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CHAPITRE 20. ISRAËL-PALESTINE : UN CONFLIT D’UNE EXCEPTIONNELLE COMPLEXITÉ Yves Lacoste in Béatrice Giblin, Les conflits dans le monde Armand Colin | « U » 2016 | pages 291 à 325 ISBN 9782200611613 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/les-conflits-dans-le-monde---page-291.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Galatasaray - Bilener Tolga - 184.75.221.179 - 28/03/2020 22:04 - © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Galatasaray - Bilener Tolga - 184.75.221.179 - 28/03/2020 22:04 - © Armand Colin

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CHAPITRE 20. ISRAËL-PALESTINE : UN CONFLIT D’UNEEXCEPTIONNELLE COMPLEXITÉ

Yves Lacostein Béatrice Giblin, Les conflits dans le monde

Armand Colin | « U »

2016 | pages 291 à 325 ISBN 9782200611613

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/les-conflits-dans-le-monde---page-291.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Israël-Palestine : un conflit d’une

exceptionnelle complexité

Le conflit israélo-palestinien est l’un des problèmes géopolitiques les plus complexes et passionnels de l’histoire contemporaine. Selon la presse internationale, il remonterait aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale et à la première guerre israélo-arabe de 1948. On a alors parlé de conflit «  israélo-arabe », car la nation palestinienne n’était pas encore visible. Ce conflit a en fait commencé dès les années 1920. C’est donc l’un des plus anciens litiges géopolitiques et l’inquiétude qu’il suscite ne cesse de croître, comme en témoigne la place qu’il occupe en permanence dans les médias. Ainsi, depuis plus de soixante ans, il a été marqué par de multiples attentats et opérations de représailles, trois guerres avec les États arabes voisins et coalisés, puis trois grosses opérations militaires dans l’État voisin qu’est le Liban.

Depuis plus de trente ans, la diplomatie américaine et celles des pays européens cherchent une solution à faire accepter par des pouvoirs qui sont directement antagonistes. Mais le conflit tend à se complexifier : le nombre de protagonistes indirects s’est accru, certains se situant même à des dis-tances considérables des lieux les plus disputés. Ainsi, depuis plus de dix ans, l’Iran utilise ce conflit pour projeter son influence en Méditerranée, ce qui est fort dangereux, ne serait-ce qu’en raison des proclamations belli-queuses, voire génocidaires sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) qui proclamait rayer Israël de la carte, des islamistes au pou-voir à Téhéran. Situés à près de 2 000 km d’Israël, ces Iraniens ont désor-mais des relais au Proche-Orient, en particulier en Syrie et au Liban, ce qui inquiète beaucoup nombre de monarchies arabes.

Depuis soixante ans, le conflit israélo-palestinien a bien sûr fait l’objet en Europe et aux États-Unis (mais, hélas, fort peu dans les pays arabes) de nombreux travaux d’historiens et de spécialistes des relations interna-tionales. Mais les raisonnements géographiques sont encore rares et ont

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surtout porté sur les problèmes hydrauliques, très importants sous un cli-mat méditerranéen à forte aridité estivale et dans des pays de plus en plus peuplés.

Aussi ce conflit pose-t-il au géographe un délicat problème de méthode : par quoi commencer ? On pourrait évoquer l’histoire de l’Antiquité pour expliquer la complexité et la force des actuelles représentations religieuses. Mais en vérité, c’est surtout depuis l’occupation de la Cisjordanie par l’ar-mée israélienne, après son étonnante victoire de 1967 que les groupes reli-gieux juifs ont fouillé dans la Bible la description de la Terre promise aux Hébreux, pour justifier leurs prétentions sur la Cisjordanie, qu’ils appellent la Judée et la Samarie 1. C’est une des difficultés majeures qui bloquent désormais la résolution du conflit.

Dans le camp adverse, il est aussi une autre difficulté majeure à la réso-lution du conflit  : le refus de toute solution proclamé par les islamistes politiques. Or, ils ont désormais un poids politique important dans le mouvement national palestinien qui était relativement laïque et comptait jusqu’alors des musulmans et des chrétiens. C’est surtout depuis 1967, et l’occupation de la Vieille Ville de Jérusalem par les Israéliens, que les musul-mans proclament de nouveau avec force qu’elle est la troisième ville sainte de l’Islam, après La Mecque et Médine. Or, donnée géographique d’importance aujourd’hui, au cœur de la Vieille Ville, les deux plus anciennes mosquées sont construites sur l’esplanade où fut érigé autrefois le Temple de Salomon, située juste au-dessus du « Mur des Lamentations » que les Juifs vénèrent.

La Bible et la géographieLe terme d’Israël, plus exactement Eretz Israël, la Terre d’Israël (Israël serait le surnom de Jacob après son combat avec l’ange), désigne dans l’Antiquité la partie déjà principale (grâce aux pluies) d’Eretz Israël, c’ est-à-dire la Terre promise aux Hébreux dans la Bible il y a environ 4 000 ans, et dont ils durent faire la conquête sur les Cananéens (descendants de Canaan, petit-fils de Noë, comme l’étaient aussi les Phéniciens). La Bible donne une description très précise de cette conquête des plateaux de Judée et de Samarie (Cisjordanie), situés au nord de celui de Galilée qui domine le lac de Tibériade d’où sort le Jourdain. Ces descriptions bibliques sont d’une grande importance géopolitique car c’est sur elles que disent, aujourd’hui, se fonder les groupes religieux israéliens qui pré-tendent s’emparer de lieux qui sont habités et cultivés depuis des siècles par des Arabes, qu’ils soient chrétiens ou musulmans. En revanche, le texte sacré évoque de façon nettement plus vague les étendues arides d’Eretz qui s’étendaient beau-coup plus largement vers l’est jusqu’à l’Euphrate pour les tribus pastorales des Hébreux.

1. En effet, jusqu’en 1967, les rabbins n’étaient guère favorables à la création d’un État d’Israël, puisque le Messie n’était pas encore venu.

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Les Philistins figurent déjà dans les écrits d’Hérodote. Ce peuple mal connu et sans doute non sémite, était dans la plaine côtière le voisin occidental des Hébreux, mais aussi son grand adversaire, comme le rappelle l’histoire du combat de David contre Goliath. Sur les plateaux de Samarie, le roi David, il y a 3 000 ans, fit de Jérusalem, qu’il avait pris aux Cananéens, la capitale des Hébreux en y apportant l’Arche sainte. Son successeur Salomon y fit bâtir le premier Temple, qui fut à plusieurs reprises détruit par des envahisseurs et rebâti par les Hébreux. Ils passèrent plus tard, avec le roi Hérode, sous le contrôle de l’Empire romain et Jésus-Christ de Nazareth en Galilée fut crucifié à Jérusalem il y a 2 000 ans. C’est l’empereur de Rome, Hadrien, qui dénomma Palestine le territoire situé entre la côte et la vallée du Jourdain (yarden en hébreu, urdunn en arabe), et c’est aussi lui qui décida de disperser les Juifs dans l’empire pour mettre fin à leurs fréquentes révoltes et à leurs luttes intestines.

Chrétiens et musulmansC’est le premier empereur chrétien, Constantin, de Byzance, qui fit construire au ive siècle plusieurs basiliques à Jérusalem qui devint ensuite un grand centre de pèlerinage chrétien. En 637, les Arabes musulmans prirent Jérusalem, cité chré-tienne. Ils la considéraient eux aussi comme une ville sainte, et le calife omeyade Abd el  Malik y fit bâtir le Dôme du Rocher (mosquée d’Omar) à l’emplace-ment du Temple de Salomon ; la mosquée Al Aqsa (d’où le Prophète Mohamed sur son cheval serait monté au ciel) fut ensuite construite sur cette esplanade des mosquées (200 x 400 mètres) qui domine le Mur dit « des Lamentations » (appellation du xixe siècle), qui est pour les Juifs le lieu le plus saint. Cette jux-taposition sur un espace aussi restreint de lieux chargés d’aussi grandes valeurs religieuses a aujourd’hui de grandes conséquences géopolitiques dans le con-texte du conflit israélo-arabe.Jérusalem ayant été prise aux Arabes par les Turcs Seljoukides en 1071, la première croisade de chrétiens d’Occident fut lancée en 1096 pour libérer de la domination musulmane la Palestine, la Terre sainte et le tombeau du Christ. Les Croisés s’em-parent de Jérusalem en 1099 où ils massacrent la population juive qui s’y trouve encore ( soi-disant pour la punir d’avoir tué le Christ), et fondent un « royaume chrétien de Jérusalem » d’où ils seront chassés au xiiie siècle par la contre-offensive musulmane dirigée par Saladin, un chef kurde turquisé. Les pèlerins chrétiens pourront revenir à partir du xive siècle, sans pour autant être très actifs à Jérusalem. La ville fait partie de l’espace syrien (Damas) qui, à partir du xvie siècle, devient jusqu’au début du xxe siècle une circonscription de l’Empire ottoman.C’est surtout depuis le conflit israélo-arabe que les musulmans, et surtout ceux de Palestine, accordent une si grande importance à Jérusalem qu’ils appellent Al Qods et à la mosquée Al Aqsa. En revanche, les chrétiens du monde entier n’ont plus une telle ferveur géopolitique pour Jérusalem.

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Le facteur religieux n’a donc pris de l’importance qu’après 1967. Pour mieux comprendre les actuels rapports de forces et leurs configurations présentes, il importe donc d’analyser les causes premières du conflit, qui ne sont pas religieuses.

Un conflit très singulier par sa longue durée et son retentissementÀ l’aube du xxe siècle, le conflit que l’on appela plus tard israélo-palestinien commence par l’apparition d’une rivalité de pouvoirs sur du territoire ; des pouvoirs qui s’exercent sur des étendues restreintes, non étatiques, et sur des effectifs modestes subordonnés aux fonctionnaires peu nombreux d’un vaste empire (l’Empire ottoman), culturellement étrangers aux uns et aux autres. En effet, ce conflit naît d’une rivalité croissante entre, d’une part, des immigrés européens portés par un projet collectif original (sioniste) qui arrivent peu à peu pour cultiver ensemble, dans une petite plaine côtière, des terrains laissés plus ou moins à l’abandon et, d’autre part, des autoch-tones (arabes), notables et paysans des hauteurs voisines qui, à la vue de cette mise en valeur, en viennent bientôt à contester l’acquisition par des étrangers de ces terres théoriquement collectives.

Premier contrecoup inattendu d’un très grand conflit d’abord lointain (la Première Guerre mondiale)  : la disparition de l’Empire ottoman et le remplacement de ses fonctionnaires par des officiers d’un empire colonial européen, lesquels favorisèrent ensuite l’installation agricole d’immigrés sionistes européens, jusqu’à ce que l’accroissement de leur nombre pro-voque la révolte des autochtones. Second contrecoup d’un énorme conflit international, la Seconde Guerre mondiale : la fin de l’empire colonial (bri-tannique) et l’indépendance des pays arabes, mais aussi la volonté du groupe des immigrés sionistes de former sur les terres qu’ils ont mises en valeur un État indépendant. Ce sera ensuite la première guerre israélo-arabe…

À la fin du xxe  siècle, et plus encore dans les décennies suivantes, ce conflit, sur des étendues qui ne sont guère plus vastes qu’au début, oppose pour la possession du même territoire un État-nation de petite taille mais doté d’un redoutable appareil militaire, à une nation arabe pales-tinienne en formation, sans moyen militaire ni véritable appareil d’État. L’ État-nation qu’est devenu Israël pourrait être considéré comme un État de type européen (régime parlementaire et rivalité de nombreux partis), mais son problème politique et géopolitique fondamental est, depuis une trentaine d’années, de plus en plus fonction d’un projet biblique imposé par un groupe minoritaire ultra-religieux. L’importance croissante de celui-ci fait qu’il n’est plus possible de considérer l’État d’Israël comme un État de type européen puisqu’en Europe les sociétés sont de plus en plus laïcisées.

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La nation arabe palestinienne s’est, quant à elle, formée progressivement, mais sous l’action de groupes plus ou moins clandestins qui, en dépit de leurs rivalités, étaient relativement laïcs, associant des musulmans et des chrétiens. Mais, depuis une vingtaine d’années, est apparu en Palestine un mouvement politique islamiste qui, en prétendant imposer la loi coranique à tous les Palestiniens, en a exclu les chrétiens et a rompu l’unité politique et territoriale de la nation palestinienne. En récusant tout droit à l’existence d’Israël, ces islamistes, représentés par le Hamas, sont en fait les adver-saires symétriques les plus utiles aux ultra-religieux israéliens, mais aussi aux autres Israéliens puisqu’ils ont réussi à fracturer l’unité palestinienne.

Dans ce début de xxie siècle, certains veulent faire du vieux conflit ter-ritorial israélo-palestinien un conflit entre monde musulman et monde judéo-chrétien, ne serait-ce qu’en raison du fait que les Européens, et ces Européens d’ Outre-Atlantique que sont les Américains, ne peuvent mora-lement abandonner Israël aux conséquences de ses erreurs. C’est une don-née géopolitique majeure. Nombre d’Européens et d’Américains – surtout les plus citoyens – se souviennent que leurs grands-parents ont autrefois laissé se diffuser les ragots antisémites et ont laissé faire en Allemagne ceux qui allaient perpétrer cette tragédie européenne, extraordinaire et épou-vantable, que fut la Shoah.

À nouveau contexte géopolitique, nouvelles dénominationsD’autres conflits entre musulmans et non-musulmans autochtones perdurent depuis aussi longtemps, mais sans donner lieu au même écho médiatique. Il s’agit notamment du conflit entre le Pakistan et l’Union indienne, qui naît à la suite d’une décolonisation expéditive en 1947 et du tracé d’une frontière longue de 3 000 km effectué à la hâte, et toujours alimenté par l’évocation contradictoire du sort de millions de réfugiés musulmans ou non-musulmans, chassés des lieux où ils étaient nés au moment de la partition.

En comparaison, le conflit israélo-palestinien semble bien modeste, car il ne concerne plus ou moins directement qu’environ 15  millions de personnes et ne porte apparemment que sur un territoire (sans notable ressource minière) de petites dimensions, environ 30 000  km2, soit seu-lement la superficie de la Bretagne. Celui-ci s’étend sur quelque 300 km du nord au sud, et 100 km entre la côte méditerranéenne et la profonde vallée du Jourdain, elle aussi nord-sud, que prolonge le fossé tectonique de la mer Morte (comme l’ont nommé les Grecs). Fait singulier, ce petit espace, si disputé, n’a pas eu d’appellation particulière durant des siècles dans les Empires arabe puis ottoman. Il est, de nos jours, désigné par deux noms différents, l’un et l’autre extrêmement anciens  : Israël et Palestine,

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c’ est-à-dire le pays des Philistins (un peuple sans doute non sémite dont parle Hérodote).

Il n’est pas inutile de situer ce petit territoire dans un bien plus vaste ensemble géohistorique  : le Moyen-Orient. Vers 1920, l’archéologue égyptologue américain James Breadsted y a distingué, au nord-ouest des immenses déserts de Syrie et d’Arabie, ce qu’il a appelé le grand « croissant fertile  » (c’ est-à-dire où il y a assez d’eau pour que l’on puisse cultiver). L’une des deux pointes de ce croissant est formée par le petit ensemble Israël-Palestine qui se prolonge vers le nord par les montagnes du Liban ; l’autre pointe du croissant est, à l’est, la Mésopotamie, la liaison entre les deux étant assurée par le piémont de la grande chaîne du Taurus d’où des-cendent de nombreuses rivières. À l’ouest, sur la Méditerranée, ce grand croissant fertile s’articule à l’Égypte par les plaines du Nord-Sinaï et la très ancienne ville de Gaza qui a été égyptienne jusqu’en 1920.

Fait singulier, c’est aussi vers 1920 que les political officers britanniques, prenant la place des fonctionnaires ottomans, nomment en Cisjordanie, mais aussi en Palestine, les régions situées à l’ouest du Jourdain. C’est d’ail-leurs aussi vers 1929 que la Mésopotamie, dénommée Irak, passe elle aussi sous mandat britannique. Et c’est vers 1920 que l’on commence à parler d’un «  foyer national pour le peuple juif » en Palestine après la fameuse déclaration, en 1917, du ministre anglais des Affaires étrangères Arthur Balfour. Quelques années plus tard, on parle d’Israël.

Les origines du conflitÀ l’origine du conflit : un paradoxe géographiqueComment s’est discrètement amorcé, à la fin du xixe  siècle, ce qui allait devenir le conflit le plus durablement préoccupant de la fin du xxe siècle ? Les historiens et les spécialistes des relations internationales considèrent la formation du mouvement sioniste en Europe à la fin du xixe siècle comme cause première du conflit. Mais le projet sioniste, celui des intellectuels, n’aurait pas pu s’implanter concrètement sur le territoire, et d’abord de façon très modeste – avec seulement au début le dévouement de quelques centaines de personnes –, sans une donnée tout à fait géographique. On ne l’évoque guère car de nos jours, on n’en mesure plus l’importance et cette donnée a été depuis progressivement transformée.

Au milieu du xixe siècle, dans l’ensemble spatial que l’on appellera plus tard la Palestine, le sous-ensemble qu’est la plaine côtière (20 à 25 km d’est en ouest, 150 km du nord au sud) était alors extrêmement peu peuplé et guère cultivé à cause de marécages et du paludisme. Pourtant, sur la côte, se trouvaient de très anciennes et importantes villes portuaires comme Jaffa,

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Haïfa et Gaza, moins affectées par le paludisme grâce au vent de la mer et à leur situation sur un bourrelet littoral ou sur les hauteurs du Mont Carmel (c’est le cas d’Haïfa). C’est sur les plateaux de Palestine, soit à environ 800 mètres d’altitude, que se trouvait l’essentiel de la population, principa-lement musulmane, mais aussi chrétienne et juive, et les célèbres villes de Jérusalem, Hébron, Naplouse, etc. Les pluies qui tombent sur ces plateaux alimentent des nappes aquifères dont les eaux s’écoulent en profondeur suivant la pente des couches de terrain, assez peu vers l’est (vers le pro-fond fossé de la mer Morte), mais surtout vers l’ouest, vers la Méditerranée. Cet écoulement se faisant de façon confuse dans la plaine, faute de pente suffisante, on n’y trouve guère de véritables cours d’eau mais des marais. Jérusalem se trouve à l’amont de la vallée que le Soreg a creusée dans le plateau (mais qui se perd en arrivant dans la plaine) ; il en est de même des autres cours d’eau qui sont encore moins importants. Cette inorganisation du réseau hydrographique dans la plaine explique les problèmes de drai-nage. De nos jours, on ne se rend plus compte de leur importance en raison des grands travaux hydrauliques qu’ont réalisés les Israéliens.

Paradoxalement, ce furent les mauvaises conditions écologiques et géo-graphiques qui favorisèrent l’implantation des Juifs en Palestine. Sans elles, ils n’auraient pas trouvé de terres à acheter et le sionisme n’aurait pas eu de projection territoriale. Si cette plaine côtière avait été autrefois convena-blement drainée (comme le furent les huertas espagnoles), le paludisme n’y aurait pas sévi et, de ce fait, elle aurait été déjà densément peuplée (comme c’était le cas de la plupart des plaines littorales méditerranéennes). Aussi, des immigrants venus de lointains pays européens n’ auraient-ils pas pu s’y implanter. Au début du xixe siècle, on trouve d’autres plaines littorales marécageuses, paludéennes et, dès lors, très faiblement peuplées sur les côtes méditerranéennes  : notamment la plaine de la Mitidja, en Algérie, bien que située dans l’ arrière-pays d’Alger. Les colons français qui y furent implantés par les militaires à partir des années 1835, pour des raisons stra-tégiques, subirent les effets du paludisme et connurent un taux de mor-talité considérable, avant la réalisation relativement tardive de travaux de drainage et d’assèchement. La quinine extraite d’écorces de quinquina ne commença à être produite qu’à partir de 1850 et ce fut longtemps un médicament coûteux. Mais l’exemple de la Mitidja en dépit de ses dimen-sions (100 km d’est en ouest) n’a qu’une portée régionale, car l’implanta-tion des colons se fit dans bien d’autres parties du millier de kilomètres de littoral algérien qui ne présentaient pas des conditions naturelles aussi défavorables.

En Palestine, la plaine littorale et son milieu écologique défavorable, et de ce fait son faible peuplement, constituaient près de la moitié de la région historique où certains Juifs envisageaient de s’implanter puisque leurs très lointains ancêtres y avaient vécu durant des millénaires, avant d’être

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obligés de la quitter dix-neuf siècles auparavant. L’attrait pour cette plaine paludéenne ne doit donc pas être perçu comme une volonté de conquête coloniale comme celle de l’Algérie, mais comme un courant migratoire, modeste à ses débuts, résultant d’initiatives privées, et à intégrer dans le contexte des grands courants d’émigration qui ont caractérisé l’Europe au xixe siècle.

Le facteur démo‑géographique : les migrations internationalesLes migrations juivesLes migrations sont certes des facteurs démographiques, mais ce sont aussi d’importants facteurs géographiques, surtout celles qui, au xixe siècle notamment, ont modifié de façon évidente le peuplement de vastes pays faiblement peuplés. Les conséquences géographiques des émigrations sont moins spectaculaires. Tous les peuples européens ont alors connu de fortes émigrations, y compris ceux qui étaient en voie d’industrialisation, à l’ex-ception des Français, les seuls à être déjà en faible croissance démogra-phique.

Le phénomène d’émigration a principalement concerné les Juifs ashké-nazes (qui parlent le yiddish, une langue assez proche de l’allemand), parti-culièrement nombreux dans l’ouest de l’Empire russe (environ 6 millions en Ukraine, Pologne, Pays baltes) et dans les Empires austro-hongrois et alle-mand. Un très grand nombre d’entre eux émigrèrent vers les États-Unis et aussi, mais de façon bien moindre, vers la France, car les Juifs savaient qu’ils y étaient reconnus comme citoyens français depuis 1791 (et depuis 1871 pour les Juifs d’Algérie). En comparaison, l’émigration des Juifs vers la Palestine fut bien plus tardive et longtemps très minime, et elle dut se concentrer sur un espace restreint, la petite plaine côtière.

L’émigration des Juifs de l’Empire russe s’accentue avec la vague de pogroms qui les frappe après 1881  : la rumeur systématiquement propa-gée accuse des intellectuels révolutionnaires juifs d’avoir favorisé l’assas-sinat du Tsar Alexandre II (13 mars 1881), lui qui avait pourtant aboli le servage. Certes, une émigration de Juifs vers la Palestine avait commencé à être envisagée quelque temps auparavant, notamment par Moses Hess (en 1862), un philosophe socialisant (proche de Marx) qui avait été impres-sionné par le mouvement des nationalités, et notamment celui pour l’unité italienne. C’est lui qui commence à lancer l’idée du «  sionisme  », terme géographique forgé avec le nom d’une hauteur dominant Jérusalem et qui, par extension, désigne la ville. Mais les rabbins sont alors très hostiles à l’idée de regrouper la diaspora en Palestine, car, selon eux, seule la venue du Messie doit permettre d’y reconstituer le royaume d’Israël. D’autres Juifs

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d’Allemagne et de l’Empire russe sont alors aussi hostiles à toute émigra-tion, car le Bund, parti-syndicat des travailleurs juifs, estime que ceux-ci doivent être l’ avant-garde de la classe ouvrière. D’autres Juifs, ceux qui s’ap-pelleront ensuite les sionistes, eurent d’autres vues.

Les sionistes en PalestineSelon les époques et les points de vue, il y a eu des mouvements sionistes différents les uns des autres, avant de devenir plus tard colonialistes. Il est important d’en tenir compte pour comprendre les transformations du problème israélo-arabe, surtout au plan géographique. Selon Maxime Rodinson, célèbre orientaliste français, grand connaisseur marxiste du monde musulman et fils de Juifs russes devenus communistes en France, «  le mot “sioniste” apparaît à la fin du xixe  siècle pour désigner un ensemble de mouvements différents dont l’élément commun est le projet de donner à l’ensemble des Juifs du monde un centre spirituel, territorial ou étatique en général localisé en Palestine » (Encyclopaedia Universalis, article « Sionisme », 1972). L’idéologie sioniste a d’abord visé à regrouper dans un pays les Juifs dispersés de la diaspora pour les protéger contre des persécutions de plus en plus fréquentes. Il fut question de l’Argentine ou de l’Ouganda ou même de Madagascar, puis vint l’idée qu’il serait mieux de tenter de les regrouper en Palestine, pays de leurs lointains ancêtres, qui dépendait alors de l’Empire ottoman, où il n’y avait plus guère de Juifs (environ 25 000 au milieu du xixe siècle, dont les conditions de vie étaient assez misérables).

Les dirigeants turcs avaient depuis longtemps de bons rapports avec les Juifs séfarades (parlant un vieil espagnol) qui avaient été chassés d’Espagne au xvie siècle et s’étaient réfugiés sur les côtes de Turquie. De surcroît, le gouvernement ottoman, à la fin du xixe siècle, avait noué des relations éco-nomiques et militaires avec l’Allemagne (construction à partir de 1900 du Bagdad-Bahn et du chemin de fer de Médine), ce qui facilita l’implantation en Palestine d’immigrants juifs ashkénazes de culture allemande. Théodore Hertzel fut fréquemment reçu à Istanbul après la visite officielle qu’y fit en 1895 l’empereur Guillaume II.

Les sionistes ont d’abord voulu s’implanter aux abords de Jérusalem ou d’Hébron mais, sur ces plateaux bien peuplés, il n’y avait pas de terres à acheter et les notables arabes comme les autorités ottomanes ne don-nèrent leur accord que pour quelques implantations d’immigrés, et seule-ment dans les étendues faiblement peuplées de la plaine côtière et autour du lac de Tibériade. Encore fallait-il que ces immigrés européens puissent s’y implanter durablement.

Le fait qu’ils aient pu acheter d’assez vastes étendues de terre faible-ment peuplées ne peut être considéré comme la cause géographique première de l’implantation sioniste que dans la mesure où celle-ci a pu

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surmonter les difficultés naturelles, les marais et le paludisme. Parmi les premiers villages qui furent créés, plusieurs, à cause de la mortalité, ne purent se maintenir, notamment aux abords du lac de Tibériade. De plus, ces nouveaux venus n’avaient guère de connaissance des travaux agricoles, puisqu’en Europe, depuis des siècles, il était interdit aux Juifs de posséder une terre et de la cultiver, ce qui les confinait à des activités commerciales, artisanales ou intellectuelles. Si l’on compare à nouveau avec la plaine de la Mitidja en Algérie où le paludisme fit également des ravages, la plupart des petits colons avaient, quant à eux, outre le soutien de l’armée coloniale, quelque expérience paysanne, mais ils n’avaient guère de projet commun. Beaucoup abandonnèrent le terrain qui avait été alloué à chacun d’eux pour se réfugier à Alger, surtout après des raids de cavaliers lancés en 1839 par Abd el Kader. La colonisation agricole de la Mitidja ne fut vraiment lancée, comme dans d’autres régions d’Algérie, qu’après 1880, une fois que presque tout le vignoble français a été détruit par le phylloxéra et, pensait-on alors, à tout jamais. Pour le remplacer, le gouvernement français décida de favo-riser le développement d’un grand vignoble en Algérie.

L’implantation des immigrés sionistes en Palestine, à partir de 1882, ne bénéficia pas de ce genre de soutien ni de débouché. Ce sont surtout des intellectuels, héritiers de la « philosophie des Lumières » qui, dès la fin du xviiie siècle, entraînèrent la formation d’une nouvelle pensée juive, l’Haskala (dont le foyer fut Vilno en Lituanie) et l’émergence d’une langue hébreu moderne (l’hébreu jusqu’alors était une langue liturgique). Le mou-vement sioniste va surtout attirer des Juifs laïques, épris de modernité, plus ou moins marxistes, qui veulent montrer et se prouver à eux-mêmes qu’ils peuvent tout aussi bien que d’autres peuples cultiver la terre de leurs mains. Ceux-ci restent groupés en villages plus ou moins communautaires pour faire face ensemble à des tâches agricoles qu’ils s’efforcent d’accomplir de façon scientifique. Cependant, des Juifs, notamment venus de Roumanie, préfèrent des activités urbaines et commerçantes et se fixent à Jaffa, à côté de l’importante ville arabe dont le port extrêmement ancien est fort actif ; arrivent aussi à Jaffa des colonies religieuses protestantes, américaines et surtout allemandes dont certains membres plantent les premières planta-tions d’orangers destinés à l’exportation, ce qui est facilité par la proximité du port. Une controverse émerge alors : ces plantations furent-elles le fait de « paysans arabes » ou de protestants allemands ?

En 1903, des Juifs créent au nord de Jaffa un lotissement qui devient peu à peu une ville nouvelle après la Première Guerre mondiale, Tel Aviv. Plus au nord, Haïfa, malgré un site urbain et portuaire plus favorable (les pentes du Mont Carmel), attira moins les premiers sionistes et la ville, avant 1948, resta surtout arabe (mais des protestants allemands s’y fixèrent aussi). En 1914, la communauté juive de Palestine compte 85 000 personnes, la sur-face des terres achetées par les Juifs passe de 200 000 à 400 000 hectares

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entre 1900 et 1914 et leur prix commence à augmenter considérablement. L’accroissement de ces acquisitions n’aurait pas été possible sans le soutien financier d’Edmond de Rothschild et de grands banquiers anglais d’origine israélite. Une compagnie anglo-palestinienne est constituée en 1902.

Nonobstant ces soutiens financiers qui se développeront par la suite (et qui aident aussi à des achats de terre en Argentine pour des immigrants juifs), les débuts de l’implantation en Palestine d’une population juive d’origine européenne ne résultent pas, avant 1918, d’un phénomène de domination coloniale, si l’on tient compte, d’une part, de la situation de subordination de ces immigrés aux autorités ottomanes et, d’autre part, du fait que ces immigrés européens travaillent de leurs mains et n’emploient guère d’autochtones. Mais ces immigrés sionistes partagent plus ou moins explicitement un projet que l’on peut qualifier de géopolitique, puisqu’il désigne leur avenir et celui de leurs enfants sur un territoire que tout à la fois ils découvrent et considèrent comme celui de leurs ancêtres.

La poussée des impérialismes au Proche‑OrientEn dépit de certains discours, le Moyen-Orient est la partie du monde où les impérialismes ont le plus tardivement établi leur domination politique, en raison de leurs rivalités et de la relative puissance de l’Empire ottoman. Mais la défaite de celui-ci durant la Première Guerre mondiale comme l’ef-fondrement de l’Empire russe, modifièrent considérablement la situation géopolitique. Déjà Paris et Londres en 1916, avec les accords secrets Sykes-Picot (du nom des négociateurs), s’étaient réparti des zones d’influence, la française sur la Syrie et le Liban, la britannique sur la Palestine et la Mésopotamie où l’armée du Commonwealth et surtout l’armée indienne, arrivée par mer au Koweït, venaient pourtant de subir un très grave revers. On estime que l’armée turque a été irrémédiablement touchée par la victoire remportée, non sans mal, par les troupes anglo-indiennes venues d’Égypte dans le sud de la Palestine (aidées par des Juifs palestiniens), sur la ligne for-tifiée Beersheva-Gaza le 31 octobre 1917, ce qui les a conduits ensuite jusque dans le nord de la Syrie. Est-ce une coïncidence ? Le 2 novembre 1917, le ministre britannique des Affaires étrangères, Arthur Balfour, rend publique, dans une lettre à Lord Rothschild, sa fameuse « déclaration » selon laquelle « Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte aux droits civiques et reli-gieux des collectivités non juives existant en Palestine. »

Les conséquences de cette « déclaration » seront d’autant plus impor-tantes que la Société des Nations, instituée par le Traité de Versailles en

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1919, vient de confier à la France et au Royaume-Uni le « mandat » d’exercer des fonctions administratives et politiques sur les pays arabes qui, aupara-vant, faisaient partie de l’Empire ottoman. Or, en 1915, pour obtenir contre celui-ci le soutien militaire d’une «  révolte arabe  », les Britanniques, en l’occurrence leur Haut-Commissaire en Égypte, avaient promis au Chérif de La Mecque, descendant du Prophète, de constituer après la défaite des Ottomans un « grand royaume arabe » notamment sur l’Arabie, la Syrie, l’Irak et la Palestine et dont le ou les souverains seraient fils du Chérif, membres de la grande famille des Hachémites.

Dès la défaite ottomane, Fayçal, l’aîné d’entre eux, s’installe à Damas et, mal-gré le soutien des Syriens, en est chassé par les troupes françaises qui viennent appliquer le mandat sur la Syrie. En Irak, les Britanniques font face en 1920 à une grande insurrection dans le sud (notamment celle de la majorité chiite) dont ils viennent à bout en s’appuyant (comme l’avaient fait les Ottomans) sur les sunnites et en nommant Fayçal roi, sous protectorat anglais.

Les débuts du conflit israélo‑arabeLes tensions en Palestine sous mandat britanniqueEn Palestine et dans la bande de Gaza (qui, avant la guerre, dépendait encore de l’Égypte), le mandat britannique suscite d’autant plus l’opposi-tion des Arabes que certains apprennent que le texte proposé à la Société des Nations reprend exactement les termes de la « déclaration Balfour » : «  faciliter l’immigration juive et encourager l’installation compacte des Juifs », ce qui implique à terme l’instauration d’un État juif, selon les visées de Hertzel. Cela entraîne en mai 1920 des pétitions et des manifestations à Jaffa et, en juin 1921, encore à Jaffa, de graves émeutes contre les Juifs, avant même la proclamation officielle du mandat en  1923. Mais, depuis fin 1917, la Palestine et Gaza étaient occupées par l’armée britannique.

L’instauration d’une autorité britannique, qui fut tout à fait de type colo-nial, va entraîner une augmentation considérable de l’immigration juive : elle atteint 164 000 personnes en 1930, et la surface des terres achetées à 80 % à de grands propriétaires double encore. La régression du paludisme et la bonification des terres de la plaine suscitent désormais les revendica-tions de la population arabe, dont la croissance démographique commence, elle aussi, à être sensible.

En 1929, de graves émeutes contre les Juifs éclatent à Hébron. Les émeutes de 1921 avaient conduit ces derniers à constituer dès 1920 une organisation paramilitaire de défense, la Haganah, tolérée par les Britanniques. Avec le développement des tensions avec les Arabes, elle compte rapidement jusqu’à 16 000 hommes et femmes. En 1936, le nombre d’immigrés juifs en Palestine s’élève à 400 000.

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La même année éclate contre les Britanniques et les Juifs la «  grande révolte arabe » qui durera jusqu’en 1939. Elle exige l’indépendance et elle est dirigée notamment par le Grand Mufti de Jérusalem, Amin al-Huseini (membre d’un puissant clan arabe), dont l’antisémitisme s’inspire déjà des thèses d’Adolf Hitler, et qui prend discrètement contact avec le gouverne-ment nazi. De nombreux Juifs sont assassinés ; en représailles, un groupe terroriste juif, l’Irgoun, se crée et assassine des Arabes. Durant cette « grande révolte arabe  », les Britanniques doublent l’effectif de leurs troupes en Palestine mais, en dépit du soutien que les combattants juifs de la Haganah leur apportent, ils décident, à la grande colère des sionistes, de bloquer l’im-migration juive pour essayer de réduire les revendications arabes.

Le gouvernement de Londres constitue une Commission d’enquête sur les causes de cette révolte, la Commission Peel qui «  recommande  » en 1937 de reconnaître à terme deux États indépendants (en 1930, l’Irak sous mandat avait déjà été reconnu indépendant) et, pour cela, d’opérer une division territoriale de la Palestine. L’État juif obtiendrait la Galilée (autour du lac de Tibériade) et le nord de la plaine côtière jusqu’à Jaffa-Tel Aviv. Un «  corridor  » entre la côte et Jérusalem resterait sous le contrôle des Britanniques. Après s’être violemment opposés les uns aux autres, les sio-nistes, sous l’influence de Ben Gourion, acceptent ce plan. Les Arabes s’y opposent radicalement.

La question de la Palestine est remise à plus tard du fait de l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale qui n’épargna pas le Proche-Orient (offen-sive de l’Afrika Korp vers l’Égypte, combats des troupes anglaises en Syrie et au Liban contre les troupes françaises du régime de Vichy, complices d’un raid aérien allemand à Bagdad). Les Juifs de Palestine participent évi-demment à l’effort de guerre britannique. Le Mufti de Jérusalem, Amin al-Huseini, instigateur de la « grande révolte arabe » de 1936, après avoir été expulsé au Liban, est transféré en Allemagne par les Français vichystes, où il rencontre Hitler après avoir contribué à la formation d’une division musulmane SS en Bosnie occupée par la Wehrmacht. Fait prisonnier en Allemagne par l’armée française en 1945, Amin Al Huseini est ramené en France où il n’est guère surveillé, avant de partir en Égypte.

Les conséquences de la ShoahAu lendemain de la guerre, l’afflux vers Israël des Juifs rescapés du génocide est plus grand que jamais ; les thèses des sionistes selon lesquelles un État juif est le seul moyen de sauver les Juifs d’une grande catastrophe se sont hélas dramatiquement confirmées. La plupart des rabbins maintiennent cependant leur opposition au projet d’un État juif qu’ils jugent toujours impie, certains d’entre eux estimant même que la Shoah fut la punition des Juifs pour leurs péchés.

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La révélation de l’horreur du génocide fait que, durant de nombreuses années, plus personne en Europe n’ose critiquer les Juifs et le projet sio-niste. Mais les autorités britanniques persistent à interdire l’immigration juive en Palestine, et leurs rapports avec les sionistes deviennent de plus en plus tendus. Le 22 juillet 1946, l’Irgoun fait sauter à Jérusalem l’hôtel King David, siège de l’ état-major britannique ; bilan : 96 morts. Le gouvernement britannique, en 1946, met fin à son mandat sur la Transjordanie et recon-naît l’indépendance au royaume de Jordanie à l’est de la vallée du Jourdain et du fossé de la Mer morte. Devant la multiplication des attentats menés tant par l’Irgoun que par des groupes arabes, malgré les 100 000  soldats dont il dispose en Palestine, le gouvernement britannique annonce en jan-vier 1947 qu’il va remettre à l’ONU son mandat sur la Palestine et que ses responsabilités y cesseront dans six mois.

Les difficultés du problème israélo-arabe suscitent une grande émotion aux États-Unis et en Europe occidentale avec le drame de l’Exodus. En juillet 1947, un navire ainsi baptisé pour ce voyage vers la Palestine quitte le port de Sète avec à son bord 4 500  Juifs, femmes et enfants compris, pour une part rescapés des camps ; il est bloqué pendant des semaines par les militaires britanniques au large des côtes palestiniennes. Malgré une forte campagne internationale, ces Juifs sont finalement trans férés de force sur trois «  navires-cages » britanniques et sont débarqués en Allemagne, dans la zone d’occupation britannique. Le scandale est énorme, surtout aux États-Unis, et le gouvernement américain exige que l’ONU prenne en charge la question palestinienne. C’est, semble-t-il, à ce moment que Staline prend discrètement la décision d’apporter à l’ONU son soutien au futur État d’Israël et ce, surtout pour poser des problèmes aux Britanniques (Churchill ayant dénoncé publiquement le « rideau de fer » dès mai 1945). Le 30 novembre 1947, l’ONU adopte le plan de partage de la Palestine de 1937, avec contrôle international sur Jérusalem. David Ben Gourion, chef d’un exécutif sioniste, accepte et c’est Amin al-Huseini, à la tête d’un Haut Comité arabe, qui exprime le refus des Arabes et leur volonté de réuni-fier toute la Palestine, refusant l’existence d’un État juif comme celle d’un royaume de Jordanie.

Des combats entre Juifs et Arabes éclatent en novembre 1947 sous l’œil indifférent des militaires britanniques qui se retirent vers l’Égypte et le canal de Suez (resté sous contrôle britannique) en mai 1948, au moment où l’Union soviétique reconnaît officiellement l’État d’Israël, trois jours avant les États-Unis. Ben  Gourion décide la mobilisation des hommes et des femmes dans les forces de la Haganah et donne l’ordre de défendre leur vil-lage à tout prix. Mais des groupes terroristes juifs (l’Irgoun avec Ménahem Begin) qui échappent à son autorité commettent des exactions spectacu-laires : notamment, en avril 1948, le massacre, devenu célèbre, du village de Deir Yassine (situé sur une petite hauteur entre Tel Aviv et Jérusalem

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dans l’étroit couloir qui aurait dû rester sous contrôle inter national) pour terroriser les populations arabes, celles de Jaffa et d’Haïfa, afin de les pous-ser à l’exode. Amin al-Huseini proclame que les Juifs seront sous peu jetés à la mer, que la victoire des Arabes est certaine et que ceux-ci rentreront bientôt chez eux. Quelque 350 000 réfugiés arabes auraient alors afflué sur les plateaux de Cisjordanie.

1948‑1949 : l’échec des armées arabes coaliséesAvec l’arrivée en Palestine de puissants contingents envoyés par l’Égypte, l’Irak, la Syrie, le Liban et la Jordanie, commence au printemps  1948 la première guerre israélo-arabe. Dans un premier temps, la situation de la Haganah est très difficile car elle ne dispose que d’armes légères, puisque les Britanniques sont partis avec leur armement tout en continuant d’em-pêcher toute importation d’armes. Après de lourdes pertes de part et d’autre (notamment autour de Jérusalem), une trêve est négociée en juin par le médiateur de l’ONU, le comte suédois Folke Bernadotte, qui s’effor-çait d’appliquer le plan de partage de la Palestine et d’internationalisation de Jérusalem. Bernadotte est assassiné en septembre 1948 par un groupe terroriste proche de l’Irgoun. Mais cette trêve permet à de nombreux volontaires (juifs et non juifs) et à des cargaisons d’armes fournies clan-destinement par divers États (URSS, Tchécoslovaquie, France…) d’arriver en Israël. Cependant, compte tenu de la supériorité numérique des Arabes coalisés, les Juifs, logiquement, auraient dû être balayés.

Mais ces armées arabes, constituées depuis l’indépendance récente de leurs États, subissent l’inexpérience de leurs officiers récemment promus. Aucune coordination n’a, semble-t-il, été établie entre leurs commande-ments. Les soldats des armées arabes n’ont pas la détermination des com-battants juifs qui ont appris les horreurs de la Shoah. Cependant, l’armée jordanienne – la fameuse « Légion arabe » –, formée par les Anglais avec les Bédouins du désert (sous le commandement de Gordon  Pacha), fait preuve d’une efficacité redoutable. Elle occupe les plateaux de Cisjordanie et, du haut des versants qui dominent la vallée qui conduit à Jérusalem, fait subir de lourdes de pertes aux Juifs qui ne peuvent pas atteindre la « Vieille Ville ». Profitant de l’inexpérience des soldats égyptiens, les combattants juifs foncent vers le sud à travers le désert du Neguev, jusqu’à l’extrémité nord du golfe d’Akaba.

Une série d’armistices est successivement établie de février à juillet 1949 entre les diverses armées arabes et celle d’Israël. Cette ligne de front devien-dra la frontière officielle de l’État d’Israël telle qu’elle est aujourd’hui encore internationalement reconnue. Celle-ci correspond au versant par lequel le plateau de Cisjordanie domine la plaine littorale, pente que les combattants

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israéliens dans leur contre-offensive sous le feu de leurs ennemis n’ont pas pu escalader. Dans la vallée du Soreg, ils n’ont pas pu avancer au-delà des faubourgs occidentaux de Jérusalem, ce qui fait que la Vieille Ville his-torique ne fut pas incluse dans le nouvel État d’Israël. Tel Aviv est alors proclamée capitale. Cette ville d’allure ultramoderne est encore interna-tionalement reconnue comme capitale d’Israël, même si depuis, en 1980, le gouvernement israélien a proclamé Jérusalem « capitale éternelle d’Israël », malgré la condamnation de l’ONU et du Conseil de sécurité qui refusent d’entériner les conséquences territoriales de la grande victoire israélienne de 1967.

Israël et les changements politiques du Moyen‑OrientAprès la disparition en 1918 de l’Empire ottoman qui régnait depuis des siècles, le Moyen-Orient est brusquement passé sous la domination mani-feste des deux grandes puissances coloniales européennes, l’Angleterre et la France. Auparavant, l’une et l’autre avaient contribué à la modernisation : la France pour la réalisation du canal de Suez (inauguré en 1869) cofinancé par une dynastie égyptienne modernisatrice, avant de devoir en 1875 céder financièrement la place aux Anglais qui établissent un protectorat. À  la même époque, leur rôle s’exerce aussi en Perse où ils sont les premiers à découvrir du pétrole et où ils contrecarrent l’expansion de l’Empire russe.

La Seconde Guerre mondiale avait mis fin au mandat français en Syrie et au Liban où le régime de Vichy avait tenté de favoriser une tentative aéroportée de l’Allemagne nazie vers l’Irak. Menacés par une poussée de l’Afrika Korp de la Libye vers l’Égypte, devenue théoriquement indépendante en 1936, les Britanniques, pour éviter une insurrection du peuple égyptien, furent obligés de promettre la fin de leur protectorat. Et le conflit israélo-arabe les contraignit à mettre fin à leur mandat en Palestine. Ainsi, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les pays arabes du Moyen-Orient se trouvent subitement indépendants, dans le cadre des frontières tracées par les colo-nisateurs. Les manifestations les plus évidentes de ces nouvelles indépen-dances furent les parades des nouvelles armées nationales. Celles-ci sont en vérité les discrètes héritières des anciennes troupes coloniales, leurs officiers ayant caressé depuis longtemps les idées d’indépendance.

Aussi la défaite arabe de 1948-1949 en Palestine fut-elle une cruelle surprise pour les Arabes et fut ressentie comme une véritable catastrophe (Nabka). Les Juifs, jusqu’alors considérés par les Arabes comme incapables de se battre puisqu’ils s’étaient laissés maltraiter dans les pogroms et conduire aux camps d’extermination, (en passant volontairement sous silence l’in-surrection du ghetto de Varsovie), avaient, contre toute attente, victorieu-sement repoussé les nouvelles armées arabes en Palestine. Humiliés, les officiers égyptiens, notamment, estimèrent que le responsable était le roi

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Farouk, docile au protectorat britannique. Un complot d’« officiers libres » le renversa en 1952, proclama la république et l’un d’entre eux, Gamal abd el Nasser, prit, pour lui-même, le pouvoir en 1954.

Le but de Nasser fut non seulement de venger la Nabka mais aussi de mener à bien un grand projet géographique que les Britanniques élu-daient depuis des décennies : construire en Haute-Égypte un gigantesque barrage sur le Nil, pour stocker les énormes quantités d’eau qui allaient être nécessaires à une population égyptienne qui – selon les perspectives démographiques – allait devenir de plus en plus nombreuse dans l’étroite vallée qu’est l’Égypte. Il s’agit bien de géographie tant les conséquences de l’ouvrage sont importantes : le lac Nasser en amont du barrage présente 5 à 35 km de large et 500 km de long. Mais la réalisation de ce grand projet va se heurter à des difficultés économiques puis politiques qui vont entraîner des changements considérables dans les rapports de forces au Moyen-Orient, et dont les conséquences majeures se marqueront surtout dans le conflit israélo-arabe.

Pour financer la construction du grand barrage d’Assouan, Nasser demanda le soutien de la Banque mondiale où le rôle des États-Unis était prépondérant. Or, le gouvernement américain (sous la pression, dit-on, du lobby des producteurs de coton inquiets de la concurrence d’une grande pro-duction égyptienne), s’opposa à l’octroi de ce prêt considérable à l’Égypte. Furieux, Nasser, pour financer la construction de son barrage, décréta, en juillet 1956, la nationalisation du canal de Suez, afin d’en récupérer les fruc-tueux péages perçus jusqu’alors par la « Compagnie universelle » (devenue en 1875 majoritairement britannique). Le scandale fut d’autant plus grand que Nasser put bientôt annoncer avec Nikita Khrouchtchev que l’URSS allait participer pour un tiers au financement du barrage et qu’elle fourni-rait le matériel de construction, les ingénieurs et le personnel qualifié.

Les Britanniques, déjà scandalisés par la nationalisation du canal, dénoncèrent un ralliement de Nasser au bloc communiste, et les dirigeants français l’accusèrent de financer et d’armer la rébellion des Algériens qui avait éclaté en 1954. Une expédition militaire contre l’Égypte fut préparée secrètement et le président du Conseil français, le socialiste Guy Mollet, obtint que les Israéliens y interviennent directement. C’est en effet de la France qu’Israël recevait alors l’essentiel de l’aide militaire (notamment dans le domaine nucléaire et les fameux Mirages IV). L’armée israélienne devait d’abord subitement attaquer l’Égypte et atteindre le canal de Suez et ensuite, sous prétexte de séparer ces deux belligérants, les troupes fran-çaises et britanniques interviendraient aussi sur le canal. Ce qui fut fait en octobre 1956, mais les États-Unis qui n’avaient pas caché leur désaccord avec un tel plan intervinrent avec les navires de leur VIe flotte qui barrèrent la route aux convois militaires des Français et des Britanniques. L’URSS, bien qu’embarrassée par l’insurrection de Budapest, menaça la France et

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l’Angleterre de ses fusées. Les corps expéditionnaires français et anglais durent bientôt se retirer et les Israéliens quittèrent la rive est du canal rendu inutilisable par le nombre de navires que les Égyptiens y avaient cou-lés. L’ONU obtint la démilitarisation de la presqu’île du Sinaï pour séparer les militaires israéliens des Égyptiens.

Les Juifs d’Égypte qui, depuis des siècles, y étaient nombreux, durent fuir ce pays et il en fut de même dans la plupart des pays arabes du Moyen-Orient, notamment à Bagdad où, depuis des siècles, ces «  Juifs orientaux » (parlant arabe) étaient nombreux.

La participation d’Israël en 1956 à cette guerre d’intervention typi-quement impérialiste aura de grandes conséquences dans les rapports de forces du conflit israélo-arabe. En effet, Nasser, fier d’avoir fait reculer les Anglo-Français et apparaissant comme le leader des Arabes avec son pro-jet de République arabe unie, apparaît désormais comme l’un des chefs du camp anti-impérialiste. Il reçut dès lors du bloc soviétique une aide mili-taire considérable, et il en a été de même pour la Syrie qui se proclame grand adversaire d’Israël. Une fois entraînés durant des années au manie-ment d’armes modernes et d’avions de combat, les militaires arabes ont été persuadés qu’ils allaient enfin pouvoir vaincre l’armée d’Israël.

La guerre des Six Jours (juin 1967)Une victoire armée israélienne déterminanteDébut  1967, Nasser proclame dans un discours  : «  Notre objectif est la destruction d’Israël. Le peuple arabe veut se battre. » Il pousse l’ONU à éva-cuer le Sinaï que ses troupes réoccupent aussitôt. En mai 1967, elles inter-disent aux navires israéliens de passer le détroit de Tiran pour atteindre le port d’Eilath au fond du golfe d’Akaba. Les dirigeants israéliens se sentent gravement menacés par cette coalition qui est désormais fortement armée. Ils estiment imminente l’attaque des forces arabes et décident de l’antici-per. Le 5 juin, au lever du jour, l’aviation israélienne (surtout des Mirages) volant au ras de la mer pour éviter les radars, attaque les aérodromes égyp-tiens et, venant de l’est, elle profite d’avoir dans le dos le soleil levant, qui aveugle les observateurs adverses, pour détruire en quelques minutes la quasi-totalité de l’aviation égyptienne. Après quoi, les blindés israéliens se lancent dans la plaine qui s’étend au bord du massif du Sinaï et malgré de lourdes pertes atteignent le canal de Suez le 8 juin ; ce même jour, l’Égypte demande l’armistice.

Au centre de la Palestine, l’armée jordanienne et d’importants contin-gents irakiens encerclent la partie ouest de Jérusalem tenue depuis 1948 par les Israéliens ; mais le 7 juin, les parachutistes israéliens, là aussi avec de lourdes pertes, encerclent la partie est de Jérusalem et en prennent le

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contrôle. La Jordanie, ayant perdu l’essentiel de son aviation, demande l’ar-mistice. Au nord, après avoir contenu l’offensive syrienne menée à partir du plateau du Golan (1 200 m), les Israéliens, forts de leurs victoires au sud et au centre, décident le 9 juin de s’emparer de cette position stratégique d’où descend l’essentiel des eaux du Jourdain et du lac de Tibériade. Mais les Soviétiques, alliés de la Syrie, exigent l’arrêt immédiat des combats et menacent d’intervenir.

La proximité des différents théâtres d’opération permet à l’ état-major israélien de transférer vers le nord des forces qui viennent tout juste de com-battre au centre et au sud et là aussi, après des combats acharnés, celles-ci s’emparent du plateau du Golan, les Syriens ayant craint une opération sur Damas. Le 10  juin, l’URSS et les États-Unis imposent un cessez-le-feu à Israël et à la Syrie. La guerre a duré six jours. L’armée israélienne, Tsahal, avec ses très nombreux réservistes, hommes et femmes, acquiert alors pour de nombreuses années un prestige considérable.

Les troupes israéliennes occupent donc les plateaux de Cisjordanie dont une partie de la population se réfugie en Jordanie, mais aussi le versant ouest de la vallée du Jourdain et de la dépression de la mer Morte, le plateau du Golan, la bande de Gaza dont la population reste sur place, la presqu’île du Sinaï et enfin la rive est du canal de Suez. En novembre  1967, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies proclame, dans sa résolu-tion 242, «  l’instauration d’une paix juste et durable au Proche-Orient qui devrait comprendre a : le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés au cours du récent conflit ; b : la fin de toute revendication ou de tout état de belligérance, respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’inté-grité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et de son droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues, à l’abri de menaces ou d’actes de violence ». Israël admet les termes de cette résolution en déclarant qu’il restituera chacun des « territoires occupés » à l’État qui le possédait avant 1967, lorsque celui-ci reconnaîtra l’État d’Israël dans les frontières de 1948. Cependant, en 1980, Israël proclame annexer définitivement la totalité de Jérusalem et le plateau du Golan.

Après 1967, sur le canal de Suez qui devait rester obstrué par les épaves jusqu’en 1975, les Égyptiens mènent une guerre d’usure, en tirant de temps à autre sur les soldats israéliens retranchés sur l’autre rive.

Pour les religieux, le « miracle » de la guerre des Six JoursEn Europe, même après la Shoah, les idées des sionistes (jugés plus ou moins libres penseurs) étaient toujours mal vues des rabbins pour qui la recréation d’un État d’Israël ne pouvait être réalisée qu’avec la venue du Messie. La rapidité avec laquelle l’armée d’Israël avait vaincu en 1967 et le fait qu’elle ait conquis la Vieille Ville de Jérusalem et la Terre promise aux Juifs dans la Bible, apparurent aux yeux des rabbins et des Juifs les plus

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croyants comme un véritable miracle, même s’il avait été payé par la vie et le sang d’un grand nombre de jeunes combattants. Cette victoire fut la preuve pour les religieux que le sionisme n’était pas impie.

Encore fallait-il, à leurs yeux, reconquérir la véritable Terre promise, car la plaine côtière n’en fit pas partie puisque c’était le pays des Philistins. De nombreux juifs, notamment venus d’Europe ou des États-Unis, se sont dès lors plongés dans l’étude géographique de la Bible, arpentant sous pro-tection de Tsahal le plateau de Cisjordanie pour y localiser des lieux histo-riques qu’ils estiment sacrés. Y installer peu à peu de petites « colonies » (faute de pouvoir expulser les Arabes) en dépit de la précarité des condi-tions de vie et de l’insécurité est, pensent-ils, un moyen de hâter la venue du Messie. Cette entreprise, commencée peu après 1967, continue encore aujourd’hui. À noter que ce projet de reconquête de toute la Terre promise est aussi le fait des protestants évangéliques qui sont, en quelque sorte, des sionistes chrétiens ; or, comme leur influence est grande aux États-Unis, ils relaient efficacement celle du lobby des Juifs américains.

De guerre lasse, une sorte de modus vivendi entre États voisinsAprès la guerre de 1967, une petite guerre d’usure continua sur le canal de Suez. Nasser meurt en 1970, sa grande œuvre géographique, le grand barrage d’Assouan est inauguré en 1971, inauguration présidée par Anouar el-Sadate successeur de Nasser (au côté du président du Soviet suprême) qui ne cache pas son intention de mener la revanche des Arabes contre Israël. Habile manœuvrier, il parvient à obliger de nombreux Soviétiques à quitter l’Égypte après l’achèvement du barrage, tout en obtenant de l’URSS la livraison d’armes très perfectionnées et de nombreux avions, ce qu’elle hésitait pourtant à faire pour ne pas mécontenter les Américains, avec qui elle était entrée en négociations.

Le 6 octobre 1973, profitant que les Juifs soient dans la célébration du Grand Pardon, le Yom Kippour, l’armée égyptienne, après avoir subitement traversé le canal de Suez, lance une attaque massive terrestre et aérienne contre les Israéliens, alors que les Syriens partent à l’assaut du Golan. Les Israéliens pris de court à cause de l’étonnante carence de leurs services secrets, subissent des pertes considérables, et le Premier ministre Golda Meir lance le 9 octobre un appel à l’aide aux Américains : « Sauvez Israël ». Ceux-ci fournissent en hâte un soutien important par voie aérienne à partir notamment de leur VIe Flotte basée en Méditerranée.

L’armée israélienne reprend progressivement l’avantage, esquisse même un mouvement vers Damas tandis que les troupes du général Sharon tra-versent le canal de Suez. Le 16 octobre, les pays arabes de l’OPEP décrètent

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un embargo pétrolier contre les pays qui soutiennent Israël. Un cessez-le-feu entre Israël et l’Égypte s’établit le 24 octobre et en novembre, à Alger, les pays de l’OPEP (y compris l’Iran) décident, avec l’accord des États-Unis, le triplement des prix mondiaux du pétrole. Les pays occidentaux acceptent immédiatement. C’est le premier « choc pétrolier ».

L’armée égyptienne tire de cette guerre le prestige qui lui manquait jusqu’alors et en novembre 1977, Anouar  el-Sadate se rend brusquement en Israël, rencontre le Premier ministre Menaël Begin qui l’avait secrètement invité ; ce chef du parti de droite, le Likoud, qui venait pour la première fois de remporter les élections, avait été avant 1948, le patron de l’Irgoun. Sadate prend la parole devant la Knesset, le parlement israélien, pour évo-quer la possibilité d’un accord de paix permanent, compte tenu des intérêts mutuels de l’Égypte et d’Israël.

Le scandale est grand dans le monde arabe mais le président des États-Unis, Jimmy  Carter, pousse à la poursuite des négociations, et c’est dans sa résidence d’été Camp-David qu’il réunit Ménahem Begin et Anouar  el-Sadate, pour poursuivre les discussions et obtenir la signature d’un accord (dit de Camp-David) en septembre 1978. Malgré les protes-tations des opinions publiques arabes, cet accord jeta les bases d’un traité de paix signé à Washington entre Israël et l’Égypte en mars 1979. L’Égypte reconnaît alors l’existence de l’État d’Israël dans ses frontières de 1948 et la libre circulation des navires israéliens dans le canal de Suez et le golfe d’Akaba. Israël s’engage à évacuer toute la presqu’île du Sinaï –  ce qui fut fait – et à accorder un statut d’autonomie aux populations arabes de Cisjordanie et de la Bande de Gaza, ce qui n’a pas encore été véritablement fait trente ans plus tard. L’Égypte est exclue de la Ligue arabe ; une grande partie de l’opposition égyptienne, qu’il s’agisse des Frères musulmans, des nassériens ou des communistes, est hostile à ces accords.

Le président Sadate est assassiné en 1981, lors d’une parade militaire, par des soldats membres du djihad islamique qui font aussi de nombreuses victimes étrangères. Le vice-président Hosni Moubarak, blessé dans l’agres-sion, devient président et, jusqu’à sa déposition en 2011, appliquera le traité de paix sans défaillance en dépit de la politique de « colonisation juive » menée en Cisjordanie par les religieux israéliens. Il est vrai que l’Égypte, et particulièrement l’armée égyptienne, reçoit des États-Unis depuis plus trente ans une aide financière considérable. Il en est de même pour Israël.

En 1994, un traité de paix est signé entre Israël et le royaume de Jordanie qui n’a pas participé à la guerre du Kippour et qui renonce à ses droits sur la Cisjordanie.

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La difficile formation d’une nation palestinienneLe terme de Palestine est une très ancienne expression géographique, mais celui de Palestinien n’est apparu que récemment, quarante ans après les débuts du conflit israélo-arabe en Palestine. En effet, se considéraient simplement comme des Arabes, les habitants de Palestine qui, après 1920, se sont opposé à l’installation d’Européens, qu’ils soient juifs ou britanniques. Après la guerre de 1948, les Arabes qui ont été chassés de Jaffa, d’Haïfa et de la plaine côtière et qui se sont réfugiés en Cisjordanie continuent de se considérer comme des Arabes. C’est pour eux une façon de croire qu’ils auront le soutien des pays arabes voisins pour retrouver leurs terres. Les Israéliens, quant à eux, espèrent que ces réfugiés se fondront dans l’ensemble des pays arabes, ce qui réglerait le problème du retour des réfugiés palestiniens sur leurs terres. C’est soi-disant pour s’opposer à une telle dilution du problème palestinien que les différents États arabes ont refusé d’intégrer ces réfugiés de Palestine. Ceux-ci sont en vérité l’objet de diverses discriminations et sont restés longtemps abri-tés sous les tentes des camps de réfugiés en vivant des subsides de l’UNRRA, l’Organisation de secours des Nations unies. Avec le temps, les tentes ont été remplacées par des constructions en dur plus ou moins précaires.

La division des réfugiés palestiniens entre différents ÉtatsCes discriminations auraient pu favoriser la prise de conscience relati-vement rapide d’une nation palestinienne différente de celles des autres Arabes, mais cela a été retardé par son morcellement géographique. En effet, les Palestiniens se trouvent dispersés et isolés en différents groupes sur différents territoires soumis à des pouvoirs qui les contrôlent étroitement. En 1948 et 1967, environ 750 000 personnes au total ont quitté les lieux où ils étaient enracinés pour se réfugier sur les plateaux de Cisjordanie, dans la bande de Gaza, et surtout en Jordanie, au Liban, en Syrie, assez peu en Égypte et plus tard dans les pays du Golfe et aux États-Unis.

C’est en Égypte qu’a été constituée, et seulement en 1964 et sous le contrôle du gouvernement égyptien, une Organisation de libération de la Palestine (OLP), mais celle-ci pendant des années n’a pas été très active. C’est d’ailleurs l’avis de celui qui sera connu sous le nom de Yasser Arafat. Né au  Caire en 1929 et président de l’Union des étudiants de Palestine, inquiété à ce titre par la police égyptienne, il alla travailler au Koweït où il créa en 1959 avec d’autres jeunes palestiniens, le Fatah, acronyme de « Mouvement national palestinien de libération ».

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313Israël‑Palestine : un conflit d’une exceptionnelle complexité ▼

La rivalité de différentes organisations de résistance palestiniennesC’est après la défaite spectaculaire des armées arabes en 1967 et l’afflux de nouveaux réfugiés de Palestine, notamment en Jordanie, que le Fatah va commencer son action par des opérations terroristes en Cisjordanie, mais aussi au niveau international. C’est surtout à partir de cette époque que l’on parle de Palestiniens. Mais, dans les différents pays où se trouvent des réfu-giés de Palestine, se constituent aussi d’autres mouvements de résistance qui mènent également des opérations terroristes qu’ils veulent spectacu-laires aux yeux de l’opinion européenne et américaine. Ils sont, en fait, plus ou moins rivaux et sous contrôle d’un des gouvernements arabes, eux aussi en désaccord. On a pu parler d’une hyperpolitisation des jeunes dans les camps de réfugiés où l’UNRRA verse des fonds pour qu’existe un assez bon niveau d’enseignement.

Dans les années 1970 ont existé de nombreuses (près de vingt) organi-sations palestiniennes, regroupées « en principe » dans l’OLP, le Fatah, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP, sous influence de l’Irak, puis de la Libye), le Front démocratique de libération de la Palestine (FDPLP sous influence syrienne), la Saïka (Syrie), etc., dont les leaders tiennent de grands discours révolutionnaires marxistes, même lorsqu’elles sont finan-cées par des États et des monarchies où l’on pourchasse les marxistes. Chacune se glorifie d’opérations terroristes spectaculaires qui font parler d’elle dans les médias.

Tentative de putsch et premières opérations terroristes de PalestiniensEn septembre 1970, en Jordanie où les réfugiés palestiniens sont très nom-breux, le Fatah et quelques autres déclenchent une grande insurrection pour renverser le roi Hussein. N’ avait-il pas été formé dans les écoles mili-taires britanniques ? Le roi est sauvé par les guerriers bédouins de la Légion arabe qui écrasent l’insurrection. Les organisations palestiniennes armées se replient au Liban alors que de nombreux réfugiés palestiniens, sous sur-veillance, peuvent rester en Jordanie. En septembre 1972, un commando plus ou moins lié au Fatah et dénommé « Septembre noir » en mémoire de l’écrasement de la révolte en Jordanie, prend des athlètes israéliens en otage lors des Jeux olympiques de Munich ; onze d’entre eux sont tués dans des circonstances dramatiques. Cet acte de terrorisme de retentissement mondial fait un grand tort à la cause palestinienne. Peu après, l’aviation israélienne bombarde en représailles les camps du Fatah au Liban et en Syrie, faisant 200 morts, ce que condamne le Conseil de sécurité.

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Au Liban, dont le gouvernement et l’armée sont traditionnellement affaiblis par les rivalités entre les principales communautés religieuses – sunnites, chiites, chrétiens maronites (chacune d’elles étant de surcroît divisée en grandes familles) –, le Fatah joue un rôle de plus en plus impor-tant et tire nombre de rockets sur le nord d’Israël. Le sud du Liban devient un « Fatahland » où les Palestiniens font la loi. En 1975, éclate une féroce guerre civile qui devait durer des années et dans laquelle les organisations palestiniennes attaquent des groupes armés maronites qu’elles accusent d’être des alliés d’Israël. En 1976, alors qu’à Beyrouth des quartiers maro-nites sont sur le point de succomber sous les assauts des groupes palesti-niens, ceux-ci sont écrasés par l’armée syrienne qui vient d’envahir le Liban. En effet, le président syrien, Hafez el-Assad, s’oppose à la prise de pouvoir des Palestiniens au Liban ; désireux de constituer une Grande Syrie, il est aussi l’un des leaders du parti Baath dont le projet est de faire l’unité des Arabes. C’est aussi le projet du rival qu’est le Baath irakien avec Saddam Hussein, dont les rapports sont exécrables avec le Baath syrien.

La Syrie soutient donc l’Iran dans sa guerre contre l’Irak et ce, d’autant plus que la minorité chiite des Alaouites y est au pouvoir. C’est de la fron-tière irakienne que sont amenées en hâte à Beyrouth des troupes syriennes pour y combattre les Palestiniens. La guerre civile libanaise n’en continue pas moins, avec diverses participations des Syriens car ceux-ci, depuis 1920 et l’instauration des mandats, ont toujours refusé l’existence d’un Liban indépendant.

Les invasions israéliennes du Liban pour en chasser le FatahMalgré ses revers dans la guerre civile à Beyrouth, le Fatah se réorganise au Sud-Liban d’où il lance des opérations et des missiles contre Israël. En 1978, l’armée israélienne lance une première opération au Sud-Liban où elle forme avec des Libanais chiites une armée mercenaire et constitue un État fantoche, « l’État libre du Sud-Liban ». C’était aussi pour Israël, tou-jours soucieux des problèmes d’eau, une façon de s’approprier discrètement les eaux du Litani, un fleuve qui prend sa source au centre du Liban.

En juin  1982, prenant prétexte de la poursuite des tirs de rockets du Fatah sur le nord d’Israël, le gouvernement israélien lance l’opération « Paix en Galilée », un raid éclair qui conduit les troupes du général Sharon jusqu’à Beyrouth. Celles-ci, après de durs combats, prennent le contrôle de la ville et, avec le concours indirect des Syriens, cherchent à liquider l’ état-major de l’OLP et Yasser Arafat. Ceux-ci parviennent à s’échapper grâce à la protection de navires français (envoyés par le Président Mitterrand) et sont transférés en Tunisie avec 4 000 combattants. Peu de temps après,

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dans Beyrouth, les civils palestiniens des «  camps  » de Sabra et Chatila sont égorgés par vengeance par des phalangistes chrétiens sans que les Israéliens n’interviennent. Ce massacre suscite une grande émotion dans la communauté internationale et en Israël. L’armée israélienne évacue alors lentement le sud du Liban où elle installe une sorte de milice libanaise (sur-tout chiite) à sa solde pour éviter le retour du Fatah. Mais combattre cette occupation israélienne ou celle de forces d’interposition de l’ONU fut ainsi un prétexte pour le Hezbollah, le mouvement islamiste des chiites libanais, pour inventer en 1982, la méthode des attentats-suicides avec des volon-taires au martyre.

1987 : la première IntifadaUne fois installée à Tunis et profitant des aides versées discrètement par différents pays, l’OLP dite « extérieure » se manifeste beaucoup moins par des opérations terroristes. Elle porte désormais son effort sur la mobilisa-tion clandestine des jeunes palestiniens dans les « territoires occupés 1 ». Ceux-ci estiment désormais qu’ils n’ont pas grand-chose à attendre des États arabes et que leurs manifestations de refus de la domination isra-élienne doivent prendre des formes que le régime israélien, qui se proclame démocratique, ne puisse pas écraser par des opérations militaires. Cette période peut être considérée comme décisive dans la prise de conscience d’une nation palestinienne.

En 1987, éclate à Gaza et en Cisjordanie, l’Intifada, l’Insurrection contre les Israéliens, que l’on a aussi appelée la « guerre des pierres » car les jeunes Palestiniens évitent d’utiliser des armes à feu pour ne pas susciter une riposte massive de Tsahal, la police israélienne répliquant surtout à coups de bâton, pour briser des os, sans trop faire couler le sang. Cette insurrec-tion sans tués qui dura des années (1987-1993) et qui était filmée par les télévisions de différents pays, suscita une grande gêne en Europe et aux États-Unis dans les milieux qui étaient jusqu’alors très favorables à Israël.

Les accords d’Oslo en 1993 et la reconnaissance d’une « Autorité palestinienne »Des négociations secrètes sont menées (en Norvège notamment), avec le soutien des Américains, entre le gouvernement israélien et le Fatah de Yasser Arafat. Elles aboutissent, en 1993, aux « Accords d’Oslo ». L’Organisation de libération de la Palestine reconnaît, enfin, l’existence d’Israël et le gou-vernement israélien, enfin, celle d’une « Autorité palestinienne ».

1. Territoires de l’ancienne Palestine mandataire britannique occupés par l’armée israélienne après la guerre des Six Jours : Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est.

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Ce n’est pas un État souverain car elle ne peut avoir d’armée, seule-ment une police, et son autorité n’est reconnue que sur une partie de la Cisjordanie. Sur une autre partie, le contrôle du territoire est partagé avec les Israéliens et enfin sur une troisième partie le territoire reste totale-ment sous contrôle israélien celle où se trouvent leurs «  colonies  ». Les Palestiniens acceptent que la question de Jérusalem qu’ils revendiquent toujours ainsi que celle du retour des réfugiés soient remises à des négo-ciations ultérieures. Arafat, président de l’Autorité palestinienne s’installe à Ramallah près de Jérusalem. Par la suite, l’espoir de la paix est si fort que Rabin et Arafat se sont serrés la main sur la pelouse de la Maison Blanche devant Bill Clinton et qu’ils ont reçu le prestigieux et emblématique prix Nobel de la Paix.

Le refus des « accords d’Oslo » par la droite israélienne et le Hamas palestinienCes accords d’Oslo furent accueillis avec satisfaction aux États-Unis et en Europe (l’Union  européenne décida d’octroyer des subsides réguliers à l’Autorité palestinienne), mais avec méfiance dans les pays arabes et avec une extrême hostilité dans une partie de l’opinion israélienne. En effet, ils avaient été négociés par les dirigeants du parti de gauche, le Parti tra-vailliste, qui avait alors la majorité au Parlement ; ils furent donc dénon-cés comme une trahison par les juifs religieux et le Likoud, parti de droite influent dans les milieux populaires où les juifs séfarades sont nombreux. Une campagne acharnée fut lancée contre le Premier ministre Ishak Rabin ( ex-général), qui fut assassiné par un juif religieux le 29 octobre 1995. Cet événement retarda beaucoup l’application des accords d’Oslo et les « colo-nies » sionistes se multiplièrent en Cisjordanie.

Alors que le Fatah, qui comptait des musulmans et des chrétiens, affir-mait des positions laïques, les islamistes créent en 1987 un nouveau parti, le Hamas, soutenu par des Frères musulmans égyptiens. Celui-ci dénonçait les accords d’Oslo et affirmait son refus d’accepter la présence d’Israël.

2000 : la seconde Intifada et le foyer islamiste de GazaEn 2000, une nouvelle Intifada éclate à Jérusalem sur « l’esplanade des mos-quées » et prend immédiatement une tournure sanglante tant du côté israé-lien que du côté palestinien. Des groupes islamistes palestiniens se lancent en Israël dans une campagne d’ attentats-suicides (à l’imitation des chiites liba-nais du Hezbollah), ce qui favorise la victoire du Likoud et des partis religieux aux élections israéliennes. Comme ces attentats-suicides ne peuvent guère être empêchés, le gouvernement israélien entreprend la construction d’un

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mur fortifié pour empêcher les Palestiniens de Cisjordanie de venir travailler en Israël, en dehors d’un petit nombre de points de contrôle. De surcroît, ce mur qui suit en principe la frontière de 1948, englobe sur le plateau de nom-breuses « colonies » en Cisjordanie. L’édification de ce « mur de la honte » provoque une grande indignation et campagne médiatique en Europe, sur-tout dans les milieux de gauche qui le comparèrent au « rideau de fer » et au « mur de Berlin ». En Israël, les milieux progressistes qui militaient pour « la Paix maintenant » (mouvement créé en 1978 après la visite de Sadate à Jérusalem), déconcertés par la stratégie des attentats-suicides menée par les islamistes du Hamas, perdirent beaucoup de leur influence dans l’opinion.

2005 : l’évacuation par les Israéliens de la bande de Gaza et la montée en puissance du HamasL’Intifada prend des formes de plus en plus violentes dans la « bande de Gaza » où, sous l’influence croissante du Hamas, une population de plus en plus nombreuse (plus d’1  million d’habitants) s’entasse sur ce terri-toire exigu dont une bonne partie de la superficie était accaparée par les exploitations agricoles de quelque 8 000 horticulteurs israéliens. La situa-tion des soldats israéliens chargés du service d’ordre devenant de plus en plus périlleuse dans la bande de Gaza, l’opinion israélienne estime qu’il faut abandonner ce petit territoire, ce que décide le général Sharon, malgré l’op-position d’une grande partie du Likouk, son propre parti, mais avec l’appui de députés travaillistes.

Après la mort d’Arafat en 2004, que les Israéliens considéraient comme complice des attentats, des négociations sont entreprises avec le nouveau président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Sharon, malgré l’opposition acharnée des Juifs religieux, fait procéder à l’évacuation de la bande de Gaza ; les islamistes du Hamas proclament alors qu’ils ont mis en fuite l’armée israélienne.

Été 2006 : la guerre d’Israël et du Hezbollah au LibanEn 2000, le gouvernement israélien, embarrassé par les critiques internatio-nales sur son projet de détournement des eaux du Litani vers le Jourdain, décide d’évacuer le Sud-Liban et de «  laisser tomber » brusquement ses mercenaires chiites de l’Armée du Sud-Liban. Ceux-ci sont récupérés par le Hezbollah, le parti chiite islamiste libanais qui proclame qu’il vient d’infli-ger une lourde défaite aux Israéliens, ce qui renforçea son prestige. Sa puis-sance doit beaucoup aux financements iraniens et aux livraisons d’armes par l’entremise de la Syrie et, lors d’un de ses coups de main sur la frontière, en juillet 2006, le Hezbollah capture des soldats israéliens.

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Tsahal lance alors des opérations au nord de la frontière pour les retrou-ver, ce à quoi le Hezbollah riposte par des tirs de roquettes sur des villes du nord d’Israël. La riposte d’Israël prend la forme de bombardements aériens sur le Sud-Liban, mais le Hezbollah lança vers le sud des roquettes bien plus puissantes et il est apparu dans leurs débris qu’elles étaient de fabri-cation iranienne. On savait les liens qui existaient, par l’intermédiaire de la Syrie, entre l’Iran chiite et le Hezbollah lui aussi chiite, mais les services de renseignement israéliens ne se doutaient pas de l’importance des engins fournis par les Iraniens au Hezbollah.

L’aviation israélienne multiplie ses raids sur tout le Liban pour y détruire les sites de lancement de missiles et les routes par lesquelles ils étaient ache-minés depuis la Syrie. Cette riposte aérienne s’avérant ineffi cace, le com-mandement de Tsahal se résout à une offensive terrestre qui se heurte à d’importantes fortifications que le Hezbollah avait construites secrètement tout près de la frontière israélienne. Les chars israéliens font demi-tour après qu’un certain nombre d’entre eux ont été détruits par des missiles anti-chars ultramodernes de fabrication russe, fournis par la Syrie ou par l’Iran. Israël accepte, au bout de quelques jours, qu’un cessez-le-feu assuré par des casques bleus de l’ONU, mette fin à cette opération aussi mal engagée.

Cette guerre du Liban de l’été 2006 suscita une grande réprobation dans l’opinion européenne mais aussi dans l’opinion israélienne qui ne comprenait pas que le commandement israélien ait lancé cette opération avec de telles négligences. Elle se solde non pas par une défaite de l’armée israélienne mais par une victoire des islamistes du Hezbollah qui ont prouvé leur force. Cette guerre du Liban a démontré que désormais l’Iran chiite, malgré la distance, joue un rôle important dans les problèmes du Proche-Orient, au moment où l’armée américaine est empêtrée dans la guerre d’Irak. Tout ceci inquiète les dirigeants américains et ceux des États sunnites d’autant qu’à Gaza, la guerre civile entre le Fatah et le Hamas tourne à la victoire de ce dernier.

2006 : la victoire électorale du HamasAux élections législatives palestiniennes de janvier 2006, le Hamas, qui a beau jeu de dénoncer la corruption scandaleuse de dirigeants de l’OLP, obtient la majorité absolue, avec 79 députés ; le Fatah n’en a que 45. Les rapports entre les deux partis se dégradent et en juin 2007, le Hamas prend par la force le contrôle total de Gaza et en chasse le Fatah après de violents combats, Les dirigeants israéliens évitent tout contact avec ce gouverne-ment du Hamas qui refuse de reconnaître l’existence d’Israël ; l’Union euro-péenne (qui a cessé ses versements de subsides à l’Autorité palestinienne) approuve la position d’Israël.

Les islamistes de la bande de Gaza poursuivent leurs actions armées contre Israël en tirant des roquettes «  artisanales  » contre des villes

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israéliennes à leur portée. Tsahal réplique par des bombardements des sites de lancement de ces engins, puis par des incursions armées. Durant l’une d’entre elles, un soldat franco-israélien est kidnappé.

Après sa prise de pouvoir à Gaza, le Hamas (ou plutôt des groupes isla-mistes extrémistes, tels que le djihad islamique) manifeste sa volonté de lutte armée contre Israël en multipliant les lancements de fusée dites « arti-sanales » à courte portée sur le territoire israélien, particulièrement sur la ville de Sdérot. Pour déjouer le blocus israélien, le matériel nécessaire à la fabrication de ces fusées est acheminé par les tunnels creusés sous la fron-tière du territoire de Gaza avec l’Égypte, frontière contrôlée en surface par l’armée israélienne et l’armée égyptienne. Face à la multiplication de ces tirs de fusées – elles n’ont pas causé d’importantes pertes humaines –, les Israéliens durcissent leur blocus et multiplient les raids aériens ponctuels sur les lieux d’où sont tirés ces engins.

La guerre de Gaza (fin 2008‑début 2009)À l’approche d’une élection législative et en raison de l’exaspération des élec-teurs, l’armée israélienne lance sur la bande de Gaza, le 27 décembre 2008, une grande opération militaire, l’opération « Plomb durci ». D’abord des bombardements massifs et de violents tirs d’artillerie, puis le 5 janvier 2009, les chars et des troupes d’élite entrent dans la ville de Gaza et les localités voisines. Le même jour, l’Union européenne demande en vain l’arrêt des combats ; le président américain George W.  Bush encore officiellement au pouvoir (la passation de pouvoir à Barak Obama se fera quelques jours plus tard) ne fait pas de déclaration, mais le représentant des États-Unis au Conseil de sécurité bloque une résolution demandant l’arrêt des combats.

La presse occidentale étant tenue à l’écart par les Israéliens, c’est la chaîne Al-Jazira de la télévision du Qatar, qui rend compte de la vio-lence des combats, en dénonçant notamment l’emploi par les Israéliens de bombes et d’obus au phosphore, ce qui provoque une grande émotion dans l’opinion occidentale et la fureur dans les pays arabes et en Iran. Le secré-taire général de l’ONU se dit scandalisé et demande une enquête. Israël met fin à l’opération le 18 janvier, deux jours avant l’entrée en fonction de Barak Obama. Son premier coup de téléphone hors des États-Unis est pour Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, dont l’impuis-sance a été manifeste durant la guerre de Gaza. Celle-ci n’a pas pour autant anéanti les capacités guerrières du Hamas qui maintient son opposition radicale au Fatah et au président de l’Autorité palestinienne.

Le roi Abdallah d’Arabie saoudite, qui avait déjà tenté de réconcilier ces deux frères ennemis, déclare alors en août 2009 qu’un État palestinien ne pourra voir le jour tant que les Palestiniens resteront divisés et que leur rivalité fera bien plus de tort à la cause palestinienne que les Israéliens.

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La guerre de Gaza (été 2014)Comme en 2009, ce sont les tirs de roquettes tirés depuis la bande de Gaza sur le territoire israélien, majoritairement par des groupes palestiniens isla-mistes radicaux (dont le djihad islamique palestinien), qui ont provoqué la risposte de l’armée israélienne décidée à y mettre fin ainsi qu’au réap-provisionnement du Hamas en armes. L’opération « bordure protectrice » commence le 8 juillet 2014 par des bombardements aériens touchant des populations civiles, elle est suivie d’une offensive terrestre qui a pour objec-tif d’attaquer les militants combattants et de détruire les infrastructures, surtout les nombreux tunnels qui passent sous la frontière entre Gaza et Israël, les sites de lancement des roquettes et leurs unités de fabrication. Un cessez-le-feu est finalement obtenu avec l’aide de l’Égypte le 26 août.

L’offensive israélienne fait plus de 2 000 morts palestiniens dont les trois quarts sont des civils ; 50 000  maisons palestiniennes sont entièrement détruites et 30 000 le sont partiellement ; l’unique centrale électrique est elle aussi détruite, les hôpitaux endommagés, des centaines d’écoles et de crèches détruites car l’armée israélienne soupçonnait le Hamas d’y cacher des armes. La violence de l’offensive israélienne suscite la désapprobation internationale et des manifestations hostiles à Israël. Des actes antisémites ont lieu dans plusieurs pays européens.

Un conflit sans issue ?Le roi d’Arabie saoudite, en 2002 puis en 2007, avait proposé au nom de la Ligue arabe un Plan de paix : tous les États arabes reconnaissent l’État d’Is-raël dans les frontières de 1948, en échange de sa promesse de faire évacuer les « colonies israéliennes » de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Mais le gouvernement israélien a mis comme condition à cet accord, non seulement la reconnaissance internationale que Jérusalem est la capitale d’Israël, mais aussi que les familles des réfugiés palestiniens de 1948 ne puissent prétendre revenir sur le territoire israélien. Devant l’attitude du président américain qui a déclaré qu’il ne pouvait imposer ce plan à Israël, car il est désormais soumis à la pression des ultras du Parti républicain et des Évangélistes, le roi d’Arabie a décidé de « geler » publiquement ses relations avec Barak Obama, tout en l’informant sans doute officieusement que la Chine faisait des offres fort intéressantes pour les exportations pétrolières des pays du Golfe.

Benjamin Netanyahou, bien que son parti, soit arrivé second aux élec-tions légistatives de 2009, réussit à former un gouvernement d’alliances et déclare qu’il ne veut pas s’engager à faire partir de Cisjordanie les « implan-tations israéliennes  », et même qu’il n’est pas question d’en faire cesser l’extension et la multiplication.

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La question des « implantations religieuses » Celles-ci sont désormais au nombre de 150 grandes et petites avec environ 400 000 habitants dont 90 000 autour de Jérusalem. Il s’agit principalement de Juifs ultra-orthodoxes et/ou d’immigrants récents (venus entre autres d’ ex-Union  soviétique) qui ont trouvé à se loger à meilleur compte dans ces colonies. Plus le nombre de ces «  colonies  » augmente, moins il est possible d’établir la continuité territoriale d’un État palestinien. En Judée et en Samarie, c’ est-à-dire en Cisjordanie, les « colons » ultra-religieux qui sont armés se cramponnent à leur maison, persuadés de faire un acte de très grande portée religieuse : assurer la venue du Messie. Il faudrait une terrible épreuve de force pour les faire partir, que l’armée israélienne ne voudra pas assumer, car les religieux y sont de plus en plus influents ; elle ne voudra pas laisser agir une armée palestinienne dans une opération dra-matique qui aura un très grand retentissement international.

Le rôle croissant d’une minorité religieuse réactionnaireL’opinion israélienne dans sa majorité, surtout dans la grande ville ultramo-derne qu’est Tel Aviv, dont l’agglomération compte 3,5 millions d’habitants, semble pourtant résignée à la nécessité de laisser se constituer un véritable État palestinien, avec la maîtrise de son territoire. La minorité que for-ment les Juifs ultra-religieux cherche à imposer ses règles de vie en Israël, et tout d’abord à Jérusalem (800 000 habitants). La minorité religieuse tra-ditionnaliste mène une entreprise véritablement réactionnaire contre les idées modernistes qui ont inspiré les pionniers sionistes et les combat-tants des guerres qu’ils durent mener pour sauver l’État qu’ils avaient créé. L’influence des partis de gauche qui était grande autrefois, y compris dans l’ état-major de l’armée, a été anéantie surtout par les attentats-suicides per-pétrés par les groupes islamistes. Les partis juifs religieux qui s’appuient sur une extrême droite (formée notamment d’immigrés relativement récents) cherchent à prendre le pouvoir en Israël, en profitant des conflits suscités par les extrémistes islamistes, ce qui réduit les possibilités de négociations avec les modérés de l’Autorité palestinienne.

La détérioration de l’image internationale d’IsraëlLa violence de l’opération israélienne sur Gaza (décembre  2007-premiers jours de janvier 2008) a profondément choqué les opinions européennes et américaines. En France, notamment, où vivent près de cinq millions de personnes d’origine maghrébine, des mouvements d’extrême gauche expri-ment leur solidarité avec les Palestiniens, fussent-ils islamistes, et dénoncent

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l’impérialisme de l’État d’Israël. Le soutien aux Palestiniens favorise une réapparition de sentiments anti-sémites, sous couvert de dénonciations du rôle de grands groupes financiers américains qui portent souvent les noms juifs de leurs fondateurs britanniques.

Des manifestations de solidarité avec Gaza se sont développées en Turquie dont les relations avec Israël étaient jusqu’alors particulièrement bonnes (les Turcs gardant le souvenir de la «  trahison des Arabes  » en 1916). Le 31 mai 2010, une flottille partie de Turquie pour forcer le blocus israélien de Gaza fut attaquée par des commandos israéliens qui tuèrent neuf personnes. Le gouvernement d’Ankara exprima violemment sa colère, envisagea la rupture de ses relations diplomatiques avec Israël et décida d’interdire les entraînements de l’aviation israélienne dans l’espace aérien turc, ce qu’elle faisait depuis des années. Depuis les tensions se sont apai-sées, la gravité de la situation géopolitique dans la région a conduit les deux chefs de gouvernement à reprendre leurs relations.

L’éclatement ou la dislocation territoriale des PalestiniensPour refuser le Plan de paix présenté par le roi d’Arabie saoudite, Netanyahou exige de la part des pays arabes l’engagement d’interdire aux familles des réfugiés palestiniens de 1948, de revenir en Israël. Beaucoup étaient allés en Cisjordanie, d’autres en au Liban. Si l’on ajoute au nombre des réfugiés de 1948 ceux qui furent provoqués par la guerre de 1967, on évalue à 750 000 le nombre d’exilés qui ont dû fuir leur domicile. Mais depuis cette époque, leur nombre s’est considérablement accru car la croissance démographique est encore particulièrement forte chez les Palestiniens.

Ceux-ci se trouvent désormais sur les plateaux de Cisjordanie (2,8 mil-lions) et sur la côte dans la « bande de Gaza » (1,8 million), mais aussi en Israël (1,6 million, surtout au nord dans la région chrétienne de Nazareth), bien que beaucoup de leurs parents aient été chassés ou aient fui en 1948. De nombreux Palestiniens se trouvent aussi dans les États voisins où leurs familles se sont réfugiées en 1948 et en 1967, surtout en Jordanie, 4,5 mil-lions où ils formeraient la majorité des 6,2 millions d’habitants ; nombre de ces Palestiniens de Jordanie sont des réfugiés du Koweït qui ont dû fuir cet État en 1990, après l’invasion irakienne.

Les Palestiniens se trouvent encore au Liban (402 000), en Syrie (630 000), en Égypte (270 000), en Arabie et dans les États du Golfe (620 000) ; environ 260 000 sont aux États-Unis. Les Palestiniens, bien que de langue arabe et musulmans pour la plupart, et en dépit de l’ancienneté de leur installation depuis 1948 dans ces différents pays du Proche-Orient, n’y sont toujours pas considérés comme des nationaux de l’État où ils se trouvent et ils y sont

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souvent mal vus. Aussi ces Palestiniens « de l’extérieur » réclament-ils le droit de revenir en Palestine, lorsqu’un traité de paix pourra être enfin établi avec Israël. Mais le gouvernement israélien refuse absolument ce principe, car les Palestiniens qui, au total dans le monde sont environ 12 millions (avec une croissance démographique assez forte) seraient plus nombreux que les Juifs (7,6 millions, dont 1,2 d’Arabes israéliens).

Le séparatisme islamiste de la bande de GazaLe président des États-Unis, Barak Obama, s’efforce régulièrement de convaincre le Premier ministre israélien de la nécessité de mettre fin au conflit israélo-palestinien, en reconnaissant un vrai État palestinien, avec une cohésion territoriale. Netanyahou rétorque que le Hamas au pouvoir à Gaza refuse de reconnaître la légitimité d’Israël et affirme sa volonté de le combattre par tous les moyens.

La population de Gaza a d’autant plus de raisons de diaboliser Israël qu’elle a subi plusieurs attaques armées dont certaines d’une extrême vio-lence, et ce depuis l’année 2012, toujours en riposte à des tirs de roquette ou obus de mortier. En Palestine, aucune autre population civile n’a connu de tels bombardements aériens et d’artillerie qui, dans les guerres de 1967 et de 1973, avaient exclusivement porté sur des objectifs militaires. La popu-lation de Gaza se sent abandonnée par l’Autorité palestinienne et même par les Palestiniens de Cisjordanie qui ne leur ont guère manifesté de soutien. L’Autorité palestinienne et son président ont choisi une nouvelle straté-gie, en l’occurrence diplomatique, en essayant de faire reconnaître un État palestinien par le plus grand nombre d’États possible dans le monde. Mais cela ne renforce en rien sa souveraineté sur le territoire en quelque sorte « mité » par les colonies israéliennes que lui tolèrent encore les Israéliens.

La rupture au sein de la nation palestinienne semble désormais pro-fonde : durant des décennies, sa formation progressive comme sa revendi-cation d’indépendance avaient réuni des musulmans et des chrétiens ainsi que quelques juifs. Le succès électoral des islamistes du Hamas en 2006 et sa prise de pouvoir par la force à Gaza en 2007 étaient des signes d’un risque de divorce au sein de la nation palestinienne. Les réconciliations suc-cessives entre le Hamas et l’Autorité palestinienne sont le signe qu’aucune des deux parties n’a vraiment la volonté politique de les mettre en œuvre.

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Les conséquences de la révolution égyptienneAu début de l’année 2011 eut lieu la « révolution égyptienne » et le pré-sident Hosni Moubarak a été déposé par les généraux de sa propre armée, les uns et les autres étant chargés par les États-Unis de faire respecter l’ac-cord de paix israélo-égyptien de 1979, et ce moyennant le versement d’un milliard de dollars à l’armée égyptienne et d’un autre milliard de dollars à l’économie égyptienne pour payer les importations de blé pour nourrir sa population. Dans un premier temps, l’armée égyptienne a décidé qu’elle levait ses barrages sur la courte frontière qui sépare l’Égypte de Gaza, fron-tière sous laquelle passent les fameux tunnels contre le blocus israélien. Les Frères musulmans (parti islamiste conservateur) ont ensuite gagné les élections en 2012.

Les difficultés liées à l’exercice du pouvoir ont rapidement commencé. Mal préparés à la responsabilité des affaires de l’État, sans vrai soutien de l’Occident et face à la forte opposition de l’Arabie saoudite par peur de la contagion, les Frères musulmans se sont retrouvés très affaiblis tant sur le plan financier que diplomatique, et même sur le plan politique interne, puisque l’Arabie saoudite apporta une aide financière substantielle à ses nouveaux alliés salafistes. Faute de pouvoir ou de vouloir s’attaquer aux racines du mal-être de la population, ils firent des femmes et des Coptes des boucs émissaires. Ils unirent ainsi rapidement contre eux les partisans de l’ancien régime et/ou les Coptes, les progressistes laïques, et l’armée put ainsi en juillet 2013 reprendre le pouvoir détenu sans discontinuité depuis 1952. Israël retrouvait alors la stabilité de la situation antérieure et l’appui du régime égyptien au détriment des Palestiniens. La frontière entre Gaza et l’Égypte se refermait.

Quoi qu’il en soit, dans tout projet d’un véritable État palestinien, se posera la question éminemment géographique de son unité territo-riale. Il faudra bien tenir compte de la cinquantaine de kilomètres qui séparent la bande de Gaza (avec bientôt 2 millions d’habitants) et le sud de la Cisjordanie  : un couloir pour relier ces deux parties aurait formé une barrière entre le sud d’Israël et la majeure partie de l’État. Aussi des ingénieurs ont-ils pensé qu’on pourrait relier les deux parties du territoire palestinien soit par un tunnel, soit par une liaison ferroviaire, étanche en quelque sorte et construite en certains points sur pilotis pour être franchis-sable dans le sens nord-sud par les Israéliens. Grands travaux que finance-rait l’aide internationale, trop heureuse de marquer ainsi la fin du conflit israélo-palestinien. Mais ce n’est pas pour demain.

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Figure 24 Le conflit israélo-palestinien : approche diatopiqueSource : D’après Lacoste Y., 2006, Géopolitique, la longue histoire du monde, Paris, Larousse.

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