CHAPITRE 13 LA RÉVOLUTION NEWTONIENNE

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243 CHAPITRE 13 LA RÉVOLUTION NEWTONIENNE LA PLACE DE NEWTON Sir Isaac Newton, 1642-1727 L’œuvre de Newton renouvelle la mathématique, la physique et l’astronomie de son époque. Contestée par les cartésiens et par Leibniz, elle dominera le XVIII e siècle, et déborde par son génie les cadres de l’astronomie et de la mécanique. Sa célèbre théorie de la lumière et des couleurs (1675) constitue, en association avec les travaux de Malebranche, la première théorie moderne des couleurs. Newton soutenant une position atomiste, comme Huygens et Galilée avant lui, attribue à la lumière une structure corpusculaire. Newton tout en développant ses recherches d’optique poursuit des travaux dans le domaine de la mécanique et participe également au progrès du calcul. Toutes ces découvertes lui permettent de publier en 1687 son œuvre maîtresse, les Philosophiæ naturalis principia mathematica, dans laquelle est exposée sa théorie de l’attraction universelle, unifiant la physique céleste et la physique terrestre. L’importance et la fécondité de son œuvre comme en témoignent les travaux qu’elle inspira est également remarquable en astronomie par les moyens de développement que Newton lui donna. Bien que la pensée de Newton s’accompagnait d’une théologie, le Scholium generale qui termine les Principia formule ce qui allait devenir le motto de l’attitude empiriste : Hypotheses non fingo – en fait un repli tactique de la part de Newton pour éviter les polémiques déchaînées en optique de la part des cartésiens.

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CHAPITRE 13

LA RÉVOLUTION NEWTONIENNE

LA PLACE DE NEWTON

Sir Isaac Newton, 1642-1727

L’œuvre de Newton renouvelle lamathématique, la physique etl ’astronomie de son époque.Contestée par les cartésiens et parLeibniz, elle dominera le XVIIIe

siècle, et déborde par son génie lescadres de l ’astronomie et de lamécanique. Sa célèbre théorie de la lumière etdes couleurs (1675) constitue, enassociation avec les travaux deMalebranche, la première théoriemoderne des couleurs. Newtonsoutenant une position atomiste,comme Huygens et Galilée avantlui, attribue à la lumière unestructure corpusculaire.Newton tout en développant sesrecherches d ’optique poursuit destravaux dans le domaine de lamécanique et participe égalementau progrès du calcul.

Toutes ces découvertes lui permettent de publier en 1687 son œuvre maîtresse, lesPhilosophiæ naturalis principia mathematica, dans laquelle est exposée sathéorie de l ’attraction universelle, unifiant la physique céleste et la physique terrestre.L’importance et la fécondité de son œuvre comme en témoignent les travaux qu’elleinspira est également remarquable en astronomie par les moyens de développementque Newton lui donna. Bien que la pensée de Newton s’accompagnait d ’une théologie,le Scholium generale qui termine les Principia formule ce qui allait devenir lemotto de l’attitude empiriste : Hypotheses non fingo – en fait un repli tactique dela part de Newton pour éviter les polémiques déchaînées en optique de la part descartésiens.

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I saac Newton semble être le phare rationnel qui illumina lafin du XVIIe siècle : il est le père de la physique moderne, lefossoyeur de la physique cartésienne, le rival de Leibniz.

C’est à coup sûr une figure singulière. On ne saurait donc le traitercomme un archétype bien que pour plusieurs il puisse incarner lemodèle de ce que la science peut accomplir. Pourtant, nous n’insisteronspas ici sur son apport scientifique ; les meilleurs auteurs en ont déjàabondamment traité. Nous chercherons plutôt à montrer la complexitéde l’itinéraire intellectuel qu’accomplit Newton. Ce faisant, nous nevisons pas tant à produire une synthèse biographique même renouveléequ’à nous servir de la figure de Newton pour éclairer les rapports entreles savoirs en cette fin de l’âge classique. Nous reprenons donc, à notrecompte, cette conclusion d’un commentateur de l’œuvre newtonienne :

Il n’est, en aucun du sens moderne de chacun de ces termes, ni unscientifique, ni un théologien, ni un théoricien politique (James E.Force).

Il faut bien décrire tout d’abord la toile de fond sur laquelleNewton se détache : des institutions scientifiques viennent d’être crééeset ces institutions vont transformer profondément le sens de que l’onpeut tirer de l’expérience empirique du monde.

LES SCIENCES EN GRANDE-BRETAGNEÀ LA FIN DU XVIIe SIÈCLE

D eux questions orientent notre synthèse des développementsscientifiques en Grande-Bretagne en cette deuxième moitiédu XVIIe siècle : la première sera celle des relations entre

science et religion et la seconde, la question de l’expérimentation.L’expérience scientifique ou l’empirisme revu et corrigéOn peut caractériser le style expérimental de la science anglaise

en opposant les récits des expériences de Robert Boyle à ceux de Pascal.Ces deux savants ont travaillé, à peu près à la même époque, sur unthème commun, le vide.

L’expérience de Pascal est bien connue : l’observation au sommetdu Puy-de-Dôme et à son pied de la hauteur d’une colonne de mercureaurait permis d’établir le poids de l’atmosphère. L’on sait que Pascaln’était pas présent lors de l’expérience qui fut menée à bien par sonbeau-frère, Florin Périer, le 19 septembre1648 et que les résultats enfurent diffusés d’abord et avant tout par lettres. Le Récit de la grandeexpérience de l’équilibre des liqueurs (1648) en est comme le compte-

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rendu où le récit circonstancié de Périer est précédé d’une introductionde Pascal. Sa forme classique ne se retrouve que dans le Traité del’Équilibre des Liqueurs et de la Pesanteur de la Masse de l’Air, publiéà titre posthume en 1663.

Sir Robert Boyle, 1627-1691

On sait également que cette expérience est une reprise et uneextension de celle de Torricelli, en 1644, et s’inscrit dans le prolon-gement de recherches signalées par la publication par Pascal en 1647de ses Expériences nouvelles touchant le vide. Pascal en fait un compte-rendu hautement décontextualisé, rationnel et généralisé, au point oùcertains doutèrent même sinon de l’existence du moins de l’utilité del’expérience.

Précisons notre pensée pour souligner le contraste avec notreconnaissance actuelle de l’expérimentation scientifique : chez Pascalle cahier de laboratoire n’existe pas, pas plus que la référence à desprotocoles opératoires connus ou encore la description détaillée d’uneexpérience précise. Suivons-le un instant :

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Si l’on prend un ballon à demi plein d’air et mou, et qu’on le porte aubout d’un fil sur une montagne haute de 500 toises, il arrivera qu’àmesure qu’on montera, il s’enflera de lui-même […] Cette expérienceprouve tout ce que j’ai dit de la masse de l’air avec une force touteconvaincante […].

D’un tel compte-rendu on a pu écrire qu’il s’agit d’une expériencede mathématicien où le fait particulier est déjà construit comme unfait général et quasi universel.

Boyle, quant à lui, a mené à bien de nombreuses expériences,notamment sur la pompe à vide, dont les comptes-rendus détaillésfurent publiés notamment dans son traité New experiments physico-mechanical touching the sping of air and its effects (1660) mais aussidiscutés à quelques reprises à la Royal Society, l’académie des sciencesbritannique, qui allait voir le jour à cette époque. Le style en est biendifférent, plus descriptif et opératoire ; le compte-rendu estaccompagné de mesures, y compris celles qui semblent erronées.L’empirisme y est tout à la fois revendiqué, contrôlé et limité par uninstrumentalisme clairement assumé : Boyle ne se prononce pas sur levide mais sur un espace presque vide d’air !

LA ROYAL SOCIETY DE LONDRES, UNE INSTITUTIONSCIENTIFIQUE NATIONALE

Les débuts de l’influente Société Royale des sciences, le premier cénaclescientifique élevé au rang d’institution nationale en Angleterre, sesituent aux alentours des années 1640 quand un petit groupe deprofesseurs, de titulaires de chaire et d’hommes de science prennentl’habitude de se réunir régulièrement pour discuter ensemble de la« nouvelle philosophie ». Parmi les membres fondateurs de la SociétéRoyale, on comptait Robert Boyle, physicien et chimiste, John Wilkins,astronome, John Wallis, mathématicien, Robert Hooke, physicien,géomètre, astronome et naturaliste, Christopher Wren, le grandarchitecte de l’époque, et qui occupait alors la chaire d’astronomie àLondres, William, vicomte Brouncker qui deviendra le premierprésident de la Société. Un engagement commun les anime : fairetriompher l’enquête scientifique par les voies de l’expérience.

La fondation officielle date du 28 novembre 1660 ; c’est le jour où aprèsune conférence de Christopher Wren à Gresham College, le noyau deshabitués, décidés à assurer la propagation du nouvel esprit scientifique,créent formellement ce qu’ils appellent « un Collège pour la promotionde la physique-mathématique expérimentale ». Les rencontres de laSociété ou de l’Académie des sciences ainsi constituée avaient lieu unefois par semaine. Les membres assistaient à diverses expériencesmenées selon un protocole rigoureux par d’autres membres et

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discutaient des questions scientifiques d’actualité. La Société se mitaussi à réunir une bibliothèque ainsi qu’un conservatoire d’objetsd’intérêt scientifique.

Boyle dans ses lettres écrites entre 1646 et 1647 réfère à « notre collègeinvisible ou collège philosophique ». Et John Wallis décrit ainsil’atmosphère qui présidait dès le début :

About the year 1645, while I lived in London (at a time when,by our civil wars, academical studies were much interruptedin both our Universities), [...] I had the opportunity of beingacquainted with divers worthy persons, inquisitive naturalphilosophy, and other parts of human learning ; andparticulary of what hath been called the New Philosophy orExperimental Philosophy. We did by agreements, divers ofus, meet weekly in London on a certain day and hour, undera certain penalty, and a weekly contribution for the charge

Sir Christopher Wren, 1632-1723

of experiments, with certain rules agreed amongst us, to treatand discourse of such affairs [...]

About the year 1648-49, some of our company beingremoved to Oxford (first Dr Wilkins, then I, and soon afterDr Goddard) our company divided. Those in London

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continued to meet there as before (and we with them, whenwe had occasion to be there, and those of us at Oxford [...]and divers others, continued such meetings in Oxford, andbrought those Studies into fashion there [...].

L’ordre revenu en Angleterre, en 1660, grâce aux troupes du généralMonk et le roi Charles II de retour sur son trône, la Société s’organisede façon plus formelle. Les membres cherchent à obtenir l’approbationroyale et son appui, comme en témoigne le compte-rendu de la séancedu 5 décembre 1660 :

[...] the King had been acquainted with the design of thisMeeting. And he did well approve of it, and would be readyto give encouragement to it. It was ordered that Mr Wrenbe desired to prepare against the next meeting for thependulum experiment [...].

Équipement de laboratoire du type utilisé à l ’époque tel qu’illustré dans le Cours dechymie de Nicolas Lemery, l ’ouvrage de référence utilisé à la fin du XVIIe siècle et audébut du XVIIIe siècle, Musée d ’histoire des sciences, Oxford.

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Charles II accorde par Charte son statut officiel à la Société le 15 juillet1662, et lui confère le sceau royal portant les insignes de l’Angleterre,de l’Irlande, de l’Écosse et de la France. La seconde Charte Royale de1663 réfère à la Société comme « The Royal Society of London forimproving Natural Knowledge ». Le vicomte William Brouncker estnommé premier président de la Société. À la séance du 20 mai 1663,150 membres sont élus à la Société Royale.

La Société avait reçu du Roi le privilèged’imprimer. Sylva de John Evelyn etMicrographia de Robert Hooke, com-prenant d’admirables dessins d’objets d’in-térêt scientifique observés grâce au micros-cope qu’il avait lui-même construit, sont lesdeux premiers ouvrages que fait paraître laSociété Royale. En 1665, le premier volumedes Philosophical Transactions est édité parles soins de Henry Oldenburg, le secrétairede la Société. C’est dans l’histoire dessciences, la seule revue savante qui peut ainsise réclamer d’une parution ininterrompuedepuis près de trois siècles.

Cependant, là encore, l’on sait maintenant que Boyle ne faisaitque commander ses expériences dans son laboratoire : après 1670, Boylene souffle mot des nombreux laborantins qui les mettent en œuvre,

Denis Papin, 1647-1710,réalisateur d ’un prototype de machine à vapeur à piston (1690)

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dont le Français Denis Papin, si ce n’est pour signaler de temps en tempsdes incidents ou des accidents sérieux alors qu’il s’intéressait auxexplosions, par exemple. Cette division du travail existe encore ; ellese signale par la différence entre les auteurs d’articles scientifiques etceux que ces auteurs remercient, ceux qui signent et ceux qui n’ont faitque travailler.

En somme Pascal est un expérimentateur au style mathématique,épuré, alors que Boyle est un gentleman qui a, non pas un public, maisun forum de pairs pour scruter et partager ses récits expérimentaux.Entre les deux nous voyons plus qu’une simple différence de style quiserait en marge de la question du rôle de l’empirisme dans laconnaissance. Il s’agit bien davantage par la diffusion publique à partird’un organe accrédité, du fondement des institutions de la science ;ceci met en relief la place des académies scientifiques dans laconstitution de la science.

Les liens entre le puritanisme et les sciencesSans doute depuis la publication à notre époque par Max Weber

de L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, est-on parti-culièrement sensible aux relations entre les phénomènes culturels etles transformations économiques. Or, cette thèse du lien entre lepuritanisme et l’essor économique, et l’accent mis sur cet héroïsme siparticulier à la bourgeoisie de l’époque qui acceptait la dominationreligieuse sur l’individu, ont été repris et étendus pour montrer qu’àtravers le puritanisme on avait « béatifié » le rationalisme et l’empirisme.R. Merton reprend l’idée de Weber et montre comment l’ascétisme aservi à justifier, voire à exalter l’entreprise scientifique.

À proprement parler, les scientifiques n’étaient pas encore desprofessionnels : à part quelques professeurs d’université, commeNewton le fut, la grande majorité était des amateurs et ce qui lesdistinguait n’était pas tant une formation spécifique qu’un zèleparticulier pour mettre à jour les secrets de la nature et y révérer lesŒuvres de Dieu.

Dans le puritanisme et dans la poursuite de l’activité scientifique, sontpris pour acquis tout autant la stabilité du monde extérieur que le rôleprimordial de l’expérience et de la raison pour la mise à jour de loisimmuables telles que les lois de la nature ou la doctrine de laprédestination. En ce sens, tous partagent la conviction de lacongruence ultime de tous les savoirs, et Newton, comme figure deproue de la science, appartient bien au XVIIe siècle car là où, le plussouvent, nous apercevons le conflit science-religion, il ne voyait quel’unité du « God’s dominion ».

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NEWTON, LE SCIENTIFIQUE :D’ABORD LA DISCRÉTION

E n considérant la vie de Newton on est frappé par le contrasteentre la célébrité attaché à son nom et la discrétion de savie professionnelle au point où il peut apparaître comme

un « moine cloîtré » préoccupé par ses seules recherches.Nous avons choisi de regrouper les repères biographiques autour

des aspects dominants de trois périodes de la vie de Newton : lechercheur solitaire, l’intellectuel intransigeant et finalementl’administrateur redouté.

L’élaboration secrèteEn 1665, la peste chasse Newton du Trinity College de Cambridge

où il vient d’obtenir son diplôme. Il revient au domaine familial deWoolsthorpe et poursuit ses réflexions et ses expérimentations. C’està ce moment qu’il découvre la composition de la lumière et que lalégende, relayée par Voltaire, situe la découverte de la gravitation sousun pommier de son domaine…

Woolsthorpe, le cottage natal de Newton

Puis, nommé professeur de mathématiques à Cambridge en 1669,sur la recommandation de son professeur, le précédent titulaire de la

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chaire, il présente sa première contribution : l’invention d’un petittélescope à réfraction. Celui-ci est à la fois plus compact, donc plusstable, plus maniable que les longues lunettes astronomiques. Cetélescope produit des images plus nettes : fait important, car à l’époqueon ne pouvait encore corriger leur irisation puisqu’on ne disposait pasencore de lentilles achromatiques.

Le disque de Newton qui comporte lescouleurs du spectre solaire et qui permetde démontrer empiriquement lacomposition de la lumière blanche.

Cet instrument va rapidement mettre en contact Newton avecde nombreux scientifiques à travers l’Europe, si bien qu’au début del’année 1672 il est élu à la Royal Society. Il en deviendra président unpeu plus tard. Newton publie alors sa théorie des couleurs et y énoncesa préférence pour une conception corpusculaire de la lumière. Celaconduit à une confrontation avec Robert Hooke, un physicien quitravaillait, comme Huyghens, à une théorie ondulatoire de la lumière.Cette querelle marque Newton qui se promet de ne plus rien publier.

Il faut dire aussi que pendant toutes ces années universitaires,Newton mènera de front :

• un projet apologétique, qui vise à établir la grandeur de Dieutout en débusquant les falsifications que l’Église a fait subir à larévélation. Newton s’avère être un théologien résolument non-conformiste ;

• un projet alchimique qui pourrait le faire paraître commeun grand initié, et

• des recherches physiques et mathématiques, notammentla mise au point du calcul différentiel ; ce qui l’opposera à Leibniz, dansde nombreux échanges épistolaires, au sujet d’une querelle de priorité.

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La publicationEn 1684 un jeune astronome, Edmund Halley (1656-1742), se rend

à Cambridge pour soumettre à Newton un problème concernant lestrajectoires elliptiques des comètes. Celui-ci non seulement réponden esquissant alors la solution complète, rédigée des années plus tôt,

Edmund Halley, mathématicien et astronome, secrétaire de la Société Royale

mais lui fait part de l’existence de la démonstration de la gravitationuniverselle, la loi d’attraction des corps inversement proportionnelleau carré de leur distance. Naît alors une amitié qui fera de Halleyl’éditeur de l’œuvre centrale de Newton : il publia, à son compte, lestrois volumes intitulés Philosophiæ naturalis Principia mathematicaen 1687.

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D’autres recherches…

Ce n’est qu’en 1706 queNewton publia son deuxième livreportant sur l’optique qui contient,organisé sous forme d’une suite degrandes questions, de nombreusesexpériences et presque autant dedécouvertes.

L’intellectuel

La défense et l’illustration de lareligion

En 1936 la maison Sothebymit en vente des lots importantsde manuscrits ayant appartenu àNewton. Lord Keynes en achetaprès de la moitié, et c’est à partirde ces documents inédits qu’ilrévéla au monde un aspect cachéde la personnalité scientifique de

Newton. Dans un essai publié en 1947 il le décrit alors comme « ledernier des magiciens, le dernier des Babyloniens et des Sumériens ».

Que contenait ces manuscrits ? Des notes « sans valeur scientifiqueaucune » qui rendaient compte de l’exploration de la littératurealchimique. Newton aurait ainsi catalogué, dans son Index chemicus,des références à plus de 5000 ouvrages alchimiques. Cet intérêt qu’ildéveloppa assez tôt dans sa carrière, au plus tard en 1669, lui permit demener à bien de multiples expériences et d’attribuer, de manièreplaisante, son grisonnement hâtif à la manipulation du mercure.

Certains commentateurs vont cependant beaucoup plus loin queKeynes : l’alchimie n’aurait été qu’une facette d’une quête totaleentreprise par Newton et qui visait à comprendre l’Œuvre Divine enforgeant une science universelle. De plus, ils soutiennent que laconception newtonienne de la gravité comme principe actif, queNewton oppose à l’éther de la mécanique cartésienne, est construitsur l’analogie avec le « principe actif » de l’agent alchimique.

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Une certitude se dégage, cependant, c’est que Newton passa laplus grande partie de son temps à Cambridge à des recherches quiaujourd’hui semblent appartenir plus à la préhistoire qu’à l’histoire dessciences ; par moments il semble ainsi appartenir à la traditionhermétique !

Les querelles, les polémiquesL’aspect le plus singulier du génie newtonnien est sans doute la

tendance à entretenir des disputes de priorité alors même qu’il semontrait si avare de publications. La querelle qui l’opposa à Leibnizalors que les deux hommes travaillaient à mettre au point le calculdifférentiel, que Newton appelait le calcul de fluxions, restera dans lesannales comme un égarement d’un caractère trop imbu de sa supérioritépuisque la postérité préféra retenir la notation leibnizienne…

La reconnaissance : l’administrateur scientifique

Newton à sa table de travail

La carrière d’un scientifiqueEn 1695, Newton fut nommé directeur de la Monnaie Royale. Il

quitte Cambridge et s’emploie alors, avec zèle, à pourchasser les faux-

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monnayeurs. On peut se demander si la poursuite du savoir alchimiquene lui fut pas d’un certain secours dans cet emploi…

Il fut élu à la présidence de la Royal Society en 1703, poste qu’iloccupa jusqu’à sa mort : la reconnaissance de ses pairs lui était déjàacquise.

La destinée

La publication desPrincipa fut un tel succèsqu’on peut se demander ceque le public y comprit :l’ouvrage mathématique estrebutant sauf pour quelquessavants et ce n’est sans douteque le prestige des scienceset les applications de la thé-orie, comme la théorie desmarées popularisée parHalley, qui séduiront lepublic.

Toujours est-il que la finde sa vie fut marquée par leshonneurs : anobli en 1705, ilfut inhumé, à sa mort, àl’abbaye de Westminster.

La gloire de l’homme qui fut le plus puissant levier dudéveloppement de la science moderne ne faisait que commencer.

Les études newtonniennes : les interprétations renouveléesd’une hagiographie

On l’aura remarqué, la « découverte » de très nombreux manuscritsoù Newton exprime soit un point de vue théologique qui aurait étéqualifié d’hérétique, en raison par exemple de son anti-trinitarismerésolu, soit une prédilection pour l’alchimie, cette découverte donc aeu pour effet de donner comme un second souffle aux étudesnewtoniennes.

Ces sources n’ont pas fini de « parler » et permettent au moins deremettre en question la figure légendaire, largement érigée dès leXVIIIe siècle, par Locke notamment, d’un Newton rationaliste

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François Blanchard

entièrement marqué par la rigueur de la certitude mathématique. N’est-ce pas Locke qui conclut, après avoir salué Newton dans l’introductionde son Essai, qu’en matière de connaissance morale il est possible d’enarriver à une certitude mathématique ?

Apothéose de Sir Isaac Newton, gravure de George Bickham senior (d. 1769), 1732

Nature and Nature’s laws lay hid in night :God said, Let Newton be ! And all was light (Alexander Pope)

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Isaac Newton (1642 - 1727) - From A Short Account of the History of Mathematicshttp://www.maths.tcd.ie/pub/HistMath/People/Newton/RouseBall/RB_Newton.html

Isaac Newton: Mathematical Principleshttp://www.fordham.edu/halsall/mod/newton-princ.html

Isaac Newton: Optics from the Modern History Sourcebookhttp://www.fordham.edu/halsall/mod/newton-optics.html

Newton, Sir Isaac (1642-1727)http://www.treasure-troves.com/bios/Newton.html

Newtonhttp://www.cegep-st-laurent.qc.ca/depar/physique/hisNewt.htm

Newtonhttp://www.tfo.org/mega/ks_newton.html

Voltaire: Letters on Newton from Letters on The English or Lettres Philosophiques, c.http://www.fordham.edu/halsall/mod/1778voltaire-newton.html

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