CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité...

51
117 CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA PEINE AU DELIT Quelle juste peine correspond-elle à un délit donné ? Comment les mentalités populaires évaluent-elles les caractéristiques de l'accusé, celles de la victime et les circonstances de l'acte criminel ? C'est à ces interrogations que l'analyse descriptive, analytique et différentielle menée dans ce chapitre va répondre. A cet égard, plusieurs niveaux de réflexion peuvent être pris en compte. 1) La recherche du lien établi entre le crime et sa sanction. Il s'agit de décrire comment sont couplés le délit et la peine, tant dans la nature que dans la quotité de cette dernière. Il s'agit aussi de déterminer quels sont les facteurs qui interviennent dans le raisonnement de justice. 2) La recherche des caractéristiques prégnantes dont les répondants tiennent compte en ce qui concerne l'identité du coupable, celle de la victime et le dispositif qui accompagne le délit ou le crime. L'interrogation portera ensuite sur le rapport existant entre ces deux niveaux de réflexion. 3) La recherche de la place que les répondants accordent à la proportionnalité dans la mesure de la peine. Il s'agit de savoir s'il y couplage ou découplage quant à l'amplitude de la peine face au délit en fonction de la prise en compte de différents critères tels que les conséquences du délit pour la victime, l'intention à la base de l'acte répréhensible commis et le degré de gravité du délit. De l’acte délictueux à sa peine Quelle juste peine peut sanctionner un délit pénal ? Y a-t-il des types de peines qui sont plus particulièrement associées à des types de délits précis ? Les représentations populaires en matière de peine sont-elles précisément liées à certains facteurs tels que la nature du délit, l'intentionnalité à la base de l'acte délictueux ou encore le niveau de pouvoir de la victime ou de l’auteur de l’infraction ? Quelles sont les attitudes des répondants dans le domaine du degré de sévérité qui devrait être associé à la peine ? Ce sont les questions centrales qui vont être traitées dans le présent chapitre.

Transcript of CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité...

Page 1: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

117

CHAPITRE 5

L'ADEQUATION DE LA PEINE AU DELIT

Quelle juste peine correspond-elle à un délit donné ? Comment les mentalités populaires

évaluent-elles les caractéristiques de l'accusé, celles de la victime et les circonstances de l'acte

criminel ? C'est à ces interrogations que l'analyse descriptive, analytique et différentielle

menée dans ce chapitre va répondre. A cet égard, plusieurs niveaux de réflexion peuvent être

pris en compte.

1) La recherche du lien établi entre le crime et sa sanction. Il s'agit de décrire comment

sont couplés le délit et la peine, tant dans la nature que dans la quotité de cette dernière. Il

s'agit aussi de déterminer quels sont les facteurs qui interviennent dans le raisonnement de

justice.

2) La recherche des caractéristiques prégnantes dont les répondants tiennent compte en ce

qui concerne l'identité du coupable, celle de la victime et le dispositif qui accompagne le délit

ou le crime.

L'interrogation portera ensuite sur le rapport existant entre ces deux niveaux de réflexion.

3) La recherche de la place que les répondants accordent à la proportionnalité dans la

mesure de la peine. Il s'agit de savoir s'il y couplage ou découplage quant à l'amplitude de la

peine face au délit en fonction de la prise en compte de différents critères tels que les

conséquences du délit pour la victime, l'intention à la base de l'acte répréhensible commis et le

degré de gravité du délit.

De l’acte délictueux à sa peine

Quelle juste peine peut sanctionner un délit pénal ? Y a-t-il des types de peines qui sont

plus particulièrement associées à des types de délits précis ? Les représentations populaires en

matière de peine sont-elles précisément liées à certains facteurs tels que la nature du délit,

l'intentionnalité à la base de l'acte délictueux ou encore le niveau de pouvoir de la victime ou

de l’auteur de l’infraction ? Quelles sont les attitudes des répondants dans le domaine du

degré de sévérité qui devrait être associé à la peine ? Ce sont les questions centrales qui vont

être traitées dans le présent chapitre.

Page 2: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

118

Dans une deuxième partie, nous nous attacherons à mettre en évidence - en fonction des

résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux

différentes variables socio-démographiques dans le but de dégager une analyse différentielle

et de relever les corrélations entre les différentes attitudes face à la peine et le positionnement

social des individus, leurs orientations idéologiques, leur niveau d'information ou leurs

références en matière de criminalité. L'échelle doit aussi permettre, dans un deuxième temps,

l'analyse intersectorielle, c'est-à-dire la mise en relation des différentes attitudes face à la

punitivité avec les représentations dans les mentalités contemporaines du phénomène

criminel, des finalités essentielles assignées à la sanction pénale ou de la place des différents

acteurs impliqués dans les procédures de détermination de la sanction.

Deux questions comportaient d'une part une liste de délits de nature et d'importance

diverses et, d'autre part une gamme de peines de nature et d'intensité variées. Il s'agit pour le

répondant de choisir la peine qui, à son avis, est la plus juste pour le cas concret décrit. Le

répondant est face à lui-même et à sa propre représentation du juste en la matière,

indépendamment de toute connaissance de la législation pénale en vigueur. Il a en outre la

possibilité de choisir une peine autre que celles qui lui sont présentées en faisant appel à ce

que l'on pourrait qualifier d'«imaginaire punitif».

Les pages qui suivent vont décrire les grandes tendances qui se dégagent des résultats

globaux collectionnés.

Le principe de la variante

Nos travaux de recherche sur le sens du juste dans le domaine de la justice distributive ont

permis de mettre en évidence l'importance, dans l'évaluation du jugement de ce qui est juste,

du contexte relationnel qui lie les acteurs présents dans une situation donnée (justice des

procédures et éthique du contrat, sens de la responsabilité et droit civil, voir chapitre 1, p. 10).

Ayant fait ensuite l'hypothèse d'un certain parallélisme, à savoir que les types – et/ou la

sévérité - des peines choisies pouvaient varier selon la structure des interactions entre l'auteur

de l'infraction et la victime, nous avons construit des mini-scénarios évoquant des situations

délictueuses précises et fait varier le cadre de ces interactions selon quelques critères clairs

évoqués ci-dessous.

a) Le degré de proximité ou de distance (ou encore d'abstraction ou de personnalisation)

existant entre les protagonistes de l'action (tableau 5.1 : A vol d'argent, G calomnie ; tableau

5.2 : D mauvais traitements). Une grande abstraction devrait favoriser des critères faisant

appel à la proportionnalité et à l'universalité dans le raisonnement de justice alors que la

Page 3: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

119

proximité entre l'auteur de l'infraction et la victime devrait s'accompagner de critères plus

correctifs et personnalisés.

b) Le niveau de ressources comparé des acteurs tel que défini par leur statut socio-

économique d'une part et par leur éventuel statut de personne morale (grande organisation

versus petite organisation ou personne privée) d'autre part (tableau 5.1 : D vol d'un ordinateur;

tableau 5.2 : C cambriolage). On peut postuler que les conceptions proportionnaliste et

formaliste seront d'autant plus marquées que le niveau de pouvoir est important.

c) L'identité sociale des acteurs (homme ou femme, majeur ou mineur) en tant qu'elle

définit des aptitudes et des contraintes spécifiques (tableau 5.1 : E violences, H saccage d'une

cabine téléphonique).

Ces trois facteurs, classiques dans l'analyse de la littérature en matière de justice

distributive1, devraient avoir une influence sur la manière qu'ont les personnes d'envisager la

juste peine.

Nous y avons ajouté deux autres facteurs, plus directement liés au problème de la justice

pénale et pouvant être sensibles au choix de l'adéquation entre le délit et la peine. Il s'agit de :

d) L'intention à l'origine du délit commis par le délinquant (tableau 5.1 : C vol de

nourriture, F pollution tableau 5.2 : A escroquerie, G meurtre).

e) La qualité de la victime du délit (de nature publique ou privée) (Tableau 5.1 : B

escroquerie; tableau 5.2 : B fraude).

On imagine que la présence ou l'absence d'intention à la base de l'acte répréhensible, la

malignité plus ou moins grande de cette dernière - tout comme la qualité de la victime de

l'infraction - modulent la façon dont l'individu envisage la peine par rapport au délit.

Nous avons ensuite soumis des cas différenciés à deux parties distinctes de notre

échantillon.

Les tableaux 5.1 et 5.2 regroupent les variantes afin que le lecteur puisse facilement

prendre connaissance des écarts que ces variantes entraînent ou non dans les réponses.

Les délits de faible gravité

La question relative aux délits de faible gravité, dresse une liste de huit différentes

infractions dont les coefficients de gravité peuvent être qualifiés de faibles.

1 Lerner (1977) op. cit., Greenberg (1982) op. cit., Berger et al. (1980), op. cit.

Page 4: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

120

Tableau 5.1 : L'adéquation entre les délits de faible gravité et la peine (% ) - Résultats généraux* Aucune

peine Simple

réparation du dommage

Travail au profit de la

communauté

Amende Prison avec sursis*

Total peines alternatives à

la prison ferme

1 à 6 mois de prison ferme*

Plus de 6 mois de prison ferme*

Autre peine

Sans opinion, je ne sais pas

Total (N)

Vol de nourriture pour pouvoir manger (C) 48 28 17 2 1 96 0 0 2 2 100 (909) Vol de boissons alcoolisées pour pouvoir s'enivrer (C) 3 20 40 26 5 94 1 0 2 2 100 (904)

Saccage d'une cabine téléphonique par un mineur (H) 0 9 74 8 5 96 2 0 1 1 100 (899)

Saccage d'une cabine téléphonique par un jeune adulte (H) 0 9 54 20 11 93 4 1 1 1 100 (907)

Vol d’un ordinateur à un particulier (D) 1 31 17 30 14 92 5 1 0 2 100 (895) Vol d’un ordinateur dans un grand magasin (D) 1 17 21 45 11 94 3 1 1 2 100 (906)

Vol de 1’000 CHF par un pickpocket (A) 0 16 47 14 13 90 8 1 0 1 100 (893) Vol de 1’000 CHF à un(e) collègue de travail (A) 0 41 23 21 9 94 3 1 1 1 100 (903)

Calomnies sur un(e) collègue de travail (G) 6 36 11 26 8 87 1 1 3 6 100 (897) Calomnies sur une personnalité publique (G) 11 24 17 32 5 87 2 1 2 7 100 (902) Pollution consciente d'une rivière par un agriculteur (F) 1 3 10 36 20 69 18 10 1 2 100 (889)

Pollution accidentelle d'une rivière par un agriculteur (F) 5 21 13 43 9 91 4 2 0 3 100 (905)

Escroquerie d’un montant de 10'000 CHF à l’égard de l'AVS (B) 0 6 20 26 22 74 15 9 1 3 100 (895)

Escroquerie d’un montant de 10'000 CHF à l’égard d’une grande entreprise privée (B) 1 12 18 20 30 81 13 4 1 3 100 (902)

Violence d'une femme sur son mari (blessures légères) (E) 9 11 11 11 35 76 8 2 4 9 100 (902)

Violence d'un homme sur sa femme (blessures légères) (E) 1 3 8 5 42 59 24 9 5 3 100 (909)

* Question 12 : Si vous deviez juger les cas suivants, quelle est la peine qui vous paraîtrait la plus juste ?

Page 5: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

121

Sur l'ensemble des cas présentés, une constatation s'impose d'emblée : les peines

différentes de l'emprisonnement, c'est-à-dire la réparation du dommage, le travail au profit de

la communauté, l'amende et même la prison avec sursis sont largement dominantes2. Elles

sont choisies par l'immense majorité des personnes interrogées aussi bien en cas d'atteinte au

patrimoine (vols : 90 à 94%, escroquerie : 74 à 81%) qu'en cas d'atteinte aux personnes

(calomnies : 87%, violences : 59 à 76%) ou à l'environnement (pollution : 69 à 91%, saccage :

93 à 96%).

On distingue, dans le large éventail des peines alternatives à la prison ferme proposées, un

certain nombre de choix précis.

Pour une personne sur deux (49%) le vol de nourriture effectué dans un but de survie ne

doit pas être puni. Cette même réponse était d'ailleurs spontanément apparue dans bon nombre

des entretiens qualitatifs effectués préalablement à la rédaction du questionnaire postal.

La simple réparation du dommage est estimée adéquate par 41% des répondants en cas de

vol d'espèces à un collègue de travail et par 35% des répondants en cas de calomnies à

l'endroit d'un collègue de travail : il existe donc des situations où le simple retour au statu quo

ante ne nécessite pas de peine. Ces cas se rapportent à des délits de faible gravité perpétrés

dans un cadre où les contacts interindividuels sont personnalisés, comme le lieu de travail.

Cette proximité peut donc permettre une forme de résolution du conflit sans l'intervention

d'un tiers.

Le travail au profit de la communauté se profile comme une peine à dominante

«éducative». Cette peine est-elle considérée comme adéquate pour les atteintes au patrimoine

considérées comme moins personnalisées ? C'est ce que l'on peut supposer en constatant

qu'elle est requise lors de vol d'argent par un pickpocket (47%), de vol de boissons alcoolisées

(40%) ou du saccage d'une cabine téléphonique par un mineur (74%) ou par un jeune adulte

(54%).

Quant à l'amende, elle est choisie par une proportion certes variable de répondants, entre

10 et 40%, mais elle est nettement présente dans chaque situation décrite : son incidence est

donc moins clairement discriminante. On peut cependant remarquer qu'elle est plus souvent

prise en compte que les autres peines alternatives à la prison ferme lorsqu'il s'agit de punir une

pollution accidentelle (43%) ou un vol dans un grand magasin (45%). Ainsi, pour l'auteur d'un

délit non intentionnel ou s'attaquant à une victime abstraite la peine infligée sera moins

personnalisée et moins clairement dirigée vers la réparation matérielle ou morale directe.

2 Certains qualifient ces peines «d'alternatives». Il s'agit en réalité de peines qui élargissent le spectre des peines.

Page 6: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

122

Les effets des variantes sur la question relative aux délits de faible gravité

Les délits de faible gravité devraient être sanctionnés par des peines autres que la prison

ferme : c'est le premier constat très général qui ressort de l'analyse de la question 12 en ce qui

concerne la nature des peines choisies. On va voir que le type de peine retenu est également

largement dépendant de certains des facteurs qui ont été décrits plus haut et qui ont déterminé

la mise en place du principe de la variante.

Le degré de proximité ou de distance entre l’auteur de l’infraction et la victime joue un

rôle non négligeable. Il s’agit de réparer le vol d’argent à un collègue de travail (41% des

réponses vont dans ce sens) alors que le pickpocket, pour le vol d’une même somme d’argent,

sera plutôt puni par un travail au profit de la communauté (47%, lignes A). Dans un registre

voisin, le pouvoir social de la victime n’est pas sans effet sur la peine : si le vol d’un

ordinateur à un particulier peut, pour une personne sur trois, s’annuler par une simple

réparation (31%), le même vol dans un grand magasin sera plus souvent puni par l’amende

(45%, lignes D).

Le contexte relationnel comme le niveau de pouvoir des acteurs est pris en compte. Ainsi,

lorsqu’il y a détachement, abstraction, entre la victime et l’auteur du délit la peine passe d’un

registre que l’on peut qualifier de privé à un registre public : le travail au profit de la

communauté, l’amende sont des peines qui font abstraction d’un lien de proximité ou

d’empathie avec la victime.

On remarque également une influence claire de l’identité sociale de l’acteur. Les

violences d’un homme sur sa femme sont nettement plus sévèrement punies que dans le cas

inverse (lignes E). C’est le seul des délits de cette liste pour lequel les répondants ont

majoritairement choisi la peine de prison (dans 42% des cas avec sursis et dans un 24% des

cas une peine de prison ferme).

Le travail au profit de la communauté est pour trois personnes sur quatre la peine juste

lorsqu’un mineur est l’auteur du saccage d’une cabine téléphonique. L’amende est plus

fréquemment requise si l’auteur est un jeune adulte (lignes H). Une réparation morale, un

passage par une leçon de civisme en quelque sorte, est fréquemment requise à l’égard du

mineur – on souhaite probablement croire à un possible amendement -, elle est moins souvent

demandée à un délinquant majeur (une fois sur deux versus trois fois sur quatre).

Page 7: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

123

La nature de l’intention est un facteur dont les répondants tiennent compte dans le choix

du type de peine à infliger. Le vol de nourriture, lorsqu’il s’agit simplement de pouvoir

manger à sa faim, ne doit tout simplement pas être puni pour une personne sur deux, au mieux

réparé pour une personne sur quatre. Lorsque le vol concerne, par contre, des boissons

alcoolisées dans le but de s’enivrer, la punition va bien au-delà de la réparation et se situe à

hauteur du travail au profit de la communauté (40%) ou de l’amende (26%). Est-ce le souhait

de la réinsertion sociale de l’auteur de l’infraction (lignes C) qui motive ces réponses ? La

question reste ouverte.

La présence ou non de l’intention est également importante. On en voit la preuve dans le

fait que la pollution d’une rivière par un agriculteur (lignes F) est punie d’une peine de prison

lorsque ce délit résulte d’un acte conscient et intentionnel (20% avec sursis, 18% sans sursis).

Par contre, l’amende et le travail au profit de la communauté dominent (56%) lorsque ce

dégât est accidentel, c'est-à-dire non intentionnel.

La qualification du mobile comme la présence d’une volonté de nuire jouent un rôle

essentiel : les «justes» ou «honorables» motifs sont soit excusables, soit sanctionnés par des

peines autres que la prison ferme dont le but est plus correctif que punitif alors que les

mobiles moins «nobles» sont plus généralement punis par des peines ayant valeur de

répression.

Responsabilité des conséquences et critère d'intentionnalité sont étroitement liés. Un acte

délictueux mauvais, voulu et délibérément causé, entraîne pour la plupart de nos répondants

une peine plus lourde qu'un acte commis inconsciemment et pour lequel des circonstances

atténuantes peuvent être admises.

Oui il y a la raison, je veux dire, s'il l'a fait inconsciemment, s’il ne se rendait pas compte que le produit qu'il utilisait ou qu'il avait jeté négligemment était quelque chose de dangereux, bon c'est clair que s'il ne s'en rendait pas compte…, mais s'il l'a fait sciemment, s’il va jeter un produit hautement toxique dans une rivière et bien là c'est clair que de nouveau il ne mérite pas du tout la même chose. Homme, 32 ans, ilôtier

Pour moi un jeune qui vole un sac à main et qui fait très mal à une personne âgée, sans le vouloir, si c’est parce que certains ont besoin d’argent pour manger ça n’a pas la même valeur que si c’est quelqu’un qui veut de l’argent pour se payer des joints. Et pourtant l’acte est le même, le délit est le même. Homme, 50 ans, éducateur

Par contre, la qualité de la victime n’a que peu d’effet. Qu’une escroquerie (lignes B)

concerne une ressource publique – en l’occurrence l’assurance vieillesse et survivants (AVS)

Page 8: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

124

– ou une entreprise privée, elle sera punie pratiquement de la même manière et par le même

type de peine. Notons simplement que l’amende est un peu plus souvent choisie que la prison

avec sursis pour punir le délit commis dans l’espace public (une personne sur quatre versus

une personne sur cinq). Pour un petit groupe de personnes il y donc nécessaire adéquation

entre la nature du délit et la nature de la peine : lorsque le bien public a été spolié, c’est une

peine à destination de la collectivité qui est retenue contre le coupable.

Les délits graves et les crimes

Nous avons utilisé la même technique des variantes pour les délits graves et les crimes

que pour la question précédente. On constate immédiatement un effet général de basculement

sur les peines de prison ferme.

Mis à part les infractions contre le patrimoine et commises sans violence – l’escroquerie

et la fraude – pour lesquelles un bon nombre des répondants choisissent comme juste sanction

une peine différente de la prison, les autres crimes ou délits sont tous majoritairement punis

de la peine de prison. Les variations se situent alors essentiellement dans la durée de la mise à

l’écart pour laquelle le choix s’étend de un mois à 20 ans de prison. Le seul délit pour lequel

plus de la moitié des répondants opte pour la prison à perpétuité est le meurtre longuement

prémédité (54%).

Tant qu’on touche pas à l’intégrité physique, on peut avoir une ouverture d’esprit un petit peu plus large, prévoir des condamnations moins lourdes. Quand ça touche à l’intégrité physique ou psychique d’une personne, là, je pense qu’on doit quand même être beaucoup plus ferme. Personnellement, je condamnerais systématiquement à des peines d’emprisonnement ferme. Ca, c’est évident. Homme, 34 ans, inspecteur de police

J’aurais bien aimé qu’on attrape celui qui a agressé ma femme pour lui arracher son sac il y a deux ans devant la Migros. Et aimé qu’on lui flanque des coups de bâton… Homme, 68 ans, banquier, retraité

Il y a donc une nette scission selon la nature des crimes commis. Les atteintes aux biens

sans violence sont plus souvent sanctionnées par des peines autres que la prison ferme que les

atteintes aux personnes, à l’exception du blanchiment d’argent. Le blanchiment d’argent est

donc considéré par la majorité des répondants comme un délit grave devant être sanctionné

par une peine de prison ferme puisque c’est ce que trois personnes sur quatre estiment correct.

Page 9: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

125

Tableau 5.2 : L’adéquation entre les délits graves et les crimes et la peine (% ) – Résultats généraux* Prison ferme Peine de

mort Aucune

peine Travail au profit de la

communauté

Amende Prison avec

sursis 1 mois à 3 ans

4 à 10 ans

11 à 20 ans

Perpétuité

Total des peines fermes

Autre peine

Sans opinion, je ne sais pas

Total (N)

Meurtre dans un accès de colère (G) 0 1 0 2 7 28 36 19 90 4 1 3 100 (912) Meurtre longuement prémédité (G) 0 0 0 0 0 5 23 54 81 14 2 3 100 (947) Viol d’une amie (F) 1 1 0 5 20 30 22 15 86 3 2 2 100 (912) Viol d’une inconnue (F) 0 1 0 2 10 29 28 21 87 5 3 3 100 (939) Vol à main armée dans une petite bijouterie (C) 0 1 1 6 42 39 7 1 90 0 0 2 100 (908)

Vol à main armée dans une grande bijouterie (C) 0 2 1 6 34 42 11 1 88 0 1 3 100 (945)

Mauvais traitement, violence, à l’égard d’un enfant dans une crèche (D)

0 3 2 12 29 27 12 8 76 1 4 2 100 (910)

Mauvais traitement, violence, à l’égard d’un enfant par ses parents (D)

0 3 1 15 29 24 11 5 70 1 6 4 100 (940)

Blanchiment d’argent par un gestionnaire de fortune (E) 0 2 5 14 31 25 14 3 73 0 0 4 100 (906)

Blanchiment d’argent par un gestionnaire de fortune (E) 0 2 6 10 28 32 15 2 77 0 0 4 100 (940)

Escroquerie de 100’000 CHF pour payer des dettes de jeu (A) 0 10 5 23 44 11 1 1 57 0 2 3 100 (908)

Escroquerie de 100’000 CHF pour financer une formation professionnelle (A)

1 22 12 29 25 4 1 0 30 0 1 5 100 (935)

Fraude fiscale pour 100’000 CHF (B) 1 9 23 19 33 10 2 1 45 0 0 2 100 (910) Falsification d’une comptabilité commerciale pour s’enrichir de 100’000 CHF (B)

0 4 12 22 43 13 2 0 58 0 0 3 100 (942)

* Question 13 : Et dans les cas suivants, quelle est la peine qui vous paraîtrait la plus juste ?

Page 10: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

126

Les effets des variantes sur la question relative aux délits graves et aux crimes

Le degré de proximité ou de distance et les ressources respectives de l'auteur et de la

victime ne jouent pas de rôle important, quel que soit le type de délit commis. Le vol à main

armée est sanctionné quasiment de la même manière, qu'il ait eu lieu dans une grande ou une

petite bijouterie (lignes C). De même la juste peine à prononcer en cas de maltraitance envers

un enfant est identique, que le crime soit le fait des parents de la victime ou du personnel

d'une crèche (lignes D). Le contexte relationnel - pas plus que le niveau de pouvoir - n'est ici

déterminant pour le choix de la peine. Il semble donc qu'il y ait une sorte d'écrasement de

l'effet des variantes sous le poids de la gravité du délit. Ce qui compte ce ne sont plus

tellement les caractéristiques de l'individu qui a agi, les liens qu'il peut y avoir entre les

protagonistes de l'action, ni même le type de victime, mais c'est à l'aune de la nature du délit

en tant que tel qu'un vol à main armée, des actes de violences ou un mauvais traitement sur un

enfant seront punis.

Le choix des peines pour viol répond à la même logique de raisonnement : il n'y a que de

très petites différences quant à la durée de l'emprisonnement du violeur, que ce dernier ait

agressé une amie ou une inconnue (lignes F). Les peines sont légèrement plus longues

lorsqu'il s'agit du viol d'une inconnue3.

L'intention qui motive l'acte répréhensible reste par contre très influente. La prison ferme

est la juste peine pour une courte majorité des répondants en cas d'escroquerie pour payer des

dettes de jeu (56%), alors que les peines qualifiées d’alternatives à la prison ferme – travail au

profit de la communauté, amende, prison avec sursis – sont jugées adéquates lorsque

l'escroquerie a pour but de financer une formation professionnelle (64%, lignes A). Le motif

est probablement jugé plus digne d'estime.

Dans un autre registre, les peines de prison estimées justes en cas de meurtre sont

nettement plus sévères lorsque le crime est prémédité puisque plus de 53% des répondants

estiment adéquat d'infliger dans ce cas de figure une incarcération à perpétuité. Ils ne sont par

contre que 19% à choisir cette peine pour le meurtre commis dans un accès de colère (lignes

G) et modulent dans ce cas la durée de la peine entre quatre et vingt ans de prison.

En cas d'atteintes aux biens comme en cas d'atteinte aux personnes physiques, les

répondants prennent en compte, pour le choix de la juste peine, les motifs qui sous-tendent

l'acte délictueux.

Page 11: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

127

La qualité de la victime n'est pas sans influence. La fraude fiscale – délit perpétré à

l'encontre de biens publics – est plus souvent sanctionnée par une peine autre que la prison

ferme (52%) que la falsification d'une comptabilité commerciale (38%, lignes B). Et, à

l'intérieur de la gamme de ces autres peines, l'amende est plus souvent choisie que la prison

avec sursis en cas d'atteinte à la sphère publique. On retrouve ici, pour les délits importants,

cette adéquation déjà remarquée lors de l'analyse de la question relative aux délits de faible

gravité entre la nature du délit et la nature de la peine : à un délit s'attaquant au bien public

doit correspondre une peine qui s'inscrit dans un espace public.

Pour les deux questions, le répondant avait la possibilité de choisir la colonne «autre

peine» et de déterminer lui-même, sans tenir compte des sanctions existantes, la peine la

mieux appropriée, à son avis, au cas qui lui était soumis. Cette possibilité, qui fait appel à

l'imaginaire punitif de la personne est peu utilisée. Lorsque c'est le cas, c'est principalement

en face de certains délits contre les personnes (violences entre mari et femme, mauvais

traitement envers les enfants) et essentiellement pour conseiller un traitement de nature

psychologique.

La question de la peine de mort

La peine de mort n'existe plus dans le Code pénal suisse. Elle a été abolie, pour tout crime

commis en tant de paix, par le Code pénal de 1937 entré en vigueur en 19424. Le lecteur

trouvera en annexe à ce chapitre un historique relatant les raisons et la chronologie de cette

abolition (voir p. 162) . L'introduction de la peine de mort parmi le choix des peines estimées

«justes» résulte de deux phénomènes dont se sont font largement écho les médias depuis un

certain temps. Il s'agit tout d'abord de la longue série d'exécutions capitales de l'Etat du Texas

aux Etats-Unis et de la vague de controverses qu'elle a suscitées sur place et dans le monde

entier : le débat général sur la peine de mort est loin d'être enterré. Il s'agit ensuite de la

visibilité toujours accrue des délits d'ordre sexuel et des meurtres, lesquels, s'ils sont

numériquement extrêmement faibles en comparaison des autres délits réprimés, restent très

frappants pour l'opinion publique de même que mis en évidence de manière spectaculaire par

les médias.

3 Bien que les écarts soient très faibles, on peut y déceler une légère tendance à prendre en compte le degré de proximité entre l'agresseur et sa victime : une plus grande proximité engendrerait une moindre sévérité. 4 La Suisse a par la suite signé le Protocole additionnel no6 de la Convention européenne des droits de l'homme, s'engageant par là à ne pas rétablir la peine de mort.

Page 12: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

128

Le recours à la peine de mort est loin d'être plébiscité. Les représentations populaires

restent modérées dans ce domaine. Mais ce recours est tout de même envisagé par une petite

minorité de personnes dans deux cas très précis : le viol (4%) et le meurtre (9%)5. Les raisons

de l'introduction de cette problématique sont donc confortées. Et dans l'un des scénarios (le

meurtre, lignes G), le jeu des variantes se manifeste pleinement : la peine de mort est trois fois

plus souvent estimée «juste» lorsque le meurtre est longuement prémédité que lorsqu'il est

commis dans un accès de colère. C'est donc l'intentionnalité qui se situe en amont de l'acte qui

conditionne le réflexe de sévérité, pour ne pas dire d'absolu, dans le choix de la peine.

La tendance à choisir la peine de mort est surtout le fait de personnes jeunes, voire très

jeunes (moins de 35 ans, la plus forte proportion se trouvant dans la classe des moins de 25

ans), se situant plutôt à droite de l'échiquier politique et dotées d'un niveau de formation et de

revenus modestes. De plus ce petit groupe se situe parmi ceux qui craignent le plus pour leur

sécurité et qui jugent l'évolution de la criminalité comme menaçante. S'agit-il plus d'un

réflexe de défense que d'une véritable adéquation entre le délit et la juste peine qui devrait lui

être associée ? La question reste ouverte.

Une échelle des peines

L'éventail des réponses possibles en fonction des délits décrits a été construit de manière

très large. Les possibilités de choix pour le répondant s'échelonnent entre aucune peine et les

peines de prison les plus longues (jusqu'à la perpétuité en regard des délits pouvant être

estimés comme les plus graves) et même la peine de mort.

Pour analyser les réponses, nous avons construit des échelles de punitivité qui vont être

maintenant décrites.

Construction des échelles de punitivité

Les différentes variables ont d'abord toutes été recodées selon la gradation suivante :

Pour la question relative aux délits de faible gravité. Premier palier : aucune peine;

deuxième palier : les peines «alternatives» y compris le sursis (il s'agit du regroupement de

toutes les peines qui sont différentes de l'enfermement, c'est-à-dire la réparation du dommage,

le travail au profit de la communauté, l'amende ou la prison avec sursis) ; troisième palier : les 5 En chiffres absolus, cela représente 77 personnes choisissant la peine de mort en cas de viol et 165 en cas de

Page 13: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

129

peines de prison ferme en distinguant la longueur de la peine choisie (moins de 6 mois ou plus

de 6 mois).

Pour la question relative aux délits graves et aux crimes. Le premier palier et le deuxième

palier sont les mêmes que pour la question précédente. Par contre, le troisième palier qui

distingue les peines de prison ferme selon la longueur de la peine choisie est plus large et

comprend quatre niveaux différents (voir le libellé de la question). Il y a un quatrième palier :

la peine de mort.

Les scores recodés des différentes variables des deux questions ont ensuite été

additionnés pour créer deux indices de punitivité : un pour les délits de faible gravité et un

autre pour les délits graves et les crimes. L'échelle a été construite en quatre positions :

punitivité minimum à deux écarts type en dessous de la moyenne, punitivité faible à un écart

type en dessous de la moyenne, punitivité forte à un écart type en dessus de la moyenne,

punitivité maximum à deux écarts type en dessus de la moyenne.

En tenant compte des variantes pour chacune des questions, il en résulte quatre différentes

échelles de punitivité qui ont permis l'analyse différentielle, c'est-à-dire la recherche des

corrélations entre la gradation de la punitivité de la peine face à un ensemble de délits et

l'identité statutaire, culturelle ou sociale de l'individu comme avec l'étendue de ses ressources

ou ses représentations de la criminalité6.

Pour la question relative aux délits de faible gravité l'échelle de la variante A correspond à l'ensemble des indicateurs

suivants : vol de 1’000 CHF par un pickpocket, escroquerie d’un montant de 10'000 CHF à l’égard de l'AVS, vol de

nourriture pour pouvoir manger, vol d’un ordinateur à un particulier, violence d'une femme sur son mari (blessures légères),

pollution consciente d'une rivière par un agriculteur, calomnies sur un(e) collègue de travail, saccage d'une cabine

téléphonique par un mineur.

L'échelle de la variante B correspond à l'ensemble des indicateurs suivants : vol de 1’000 CHF à un(e) collègue de

travail, escroquerie d’un montant de 10'000 CHF à l’égard d’une grande entreprise privée, vol de boissons alcoolisées pour

meurtre. 6 Indices de punitivité Délits de faible gravité, variante A Délits de faible gravité, variante B N % N % N % N % Punitivité minimum 71 8 47 5 Punitivité faible 524 58 596 65 511 56 558 61

Punitivité forte 209 23 262 29 Punitivité maximum 107 12 316 35 94 10 355 39

Total 912 100 912 100 913 100 913 100 Délits graves et crimes, variante A Délits graves et crimes, variante B N % N % N % N % Punitivité minimum 150 16 118 13 Punitivité faible 316 35

465 51 378 40

496 52

Punitivité forte 320 35 298 32 Punitivité maximum 131 14 451 49 151 16 450 48

Total 916 100 916 100 946 100 946 100

Page 14: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

130

pouvoir s'enivrer, vol d’un ordinateur dans un grand magasin, violence d'un homme sur sa femme (blessures légères),

pollution accidentelle d'une rivière par un agriculteur, calomnies sur une personnalité publique, saccage d'une cabine

téléphonique par un jeune adulte.

Pour la question relative aux délits graves et aux crimes l'échelle de la variante A correspond à l'ensemble des

indicateurs suivants : escroquerie de 100'000 CHF pour payer des dettes de jeu, fraude fiscale pour 100'000 CHF, vol à main

armée dans une petite bijouterie, mauvais traitement, violence à l’égard d'un enfant dans une crèche, blanchiment d'argent par

un gestionnaire de fortune, viol d'une amie, meurtre dans un accès de colère.

L'échelle de la variante B correspond à l'ensemble des indicateurs suivants : escroquerie de 100'000 CHF pour financer

une formation professionnelle, falsification d'une comptabilité commerciale pour s'enrichir de 100'000 CHF, vol à main

armée dans une grande bijouterie, mauvais traitement, violence, à l’égard d'un enfant par ses parents, blanchiment d'argent

par un gestionnaire de fortune, viol d’une inconnue, meurtre longuement prémédité.

L'échelle de punitivité associée à la question relative aux délits de faible gravité fait état

d'une forte proportion de répondants adoptant des comportements de punitivité faible, voire

minimum (66% dans la variante A et 61% dans la variante B). Les comportements extrêmes

et notamment la punitivité minimum sont peu marqués.

On constate que l'échelle de punitivité liée à la question relative aux délits graves et aux

crimes est plus étirée : elle fait donc écho à des comportements moins homogènes, laissant

supposer une gamme de représentations de la juste peine plus large et plus variée. Les

comportements extrêmes – la punitivité minimum comme la punitivité maximum – sont

représentés par 13 à 16% des répondants.

Facteurs individuels et contextuels déterminants

Cette partie a pour objectif de mettre en évidence les facteurs contextuels et individuels,

considérés comme déterminants dans un processus de réflexion sur la fixation d’une juste

peine. Il s’agit de comprendre les principes de modulation de l’attribution d’une peine en

fonction des poids respectifs de différents facteurs liés à l’accusé, à la victime et à l’acte

commis.

Les lignes qui suivent visent donc à saisir les points d’ancrage de ce processus de

réflexion, sur lequel les questions suivantes se posent :

1) Quels sont les éléments caractérisant l’accusé, respectivement la victime et l’acte, qui

doivent être pris en compte dans les délibérés sur la fixation d’une peine ? Quels sont les

poids respectifs de ces éléments ?

2) Comment ces éléments s’ordonnent-ils selon différentes dimensions d’interprétation ?

Peut-on mettre en évidence la présence de plusieurs types de mentalités ?

Page 15: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

131

Nous avons voulu tester auprès de notre échantillon différents types de caractéristiques

concernant l’accusé.

1. Individualisation ou généralisation. Il s’agit de cerner si sont principalement retenues

les caractéristiques qui personnalisent l'accusé (récidive, histoire vie) ou celles qui tendent à

l'intégrer dans un groupe d'appartenance plus général (revenu, sexe).

2. Objectivité ou subjectivité. Dans la même ligne, ces catégories visent à repérer

l’importance relative de caractéristiques objectives (être mineur ou jeune), par rapport à des

caractéristiques subjectives (motifs, repentir).

3. La dernière catégorie rassemble des critères non opposables. Sont retenus des critères

liés à l'intentionnalité (motifs, intentions de l’acte), au déterminisme (facteurs explicatifs de

l'acte) ou encore aux conséquences de l’acte. Celles-ci peuvent être orientées vers l’acte (par

le repentir exprimé) ou vers la peine.

Les caractéristiques de l’accusé

Cette partie vise à analyser l’importance que donnent nos répondants aux caractéristiques

de l’accusé pour établir une juste peine. En d’autre termes, quels sont les facteurs

déterminants liés à l’accusé qui doivent être inclus dans la recherche d’une peine adéquate ?

Doit-on mettre le poids sur une éventuelle carrière criminelle, sur son âge, sur ses ressources,

ou sur son identité sexuelle ? Le tableau 5.3 présente les fréquences de ces facteurs.

Page 16: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

132

Tableau 5.3 : Caractéristiques de l'accusé (%)*

Très important

Plutôt important

Plutôt pas important

Pas du tout

important

Sans opinion, je ne sais

pas

Total (N)

Il est récidiviste (C) 75 17 2 2 3 100 (1852)

Les motifs, les intentions de son acte (D) 54 32 7 3 3 100 (1852)

Il risque de recommencer (I) 51 33 8 3 4 100 (1852)

Il est mineur (moins de 18 ans) (A) 51 31 9 7 2 100 (1862)

Il est atteint de troubles psychiques (K) 48 35 9 5 2 100 (1855)

L'effet probable de la peine sur le délinquant (N) 37 35 12 8 8 100 (1858)

Il exprime un repentir sincère (J) 31 40 18 7 3 100 (1854)

Son histoire de vie (son enfance, etc.) (E) 27 43 20 7 2 100 (1862)

Il est jeune (20-25 ans) (B) 27 40 17 13 2 100 (1858)

Son entourage, ses fréquentations (G) 16 37 26 18 1 100 (1853)

Ses charges de famille (M) 12 38 25 21 4 100 (1859)

Son salaire, sa fortune (H) 7 17 28 44 3 100 (1853)

Sa nationalité (L) 6 7 17 66 3 100 (1858)

Son sexe (homme ou femme) (F) 3 6 24 62 2 100 (1850) * Question 9 : Pour fixer une peine juste, qu'il s'agisse d'un vol, d'un meurtre ou d'une escroquerie, certains pensent qu'il faut tenir

compte des caractéristiques de l'accusé, de la victime, etc.; d'autres, au contraire, estiment que c es caractéristiques n’ont pas d'importance. Pour vous, quelle est l'importance des caractéristiques suivantes de l'accusé pour fixer une peine juste ?

Le récidivisme reste la caractéristique de l’accusé la plus importante pour notre

échantillon (75%, voire 92% si l’on prend en compte la deuxième colonne), suivie de près par

les motifs de l’acte (54%), le fait qu’il soit mineur (52%) et le fait qu’il risque de

recommencer (51%). La présence de troubles psychiques (48%), voire l’effet probable de la

peine sur le délinquant (37%), sont aussi relevés comme très importants.

A l’exception des caractéristiques liées à l’âge de l’accusé, les indicateurs statutaires tels

que le salaire et la fortune (rejetés à raison de 72%), la nationalité (à raison de 83%) ou encore

le sexe (86%) sont considérés comme peu importants. Enfin, le poids relatif des indicateurs

«charges de famille» ou «entourage, fréquentations» divisent notre échantillon.

Les réponses indiquent ainsi une propension à considérer comme plus importants les

indicateurs qui personnalisent l’accusé, cela dans une perspective aussi bien rétrospective

(existence antérieure d’une trajectoire délictueuse, intentions ou motifs du passage à l’acte)

que prospective (existence d’un risque de répétition de l’acte, effet probable de la peine

prononcée). En y ajoutant l’importance de l'indicateur «mineur», nous observons l’attribution

d’un poids très important à un ensemble de critères dont le point commun est d’engager le

débat sur la responsabilité de l’accusé à l’égard de son propre comportement. Le fait que la

Page 17: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

133

caractéristique «mineur» soit incluse dans cette liste contribue à renforcer cette idée, puisque

cet indicateur repère un âge dans lequel la notion de responsabilité n’a pas le même sens – ni

les mêmes contraintes – qu’elle peut avoir à l’âge adulte. En contrepartie, par effet miroir, les

caractéristiques de type statutaire (niveau de revenu, sexe, nationalité) sont plus souvent

délaissés.

Si l’existence de troubles psychiques (48%) est un critère très important intervenant dans

la recherche d’une juste peine, l'histoire de vie est moins prise en compte (27%). Le poids est

donc posé en faveur de l’existence avérée, vérifiée, de troubles de la personnalité au niveau

individuel, au détriment d’un regard sur l’ensemble des éléments qui peuvent conduire à

l’émergence d’une relation distordue, déviante, entre l’individu et son environnement social.

L’analyse des correspondances et l’analyse de classification vont nous permettre de

repérer comment se combinent ces caractéristiques afin d’identifier les différents types de

mentalités présents parmi nos répondants.

Le graphique 5.1 illustre les résultats de l’analyse des correspondances7. A noter que les

centroïdes issus de la classification y sont inclus pour en faciliter la lecture.

7 L’axe 1 a été éliminé au profit des axes 2 et 3, pour éviter d’accorder une trop grande importance aux stratégies individuelles de réponse (voir chapitre 2, méthode d’enquête, page 42).

Page 18: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

134

Graphique 5.1 : Résultats de l’analyse des correspondances et de l’analyse de classification pour les caractéristiques de l’accusé

Légende + + caractéristique très importante, + caractéristique plutôt importante, - caractéristique plutôt pas importante, - - caractéristique pas du tout importante, ? sans opinion, ne sait pas

Page 19: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

135

Avant de nous intéresser aux types, considérons les éléments constitutifs des axes.

L’axe horizontal se constitue, de gauche à droite, sur la dualité entre facteurs subjectifs et

facteurs objectifs. Nous retrouvons ainsi à droite de l'ordonnée un ensemble de

caractéristiques immédiatement compréhensibles, telles que la nationalité ou les ressources

financières. L’axe vertical, du bas vers le haut, se module en fonction de la temporalité de ses

constituants : plus on monte sur cet axe, plus la présence d’éléments prospectifs s’intensifie.

Le quadrant du haut à droite se caractérise par le refus d’éléments pouvant

potentiellement atténuer une peine. La présence de troubles psychiques, d’une enfance

difficile, ou encore l’expression d’un repentir ne peuvent être considérés comme des facteurs

d’atténuation de la peine. Rien ne peut venir troubler la «juste» rétribution d’un acte

délictueux. La perspective retenue est claire, c’est le devoir de punir qui prime, sans

possibilité de réserve ou de compréhension. On constate une proximité entre le rejet de ces

indicateurs et la forte prise en compte d’éléments objectifs comme la nationalité ou le niveau

de revenu. Le raisonnement présent ici évoque une perception de la société dans laquelle les

«mauvais» sont identifiables et certainement non excusables. Le refus de toute atténuation

éventuelle d’une condamnation par le biais d’une perspective socio-psychologique confirme

cette attitude.

Le quadrant du bas à droite diffère du précédent en présentant une plus grande diversité

d’éléments. Si le sexe de l’accusé et ses charges de famille sont considérés comme

importants, le référentiel dominant prend cependant plus largement en compte une catégorie

d'indicateurs évoquant la carrière criminelle antérieure et la possibilité d’une répétition

d’actes délictueux. Ces éléments sont rejetés dans une large mesure, ce qui illustre un doute

sur une éventuelle fatalité criminelle. La diversité des indicateurs et de leurs charges

respectives montre toutefois une certaine perplexité au sujet des éléments susceptibles d’être

pris en compte dans la détermination d’une peine.

Le quadrant du bas à gauche apparaît comme plus centré autour de quatre éléments :

l’histoire de vie, l’âge de l’accusé (qu’il soit mineur ou jeune), l’existence de troubles

psychiques ou encore la capacité de repentir. Ces éléments sont de nature à atténuer la peine :

la préoccupation semble être mise sur la protection de la personne, sur une certaine

compréhension de son mécanisme psycho-dynamique et des étapes de sa construction

identitaire.

Le dernier quadrant, en haut à gauche, s’attarde sur le risque passé et futur que peut

représenter l’accusé pour la société. L’accent est mis sur la récidive et le risque de

recommencer. La présence plébiscitée de l'indicateur se rapportant aux motifs de l’acte

Page 20: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

136

Tableau 5.4 : Typologie liée aux caractéristiques de l’accusé Types selon les caractéristiques prises en compte

Caractéristiques de l'accusé Socialisation (25%)

Juvénilité (28%)

Dangerosité (39%)

Appartenances (8%) Moyenne V de Cramer

A) Il est mineur (moins de 18 ans) 53 95 21 48 52 .36**

B) Il est jeune (20-25 ans) 13 65 4 44 27 .36**

C) Il est récidiviste 28 89 93 86 76 .37**

D) Les motifs, les intentions de son acte 51 44 66 51 55 .14**

E) Son histoire de vie (son enfance, etc.) 49 20 17 40 28 .20**

F) Son sexe (homme ou femme) 4 0 0 26 3 .26**

G) Son entourage, ses fréquentations 21 12 11 46 17 .17**

H) Son salaire, sa fortune 6 2 3 50 7 .31**

I) Il risque de recommencer 11 51 75 69 52 .31**

J) Il exprime un repentir sincère 35 35 29 24 31 .10**

K) Il est atteint de troubles psychiques 52 54 42 44 48 .10**

L) Sa nationalité 1 1 0 62 6 .43**

M) Ses charges de famille 14 9 7 43 12 .21**

N) L'effet probable de la peine sur le délinquant 26 40 40 50 37 .12**

Page 21: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

137

indique cependant la forte prise en compte d’une conjonction motifs-acte, tout en faisant

abstraction de caractéristiques statutaires telles que le sexe ou le salaire. C’est bien ici la

dynamique de l’acte, le pourquoi, qui est considérée comme primordiale dans la réflexion sur

la détermination de la peine. Ce pourquoi est fortement empreint d’une préoccupation à

l’égard de la dangerosité de la personne délinquante.

L’observation des résultats de la classification permet d’identifier quatre types en fonction

de leur disparité dans leur vision des éléments déterminants à prendre en compte.

Une première remarque générale doit être faite : l’expression d’un repentir et l’existence

de troubles psychiques sont relevés dans des proportions similaires par nos répondants, quelle

que soit l’orientation des types. Il s’agit donc d'indicateurs transversaux et non discriminants.

Le type socialisation représente 25% de notre population. Le seul accent fort est mis sur

l’histoire de vie, la trajectoire familiale et sociale. C'est ce qui a déterminé la dénomination de

ce type qui est marqué quant au reste par une forte indécision sur les caractéristiques à retenir.

Le raisonnement est donc principalement centré sur les étapes de construction de l’identité

individuelle et sociale de l’accusé, avec certainement en toile de fond une volonté

d’interprétation des motifs pouvant pousser une personne à commettre un acte répréhensible

par le biais du vécu. La responsabilité personnelle de l’accusé semble être considérée comme

inexistante, comme une conséquence de l’histoire de vie, comme une contrainte issue d’un

parcours individuel forcément singulier. Le type se caractérise aussi par un refus des facteurs

stigmatisant l’accusé. La dangerosité, qu’elle soit le fait d’actes délictueux antérieurs ou à

venir, est fortement rejetée. L’effet de la peine sur le délinquant est un élément dont

l’importance est loin d’être primordiale.

Je pense toujours qu'il faut essayer aussi de comprendre les faiblesses de la personne, pourquoi elle en est arrivée là. C'est la première chose que je solliciterais de la justice, ce qui ne se fait pas souvent d'ailleurs, savoir si la personne est issue d'un milieu défavorisé, si elle a eu un parcours difficile, etc… En général on s'en fout complètement, je pense, et je crois que c'est ça qu'il faut prendre en considération pour pouvoir définir la sanction. Je crois qu'on devrait vraiment essayer de comprendre cela, parce que, sinon, la sanction n'a pas d'efficacité. Chercher l'historique de la personne. Homme, 51 ans, conseiller en matière de recherche d'emploi

Le type juvénilité regroupe 28% de l’échantillon. Ce type se différencie des autres par le

poids mis sur l’âge de l’accusé, c'est-à-dire sur une certaine période de sa vie. Les motifs de

l’acte et l’histoire de vie sont par contre moins pris en compte que par les autres types.

L’attention est presque exclusivement portée sur les mineurs et les jeunes, soit sur ce temps

qui correspond à la socialisation juvénile comme à celle du jeune adulte.

Page 22: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

138

Le type dangerosité rassemble 39% de notre échantillon. Il est caractérisé par la récidive

et la crainte de cette dernière, accompagnées par les motifs et les intentions liés à l’acte. En

contrepoint, le fait que l’accusé soit mineur, jeune ou qu’il ait une histoire de vie particulière

sont des facteurs rejetés. Les personnes appartenant à ce type semblent craindre pour elles-

mêmes ou pour l’ensemble de la société une justice orientée vers une trop grande

interprétation de nature psychologique de l’accusé. Seuls comptent les faits, c’est-à-dire les

motifs de l’acte et la dangerosité de l’auteur de l’infraction.

Le type appartenances se différencie sensiblement des autres en accentuant fortement

l’ensemble des indicateurs statutaires ou situationnels. Constitué par 8% de notre échantillon,

ce type retient prioritairement des éléments objectifs, tels que le salaire, la nationalité ou

encore les charges de famille. L’individu disparaît derrière la catégorie à laquelle il appartient.

Les caractéristiques de la victime

En suivant la même logique que celle de la question précédente, cette partie analyse

l’importance des caractéristiques de la victime dans la définition d’une juste peine. Les

catégorisations employées sont identiques (objectif/subjectif, individualisant/généralisant,

intentionnalité/conséquentialité/causalité).

Tableau 5.5 : Caractéristiques de la victime (%)* Très

important Plutôt

important Plutôt pas important

Pas du tout important

Sans opinion, je ne sais pas

Total (N)

La souffrance résultant du dommage qu'elle a subi (E) 54 29 6 4 4 100 (1825)

Sa faiblesse mentale, psychique (B) 46 34 8 7 2 100 (1829)

Sa faiblesse physique (A) 30 26 17 21 3 100 (1827) * Question 10 : Pour vous, quelle est l'importance des caractéristiques suivantes de la victime pour fixer une peine juste ?

Si le poids accordé à la souffrance de la victime est dominant parmi nos répondants

(54%), une forte attention est aussi portée à la faiblesse psychique de celle-ci (46%), voire

dans une moindre mesure à sa faiblesse physique.

A nouveau, et en contrepoint, la situation économique de la victime ou, à plus faible

échelle, le lien préalable avec l’accusé ne sont pas considérés comme particulièrement

importants.

Page 23: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

139

Suite du tableau 5.5 : Caractéristiques de la victime (%) Très

important Plutôt

important Plutôt pas important

Pas du tout important

Sans opinion, je ne sais pas

Total (N)

Elle avait un lien préalable avec l’accusé (familial, professionnel, amical) (D)

19 35 22 15 5 100 (1822)

Elle a commis une faute (provocation, négligence) (F) 18 44 22 8 5 100 (1826)

Sa situation économique (revenus, ressources) (C) 11 27 27 30 3 100 (1830)

Les caractéristiques objectives sont donc délaissées au profit de caractéristiques plus

subjectives, individualisant la victime. Les conséquences de l’acte subi sont cependant

prédominantes et indiquent une volonté de proportionnalité : la réponse pénale à l’égard d’un

acte délictueux doit, pour nos répondants, tenir compte des conséquences de l’acte,

notamment sur des aspects d’ordre émotionnel. L’intensité de la souffrance apparaît ainsi

comme susceptible de constituer un facteur d’un poids non négligeable lors du processus de

détermination de la peine.

La notion de faute est considérée comme (très et plutôt) importante par plus de la moitié

des répondants (62%), ce qui contribue à illustrer cette attention portée au fil motifs-

conséquences du délit ou du crime.

Nous observons cependant qu’un faible nombre de répondants ont relevé que plus d’une

des caractéristiques présentées sont à considérer comme «très importantes». Le graphique

suivant illustre cette répartition des répondants.

Page 24: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

140

Graphique 5.2 : Répartition des répondants selon le nombre de caractéristiques de la victime retenues comme «très importantes»

0%

5%

10%

15%

20%

25%

30%

1 2 3 4 5 6 0

% de réponses "très importante" par répondant

Ainsi, 26% des répondants considèrent qu’aucune des caractéristiques proposées ne

mérite une forte importance. A l’inverse, 15% estiment très important d’inclure quatre à six

des caractéristiques présentées.

Pour dépasser cette lecture descriptive, nous avons soumis les réponses à cette question à

une analyse par classification (tableau 5.6 et graphique 5.3). Les résultats montrent une claire

segmentation des répondants en trois types distincts.

Page 25: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

141

Tableau 5.6 : Typologie liée aux caractéristiques de la victime (%) Types selon les caractéristiques prises en compte

Caractéristiques de la victime Compassion (33%)

Restitution (11%)

Abstraction (56%) Moyenne V de Cramer

A) Sa faiblesse physique 70 56 2 30 .50**

B) Sa faiblesse mentale, psychique 95 75 12 47 .55**

C) Sa situation économique (revenus, ressources) 0 100 0 11 .71**

D) Elle avait un lien préalable avec l’accusé (familial, professionnel, amical)

30 46 8 20 .27**

E) La souffrance résultant du dommage qu’elle a subi 82 72 36 55 .31**

F) Elle a commis une faute (provocation, négligence) 21 33 14 19 .13**

Le type compassion met fortement l’accent sur les faiblesses de la victime, tant physique

que psychique, ainsi que sur la souffrance résultant du dommage subi. C’est certainement le

poids des aspects psycho-relationnels qui sous-tend la structure de ce type, en mettant en

évidence le rapport de force existant entre l'auteur de l'infraction et la victime, que celui-ci

soit antérieur ou postérieur à l’acte.

On retrouve dans le type restitution une prise en compte de l’ensemble des

caractéristiques de la victime, avec toutefois, comme différence majeure par rapport au type

compassion, l’acceptation totale de l’unique caractéristique statutaire (revenus, ressources de

la victime) et un poids plus important accordé à la notion de faute de la victime ou encore à

l’existence d’un lien préalable avec l’accusé. Si une orientation victimophile est toujours

présente, ce type intègre donc des perspectives plus large sur le plan social et non

exclusivement centrées sur la souffrance ou la faiblesse : le poids de celles-ci diminue de 20 à

25% par rapport au type compassion.

Ces deux premiers types regroupent 45% de notre échantillon. Ils se différencient du

dernier type en considérant comme nécessaire l’inclusion de facteurs liés à la victime dans

une réflexion sur la juste peine.

Le type abstraction rejette en effet la plupart des caractéristiques énoncées, tout en

acceptant très partiellement (à hauteur de 36%) la nécessité d’inclure la souffrance ressentie

par la victime dans un processus de détermination de la juste peine. On peut ainsi se permettre

Page 26: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

142

d'afficher un détachement à l'égard de la victime, à l'exception toutefois de la souffrance

résultant du dommage qui demeure, pour ce type comme pour les autres, un élément

impondérable et qu'il est civiquement difficile de rejeter. Représentant 55% de l’échantillon,

ce type se montre peu soucieux d’intégrer les caractéristiques de la victime dans une réflexion

sur la peine adéquate.

Page 27: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

143

Graphique 5.3 : Typologie liée aux caractéristiques de la victime

Légende + caractéristique importante, - caractéristique non importante

Page 28: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

144

La mise en rapport des deux typologies, celle issue de l’analyse des questions liées aux

caractéristiques de l’accusé et celle relative aux caractéristiques de la victime, montre

l’existence d’une relation significative : plus les répondants sont soucieux d’intégrer des

facteurs subjectifs liés à l’accusé, moins l’intérêt est porté sur les caractéristiques de la

victime. Cette mise en relation s’est construite sur une double agrégation : les types empathie

et victimité, regroupés sous l’étiquette «victime incluse», puis le type abstraction, sous

«victime non incluse». L’inclusion fait ici référence à la nécessité d’intégrer (ou de ne pas

intégrer) les caractéristiques de la victime dans la réflexion sur la juste peine.

Tableau 5.7 : Mise en relation des typologies sur les caractéristiques de l’accusé et de la victime (%)

Socialisation Juvénilité Dangerosité Appartenances Moyenne

Caractéristiques de la victime incluses

39 44 44 58 44

Caractéristiques de la victime non incluses 61 56 56 42 56

Pourcentage du nombre de répondants dans le type 25 28 39 8 100

N=1880, V de Cramer .13**

Cela tend à montrer que la question du renforcement du rôle de la victime dans le procès

pénal, question fort débattue dans les discours politiques et médiatiques ces dix dernières

années, est une idée peu présente dans les mentalités populaires. La répartition observée

illustre plutôt une dissociation dans les esprits entre la place de l’accusé et la place de la

victime. Seul le type appartenances, centré sur les indicateurs statutaires, retient comme

nécessaire l’inclusion des caractéristiques de la victime.

Les circonstances de l’infraction

La partie suivante explore les réponses liées aux circonstances dans lesquelles l'infraction

a été commise. Nous avons volontairement retenu un ensemble de caractéristiques d'ordre

général contenues dans le Code pénal. Les réponses obtenues cautionnent les facteurs usités,

notamment ceux qui font état de violence subie et ressentie.

Page 29: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

145

Tableau 5.8 : Autres éléments liés à l’infraction (%)*

Très important

Plutôt important

Plutôt pas

important

Pas du tout

important

Sans opinion, je ne sais

pas

Total (N)

Il a été fait usage de violence physique (D) 84 11 1 0 1 100 (1866)

Il a été fait usage d'une arme (C) 84 10 1 1 1 100 (1865)

L'étendue du dommage (A) 53 34 6 2 2 100 (1825)

L'infraction a été commise en bande (B) 42 34 14 4 2 100 (1836) * Question 11 : Pour vous, quelle est l'importance des autres éléments suivants pour fixer une peine juste ?

On constate que l’usage d’armes et l’usage de violence sont largement considérées

comme primordiales par plus de 84% de l’échantillon8. Cela rejoint un constat antérieur :

l’atteinte à l’intégrité, qu’elle soit concrète par le biais de violence physique ou de l’ordre de

la menace via une arme, constitue un élément central d’appréciation des éléments qui

entourent le délit. Il y a probablement une rupture qui se dessine dans les mentalités entre les

comportements criminels susceptibles d’entraîner une atteinte à l’intégrité physique et

psychique, et les actes sans violence, tels que le vol ou l’escroquerie. Par contre, l’étendue du

dommage ou le fait que l’infraction soit commise en bande ne constituent des éléments

d’appréciation très importants de l’acte délictueux que pour la moitié de l’échantillon.

Le graphique 5.4 illustre la répartition en pourcentage des répondants selon le nombre de

facteurs considérés comme «très importants». La répartition observée montre que plus des

deux tiers de l’échantillon considèrent que l’ensemble des facteurs doit être retenu dans cette

appréciation.

8 Ce qui est en conformité avec les dispositions pénales existantes.

Page 30: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

146

Graphique 5.4 : % de répondants ayant retenu de un à quatre facteurs liés à l’infraction comme «très importants»

010203040506070

80

1 2 3 4 N R

% de " t rès important"

Page 31: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

147

Quelle punitivité pour quel accusé ?

Quelles sont les relations entre les échelles de punitivité et la typologie des

caractéristiques de l’accusé ? En d’autres termes, peut-on associer les types identifiés avec un

degré de punitivité ?

Le graphique 5.5 illustre ces relations. Il est construit à partir des tableaux croisant la

typologie des caractéristiques de l’accusé et le degré de punitivité en deux positions (voir note

p. 129) et les courbes ne prennent en compte que la modalité associée à une forte punitivité9.

Graphique 5.5 : Typologie des caractéristiques de l’accusé et degré de punitivité10

La première observation à faire sur ces différentes courbes est le rapprochement entre les

types socialisation et juvénilité quant au degré de punitivité qui leur est associé.

Systématiquement, les répondants de ces deux types sont moins punitifs que les répondants

des types dangerosité et appartenances. Cette remarque est valable tout aussi bien pour la

question relative aux délits de faible gravité que pour la question relative aux délits graves et

aux crimes.

9 La représentation graphique de la moindre punitivité dessine des courbes similaires et inversées. 10 Ce graphique a été construit sur la base des données issues du croisement des échelles de punitivité (regroupées en deux niveaux) et de la typologie relative à l’accusé (V de Cramer .13**, .16**, .12**, .18**).

2 5

3 0

3 5

4 0

4 5

5 0

5 5

6 0

6 5

7 0

Social isat ion Juvénil i té Dangerosité Appartenances

Déli ts de faible gravité - Variante A Délits de faible gravité - Variante BDél i ts graves et cr imes - Variante A Dél i ts graves et cr im es - Var iante B

Page 32: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

148

Socialisation et juvénilité sont constitués prioritairement en fonction de facteurs

individualisants et explicatifs de la personnalité. Il s'agit de l'histoire de vie et de l'âge. Cette

inflexion tend à induire un degré de punitivité moins important.

A contrario, les types dangerosité et appartenances sont beaucoup plus nettement reliés à

une sévérité accrue. La gamme de facteurs constitutifs de ces deux types prend en compte tout

aussi bien des éléments statutaires objectifs que des éléments liés au danger potentiel

représenté par le délinquant. S'il est difficile d’associer ces deux types et de leur trouver des

éléments communs, ceux-ci se retrouvent cependant sur le même versant en matière de

punitivité. Sous dangerosité on peut clairement identifier des craintes en matière de récidive

ou de violence, craintes qui inclinent à la peine. Qu’en est-il alors du type appartenances ? Le

lien entre une punitivité accrue et des facteurs aussi réducteurs que la nationalité et le sexe ne

s'explique pas facilement, sauf à considérer qu’il est plus facile de juger en fonction d’une

catégorie ou d’un étiquetage social, qu’en fonction de la personnalité de l’accusé.

L’effet du positionnement social

On peut, à juste titre, se demander si le degré de punitivité associé aux délits et aux crimes

diffère selon le statut social et démographique des individus, leurs orientations idéologiques,

le niveau d'information qu'ils détiennent et le canal par lequel cette information est alimentée

ou encore par leur perception du phénomène criminel. Nous allons tirer les grandes lignes de

cette analyse pour les échelles de punitivité retenues (voir annexe 1, tableaux 4, 5, 6 et 7, pp.

219-223). Pour cette analyse, l'échelle a été regroupée en deux niveaux de punititivité et le

commentaire concerne, pour les délits de faible gravité et pour les délits graves et les crimes

les deux variantes ensemble11.

L’analyse différentielle qui suit reprend cette catégorisation en y incluant à leur juste

place les types issus de l’analyse par classification concernant les caractéristiques de l'accusé.

Il y a en effet, comme on va le voir, concordance en ce qui concerne le positionnement social

d'un côté entre les types socialisation, juvénilité et le faible degré de punitivité et de l'autre

entre les types dangerosité, appartenances et le fort degré de punitivité.

11 Dans chacun des quatre cas – questions 12 et 13, faible et forte punitivité - le commentaire concerne l'ensemble des deux variantes. Nous avons en effet noté qu'il n'y a jamais, en comparant les variantes d’une même question, d'écart de sens ou de logique parmi les variables caractéristiques du type retenues par l'analyse de classification, mais parfois des écarts dans leur position respective, ce qui explique que les listes qui figurent en annexe ne prennent pas en compte toutes les variables citées par le commentaire, le palier pour les retenir ayant été fixé à la valeur 3.00 du V-test.

Page 33: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

149

Faible punitivité 12

Le type socialisation est davantage présent parmi les répondants qui refusent l’idée d’une

aggravation de la criminalité, se sentent en sécurité, sont d'âge élevé voire retraités et proches

du type optimisme issu de la catégorisation finale du chapitre général sur la délinquance. Ces

personnes considèrent le monde actuel comme empreint d’anomie sociale. Elles disposent

d’un faible pouvoir économique et sont peu intéressées par les faits divers. Rejetant l’idée

d’un affaissement des institutions traditionnelles, elles ont des valeurs orientées vers la

solidarité interindividuelle et manifestent une confiance en l’autre. La finalité de la peine est

perçue positivement : ce type rejette des affirmations d’orientation répressives, comme

l’éventualité d’un emprisonnement ferme pour les mineurs dans les cas d’infractions graves,

défend l’idée d’une amende proportionnée au niveau de revenu et reste ouvert aux nouvelles

modalités d’exécution de peine (bracelet électronique).

Le type juvénilité est proportionnellement plus féminin, et disposant d’un niveau de

revenu confortable. Bien insérées socialement, ces personnes (souvent avec enfants) refusent

notamment l’idée de mettre en prison des délinquants mineurs.

Comme présenté dans le graphique 5.5 (voir annexe 1, tableau 3, pp. 215-218), ces deux

types sont associés avec un faible degré de punitivité. Pour les délits de faible gravité, cette

tendance est plutôt caractéristique de personnes se situant en haut de l'échelle sociale

(propriétaires de leur logement, disposant de bons revenus (2.34**). Le sentiment d'insécurité

n'est pas présent (2.67**, 2.94**), le risque non plus, ce qui est attesté par une proportion plus

importante qu'ailleurs des personnes se rattachant au type optimisme issu de la catégorisation

finale du chapitre général sur la délinquance. Il s'agit de personnes bien intégrées socialement.

Le vecteur d'information que représente la télévision, notamment sur le thème de la justice

(séries policières, etc.) n'est pas important. Cette faible punitivité est associée à un certain

optimisme face à la nature humaine, à une conception de la peine exprimée en termes

prospectifs et à l'explication des causes de la criminalité par l'anomie sociale. A titre

d'exemple, notons que l'on adhère ici moins souvent à l'idée que les délits commis par des

mineurs puissent être punis par des peines de prison.

En ce qui concerne les délits graves et les crimes, on retrouve comme caractéristique

d'une faible punitivité la bonne intégration au tissu social – attestée par un bon niveau de

12 Pour cette analyse nous avons regroupé les échelles de punitivité des questions 12 et 13 en deux niveaux. La faible punitivité correspond pour chacune des deux questions à l'addition des niveaux punitivité minimum et punitivité faible – situés respectivement à un ou deux écarts type en dessous de la moyenne - et la forte punitivité à l'addition des niveaux punitivité forte et punitivité maximum – situés respectivement à un ou deux écarts type au dessus de la moyenne. Voir les tableaux de la note 5 page 129.

Page 34: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

150

formation, une certaine expérience (universitaire, attachement au type quiétude issu de la

catégorisation finale du chapitre général sur la délinquance) et l'intérêt pour les problèmes de

politique suisse beaucoup plus par la lecture de la presse et les discussions entre amis que par

le biais de la télévision. L'importance de l'anomie sociale (2.72**) ou des inégalités

économiques (2.81**) - présence du chômage, existence de catégories de personnes

défavorisées, isolement - sont prioritairement avancées comme cause de la criminalité. Cela

va de pair avec la nette prise en compte des éventuelles difficultés rencontrées pendant

l'enfance comme facteur explicatif des actes délictueux de l'accusé. On relève aussi une

certaine influence de l'âge – plus on avance en âge, moins on est sévère.13

Forte punitivité

Le type dangerosité est plutôt caractéristique de personnes plus jeunes (moins de 35 ans)

et actives professionnellement. Grandes consommatrices de faits divers, disposant d’une

bonne formation et sans enfants, elles sont préoccupées par l’anomie institutionnelle,

pressentie comme responsable de l’extension d’une criminalité dont elles estiment que la

seule réponse valable à apporter se situe dans une sévérité accrue des instances répressives.

Ce type est également caractérisé par un moindre sentiment de sécurité personnelle. La

finalité de la peine est essentiellement restitutive : il n’y a pas un projet de réintégration

sociale à développer, mais un prix à payer. Dans ce cadre, les délinquants estimés dangereux

doivent pouvoir être enfermés à vie. On perçoit enfin une prédominance d’un système de

valeurs orienté vers l’idée de responsabilité individuelle et l’absence de références sur le plan

de la solidarité collective.

Enfin, le type appartenances regroupe différentes classes d’âge, à l’exception notable des

26-35 ans. Il est caractéristique de personnes dotées seulement d’une formation de base

(scolarité obligatoire, CFC ou école professionnelle), grandes consommatrices d’émissions

télévisuelles sur la justice et des faits divers repris par la presse écrite, personnes qui estiment

que la criminalité est en forte hausse et craignent pour leur propre sécurité. Une peine doit

tendre à être afflictive, faire honte ou faire souffrir, seuls éléments à même de corriger les

vices et tares de délinquants perçus comme des déviants. On assimile la justice à une justice

de classe, ce qui indique une difficulté à comprendre la complexité du monde, et une certaine

perplexité devant ses évolutions. A titre d’exemple, on trouve dans ce type plus que dans

d'autres, une opposition à la dépénalisation de la consommation de canabis. 13 Cette corrélation est attestée par l'examen des tris croisés simples entre la variable âge et les échelles de

Page 35: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

151

Ces deux types sont associés à une forte punitivité. Celle-ci est davantage présente - pour

les délits de faible gravité - dans le bas de l'échelle sociale. Relevons qu'il y a là plus

qu'ailleurs une nette influence de l'information par le biais de la télévision (notamment les

émissions concernant la justice). Le sentiment d'être exposé à des risques est présent. Une

forte punitivité est aussi associée à la perception de la personnalité criminelle comme

dangereuse et à l'idée que le crime rapporte. Il est dès lors peu surprenant que la prison soit

préférée aux autres types de peines. On est moins d'accord qu'ailleurs pour que les courtes

peines puissent être transformées en travail au profit de la communauté ou pour que les

amendes puissent être proportionnelles au revenu de l'accusé. Par contre on est plus souvent

en faveur de l'internement à vie pour les délinquants dangereux. On estime d'ailleurs que la

justice comme la police ne sont pas assez efficaces et on rejette nettement l'explication des

causes de la criminalité par les inégalités économiques, la jeunesse ou encore le fait que les

délinquants puissent être des malades (-2.79**).

La forte punitivité en ce qui concerne les délits graves et les crimes est plus souvent

associée aux classes d'âge plutôt jeunes (moins de 35 ans)14 dont l'opinion sur l'évolution

actuelle de la criminalité est très pessimiste. L'information passe par le téléjournal, les

émissions télévisuelles concernant la justice et la lecture de la chronique judiciaire dans la

presse. Il s'ensuit assez naturellement une perception du délinquant conforme à l'image d'une

personnalité déviante et dangereuse attestée par la corrélation entre la forte punitivité et le

type désaffiliation de la typologie générale du chapitre sur la délinquance.

En synthétisant à l'extrême, on peut relever en résumé que dans notre échantillon

l'intensité de la répression est inversement corrélée à l'intensité du sentiment d'insécurité et de

perception du risque d'être victime d'un délit. Elle est également inversement corrélée à la

fermeté de la conviction que des explications psychologiques (en ce qui concerne l'individu)

et sociales (relatives au cadre de vie dans son sens le plus large) peuvent être à l'origine de la

délinquance et de la criminalité. Elle est par contre positivement corrélée à la force de la

croyance en un déterminisme quant à la personnalité déviante.

punitivité des questions 12 et 13 (V de Cramer .06, .13**, .13**, .13**). 14 C'est d'ailleurs dans cette tranche d'âge que l'on trouve les répondants favorables à la peine de mort en cas de viol ou de meurtre.

Page 36: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

152

La question de la proportionnalité

Il s'agit maintenant de mesurer l'intensité de la répression à l'endroit de délits identiques

par leur nature (un vol, une agression, un homicide) mais de gravité diverse ou perpétrés dans

des conditions différentes : les sanctionne-t-on plus sévèrement ou au contraire de la même

manière ? Tient-on compte essentiellement de l'acte commis ou aussi de l'ensemble du

dispositif qui l'accompagne ? On a fait varier dans la question relative à ce thème et pour un

même délit les paramètres que sont i) l'intention du délinquant, ii) les conséquences

matérielles ou morales de l'acte criminel pour la/les victime(s) ou encore iii) l'étendue du

dommage subi.

Tableau 5.9 : Mesure de la proportionnalité de la peine (%)* Beaucoup

plus sévèrement

Un peu plus sévèrement

Plus sévèrement

De la même manière

Sans opinion, je ne sais pas

Total (N)

Comment faudrait-il punir … une personne qui blesse volontairement quelqu’un par rapport à celle qui blesse involontairement quelqu’un ? (F)

74 17 91 5 4 100 (1815)

Comment faudrait-il punir… un vol effectué pour s’enrichir par rapport à un vol effectué pour survivre ? (C)

65 21 86 10 4 100 (1804)

Comment faudrait-il punir … une agression ayant gravement blessé la victime par rapport à une agression ayant légèrement blessé la victime ? (A)

52 26 78 21 2 100 (1839)

Comment faudrait-il punir … un acte de vandalisme commis par une personne majeure par rapport à un acte de vandalisme commis par une personne mineure ? (B)

32 44 76 21 3 100 (1830)

Comment faudrait-il punir … un vol de 5000 CHF par rapport à un vol de 500 CHF, dans un grand magasin ? (B)

9 45 54 43 2 100 (1837)

Comment faudrait-il punir … un vol de 3000 CHF à une personne très modeste par rapport à un vol de 3000 CHF à une personne fortunée ? (D)

23 21 44 53 3 100 (1820)

Comment faudrait-il punir … l'assassin de quatre jeunes femmes par rapport à l'assassin de deux jeunes femmes ? (E)

24 8 32 66 2 100 (1839)

Comment faudrait-il punir … le meurtre d’une mère de trois enfants par rapport à celui d’une femme sans enfant ? (G)

15 11 26 71 2 100 (1839)

* Question 14 : Comment, selon vous, faudrait-il punir dans chaque cas ?

Page 37: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

153

Graphique 5.6 : Mesure de la proportionnalité selon les scénarios

2632

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%bl

essu

revo

lont

aire

/invo

lont

aire

vol p

our

s'en

richi

r/sur

vivr

e

agre

ssio

n av

ecbl

essu

resg

rave

s/lé

gère

s

vada

lism

e pa

rm

ajeu

r/min

eur

vol d

e 50

00 fr

./500

fr.

vol d

e300

0 fr.

à p

ers.

mod

este

/fortu

née

assa

ssin

at d

e 4/

2 je

unes

fem

mes

meu

rtre

d'un

e fe

mm

esa

ns e

nfan

t/mèr

e de

fam

ille

plus sévèrement même manière NSP

92 86 7776

54 44

510 21

21

43

53

6671

On constate clairement dans les réponses à cette question l'effet déjà relevé de la présence

et/ou de la qualité de l'intention qui motive l'acte délictueux. Les répondants estiment juste de

sanctionner plus sévèrement une blessure provoquée volontairement qu'une blessure commise

involontairement (ligne F, 92%). De même un vol dont la principale raison est

l'enrichissement de son auteur entraîne une peine plus lourde qu'un vol commis dans le seul

but de survivre (ligne C, 86%). Dans ces deux cas l'accent est mis de manière évidente sur la

réponse «beaucoup plus sévèrement».

Ensuite, l'étendue du dommage causé par le délit n'est pas sans effet sur le degré de

sévérité. C'est en tous cas très net pour ce qui concerne l'atteinte aux personnes : une

agression ayant provoqué de graves blessures à la victime sera plus sérieusement punie qu'une

agression n'ayant entraîné que des blessures légères (ligne A, 78%). Mais peut-être est-on

toujours là dans un registre proche de l'intention ?

Page 38: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

154

Enfin, l'identité de l'auteur a une influence claire puisqu'un acte de vandalisme est plus

sévèrement puni lorsqu'il est le fait d'une personne majeure plutôt que mineure (ligne H,

76%).

Les réponses se distinguent ensuite selon la nature ou le type de l'infraction commise.

Lorsqu'il s'agit d'atteinte contre le patrimoine (en l'occurrence le vol) l'échantillon est

assez nettement partagé puisqu'une moitié des personnes estiment juste de tenir compte de

l'importance du montant volé ou encore des conséquences du vol pour la victime alors que

l'autre moitié des répondants opte pour une égalité de traitement. De cette constatation se

dégagent plusieurs types d'attitude distincts.

L'attitude proportionnaliste sanctionne avec plus de sévérité un vol important qu'un petit

vol commis dans un grand magasin – c'est alors de la hauteur du délit que l'on tient

principalement compte – (ligne B). Elle est suivie par plus de la moitié des répondants (54%).

L'attitude conséquentialiste est adoptée par 44% des répondants, lesquels considèrent

comme adéquat de punir plus sévèrement un vol s'il affecte une personne aux revenus

modestes plutôt qu'une personne aisée (ligne D). Pour près d'une personne sur deux l'intensité

de la répression est modulée par les effets que produiront sur la victime les conséquences du

délit.

Pour l'autre moitié des répondants à ces deux questions il y a un tarif unique et c'est ce

tarif qu'il est juste de suivre, sans s'attacher ni à l'importance du vol ni aux conséquences que

le délit peut entraîner pour la victime. On est alors en face d'une référence objective dans la

mesure de la juste peine : ce ne sont plus les montants dérobés ou la victime et ses éventuelles

souffrances qui comptent, mais le type de délit commis.

Non mais c'est l'acte qu'on devrait voir pas la valeur! Parce ce que ce qu'on punit c'est le fait d'avoir transgressé la loi ce n'est pas le montant du vol ! La loi est là pour être respectée et pour empêcher tout acte délictueux. Du moment qu'on vole, que ce soit 10, 20, 200 ou 10'000 francs, on transgresse la loi ! Finalement, je pense qu'après c'est plus une histoire d'être plus ou moins compétent dans le vol et puis peut-être d'avoir plus de culot ou plus de savoir-faire. Femme, 22 ans, étudiante

Ce raisonnement, qui porte vers une absence de proportionnalisme la moitié des

personnes interrogées devient alors tout à fait évident et majoritaire en cas d'atteinte mortelle

aux personnes. L'assassinat comme le meurtre doivent être punis en tant que tels, sans tenir

compte de l'étendue des dégâts (66% des interrogés estiment qu'il est juste de punir de la

même manière l'assassinat de deux ou de quatre jeunes femmes) ou des conséquences que

pourraient entraîner la disparition de la victime pour son entourage (71% des personnes

Page 39: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

155

répondent qu'il est juste de punir de la même manière un meurtre qu'il ait ôté la vie à une

femme sans enfants ou laissé trois orphelins. On retrouve ici l'écrasement du poids de la

variation des circonstances devant la gravité du délit, phénomène décrit au cours de l'analyse

de la question relative aux délits graves et aux crimes (voir p. 126).

Typologie sur la proportionnalité

L'analyse des correspondances sur l'ensemble de la question 14 permet de compléter et

d'affiner le descriptif qui précède et d'identifier certaines caractéristiques majeures des types

selon leur positionnement social.

Page 40: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

156

Graphique 5.7 : Typologie sur la proportionnalité

Légende + plus sévèrement, = de la même manière

Page 41: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

157

Le graphique 5.7 s'organise, de la gauche vers la droite de l'abscisse, d'une tendance

objectiviste qui consiste à raisonner exclusivement autour de l'acte lui-même à une tendance

proportionnaliste qui prend en compte le contexte, les conséquences ou l'intention de l'acte

criminel. Dans le premier cas, c'est l'entité juridique en elle-même constituée par le délit – le

vol, la blessure, le meurtre en tant que tels – qui prime et elle sera prise en compte de la même

manière, quelles que soient les circonstances dans lesquelles le délit a été commis. Dans le

second, on punit plus sévèrement un délit ou un crime perpétré dans le contexte estimé

proportionnellement le plus grave. Quatre types se placent dans le cadre constitué par ces

axes.

Tableau 5.10 : Typologie en matière de proportionnalité, en % et selon les réponses «beaucoup» et «un peu plus sévèrement»

Types de proportionnalisme Indicateurs de proportionnalité

Proportion-nalisme

pragmatique (42%)

Absence de Proportion-

nalisme (19%)

Proportion-nalisme

exemplaire (7%)

Proportion- nalisme

généralisé (33%)

Moyenne V de Cramer

Comment faudrait-il punir … une agression ayant gravement blessé la victime par rapport à une agression ayant légèrement blessé la victime ? (A)

86 39 67 96 79 .51**

Comment faudrait-il punir … un vol de 5'000 CHF par rapport à un vol de 500 CHF, dans un grand magasin ? (B)

56 15 38 83 56 .49**

Comment faudrait-il punir… un vol effectué pour s’enrichir par rapport à un vol effectué pour survivre ? (C)

100 75 27 95 90 .57**

Comment faudrait-il punir … un vol de 3000 CHF à une personne très modeste par rapport à un vol de 3000 CHF à une personne fortunée ? (D)

47 10 33 67 45 .41**

Comment faudrait-il punir … l'assassin de quatre jeunes femmes par rapport à l'assassin de deux jeunes femmes ? (E)

6 4 55 80 33 .75**

Comment faudrait-il punir … une personne qui blesse volontairement quelqu’un par rapport à celle qui blesse involontairement quelqu’un ? (F)

100 95 30 98 95 .68**

Comment faudrait-il punir … le meurtre d’une mère de trois enfants par rapport à celui d’une femme sans enfant ? (G)

3 3 42 71 27 .71**

Comment faudrait-il punir … un acte de vandalisme commis par une personne majeure par rapport à un acte de vandalisme commis par une personne mineure ? (H)

87 52 38 90 78 .43**

Page 42: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

158

Le type le plus important - il représente 41% l'échantillon – propose une réponse à

coloration pragmatique et fait une nette différence entre les homicides (meurtre, assassinat) et

d'autres délits, considérés comme moins graves. Pour les premiers, il y a chaque fois un seul

tarif, égal. Nul besoin donc de prendre en considération les circonstances ou les conséquences

de l'acte. Pour les seconds par contre, une modulation est nécessaire dans le choix de la

peine : un vol commis pour s'enrichir sera par exemple puni plus sévèrement qu'un vol

effectué pour survivre; de même l'auteur d'une blessure grave par rapport à celui d'une

blessure légère. La spécificité du délit et son importance orientent le raisonnement face à la

peine.

Un deuxième type, – 20% - propose un raisonnement qui fait assez généralement

abstraction de toute notion de proportionnalité15. Pour ces personnes, c'est l'acte en tant que tel

qui doit être premier et seul pris en compte dans l'évaluation de la peine. A délit égal, peine

constante : l'acte délictueux est alors détaché, quant à l'évaluation de sa punition, du dispositif

qui l'accompagne.

Le troisième type, de taille beaucoup plus marginale puisqu'il ne regroupe que 8% des

répondants, se profile de manière opposée au premier type décrit, c'est un proportionnalisme

exemplaire. Pour ces répondants, l'égalité de traitement s'applique aux petits délits, qu'ils

touchent le patrimoine comme le vol ou l'intégrité physique comme les blessures. Par contre,

cette manière de raisonner accepte le proportionnalisme en ce qui concerne le meurtre ou

l'assassinat dont les circonstances doivent alors être étudiées dans le sens d'une inflexion de la

peine.

Le dernier type – 32% de l'échantillon – se situe entièrement du côté du

proportionnalisme. Il y a toujours, pour ces personnes, une modulation à apporter, toujours

des facteurs à considérer soit pour atténuer, soit pour aggraver la peine. L'acte ne peut pas être

détaché des circonstances qui l'entourent, ce sont ces dernières qui permettent une juste

attitude face à la peine.

L'analyse de l'association de ces types avec le positionnement social permet de relever

quelques tendances (voir annexe 1, tableau 8, pp. 224-226).

Le premier type (proportionnalisme pragmatique) est légèrement plus représenté chez les

personnes sans croyance religieuse, qui craignent moins que d'autres pour leur sécurité et ne 15 Seule la malignité de l'intentionnalité vient dans deux cas modérer cette manière quasi objective d'envisager la peine. Le vol commis pour s'enrichir ou la blessure causée volontairement sont tout de même punis plus sévèrement. Ce sont d'ailleurs les deux indicateurs qui recueillent le plus fort taux de proportionnalité (voir tableau 5.9).

Page 43: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

159

considèrent pas que l'évolution de la criminalité est à la hausse. Favorables à la dépénalisation

des drogues douces, elles sont dotées de bons revenus.

Le deuxième type (absence de proportionnalisme) est plutôt présent chez les personnes

qui tendent à déplorer la perte des valeurs morales et à rejeter les explications psychologiques

ou sociales de la délinquance.

Le troisième type (proportionnalisme exemplaire), marginal quant au pourcentage de

l'échantillon qu'il représente, est également plus en marge du point de vue de son

positionnement social. Il est plutôt constitué de personnes peu dotées du point de vue de la

formation et enclines en ce qui concerne les finalités de la peine à rejeter la réinsertion pour

adhérer à des formes plus dures. Cette attitude vindicative est liée à un fort intérêt pour le

téléjournal et les émissions concernant la justice au détriment des problèmes internationaux

ou de société. Elle fait également état d'un certain pessimisme quant à l'évolution de la

délinquance et pense que les meurtres et la délinquance sexuelle représentent une activité

importante des tribunaux.

Le dernier type (proportionnalisme généralisé) se distingue des autres en ce sens qu'il est

plus présent parmi les personnes des tranches d'âge élevé et parmi les retraités. Ces personnes

se préoccupent des problèmes concernant la justice et apprécient les discussions sur la

chronique judiciaire.

Conclusion

Nous avons identifié dans ce chapitre les principaux éléments à même de préciser les

contours (et les volatilités) d’une «juste» adéquation entre un acte considéré comme

répréhensible et la sanction qui l’accompagne. La proximité entre auteur et victime, la nature

de la victime atteinte ou encore l’intention à la base de la commission de l’acte ont ainsi fait

l’objet d’analyses détaillées et ont permis de mettre en évidence leur portée dans un processus

de détermination de la peine.

C’est ainsi que l’effet de proximité entre auteur et victime joue un rôle certain en

favorisant des formes de réparation directe, notamment pour les délits peu graves. Ce souhait,

que l’on peut interpréter comme une volonté de maintien du lien social, tend à disparaître

quand la victime est davantage anonyme. La peine passe alors d’un registre interindividuel à

une dimension collective, dont les formes les plus courantes sont l’amende ou le travail

d’intérêt général. Ce constat ne fonctionne toutefois pas pour les délits graves et les crimes : la

réparation y est plus difficile, et la peine demeure essentiellement collective, par le biais de la

Page 44: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

160

prison ferme. La nature de la victime (publique ou privée), bien que peu souvent considérée

comme un facteur déterminant, tend cependant à faire évoluer la peine selon des modalités

similaires à celles observées pour l’effet de proximité.

Certaines intentions à la base de l’acte semblent considérées comme justes et honorables,

d’autres sont indignes : les peines prioritairement retenues illustrent cette segmentation des

motifs qui président à la commission d’un acte. Nous retrouvons à nouveau, mais dans une

moindre mesure, cette bipolarité entre réparation et restitution à la collectivité.

Dans un second temps, les facteurs associés à la personnalité de l’accusé et de la victime

ont pu être distingués quant à leurs poids respectifs. La carrière criminelle, passée et probable,

reste l’axe central autour duquel s’articule la détermination de la peine. La prédominance des

facteurs individualisant l’accusé montre cependant une attention soutenue à l’égard de

facteurs subjectifs. Quant à la victime, et contrairement au sursaut en sa faveur observé ces

dernières années16, peu de personnes considèrent que ses caractéristiques doivent

systématiquement faire partie de ce processus de réflexion sur la juste peine.

Il s’agit maintenant, pour conclure ce chapitre, d’associer les typologies et échelles de

punitivité construites autour de la notion d’adéquation aux différentes tendances observées

dans les chapitres précédents. En d’autres termes, les questions suivantes se posent :

1) Quelles sont les relations entre les perceptions générales de la délinquance et les

différents niveaux de sévérité observés ?

2) Quelle est l’adéquation entre les perceptions des causes de la délinquance et les poids

accordés aux caractéristiques de la victime ou de l’accusé ?

3) Quelles sont les relations entre les finalités que l’on assigne à la peine et le degré de

sévérité attribué à cette dernière ?

Sévérité et sécurité

Comme on pouvait légitimement l'imaginer, le degré de punitivité évolue en fonction de

deux types de vécus personnels : le sentiment d’insécurité et les causes identifiées comme

responsables de la production de délinquance. L’intensité perçue de la menace sociale et

personnelle que constitue ce fait social nommé délinquance apparaît comme le principal

producteur de sévérité. Nous la retrouvons auprès de différents types idéaux, identifiant la

dérive des institutions, la déviance individuelle, et parfois l’anomie sociale comme vecteurs

de délinquance. La peine présente dans cette optique différentes fonctions, dont le point

commun est d’envisager l'amendement et la réinsertion du condamné comme non pertinentes.

Page 45: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

161

La sévérité est aussi liée à d’autres facteurs, d’ordre socio-démographique, comme le faible

niveau scolaire, une gourmandise exacerbée à l’égard des faits divers de la presse écrite et des

émissions télévisuelles grand public «traitant» de la délinquance. Cette sévérité s’accompagne

d’une plus grande empathie à l’égard de la victime et, à l'inverse, d’une perception de l'accusé

essentiellement orientée vers sa carrière criminelle et sa dangerosité. La sévérité la plus forte

se retrouve aussi auprès de personnes qui retiennent comme facteurs très importants un

ensemble disparate de statuts sociaux, au sein duquel nous retrouvons sans surprise la

nationalité, mais aussi le niveau de pouvoir, ou encore – avec beaucoup plus d’étonnement –

le sexe. Envisagé sous une autre perspective, la sévérité semble corrélée avec certains

éléments qui peuvent certes être sans difficulté accolés à un accusé, mais qui appartiennent

davantage à un univers exogène à l’histoire propre de l’individu en question. Il y a donc ici,

présent et sous-jacent, un certain déterminisme qui s’applique à la peine : le statut – quel qu’il

soit – est important.

La fracture pénale, si l’on peut s’exprimer ainsi, se situe clairement dans le degré de

compréhension que l’on peut avoir à l’égard d’un comportement délictueux. Une

identification des causes de la délinquance comme issue des inégalités sociales, de l’excès de

richesses mal partagées, engendre une plus faible punitivité. Cette vision, issue du regard que

l’on porte sur le fonctionnement de la société, se retrouve auprès de types centrés sur l’anomie

morale et sociale comme sources de délinquance. La moralité et l'état de la société étant de

l’ordre de la responsabilité de chacun, on peut supposer que pour ces types, la faible punitivité

enregistrée constitue une volonté de se déculpabiliser à l’égard d’une délinquance que l’on

peut (ou veut) expliquer et parfois comprendre. Mis en regard avec les finalités souhaitables

de la peine, nous retrouvons – tendanciellement – comme étant moins punitif les répondants

qui estiment qu’une peine, quelle qu’elle soit, doit être sous-tendue par une vision positive,

que celle-ci s’exprime par le biais d’un multifonctionnalisme positif, d’une réinsertion ou

encore d’une restitution.

En conclusion intermédiaire, nous pouvons affirmer que le regard porté sur la juste

peine évolue d’une part en fonction de la menace personnelle et sociale ressentie, mais aussi

en fonction de la position de chacun sur une ligne partant d’une perspective endo-normée à

une perspective exo-normée.

16 C.- N. Robert, 1997.

Page 46: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

162

Annexe au chapitre 5

La peine de mort en Suisse

La peine de mort était autrefois celle de presque tous les délits. La grande réforme de la

fin du XVIIIème siècle mit à sa place, au centre du système des peines, les peines privatives

de liberté. Depuis lors et jusqu’à son abolition, la peine de mort perdit encore du terrain. Non

seulement son application fut restreinte à un très petit nombre de délits (assassinat, parfois

aussi haute trahison) mais une série d’Etats l’avait déjà abolie : la Roumanie (dès 1864), le

Portugal (1867), les Pays-Bas (1870), l’Italie (1889), la Norvège (1902) et la Russie (à

plusieurs reprises, en dernier lieu en 1917).

En Suisse, la peine capitale avait déjà été abolie dans plusieurs cantons, à savoir Fribourg

(1848-1868), Neuchâtel (1864), Zurich (1869), Tessin (1871), Genève (1871), Bâle-Ville

(1872), Bâle-Campagne (1873) et Soleure (1874), lorsque la Constitution fédérale du 29 mai

1874 interdit, à son art. 65, la peine de mort. Puis, la révision remit en vigueur le système de

la Constitution de 1848, art. 54 : «la peine de mort est exclue seulement en matière de délits

politiques». Cette révision constitutionnelle fut acceptée par 13 cantons et 4 demi-cantons

contre 6 cantons et deux demi-cantons, et par 200 485 voix contre 181 588. Par la suite, la

peine capitale fut réintroduite, en 1880 dans les cantons d’Uri, Obwald et Appenzell-Rhodes

intérieures, en 1881 à Schwytz, en 1882 à Zoug et St Gall, en 1883 à Lucerne et en Valais, en

1893 à Schaffhouse et en 1894 à Fribourg. En 1910, elle existait dans 8 cantons et deux demi-

cantons qui comptaient au total 924 889 habitants, soit 24,56 % de la population totale en

Suisse.

Le fait que la peine de mort était restée abolie dans la grande majorité des cantons

interdisait, à lui seul, de prévoir la peine de mort dans le Code pénal suisse. D’autre part, les

exigences de la sécurité publique n’obligeaient pas le législateur à inscrire cette peine parmi

celles du projet. En effet, la sécurité publique n’avait nullement été compromise dans les

cantons qui n’avaient pas la peine capitale. Enfin, dans les cantons où la peine capitale existait

encore avant l’entrée en vigueur du Code pénal suisse, en 1942, son application était exposée

à tous les aléas du droit de grâce et ne pouvait être exécutée ni avec constance, ni avec justice.

A cela s’ajoutait la répugnance du jury à prendre la responsabilité d’une condamnation à mort.

Page 47: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

163

Comme, dans certaines parties du pays, l’abolition de la peine de mort pouvait se heurter

à une vive résistance, le législateur pouvait être tenté de laisser aux cantons le soin de

résoudre le problème chacun pour son compte. Mais, sans parler des difficultés de technique

législative qui s’opposaient à ce qu’un seul et même projet de loi soit adapté à plusieurs

hypothèses, le législateur a dû s’incliner devant cette considération décisive, qu’une telle

solution nuirait à l’unification du droit promise par la Constitution fédérale17.

Ainsi, proscrite par l’art. 65 de la Constitution fédérale de 1874 pour les seuls crimes

politiques, la peine de mort a été abolie, pour tout crime commis en tant de paix, par le Code

pénal de 1937 entré en vigueur en 1942, tout en étant maintenue en temps de guerre ou de

danger imminent de guerre par le Code pénal militaire de 1927. Dans les années 1970 et 1980,

plusieurs tentatives ont échoué qui visaient soit à abolir la peine de mort dans le droit pénal

militaire soit à la réintroduire dans le droit pénal ordinaire. A l’occasion des travaux de

révision totale de la Constitution fédérale, l’abolition générale de la peine de mort en Suisse a

été introduite dans l’essai de modèle de constitution du 30 octobre 1985.

Suite à la ratification par la Suisse, en 1987, du Protocole n°6/1983 à la Convention

européenne des droits de l’homme, concernant l’abolition de la peine de mort, la Suisse était

dans l’obligation d’abolir la peine capitale de son ordre juridique interne. Ainsi, en date du 1er

septembre 1992, elle proscrit la peine capitale pour tous les crimes.

Depuis le 1er septembre 1992, la peine de mort est donc totalement abolie en Suisse.

Cette sanction a en effet été éliminée également du Code pénal militaire. Depuis son

élimination du Code pénal militaire, cette sanction ne peut plus être réintroduite par le seul

biais du droit de nécessité, que ce soit en temps de service actif, en cas de danger de guerre

imminent ou en temps de guerre. Selon le Conseil fédéral, qui avait fait sien un avis de droit

de la Direction du droit international public du 17 juin 1991 (JAAC 56 n° 64), cette

conclusion s’impose en vertu de l’art. 2 du Protocole additionnel n°6/1983 de la Convention

européenne des droits de l’homme, concernant l’abolition de la peine de mort, que la Suisse a

ratifié.

En adhérant au 2ème protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux

droits civils et politiques (1989), le Conseil fédéral a entendu prendre l’engagement

international d’abolir la peine de mort et de ne pas la réintroduire, non seulement sur le plan

européen mais aussi sur le plan universel18.

17 FF 1918, IV, pp. 13-15. 18 FF 1993 I, pp. 945-951.

Page 48: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

164

Pour avoir une vision exacte de l’évolution de la peine de mort en Suisse, il ne suffit pas

d’examiner les dispositions légales en vigueur. Il est intéressant d’examiner depuis quelle date

la peine de mort n’a plus été appliquée dans les cantons.

Dernières condamnations à mort dans les cantons :

• 1817 : Unterwald (Nidwald) : Le 26 avril 1817, Franz Joseph Reesli fut condamné à mort pour cambriolage et mauvaise éducation d’enfant.

• 1819 : Bâle-Ville : Xaver Herrmann, Ferdinand Deissler et Jakob Föller furent condamnés

à mort pour plusieurs brigandages de nombreux cambriolages et vols ordinaires, pour avoir mis le feu à divers bâtiments officiels, même à un hôpital, et pour avoir tué le garde d’un village.

• 1832 : Fribourg : Le 6 octobre 1832, Hans Joseph Bäriswyl fut condamné à mort pour

avoir mis le feu à la maison de son frère. • 1834 : Neuchâtel : Le 27 juin 1834, Charles Frédérix Reymonda fut condamné à mort

pour avoir, en date du 16 mai 1833, avec son épouse, leur fils ainsi qu’Emilie Isoz noyé les époux de ces derniers. La Cour de justice les avait tous trois condamnés à la décapitation mais le roi de Prusse19 confirma uniquement la condamnation à mort du père Reymonda.

• 1836 : Glaris : Le 24 novembre 1836, Rudolph Michel fut condamné à mort pour

meurtre. • 1839 : Schwytz : En date du 4 mai 1839, le Tribunal criminel supérieur déclara

Hieronymus Kessler coupable de deux homicides au cours d’un brigandage avec préméditation et le condamna à mort.

• 1842 : Valais : En date du 28 février 1842, deux hommes et une femme furent exécutés

pour avoir tué le mari de cette dernière avec préméditation. En date du 13 mai 1869, une condamnation à mort fut à nouveau prononcée mais la grâce fut accordée.

• 1843 : Saint-Gall : Peter Wasser, sa femme Maria Anna Wasser, née Hardegger et Maria

Anne Lehnherr, née Wasser furent condamnés à mort, en date du 9 novembre 1843, pour meurtre. Les deux femmes obtinrent la grâce et subirent la prison à perpétuité. Peter Wasser fut décapité, en date du 20 novembre.

• 1846 : Unterwald (Obwald) : En date du 17 octobre 1846, Franz Burch-Amrhein et Josef

Anton Amrhein furent condamnés à mort pour avoir assassiné, en date du 7 juillet 1846, leur beau-père et père Eugen Amrhein.

19 Le roi de Prusse était souverain à Neuchâtel. Il avait accepté que Neuchâtel soit un canton suisse, étant donné les nombreux liens de ce canton avec la Suisse mais continua à régner sur ce territoire.

Page 49: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

165

• 1847 : Schaffhouse : En date des 22-23 janvier 1847, Johann Schilling empoisonna sa femme avec de l’arsenic et avoua son acte en date du 20 mars. Le jugement de condamnation à mort fut prononcé, en date du 14 juillet et exécuté en date du 23 juillet.

• 1847 : Grisons : En date du 30 octobre 1847, Jakob Condrau Spescha fut condamné à

mort pour avoir, dans la soirée du 1er juillet 1847, assassiné son amante, enceinte de lui et volé sa montre ainsi que deux florins.

• 1847 : Zoug : Jost Schanz fut condamné à mort pour incendie intentionnel. En date du 1er

décembre 1866, Xaver Andermatt von Baar fut également condamné à mort par le Tribunal criminel pour plusieurs incendies intentionnels, mais le Tribunal supérieur prononça la prison à perpétuité.

• 1849 : Appenzell Rhodes Intérieures : La dernière condamnation à mort eut lieu en

1849 pour meurtre avec préméditation. • 1851 : Bâle Campagne : En date du 15 octobre 1851, Hyazint Bayer, âgé de 29 ans, fut

condamné à mort pour homicide au cours de brigandage. • 1854 : Thurgovie : En date du 29 novembre 1854, Jakob Hungerbühler fut condamné à

mort pour meurtre, lésions corporelles et vol. • 1855 : Soleure : En date du 12 février 1855, Urs Josef Schenker, âgé de vingt huit ans, fut

condamné à mort pour parricide. • 1857 : Tessin : En date du 6 mai 1857, Bernardo Bernasconi fut condamné à mort pour

meurtre mais le jour de l’exécution ne ressort pas du jugement. • 1861 : Uri : La dernière exécution eut lieu en date du 12 juin 1861. Elle fut appliquée à

Kaspar Zurflüh pour le meurtre de sa fiancée enceinte. • 1861 : Berne : En date du 30 août 1861, Johann Kläntschi, trente-deux ans, fut condamné

à mort pour meurtre et fut exécuté, en date du 9 décembre 1861 à Berne. En date du 7 juin 1861, une exécution eut lieu à Bürren pour meurtre. En date du 7 septembre 1861, 6 personnes furent exécutées pour homicide au cours de brigandage. En date du 23 mars 1874, Rudolph Meier, né en 1846, fut condamné à mort pour meurtre et tentative de meurtre. Meier interjeta un pourvoi en cassation qui fut rejeté, en date du 29 août. La condamnation à mort ne fut pas mise à exécution, car la Constitution fédérale entra en vigueur en date du 29 mai 1874, qui interdisait la peine de mort.

• 1862 : Genève : En date du 26 mars 1862, Maurice Eley, 20 ans, fut condamné à mort

pour meurtre suivi de vol et fut exécuté, en date du 24 avril 1862. En date du 10 juillet 1867, Marie Calpini, née Coda Canatti, 28 ans, fut condamnée à mort, mais la peine fut convertie en prison à perpétuité.

• 1862 : Appenzell Rhodes Extérieurs : En date du 1er juillet 1862, Joh. Ulrich Schläpfer

fut guillotiné pour homicide au cours d’un brigandage.

Page 50: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

166

• 1863 : Aarau : Joseph Jakob Felber, né en 1836, fut condamné à mort le 5 novembre et exécuté le 27 novembre 1863 pour avoir tué son compagnon Johann Huber avec préméditation.

• 1865 : Zurich : En date du 29 avril 1865, Heinrich Götti, 37 ans, fut condamné à mort

pour avoir tué son enfant. L’exécution eut lieu en date du 10 mai 1865. • 1867 : Lucerne : En date du 1er juillet 1867, Niklaus Emmenegger fut condamné à mort

pour homicide au cours d’un brigandage. L’exécution eut lieu le 6 juillet 1867. • 1868 : Vaud : Héli Fraymon, ouvrier agricole, âgé de 25 ans, empoisonna sa jeune femme

avec de l’arsenic et essaya, après sa mort, d’empoisonner le fiancé de sa belle-sœur pour épouser cette dernière. Le jugement de condamnation fut exécuté, en date du 10 janvier 1868, à Moudon.

Depuis le 10 janvier 1868, la peine de mort n’a plus été appliquée en Suisse. Même les

cantons qui ont réintroduit la peine capitale ne l’ont pas utilisée suite à la commissionm de

très graves infractions.

Le canton de Lucerne est un bon exemple de l’inapplication de la peine de mort. En effet,

depuis la réentrée en vigueur de la peine de mort en en 1883, le Tribunal de Lucerne prononça

quatre condamnations à mort. Or, à deux reprises le jugement fut cassé par le Tribunal

supérieur et à deux reprises les condamnés obtinrent la grâce du Grand Conseil.

Ainsi, l’inapplication de la peine de mort dans les cas graves conduisit à sa suppression.

(Stooss, 1892-1893)

Page 51: CHAPITRE 5 L'ADEQUATION DE LA P EINE AU DELIT · résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux ... La question relative aux

167

Addendum - Les représentations sociales de la sanction pénale, p. 166

RECTIFICATIF SUR LA PEINE DE MORT EN SUISSE Les dernières condamnations à mort et exécutions, après la révision de la Constitution de 1879 réintroduisant la peine de mort, sont les suivantes : • 1894 Schwytz : Dominik Abegg fut condamné à mort, en date du 17 mai 1864, pour le

meurtre de sa fille. Il fut exécuté le 25 mai 1894. • 1902 Fribourg : Etienne Chatton fut condamné à mort, en date du 22 janvier 1902, pour

avoir tué sa cousine, âgée de 16 ans, parce qu’elle l’avait aperçu en train de commettre un vol. Il fut condamné à mort, le 1er août 1902.

• 1915 Lucerne : En date du 20 janvier 1915, Anselm Wutschert fut exécuté. • 1924 Uri : En date du 29 octobre 1924, fut exécuté le brigand Clemens Bernet. • 1938 Saint-Gall : En date du 30 avril 1938, le Tribunal cantonal du canton de Saint-Gall

condamna Paul Irniger à mort pour avoir commis un assassinat avec vol. Toutefois, Paul Irniger fut gracié en date du 11 mai 1938.

• 1939 Zoug : En date du 15 juillet 1939, Paul Irniger fut condamné à mort pour un autre

meurtre. Il fut exécuté le 25 août 1939. • 1940 Obwald : La dernière exécution en Suisse, selon le droit pénal commun, eut lieu

dans le canton d’Obwald. Hans Vollenweider fut condamné à mort, en date du 20 septembre 1940, et fut exécuté le 18 octobre 1940.20

Depuis 1940, il n’y eut plus de condamnation à mort selon le droit pénal commun. Mais, depuis cette date, il y eut encore dix-sept condamnations à mort pour trahison à la patrie, sur la base du code pénal militaire. La première eut lieu dans la nuit du 9 au 10 décembre 1942.21 Genève, 18.12.2001

20 Stefan Suter (1997), Guillotine oder Zuchthaus ? Die Abschaffung der Todesstrafe in der Schweiz, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, p. 50-52 et 63-71. 21 Nicolas Meienberg (1977), L’exécution du traître à la patrie Ernst S. in Reportages en Suisse, Editions Zoé, p. 15.