paraison les plus nombreux dans la bibliothèque qu'il s'étaitforméeau Louvre. Il avait fait traduire en langue vulgaire le Q<M~

(t)MM.Mat.Ma.lat. 7378A.(2)Btbi.nat. Us.fr. 1337,fol. t3t v.(3)Simonde Phares,~aM<m,G<-rmato.~t~. (<<-laeoMMK«edeJlontpelller,t. Ut.

P. ~9: Deta )i«Mec<N<!e<~M<e<MCMcccttMMAJM<M~eW<18:2.!a.4'~V.L.'Clerc,O~eoMMaurM~ <<M fw;MF"<!t~~M. in.s,t. M.p.M!.t s.

W livredes/«<se<&OM<~M<rMMduM~er~ t'/<a<y<'<,p. n, <h.n.

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EXCfRStOXS mSTMUQCES ET PHILOSOPHIQUES~6f:

Iii et le C<w~/o~ de Ptolémée, Guido Bonati, Abenragel, etc. Un

des médecins de la cour, maMreGervais Chrétien, ayant fondé un

nouveau collège, Charles V y créa deux bourses destinées à des

mathématiciens qui devaient prendre le titre d'écoliers do roi,

Ac~e/M~ et ne lire que des ouvrages non défendus par l'Uni-

versité. A ces bourses il ajouta le matériel scientifique jugé alors

nécessaire pour se livrer à l'étude des cieux, c'est-à-dire des as-

trolabes, des équatoriaux, des sphères et autres instruments (i).s'il faut en croire Richard de Bury (2) et un panégyriste de Paris

qui parait bien être Jean de Jandun (3), l'astronomie était, de

leur temps, enseignée dans cette ville depuis un demi-siècle au

moins, c'est-à-dire bien avant Charles V; mais, à partir du règnede ce prince, elle prit un nouvel essor, et cet essor eût été sansdoute plus fécond qu'il n'a été, si la manie des horoscopes n'avait

imprimé aux esprits une fausse direction et consumé leurs facultés

en des recherches frivoles.

Mais plus les spéculations astrologiques, encouragées de si

haut, allaient se développant et s'accréditant, non sans périlpour la théologie elle-même, qu'elles menaçaient de corrompreaussi profondément que la science profane, plus la contradiction

qu'elles avaient rencontrée à toutes les époques de la part de quel-

ques esprits judicieux devait être énergique et opiniâtre. Sansremonter plus haut que les premières années du xn° siècle, lors-

que le mal était encore sans gravité, Hildebert de Tours ne s'était

pas fait scrupule de rire de ceux qui s'exagéraient le pouvoir des

astres sur les événements de la terre (&),et Abélard avait maintenu

(<; M(Charles V)eut en McrveUtenserecommandation tes astroiogiens, dit Simond<*Pharés (<. c.~ fol. t42. r*). et se gouverna par enh, et par espeeial par aagnummémaistre Gervais Chrétien qui fut grand et profond astrotogien. A la requestednqnet et autres de son sang. aymant ladite scienceet par grande déiibératiomda son

{:randonscit et de toute l'Université de Paris, il voulut eonstmirr et édiftier et aprèsfonder on meilleur lieu de Université de Paris, ung collègede astroto~e et médecineoisil mist plusieurs livres singuMersdesdites sciences,en grand et merveiUenx nom-bre. Y mist aussi plusieurs astratabes, équatoires, spères et autres instrmnaas. »

(2) PA<<o~MoH~c. vn). passage cité par Du Bouiay, ~fM. FN!f. Paris., t. IV.

p. 89t.

(3 B«MeM<tdit comité de la langue, de ~Mofre et des er~ de la France. Paris.txx', in~t, t. tH, p. StMctsaiv.; Paris e<<es<f~o~M<t«~ xn* et xv* <Me~ t'arb,t867. in*< p. t et sniv.

(4) J~tMe~erMOpera. Parisiis, i7<M.p. t:9M3M.

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ATRAVERStE MOYEXAGE. M7

les droits du libre arbitre et la contingence des actions de l'hommecontre le fatalisme qui se cache au fond de tous les systèmes dedivination (i). Un peu plus tard, Jean de Salisbury consacraitplusieurs chapitres de son Po~y~ctM à combattre, sous leursdifférentes formes, les superstitions ayant pour objet la connais-sance de l'avenir (2). Maisau xn" siècle ces réfutations particu-lières ne pouvaient plus sumre. Quand l'astrologie pénétrait &lacour du roi de France et qu'elle élevait la prétention d'être offi-ciellement reconnue comme une branche du savoir humain, laplus élevée et la plus utile de toutes, il importait qu'elle fut exa-minée à fond et que la vanité de ses maximes fut pleinement miseil jour. Ce fut la tache à laquelle se consacra Nicolas Oresme.

Esprit judicieux, aussi savant que sensé, il combattit sans relâchel'astrologie, et non seulement l'astrologie, mais la sorcellerie, la

magie et toutes les pratiques superstitieuses qui déshonoraient sonsiècle; et, ce qu'on doit remarquer à sa gloire, il les combattitpar des arguments que, même de nos jours, la raison la plus sé-vère ne désavouerait pas.

Nous avons d~}à rencontré Nicolas Oresme dans d'autres voies,car il en a parcouru plusieurs nous voudrions faire connaîtreavec quelques détails les services que dans celle-ci le docte prélata rendus à la science philosophique. Cette étude peut servir Aéclairer un point curieux de l'histoire des idées au moyen âge:mais, n'eut-elle d'autre résultat que d'ajouter quelques traitsnouveaux à la biographie d'un homme justement célèbre, ellene serait pas dépourvue d'intérêt.

Le catalogue des ouvrages d'Oresme, dressé par Launoy (3),reproduit par Fabricius (4), complété par M. Francis Meunierdans une savante monographie (5), renferme un assez grandnombre d'écrits contre l'astrologie. C'est assurément là un sujetauquel Oresme est revenu à plusieurs reprises; mais, comme l'a

déjà remarqué notre savant confrère M.Hauréau, on a prisa tort

pour autant d'ouvrages distincts tantôt de simples parties d'un

(~ ~MMWo <?B&ramffoa, Opp. éd. V. Cousin, t. p. M9.{9) P«~ercKc<M, Mb.Il, e. m et suiv.

(3) Aey~jfNfarfa' farMe~'s ~M«M~ historia. ParMis, <697, in.4", p. <5C.(4) B<&Ke~eca medix et ~mœ ~<M<<o«~ t. V. p. i20.

(5) Essai sur la vie et ouvrages de Nicole OfMM. Paris, t857. in-8.

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EXCfRStOXS HtSTOMQCES ET PHtLOSOPMQ~S5M

seul ouvrage, tantôt ce même ouvrage inscrit sous des titresdiNerents.

AinsiLaunoy et Fabricius, d'après lui, attribuent à Nicolas Ores-me les ouvrages suivants

C<<? ~Mt~C~'MS~O~OMO~ e/ ~'MC< M ~~AM<se OCfM-

/~M)/M.

/<*WM~M/M/M~a*per ~«~~Mjao~M/n~sMW.~)~~ ca~a'w/WM~A~/MM ~~w<?.

(~MO<Ae/~1'1<y/t'M'~M.f<0«M.De~O~O~awAM~ ~'<~M'OMMM.De MM~O~M~/<'C/f/~O~M/<' M/MW!.Aux ouvrages précédents M. Francis Meunier en ajoute deux

antres en latin De~'<~<M'/«M!a/a/e ~!o~WMco?/~MM! ~o/M-//o~~ ~'a?<~c/M'MM<~oA/e~M!; et un troisième, en français,contre les divinations en général et contre l'astrologie judiciaireen particulier.

M.Meunier a très bien vu que Launoy s'était trompé à plusieursreprises, en croyant à l'existence d'ouvrages distincts alors qu'ils'agissait d'un même traité cité par les auteurs ou dans les ma-nuscrits sousun titre Cirent mais, faute d'avoir lu la notice con-sacrée à Oresme, par M. liauréau, dans le Dictionnaire des 5c/«'<;j9A</<MO/M~M~,M. Meunier a commis une erreur analogue,en considérant les diverses parties de la réfutation la plus com-

plète que Xicolas Oresme ait donnée de l'astrologie comme autant

d'ouvrages à part sous les titres divers que nous transcrivions il

n'y a qu~un instant~'MM res /M/W.P~' ~O/O~M~O~M~~a'~C~'A~~0~~e/ CaM&!?~/W<MWM/W&MM M~a/W<?.

<~M<M/<! et <~t'MP ~MtM/M~<'<.So/M//tWC«/M'a'<~C/OfM~~'0&/PM!M/<W!.Cette réfutation se trouve contenue dans un manuscrit de la

Bibliothèque nationale, inscrit naguère parmi ceux du fonds de

Saint-Victor sous le n" ~39, et classé aujourd hui parmi ceux de

1 ancien fonds sous le n° i5t26.

Ce qui a pu faire illusion à M. Francis Meunier, c'est la note

qui termine ce manuscrit: elle est ainsi conçue « Que secunt<nr

bic habentur, scilieet Questio determinata a magistro Kicholao

Oresme, utrum res future per astrologiam possint presciri.

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A TBAVEBSLE MOTEXA<:t; MM

Fol. i. Ab eodem Rationes et cause plurium mirabilium innatura, Fol. 39. Plura quodiibcta~ et diverse questiones ab eodem.Fol. 80. Solucionesab eodem predictorum prohlematum. Fol. M."~'était-il pas naturel de conclure de cette indication que le manu-scrit qu'elle termine renfermait plusieurs ouvrages distincts, l'uncontre l'astrologie, les autres sur des questions de physique etd'histoire naturelle?

Ajoutons qu'au folio 39 recto, on lit les lignes suivantes, quiparaissent bien marquer la fin d'un premier ouvrage « Et sic

finitur questio contra divinatores, facta annoi3TO. »

Mais~immédiatement après ce passage, l'auteur continue en cestermes « Ut autem aliqualiter pacincentur animi hominum,

quanvis sit extra propositum, aliquorum que mirabilia vi-dentur causas proposui Itic declarare, et quod naturaliter fiantsicut ceteri effectus de quibus conununiter non mirantnr. B Mal-

gré ces mots «Sic nniturquestio contra divinaiores, » l'ouvragen'était donc pas terminé; Oresme y avait ajouté une suite, plutôtdirigée, il est vrai, contre les superstitions qui sont le cortège ha-bituel de l'astrologie que contre l'astrologie proprement dite. Cettesuite elle-même se compose de trois parties indiquées dans la tabh'

que nous avons transcrite plus haut, comme autant d'ouvragesdiuérents; mais ces parties tiennent les unes aux autres et formentavec la première un traité complet dont nous n'avons pas la fin.dont nous ne connaissons même pas le titre avec exactitude, et

qu il suffit peut-être de désigner provisoirement par les premiersmots qui en sont le début « L trum res futurae per astrulogiampossint presciri. »

Quoi qu'il en soit, c est en i3TO, comme on vient de le voir,que ce traité a été composé. Nicolas Oresme, qui n'était pasencore évoque de Lisieux, remplissait alors depuis dix ans la

charge de doyen de 1 églisede Mouen, et il venait d achever latraduction des ~A~ws d Aristoie. 11nous apprend lui-même

qu'il avait longtemps étudié l'astrologie, qu il avait lu les livresdes astrologues, et qu'il avait confère avec plusieurs d entre eux,« sa-pe in astrologia studui, et codiccs revulvi, et cum actoribuscontuli (t). Ailleurs, il renvoie A un ouvrage qu il avait écrit

it) BiM.nat.,Xb.tat. tStae.fol.39

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EXCMtStOXS HISTORIES ET PMtLOSOPMtQUES570

antérieurement contre ceux qui font métier de deviner l'avenir,et dans lequel il avait fait voir le sort malheureux qui les attend.« Adde que in alio tractatu contra divinatores sunt collecta de

flagellis et vindicta illorum qui preedictis se intermiscent (i).Quel était cet ouvrage? Était-ce le petit traité qui est intitulé dans

deux manuscrits de la Bibliothèque nationale Co~a yw~fMM'/<M<M~'<M«MM<Myw se ~o~~< t'o/MM~<y/)e/ qui parait avoir

eu pour titre, dans un autre manuscrit de la même bibliothèqueC<W~WyM<C~0$ <M~'OM<MM<Met ~<~M M /0!/<&<Mse OCCM-

~w</M, et dans un manuscrit de la bibliothèque de Baie Q~f

y~~ <M~wtow/csit ~ef/<~t</<??Ou bien était-ce le livre Des <

~<MM, qui existe, comme le précédent, à la Bibliothèque na-

tionale, sous le nom d Oresme (2), dans deux manuscrits du fonds

français cotés i350 et i995i ? A ne considérer que les questions

qui s y trouvent traitées, on pourrait hésiter entre les deux ou-

vrages, car dans l'un et dans l'autre il est parlé des conséquen-ces funestes que les pratiques superstitieuses ont généralement

pour ceux qui commettent la faute de s'y livrer; mais il est i

remarquer, et nous apprenons par le témoignage même d'O-

resme, qu'avant d'écrire le livre Des </A'MMf~<MM,il avait traité le

même sujet en latin.

« Mon intention, à l'aide de Dieu, dit-il, est monstrer en ce

livret par expérience, par aulteurs, par raison humaine, quefoie chose, mauvaise et périlleuse temporelement est mettre son

entente à vouloir savoir ou deviner les aventures et les fortunes

à venir ou les choses occultes par astrologie, par nigromance,

par géomance ou par quelsconques tels ars, se on les doit appellerars. Mesmement tele chose est plus périlleuse à personnes d'estat,comme sont princes et seigneurs ausquelz appartient le gouverne-ment publique. Et pour ce ay je composé ce livret en françois,ann que gens lais le puissent entendre, desquels, si comme j'ay

(t) Bibi.nat.,Ms.lat.15126,foLt8.(~M.Meunierdit(p.48)qae te nomd Or~mene selit niau commencementnià

lanndumanuscritdeSaint-Germain.c'est-à-dttedumanuscritdufondsfrançaiscotéalors1907etaujourd'itUtt995i.Cestlà uneerreur.L'ouvrage,danscemanuscrit.termineainsi Explicitliberma~striXMoMOresmede diTinaUonibus.Le nomd OreaMese lit égalementdansk manuscrit1350. «Cycommencele MvredeNicoleOresmedeDivinations.o <tciSnistle livrede maistreNicoleOresmedeDivina-tions.»

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A TRAYEBSLE MO~EX AGE. &n1

entendu, plusieurs sont trop enclins à telles fatuités. Et autres foisay je escript en latin de ceste matière. »

Ce passage nous parait trancher la question, et nous n'hésitonspas à conclure que, parmi les ouvrages d'Oresme contre l'astro-logie, le premier en date est le petit traité Co~w ~~w~s

~'<wo~<M.En quelle année fut-il composé? Nous l'ignorons mais

il doit remonter assez haut dans la carrière d'Oresme, s'il a pré-cédé effectivement le livre.Des divinations; car ce livre est lui-même un des premiers que l'auteur ait composés en langue vul-gaire. Cet habile écrivain, à qui nous devons la première traductionfrançaise de quelques-uns des traités les plus importants d'Aris-tote, s'excuse d'employer l'idiome national; il demande grâce enquelque sorte pour son inexpérience Quanque je dirav~ je lesoubsmet à la correction de ceulx à qui il appartient et supplieque on me ait excusé de la rude manière de parler; car je n'avpas apprins ne acoustumé de riens bailler ou escripre en fran-cois..<C'est la le langage d'un écrivain qui débute. Oresme seserait exprimé autrement à l'époque ou il venait d'achever ses ver-sions d'Aristote, « une des plus belles translations de latin enfrançois qui oncques feust faicte, » dit un écrivain presque con-temporain (i).

Le livre Des <~M<M~ fait assez curieux, fut traduit en la-tin cette traduction fait partie d'un manuscrit de la bibliothèquede Baie, coté F. V. 6. Fne note du traducteur, ou plutôt du co-piste. nous apprend qu'il termina son travail à Paris le jour de laSaint-Remi de l'an du Seigneur Ht i. «

Scriptus anno DominiHt i"ipso die beati Remigii. » La même note devait contenir la datede la composition de l'ouvrage original: mais, par une erreur detranscription, elle porte simplement « Explicit liber magistriNicholai Oresme de divinationibus, translatus in latinum quiaipsum composuit in gallico, scriptus anuo domini MMr'xvt*dieseptima mensis decembris; '< indication évidemment fautive,puisque, en i3i6, Oresme n'était pas né. A la date de i3i6. Haenel,dans son recueil de catalogues, substitue celle de m6 (2), quine soulève pas la même objection et qui parait mëm& assez

0) MM. nat.. Ms. fr. 1933. fol. ii6(2) Catal. Mr. MMOtt~-Wp~ coL 63T.

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579 EXCMBMOSSHtSTOMQtESETPHtt.OSOPtMQOES

vraisemblable; mais comme il ne dit pas sur quel fondement il

appuie cette rectification, nous devons la tenir pour arbitraire,et laisser provisoirement indécise une question de chronologie quenous n'avons pas des éléments suffisants pour résoudre.

Nous avons mentionné deux autres ouvrages d'Oresme l'un,De ~'o~o~M~M~c MM/MMMco~~Mw (i), l'autre De Mw~MW/-lette et t~o~M/c ~<~<«MM (2), dans lesquels il touche Al'as-

trologie et aux arts occultes. Dans le premier, il réprouve commedes inventions présomptueuses et impies la théorie de Platon et

les théories analogues sur la grande année, cette année qui verrait

toutes les planètes ensemble, leurs révolutions achevées, revenir

a leur point de départ, après 2~,000 ans selon les uns, après36,000 ans suivant les autres. Dans le second ouvrage, Oresme

mêle à des déunitions purement mathématiques quelques pages

pleines de sens sur les phénomènes naturels à l'aide desquels s'ex-

pliquent la plupart des prétendus prodiges où triomphe l'art fal-

lacieux des sorciers et des magiciens.Quant au traité De /o/MM'MA<MjM'o~<M'/<<MMMM~qui porte,

comme les précédents, le nom d'Oresme, il est cité au nombre de

ses écrits contre l'astrologie; mais il nous a paru ne rien contenir

qui fut relatif à cet objet.Ce qu'il y a de constant, et ce qui nous suffit, c'est que trois

ouvrages principaux, deux en latin et un troisième écrit en fran-

çais, résument dans tous ses détails la polémique opiniàtre queNicolas Oresme a soutenue contre les astrologues de son siècle. Il

est temps de mettre en lumière les traits les plus curieux de cette

polémique, en donnant une rapide analyse des écrits qui la ren-

ferment.

Nous commençons par celui qui porte la date de 1370. Ce n'est

pas le premier, nous l'avons vu, que l'auteur ait composé; mais

c'est le plus considérable.

Les événements futurs peuvent-ils être connus à l'avance parl'étude des astres? Telle est la question que se pose Oresme. En

faveur de l'affirmativ e il allègue quinze arguments tirés de l'au-

torité ou de la raison, et auxquels il en oppose, pour la négative,

(t) Bibl,mat..Ms.ht. T37SA.(2) B!M. nat. Ms. tat. 737t, H5T9. 14580.

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A TBAVEBS LE MOYEK AGE. 57~a

cinquante-cinq consistant à relever non seulement les témoigna-ges contraires à l'astrologie, mais les erreurs et les contradictions,ou plutôt les inepties des astrologues. Mais ce n'est là encore quele prélude de la réfutation que le judicieux écrivain a entreprise.Afin de mettre pleinement en évidence les conclusions qu'il a po-sées, il discute quelques-unes des propositions qui servent de fon-dement aux spéculations astrologiques, par exemple, que la duréede l'existence, le bonheur et le malheur dépendent de l'astre souslequel chacun de nous a été conçu. Doctrine chimérique, répèteOresme pour ainsi dire à chaque page; doctrine qui mène à la des-truction de toute philosophie, car, en expliquant toutes choses parl'influence des corps célestes, par le pouvoir de Mars ou de Sa-turne, c'est-à-dire par des causes générales et éloignées, elle dé-tourne de la recherche des causes prochaines et immédiates, deces causes que cherchait Aristote et qui sont l'objet propre de lascience (i); doctrine d'ailleurs contraire à la morale et à la foi,en ce sens qu'elle dispense l'homme de la prudence et de la prière ?à quoi bon en effet implorer Dieu, à quoi bon se consulter soi-même et consulter les autres avant d'agir, si l'heure à laquellenous sommes venus au monde, ou bien à laquelle nous prenonsune résolution, décide du succès de nos entreprises (2)?

Nous nous attachons, dans cette rapide analyse, aux sommetsdu débat, aux conclusions qui peuvent encore offrir pour nousquelque intérêt, en laissant de coté beaucoup de détails qui n'enont plus et qui sont à peine intelligibles.

Après une longue et minutieuse discussion des maximes et destextes sur lesquels s'appuient les astrologues, Oresme, étudiant laquestion sous une a'ttreface, entreprend de montrer que les faitsqui paraissent le plus merveilleux s'expliquent naturellement,

~t) Ms. ht. t5t26, f. t6 V Et dico quod e~ istts destmitor phttosuphieinqnMiUc.quia isti reeamtnt semper ad Utas causas ceiMt< txuverMtM;et saNcit eb di cerequodisti male acetditquia Saturnus, aut mr8. et cetera. Et non curant de causispro-tMaqniaet immediatiset nnivocis, sïeut euravit Aristoteles.')

(2)~K~ M. i7 f « Argua etiam catholice et moraMerquod taMajndMa et sueetectioMsprimo sunt contra totam philosophiammoratemquia bona prudentia et bonaeh'cho tacta !Mtefprodemtes,seccndnmeos nichUva!eret. nisiesset in horis qnas e!gant. a FoUs f « Snnt etiam contra Mem et devotiouem, et contra dogmatadomininostri Jesa Christ!, In quo est eenBdendum, et sibi attribnendnm, et rpcurrendum ettn hore attribues quod sibideberet attrit'ai. a

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EXCURSMS8HtSTOMQUESETPMM.OSOftMQUES&Tt4

sans qu'il soit nécessaire de recourir ni à l'influence des astres,

ni A celle du démon, ni même à la volonté de Dieu. C'est cette

partie du traité contre l'astrologie qui a été regardée à tort comme

un ouvrage à part, intitulé /h~<M~ <WMa?/)/MMMtM MMfO&~MM

M w~w<?; mais il est aisé de voir qu'elle se rattache à ce qui

précède et à ce qui suit. Oresme indique en termes précis quelleest son intention

« Afin, dit-il (i), de tranquilliser les esprits, bien que par là je m'é-

carte de l'objet de cet ouvrage, je me propose d'indiquer les causes de

quelques phénomènes qui passent pour merveilleux, et de faire voir

qu'iL utivent naturellement, aussi naturellement que bien d'autres

qui ne sont pas regardés comme des prodiges de telle sorte qu'il n'y a

pas lieu de recourir, pour les expliquer, à l'influence du ciel, ce dernier

refuge des malheureux, ni au démon, ni même à la volonté du Dieu

très glorieux, comme si Dieu les produisait d'une manière plus immé-

diate que bien d'autres phénomènes dont nous croyons connaltre les

causes. Je me contenterai de faire cette simple remarque c'est queles faits particuliers ont leurs causes particulières auxquelles il faut les

rattacher; ce qui est très difficile pour qui n'examine pas en particulier

chaque fait, ni les circonstances qui l'accompagnent. Pourquoi Socrate

est-il pauvre? pourquoi Platon est-il riche? pourquoi le poivre exerce-

(i) B!M.nat., Ms. <M26,M. 39 r" a Ut autem aliqualiter pacincentar animi hom!-nan). qnamvis s!t extra propositum, aliquorum que mirabiiia videntur causas propo-sai hic declarare, et quod naturaliter Saat, sicat ceteri effectus de quibus commaniternon mirantur; nec propter hoc oportet ad celum tanquam ad oitimum et miserorum

refng!nm currere, nec ad demones,nec ad Deumetodosnm. quasi seUicetHtoseSectosfaciat immédiateplus quam aties quorum causas credimus nobis aatia notas. Unmnautem hic note, quodeftectaum siogalartum oportet etiam causas stngniates assigoare;quod est dMBeiUinMtm,nisi homo videat iUoseCectus s!nsolariter et eorom circums-tantias singalares. Et ideo quod predieta fiant naturaliter, ut jam dbd, soNdet m!ehideclarare. Quaie autemSocrates est pauper et Plato dives, aut qnare aMastali bora

perdtdit, aut quare piper in panca quantitate provoeat cecessutnet in magna venam,ntdictt Aristoteles in prima parte ProMematiMB.Et quare bladum deficitin isto campo.pt qaare Socrates audivit talem Tocem. aut vidit tale mirahU)! quomodo istorumredderentur cause particaiarM et immediate, nisi etrcamstantiMparticutareseognos-cerentar?

tdpo, ut dixi, quod taiia naturaliter Bant io generali soiam declarabo, qaemad-modam EscerantTateotesmedici, inmedieinaseribentes regulasgenerales,et documenta

singularia medicisparticulariter operantibus Ktmqaentes. NoUaaeaim medicus sciretdicere Soerati, si sit inOrmos, qualis est infimitas et quomodocmrabitnr, nisi videat

ipsnm, et consideret considerandasingnlaria. SimMitervaientes morales, ot Aristote-les et ceteri, soiam generalia scripsemnt; nec est aliqua lex, ut ip~edixit in i'oK~«<,

ttU<Bnon quandoque ait mutanda. a

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A TBAVMS LE MfU E?! AGE. b75

t.i! sur le corps une action diuercnte, selon qu'il est pris à petite doseou à forte dose? pourquoi le blé est-il mal venu dans ce champ? pour-quoi Socrutc a-t-i! eu cette vision, a-t it entendu cette voix?Commentrattacher de pareils faitsà leurs causes immédiates, à moins d'en con-naître toute'! tes circonstances? Quit mesuffisedonc de dire d'une ma-nière générale que ces faits arrivent naturettement. Je ferai comme lesmédecins, auteurs de livres de médecine ils se bornent, quand ils écri-vent, à poser des règles générâtes, et its laissent au praticien l'appré-ciation des cas particuliers. Quelest le médecin qui, sans avoir examinéà fond une personne malade, pourrait dire quelle est sa maladie et cequ'elle doit faire pour s'en guérir?

N'y a-t-il pas, dans les lignes qui précèdent, un sentiment trèsnet du devoir et des conditions de la science humaine?

Toutefois, lorsque notre auteur pénètre au cœur même de son

sujet, la principale ou plutôt la seule explication qu'il donne desfaits merveilleux consiste à les présenter comme autant d'hallu-cinations des sens. C'est ainsi qu'il s'attache, dans une suite de

chapitres, à montrer qu'un objet unique peut paraître double ou

multiple; que plusieurs objets peuvent n'en former qu'un seul

pour les yeux; qu'une chose peut paraître plus grande ou pluspetite que sa dimension vraie qu'elle peut paraître en mouvement

lorsqu'elle est en repos, et immobile lorsqu'elle est en mouve-

ment avec des couleurs quelle n'a pas; tout autre enfin qu'ellen'est en réalité. Mêmes illusions du coté de l'ouïe. On croit enten-dre ce qu'on n'entend pas, une voix, par exemple, qui n'a pointparlé (1). Et quelles sont les causes de ces erreurs? Oresme en in-

dique plusieurs, à savoir la distance, les milieux, l'imperfec-tion des organes, la faiblesse du jugement, mais surtout la puis-sance de l'imagination. Quand une image est fortement impriméedans l'esprit, il arrive souvent que l'objet lui-même nous parait

(1) B!M. aat., Me. tat. tMM, fol. 39 « ln primo capitulo vldebitur quod una r<'svisai potest apparere es<e2 aotptmf~.

2" Quad ptNKstboi peMuntapparere una.3" QuodMs potett visui appareremajorwt miaor qnam ait.4" Qaod Mequt~tapoteBt apparere move)~,et tnota qatescere.5" Quodtes potest visni apparere alterius coloris qnam sil.6° Quod Mapotest apparereaMaMaquam ait.7" QuodpoMtbiteest horniniapparere quod aad!at quod tamen non audit, ut quod

aodiat toqai, a etc.

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EXCUKStOXS MtSTOMtQCES ET PHILOSOPHIQUES&76

présent. Socrate, dites-vous, a vu apparaltre son père mort cette

apparition n'a rien d'impossible; c'est un effet d'imagination pro-duit chez Socrate par le vif et profond souvenir de son père. De

môme, le bruit d'une porte ébranlée la nuit par le vent fait croire

à une personne peureuse qu'un voleur s'est introduit dans la

maison. Tel autre, à la vue d'un chat ou d'un loup, pensera, dans

sa frayeur, voir le diable. Tel autre, dans l'élan de sa piété, se

croira visité par un ange (i).A cette revue des erreurs des sens, Oresme a mêlé des observa-

tions d'une sagacité remarquable sur la nature complexe des

perceptions sensibles. On est en général enclin à les considérer

comme un phénomène très simple; elles impliquent au contraire

une grande variété d'éléments. Ainsi, voir l'habit de Socrate, ce

n'est pas seulement voir à première vue et d'une manière confuse

une certaine couleur; c'est voir en outre que cette couleur est

blanche ou noire; en troisième lieu, qu'elle est appliquée sur une

étoffe; en quatrième lieu, que cette étoffea servi à faire un habit;en cinquième lieu, que cet habit est celui de Socrate. De même,

que se passe-t-il lorsque nous entendons des voix d'hommes

1°nous avons la perception confuse d'un son; 2" nous jugeons quece son est plus ou moins fort ou plus ou moins faible; 3°qu'il est

formé par la voix de l'homme; 4° que ceux qui l'émettent se dis-

putent, se battent ou bien jouent. !1 y a ainsi mille circonstances,telles que la forme, la distance, la position des objets, qui servent

à caractériser nos perceptions et sur lesquelles nous portons des

jugements. Maisplus ces jugements sont nombreux, et plus la per-

ception totale qui les comprend et les résume offre de chances

(t) Ms.tat.15t26.f°41r" Etstdicatur:Socrates;n caméraviditpatron Mummortunmaut, etc, respondeoquodhocestpossibile,seilicetquodappareat,quoaiamhabetin virtuteinterlorispeciempatrisautaMehaset tunefortiterde eoymaginatur,etc..necaddelataseupresentiaanteocniosadvertit.u

J6«<. «VMtcnMMqnodaUqtdfortiterdeet saperaHquareymasmantoreteogUant;et videturctsquodatntin locotel jaxta personasdeqnibnscogitant;et sichomotimiduscogitansdeatiquomortuo,intranscameramaut exiens,vidensumbramautaliquidtale,judicaMtet appareMtquodait.Sicuttimidusetiamde motumurorumde nocte,autmotuostiia temto,judicabitetappa~bMe!quodvideatet audiatfu-rcm.B

?<<<M.42T" «Timidasdenottevidenslupamhi eamptsautcatumincamera,dn-etetjadteabitquodsMinimieusautdiabolus,etc.,quiaadilloshabetMamyma);ttatioacm,et ittostttnct.Ethomoraptuset dcTotMsjttdicabitquodsit Angetns.

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A TRAVERSLE MOYE\ AGE. 577

d'erreur. tl est plus aisé de se tromper en disant que tel son estla voix de Socrate, qu'en se bornant A dire que c'est une voixd'homme (1).

Assurément ces observations d'assez fine psychologie n'appar-tiennent pas en propre à Oresme elles ne sont que le développe-ment de la doctrine d'Aristote, notamment dans ce passage dutraité De /e « Quand on dit que teUe chose est blanche, onne se trompe pas; mais si l'on ajoute que cette chose blancheest ceci ou cela, c'est alors qu'on peut tomber dans l'erreur (2). »Mais ne devons-nous pas savoir gré à l'écrivain du moyen âged'avoir aussi bien compris son modèle et d'en avoir donné uncommentaire aussi judicieux?

Il serait intéressant de savoir si Oresme a eu d'autres guidesqu'Aristote. En commençant la lecture des chapitres que nousvenons d'analyser, nous nous attendions à y trouver la trace dequelques emprunts faits à Sextus Empiricus; mais nous n'avonsrelevé aucun passage qui confirmât cette conjecture. Bien queles jH~M/~<M<MPy/MM~M~ fussent traduites en latin dès leXtv~siècle, et bien que, d'autre part, Sextus ait consacré plusieurschapitres à réfuter les astrologues de son temps, il ne parait pasqu'Oresme ait connu son nom ni ses œuvres.

Nous voici bien loin de l'astrologie, et on serait en droit de nousle reprocher si nous n'avions pour excuse le propre exempled'Oresme que nous n'avons fait que suivre dans ces digressions ensortant de notre sujet, e~'a ~o/o~WM.

Revenons à l'analyse des ou\ rages de notre auteur que nousnous étions proposé de faire connaître. Celui de ses écrits qui apour titre Co~yM~cM/'M.~ <M~W!<wM~oSre ceci de remar-quable qu'il a pour objet de détourner les rois de l'étude de l'as-

(t) /<M.,foi.44v; <fPrimoinconfusopereipitnrcolor;2"quodest. 3"quodestinpanno 4°fluodin pannoVMtis;5' quodin vesteSocratts.ctc.SicettampdnMaMd!tursonus. &"judicatquodestmagnussonus:3"quoddiversotondoliguratur;4<'quodesthominam;SehonuttMnlratorutuet tteHantiumvel htdentmm;et sic demultiscircumstaatitsperqnasjndhatureamjtanaaudiri,authomo,auttattscaottona.auttajbhomo,aut in ta~ low,etc.Et quantoplusdcartimiatursonus.seuquantoplartbtMc:fet)mstaot!is,tantomagiscogno~Hursedet!atMtantoinmajor!tetnt'ore;etetiamtantoindearticulandocaditsepiuserror,undec!ttuserraturinjudtcaaJo,quodaudioSocratemquamquodaudioaliquid.»

(9) <!H<Mt~UI, 8, § 12 'Ott ~M!:6w0~~<!i9M!M,6:ai ta9M TO).M)W gM.Ott~<{'e'<S<tttt.

MCOMMM m9MMQt)ES. 37

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EXCURSIONSMtSTOBtQUESET PHILOSOPHIQUES57X

trologie. « Beaucoup de princes et de seigneurs, dit Oresme (i),

poussés par une curiosité funeste, s'adonnent A des arts futiles dans

l'espoir de découvrir les choses cachées et de pénétrer l'avenir.

C'est pour les convaincre de leur erreur que j'ai composé ce traité.

Dans un premier chapitre, je résumerai les arguments qu'on peut

alléguer en faveur des princes qui s'adonnent a l'astrologie. Je

ferai voir dans un second chapitre que les rois astrologues ont été

en général très malheureux. Dans un troisième chapitre, je dirai

quel doit être l'objet de tous les efforts d'un roi. Le quatrième

chapitre sera consacré à une réfutation générale de l'astrologie.Dans le cinquième, je montrerai quelles sont les parties de l'as-

trologie qu'il faut étudier, quelles sont celles qu'il faut écarter; et

dans le sixième, quelle conduite les princes doivent tenir à l'égarddes arts mécaniques. Le septième chapitre renfermera une réponseaux raisons des astrologues exposées dans le premier. »

Voilà, d'après l'auteur lui-même, le but et le plan de son livre.

On saisit, A première vue, quelles en sont les parties les plus in-

téressantes c'est d'abord le chapitre dans lequel Orcsme parledes malheuM qui frappent les rois astrologues (2).

(!) Bibl. nat., Ms.iat. 10709, fol. t u Multiprincipeset magnâtes, noxiacnriositatcsolliciti. vanis nituntur artibus occulta perquirere et investigarefutura. Adcujus erro-ris impugnationemordinavi tractatum qui sequitur inhune modem. In primo capituloarguitur quod principe debeant studere in astrologia. In a* inducitur quomodoregesastrologi fuerunt infortunati. In 3" ostenditnr ad quid debent intendere principes.la4"arguit ur generaliter contra omnes astrotogos.!n S*declaratur que pars astrologie sitst*<tanda,et que non. ïn 6"docetur qualiter principesdebent se habeMad artes mecha-nitas. tn 7<'solvuntur rationes addncte in principe questionis. »

(2)Ibid., fol. 53r". Cap. M e Atcontra, experientia et ratio hnîe sententie obviart;videntur. Nam si antiquas revohamus hystorias, invpn!emns rpges talibus operamdantM, ut ittpturibos infortnnatos fuisse, ac si fortuna indignataadversus iUospttgna-ret aerius, qui ejus consilia vanis artibus expiorabant. Et ut verius loquar, hos Deusjuste doMt qui divine ordinationl imprndenter nitantur resistere, qnum non sorte,sedarte, non divinationibns,!i<'dpractitistonsi!iis,invocato divine anxHio, oportetre-gimini publico providere. Unde Catho QuodDeus intendit perquireresorte. et Deuslier prophetassuas sede deridet eos qui in astrologorumJndicUsconMebant. Nuperqnoqnc fuit Alfonsus rex Castelle; cujus bystoriam non benenovi,sed nuUnmntagnumiactuM illius andivi sicut allorum, nisi quod tabulas astrologie corrigt feclt. IntellexitanM'na quibnsdam, et verisimUe est, quod in heUis plus Mteris in&rttttMtns, et inpacereipubHcenegligensfuit. Istis denique temporibus, rez MajoritarumJacobus mul.tntn erat astrologieinelinatus qui cum setnet horam recedendide Ammoneper hanescientiam elegisset, inde profectus, nunquam reversus, saUs eito per Petrnm, regemAragonum.perdidit caput simulet regnum. Et non solum de principibus sed veM deomnibusvindicta Meuta est, qui judiciis astrologievacavcrunt. Inde, post muîtas !m.

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A TRAVERSLE MOYENAGE. 579

« Quand nous lisons les anciennes histoires, n'y trouvons-nous pasque les rois qui se livraient à de pareilles occupations ont échouedans beaucoup de leurs entreprises, comme si la fortune indignée, ditMnorgiquement Oresme, eût pris elle-même parti contre eux, pour tespunir d'avoir voulu pénétrer ses secrets à l'aide de pratiques supers-titieuses. Disons avec plus de vérité, continue-t-il, que Dieu renvoiejustement ceux qui osent résister a l'ordre établi par sa providence,en refusant do reconnattre que c'est l'art, et non le sort, les conseilde la prudence, et non les pratiques divinatoires, qui, le nom de Dieuinvoqué, doivent servir de règle au gouvernement des États. Je neconnais pas bien le règne d'Alphonse, roi de Castille, qui vivait à uneépoque récente; mais je n'ai entendu citer de lui aucune action nota-ble, sinon qu'il a dressé des tables astrologiques. J'ai cru comprendrecependant qu'il n'avait pas été heureux à la guerre et que, durant lapaix, il avait négligé le soin de la chose publique. De nos jours, le roide Majorque, Jacques, avait la passion de l'astrologie il sortit de laville d'Ëlne à l'heure qui lui était indiquée par l'état duciel; mais iln'y rentra jamais il ne put vaincre Pierre d'Aragon, et il perdit à lafois la vie et son royaume, »

« L'étude de l'astrologie, poursuit Oresme (1), est une cause deruine pour les particuliers, qu'elle empêche de veiller à leurs intérêtsà plus forte raison est-elle funeste aux affaires publiques. Le gouver-nement de l'État est une assez grande occupation pour absorber toutesles pensées, tous les soins du prince qui en est chargé. MOresme citeles vers célèbres de Virgile

Excudeut atu spnmantia moHius œra;Orabunt causas metius, cceUque meatus

Deseribent radio et sorgentia sidera dicent.

« Ce qui signifie, ajoute-t-il, que d'autres que les rois doivent être

probathmestaUnmauctor Polieratici, Mbroa* eontttttii. sic dicens aPostrcmopturi-nM~eorNmaudivi, novimnitos; sed nem!nemin h<x:errare dio fu!sseKcoto, in quoManMDommt eendignatn non exercuerit ulUonem. ): (L.H, < \xvt, p. t34.)

(!) ~A, foi. 64 V. Cap. Mt a Poputares talibus MientHsdediti sunt paaperes de-jectt, et in rehas McotartbM !ndiM:MU. Ex hoe im~Mor n'i familiaris procuratio,qnatt~ magts caM re!pubMeod!BConveBiant,ubi tota intcntto, tota mens, eoaiiHHitpfafUcb et n~ocU&agillbus occupandaest. QoodmagiscomModequam pulchreprect.p!t Vi~iius Romanisdicens « Excndent alii spomant!amolliusera, Netc.

Fot. 65 r" « Et subjungit Vi~UttM a Ca'tiqnc meatusdescribent. » Hocestqaod aHt

qnaMregesdebentesseastrologie et investigare motusMett.Etstatim attendit scientiam

quamdebent prindpamte~habere <'Tu regere imporiopopulos, etc.Foi. 84v a 0 utinam in aMMapriaeipam;magis autemin eordlbas rcgumesseBth<;t

metra coMeripta t

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EXCUBStONSHtSKMMQUESET PHtMMOPHtQUES&M

astrologues, et s'enquérir du mouvement des planètes. Le poète nous

enseigne quelle est la vraie science qui appartient aux rois c'est de

gouverner leurs peuples

Tu regere imperlo populos, Romane, mémento.

« Ptut à Dieu que ces vers tussent inscrits sur les mûri' des palaisdes princes, mais surtout au fond de leurs cœurs. 0 M~aarn in eM/~

pnMC~Mm, magis autem in cordibus t~tHM eMM~ Aef M<C<n<<N~ <p<a M

Oresme se défend toutefois de proscrire entièrement l'astrologie.

Lorsque l'astrologie s'occupe des futurs contingents, lorsqu'elle

prétend annoncer à l'avance les faits qui dépendent de la volontéde l'homme, elle n'est assurément qu'une superstition dange-reuse; mais il n'en est pas de même de la science qui a pourobjet de connaître les mouvements des cieux et la nature des corpscélestes; c est là une science à la fois belle, honnête et utile, cart° elle se propose un but très élevé qui a toujours attiré l'esprit de

l'homme; 2* elle est d'un grand secours pour l'intelligence desvérités divines; 3° elle rend de véritables services dans la pratiquede la vie en nous permettant de former d'utiles conjectures sur les

changements que les dinérents états du ciel peuvent amener dansles corps (i). Est-ce à dire cependant que, même dans ces con-

ditions, l'astrologie soit une occupation qui convienne aux prin-ces ? Oresme admet qu'ils ne doivent pas y rester étrangers; mais

?<<< fol. M V Cap. v. « Qm)der~t dteemm? Erit Metnten!Ma tarn neMMaMtMttiaft ab antique Mph-ntttMMtaMlaudala el pre famtbaMb. Teh)t<Mv!na.fom.MM'ndata?aMtxmdeeqaod <tn<'d)MMt<aMest a~trotttg~ que speentatMrmotus teH ptnaluram Mrtmntm cdMttmm,qNomMton~deratto pmïthraest et honeata.Sed dtcetisQuid valet Mtasetre. nisi ad jndMa et ulilitatem vite homtaumapt'Mcentar?VoNs :g!.tur ostendam hujiuaspefatationk tnpttfOMNoem.Unafiest, tam noMe~ tes cegtMMeen'ad quas e<~a<Mcendaset contemptandas.MtMBdomphitMophns,hMtnaoai~enta hM-M-nantur. Et hh- est NoMalius, SfMto-ttttMMasalque javamentaM ad o~aKtonetudivinomm. Et Mt hocotim priMtpate atrgaMMntnmquo manadMetaest pMtoMphontmindaaatdx diligentia in notitiam de M«ta corperum ee!i. Teteia cemmod:tas. pdnei-t'ai~Mt hane apM-NhttonMaapptit~fe ad indieia fatarentm. Mecautem fatura :n pro-pttMtosuNtdopp!te!ae!Maqualitates tcmponttMet ad hee conseqMenth. steot attera-tionesin corporibus hamoram, de qMMtaspaueaet senefaMapimvidertvel eonjeetMmri,quMFumobsenratM non Mtam est Metta.sed ettam atitia.

« M)dtasi qaidem sunt que per Ma et MMdtoptara que per astra seM non possunt.AHasant fatura continsentia cin-a actas humanos futures, de quibus estastMiogia denaUtMatMtaa,tniMK~ath<tt!h<Met etecthm!b<M,que taba est, et MpMsUHosa,et im-ptMstbitbsciri.

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A TRAVERS)LEMOYENACE. 5St

il veut qu ils s en instruisent par les écrits d autrui, par les leçonsde quelques maîtres, plutôt que par des recherches qui leursoient personnelles, w~ A<Ao<<«~Mtpcs~~w, sed per ~<~<~M ~o~M. Il Fesutte de Ï&que les princes n'ont pas &s'm-~Miéter de savoir &fond les démonstrations de Ptolémée, ni demesurer le cours des planètes, ni de faire des prédictions, tonteschoses qui, fussent-elles louabies chez un particulier, utiles à unmédecin, sont chez un prince impertinentes et nuisibles. Le roledu prince est d'encourager les astrologues, de subvenir même,s'il le faut, à leur pauvreté par des allocations sur le trésor public.Oresme n'y met qu'une condition c'est que les astrologues, ob-jets des faveurs du prince, ne soient pas élevés par lui aux pre-miers postes de l'État ni associés au gouvernement, à moins queleur élévation ne soit justifiée par leur expérience des affaires etpar leur capacité politique (i).

<tn ne saurait méconnaKre l'irréprochable solidité de la doc-trine de Nicolas Oresme sur l'astrologie mais ce qui ne mérite pasmoins d'attention que la sagesse des vues dans le traité que nousvenons d'analyser, c'est l'époque où il a été composé, ce sont tescirconstances dans lesquelles il a paru. Nulle part on ne citerait

()) F6M., fol. &7f Cap. v< .<M<Me~' primo qaed dMensest et hoMMhtte tq;bus tt pf!ne!pibnsquedamgenemth de iatMMm)ahor!«sa!nvMt!gaUNte.it-dper nar-mMonHmaMentmcegnoMMc,at pote de eo~Mntm eetesUnmNUtacro,magaKadiw,MaoMetordtNe et terMhaMtaMHsdescrtpt~ne. tt.~ n~tHa ad teghihUoMmcet~rt.'.eeMBdmnAtMotetemprimo M~e~~eM. tn bis entm rebus ha débet ptineeps !ntendeMut non abhbhMttediator a poblieo regimine.Sed dom vacas, tecotttdt vaMe lauda-Mh.est BMntMnlaboribus &UgatamaUevate mtaeih atHtbM~et honestb, pr!ne!pemt'rM!.tac. de q<m ait Vf~titM. quod Mque quemdam magls deeet meMerasehet'tMmquam principem. Pfedtetorum aatem coas!deMtte NabHbest et prectata. que. simedesta &M)rH,profait et détectât, ta Maergo sic se habeat princeps, ut nee a phi!o-~phb tenarm. Me a vulgo &ntas<tcMrepatetar. Secundo dico qn<x'non ~eetat adpttnOpem eadasitas Ptolomei detnonstmtionM sd)fe,planetasequare, et ad iodMdnaa&tMt~a a~MeaM,et stmUta que, !teet pdvate peMMM,at medieo, forent ntMa.sunt tameapdaetpibtM !mpeftiaent:a, B<niaet fUt-hMa.Tertio,dieo quod studentes inparie aotmhtgh)sapeHaaapprobataprincepsdébet honorare et de erarte pabBee.si opusest, !od~enUeeerma meeanfeM hM:caim est precipua tiherattam attiom, que débetin ntMatanM teg! M<Mtamea aat)fo!«!tosnon ob hee débet princeps aph-es pttMMrngiminispromovere, nM aM'mdepoUeant poUtteapntdenth et virtate. Quarto, dtt<:quod attqtMMmathetnaUe<MMpemttttoMs maximeet emmditi~atia debet ~KaMtan-quam Mtace~deeeptoMs,MaM, et per:ea!<M<M;Mtatqneae de ej)Mmemor!anon ex-eedat qatd maM NnaUtereveott omnibus qui eormn eoMHMaet eontm vadnM~o~dMeMat. n

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Ma EXfM<8)OXSHt8T(MUQCE8ET PMtt~SOPHtQUES

une protestation plus énergique contre les superstitieuses rêveriesqui, sous le nom d'astrologie judiciaire, avaient captivé non seule-ment le xtv~ siècle, mais la cour de Chartes V, mais, dit-on, Char-les V lui-même. Oresme vivait dans l'intimité de ce grand roi,que la postérité a surnommé le Sage; il avait été comblé de ses

bienfaits; il avait tradcit, par ses ordres, plusieurs ouvragesd'Aristote; avait-il été son précepteur, au sens propre de ce mot?Bien n'est moins certain; mais il avait contribué du moins Alui enseigner la philosophie et la religion il avait été « son ins-tructeur en ces sciences, comme dit un historien du temps deCharles VM(i),dans un passage que M.Meuniern'apasconnuetquinous permet de rectifier ce qu'il y a de trop absolu djtns lesconclusions du docte écrivain (2). Et cependant Oresme ne craintpas d'attaquer ouvertement, avec l'autorité de la raison la plusferme, un ensemble de spéculations et de recherches qui, malgréce qu'elles contenaient de chimérique, étaient alors très goûtées,mémo par le judicieux monarque. Nous inclinons &croire queCharh's Vn'a pas été, autant qu'on le dit, partisan de l'astrolo-gie judiciaire. Il aimait les sciences et ceux qui les cultivaient;il aimait surtout l'astronomie, en tant qu'elle a pour objet la con-naissance des mouvements célestes; il la pratiquait et l'encoura-geait, comme le prouvent les fondations qui lui sont dues au col-lège de MeGervais. Mais avait-il foi, ainsi que le prétendent leshistoriens, dans les horoscopes dressés par des astrologues otn-ciels ? Nous en doutons quand nous lisons Oresme. En tout cas,l'évèque de Lisieux eût-il été seul à lutter contre le torrent, ce neserait pas un médiocre honneur pour lui d'avoir défendu la causedu bon sens et de la vérité, au risque de se trouver en désaccordavec son royal protecteur et de le mécontenter par la franchisede son langage.

Il nous reste à dire quelques mots du traité Des <&CMM~M.Quel que soit l'intérêt de cet ouvrage, nous nous y arrêterons peu,

(') MM.Bât.. Ms.tt.M3S, fol. nef et V.(2) M. MetMter(JEMa<,etc., p. M) dit e qn Hfaut dMeendre ))Mqm du HaiMan.

c MM.d!MjtNqa'en tS7t, et Jusqu'àLaCMhtdu Maine,e Mt-Mtte Jnsqu'en t M4,ponrtrouver enfinOmme appeté. chez t na,<tM<fweteM~chez t atttM,tM~eep<e<<rde Char-lesV.. Oa voit, par la citation précédente,que cettequalité d'instruteur de CharlesVétait attribMéeà Otesme des le commeaeemeat du xf steck.

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ATRAVEBSLE MOYENACE. M3

d'abord parce qu'on y trouve les mêmes idées que dans les deuxtraités qui viennent d'être analysés, et en second lieu parce qu'ilest déjà connu par quelques extraits que M. Meun:er en a don-nés dans son ~M~w O~~Mf. Bornons-nous Adire qu'il se com-

pose de dix-sept chapitres dont les titres indiqueront très claire-ment le sujet. Nous laissons parler l'auteur

« Le premier est des ars par quoy on enquiert des choses occulteset mussiées. Le second, combien il y a de vérité os parties de astro-logie. Le tiers, queUe vcrit~ il a es arts dessus dis. Le quart, d'uneréponse à une objection. Le quint, des argumens que les princes doi-vent estudier en telles sciences. Le sixième, des argumens que sa-voir les choses par ce sont possibles. Le septième, des argument quec'est chose proufBtaMe et ~ossiMe. Le Tnr', de vraye probacion ducontraire par expérience. Le tx" sera de mon propos par auctorit~.Le xe sera probacion du propos par raisons. Le xf sera que en tie!xars n'a pas certainete. Le xn'' sera comment un est deceu par tictx ars.Le xm" sera comment les princes s<*doivent avoier à telles sciences.Le xunGsera comment on respondra aux argumens du quart chapitre.Le xve sera des réponses aux argumens du quint chapitre. Le xve desréponses aux argumens du Vt"chapitre. Le xv!f sera des recapituia-cMns et conclusions oMM<t«aca~M~Mta.

Non seulement le livre )es ~Ma~M rappelle par le fond desidées les autres ouvrage d'Oresme contre l'astrologie, mais cer-tains passages sont une raduction plus ou moins libre du petittraité Contra o$~'oM(MMt~M<~cM~M. Nous nous contenterons deciter le passage suivante du xut* chapitre.

« La principale estude du prince doit estre gouverner son peuplepar la science de politiques, et par bons conseils de plusieurs gensloyac!< qui à la manière des anciens Romains pensent plus du biencommun que d'acquérir richesses et vains honneurs. A telles chosesdoit le prince veillier et labourer. Mais bien est vente que aussicomme l'arc vault moins d'estre trop longuement tendu, il convientque le prince ait aucune recreation et aucun honneste esbat qui luisoit repos. Et quand il est de noble engin, à li appartient bien savoirde astrologie et d'autres bonnes sciences aucunes bonnes conclusions,si comme de la disposition du ciel, du monde, et du nombre, de laqualité, de la quantité, de la figure et des mouvements des corps duciel, et de telles choses qui sont bonnes et delectables à savoir. Et les

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EXCUBStOSSHISTORIQUESET PH~OSOPHMUESM<

doit le prince aprendre par oir dire, par simple narracion, non paspar curieuse inquisicion car il ne doit pas savoir les démonstracionsde Ptholomec, ne travailler à enquérir des planètes, ne < studieras-tratabes. ne telles choses, mesmement au cas que ce Mscroit poinnoou que il en seroit en rien destourbc du gouvernement publique. Seil y mettoit trop sa cur< il ne seroit pas réputé pour sage, mais pourfantastique. »

En écrivant les lignes qui précèdent, on ne saurait douter quel'auteur n'ait eu sous tes yeux le chapitre v de 1 ouvrage latin.

Il serait superflu de poursuivre entre les deux ouvrages un pa-rallèle qui ajouterait peu de chose a ce que nous savons déjà des

opinions de Nicolas Oresme et de la lutte qu'il a soutenue contreles pratiques superstitieuses répandues en France au MV"siècle.Le récit de cette lutte, curieuse en elle-même, gagnerait sans

doute en intérêt si elle avait porté plus de fruits, et si les préjugéscombattus par léveque de Lisieux avaient cédé devant les efforts

persévérants de sa logique et de son savoir. Mais il n'eut pas la

consolation de pouvoir se dire en mourant qu'il les avait vaincus.

Lorsquil s'éteignit, le tt juillet i382, l'astrologie judiciaire étaitaussi cultivée, au&siflorissante qu'au siècle précédent; peut-êtremême avait-elle vu s'accroître plutôt que diminuer le nombre de

ses adeptes. Le peuple comme les grands, et les grands comme

le peuple, interrogeaient à l'envi les astres et espéraient y dé-

couvrir le secret de leurs destinées. De là tant d'horoscopes, les

uns favorables, les autres sinistres, qui ont ému alors les imagina-tions, et dont quelques-uns, conservés dans les manuscrits (1),sont parvenus jusqu'à nous comme un témoignage irrécusable de

la crédulité de nos pères. Telle est l'impuissance ordinaire des ef-

forts de la sagesse dans des controverses contre les erreurs invé-

térées. Si de nos jours, malgré les leçons de l'expérience, après

(!) Unmanuscritlatinde laBibliothèquenattonate~ttMCfitsonste no7443,etcitéparM.YaUetdeVMtiMe«K~.de Charles~H,t. Il,p. 345),contientanMtNeHdepWdiethHMa$tMtogh)MMdresséespourla pluparten i42a,à la Kqoétedaj~averae*Mt'ntaBgtai~EMee«MM'ententMen~Vt,let~gentBedford,te comtede Ba!Mnn'y.sirJohnFaMaf,leducde B<MK(tog<te,JeandelaTtemoUte.leducde Btetagae,ledm'd'Alençon,tetonnétabtede Richement,et enNnCharlesVM.Cerecneit,ajouteM.Vat-letdeViriville,farattavoirtM)MfpriacipalauteurJeanHathoat.de Troyes,quiavaitlaféputatioNdetteleftashabilehommedesonâgeet lepluscapablede dresserunthèmede nativité.

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ATRAVERSU: MOYESAGE. &8&

tant d'admiraNes découvertes ~ui ont répandu des ~ots de lu-tni~re sur la nature et sur l'homme, nous ne sommes pas ailran-chis comptètement du joug des superstitions populaires, (lui s'é-tonnera qu'au xn" siècle, avant Copernic, avant Descartes etNewton, la parole judicieuse d'un écrivain sensé et honnête, te!<tuefut Nicolas~resme, n'ait pas suffi pour avoir raison de l'as-trotogie judiciaire?

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DE

L'INFLUENCE D'ARISTOTE

ET DE SES INTERPRETES

SUR LA DECOUVERTEDU NfOUVEAU.MONDE.

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L'INFLUENCE D'ARISTOTE

ET DE SES INTERPRETES

SUR LA DÉCOUVERTEDU NOUVEAU-MONDE.

Je me proposede rechercher, dans les pages qui suivent, i'in-nuence qn'Aristoteet ses interprètesont exercéesur le développe-ment d'une conceptiongéographique qui, de l'aveu de tous leshistoriens, a joué un rôle essentiel dans la découverte du Nou-veau-Monde.

Lorsque, le 3 août 1~93, Christophe Colombquitta le port dePalos avec les trois vaisseauxque la reine Isabelle de Castilleavait placés sous ses ordres, il s'attendait, en cinglant versl'ouest, a rencontrer les cotesde l'mde. C'était surtout cette con-jecture, évidente à ses yeux,qui lui avait inspiré sa périlleuseen-treprise ce tutelle qui le soutintcontre le découragement de sescompagnons, enrayés de la longueur du voyage; tel était l'em-pire qu'elle exerçait sur son esprit, qu'en touchant la terre il secrut Aproximité de l'Asie; qu'au voyage suivant, parvenu à l'ilede Cuba, il en prit les côtespour celles du Cataï, et qu'il mourutavant d'avoir été détrompé. Il est constant, par le témoignage deChristophe Colomb, que la possibilitéd'aller d'Espagne en Asie,à travers l'océanAtlantique, n'était pas une hypothèse qui lui Mtpropre et qu'il edt personnellement inventée; il avoue qu'il l'a-vait puiséedans les ouvragesdes cosmographesles plus accrédités

DE

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MO EXCURSMNSMtSTOMQUESETPHILOSOPHIQUES

de son temps, entre autres, l'Imago <M<M~du cardinal d'Ailly.C'est d'ailleurs un fait avéré que cette doctrine remonte plushaut même que Pierre d'Ailly, plus haut même que le moyenAge, et qu'elle a été soutenue dès l'antiquité le témoignage de

Sénèque, à défaut de ceux d'Aristote et de Strabon, ne permet au-cune hésitation à cet égard. Mais combien d'autres conceptionsqui s'étaient produites chez les anciens se sont ensuite effacées et

perdues, ou bien sont demeurées stériles! Comment se fait-il quel'idée d une communication entre les rivages de l'Europe et la côtede l'Asie, prolongée à l'orient, ait surnagé, et par quels intermé-diaires cette idée s'est-elle transmise jusqu'à l'époque où Chris-

tophe Colomb devait en faire une application si courageuse et si

féconde, encore que ses prévisions se soient trouvées en partieerronées et que la découverte qu'il accomplit n'ait pas été celle

qu'il avait annoncée? La question touche aux origines du fait le

plus imposant qui soit consigné dans les annales de la géogra-

phie. Elle méritait assurément un sérieux examen, et c'est à justetitre que M. Alexandre de Humbold en a fait le sujet principalde son livre sur la géographie du nouveau continent (i). Mais

peut-être eut-il été possible à l'éminent écrivain d'apporter desconclusions encore plus précises. Les témoignages qu'il a recueil-lis et le commentaire dont il les accompagne laissent-ils claire-

ment discerner la principale innuence qui a perpétué en Occident

la tradition que Christophe Colomb a suivie? Dans ces savantes

recherches, où éclate une érudition si variée et en général si

exacte, il y a, si je ne me trompe, une lacune que je voudrais

essayer de combier, en insistant sur un point qui me parait capitalc'est que l'hypothèse du voisinage de l'Espagne et de l'Asie, cette

hypothèse fausse en elle-même et cependant très favorable aux

entreprises maritimes, fut empruntée, non pas aux livres des

géographes, mais a ceux d'Aristote et de ses interprètes. Aristote

l'avait indiquée; ses interprètes l'ont recueillie, et c'est par leurintermédiaire qu'elle s'est transmise au moyen âge, qu'elle a

pénétré dans l'enseignement de l'école et qu'elle est entrée dans

(t) ~HMCMcritiquede !'A<<<o<fe<!ela j~o~c~Medu)tCt<ceaMcontinent,PaHa,tMMet annéessuiv.,&vol.tn-8".Voyezau'Mtt'~Mt «M*f~<o<re deda«wMo~'a-~<feet f/e t« ea~epftt~e ~eM~ftM<Mo~ettd~e,patfle vtcomtede Santafem,Pafh. tMO<NM.3vol.<tt~

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A TRAVERSLE MOYENAGE. 6!U

le courant des opinions répandues au siècle de Christophe Colomb,qui en comprit la portée et eut l'intrépide courage de s'élancerAtravers l'Océan sur la foi de cette seule idée.

Je circonscris en ces termes l'objet de mes recherches; j'enindique à l'avance le résultat, afin de prévenir les fins de non-rece-voir qui pourraient, au seul énoncé du titre de ces pages, s'éle-ver dans quelques esprits contre la supposition paradoxale quele péripatétisme ait à revendiquer aucune part dans un fait enapparence aussi étranger à ses doctrines que la découverte duNouveau-Monde.

La géographie du moyen Age, sur laquelle je ne voudrais pasm'appesantir, mais que je ne puis me dispenser de caractériserl'à grands traits, procédait, jusqu'au xn" siècle, de deux originescontraires l'une profane, les anciens géographes; l'autre ecclé-siastique, les Pères de l'Église.

Les traditions géographiques n'avaient pas souffert moins dedommage que les autres branches de la culture littéraire dans Ifchaos qui suivit les invasions barbares. Toutefois de précieux dé-bris avaient échappé au naufrage. Avant comme après Charle-magne, Pomponius Mêla, Pline l'Ancien, Solin son abréviateur,l'astronome Manlius, hygin, Macrobe et MarcienCapella n'ont pascessé d'être lus en Occident. Au xn" siècle; on trouve cités lesCa/!<MMde Ptolémée (i), dont la ~a/M~ Composition, traduiteen latin par Gérard de Crémone, fut si répandue un siècle plustard. Les ouvrages de Strabon n'étaient pas alors connus, et ilsne l'ont pas été avant le pontificat de Nicolas V, qui en commandala première traduction à Guarini.

La doctrine que l'antiquité léguait aux nouvelles générationspar l'entremise de quelques-uns de ses écrivains, c'est que la terreest une sphère qui occupe le centre du monde; que la plus grandepartie de sa surface est couverte par les eaux; qu'il existe, outrele continent que nous occupons, une seconde zone tempérée audelà de l'équateur, dans l'hémisphère austral; que cette zone, parson climat semblable au nôtre, convient à l'habitation des hom-mes, mais que, pour y pénétrer, il faut traverser des régions

«) LesCCKMMdoPtoléméesontcitéspafttfftnanttContfect,De««MaMtMKo-<<o<< ap. B.Pe:t,:fAM.<t)MC<Mot).,t. Ht,p.9,col. tZS;et parttuant'stt<'Satnt.Victof,Cf<<~«.<MoMo<). M[,c.il,opp.t. Ht,1).?.

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EXCUBStOXSHtSTORtQCESET PMMSOPHtQCESM2

brAlées par le soleil; qu'ainsi d'infranchissables barrières nous en

séparent, et que, s'il y a des antipodes, nous ne pouvons avoir

avec eux aucune communication.

Les écrivains des premiers siècles du moyen Age suivirent les

modèles qu'ils avaient sous les yeux, et dans l'étude de la géogra-

phie, que Cassiodore avait recommandée (i), ils se montrèrent,

comme partout ailleurs, les disciples des anciens. En général,ils admettent la sphéricité de la terre. Isidore de Séville, copiantune phrase du P<w~cMtA~'e~o~Mco~ d'Hygin, enseigne que la

terre est placée au centre de l'univers, à une distance égale de

tous les points de sa circonférence (2) n'est-ce pas reconnattre

qu'elle a, comme le monde lui-même, la forme d'une sphère?Beda est plus positif encore il ne se contente pas d'affirmer quela terre, malgré les inégalités de sa surface, est ronde; il en

fournit la pleuve, empruntée à Pline c'est que, du point que nous

occupons, nous apercevons les astres qui sont au nord sans voir

ceux qui sont au midi; et que, réciproquement, si nous habitions

les contrées méridionales, nous ne verrions pas ceux du nord, la

convexité du sol ne permettant pas, dans ce cas ni dans l'autre,

d'embrasser à la fois les deux pôles (3). Raban Maur admet aussi

que la terre est de forme sphérique; mais, ne voulant pas contre-

dire ouvertement la mention de ses quatre angles qui est faite

dans la sainte Écriture, il inscrit a la circonférence du globfterrestre un carré idéal dont les angles correspondent aux quatre

points cardinaux (~). Nous retrouvons la même doctrine chez Scot

Eugène et Remi d'Auxerre, interprètes de Marcien CapeUa (5), et

(1) ~e /M<<<.<«f. M~er.,r. xxv e CosMoj!:rapMœquoquenotitiam voblspcreurren-t'amesse non immérité suadcmus. x

(9) ~Me! L XtV, c. v. Cf.Hygin, Poeticon o~~MtemicoH,1.1. o. vm.

(3) DeA<t<t<r<tferMMt,e. 3n.vt,Opp.t. « Orbem terMBdtdMM, non quod absoluti

orbis sit ferma, in tanta monttnm campotuntqae disparitate, sed cujus amplexus, si

cancta linearum comprehendantar ambitu, Ngaramabsotatt orbis eNciat. ïade enim

fit, ut septentdonaMs p!asa) sidera nobis semperappareant. mertdiaMe nanquam; rar.

susque hœe illis non eermantur, obstacle gtobo terranMa. Ce sont les propres ex-

prM~Ms de Pline (Hlst. M0< t. M).

(4)De t7a<MMo, XM.c. M n Formant terra) ideo SedptMMorbem vocat, eo quodrespictenttbMextremitatem tjoseireuhts semperapparet, quemctrcoïnmGrœctorhonta

vocant. Quatuor auteln cardinibus eam formari dieit, quia quatuor cardtnM quatuorax~ntos quadrati s!ga!Ncant~qui tntra pra'dtetum terrœ etreuhMneottUnottar.

(a)Btb!. nat., aMC.tbad~, mM. M7t, 8ST9,8786 et 7598A; bods de Saint-Ger-

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A TMAVERS M MOYEN ACE.

EMCMMM NM'MMQOM. gj,

un peu plus tard chez Adétard de Bath, Honoré d'Auiun et Guil-taume de Concttes, qui reproche avec hauteur, &ceux qui ne lapartagent pas, de se montrer plus Cdètes Asuivre les illusions dessens que le jugement de la raison (i).

Non seulement la plupart des écrivains des premiers siècles dumoyen âge tombent d'accord de ta sphéricité de la terre; mais ilspensent que, par delà la zone torride que traverse l'Océan. ilexiste une terre inconnue dont t'accès nous est interdit. Cette con-ception est clairement exprimée par Isidore dans les lignes sui-vantes « Extra tres partes orbis, quarta pars trans Oceanum est,qna' nobis ardore solis incog-nita est. » Raban Maur se contentede transcrire la phrase dtsidore, sans toutefois le citer (a). Ho-noré dAutun admet dans t hémisphère austnd une seconde zonetempérée et habitable. C'est aussi, pour me borner Aces seulsexemples, l'opinion qui est exprimée par t'abbesse Merrada deLangsberg et par le poète philosophe Bernard de Chartres (3).

Macrobe et Capella nous ont laissé de précieux détails sur l'opi-nion que les ancien:, se formaient soit de l'étendue des mers, soitdu nombre des continents. Selon eux, tes deux hémisphères que1 Océansépare l'un de l'autre sont en outre coupés à deux reprisespar les eaux, de manière que la surface de la terre se trouve par-tagée en quatre continents, deux dans l'hémisphère boréal et deuxdans l'hémisphère austral. Quelle que soit l'origine de ce singuliersystème, et qu'il faille ou non en attribuer l'invention, comme t'asupposé M. letronne, aux interprètes d'Homère, jaloux d'expli-quer le cours et les sources du fleuve Océan (~), nous le retrou-vons chez Guillaume de Conches (5) et chez un écrivain du cont-

MMdn,HM. Sar h' commcatatre inédit de Stot Eri~ae, vo~ez un article de M Hatt-reaa inséré dans la ~eeae de ffN~Mc«OMpwMf~M~dn a pt du la dëfcmbte MM.

(1) Q'tMamvero bestiates, )'iussen~onqnam Mttoai etedentes, d!xemnt terrm esset'hnam, ce quod, qaoenmqnc se moveant, tmneMm ipsttMnonsentiant. » PaMimefitéVincent deBeacTab, ~e~. Natur., ). Vt.~m. p. 3T6.detMiMm de Douai,t624. in-fol. Cf. Hoaeté d'Atttnn. De<<a<t9<nem«M<t<,c. v «Terra' ti.nna est mtondauude et orbis est dteta. n

(2)Isidore, ~!f)tM< t. XIV,c. v; Baban. de <7M<pefM, XM~c. n.(3) SMttatMn,~M~, etc., t. t", p. 69 et stttv.(4) DaMane !ettre&M. de Mnmb.td snrta pM!t!.n da Paradis terrestre, t.MM~

critique de ~~oyMt~~<<M<teMM<tMeoHMMe~.t.III, p. M7.(5) MMM.p&<amOMr.t. tV. c. m. Cet oaMa~ de GutHaMM.centmeMM t'M<m*mont)~ailleurs, est le 'n~Mequi agaM au tome11des oaMMsde Bedesous le titre df

R«!tî)t&M)MnM'Mtttt~tttMt

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EXfURSKMSMtSTOMQFESETPMtt.OSOPMtQUKSM'4

mencement du x)M siècte. GeoNroy do Saint-Victor, qui s'ex-

prime ainsi (i) « Les philosophes établissent, par des taisons

très plausibles, l'existence, en quatre points du monde, de

quatre portions de terre ferme, non seulement habitables, mais

habitées. En enet, selon les philosophes, la terre est partagée,ainsi que le ciel, en cinq zones; celles qui touchent aux pôles ne

peuvent pas être habitées, en raison du froid excessif qni résulte

de l'absence continuelle du soleil; !a troisième, qui occupele milieu, ne peut pas t être davantage, en raison de l'excessive

chaleur produite par la perpétuelle présence de cet astre; les deux

zones qui sont situées entre la zone torride et les zones glaciales,étant maintenues dans une température moyenne, peuvent être

habitées et le sont effectivement. Comme le grand Océan divise

deux fois chaque zone tempérée, elle est partagée en deux con-

tinents, ce qui, pour les deux zones, donne quatre continents,deux dans Ihémispb~re supérieur et deux dans l'hémisphère in-

férieur. Les deux continents qui ont la même longitude dans un

hémisphère différent se font face, non pas, il est vrai, directe-

ment, et leurs habitants s appellent anthètes, c'est-à-dire placéstes uns en face les autres: les deux continents qui ont une longi-tude différente, celui-ci dans l'hémisphère du nord et cetui-ta

dans l'hémisphère du midi, se trouvent aux deux extrémités d'une

ligne qui passe par le centre de la terre; aussi leurs habitants

sont-ils appelés antipodes. »

De <MCt~t< pM<Mopt< et parm' les œuvres d M'MMred Autan. MtM celui df M<-

losophia MtM<K.

(t) JMtcfocatMM.Bibi.:M(' bndsdeSaint.Victor,a"738,f' 18verso «XataraUs

phihMephusprobaMUTaMerationein quatuurtocbtnondtquatuor(t<artes)aridaaa:Medta~anitase,etsingotasnonMiumhahMabilps,wdet habitatasefisettoeetenim<tHinqmetente esse~etMettMMs,quarutodaMe~ttremasfrigorb!ntempMr!e,l'rollier)'erpetMamMtisotMentiata,pmbabmteras~'rit inbabitabllea;NMdtaK)verofatonatatemperh*,propterperpettMMMHspm'M'ntiam,!nhaMtaMtem;)M)rodaa:t,tnt<*r)m'd!amet ettremas',censtitntas,frigoriset caloristetnperiehabitaMtesethabitataspropterMtisadeasaeceMmmet reeessumtempwatam.ta s!nga)benimdnaaaj'pa-mbse artdaaastruant,ln sMperMfisciMeethembpheriodaaa,et ln infertortduati,magnoOceanoutnMnqMeMBambisdividente,etdequatuoraridastaetente,itautduœ

qateineademzonasunt,altérain inferiori,alterala sepertorthemhipherM,tadireett:qutdem,&ibicontraposHte8!nt quaramethabitatoresanthetoe,idMtcontraposHMTeeant.Qansverota diversisNmiasuut, alleraMMUm.alteradeofMm,qua)pertuedinmterroaconumserespinant,directasibicontrapositioneerpenantnrMttdeetcaramhabitatoresaatipodMvoeant,qMas!pedescontrapedeop!M<t«ehabentex.u

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ATBAYERSLEMOYEXACB. 'i

Cependant ces doctrines n'avaient pas été accueillies sans dé-nance par les Pères de t'élise, qui les jugeaient peu compatiblessoit avec le texte de la Bible, soit avec la tradition chrétienne.~uand on s'en tient à la lettre des saintes Écritures, la premièreidée qu'elles sucrent n'est pas cette de la sphéricité de la terrebien loin de ta, c'est l'idée que la terre est plate, qu'elle est en-tourëe de tous côtés par la mer, et que le ciel forme au-dessusd'elle une voûte solide qui s appuie aux extrémités de sa surfaceet qui soutient etie-mëme la couche des eaux supérieures. Que lespassages de la Bible qui renferment les éléments de cette cosmo-graphie idéale se prêtent a des interprétations de plus d'une sorte,un certain nombre de Pères t'ont pensé; mais, pris dans leur senslittéral, ces passages fournissaient des objections spécieuses, dumoins pour les chrétiens, contre les doctrines qui avaient régnéchez les anciens et avec lesquelles il ne paraissait pas facile de tesconcilier. L'hypothèse des antipodes dounait lieu, en outre, il desdifficultés spéciales qui touchaient au fond même de la traditionecclésiastique. En effet, s'il existe, au dehl des mers, des êtresayant une nature semblable a la notre, mais séparés de nous pard'infranchissables barrières, que devient l'unité du genre hu-main ? Cespeuples étrangers à notre hémisphère sont-ils la posté-rité d'Adam? S'ils font partie de la grande famille humaine, et sicependant l'Evangile ne doit jamais être porté aux contrées qu'ilshabitent, Jésus-Christ n<'si donc pas mort pour eux? Ces doutesnon résolus avaient conduit Lactance et saint Augustin à rejeterl'existence des antipodes comme une fiction aussi contraire Alafoi qu'à la droite raison; car, disait Lactance (i), comment sup-poser que des hommes puissent vivre la tête en has et les piedsen haut? Aux doctrines de l'antiquité s'étaient substituées peuApeu, chez quelques Pères, des conceptions toutes différentes,dont la Topographie <M~<' de Cosmas offre la plus complèteexpression (2). Suivant Cosmas, moine égyptien de la fin du

(1)~M<M.<Hp.,Mt.34 «QuM?UMqN:MseeontmdosvMti){ihtn<Mtftsaot!poda~putant. nomatiqnid hupnmtaf? Aut ~t qn!<qMM tam inft'tus, <)ut cn-dat esse ~mi-nes, quorum VMtigh aint sapertaM quam capKa? » Yowz aussi 8. Autmstin Bcctp~e~~XVt.e.

-e

(2)PNb!.parMont&Neon,CeMK'~onovafa~MN« <e~<en<M6r.fmntM.Part.«!)<t7()$,!<t-M.. u, p. ne et 8o!v.

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EXCmStOSS H!S:rOBtQMB8ET PBtLOSOPMtQUESM<!

v* siècle, le tabernacle élevé dans le désert par Moïse est 1 i-

mago fidèle de l'univers. Comme ce tabernacle, h terre que

nous foutons a la forme d'un parallélogramme et sa surface est

plane; nu delà de l'Océan qui l'entoure, il existe une autre terre

on nul homme n'a pénétré depuis le déluge, fermée qu'elle est pardes murantes qui soutiennent le firmament, pareil à la voûte d'un

temple. La terre habitée s'élève du midi au nord; là elle se ter-

mine par une haute montagne, derrière laquelle le soleil et les as-

tres se cachent lorsqu'ils disparaissent de l'horizon. M.Letronne a

démontré que cette cosmographie, qui se donne pour le plus purreitet des traditions bibliques, était formée d'éléments emprun-tés & la philosophie et à la poésie primitives de la Grèce (t).

Ainsi, par un scrupule de conscience exagéré et irrénéchi. la géo-

graphie, détournée de sa voie véritable, se voyait ramenée aux

hypothèses ou les anciens s'étaient souvent perdus avant de dé-

couvrir la sphéricité de la terre.

Entre les traditions du paganisme et un système qui revendi-

quait en sa faveur la sainte Écriture, le choix ne pouvait pas être

douteux pour les premiers scolastiques, à la condition toutefois

que le nouveau système se produisit sous des formes arrêtées qui

en faciliteraient l'intelligence. Maisceux des saints Pères qui pa-raissent le moins favorables à l'antiquité se sont bornés à jeter

cà et là, surtout dans leurs commentaires sur les livres saints,

tantôt des objections, tantôt de rapides aperçus qu'il n'est pasfacile de recueillir et qui ne présentent pas un corps régulier de

doctrines. Quant à Cosmas, qui est le seul dont les opinions soient

bien déRnies, son livre n'a jamais été traduit en latin; nous ne le

trouvons cité nulle part, et par conséquent, l'influence qu'il a

exercée, si toutefois il a circulé en Occident, n'a pu être que très

faible. Ainsi ne soyons pas surpris si les scolastiques, dès l'aurore

du moyen âge, n'ont pas su se défendre contre le prestige des

exemples de l'antiquité, et si la plupart ont admis la sphéricité de

la terre, sur le témoignage de Pline et de Macrobe, bien qu'elle

ne fût pas écrite dans la Bible. M. Letronne parait croire que,

sous linnuence de la Bible et des Pères, cette notion s'était perdue

(t)VoyM,danslaRevuedesDetKCJtMMtM,en mars1M4,p.<MtetMhr.,tesavant

articlede M.Letronne Descp~M CMMM~op~MetdMPëfetdef~HM, Mtjt*proche: <fMdocMHMphilosophiquesde la C~ee.

Page 599: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MOYENAGE. 5~

au moyen âge (i) et qu'elle a a reparu qu'à l'époque de la renais-sance des lettres antiques; c'est là une thèse difficile a défendre enprésence des passages d'Isidore, de Bède, de Guillaume de Cou-ches, etc., que nous avons cités plus haut. Mais ce qu'il faut re-connaltre en même temps, c'est que les scolastiques ont modifiéles traditions paiennes, en géographie comme en toute chose, afinde les adapter à la tradition ecclésiastique.

Matgré ie goût du merveilleux dont les esprits étaient alors pos-séttés, et qui les a entrainés si loin dans le pays des chimères, ily a un prodige qui fait reculer leur crédulité, disons mieux, leurpiété, c'est que la race humaine ait peuplé d'autres contrées queles trois parties du mond< connu des anciens, l'Europe, l'Asie et1 Afrique. Isidore n'hésite pas a rejeter cette tradition comme unefable. Au vm" siècle, elle fut condamnée par le pape Zacharie, enla personne du prêtre Virgile, depuis évêque de Salzbourg, quiparait, au reste, ravoir présentée sous sa forme la plus para-doxale. Rahan Maur en porte le même jugement qu'Isidore, etdans les mêmes termes. Au xe siècle, un interprète de Boêce sedéfend d'y croire et déclare qu'eue est contraire à la foi « Absit,dit-il, ut nos quisquam antipodum fabulas recipere arbitretur,qu:e sunt fidei christianae omnino contranœ (2). » Guillaume deConches, qui se signala plus d'une fois par des opinions hardies,se range en cette occasion au sentiment général, et incline Apenser que, s'il existe deux zones habitables, une seule est ha-Mtée, et qu'au surplus, eussions-nous des antipodes, nous ne pour-rions en acquérir la certitude, faute de pouvoir communiquer aveceux (3). Cette hésitation, sur une matière où il était si facile auxesprits de donner un libre cours à leur fantaisie, ne sa~trait êtreimputée qu'à l'inuuence des Pères et aux repu 'nances manifestesde l'Eglise pour la doctrine des antipodes.

Un autre point où la trace des mêmes influences est manifestechez les scolastiques, c'est leur opinion sur la situation du Paradis.La plupart s'accordent à le placer aux extrémités de l'Orient. Lefond de l'Orient, même pour les écrivains du paganisme, était la

(t) Des <'p<M<OK«<M<MtMcfepA~<<M<tesFèt~t. p. 632.(2) <MaM(cor)MttaMe<entm e ~<MeaM<<!em~6)M, t. Ht.Romœ, <83<, in.a", p. M3.(3) PA<tM<~&a m)aof, 1, IV, e. <M <tNaMns tamen aostrùm ad illos, neque tMot-um

ad nos pervenire potest. o

Page 600: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

6M EX(~ MHOS8MtSTOMQ~S BT PHtLOSOMttQt~S

terre des prodiges. Là les lois de la nature paraissaient suspen-

dues la tout prenait un aspect extraordinaire, la configuration

dtt sol, ses productions, tes animaux qui le peuplaient, et jus-

qu'aux périls qui menaçaient le mortel assez téméraire pours'av en-

tnrer dans ces régions étranges. En plaçant sous ce climat privi-

légié le premier séjour de l'homme, les scolastiqucs conciliaient

aussi bien que possible les traditions de l'antiquité et celles d<'

lEglise. Suivant la croyance commune, le Paradis était, depuis

l'exil d Adam, inaccessible a sa postérité. Mesmurailles de feu le

séparaient de l'habitation des humains; des anges en défendaient

1 entrée, et la légende racontait qu aucun de ceux qui s'en étaient

approchés n'avait pu y pénétrer. Les merveilles de l'Inde, racon-

tées par Pline et Solin, n'étaient-eltespas les signes avant-coureurs

des prodiges encore plus mystérieux de la région sainte tonnée aux

regards des mortels? Nesemblaient-elles pas avertir qu'on avançait

vers la limite infranchissable oit s'arrêtait le domaine de l'homme.

on commençait le domaine de Dieu? De même que les connaissan-

ces que nous acquérons par la lumière naturelle sont la préface

des vérités divines que la foiseule peut atteindre, ainsi les contrées

de l'Orient, objet de tant de récits chez les anciens, formaient,

pour ainsi dire, dans la géographie des premiers siècles du moyen

âge, le vestibule de la région sacrée où s'était écoulé l'âge d'inno-

cence de la vie de l'humanité.

Mais, dans ce mélange d'idées profanes et chrétiennes entre

lesquelles ilottaient les esprits, que devenait l'antique conjecture

d'une communication de l'Europe et de l'Asie a travers l'Atlanti-

que ?Sans doute la certitude, de jour en jour plus répandue, de

la sphéricité de la terre semblait la favoriser; mais elle ne se

conciliait pas avec l'hypothèse des quatre continents admis par

Macrobe et Capella, ni surtout avec les opinions qui régnaient sur

la situation du Paradis. S'il était vrai que le paradis occupât les

extrémités de l'Orient, ce n'était pas seulement l'étendue des

mers qui séparait l'Espagne et l'Inde; c'était en outre la contrée

mystérieuse que Dieu s'était en quelque sorte réservée à lui-

même. Vainement un navigateur intrépide aurait dirigé son vais-

seau vers les bords où se couche le soleil; au lieu d'un rivage

hospitalier, il n'aurait rencontré qu'une terre inaccessible aux pi-

lotes. Aussi ne trouve-t-on dans les premiers siècles du moyen âge

Page 601: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A THAVEBS t<K MuyKK Af:K. 59!*

aucune trace des conceptions géograpinques qui ont donné 1 éveilau génie de Christophe Colomb. Les écrivains de cet Age qui neconnaissaient pas tes grands ouvrages d'Aristote possédaient dumoins tes ~~<M M<~Mp/~ de Sénèque, et ils pouvaient y lirecette ph~se remaKjuable « Uuette est la distance qui sépare tesrivages les plus reculés de 1 Espagne et la cote de t'Inde? t~traversée peut se faire en quelques jours, lorsqu'un bon vent enfleht voite? » Maisl'expérience nous apprend que les indications tes

plus curieuses échappent souvent A nos regards distraits, commetant de phénomènes de la nature que nous ne remarquons pas,bien qu'ils se reproduisent tous les jours. Sénèque, au reste, nes'était-it pas lui-même contredit dans ce passade de ses /~cAwM-//<~ « Supposer qu'il existe au sein de l'Océan des terres fertiles,et par delà l'Océan d'autres rivages et un autre monde; supposerque la nature n'a pas de bornes, que lorsqu'elle semble toucher Ason terme elle a encore de nouvelles perspectives à nousoffrir, cesont ta des rêves faciles à former parce que l'Océan n'est pasnavigable. » Maisni ces contradictions apparentes ni les textes

qui tes renferment n'avaient dans l'origine frappé aucun de ceux

qui lisaient les ouvrages du célèbre philosophe. On ne donnait

pas plus d'attention à l'opinion de Posidonius, rapportée par Plineet Sotin, que Hnde est située eu face la Gaute, « adversam Gal-tia' (i). MToutes ces idées n'ont commencé & se répandre en

Europe qu'A une époque plus avancée du moyen a~e, et parquelle voie? Nouspensons et nous croyons pouvoir démontrer quec'est par la voie d'Aristote, par l'influence de ses livres et par celledes nombreux interprètes arabes et latins qui les ont commentés.

Aristote enseigne, au livre de ses P~oM~MM(2), qu'il n existeau couchant ni montagnes ni terre, mais seulement la mer Atlan-

tique. Ces expressions ne doivent pas être entendues à la lettre,

puisque dans ce cas elles signifieraient que l'Atlantique n'a pasde bornes; elles ne peuvent désigner que la vaste étendue occupéepar la mer, ce qui n'empêche pas qu'à une distance plus ou moins

éloignée les flots de l'Océan ne baignent un rivage opposé à celuide l'Europe. A quelle distance est placé ce rivage? Voilà le pro-

«j Sénèque,QtM~Mat.,~a-f.;SxaMf.t; P!!uf.N< n< t. Vt.e. xxt;Setitt.~«&Mef. t. M.W.

(a) Probl. M«, M n~ &Ht4<M ? e3M &pe:e~e vi! MW. &M<tte AT~n~ )tt)~

Page 602: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

MO EXCMtMOXSHISTORIQUESET PHtLOSOPHÏQUES

Même. Dans le passage célèbre qui termine le second livre du

traité Des ciel et <~ M<e~~ Aristote ne parait pas éloigné d'ad-

mettre que cette distance n'est pas considérable, et même que les

deux extrémités de l'Orient et de l'Occident se rejoignent« Ceux (lui pensent, dit-il, que la région vers les Colonnes d Her-

cule connue aux pays de l'Inde, de sorte que les deux rivages

soient baignés par la même mer, ne semblent pas émettre une opi-nion trop incroyable. Entre autres preuves, ils citent les éléphauts

qui se trouvent dans les deux régions; ce qui tient, disent-ils, A

ce que les extrémités de la terre sont contigues (i).? »

La même idée, un peu affaiblie, reparalt au livre des jMco<c<,

où elle est combattue« Les pays qui sont au delà de l'Inde et des Colonnes d'Her-

cule ne semblent point, à cause de la mer, se réunir ensemble,

de telle sorte que la terre habitée présente une surface con-

tinuer). »

L'opinion à laquelle Aristote vient de faire alh'sion à deux re-

prises dinërentes compta de graves autorités en sa faveur parmiles géographes anciens; car nous apprenons, par le témoignagede Strabon, que, selon Eratosthêne, la zone tempérée, revenant

sur elle-même, forme pour ainsi dire un cercle; « de sorte que,si Fétendue de la mer Atlantique n'était pas un obstacle, nous

pourrions nous rendre par mer de l'tbérie dans l'Inde, en suivant

toujours le même parallèle (3). » La pensée est la même que chez

Sénèque, dans le passage des QMM<«MMtM<!M'e~Mcité plus haut.

Mais le point que nous tenons surtout à établir, parce qu'ilest le

seul qui touche à l'objet de nos recherches, c'est que, dès Fanti-

(t) De C<Bte,M, <4 <? ~M ix TO)<tM~5%3.ew<te~tp&<Nwt& <~tM'~!t Y~'

<t~p<te«u ttt~e~t. A~ te<n ~M~tt~evMt <M~A!HtM M~ <&;HpMt!<M«;e~~

tMM~soi inpl M< Md M&w Te6!M~~M 6e&<Ht<M~{~, MtM<<M~-

&MM&Mt~ CMM~.A<ÏO<tM? TOttMt~jtMM)MttWtt <Mttt<n~,Stt Mpt~M<pM< M~

tMo~t <e!niex~Mu;&wMt;, Y~a(<t<itMwtert~, t~ t&~<<txAtM<5t&<&ow&FMt~~~enTeSrexMMMwt.M. tetronne. ~etMTtct<fMMMf~, année 1831,P. 478, ajoute la par-ticule o&taprès ~Mtew,et lit <MdMOw~t&wTpo!Mwex t!w<nt'~ M~<ttt<K~tM. Maiscette

tonteetme n'est eennnnee par aucun manuscrit ni par aMc<mcommentaire; j'ajoute

qu'elle n'est pas neceMatrepour t tMeMIgencedu texte, qui s'entend très bien en sup-

posant que la mêmemer baigne à la fois tesbords de i Me et ceux de t'Espa~n'

(!)~eMo~M.&.(<)Stfab~. 6ee~<t~ t. 4 '0<n! <t t<t<Y<a««~ ~t~MM~a <tA~M; ~t<M«~

~tw <(M; -t<it'M~{ttt da M'~ SMto9 tt~teBmtp~~M.

Page 603: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERSLE MOYENAGE. eut

quité, les interprètes d'Arîsiote n'avaient pas laissé échapper unevue aussi importante. Si nous la cherchons en vain dans ceux des

ouvrages d'Alexandre d'Aphrodise qui nous sont parvenus, ellereparalt dans Thémistius (t), et nous voyons Simplieius s'y arrderavec complaisance. Voici, en effet, comment it s'exprime dans soncommentaire sur le traité /)Mciel et f/« ~owA' (2) ·

« Si la terre n'est pas vaste, il ne faut pas repousser comme dé-raisonnable l'opinion de ceux qui pensent que l'extrémité desterres connues à l'occident, c'est-à-dire les Colonnes d'Hercute,près du détroit de Hadès, et l'extrémité des terres connues àl'orient, c'est-à-dire les cMes baignées par l'océan Indien, sontasses rapprochées. Ce qui parait le démontrer, c'est l'existencedes éléphants dans ces diuérentes contrées. M

Ce passage prouve que l'idée de la proximité de l'Europe et del'Asie subsista chez les péripatéticiens de l'antiquité jusqu'aux der-niers jours de la philosophie grecque. Sans être sur le premierplan, elle faisait partie de cet ensemble de doc~mes d'inégalevaleur qui, après la chute de la vieille société, bannies des lieuxoù elles avaient été d'abord enseignées, se répandirent dans toutl'Orient, y portèrent des fruits inespérés, et un peu plus tard re-

parurent en Europe et servirent de modèle aux nations chré-tiennes.

Quand le péripapétisme pénétra chez les Arabes, il y porta cette

tradition, qui fut d'abord rattachée, par ceux qui la recueillirent,à sa véritable source, comme on peut s'en convaincre par cette

phrase du géographe Massoudi « Ce qui prouve, dit l'auteur dela Logique, que la terre est petite, c'est l'opinion professée parquelques personnes, que le lieu appelé du nom des Colonnesd'Hercule touche aux limites de l'Inde, et que la mer qui les

sépare est une seule mer (3). Cependant Massoudine semble pasavoir partagé l'opinion qu'il mentionne ici, et elle ne fut pas non

plus adoptée par les autres géographes de sa nation je n'en dé-

(t) y&ex~MPeWpateMcth<e<dbMM<JM«~<M~<?MnMquatuor~ftMoMttde Ce~tMMcpWBMMta ~M edita,~M ~a«tM ~ra-e, SpoteMaoMed<eeocpA~MO~o,M~f~e, VeaetMB,<S73.io.<M.,p.39.

(3)StMpM~&MMop~oeMMM<m<comme~aW<t<NytM<MofMKMdeC<B&~W$<0-M«,Veaettht,(M8.tm.M.,p.M.

(3)PMMgecttéparM.SaMaMM,JMcfe&Msur la découverte<?<!pagss«M«surhted<eoce<<~H<<t<e<('W?tM,etc.,Pari)}.MM,to~,p. M.

Page 604: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

'KM EXCCaSMKS MtMOMQCESET PHM.OSOPiMQMN

couvre du moins aucune trace chez ceux dont M. Reinaud nousfait connaître les noms, les ouvrages et les doctrines dans sa belle

introduction à la ~o~«' d'AbuMëda. Vainement on opposeraitque, suivant Edrisi, la mer des Indes communique avec l'Atlanti-

que Edrisi ne dëctarc-t-H pas que par delà l'Atlantique nul nesait ce qui existe, et ne l'appelle-t-il pas la mer des ténèbres? «Per-

sonne, dit-il (i), n'a pu en apprendre rien de certain, à cause desdifficultés qui s'opposent a la navigation, la profondeur de l'obscu-rité. la hauteur des vagues, la fréquence des tempêtes, le grandnombre des animaux monstrueux et la violence des vents. Aucun

navigateur ne se hasarde à gagner la haute mer; on vogue le

long des côtes sans perdre de vue les rivages. » Mais tandis queles géographes se faisaient l'écho de l'épouvante que l'Océan inspi-rait aux marins, la conjecture exprimée par Aristote sur son peud'étendue se conservait chez les interprètes arabes du Stagyrite,et en particulier chez le plus célèbre de tous, chez Averroes~ quis'exprime en ces termes dans son commentaire sur les livres D~<W/ <~MM!<MM~

Aristote donne la preuve suivante de la petitesse de la terrec'est que l'horizon des lieux où les statues d'Hercule sont placées,c est-a-dire l'extrémité occidentale de la terre habitée, est prochede son extrémité orientale, et qu'entre les deux régions il existeune seule mer continue. Ces statues attribuées à Hercule étaientélevées le long des côtes de la mer, du nord au midi l'une se trou-vait à l'extrémité occidentale de la cote d'Espagne; je l'ai vue demes yeux; plus tard, elle a été détruite par des pirates, versl'année &30 de l'ère de Mahomet. Après avoir rappelé que cesstatues marquent le point extrême de l'Occident, et que l'Occidentest séparé de l'Orient par la mer, Aristote ajoute que les deuxcontrées sont peu éloignées; et ce qui !e démontre, suivant lui,c'est qu'elles produisent l'une et l'autre des éléphants. En effet,les animaux qu'on ne rencontre pas dans tous les pays, mais dansun seul, sont particuliers à ce pays, par la raison que c'est là leclimat approprié à leur nature. Dès lors les régions qui les pro-duisent ne sauraient être à une distance bien éloignée, car l'éloi-

gnement suppose en général la dissemblance. Cette remarque est

(t)Géographie<fM~<, trad.parM.Jaobo-t,t. M.p.9.

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A TRAVERS LE MOYEN AGE <!03

évidente lorsque l'éloignement se produit dans le sons de la lati-tude elle se vérifie aussi quand il a lieu dans le sen.. de la lon-gitude." 1)

Dans la traduction du Commentaire d'Averroes, qui fait partiede l'édition des œuvres d'Aristote donnée par les Juntes (i), cepassage offre une singularité curieuse il y est dit que la statued'Hercule qui se trouvait &l'extrémité de l'Espagne s'appelait lastatue de l'inde~ ~Mo<~</<c~<ï/M<-~o/WH ~~M?. Cette leçon estconfirmée par le manuscrit N2~du fonds de Sorbonne de la Biblio-thèque nationale; dans d'autres manuscrits je ne l'ai pas ren-contrée, et le savant M. Munck, qui a bien voulu vériBer pourmoi la version hébraïque du Commentaire moyen d'AverroCs, n'ya pas retrouvé non plus ces expressions remarquables. Mais ilnous suffit qu'elles aient figuré dans certaines copies pour êtreautorisé à soutenir que les doctrines, si l'on veut, les erreurs

géographiques recueillies par le péripatétisme arabe tendaient :)représenter l'Océan comme la voie qui conduisait dans l'Inde. Onraconte que dans l'Mede Corvo, l'une des Acores, les Portugais dé-couvrirent une statue équestre qui avait le bras étendu vers l'oc-cident. M.de Humboldt a expliqué très ingénieusement cette tra-dition par une singularité de la configuration topographique del'ile de Corvo (2), dont un promontoire, situé au N.-O., a la formed'une personne levant le bras dans la même direction; peut-êtrele fait n'est-il pas sans quelque rapport avec celui dont nousvenons de trouver la trace dans l'écrivain arabe.

Malgré la mauvaise philosophie dont les. ouvrages d'Averroëssont remplis, et contre laquelle les écrivains ecclésiastiques, saintThomas à leur tète, ont réclamé si vivement, chacun sait quellevogue ses commentaires ont eue au moyen âge dans les universi-tés chrétiennes. Averroes était pour les scolastiques te premierdes interprètes et, sur tous les points où le dogme religieux n'était

pas directement intéressé, il égalait presque l'autorité d'Aris-tote. Comment supposer qu'une idée qu'il avait recueillie et con-

(t) Veaettb,<MO.tn.M.. t. Y,p.M <<Et unumi~ruM tdotonntterat ta atUmooMMeattsHhtpanta'.qtMddteebatMfidolumMtm! et eftovidit)Mumet~atMm.Le«MntMcdta5Mdet'ancienfonds,foi.198,et temanuscritt7t dufondsdeStbtt.Vk.tor,porteat <<~<MMCadis,aa tiendof</o~M/Mf/

(2)~awe« eft~f, t. H,p.335etsuiv.

Page 606: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

EXCMtStOXSMtNTOMQUESET PHILOSOPHIQUESC(tt

tinuée pAt périr avec lui? Son seul témoignage suffisait pour la

préserver de l'oubli. Et, en effet, la tradition de la proximité de

l'Europe et des Indes se conserve après lui; nous la retrouvonschez les écrivains du xm" siècle, les plus familiers avec le péri-patétisme et la philosophie musulmane, je veux dire Albert le

Grand, saint Thomas et Roger Bacon.A la faveur des sources nouvelles que le zèle des traducteurs

avait ouvertes en Occident a l'érudition, une sève plus abondante

commençait Acirculer dans les écoles de la chrétienté et vivifiaitla géographie comme les autres branches des connaissances hu-maines. Une partie des erreurs anciennes tendait à disparaître;les vérités déjà connues se confirmaient. L'autorité de la Biblen'était pas moins respectée qu'autrefois, et on l'élevait bienau-dessus de tous les jugements des philosophes; mais les doc-teurs les plus accrédités dans l'école reconnaissaient que l'écri-vain sacré a souvent accommodé son langage à l'inexpérience des

esprits vulgaires auxquels il s'adressait; que les expressions dontil se sert sont susceptibles de plusieurs sens, et que toute in-

terprétation qui contredit des faits certains doit être écartée (i).Le système de Cosmas, fondé sur l'exégèse la plus littérale, n'a-vait jamais été, comme nous l'avons dit, bien répandu; mais il

perdait encore du terrain, et l'idée de la sphéricité de la terre en

gagnait. Je n'en veux citer d'autre preuve que l'exemple d'Albertle Grand et celui de saint Thomas, qui a résumé dans sa S<WM)Mles arguments à l'appui de cette vérité (2). Qu'importe que des

contemporains, comme Gervais de Tilbury, aient encore admis

(t)Voyezea parttcuHerS.Thomas,S<«MM<!Meof..M, i. q. M, art. 1.ln may.Sea<eM<M,dist.i4, q.t <<<NihUaoctoritatt8<'r!p<ura'derogatnr,si dtversimodeex.ponatar,dummedohocOrmiterteneatur,quodSacraScriptura:Mt MMMncontineat.ComtattaminScrtpturaSacramuttametaphorteetraditaeMe,qMmMeundntMptanam'mpMademMMeneiateUtgtnonvalent.MCf. i. 8.q. M,art. t aDuosuntohser-vandaprimo quidem,ut veritasScrtptnroetneoacttMetcn<'atnr<secundo,qanmSertpturadhtnamttttipUeiterexponipoMtt.qnodM)t!ttexp<MKtontatiqataita prœciMadhmrMt.ut si cprtarationeconxtKprtthocessefnlsum,quodaUqNtsMMamScrip-tara)esMcredebat,tdnihUomtnnBaMererepr<MMmat.x

(2)i, 2, S.q. M,art. 21«TerratMesserotuodamperaliudmediumdemonetratna-turatisetperati<tdastro!ogu<.Aotroto~MBentmhocdemonstratpermediamathema-ttea,a!c<ttperNgaraseeMpstamvelperalindhujnamod!naturaUBveMhocdemetMtratper mediumnatarate,etcutpermotumgraviumad medium,vêtper att)tdttujtte-MMdt.MVoyezaussiVincentdeB<MMvab.Sp«tt~wa~.LVt,c. tBt!AlbertleGrand.Dec<c<ee<tMMM~o,1.!t, tract.tV,c. )xetMttv.

Page 607: Charles Jourdain - Excursions historiques et philosophiques à travers le moyen

A TRAVERS LE MOYEX AGE. <.?

que la terre était de forme carrée (1)? Qu'importe que la mêmeconception reparaisse dans un certain nombre de cartes du xMf etdu xtv" siècle? Ces vieilles chimères ne prévalaient pas, et, sielles s'étaient répandues, l'autorité du Docteur angélique auraitsuffi pour les faire abandonner. Le débat continuait sur les terresaustrales et des antipodes, et, sans admettre l'existence de cesderniers, on s'accordait en général à reconnaître une seconde zonetempérée. L'hypothèse de plusieurs continents opposé! que nousavons signalée dans le xn" siècle, n'avait pas encore disparu deslivres de géographie~ et on en trouve encore de nombreux ves-tiges après Geouroy Saint-Victor. Enfin les contrées même lointai-nes de l'Asie, que les Arabes avaient souvent parcourues, allaientêtre bientôt visitées par les chrétiens, soit par des marchandsque la passion du négoce ou l'esprit d'aventure entralnait, commeMarco Polo, soit par des missionnaires, comme Fr. Rubruquis,que les papes envoyaient prêcher l'Évangile aux nations inndè-les. Malgré les fables dont elles sont semées, les relations de cesintrépides voyageurs devaient contribuer à étendre les connais-sances positives et détourner insensiblement les philosophes dedonner pour limites au monde, du coté de l'Orient, les inaccessi-bles régions du Paradis.

Cesprogrès, les seuls qui fussent possibles avant les découver-tes des navigateurs modernes, n'étaient pas encore, &beaucoupprès, tous accomplis, mais ils se préparaient, lorsque Albert en-treprit de commenter les livres d'Aristote, et en particulier letraité Du c~/ <~<MtOM<Arrivé au passage qui nous occupe, lecélèbre docteur expose en ces termes l'opinion de ceux qui soup-çonnent que des côtes occidentales de l'Europe aux bords opposéslit distance n'est pas aussi grande qu'on le croit vulgairement

« Dicunt quod locus qui in Hispaniis vocatur Gades sive statuaHerculis, eo quod Hercules usque hue pugnando venit et idolumsui triumphi erexit, quod super marc Oceanum ex parte Occidentisest, secundum eamdem mensuram climatis continet ex parteOrientis primum torminum ejusdem elimatis in tormino oriental:,in terra tndiaa qum est sub Cancro; inter enimorizontem habitan-tium in climate iUojuxta Gades Herculis, et orizonten habitan-

(t) SaHtarcm,BM<H,1.f, p.. 107etMtty.

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606 HXCCRSMM8HtSTOBtQUESETPHtLOSOPHtQUES

tium in India, non est in medio, ut dieunt, nisi quoddam mare

parvum; sed mare Oceanum met% est climatis illius ex occiden-

tal! parte. Cum ergo parum distet orizon Occidentalium ab u~zonte

Orientalium. longitude semicireuli terra* qua* est mensnra longi-tudinis illius climatis, non est magna, et sermo eorum qui hoc

dicunt non est negandns; quod ha'c enim duo loca sunt vicinita-

tis unius ad œquinoctialem, per totam semicircitli terre. longitu-

dinern, demonstrat natura elepliantuin qui nascuntur in ea, tam

in orientaU parte ejus qnam in occidentali ex utraque parte maris

quod dividit oMzontem eorum eo quott unius climatis unus est

modus caloris et siccitatis (i ). »

Vers le temps ou Albert, cette lumière de l'ordre de Saint-Do-

minique, écrivait tes lignes que nous venons de rapporter, uu

autre frère prêcheur, <:niMaumede Meerbecke, traduisait en latin

le commentaire Simplicius (2). Nous inclinons à penser qu'il exis-

tait aussi une version latine du commentaire de Themistius, car

ce commentaire est cité par Albert le Grand (3). Lorsqu'à sou

tout saint Thomas écrivit son exposition des livres Du ciel et

~o~< il n'est donc pas surprenant qu'il ait reproduit l'hypothèsede la proximité du continent oriental et de l'extrémité des cotes

d'Espagne et d'Afrique. Suivant sa coutume, saint Thomas est pluscourt que son maître Albert et se tient plus près du texte d'Aris-

tote, qu'il se borne à paraphraser.« Et ideo non videntur valde incredibilia opinari qui volunt

coaptare, secundum similitudinem et propinquitatem, locum in

extrême Occidentis situm, qui dicitu' esse circa Hercnleas colum-

nas, quas scilicet Hercules statuit in signum sua* Victoria), loco

qui est circa mare Indicum in extremo Orientis; et dicunt esse

unum mare Oceanum quod continuat utraque loca; et similitudi-

nem utrorumque locorum conjiciunt ex elephantibus, qui cirea

utrumque locum oriuntur, non autem in mediis regionibus quotl

quidem est signum convenientiœ et similitudinis locorum, non

autem propinquitatis.»

(t)DeMB~e<mMM<<e,t. M,tract..tV.c.M.Opp.,t. tt, p. t46.J'aieerfigéd aprèstMmanuscritsptustemMfautesdutexte!mpr!Mé.

(2) Jourdain, Recherches ~Mrt~e et l'origine des <<'a<ftteMoMlatines d'Aristote,

2" édit., p. M; ~M<. MM.de la ~«HC~ t. XXI, p. t48.

~) ~MEfe f< MMM~o,t. Il, tract. iV, e. M, p. tM.

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A TRAVEMSLE MOYE?<ACE.

ttans son commentaire sur tes ~f~w~ sdnt Thomas, sans re-venir sur la même idée, indique seulement que l'océan Atlantiquea deux rivages opposés, l'un aux Colonnes d HeMule,1 antre a l'ex-trémité orientale de l'Asie

« Uuod est circa terminum tndicum, ex p<trte ttrientis, et quod<*stcirca columnas HeMulis, ex parte Occidentis, non videntur

possc copulari ad invicem, ut sit reditus ex alia parte, et sic totaista portio terra' sit habitaMIis continue, quia impetUtur acce~Ms

propter mare. »

Nous ne faisons pas difficulté de le reeonnaKre, t<'spassages <Htt'nous venons de citer sont de simples paMtphrases du texte d'Aris-totc mais qui ne sait que la paraphrase des textes anciens fut au

moyen âge une partie considérable de l'enseignement C est souscette forme nue les idées se conservaient; c'est par cette voie qut'les sciences de Fantiquité nous sont parvenues. Quand une con-

ception philosophique avait figuré dans une paraphrase, on peutaftirmer qu'elle était entrée dans la circulation de t école; elledevenait un objet de controverse, et, si elle n'était pas tout Afaitstérile, le germe qu'elle renfermait ne tardait pas a se dév<

lopper.Au reste, dans un ouvrage qui n'est pins un simple commen-

taire, mais (lui révèle un effort très sérieux de composition origi-nale, dans i 0/)MsJ~/M< de Roger Bacon, nous allons retrouver d<sindications toutes semblables à celles que nous ont oSertes Albertle Grand et saint Thomas d'Aquin. Roger Bacon examine qucHeest l'étendue de la terre habitable; et, à ce propos, il fait remar-

quer que la mer est moins large qu'on ne le croit entre la cot<occidentale de l'Afrique et l'Inde; ce qui suppose le prolongementde l'Asie à l'orient, et laisse par conséquent un plus grand espac<pour l'habitation des hommes.

« Aristoteles vult in fine secundi Co'~ et ~MM<&quod plus ha-bitetur quam quarta. Et Averroes hoc confirmat. Dicit Aristoteles

quod mare parvum est inter finem HispaniaE-,a parte Occidentis,et inter principium Indiœ, a parte Orientis. Et Seneca libro V~v~-

~M~af/MMM,dicit quod mare hoc est navigabile in paucissimis die-

bus, si ventus sit conveniens. Et hoc per auctoritatem alteriusconsiderationis probatur; nam Esdras dicit, IV libro, quod sex

partes terrée sunt habitatee et septima est cooperta aquis. Et

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6t'8 EXCCRStOXSMtSTORtQCESETPMMSOPMtQPES

propter hoc dico, quod licet habitatio nota Ptolama'0 et ejus se.

quacibussit coartata intra quartam unam, plustamen est habita-

iMle.Et Aristoteles potuit plus nosse, quia auctoritate Alexandri

misit duo milita hominum ad investigandum res hn~us mundi,

sicut Plinius dieit VU!JV~~MW/WM.Et ipsemet Alexander peram-

bntavit usque ad finem Orientis, et sicut patet ex historia Alexan-

dri et ex fpistolis quas AnstoteMconscripsit, semper mandavit ci

de omnibas mirabilibus et insolitis qua* !nveniehat in Oriente. Et

ideo potuit Anstotetes plus certificare qnam t'totoma'us. Et Seneca

similiter, quia Nero imperator, discipulus ejus, similiter misit, ut

exptoMfet dubia mundi sicut Seneca narrat in J~wwM<M. Et

ideo secundum hacc, qnantitas hahitabHis magna est, et qnod

aqua cooperitur, modicum debet esse. Versus enim polos mtmdi,

oportet qnod aqua abundet, quia loca illa M~ida sunt propter

etongationem a sole: sed M~ts multiplicat humores; et ideo a

polo in polum decurrit aqua in corpus maris, et extenditur inter

Knem Hispania; et inter principium tndia; non m~~nœ latitudinis;

et vocatur Oceanus, ut principium !mdia)possit esse multum ultra

mediatem {fqumoctiatis circuli sub terra, accédons valde ad finem

Mispania). Aristoteles et suus commentator dicumt ad probatio-

nem parvitatis maris inter Hispaniam et Indiam, quod elephantes

sunt tantMm in illis dnobas locis. Verum enim est quod circa

montem Attantem abundant elephantes, ut Plinius dicit sicut et

Aristoteles, et similiter in India. Sed Aristoteles dicit quod ele-

phantes in illis locis esse non possent, nisi essent similis com-

ptexionis; et si essent multum distantia, non haberent similem

cnmplexionem, et ideo née elephantes essent in illis locis tantum.

Quapropter concludit hsM;loco esse propinquiora; et ideo oportet

quod mare parvum sit inter ea (i). »

Ainsi s'exprime Roger Bacon dans ce passage, souvent cité parles historiens de la géographie. Un point digne de remarque, ce

sont les autorités que le docteur franciscain allègue. tl cite Aristote

et Averroes, subsidiairement Sénêque et Pline. Je conviens qu'il

cite également Ptolémée, mais pour le combattre. Suivant lui, le

géographe grec n'a pas connu, il ne pouvait pas connattre les vé-

ritables dimensions de la terre aussi bien que le précepteur d'A-

(t) O~M J<f<t/«<,ed. Venettis, t7M. ta-t". p. i37.

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A TMAVEKSLE MWEK At!E. <:u~

loxandre, & qui les conquêtes de son royal disciple eu Orientavaient procuré de si précieuses notions, ni aussi bien que le pré-cepteur de Néron, mettant Il profit les résultats de l'expéditionque ce prince, au témoignage de quelques historiens, envoya dansla mer des Indes. Ce jugement de Roger Bacon nous paralt dé-montrer que ce n'est pas a Ptotémée, comme le croit M.de San-tarem. que le moyen âge a emprunté l'hypothèse d'une com-munication entre l'Europe et l'Asie par l'océan Atlantique. Cettehypothèse implique les deux notions suivantes, qui sont admisespar Ptotémée la première, que lit terre est ronde: la seconde,qu etto s'étend en longitude de l'est &l'ouest. Mais quand on esten possession de ces prémisses, il reste encore a tirer la consé-quence. Or, cette conséquence, qui n'avait pas échappé a Eratos-theue, n'est pas énoncée par Ptotémée, tandis qu'ette se retrouvede la manière ta plus expresse chez Aristote. Voilà pourquoi, bienqu'Aristote ne l'ait pas inventée, nous lit considérons comme uneidée péripatéticienne. Elle a été puisée dans ses ouvrages parses interprètes, et ce sont leurs commentaires qui l'ont fait péné-trer dans l'école. Les textes que nous avons cités ne nous parais-sent laisser aucun dcute sur ce fait, que les éclaircissementsqui suivent achèveront, nous l'espérons, de mettre dans tout sonjour.

Campano de Novarre, Jean Sacrohosco, Robert de Lincoln, Ceccod Ascoli, dans les écrits sur la sphère qu'ils nous ont laissés, ne par-lent pas de la proximité supposée de l'Europe occidentale et desrivages de l'Inde. La cosmographie qu ils enseignaient est mêmecontraire plutôt que favorable A cette hypothèse. Cecco d'Ascolipersiste à placer le Paradis terrestre à l'orient de l'Asie. Robert deLincoln tient encore pour le vieux système qui partage la terre enquatre continents, séparés par deux grandes mers, dont l'une oc-cupe l'équateur, et dont l'autre descend du pôle nord au pôle sud,en coupant la première à angle droit. On ne saurait se dissimulerque, malgré d'incontestables progrès, la géogmphie était encorealtérée sur ces diNërents points par d'incroyables erreurs, dont les

interprètes d*Aristote eux-mêmes ne savaient pas toujours se ga-rantir. Dans les questions sur le livre D« ciel, Albert de Saxe en-seigne que nous sommes séparés des régions australes par desdéserts coupés de hautes montagnes, qui ont la propriété d'attirer

BMCMMMtSNNMBmcES. 39

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EXCtRSiOXSMtSTOMQUESETPtMLOSOPMtQUES6M

la chair humaine comme l'aimant attire le fer (t). Malgré la répu-tation de savoir et de ferme jugement qu'il s'est acquise par quel-ques opinions contraires aux préjugés de récote, t'ierre d'At~ano

rapporte ces fables ridicules sans les combattre ouvertement; et

même il s'en sert pour expliquer que la zone torride peut être

habitée, comme il essaye de le démontrer, sans que nous ayonsaucune communication avec ses habitants. C'est Ace propos qu'ilnous donne ce précieux renseignement, cité par les historiens des

découvertes maritimes, que, trente années auparavant, les Génois

avaient équipé deux galères qui franchirent le détroit d Hercule &l'extrémité de l'Espagne, mais que depuis on ne savait ce qu'ellesétaient devenues (2).

Cependant voici un très ancien traita de cosmographie, k pre-mier peut-être qui ait été écrit en français, dans lequel l'idée dela proximité de l'Asie p* de l'Afrique se trouve clairement indi-

quée c'est le traité De y~ < qui fut composé pour le roi Char-les V par Nicolas Oresme, grand maître du collège de Navarre,mort évoque de Lisieux en i382. Quelles sont tes autorités que lesavant prélat invoque à l'appui de l'opinion qu'il exprime? C'estAristote et Averroes. « Selon Aristote, » dit-il au chapitre des cli-

mats, après avoir parlé de ces statues élevées par Hercule, quenous avons déjà rencontrées, « selon Aristote et Averroes. en lalin du second livre De cw/o wwM~o,la fin de terre habitablevers Orient, et la fin de terre habitable vers Occident, sont bien

près l'une de l'autre, et n'y a entre deux que une mer qui n'est

pas moult large. Et pour ce, en alant de l'une fin à l'autre, parterre habitable, y a plus d'espace grandement que n'est la moitiédu circuit de la terre. Et doncques si les climats se traient en lafin d'Occident, si comme mettent les aucteurs, et ils ne treuventen long que la moitié du circuit de la terre, il s'en suit, selon Aver-

roes, que ces climatz ne se estendent pas jusques &la fin d'Orientet qu'il y a grans habitacions oultre, hors des climatz par devers

~) Alberti de S<M'OM«t~tta*~MMsde Cte/o et J~)<t<(o, Il, q. 26 « Auctoritate<t<'wnmt<tam,t<'M)MfBqaitMcUatemsunt qaidam montes, qat tmhent natamm at*trattendt tarneta hnmanam, sicat magoM attrahit <erfM))t;et tMMest causa quarenttttas transit. o

(2) VoyMte curieux ouvragede Pierre d Abatm,CcMe~a~af co~roper~rMM ~M.e<Mf<')'~MMopA<M MMJ~M<WM<t~«<VeM~iis.tMS, dIN'.N7.

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A TRAVERSLE MQTES AGE. eo 1

Orient, o& il convient que les climatz ou aucuns d'iceulx soientpins longs que les astrologicns ne mettent (t). » U est essentield'oltservcr que Nicolas Oresme est un des interprètes d Aristoteles plus accrédités du xn° siècle, et que parmi les ouvrées qu'ila traduits en français pour le service du roi de France figure letraité DMciel et JM ~o~ Les livres du Stagirite avaient donccontribué, si j'ose ainsi m'exprimer, &son éducation géographi-que, comme au reste il semble lui-même le reconnaltre par lescitations qu'il en fait non seulement dans le passage que nousvenons de citer, mais dans beaucoup d'autres.

Nicolas Oresme nous conduit & i'ierre d'Ailly, entré commeboursier au collège de Navarre onze années environ après le départd'Oresmc, et devenu lui-même, dans la suite, une des gloires decette maison, tant par les charges éminentes qu'il remplit dans1 Église que par son érudition variée et par ses ouvrages. Ceux deses écrits qui touchent A1 objetde nos recherches sont une cosmo-

graphie où il ne fait qu'abréger la géographie de Ptolémée nou-vellement traduite par Angeli, des ~Me~MM sur la sphère et untraité qu'il a intitulé /M~o MttMeK.Ce dernier ouvrage, accom-

pagné de curieux appendices, est de beaucoup le plus important.L auteur y répète &plusieurs reprises que la distance n'est pasaussi grande qu'on le suppose entre le détroit de Gadès et le con-tinent de Unde. « Mare Oceanum inter orientales et occidentalesGades Herculis angnstiorem latitudinem, quam philosophorumvulgus crédit, perhibetur haberc. » Et un peu plus haut e Latusorientale tndia) a quibusdam fertur usque prope finem Africa'

protendi (2). MMais & quelle source Pierre d'AiMy avait-il em-

prunté cette notion, si ce n est à la même source que Nicolas

Oresme, saint Thomas d Aquin et Albert le Grand, je veux direaux livres d'Aristote et d Averroës? Une particularité que M.Hum-bold a relevée (3) et qui n'est pas sans valeur pour l'histoire lit-

téraire, c'est que le cardinal de Cambrai, sur la question qui nous

(t)Ch.Muma,«MAeMaMo<Mquisont~cAoraleseMmo~.Voy.i'~M<surlavieet lesouvragesde A«M<eOfexM~)'arM.yraaeisMc<mic)',Paris,t8M,in~ et leMémoire««' la cMMo~fop~~ Mey-M~c, d Enx~td<.FrMMe,dansta aefMedes&??«< MMMfM,mn. 1859.9°s<'m..p. 724.

(2) fm~o M!<)t<t<.epuoft. Ct.. <6M., c. M.M.

(3)C.rampMcritique,1.1".p. <Met Mh.

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<!t3 EXCmStOXS HtSTOBtQt ES ET PiMLOSOPtttQ~ES

occupe, ne fait souvent qu abréger et môme copier Roger Hacon.Fn assez grand nombre de passages de F~M~M Mw<~ sont la re-

production textuelle de t O~ .M~M.

·

Sans chercher ici a opérer des rapprochements qui proton-~eraïent outre mesure cette discussion déjà trop étendue, nous

sommes, je crois, autorisé t1 conclure i" (pt'au temps de Pierre

d AiUy,une tradition sur la faible étendue de la mer <p~onsuppo-suit séparer le continent orientât et l'occident de t'Europe s étaitétablie dans récote; 2° que cette tradition, dont la source était

Aristote, se perpétuait comme elle s'était formée, par t entremisedes interprètes du Stagirite.

Nous touchons à l'époque oit les sciences et tes arts de t Europeverront s'accomplir une révolution mémorable dans !aqnettc la

géographie aura la plus vaste part. Séneque a écrit de !M'auxverssur tes découvertes que l'avenir réservait au génie de t hommedans des mondes incon:tus Il antiquité

Vententanas safnt:' sensQMUMMOceanus~tacatarernatLaxet, et ingenspateattellus,Tethysqaenovosdételât orbes,Néesit terris uHttaaThute.

Cette prédiction n'avait pas échappa aux anciens interprètesde Séneque, et l'un d'eux, Nicolas Triveth, de l'ordre des Frères

t'rècheurs, explique avec concision comment elle recevra son ac-

complissement lorsque les progrès de l'industrie humaine aurontsurmonté les obstacles qui nous dérobent la connaissance de lanature (1). Au xv" siècle, la science de la navigation était assezavancée pour qu'une expédition partie des côtes occidentales de

1 Europe put s'aventurer sur l'Océan avec chances de succès, sielle était conduite par un chef intrépide, dont le coeur, suivant

(t) Camm. tn&Mtsar teatM~M!~ de Séneqae, NM. nat., ane. &tnds,mM. 8033,f' tM f <SectttaveMtentaaats seri<,quibus 0<'eanuataxet thM-Mhferam. B~Mifettmt'edtmentaquibus adhac ptaMbentar hoMines ne ïMeant at!qaas tenas vêt r~htnM!gmtM; nnde aabdtt « et pateat, « td est pateMt ta~M tett<M,a Tethyaque.. M estnaataJawmiaa dételât, NM est, deteget, uon in persona MM.sed ta arte navigationlitquamprimo adtnvenH,«novos orbes, a Mest, tgaotas n~!enes nabts, et tanquaMnovasn'j~MM, « née sit, » Id est, erit, « Tile aMma terris, scilicet. quod ultra eam inve*aietar terra t'er nav~aMenem. u

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A TRAVERSLE MOYEXAGE 6t3

1 expression d'Horace, fût cuirassé trois fois contre les dangers.L< s t'ortugais, animés par leurs princes, donnèrent les premierst'exempte en cinglant vers le sud; ils reconnurent toute la coted Afrique, depuis les Canaries jusqu'au cap de Bonne-Espéran«avec un courage encore plus héroïque, Christophe Colomb résolutde pousser Al'ouest, espérant se frayer la route des Indes a tra-vers l'Atlantique.

~nand une idée a fait son chemin dans le monde, il arrive sou-vent que son origine s'oublie; ceux (lui en tirent les applicationsles pius grandioses ignorent ou feignent d'ignorer d'où elle vientet a qu<th- source ils doivent rapporter cette tradition qui te. asi heureusement servis. Tel ne fut pas le sort de l'idée dont nousesquissons l'histoire. Christophe Cotomh, qui la mit &profit. enconnaissait la provenance; il savait par quelles lectures et sousqnettes influences son propre génie s'était développé, et il ne cher-chait pas à cacher qu'il avait trouvé chez Aristote ce germe devenusi fécond entre se~imains. Son fils Fernand Cotomh. en racontantsa vi< explique avec beaucoup de détail, d'après ses manuscrits,tes motifs qui l'avaient poussé à entreprendre son expédition; enpremière ligne figurent l'opinion exprimée par Aristote au livre

c~ et f/MtH<M~ et le commentaire dAverroes. Mais nousavons mieux encore, nous possédons le propre témoignage deChristophe Colomb lui-même, (lui, dans la relation de son troi-sième voyage, écrite selon toute apparence au commencement del'année H98, s'exprime en ces termes

« L<?Mattre de I'~fM/<w<'~o/Mc dit en parlant sur la Genèseque les eaux sont peu abondantes; que, lorsqu'elles furent créées.elles ne couvraient toute la terre que parce qu'elles étaient vapo~reuses et comme des brouillards; et que, torsqu elles furent deve-nues solides et réunies, elles occupèrent très peu de place. Nicolasde Lira en a la même opinion. Aristote dit que ce monde est petitet qu'il y a peu d'eau, et qu'on peut passer facilement d Espagnedans les Indes. Avenruyz confirme cette idée, et le cardinal Pierrede Aliaco le cite, en appuyant cette opinion, qui est conforme àcelle de Sénèque, en disant qu'Aristote a pu connaitre beaucoupde choses secrètes sur le monde, à cause d'Alexandre le Grand,et Sénèque Acause de Césaf Néron, et Pline à cause des Romains,tes uns et les autres ayant dépensé beaucoup d'argent, employé

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EXCURStOXSmsTORtQFESETPHtLOSOPtMQUESen

beaucoup de monde et mis beaucoup de soin pour découvrir lessecrets du monde et en répandre la connaissance, t~emême car-

dinal accorde à ces écrivains une autorité plus grande qu'à Pto-

témée et aux autres Crées et Arabes (t). »

Il semble que Christophe Colomb ne pouvait déclarer dans des

termes plus positifs qu'il est lui-même le disciple d'Aristote et deses interprètes, qu'il s est inspiré de la lecture de leurs écrits, queleurs exemples ont contribué pour une large part Al'éctairer et

à le diriger. Mna pas suivi l'autorité de Ptotémée; pourtptoi?Pour le même motif qui la diminuait aux yeux de Roger Bacon

et de Pierre d'Ailly, et qui leur faisait préférer le témoignage dePliue et celui de Sénèque. Fernand Colomb nous apprend queson père a connu la <7~o~t/<? de Strabon; et, eu euet, la tra-

duction latine que Cuarini en avait donnée fut imprimée a Venise

en < 469ou i47i; mais Strabon lui-même ne serait-il pas resté

pour Colomb une lettre morte si celui-ci n'avait pas été préparé

par ses études antérieures à saisir la portée des indications four-nies par le grand géographe? N hésitons pas &croire, d'après son

propre aveu, que ses premiers, ses véritables maîtres ont été les

scolastiques: c'est &la tradition péripatéticienne qu'il doit la con-

jecture sur la foi de laquelle, en quittant l'Espagne, il a cru s'em-

barquer pour les Indes. Et n'est-ce pas aussi cette même tradition,

répandue alors dans toutes les écoles de l'Europe, qui fit pen-cher en faveur des desseins de Colomb le jugement des commis-saires que la reine de Castille avait chargés de les examiner? Sans

doute, pour désarmer les appréhensions et les préjugés qui s'op-

posaient Aune entreprise aussi périlleuse et aussi nouvelle, il ne

fallait pas moins que l'autorité séculaire du philosophe qui en-

chalnait à ses décisions la chrétienté, et que les théologiens eux-

mêmes s'étaient habitués à vénérer comme un oracle.

Nous ne voudrions pas encourir le reproche d'être tombé dans

une exagération puérile. Nous n'ignorons pas que la découvertedu Nouveau-Monde fut le résultat de causes très complexes. L heu-reuse issue des expéditions entreprises par les Portugais; les ré-

cits des équipages qui les avaient accomplies; les renseignements

(t) Relations (les }tt<!<<'evoyages entrepris par C&f~op&e Ce&)m&~etc.. Paris,1820, in-8", t. H!, p. 41.

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A TRAVERSLE MOYE!tAGE. ':t&5

précieux que devait y trouver un esprit naturellement observa-teur: 1 habitude et le goût des voyages; an long séjour en t'or-tugat au bord de cette mer dont tes flots semblent solliciter les na-vigateurs et les pousser aux aventures; les conseils de Toscanelli.qui, dans une lettre célèbre, conseillait lui-même le voyage aux!ndes par !a voie de l'ouest; quelques indices vagues recueillis parles habitants des côtes et qui semblaient annoncer un continent àune distance assez rapprochée vers le couchant toutes ces circons-tances bien certainement ont aj?i sur Colomb et ont contribue Ale pousserdans la direction qu'it a suivie. Maisquand on les a toutesénumérees, et quand, d'une autre part, on a payé un juste tributd admiration au sublime esprit, au cœur magnanime qui sut exé-cuter te plus ~rand et le plus périlleux des desseins, il reste encoreun dernier mot a ajouter c'est que ta pensée dominante de Colombétait rbypothese de la proximité de l'Espagne et de l'Asie, et quecette hypothèse lui venait d'Aristote et des scotastiques. C'est lepoint auquel nous nous sommes attaché, en essayant d'y répandrequelques lumières nouvelles. Malgré l'oubli, et peut-être même Acause de l'oubli dans lequel la

géographie du moyen âge esttombée a mesure que l'homme a mieux connu sa demeure ter-restre. peut-être n'était-il pas indifférent de constater que les dé-couvertes des modernes avaient en partie leur origine historiquedans une conception énoncée, il y a deux mille ans, par Aristote,recueillie par ses interprètes grecs et arabes, commentée parAll)ertle Grand, saint Thomas d'Aquin et Hoger Maçon, et fécondée parun navigateur de génie dont la science égalait l'intrépide courage.

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JORDANOBRUNO.

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JORDANOBRUNO

Le but suprême de la philosophie est la connaissance raison-née de la vérité son procédé naturel est la rénexion, non lafoi. Cependant les siècles de foi ne sont pas ceux où la tâchedu philosophe présente le plus de difncultés, où son courage estexposé aux plus rudes épreuves. La foi, comme l'espérance, l'a-mour et en général, tous les sentiments, est d'autant plus facileau cœur qu'elle est partagée. L'exemple y dispose et la favorise.n en coûte moins pour être soumis et &dèle, lorsqu'on vit au mi-lieu d'une société qui pratique elle-même l'obéissance. Ajouterai-je que, sous la discipline sévère de la foi, l'esprit le plus rebelles'habitue à contenir et & régler ce qu'il peut y avoir d'excessif etd'immodéré dans son ardeur. Sa dém !'che en devient plus leute,mais elle est aussi mieux assurée. S'il avance peu, il ne s'égarepas. n acquiert assez d'empire sur lui-même pour résister auxentraînements de ses pensées, et on ne le voit pas troubler lemonde par des rêves pernicieux qui feraient le malheur de sa

propre vie.

Le véritable écueil pour les philosophes, c'est, il faut le dire,cette liberté séduisante et mensongère, mélange d'esclavage etd'anarchie, qui est propre aux Ages où se prépare et s'annonce,mais ou ne se consomme pas l'émancipation définitive des intel-ligences. Le spectacle que présente alors la société, l'état de ma-

«)t4)moKMUsuivanta étéeompa~&t'oceashMtde t'ouvra~deM.cMsUanBar-tiMtmèM.~t~«)toBruno,PM-ie,iSM,avot.tn.8'.it ap<tMdanshtJ!eo<c~oKMMe.a"dut" «MMtM7.Noust'avomMvaavecsoin,eofr)gAetunpeudAvetopp~.

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(MO EXCURStOXSMS-rOBtQUESETPHtLOSOPHtQUES

laise et d'inquiétude où elle se trouve, le vide affligeant que le

progrès du doute opère dans les âmes, la fatigue du présent,l'av ersion du passé, l'attente de l'avenir, mille causes réunies

paraissent convier la raison à secouer les chalnes qui la retiennent

captive. Le philosophe suit cette pente sans consulter ses forces,

sans mesurer l'étendue des obstacles qu'il aura à surmonter.

H court avec impétuosité là où la nature et les circonstances le

portent, espérant découvrir par la seule vertu de son génie le

remède aux maux qui tourmentent ses semblables et dont il est

lui-même atteint. Espoir frivole! efforts impuissants! Il n'est

jamais plus éloigné du but que lorsqu'il se flatte enfin de le tou-

cher. Il a cru être en possession d'une doctrine destinée &rallier

les âmes en les réformant, et, victime de son imagination ou de

son orgueil, il se trouve n'avoir mis au monde qu'une utopie quele sens commun et la conscience repoussent énergiquement, et

dont l'audace ne fait qu'ajouter au désordre général. L'autorité

ne tarde pas à s'émouvoir de cette tentative menaçante pour sa

suprématie elle appelle la persécution à son aide pour retenir

l'ascendant qui lui échappe; le philosophe, convaincu de rébel-

lion ou de blasphème, meurt dans un cachot ou sur un bûcher.

Voilà où se terminent tant de projets et d'efforts souvent géné-reux que le premier souffle de la liberté renaissante avait ins-

pirés.Le Napolitain Jordano Bruno, condamné au feu par l'inqui-

sition de Rome dans la dernière année du xvt" siècle, est le

type achevé de ces martyrs de l'indépendance philosophique quisont morts victimes de leurs erreurs et des passions humaines

exaltées par le désordre des temps. Le siècle où il vécut avait vu

l'unité religieuse de l'Europe se briser et la guerre civile ensan-

glanter la France, l'Angleterre et l'Allemagne. Au milieu de la

confusion qui régnait de toutes parts, il semblait que l'ère de

l'affranchissement allait commencer pour la raison, et qu'aprèsavoir été longtemps esclave, elle se gouvernerait à sa guise et

propagerait en toute liberté ses rêveries. Bruno se berça, comme

tant d'autres, de cette espérance. Msecoua toute espèce de joug,et s'abandonna au charme de penser par lui-même et de commu-

niquer ses pensées à autrui. Cependant rien n'était changé dans

la constitution de la société chrétienne, sinon que les fondements

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A THAYMS t.E MOYES AGE. e't

se trouvaient ébranlés, que l'ordre avait fait place A l'anaMbio,la paix A l'agitation, que les esprits ne savaient ou se prendre,et que le pouvoir, irrité de ses pertes, venait de passer de l'indul-gence &la plus extrême rigueur. Au xv° siècle, Pomponac' nuidoutait de 1 immortalité de lame, avait coulé tranquillement sesjours; Xieolas de Cusa, malgré ses conjectures téméraires surl'identité de Dieu et du monde, avait porté la pourpre romaine.Mais de pareilles licences no furen' plus tolérées lorsque Luthereut donné le signal de la rébellion ouverte. Les princes catholi-ques nrentface au péril qui menaçait l'orthodoxie, en se montrant(

impitoyables contre les novateurs. Toutes les hardiesses de la pen-sée furent surveillées, poursuivies comme des crimes et frappéesdu plus cruel châtiment. En moins d'un siècle, de i5CO& idOO,que d accusés! que de victimes! Bruno fut un nom de plus ajoutéà ces tables sanglantes qui se fermèrent avec lui pour les philo-sophes.

Malgré l'éclat douloureux qui a environné sa mort, Bruno estun personnage généralement peu connu, même des historiens.Plusieurs circonstances de sa vie n'ont pas encore été éclaircies

complètement, et quant à ses ouvrages, on ne saurait se figurerles débats et souvent les méprises qu'ils ont occasionnés. Les

biographes à venir s'entendront mieux et se tromperont moins, ilfaut l'espérer, grâce aux deux volumes qu'a laissés un docte etconsciencieux écrivain, enlevé prématurément aux lettres et à la

philosophie. M. Christian Bartholmèss. Le premier volume estconsacré à la vie de Bruno; le second, à l'analyse détaillée de sesœuvres et de sa doctrine. Nous ne saurions dire tout ce que l'unet l'autre contiennent de détails curieux et inespérés sur les écri-vains et les événements du xvt' siècle. Il n'est pas un point, siminime qu'il soit, que l'auteur n'ait approfmdi par les recher-ches les plus minutieuses et les plus exactes. En mettant à profitles matériaux si habilement recueillis et coordonnés par M. Bar-

tholmèss, en y ajoutant quelques recherches qui nous sont per-sonnelles, nous allons essayer nous-méme de faire connaître lacarrière aventureuse et les opinions du philosophe napolitain.

A quelques milles de Naples, entre la Méditerranée et le Vésuve,s'élève la petite ville de Nola, dont l'origine remonte, dit-on, aux

Phéniciens, et qui a été autrefois une des cités les plus norissantes

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<:M EXCURSMKSHtSTORtQUESET PHttOSOPMQrES

de 1 !talie méridionale. Bien que déchue aujourti'imi de son an-cienne prospérité, elle est encore le siège d'un évèché rendu cé-

lèltre dans les annales de l'Église par les vertus de saint Félix etde saint Paulin. Ce fut là que naquit Jordano Bruno, vers <55«,de parents nobles, suivant les uns, obscurs, suivant tes autres.<tn possède peu de détails sur ses premières années. <tnne sait nioit il fut élevé ni quelle éducation il reçut; mais il paraît constant,

d après son propre témoignage, qui! montra un goût pt~cocepour tes lettres et la poésie. Fut-ce le désir de sacrifier aux musesdans une sainte retraite qui le porta Aembrasser ta vie monacaledans une des maisons que l'ordre de Saint-Dominique avait fon-dées au royaume de Xaptes? 11. Bartholmèss l'affirme (<). sans

justifier A notre avis cette assertion par aucun texte décisif; elle

est moins arbitraire cependant que le doute élevé par Echard (2),

qui conteste que Bruno ait été dominicain, malgré le témoignage

précis d'un contemporain Gaspard Schoppe (3), témoignageconfirmé aujourd'hui par un document tiré des archives de

Venise(t).La vie du cloître exige une entière abnégation, un cœur sou-

mis et humble; elle est peu propice aux Ames inquiètes et indo-

ciles, que l'obligation de se plier au joug de la règle exaspère

presque toujours sans pour cela les contenir. Bruno en fit per-sonnellement la funeste expérience. La discipline monastique, de

laquelle il attendait le repos, ne le lui donna pas; mais, par l'irri-

tation qu'elle lui causa, elle servit A faire fructifier les semences

d'insubordination que sa nature renfermait. tl raconte (5) qu'aprèsavoir vivement aimé les lettres et la poésie, après avoir sacrifié

à Tlialie et a Melpomène, il fut poussé vers la philosophie par ses

tt)JordanoBruno,1.1.p. 32.(2) Ëchart!, .Scr<~o<'M <M'<M« ~.c~<eafon<M récent. LutfHa ParistoruM, <79t.

in.M.,t. n,p.3M.(3)Dansunelettredatéede Rome,t<'17févriert600,GaspardSchopppouS<epphM,

quaHapahMiBnuM,«patrhNot.uxM,pM&MtoncDemMcanM.Cettelettrebiencon-nueetsouvent!mpri<Mée,quicontientlarelationdudernierpmcf!;et da supplicedeMnmo.aétérfprottNiteengrandepartieparM.BarthotmëM,t.1, p.332etsoiv.

t4)Notedepolicedo28septembre1592,retrouvéeparM.MopoldRanke,et trans-<-rHeparM.BarthotmèM,1.1,p.3M.Brunoy est signalécommeapostat,«essendostatoprimo&at<*domenicano.

(5)JFntM/t<ntf~t. Il, p. 9t3.etc.,desŒaTresitaliennesdeBruno,KCNeMHesparM.Ad.Wagner,LeipM);.1830,2voi.in-8".

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A TKAYHtS LK MUYKX ACK <:93

mitres eux-mêmes, par sessupérieurs et ses juges. Ministres de

ta jatouMe, serviteurs de t ignorance, esclaves de ht méciMn-ceté «), sH faut en croire ses rancunes amère' ils le détournèrentdes hautes

étudesauxqucMcs il se sentait naturellement enclin 2)ils prétendirent enehahter son génie et, de tihre qu'it était s<.usemptre de la vertu. l'assujettir au joug dnne vite et stupidehyj~tocrtste. Rt-nuo avait trop de iie~e daMSrAntc, ttttp df pré-somption.et de fouine aventurenst' pouf tester ton~temps oh-servatenr iidete dn v~n d ohéisstmce. t n jnur donc, il depouiMale froc, (ptitta son monastère, et se mit a parcourir tes prinei-pales v;!tes de la penins.de, Xaples, Cènes, Mitan. HoFence,Venise.

Litatie possodait au xvt~ sièete un ~rand nonhre d'acade-mies Morissantes, modernes créations de ses philosophes et deses princes. La pinpart étaient composées de grammairiens et depoètes qui s exerçaient Ala eonmMssanceet a l'imitation de l'an-titjnité. AiHenrs, comme t'Académie de Cosenxa, fondée parTetesio, on s'adonnait aux sciences naturelles, en cherchant ai lesrégénérer par le perfectionnement des méthodes. Ces foversd'activité scientititpte et littéraire excitaient la curiosité et t'at-tente de tous ceux qui n'étaient pas insensibles aux progrès deslettres et de la philosophie. M. Barthotmess conjecture, non sansraison, que itrnno les visita dans le cours de ses voyages. Ce futlà qui! dut puiser la plupart de ses connaissances en astronomieet en physique, et peut-être !e ~ermc de sa doctrine; mais il ycontracta de plus en plus l'amour de l'indépendance, l'aversiondu frein et de i autorité. H commença des lors à s'attirer de fré-quents démêlés avec i'Égtise par ta hardiesse avec JaqueUe ildogmatisait. Les ouvrages qu'il composa durant cette période,comme r~ de ne nous sont pas parvenus; mais toutporte à croire qu'il s'y exprimait sans ménagement fi l'égard despersonnes et des choses les plus vénérées. Certaines parties dudogme, comme le mystère de la transsubstantiation eucharistiqueet la conception immaculée de la sainte Vierge, exercèrent, dit-

(t)~aM/~w< Mtnistrtf sentJt.M'hnMia.ignorantet matt~tad~»(9)MM. Mteaend<t!odae<Mepiùd~;ne.-taUea i<-qualiera .MttMMtment<-incM-

Mt..MtUviMMil SMOtngeaaa.tw ehedaMhemMKota~MuIet~d~-M-r.att!Tosoit'-ana ~tbstmacsto!taipoer:Ma.u

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KX(TRMttX8UtSfUtMQtESET PHtLOSOt'tHQ~ES<;2t·

on, su verve licencieuse et impie (t). Désormais, non seulement

Aristote, mais la papauté et le catholicisme, allaient compter un

ennemi de pins parmi tes philosophes.En <58u. nous trouvons Bruno séjournant &Ceneve, oit il était

sans doute venu dans 1 espérance d'y trouver un abri que sa pa-trie ne lui curait plus. Mais la métropole du tsdvinisme, mâture

~'s plaintes contrt' la tyranme de Rome, ne le cédait pas en into-

lérance a t inquisition. U"i ne connait lit fin tamentatde de Michtt

Servet. condamné et brillé pour crime d hérésie? M. B<trtttotmes«

a extunné une pièce curieuse qui pronve que les successeurs de

t'apohe de la ttéforme pet~évéraicnt dans ses maximes et ne se

montraient pas de meitteure composition <pte lui-même à l'égard

de tours adversaires. C'est ta délibération du consistoire contre

Henri Estienne. lequel est excommunié et condamné même a la

prison pourquoi?« Pour avoir imprimé un livre plein de choses

scandaleuses et indignes d'un enrétien, pour avoir manqué à

M.de Beze, qui lui reprochait l'abus qu'il faisait de ses talents et

sa mauvaise réputation, étant communément appelé le Panta-

gruel de Genève et le prince des athées; enfin pour avoir dit qu it

fallait être hypocrite pour plaire au consistoire (2). » Je m'ima-

gine que Bruno, avec son humeur queretteuse, la franchise de ses

allures et sa parole irrévérente, n'aurait pas évité le sort de Henri

Estienne sit avait longtemps habité & Genève; mais il eut la

sagesse de quitter promptement cette ville. Mtraversa tes monts

pour venir en France, visita Lyon et les écoles de Toulouse, ou,

selon son témoignage, il excita des tempêtes (3), puis se dirigea

vers Paris.

Malgré la Saint-Barthélémy et malgré la i.igue, Paris était resté

le centre des études de la chrétienté, « une ville, écrivait Castel-

nau (4), pleine de si grands et savants personnages, que le peu-

ple faisoit jugement qu'elle ne pouvoit faillir. MLa, Bruno obtint

(t)Sdopt'tM.<6«<.«Qui(Bruno)cornJamaanbàbMneoetedecimde tmns-HtMMt*

ttathme.dubitare,tmeeMMpMMosnegare,et staUmvirginitatemB.Mariw. in

dabtamMcaMtoepisset.e

(:)JordanoBr«MOt< p.<M-Cf.Reuouard,~<ma~<de (imprimeriedes Es-

~MHe.yédit., Paris,i8i3.p. 4te.(3 BartheM'ss. t. t, p. 49.

(4)W<M~M N<cte<de C<M<e<aa«.t. t, ch. iv, caHecUonMichaudet Pou.

~atat,p.409.

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A TMAVKHSLB MOYEX A'.E CM

ce qu'il désirait avec t.' plus d'artieur, et ce qui! n'avait pu encorese faire accor<Ier nulle part, la licence d'enseigner. On peut même!ntér<'r du témoignage de Sehoppe qu il aurait MMadmis aunoml~re des professeurs ordinaires de l'université s il avait vonlualler AIMmesse(t). En dépit de cette dernière circonstance, quin'a pat médi~rement embarrassé les htographes, nous devons< MM)~<ptHcontint sa {(m~nchabitnftk et sut se montrer plein der<~rvt' <'tde mndcrat;"n; car it v~cut pa:s!t~ et honoré, gagnat amitié de p!us!purs pprsoona~s de la cour, et compta m~mfth'nrt tt! parmi ses pr<tt<'ctpurs.Mtémoigna sa vive reconnaissancepour ce prince <'nlui adressant son traité 7)<'MMtA~s~~w~ (2avec une dédicace <'mphati<jMedans ia~neHete triste fils de Cathe-rine de Medicisest présente a Fadmiration des peuples et au res-

pect des docteurs comme nn modète d'éminente vertu, de gëniesttbHmeet de magnanimité. Au reste, i enseignement de Bruno Ace moment de sa carrière était peu susceptible d'échauBeries tèteset d exciter des défiances, même sons un ro! dévot jusqu'à la su-perstition it routait sur la topique et lit mnémonique. Bruno dé-montrait la possibilité d'une méthode à la fois simple et large qui,pareille Al'esprit humain, serait identique pour toutes tes branchesdu savoir, et dans toutes abrégerait le travail de la pensée en leréduisant aiun pur mécanisme. Cette méthode, selon lui, n'étaitmême plus &découvrir ette avait été inventée deux siècles aupa-ravant par l'Espagne! Maymond Ltdte. dont le <~w<~t<deman-dait seulement Aêtre simplifié, étendu et complété. Bruno se livraau rôle ingrat et obsenr tle réformateur du lullisme (3). Il préparades tables comprenant toutes tes notions fondamentales de l'intel-ligence, soit sujets, soit attributs: it nota tous les rapports queces notions peuvent avoir entre elles, toutes les questions qu'ellespeuvent soulever; i! traça des règles pour la combinaison des ju-

i<)Sth~'ins. L t: <.PMtsiosdf~nit. iM~m't'xtraoniinarh))))fmt<'&M)Mn<~H,<')tt<ttith'n'tHfdhMrh'se<t;!mhsf iatftWM'.

~) 0<-«tM6<'«Me~ntM, Pari~b. tjS2, !n )2 EgM~inm tM)M)bntM Stfctactttumvirttttet'r.f~a"t!stMth)~s~ftatiMtmum.<wtitmnm-subUnnsing~tt)!<'eh'b<'rrh))an).virtuteitrwslatitifanbnisl"latissimulil.('t.,titu.IiUl'subfiniiîingt'IIII.-eh'bt>rrimulU.dMtarmnqut'omniBmobs<'<tuh)ju)f)'coh'mHsxitnMn).

(3) La ptapart des œuvnM ta!!at"! dt' B)an<t sunt t<m-.acn~ au tuttMMe; tf Mot.OMtn'tetMit~ De MM&W<<~<tfMM,t<'s onvraitM !.))hants: De <'omp<'Ktf«Macff&t.~MfMMt-< com~mct~ o~j! fM~/M, Parisiis. tM2. ~t~ C<n'~tK. Paristtx.

t5M. Cf~ftMMo ~<~M~ «yWofXWt ad MMt<<MM.W~~«f~«m t(tfeM<<OHfM, dis-EMPMtOM OMTOM~ES. te

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EXCMStOXSHtSTUMtHESET PMtLOSOPMWESC2<4

gements et leur transformation en raisonnements; il ajo'a d'an-

tres règles pour la conduite et le perfectionnement de la méil~nle

et ce travail une fois achevé, le ~«M<~ h'~de l.ulle ainsi améliot é,

il l'exposa de vive voixet dans divers écrits comme un moyeniu-

faillible de disserter avec justesse et facilité sur toute espèce de

sujets, comme la voie qui menait a la science unh émette. La pos-

térité n'a pas ratitté le jugement de Bruno sur son <Ptn)v. EHe

s est montre impHoyaUe pour cette methotte tpM promet tant,

(lui donne si peu; eUene s est pas contentée de ne point !a mettre

en pratique, elle ta complètement onhtiee. A MieMne plaise que

nous en appelions de la sentence des siècles; qui! nous soit per-

mis cependant de le faire remarquer tout n'est pas absolument

vain dans le tuUismc. Mrepose sur deux principes qui ne peuvent

être sérieusement contestés le premier, que la pensée a des éte-

ments fixes, des lois invariables qui sont les mêmes chez tous les

hommes, en tous lieux, en tous temps, matgre la variété munie

des conceptions que l'esprit peut former; le second, que pour ce-

lui qui eonnattrait & fond ces lois et ces éléments, qui saurait

exactement de quelle manière ils se combinent et produisent des

notions nouvelles, la génération de la connaissance deviendrait

une sorte de calcul, un jeu presque sans fatigue. Maintenant la

philosopitie anivera-t-elle jamais à donner une liste exacte des

catégories élémentaires, des principes régulateurs de l'esprit Im-

main ? Réansera-t-eUepour l'inielligencetout entière l'a'uvre éton-

nante qui a été entreprise et achevée par Aristote pour une seule

des opérations de la pensée, le raisonnement? Supposez le génie

le plus opiniâtre et le plus pénétrant, n échouera-t-il pas toujours

devant les difncultés d'une pareille tache? Là est toute la question.

Mais, au xvt" siècle, qui songeait à se la poser? MaMreset dis-

ciples, dévorés du désir de connaitre et pleins de foidans les forces

de l'esprit humain, accueillaient avidement les promesses de tous

ceux qui enraient de les conduire par une route facile aux sources

du savoir. Bruno n avait pas résisté aux séductions du G<w<t/.4~/

de Lulle; ses auditeurs n'y résistèrent pas davantage,, et son en-

M«<hHt<Me<NtCNMWott,Londint,tM3. B<-~M~fttmMn«Moet lampade«MMMN<KcW<taaymsMHMM<,Pmga-.t5M,tn-t:. De<Ma~<MNM,~M~xm et

«teorMtttomfMHi<wc.franeefmrM,t6M.–SMMtHO<etMtMentmMetapt~cemM,

MMpatstCattorum,<M9,!a.M.

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ATM\YEHSt.RMOYKXA<.K.

seiguement. mâture Fatidité des matierex. fut entouré d'une et ta-

tante faveur dans r~eoie de t'aris .<).

Au milieu des succès qu Uobtenait, Mrnnoquitta subitement t <

rr:mt'e pour se rendre en An~!eterr' ttans queHe intention, on

t ignore. JH.HarUtotm~ss < onjectu~' quH avait été chargé par !e

roi Meurt Ut d une mission anpn's <t<'raMttMssodcm' Mtchet d*

<~<t<*hMn.citez h?<~Me!il dcsn'ndtt A Lonth~s. Je scpaMcnetin :<

< MMt~'<~u't<'(tt~Mtrtdt! tutt«' ~hUus~phe <t'n!tit a dfs tn'tttfs Hx'hx

'wr!<'nx, tp!s qm' !:)cun<'sito. t Mtnuufdu bm!t. h' de<<!r<!<'pandtrf. tn v<tya~<*)M'!th)sh~. I<'c(HMtep:tt«t!n <t<*SinMt. Atbeft de

L:<scu.Vts!t:dt at«t's t ÀM~tctt'n~. !t chut accuftHi pat' <i~sf<ie<!

pompenst-s, t'nh~tM~Mesde hatau~rttfs, d<' !MUM{Ut'ts,d<'rept'cscn-tations th~a!nd<*s<'tsurtout de dt~'us~tuns p!))!<M'tptu~ups.Sct«)t-il étonnant que Hruntt<'Atccdc Alit faotaMe d<'prendre part Aus

joutes dMlit pcns~ et d'' r.mtpM' «Melance avec les maUrcs dtS

ccutcs d An~ktt'ft'c? Que tct f~t oMn'm son dp<<sp!neu <puttaMt!.t

France, il ne manqaa pas de sf f<'ndt'ca Oxford, ou une ~fandeso!ennit~ unhers!tahf Mtaitannoncée est rhonneur du cotnte de

Str&d. Au jour venu, il prit rang au nuu''n des assainants, entre

ksquek il se lit retnarqupr par t'op!niatr<' hardtessc de ses coups.lit discussion ne roulait p:M sur des o~ets de médiocre Impor-tance. H sa,&r!ssa!tdu mouvement de la terre, de la piuranté des

mondes et dt l'immensité de tunivers* S tt faut en croire Bruno.il ferma lit bouche jusqn a oumze fois au docteur qui portait ia

parole et soutenait lit lutte, dans ce tournoi phitosopMque, comme

le coryphée de FUniversi~ ~). !.a tHspute s'envenimant, on ttt

vint de part et d autre ?mxsarcasmes et aux injures. t/adversairede Bruno, ayant pris une plume et tracé des lignes et des cerctes.s'écria MRegarde! tais-toi et apprends! Cest moi (lui vais t'en-

(t)LesaccadeiensfigaeMMtttdeBrone&Parisest attMtépar<M<t<*s<'sdiscifief..JMade Nostitz.~~t~ ~W<~f/<c<«Wo-Bam<'MM,<'tc.,Bri~<,tau: AnnnsnmM'agiturtertiuset tf~atitmM,<)MtMmL)tteti.et'arisbrutnt'nMUMJotd.Branmoart<-Lut-lianaetmnem<to!eamultosadsedi~ifaItMatq<MauditurMaHifefememio! e

(2)~aCe<MdeCMMW,Ojtp.M.,1.1.p. <T3<<A'tdah'in Oxoniaefatettracontart<'e<MehttmvetMtteatNutano,quandopabtieatoeotedi~'otoMaquedottori!Kteuh~tapr~enzadeiPMadpeAtascoMa«tt, edattr!de ta m'MHtainj~Me'Fatevtdttw.eoBMsi sapeariepondcMaglia<'g«Mpntt.fomore~to)'erqatnd~isiH~mt qoiHdk!voMe,q~dpatcttMentralaetappa.qndporprodottor,cheMttMIlc<w!CMde t'Ata-dem!<tne {?<???avantiinqx~ta gMte«ecashtttc.

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KXtTBStftXS H)STOMH)fE&ET PM~<NOPHtQUES<Q«

« soigner Copemie et Molémée: Maisdes qu'il se fut mis Ades-siner les spires. il devint évident, raconte Bruno, que, si! avaitouvert Copernic, il ne l'avait pas lu, et que, s'il l'avait lu, it ne l'a-vait pas compris (~. Ailleurs Bruno nous représente son anta-goniste ne sachant que répondre ni quel argument opposer: it sedresse de toute sa taitte, veut terminer la discussion par une tmr-dée d'adages ét-asmiens qui devaient produire t'enet de coups depoing, et se met A vociférer Eh quoi! tu ne cours pas aux« Petites-Maisons: toi, le modèle des penseurs, qui ne fais aucune« concession ni a Motémée ni tant d'éminents astronomes et de« grands philosophes (ij! MPour compléter ce tableau par undernier trait, Bruno ajoute que « les autres mâchèrent lenr tan-gue (3). o

Malgré la violence satirique de ce récit, nous inclinons a croire

que Bruno ne se mesura pas sans avantage avec ses adversaires.Lannée même oit il débarquait en Angleterre, il publiait sonE~~M//wt /f .<f~~ (~y~M/M ~M~ ~M~w),moins remarquable par l'apologie du tuttisme que par une épttreadressée aux maMres de Université d Oxford, et qui respire laconfiance d'un athtete enivré de lui-même et certain de la victoire.Bruno, dans cette orgueilleuse épttrc. prend le titre de docteurd'une théologie perfectionnée, de maMre d'une sagesse plus pureet irréprochable, de philosophe connu dans les principales aca-démies de l'Europe, qui a fait ses preuves et qui a été accueillihonorablement, qui n'est étranger que chez les barbares et le vul-

gaire, qui réveitte les esprits en sommeil, qui dompte l'ignoranceprésomptueuse et récatcitrante; qui, en toutes ses actions, déve-loppe une sympathie généreuse pour l'humanité, qui aime d'uneégale affection Italiens et Anglais, mères et jeunes épouses, têtesmitrées et tètes couronnées, gens de robe et gens d'épée, ceux

qui portent capuchons et ceux qui ri en portent pas; qui a pourrègle de regarder non pas au chef oint, ni au front marqué, ni

(t) ta Cenade cettcW.p. <8t<'tMMv.(2)~«f.. p. t3t <!L'unde'qua)t(d~tod barbare~h!)non sapent phtche si

etsliendi-ree che8fgomenlare,s'alzàla 'INI'<II,inaltodi voie-rIafinirconulla pruvi.risj'Mtdffeechcarsoutemare.sahtt !n ~Hti,inattodivoh'rja6nireonMMprutt.siottedt adag!d'EMsmo,nver<-o!t~n:, fredo Qaid??tonneAattcyramnavt~s?tu:Mephhosophorumprotoplastes,quinecPtotoMMw.nectut(antonnnqaephilosophorum~)astMtMMMMuataa}e8(at!qMtpptMneoneedis!

(3)MM.,p.tS3 «RtMa~ruMaxtteaadointorliugna.u

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A TttAYKBSm MUYEKA<:E. 6M

aux mains lavées, maisil l'endroit où se trouve le visage veritaldede l'homme, c'est-a-tlire aux forces de l'esprit, aux qualités due«'ur; qui est détesté de ceux qui propagent la sottise et servent1 hypocrisie, cher li tous ceux qui aiment la probité et le travail,admiré (tes nobles génies

Le motif qui avait dicté a Bruno cette épttre aux maures d'Ox-tor<létait le désir de donner des leçons puMiques dans Ft niversité.En dépit de sa jactance t idicute, la permission qu'il sollicitait luifut d'abord accordée, sauf Alui être retirée des la première occa-sion. l'our matière de son cours, it choisit un sujet de cosmogra-phie, i'inMnUe de t univers: et un autre, de psychologie et demétaphysique, i immorhdite de Famé. Les historiens ne nous onttransmis aucun détail sur sou enseignement; mais il nous est fa-cile d'en juger par deux ouvrages qui furent composés à Londresde <583 à i584. et qui renterment les hases de sa philosophie;nous voulons parler du traite ~<~M<WM~~wM<~<' w~o, et decelui 7~ tM~ f Mt~t<~(t~.

Le trait le plus saillant et le point de départ de la philosophieexposée dans ces deux ouvrages, c'est, je ne dirai pas la confusionde Dieu et du monde, mais du moins l'idée que Dieu et le mondesont si etroitement unis qu'on peut A peine les distinguer l'unde l'autre. Bruno se représentait l'univers comme un immeuseorganisme dont les existences particulières sont les membres etoAl'esprit divin circule comme le sang dans les veines. Dieu, se-lon lui, est à la fois le principe formel, la raison interne des êtreset la cause efficiente qui détermine leur realité. Le propre de toutecause, en général, est de rester distincte de son eSet, dont elle se

sépare après l'avoir produit mais Dieu ne vit pas séparé de lacréation; il y demeure uni au contraire d'une manière indissolu-ble, comme la substance Ason mode, comme l'Ame au corps. Si laraison se refusait à concevoir cette vérité, l'expérience la forceraitdo l'avouer; car que signifie l'activité qui éclate de toutes partsdans le monde, sinon que le monde renferme une source de vie,une intelligence qui préside à tous ses mouvements?

()~ Nfaut y joindre, commedatant d'' la m&nx'é)'o<{ttt',le ~a~)«'< du mercredidesCendres (~ Ceaade ceMeW).?Ca~A; A' Pf-~w (Ca~Mn t<e< CcfaKePc~Mfet le lilas cétèbred<MoMvragcsde Bruno, ~acc'e la ~itMa <Wo«/a«fe.dont ne)Mt<aHPMnsphMloin. Tonsees aMvfagfsfont j'artie de l'éditiondouueM~ar M.Wagaer.

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CStt EXCmStUXSHtSTOatQtESETPM)LOSOPt)tQfES

ne fois ce point capital établi, Bruno en tirait plusieurs con-séquences.

Il soutenait premièrement que la nature ne renferme pas unobjet qui ne participe Ala vie. La vie ne se révèle pas chez tonsles êtres par ses effets extérieurs; mais tous la possèdent. Mêmelesobjets créés par t art n'y sont pas étrangers. Cette table en tantque table, ce vêtement en tant que vêtement, ne sont pas sansdoute animés; mais comme ils font partie de la nature, ils sup-posent et renferment, unie Il la matière, une forme vivante. Hn'existe aucun objet, si humble et si minime que soit cet objet,(lui ne contienne de l'esprit «).

Fne autre conséquence, tirée par Bruno de son principe, c'estla conciliation et 1 harmonie de tous les contrastes au sein de l'u-nité suprême. Puisque toutes les existences ont une origine et uncentre communs, elles ne sauraient être opposées entre elles. Sila lutte existe quelque part, c'est à la surface, dans lit région desapparences sensibles; mais, àconsidérer le fond des choses, l'unionrègne entre les contraires. Demême que la personne Immaine peutéprouver les émotions les plus différentes sans cesser pour cela derester la même, ainsi dans la nature se touchent et coïncident lesfins les plus extrêmes le mouvement et le repos, la lumière etles ténèbres, l'amitié et la haine, la santé et la maladie, la vie etla mort, le bien et le mal (2).

Bruno concluait eneore que, Bien étant infini, l'univers qu'ilremplit de sa présence doit participer à son in&nité que par con-séquent notre système planétaire n'est pas son seul ouvrage, maisqu'il a du créer des myriades d'étoiles et de mondes perdus dansl'immensité a des distances inaccessibles pour le regard del'homme. En Dieu l'acte égale la puissance, et celle-ci l'essence.Si la création, qui est l'acte divin, avait des bornes, la puissance

(<) Delta causa, Opp. M..t, p. 241 « La tavola come tavoîa non e animata, ne !a.vctte, ne Ueno(e.eome cno}o,ne il vetro cornevetro, ma cornecosenatmaH e eoMpoatehanno in se ta materia e la forma. 8ia par eoMquanto piccoh e minimasi vogtta,ha inse parte dl eaatamtasptrMnate.

(2)~M., p. 285 « Nonvi sonara mal ne ForMcatola sentenza di Eradito, ch'' disse,tutte le rose espèreuno. Ibid., p. 291 « Se ben mtsnramo. veggtanM,che la cor.ruione non e altro che nna generaz!onee la generazionenon e altro che nna corm.ttnne; t attMMe un o<!o,e un anrnreat nnc. ln en~anM era<ce e nna tMedeoimaeoftaamore e oato, amtcMa <' tttc.

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A TRAVERS M !MYEX AGE 63<

divine ne serait pas illimitée, l'essence divine elle-même neserait pas infinie, Dieu ne serait pas Dieu. Il faut être esclave dessens et des préjugés, selon Bruno, pour croire que le monde puisseavoir des homes encore le témoignage des sens n'est-il pas en-tièrement d'accord avec l'opinion du vulgaire; car, lorsque nous

marchons, l'horizon qui bornait d'abord notre vue recule devant

nous, et la perspective qui se renouvelle indénniment nous donneune image de l'immensité (le l'univers attestée par la raison (i).

En astronomie, Bruno soutenait la doctrine de Copernic, surtout

par opposition Al'hypothèse de t'tolémée, qu'il ne pouvait conci-lier avec l'infinité de l'univers. Si en enet l'univers est infini, soncentre est partout, ou plutôt il n'en a pas. L'existence d'un centre

implique celle d'une limite dont toutes les parties soient à une

égale distance du point central. Ce qui n'a pas de limites ne sau-rait avoir de centre. Lorsque Ptolémée plaçait la terre au centredu monde, il se laissait donc guider par 1 apparence, et il meconnaissait la véritable nature des choses.

La doctrine psychologique de Bruno découlait, comme toutesses autres théories, de son hypothèse fondamentale. Que pouvaitêtre l'nme pour lui, sinon une détermination particulière, unmode de la vie universelle, un rayon de l'esprit in&nipénétrant tdans le corps de l'homme qu'il organise et qu'il vivifie? Cette

opinion se trouve à peine tempérée chez Bruno par le sentimentde 1 individualité qu'il avait à un si haut degré. Quant à l'immor-

talité, il l'appelle, il l'espère; mais son espérance est mêlée de

beaucoup d'indécision. Que deviendra l'âme en quittant le corps?Se replongera-t-elle dans l'intelligence divine, d'où elle est sor-tie ? Ira-t-elle animer d'autres corps? Voyagera-t-elle de planèteen planète à travers l'immensité de l'univers? C'est là ce que Brunone détermine pas.

Voilà les principales idées qui composent le fond de la doctrinede Bruno, et qui ont du fournir la matière de son enseignementà l'Université d'Oxford. Ce panthéisme à peu près avoué, maisnon sans grandeur, ces vues neuves et originales sur la nature des

choses, et surtout la verve brillante, tour à tour moqueuse et sub..

tile, avec laquelle le philosophe de Nola les développait, ne pou-

(t)Oc<<t~!««oM)t<eBfMeMMMtM.Ma).1et2,Opp.it.,t. M,p.1etsniv.

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G32 EXCURSIONSHISTORIQUESET PIMt.OSOPHtQOES

raient manquer de lui attirer à la fois beaucoup de partisans etd'adversaires. !1cite lui-même, parmi les premiers, un des favoris

d'Elisabeth, Philippe de Sidney, qui présidait im cercle littéraireoù se réunissaient les plus beaux esprits du temps, Greville, Spen-ser, Dyer, Temple, Harvey. Ce fut au milieu de cette société de

poètes et de courtisans que Bruno composa le plus célèbre deses ouvrages, l'~w~w la Bête ~MM~c~e (~ceM <MBestia /~<w~a~e), qui a si fort exercé l'imagination des biogra-phes. La plupart y voient un pamphlet virulent contre la papauté,que désigneraient alors ces mots de Z~/c ~'MM~A~c. C'est pure-ment une composition moitié astronomique et moitié morale, oùl'auteur propose de substituer les noms des vertus il ceux des ani-maux qui représentent les constellations du zodiaque dans la cos-

mographie ancienne. Au nombre des adversaires de Bruno étaienttous les savants des universités, gens dévoués au péripatétisme,qui, d'après les anciens statuts, devait servir de base aux études.Ceux-ci résistèrent avec opiniâtreté à l'envahissement des idéesnouvelles, et leur opposition implacable parvint à faire retirer àBruno la permission qu'il avait obtenue de donner des leçons pu-bliques. Cependant notre philosophe ne perdit pas contenance,et ne renonça point à l'idée de faire consacrer ses paradoxes parles académies savantes de l'Europe. Contraint de quitter Oxford et

l'Angleterre, il revint en France en i586 et, malgré l'attachementbien connu de l'Université de Paris pour ses vieilles traditions, ilne craignit pas de lui adresser une requête pour être autorisé &soutenir publiquement ou à faire soutenir quarante thèses contrela philosophie d'Aristote. Cette requête était accompagnée d'unelettre au recteur Jean Filesac, (lui était conçue en ces termes (i)

« Je viens vous remercier de l'exquise bienveillance dont lesrecteurs et tout le corps des professeurs m'ont depuis quelquesannées prodigué des témoignages précieux. Les plus doctes d'en-tre eux ont honoré mes leçons, tant publiques que privées, soitde leur présence, soit de leur indulgence. Vosbontés ont été telles

qu'on ne doit pas m appeler étranger dans cette Académie, lamère des lettres, M hac a/MM!~c~w'Mw~'e~e. J'ai dessein d'al-ler visiter d'autres universités; mais je ne puis ni ne dois me met-

(t) DuBouloy,<fM.(~f. Paris., t.VI.p.7MetMttv.

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A TRAVERSLE MOYE!<AGE. c:a

tre en route sans saluer mes hôtes. C'est pourquoi je me proposede discuter avec vous un certain nombre d'articles, comme on offredes gages de reconnaissance ou comme on laisse des souvenirs.Je me serais, sans nul doute, abstenu d'une semblable propositionsi je pouvais me persuader que la doctrine péripatéticienne voussemblât éternellement vraie, ou que votre Université dut plus AAristote qu'Aristote ne lui est redevable. Alors ma tentative seraithostile, téméraire; et ce que je désire entreprendre, par affectionet déférfnce pour vous, ne serait qu'une marque d'irrévérence.Mais,non! j'ai la ferme confiance que votre prudence et votre ma-

gnanimité feront bon accueil a cet hommage. Je compte mêmesur votre faveur, et voici pour quels motifs quand, en philoso-phie, quelque raison, même nouvelle, nous excite et nous subju-gue, il doit nous être permis de l'exprimer philosophiquement,c'est-à-dire d'exposer notre opinion en liberté. Puis, si j'attaquesans succès, je contribue à affermir vos principes tels qu'ils sontconnus depuis bien longtemps, et par conséquent je n'aurai rienfait qui soit indigned'une si grande école. Si, au contraire, ainsi

que je l'espère, ce début d'une philosophie encore naissante faitconnattre quelque chose que la postérité puisse et doive embrasseret sanctionner, j'aurai accompli une oeuvre digne de votre Univer-

sité, la reine des universités. »La lice solennelle où Bruno avait désiré entrer s'ouvrit, selon

ses vœux, en présence de l'Université de Paris, lors de la fête dela Pentecôte. Un de ses disciples, Jean Hennequin, chargé de le

représenter, commença la séance par un discours où il réclamaitavec modération, mais avec fermeté, les droits de l'expérience, et

protestait contre l'autorité d'Aristote et des anciens. Cequi advintde ce tournoi scolastique, les historiens ne le disent pas; maisBruno avouait plus tard que ses thèses n'avaient pas mieux réussi

auprès des maîtres de Paris qu'auprès des maîtres d'Oxford.En quitt-tnt la France, Bruno se dirigea vers Marbourg, où il se

fit immatriculer sur les registres de l'Université en qualité de doc-teur de théologie de Rome. Son nom et sa doctrine étaient déjAtellement suspects qu'ayant sollicité l'autorisation de donner des

leçons de philosophie, il se vit refuser, « pour de bons motifs, »disent les registres. Sur ce, il s'emporta, se plaignit avec hauteur

que le droit des gens et l'usage des universités allemandes fussent

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EXCCBSMXSHISTORIQUESET PHtLOSOPJMQCES63)

violés en sa personne, et déclara qu'il ne voulait plus figurer dé-sormais parmi les membres de 1 Académie;faveur qui lui fut ac-cordée sans peine, ajoute le recteur Nigidius, A qui nous devonsle récit de cette altercation (1).

De Marbourg, Bruno se rendit à Wittemberg. C'était à Wittem-

berg que s'était allumé l'incendie qui, soixante années plus tôt,avait embrasé la chrétienté. Aucune ville d'Allemagne ne possé-dait des écoles plus florissantes. Les chefs-d'œuvre récents des

littératures modernes y étaient étudiés avec autant de soin que!es lettres anciennes. On y lisait Ronsard à c&té d'Homère. LABruno retrouva cette hospitalité généreuse dont il avait goûtéen France. Nul, c'est lui-même qui le raconte, ne le questionnasur sa foi philosophique. Nul ne lui demanda s'il tenait pour Aris-tote ou pour Platon, pour Ptolémée ou pour Copernic, pour les

anciens ou pour les modernes. On le laissa penser, parler etécrire selon son gré. Il développa librement ses opinions dans desleçons publiques qui furent très suivies. S'il eût écouté les conseilsde la prudence, il se serait axé dans cet asile hospitalier pour yachever tranquillement ses jours. Mais il était dans sa destinéed'aller à travers l'Europe, comme un véritable chevalier errant,

jusqu'à l'heure où il tomberait entre les mains de ses ennemis. !1se lassa donc de Wittemberg, comme il s'était lassé de Paris et de

Londres, et voulut le quitter. En s'éloignant, il adressa aux ha-

bitants une harangue de remerciement où il exprime avec exal-

tation sa reconnaissance envers eux. « Wittemberg, s'écrie-t-it~est FAtbènes de la Germanie! La vierge Minerve est sa mère de

famille » II rappelle la manière dont il a été accueilli, la tolérance

pleine d'urbanité avec laquelle les magistrats ont agi à son égard,

(t) Voici !e très curieox extrait des registres de FUnitersMé de Marbourg queM. Wagnera le premier fait connaitre, Introd., p. xxvn Anno Christ! Sahratortsnostr: Mouoavt. CalendisJntti unanimi omniumprofessorumcoMensnPetrus N!gHius,juris doctoret moratisphilosopMa)professor ordinarins, rector Aeademta!Marpm'gen-s)!telectusest, sub cojus magistratn seqnentta stadtoMrtun nomina in matricnta Ata-deMiœ re!ata sunt. Jordanas NolanusNeapoMtamM,theologiaedoetor romanenais,25 jam anno 86. Caeteramenm etdem potestas pobUceproMendt phitosopMamper mecnm eonsenm facultatis pMIosopMcmob ardaaa causas denegaretmr,adeo excandatt,ut m!Min meisœdibtMprocaciter :naattaret. quasi vero in hac re contra jus genUumetfonsuetodinem omniumUniversitatnm G~rmania)et contra omnia studia humanlta-tis agerem ac proptereapro membre Atademtœamp!ïas haberi noluerit. Unde &dîeVoUsui ~ompostaetas, rnrsus M aïbo UMveKttatis per me exaactoratas est.

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A TRAVERS LE MOYEN AGE sas

la faveur que son enseignement a obtenue, bien que s'écartantdes anciennes méthodes. Maisle passage le plus remarquable deson discours est celui où, tournant l'effusion de la reconnaissanceau profit de ses haines contre le saint-siège, il loueLuther d'avoirbrisé le joug des superstitions romaines. « Quel est celui, s'écria-t-il, dont j'ai passé jusqu'ici le nom sous silence? Le vicairedu tyran des enfers, à la fois renard et lion, armé des clefs et de

l'épée, de ruse et de force, de finesse et de violence, d'hypocrisieet de férocité, avait infecté l'univers d'un culte superstitieux etd'une ignorance plus que brutale, cachée sous le titre de divine

sagesse et de simplicité agréable à Dieu. Personne, rien n'osait

s'opposer à cette bête vorace, lorsqu'un nouvel Aleide se leva pourramener ce siècle indigne, cette Europe dépravée à un état pluspur et plus heureux, d'autant supérieur au premier Hercule qu'ila accompli de plus grandes choses avec moins d'efforts, puisqu'ila tué un monstre plus puissant, plus dangereux que tous lesmonstres des siècles passés. Et d'où vient ce héros, si ce n'estde la Germanie, des rives florissantes de l'Elbe? C'est ici que ce

Cerbère, ce chien à trois tètes, à la triple tiare, a été tiré du té-nébreux Orcus, forcé de regarder le soleil et de vomir son venin.C'est ici que votre Hercule a triomphé des portes de diamant quiferment l'enfer et de la cité qu'embrassent trois murs et les neufbras du Styx. Ta as vu la lumière, ô Luther; tu l'as contemplée;tu as entendu l'esprit de Dieu qui t'appelait, tu lui as obéi; tu ascouru sans armes et faible au-devant de cet affreux ennemi des

grands et des rois; tu l'as combattu avec ta parole, et, couvert de

dépouilles et de trophées, tu es monté aux cieux. »Ces accents passionnés, où la colère le dispute à l'enthousiasme,

rappellent ces beaux vers où Lucrèce montre Épicure levant le

premier ses yeux mortels contre l'idole de la superstition etosant briser les fers sous lesquels gémissait le genre humain. Jene m'étonne pas de l'opinion de certains biographes, selon les-

quels Bruno se serait fait luthérien pendant son séjour &Wittem-

berg. L'imprudent oubliait qu'il n'avait pas renoncé à revoir leslieux où la papauté régnait, où l'apôtre de la réforme était mauditet ses panégyristes condamnés au feu.

Au sortir de Wittemberg, Bruno se rendit d'abord à Prague;mais, s'y voyant mal accueilli, il passa dans le duché de Bruns-

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036 EXCMtSKM!8H!STOBIQtJESET PMtMSOPHtQfES

wiek. L'accueil qu'il reçut fut meilleur que dans la capitale de laBohème. On le chargea de l'éducation de l'héritier présomptif du

prince régnant, et, à la mort de ce dernier, il prononça son éloge.Maistrois mois ne s étaient pas écoutes, que le consistoire protes-tant de la ville de Helmstadt tançait contre lui une excommunica-tion. Bruno essaya en vain de tenir tête a l'urage. Malgré ses

plaintes et ses démarches, il se vit contraint de céder. !t quittale duché de Brunswick un an après y être entré, alla à Francfort,oit il ne fit que passer, puis se décida à regagner l'Kalie. La cap-tivité et une mort cruelle t'y attendaient.

Les biographes sont partagés sur l'époque de l'incarcérationde Bruno. Les uns croient qu'elle eut lieu en i592, d'autres lareculent jusqu en 1598. Tous les doutes sont dissipés par une notede police qui a été retrouvée dans les archives de Venise et queM.Barthobnèss a le premier publiée. C'est au mois de septembreiM2 que, selon cette pièce, Bruno fut arrêté et jeté dans les

prisons que ]a république de Venise tenait a la disposition dusaint-office. Les griefs articulés contre lui étaient très gravespour le temps, bien qu'ils puissent aujourd hui paraître frivoles.On lui reprochait non seulement d'être hérétique, mais hérésiar-que, ayant composé divers ouvrages où il louait fort la reined'Angleterre et d'autres princes hérétiques; d'avoir écrit quel-quefois sur la religion d'une manière qui ne convenait pas, bienqu'il se fut exprimé en philosophe; d'être apostat, ayant d'a-bord été dominicain; enfin, d'avoir vécu beaucoup d'années AGenève et en Angleterre. L'emprisonnement de Bruno fut mandésans délai au grand inquisiteur siégeant à Rome, San Severino,qui ordonna que le captif lui fAt envoyé sous bonne escorte Ala première occasion. Les sollicitations les plus pressantes del'Église romaine n'étaient pas toujours favorablement accueilliesà Venise San Séverine l'éprouva en cette occasion. La demanded'extradition qu'il avait adressée au sénat fut ajournée, « attenduque, la chose étant grave et importante et les occupations ducongrès nombreuses et considérables, on ne pouvait prendre au-cune résolution. Six années se passèrent dans une attentecruelle pour Bruno. Maisen i598, soit qu'il eùt aggravé sa po-sition par de nouvelles fautes, ou que les circonstances quiavaient motivé la première des ~«M eussent disparu, il fut livré.

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ATMAVEBhLEMOYENAGE ~37

~pendant 1 mstruction de son procès dura encore deux années.t'n contemporain, <:aspard Schoppe, nous a transmis les circons-tances de sa condamnation et de sa mort; c'est un récit d'autantplus triste ri entendre que la pitié en est absente il prouve unefois de plus a quel point les inimitiés religieuses peuvent troublerle cœur de l'homme et y étouuer les sentiments les plus naturels.Après avoir parlé des voyages de Bruno, de ses erreurs et de sonarrivée a Rome, Schoppe continue en ces termes

'<La, il fut interrogé a plusieurs reprises par le saint-office etconvaincu par les premiers théologiens. h'abord il obtint qua-rante jours pour délibérer; puis il promit de se rétracter; uneautre fois, il se remit Asoutenir ses folies; enfin il obtint un nou-veau délai de quarante jours. Mais, après tout, il n'avait pourbut que de se moquer du pape et de l'inquisition. En conséquence.après avoir passé deux ans environ dans les geôles du saint-office,il fut conduit, le 9 février dernier, dans le palais du grand inqu!~siteur en présence des très illustres cardinaux du saint-office,qui surpassent tous les autres par l'âge, par 1 expérience, parla pratique des affaires, par la connaissance du droit et de la théo-logie, en présence des théologiens consutteurs et du magistratséculier, gouverneur de la ville, Bruno fut introduit dans la sallede l'inquisition, et là, l'ayant fait mettre à genoux, on lui pro-nonça sa sentence. Dans cette sentence, on raconta sa vie, sesétudes et ses opinions; on fit mention du zèle que les inquisiteursavaient déployé pour le convertir et de leurs avertissements fra-ternels on décrivit enfin son entêtement et son impiété; ensuiteil fut dégradé, excommunié et livré au magistrat séculier, avecprière toutefois qu'on le traitât avec une grande clémence et sanseffusion de sang. Cette cérémonie étant finie, il ne répondit queces paroles, d'un air menaçant « Peut-être que la sentence pro-noncée contre moi vous cause plus de trouble qu'à moi-même! .)Les gardes du gouverneur le menèrent alors en prison, où on lelaissa encore huit jours pour voir s'il ne voudrait pas abjurer seserreurs. M~isce fut en vain. On l'a donc aujourd'hui conduit aubûcher. Lorsqu'il a été sur le point de mourir, on lui a présentéle crucifix; mais il l'a repoussé avec un dédain farouche. Ainsiil a été brûlé et il a péri misérablement; et je pense qu'il seraa!!4 raconter, dans ces autres mondes qu'il avait imaginés, de

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Mt EX( CRSMMSHISTORIQUES t!T PIIILOSOPHIQUES

quelle manière h s homainsont coutume de traiter les Masptté-mateurs et les impies. Voilà comment nous procédons contre leshommes ou plutôt contre les monstres de cette espèce. »

« Mourir dans un siècle, dit Bruno, fait vivre dans tous les

autres(<). )'Cette éloquente parole ne s applique a personne mieux*

qu'A mi-même. Ce qui a jeté un reuet de gloire sur son nom,c'est sa nn si tragique. Imaginez Bruno mourant au fond d'une

petite ville de France ou d'Allemagne. sa mémoire serait ouMiée;car il n'a laissé aucun monument durable. La philosophie doithonorer en lui un athlète intrépide, un martyr courageux, plu-tôt qu un bienfaiteur dont les services l'aient enrichie. Uuest-ilresté de Bruno en détinitive? Est-ce une méthode? On ne saurait

designer sous ce nom les maximes et les règles qui sont répan-dues ça et là dans ses ouvrages. Est-ce un système? Sa doctrinen'a rien de systématique; elle est le produit capricieux d'un es-

prit original qui suit ses fantaisies, et l'imagination a plus de

part que la raison dans ses théories, dont les plus brillantes sont

gâtées par 1 influence et l'exagération poétiques. Je n'ignore pasque certaines idées que Bruno avait entrevues ont fait leur che-min dans le monde, et qu'elles se trouvent déjà développées et

agrandies chez Uescartes, Leibnitz, Spinosa, et jusque dans lesderniers systèmes de la philosophie allemande. Mais pourquoi ladécouverte de ces idées est-elle vulgairement attribuée, non pasa Bruno, mais a d'autres venus plus tard? C'est que chez lui ellesn'ont pas été élevées a cette forme rigoureuse et méthodique sans

laquelle les conceptions les plus fécondes restent frappées destérilité. La seule inuuence que nous reconnaissions au philo-sophe de Nola est purement négative. Vingt ans de sa vie se sont

j)Mssésà lutter contre les préjugés avec une persévérance qu'ilfaudrait admirer sans réserve s'il n'avait pas enveloppé des ins-titutions immortelles dans sa haine contre des abus passagers.Ses efforts ne sont pas restés vains ils ont contribué à la ruinedu péripatétisme abâtardi de l'école. Bruno a déblayé une partiede sol ou, cinquante années après lui, des ouvriers plus heureuxont élevé des constructions impérissables. A ce titre, Bruno n'é-

(1) CM~ro<e</ttWW, Opp. itat~ < M,p. 3M La morte d'<Msecolo fa vivo tatmU~atttt.. »

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A TRAVERSLE MOYENAGE. <<<

tait pas indigne du monument uue M. Bartholmess a consacré Il

sa mémoire; car, si la postérité réserve m plus précieux ho)n-

magps pour tes œuvres qui durent et où elle va sans cesse puist'tde nouveaux enseignements, elle ne peut refuser un sonvenhaux travailleurs infatigaMes <jui unt succombé en préparant !'t

VMC.

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AtAtt-PMM'S.raM~.

t. tte t ftrigittedes tradtUans sur le christianisme de tt<x~ f. ttt. Des Mmmentatre~ inédits de <;n!)taMMede CeMhes et .h. XM-)~

Triveth M<rta fMtMtnMex <<<' p&~Mo~&tede Botw. '"< <t!). –t~t~MttMt'MedesAfabMtt dt-sJutfs.tV. MfM~rt' sur tes MMH~ )'hM<MOt.hi<tu~<h'!<hffA.iM d AMau~ de

ChartMsetdt-UatMdeMiMaa. <otV. Mst-a!ishm~e qMetqu~~tnts b Hcgra)'M<'de th~M BiM«a. tait

Vt. Doutes sur < aothentieitede quelques &rMe<-tmtr"la M)Mrde thMM'attr!ba<'sa ttM<M'rtUMMp-TMc.<'v<qnede UM«th). )47

VM. Unouvrage inedMde GtM~ de KetMe.)'recepteMrde t'hiUp)~ le Bet.en (afeardt'ta~taMte. )~

VM. Settas Empirant et ta tth! 'ttt)!Mt!qne. 199 ·tX. tn eatM-gemnentatAPartsan MU'sK-ete. at9X. De t etMeigBemeatde hobteu dans rfnhemMë de Paris au xv' sMe. 93<

XI. Lataxe des t~Mneats dans t UntveKttéde Paris. 947XM. –t~eeXesedo Cardinat t~oxttne. aes

XtM. L'UnhreKttede Paris à etxtqMe de la dominationangtaitie. ao9XtV. L'CMiver~téde Paris au tetops d Ët!enmeMafee! 337XV. Un compte de la nathM)dAttemasne. de t Un!<rersMede Parb au

x~sieete. 3~3XVt. Mémoire sur !e« cummeNeOBentsde la marine militaire xonsPhi-

Mmtele net 1 ~5M~moiManr tee eomtaencements de tectmomie ~Mtiqae dam les

ecotesdMmoyenafM.XVKL M~tmiMMr t'edaeaMeades &mmesan moyen âge. 463

XIX. Menmire sar la royauté française et le droit popataire dapres teaecrttataadamoyptt~e. stt

XX. MeotaaOreNneet tes astrologuesde la mar de CharlesV. 669XXt. De Hnnaenee d'Adatote et de ses mterp~tes sur~tMMaïerte dnXXI.

~M.ade.~7

XXtI.-J.rdan.Bn.ao. 617

TABLE DES MATIERES.

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