CHAPITRE 5 LES SCIENCES À LA RENAISSANCE

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81 CHAPITRE 5 LES SCIENCES À LA RENAISSANCE La Renaissance européenne est marquée par une redéfinition du territoire sans précédent immédiat ; d’abord le rétrécissement de la Méditerranée après la chute de Constantinople, un revers de fortune pour des cités italiennes comme Venise, puis par la découverte des Amériques. Le monde est en expansion, en expansion démographique aussi, surtout après les grandes pestes du siècle précédent, et ce n’est pas qu’une figure de style tant la colonisation et le prélèvement de richesses qui l’accompagne sera brutale. L’Europe s’enrichit donc en s’appropriant de nouveaux horizons. Elle reste marquée par l’opposition entre la richesse des cités et la pauvreté du monde rural. Écart que l’on pourrait qualifier, à l’instar de Fernand Braudel, d’ancien régime biologique tant la vie de la plupart des villages et des petites agglomérations se situe tout juste au seuil de la survie. Mais il y aussi des progrès techniques qui favorisent par ailleurs la conquête et l’accumulation primitive : la navigation est rendue plus sûre à la fois par les progrès de la construction navale et par ceux de la cartographie. LE CONTEXTE L essor de l’imprimerie va favoriser la circulation des idées. Ce qui, à première vue, peut sembler favoriser le « progrès » des connaissances encourage en fait la redécouverte et la relecture des anciens. Ce qui est tout à fait dans l’optique de l’humanisme traditionnel car les lettrés sont encore rares et ne s’inscrivent pas encore d’emblée dans un projet qui pourrait se confondre avec notre idéal de connaissance rationnelle expérimentale. On peut penser à la tradition hermétique et à Paracelse, par exemple, ou encore à la nouvelle Compagnie de Jésus. Les Jésuites dont la mission est avant tout d’assurer la préservation de la doctrine, vont, aux yeux de l’histoire, assumer un rôle ambigu : assurer la gouverne de l’éducation scientifique tout en la soumettant au dogme.

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CHAPITRE 5

LES SCIENCES À LA RENAISSANCE

La Renaissance européenne est marquée par une redéfinition duterritoire sans précédent immédiat ; d’abord le rétrécissement de laMéditerranée après la chute de Constantinople, un revers de fortunepour des cités italiennes comme Venise, puis par la découverte desAmériques. Le monde est en expansion, en expansion démographiqueaussi, surtout après les grandes pestes du siècle précédent, et ce n’estpas qu’une figure de style tant la colonisation et le prélèvement derichesses qui l’accompagne sera brutale.

L’Europe s’enrichit donc en s’appropriant de nouveaux horizons. Ellereste marquée par l’opposition entre la richesse des cités et la pauvretédu monde rural. Écart que l’on pourrait qualifier, à l’instar de FernandBraudel, d’ancien régime biologique tant la vie de la plupart des villageset des petites agglomérations se situe tout juste au seuil de la survie.

Mais il y aussi des progrès techniques qui favorisent par ailleurs laconquête et l’accumulation primitive : la navigation est rendue plussûre à la fois par les progrès de la construction navale et par ceux de lacartographie.

LE CONTEXTE

L’ essor de l’imprimerie va favoriser la circulation des idées.Ce qui, à première vue, peut sembler favoriser le « progrès »des connaissances encourage en fait la redécouverte et la

relecture des anciens. Ce qui est tout à fait dans l’optique del’humanisme traditionnel car les lettrés sont encore rares et nes’inscrivent pas encore d’emblée dans un projet qui pourrait seconfondre avec notre idéal de connaissance rationnelle expérimentale.On peut penser à la tradition hermétique et à Paracelse, par exemple,ou encore à la nouvelle Compagnie de Jésus.

Les Jésuites dont la mission est avant tout d’assurer la préservationde la doctrine, vont, aux yeux de l’histoire, assumer un rôle ambigu :assurer la gouverne de l’éducation scientifique tout en la soumettantau dogme.

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La Renaissance peut donc être pensée comme une période detransition où s’affirme un certain conservatisme intellectuel en mêmetemps que se mettent en place les conditions de ce que l’on appellera lapremière révolution scientifique, au XVIIe siècle.

Parmi ces conditions on signalera l’encouragement des innovationsliées à l’ingénierie mais aussi l’apparition d’une profession liée auxnombres, la comptabilité, avec la création des comptes à double entrées.Ceci favorisera la réflexion abstraite et l’application de la froide raisonau monde non seulement d’un point de vue idéologique mais surtoutpar l’imposition à tous les aspirants commerçants et banquiers d’uneformation mathématique plus poussée.

On assiste alors à la publication de nombreux manuels qui, mettantà profit la diffusion du papier, proposent d’utiliser celui-ci pour noterles opérations. L’abaque, ou les jetons de calcul, sont enfin remplacés,eux dont l’usage s’était répandu du fait de la difficulté d’opérer avec leschiffres romains. La conjonction de la notation arabe et du papier sertl’alphabétisation-des-nombres et c’est littéralement par milliers queles enfants de Florence ou de Venise vont ainsi acquérir un savoir-faireessentiel à l’extension des compagnies commerciales.

De façon concomitante ce développement entraînera :• La professionnalisation des enseignants ; ainsi le mathématicien

Niccolo Fontana dit Tartaglia (v. 1499-1557) qui commença sa carrièrecomme maître d’abaque et qui développa, entre autres, l’arithmétiquecommerciale.

• Les recherches pour mettre au point des algorithmes etsolutionner les problèmes complexes de change : les monnaies n’ayantpas d’étalon, la quantité du métal précieux qu’elles contenaient pouvaitainsi fluctuer.

• La diffusion des méthodes algébriques, d’abord empruntées auxArabes, dont François Viète (1540-1603) fixera les règles à la fin du XVIe

siècle. C’est Viète qui introduira l’usage des lettres en algèbre pourreprésenter les quantités inconnues.

L’OBSERVATION ET LA LECTUREDES MAÎTRES ANTIQUES

N ulle part mieux qu’en astronomie peut-on illustrer lesconflits entre le mouvement des connaissances et la volontéde protéger l’héritage des Anciens.

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Ainsi Copernic (1473-1543), dont on emprunta le nom pourdésigner la révolution copernicienne où le Soleil remplace la terre aucentre du monde, était plus près de Platon que de Johannes Kepler(1571-1630).

Copernic était chanoine et administrateur ecclésiastique. Aprèsavoir fait de longues études de mathématiques, de droit et de médecineen Italie, il pratiquait cet art. C’est pourquoi il s’intéressa à l’astronomiepuisqu’il partageait la croyance de l’époque : les médicaments devaientêtre prescrits en fonction du mouvement planétaire ; il étaitiatromathématicien !

Nicolas Copernic

Son traité, le De revolutionibus orbium celestium, publié en 1543,juste avant sa mort, au terme de longues années de réflexion et derecherche, devrait être vu avant tout comme une tentative de sauver lesystème de Ptolémée en préservant le privilège du mouvementcirculaire uniforme.

Dans l’extrait qui suit Copernic présente ses idées astronomiques,comme en les vulgarisant, mais en fait en les coulant dans un modèleélaboré par les commentaires scolastiques.

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L’exemple des bateaux en mouvement se retrouvait en effet chezJean Buridan (1295-1358) puis chez Nicolas Oresme (1320-1382),traducteur et commentateur d’Aristote, qui avait développé l’hypothèsede la rotation de la terre.

Mais laissons aux disputations des philosophes [de décider] si le mondeest fini ou infini ; nous sommes [en tout cas] certains que la terre entreses pôles, est limitée par une surface sphérique. Pourquoi donchésiterions-nous plus longtemps de lui attribuer une mobilité qui peuts’accorder par sa nature avec sa forme, plutôt que d’ébranler le mondeentier dont on ignore et ne peut connaître les limites ? et n’admettrions-nous pas que la réalité de cette révolution quotidienne appartient à laterre, et son apparence seulement au ciel ! Et qu’il en est par conséquentcomme lorsqu’Énée (chez Virgile) dit : nous sortons du port et les terreset les villes reculent.

En effet, lorsqu’un navire flotte sans secousses, les navigateurs voientse mouvoir, à l’image de son mouvement, toutes les choses qui lui sontextérieures et inversement ils se croient être en repos, avec tout ce quiest avec eux. Or, en ce qui concerne le mouvement de la terre, il se peutque c’est de façon pareille que l’on croit le monde entier se mouvoirautour [d’elle]. Mais que dirons-nous donc touchant les nuages et lesautres choses flottant dans l’air, ainsi que celles qui tombent ouinversement tendent vers le haut ? Tout simplement que, non seulementla terre, avec l’élément aqueux qui lui est joint, se meut ainsi mais encoreune partie non négligeable de l’air et toutes les choses qui, de la mêmemanière, ont un rapport avec la terre. Soit que l’air proche de la Terre,mélangé de matière terrestre et aqueuse, participe de la même natureque la terre, soit que ce mouvement de l’air soit un mouvement acquis,dont il participe sans résistance par suite de la contiguïté et dumouvement perpétuel de la terre.

Nicolas Copernic, Des Révolutions des orbes célestes, livre I, chap. 8.

Le système de Ptolémée (100?-170?) exposé dans son traité intitulé,dans sa traduction arabe, l’Almageste, pourrait être représenté commeun emboîtement de sphères concentriques translucides, un peu commeles couches d’un oignon, auxquelles étaient accrochés les astres visiblespuis les étoiles et au centre desquelles se trouvaient la terre.

Ptolémée, et à sa suite les astrologues/astronomes, avaient recoursà des raffinements théoriques pour représenter les irrégularités qu’ilsobservaient dans le mouvement des planètes.

Ainsi, la trajectoire des planètes était déterminée par un doublemouvement de rotation :

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La planète décrit un premier cercle, l’épicycle, dont le centretourne autour de la terre : c’est le cercle déférent qui est excentriquepar rapport au centre de la terre.

De plus le mouvement du centre de l’éclyptique n’est régulier quepar rapport à un point, dit centre de l’équant, aligné sur une droitereliant le centre de la terre et le centre du déférent. Ces « artifices »expliquent pourquoi la planète est donc plus lumineuse lorsqu’elleparcourt la partie interne, plus proche de la terre, de l’épicycle.

Copernic avait sans doute pour but de simplifier ce système enmaintenant, comme un platonicien convaincu, la préséance dumouvement circulaire uniforme, mouvement propre de la sphère etqui, seul, peut ramener le passé et expliquer la régularité et la répétitiondes phénomènes astronomiques.

Sextant employé par Tycho Brahe

Si les mouvements desplanètes nous apparaissent iné-gaux, c’est donc que la terre n’estpas au centre des cercles surlesquels les astres se meuvent ; et,pour nous qui regardons de laterre les mouvements de cesastres, à cause de leur éloigne-ment inégal, ils apparaissent plusgrands lorsqu’ils sont près quelorsqu’ils sont éloignés. Ainsi desmouvements égaux des orbesnous paraissent inégaux.

De cet épisode nousdevrions retenir deux conclu-sions : d’abord que Copernic neput mener à bien son travail qu’ens’abreuvant à de multiples sources classiques nouvellement impriméeset ensuite que sa « découverte », semble-t-il, fut davantage dictée parun motif philosophique que par une appréciation nouvelle des faits.

D’autres astronomes, tels que Tycho Brahe (1546-1601), puisKepler, allaient bientôt préciser les observations grâce à de nouvellestechniques, à de nouveaux instruments.

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L’univers selon Tycho Brahe

UNE RÉVOLUTION EN DEVENIRSON IMPACT LIMITÉ

L’ œuvre de Copernic, publiée en 1543 à plus de deux centsexemplaires, puis rééditée en 1566, sera malgré tout peu lue.Quelques astronomes et quelques astrologues l’utilisèrent

et peuvent être qualifiés d’héritiers, mais seule une dizaine d’entre euxpourrait être assimilée à des partisans ou à des disciples quireprendraient à leur compte les conclusions de Copernic.

Ainsi dans le passage suivant qui est extrait du chapitre deux dulivre quatrième des Six livres de la république (1576), Jean Bodin décritles moyens de prévoir l’avenir des républiques et des villes en se fondantsur leur horoscope. Ce faisant il passe en revue et corrige les calculs deplusieurs astrologues ; il juge le système de Copernic en ces termes :

Quant à ce que dit Copernic, que les changemens et ruïnes desMonarchies sont causées du mouvement de l’Eccentrique, cela nemérite point qu’on en fasse ni mise ni recette : car il suppose deux chosesabsurdes : l’une, que les influences viennent de la terre, et non pas du

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ciel : l’autre, que la terre souffre les mouvements que tous lesAstrologues ont tousjours donné aux cieux, horsmis Eudoxe : encoresest-il lus estrange de mettre le Soleil au centre du mont, et la terre àcinquante mil lieues loin du centre : et faire que partie des cieux et desplanettes soyent Mobiles, et partie Immobiles. Ptolémée rejectal’opinion d’Eudoxe par arguments vraysemblables, ausquels Copernicusa bien respondu : à quoy Melanchthon seulement a répliqué de ceverset :

Dieu au ciel a posé,Palais bien composéAu soleil pur et monde :Dont il sort ainsi beau,Comme un espoux nouveau,De son paré pourprix :Semble un grand Prince à voir,S’esgayant pour avoir,D’une course le pnx.D’un bout des cieux il part,Et attaint l’autre part,En un Jour, tant est viste.

Tycho Brahe

Aussi pouvoit-il dire que Josué commanda au Soleil et à la Luned’arrester leurs cours : mais à tout cela on peut respondre que l’Escritures’accommode à notre sens : comme quand la Lune est appellée le plusgrand luminaire apres le Soleil, qui neantmoins est la plus petite detoutes les estolles, horsmis Mercure.

[L’erreur de Copernic]

Instrument (polyèdre) employé parKepler pour ses observations

astronomiques

Mais il y a bien une démons-tration, de laquelle personnejusques ici n’a usé contreCopernic, c’est à sçavoir quejamais corps simple ne peutavoir qu’un mouvement quiluy soit propre : comme il esttout notoire par les prin-cipes de la science naturelle :puis donc que la terre est l’undes corps simples, commeest le ciel et les autres élé-ments, il faut nécessaire-ment conclure, qu’elle nepeut avoir qu’un seulmouvement qui luy soit

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propre : et neantmoins Copernic luy en assigne trois tous différents,desquels il n’y en peut avoir qu’un propre : les autres seroyent violents,chose impossible : et par mesme suite impossible que les changementsdes Republiques viennent du mouvement de l’Eccentrique de la terre.Mais voyons l’opinion de Platon.

Ce texte énonce, outre la paraphrase du texte biblique, l’objectionprincipale qui peut être adressée au système de Copernic : il estinconsistant avec la physique aristotélicienne, il va à l’encontre de la« science naturelle » de l’époque. L’Église elle-même ne mit son livre àl’index qu’en 1616, en lui reprochant principalement de prendre deshypothèses pour la réalité.

Entretemps Tycho Brahe avait publié un recueil de lettres astrono-miques où il exposait à la fois ses arguments et les arguments contrairesde certains de ses rivaux coperniciens.

Cet astronome allemand était unpartisan du système héliocentriquede Copernic.Assistant puis successeur de TychoBrahe, il découvrit les lois dumouvement des planètes (les troislois de Kepler) établies sur labase d ’observations précises de larévolution des planètes.

Johannes Kepler

Il contribua ainsi à la définition du débat et à la véritable révolutionqu’amorça Kepler avec la publication en 1609 de son Astronomia nova.

En conclusion il semble que la dite révolution copernicienne soitplus une « fiction inventée et perpétuée par les historiens », selonl’expression de Bernard Cohen, qu’une véritable révolution scientifique.

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Un quadrant mural au temps de Tycho Brahe et de Kepler

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DU MONDE CLOS À L’UNIVERS INFINI

I l faut dire un mot de ce philosophe dominicain, et il estdifficile de le qualifier autrement, Giordano Bruno, que sacondamnation et son sacrifice, en 1600, par l’Église ontrendu célèbre.

Bruno imagina un monde infini peuplé d’une infinité de soleilsautour desquels tourneraient autant de planètes. Cette cosmologiechimérique devait manifester l’omnipotence divine.

Giordano Bruno (1548-1600)

Ces spéculations étaient peut-être le signe qu’une révolutionastronomique était en cours mais elles étaient surtout le fait d’un espritsurchauffé et sans base astronomique. Elles ne peuvent donc êtreassociées à une nouvelle vision du monde qui aurait été largementrépandue à l’époque.

Il s’agit bien plus, comme le montre le passage suivant, d’uneméditation théologique où l’on remarquera la présence de thèmesmathématiques : l’infini et les probabilités.

Mais nous qui prêtons attention non pas aux ombres de l’imagination,mais aux choses mêmes, nous qui considérons un corps aérien, éthéré,spirituel, liquide, un vaste réservoir de mouvement et de repos,immense même et infini – il nous faut au moins l’affirmer, puisque niles sens ni la raison ne nous en font voir la fin –, nous savons avec

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certitude qu’étant l’effet et le produit d’une cause infinie et d’unprincipe infini il doit être infiniment infini quant à sa capacité physiqueet quant à son mode d’être. Et je suis certain que Nundinio, non plusque ceux qui exercent le magistère de l’entendement, ne pourra jamaisétablir (fût-ce avec une demi-probabilité) que notre univers corporelait une limite, et que par conséquent les astres contenus dans son espacesoient en nombre fini. Ni que cet univers connaisse un centre et milieunaturellement déterminé.

Giordano Bruno, Le Banquet des Cendres

LE VIVANT

L es tensions engendrées par la volonté de protéger l’héritagedes anciens se font jour également dans le domaine de lamédecine et de l’anatomie.

Pour les illustrer nous allons examiner deux figuresemblématiques : Vésale, le professeur, et Paré, le praticien.

La dissectionLe premier, André Vésale (1515-1564), publia en 1543 son De humani

corporis fabrica libri septem, où l’art de l’écorché, cette plancheanatomique où les muscles gonflés saillent sans leur enveloppe de peau,touche à un sommet.

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André Vésale, originaire deFlandres, fit des études de médecineà Louvain, puis à Montpellieravant d ’enseigner à Padoue la pluscélèbre université de l ’époque.

Son traité signale à la fois la distance qu’il prend par rapport auxanciens en affirmant que l’anatomie de Galien n’était pas fondée surl’observation du corps humain mais plutôt sur celle des animaux etparticulièrement du singe, et une déférence certaine puisqu’ilmaintient, dans la première édition, des descriptions anatomo-fonctionnelles de Galien au sujet du cœur notamment alors qu’ils’avouait incapable de les observer :

Nous nous émerveillons de l’art du créateur qui est cause que le sangpasse du ventricule droit au ventricule gauche à travers des poresinvisibles (Livre III).

La publication de son livre souleva la controverse. En France il futattaqué dans de nombreux pamphlets par Silvius, et Vésale retourna àla pratique de la médecine au service de l’empereur Charles Quint, cequi était aussi une tradition dans sa famille, et ensuite de Philippe IIavant d’être en butte à l’Inquisition.

L’originalité du De Fabrica tient sans doute plus à cetteaffirmation : « la structure humaine ne peut être observée que surl’homme », qu’au travail empirique d’observation qu’il faudrait se garderde trop moderniser.

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Si Vésale pratique l’anatomie c’est comme médecin et non commenaturaliste ; c’est ce qui l’oppose à ses maîtres mais aussi c’est ce quimarque dans cette fin son originalité.

Cette nouvelle orientation de l’anatomie reposait sur la pratiqueréglée de la dissection.

Il fallait donc se procurer des cadavres, ce qui, alors, n’était pasune mince affaire comme Vésale nous l’indique dans le passage suivant :

Quand la guerre éclata, je dus quitter Paris et revenir à Louvain, celàalors que je me promenais en compagnie du célèbre physicien etmathématicien Gemma Frisius, cherchant des os le long des routes decampagne où, pour le plus grand bénéfice des étudiants, on exposegénéralement les criminels exécutés, je tombai sur un cadavre tout sec,pareil à celui du voleur mentionné par Galien. Si, comme je le suppose,les oiseaux avaient dépouillé le premier de sa chair, ainsi en avaient-ilsfait de celui-là qui avait été partiellement brûlé et grillé sur un bûcherde paille et ensuite attaché à un poteau. De sorte que les os étaientcomplètement dénudés et ne tenaient plus ensemble que par lesligaments, de telle manière que seules les insertions et les extrémitésdes muscles avaient été préservées... Voyant que le corps était sec et neprésentait aucune trace de pourriture ou d’humidité, je tirai parti de

Une séance de dissectionBartoloméo Passerotti, Musée du Louvre

Cette aquatinte du XVIe siècle reflète le vif intérêt que la Renaissance a développé pour l’étude du corpshumain, pas seulement chez les médecins mais aussi chez les artistes et tous les humanistes.

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cette occasion inattendue et néanmoins la bienvenue et, avec l’aide deGemma, je grimpai au poteau et détachai le fémur de l’os iliaque. Entirant vigoureusement, les omoplates vinrent aussi, avec les bras et lesmains ; il ne manquait que les doigts d’une main, les deux rotules et un

Cette gravure de Jan Stephan van Calcar, élève du Titien, est caractéristique de la série d ’écorchésqui illustrent – à des fins pédagogiques – l ’ouvrage d ’anatomie de Vésale.

L’exemplaire conservé à Boulogne-sur-Mer porte la mention manuscrite « Sum Vesalii »et contient de nombreuses annotations (De humani corporis fabrica, Bâle, 1543).

pied. Après avoir subrepticement rapporté chez moi, en plusieursvoyages, les jambes et les bras en laissant la tête et le tronc, je fis ensorte de me trouver enfermé le soir hors de la ville, afin de pouvoirm’emparer du thorax qui était solidement attaché par une chaîne. Sigrand était mon désir de posséder ces os que, seul, au milieu de la nuitet entouré de tous ces cadavres, je grimpai au poteau au prix d’un effort

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considérable et n’hésitai pas à saisir ce que je désirais si fort. Quandj’eus descendu les os de la potence, je les transportai à quelque distancede là et les cachai jusqu’au lendemain, et je pus alors les rapporter chezmoi petit à petit en empruntant une autre porte de la ville.

Cette chasse peut paraître plaisante mais à l’époque il n’en étaitrien puisque l’Église manifestait ouvertement son opposition à ladissection sous peine d’excommunication.

Ce n’est que par arrangements avec le juge Contarini que Vésaleput s’assurer de l’approvisionnement régulier en corps de criminels pourson enseignement à la faculté de Padoue (à partir de 1537).

La chirurgieDe Paré (1509-1590) l’on connaît surtout sa réforme des pratiques

chirurgicales illustrée par le remplacement de la cautérisation au ferrouge par la ligature lors des amputations.

Une salle d’hôpital à la Renaissance (1565)Gravure de Sigmund Feyerabend extraite de l ’Opus chirurgicum de Paracelse, Francfort, 1566.

(Musée d ’histoire de la Médecine, Paris)

Au centre, des médecins discutent du diagnostic en examinant les urines contenues dans un bocalou « matula » ; au premier plan à gauche, une amputation de jambe à la scie ; au premier plan, à droite,une application de trépan. A l’arrière-plan, à gauche, malade alité attendant son repas et, à droite unagonisant qui reçoit le réconfort spirituel.

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Ambroise Paré est parfoisconsidéré, surtout en France,comme le père de la chirurgiemoderne.

Il doit sa réputation à sesinterventions sur les champs debataille, au renom de la clientèlequ’il s’y recruta, les rois de France,mais aussi à la publication d’ou-vrages qui décrivent son art et quimanifestent ses connaissances,souvent reprises de prédécesseursou de contemporains.

Encore une fois il semble quela recherche de précurseurs est àmettre en cause.

Le développement de la médecine militaire, et particulièrementde la chirurgie, liées à l’épopée napoléonienne ainsi que le culte des

Ambroise Paré au chevet d’Henri IIBois coloré de Jacques Perrissin et Jean Tortorat, 1560

Seul, au milieu de ses rivaux, Ambroise Paré ne peut sauver Henri II, grièvement blessé.

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grands hommes du XIXe siècle ne sont pas étrangers à la constitutionde cette figure historique qui, bien sûr, ignorait l’anesthésie ou l’asepsie !

Sa longue carrière et ses ouvrages illustrent également lestransformations que subirent les pratiques médicales à la Renaissanceà travers les luttes corporatistes qui opposèrent les médecins et leschirurgiens-barbiers. La relecture du corpus des œuvres attribuées àHippocrate et celles de Galien par des praticiens de l’anatomie (ce quenous rapprocherions de l’expérimentation) fut aussi déterminante dansl’accumulation du savoir.

Bref la médecine est travaillée à la fois par un renouveau de sessources théoriques et par le développement des techniques d’in-vestigation et d’intervention.

François Blanchard

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Sur la découverte du Nouveau Mondehttp://metalab.unc.edu/expo/1492.exhibit/Intro.html

Catalog of the Scientific Community: 16th and 17th Centurieshttp://es.rice.edu/ES/humsoc/Galileo/Catalog/catalog.html

Renaissance : L’éveil de la Médecinehttp://hp-sc.univ-lille2.fr/historic/page2.htm

Renaissance Sciencehttp://www.mala.bc.ca/~mcneil/s3.htm

Copernic et l’histoire de l’astronomiehttp://www.malexism.com/copernic/hist/histoire.html

Copernic - Histoire de l’astronomiehttp://iram.fr/~dumontro/astronomie.html

Histoire de la gravitation: Copernic & Keplerhttp://elbereth.obspm.fr/~charnoz/grav3.html

Sur Copernichttp://www-groups.dcs.st-and.ac.uk/~history/Mathematicians/Copernicus.html

Nicolas COPERNIC 1473 - 1543http://www.ac-dijon.fr/pedago/Astronomie/Univers/Copernic/Copernic.htm

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Système de Copernichttp://www.ac-reims.fr/datice/res_peda/Lyccol/sci_phy/BoucleMars/Copernic.htm

G. Brunohttp://www.lucknow.com/horus/guide/ms106.html/

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