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CHAPITRE VII LE CADRE BIOGEOGRAPHIQUE ET L'EVOLUTION GEOMORPHOLOGIQUE Figure 56 - le karst du bassin du Peruaçu : le relief de chaque compartiment défini dans le bassin abrite une faune et une végétation qui lui est spécifique.

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CHAPITRE VII –

LE CADRE BIOGEOGRAPHIQUE ET L'EVOLUTION GEOMORPHOLOGIQUE

Figure 56 - le karst du bassin du Peruaçu : le relief de chaque compartiment défini dans le bassin abrite une faune et une végétation qui lui est spécifique.

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Chapitre VII - Le cadre biogéographique et l'évolution géomorphologique

La compréhension des aspects biogéographiques de l'aire d'étude exige une observation des éléments de la faune, de la flore et de l'espace. Il paraît que la grande biodiversité des cerrados brésiliens est liée à la diversité de leurs milieux. Environ 1600 espèces de mammifères, d'oiseaux et de reptiles sont identifiées dans le cerrado, 30 types de chauve-souris, une grande diversité d'insectes, des dizaines d'espèces de termites et de fourmis, des milliers de papillons, 500 types d'abeilles… [Costa et Corrêa 1980]. On y observe les plus grands ongulés des régions tropicales actuelles, le tapir et le pécari, et d'autres grands mammifères comme le capivard [Littré 1873], le grand tatou (Priodontes maximus) qui pèse jusqu'à 150 kg, la suçuarane ou puma (Felis concolor) et le tamanoir géant (Mymecophaga tridactyla). En effet, le nord de Minas Gerais est une zone de transition entre les forêts xérophiles de type caatinga et les savanes du type cerrado. Ainsi, la région d’étude comporte des aires où l’une ou l’autre prédomine, et des secteurs où les espèces de ces deux milieux sont mélangées avec la forêt. L'étude géologique et géomorphologique complète cette approche, définissant le cadre environnemental des groupes humains. 7.1 – La biogéographie : végétation et faune Nous empruntons à Barbosa [1996] la notion de sous-système et nous l'appliquons à la végétation de notre aire d'étude. Nous isolons 4 sous-systèmes : cerrado (strictu sensu), veredas et zones humides, forêt-galerie, forêt sèche de la caatinga, dont l'assemblage par interactions débouche sur la notion d'un système Cerrado-Caatinga valable pour le bassin du Peruaçu.

1- Sous-système du cerrado sensu stricto : Le cerrado est une savane dont le modèle le plus proche est la forme africaine. Il se caractérise par la conjugaison d'une strate composée d'arbres petits, tortueux, éparpillés, et d'une strate plus basse de graminées, avec quelques arbustes et sous-arbustes (fig. 57). Il présente des latossols soumis aux intempéries, typiquement profonds, poreux, riches en oxyde de fer et aluminium, y compris sur les sols sableux comme le grès Urucuia [Fernandes et Bezerra 1990]. Nous pouvons le retrouver de façon résiduelle sur les couvertures tertiaires et quaternaires. Les températures moyennes se situent entre 18° et 22° et l’indice pluviométrique annuel est de l'ordre de 1100 mm [Radam Brasil 1982].

Figure 57 - végétation du type cerrado : exemple de cerrado dans la haute vallée du Peruaçu. Noter la présence du lobo guará, animal solitaire qui fréquente ce type de paysage.

Cliché M.J. Rodet Ce sous-système est très riche en espèces végétales fructifères et médicinales, en plus d'offrir la plus grande quantité d'espèces vasculai-res par hectare de plant (entre 300 et 450). La taille moyenne des arbres est de 7 m, avec une

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tortuosité accentuée et un aspect xéromorphe. Il est très visité par les animaux d'autres sous-systèmes en raison de la richesse nutritionnelle offerte toute l'année. Quelques espèces végétales du cerrado peuvent être relevées : le Solanun lycocarpum St Hil. (lobeira, fruit mangé par le loup et utilisé en thérapeutique), le Hymenaea stigonocarta (jatobá, grand arbre visité pour ses fruits), le palmier Syagrus flexuosa qui produit des petites noix de coco, très commun dans les niveaux archéologiques du compartiment du canyon. Deux espèces végétales, le palmier catulé (Cocos attalea), utilisé dans l'alimentation des indiens Tupi-Guarani [De Holanda Ferreira 1993] et le péqui (caryocar bresilense), arbre avec un fruit oléagineux apprécié dans le passé et encore très utilisé dans la cuisine locale (les animaux aussi raffolent de ce fruit) sont observées en forte concentration dans la haute vallée du Peruaçu (fig. 58).

Figure 58 - L'arbre du péqui (caryocar bresilense) : le péqui fructifie pendant les mois de décembre-janvier. Très présent dans le cerrado de la haute vallée, il peut aussi être observé, de manière plus discrète, dans les autres compartiments du bassin.

Cliché V. Linke La grande offre de nourriture (fruits, fleurs, graines et racines, selon l'époque), durant toute l'année, ainsi que la possibilité de se cacher rend ce secteur attirant pour beaucoup d’animaux. Les espèces qui vivent dans ce sous-système ont besoin de grands espaces où ils

définissent les territoires nécessaires à leur cycle vital. Pour cela, ils transitent dans les autres sous-systèmes selon des horaires spécifiques [Malheiros 2004]. Nous pouvons citer quelques animaux : Chrysocyon brachyurus (loup brésilien, solitaire), Dusycyon vetulus (renard), le grand lézard Tupinambis teguxin (Teiú qui peut peser environ 5 kg) et notamment les tatous (Dasypus novemcinctus et Eufracuys sexcintus), le tamanoir (Myrmecophaga tridactyla) et les Termitidae (termites, très importantes comme flux d'énergie de l'écosystème, car herbivores voraces et base de l'alimentation des tamanoirs, tatous, serpents, lézards, etc.). Notons que le grand tatou (Priodontis giganteo), commun dans ce type de végétation, n'est signalé ni dans la bibliographie consultée ni par les habitants du secteur, et ni même dans les vestiges archéologiques

Ce type de végétation est observé principalement dans la haute vallée du Peruaçu, entourant les zones humides proche de la rivière. Des lambeaux résiduels peuvent être identifiés en amont de l'entrée du canyon.

2- sous-système des veredas et zones humides : Il correspond à des secteurs humides, situés généralement autour des sources, là où les sols présentent une saturation constante en eau, formant des marécages (haute vallée). Les veredas se développent sur des sols plats, mais aussi parfois sur les versants des collines et/ou lorsque les affleurements rocheux y sont favorables. Le paysage est constitué de grands palmiers, principalement le Mauritia vinifera (buritizeiro), et d'une strate graminée continue et pérenne, verte toute l'année (fig. 59). Bordant les veredas, on trouve les espèces végétales des forêts-galeries à riparias (quaresmeira, pindaíbas).

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Figure 59 - veredas et zones humides : une végétation verdoyante marque les sources et les cours d'eau. Une faune spécifique accompagne cette végétation.

Cliché M.J. Rodet Ces milieux marécageux sont écologiquement très importants car, pendant les saisons sèches, ils constituent de vraies oasis où les animaux viennent chercher l'eau, la nourriture et le gîte de reproduction. Généralement, les oiseaux migrateurs recherchent ces secteurs à certaines époques de l'année pour édifier leurs nids. Peu d'espèces vivent uniquement dans cet habitat, peut-être du fait que les veredas se développent aussi dans les vallées, servant de relais aux autres sous-systèmes. Ces caractéristiques en font un lieu de transit pour la faune en général. Pendant les saisons sèches, la fréquentation des herbivores augmente, ceux-ci venant brouter à la périphérie. Ces moments correspondent à une diminution de la ressource alimentaire dans les autres sous-systèmes, notamment des graminées qui, dans les secteurs humides, sont vertes et abondantes. En cela, ces zones tiennent un rôle très important dans l'équilibre écologique des différents domaines du système Peruaçu. Quelques animaux sont observés régulièrement : les cerfs (Manzana sp.), le serpent constrictor sucuri (Eunectes murinus Linnaeus), un échassier (garce, Casmerodius albus), le caïman (Caiman crcodilus), le capivard. 3 - sous-système de la forêt-galerie : Il est composé de deux types de forêts : i) la forêt de riparia caractérisée par des espèces végétales rectilignes, de diamètre et de tronc peu développés (forêt de Pindaíba) et ii) la forêt-galerie à sol profond, avec de grands arbres. La première, qui accompagne les petits cours d'eau, se distribue sur différents types de sols. Elle est toujours verte (perenifolia) grâce à la disponibilité d'eau pendant toute l'année. Entourant cette végétation, d'autres espèces sont adaptées à des sols plus secs de caractère semi-décidual. L'ombre, associée à l'humidité, contribue à la production d'humus, ce qui améliore la qualité du sol et donc accélère la germination et la propagation des espèces. Ces milieux ont des fonctions écologiques très importantes, car ils servent de couloir naturel migratoire à une faune variée provenant des autres sous-systèmes. De plus, dans ces forêts, on retrouve les barreiros, cuvettes humides où s'accumulent de grandes concentrations de sels minéraux, utilisés comme aliments, principalement par les mammifères. Ces sites représentent une source essentielle pour ces animaux qui ont besoin de calcium pour leur structuration osseuse [Malheiros 2004]. Ce type de forêt peut être observé dans la haute vallée (la forêt de pindaíbas entoure les palmiers buritizeiros - fig. 59) et dans la zone de transition. Quelques espèces végétales sont importantes pour leurs bois, leur écorce et leurs propriétés médicinales ou culinaires : Xylopia emarginata Mart. (pindaíba), Tabebuia roseo-alba (ipê blanc), Ficus guaranitica Schodat. (gameleira), Enterpe edulis Mart. (palmito), Inga edulis (ingá commun, fruit à pulpe savoureuse). Ce sous-système offre une végétation dense et d'accès difficile, et un refuge essentiel pour la faune, qui peut compter avec la présence de l'eau en cas de danger (feu, fuite, …). En raison de ces qualités, plusieurs animaux ont adopté ces forêts comme habitat, selon des niches écologiques spécifiques, principalement ceux liés à la vie aquatique. Quelques espèces observées dans le : Tapirus terrestris (tapir), Tayassu pecari (petit cochon sauvage), Hydrochaerus hydrochaeri (capivard). Le capivard, par exemple, pendant la saison

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des pluies, se retrouve en petits groupes (5 membres) ; mais pendant la saison sèche, les animaux s'agrégent en grands groupes (jusqu'à 25 individus) et se restreignent aux aires inondées. Ajoutons deux autres animaux très présents dans ces secteurs : Agouti paca (rongeur de 2 à 3 kg), Bothrops moojeni (serpent vénimeux) [Domingues 1968 ; Eiten 1976 ; Barbosa 1996]. Le deuxième type de forêt se développe sur des sols plus ou moins profonds, fertiles, dérivés des roches alcalines comme le basalte, les gneiss. Il présente une végétation singulière, ombrophile. Cette forêt est toujours verte ou semi-déciduale quand elle se développe sur des sols profonds du type latossol, rouge foncé. Elle est complètement déciduale quand elle se développe sur des sols ras à affleurements calcaires. Ces forêts servent d'habitat à une faune exclusive. Structurellement, ce type de forêt, à sol profond, offre une première strate dont les espèces atteignent 30 m d'hauteur et une strate inférieure dont les espèces atteignent entre 1 et 12 m. La densité d'arbres peut être supérieure à 5000 plants par hectare [Goodland et Ferry 1979]. Le type de sol, la présence importante d'humus, l'humidité sont les principaux responsables du développement de ces espèces. Cette forêt-galerie (fig. 60) à grands arbres est présente dans le compartiment du canyon (proche de la rivière) et dans la plaine alluviale, quand le Peruaçu rencontre le fleuve São Francisco. On la trouve également dans les dolines karstiques, là où l'humidité est importante.

Figure 60 - Forêt-galerie : ce type de forêt se développe sur des sols plus ou moins profonds, fertiles. Elle accueille une faune très spécifique, tels les grands singes.

Cliché M.J. Rodet Quelques espèces végétales illustrent ce milieu : Myracrodruon urundeuva (aroeira), baobab (barriguda), Tabebuia impetiginosa (ipê), Hymenaea courbaril (jatobá), un palmier Syagrus olearadea (guariroba), entre autres. Dans la plaine alluviale (800-500 m), on observe une transition climatique entre le tropical semi-aride et le

tropical sub-humide. La moyenne pluviométrique annuelle est de 930 mm. On observe une forêt déciduale saisonnière caractérisée par une forêt sèche marquée par une perte des feuilles pendant la saison sèche d'environ 50%. Ces espèces sont liées à la vallée du São Francisco. Les plus représentatives sont : Adenocalymma sp, Philodendron sp, Bauhinia sp, Serjania spp, Bigonia sp, Lundia sp, Davila sp, Tetracera sp, Pyrostegia sp et Paulinia sp, Tabebuia ipe, Astroniun urundeuva et Cavanillesia sp. En revanche, les cactacées et les broméliacées sont réduites. Les roches qui soutiennent ce type de forêt sont essentiellement des calcaires du Groupe Bambuí [Radam Brasil 1982]. Comme forêt ombrophile, ce type de sous-système contient une faune à caractéristiques physionomique et comportementale propres. Le plus représentatif des animaux est de l'ordre des primates, l'Allauata, le plus grand primate du Brésil, très commun dans ces forêts, hautes, sèches, déciduales et épineuses. Il a besoin de grands arbres à cause de son poids. Parmi les autres espèces, on note : le Nasua nasua (gambá, putois), le Nasua nasua Thevet (coati, petit

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mammifère de 2 kg, très riche en calories), le Manzama americana (cervidé), le Panthera onça (jaguar), le Boa constrictor amarali (serpent constrictor, jibóia), le Kerodon rupestris (rongeur) [Malheiros 2004] et le Tayassu tacaju (petit cochon sauvage). Ce dernier, de petite taille (environ 40 cm de hauteur et 90 cm de longueur) est très agressif. Il vit en groupe de 5 à 25 individus ; c'est un grand nageur qui aime les rivières et les lacs. Actuellement, dans le compartiment du canyon, il est commun de repérer ces animaux en bandes. Ils laissent des sentes bien marquées et facilement repérables. Pendant la saison des pluies, ils remontent la vallée en grandes hordes pour chercher le fruit du Péqui.

4- sous-système de la caatinga (forêt sèche) : Il correspond d’une part à la caatinga arbustive arborée qui occupe les compartiments sableux (arbres épineux, quelques lianes, rares épiphytes et cactacées ; le taxon arboré est rare et parsemé) et d’autre part aux forêts xérophiles et hyperxérophiles qui existent là où il n'y a pas d'humidité. Ces dernières sont définies par des arbustes épineux qui perdent leurs feuilles pendant la saison sèche (caducifoliées) et par de nombreux cactus qui gardent l'eau pendant la saison sèche. Figure 61 - paysage de caatinga, sur un sol rocheux calcaire.

Cliché J. Rodet 3 strates végétales sont observées : arborée (8-12 m), arbustive (2-5 m) et herbacée (< 2 m). Le climat du secteur est tropical semi-aride, la température est d'environ 18° C en hiver et l'indice pluviométrique est de 500-750 mm par an [Radam Brasil 1982]. En général (fig. 61), les sols qui soutiennent la caatinga sont ras, rocheux, alcalins/basiques et n'accumulent pas d'eau (calcaires du compartiment du canyon). Les affleurement rocheux de type cristallin (gneiss, granites, magmatites, roches basiques et ultrabasiques précambriennes) peuvent aussi accueillir ces forêts (zone de transition entre le canyon et la haute vallée).

La tendance à la sécheresse a fait développer des caractères particuliers à la végétation : certaines espèces ont des racines qui descendent très profondément dans le sol ou dans la roche, à la recherche de l'eau (gameleira, Ficus insipida, arbre d'environ 10 m, à la pression osmotique de 14 G, et au bois tendre, très facile à travailler - fig. 62) ; d'autres dégagent leurs racines en surface pour absorber le maximum de pluie. Les feuilles sont fines, petites ou modifiées en épines ou bien encore inexistantes. Pendant la saison sèche, les plants perdent leurs feuilles pour réduire la perte en eau par évapotranspiration. Figure 62 - Gameleira - Ficus insipida : c'est un arbre qui peut croître directement sur la roche. Ses racines peuvent chercher de l'eau à plusieurs mètres de profondeur : il est commun de les retrouver dans les grottes.

Cliché J. Rodet.

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Quelques espèces sont caractéristiques : Scinopsis brasilienses, Bursera leptopholeos, Aspidosperma sp (peroba), Piptadenia s, Schimus terbinthifolius (arueira, petit arbre de 5 à 10 m au bois très dur, dont le fruit est utilisé comme piment), Anacardeaceae (umbu, recherché pour son fruit succulent et ses racines qui emmagasinent l'eau), Melanoxylon brauna (barauna, de 15 à 25 m, au bois durable) et Zizuhus joazeiro Mart. (joazeiro), très réputé pour son fruit savoureux, son écorce saponina utilisée comme savon notamment pour nettoyer les dents, et pour ses propriétés médicinales dont sa richesse en vitamine C. Cet arbre reste vert pendant toute la saison sèche. Quelques légumineuses sont à remarquer comme le Mimosa ssp, l’Acacia spp, et les palmiers Syagrus vangas et Syagrus coronata (petit noix de coco très répandue dans les niveaux archéologiques du canyon). Parmi les cactacées, les genres les plus fréquents sont Cereus jaunacaru (mandacaru), Pilocereus (xique-xique), Melocactus. Le paysage de ce sous-système se transforme pendant la saison des pluies, et la diversité animale augmente : la Cyanospsitta spixii (petit ara bleu, aux plumes très utilisées par les indiens), la cotia, le Didelphis sp. (gambá, putois) et le Dasypus novencinctus (tatou-peba), tous deux très riches en calories et présents dans le spectre archéologique, le Cavia aperea, (préa, petit rongeur, très présent parmi les taxons des niveaux archéologiques du canyon), le petit Mazama (cerf, veado catingueiro, lui aussi très présent dans les niveaux archéologiques) qui pèse entre 8 et 25 kg et dont les petit bois sont à un seul rameau. Le Bradypees tridactylus (paresseux), d'environ 8 kg, vit principalement dans les arbres et descend très rarement (il est alors très vulnérable). Pour s'adapter au milieu, il a développé de grandes griffes, et son pelage est recouvert d'un type d'algue verte qui le rend presque invisible. Il se nourrit de feuilles, de fruits et de pousses. Sa vision et son ouïe sont faibles, mais son odorat est très développé [Carvalho 1995]. En résumé, Ce tour d'horizon permet d'observer les spécificités de chaque sous-système. On note que quelques espèces d'animaux sont limitées à certains types d'habitat. Ces espaces sont bien définis en accord avec les nécessités biologiques des espèces. Ce conditionnement environnemental peut être expliqué principalement par les richesses alimentaires qui conditionnent les animaux dans des aires déterminées en fonction de leurs habitudes alimentaires, comme le Tamanoir qui nécessite des termites et fourmis, abondantes dans le cerrado, mais aussi par la nécessaire présence permanente de l'eau pour la survie de certains, comme c'est le cas du capivard. De même les grands singes ont besoin de grands arbres à cause de leur poids. Ainsi, chaque sous-système comporte une végétation et une faune plus ou moins exclusive en fonction de l'époque de l'année. Aujourd'hui encore, il suffit d’attendre les cervidés qui viennent brouter l'herbe fraîche autour des zones humides, ou à proximité d'un arbre de Favela en fleurs dont ils raffolent. Ces comportements, bien connus des chasseurs actuels, l'étaient sûrement des préhistoriques. Les mammifères du cerrado peuvent être observés pendant toute l'année, principalement ceux qui vivent dans des aires ouvertes. Cependant, la majeure concentration des espèces dans leur niche alimentaire se réalise entre septembre et janvier (saison des pluies). Cette époque coïncide avec la repousse des graminées et la maturation des fruits. Pendant cette même période se réalise l'accouplement des insectes (papillons et fourmis) ce qui enrichit encore les ressources alimentaires pour les mammifères insectivores. De plus, la majorité des mammifères s'accouplent pendant la saison sèche et mettent bas pendant la saison des pluies. En conséquence, les carnivores accompagnent la concentration des frugivores, herbivores et insectivores Cette dynamique révèle l'étroit lien entre la flore et la faune du cerrado. Le facteur biodiversité animale est directement lié à la diversité environnementale et celle-ci

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dépend des variétés d'espèces végétales qui se multiplient sous l'influence des facteurs lithologiques, édaphiques et climatiques, régionalement et localement [Alberts 1989]. Les richesses et les spécificités de ces biomes du bassin du Peruaçu n'ont certainement pas échappé aux groupes humains du passé. Ceci peut être constaté à partir des restes faunistiques et végétaux exhumés des fouilles, qui reflètent bien cette diversité et cette connaissance. D'après Kipnis [2000], la faune exhumée des niveaux archéologiques du Peruaçu correspond aux espèces actuelles présentes dans le bassin. Mais on ne retrouve qu’une partie de la diversité du système Cerrado-Caatinga dans les niveaux archéologiques des abris du compartiment du canyon. Ces abris ne rendent pas compte des diverses sphères de la vie des groupes et ils représentent sûrement une vision très parcellaire qui doit être complétée par les sites de plein air comme le démontre l'étude technologique. En particulier, on n'y retrouve pas la faune liée à l'eau car elle est extérieure au canyon. De plus, les sites d'abri ne sont pas des sites de consommation, et en conséquence les restes alimentaires sont assez réduits, et illustrent plutôt des haltes rapides.

7.1.1 – La faune archéologique Le spectre étudié montre une faune de savanes (cerrado et caatinga) très commune dans le Brésil central en général et dans le bassin du Peruaçu en particulier (tabl. 9).

Niveaux stratigraphiques Taxon Nom commun 3 4 5 6 7 8 TOTAL

Mammifères

Agouti paca Paca 0 1 0 1 0 1 3 Cavia aperea Cobaye 4 10 16 9 6 2 47 Dasyprocta sp. 1 1 1 1 1 1 6 Eufractus sexcintus Tatou 1 1 1 1 1 1 6 Hydrochoerus hydrochaeris Capivard Keredon rupestris Moco 11 7 15 12 13 5 63 Marmosa sp. Rongeur 0 1 1 1 0 1 4 Mazama sp. Cervidé 1 2 2 3 2 2 12 Panthera onça Jaguar Procyon cancrivorus Sylvilagus brasiliensis Lapin 0 0 1 1 0 0 2 Tamandua tetradactyla Tamanoir 0 1 0 1 0 0 2 Tapirus terrestris Tatou 0 0 1 0 0 0 1 Tayassu pecari Cochon sauvage 0 0 1 1 1 1 4 Tayassu tajacu Cochon sauvage 1 1 1 2 2 1 8 Primates Primate 0 1 1 0 3 1 6 Rodentia 1 3 4 2 3 1 14 Reptiles Ameiva ameiva 0 0 1 1 3 2 7 Chelonia chelidae 1 1 1 0 0 0 3 Caiman crocodilus Caïman Polychrus acutirostris 0 1 2 5 8 6 22 Tupinambi teguixin Lézard 1 2 2 2 1 1 9 Serpent 1 1 1 1 2 1 7 Amphibiens Crapaud 0 1 1 1 0 0 3 Poissons 1 1 1 1 1 1 6 Oiseaux 1 4 2 2 2 1 12 TOTAL 24 41 58 51 52 32 258

Tableau 9 - taxons exhumés des niveaux archéologiques de Boquete : les os du Kerodon rupestris sont les éléments de squelette les plus fréquents dans l'ensemble faunistique étudié (si on ne prend pas en compte les carapaces de tatou), tous niveaux confondus. Ces animaux sont endémiques des abris [tableau, Kipnis 2002, modifié].

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D'après Kipnis [2002], l'absence du capivard dès le passage Pleistocène/Holocène jusqu'au milieu de l'Holocène, associée à la rareté du tapir et à la présence importante du kerodon rupestris et du Cavia aperea suggèrent que cette période se caractérise par un climat sec, peut-être un peu plus sec que l’actuel. Cependant, à environ 8000 BP, la présence du tapir peut témoigner d’un raccourcissement de la saison sèche. Bien que ces collections suggèrent un climat sec pendant le passage Pleistocène/Holocène, il est probable qu'une saison humide courte ait été suffisante pour soutenir les forêts-galeries, conformément à ce que laisse entendre la présence de primates et du lapin brésilien (Sylvilagus brasiliensis) au début de l'Holocène. En fait, la majorité de la faune du Peruaçu, faune de cerrado, est liée à l'eau et dépend principalement des forêts-galeries et des zones humides. Seuls quelques animaux comme le Kerodon et le reptile Platynotys sont endémiques de la caatinga. Pour la grande majorité, ces animaux sont de petite taille avec un poids égal ou inférieur à 3 kg [Kipnis 2002]. Dans les niveaux archéologiques holocènes de sites d'abri, aucun vestige de la mégafaune pléistocène sud-américaine n'a été retrouvé, bien que des sondages tests aient été réalisés à Boquete (trois mètres de profondeur dans les couches du Pléistocène) et à Bichos, où chaque sondage a été creusé sur quelques mètres sous les niveaux archéologiques.

7.1.2 – La mégafaune pléistocène sud-américaine Cette mégafaune était constituée d'espèces de grande taille, aujourd'hui disparues. Il s'agissait essentiellement de mammifères, en particulier d'herbivores, d'insectivores et de carnassiers. L'étude du squelette de ces animaux révèle des dimensions surprenantes par comparaison aux espèces actuelles. Les représentants de cette mégafaune éteinte couvraient l'ensemble du continent américain (fig. 63). Actuellement, la coexistence au Brésil de la mégafaune et des groupes préhistoriques a été clairement démontrée [Cartelle et Fonseca 1981 ; Cartelle 1994 ; Gambéri 1989 ; Guérin et al 1991, 1996a, 1996b ; Guérin et Faure 2004 ; Prous 2002 ; Vilhena-Vialou 2005 ; Vilhena-Vialou et al. 1995]. En Minas Gerais, des études interdisciplinaires récentes viennent confirmer cette concomitance : à Lagoa Santa (environ 700 km à vol d'oiseau au sud du Peruaçu), les os du Catonyx cuvieri (paresseux) et du Smilodon populator (tigre à dents-de-sabre) ont été datés de 9260 ±150 BP et 9780 ±70 [Piló et Neves 2004 ; Piló et al. 2005 ; Auler et al. 2004a], ce qui confirme leur contemporanéité avec les populations préhistoriques.

Figure 63 - la mégafaune : à gauche le paresseux géant, Eremotherium laurillardi, mesure 6 m de long ; à droite le tigre dents de sabre, Smilodon populator. Ce dernier a vécu dans la région de Lagoa Santa jusqu'aux environs de 9000 BP, donc au même moment que les groupes préhistoriques.

Clichés J. Rodet, MHN-UFMG Plus délicate à établir est la liaison directe entre cette faune et les groupes préhistoriques : la chasse et/ou l'utilisation des os ou de la peau, par exemple. A. Bryan [1970 in Prous 2002],

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analysant une collection provenant de Lagoa Santa, suggère qu'un os iliaque de mastodonte (Stegmastodon) présente des traces de coupures anthropiques. Cependant, à l'époque, l'authenticité en avait été refusée par le paléontologue C. Cartelle et par J. Tixier [Prous 2002]. D'autres découvertes, controversées, ont été signalées à la Lapa Vermelha (Minas Gerais) fouillée par A. Laming-Emperaire [Laming-Emperaire et al. 1975], à São Paulo dans l'Abismo Ponta de Flecha [Barreto et al. 1982] et au Piauí [Gambéri 1989 ; Guidon 1989]. Mais, là encore, en partie, la stratigraphie de ces trouvailles et/ou les méthodes de datation qui les accompagnent ont été mises en question par leurs propres auteurs ou par d'autres [Prous 2002]. Cependant, actuellement, avec les nouvelles fouilles dans l'état du Mato Grosso, l'idée d'une possible "utilisation" de cette faune commence à connaître une meilleure acceptation. Les fouilles de l'abri de Santa Elina (Mato Grosso) démontrent que des ostéodermes d'un Mylondontinae (paresseux) datés de 10120 ± 60 sont mélangés à l'outillage lithique [Vilhena-Vialou 2003, 2005 ; Vialou 2003 ; Vilhena-Vialou et al. 1995]. A cela, on peut ajouter la découverte de C. Cartelle dans la Lapa de Brejões à Bahia, qui a trouvé un humérus de Glossotherium giganteum (paresseux géant) avec plusieurs marques anthropiques réalisées sur l'os frais : impacts sur l'épiphyse distale, marques de décarnisation, élimination de l’épiphyse proximale pour permettre de désarticuler le membre supérieur et encore des coupures profondes (6 mm) sur l’insertion du deltoïde, pour l'extraction du muscle [Cartelle comm. pers. ; Prous 2002]. Au Peruaçu, nous avons constaté l'existence de cette faune ancienne, avec la présence des os d'un paresseux dans un des affluents de la rivière et aussi dans les environs du bassin (Hamilton Sales, comm. pers.). Malheureusement, ces os sont hors stratigraphie et ne sont pas encore étudiés. En résumé, si depuis 1960 et jusqu’au début des années 1990 la coexistence entre les groupes préhistoriques et la mégafaune a été mal acceptée ou mal démontrée, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Des travaux récents viennent confirmer cette hypothèse. Malgré les difficultés à prouver la chasse ou l'utilisation de cette faune, certaines études actuelles commencent à démontrer cette possibilité. Selon l'idée la plus répandue au Brésil, due notamment à C. Cartelle [1994, 1995, 1999], l'extinction de cette faune serait conséquente à la période d'instabilité climatique qui marque la fin du Pléistocène et le début de l'Holocène. Cette instabilité a provoqué une série de transformations dans les milieux végétaux : augmentation des forêts-galeries, désertification des plaines, diminution des graminées dans le cerrado, qui ont eu pour conséquence une réduction du nombre des individus et des naissances. Les grands animaux de cette période, très spécialisés dans une alimentation herbivore et donc dépendants d'un certain type de végétation, ont succombé aux changements de la variété végétale et/ou à la diminution de la quantité de nourriture disponible pendant une longue période. L’appauvrissement de certaines populations a entraîné des déséquilibres écologiques, tandis que disparaissaient les espèces non adaptées aux nouvelles conditions environnementales. Cette extinction a commencé vers 12000 BP et se serait étalée jusqu'aux alentours de 10000 BP. D'autres auteurs parlent d'une disparition tardive, aux alentours de 7000 BP [Paula Couto 1955, 1975, 1979], voire plus récemment vers 5000 BP [de Vivo et Carmignotto 2004]. Ces derniers auteurs ont une nouvelle théorie quant à cette extinction : les changements climatiques du début de l'Holocène auraient provoqué, une expansion progressive de la forêt et une diminution des savanes, voire la disparition de ces dernières dans certaines zones au profit d’une forêt dense. Ainsi, plus que l'absence des graminées, le manque de grands espaces ouverts aurait condamné à l'extinction lente ces grands animaux mal adaptés à ces

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nouvelles conditions. Cette hypothèse est déjà contestée par Araújo et al. [2004]. Si l'on revient au plan archéologique, il paraît difficile de penser que les groupes humains soient restés insensibles à de telles quantités de viande et de matière première (quelques-uns de ces animaux dépassent 3000 kg). L’absence de leurs restes osseux dans les sites d'abri calcaires, alors que ces sites sont de bons conservateurs des restes organiques car secs et de pH alcalin, suggère qu’ils ne sont pas les "sites de consommation" des groupes humains préhistoriques, même si ceci reste à démontrer. Dans l’hypothèse où ces animaux ont été effectivement chassés, les vestiges avec marques anthropiques sont à attendre plutôt sur des lieux d'abattage (avec décarnisation sur place au vu de leur poids) et peut-être dans des sites d’habitat où des portions de carcasses ont pu être introduits pour une consommation plus ou moins différée. Une autre hypothèse est le développement d'une activité de charognage. Pour l'instant ni sites d’abattage, ni sites de découpe, ni sites de consommation n'ont pu être mis en évidence pour cette période, et nous sommes encore loin de comprendre les rapports établis entre les humains et la mégafaune. Il faut cependant garder à l'esprit la possibilité que ces animaux ont probablement été chassés par les premiers habitants de la région. 7.2 - La géologie régionale Le cours moyen du São Francisco se développe dans une gouttière synclinale orientée nord-sud, longeant la bordure occidentale de la chaîne de la Serra do Espinhaço, élément plissé du craton du São Francisco lors de l'ouverture de l'Océan Atlantique. A l'ouest de ce grand axe cristallin se développe le domaine sédimentaire détritique Urucuia (Crétacé supérieur), en discordance avec les éléments cratoniques mais aussi avec les formations sédimentaires du Groupe Bambuí, dont les calcaires et les dolomies. Ces formations carbonatées néoprotérozoiques déposées sur le socle granitique archéen sont plus épaisses au cœur du grand synclinal, et se font plus minces à sa périphérie où l’on retrouve le socle, notamment vers l'ouest, à cause de l'érosion. Le bassin du Peruaçu se développe sur cette partie occidentale, recouverte par la formation détritique gréseuse Urucuia (J. Rodet comm. pers.). Le paysage est composé de plateaux aux formes molles qui redescendent lentement sur la grande vallée alluviale du São Francisco. La mollesse est due à la couverture gréseuse que l'érosion a parfois traversée, plus particulièrement dans la retombée vers le São Francisco, laissant apparaître alors les formes vigoureuses des formations carbonatées, favorables au développement de phénomènes karstiques. Les nombreux accidents tectoniques qui affectent le craton participent aux processus d'érosion, guidant les écoulements superficiels et souterrains, et portant en surface des éléments normalement protégés sous la couverture gréseuse. Les principaux domaines morphologiques de la région sont donc des plateaux cristallins ou sédimentaires faiblement plissés, des dépressions, et surtout l'imposante vallée du São Francisco qui entaille largement la succession de plateaux : 9000 km2 entre la ville de São Francisco (Minas Gerais) et Ibotirama (Bahia). Le Peruaçu est un cours d'eau pérenne, non navigable, en général peu profond, qui naît sur les hauts plateaux gréseux de l'extrême nord de l'état de Minas Gerais, et qui s'écoule jusqu'au grand fleuve São Francisco (affluent de la rive gauche) (fig. 20, ch. II). Dans son cours moyen, pendant près de 20 km, il s'enfonce dans un massif calcaire, formant un imposant relief karstique. Le secteur est important dans le contexte archéologique régional car riche d’une centaine de sites recensés. 7.2.1 - La géologie du bassin La connaissance géologique du bassin du Peruaçu a été, dès notre première mission, un objectif

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fondamental que nous avons pu atteindre grâce à un travail d'équipe et une recherche pluridisciplinaire, d'archéologues et de géologues, tant européens que brésiliens. Cette présentation doit beaucoup aux observations de terrain de A. Pouclet [2003], réalisées pendant notre mission au Brésil (juillet et août 2003). Les travaux ont consisté en relevés structuraux, observations pétrographiques, coupes lithostratigraphiques et échantillonnages. Ils ont concerné le substratum, la couverture pédologique et les formations superficielles dans le but de comprendre le modèle karstique développé dans les roches carbonatées du secteur. D'après Pouclet [2003], la vallée du São Francisco est bordée par un plateau au rebord escarpé et déchiqueté, développé dans les calcaires du groupe Bambuí. Dans certains secteurs, ces falaises atteignent 200 m de hauteur. Ces calcaires, en bancs massifs sub-horizontaux, se sont déposés dans le fossé tectonique du São Francisco au Néoprotérozoïque. Les calcaires du Groupe Bambui sont en contact tectonique à l'ouest, par failles normales et décrochements, avec un socle granitique archéen. Ces formations sont recouvertes par des dépôts détritiques argilo-silto-gréseux de la formation Urucuia (Crétacé supérieur - Paléocène). L'ensemble a subi une évolution pédologique post-Paléocène contrastée en fonction des lithologies, avec une formation d'horizons ferralitiques peu indurés sur le grès et les argiles, et de cuirasses latéritiques sur les granites. La haute vallée se localise sur les grès et argiles de l'Urucuia. La moyenne vallée traverse d'abord un panneau calcaire enclavé dans la bordure du socle, et s'étend ensuite sur le bord du socle granitique qui affleure en fenêtre dans l'Urucuia. Puis la rivière traverse le massif calcaire. Une petite plaine alluviale s'établit sur tout le cours supérieur à moyen, caractérisée par une faible pente, avec des remaniements sableux des grès de l'Urucuia et de la couverture pédologique et avec des dépôt d'argiles. Le cours inférieur s'encaisse dans le massif calcaire, disparaît au moins six fois sous terre, entaillant un canyon sur 17 km pour rejoindre la vallée du São Francisco. La carte géologique simplifiée du bassin a été dessinée par Pouclet (fig. 27, ch. 2), sur la base des observations de terrain, par l'interprétation des images Landsat redressée au 1/50000, et par la comparaison avec la carte géologique générale au 1/1000000 de l'état de Minas Gerais [COMIG 1994, 2003]. Nous avons cartographié l'extension des calcaires Bambuí jusque dans la vallée moyenne, où nous avons localisé un important panneau de granite (à proximité du site Olha Aqui).

Figure 64 - coupe géologique interprétative du bassin du Peruaçu [d'après A. Pouclet 2003].

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La couverture détritique-latéritique récente du plateau est strictement associée à la formation Urucuia ; elle en est la partie supérieure parfois ferralitisée et généralement arénisée, notamment du fait des activités anthropiques de mise en culture. La retombée sud-ouest paraît essentiellement formée des granites affleurant largement dans les vallées et donnant des chaos granitiques (cours du Borrachudo, bassin voisin du Peruaçu, haute vallée, fig. 27, ch. II). Les analyses sommaires des linéaments sur cartes et images spatiales, associées aux observations de terrain, permettent une hiérarchisation des grandes fractures. On distingue les directions suivantes : 1) N.155° ± 10°, 2) N.0° à N. 15°, 3) N.35 à N. 50°, 4) N. 110° à N.125°. La coupe géologique présentée passe du sud du Peruaçu moyen en direction WNW-ESE jusque dans la vallée du São Francisco (fig. 64). Elle illustre les relations entre les ensembles lithologiques. L'extension occidentale des calcaires du Bambui sur le socle archéen va jusque vers 44°30'. La formation Urucuia a recouvert uniformément le socle archéen et les calcaires du bassin Néoprotérozoique. Après un important jeu de failles normales, la vallée du São Francisco s'est constituée au Néogène. Les calcaires passent sous la vallée et réapparaissent à l'est. De fait, la haute terrasse montre des traces d'effondrements karstiques. 7.2.2 – L'évolution géomorphologique Un modèle d'évolution du karst du cours moyen du Rio Peruaçu [Piló et Kohler, 1992] suggère que la rivière Peruaçu a formé une énorme grotte de plusieurs kilomètres d'extension dans le grand massif calcaire. Les effondrements des parois et des toits des conduits ont contribué à la formation du relief karstique, dont le phénomène majeur est son canyon (endo et exokarst). L'évolution régionale a provoqué le recul des parois résiduelles, l'abandon, voire l'ouverture des conduits jusqu'alors utilisés par l'eau.

Figure 65 - évolution géomorphologique de la région d’étude : 1 - stade anté-karst [d'après J. Rodet et M.J. Rodet 2001].

Figure 66 - évolution géomorphologique de la région d’étude karst : 2 - stade initial du karst [d'après J. Rodet et M.J. Rodet 2001].

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Moura [1997] résume la dynamique de cette évolution : “Ainsi, dans le fluviokarst du Peruaçu, sont identifiés deux systèmes génétiques : le premier, lié à la rivière Peruaçu, avec ouverture du défilé principal par des abattements du toit et des parois du système endokarstique principal, formant le canyon ; et le deuxième, lié au recul des parois, en fonction d'élargissement des diaclases verticales par les eaux météoriques et postérieurement, par les chutes de blocs, formant des talus d'accumulation, des cônes de blocs et des effondrements de cavités secondaires, perpendiculaires au système principal, laissant comme témoins, des vires, des hums et des tourelles” .

Figure 67 : évolution géomorphologique de la région d’étude : 3 - stade juvénile du karst [d'après J. Rodet et M.J. Rodet 2001]. Pour J. Rodet et M.J. Rodet [2001], J. Rodet et al. [2003a, 2003b, 2004a, 2004b, 2005], le cours d’eau s’écoulait sur le compartiment carbonaté, protégé par les formations de couverture imperméables et rejoignait la dépression sanfranciscaine (fig. 65 – stade anté-karst), jusqu’à la mise à jour du substrat calcaire, dans la partie amont du compartiment (fig. 66 – stade initial du karst). Les eaux se sont donc engouffrées et ont formé un grand réseau souterrain qui rejoignait la plaine alluviale, en concentrant sur son parcours un certain nombre d’affluents issus de pertes dans les formations de couverture, lesquelles, peu à peu, étaient entraînées dans le drainage karstique puissant (fig. 67 – stade juvénile du karst).

Figure 68 : évolution géomorphologique de la région d’étude : 4 - stade mature du karst [d'après J. Rodet et M.J. Rodet 2001]. Une série de comblements du drain majeur, liés à l'effondrement des méga-drains dans la partie aval du système endokarstique, sont alors responsables de plusieurs phases d’ennoiement superficiel permettant le développement du poljé de Terra Brava (fig. 68 – stade mature du karst). Puis le surcreusement de ce secteur par abaissement conséquent (> 50

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m) du niveau de base dans la vallée du São Francisco (néotectonique cénozoique) permet la vidange du réseau et le retour d’une incision érosive efficace (paléo-terrasses du Peruaçu). Les formations de couverture continuent de fluer dans l’endokarst d’une part avec les effondrements qui ponctuent les gros drains, à l’origine du creusement d’un grand nombre de ravines ou voçorocas qui contribuent au démantèlement de la couverture et d’autre part avec leurs incisions dans le substrat carbonaté (fig. 69 – stade rajeuni du karst), à l’évolution ruiniforme de l’exokarst (pitons et tourelles, hums, …).

Figure 69 : évolution géomorphologique de la région d’étude : 5 - stade rajeuni du karst [d'après J. Rodet et M.J. Rodet 2001]. Le relief fluvio-karstique qui en résulte est favorable à l’implantation - tout au moins à la fréquentation - humaine en raison des très nombreux abris sous roche qui accompagnent les abrupts, avec une distribution végétale très importante, mais aussi par la mise à disposition, dans de très nombreux gîtes naturels, des matières premières minérales variées que les groupes humains utiliseront largement pour la réalisation de leur outillage, illustrant une parfaite assimilation des ressources naturelles offertes par un milieu karstifié. Ceci peut expliquer partiellement que le compartiment du canyon ait été occupé intensivement.

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