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Chapitre III Genèse des hauts grades du Rite Écos- sais Ancien et Accepté de 1730 à 1760 On sait qu’Étienne Morin est parti aux Antilles en 1763, muni de sa fameuse patente délivrée à Paris le 27 août 1761, semble-t-il par la Première Grande Loge de Paris, dite de France, qui gérait encore, et jusqu’en 1763, les hauts grades 1 . Investi d’un pouvoir sur l’ensemble des « sublimes degrés de la plus haute perfection », il a entrepris la mise au point ou, du moins, la diffusion d’un rite en 25 degrés, l’Ordre du Royal Secret, qui nous est plus connu sous le nom de Rite de Perfection. Le Manuscrit Francken de 1783 a été traduit de l’anglais 2 . Il existe deux autres versions de ce manuscrit, la plus ancienne date de 1771. Mais ce texte est lui-même la traduction en anglais du manuscrit dit de Saint-Domingue 3 qui a sans doute été colligé par Morin en 1. Pour plus de détails sur cette Patente controversée, voir Pierre Mollier, « Nouvelle Lumière sur la Patente Morin et le Rite de Perfection », in Renaissance Traditionnelle 110- 111, avril-juillet 1997, p.111-158. 2. Le Manuscrit Francken de 1783, présentation et traduction par Georges Lamoine, SNES Éd., 3 e trimestre 2007. Claude Guérillot, Le Rite de Perfection, Guy Trédaniel éd., 1993. 3. Issu de la collection Baylot et conservé à la Bibliothèque Nationale sous la côte Baylot 93

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Chapitre IIIGenèse des hauts grades du Rite Écos-sais Ancien et Accepté de 1730 à 1760

On sait qu’Étienne Morin est parti aux Antilles en 1763, muni de sa fameuse patente délivrée à Paris le 27 août 1761, semble-t-il par la Première Grande Loge de Paris, dite de France, qui gérait encore, et jusqu’en 1763, les hauts grades1. Investi d’un pouvoir sur l’ensemble des « sublimes degrés de la plus haute perfection », il a entrepris la mise au point ou, du moins, la diff usion d’un rite en 25 degrés, l’Ordre du Royal Secret, qui nous est plus connu sous le nom de Rite de Perfection. Le Manuscrit Francken de 1783 a été traduit de l’anglais2. Il existe deux autres versions de ce manuscrit, la plus ancienne date de 1771. Mais ce texte est lui-même la traduction en anglais du manuscrit dit de Saint-Domingue3 qui a sans doute été colligé par Morin en

1. Pour plus de détails sur cette Patente controversée, voir Pierre Mollier, « Nouvelle Lumière sur la Patente Morin et le Rite de Perfection », in Renaissance Traditionnelle 110-111, avril-juillet 1997, p.111-158.2. Le Manuscrit Francken de 1783, présentation et traduction par Georges Lamoine, SNES Éd., 3e trimestre 2007. Claude Guérillot, Le Rite de Perfection, Guy Trédaniel éd., 1993.3. Issu de la collection Baylot et conservé à la Bibliothèque Nationale sous la côte Baylot

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1764. De cet Ordre du Royal Secret est issu, on le sait, le Rite Écossais Ancien et Accepté qui va prendre son essor à Charleston en Caroline du Sud en 1801.

La « compilation » de Morin et Francken n’est pas la seule. D’autres l’ont précédée ou suivie. Peut-être est-il utile de reprendre la genèse des « hauts grades » et des rites ou systèmes qu’ils ont engendrés, du moins dans la limite de nos connaissances actuelles, car il reste bien des inconnues, que la découverte de nouveaux manuscrits pourrait per-mettre de résoudre.

Les hauts grades fl eurissent, notamment en France, à partir de 1740 et, peut-être même avant en Angleterre, dès 1730, avec la diff usion du 3e degré centré sur la légende d’Hiram dévoilée par Samuel Prichard4. Cette légende naît sans doute vers les années 1725-28 à Londres. Mais elle plonge ses racines dans des récits déjà présents dans des textes plus anciens, notamment le relèvement de Noé par ses trois fi ls, la communication des secrets par trois per-sonnes et le personnage d’Hiram5. C’est une fusion de lé-gendes qui a sans doute permis l’élaboration de la légende telle qu’elle apparaît au grand jour en 1730 et persiste au moins dans ses grandes lignes jusqu’à aujourd’hui.

FM 15. Voir Pierre Mollier, « Nouvelles lumières sur la patente Morin » in Renaissance Traditionnelle, n°110-111 p. 125-130, Jacques Léchelle et Pierre Mollier, « Le manuscrit Saint-Domingue 1764 à la source du manuscrit Francken » in Renaissance Traditionnelle, n°113 janvier 1998 p. 31-45, n° 114 avril 1998 p.123-152, et n° 120 octobre 1999, p. 234-277.4. Samuel Prichard, Masonry dissected, London, 1730, 1re traduction française (mais fautive faite à partir d’une traduction en hollandais) 1743 (L’origine et la déclaration mystérieuse des Francs-maçons), reprint Éd. Baucens, 1976. Philippe Langlet, « La Maçonnerie examinée en détails », in Les Textes fondateurs de la franc-maçonnerie, tome I, Dervy, Paris, 2006.5. Manuscrit Graham de 1726.

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Certains, comme Alain Bernheim6, estiment que, peut-être, les premiers hauts grades sont les deux degrés de l’Ordre Royal d’Écosse : Heredom de Kilwinnning et Chevalier Rose-Croix. Selon la légende, ce dernier degré aurait été institué7 par Robert de Bruce, à la Saint-Jean d’été 1314, sur le champ de bataille de Bannockburn, lors des combats pour l’indépendance de l’Écosse. Mais on n’a aucune trace de cet ordre jusqu’au xviiie siècle. Il est possible qu’en fait, ce degré soit apparu à Londres au début du xviiie siècle, avant de migrer en Écosse et en France. Le grade d’Heredom de Kilwinnning ne repose pas sur le mythe d’Hiram. Le texte est très hétéroclite. Citons les mots du rituel qui sont utilisés par ailleurs. Le Chapitre est présidé par Tirshatha8, la Bible ouverte au Livre des Juges. L’impétrant a été élevé par « les cinq points de la confrérie Hiram » et a reçu le mot Machaben (mot en MB) qui si-gnifi e le Créateur est mort. Son titre est Giblim et son nom Adoniram. Le mot de l’Ordre de Kilwinning est Jubilon. Sont glorifi és les neuf Muses, les neuf Ordres d’Anges, les sept jours de la Création, les sept Arts libéraux, sept Esprits se tenant devant le Trône de l’Agneau, les cinq divisions du temps, les cinq Ordres dans l’Architecture, les cinq points de la Confrérie, les trois termes du syllogisme et les trois côtés égaux du triangle équilatéral, et les trois Personnes

6. Alain Bernheim, Did écossais (early ‘high’) degrees originate in France ?, Heredom vol. 5, 1996, p. 87-114.7. ou réanimé, si selon le texte du rituel, il a « originairement été établi au sommet sacré du Mont Moriah en Judée ».8. Ce terme est parfois utilisé pour désigner le Très Sage d’un Chapitre de Princes Rose-Croix. Tirshatha (en hébreu אחשרחה), mot d’origine persane, est le titre donné à Néhémie et est habituellement traduit par gouverneur (Néhémie 8, 9 ; Néhémie 10, 1). On trouve ce mot aussi en Néhémie 7, 70, en Esdras 2, 63 ; Néhémie 7, 65 : « Le Tirshatha leur dit de ne pas manger du sacrement des sacrements jusqu’à ce que le desservant (qui qualifi e Esdras) se dresse aux Ourim et Thoumim ». Dans Néhémie 12, 26 , Néhémie est appelé pacha (החפ), terme d’origine assyro-babylonienne, que l’on traduit aussi par gouverneur. Ce titre de pacha est donnée à Shéshbatsar (Zorobabel) dans Esdras 5, 14.

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de la Sainte Trinité. On trouvera encore dans le rituel le nom d’Emmanuel, « Dieu avec nous », le nom de Noé et de ses trois fi ls, les sept Merveilles du monde, les trois per-sonnes nommées avant d’être nées (Bézaléel, Maher-Shala-Hash-Baz et le roi Cyrus le Grand), les deux personnes dites ne jamais être mortes (Hénoch et Élie). Il est un mot de passe, Zerubbbabel. On y décrit une fontaine s’écoulant d’un rocher. « Le Mot a été perdu aux fi ls des hommes quand le Sauveur descendit dans l’antre infernal », et fut retrouvé « quand Il revint victorieux, s’éleva sur les Péchés et la Mort, nos ennemis éternels ». Dans le rituel, le Mot désigne manifestement le Fils. Ce rituel, très copieux, précède logiquement celui de Rose-Croix. Il suit, sans en être la continuité, ceux des degrés symboliques. Il évoque largement Cyrus et Zerubbabel et la reconstruction du Temple.

Peu après la divulgation de Prichard, au moins dès 1733, apparaît à Londres une loge de Scotch Masons9, puis en 1735 des Scotch Masons ou Scots Masters à Bath10, puis en 1740 dans la loge londonienne At Queen’s Arms n°111. Selon Douglas Scot et G.P. Jones, ce degré était une « forme rudimentaire » du Royal Arch : « Il n’y a guère de doute que dans les années 1740 le Scots degree était une qua-

9. Étienne Gout, « La genèse de l’Écossisme Français », Ordo ab Chao n°30, second semestre 1994, p. 15. Alain Bernheim, « Did early « High » or Ecossais degrees originate in France ? », Heredom, vol. 5, 1996, p. 97 : « In Rawlinson’s manuscript list from the year 1733, Lodge No 115 met at the Devil Tavern Temple Bar, London, and was described as a Scotch Mason’Lodge. In Pine’s engraved list of 1734, tbe same lodge appeared as a Scott’s Masons Lodge. » Pierre Mollier, L’« Ordre Écossais » à Berlin, in Renaissance traditionnelle, n° 131-132, juillet-octobre 2002, p. 217 : « extrait du livre d’architecture de la loge de Bath, toujours en Angleterre qui relate, en 1735, que des frères ont été “faits et admis Maîtres Maçons Écossais” ». Eric Ward, « Early Masters’Lodges and their relation to degrees », A.Q.C. n° 75, p. 131. « Scots Masters and the Embryo R.A. », A.Q.C. n° 75, p. 155-181.10. Ibid., p. 97-98.11. Ibid., p. 98-99.

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trième cérémonie traitant de la reconstruction du Temple par Zorobabel »12. Ce degré de Maçons Écossais apparaît en France, au plus tard en 174313. Il est cité dans L’Ordre des Francs-Maçons trahis et leur secret révélé de l’abbé Pérau (et les autres ouvrages de cet auteur), dont la première édition date de 1742 ou 174314. Il est également mentionné dans Le Parfait Maçon ou les Véritables secrets des quatre Grade d’ap-prentis, Compagnons, Maîtres ordinaires et Maîtres Écossais de la Franche Maçonnerie de 174415. Mais Montesquieu en

12. Cité par Étienne Gout, note 5 in Ordo ab Chao n°35, premier semestre 1997, p. 82 : « Ce thème, bien connu des Maçons du Rite Écossais est essentiel dans le Royal Arck [sic] anglais, de même que la légende de la Voûte Sacrée. » Cf. Douglas Knoop et G.P. Jones, Gensesis of Freemasony, Manchester, 1947, chapitre XIII.13. Article 20 des Règlements Généraux votés le 11 décembre 1743 à Paris par la Grande Loge, lors de la tenue qui élit Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont, prince du sang, « Grand Maître de toutes les loges régulières de France », indique : « Comme on apprend que depuis peu quelques frères s’annoncent sous le nom de maîtres Ecossois, et forment dans Les Loges particulières des prétentions et exigent des prérogatives dont on ne trouve aucune trace dans les anciennes archives et coutumes des Loges répandues sur la surface de la terre ; La Gde Loge a déterminé affi n de conserver l’union et la bonne harmonie qui doit régner entre les F M. qu’à moins que ces maîtres Ecossois ne soyent offi ciers de La gde Loge, ou de quelque Loge particulière, ils ne seront considérés par les frères que comme les autres apprentifs et compagnons, dont ils doivent porter l’habillement sans aucune marque de distinction quelconque. », cité par Alain Bernheim in Travaux de Villard de Honnecourt, tome X, 1974, p.40 et 59 (transcription du MS réf. XX 239 Bibliothèque du GO des Pays-Bas, provenant de la collection Lerouge, n°334, et de celle du docteur G. Kloss.)14. Abbé Louis Gabriel Pérau dans L’Ordre des Francs-Maçons trahis et leur secret révélé, À l’Orient, s.d. (1743). Selon Paul Fesch (Bibliographie de la Franc-maçonnerie et des sociétés secrètes, Georges A. Deny, 1976, p. 1043) la première édition a paru en 1742 sous le titre Le secret des Francs-Maçons, Genève, 1742. On trouve (page 12 de la Préface nécessaire de l’édition de 1743) : « Je n’ignore pas qu’il court un bruit vague parmi les Francs-Maçons, touchant un certain ordre qu’ils appellent les Écossois, supérieur, à ce qu’on prétend, aux Francs-Maçons ordinaires, et qui ont leur secret à part ».15. « Au lieu de pleurer, comme le font leurs confrères, sur les débris du temple de Salomon, les Écossais s’occupent à le rebâtir. Personne n’ignore qu’après soixante et dix années de captivité dans Babylone… C’est sur ce grand événement que les Écossais tirent l’époque de leur institution » in Johel Coutura, Le Parfait Maçon – Les débuts de la Maçonnerie Française (1736-1748), Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1994, p. 61. Dans une autre divulgation de la même époque, La Franc-maçonne ou Révélations des mystères des Francs-maçons, par Madame***, Bruxelles 1744, il est également fait allusion à ce degré : « L’ignorance est si générale, que la plupart des maîtres et des surveillants ne savent pas encore que la maçonnerie est composée de sept grades, et la loge générale même a décidée à l’aveugle, le 11 décembre 1743, qu’elle ne regarderait les

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parle déjà à mots ouverts dans une correspondance de juin 173416.

Il faut aussi citer John Coustos, né à Berne, d’origine huguenote, initié sans doute à Londres en 1728. Il vint à Paris et, selon le procès-verbal de la loge Coustos-Villeroy du 30 avril 1737, fut vraisemblablement le fondateur de cette loge qui initia le duc de Villeroy, un familier du roi, le 14 février 173717. Le premier livre d’architecture connu est celui de cette loge et commence le 18 décembre 1738. Coustos quitte Paris pour Lisbonne en 1741. Du fait de la bulle In Eminenti du pape Clément XII du 24 avril 1738 excommuniant les francs-maçons, il fut arrêté par l’Inquisition portugaise à Lisbonne, le 14 mai 1743. Une

maçons du quatrième, c’est-à-dire les maîtres écossais, que comme de simples appentis et compagnons ». (in Johel Coutura, op. cit., p. 167). Dans cette même divulgation, il est décrit la réconciliation des deux derniers récipiendaires, « deux hommes d’Église, de parti contraire » (p. 163) mais un postulant juif a été a été refusé en raison de sa religion malgré le plaidoyer de son parrain. La divulgatrice se consola car elle, une femme, est « affranchie d’un grand préjugé qui captive encore ses maçons prétendus libres ». (p. 168-169). Alain Bernheim dans l’annexe II d’un article publié dans les Travaux de Villard de Honnecourt (Contribution à la connaissance de la Genèse de la première Grande Loge de France, Tome X 1974, p. 50-55), Statuts dressés par la RL St-Jean de Jérusalem le 24 juin 1745 donne la liste de ces premiers hauts grades : « Article XXXX : les Maîtres ordinaires s’assembleront avec les maîtres parfaits et irlandais trois jours après la St jean, les maîtres Élus six mois après, les Ecossois neuf mois après, et ceux pourvûs de grades supérieurs quand ils le jugeront apropos/. » (réf. BN, FM2 362 Dossier 1, Document 15, copie de 1778, certifi és « conforme à l’original par le Mte en Ch. de la R. L. de la P. U. à l’O. de Reims »)16. Jean-Pierre Crystal, Montesquieu et les débuts de l’Écossisme en France, in Renaissance Traditionnelle n°125, janvier 2001 : « Nous allons ajouter une autre date où s’est passé un fait singulier, les tout premiers jours de juin 1734 (avant le 5).Il est relaté dans une lettre de Montesquieu à Madame de Renel, la fi lle du maréchal de Berwick (qui fut tué le 12 juin de la même année)… Le passage suivant est à méditer : “Je vis hier monsieur l’abé qui me laissa une heure dans sa chambre avec un rituel pour m’amuser. Mais vous scavez qu’avec le foible que j’ay pour lui je me reduirois a bien d’autres épreuves”… Nous pensons que ce rituel n’est pas un rituel concernant la franc-maçonnerie des trois premiers grades, mais qu’il s’agit d’un rituel proche du “maître irlandais” que l’on retrouvera dans la première systématisation du rite de perfection tel qu’ont pu la connaître Morin et de Boulard dans les années 1740. »17. Selon Daniel Ligou, Dictionnaire de la franc-maçonnerie, op. cit., p. 305-306 et Bernard Jones, L’Arche royale des Francs-Maçons, trad. Georges Lamoine, Éd. de La Hutte, 2010, p. 74-76.

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fois libéré, il retrace ses interrogatoires dans un ouvrage : Procédures curieuses de l’Inquisition de Portugal contre les fr ancs-maçons18, publié en Angleterre à son retour en 1746, puis traduit en français. Les documents de l’Inquisition, découverts dans les archives de Torre do Tombo ont parus dans Acta Quatuor Coronati19. De sa confession des 21 et 26 mars 1743 sur les rituels maçonniques, il ressort qu’un Rite voisin de celui de l’Arche Royale devait être pratiqué probablement dès les années 1730 à Londres et que Coustos le connaissait20.

Le qualifi catif d’Écossais a, semble-t-il, d’abord désigné des frères ayant été initié à un rituel où il y a une arche et sous laquelle se trouvent des « paroles ». Un autre exemple peut conforter cette hypothèse. Le 21 avril 1746, le Frère Dutillet adresse de Versailles une lettre à Lamolère de Feuillas à Bordeaux, dans laquelle il écrit :  « Je suis bon É(cossois)… je serois en état de vous le prouver par les paroles qui sont sous la voute » et, par conséquent, « je ne dois pas être regardé comme sorti des E. batards dont je say également les opérations telles qu’elles se pratiquent à Paris et ailleurs »21. C’est à cette époque que fut créée à Bordeaux La Parfaite Loge d’Écosse dont, en 1750, les

18. John Coustos, Procédures curieuses de l’Inquisition de Portugal contre les francs-maçons, reprint de l’éd de 1803, Nabu Public Domain Reprints, 2010.19. A.Q.C. 76, p. 107-123 et A.Q.C. 81 : article du docteur S. Vatcher et du Révérend N.B. Cyer.20. Voir aussi Alain Bernheim, « Did early « High » or Ecossais degrees originate in France ? », Heredom, vol. 5, 1996, p. 104-105. Wallace Mc Leod, The sufferings of John Coustos, Bloomington, Illinois, The Masonic Book Club, vol. 10, 1979, p. 15-25 et Daniel Ligou, Le premier d’architecture de la maçonnerie française : Le registre Coustos-Villeroy (1736-1737), Bulletin du Grand Orient de France 51, p. 33-68, cités par Alain Bernheim, Une certaine idée de la franc-maçonnerie, Dervy, Paris, 2008, p. 73.21. Sitwell 1930/1, p. VII. Sharp Document 2, cité par Alain Bernheim, ibid., Dervy, 2008, p. 187.

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Offi ciers étaient Parfaits d’Écosse et possédaient le grade de Chevalier d’Orient22.

D’après Choumitzky : « En 1745, il (Morin) aurait créé la Loge Écoss [sic] de St-Jean-de-Jérusalem, de Bordeaux (Loge des Élus Parfaits ou Anciens Maçons [mauvaise lecture pour Maîtres] dits Écossais, Fondateurs de l’An-cienne Maîtrise en France) »23.

Il apparaît plausible et même vraisemblable que le grade de Maître Écossais, caractérisé par la voûte et la reconstruc-tion du Temple par Zorobabel, sous l’impulsion du roi Cyrus, soit apparu à Londres, puis ait été importé à Paris par Coustos ou/et quelqu’autre frère britannique initié outre-Manche vers 1736, et sensiblement à la même époque à Bordeaux, via L’Anglaise dont on admet qu’elle fut fondée le 27 avril 173224. Roger Dachez souligne que « dans l’his-toire des hauts grades en France, les Écossais se partagent, selon des voies encore partiellement obscures, entre Paris et Bordeaux… Les grades diff usés à partir des deux métro-poles de l’Écossisme se distinguent par leur contenu légen-daire et rituel… Le grade d’Écossais de Paris, ou des 3 JJJ, ou de Clermont (dont) le thème légendaire est le remplace-ment d’Hiram par Adonhiram – ce n’est aucunement un grade de la “Voûte” »25. On ne peut qu’être d’accord avec la première partie de cette assertion : il y a sûrement eu deux centres de l’Écossisme en France. Mais le rituel d’Écos-sais des 3 JJJ qui sert de référence à sa démonstration est

22. Le 24 juin 1746 selon Sitwell, cité par Alain Bernheim, ibid., p. 174.23. Nicolas Choumitzky, Étienne Morin, in Saint-Claudius, compte rendu 1927-1928, p. 25, cité par Alain Bernheim, ibid., p. 175.24. Alain Bernheim, ibid., p. 172.25. Roger Dachez, « Les plus anciennes constitutions de Hauts Grades : la patente d’Écossais des Trois JJJ d’André de Gilly de 1747 », in Renaissance traditionnelle, n° 131-132, juillet-octobre 2002, p. 234.

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de 1745, et la patente de 1747. Or, au moins dès cette date, les degrés se sont multipliés : Maîtres Parfait et Irlandais, Maîtres Élus, Maîtres Écossais26. Rien ne permet donc de dire que le Maître Écossais arrivé à Paris, peut-être dès 1738 avec Coustos, ne repose pas sur le thème de la voûte. Par ailleurs, comme le montre très bien Roger Dachez dans un précédent article, le thème du remplacement d’Hiram par Adoniram qui est celui du rituel d’Écossais des 3 JJJ est celui de Maître Installé telle qu’il était pratiqué par «  la Maçonnerie irlandaise à ses débuts et que cette qualité était requise pour accéder à l’Arc Royal27. Il est donc pos-sible qu’il y ait eu importation de ces deux degrés en France dans les années 1740. Le degré d’Écossais des 3 JJJ donnera, sous forme très altérée, le 8e degré du Rite de Perfection et du RÉAA, Intendant des Bâtiments ou Maître en Israël (dit aussi Maître Écossais des 3 JJJ). Le nom d’Adoniram, à la place d’Hiram, qui ensuite prêtera à confusion (cf. Le recueil précieux de la Maçonnerie Adonhiramite de Guillemain de Saint-Victor28 et le célèbre récit de Gérard de Nerval où l’ar-chitecte se nomme Adoniram et non Hiram29) est utilisé, semble-t-il, pour la première fois par Léonard Gabanon (Louis Travenol) dans Le Catéchisme des Francs-Maçons

26. Alain Bernheim dans l’annexe II d’un article publié dans les Travaux de Villard de Honnecourt (Contribution à la connaissance de la Genèse de la première Grande Loge de France, Tome X 1974, p. 50-55), Statuts dressés par la RL St-Jean de Jérusalem le 24 juin 1745 donne la liste de ces premiers hauts grades : « Article XXXX : les Maîtres ordinaires s’assembleront avec les maîtres parfaits et irlandais trois après la St jean, les maîtres Elus six mois après, les Ecossois neuf mois après, et ceux pourvûs de grades supérieurs quand ils le jugeront a propos/. » (réf. BN, FM2 362 Dossier 1, Document 15, copie de 1778, certifi és « conforme à l’original par le Mte en Ch. de la R. L. de la P. U. à l’O. de Reims »).27. Roger Dachez, « Les origines de l’Installation secrète en Grande-Bretagne et en Irlande et sa diffusion en France, du XVIIIe siècle à nos jours. », in Renaissance traditionnelle, n°100, octobre 1994, p. 225-241.28. Guillemain de Saint-Victor, Le recueil précieux de la Maçonnerie Adonhiramite, Philadelphie 1783, reprint de Les Rouyat, 1975.29. Gérard de Nerval, Histoire de la Reine du Matin et de Soliman, prince des Génies in Voyages en Orient, Carpentier, Paris 1851.

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en 174430. On soulignera, avec Roger Dachez, que le thème de la transmission d’un secret spécifi que à la chaire de Maître Installé, qui s’est développé à Paris et en province (Marseille, Avignon), renvoie à une source anglaise et fait référence à des « Chevaliers Écossais ». Il est également certain que le « statut des Vénérables en France, (souvent nommé ad vitam), est bien diff érent de ceux des Vénérables des loges britanniques, qui se renouvelaient souvent encore à cette époque, tous les six mois à Londres »31.

Un « Ordre Écossais » apparaît à Berlin avec la fon-dation, le 30 novembre 1742, de la Très Respectable Société des Maîtres Écossois de la Très Vénérable et Très Respectable Loge de l’Union. Cet ordre a la particularité de délivrer, dès l’année suivante au plus tard, un degré de Chevalier Écossais avec adoubement, en plus du degré de Maître Écossais32. La majorité des fondateurs de cette loge sont français, et Pierre Mollier se demande si « ce nouveau grade serait une des traductions maçonniques de la mode française qui règne alors sans partage à Berlin », ou « s’il n’était pas français, ce grade de Maître Écossais pourrait-il être, comme la ma-çonnerie elle-même, d’origine britannique ? L’appellation de certains offi ciers de la loge écossaise peut le faire penser. Les dénominations d’“Aîné Surveillant” et de “Jeune Surveillant” qu’affi chent les tableaux, sentent la traduc-tion littérale récente des traditionnelles “Senior Warden”

30. Roger Dachez, ibid., p. 233.31. Roger Dachez, ibid., p. 234.32. Pierre Mollier, « L’Ordre Écossais » à Berlin de 1742 à 1751 », in Renaissance Traditionnelle n° 131-132, juillet-octobre 2002, p. 217-227 : « Le Très Vénérable Passé Maître Frère Fabris a créé le nouveau Maître en Chaire Frère Roman Chevalier de l’Ordre Écossais par trois coups d’épée qu’il lui a donnés en croix sur le dos avec ces paroles, je vous crée et fait Chevalier de l’Ordre Écossais par ces trois coups dont le premier est pour le Roi le second pour le patron et le troisième coup est pour la loge puis l’a revêtu de l’Ordre Écossais. », p. 222.

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et “Junior Warden” d’Outre-Manche, quant à l’offi ce de “Stuart de la loge” le terme dut paraître intraduisible »33.

Ainsi, contrairement à l’idée souvent admise, il semble bien que le 1er degré « Écossais » soit apparu à Londres, peu après le 3e, et soit centré, comme le Royal Arch et comme les 15e et 16e degrés actuels du RÉAA, sur le deuxième temple et sur Zorobabel. On sait que le Royal Arch ne sera en quelque sorte offi cialisé qu’en même temps que la céré-monie d’installation du Vénérable Maître en 175634. Dans Ahiman Rezon que Laurence Dermott publie en 176035, seront clairement défi nis les deux grades de Maître Installé et de L’Arche Royale.

Si l’on suit, entre autres, Michel Piquet36, il y a en France, dans les années 1740-1750, une fl oraison de hauts grades et, parmi eux, bon nombre ont développé et pour-suivi la légende d’Hiram, notamment les grades d’Élus, ou de Vengeance, ceux qui ont donné les 9e, 10e et 11e degrés du RÉAA37. Toutes les sources concordent. Par contre, dire que ceux-ci peuvent être regroupés sous le qualifi catif de Maçons Écossais est pour le moins hasardeux. On a vu que

33. Ibid., p. 221-222.34. Laurence Dermott, Ahiman Rezon, éd. bilingue Georges Lamoine, éd. SNES, 1997 : Ahabeth Olam, prière de l’Arche Royale « Cette partie de la maçonnerie communément appelée Arche Royale (qui est, je le crois fermement le cœur, etc. ». Il faut pour y accéder avoir occupé la chaire de façon régulière, ajoute Dermott.35. Apparaît dans ce texte la notion d’une cérémonie de Maître Installé et d’un 1er degré complémentaire à la Maîtrise, le Royal Arch, dans lequel il faut être trois pour prononcer la Parole.36. Michel Piquet, « Organisation des Hauts Grades en France », Ordo ab Chao n°30, second semestre 1994, p. 73-98.37. Selon Claude Gagne « le nombre de degrés apparus en France entre 1740 et 1765 est de l’ordre de deux cents » (in Ordo ab Chao n° 51, 1er semestre 2005, p. 11). Ragon en dénombre plus de 1400 : Nomenclature de 75 maçonneries, 52 rites, 34 ordres dits maçonniques, 26 ordres androgynes, 6 académies maçonniques et de plus de 1400 grades in J.-M. Ragon, Tuileur général de la Franc-maçonnerie ou Manuel de l’Initié, Collignon, Paris, 1862, p. 335. Nouvelle édition en fac-simile, Télétès, 2000.

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ce terme a d’abord qualifi é les Maçons qui s’occupaient à reconstruire un Temple sous Zorobabel. Soulignons aussi que les termes de Maçon Anglais ou de Maître Irlandais ou encore Maître Écossais des Trois JJJ ou des Trois Iod, utilisés à l’époque, désignent des degrés appartenant aujourd’hui aux Loges de Perfection (respectivement Secrétaire Intime, Prévôt et Juge, Intendant des Bâtiments), sans que l’on connaisse l’origine de ces qualifi cations « géographiques ». Comme on le sait, par exemple pour le Chevalier Kadosch de Londres, aucune de ces dénominations de lieu ne peut désigner avec certitude l’origine du grade. Le Maçon Écos-sais ne vient sans doute pas d’Écosse ! Il va s’incorporer aux loges des Chevaliers d’Orient et, à ce degré, va s’adjoindre, et le coiff er, le grade de Prince de Jérusalem, l’actuel 16e degré du RÉAA.

Autre argument pour conforter l’origine anglaise de notre Chevalier de l’Orient et de l’Épée : les mots Stabuzanes et Strabunazzai qui sont des faux sens issus de premières traductions en anglais de la Bible, la Wycliff e’s Bible de 1395 et imprimée en 1525 par William Tyndale, et celle de Dhouay-Rheims de 161038.

Parallèlement, des grades divers, prenant racines dans d’autres légendes, foisonnent et seuls quelques-uns, comme le Chevalier d’Orient et d’Occident ou le célèbre « Rose-Croix », passeront à la postérité et seront retenus, après 1762, par Étienne Morin et Henry Andrew Francken, pour former l’Ordre de Prince du Royal Secret, encore appelé Rite de Perfection, en 25 degrés, ancêtre du Rite Écossais Ancien et Accepté en 33 degrés. Dans le même temps se forme le

38. Voir Annexe.

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Rite Français qui ne retient que 4 degrés supérieurs39. Mais celui-ci ne sera fi xé qu’en 1786 par le Grand Orient.

Ajoutons encore que le célèbre discours de Ramsay, dont la première version date sans doute de décembre 1736, ne vient donc pas induire une maçonnerie des hauts grades : elle existe déjà et les thèmes chevaleresques qu’il préconise sont déjà utilisés. Mais est-ce un hasard  : notre chevalier avait écrit en 1727 les Voyages de Cyrus ou Nouvelle Cyropédie40, ouvrage didactique pour l’éducation des princes, fait sur le modèle du Télémaque de son maître Fénelon et de la Cyropédie ou Éducation de Cyrus de Xénophon. On ne sait pas avec certitude si Ramsay a été initié avant, en 1725 ou 1726 en France, ou en 1727 à Westminster, après la rédaction de cet ouvrage, mais on a pu noter des allu-sions à la maçonnerie et même à la maîtrise dans ce récit41

39. Élu (4e grade - 1er ordre), Écossais (5e grade - 2e ordre), Chevalier d’Orient (5e grade - 3e ordre), Rose-Croix (7e et dernier grade - 4e et dernier ordre).40. Michael Ramsay, Les Voyages de Cyrus avec un discours sur la Mythologie, 2 vol. Paris, Guillau, 1727, nouvelle éd. 1753. Éd. critique établie par Georges Lamoine, Honoré Champion, 2002.41. Claude Antoine Thory, Acta Latomorum ou Chronologie de l’histoire de la franc-maçonnerie française et étrangère, Pierre-Elie Dufart, 1875, tome 1, p. 23 : « Cette année (1728) le chevalier baronnet écossais Ramsay jette, à Londres, les fondements d’une Maçonnerie nouvelle qu’il fait descendre des croisades, et dont il attribuait l’invention à Godefroid de Bouillon. Il prétendait que la Loge de St-André, à Édimbourg, était le chef-lieu du véritable Ordre des Francs-Maçons, lesquels étaient les descendants des chevaliers des croisades. Il conférait trois grades, Écossais, le Novice et le Chevalier du Temple. Ramsay prêche une reforme basée sur sa découverte ; on rejette cette doctrine. » Albert Chérel, Un aventurier religieux au XVIIIe siècle - André Michel Ramsay, Lib académique Perrin, 1926 : « La captivité et la délivrance d’Aménophis, au livre III, ne serait-elle pas allégoriques de l’initiation maçonnique ? » p. 163-164. Pierre Chevallier, Histoire de la franc-maçonnerie française, Tome I, Fayard, 1974, p. 76. Pierre Chevallier, Les ducs sous l’acacia – Les premiers pas de la franc-maçonnerie française 1725-1743, Lib. philosophique Vrin, 1964 p. 140-141. André Kervella, Le Chevalier Ramsay – Une fi erté écossaise, éd. Véga, 2009, p. 7 qui ouvre l’ouvrage : « Le chevalier André-Michel de Ramsay serait l’une des colonnes de la franc-maçonnerie ». Mais aussi p. 223 : « Éliminons un premier cliché. Il est faux de croire que les thèmes chevaleresques sont introduits par Ramsay dans le huis clos des loges. » Citons, avec Kervella, quelques passages des Voyages de Cyrus : « Le jour suivant Cyrus accompagna le Roy de Tyr à Byblos pour célébrer les fêtes de la

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qui est traduit dès 1730 en anglais42. On notera enfi n que ce livre se termine sur une citation d’Esdras 1, 2-3, qui est incluse telle quelle dans le rituel de l’Arche Royale : « Le seigneur du Ciel m’a donné tous les Royaumes de la terre, et m’a commandé de lui bâtir une Maison dans la Ville de Jérusalem qui est en Judée. Ô vous qui êtes son Peuple, que vôtre Dieu soit avec vous  : allez à Jérusalem, et rebâtissez la Maison du Seigneur Dieu d’Israël, lui seul est Dieu »43.

Dans son célèbre Discours, neuf ans plus tard, Ramsay reviendra sur ce thème : « Après la destruction du premier temple et la captivité de la nation favorite, l’oint du Seigneur, le grand Cyrus qui était initié dans tous nos mystères constitua Zorobabel grand-maître de la loge de Jérusalem, et lui ordonna de jeter les fondements du second

mort d’Adonis. Tout le peuple en deuil entre dans une caverne profonde, où le simulacre d’un jeune homme repose sur un lit de fl eurs & d’herbes odoriférantes ; on passe des journées entières en prières & en lamentations ; ensuite la douleur publique se change en joye ; les chants d’allégresse succèdent aux pleurs ; on entonne partout cet Hymne sacrée : Adonis est revenu à la vie, Uranie ne le pleure plus ; il est remonté vers le Ciel, il descendra bientôt sur la terre pour en bannir à jamais les crimes & les maux. » (éd. 1753, Tome II, Livre Septième, p. 80-81). L’allusion à Hiram pourrait sembler évidente mais en fait, comme le note Ramsay lui-même, on peut faire le rapprochement avec Osiris et ce « Dieu mitoyen » n’est pas sans rappeler le Christ. Le propos de Ramsay est de montrer l’unité de toutes les religions, ce qui sera le programme maçonnique. Un autre passage évoque le décor de notre 13e degré, Chevalier de Royale Arche, et l’Arche Royale : « Dans une grande enceinte, au milieu d’un bois sacré, s’élève un magnifi que bâtiment. On entre d’abord par un portique de vingt colonnes de Granite oriental ; la porte est de bronze d’une riche sculpture ; deux grandes fi gures ornent le portail, l’une représente la vérité, l’autre la justice. L’intérieur est une voûte immense, éclairée seulement par le haut, pour dérober à la vue tous les objets du dehors, excepte celui du ciel ; le dedans du Temple est un Péristyle de porphyre, & de marbre numide. « (éd. 1753, tome II, Livre Sixième, p. 2). En fait le thème de la voûte sacré qui est au centre de ces degrés est déjà présent chez l’abbé Prévost : voir infra. Jacques Brengues in Daniel Ligou, Dictionnaire de la franc-maçonnerie, PUF, 1987, 2e éd. mise à jour, p. 1000 : « Les ouvrages de Ramsay, notamment Les voyages de Cyrus (1727) peuvent être fructueusement soumis à une critique maçonnique : idéologie, symbolisme, historique, signifi cation initiatiques et rituelle ».42. The Travels of Cyrus, édition bilingue, Jacques Bettenham, Londres, 1730.43. Michael Ramsay, Les Voyages de Cyrus avec un discours sur la Mythologie, 2 vol., Paris, Guillau, 1727, nouvelle éd. 1753, Tome 2, p. 179.

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temple où le mystérieux Livre de Salomon fut déposé. Ce Livre fut conservé pendant douze siècles dans le temple des israélites, mais après la destruction de ce second temple sous l’empereur Tite et la dispersion de ce peuple, ce livre antique fut perdu jusqu’au temps des croisades, qu’il fut re-trouvé en partie après la prise de Jérusalem. On déchiff ra ce code sacré et sans pénétrer l’esprit sublime de toutes les fi gures hiéroglyphiques qui s’y trouvèrent, on renouvela notre ancien Ordre dont Noé, Abraham, les patriarches, Moïse, Salomon et Cyrus avaient été les premiers grands-maîtres. Voilà, messieurs, nos anciennes traditions. Voici maintenant notre véritable histoire »44. L’essentiel du 15e degré, comme de celui de la découverte d’un texte perdu, puis retrouvé dans les ruines du Temple, sinon dans une voûte, est écrit en 1736 par Ramsay, alors que ce thème est déjà présent, sans doute dans le degré de Scot Master ou de Maître Écossais. Alain Bernheim revient sur les sources de Ramsay45. Après avoir analysé les diff érences entre les ver-sions manuscrites et imprimées dont nous disposons au-jourd’hui et rappelé qu’au xviiie siècle le plagiat n’est pas un péché capital46, il détaille les « emprunts » de Ramsay à son maître Fénelon, et, pour ce qui concerne la reconstruc-

44. Le Discours de Ramsay (1736) d’après le manuscrit 124 de la Bibliothèque munici-pale d’Épernay. Ce passage ne fi gure pas dans d’autres versions du Discours.45. Alain Benrheim, “ Ramsay and his Discours revisited ”, Acta macionica, vol. 14, 2004, p. 111-134.46. « Ramsay appears to have been a plagiarist – which wasn’t considered a capital sin along the 18th Century », ibid., p. 117.

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tion du Temple et la voûte, aux Constitutions d’Anderson de 172347,à Philostorge48 et à Claude Fleury49.

Pour être complet, on ne peut que citer encore André Kervella50 qui note les coïncidences, pour le moins étranges, entre le rituel de l’Arche Royal et certains passages des Mémoires et aventures d’un homme qualité de l’abbé Prévost, parues en 172851, où le héros découvre une voûte et avec deux ouvriers descelle des pierres pour y descendre52. Soulignons encore que l’abbé Prévost, curé défroqué en fuite, est à Londres en 1728, en même temps que Ramsay53 !

Le thème de la voûte souterraine dont l’entrée se fait par une pierre, la clé de voûte, ou pierre qui vire, ou encore pierre tournante, est un grand « classique ». La première version, attestée remonte à Philostorge  : c’est le récit de la décou-

47. Anderson, dans l’introduction et dans la partie historique de ses Constitutions, parle longuement du « grand Cyrus » et de Zorobabel mais ne mentionne rien sur la voûte.48. Philostorge est un historien ecclésiastique du début du Ve siècle originaire de Cappadoce qui vécut à Constantinople. Photius est un homme d’État byzantin du IXe siècle, patriarche de Constantinople, qui est considéré par les orthodoxes comme un des Pères de l’Église et par les Romains comme le principal responsable du schisme du IXe siècle. Il a écrit la Bibliothèque ou Myriobiblion, collection de 280 notices (ou codex) sur différentes œuvres littéraires, notamment religieuses et un Abrégé de l’Histoire de l’Église de Philostorge.49. Claude Fleury, Histoire ecclésiastique, précédée du Discours sur cette histoire, 20 volumes, 1691. Fleury a repris le texte de Phiostorge, in Jean Mariette éd., 1704, tome 4, p. 89-90 et éd. de 1820, vol. 4, p. 94-95.50. André Kervella, Le chevalier Ramsay, op. cit., p. 141.51. On notera que l’abbé Prévost, auteur de la célèbre Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, en fuite pour avoir quitté son monastère sans autorisation et frappé d’une lettre de cachet, est à Londres en 1728. Ramsay fait à la même époque un voyage en Angleterre ; il fut admis à la Royal Society et fut fort probablement initié franc-maçon à la Horn Lodge en mars 1730. Se sont-ils rencontrés à Londres ? Mais leurs textes portent en germe les futurs rituels des hauts-grades et se réfèrent sans nul doute à une culture commune des lettrés de l’époque.52. Abbé Prévost, Mémoires et aventures d’un homme qualité, éd. de 1783, tome 1, p. 252-253. Voir annexe 3.53. Il n’est pas le seul à être à Londres à cette époque : Voltaire, interdit de séjour en France, y résidera de mi-mai 1726 à l’automne 1728. Montesquieu y séjournera près de 2 ans en 1730-31.

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verte d’un livre au fond d’une crypte. Le texte résumé se trouve dans l’Abrégé de l’Histoire de l’Église de Philostorge par Photius de Constantinople, traduit par Louis Cousin en 167654. Dans ce texte, connu donc des lettrés de l’époque et a fortiori des rédacteurs des rituels, on trouve une thé-matique très proche de celle des rituels que nous venons de voir : construction ou reconstruction du Temple, – l’action se situe après la destruction du dernier Temple, au ive siècle après J.-C. et l’empereur Julien envisage sa reconstruction ; les ouvriers découvrent une crypte, pénètrent après avoir déplacé la clé de voûte ; l’un d’eux descend attaché par une corde et trouve une colonne sur laquelle se trouve un livre qui, une fois remonté, se révèle comme étant l’Évangile de Jean et le texte en rappelle le début du Prologue : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. »55 Les similitudes sont donc grandes et on est en droit de dire que ce thème a servi de base à la rédaction des rituels.

Dans le Sceau rompu ou la loge ouverte aux profanes par un Franc-maçon, paru en 174556, on peut lire :

54. Photius de Constantinople, Abrégé de l’Histoire de l’Église de Philostorge, trad. Louis Cousin, 1676, Livre VII, ch. 14, p. 683-684. Voir Annexe 3. Le texte de cet Abrégé de l’Histoire de l’Église a été publié en grec avec traduction en latin en 1673 par Henri de Valois. Il était donc bien connu des lettrés de l’époque. Les Éditions Sources Chrétiennes doivent prochainement publier une traduction commentée de l’œuvre de Philostorge. Harry Carr dans Lumière sur l’Arche Royale, Discours donné devant les membres du Chapitre London de Premiers Principaux, n° 2712 (trad. de Gilles Chiniara), précise : « En excluant les détails mineurs, il est possible de retracer les bases de la cérémonie de l’Arche Royale à deux histoires : 1. L’histoire biblique véridique décrivant le retour de Babylone et la construction du Temple. 2. La légende ancienne décrivant la découverte du caveau voûté, de l’autel et du Mot Sacré. »55. Le texte que retrouvent les impétrants à l’Arche Royale est le début de la Genèse 1, 1-3 et non du Prologue de Jean : « Au commencement Dieu créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide ; il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. Dieu dit : Que la lumière soit ! et la lumière fut. »56. Le Sceau rompu ou la loge ouverte aux profanes par un Franc-maçon, reprint éd. du Prieuré, 1994, p. 19-20.

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« Pendant les guerres de la Palestine, quelques Princes croisés formèrent le dessein de rétablir le Temple de Jérusalem, et de ramener l’Architecture à sa première institution. Il ne s’agissoit plus d’une construction ma-térielle ; c’étoit spirituellement qu’ils vouloient bâtir, & dans le cœur des Infi dèles. Ils s’assemblèrent dans cet esprit, et prirent pour se reconnoître le nom de Chevaliers Maçons libres.Ils convinrent ensemble du Signe de l’attouchement & de quelques mots Symboliques. Ces caractères distinc-tifs ne se communiquoient qu’à des personnes qualifi ées & au pied des Autels, avec Serment de ne les révéler qu’à un Chevalier Frère, après un mur examen. Ils donnèrent à leurs Assemblées le nom de Loges, en mémoire des divers campements que les Israélites fi rent dans le désert, & pour retracer la manière dont ils rebâtirent ce second Temple (ce qu’ils fi rent en tenant d’une main la Truelle, & l’Epée de l’autre) ils adoptèrent dans leurs cérémonies quelque chose de cet usage. »

Le degré de Chevalier Kadosch semble être apparu en France vers 1750 au sein de l’Ordre des Chevaliers Élus57. Il est attesté à Quimper et à Poitiers, comme l’ont montré André Kervella et Philippe Lestienne58. Ce rituel proche du rituel actuel du 30e degré du RÉAA prolonge et achève le cycle des degrés de Vengeance et d’Élection de la Loge de Perfection. Il explique la curieuse apparition du titre de chevalier au 11e degré et la reprise dans le dialogue d’ou-verture des travaux de référence au 9e degré actuel (grotte,

57. Et non à Lyon en 1743, comme le laisse entendre C.A. Thory.58. André Kervella et Philippe Lestienne, « Un haut-grade templier dans les milieux jacobites en 1750 : l’Ordre sublime des Chevaliers Élus aux sources de la Stricte Observance », Renaissance Traditionnelle n°112, oct. 1997, p. 229-266. Voir aussi Pierre Mollier, « Les rituels de la Maçonnerie templière : un cycle légendaire au Siècle des Lumières », Renaissance Traditionnelle n°129, janv. 2002, p. 29-39.

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fontaine, lampe, etc.). Ce rituel «  primitif  » permet de comprendre pourquoi on retrouve le terme d’Élu pour dé-signer le Chevalier Kadosch, et le titre hébreu de Kadosch qui vient, non pas d’un qualifi catif accordé aux Templiers, mais d’une désignation des Maîtres Élus par Salomon.

Pour résumer ces quelques aperçus sur la genèse de l’Ordre du Royal Secret, dit Rite de Perfection, nous dirons qu’il semble que le 3e degré et les premiers hauts grades soient nés probablement à Londres59 et qu’ils aient concerné la construction, puis la reconstruction, du Temple de Jérusalem par Salomon et Hiram, puis par Zorobabel. La prolongation de la légende d’Hiram, probablement en France, a donné naissance à des degrés de vengeance et à d’autres degrés salomoniens (construction d’un mausolée pour Hiram, formation de maîtres pour l’achèvement du Temple, dédicace de celui-ci, fi n de vie de Salomon). Et c’est pour couronner les grades de vengeance qu’a été créé le degré de Kadosch. Les autres degrés, notamment les 17e, 18e60 et les nombreux degrés de l’aréopage ont été incor-porés par la suite et choisis parmi les multiples rituels qui

59. On peut lire in Fifi eld d’Assigny, Cinq documents maçonniques irlandais 1741-1744, Enquête sérieuse et impartiale sur la cause du déclin actuelle au Royaume d’Irlande (Dublin, 1744), trad. Georges Lamoine, Éd. de La Hutte, 2008, p. 143-145 : « Je le prouverai par l’exemple d’un individu propageant un faux système, voici quelques années, qui trompa plusieurs dignes personnes, prétendant être Maître de l’Arche Royale, qu’il affi rmait avoir apportée de la ville d’York ; et disant que les beautés de la Maçonnerie consistaient principalement en la connaissance de cette précieuse pièce de Maçonnerie. Il continua son manège pendant plusieurs mois et nombreux furent ceux qui le suivirent parmi les sages et les savants, jusqu’à ce qu’enfi n son art fallacieux soit mis à jour par un frère probe et sage qui peu de temps auparavant était arrivé à cet excellent passage de Maçonnerie à Londres ; et il prouva de façon claire que sa doctrine était fausse… » 60. Le grade de Prince Rose-Croix recouvre bon nombre de rituels qui, parfois, n’ont rien à voir avec le rituel que nous connaissons. Il n’est qu’à lire le rituel proposé par le baron Tschoudy, auteur de L’Étoile Flamboyante in Rituel des grades alchimiques du baron Tschoudy, Éd. de La Hutte, 2009.

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ont été rédigés à l’époque sur des thématiques diverses, apocalypse, alchimie etc.

Tentatives d’organisation des hauts grades en FranceRagon dénombre quantité de rituels de hauts grades ré-

partis en « 75 maçonneries, 52 rites, 34 ordres dits maçon-niques, 26 ordres androgynes, 6 académies maçonniques et de plus de 1400 grades »61. Il est impossible de citer et encore moins d’étudier tous ces rituels de hauts grades ou de degrés complémentaires. Les diverses Loges Mères et autres autorités maçonniques ont tenté de clarifi er les sys-tèmes, de les encadrer, de les régir, au prix d’anathèmes.

Le 11 décembre 1743, Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont, prince du sang est élu «  Grand Maître de toutes les loges régulières de France  » par une assemblée de 16 maîtres, succédant à Louis de Pardaillan de Gondrin, duc d’Antin, élu le 24 juin 1738, et qui venait de mourir. Comme on l’a vu plus haut cette même Grande Loge fustige alors les premiers hauts grades «  Écossais  ». Le comte de Clermont assurera cette charge jusqu’à sa mort, le 16 juin 1771. Durant les 38 ans de sa charge, sa position ou, du moins, celle de cette Grande Loge qu’il dirige, va évoluer. Il n’est pas question pour nous de rependre ici par le détail l’histoire des organismes maçonniques qui régissent les loges et les hauts grades. On se référera à des auteurs plus qualifi és, notamment Pierre Chevallier62, René

61. Nomenclature de 75 maçonneries, 52 rites, 34 ordres dits maçonniques, 26 ordres androgynes, 6 académies maçonniques et de plus de 1400 grades in J.-M. Ragon, Tuileur général de la Franc-maçonnerie ou Manuel de l’Initié, Collignon, Paris, 1862, p. 335.62. Pierre Chevallier, Histoire de la Franc-maçonnerie française, tome 1 : La Maçonnerie : École de l’Égalité 1725-1799, Fayard, Les Grandes études historiques, 1974.

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Desaguliers63, Alain Bernheim64 et Daniel Kerjan65. Alain Bernheim pose l’idée, que nous évoquions plus haut, d’une dualité dans la continuité du 3e grade  : reconstruction du Temple ou vengeance66. Soulignons que le thème des Templiers n’apparaît pas dans le discours de Ramsay et n’a été utilisé que dans des versions plus tardives du Kadosch67. Il nous semble, répétons-le encore, que le premier des hauts grades soit la légende du Royal Arch et que le double thème soit la reconstruction du Temple et la voûte. L’Élection et la Vengeance semblent venir après.

Selon Bernard Dat68, depuis 1748 existent des Conseils de Chevaliers d’Orient, grade alors le plus éminent.

63. René Desaguliers in Renaissance Traditionnelle, La Grande Loge de Paris dite de France et les autres grades de 1756 à 1766, n° 86 d’avril 1991 : 1. Les Écossais Trinitaires ; n°89 de janvier 1992 : 2. La Grande Loge des Maîtres réguliers de Lyon puis Grande Loge ; n°90 d’avril 1992 : 3. L’affaire de la Loge du Parfait Silence à l’Orient de Lyon.64. Alain Bernheim, Une certaine idée de la franc-maçonnerie, Dervy, Paris, 2008, Naissance et développement des Hauts Grades en France et aux Colonies jusqu’au milieu du XVIIIe siècle et Quinze ans après, p. 171-215.65. Daniel Kerjan, « Les années diffi ciles de la Grande Loge de France : 1760-1771 », Renaissance Traditionnelle n°156, octobre 2009, p. 210-248.66. Ibid., p. 170 : « qu’une dualité fondamentale va s’établir au sein même de l’Écossisme à Paris et sera documentairement prouvée dès 1747, nous voudrions indiquer que cette fi n du jacobitisme parisien peut ne pas avoir été sans rapport avec le thème des grades vengeance. Qu’on nous entende bien : nous ne pensons pas soutenir l’idée que le thème du IIIe grade doive se comprendre comme une allusion à la mort de Charles Ier mais suggérer que l’idée de vengeance qui est sous-jacente à une série de grades d’Élus, peut trouver là son origine... C’est dans la manière de continuer le thème de la mort de l’architecte H ; qu’une bifurcation se manifeste : est-ce le mérite qui servira à sélectionner les Frères destinés à remplacer à plusieurs celui qui a été assassiné ? On suivra alors seulement l’Ancien Testament et les thèmes dérivant du second temple par Zorobabel. Le secret sera alors retrouvé car il était seulement égaré. Est-ce au contraire le thème de la vengeance du meurtre qui dominera, le secret ayant été défi nitivement perdu ? Les Templiers viendront alors se substituer aux maçons et Jacques de Molay à la légende d’H. »67. Même si la référence aux templiers existe dès les tous premiers rituels de 1750, il n’est pas question de vengeance de Jacques de Molay. Ce n’est qu’à partir de la « réapparition d’un rituel de Kadosch en mars 1761 à Metz dans la loge Les Parfaits Amis que la légende templière s’affi rme et que la mort d’Hiram préfi gure celle de Jacques de Molay, Grand Commandeur du Temple.68. Bernard Dat, Recherche sur le grade de Grand Élu, ou Chevalier Kadosh, Cahiers de la Commission de l’Histoire, Fédération Française du Droit Humain, n°6, juillet 2002, p.

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Apparaissent ensuite de nouveaux degrés qui veulent coiff er celui de Chevalier d’Orient, comme le Chevalier du Soleil et le Chevalier Kadosch. Si l’on suit la chronologie de Th ory69, en 1758 est fondé le Conseil des Empereurs d’Orient et d’Oc-cident, Sublime Mère Loge Écossaise, qui entend lui aussi régir les hauts grades et qui s’opposa vivement au Conseil des Chevaliers d’Orient dont il était issu, car celui-ci en refusait la multiplication et la propagation du degré de Chevalier Kadosch. En 1762, le frère Pirlet tente d’imposer le grade de Grand Empereur d’Orient70, ce qui générera le Souverain Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident après avoir intégré le grade de Chevalier d’Occident, puis accepté le grade de Chevalier Kadosch, Grand Inspecteur, qui sera le dernier degré jusqu’en 176671. D’autres frères, en opposi-tion avec Pirlet et le système templier de la Maçonnerie de Perfection, réveillent l’ancien Conseil parisien des Chevaliers d’Orient sous le titre de Souverain Conseil des Chevaliers d’Orient de France. Celui-ci n’accepte qu’un nombre plus restreint de grades72. C’est ce dernier Conseil qu’inté-grera le baron Tschoudy en 1766, avant de créer l’Ordre de l’Étoile Flamboyante73, qui n’a que cinq grades : Apprenti, Compagnon, Rose-Croix, Grand Écossais de la Voûte Sacré de Jacques VI et Grand Écossais de Saint-André d’Écosse. Il a supprimé le grade de maître « parce qu’il le considère comme un grade antimaçonnique inventé par les maçons

68-69.69. Claude Antoine Thory, Acta Latomorum ou Chronologie de l’histoire de la franc-maçonnerie française et étrangère, Pierre-Elie Dufart, 1875, tome 1, p. 76-94, reprint Slatkine, 1980.70. Le Grand Empereur d’Orient serait un grade proche de Chevalier du Soleil (cf. Ordo ab Chao n°63, septembre 2011, à paraître).71. Bernard Dat, op. cit., p. 68-69. 72. Bernard Dat, op. cit., p. 68.73. Émile Daruty, Recherches sur le Rite Écossais Ancien Accepté, 1879, reprint Éd. Demeter, Paris, 1998, p. 206-207.

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stuartistes en commémoration de la mort de Charles 1er, roi d’Angleterre ». Notons que le comte de Clermont se serait eff orcé d’interdire le grade de Kadosch. Il le refusait comme « “fanatique, détestable”, hostile à la vraie Maçonnerie et aux devoirs de l’État et de la religion »74.

L’histoire de la maçonnerie française à cette époque est donc complexe. À cette lutte entre tenants de systèmes de hauts grades, s’ajoutent des querelles entre factions au sein de la Grande Loge qu’il est diffi cile de résumer  : rivalités entre partisans des vénérables ad vitam et des vénérables élus, refus de certains d’accepter que la Grande Loge s’oc-cupe des hauts grades, mais acceptation par d’autres que des loges gérées par la Grande Loge confèrent des degrés su-périeurs, hégémonie contestée de la Grande Loge de France par des mères loges de province, etc. Quelques faits saillants peuvent être retenus. Dès 1760, apparaissent des scissions au sein de la Grande Loge sur la notion d’inamovibilité des vénérables. En 1761, le comte de Clermont choisit Jacques-Antoine Lacorne comme substitut, en remplacement du banquier Baur, mais la Grande Loge refusa de siéger sous sa présidence. Lacorne forma alors une deuxième Grande Loge. En 1762, Clermont révoque Lacorne et nomme à sa place Augustin-Jean-François Chaillon de Joinville et les deux Grandes Loges fusionnent. La réconciliation entre les deux Grandes Loges ne tient pas et un nouveau schisme se produit en 1765, et il y a des heurts entre la Grande Loge et les conseils des hauts grades. La tenue de Grande Loge du 24 juin 1767 donne lieu à des voies de faits et les autorités suspendent ses activités. La disgrâce de son grand maître, le comte de Clermont, qui avait pris fait et cause pour le

74. Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie, sous la direction de Daniel Ligou, PUF, Quadridge, 2006, p. 159, article Bourbon-Condé (Louis, prince de).

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Parlement contre le roi, ne permettait guère d’espérer une reprise des travaux. La Grande Loge ne pourra reprendre offi ciellement ses travaux que le 21 juin 1771, peu après la mort de celui-ci. Mais il semble pourtant que, de 1757 jusqu’à la fi n de sa vie, Clermont n’eut guère de rôle actif, notamment lorsque les travaux de la Grande Loge furent suspendus75.

Après la mort du comte de Clermont, en 1771, un schisme divise les maçons à propos de l’inamovibilité des vénérables maîtres. Nous ne nous étendrons pas sur la suite de l’histoire de la maçonnerie en France au xviiie siècle. Résumons brièvement : en 1771 Philippe Joseph d’Or-léans, duc de Chartres, succède au comte de Clermont, et Charles-Sigismond de Montmorency-Luxembourg, duc de Luxembourg, succède à Chaillon de Joinville comme substitut. Le 9 août 1772, est signé un traité d’union entre la Grande Loge et le Conseil des Empereurs « gérant les grades supérieurs » « qui avait été créé, on l’a vu, pour faire pièce au “Conseil Souverain des Chevaliers d’Orient” »76. Le 9 mars 1773, la Grande Loge de France prend le titre de Grande Loge Nationale de France, après rédaction de nouveaux statuts. Mais, à la suite du refus des vénérables maîtres de Paris des mesures prises, va naître le Grand Orient qui sera dirigé par Louis Philippe d’Orléans, duc de Chartres. Mais des dissensions se produisent et un bon nombre de frères refusent de s’intégrer au Grand Orient, nouvellement créé, et déclarent vouloir continuer à tra-vailler en tant que Grande Loge de France.

75. Daniel Kerjan, op. cit., p. 210. Kerjan pense que « passé, selon le schéma classique, du libertinage à la bigoterie, Clermont a pu tout aussi bien se désintéresser à la fi n de sa vie, d’une institution condamnée dès 1738, puis en 1751, par la papauté ».76. Daniel Kerjan, « Les débuts heurtés du Grand Orient de France : 1771-1774 », Renaissance Traditionnelle n°160, octobre 2010, p. 209.

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Annexe

Remarques sur les noms Starbuzanaï et Satrabuzanes(Chevalier d’Orient et de l’Épée, 15e degré

Prince de Jérusalem, 16e degré)

Les 15e et 16e degrés, Chevalier d’Orient et de l’Épée et Prince de Jérusalem, reposent sur des faits rapportés dans les livres d’Esdras, de Néhémie (encore appelé II Esdras) et III Esdras (apocryphe peu étudié car, pour l’essentiel, qu’un composé de versets des livres précédents.

On connaît la trame légendaire : le roi Cyrus qui règne à Babylone, 70 ans après la destruction du Temple de Jérusalem décide, à la suite d’un songe, de rendre la liberté aux Hébreux emprisonnés, dont le chef est Zorobabel. Il décide de leur rendre leur trésor, de les faire instruire à l’art militaire par son général, nommé, selon le rituel du 15e degré, Satrabuzanes ou Nabuzardan. Il les décore. Zorobabel et ses compagnons partent pour Jérusalem. Mais, toujours selon les rituels, ils sont interceptés au pont sur le fl euve Starbuzanaï et doivent combattre pour poursuivre leur route. Ils pourront arriver à Jérusalem pour reconstruire le Temple, l’épée d’une main et la truelle de l’autre !

Hélas ! ils vont bientôt se heurter aux Samaritains, et Zorobabel se voit contraint de demander l’aide de Darius qui, entre temps, a succédé à Cyrus. Pour cela, il délègue cinq de ses compagnons qui retournent à Babylone. Darius accepte de les aider et promulgue un décret dans ce sens. Les cinq ambassadeurs reviennent à Jérusalem, mission

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accomplie, et sont dignement fêtés et décorés du titre de Prince de Jérusalem. C’est la trame du 16e degré.

Nous ne reviendrons pas sur la véracité biblique ou his-torique. Les anachronismes pourraient choquer un puriste du texte vétérotestamentaire. Il convient de souligner pour notre propos que, selon l’Ancien Testament, il n’y eut jamais d’envoyés de Zorobabel à Babylone, mais que c’est Darius lui-même qui, renseignés par ses satrapes, c’est-à-dire par des gouverneurs locaux, apprit la triste situation des juifs qui voulaient reconstruire le Temple et exhuma le décret de son aïeul Cyrus et le confi rma.

Dans un rituel manuscrit du xviiie siècle de ce degré de notre collection personnelle, par exemple, il est écrit : « Alors on amène le récipiendaire à l’aîné des surveillants qui, comme on l’a dit, représente Nabuzardan et qui lui dit :  Mon frère je me réjouis des grâces, les marques de faveur que vous venez de recevoir de notre souverain, ses bontés vous les avez méritée  ; je vais vous instruire dans l’art de la guerre. Mais auparavant je vais vous recevoir Chevalier d’Orient. Où est situé votre pays ? Au delà du fl euve Starbuzanai, à l’occident de la Syrie. Comment l’ap-pelez-vous ? La Judée… » Apparaît ici le nom du fl euve « inconnu »77. Il fi gure sur le tableau de loge : « Le milieu du tableau est traversé par le fl euve Starbuzanai au milieu duquel est un pont construit pour le passage des maçons libres. Sur ce pont sont les trois lettres LDP qui veulent dire liberté du passage, etc. »

Le nom de Starbuzanai se trouve dans tous les rituels manuscrits ou imprimés qui ont précédé le Rite de Perfection

77. Le Jourdain ou l’Euphrate.

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que nous avons pu consulter, notamment Les Plus Secrets Mystères des Hauts Grades de la Maçonnerie Dévoilés (1764) attribué à Bérage ; Le recueil précieux de la maçonnerie adon-hiramite de Guillemain de Saint-Victor (1787), le rituel d’Élu de Zorobabel78 et le Catéchisme de Chevalier d’Orient du Fonds Z79. Bien sûr on le retrouve dans le manuscrit de Francken80, mais, dans les premiers rituels de RÉAA81 et dans le Th uileur du Rite Écossais Ancien et Accepté et du Rite Moderne 1813 du Comte Alexandre Auguste de Grasse-Tilly82, il ne fi gure pas. Il fi gure dans les rituels du comte de « Clairmont » qui datent de 1768.

Le rituel de Chevalier et de Rose-Croix, 6e degré des Plus Secrets Mystères des Hauts Grades de la Maçonnerie Dévoilés a été traduit en anglais par William E. Parker et S. Brent Morris83. Dans les notes pour Starburzanai (Starbuzzannai, Stabuzanay, Stharbuzanaï, Harbasanay, etc.), les auteurs disent que Starburzanaï est un mot composé fait de Shtar, contrat, promesse et de Biza/Bizanaî, pillage, rapine84. Ils reprennent la lecture de Sam Eched : L’hébraïsme réel ou déformé dans le RÉAA, et le RA, le MM et le RAM (chez l’auteur, Belgique, 1994), pour lequel il s’agit d’un composé de Shtar (acte notarié, contrat, promesse de paiement) et de Biza/Bizanai (fruit d’un pillage, butin de guerre, rapine,

78. Rituel d’Élu de Zorobabel in Manuscrit d’Alger de l’Ordre martiniste.79. Robert Amadou, Catéchisme de Chevalier d’Orient du Fonds Z, Paris, Cariscript, 1989.80. Claude Guérillot, Le Rite de Perfection, Guy Trédaniel éd., Ed. de La Maisnie, Paris, 1993.81. Rituels du RÉAA, Latomia, 1805. Dans le rituel du 15e degré de ce recueil le général qui instruisit Zorobabel et ses compagnons est Nabuzardan.82. Thuileur du Rite Écossais Ancien et Accepté et du Rite Moderne 1813 du Comte Alexandre Auguste de Grasse-Tilly publié par le Suprême Conseil pour la France en 2004.83. William E. Parker et S. Brent Morris, « The Degree of Knight of the Sword and of Rose-Croix », in Heredom, The Scottish Rite Research Society, Washington, vol. 11, 2003, p. 159-180.84. Ibid., p. 177.

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mépris et celui qui vit de pillages et de rapines). Les auteurs américains pourtant soulignent, après avoir indiqué que Starbunzzai, en fait Shertharboznai, était, selon le rituel, une rivière qui séparait Babylone de Jérusalem, que c’était le nom d’un offi cier du roi de Perse, citant Ligou85 et re-prenant Esdras 5, 3 : « En même temps, vint auprès d’eux Tatnaï, gouverneur de ce côté du fl euve, et Shertharboznai, et leurs collègues, et ils leur demandèrent ‘Qui vous a ordonné de bâtir cet maison, et de relever ces murs’ ».

Le problème relevé par tous les chercheurs est qu’il n’existe aucun fl euve du nom de Starbuzanaï, qu’il s’agit selon toute vraisemblance de l’Euphrate mais qu’en aucune langue de la région, il n’a un nom même approchant. D’autres rituels parlent du pont de Gandara qui est le nom d’une des 23 régions dont Darius 1er a confi é la gestion à un gouverneur ou satrape. D’autres encore du pont de Gabara86.

De même, on ne connaît aucun général de Cyrus se nommant Satrabuzanes ou Nabuzardan87. Diverses hypo-thèses ont été émises. Ainsi, Claude Guérillot écrit, dans Les degrés de l’Exil88 : « Si Nabuzardan fut bien le général de Nabuchodonosor, si eff ectivement en - 538, Cyrus pro-mulgua son édit et si, avec Sheshbassar puis Zorobabbel, ce furent 42360 personnes qui quittèrent la Babylonie selon I Esdras 2  : 64  , il n’y a aucune trace biblique de

85. Ligou Daniel, Dictionnaire de la Franc-maçonnerie, PUF, Quadrige, nouvelle éd., 2006, p. 1146.86. Sahir Erman, Commentaires des Hauts Grades du RÉAA, Istanbul, 1990. Notons au passage que le 15e degré fait l’objet d’une cérémonie à part entière en Turquie et non pas l’objet d’une simple communication.87. Ou encore Nabuzardin (Rituels du Duc de Chartres de 1784 qui donnent aussi Starbusaunÿ pour le fl euve et Jérobabel pour Zorobabel). 88. Claude Guérillot, Les degrés de l’Exil, Ed. Véga, 2003, p. 44.

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Satrabuzanes, le prétendu général de Cyrus (l’histoire et la légende ont retenu dans ce rôle Harpage…), ni d’un fl euve appelé Starbuzanaï (ce ne peut être l’Euphrate dont les noms furent Burannu en sumérien, etc.) ».

On trouve dans La tradizione initiatica tra Oriente et Occidente  : Glossario del Rito di Perfezione (Francken manuscript)89 (Esonet.org) des pistes étymologiques :

Satrabuzanes pone evidentemente un problema: è, al XV Grado, il nome portato dal Gran Generale. E’ dunque, sembra, un persiano... Segnaliamo tuttavia che, se ci si rifà ad Esdra 1, 8-11, Shèshbatsar fu incaricato di organizzare il primo convoglio di rimpatriati e pose la prima pietra del Tempio. Non sarebbe impossibile dunque che Satrabuzanes sia una corruzione di Shèshbatsar. Segnaliamo tuttavia che la Bibbia bilingue del Gran Rabbino Zadoc Khan identifi ca quest’ultimo con Zurubbabel.Tuttavia, se ci si ricorda che sono Dario e Ciro che hanno organizzato l’impero persiano in satrapie, un’altra etimo-logia diviene possibile. Satrapo, in persiano antico, si dice khshathrapava, che ha dato in ebraico Akhashedarepan, ed in greco σατραπη. Tale potrebbe essere l’origine della prima fr azione Satra. La seconda parte, buzanes, potrebbe derivare da bouz, che signifi ca sprezzo, sdegno. Avremmo allora a che fare con un nome fabbricato con tanti pezzi dai redattori e che ha il senso generale di “ il satrapo sprezzante”.Nabuzaradan è un corruzione di Nevouzaradan, che viene dall’accadico Nabuzeriddin, signifi cante “Nabu dona una posterità”. Comandante della guardia di Nabucodonosor, Nevouzaradan entra a Gerusalemme a

89. La tradizione initiatica tra Oriente et Occidente : Glossario del Rito di Perfezione (Francken manuscript) : Esonet.org.

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fi ne luglio del 587 a. C., saccheggia il Tempio, distrugge la città, deporta la popolazione, lasciando tuttavia sotto l’autorità del “collaboratore” Guedalyahou, la gente comune del popolo. La sua ferocia gli varrà il soprannome di grande boia (II Re 25, 20).Questi fatti sono ricordati sia al XIV Grado sia al XV, e sono i prodotti delle sue rapine che Ciro rende allora a Zurubbabel. E’ nominato al XVI Grado.Mais il en est une évidence, quand on dispose de moteur

de recherche et d’une base de données aussi vaste que le Web., Satrabuzanes et Starbuzanaï existent sous cette forme, dans le Livre d’Esdras V, mais aussi dans la traduc-tion anglaise de 1395 (Wycliff e’s Bible) imprimée en 1525 par William Tyndale. Le texte original des versets 3 et 7 de III Esdras est le suivant :

3 whanne ther weren niy to hem prophetis of the Lord, and helpiden hem. In that tyme came to hem Cysennes, the vndir litil kyng of Cirye and of Fenycis, and Satrabozanes, and her felawis.7 Th is is the ensaumple of the lettre, that Cysennes, the vndir kyng of Cyrie and of Fenyces, and Satrobosanes, and her felawis, rewlers in Sirye and in Fenyce, senden to the king. To kyng Darye, gretyng.On voit qu’à l’origine, dans cette traduction de la

Vulgate, on parle de Satrabozanes ou Satrobosanes et non de Starbuzanai, mais le texte a été remanié, par la suite, pour être mis en anglais moderne :

3 At the same time came to them Th athanai, the captain on this side the water, and Starbuzanai, and their counse-lors, and said thus unto them: Who hath commanded you to build this house, and to make up the walls thereof?

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6 Th is is the copy of the letter that Th athanai the captain on this side the water, and Starbuzanai, and their counse-lors of Apharsach, (which were on this side the water) sent unto king Darius. De même, le nom de Satrabuzanes se trouve dans la tra-

duction anglaise modernisée de Douay-Rheims90, à partir de la Vulgate, de III Esdras VI, texte apocryphe (cf. supra). Dans les première traduction, il est en eff et dit :

3 And at the same time came to them Th athanai, who was governor beyond the river, and Stharbuzanai, and their counsellors: and said thus to them: Who hath given you counsel to build this house, and to repair the walls thereof? 6 Th e copy of the letter that Th athanai governor of the country beyond the river, and Stharbuzanai, and his counsellors the Arphasachites, who dwelt beyond the river, sent to Darius the king. On voit qu’à l’origine, dans cette traduction de la

Vulgate de « Dhouay », à l’inverse de celle de Wycliff e, on parle de Stharbuzanai et non de Satrabozanes ou Satrobosanes et pour être mise en anglais moderne  on a utilisé à l’inverse Satrabuzanes. On trouve en eff et dans les textes plus récents tirés de cette traduction princeps :

3 When the prophetes of our Lord were present with them, and did helpe them. At the same time came Sisennes to them, the deputie of Syria, and of Phenice, and Satrabuzanes, and his felowes:

90. Il s’agit, pour « Dhouay », de la traduction en 1610 de l’Ancien Testament à partir de la Vulgate, c’est-à-dire de la traduction latine de saint Jérôme, qui nous intéresse ici, et pour « Rheims » de la traduction en 1582 du Nouveau Testament également à partir de la Vulgate. Ces traductions catholiques ont ensuite été revues toujours à partie de la Vulgate en 1749-1752 par le révérend Richard Challoner, et seulement en 1883 par J. Card. McCloskey, à partir de l’hébreu et du grec et d’autres traductions. Ce sont les Bibles de référence des catholiques anglais.

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7 A copie of the letter, which they sent to Darius. Sisennes deputie of Syria and Phenice, and Satrabuzanes, and his felowes in Syria and Phenice presidents, to king Darius greetings:  On note qu’il ne s’agit pas dans aucun de ces textes

d’un général de Cyrus mais d’un gouverneur ou satrape de Darius et jamais d’un fl euve.

En fait, les deux textes rapportent les mêmes faits. Pourquoi ne retrouve-t-on pas ces noms dans d’autre tra-duction, notamment en français. Pour comprendre, repor-tons-nous à la traduction la plus littérale possible, celle de Chouraqui91 :

Esdras V : 3  : Tatnaïn, le pacha au passage du Fleuve, Shetar, Boznaï et leurs collègues viennent à eux…

Esdras V : 6 : Copie de la lettre envoyée par Tatnaïn, le pacha au passage du Fleuve, Shetar, Boznaï et leurs collè-gues, leurs préposés sur l’au-delà du Fleuve à Daviaresh, le roi…

Chouraqui précise en note : « Au-delà du Fleuve, tel est le nom offi ciel des provinces situées à l’ouest de l’Euphrate. »

Allons maintenant chercher l’original en hébreu92. On trouve les noms Shetar (YChTR) et Boznaï (BYZNI). Daniel Ligou93 signale que Starbunazai est «  En fait Schetar Bozenai, fl euve qu’ont à traverser les Israélites pour

91. André Chouraqui, L’Univers de la Bible, Ed. Lidis, T. VI, Paris, 1984, p. 200-207. Dans ce chapitre, Chouraqui indique en note que Tirshata est le titre donné aux gouverneurs de Perse et signifi e étymologiquement « celui que l’on doit craindre » (p. 197) et que Artahshasta est le nom hébreu de Artaxerxés (p. 200).92. Snaith Norman Henry, The British an Foreign Bible Society, London, p. 1222.93. Ligou Daniel, op. cit.

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se rendre de Jérusalem à Babylone (15e degré du Rite Écos-sais Ancien et Accepté et diff érents grades de Chevalier d’Orient) (voir plus haut). Mais il n’y a pas de fl euve entre les deux villes et S.B est le nom d’un offi cier du roi de Perse (Esdras V, 3) ». Ligou ne cite pas Satrabuzanes. Il y a, dans ce texte du dictionnaire de Ligou, quelques erreurs : au 15e degré les Israélites vont de Babylone à Jérusalem et non l’in-verse, ce qui n’est pas le cas dans le texte biblique de réfé-rence qui est proche de la thématique du 16e degré, Prince de Jérusalem. Par ailleurs il y a bien un fl euve qui sépare les deux villes : l’Euphrate.

Ainsi, le même passage a fait l’objet de contre-sens dû au fait qu’en hébreu il n’y a pas de ponctuation et que les traducteurs n’avaient pas une bonne connaissance géogra-phique de la région. On a, ainsi, d’abord pris le nom de deux hommes pour faire celui d’un fl euve, puis amalgamés leurs noms pour en faire celui d’un général. L’épisode biblique de référence est ici celui du 16e degré, celui où Darius, comme on l’a vu, va venir en aide aux Hébreux, sur avis de ses sa-trapes. Les noms du fl euve et du général sont en réalité ceux de ces satrapes, qui gouvernaient les provinces de l’Ouest de l’Euphrate, dont celle de Jérusalem. Signalons au passage que Babylone est à l’Est de la ville du roi Salomon, paradoxe de la symbolique !

Reste alors un problème : pourquoi le rituel de Chevalier d’Orient, dès l’origine, se souche sur des références bibliques anciennes ? Ne serait-il d’origine anglaise, contrairement à ce qui est habituellement admis ? Les Hauts Grades écos-sais ne seraient donc pas une invention française ! Claude Guérillot94 pense que « le Grade de Chevalier d’Orient

94. Claude Guérillot, Le Rite de Perfection, op. cit., p. 242.

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Genèse des hauts grades du Rite Écossais Ancien et Accepté

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a dû être composé vers 1747-1748, alors que les Degrés de l’Ancienne Maçonnerie étaient tous connus, à l’ex-ception peut-être du Maître Secret, avant 1744 ». Alain Bernheim95 a montré que, dès 1750, il y avait plusieurs ver-sions du Chevalier d’Orient. Mais, il n’y a pas de preuve de son origine. Il faut noter que les premiers rituels des side degrees anglo-saxons reprennent le thème du Temple de Zorobabel, à commencer par l’Arche Royale et Th e Most Excellent Master (Cérémonie des voiles). Il faudrait dis-poser des textes en anglais de ces anciens rituels pour savoir s’ils n’utilisaient pas déjà les versions anglaises fautives de la Bible que nous avons citées. Nous savons, depuis le début de ce travail, que le Chevalier d’Orient, sous le nom de Maître Écossais, puis de Chevalier Écossais, est sans doute né d’abord en Angleterre avant de migrer sur le continent en France, à Berlin notamment et d’y évoluer. Les « contre-sens » bibliques semblent bien le confi rmer.

95. Alain Bernheim, « Naissance et développement des hauts grades en France et aux Colonies jusqu’au milieu du XVIIIe siècle », in Villard de Honnecourt, tome X, Paris, 1974, p. 43.

Abrégé d’histoire du RÉAA

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Table des matières

Chapitre I. Des Anciens Devoirs aux Consti-tutions d’Anderson et aux Constitutions de 1815 de la Grande Unie d’Angleterre ..................................Chapitre II. Franc-maçonnerie et siècle des LumièresChapitre III. Genèse des hauts grades du Rite Écos-sais Ancien et Accepté de 1730 à 1760 ........................ Chapitre IV. Le RÉAA est-il Modern ou Antient ? ...Chapitre V. RÉAA et religion  : un problème non résolu par le Convent de Lausanne de 1875 ..............Chapitre VI. Charles Riandey, l’Écossisme et les loges La République .......................................................Annexes ..........................................................................

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