Chapitre un SUR LE TRANCHANT DE L’ÉPÉE Biographie...

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Chapitre un

SUR LE TRANCHANT DE L’ÉPÉEBiographie d’un aventurier sans attaches

En décembre 1932, alors que paraissait dans les pages de Weird Tales la première aventure de Conan le Cimmérien — The Phoenix on the Sword — le lectorat américain redécouvrait, émerveillé et stupéfait, la vie d’un héros d’antan, évoluant dans une époque si reculée que l’his-

toire l’avait complètement oubliée. Immédiatement, la problé-matique qui s’impose au chercheur est de tenter de comprendre comment Robert E. Howard, l’un des piliers majeur de l’ère des pulps, put être au fait d’une saga remontant aux origines de l’humanité.

Dans son In Memoriam1, écrit à la suite du suicide de Robert E. Howard, Howard Phillips Lovecraft disait que la force sans pareille des textes du Texan tenait à ce qu’il s’investissait toujours complètement dans tout ce qu’il écrivait. Cette analyse, alliée à certains témoignages du vécu de Robert E. Howard, apparaît comme l’une des clefs expliquant comment cet écrivain du début du XXe siècle devint par la force des choses le chroniqueur d’un personnage historique ayant vécu près de douze mille ans avant lui. Dans son ouvrage de mémoires, transcription à peine altérée de son journal in-time — One Who Walked Alone2 —, Novalyne Price Ellis, ex petite amie

1 Publié dans le fanzine The Pantagruel en 1936, ce texte fut traduit en France dans Lovecraft vol.1, éditions Robert Laffont 1991, coll. « Bouquins », traduction de Philippe Gindre.2 One Who Walked Alone - Robert E. Howard: The Final Years, Donald M. Grant Publisher, 1986.

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de l’écrivain, raconte que lorsqu’elle demandait à Robert E. Howard com-ment il pouvait délivrer autant de détails sur telle ou telle époque reculée, celui-ci répondait sereinement : « J’y étais ». De multiples lettres du Texan explicitent plus avant cette réponse sibylline. Au travers d’elles, nous décou-vrons que Robert E. Howard croyait dur comme fer à la réincarnation et que ses rêves étaient emplis de scènes où un autre lui évoluait au sein d’une autre époque. Ainsi, il semble que ce soit dans le souvenir de vies antérieures qu’il faille chercher l’explication des sources de Robert E. Howard quant à une époque seulement connue de trop rares personnes (l’érudit Von Junzt au XIXe siècle et, pour ses contemporains, uniquement l’américain James Allison, célèbre pour se rappeler de ses existences passées). Cependant, nous n’irons pas jusqu’à proposer que Robert E. Howard ait été la réincarna-tion de Conan, mais plutôt celle d’un personnage qui aurait suivi ses pas, Prospero par exemple, auquel le Cimmérien conta nombre de ses aventures dans l’intimité de ses appartements du palais royal de Tarantia.

En narrant l’épopée d’un héros affranchi de tout idéal chevaleresque, et évoluant durant une période historique oubliée mais tout aussi rude et cruel-le que la nôtre, Robert E. Howard évinçait tout merveilleux du genre. À force de réalisme et de crédibilité, il frappa les lecteurs des années 1930 par la puissance, la fougue et la poésie d’un style inimitable, ainsi qu’en présen-tant un personnage aussi féroce que sympathique, un bagarreur et un fêtard aux joies immenses et aux peines démesurées, qui traversa à pied, à cheval ou sur le pont d’un navire la plus grande partie des fabuleuses contrées de son époque. Parallèlement, et sans s’en douter, il lançait avec la saga de ce barbare triomphal, se dressant contre les menaces serpentiformes de la sor-cellerie et de la civilisation, les bases d’une lignée de héros qui séduiraient des générations de lecteurs en mal de modernisme, un personnage archétypal qui allait marquer de son sceau tout un pan de la littérature, ainsi qu’un nouveau sous-genre, plus tard dénommé sword and sorcery ou fantasy héroïque.

Mais si Conan remporta un succès certain auprès des lecteurs de Weird Tales, le triomphe ravageur et planétaire de sa saga attendit la fin des an-nées 1960 pour éclater au grand jour, lorsqu’un petit éditeur américain — Lancer — entreprit la réédition de son époustouflante épopée. Désormais célèbre, cette édition dont chaque volume fut réimprimé une vingtaine de fois pour des ventes dépassant le million d’exemplaires, dut tant son succès à la prose de Robert E. Howard et au charisme de Conan qu’aux fabuleuses illustrations d’un jeune artiste nommé Frank Frazetta, dont les compositions trônent désormais au panthéon des classiques du genre. Dès lors, la geste flamboyante du Cimmérien s’exposa au public dans toute sa démesure et, de

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nos jours, son succès ne s’est toujours pas démenti.Dès 1970, le plus fameux des barbares s’émancipa de la prose qui l’avait

vu renaître pour se décliner en multiples adaptations. Ce fut tout d’abord par le biais des comics, lorsque Roy Thomas lança Conan the Barbarian en octobre 1970 avec le concours du jeune dessinateur Barry Smith, série dont le franc succès engendra de nombreux épisodes ainsi que d’autres séries dont la frénésie se poursuit au même rythme en cette aube du XXIe siècle. En 1981, l’icône fut portée au cinéma par John Milius et trouva son incarnation sous les traits monolithiques d’un jeune acteur d’origine autrichienne dont le film devait lancer la carrière : Arnold Schwarzenegger. Une séquelle bien moins réussie vit le jour l’année suivante, puis Conan se déclina en dessins animés et série télé tandis qu’à l’heure actuelle, un long métrage d’anima-tion est en cours et un énième projet cinématographique annoncé. D’autres supports médiatiques et ludiques firent également honneur au plus grand héros de l’Âge Hyborien : plusieurs versions de jeux de rôles ainsi que de nombreux jeux vidéo dont le récent et retentissant Age of Conan, un jeu massivement multi-joueurs.

Un héros à succès, archétype qui plus est, s’identifie clairement par les imitations qui en sont faites, et son importance se mesure au nombre de celles-ci. Immédiatement après la parution des premiers volumes de la col-lection Lancer, les étals des libraires virent fleurir un nombre impressionnant de ces pastiches et, de cette manière, les lecteurs purent tenter d’étancher leur soif d’aventure barbare avec le pathétique Thongor de Lin Carter ou encore l’inénarrable Kothar de Gardner J. Fox. Outre cette pléthore de co-pies insipides, le mythe Conan s’accrut de caricatures tels Cohen le barbare de Terry Pratchett, octogénaire valétudinaire incapable de remiser son épée au râtelier, ou le fameux Konnar le Barbant de Pierre Pelot — pseudonyme de Gilbert Lafolette —, habitant de Barbanterie adopté par le grand Konnar, chef incontesté du pays des héros. Bien entendu, le mythe ne pouvait se constituer sans que des écrivains de tous horizons apportent leur pierre à l’édifice en inventant de nouvelles aventures au héros, dont la quantité est telle qu’il semble aujourd’hui impossible de les dénombrer précisément (plus de deux cents pastiches de Conan ont été recensés pour le seul territoire russe…). Fort logiquement, ces auteurs d’apocryphes s’appuyant sur les tex-tes précédents et non sur leurs propres connaissances de l’Âge Hyborien — comme le faisait Robert E. Howard —, aucun d’entre eux ne réussit jamais à faire vivre Conan le Cimmérien comme le fit en son temps son premier chroniqueur.

D’autre part, le succès de Conan le Cimmérien et, par extension, des écrits

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de Robert E. Howard, engendra la naissance de tout un corpus de fanzines — le premier et le plus important fut Amra, publié à partir de 1959 — et d’associations comme la REHupa3 qui officie encore aujourd’hui en propo-sant des essais et analyses de qualité. Au-delà de ces publications érudites, de nombreuses personnes s’attachèrent à des recherches biographiques, chro-nologiques et historiques centrées autour de Conan et de l’Âge Hyborien, les plus spectaculaires étant certainement celles de Dale Rippke, récemment compilées dans l’ouvrage The Hyborian Heresies4.

Malgré ce succès constant et protéiforme, la saga de Conan le Cimmérien souffrit d’un sort quasi unique dans l’histoire de la littérature populaire : la trahison et la perversion à l’extrême de l’œuvre originale. Durant les années 1950, Lyon Sprague de Camp — qui allait diriger la collection Lancer — s’accapara purement et simplement les textes de Robert E. Howard. Non content d’achever dans tous les sens du terme des fragments laissés incom-plets par le biographe de Conan et de rédiger des pastiches sans saveur, Lyon Sprague de Camp s’autorisa l’impensable, à savoir réécrire et transformer les textes publiés plusieurs décennies plus tôt dans les pages de Weird Tales. Le vulgarisateur s’appropria également l’œuvre de manière juridique, tant et si bien que, jusqu’à sa mort en 2000, il fut impossible pour le lecteur de décou-vrir la réalité historique telle que l’avait rapportée Robert E. Howard.

Aujourd’hui, soixante dix ans après la mort du Texan, grâce aux éditions Wandering Star et aux travaux de Rusty Burke et de Patrice Louinet, Conan peut enfin revenir à la vie par le biais d’une édition de qualité (récemment traduite en France aux éditions Bragelonne), et tirer un trait sur des décen-nies d’une carrière certes réussie mais souffrant à la base d’une trahison littéraire unique en son genre.

Ces malversations nous obligent pour ce volume à établir un Canon strict, qui se limite exclusivement aux textes rédigés par Robert E. Howard, lavés de leurs corrections posthumes et illégitimes, ainsi qu’aux synopsis, notes, essais et lettres que laissa derrière lui celui qui fut le premier à nous rappor-ter la vie de l’entité Conan le Cimmérien. Concernant l’Âge Hyborien, de nombreux indices apparaissent dans le cycle de James Allison qui, de fait, nécessite d’être ajouté au corpus5. À partir de 1932, James Allison commen-

3 Robert E. Howard United Press Association4 Wild Cat Books, 2004.5 Tout comme les récits de Kull d’Atlantis et de Bran Mak Morn, dont Robert E. Howard fut également le chroniqueur, et qui comportent nombre d’informations quant à d’autres périodes de cette histoire oubliée.

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ça brusquement à se remémorer ses existences passées, dont certaines se dé-roulèrent durant l’époque qui nous intéresse. Plusieurs de ces réincarnations furent rapportées par écrit par Robert E. Howard et, les deux hommes étant à la fois Texans et contemporains, il semble évident qu’ils se rencontrèrent de leur vivant pour mettre en commun leurs souvenirs.

Concernant la biographie qui suit, il apparaît comme impératif de préciser qu’il ne s’agit aucunement d’un ordre de lecture idéal. Robert E. Howard rédigea les aventures de Conan de la même manière qu’un homme raconte sa vie, en reprenant ses souvenirs comme ils lui revenaient, et c’est bien sûr de cette façon que le lecteur doit approcher Conan.

Simon Sanahujas, décembre 2007

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