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Jérémy Stauffacher Droit Public
Droit de la Construction
1. Cours du 20 septembre 2012
Chapitre 1. L’aménagement du territoire
§1. Généralités sur le droit public de la construction
Le droit de la construction concerne tout particulièrement Fribourg (tradition
de la construction). Ensuite, la jurisprudence liée au droit de la construction
est extrêmement développée. En outre, c’est un droit ancré dans un contexte
économique très important : l’immobilier. L’historique du droit de la
construction est colossal : la police des constructions (règles par lesquelles
on communique au citoyen comment il peut construire) est extrêmement
ancienne (temps modernes, gestion du passage des chars).
L’aménagement du territoire, par contre, date du siècle passé (début du 20ème
siècle). On a constaté qu’il fallait gérer l’utilisation du territoire. Les premiers
plans (éléments de planification relatifs aux zones à bâtir) sont apparus en
Suisse entre les deux guerres. L’aménagement au niveau cantonal est
apparu à la suite de la seconde guerre mondiale. Au niveau national,
l’aménagement du territoire date de 1979. Il a fallu dix ans pour appliquer
l’article transférant la compétence à la Confédération (passé en votation
populaire grâce à la garantie de la propriété). Plus encore, il a fallu dix ans
supplémentaire pour que les communes appliquent les lois décidées à Berne.
Le droit de l’environnement, enfin, est encore plus récent (environ 20 ans,
environ 1985). Il s’agit d’un droit totalement fédéral, dépendant de la
compétence de la Confédération, chargée d’adopter une seule et même règle
au niveau Suisse. L’approche est donc totalement différente d’avec les deux
autres volets (rupture). De par la coexistence de ces trois systèmes, le droit
public de la construction est très compliqué. Le système n’est pas
véritablement organisé : il s’agit plutôt d’un accumulation de législation (pas
de code unique sur le modèle français). Ainsi, dans les années 1990, le TF a
inventé le principe de coordination entre les différentes lois.
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La branche de l’aménagement du territoire (planification) prend toujours plus
d’importance : en effet, la concentration des populations dans les villes
demande bien entendu de planifier les constructions, toujours plus
nombreuses. La protection de l’environnement va certainement perdurer, les
questions d’énergie étant toujours plus présentes dans notre société, ultra-
dépendante du pétrole et des autres énergies fossiles, dont la gestion relève
également du droit de la construction.
§2. Introduction à l’aménagement du territoire
I. Définitions et sources
Il s’agit de l’ensemble des règles relatives à la planification de l’utilisation du
sol. L’aménagement du territoire organise donc les constructions en fonction
du sol (droit de planification). Le droit de la planification a connu un
développement fulgurant (concept de plan directeur : pour l’armée, la gestion
des finances, etc.). Le droit de la planification s’attache à prévoir les
événements futurs. Malgré tout, il pose deux problèmes :
- Quelle est la portée juridique du plan, en lien avec sa nature ?
- Quelle est la procédure à suivre pour planifier ? La population doit-elle
être associée à ce genre de démarche ou l’exécutif est-il seul apte à
décider de la planification ?
Quant aux sources fédérales premièrement, on peut citer l’art. 75 Cst. comme
principe abstrait, qui est en plus repris en matière d’aménagement du
territoire. La LAT a été adoptée en application de cet art. 75. Cette loi est une
loi fédérale (liée à une compétence fédérale qui fut difficile à accepter : il a par
exemple fallu près de 30 ans pour zoner l’aéroport de Genève). La loi est
limitée aux principes : il s’agit d’une loi-cadre prévoyant l’obligation de
planifier et les types de zones (catégories de zones) qui peuvent être
attribués aux parcelles. Ainsi, la LAT définit la zone d’habitation à moyenne
densité et les communes se chargent ensuite de définir le type de zone pour
chaque parcelle. Enfin, la LAT fixe des règles de procédures, par rapport à
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l’obligation de consulter la population notamment (il existe un quatrième bloc
lié au financement et aux subventions). Le fait qu’il s’agisse d’une loi limitée
aux principes ne veut toutefois pas dire que la loi ne contient aucune
disposition précise. En effet, la LAT prévoit notamment quelques dispositions
pour éviter les dérogations (construction en zone agricole par exemple). La
LAT est complétée par une OAT (ordonnance), qui est extrêmement utile en
certains points. A côté de ces deux principales sources, le droit fédéral
comprend certaines lois annexes. En outre, il existait jadis des arrêtés
fédéraux urgents, chargés d’endiguer la multiplication des demandes de
permis de construire causée par le transfert de la compétence cantonale à la
Confédération (et causée actuellement par l’entrée en vigueur prévue en
2013 de la Lex Weber). Enfin, des ordonnances administratives et des
directives complètent le système fédéral.
Au niveau cantonal, l’art de bâtir (règles techniques relatives à la hauteur,
profondeur, sécurité, etc.) est défini dans les législations de la police des
constructions. Lorsque la LAT a été adoptée, les cantons ont dû la mettre en
œuvre (législation d’application de la LAT). Pour ce faire, on peut évoquer les
concepts monistes et dualistes. Fribourg a choisi une solution moniste
(aménagement du territoire et affectation réunie) et a adopté la LATeC
(appelée LATC dans le canton de Vaud) et le ReLATeC, deux lois
gigantesques (plusieurs centaines d’articles). L’approche dualiste prévoit, au
contraire de l’approche moniste, prévoit l’adoption de deux lois : d’un côté la
loi d’application de la LAT (régissant l’affectation du territoire) et une autre loi
séparée appelée LCI (loi sur les constructions et les installations). Malgré
tout, dans les deux cas, la procédure est unique : l’autorité (unique) chargée
d’appliquer la loi se tournera alors vers la ou les loi(s).
Enfin, les communes sont chargées de décider souverainement de
l’affectation des parcelles aux différentes catégories de zone (la LAT, en son
art. 15, ne précise rien et les cantons, dans les lois d’application, reprennent
bien souvent l’art. 15). Les communes doivent donc décider. En plus, elles
sont chargées de définir le contenu des zones par le biais d’un règlement,
qu’adopte chaque commune (règlement communal d’urbanisme,
d’aménagement, etc.). L’autonomie communale est donc très grande. Pour
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éviter trop d’incohérence, les cantons ont accepté d’unifier les lois cantonales
par le biais de concordats. Le concordat intercantonal sur la définition des
notions de construction, par exemple, tente d’unifier la manière avec laquelle
sont interprétées les règles de construction. Seul six cantons ont accepté de
ratifier ce concordat intercantonal (dont Fribourg).
II. Contenu et instruments
Il s’agit à présent d’analyser les buts et les principes de la planification
(art. 1 et 3). L’art. 1 reprend en fait le contenu de l’art. 75 Cst. (but général).
Ce but général est ensuite concrétisé par l’art. 1 al. 2 let. a-e (buts spéciaux).
Ainsi, il existe par exemple l’obligation pour les magasins de disposer d’un
certain stock, utile notamment en cas de guerre. Les principes (art. 3) sont
nombreux. D’ailleurs, les buts et les principes se confondent parfois : en tous
les cas, ils vont dans la même direction.
Ensuite, il existe des conditions pour obtenir une autorisation de construire : la
construction ou l’installation doit être conforme à l’affectation de la zone et le
terrain doit être équipé. En plus, le droit fédéral ou cantonal peut prévoir des
conditions supplémentaires, liées naturellement aux principes et aux buts.
Dans le canton de Fribourg, lorsque le préfet délivre une autorisation de
construire, il sait qu’il doit vérifier le respect des buts et des principes.
En matière d’aménagement, il y a deux visions : centralisée (tous au même
endroit) et décentralisée (chacun se fixe où il souhaite). La Suisse a combiné
les deux systèmes : concentration décentralisée : divers centres sont créés et
organisé. Aujourd’hui, le concept de la densification a été ajouté pour pallier
aux défauts de la concentration décentralisée. La densification propose de
renforcer les centres déjà existants (en lien avec la préservation de
l’environnement). Ainsi, plutôt que de continuer à disperser les constructions,
il s’agit de modifier les centres actuels pour qu’ils soient plus densifiés. Cela
permettrait de diminuer les problèmes de trafic automobiles autour des villes.
Il s’agit donc de diminuer au maximum les distances entre le lieu d’habitation
et le lieu de travail pour éviter ces déplacements problématiques.
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Dans un cas concret, on se demande toujours si l’élément litigieux est une
construction. Ainsi, on se pose la question de la nécessité d’une autorisation
(art. 22 LAT). Si l’élément en cause est bien une construction, il s’agit ensuite
de s’interroger sur la conformité de la construction. Si la construction n’est
pas conforme, une autorisation extraordinaire est requise (décision de
dérogation). Dans le cas d’une zone agricole, on se tourne vers l’art. 24 LAT,
qui prévoit deux conditions cumulatives (dans le cas d’espèce pour construire
une glaisière hors de la localité d’Einsiedeln) :
- La construction de la carrière ne peut être faite à aucun autre endroit.
Dans le cas d’une mine, il est logique qu’elle soit située près du
minerai qu’il s’agira de récolter.
- Aucun intérêt prépondérant ne doit s’opposer à la construction de la
carrière. Ces intérêts prépondérants correspondent aux buts et
principes des art. 1 et 3 de la LAT).
Dans le cas d’espèce, la première condition ne paraît pas poser problème.
Par contre, la question des intérêts prépondérants est plus délicate. Le TF
examine ainsi si chaque intérêt prépondérant est contraire ou non à la
construction de la carrière. Dans cet arrêt se pose la question de la pollution
des eaux (protection des eaux). Au final, le TF conclut (sur avis d’experts)
qu’il n’y a pas d’intérêt prépondérant à protéger les eaux. Ensuite, certains
estiment que la région est typique et que la construction risque d’atteindre ce
paysage. Les routes d’accès à la glaisière ont été organisées pour que cela
se fasse de manière discrète. De plus, la construction d’une carrière entraîne
des travaux lourds et son exploitation nécessite des engins massifs, pouvant
causer des tremblements, avec le risque que les terrains alentours ne
s’affaissent. Il n’y a donc pas d’intérêt mécanique qui pourrait être contraire à
l’autorisation. De ce fait, le TF conclut qu’aucun intérêt prépondérant ne
s’oppose à la construction de la glaisière. Le plan est donc le suivant :
autorisation, conformité, dérogation, buts et principes.
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2. Cours du 27 septembre 2012
III. Les limites constitutionnelles
a. La garantie de la propriété
Par nature, l’aménagement du territoire est une atteinte à la propriété. La
propriété n’est pas un bien absolu : elle est définie dans les limites de la
législation (art. 26 Cst.). On n’admet une atteinte à la propriété (expropriation)
que si l’État entre dans le périmètre des droits reconnus au propriétaire par la
législation. Le propriétaire n’a que les droits que la loi lui reconnaît. Un point
cause en particulier beaucoup de litiges : l’expropriation et les problématiques
de l’indemnisation. En effet, l’aménagement du territoire est parfois
susceptible d’entraver si fortement la propriété qu’il est nécessaire de fournir
une prestation pécuniaire (indemnisation en cas d’expropriation matérielle).
L’expropriation matérielle consiste en fait à vider le droit de propriété de sa
substance. Un mécanisme de compensation est donc nécessaire pour ce cas
de désavantage majeur (atteinte grave à la propriété). Ce mécanisme, qui
devait être mis sur pied dans chaque canton (loi cantonale sur
l’expropriation), a finalement été consacré au niveau fédéral en application du
principe constitutionnel de la garantie de propriété. Naturellement, la
compensation existe aussi en cas d’avantages. Lors de changement
d’affectation de zones, il est probable que la valeur d’un terrain augmente
considérablement (zone agricole vers zone à bâtir : 1-2 francs par m2 à
environ 500 francs le m2). Là encore, les cantons étaient chargés d’appliquer
ce système. A part Bâle-Campagne et Neuchâtel, aucun canton n’a adopté
une loi de compensation de la plus-value (mesure extrêmement impopulaire).
Dans ces cantons, il existe ainsi un fond de péréquation (les avantages
compensent les désavantages). Aux pages 12-14 du polycopié se trouve un
arrêt illustrant cette problématique de la compensation des avantages. Au
niveau fédéral, le principe de compensation est en train d’être repris
(introduction dans la LAT de la compensation de la plus-value). L’art. 5 LAT
sera donc modifié pour créer un régime impératif et détaillé. Un référendum a
en outre été lancé contre cette modification majeure de la LAT. Ce système
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ne doit pas être confondu avec les taxes de remplacement (redevances que
l’État prélève lorsqu’il dispense un citoyen d’une activité obligatoire, comme le
service pompier par exemple) ou avec les systèmes de remaniement
parcellaire (procédure de droit public à travers laquelle on redistribue les
droits de propriété, par le biais de syndicat de propriétaires : redistribution des
parcelles selon un plan clairement établi : des moins-values sont alors
possibles et doivent être compensées).
b. La liberté économique
L’aménagement du territoire a inévitablement un impact économique. Si le but
poursuivi dans la planification est l’organisation du territoire, l’atteinte peut
être admise. Au contraire, si le plan vise, sous couvert de la planification, à
restreindre la liberté économique, la LAT intervient. L’arrêt Globus illustre
cette problématique. Le canton de Bâle-ville avait prévu d’interdire tous les
magasins de plus de 8000 m2, décision contre laquelle les grands groupes ont
recouru. Le TF a validé cette loi en reconnaissant qu’elle visait l’organisation
et la planification du territoire (impact de ces lieux à haute fréquentation sur la
fluidité du trafic, sur la pollution, sur la saturation du réseau routier). L’impact
économique est donc toléré. Aux pages 15-18 figurent un deuxième arrêt
illustrant la question. Un autre arrêt (McDonald) exprime parfaitement la
difficulté.
La LDFR (loi fédérale sur le droit foncier rural) a comme objectif d’éviter que
toutes les exploitations agricoles disparaissent à cause de la promotion
économique. La pression économique sur la terre agricole passant en terrain
à bâtir est énorme. La loi encourage et maintient donc des entreprises
agricoles familiales. Il s’agit d’une intervention politique dans le système de la
libre concurrence. Pour ce faire, trois institutions ont été développées. En cas
de partage successoral premièrement, des règles ont été édictées quant à
l’attribution de l’entreprise agricole, basées sur la valeur de rendement (et non
pas sur la valeur vénale). Le terrain est en principe attribué à l’héritier qui
souhaite faire durer l’exploitation. Le montant de la soulte à payer aux autres
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héritiers pourrait alors être énorme. De ce fait, on se base sur la valeur de
rendement (en fonction de ce que rapporte le terrain) et non sur la valeur
vénale (valeur du terrain en cas de vente). En cas de vente ensuite, le
bénéfice doit alors être réparti entre les héritiers. Deuxièmement, une règle
prévoit l’interdiction du morcellement des parcelles agricoles. Troisièmement,
l’État prévoit des autorisations spéciales pour attribuer les terrains agricoles.
c. L’égalité de traitement
L’aménagement du territoire exige nécessairement de faire des choix : les
limites entre les zones doivent forcément passer à un endroit. Le principe veut
qu’en matière d’aménagement du territoire les exigences d’égalité de
traitement ne s’appliquent que de manière restreinte. Concrètement, un
propriétaire ne peut jamais invoquer l’égalité de traitement pour contester une
limite de zone. La propriété du code civil ne fait jamais obstacle à
l’aménagement du territoire : on ne tient donc jamais compte des propriétaires
pour tracer les limites des zones. De même, il n’y a en principe pas de
possibilité d’invoquer l’égalité de traitement entre propriétaires. Si l’un peut
construire et l’autre non, on ne peut contester cette décision. Malgré tout,
l’autorité chargée de prévoir l’affectation des zones se doit de se baser sur
des arguments, des motifs objectifs. Dans les procédures d’autorisation (zone
à bâtir créée, planification effectuée), l’égalité de traitement s’applique
(activité administrative) de manière normale. En matière de dérogation,
l’égalité de traitement s’applique également. Naturellement, le principe
général « pas d’égalité dans l’illégalité » s’applique aussi.
d. Les droits politiques
En matière de droits politiques, il faut partir de l’art. 4 LAT (information et
participation). Il existe des mécanismes informels appliqués en général pour
les plans directeurs (grands principes). Dans ce cas, une information
informelle suffit. Par contre, dans la planification d’affectation, beaucoup plus
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détaillée, l’art. 33 LAT s’applique en concours avec l’art. 4 et exige une
procédure de mise à l’enquête publique et d’opposition. Il y a donc des
grandes différences d’exigence entre planification directrice et planification
d’affectation. En effet, la première n’a en principe pas de conséquence sur les
citoyens, au contraire des plans d’affectation qui définissent les droits de
propriété et ont un effet contraignant direct pour chaque propriétaire. De ce
fait, une protection juridique stricte est nécessaire (mise à l’enquête et
opposition : art. 83 LATeC ; arrêts du polycopié p. 1 ss).
A Genève, l’aménagement du territoire ne suit pas la procédure habituelle. Le
canton est assimilé à la ville : il y a une centralisation complète : les
communes ne peuvent intervenir que dans une petite mesure. Dans les
années 1980, la LALAT a découpé le territoire genevois en zones
concentriques. Ce régime est ensuite modifié par fractions de plans. La
particularité genevoise tient au fait que c’est le législateur (Grand Conseil) qui
est chargé d’adopter les plans (et non pas les communes). Ainsi, les citoyens
qui souhaitent modifier un quartier envoient leur proposition au Grand Conseil
(commission d’aménagement du territoire, procédure législative). Plus encore,
une fois que le Grand Conseil a décidé, il n’y a aucune possibilité de recourir
contre la décision ailleurs qu’au TF (pouvoir cantonal suprême réunissant les
représentants des électeurs). Hors, un contrôle judiciaire est nécessaire,
contrôle absent dans le système genevois. Le considérant 7 de l’arrêt
explique pourquoi le système ne peut fonctionner et pourquoi un tribunal
cantonal de recours est absolument nécessaire. Les cantons ont en effet
l’obligation d’avoir un tribunal cantonal pour juger de toutes les affaires, y
compris administratives (art. 191b Cst.).
De même, l’art. 111 LTF prévoit que le tribunal fédéral n’intervient qu’après
une autorité cantonale judiciaire. L’art. 6 de la CEDH prévoit également cette
obligation. De ce fait, le canton de Genève a dû introduire un tribunal cantonal
pour revoir les décisions du Grand Conseil en matière d’aménagement.
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3. Cours du 4 octobre 2012
§3. Les plans
I. Généralités
Les plans sont les documents administratifs permettant à l’État d’organiser
son activité future. Il existe plusieurs types de plans (art. 10 ss LATeC) :
- Art. 12 ss : aménagement cantonal :
o Art. 13 : plan directeur cantonal.
o Art. 20 : plan d’affectation cantonal.
- Art. 23 ss : aménagement régional :
o Art. 26 : plan directeur régional.
- Art. 34 ss : aménagement local :
o Art. 38 : plan d’aménagement local.
o Art. 43 : plan d’affectation de zones.
La nature des plans a été discutée depuis l’invention de l’aménagement du
territoire. En effet, si l’on part du principe que les plans sont des législations,
cela entraîne trois conséquences plutôt néfastes :
- Leur adoption ne nécessite pas le respect du droit d’être entendu
(procédure législative, art. 57 CPJA, relatif aux décisions).
- L’adaptation des législations à l’évolution des circonstances est
quasiment inexistante. En effet, le principe de la légalité demande une
certaine rigidité de la loi (sécurité du droit).
- Le recours contre les lois est plutôt rare.
Si au contraire on part du principe que les plans sont des décisions, là
encore, cela entraîne diverses conséquences :
- La procédure d’adoption garantit le droit d’être entendu.
- En cas de modification des circonstances, l’autorité n’est pas libre mais
doit suivre le régime de la révocation des décisions administratives.
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- Le recours est possible et même obligatoire si la personne souhaite
contester le plan (délai de 30 jours).
Comme on le voit, la qualification joue un rôle central pour ces trois
domaines (adoption, adaptation et recours). Le TF a alors décidé de faire du
plan un acte mixte, sui generis, relevant à la fois de la décision et de la
législation (ATF 107 Ia 94). Il ajoute que la qualification n’importe au final peu
étant donné que le législateur répond aux questions d’adoption, d’adaptation
et de recours. En effet, la LATeC traite de la procédure d’adoption des plans
aux art. 83 ss LATeC, de leur adaptation à l’art. 82 LATeC et des recours en
matière de plans aux art. 33-34 LAT concrétisés par l’art 88 LATeC.
En plus des plans directeurs et des plans d’affectation (principaux), il existe
encore deux autres sortes de plans : les PAD et les plans sectoriels :
- Les PAD (plans d’aménagement de détail ou encore plans spéciaux,
art. 62 ss LATeC) : il s’agit de plans qui traitent de petites zones. Le
périmètre du plan est beaucoup plus petit que la zone centre alors que
le degré de détail est forcément beaucoup plus grand. Il s’agit donc de
sections de plans plus vastes sur lesquelles l’accent est mis. Leur but
est de tenir compte de tous les intérêts en présence dans une situation
compliquée, notamment lorsqu’il y a beaucoup d’éléments à gérer
(zones fortement urbanisées). Le centre d’une ville fait ainsi partie de
ces zones compliquées. Il existe en outre deux types de plans
d’aménagement de détail : les plans obligatoires et facultatifs :
o Les PAD obligatoires : parfois, les lois cantonales obligent la
création d’un plan de détail. Les zones pour lesquelles un PAD
est obligatoire sont listées à l’art. 28 ReLATeC.
o Les PAD facultatifs : c’est alors la commune qui décide
d’introduire ou non un PAD (autonomie communale) pour les
différents secteurs qu’elle gère.
En pratique, les PAD sont très appréciés par les constructeurs. En
effet, avec un PAD, il est possible de déroger partiellement à la zone.
A Fribourg par exemple, si la zone de centre prévoit que les façades
de Pérolles doivent présenter des vitrines carrées, le PAD permettra à
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un constructeur de déroger à cette règle en acceptant les vitrines
rondes. Il est donc possible de déroger ponctuellement au régime
général de la zone en question.
- Les plans sectoriels : ces plans n’existent qu’au niveau du droit fédéral
(art. 13 ss LAT). Il s’agit d’un plan fédéral lié à l’absence de
compétence territoriale de la Confédération. Le sol n’appartient en effet
qu’aux cantons et aux communes : il n’existe aucun canton fédéral
(au contraire des USA). La place fédérale de Berne appartient ainsi à
la commune de Berne. De ce fait, planifier une zone dont on n’est pas
propriétaire se révèle être assez compliqué. La Confédération oblige
donc les cantons à tenir compte de certains éléments qu’elle
superpose aux plans cantonaux. Il existe toute une série de plans
sectoriels : infrastructures aéronautiques, voies navigables, rail 2000,
gestion des déchets nucléaires, places d’armes et places de tir,
surfaces d’assolement. Il s’agit donc d’une atteinte à l’autonomie des
cantons, qui sont obligés de tenir compte des éléments mentionnés par
la Confédération dans les divers plans sectoriels.
II. Les plans directeurs
Les plans directeurs sont extrêmement importants (art. 6 ss LAT).
Aujourd’hui, il s’agit d’une réalité constante : à l’adoption de la LAT, le plan
directeur ne devait que fixer les buts et les principes de l’aménagement du
territoire et n’être révisé que tous les 20 ans. Or, la planification est
permanente. Les plans directeurs des cantons définissent la façon de
coordonner les activités relatives à l’aménagement du territoire (art. 8 LAT).
Considérant le nombre de buts des plans directeurs listés à l’art. 8 al. 3 LAT,
on voit que ces plans sont devenus des classeurs politiques généraux (de la
même manière que la Constitution fédérale). Les plans directeurs contiennent
des fiches de coordination permettant au législateur de définir des règles
générales concernant divers domaines de l’aménagement.
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L’élaboration des plans directeurs demande dans un premier temps la
coopération de nombreux experts qui établissent des cartographies de la
Suisse. On tentera par exemple d’identifier le nombre de m2 qui sera
nécessaire au canton de Fribourg dans les 50 ans. Il s’agit donc de cahiers
techniques qui fixent les faits et sur lesquels on se base pour dresser les
plans. Dans un deuxième temps, le Gouvernement doit se positionner sur les
plans. Le canton précise quelles doivent être les lignes directrices du plan en
conception (trafic, environnement, protection des lacs). Il s’agit donc de
décisions prises sur la base des faits établis. Dans un troisième temps, les
offices cantonaux établissent les différentes fiches et dressent la carte de
synthèse résumant l’ensemble. Dans un quatrième temps, un acte juridique
est nécessaire pour adopter le plan. Dans la plupart des cantons, c’est le
Grand Conseil qui adopte le plan par un arrêté formel. Enfin, dans un
cinquième temps, le Conseil fédéral approuve les plans directeurs et vérifie la
coordination et la complémentarité des plans entre les cantons. Très souvent,
les projets sont donc renvoyés aux cantons pour être améliorés.
Juridiquement, les plans directeurs ne posent jamais problème en raison de la
force obligatoire pour les autorités (art. 9 LAT). En clair, les autorités
cantonales et communales sont obligées par les plans. De ce fait, le plan
directeur cantonal porte atteinte à l’autonomie cantonale (naturellement que le
canton, chargé de dresser les plans, sera apte à les appliquer). Il existe des
cas où les plans directeurs cantonaux s’opposent à l’autonomie communale
(cas des golfs notamment, pour lesquels des fiches spéciales limitant leur
construction avait été prévues).
Enfin, comme on vient de la dire, l’autonomie communale peut être mise à
mal par les plans directeurs. Ainsi, à Fribourg, il n’y a pas d’autonomie
communale en matière de permis de construire. C’est en effet le préfet qui est
responsable d’octroyer ou non les permis. De ce fait, l’autonomie communale
semble violée et vidée de son sens. Pour éviter cette situation, tous les
projets de construction doivent passer devant la commune, qui donne alors
un préavis. Le préfet a ensuite l’obligation de lire le préavis communal et de
se déterminer par rapport à ce préavis (décision). La commune pourra ensuite
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recourir contre la décision du préfet si celle-ci lui déplaît. Un droit d’être
entendu au bénéfice de la commune a donc été créé.
III. Les plans d’affectation
Le contenu des plans d’affectation est double : ils sont constitués de deux
éléments centraux, toujours présents :
- La carte : un dessin des secteurs.
- Le règlement (RCU, règlement communal d’urbanisme) qui précise ce
qu’il est possible de faire et dans chaque secteur du plan.
La procédure d’adoption de ces plans est décrite aux art. 83 ss LATeC. Selon
l’art. 83, les plans d’affectation des zones, les plans d’aménagement de détail
et leur réglementation sont mis à l’enquête publique pendant 30 jours et sont
sujets à opposition (toute personne touchée, art. 84). Le Conseil communal
traite alors les oppositions. Pendant ce temps, le reste du plan (déduction des
zones sujettes à opposition) est approuvée et entre en vigueur. De ce fait,
même s’il y a des oppositions ou des recours, le plan entre en vigueur pour
les zones non contestées. Il y a donc dans un premier temps une mise à
l’enquête publique (art. 83 LATeC) puis une procédure d’approbation par les
cantons (art. 86 LATeC).
Les plans d’affectation ont force obligatoire pour chacun (effet contraignant).
Comme on l’a déjà dit, un citoyen mécontent du plan doit recourir contre ce
plan durant le délai imparti. S’il ne le fait pas durant ce délai, il perd dès lors
tout droit : le plan devient définitif.
4. Cours du 11 octobre 2012
Dans le cadre de l’effet contraignant des plans, il convient de parler de la
stabilité des plans par rapport à l’écoulement du temps. Le plan doit en effet
être modifié régulièrement (art. 21 al. 2 LAT). Hors, en cas de changements
rapides de plan, il se peut que des citoyens soient lésés (passage de zone à
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bâtir en zone verte : déclassement du terrain). Pour éviter cela, il est possible
d’invoquer le principe de la stabilité des plans, en lien avec la bonne foi
attachée au message administratif que le plan véhicule (sécurité du droit).
Ainsi, un plan ne peut être modifié que tous les 10 à 15 ans (jurisprudence :
concentration des arrêts autour de cette durée). Naturellement, ce principe ne
vaut pas en cas de circonstances extraordinaires (avalanches, risques
climatiques, accidents naturels ou autres). Dans ces cas, il ne s’agit pas d’une
volonté de dézoner mais bien plutôt d’une obligation liée au contexte.
Toujours en lien avec l’effet contraignant, il est nécessaire de parler de l’effet
anticipé des plans et de la zone réservée. Dans les mois qui précèdent
l’entrée en vigueur d’un plan, il est tout à fait possible que les citoyens
profitent du temps restant pour faire valider leurs constructions. A l’origine
(lorsque les plans ont été mis en place pour la première fois), pour éviter cela,
le système des arrêtés fédéraux urgents a été développé (AFU). Aujourd’hui
(des plans existent déjà mais sont parfois mis à jour), deux mécanismes ont
été développés : l’effet anticipé des plans et la zone réservée.
L’effet anticipé, premièrement, est en général négatif : il permet de suspendre
la procédure d’autorisation de construire qui démarre ou, si elle arrive à son
terme, de refuser temporairement l’autorisation de construire, en attendant
l’entrée en vigueur du nouveau plan (effet anticipé négatif du plan). Il est
possible qu’un effet anticipé positif existe (situation inverse) : il peut ainsi
arriver qu’une autorisation soit accordée en relation avec le futur plan qui
n’est pas encore en vigueur (rare). Cela est risqué puisque si le TF casse le
nouveau plan, la situation de l’autorisation devient problématique. Le TF a
développé lui-même ce concept de l’effet anticipé (ATF rue de Romont n° 16).
La garantie de propriété exige tout de même des cautèles : si le plan est
éventuellement susceptible de changer dans le futur, il n’est pas possible de
suspendre les procédures (limite fixée à 2 ans). Dans les lois cantonales
(art. 90-92 LATeC), des dispositions sur l’effet anticipé ont été créées pour
fixer la durée limite de suspension des procédures. Il ne faut pas confondre
effet anticipé et rétroactivité. La rétroactivité concerne une loi déjà entrée en
vigueur qui s’applique à un état de fait antérieur. Dans un cas de rétroactivité,
il y a donc application d’une loi déjà en vigueur à un état de fait terminé alors
IUR III 2012-2013 15
Jérémy Stauffacher Droit Public
que dans un cas d’effet anticipé, il y a application d’un plan (ou d’une loi) pas
encore en vigueur à un état de fait actuel. Tous les cantons ne connaissent
pas l’effet anticipé négatif, le Valais par exemple.
La zone réservée, deuxièmement, est une intervention, en règle générale de
l’exécutif, sur le plan existant pour le paralyser. Le gouvernement adopte un
règlement complémentaire de la zone et y fait figurer un article qui en principe
reprend la formulation de l’art. 27 LAT. A l’intérieur de ces zones, il est
impossible d’obtenir une autorisation de construire qui pourrait entraver
l’application du plan futur. Une zone réservée ne peut être prévue que pour
une durée de 5 ans maximum, durée qui peut être prolongée par les cantons
(ce qui est en général le cas). Précisons qu’il existe des abus en matière de
zone réservée, ce mécanisme étant beaucoup utilisé. A l’échéance du délai,
la clause de réserve tombe et il est dès lors à nouveau possible d’obtenir des
autorisations pour la zone en question.
IV. La coordination des plans
La coordination formelle consiste à organiser la procédure de telle manière
que toutes les autorités impliquées dans la procédure complexe travaillent en
concertation afin de prévoir une solution finale stable. La coordination met
ainsi en œuvre un système de préavis entre les autorités pour unifier les
notifications. Elle nécessite également que l’autorité notifie une seule décision
regroupant l’ensemble des autorisations. De même, cette décision doit être
soumise à une seule voie de recours.
La coordination matérielle, quant à elle, exige que chaque autorité tienne
compte de tous les intérêts (publics) en présence. En effet, chaque autorité
travaille de son côté (tout en informant les autres autorités, préavis) mais
avec l’obligation de respecter (si possible) tous les intérêts en présence.
Il existe donc un principe de coordination administrative des décisions,
principe consacré par toutes les législations cantonales et fédérales (art. 25a
IUR III 2012-2013 16
Jérémy Stauffacher Droit Public
LAT). L’al. 4, plus particulièrement, précise que la coordination s’applique à la
procédure de planification.
§4. Les zones
I. Généralités
Il s’agit des véhicules d’aménagement prévus par le législateur que le
planificateur affecte aux endroits disponibles. Le territoire doit en effet
distinguer les endroits où l’on construit des endroits où l’on ne construit pas.
Aujourd’hui, les géographes sont assez fiers d’avoir réussi à avoir des zones
construites denses et d’autres zones libres de construction (paysage
agréable, pas de construction sauvage). Le législateur fédéral adopte une loi
limitée aux principes : il a codifié les deux types de zones fédéraux : les zones
à bâtir (art. 15) et les zones agricoles (art. 16 ss). En plus de ces deux zones
majeures, il existe également des zones protégées (art. 17) et des autres
zones (art. 18), d’importance mineure. L’art. 18 permet ainsi aux cantons de
prévoir à leur convenance d’autres types de zone.
L’art. 18 al. 3 ne concerne pas la zone de forêt mais bien de l’aire forestière.
Une zone de forêt existerait si et seulement si une commune déciderait de
zoner la forêt (ce qui est plutôt rare car cela reviendrait à protéger la forêt). En
effet, cela supposerait la création d’un règlement spécial prévu pour la zone
de forêt. Il ne faut donc pas confondre l’aire forestière et la zone forestière.
L’aire forestière correspond à toute la surface de forêt en Suisse, en général
sans affectation particulière alors que la zone forestière dépend d’une
affectation administrative. Les cantons prévoient d’autres types de zones
(art. 43 LATeC pour l’art. général). Il est nécessaire d’être passablement
prudent avec l’art. 50 LATeC. La liste de zones prévue à cet article dépend en
effet directement de la zone à bâtir. Les cantons ont en effet la compétence
de concrétiser les principes développés par le législateur fédéral : ils ont ainsi
développé des types de zones à bâtir, comme le montre l’art. 50 LATeC, relié
IUR III 2012-2013 17
Jérémy Stauffacher Droit Public
directement à l’art. 15 LAT et non pas à l’art. 18 LAT. Juridiquement, cela est
passablement important puisque si un règlement cantonal s’appliquant à un
type de zone à bâtir ne respecte pas les exigences de l’art. 15 LAT, il sera nul
(au contraire du règlement d’une zone autre, pour lequel le canton dispose
d’une plus grande marge de manœuvre).
II. La zone à bâtir (art. 15 LAT)
« Les zones à bâtir comprennent les terrains propres à la construction qui
sont déjà largement bâtis ou seront probablement nécessaires à la
construction dans les 15 ans à venir et seront équipés dans ce laps de
temps. » Un terrain est adéquat (adapté) à la construction s’il est :
- Techniquement adapté : il faut que le sol puisse recevoir la
construction, excluant ainsi les régions où il existe des risques
d’envahissement (eau, neige, boue) ou de glissement (pente forte,
glissement de terrain ou autre). Cet aspect se réfère donc à la solidité
du terrain et aux caractéristiques naturelles.
- Juridiquement adapté : il ne faut pas que des obstacles juridiques à la
construction existent. Ainsi, si une personne vend des parcelles en les
grevant de servitudes de vue, il sera juridiquement impossible pour la
commune de faire de ces parcelles une zone d’immeuble. Dans ce
genre de cas ainsi, le droit privé restreint l’autonomie du droit public
(restrictions de droit privé).
Ensuite, le terrain doit être largement construit (ou probablement nécessaire à
la construction, condition alternative). Si tel n’est pas le cas, il faut démontrer
que les terrains seront, dans les 15 ans, nécessaires à la construction. Dans
ce cas, les terrains doivent être équipés durant ce laps de temps. Pour
déterminer quels seront les terrais nécessaires, un pronostic est nécessaire.
Il s’agit d’un avis d’expert fondé sur la méthode des tendances : l’urbaniste
examine la tendance de développement de la commune au cours des 15
dernières années pour prévoir le développement futur, en pondérant la
tendance en fonction des circonstances. Naturellement, ce pronostic n’est pas
IUR III 2012-2013 18
Jérémy Stauffacher Droit Public
absolu et des erreurs existent. Aujourd’hui, en lien avec cet élément de la
nécessité, il existe 3 importants développements :
- La coordination régionale (utilisation rationnelle du territoire) : selon ce
principe, les communes doivent tenir compte de la situation (zones à
bâtir libres et occupées) dans les collectivités environnantes pour
fonder leur propre planification.
- Les fusions : le processus intensif de fusion de communes en cours a
un impact sur l’aménagement du territoire (multiplication des zones à
bâtir : réunion des zones à bâtir de chaque commune).
- La révision de la LAT : cette révision veut lutter contre l’abus des zones
à bâtir. Il n’est plus possible d’étendre à l’infini les zones à bâtir : il est
nécessaire de densifier. Or, dans les années 1980, les communes ont
densifié de manière générale et généreuse. Aujourd’hui, il existe des
secteurs où les zones à bâtir ne respectent pas l’art. 15 : depuis 30
ans, certaines régions ne sont ni construites ni équipées. Il est donc
nécessaire de dézoner. Cela pose de gros problèmes financiers
(valeur du sol des zones à bâtir, en relation avec l’indemnisation). De
plus, cette révision pose le problème de la thésaurisation. Ce problème
veut que, dans une zone à bâtir, chaque propriétaire se réserve le
maximum de mètres carrés (en plaçant par exemple sa demeure au
centre de la parcelle pour occuper le terrain alentour). Or, pour
densifier le terrain, comme cela est nécessaire aujourd’hui pour
exploiter au mieux les parts de territoire restant, cela pose problème.
La LAT introduit des mécanismes violents pour forcer les propriétaires
à exploiter les mètres carrés à disposition (sous peine d’expropriation).
III. La zone agricole (art. 16 ss LAT)
La zone agricole ne pose pas de problème majeur. Les communes ne créent
en effet pas de zone agricole : elles existent partout (territoire totalement
agricole). Les problèmes surgissent en cas de dézonage (art. 15 LAT).
En principe, ces zones devraient être maintenues libres de toute construction.
IUR III 2012-2013 19
Jérémy Stauffacher Droit Public
Les questions principales ne tournent donc pas autour de la création des
zones agricoles mais bien plutôt autour des constructions possibles dans ce
type de zone (en principe interdites, art. 16a LAT). La question se pose donc
par rapport aux autorisations de construire en zone agricole. Néanmoins, par
rapport à l’art. 16 LAT, il convient de préciser deux éléments :
- La zone agricole est multifonctionnelle : les buts sont multiples :
production agricole, protection du paysage et préservation de
l’environnement. L’agriculture ne rapportant plus assez, des
subventions publiques sont créées pour inciter les paysans à préserver
le paysage et à respecter l’environnement (revenu supplémentaire liés
aux buts des zones agricoles). Juridiquement, cela se manifeste par
une tendance à adopter des règlements relatifs aux zones agricoles.
- Les zones en hameau (petite entité urbanisée) : le risque de
l’aménagement du territoire est la ghettoïsation du peuple. Les
hameaux sont bien souvent entourés par la zone agricole, sans
toutefois en faire partie. De ce fait, on a inventé l’idée des zones de
hameau permettant à ces petites entités de survivre sur la base d’un
règlement spécial (rénovation des maisons, agrandissements
sommaires, travaux mineurs). Naturellement, le règlement ne permet
pas de construire de grands bâtiments.
IV. Les autres zones (art. 17-18 LAT)
En plus de la zone agricole et de la zone à bâtir, le droit fédéral a prévu deux
autres types de zones : la zone à protéger (art. 17 LAT) et les zones
réservées. En vertu de l’art. 17 LAT, les plans d’eau, certains paysages et
certaines localités jouissent d’une protection particulière (conservation de
l’état existant ou rétablissement de l’état ancien). Les zones réservées sont
des zones de blocage des constructions. Lorsqu’il n’existe pas encore de plan
d’affectation ou que l’adaptation d’un tel plan s’impose, l’autorité compétente
peut créer des zones réservées à l’intérieur desquelles les constructions sont
interdites si elles sont de nature à compromettre le futur plan (art. 27 LAT). Le
IUR III 2012-2013 20
Jérémy Stauffacher Droit Public
Canton de Genève a beaucoup utilisé cette possibilité pour gérer l’extension
continue de la zone urbaine. Précisons enfin que l’art 18 LAT permet aux
cantons de créer d’autres zones d’affectation (zones d’utilité publique, zones
d’extraction de matériaux, zone de protection du paysage et autres).
5. Cours du 18 octobre 2012
§5. Les autorisations et la police des constructions
I. Généralités
L’autorisation est une décision administrative (art. 4 lit. a et c CPJA) qui lève
une interdiction générale de faire. Ainsi, il y a dans le territoire suisse une
interdiction générale de construction, sauf sous bénéfice d’une autorisation
qui lève cette interdiction en un temps donné et en un endroit donné (gestion
préventive du territoire). Il est en effet extrêmement difficile de démolir une
construction existante, d’où l’intérêt de prévenir les constructions illicites. Les
autorisations peuvent être de deux sortes :
- Une autorisation ordinaire (art. 22 LAT) vise une activité correspondant
à l’intérêt public : l’activité demandée est compatible avec l’intérêt
public. Concernant le droit de la construction, une autorisation ordinaire
suffit si la construction est adaptée (conforme) à la zone en question.
L’autorisation ordinaire génère un droit subjectif de l’obtenir si les
conditions d’obtention sont remplies.
- Une autorisation extraordinaire (art. 23 LAT) vise une activité contraire
à l’ordre public, pourtant, dans un cas donné et des circonstances
déterminées, il serait disproportionné de refuser l’autorisation
(dérogation). En matière de droit de la construction, si ce que l’on veut
construire n’est pas conforme à la zone, il faut une dérogation. Au
contraire des l’autorisation ordinaire, il n’existe aucun droit subjectif à
obtenir une dérogation (acte administratif résultant d’un pouvoir
d’appréciation de l’autorité). Ainsi, dans l’art. 24 LAT, la formulation
laisse entendre ce pouvoir d’appréciation : « peut accorder […] ». La
IUR III 2012-2013 21
Jérémy Stauffacher Droit Public
situation est donc complètement différente. Plus encore, la dérogation
a été codifiée à l’extrême pour limiter fortement le pouvoir
d’appréciation (crainte de laisser trop de marge de manœuvre aux
communes et aux cantons).
II. Les autorisations (art. 22-23 LAT)
En matière d’autorisation, on se pose les questions suivantes :
- La nécessité d’un acte administratif : s’il n’y a pas besoin de procédure
ou d’acte, il est logique de s’en passer. Cela introduit notamment la
question des travaux ou des rénovations réalisés à l’intérieur d’une
maison. L’art. 22 LAT s’applique à toutes les zones. Les constructions
sont les bâtiments, les ouvrages, alors que les installations sont
d’autres types de créations. Il faut ensuite que ces éléments soient
créés ou transformés (plus nombreuses que les nouvelles créations).
L’art. 135 LATeC définit les éléments pour lesquels un permis est
nécessaire (résumé de jurisprudence) :
o L’objet est conçu pour durer (élément temporel).
o Il existe un lien étroit avec le sol (fixation au sol) : poser un objet
sur le sol ne suffit pas (constructions mobilières). Il faut donc
que le terrain soit modifié, que l’équipement soit assuré (accès à
la zone) ou que l’environnement soit atteint ou susceptible d’être
atteint (déchets par exemple).
o L’alinéa 2 précise qu’une autorisation est nécessaire dans
d’autres cas limites, dont celui de la démolition des
constructions, du remblai, du déblai ou du changement
d’affectation (modification dans l’utilisation d’un endroit en lien
avec les types de zone). Quoiqu’il en soit, la jurisprudence est
très stricte en matière d’autorisation : une construction minime,
un changement d’affectation mineur ou n’importe quelle autre
modification peu importante nécessite en principe une
IUR III 2012-2013 22
Jérémy Stauffacher Droit Public
autorisation. L’ATF p. 53 ss du polycopié illustre parfaitement la
situation (construction d’un parcours de Golf).
- La nature de l’objet : il faut distinguer clairement les objets ordinaires
des objets de minime importance : il faut déterminer si c’est un projet
de construction qui exige une procédure ordinaire (procédure selon
l’art. 140 al. 1 LATeC) ou si l’élément est si peu important qu’il ne
nécessite qu’une procédure simplifiée (art. 140 al. 2 LATeC). Les
différences sont importantes : en matière de procédure simplifiée, la
mise à l’enquête publique et le recours au préfet ne sont pas
nécessaires : c’est la commune qui est compétente pour décider
(art. 139 al. 1 LATeC). Les art. 84-85 ReLATeC définissent les
éléments qui doivent être considérés comme des objets minimes et qui
sont donc soumis à la procédure simplifiée.
- La conformité à la zone : pour ce faire, il faut consulter le règlement de
la zone en question, qui définit ce qu’il est possible de faire ou non.
Comme on l’a déjà dit, la conformité ou la non-conformité du projet par
rapport à une zone précise le type d’autorisation nécessaire à la
construction (ordinaire ou exceptionnelle). En zone à bâtir, il s’agit
d’analyser l’utilisation effective de l’habitation. En zone agricole, la
conformité du projet dépend de la nature de l’habitation : la ferme est
logiquement nécessaire à l’exploitation du sol et est donc compatible
avec la zone. Si l’on est en présence d’un projet conforme, une
autorisation ordinaire suffira, peu importe le type de zone dans lequel
on se trouve. Le type d’autorisation nécessaire ne dépend donc pas du
type de zone mais de la conformité du projet à la zone.
- Les conditions d’obtention de l’autorisation ordinaire (art. 22 al. 2-3) :
l’autorisation est délivrée si la construction ou l’installation est
conforme à l’affectation de la zone (logique) et si le terrain est équipé
(art. 22 al. 2 LAT). Concernant l’équipement (art. 19 LAT), un terrain
est réputé équipé lorsqu’il est desservi d’une manière adaptée à
l’utilisation prévue par des voies d’accès et par des conduites
auxquelles il est possible de se raccorder sans frais disproportionnés
pour l’alimentation en eau et en énergie, ainsi que pour l’évacuation
des eaux usées. Un terrain doit donc avoir une possibilité d’accès
IUR III 2012-2013 23
Jérémy Stauffacher Droit Public
adéquate (voie d’accès), des canalisations pour amener l’eau et
l’énergie dont les habitants ont besoin et enfin des canalisations pour
récupérer les eaux usées et les eaux de pluie. L’équipement ne
comprend pas les commodités privées dont les gens ont besoin (wifi,
fibre optique, téléphone). Quant aux coûts et aux travaux, on distingue
l’équipement de base et l’équipement de détail (art. 19 al. 2-3 LAT).
Les collectivités publiques (communes) doivent fournir l’équipement de
base (routes, canalisations et collecteurs) mais les propriétaires
peuvent être amenés à participer. L’équipement de détail, par contre,
dépend du propriétaire privé (route d’accès jusqu’au perron de la
maison et lien des canalisations au réseau communal). En plus de ces
deux conditions, les droits fédéraux et cantonaux peuvent prévoir
d’autres conditions (art. 22 al. 3 LAT). En matière fédérale, il faut ainsi
analyser le droit de la protection des eaux, de la gestion des déchets et
de moult autres législations techniques qui configurent l’installation des
ouvrages. En droit cantonal, c’est la police des constructions, présente
aux art. 165 ss LATeC et dans le ReLATeC aux art. 52 ss, qui est
applicable. Précisons que la loi exige l’équipement de base, quand
bien même le propriétaire prétend ne pas en avoir besoin.
Naturellement, les équipements doivent être adaptés à la situation
(adéquat) : la route d’accès doit être à la mesure de l’habitation. Si la
commune ne réalise pas les travaux, l’art. 19 al. 3 LAT permet de
conclure un contrat d’équipement (contrat de droit administratif qui
codifie une tâche de droit public) avec les propriétaires. Dans ce
contrat, le propriétaire (maître d’ouvrage) reçoit l’autorisation de
réaliser lui-même la route d’accès à ses frais. Ensuite, au fur et à
mesure de l’utilisation de la route par les nouveaux habitants, le
propriétaire recevra des contributions des nouveaux usagers de la
route. Naturellement, il faut prévoir l’avenir pour imaginer si ce genre
de contrat est bénéfique ou non pour les propriétaires, ce qui est très
souvent extrêmement compliqué. Pour terminer, il convient de parler
de l’équipement conforme aux exigences du droit de la protection de
l’environnement (bruit des voitures ou pollution de l’air principalement,
créant des nuisances pour les propriétaires déjà présents). En matière
IUR III 2012-2013 24
Jérémy Stauffacher Droit Public
de protection de l’environnement, le TF demande la vérification
technique mais également environnementale de la zone : l’utilisation
des routes doit ainsi respecter les ordonnances fédérales protégeant
les nuisances sonores ou chimiques. Ainsi, un terrain doit être
physiquement équipé mais également satisfaire le pronostic
d’équipement en matière de nuisances illicites. Ainsi, en matière
sonore, pour vérifier ce second point, un ingénieur acousticien sera
mandaté. S’il constate que la nouvelle zone entraînera un
dépassement des valeurs sonores prévues pour la zone, on conclura
qu’elle n’est juridiquement pas suffisamment équipée. Ainsi, la
condition d’équipement pour l’obtention de l’autorisation ordinaire ne
sera pas remplie et le projet ne pourra jamais voir le jour.
- Les conditions d’obtention de l’autorisation extraordinaire ou
autorisation dérogatoire (art. 23 LAT) en zone à bâtir, puis en zone
agricole : si le projet de construction n’est pas conforme à la zone, une
dérogation est nécessaire. Le droit fédéral ne régit pas les dérogations
dans la zone à bâtir et se contente de renvoyer à l’art. 23 LAT et de
déléguer la compétence aux cantons. Dans la LATeC, on retiendra
uniquement les éléments suivants :
o Pour savoir si une dérogation est nécessaire, on consulte le
règlement de la zone. Si le projet n’est pas conforme, une
dérogation (à la conformité) est nécessaire.
o Comme il s’agit de droit cantonal, il faudra juger la conformité du
projet mais également sa compatibilité avec la police des
constructions. Ainsi, les distances (imposées par les
règlements, voire par la LACC) entre les habitations posent
souvent problème. La dérogation est possible dans deux cas :
Soit il existe un intérêt public à la dérogation.
Soit le ou les voisin(s) concernés donnent leur accord,
très souvent à titre onéreux. Les dérogations
« concédées » sont alors annotées au RF pour que les
nouveaux propriétaires ne soient pas contraints de
démolir ce que leurs prédécesseurs avaient construit.
IUR III 2012-2013 25
Jérémy Stauffacher Droit Public
En zone agricole, l’obtention d’une autorisation extraordinaire est
extrêmement compliquée. Il existe en effet un grand nombre de
directives précisant, notamment, les m2 à disposition affectés à
différentes utilisations (proportion entre la surface de la zone agricole
et la taille autorisée des constructions). Naturellement, il faut donc une
autorisation, qui dépend de la construction en cause. Il faut en effet, à
ce stade, se poser la question de la planification pour déterminer si le
projet risque de vider la zone de sa substance. Un système de
dérogation ne peut être utilisé pour faire disparaître le caractère d’une
zone. Les autorisations ne sont valables que pour des constructions
ponctuelles, réduites à un objet. Ainsi, si l’objet recouvre la zone, il est
nécessaire de procéder à une replanification du secteur selon la
procédure de plan d’affectation. Ainsi, si un paysan souhaite
transformer ses champs en terrain de golf, l’autorisation extraordinaire
est inutile car celui-ci recouvrirait la zone agricole. Il est dès lors
nécessaire de replanifier la zone en zone de golf pour ensuite
demander une autorisation, ordinaire cette fois-ci, pour construire
effectivement le golf. Ainsi, avant de partir dans la procédure
d’autorisation, il faut se souvenir des problèmes de planification (tant
en matière de zone à bâtir que de zone agricole). Sur ce sujet, un arrêt
semble pertinent : l’arrêt de Champéry (129 II 63, p. 57 du polycopié,
considérant 2.1 prévoyant la liste des éléments pour lesquels une
planification est nécessaire). Une fois la question de la planification
posée, il faut distinguer 2 situations : transformation et construction :
o Transformation d’un patrimoine existant (art. 24a-24d LAT) : il
est important d’analyser en premier ces art. 24a-24d pour
déterminer s’il est possible d’exclure leur application. Avant l’an
2000, ces art. n’existaient pas : ils ont été introduits pour
assouplir le système au profit des paysans, pour leur permettre
de développer des activités parallèles. Or, leur application est
passablement compliquée, principalement en lien avec la
question de la conformité de la zone. En effet, En matière de
conformité à la zone agricole, il convient de parler de
IUR III 2012-2013 26
Jérémy Stauffacher Droit Public
l’agriculture industrielle. Ces 20 dernières années, les paysans
ont développé des usines de production (agriculture intensive,
développement interne). Ainsi, les usines à poulets permettent
de produire une quantité élevée de volailles (production de
viande et d’œufs). Ces types de procédés n’ont plus rien à voir
avec de l’agriculture traditionnelle. Dans l’ATF 117 (p. 61), le TF
affirme qu’une telle structure n’est pas conforme à la zone
agricole, nécessitant une autorisation exceptionnelle (procédure
de dérogation). Contre toutes attentes, le TF a ensuite décidé
d’octroyer cette autorisation dérogatoire. En 2000, le législateur
fédéral a repris cette jurisprudence et a déclaré les installations
d’agriculture industrielle conforme à la zone (art. 16a LAT),
créant ainsi un système assez surprenant de conformité à la
zone agricole. Malgré tout, les bâtiments de transformation
commerciale ne peuvent tous être construits en zone agricole :
ce qui n’est pas nécessaire à l’exploitation agricole ne peut être
construit en zone agricole (nécessaire à la production
dépendante du sol). L’art. 16a LAT prévoit donc ce qui est
conforme à la zone agricole et ce qui ne l’est pas (al. 1 par
rapport à la production du sol, al. 1bis par rapport à la biomasse
et al. 2 par rapport au développement interne). Le système de la
conformité en zone agricole est donc passablement complexe
de par la coexistence de visions traditionnelles et modernes de
l’agriculture. Dès lors, si l’on conclut que le projet n’est pas
conforme à la zone et n’est pas une construction nouvelle, 4
situations de transformation d’un bâtiment déjà existant sont
possibles, correspondant aux art. 24a à 24d LAT (il s’agit donc
des 4 cas d’autorisation exceptionnelle allégée, introduits pour
permettre aux agriculteurs de rénover et de modifier plus
facilement leurs installations) :
Changement d’affectation hors de la zone à bâtir ne
nécessitant pas de travaux de transformation (art. 24a) :
une dérogation peut être octroyée si des travaux ne sont
pas nécessaires, si le projet n’a aucune incidence sur
IUR III 2012-2013 27
Jérémy Stauffacher Droit Public
l’environnement, l’équipement et le territoire et s’il
respecte les lois fédérales.
Activités accessoires non agricoles hors de la zone à
bâtir (art. 24b) : les cas les plus fréquents sont ceux de
vente à la ferme (vente sur place de la production
agricole). Il s’agit alors d’activité accessoire non agricole.
Il en va de même pour les activités de chambres ou de
tables d’hôte (transformation des combles de la ferme en
chambres), qui procurent un revenu accessoire.
Constructions et installations existantes sises hors de la
zone à bâtir et non conformes à l’affectation de la zone
(art. 24c) : il s’agit du principe de la garantie de situation
acquise (il ne s’agit absolument pas de droits acquis). Le
problème concerne l’entretien des bâtiments.
Régulièrement, le propriétaire demande la modernisation
de son bâtiment, ce qui, en l’espèce, pourrait être
contraire à l’art. 16a LAT (il avait reçu sous l’ancien droit
une autorisation pour une construction qui aujourd’hui
n’est plus conforme). Par souci de proportionnalité, il
serait illogique d’empêcher le propriétaire de rénover ses
infrastructures en refusant l’autorisation pour moderniser
un bâtiment jadis autorisé et actuellement utilisé
conformément à sa destination initiale (l’utilisation doit
donc rester la même qu’à l’origine : l’art. 24c ne permet
que de maintenir la structure existante). Cela n’a rien à
voir avec les droits acquis : personne n’a assuré que le
propriétaire pourrait rénover à jamais son bâtiment
(aucune promesse). Naturellement, les propriétaires
abusent de cet article pour modifier leurs installations.
Habitations sans rapport avec l’agriculture, détention
d’animaux à titre de loisir, constructions et installations
dignes de protection (art. 24d) : l’art. 24d comprend toute
une série d’éléments divers. La transformation d’une
ferme en résidence fait notamment partie de cette
IUR III 2012-2013 28
Jérémy Stauffacher Droit Public
catégorie résiduelle. En l’absence de cet article,
beaucoup de fermes tomberaient en ruine. Ainsi, pour
protéger le patrimoine bâti (à la mort du paysan
notamment), il est utile de pouvoir transformer les fermes
en maison d’habitation. Il en va de même pour les
mayens valaisans ou les rustici tessinois. Ainsi, toute
personne désirant transformer sa ferme ou sa résidence
agricole en résidence secondaire (chalet de vacances),
pourra utiliser l’art. 24d LAT.
o Construction nouvelle (art. 24 LAT) : en matière de nouvelles
constructions, il existe deux conditions cumulatives
(autorisations exceptionnelles ordinaires, par opposition aux
autorisations exceptionnelles allégées) :
L’art. 24 lit. a : les nouvelles constructions sont alors
imposées par leur destination et nécessaires à l’endroit :
Positivement imposée : la construction est
objectivement imposée par la zone (une gravière
sera construire dans une région riche en gravier).
Négativement imposée : la construction projetée
pourrait être faite à plusieurs endroits, mais
nécessairement en zone agricole, en particulier à
cause des nuisances diverses (nuisances sonores
d’un chenil par exemple).
L’art. 24 lit. b : aucun intérêt prépondérant ne doit
s’opposer à la nouvelle construction (art. 1 et 3 LAT). La
protection de l’environnement constitue un des principaux
intérêts pouvant s’opposer à la construction.
III. La procédure en matière d’autorisation
En matière de procédure administrative liée aux autorisations et dans le
Canton de Fribourg, le schéma est celui du tableau de la page 40 (demande,
art. 8 et 137 LATeC, 6 et 88 ReLATeC, examen de la demande par le Conseil
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Jérémy Stauffacher Droit Public
Communal, art. 90 ReLATeC, mise à l’enquête publique, art. 91 ReLATeC,
préavis du Conseil Communal, art. 94 al. 1 ReLATeC, transmission du
dossier au SeCa, art. 94 al. 1 ReLATeC, consultation des services intéressés,
art. 94 al. 2 ReLATeC, préavis du SeCa, art. 94 al. 3 ReLATeC, et enfin
décision du préfet, art. 139 al. 1 LATeC et 96 al. 1 ReLATeC). Précisons que
lorsque la construction concerne une zone agricole, le schéma est modifié
pour tenir compte de la compétence cantonale (art. 25 al. 2 LAT). Ainsi, le
SeCa ne donne plus seulement un préavis mais il rend une décision
supplémentaire, qui s’ajoute à la décision du préfet. Il faut donc obtenir deux
autorisations pour pouvoir construire : celle du préfet et celle du canton.
Précisons également qu’après 2 ans, le permis de construire (autorisation)
devient caduc. On veut en effet éviter qu’une construction autorisée en 1990
ne puisse être réalisée en 2014 (art. 145 LATeC). Il s’agit d’un cas de
déchéance et non pas de révocation : le permis « meurt » automatiquement
après 2 ans. La question se pose alors de savoir quand les travaux sont ou
ne sont pas commencés (le risque existe que le propriétaire débute les
travaux quelques jours avant la déchéance du permis). Naturellement, en cas
d’abus, l’autorité peut intervenir.
Ensuite, il faut aussi relever l’art. 65 LATeC relatif au contrôle des travaux. De
nombreux inspecteurs sont chargés de garantir le respect de normes diverses
et variées : protection de l’environnement, sécurité au travail, conformité par
rapport aux permis de séjour (risque de travail au noir).
A la fin du chantier, une fois la construction terminée, l’art. 168 prévoit une
nouvelle procédure pour occuper les locaux : un permis d’occupation doit être
délivré. Cela permet d’assurer un dernier contrôle à la fin des travaux :
l’architecte (art. 166 LATeC) doit établir un certificat de conformité, dans
lequel il atteste que ce qui a été construit correspond à ce qui était prévu à
l’origine. En cas de faux témoignage, l’architecte risque le retrait de sa
patente. Enfin, l’art. 169 LATeC prévoit l’obligation d’entretien pour des
raisons de sécurité et de salubrité, que ce soit pour des constructions ou des
terrains non bâtis. Il est en effet nécessaire d’entretenir les infrastructures
pour éviter le délabrement.
IUR III 2012-2013 30
Jérémy Stauffacher Droit Public
6. Cours du 25 octobre 2012
IV. La police des constructions
Il s’agit d’un ensemble de règles relatives à la façon dont on configure les
bâtiments (règles sur l’art de bâtir). Les art. 119 ss LATeC (52 ss ReLATeC)
concernent la police des constructions. De manière générale, il n’y a
pratiquement pas de droit fédéral : la police des constructions existent depuis
très longtemps et est traditionnellement locale (et ce dans tous les pays). En
Suisse, ce sont donc principalement les cantons et les communes (art. 120)
qui gèrent la police des constructions : les communes peuvent édicter des
règles de construction dans leurs règlements. Le concept du RCU (règlement
communal d’urbanisme) dans le PAL (plan d’aménagement local) est
directement lié à la police des constructions. Malgré tout, le droit fédéral
intervient de plus en plus en matière de police des constructions :
progressivement, le droit fédéral fixe des standards nationaux (incursion). En
matière d’égalité des chances des personnes handicapées (LHand : loi sur
l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées), le droit
fédéral prévoit un certain nombre de standards minimaux que doivent
appliquer les cantons.
En plus de la tradition cantonale et des incursions fédérales, il existe
également certaines interventions intercantonales. Les cantons essayent en
effet de résister aux interventions fédérales en utilisant les concordats (accord
intercantonal approuvé par la Confédération primant sur le droit cantonal). En
matière de police des constructions, on peut mentionner le concordat sur la
terminologie de la construction (distance entre les maisons, hauteur des
bâtiments, surface brut de plancher, détermination des m2 : uniformisation des
méthodes de calcul et autres procédés relatifs aux mesures). Ce concordat
n’a été ratifié que par 6 cantons (dont Fribourg) puisqu’il est établi sur la base
du modèle zurichois. On peut également citer le concordat sur l’élimination
des obstacles techniques au commerce (AIEC), qui n’a aucun lien avec la
construction. Pourtant, il existe en Suisse une volonté de favoriser les 4
IUR III 2012-2013 31
Jérémy Stauffacher Droit Public
libertés fondamentales. Pour ce faire, on supprime les barrières techniques
au commerce (domaine de la normalisation). Pour essayer de garantir la libre
circulation des marchandises, on a introduit en Suisse la loi sur la sécurité
des produits qui fixent les normes à respecter. Or, en matière de produits de
construction, ce sont les cantons qui sont compétents. Il était ainsi nécessaire
prévoir un accord intercantonal pour uniformiser ces lois (et éviter ainsi 26 lois
cantonales visant à éliminer les obstacles techniques en matière de produits
de construction). La plupart des principes de cet accord sont directement
repris du droit européen.
Les 80% du droit matériel sont édictés par des associations professionnelles
non-étatiques. Cela est logique : il est inconcevable que des juristes
déterminent les règles de construction d’un tunnel (avantage). L’inconvénient
est que nous ne sommes pas un pays de normalisation (pas d’AFNOR ou du
DIN) : les normes sont édictées par des professionnelles (système de milice).
De plus, la plupart des personnes qui ont édicté les normes sont des
constructeurs, et non pas des citoyens propriétaires. Ainsi, les solutions
choisies sont très souvent intéressantes pour les vendeurs mais pas
forcément pour les consommateurs (prostitution des citoyens face à
l’industrie). Pourtant, le TF a validé le système de la délégation aux normes
privées, estimant que c’était dans l’intérêt de la bonne application de la loi
(auto-régulation du système).
Voyons maintenant un certain nombre de disposition. L’art. 121 LATeC traite
des dangers naturels. Actuellement, cet article est en chantier : dans tous les
cantons alpins et lacustres (à savoir tous les cantons), les dangers naturels
sont analysés, cartographiés pour tenter de les prévoir. Des règles sont donc
édictées pour éviter ces catastrophes naturelles (interdiction d’usage à des
fins d’habitation pour certains bâtiments, interdiction de construction :
problème d’expropriation matérielle.
L’art. 124 LATeC concerne l’ordre des constructions (distance entre les
fonds). Cet article fonde le respect des limites entre les parcelles et crée les
systèmes d’ordre non contigu et d’ordre contigu (en fonction de l’endroit sur la
IUR III 2012-2013 32
Jérémy Stauffacher Droit Public
parcelle que la construction doit occuper). Dans le ReLATeC, l’art. 54 précise
la notion d’ordre contigu.
L’art 125 LATeC introduit la clause d’esthétique, qui impose le respect d’une
certaine harmonie dans chaque quartier (environnement construit et paysager
donnant un sentiment de qualité et d’uniformité). Cela vise un but d’intégration
des bâtiments dans le tissu environnemental et naturel en cause. En pratique,
imaginons une personne faisant opposition, sur la base de l’art. 125, à un
projet de son voisin désirant construire une maison en forme de cube avec
panneaux et installations solaires. Ce seront alors soit la commune, soit le
préfet qui traiteront la question. Naturellement, aucune règle précise ne peut
être appliquée : tout dépendra du pouvoir d’appréciation des personnes
chargées de juger. Dans le cas où le projet est accepté (par la commune ou
le préfet) et que la personne mécontente fait recours, le tribunal cantonal fera
usage de son pouvoir de cognitio en fait et en droit avec la plus extrême
retenue. Il est donc extrêmement compliqué d’obtenir gain de cause dans un
recours fondé sur la clause d’esthétique. Malgré tout, la clause d’esthétique
interdit les éléments choquant, détonnant fortement avec le contexte. Les
clauses positives sont tout à fait admissibles (règlements prévoyant des
volets d’une couleur déterminée, ou autre). De même, il est impossible par
une clause d’esthétique de vider la planification de sa substance : ce qui est
conforme à la zone doit pouvoir rester possible (il est interdit de refuser un
immeuble de trois étages lorsqu’on se trouve dans une zone permettant
précisément les bâtiments de trois étages).
Prenons un exemple concret : la maison peinte avec le drapeau américain sur
la façade. Premièrement, une autorisation était nécessaire mais n’a pas été
demandée. Une autorisation subséquente est alors demandée par le
propriétaire. Le Conseil Communal autorise alors la peinture mais certains
citoyens font recours (construction de minime importance, la commune est
compétence, le recours est traité par le préfet). Le préfet commence alors par
refuser la qualité pour recourir à certains voisins : la clause d’esthétique ne
fonde pas une qualité pour recourir pour tous : le fait d’être régulièrement
confronté à un bâtiment inesthétique n’est pas suffisant. Il faut qu’il existe une
atteinte physique à la propriété du voisin : l’esthétique contestée doit se
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Jérémy Stauffacher Droit Public
manifester par des éléments physiques qui portent atteinte au voisin. Dans le
cas d’espèce, restent deux voisins touchés qui ont la qualité pour recourir. Le
préfet rend sa décision en exerçant son contrôle avec retenu : si la commune
veut tolérer le bâtiment, c’est à elle d’en juger. Il examine alors la question
sous l’angle de l’arbitraire. Premièrement, le règlement communal
d’urbanisme ne prescrit pas de couleurs spéciales. Deuxièmement, il n’y a
dans la quartier aucun caractère esthétique commun. Ainsi, la décision n’est,
au sens du préfet, pas arbitraire. Suite à cela, personne n’a recouru auprès
du tribunal cantonal et le jugement du préfet est donc entré en force : la
façade peinte aux couleurs américaines peut être admirée chaque jour.
L’art. 126 LATeC concerne l’énergie. De tout temps, il y a eu des règles
destinées à éviter le gaspillage d’énergie. Or, les techniques de construction
ont considérablement évolué. Actuellement, non seulement on souhaite éviter
le gaspillage (règle négative) mais en plus on cherche à diminuer la
consommation d’énergie (règles incitatives : normes Minergie et Minergie +).
Ainsi, pour favoriser l’économie d’énergie, l’État propose des bonus d’indice
(dérogation légale permettant, notamment, de construire des surfaces
supplémentaires), des déductions fiscales pour les travaux effectués ainsi que
des primes pour travaux réalisés.
L’art. 127 LATeC traite des normes SIA (normes sismiques). Concrètement,
on tente notamment d’éviter l’effet « galette » (entassement des étages des
bâtiments). Naturellement, il est impossible d’intervenir une fois le bâtiment
construit. Il faut donc agir lors de la construction.
L’art. 131 LATeC concerne le rapport d’indice (méthode pour calculer le
rapport entre la surface construite et la surface de la parcelle). Le CUS
(coefficient d’utilisation du sol) et le COS (coefficient d’occupation du sol) sont
deux concepts liés à l’indice. Le premier concerne l’utilisation « à plat » du sol
alors que le deuxième prend en compte les surfaces habitables :
naturellement, un bâtiment de plusieurs étages aura une surface habitable
supérieure à sa surface d’utilisation du sol.
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Jérémy Stauffacher Droit Public
7. Cours du 8 novembre 2012
§6. Procédures, remise en état et expropriations
I. Garanties de procédure et voies de droit
Concernant les garanties de procédure et les voies de droit cantonales et
fédérales, la LAT contient un certain nombre d’articles contraignants pour les
cantons. En vertu de l’art. 4 LAT, les cantons doivent associer la population
aux procédures de planification. L’art. 25 précise ensuite que les cantons
organisant la procédure comme ils le souhaitent. Le chapitre sur la protection
juridique est très important (titre 5, art. 33-34 LAT). L’art. 33 est une
dérogation à l’art. 25 (ingérence dans la liberté d’organisation cantonale). Cet
article prévoit la mise à l’enquête publique des plans d’affectation (al. 1) et
l’existence d’au moins une voie de recours cantonale (al. 2). Le droit fédéral
exige donc une seule voie de recours (tribunal cantonal à Fribourg). Dans
certains cantons (Bâle, Zurich), il existe deux voies de recours (commissions
de recours en matière de construction puis tribunal cantonal). Dans d’autres
cantons (Tessin), avant le tribunal cantonal, c’est d’abord le Conseil d’État qui
traite les recours (raisons politiques et traditionnelles). Il fixe ensuite la qualité
pour recourir (al. 3 lit. a) et le libre pouvoir d’examen (al. 3 lit. b). Cet alinéa
affirme donc que la qualité pour recourir et le pouvoir de cognitio sont les
mêmes devant la procédure de recours cantonale que devant la procédure
fédérale (TF). On exige donc qu’au niveau cantonal, les juges aient le même
pouvoir d’examen que le TF et qu’ils soient également contraints d’accorder la
qualité pour recourir à tous ceux qui l’auront pour recourir au TF. Cela est
logique : il serait dans le cas contraire possible de gangrener le droit fédéral.
L’art. 33 al. 3 lit. a LAT renvoie donc à l’art. 111 LTF. Il en va de même pour le
pouvoir de cognitio : la dernière instance cantonale doit examiner le recours
avec au moins la même compétence que le TF. Aujourd’hui, cela signifie que
le pouvoir concerne les faits et le droit : dans le CPJA, l’art. 77 précise les
motifs de recours (faits et droit). Il faut alors superposer la question de
l’opportunité. Comme la plupart des tribunaux cantonaux, le tribunal cantonal
fribourgeois ne peut juger en opportunité (sauf dans certains domaines
IUR III 2012-2013 35
Jérémy Stauffacher Droit Public
précis). L’art. 33 a été conçu dans l’idée que l’opportunité était possible au
niveau cantonal. Enfin, il précise la nécessité d’un recours unique (al. 4) en
cas d’application de l’art. 25a al. 1 LAT, ce qui est toujours le cas (en toute
circonstance, le principe de coordination s’applique).
L’art. 34 (recours fédéraux) organise les recours au niveau fédéral : il s’agit
d’une compétence cantonale (et non plus seulement d’une ingérence).
L’alinéa 1 supprime le système spécifique pour la construction (comme il
existait jusqu’en 2007). Désormais, on applique donc la PA, la LTF et la
LTAF. La Confédération a décidé d’ouvrir des centres fédéraux (bâtiments
fédéraux sur le territoire cantonal). Or, les communes refusent toujours
l’implantation de ces centres, prétendant qu’il s’agit d’un changement
d’affectation de la zone concernée. Pour supprimer ce problème, on a décidé
de libérer la Confédération de la procédure d’approbation communale du
changement d’affectation en faisant du problème une procédure fédérale. De
ce fait, le recours contre l’implantation de ces centres se fait auprès du TAF (il
en va de même des aéroports, des installations portuaires). Il s’agit dans ces
cas de domaines de compétences exclusivement fédérales, prévoyant un
recours au TAF puis au TF. Dans l’énorme majorité des autres cas, la
procédure est alors cantonale. Dans ce cas, l’art. 34 n’intervient qu’en
dernière instance (tribunal cantonal). L’alinéa 2 précise la qualité pour recourir
des cantons et des communes.
Au TF, les recours peuvent être de deux types : art. 82 ss (recours en matière
de droit public) ou 113 ss LTF (recours constitutionnel subsidiaire). Avant
2007, le système était très compliqué. Depuis là, le système prévoit le recours
en matière de droit public comme recours ordinaire (art. 82 lit. a LTF) : dès
qu’il s’agit d’un cas de droit public, il y a recours en matière de droit public. Il
faut toutefois prendre garde à l’art. 95 LTF : le recours peut être formé pour
violation du droit fédéral, international, des droits constitutionnels cantonaux
et autres. Il n’y a donc aucune trace du droit cantonal en tant que grief. D’une
certaine manière, seul le droit fédéral est invocable pour un recours en
matière de droit public. Il faut distinguer grief et objet du recours (ajouter à
l’art. 95 lit. a « constitution »).
IUR III 2012-2013 36
Jérémy Stauffacher Droit Public
Le recours constitutionnel subsidiaire n’est possible que lorsqu’il est
impossible de former un recours ordinaire (art. 83). Il n’est possible de former
un recours constitutionnel subsidiaire que lorsqu’on est en présence d’une
des exceptions de l’art. 83 LTF (sûreté intérieure, naturalisation ordinaire,
droit des étrangers, asile et autres). En matière de construction, il n’existe
aucune exception ! Dans le domaine de l’aménagement du territoire ordinaire
(sauf nucléaire), le recours constitutionnel subsidiaire est impossible.
II. La procédure de remise en état
Concernant la question de la remise en état, il fut une époque où on profitait
de la lenteur des procédures, de la légèreté des peines et des éventuelles
relations pour construire comme on le souhaitait. De ce fait, les remises en
état étaient plutôt rares. Aujourd’hui, celui qui démarre une construction sans
autorisation en espérant éviter les conséquences néfastes risque gros. Il y a
dans ce cas deux cas, qui entraînent les mêmes conséquences :
- La personne ne demande aucune autorisation (construction sauvage).
- La personne demande une autorisation mais ne l’a pas respectée.
Il est alors possible d’agir au cours de la construction (art. 167 LATeC). En
cours de procédure, il est possible de faire cesser les travaux (mesures
superprovisionnelles et mesures provisionnelles) : « lorsque le ou la
propriétaire exécute des travaux sans permis ou en violation des plans, des
conditions du permis ou d’une mesure de protection, le préfet ordonne,
d’office ou sur requête, l’arrêt total ou partiel des travaux ». Très rapidement,
le propriétaire obligé de stopper ses travaux va demander une autorisation
subséquente (art. 167 al. 2 LATeC). Dans le cas contraire, il n’y aurait aucune
autre solution que de faire détruire la construction pour ensuite demander une
autorisation et, en cas d’acceptation, reconstruire ce qui avait été débuté
(violation du principe de proportionnalité). Ainsi, il est obligatoire de vérifier s’il
existe un moyen de légaliser la construction (conséquence en cas
IUR III 2012-2013 37
Jérémy Stauffacher Droit Public
d’inexistence de tel moyen : art. 167 al. 3). La procédure pour ce type de
demande sera alors la même (procédure ordinaire, avec les recours
ordinaires : préfet, TC, TF).
Imaginons un cas où le préfet, le TC et enfin le TF refusent l’autorisation
subséquente. On se retrouve donc avec une construction qui définitivement
n’a pas à être là. Dès lors est prise une décision de remise en état. On
constate donc qu’il y a deux procédures : les mesures provisionnelles ne
risquent pas de provoquer la destruction de la maison : les deux procédures
sont parfaitement distinctes. Le principe de proportionnalité s’applique dans
tous les cas : même la mauvaise foi n’empêche pas l’invocation de ce
principe. Naturellement, dans un cas de mauvaise fois, l’État fera moins
attention aux conséquences économiques pour l’administré. Or, le TF a dit
que l’administré était toujours de mauvaise foi s’il construit sans autorisation.
Le catalogue des mesures est alors vaste : destruction totale (remise en état
totale), destruction partielle (coupure d’électricité, de chauffage,
remplacement des fenêtres par des panneaux en bois ou toute autre mesure
riante pour décourager le propriétaire de profiter de sa construction illicite). En
matière de destruction partielle, le débat sera intense entre l’avocat de
l’administré et l’État : on peut envisager une amende (jusqu’à 500'000 francs
pour les cas graves, art. 173 LATeC souvent en lien avec l’art. 292 CP), une
sanction financière administrative (il est ainsi possible de confisquer le gain
réalisé par l’administré, calculé en fonction de la durée d’amortissement).
Aujourd’hui, sauver un bâtiment en payant une amende est devenu plus rare
(injustice pour les citoyens : les collectivités publiques sont plus strictes).
Imaginons un cas où toutes les autorités concluent à la nécessité de détruire
la construction. On passe donc en procédure d’exécution (art. 171 LATeC et
surtout art. 70 ss CPJA), dont les étapes sont les suivantes :
- Art. 70 CPJA : la décision doit être définitive et exécutoire. Or, au
moment où le préfet écrit au propriétaire pour lui demander de détruire
son bâtiment, la décision n’est pas définitive et exécutoire : il faudra
donc procéder à une troisième procédure ordinaire de recours
IUR III 2012-2013 38
Jérémy Stauffacher Droit Public
(procédure d’autorisation subséquente, procédure concluant à la
démolition, décision de démolition et recours contre cette décision).
- Art. 72 CPJA (décision pécuniaire) : il ne s’agit pas de décision
d’origine pécuniaire mais d’une décision portant sur un acte matériel
(art. 73 CPJA : décisions non pécuniaires). Or, la question se terminera
de toutes façons par une question pécuniaire.
- Art. 75 CPJA : les cantons exigent un acte par lequel on menace le
citoyen des conséquences (commination). Cet avertissement peut être
signifié dans la décision ou dans un acte postérieur. La commination
est une décision juridique indépendante si elle modifie la situation
juridique de l’administré. De ce fait, il est naturellement bien plus
intelligent de faire figurer la commination dans la décision de démolir,
sans quoi l’administré tentera de recourir contre la commination pour
perdre encore quelques années (2 ans pour chaque procédure,
environ. Une fois la décision de démolition entrée en force (à savoir
une fois toutes les voies de recours épuisées), il est nécessaire de
confirmer cette décision par un acte de confirmation (qui doit reprendre
strictement les éléments de la décision confirmée, sans quoi
l’administré tentera de recourir).
- Si l’administré ne procède pas lui-même à la démolition, il convient de
lancer une procédure d’exécution par substitution (art. 73 CPJA). Il
existe alors deux situations :
o Lit. a : l’administration exécute elle-même la décision.
Naturellement, ce genre de décision n’aide pas les politiciens,
qui s’arrangent souvent pour faire durer la procédure. Souvent,
l’administration déléguera à un tiers. Précisons que les
procédures d’exécution ne sont pas soumises aux règles des
marchés publiques. Naturellement, cela est extrêmement
impopulaire pour une société, d’où le recours à une entreprise
qui ne soit pas locale. Vient alors le moment de l’exécution
effective par un tiers. A ce stade, deux problèmes surviennent,
consacrant des questions qui, cette fois, sont d’ordre pécuniaire
(dommages-intérêts et frais de démolition) :
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Jérémy Stauffacher Droit Public
L’administré pourrait attaquer l’État en dommages-
intérêts pour les dommages causés, par exemple à
l’intérieur de la construction (mobilier, objets précieux).
Les frais de démolition sont facturés à l’administré. Or,
cela nécessite une décision et donc une procédure
ordinaire de recours (encore). Dès lors, il faudra que le
TF reconnaissance l’attribution des frais pour que
l’administré puisse envoyer un commandement de payer.
Malgré tout, l’État ne peut facturer que des montants
raisonnables à l’administré pour respecter, encore une
fois, le principe de la proportionnalité.
o Lit. b : on force alors l’administré à agir (expulsion d’une maison
dans un territoire à risque, évacuation après une inondation).
III. L’expropriation formelle
L’expropriation formelle est l’institution par laquelle l’État supprime le droit de
propriété d’un citoyen. C’est l’État, ou un tiers (délégataire du droit
d’expropriation), qui exécute l’expropriation formelle. C’est la Commission
d’expropriation qui gère la procédure. Au terme de la procédure, on trace le
propriétaire exproprié au registre foncier et on inscrit l’État comme nouveau
propriétaire : l’administré perd formellement son droit. Les plus gros
expropriants sont des délégataires : CFF (département expropriation).
On exproprie pas des biens mais des droits : on n’exproprie jamais des
avantages de fait. Si une personne profite de sa situation proche de
l’autoroute pour installer des panneaux publicitaires et que l’État construit de
hauts murs anti-bruit, l’administré ne pourra pas se plaindre d’expropriation
formelle (requête en expropriation formelle pour recevoir une indemnité) car il
n’avait aucun droit à faire de la publicité.
Ces droits sont la plupart du temps le droit de propriété : expropriation d’un
terrain pour implanter un pilonne pour construire un pont ou pour exploiter
une carrière. On peut également exproprier des objets mobiliers : un canton
qui souhaite défendre le patrimoine peut acheter un tableau de grande valeur
IUR III 2012-2013 40
Jérémy Stauffacher Droit Public
que son propriétaire voulait vendre aux jaunes. Il est également possible
d’exproprier des droits réels limités (servitudes notamment) ou les contrats
(droits personnels). Imaginons qu’une banque achète un ordinateur valant 12
millions de francs pour équiper ses locaux loués. Il sera alors possible
d’exproprier le contrat de bail de la banque (et éventuellement de payer une
nouvelle machine).
Les droits du voisinage sont une catégorie à part, à priori inclassable. Ces
droits, intimement liés à la propriété, ne sont pas vendables, il n’existe aucun
marché des droits du voisinage. Le TF en a donc fait une catégorie à part de
droits du voisinage sujets à expropriation. Il est donc possible d’exproprier
quatre types de droit : le droit de propriété, les droits réels limités, les droits
personnels et les droits du voisinage.
L’expropriation est une prérogative de l’État (des cantons) : une loi fédérale
gère l’ensemble et 26 lois cantonales concrétisent le principe. Il faut savoir
quand la loi fédérale ne s’applique pas pour l’utiliser intelligemment : le
contenu matériel de toutes les lois (fédérale ou cantonales) est le même mais
la loi fédérale s’applique beaucoup plus souvent. Ainsi, par souci de
simplification, on utilise la loi fédérale, en étant conscient des cas
d’application des lois cantonales (art. 3 LEx : fédérale ; Lex : cantonale). Il est
possible de conférer le droit d’expropriation à des tiers (art. 3 al. 2 lit. a-b LEx)
par le biais d’une loi fédérale ou d’un arrêté fédéral ou par le biais d’une
concession (art. 3 al. 3). En définitive, il y a énormément de cas pour lesquels
c’est la loi fédérale qui s’applique. En effet, chaque fois que ce sont des
entités auxquelles la Confédération a concédé le droit d’exproprier, on
applique la loi fédérale. Les cantons sont donc responsables des petits cas
d’expropriation : les lois cantonales d’expropriation s’appliquent aux cas
mineurs d’expropriation. Les étapes de la procédure, résumées sur le tableau
35, sont les suivantes :
- Requête (art. 27 LEx) de l’autorité souhaitant exproprier. Précisons
qu’il n’est parfois possible de lancer la procédure d’expropriation que si
les discussions n’ont pas abouti, ce qui peut durer très longtemps.
- Actes préparatoires (art. 15 / 28 LEx) sur le terrain.
IUR III 2012-2013 41
Jérémy Stauffacher Droit Public
- Procédure d’avis (art. 30 ss LEx) : le citoyen peut alors réagir de deux
manière différente à la procédure d’avis :
o Opposition au projet (art. 35 LEx) : une audience de conciliation
sera organisée (art. 45-48 LEx). S’il refuse catégoriquement,
une procédure de type administratif portant sur le principe de
l’expropriation (existence d’un intérêt public) sera lancée,
débouchant sur un recours au TF (82 LTF)
o Prétention (art. 36 LEx) : conscient que l’État finira par obtenir
ce qu’il souhaite, l’administré articule un chiffre, demandant une
indemnisation. S’il n’y a aucun moyen de s’entendre, la
procédure continue et la commission d’expropriation va
procéder à l’estimation pour fixer l’indemnité (art. 57 ss LEx),
débouchant sur un recours au TAF (77 LEx).
8. Cours du 15 novembre 2012
Le mécanisme d’indemnisation, par contre, est extrêmement important (art.
19 al. 1-2 LEx). Il existe plusieurs hypothèses dans lesquelles l’État
indemnise le citoyen :
- Indemnisation pour acte illicite (responsabilité de l’État).
- Indemnisation pour acte licite : plusieurs types :
o Indemnisation pour les interventions de police licites : lors de
l’utilisation d’un canon à eau, on peut imaginer des
débordements (qui ne sont pas des actes illicites).
o Expropriation formelle, matérielle ou des droits de voisinage :
l’art. 19 LEx est l’élément central en matière d’indemnité.
o Droit au respect des promesses (en cas de droits acquis).
Comme on vient de le souligner, l’art. 19 introduit une obligation d’indemniser
en cas d’expropriation. L’art. 16 définit ensuite l’expropriation en général
(en lien avec l’art. 26 Cst.). Le calcul de l’indemnité se fait sur la base de
l’art. 19 LEx et distingue trois éléments cumulatifs à indemniser :
- Art. 19 lit. a : la pleine valeur vénale du droit exproprié : on calcule
l’impact au sol (emprise) de l’expropriation et on indemnise chaque m2.
IUR III 2012-2013 42
Jérémy Stauffacher Droit Public
On calcule donc la surface expropriée et la valeur de chaque unité.
Pour chiffrer les m2, il existe plusieurs méthodes. La plus simple est la
méthode comparative : on compare la situation actuelle avec des
ventes privées de terrains au même moment au même endroit. Il faut
comparer avec des ventes réalisées, des opérations économiques et
non pas simplement avec des terrains. Les prix sont connus par le
conservateur du registre foncier (en fonction des taxations de droits de
mutation). De même, pour tenir compte de l’évolution du prix, on se
place au moment de l’expropriation et plus précisément, au sens de
l’art. 19bis, au jour de l’audience de conciliation (convocation). Enfin, un
coefficient de correction permet de tenir compte des différences avec
les ventes de terrain comparées. Ce coefficient prend en compte
l’ensoleillement, la vue, la proximité avec certaines infrastructures, la
taille du terrain. On indemnise donc l’emprise au sol, autrement dit ce
qui est enlevée de la propriété de l’exproprié. Vraisemblablement,
lorsqu’une expropriation coupe un terrain en deux (passage d’une ligne
de chemin de fer), le propriétaire va demander l’extension de
l’expropriation. En effet, si une petite partie du terrain se retrouve
isolée, le propriétaire demandera à l’État d’acheter en plus la section
isolée (question sur laquelle le Tribunal se prononcera).
- Art. 19 lit. b : la réduction de la valeur vénale due à des expropriations
de bâtiments liés : le propriétaire demande également souvent une
indemnisation pour la partie restante. Cet aspect de l’indemnisation
n’entre en compte qu’en cas d’expropriation partielle. On tient donc
compte de l’expropriation d’une zone pour estimer son influence sur le
reste de la parcelle. On détermine ainsi les m2 restants que l’on
compare avec la valeur de m2 avant l’expropriation pour compenser la
perte de valeur de la surface (indemnisation de la perte économique de
la surface due à l’expropriation).
- Art. 19 lit. c : le montant des autres préjudices : parfois, l’exproprié aura
d’autres revendications. Il pourrait ainsi dire qu’il souhaitait, avant
l’expropriation, construire une maison sur sa parcelle, qui sera
désormais traversée par une ligne de chemin de fer. On indemnise
donc l’administré pour les conséquences économiques de
IUR III 2012-2013 43
Jérémy Stauffacher Droit Public
l’expropriation. Ainsi, si un administré avait déjà dépensé de l’argent
pour des travaux d’architecte, il sera indemnisé. Naturellement, il n’est
possible de réclamer une indemnisation que pour les éléments qui sont
en causalité directe avec l’expropriation (art. 19 al. 1 et lit. c LEx).
Imaginons qu’une ligne de chemin de fer passe à côté d’une parcelle, sans
nécessiter d’expropriation. Même si l’ensemble de la parcelle perd de la
valeur, il n’est pas possible de réclamer indemnisation pour les lit. a, b et c. Il
serait uniquement possible de demander une indemnité en vertu d’une
expropriation des droits de voisinage (que nous verrons plus loin). Plus
encore, pour des motifs de sécurité, il existe une règle d’alignement en
matière de lignes de chemin de fer (interdiction de bâtir à proximité des lignes
de chemin de fer). Dans ce genre de cas, l’interdiction de bâtir ne provient
pas de l’acte d’expropriation mais de l’homologation des plans de construction
de la voie ferrée. En effet, l’interdiction résulte de la législation technique
ferroviaire. Dès lors, l’art. 19 lit. b n’est pas applicable (ni l’art. 19 lit. a et c
d’ailleurs). Il faudra ainsi se tourner vers les règles applicables aux cas
d’expropriation matérielle.
IV. L’expropriation des droits du voisinage
L’art. 5 LEx précise quels sont les objets d’expropriation du droit du voisinage.
La loi contient donc un chapitre traitant expressément des droits du voisinage.
Ce concept a été inventé pour concrétiser en droit public les actions des
art. 679 CC (actions défensives et réparatrices). En effet, le CC a été inventé
à une période où les problèmes massifs de circulation étaient rares. De
même, le CC vise des situations entre droits privés. Dans l’arrêt Werren de
1968, le TF a donc inventé un système jurisprudentiel. Il a commencé par
paralyser le CC lorsque les nuisances proviennent du fonctionnement normal
des installations qui appartiennent à l’État ou à un concessionnaire (CFF :
installations étatiques ou concédées par l’État). Dans ce cas, on remplace les
règles du CC par les règles sur l’expropriation des droits du voisinage. On
considère dès lors que les droits du voisinage, immatériels, sont expropriés
IUR III 2012-2013 44
Jérémy Stauffacher Droit Public
contre indemnisation. Il y a ainsi constitution d’une servitude de tolérance
obligatoire (construction intellectuelle et dogmatique : pas d’inscription au RF
ou d’actes authentiques), sur la base du modèle civil. Au final, cela signifie
que si la nuisance ne provient pas de l’État (directement ou indirectement),
c’est le Code civil qui s’applique. De même, si la nuisance provient du
patrimoine fiscal de l’État, le CC s’appliquera également. Il faut ainsi que l’État
agisse à titre étatique (agissement de la puissance publique), sur le domaine
public ou en matière de patrimoine administratif. Enfin, l’État ne peut
exproprier que si cela est inévitable (principe général). Il faut réduire l’action
au minimum expropriable (principe de proportionnalité). En matière
d’autoroute ainsi (arrêt Werren), il existe de nombreux mécanismes :
panneaux anti-bruit, détournement et autres.
En outre, il existe deux types d’atteintes :
- Les émissions : cela concerne le bruit et les turbulences des avions,
les nuisances sonores des voitures et autres atteintes indirectes. Les
émissions peuvent être de deux types :
o Les émissions positives : il s’agit des émissions physiques :
bruit, pollution de l’air, particules diverses. Il y a une nuisance
réelle, matérielle (sans toutefois usurpation et pénétration sur le
fonds voisin car il s’agit alors d’usurpations directes). Il peut
aussi s’agir d’émissions positives morales, résultant de la
proximité d’un abattoir ou d’un asile. Jusqu’à aujourd’hui, ces
émissions positives immatérielles n’ont jamais été expropriées
et donc indemnisées en droit public.
o Les émissions négatives : il s’agit des éléments immatériels
comme la privation de lumière, d’ensoleillement ou de vue.
Très vite, le TF s’est rendu qu’il ne pouvait pas indemniser tous les
voisins touchés. Il a donc introduit l’idée que les propriétaires doivent
accepter un certain handicap au nom de l’intérêt public, pour faciliter la
vie en société. La jurisprudence a donc développé 4 conditions : ne
seront ainsi indemnisées que les émissions :
IUR III 2012-2013 45
Jérémy Stauffacher Droit Public
o Imprévisible : la concession d’aéroport a débuté en 1903. Dès
lors, le volume des avions en trafic a perpétuellement
augmenté. Dans un arrêt de 1984, le TF a estimé que 15 ans
après la guerre (1er janvier 1961), il était prévisible que l’industrie
allait redémarrer, entraînant forcément une forte augmentation
des avions. Ainsi, une personne achetant sa parcelle après
cette date ne pouvait recevoir d’indemnité. Le critère
d’imprévisibilité est donc très important (et un brin arbitraire par
rapport au chiffre de 15 ans). Ainsi, ce qui est prévu dans le
cours ordinaire des choses n’est pas indemnisé.
o Spéciales : le TF n’indemnise que les cas spéciaux. Aujourd’hui,
le TF juge que ne sont spéciales que les situations qui
dépassent les VLI (valeurs limites d’immissions). En dehors de
ces normes, il n’y a aucune indemnisation.
o Graves : l’atteinte doit provoquer une diminution de la valeur de
la surface. La gravité est la mesure du dommage : si la valeur
du bien n’est pas réduite d’au moins 10%, il n’y a pas
d’indemnisation possible.
o Non-prescrites : logiquement, le droit d’agir pour l’atteinte en
cause ne doit pas être prescrite. La jurisprudence fixe la
prescription pour les indemnisations (principe de la bonne foi).
Même en l’absence de base légale, on applique une prescription
de 5 ans au droit à obtenir une indemnisation. Le problème se
pose ensuite par rapport au moment à partir duquel débute la
prescription. A partir du moment où la nuisance existe et où le
riverain se rend compte de la possibilité de l’indemnisation et
peut raisonnablement le faire, le délai court.
Si toutes ces conditions sont remplies, l’administré a droit à une
indemnisation, qui peut être versée de deux manières :
o Isolation : dans la législation environnementale, des art. précise
qu’il est nécessaire d’isoler les bâtiments lorsque les valeurs
limites d’immissions sont dépassés (au frais des propriétaires).
Le TF a donc repris ce principe en matière d’émissions
IUR III 2012-2013 46
Jérémy Stauffacher Droit Public
étatiques : l’argent de l’indemnité sert à payer l’isolation. Il y a
donc indemnisation en nature (art. 18 LEx). L’État prend dès
lors en charge les factures d’isolation du bâtiment.
o Argent : une partie de la parcelle n’est naturellement pas
isolable (jardin notamment). Pour ces parties, l’État fournit une
indemnité en argent (solde pour les zones non isolables).
Les développements ci-dessus ne concernent pas les nuisances de
construction ou les nuisances d’accident de construction. Dans ce cas-
là, on applique également la procédure d’expropriation.
- Les usurpations directes : il y a alors véritablement atteinte physique
de la propriété et non plus seulement la survenance d’éléments
indirects. Contre ce genre d’atteinte, il y a également indemnisation (et
non pas droit à la cessation de l’atteinte). Naturellement, cela pose la
question de l’étendue verticale du droit de propriété. En droit civil, la
propriété s’arrête à la surface utile (500 mètres : jurisprudence).
9. Cours du 22 novembre 2012
V. L’expropriation matérielle
Il n’existe aucune loi sur l’expropriation matérielle, seulement quelques bases
légales topiques (art. 26 al. 2 Cst.). Il s’agit d’une restriction de la propriété qui
équivaut à une expropriation (Canada dry = whisky). L’art. 5 al. 2 LAT prévoit
une compensation en cas de restriction équivalant à une expropriation. Outre
cela, il s’agit d’un concept jurisprudentiel : depuis l’arrêt Barret, le TF répète le
même mécanisme, basé sur deux cas :
- L’atteinte importante : l’usage actuel d’une chose ou son usage futur
prévisible est interdit ou restreint d’une manière particulièrement grave,
le lésé se trouvant ainsi privé d’un attribut essentiel de son droit.
L’atteinte peut nuire à l’usage d’un terrain (souvent, rarement d’une
construction mobilière) actuel ou prévisible (les citoyens ont acquis un
terrain en étant persuadés qu’ils pouvaient construire mais finalement,
pour des raisons matérielles, en sont empêchés). Le propriétaire
conserve la propriété de son bien : il n’y a pas de perte du droit de
IUR III 2012-2013 47
Jérémy Stauffacher Droit Public
propriété (il s’agit alors d’une expropriation formelle). L’usage doit être
prévisible : le propriétaire doit avoir pris des mesures concrètes en vue
de l’utilisation de son terrain. L’atteinte interdire totalement l’usage ou
restreindre de manière particulièrement grave : la substance du droit
de propriété doit être atteinte. Le simple fait de limiter la hauteur, la
surface ou les conditions de construction n’est pas susceptible de
constituer une expropriation matérielle. Une prérogative liée au droit de
propriété doit être touchée pour qu’une indemnité soit possible.
- Le sacrifice particulier : un ou plusieurs propriétaires sont frappés de
manière telle que, s’ils n’étaient pas indemnisés, ils devraient supporter
un sacrifice par trop considérable en faveur de la collectivité, de
manière incompatible avec le principe de l’égalité de traitement. La
mesure d’aménagement du territoire pénalise alors un propriétaire et
l’égalité de traitement veut qu’on l’indemnise. Dans un arrêt récent, une
collectivité publique avait décidé de classer les terrains situés au
sommet du flanc d’une montagne en zone de protection. Dès lors, le
propriétaire de ce terrain sacrifie son terrain en faveur des autres
propriétaires. Dans ce type de cas, très rares, le propriétaire qui
sacrifie son droit de propriété peut demander une indemnisation à
cause de l’expropriation matérielle de son terrain : il conserve son droit
de propriété mais ne peut construire dessus, celui-ci étant classé en
zone de protection, sur laquelle il est interdit de construire.
A partir de l’un de ces deux cas (mécanisme de pré-condition pour entrer en
matière), on établit une nouvelle distinction : soit il s’agit d’un cas de
déclassement, soit il s’agit d’un cas de non-classement :
- Déclassement : il y a déclassement lorsque l’usage futur prévisible
empêché résulte d’un dézonage discrétionnaire (il s’agit d’une mesure
d’aménagement du territoire libre, sans obligation juridique) : il n’y a
aucune obligation pour la commune de modifier la zone mais elle le fait
quand même (sur la base du pouvoir démocratique de la commune).
Dans ce genre de cas, une indemnisation est nécessaire. Ces cas sont
rarissimes : les communes ont conscience des conséquences
probables d’un dézonage et agissent donc avec retenue.
IUR III 2012-2013 48
Jérémy Stauffacher Droit Public
- Non-classement : les cas de non-classement sont beaucoup plus
fréquents. En général, il n’y a pas d’indemnisation : le non-classement
ne donne droit, en principe, à aucune indemnisation. Ainsi, il n’y a pas
d’indemnisation du non-classement lorsque le passage dans une zone
moins favorable résulte d’une obligation juridique pour la commune.
On ne se trouve plus dans un cas de dézonage discrétionnaire : la
commune a l’obligation de le faire (dézonage prononcé sur la base des
prévisions d’avalanches des experts). C’est donc une situation
physique ou juridique qui fonde l’intervention de la commune. Il s’agit
d’une adaptation de la propriété à l’état réel. De même, il n’y a aucune
indemnisation pour les mesures de police prises en vue de prévenir un
danger en faveur de l’intérêt public de la sécurité. Ce principe ne vaut
pas que pour les mesures d’aménagement du territoire mais pour
l’ensemble des domaines du droit. En 1980, la LAT a créé la zone à
bâtir (art. 15). Les cantons ont donc zoné (en zone à bâtir) des terrains
gigantesques. Des années plus tard, la commune décide de créer un
parc (zone de verdure). Le propriétaire lésé (zone à bâtir – zone de
verdure) se plaint auprès du TF. Le TF a déclaré qu’il n’y avait aucune
indemnisation possible dans ce genre de cas : la zone à bâtir
« accordée » à l’origine n’étant pas conforme. En effet, le manque de
sérieux du travail de la commune ne peut fonder une indemnité : autant
de zones à bâtir n’étaient pas nécessaires. Il ne s’agit pas d’un
déclassement : la zone dans laquelle se trouvait la personne était
illicite et ne correspondait pas à la LAT. On considère donc que la zone
à bâtir était inexistante. Ainsi, tous les cas où le dézonage équivaut à
la première planification qui respecte la LAT ne donnent pas lieu à
indemnisation (cas de non-classement sans indemnisation). Au mois
de mars, la population votera sur les modifications de la LAT dont un
art. 15 al. 2 LAT qui aurait la teneur suivante : « les zones à bâtir
surdimensionnées doivent être réduites ». Dès lors, même si certains
politiciens l’affirment, une indemnisation est plus que douteuse : les
zones surdimensionnées ne seraient pas conformes à la LAT (et ce
malgré les modifications des mécanismes d’indemnité liés à l’art. 5).
Aujourd’hui, le TF considère que la garantie de propriété n’intègre pas
IUR III 2012-2013 49
Jérémy Stauffacher Droit Public
le droit de construire sur une zone non conforme à la LAT. En
revanche, à titre exceptionnel, le TF accorde tout de même une
indemnisation pour non-classement dans trois cas différents :
o La protection de la confiance : le principe de la bonne foi veut
que le propriété non-classé ayant reçu des assurances
particulières soit indemnisé. Ainsi si un propriétaire parvient à
obtenir une lettre signée, il est envisageable de l’indemniser.
o La création d’une zone à bâtir de fait (milieu largement bâti) : s’il
y a une certaine logique à la construction (brèche non construire
entre deux espaces largement construits), on peut accorder une
indemnisation car le propriétaire pouvait légitimement penser
que la zone était une zone à bâtir conforme à la LAT.
o Dans la même ligne que le cas précédent, si le terrain est classé
de manière non-conforme à la LAT mais qu’il est équipé
(écoulement des eaux, électricité), il peut y avoir indemnisation.
10. Cours du 29 novembre 2012
Chapitre 2. La protection de l’environnement
§7. Notions et principes
I. Les sources
Le concept d’environnement n’est défini nulle part. Il s’agit pourtant d’un
thème phare, en droit comme en politique (notion d’écologie notamment).
Le droit de l’environnement au sens strict, la protection de l’équilibre
écologique, les protections spéciales ainsi que les protections indirectes sont
les 4 domaines du droit de l’environnement :
- Le droit de l’environnement au sens strict : l’environnement est apparu
en l’an 2000 dans la Cst. à l’art. 73-75 (équilibre durable entre la nature
et l’utilisation de l’être humain). De même, l’art. 2 Cst. fait référence à
la protection de l’environnement (idée du développement durable).
L’art. 74 Cst. en particulier consacre la protection de l’environnement et
IUR III 2012-2013 50
Jérémy Stauffacher Droit Public
le développement durable (équilibre entre nature et êtres humains,
capacité de renouvellement). En outre, les volontés de préserver
l’environnement et d’assurer le développement durable sont placées
avant l’aménagement du territoire. En fait, l’aménagement du territoire
est un moyen pour atteindre les buts visés. Ces buts sont d’éviter les
atteintes particulièrement graves (autoroute, avion, trafic lourd) et non
pas les nuisances mineures. En outre, ces nuisances ne sont plus
définies (au contraire de l’ancienne Cst. qui précisait que le bruit et la
pollution de l’air constituaient des nuisances) : la protection concerne
donc tous les types de nuisances. La LPE (loi sur la protection de
l’environnement) a été adoptée sur la base de l’art. 74 Cst. mais a pris
du temps avant d’être appliquée concrètement. Les mentalités
prennent en effet du temps à évoluer. Ainsi, tous les délais transitoires
d’assainissement ont été violés puis modifiés. La LPE n’est pas une loi
cadre contrairement à la LAT mais une loi directement applicable par
les tribunaux. Elle contient des mandats exigeant du Conseil fédéral de
fixer des standards dans de très nombreux domaines, consacrés par
des ordonnances : OEIE (impact sur l’environnement), OPB (bruit),
OPair (pollution de l’air), OPAM (protection contre les accidents
majeurs : cette ordonnance est destinée à prévenir les catastrophes et
les dommages liés aux catastrophes. Si l’on est détenteur d’une
installation dangereuse, chimique notamment, il faut définir le
périmètre de létalité et prendre des mesures de protection appropriée),
Osol (protection du sol), OSites (sites contaminés : dans le canton du
Jura, les usines bâloises ont enterré des quantités folles de tonneaux
chimiques, nécessitant l’assainissement du site), OCOV, OTAS (ces
deux dernières ordonnances ont pour but d’inciter les citoyens à moins
polluer, par le biais de subventions ou de taxes à la pollution, des
mesures obligatoires étant plus difficiles à mettre en œuvre), ODO
(organisation habilitée à recourir), ORNI (rayonnement ionisant :
téléphones portables et antennes de téléphonies), OTD (traitement des
déchets : les déchets ont été juridisés) LBCF / OBCF (assainissement
du bruit des chemins de fer : une loi spéciale a été créée en la matière
pour deux raisons : premièrement, cette loi ne respecte pas le principe
IUR III 2012-2013 51
Jérémy Stauffacher Droit Public
de causalité qui veut que celui qui pollue paye. En effet, c’est la
Confédération qui paye les mesures d’assainissement des pollutions
sonores. Deuxièmement, l’indemnisation va au-delà des atteintes). En
l’absence de telles ordonnances (donc lorsque les mandats ne sont
pas exercés, ce qui est très rare), c’est la LPE qui s’applique.
- La protection de l’équilibre écologique : la protection des eaux est en
Suisse extrêmement compliquée du fait des très nombreuses surfaces
d’eau (lacs, rivières, eaux souterraines). La protection des eaux
comprend deux volets : qualitatives et quantitatives.
- Les protections spéciales : les protections spéciales concernent
notamment les forêts, la nature et le paysage, la protection des
animaux (chasse et pêche entre autre), en lien avec les art. 77-78 Cst.
- Les protections indirectes : il s’agit de droit privé (art. 679, 684 CC)
ainsi que d’autres législations (aménagement du territoire, produits
chimiques, travail, aviation, routes nationales, matières nucléaires,
expropriation, transport des combustibles et autres).
A côté de ces 4 domaines de droit fédéral principalement, il existe en droit
cantonal toute une série de clauses générales et de règlements. La question
des priorités entre les droits pose alors problème. L’OEIE (fédérale), par
exemple, prévoit une procédure particulière pour les parkings de plus de 500
places. Or, le canton de Genève a prévu une étude d’impact pour les parkings
non pas de 500 places mais de 50 places. Le TF a reconnu que l’ordonnance
fédérale était exclusive mais également que l’étude d’impact proposée par le
canton de Genève visait un but différent (à savoir vérifier si le parking collectif
ne crée pas un bouchon par exemple). Dans ce cas, la compatibilité entre
droit fédéral et cantonal a donc été admise. Le droit fédéral peut donc tout à
fait coexister avec le droit cantonal, quand bien même il est exclusif. Souvent,
comme on l’a dit, les lois cantonales (LATeC) prévoient des clauses
générales (construction autorisée si elle ne provoque pas d’émissions
excessives : concept est fortement inspiré du CC). Le TF a déclaré que ces
clauses n’avaient plus de portée autonome.
En outre, un grand nombre de conventions internationales ont aussi une
certaine importance en matière de droit de l’environnement. La question
IUR III 2012-2013 52
Jérémy Stauffacher Droit Public
principale a trait au degré de précision en matière de textes internationaux.
En effet, la plupart de ces textes ne sont pas suffisamment précis pour être
invoqués directement devant un Tribunal suisse. Il s’agit donc principalement
de conventions adoptées par les États mais sans effet direct. L’art. 8 CEDH,
quant à lui, n’a aucun lien avec l’environnement. Malgré tout, la jurisprudence
de la Cour a exploité la protection de la vie privée pour fonder une base de
protection de l’environnement (un environnement malsain, nauséabond,
bruyant ou autres nuit au bon déroulement de la vie privée des gens). La
Suisse n’a jamais été condamnée pour une violation de l’art. 8 CEDH : le TF
comme la CEDH ont reconnu que les mécanismes de protection de
l’environnement étaient suffisants. Enfin, de très nombreuses normes
techniques jouent un rôle en droit de l’environnement. Ainsi, l’OPB (art. 32,
protection contre le bruit) renvoie directement aux normes 181 SIA (normes
industrielles des ingénieurs et des architectes), avec tout le problème de la
valeur juridique de ces textes. Le droit de l’environnement étant très
compliqué, ces normes sont appliquées directement.
II. Les mécanismes de protection
Les concepts de rattachement (p. 199 ss) définissent le champ d’application
de la LPE. Ainsi, une atteinte à l’environnement est tout d’abord nécessaire.
La LPE définit ainsi à l’art. 7 al. 1 ce qu’est une atteinte (pollution
atmosphérique, bruit, vibration, pollution des eaux, modification de
patrimoines génétiques et autres interventions diverses). L’art. 7 al. 3 précise
ensuite la nature des pollutions atmosphériques. En outre, l’art. 7 al. 1 exige
qu’une installation soit construite ou exploitée. L’acte de construction en lui-
même peut déjà constituer une atteinte (chantiers de longue durée
notamment). Les installations sont définies à l’art. 7 al. 7 LPE : les bâtiments,
les voies de communication ou autres ouvrages fixes ainsi que les
modifications de terrain. De même, les outils, machines, véhicules, bateaux et
aéronefs sont assimilés aux installations. La définition est donc très large (et
ne correspond pas à la définition au sens du droit de la construction : un
permis de construire n’est pas nécessaire pour une voiture : le but des deux
droits est totalement différent). L’arrêt du Banntag (fête assimilée à Carnaval ;
IUR III 2012-2013 53
Jérémy Stauffacher Droit Public
polycopié p. 100 ss) est un bon exemple de cette interprétation large du
concept d’installation. Lors de cette fête baloise, la population tire au fusil vers
le ciel. Or, le TF, suite à des plaintes, a considéré que les fusils étaient des
installations et donc qu’un règlement du Banntag était nécessaire pour définir
dans quels quartiers il était possible de tirer au fusil.
11. Cours du 6 décembre 2012
§8. La protection contre les immissions
I. La double limitation des émissions (art. 11 al. 1 LPE)
Lorsque la LPE s’applique, son fonctionnement est assez simple. Il faut
commencer par distinguer émission et immission (analogie à la distinction
entre dette et créance). Les émissions sont des atteintes sortant des
installations alors que les immissions sont ces mêmes atteintes considérées
du point de vue de la destination des émissions (art. 7 al. 2 LPE). En matière
de VLI (valeurs limites d’immissions, art. 13 ss LPE), on mesure les
immissions et on regarde si les VLI (chiffres déterminant le plafond
admissible) sont dépassées. Si tel est le cas on imposera des mesures à la
source. Ainsi, on se réfère aux VLI (art. 13 ss) mais la conséquence dépend
des art. 11 ss (section 1 : émissions). Pour protéger l’environnement, on
applique deux méthodes de limitation des émissions :
- L’intervention à la source : il s’agit alors de limiter les émissions à partir
de leur provenance. Il s’agit donc de mesures actives prises au niveau
des polluants. Par opposition à ce système, on aurait pu choisir
l’intervention à la destination. Il s’agit de mesures passives visant à
protéger les pollués contre la pollution. On décide alors d’accepter les
pollutions mais de préserver les personnes polluées par des mesures
passives de protection. Ce système n’a pas été choisi et ces mesures
dites passives sont donc exceptionnelles.
- Le principe de causalité (art. 74 Cst. et 2 LPE) : ce principe veut que
celui qui est à l’origine de la pollution paye les mesures. Là encore, on
IUR III 2012-2013 54
Jérémy Stauffacher Droit Public
aurait pu appliquer le principe contraire : les pollués auraient pu être
chargés de payer eux-mêmes les mesures pour se protéger. Des
exceptions à ce principe sont prévues à l’art. 20 al. 2 LPE. Si au
moment de la demande du permis de construire les valeurs limites
d’immissions étaient déjà dépassées, le principe de causalité ne
s’applique pas. Malgré tout, hors cas particuliers, le principe de
l’antériorité ne s’applique pas. Ainsi si l’autoroute passe à proximité
d’une zone à bâtir, les gens peuvent lancer une procédure pour
demander la construction de barrières anti-bruit aux frais de
l’autoroute, quand bien même l’autoroute était présente avant les
constructions sur la zone à bâtir. On a donc voulu imposer au
détenteur de l’installation l’obligation d’assainir.
Le livre liste encore d’autres principes, moins importants. Pour maîtriser le
sujet, les art. 11-18 LPE sont particulièrement importants, en lien avec le
tableau 43. Il s’agit des points suivants (art. 11 ss LPE).
II. La limitation préventive (art. 11 al. 2 LPE)
La limitation préventive est le premier niveau du système. En toutes
circonstances, le détenteur d’une installation polluante doit faire tout ce qu’il
peut pour réduire la pollution qu’il génère. Le principe de prévention est basé
sur l’idée que si aujourd’hui tout le monde prend toutes les mesures possibles
la situation sera demain améliorée. Le droit de l’environnement est un droit
préventif : si le risque se concrétise, il est extrêmement difficile d’assainir la
situation. Peu importe les circonstances, chaque pollueur doit, pour lui-même,
faire des efforts (même s’il est seul pollueur d’une région déjà écologiquement
dévastée). Ce principe très dynamique paraît donc sans limite : tout ce qu’il
est possible de faire doit être entrepris, ce qui engendre une certaine
insécurité juridique. Pour limiter cela, les différents principes de droit public
s’appliquent. Le principe de proportionnalité notamment (art. 11 al. 2) prévoit
que les mesures doivent être admises par l’état de la technique (les mesures
doivent être répandues) et les conditions d’exploitation (les mesures doivent
être peu incisives sur l’exploitation de l’installation : elles ne doivent pas
empêcher l’exploitation). De même, elles doivent être économiquement
IUR III 2012-2013 55
Jérémy Stauffacher Droit Public
supportables (les mesures ne doivent pas réduire massivement les revenus
ou augmenter radicalement les charges). Voyons quelques exemples :
- Une personne exploite une ferme et dispose d’un silo à foins au milieu
d’un quartier de villa. Ce silo fait un bruit certain. Naturellement, les
propriétaires alentours se plaignent du bruit du silo et ouvrent une
procédure administrative. Il s’agit bien d’une installation causant une
atteinte, la LPE s’applique. Il existe de nombreux ventilateurs causant
moins de nuisances : on demande donc au paysan de prendre une
mesure à la source pour réduire les nuisances sonores. Il ne peut pas
dire que les conditions d’exploitation de sa ferme sont perturbées (au
contraire) ni qu’il s’agit de mesures contraires à la technique. Il
prétendra par contre que ce ventilateur est trop cher. Un expert est
donc mandaté pour calculer le nombre d’années nécessaires à
l’amortissement du nouveau ventilateur. En l’espèce, l’expert a jugé
qu’il était supportable économiquement de réaliser cette dépense.
- Des propriétaires vivent à côté d’un court de tennis, transformé en
hiver en patinoire musicale. L’exploitant décide de construire à la place
du cabanon de rangement un nouveau bâtiment (restaurant). La PPE
voisine fait opposition à la construction de ce nouveau bâtiment. Dans
ce cas, l’art. 11 al. 2 s’applique (atteintes sonores provenant d’une
installation) et va permettre d’imposer à l’exploitant toute une série de
mesure (valeur limite de bruit, organisation obligatoire du parking,
limite de fréquentation des zones et autres mesures). Toutes ces
petites mesures sont proportionnelles et vont permettre de gérer
l’exploitation de la patinoire hivernale et du restaurant.
- Voyons l’exemple d’une mesure insupportable : des riverains ont
demandé aux CFF de changer tous les wagons à cause du bruit
causé. Cette mesure coûterait beaucoup trop cher et ne pourrait
résoudre tous les problèmes (trains étrangers traversant la Suisse).
Pour préciser l’art. 11 LPE, l’art. 12 prévoit des prescriptions qui codifient la
prévention. Il s’agit de VLE (par opposition aux VLI servant à mesure les
immissions pour ensuite réduire les émissions). Il s’agit de données
techniques figurant dans des textes légaux précisant les quantités de pollution
IUR III 2012-2013 56
Jérémy Stauffacher Droit Public
que l’on tolère à la source (et donc non pas que l’on tolère à la destination).
En l’absence de normes, on applique l’art. 12 al. 2 LPE. Dans le cas de la
patinoire ainsi, l’autorité administrative impose un catalogue de mesures
qu’elle estime possible et qui sont destinées à réduire la nuisance.
III. La limitation plus sévère (art. 11 al. 3 LPE)
La limitation sévère est le deuxième niveau du système. Les émissions seront
limitées plus sévèrement si les immissions sont nuisibles ou incommodantes
(en dépassant un seuil inadmissible). Si les VLI sont dépassées, la technique,
l’exploitation et l’économie n’entrent plus en compte pour appliquer des
mesures de protection. On donne dès lors la priorité à l’environnement.
Certes le principe de proportionnalité s’applique toujours mais l’exploitation de
l’installation n’entre plus en ligne de compte. Il est ainsi possible de limiter les
heures d’ouverture des installations. La loi précise parfois ce qui est nuisible
ou incommodant. Ainsi, l’OPB (en matière de bruit des aéronefs, des chemins
de fer, des bruits industriels et autres) contient les VLI dans les annexes
(comme dans toutes les autres annexes d’ailleurs). Ce sont ainsi les annexes
des ordonnances qui contiennent les VLI. Ainsi, l’annexe 6 de l’OPB prévoit
les valeurs limites d’exposition dans un tableau passablement important. Le
lien entre l’aménagement du territoire et la protection de l’environnement est
effectué par le biais des degrés. Dès lors, selon le degré, les VLI en matière
de bruit sont différentes. Ainsi, l’aménagiste peut influencer la protection de
l’environnement par le biais des degrés. Ensuite, le tableau prévoit 3 valeurs :
- Les valeurs d’alarmes sont des valeurs très élevées, dangereuses pour
la santé. Si les valeurs d’alarme sont dépassées, l’assainissement est
premièrement immédiat au sens de l’art. 16 al. 4. En effet, le cas est
tellement grave qu’une intervention immédiate est absolument
nécessaire. Deuxièmement, un allégement n’est plus possible
(art. 17 al. 2 LPE). Enfin troisièmement, à partir du dépassement de ce
seuil et lorsque les mesures actives ne sont pas suffisantes, des
mesures passives à la source peuvent être ordonnées (art. 20 al. 1).
IUR III 2012-2013 57
Jérémy Stauffacher Droit Public
- Les valeurs limites d’immissions : il s’agit des valeurs références, seuil
normal au-delà duquel il est possible de prendre des mesures sans
tenir compte de l’exploitation des installations. Si les bruits ne
dépassent pas ces valeurs, il est alors nécessaire de tenir compte de
l’exploitation de l’installation (coûts, impact sur l’exploitation).
- Les valeurs de planification (art. 23 ss LPE) : ces valeurs servent pour
les installations qui ne sont pas encore construites (art. 25) : le bruit
mesuré sur les façades environnantes devra respecter les valeurs de
planification. Pour mesurer le bruit d’une installation non construire, on
se fie à des statistiques des constructions similaires (analogie et
extrapolations statistiques : pronostic de bruit fondé sur l’étude
d’impact). Ces valeurs servent également pour les zones à bâtir qui
seront créées autour d’un bruit déjà existant (art. 24). Dès lors, on
place des capteurs où les constructions futures seront placées pour
enregistrer les bruits déjà existants, bruits qui devront respecter les VP.
IV. L’assainissement (art. 16 LPE)
L’assainissement concerne toutes les mesures prises par décision
administrative pour forcer le propriétaire à améliorer l’exploitation de son
installation et respecter le droit de l’environnement. L’art. 18 LPE précise que
pour transformer ou agrandir une installation sujette à assainissement, il faut
effectuer l’assainissement global. Toutefois, la nouvelle partie de l’installation
doit péjorer l’ensemble pour que l’assainissement soit global. Cela signifie
que si la nouvelle partie n’aggrave pas l’atteinte, l’assainissement ne
concernera que la partie déjà existante. En outre, l’art. 17 LPE prévoit des
allégements si l’assainissement ne respecte pas le principe de
proportionnalité (la jurisprudence est très restrictive). Pour mettre en œuvre
ce système, il est possible de lire l’arrêt en page 108 ss du polycopié (arrêt
concernant la fabrication d’électricité à base de biogaz).
L’art. 31 OPair, qui n’entre pas dans le mécanisme, traite du plan des
mesures. Le système actuel impose des mesures préventives et plus sévères
à chaque polluant : chacun est assujetti à l’art. 11 al. 2-3 LPE. En matière de
protection de l’air, il est impossible de déterminer de qui émane la pollution.
IUR III 2012-2013 58
Jérémy Stauffacher Droit Public
Une fois la pollution répandue dans l’air, il n’est plus possible d’attribuer la
pollution à un polluer. Dès lors, on a inventé le plan des mesures (apparentés
à un plan directeur, contre lequel il n’est pas possible de recourir) qui prévoit
des mesures visant à réduire la pollution de l’air. Ces plans s’appliquent dans
deux cas au sens de l’art. 31 OPair : lorsqu’il existe des infrastructures de
transports et lorsqu’il existe une concentration d’usine. Dans ces cas, on
prévoit différentes mesures pour limiter la pollution. De plus, dans ce genre de
cas, même si le quartier est pollué et que les VLI sont dépassées, il restera
possible de construire une nouvelle installation polluante. En effet, le
législateur a estimé qu’il n’était pas équitable d’empêcher une usine de
s’implanter lorsque tous les autres ont déjà pu pollué sans problème.
Naturellement, tous seront alors soumis au respect des mesures prévues par
le plan, quand bien même l’usine étant implantée avant la mise en place du
plan des mesures (construction de nouvelles routes, aménagement de
protection, mesures diverses et autres).
12. Cours du 21 février 2013
Chapitre 3. Droit économique
§9. Généralités
I. Les concepts et leurs délimitations
Le droit économique est l’ensemble des normes par lesquelles l’État organise,
configure et conduit l’économie. Le droit économique constitutionnel est le
pilier du droit économique (art. 24 et 97 ss Cst.). Le droit administratif
économique, ensuite, permet d’appliquer les grands principes et gère la
participation de l’État dans l’économie. Le droit commercial traite quant à lui
de l’organisation des sociétés (droit public à la base qui s’est privatisé). Le
droit du marché concerne énormément de réalités économiques. Le droit
international privé économique se développe. Enfin, le droit des affaires,
concept encore moins parlant que les notions présentées ci-dessus, est un
amalgame d’éléments divers. On peut considérer que le droit de la
IUR III 2012-2013 59
Jérémy Stauffacher Droit Public
construction constitue du droit des affaires dans la mesure où l’immobilier est
un des marchés le plus rentable (lien avec les permis de construire).
Le droit économique est un droit éminemment actuel : de plus en plus de
professions touchent au droit administratif. Il est inséparable d’une certaine
conception de la société politique, philosophique ou religieuse. Beaucoup de
principes sont l’émanation d’une conception économique de société.
II. Panorama général de l’intervention étatique
En l’état actuel de notre ordre juridique, l’intervention de l’État est délimitée
par des contraintes : la liberté économique et les différents principes de l’État
(proportionnalité, bonne foi et autres). La marge de manœuvre de l’État
concerne tant les interventions directes qu’indirectes. De manière générale
(partie générale des distinctions suivantes), on peut distinguer plusieurs
concepts (on présentera ensuite quelques exemples, parties spéciales) :
- Les interventions normatives à but économique (directes) : cela nous
amène à préciser quatre interventions à but économique direct :
o Historiquement, la création d’un marché commun (1) fut la
première tâche de l’État helvétique (zone de libre échange,
similaire au traité de l’UE). Cela a naturellement pris beaucoup
de temps : il a fallu unifier les conditions. De même, les
différents droits cantonaux devaient être reconnus par leurs
voisins pour que la libre circulation soit assurée.
o La création de monopole de droit (2) fut un second objectif. La
Poste, par exemple, possède un monopole sur certains
secteurs. Les secteurs monopolisés échappent à la liberté
économique (intervention normative à but économique).
o Des mesures de politique économique (3) furent prises pour
diriger l’économie selon un plan établi. Ces mesures favorisent
une meilleure cohabitation entre les concurrents. Naturellement,
cela passe par des interventions au sein même de la
concurrence. En matière juridique, il s’agit souvent de prouver
IUR III 2012-2013 60
Jérémy Stauffacher Droit Public
que la mesure contre laquelle on désire recourir est bien une
intervention normative de politique économique.
o Les mesures de promotion économique (4) ne sont pas des
atteintes à la liberté, même si le but est économique.
- Les interventions normatives à effet économique (indirectes) : il s’agit
de tous les domaines dans lesquels l’objectif n’est pas économique
mais les conséquences le sont (effets indirects). Ce sont donc des
mesures qui visent un autre but (santé, environnement ou autres) mais
qui ont des conséquences économiques, parfois drastiques. Ainsi
toutes les interventions normatives en matière de politique sociale ont
des conséquences économiques (mécanismes de contrôle des coûts
de la santé : politique social à impact économique évident). Dans
quantité de cas, des impacts économiques, volontaires ou involontaires
et de degrés différents, se font sentir : politique migratoire, droit de
l’environnement et autres. Presque tous les domaines juridiques et
tous les textes normatifs ont des conséquences économiques
indirectes, parfois mineures, parfois majeures.
- Les interventions de fait : l’État est un acteur économique primordial :
o L’État en tant qu’employeur : pour fonctionner, l’État emploie de
nombreuses personnes (jadis fonctionnaires à régime spécial,
aujourd’hui agents de l’État sans privilège particulier).
o L’État en tant que gestionnaire de capitaux : même pauvre,
l’État reste la personne la plus riche du pays. Les caisses de
pension sont un bon exemple de gestion de capitaux.
o L’État en tant que gestionnaire de biens : il s’agit du domaine
public au sens étroit et du patrimoine administratif de l’État.
o L’État financé : quantité d’activités économiques de l’État se font
moyennant emprunts de l’État (à taux extrêmement bas). Les
impôts financent l’État (droit fiscal : activité économique).
o L’État financeur : l’État finance de nombreux secteurs divers.
o La consommation de biens et de services : il s’agit d’un renvoi
aux marchés publics : l’État est consommateur de biens.
IUR III 2012-2013 61
Jérémy Stauffacher Droit Public
De manière plus concrète (partie spéciale), on peut citer (de manière
absolument non exhaustive) le droit des finances publiques, le droit industriel,
le droit agricole, le droit de l’approvisionnement et de l’énergie (électricité
notamment), le droit des voies de communication, le droit des entreprises
mixtes, le droit du commerce extérieur, le droit douanier, le droit des marchés
(concurrence), le droit des assurances ou encore le droit des banques.
III. La politique économique en droit fédéral
Jusqu’au 18ème siècle, les activités économiques en Suisse étaient régies par
des corporations datant du Moyen-âge. La liberté économique apparaît au
19ème siècle (1848). A la fin du 19ème siècle, on entre dans une ère
d’interventionnisme : l’État développe sa toile : transport, communication,
électricité ou poste. A partir de 1960, la Suisse a connu une phase de
déréglementation : certaines barrières d’accès aux activités (globalisation) ont
été supprimées. Aujourd’hui encore, Minder pourrait frapper (rerégulation).
Le droit constitutionnel économique est constitué par toutes les dispositions
de la Cst. liées au droit économique : art. 27 Cst. et 94 ss. Les piliers de cette
Cst. économique peuvent être résumés en cinq éléments :
- Un espace économique unifié doit être créé (marché commun).
- Les cantons peuvent intervenir mais ils doivent respecter la liberté.
- L’économie ne peut être organisée selon un plan (sauf exceptions).
- Il est possible de faire de la politique économique seulement en se
fondant sur une disposition constitutionnelle (base légale).
- La Confédération et les cantons peuvent prendre des mesures de
police économique en respectant l’intérêt public et la proportionnalité.
Il existe deux façons de concevoir la Constitution économique : soit on
considère que la liberté est sacro-sainte et que toutes normes économiques
est une restriction à la liberté (ancienne conception), soit on part du principe
que la politique économique fait partie de la Constitution et que des
IUR III 2012-2013 62
Jérémy Stauffacher Droit Public
interventions de politique économique sont possibles si elles favorisent le but
libéral (politique en matière de concurrence, art. 96 s.).
13. Cours du 7 mars 2013
§10. La liberté économique
I. La notion
La notion de la liberté économique est présente dans la Constitution : ainsi la
liberté économique « comprend notamment le libre choix de la profession, le
libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice ».
C’est donc le contenu qui définit le principe (art. 27 al. 2 Cst.). En outre, il faut
consulter la LMI : « la présente loi garantit à toute personne ayant son siège
ou son établissement en Suisse l’accès libre et non discriminatoire au marché
afin qu’elle puisse exercer une activité lucrative sur tout le territoire suisse »
(art. 1 al. 1) et « par activité lucrative au sens de la présente loi, on entend
toute activité non régalienne ayant pour but un gain » (art. 1 al. 3 LMI).
La liberté économique est un élément de droit public : elle est constituée de
deux aspects : l’aspect institutionnel (institution qui crée notre ordre
économique libérale, en lien avec le §9) et l’aspect individuel (moyen juridique
de s’opposer à l’État). C’est surtout le deuxième aspect, garantissant à
l’individu une sphère d’indépendance contre les organes étatiques. Cela a
deux conséquences : premièrement, l’État doit s’abstenir d’agir : le contenu
du droit est négatif et ne peut en aucun cas être utilisé pour obtenir des
prestations positives de l’État. Deuxièmement, cela signifie que la liberté
économique régit les rapports entre l’État et les particuliers, et non entre les
particuliers (liberté contractuelle). Avec l’évolution des législations, les deux
institutions (liberté économique et liberté contractuelle) se rapprochent à
travers l’égalité de traitement. Certains auteurs vont même jusqu’à considérer
la liberté contractuelle comme un droit fondamental. Dans notre cours, nous
nous concentrerons sur l’élément individuel de la liberté économique,
IUR III 2012-2013 63
Jérémy Stauffacher Droit Public
octroyant à l’administré un droit de s’opposer à l’État. Tout de même, il
convient à présent de faire un certains nombres de délimitations :
- Par rapport à la garantie de la propriété : durant des années, on a
estimé que la liberté de l’industrie et du commerce avait la priorité sur
la garantie de la propriété. Aujourd’hui par contre, on parle de
coordination (concours ou encore coexistence) entre les deux principes
constitutionnels : il faut donc coordonner ces deux principes d’égale
valeur. L’affaire Globus (102 Ia 104 dans le polycopié vert) concernait
une ordonnance cantonale qui interdisait les centres commerciaux de
plus de 8'000 m2. L’association des commerçants a fait recours en
affirmant qu’il s’agissait d’une mesure de politique économique servant
à favoriser les petits commerçants. Si le TF parvient à la conclusion
que le législateur visait un objectif d’aménagement du territoire, alors la
loi est admissible, malgré les conséquences économiques : la liberté
économique et la garantie de la priorité est respectée. Au contraire, si
le TF conclut que le but est d’influencer le jeu de la concurrence, il
s’agit d’une mesure de politique économique contraire à la Constitution
économique, violant ainsi la garantie de la propriété. En matière de
garantie de la propriété, il convient de parler de trois lois :
o La LFAIE (ou Lex Friedrich, p. 124-133 polycopié) est apparue
dans les années 1960, à un moment où on a constaté que le sol
national était bradé par des ventes massives (notamment des
tessinois qui vendaient aux allemands). Suite à des initiatives
populaires, la LFAIE a été adoptée. Précisons que la loi a été
mise en œuvre avant son entrée en vigueur par des arrêtés
fédéraux urgents. Depuis, elle a régulièrement été assouplie.
Aujourd’hui, tous considèrent qu’elle permet de réguler un peu
le marché de l’immobilier. Le but de cette loi est fixé à l’art. 1 :
limiter les immeubles par des personnes à l’étranger (et non pas
par des étrangers) afin de limiter l’emprise étrangère sur le sol
suisse. L’art. 2 définit ensuite le champ d’application de la loi
(tout particulièrement l’art. 2 al. 2 LFAIE). La loi s’applique pour
éviter le placement de capitaux et non l’implantation
IUR III 2012-2013 64
Jérémy Stauffacher Droit Public
d’entreprises ou d’industries. Il ne s’agit donc pas de verrouiller
le sol suisse mais d’éviter les placements immobiliers à but de
placement émanant de personnes étrangères. La notion
d’entreprise est définit dans la loi : il doit s’agir d’un
établissement commercial stable (notion extrêmement
complexe). Aujourd’hui, cette loi ne s’applique en fait qu’aux
immeubles d’habitations. Ensuite, l’art. 4 précise l’ensemble des
restrictions : achat, usufruit, droit de superficie et diverses autres
opérations assimilées à une vente. L’art. 5, logiquement, précise
ensuite qui est considéré comme étranger. L’art. 9 al. 2-3
précise que les cantons peuvent disposer que l’autorisation peut
être accordée dans certains cas (logements ou appartements de
vacances). Ce type d’achat est contingenté pour chaque canton.
L’art. 14 LFAIE fixe la procédure d’autorisation en matière
d’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger. Enfin,
les art. 25 ss LFAIE prévoit des sanctions très sévères. En cas
d’abus, l’autorisation est révoquée d’office. De même, la loi, de
nature administrative, régit les sanctions civiles : le contrat
d’achet est déclaré nul et une action en cessation de l’état illicite
est intentée afin de rétablir l’état antérieur licite.
o La Lex Weber (p. 133-144 polycopié) est constituée de l’art. 75b
de la Constitution. L’ordonnance va rester en vigueur jusqu’à ce
que le parlement la remplace par une loi. L’art. 2 définit le
concept de résidences secondaires. Ensuite, l’art. 3 précise que
si le 11 mars 2012 la résidence a déjà été achetée, il n’y aura
aucun changement (la personne pourra sans problème la
transformer en résidence secondaire). L’ordonnance vise donc
la création de nouvelle zone constitutionnelle. L’art. 4 est le
cœur du système et précise le sort des nouvelles constructions.
Suite à l’adoption de la loi, des milliers de gens ont demandé
une autorisation de construire (sans besoin), contre lesquelles
des associations ont massivement recouru. Il existe un
deuxième problème : le champ d’application de l’ordonnance
IUR III 2012-2013 65
Jérémy Stauffacher Droit Public
pour les autorisations accordées après le 11 mars mais avant le
1er janvier 2013. Selon Weber et Helvetia Nostra, toutes ces
autorisations devraient être nulles. Naturellement, en face, les
principaux intéressés jugent que le Conseil fédéral avait la
compétence pour retarder l’entrée en vigueur de la loi, déclarant
donc les autorisations valables. Naturellement, si l’on admet la
validité des ces autorisations, on se posera la question de la
durée de validité des autorisations (en principe de 2 ans). Il y
aura donc certainement des demandes de prolongation
d’autorisation et des tentatives de construction déguisées
(premiers travaux de déblaiement, actes de volonté de
construction, bétonnage ou autres). On se demandera dès lors
quand un terrain peut être considéré comme construit et
pendant combien de temps les travaux peuvent être maintenus.
La commune peut exiger que la construction soit terminée dans
un certain délai. Enfin, un problème concerne les communes
ayant adopté, déjà avant la Lex Weber, un règlement communal
visant à limiter (contingenter) les résidences secondaires. Ainsi,
des conflits de fédéralisme vont éclater entre l’ordonnance (et la
future loi) fédérale et les éventuels règlements communaux,
prévoyant déjà des restrictions de construction.
o La révision de la LAT : comme pour la Lex Weber, la révision de
la LAT va causer de nombreux problèmes juridiques. Ainsi,
l’art. 15 al. 2 prévoit le dézonage des zones trop importantes.
Naturellement, se pose alors la question des indemnisations qui,
si le régime actuel est maintenu, seront extrêmement rares. En
effet, les indemnités ne sont pas octroyées en cas de dézonage
d’une zone à bâtir qui a été créée de manière illicite. Or, le
zonage massif est illicite. De plus, l’art. 5 LAT précise que la
mise en zone demande une participation à la plus-value. Cette
disposition, plus facile à mettre en œuvre, entraînera tout de
même de très nombreux recours. La question du prix des loyers
est difficile à trancher pour l’instant : l’avenir nous le dira.
IUR III 2012-2013 66
Jérémy Stauffacher Droit Public
- Par rapport à l’égalité de traitement : il faut décider comment s’articule
la relation entre droits constitutionnels. La jurisprudence a longtemps
hésité, jusqu’à un arrêt 121 I 129 (p. 1 ss, 6 en particulier).
- Par rapport à la liberté personnelle : les activités économiques ont
presque inévitablement un élément physique. Dès lors, la question de
l’organisation entre les deux libertés s’est posée. Dans plusieurs arrêts,
le TF a affirmé que la liberté économique n’englobe pas le droit de
pratiquer des professions nécessitant des capacités physiques ou
intellectuelles. Concrètement, les professions soumises à examen
(avocat et notaire particulièrement) ne peuvent être exercées si cela
n’est pas possible. Ainsi, une personne tout à fait intelligente ne pourra
obtenir une dispense d’examen (du barreau notamment) sous prétexte
qu’elle ne supporte pas le stress. Il en va de même par une personne.
Il n’y a donc pas de droit d’invoquer la liberté économique pour justifier
la pratique d’une profession diverse (guide de montagne handicapé).
- Par rapport à la LMI (loi sur le marché intérieur) : la loi s’adresse
principalement aux cantons. Le principe général de la LMI se base sur
le Cassis de Dijon (reconnaissance mutuelle) : le produit ou le service
qui remplit les conditions d’un canton peut être vendu ou proposé dans
les autres cantons sans nouvelle procédure et aux conditions du
canton d’origine (art. 2 al. 1 et 3 LMI). En plus du principe, un
mécanisme de reconnaissance du droit de tous les cantons est alors
nécessaire (calqué sur le modèle des directives de l’UE) : des
standards minimaux doivent exister pour concrétiser le principe. Il
existe tout de même quelques limites en matière de LMI. Dans l’arrêt
SJ 2000 I 49 (p. 71 polycopié), un guérisseur voulait ouvrir un cabinet
médical à Zurich, prétextant que dans son canton d’origine aucun
diplôme n’est requis. Or, les professions de santé sont strictement
règlementées à Zurich. Le TF a jugé qu’il était impossible d’utiliser la
LMI pour contourner des exigences de base (comme le fait d’avoir un
diplôme). De même, à Neuchâtel, un examen pour restaurateur et
cafetier a été supprimé, causant des risques de distorsion de la
concurrence. La LMI s’applique de manière intracantonale : l’accès au
marché doit être garanti de la même manière sur tout le canton, peu
IUR III 2012-2013 67
Jérémy Stauffacher Droit Public
importe que celui-ci soit soumis à plusieurs régimes juridiques. La LMI
ne s’applique par contre pas de manière internationale : un canton ne
peut pas appliquer les conditions d’un autre pays prétextant qu’il s’agit
du lieu d’origine. Le canton de Genève ne peut pas appliquer le droit
taiwanais s’il engage une entreprise taiwanaise pour effectuer des
travaux en Suisse. L’art. 9 LMI prévoit la procédure en matière de
marché intérieur : la LMI peut être invoquée directement (elle est donc
justiciable). Malgré tout, il s’agit d’un domaine de droit cantonal : il est
impossible d’invoquer devant le TF la violation de divers règlements
cantonaux (au sens de l’art. 95 LTF). Par contre, la LMI fait partie du
droit fédéral et peut donc être invoquée devant le TF. Le grief de la
violation du la LMI suffit donc à fonder un recours au TF.
II. Le contenu
La liberté économique protège l’activité économique privée (art. 27 Cst.), par
opposition à l’activité étatique. Toutes les activités sont concernées (sans
toutefois qu’une liste précise ne soit établie), qu’il s’agisse d’une activité
principale ou accessoire, professionnelle ou non. Par contre, le législateur
restreint parfois l’accès à certaines professions : il est ainsi impossible d’être
médecin à titre non professionnel et accessoire. C’est l’activité qui est
déterminant, et non pas le résultat : la faillite n’est donc pas une violation de
ce principe. La liberté économique garantit le libre choix aux professions. La
jurisprudence est très prolixe sur la question des examens. Il faut bien
distinguer le certificat de capacité (examen attestant des connaissances) de
la patente (autorisation soumise à conditions). Ensuite, la liberté économique
garantit également la libre organisation de l’activité économique : une
personne est libre de fonder une SA, une SàRL, de travailler les jours qui
conviennent ou autres. Là encore, les lois spéciales prévoient un certain
nombre de restrictions : il est ainsi impossible d’ouvrir une étude d’avocat
dans un local trop ouvert (local commercial avec vitrine). De même, la
jurisprudence a totalement reconnu que la publicité faisait partie des
instruments nécessaires à l’activité. De ce fait, la publicité est garantie.
IUR III 2012-2013 68
Jérémy Stauffacher Droit Public
La liberté économique peut être utilisée lorsque l’activité est exercée sur le
domaine public. Il faut tout de même que l’activité exercée soit compatible
avec le domaine public. Il faut d’ailleurs maîtriser les concepts de domaine
public (au sens large, au sens étroit). De même, il faut distinguer les trois
types d’utilisation du domaine public au sens étroit (commun, accru ou
exclusif). Il faut ensuite connaître les régimes applicables à chaque degré
d’utilisation : l’usage commun n’est soumis à aucun régime, l’usage accru
demande une autorisation et le paiement d’une redevance (taxe) et l’usage
exclusif exige une concession. Il faut donc se munir de la loi fribourgeoise sur
le domaine public afin de connaître ces distinctions.
14. Cours du 14 mars 2013
III. Les titulaires
Les personnes physiques et morales sont titulaires de la liberté économique.
Les étrangers, en soi, bénéficient de la liberté économique car elle n’est pas
rattachée à la nationalité (art. 95 al. 2 Cst.). Toutefois, dans certaines
jurisprudences très critiquées (et en évolution), le TF a considéré que
certaines professions pouvaient être interdites aux étrangers qui ne sont pas
au bénéfice d’un permis d’établissement (permis C). De même, certaines lois
spéciales règlent la question des professions. Ainsi, la LLCA (loi sur la libre
circulation des avocats), seule loi fédérale concernant les avocats, établit trois
types d’avocats : les avocats suisses, européens ou étrangers. Des règles de
reconnaissance sont ensuite prévues pour chacun des trois groupes. En
Suisse, la libre circulation des personnes et la reconnaissance nécessaire des
diplômes est assurée avec l’UE. Dès lors, la jurisprudence n’a plus de prise
sur ce domaine du droit. Les personnes liées à l’État (personnes physiques
en rapport juridique spécial avec l’État : fonctionnaires, armée et prisonniers)
ne bénéficient pas de la liberté économique pour leur activité étatique. On se
demande donc si l’État doit accepter l’activité économique de ses sujets en
dehors de leurs obligations étatique. Cela est en principe possible mais avec
IUR III 2012-2013 69
Jérémy Stauffacher Droit Public
un certain contrôle : l’activité exercée conjointement doit être compatible avec
les responsabilités étatiques.
IV. Les restrictions
La liberté économique n’est pas un bien juridique absolu (comme le serait
l’intégrité physique ou la propriété) : elle peut donc être restreinte. Dans ce
cours, nous allons reprendre les catégories du TF. Il existe ainsi trois
catégories de restrictions : les mesures de police, les mesures de politique
sociale et les mesures de politique économique (Griessen, ATF 97 I 499).
Traditionnellement, on ne distinguait que les restrictions de police et de
politique économique : l’arrêt Griessen a intégré une nouvelle catégorie de
restrictions : les mesures de politique sociale (ou de police sociale). Les biens
de police constituent le noyau dur de l’intérêt public. Les mesures de politique
sociale concerne les éléments nécessaire au bien-être de la population et
garantissent l’amélioration du niveau de vie (éléments non fondamentaux
mais apportant certains bénéfices). Les mesures de politiques économiques,
quant à elle, perturbent l’équilibre concurrentiel du marché, sans toutefois
protéger un bien de police. Le rôle des juristes est de savoir jongler entre les
différentes conditions applicables à chacune des trois catégories : en effet, les
conditions d’une mesure de politique économique sont plus strictes.
Actuellement, la ville de Genève met en concours (appel d’offre) le marché du
nettoyage des bâtiments publics de la ville. S’agissant d’une ville socialiste,
Genève souhaite favoriser les entreprises qui payent mieux leurs employés.
Naturellement, l’association des entreprises de nettoyage lutte contre cette
mesure en prétendant qu’il s’agit d’une mesure de politique économique
tandis que la ville considère qu’il s’agit uniquement d’une mesure de police.
A côté des trois types de restriction, il convient de parler des monopoles :
dans ces cas, c’est l’État qui est propriétaire et qui peut décider d’exécuter lui-
même la compétence ou de rétrocéder la compétence. De même, il ne faut
pas confondre les restrictions avec les mesures de promotion économique :
IUR III 2012-2013 70
Jérémy Stauffacher Droit Public
ces dernières ne sont pas des atteintes à la liberté économique mais des
aides destinées à favoriser certains secteurs.
Reprenons à présent les différentes restrictions, en commençant par les
mesures de police. La base constitutionnelle des mesures de police est l’art.
95 al. 1 Cst. (la question des compétences est laissée de côté). Pour qu’une
mesure de police en matière économique soit considérée comme valable,
trois conditions doivent être remplies (art. 36 Cst. : restrictions des DF) :
- Légalité : il faut une loi, peu importe laquelle : loi fédérale, loi cantonale
ou loi communal (règlement). La nature de la loi requise dépend de
l’intensité de l’atteinte : l’art. 36 al. 1 précise que les restrictions graves
doivent être prévues par une loi au sens formel (la loi doit avoir été
adoptée selon une procédure précise par un organe au sens législatif,
que ce soit le parlement fédéral, le grand conseil ou le conseil général,
voire l’assemblée communale, ou un organe exécutif ayant reçu des
compétences législatives). En matière de liberté économique, le fait de
soumettre certaines activités à un régime d’autorisation est une atteinte
grave : en effet, l’autorisation est un moyen de lever une interdiction
générale (interdiction qui est évidemment une restriction grave). Il en
va de même pour les obligations d’affiliation : dans un certain nombre
de cas, le législateur a prévu qu’il fallait être membre d’une certaine
association pour pratiquer un quelconque métier.
- Intérêt public : l’intérêt public est extrêmement évolutif : ce qui peut être
admis aujourd’hui ne l’était pas jadis (et inversement). Il faut donc être
prudent avec l’intérêt public, qui est très volatile et dépend des
considérations socio-culturelles du moment (évolution rapide).
- Proportionnalité : une mesure doit être apte, nécessaire et exigible
(seule et meilleure mesure, pesée des intérêts). La condition de
l’aptitude ne doit pas être discutée : un régime d’interdiction est
parfaitement apte à protéger un bien. C’est ainsi sur les conditions de
nécessité et de proportionnalité au sens étroit qu’il faut discuter.
IUR III 2012-2013 71
Jérémy Stauffacher Droit Public
- Inviolabilité de l’essence des droits fondamentaux : en matière de
liberté économique, cet alinéa n’a pratiquement aucune portée. Il
faudrait trouver des situations dans lesquelles l’atteinte est telle qu’elle
supprime toute liberté économique. On pourrait envisager un contrôle
total des prix (autorisation de mise sur le marché) ou une obligation
faite aux étudiants de travailler au moins 60 heures par semaine.
Concernant les mesures de politique sociale, nous nous trouvons dans la
même catégorie que les mesures de police. Le contenu est donc toujours le
même, à savoir le bien-être de la population. La distinction entre les mesures
de police à caractère social et les mesures de politique sociale est très mince.
Le TF a créé ces mesures pour disposer d’une mesure à mi-chemin entre les
mesures de police et les mesures de politique économique : il s’agit de
mesures n’ayant pas pour but de protéger un bien de police mais n’entraînant
pas non plus une restriction économique : on peut donc dire que ce sont des
mesures ayant pour but de protéger un bien social.
Enfin, les mesures de politique économique sont très rarement admises. Ces
mesures exigent une base constitutionnelle fédérale : une telle base peut être
générique (art. 100 et 103 Cst. : soutenir l’horlogerie, protéger les producteurs
de lait et autres) ou conjoncturelle (parce que la situation économique est
mauvaise, rendant une mesure nécessaire). En pratique, des institutions
traditionnelles de la politique économique existent. Ainsi, s’il existe un régime
total d’interdiction, sans autorisation possible, il se peut qu’il y ait mesure de
politique économique. Il en va de même pour les contingentements (limitation
quantitative) ou les clauses du besoin (limitations des cabinets médicaux).
Pour finir, précisons que les mesures de promotion économique ne sont pas
soumises à l’art. 36 Cst. : s’agissant souvent d’octroyer des subventions, une
base légale est nécessaire (il faut interpréter la loi pour déterminer si elle
octroie ou non un droit à une subvention). Le problème principal est en lien
avec l’égalité de traitement. Ainsi, la LIM (aide investissement en régions de
montagnes) a créé des régions LIM ne respectant pas forcément les barrières
cantonales : le Chablais valaisan et vaudois a été réuni en une seule région
bénéficiant des crédits LIM.
IUR III 2012-2013 72
Jérémy Stauffacher Droit Public
15. Cours du 21 mars 2013
§11. Le monopole et la concession
I. Le monopole
Pour qu’il y ait concession, il faut un monopole : l’un ne va pas sans l’autre.
Nous parlons ici de monopole étatique (au contraire du monopole privé :
situation d’une entreprise qui, grâce à ses produits, s’est placé dans une
situation très favorable : il s’agit de l’accaparation finale d’un marché). Au
contraire, le monopole public désigne la situation dans laquelle un agent
économique exerce une activité lucrative sans concurrence. Il devient
étatique lorsque l’ordre juridique en précise le statut, soit directement (réserve
directe d’une activité à l’État : ramonage par exemple) soit indirectement
(l’État a la compétence de désigner qui est compétent pour une activité
donnée : la loi ne précise pas que l’État a le monopole mais celui-ci est tout
de même nécessaire pour la bonne marché du système. Un monopole ne
peut concerner qu’une activité susceptible d’être exercée par un privé. L’État
n’a donc pas un monopole en matière fiscale étant donné qu’il est le seul à
pouvoir percevoir l’impôt. En outre, le monopole a pour effet de soustraire
l’activité monopolisée à la liberté économique. Il existe deux monopoles :
- Le monopole de droit : une règle de droit constitutionnelle ou légale
réserve à l’État le droit d’exercer une activité donnée. Le fondement de
ce monopole est donc la loi : base légale expresse.
- Le monopole de fait : une règle de droit constitutionnelle ou légale
réserve à l’État l’utilisation (la maîtrise) d’une chose nécessaire à
l’exercice d’une activité donnée. Le fondement du monopole réside
donc dans la maîtrise générale sur les biens publics et non dans la loi.
L’exemple le plus parlant est le domaine public : l’État est propriétaire
du domaine public. Ainsi, même s’il n’existe aucune loi instaurant un
monopole sur l’épuration des eaux, l’État est propriétaire du domaine
IUR III 2012-2013 73
Jérémy Stauffacher Droit Public
public : dès lors, la pose de tuyau et donc l’épuration des eaux est
monopolisées par l’État (monopole de fait).
L’admissibilité des monopoles en général pose problème pour les monopoles
de droit : personne n’a encore remis en question le monopole de l’État sur le
domaine public (principalement à cause des désavantages liés à la propriété
de ce domaine : entretien, catastrophe et autres). Cela pourrait changer si
des technologies (fibre optique) se développaient et nécessitaient l’utilisation
(et donc la propriété, au moins en partie) du domaine public. Par contre, les
monopoles de droit sont soumis à trois conditions générales :
- Base légale : en cas de monopole conforme à la Constitution, une loi
au sens formel suffit (monopole de police ou de politique sociale :
monopole fédéral sur les maisons de jeu par exemple, art. 106 Cst.).
La loi doit prévoir les éléments essentiels du monopole : le principe et
les conditions d’exploitation. Tout le reste peut être délégué. Par
contre, le monopole non conforme (de politique économique ou fiscal,
ayant pour objectif d’enrichir l’État) exige une base constitutionnelle
expresse. Cela est logique car il y a intervention dans la liberté
économique pour un objectif purement économique. On peut ainsi
citer, au niveau fédéral, la production de la monnaie (art. 99 Cst.). Au
niveau cantonal, on parle de régals (art. 94 al. 4), devant être prévus
par la Cst. ou basés sur le droit régalien (sels, chasse et pêche).
- Intérêt public : un monopole n’est admissible que s’il poursuit un but
d’intérêt public, que ce soit un intérêt de police (protéger un bien
juridique) ou de politique sociale (améliorer le bien-être des citoyens).
L’ATF 128 Plakanda présent dans le polycopié traite de ce problème.
- Proportionnalité : un monopole n’est admissible que s’il est nécessaire.
La privatisation est un élément conjoncturel lié au monopole. La notion
englobe tous les stades d’abandon, plus ou moins prononcé, de la puissance
publique : il s’agit donc de tous les transferts de compétences aux domaines
du privé. La privation est liée au monopole car elle crée des liens (des formes
de partenariat) entre l’État et le privé. En effet, la décentralisation est déjà une
IUR III 2012-2013 74
Jérémy Stauffacher Droit Public
forme primaire de privatisation (tableau 22). A l’autre extrême, le tableau 23
présente les stades plus poussés de la privatisation.
16. Cours du 11 avril 2013
II. La concession
Une concession est un acte juridique par lequel une collectivité publique
(concédante) attribue à un tiers (appelé concessionnaire) le droit d’exercer
une certaine activité lucrative que l’ordre juridique place directement ou
indirectement sous situation de monopole. On distingue les concessions de
monopole au sens strict (droit d’exercer une activité monopolisée) des
concessions domaniales (concession du domaine public : usage exclusif). La
nature juridique de la concession est discutée : une concession est un acte
mixte (compromis : clauses unilatérales et bilatérales). Il y a donc mélange
entre décision (unilatérale) et contrat (bilatéral, contractuel). Le caractère
unilatéral dépend du contenu et non des parties : il est évident que deux
personnes sont nécessaires. Les litiges en matière de concession porte en
principe sur le contenu de la concession : en effet, une concession est un
acte de durée (seuil critique des 100 ans, voire 80 ans, art. 58 LFH). Durant
ces années, de nombreux problèmes surviennent (litiges). Dans ces cas,
chaque clause litigieuse doit être examinée (qualification diverse : un procès
peut concerner les deux types de clauses). La qualification est importante car
l’enjeu juridique varie : les clauses unilatérales (décisionnel) peuvent être
modifiées unilatéralement en cours de concession par l’autorité selon le
processus de la révocation ; au contraire, les clauses bilatérales (contractuel)
ne peuvent évidemment être révoquées de manière unilatérale car il s’agit de
clauses négociées (accord sur les manifestations de volonté : l’État devient
une entité privée ; contraire au principe de la confiance, applicable même en
matière de contrat de droit administratif). Dès lors, la modification de ces
clauses nécessite l’accord du concessionnaire (ce qui est très rare). Dès lors,
soit il s’agit d’un cas de BF (clausula rebus sic stantibus) pour obtenir la
révision du contrat (exemple de la collectivité qui accepte d’approvisionner
IUR III 2012-2013 75
Jérémy Stauffacher Droit Public
gratuitement cinq chalets en électricité et demande la révision du contrat
lorsque l’endroit est devenu une station de ski). Précisons que les clauses
bilatérales décidées dans le cadre d’un contrat de concession fondent des
droits acquis (droits particulièrement protégés : principes des droits acquis
des clauses bilatérales : le concessionnaire est protégé). A côté des deux
types de clauses présentées, il existe des clauses connexes : il s’agit de
clauses décidées à l’occasion de la concession mais sans rapport direct avec
celle-ci (CFF recevant le droit d’exploiter une force hydraulique de la part
d’une commune et acceptant au passage d’accorder à la commune un crédit
que la banque lui aurait refusé : les CFF obtiennent un prêt à intérêts élevés
et la comme obtient de l’argent à un intérêt plus bas que l’intérêt bancaire).
En cas de litige sur ce type de clauses, la compétence du juge pose problème
(compétence du juge civil : clauses de droit privé en principe).
Pour le reste, les concessions dépendent, dans tous les cantons, de l’action
de droit administratif au sens de l’art. 120 CPJA. Les clauses typiquement
bilatérales concernent notamment la durée d’exploitation (art. 58 LFH). Au
contraire, les clauses unilatérales concernent les débits résiduels par exemple
(en matière de concessions hydraulique : niveau d’eau minimal en cas de
pompage afin de permettre la survie et la reproduction des poissons vivant en
milieu aquatique, sans parler des nombreux batraciens et de l’ensemble des
animaux intégrés à la chaîne alimentaire en question). On peut également
citer les conditions du service fait aux usagers (conditions de transport des
personnes pour les TPF par exemple : ponctualité, horaires prévus et autres).
Il s’agit à présent de parler des rapports entre les tiers, le concédant et le
concessionnaire. Pour les rapports entre le concédant et le concessionnaire,
premièrement, l’État choisit en principe librement de fixer un concessionnaire
(ainsi, certaines communs décident de gérer elles-mêmes leur système de
taxis ou de bus). Dès lors, les concessionnaires n’ont aucun droit subjectif à
obtenir la concession (pas de question de liberté économique, droit sans
contenu positif de la part de l’État). Tout de même, l’État reste soumis aux
principes constitutionnels d’égalité de traitement, d’intérêt public et
d’interdiction de l’arbitraire. Dans certains cas, la législation spéciale précise
les conditions d’octroi : l’État peut être obligé de choisir le meilleur
IUR III 2012-2013 76
Jérémy Stauffacher Droit Public
concessionnaire (identifier l’intérêt public, art. 41 LFH). En cas de compétition,
la préférence est donnée à l’entreprise qui sert le mieux l’intérêt public. La
question de l’application de la procédure des marchés publics au domaine
des concessions est discutée : l’art. 62 al. 2bis LFH précise que tel n’est pas le
cas, au contraire de l’art. 2 al. 7 LMI, qui prévoit que la procédure des
marchés publics doit être appliquée. Concernant les droits et devoirs :
- Les droits et obligations du concessionnaire :
o Le concessionnaire a le droit d’exercer la faculté concédée, de
réaliser un éventuel profit (concession n’est pas un acte de
bienfaisance), droit d’accomplir des actes de puissance publique
(le concessionnaire reçoit des parcelles de puissance, dont celle
d’exproprier : art. 3 LEx : expropriant-concessionnaire).
o Le concessionnaire a l’obligation d’exercer la faculté concédée
(importateur de pétrole en Suisse qui demande les concessions
électriques pour forcer les gens à consommer du mazout),
l’obligation de payer la redevance (litiges énormes), l’obligation
d’accepter la surveillance par le concédant (exercice libre d’une
activité économique, mais sous contrôle).
Les rapports entre les concessionnaires et les tiers, deuxièmement, sont des
rapports de droit public et privé. Fondamentalement, il s’agit d’un rapport de
droit privé (contrat de transport soumis au CO par exemple). Parfois, lorsque
le concessionnaire fait usage de sa puissance publique, le rapport devient un
rapport de droit public (exercice de la police sur le domaine de la concession).
Les rapports entre le concessionnaire et ses employés sont régis par le droit
des obligations. Enfin, troisièmement, les rapports entre les concédants et les
tiers sont inexistants : les tiers n’ont aucun droit envers l’État. Il n’y a aucune
relation entre le concédant et les tiers. La seule chose possible est la plainte :
il est possible de se plaindre auprès de l’État (art. 89 CPJA).
La fin du paragraphe sur la concession (et le monopole) concerne l’extinction
de la concession. Il existe premièrement les causes ordinaires : il peut s’agir
de l’échéance (arrivée à terme, à expiration), du transfert de la concession à
un tiers et le rachat (le concédant peut racheter l’acte en cours de concession
IUR III 2012-2013 77
Jérémy Stauffacher Droit Public
et il est alors nécessaire d’indemniser le concessionnaire : ce droit de mettre
fin à la concession donne souvent lieu à des renonciations onéreuses). On se
limitera à ne citer qu’une seule et unique cause extraordinaire : le retrait. Si le
concessionnaire viole son obligation (d’exercer la faculté notamment). Il ne
faut pas confondre le retrait et la révocation : dans le second cas, le
concédant veut reprendre un droit (mais doit indemniser).
§12. Les redevances
La terminologie est très fluctuante selon la langue : la solution la plus
standard est de dire que le mot redevance qualifie l’ensemble des obligations
financières des citoyens envers l’État. En dessous de ces redevances, il
existe des taxes et des contributions, ce qui est fondamentalement différent.
Le mot contribution peut ensuite être utilisé dans tous les domaines. Selon le
tableau 27, on distingue notamment les contributions causales et les
contributions non causales (non justifiées par une contre-prestation
quelconque : les impôts sont des contributions non causales car elles
proviennent de la loi). Les impôts sont versés dans un compte général et
redistribués ensuite en fonction du budget (redevances auxquelles
s’appliquent des règles de droit public : principe de la légalité, très important,
principe de l’égalité de traitement). Les redevances causales, par contre, sont
motivées par une cause spécifique déterminée. Les impôts mixtes mélangent
des redevances causales et non causales. Il existe également des impôts
spéciaux (ou d’affectation) : ces impôts ne sont pas payés par tout le monde
(contrairement ou impôts généraux) mais uniquement par ceux qui exercent
l’activité imposée ou qui possède le type de biens imposé. (SJ 2004 p. 247 et
également ATF 135 I 30 p. 44 ss dans le polycopié de droit administratif).
17. Cours du 18 avril 2013
Les taxes de séjour peuvent être admises à trois conditions : elles doivent
être modiques, essentiellement affectées aux frais des installations et enfin
IUR III 2012-2013 78
Jérémy Stauffacher Droit Public
concrètement consacrées à l’objectif. Les deux catégories principales sont les
taxes et les contributions (toutes deux des redevances causales). La taxe est
en fait un honoraire, versé en contrepartie d’une prestation de l’État (mise à
disposition du matériel nécessaire à l’Université). La taxe correspond tout à
fait à l’émolument : il s’agit du même concept. Dans le tableau, les catégories
de taxe sont uniquement des exemples pratiques, et non des véritables taxes
de natures différentes. Une contribution est une redevance causale qui doit
être payée à titre de participation à un investissement de la collectivité
publique qui profite à un petit nombre de citoyen. L’objectif n’est plus de
rémunérer le service communal mais de rétablir l’équilibre entre ceux qui
profitent et ceux qui ne profitent pas. Concrètement, si on construit un
nouveau collecteur d’égouts (gestion des eaux usées dans un quartier), il ne
sera pas logique de faire payer l’ensemble des habitants par le biais des
impôts. Dès lors, il y a charge de préférence (égal à la notion de contribution)
sur certains citoyens qui bénéficient d’un traitement favorable. Très souvent,
contributions et taxes (charges de préférence et émoluments) sont combinées
dans les situations concrètes. Il existe à côté de ces deux gros concepts des
autres redevances causales (orientation : taxes destinées à pousser le
citoyen à avoir certains comportements ou remplacement : taxe pompier ou
taxe du service militaire). Toutes ces qualifications sont utiles pour parler des
conditions de validité : voyons les conditions des redevances :
- Base légale : le principe de la légalité est appliqué de manière diverse.
Dans le domaine des redevances, on effectue des distinctions entre les
types de taxes : si la taxe est dépendante (taxe portant sur un service
qui coûte à la collectivité : ramassage des ordures), on estime que les
principes de proportionnalité sont un bon protecteur contre tout espèce
d’arbitraire et que la légalité n’a dès lors pratiquement aucune
importance (il s’agit donc d’un cas de légalité allégée : la densité
normative de la base légale exigée est plus faible). Au contraire, si la
taxe est indépendance (taxe portant sur un service non coûteux), on
applique les exigences ordinaires de la base légale. Pour ce qui est
des actes d’administration, l’exigence de base légale est encore plus
souple : si la base légale n’est plus adaptée aux circonstances, cela ne
IUR III 2012-2013 79
Jérémy Stauffacher Droit Public
cause pas de problème (souplesse du critère). En pratique, les litiges
concernent plutôt la proportionnalité ou le principe de causalité.
- Proportionnalité (ayant remplacée l’intérêt public) : la proportionnalité
prend le nom de couverture des frais et d’équivalence. Le principe de
couverture des frais veut que la somme de tous les montants prélevés
aux citoyens ne doit pas outrepasser l’ensemble des coûts que
génèrent le service administratif. Naturellement, les montants prélevés
et plus encore les coûts du service sont extrêmement difficiles à fixer
(coûts fixes, coûts variables et autres dépenses). L’arrêt p. 54 ss traite
d’un litige à propos de taxes de photocopies. Il serait possible de
contester les émoluments des sacs poubelles en tentant de démontrer
que la collectivité publique dépense moins que ce qu’elle ne reçoit. Le
principe d’équivalence veut que le montant de la taxe doit être calculé
en proportion avec l’avantage obtenu. Naturellement, il est impossible
de demander à l’autorité de prouver la réalisation de cette condition
dans tous les cas. Dès lors, le TF admet le raisonnement schématique,
consistant à se référer à des valeurs abstraites (taxes m2 : plus le
terrain est grand, plus les taxes seront élevés, par exemple).
- Egalité de traitement : il faut ensuite vérifier que le résultat obtenu n’est
pas contraire à la Constitution. Imaginons une commune vaudoise sur
laquelle un industriel anglais installe une énorme usine. Chaque année
il reçoit une facture énorme pour chaque taxe (m2). L’application des
critères de proportionnalité ne pose pas de problème, mais il est
évident que la différence est ici colossale, justifiant l’existence d’une
inégalité de traitement. Dès lors, pour plaider l’arbitraire, on fonctionne
grâce aux concepts de la disproportion et de l’inégalité de traitement.
- Interdiction de l’arbitraire : l’arbitraire est évidemment lié aux thèmes
d‘égalité de traitement de proportionnalité : une décision ne respectant
pas la proportionnalité peut violer l’égalité de traitement et peut dès
lors être arbitraire (cascade de l’application des critères / conditions).
- Principe de causalité : consacré avec l’invention de la LPE, ce principe
veut que les redevances doivent se fonder sur des critères concrets. Il
est impossible de créer une redevance sur la base unique de principes
abstraits. Beaucoup de jurisprudences consacrent ce principe : les
IUR III 2012-2013 80
Jérémy Stauffacher Droit Public
communes ont d’ailleurs introduit des taxes mixtes (taxes qui sont
fondées d’une part sur des critères d’équivalence abstraits et d’autre
part sur le principe de causalité : tout le monde paye un montant de
base et les catégories de personnes concernées payent en plus).
Pour terminer, il convient d’utiliser un cas concret pour distinguer la taxe de la
contribution. Une maison est située au bord d’un sentier, en sortie de village.
Lors de sa construction, il est nécessaire de payer une taxe de raccordement.
Ensuite, une taxe d’épuration est prélevée chaque année (régulièrement),
calculée en fonction des litres d’eau consommés (à l’entrée). Ces deux taxes
sont justifiés par un service (couverture des frais, équivalence). L’arrêt qui
traite des vignerons encaveurs (p. 58 ss) traite de cette question.
18. Cours du 25 avril 2013
§13. Les marchés publics
I. Notion
Imaginons que l’Université de Fribourg voudrait construire un nouveau
bâtiment (maître d’ouvrage). L’État passe donc des commandes puisqu’il a
besoin de trois éléments : des services (mandataires : géomètres, architectes
et autres experts), des travaux (construction) et des fournitures (vendeurs de
chaises, de tables et autres aménagements). L’Université de Fribourg est le
maître d’ouvrage (État), aussi appelé adjudicateur en matière de marchés
publics (autorité d’adjudication). On distingue deux types d’adjudicateurs :
- Les adjudicateurs privés : il s’agit des entités qui commandent sur la
base du CO et qui ne sont donc pas soumises au droit public. La SIA
118 (norme) contient même des dispositions sur l’adjudication.
- Les adjudicateurs publics : on entre alors dans le domaine des
marchés publics : lorsque l’État commande certaines choses, il doit
respecter des principes fondamentaux (art. 1 LMP). Il s’agit alors de
garantir les trois principes de transparence, d’égalité de traitement et la
IUR III 2012-2013 81
Jérémy Stauffacher Droit Public
bonne utilisation de l’argent public. Naturellement, ces principes n’ont
aucun poids en matière privée : une personne morale de droit privé
peut choisir de dépenser l’argent comme bon lui semble.
Une procédure de marché public est différente d’un contrat de droit public : la
procédure de marché public a pour but d’aboutir à une manifestation de
volonté unilatérale et contraignante de la part de l’adjudicateur : l’adjudication
(il s’agit alors décision administrative contre laquelle il est donc possible de
recourir, art. 29 LMP). Les voies de recours sont les voies ordinaires selon la
notion de décision de l’art. 4 CPJA. Dès l’instant où la décision n’est plus
contestée, on passe à la seconde phase (litige privé devant le tribunal civil)
liée à la conclusion du contrat (selon le droit des obligations). Il ne faut pas
dire que l’adjudication vaut conclusion du contrat : le droit public ne prend pas
en compte les notions privées d’appel d’offres, d’offre et d’acceptation. Pour
le droit public, la conclusion du contrat intervient lorsque les deux parties se
mettent ensemble afin de signer le contrat : sans cette étape de signature, il
n’y a aucun contrat : le fait d’adjudiquer ne revient pas à conclure.
Dans un cas, il y a donc un adjudicateur et une série de soumissionnaires
(soumission d’offres). Tous ces soumissionnaires participent à une mise en
soumission (aussi appelé appel d’offres). Un seul d’entre eux sera choisi par
l’adjudicateur : l’adjudicataire (offre retenue). Le contrat, en Suisse, est un
contrat de droit privé : la nature de collectivité publique du maître d’ouvrage
n’a donc aucune importance (c’est le contenu qui compte, selon qu’il y a ou
non accomplissement d’une tâche publique). Cela met en évidence la théorie
de la dissociation (la nature des contrats en Suisse dépend de leur contenu,
selon qu’ils visent ou non l’exécution d’une tâche publique), qui n’est pas du
tout appliquée en France : tous les contrats liant l’État sont des contrats de
droit public (les litiges sont donc tranchés par les tribunaux administratifs).
II. Législations
Le tableau 28 met en évidence la législation applicable aux marchés publics.
Très vite dans l’UE, des textes (directives) ont été consacrés spécifiquement
IUR III 2012-2013 82
Jérémy Stauffacher Droit Public
aux marchés publics. Ces directives sont issues du droit français, droit qui
connaît depuis longtemps les marchés publics (droit largement public). Des
années plus tard, l’OMC s’est fortement inspiré du droit européen. Aujourd’hui
la Suisse applique également ce règlement de l’OMC et donc, d’une manière
indirecte, une construction d’origine française.
Concrètement, la Suisse a ratifié l’accord de l’OMC sur les marchés publics
(1996). Cet accord (AMP) fixe des principes que les États membres doivent
respecter. En plus de cela, la Suisse a signé un accord bilatéral sectoriel avec
l’UE pour resserrer les liens UE-CH (accord dont l’étude est, pour l’instant,
inutile : cet accord ne fait qu’étendre le champ d’application de l’accord de
l’OMC, aux marchés des communes notamment : les grandes communes
voulaient être ouvertes aux entreprises européennes ou aux entreprises liées
à certains secteurs). L’effet de la Convention AELE est encore plus minime : il
s’agit d’une extension aux pays membres de l’AELE qui ne sont pas membres
de l’UE. L’effet de l’accord de l’OMC a été transposé en Suisse.
Il faut préciser que le droit en matière de marchés publics s’applique de
manière différente : il n’y a pas d’application par strates (fédéral – cantonal –
communal). Le droit applicable dépend du niveau du marché adjugé : s’il y a
adjudication d’un marché fédéral, c’est le droit fédéral qui s’applique. Cela est
logique : la commande est un acte de gestion de la part d’un État. Or, un État
ne peut déléguer la gestion de son patrimoine et de son domaine public à un
autre État (État : Confédération, cantons et communes). Il y a donc 27 droits
des marchés publics différents (ce qui pose des problèmes de coordination).
Dans les marchés fédéraux, une loi principale s’applique : la LMP, complétée
par son texte d’application : l’OMP (ordonnance). Les art. 32 ss OMP traitent
des autres marchés (terme officiel) : il s’agit de marchés d’importance minime,
trop petits pour être concernés par l’OMC (qui ne concerne que les grands
marchés : au-dessus des seuils, des obligations internationales existent, afin
de garantir aux entreprises internationales de prendre part aux appels d’offre).
Tout de même, des règles existent pour ces types de petits marchés, fixées
dans une Ordonnance (aucune raison pour que le parlement intervienne) : le
Conseil fédéral est le seul organe compétent pour fixer la gestion du territoire.
IUR III 2012-2013 83
Jérémy Stauffacher Droit Public
Ainsi, pour les marchés fédéraux, on distingue les marchés de niveau OMC
(importance certaine : règles de droit international imposant des obligations
d’ouverture internationale) et les autres marchés (importance minime : règles
édictées par le Conseil fédéral pour garantir le respect des grands principes).
En matière de marchés cantonaux, les règles sont plus ou moins les mêmes,
à l’exception des voies de recours. Précisons qu’il n’existe presque aucune
autonomie communale en matière de marchés publics. Comme en matière
fédérale, il existe une loi sur les marchés publics, complétée ensuite par un
acte d’exécution de la loi (ordonnance, règlement). En plus, les cantons ont
consenti à faire un effort de coordination et d’unification : un concordat a donc
été adopté (AIMP : accord intercantonal sur les marchés publics) afin de fixer
quelques principes généraux. Lors d’un recours au TF, il faut articuler des
griefs (art. 95 LTF : la violation du droit cantonal n’en fait pas partie). Cela
paraît poser problème en matière de LMP puisqu’il est impossible de plaider
la violation d’une loi cantonal sur les marchés publics. Par contre, l’art. 95 LTF
contient un grief lié au droit intercantonal, dont le concordat fait partie : il est
donc possible de plaider une violation du concordat (qui prévoit notamment
l’interdiction de la négociation : l’État ne peut demander à un soumissionnaire
de consentir à un rabais). Enfin, le tableau contient une référence à la LMI.
L’art. 5 LMI permet de garantir le respect de certains droits à certaines
entreprises discriminées : si un canton n’ouvre pas une voie de recours, il est
parfois possible de faire recours sur la base des art. 5 et 9 LMI.
Le tableau 29 contient le schéma de résolution d’un cas de marchés publics.
La colonne de droite prévoit les étapes légales. La colonne de gauche, par
contre, prévoit des étapes préparatoires : il faut tout d’abord avoir affaire à un
marché. Un marché se caractérise par deux éléments : un échange (l’État doit
avoir vouloir acquérir un élément : l’État doit être acheteur, maître d’ouvrage
ou mandant : la mise à disposition de terrain ne suffit pas) et un paiement (le
marché ne doit pas être confondu avec le mécénat : prestation rémunérée).
Le marché doit également être distingué de la concession : la concession est
un droit exclusif accordé à un concessionnaire lui permettant d’exploiter à ses
risques et profits. Le deuxième point concerne ensuite la loi : il faut s’assurer
IUR III 2012-2013 84
Jérémy Stauffacher Droit Public
que la loi est en vigueur (changements réguliers de la loi). Ainsi, les services
juridiques ne sont pas affiliés à la loi : si un jour la loi prévoit l’application des
règles des marchés publics aux services juridiques, il faudra déterminer à
partir de quand et dans quelle mesure. Toujours concernant la loi, la troisième
étape s’attache à déterminer quelle est la loi applicable. Imaginons un cas où
tous les cantons se mettent ensemble pour acheter des fournitures. Le droit
applicable pose alors problème : l’AIMP règle la question (art. 8) en tranchant
en fonction de la centrale d’achat (personnalité morale de la centrale) ou de la
prépondérance (achats majoritaires). En principe, c’est toujours le droit du
pouvoir adjudicateur qui s’applique. Enfin, la quatrième étape concerne les
cas d’assujettissement spontané : l’État peut parfois appliquer la loi même si
cela n’est pas obligatoire. Il existe plusieurs procédures de marchés publics
mais l’État peut s’assujettir à une procédure non-obligatoire plus exigeante.
Concernant les conditions légales à présent (colonne de droite), il faut
commencer par se demander qui est le pouvoir adjudicateur, ce qui est très
compliqué. On peut dire qu’il existe trois cercles d’entités différents :
- L’administration centrale : il s’agit de la collectivité publique : dès
qu’elle passe une commande, elle est assujettie au marché (pouvoir).
Ce sont les autorités fédérales, cantonales ou communales.
- Les entreprises publiques qui appartiennent à l’État : il s’agit des CFF,
de la Poste, de l’EPFL (fédéral) : grosses entreprises de niveau public.
- Les entreprises privées qui accomplissent des tâches d’intérêt général
autres qu’industrielles et commerciales (assez rarement admis).
Ensuite, il faut déterminer quel est le type de marché (art. 5 : définition). On
distingue ainsi différents types de marchés : un marché de construction est lié
aux ouvrages alors qu’un marché de fourniture porte sur des objets mobiliers.
La question suivante concerne les exceptions : en cas de marchés
d’importance majeure, ce sont les règles de l’OMPI qui s’appliquent ; la loi
s’applique de manière différente aux établissements pénitentiaires.
Le dernier point concerne l’ampleur et la valeur du marché. L’application de la
LMP dépend de certains seuils chiffrés (art. 6 LMP). Ces principes sont tirés
de l’accord de l’OMC (libellé en DTS : droits de tirage spéciaux de la banque
IUR III 2012-2013 85
Jérémy Stauffacher Droit Public
mondiale : monnaie mondiale réunissant différentes proportions). Chaque
année, les seuils sont réadaptés (par le Conseil fédéral). L’application de ces
chiffres est assez compliquée. Pour les ouvrages (exemple), le seuil est fixé
8.7 millions de francs. Selon l’art. 5 LMP, l’ouvrage concerne l’ensemble des
travaux visés et nécessaires afin de construire un élément donné. Ensuite,
bien-sûr, la loi sera appliquée de manière indépendante pour tous les
marchés au sens individuel (ouvrages : murs, portes, fenêtres, toiture et
autres). Pour simplifier la procédure d’ouvrage, on a inventé la clause des
minimis (art. 14 OMP) : pour certains petits marchés, la procédure complète
peut être raccourcie. Pour ce faire, il faut que le marché concerné soit
inférieur ou égal à 2 millions. De plus, il faut que la somme complète de tous
les marchés auxquels est appliquée la clause ne dépasse pas 20% de la
valeur totale de l’ouvrage. Dès lors, si un ouvrage pèse 100 millions, il sera
possible d’adjuger sans procédure des marchés pour une valeur maximale de
20 millions (mais au plus 2 millions par marché).
Dans les marchés d’ouvrages cantonaux (les développements ci-dessus
concernent la procédure fédérale), la question de la valeur de l’ouvrage
complet n’a aucune importance : on analyse chaque marché individuel et l’on
applique la même procédure pour chacun (on ne considère donc pas la valeur
globale de l’ouvrage mais uniquement la valeur individuelle de chaque
marché). Ensuite, le système de procédure est également différent : de 0 à
150'000 francs, la procédure est dite de gré à gré (procédure directe ou
procédure négociée, sans exigence particulière), de 150'000 à 250'000
francs, on applique la procédure d’invitation, enfin, dès 250'000 francs, la
procédure est dite ouverte ou sélective. Ainsi, la clause des minimis ne sert à
rien puisque la loi définit la procédure pour tous les niveaux de marchés. Ces
principes concernent uniquement le droit cantonal. Dans le cours suivant,
nous verrons qu’il existe des cas exceptionnels où l’on peut procéder de gré à
gré même si les seuils sont dépassés (art. 13 OMP).
19. Cours du 2 mai 2013
Dans un cas, il faut toujours déterminer qui est adjudicateur : s’il s’agit d’un
adjudicateur fédéral, on applique la LMP. On vérifie les seuils de l’art. 6 : s’ils
IUR III 2012-2013 86
Jérémy Stauffacher Droit Public
ne sont pas dépassés, on applique la procédure de l’OMP pour les petits
marchés ou la LMP en cas d’assujettissement spontané ; s’il s’agit d’un
adjudicateur cantonal, on applique les lois cantonales (concordat) : les seuils
cantonaux sont presque les mêmes que les seuils fédéraux : si ceux-ci ne
sont pas dépassés, on applique également le régime des ordonnances
d’exécution cantonales applicables aux petits marchés cantonaux. Dès lors,
les conditions d’application sont plus ou moins les mêmes en matière fédérale
ou cantonale. Malgré tout, les conséquences des seuils sont les types de
procédure. Les seuils définissent la procédure applicable. L’art. 13 OMP
(dans la polycopié à la p. 98) prévoit quelques cas d’exception : l’adjudicateur
peut adjudiquer un marché sans lancer d’appel d’offres dans un certain
nombre de cas. Quatre cas sont particulièrement importants :
- Art. 13 al. 1 lit. a OMP : dans certains cas, aucune offre n’est envoyée
(construction à titre gratuit) : la procédure prend alors fin. Dans ce type
de cas, l’État peut poursuivre la procédure de gré à gré (négociations).
- Art. 13 al. 1 lit. c OMP : en cas d’absence de concurrence (une seule
offre est déposée), il peut y avoir gré à gré. Le critère est fondée sur
l’absence de solution alternative : en pratique naturellement, chacun se
considère comme étant l’unique possibilité (soumissionnaire non-
concurrencé). Il s’agit de cas d’impératifs techniques justifiés par les
circonstances. La deuxième alternative prévue est la clause artistique,
qui permet de choisir une procédure de gré à gré lorsque la prestation
est caractérisée de manière esthétique et artistique. Il s’agit de cas où
l’on a affaire à des prestations matérielles. En principe, il n’y a aucune
raison de limiter l’appel à un artiste en particulier (sauf exception).
- Art. 13 al. 1 lit. d OMP : il s’agit de la clause d’urgence. Celle-ci n’est
applicable que si la situation était imprévisible : si l’appel d’offres est
lancée pour des raisons de mauvaises prévisions, la clause d’urgence
ne peut être appliquée pour adjudiquer de gré à gré.
- Art. 13 al. 1 lit. e OMP : il s’agit des marchés complémentaires. Il arrive
fréquemment qu’il manque certaines prestations pour compléter un
marché déjà existant. Ainsi, si pendant la réalisation d’un tunnel, on
constate qu’il manque encore quelques mètres pour terminer le tunnel,
IUR III 2012-2013 87
Jérémy Stauffacher Droit Public
il est alors possible d’adjudiquer de gré à gré les mètres restants afin
de simplifier les choses. On pourrait aussi imaginer que la technique
ferroviaire ait changé et nécessite, 12 ans après le début des travaux,
la pose de niches électroniques dans le tunnel. Dans ce cas, ces
prestations complémentaires seront adjugées de gré à gré. Malgré
tout, ces compléments ne peuvent dépasser de plus de 50% la valeur
de l’ensemble du marché adjudiqué à l’origine.
La procédure de gré à gré prévoit l’application de la loi mais sans aucun appel
d’offres : il s’agit d’une procédure informelle : l’État contacte l’entreprise qu’il
choisit et passe le contrat avec cette entreprise (aucune procédure). Cela a
deux conséquences : dans les marchés cantonaux, l’interdiction de négocier
ne s’applique alors pas (art. 11 AIMP) ; de plus, certaines lois ne prévoient
pas de voie de recours (art. 32 ss OMP : autres marchés fédéraux pour
lesquels aucune obligation internationale n’existe) : ainsi, l’art. 39 OMP, qui
traite notamment des marchés de gré à gré au niveau fédéral, exclut la voie
de recours (au niveau cantonal, le recours dépend selon les cantons). Bien
sûr, la jurisprudence a posé la question de l’admissibilité d’une telle procédure
mais le TF l’a estimée valable (autant que selon les critères de l’art. 6 CEDH
ou de l’art. 30 Cst.). L’exclusion des voies de recours ne vaut cependant pas
pour les cas de gré à gré de l’art. 13 OMP (gré à gré exceptionnel).
La procédure de base est la procédure ouverte (par défaut). Elle débute par
une publication de l’appel d’offres (p. 115 : annexe d’indications minimales).
Depuis le 1er juillet 2012, certains cantons ont déclaré que la publication
électronique faisait foi (simap.ch : inscription par e-mail). L’appel d’offres en
tant que tel est une décision administrative pouvant faire l’objet d’un recours
(art. 29 LMP). Les soumissionnaires disposent alors d’un certain nombre de
jours pour déposer leur offre. Il y a souvent visite des lieux (parfois cette visite
est conditionnelle). De plus, des phases de question sont lancées. Ces types
de procédure concernent toujours tous les soumissionnaires (égalité). A la fin
du délai d’offre (40 jours parfois), il faut déposer les offres. Au-delà de ce
délai, une offre doit être refusée : la jurisprudence est extrêmement strict (le
cachet postal ne fait pas foi, les retards sont intolérables). Une fois les offres
déposées débute la procédure d’ouverture des offres : là encore, il s’agit
IUR III 2012-2013 88
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d’une étape très réglementée : soit il y a procédure privée avec PV, soit il y a
ouverture publique, devant les candidats. Une fois l’ouverture effectuée, une
phase d’évaluation suit : l’État analyse les dossiers et les évalue sur la base
de critères mentionnés à l’art. 21 LMP : le but est de déterminer l’offre qui est
économiquement la plus favorable. Le prix doit être utilisé comme critère
unique et déterminant en cas de prestations standardisées : il faut que le prix
soit le seul critère qui puisse différencier les choses (de genre). Des tableaux
d’évaluation sont alors utilisés pour noter toutes les offres. L’exigence de
transparence minimale doit concerner les critères retenus pour juger les offres
(ceux-ci doivent être indiqués), l’ordre de priorité (% par critères) mais pas
l’échelle des notes (le pouvoir d’adjudicateur doit donc prévoir une grille pour
évaluer sans toutefois la rendre publique : le pouvoir adjudicateur s’envoie la
grille par envoi recommandé daté). Enfin, la procédure ordinaire prend fin par
la décision d’adjudication : cette prise de décision se fait sur proposition d’une
commission (qui définit un classement). La décision est alors prise par l’État
en lui-même : l’entité compétente est celle qui dispose de la compétence
financière pour s’engager. La décision doit ensuite être notifiée (sur simap,
dans la feuille officielle, personnelle). C’est alors la réception de la notification
qui fait partir le délai de recours. La procédure de recours ne prévoit alors pas
d’effet suspensif (suppression de l’effet automatique). De plus, les fériés n’ont
aucune importance. Dès lors, certains pouvoirs adjudicateurs s’arrangent
pour notifier le 23 décembre afin de profiter de l’absence de soustraction des
jours fériés. Il s’agit alors de voir les autres procédures.
Dès que les seuils internationaux sont franchis, on applique alors la LMP et la
procédure est la procédure ordinaire (sauf cas exceptionnels). En-dessous,
on se trouve dans le domaine de l’ordonnance (il n’y a aucune obligation
internationale : une ordonnance suffit) et les procédures varient dès lors
selon les cas (ordonnance). La deuxième procédure est la procédure de
sélection : on publie quelques informations sommaires. L’entreprise doit alors
déposer une candidature et non une offre : il s’agit d’un dossier présentant
l’entreprise. Au final, une décision de sélection est notifiée pour sélectionner
certaines entreprises. Il est évidemment impossible de ne sélectionner qu’une
seule entreprise (au moins 3 : art. 15 LMP et 12 OMP). Une fois la sélection
IUR III 2012-2013 89
Jérémy Stauffacher Droit Public
réglée, la procédure se poursuit de manière ordinaire. Naturellement, il n’y
aura pas de publication de l’offre : les soumissionnaires sont sélectionnés. La
procédure sélective est grave car l’État risque un recours contre la sélection.
La troisième est dernière procédure est la procédure sur invitation (ou
procédure invitant à soumissionner : art. 35 OMP). Il s’agit d’une procédure
sélective modifiée : certains soumissionnaires sont choisis directement par
l’État : il n’y a pas d’appel de dossiers (invitation). Au-dessus de 8,7 millions, il
y a marché internationale (procédure ouverte : la LMP ne prévoit qu’une seule
procédure), entre 8,7 millions et 2 millions, il y a marché nationale avec
procédure ouverte ou sélective (les art. 32 ss OMP s’appliquent : il s’agit d’un
autre marché) et en dessous de 2 millions, il est possible de prévoir une
procédure sur invitation, voire de gré à gré. Cette procédure sur invitation
pose de multiples problèmes : l’adjudicateur choisit unilatéralement qui est
invité à faire une offre, selon ses propres critères. Celui qui n’est pas inviter à
faire une offre n’a aucun droit de recours (sauf plainte) : il n’y a pas de droit à
être inviter (l’invitation n’est pas une décision administrative). Pour éviter que
la concurrence ne soit faussée, on a voulu créer un registre des invités mais
cette liste fut un échec retentissant (différence entre les marchés).
Une fois l’adjudication effectuée, des recours sont possibles suivant les cas
(marché communal : préfet, TC, TF). Pendant cette phase de recours, l’effet
suspensif est demandé (art. 28 LMP). Parfois tout de même, tel n’est pas le
cas (le recours sert uniquement à faire constater que le choix était inopportun
afin de ne pas salir l’image de l’entreprise). Lorsqu’il est accordé, il n’est pas
possible de conclure le contrat (ni donc de commencer les travaux). Pendant
le délai de recours par contre, il se peut que l’État conclut le contrat (il n’est
pas possible de demander l’effet suspensif pendant le délai). Pour éviter cela,
la jurisprudence a créé la clause de blocage de l’état de fait (Standstill) : tout
est bloqué durant le délai de recours. Il y a donc interdiction de conclure le
contrat pendant le délai (jurisprudentielle ou légale). Il existe tout de même
une exception au moment du recours au TF : si le TC confirme l’adjudication,
il n’y a plus de clause de Standstill durant la phase précédant le recours au
TF (il reste possible de demander l’effet suspensif par mesure provisionnelle).
Quand tous les recours sont épuisés ou qu’il n’y a pas d’effet suspensif, la
IUR III 2012-2013 90
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conclusion du contrat est possible : on passe alors en droit privé. C’est donc
le CO qui s’applique pour la conclusion du contrat. Le problème concerne
notamment la forme du contrat. Si le contrat est conclu pendant la procédure
de recours (absence d’effet suspensif ou rejet de la demande d’un tel effet),
l’art. 32 al. 2 LMP s’applique et le tribunal se limite à constater dans quelle
mesure la loi est violée : l’annulation de l’adjudication n’est en principe plus
possible. Dès lors, le contrat se poursuit et peut être exécuté. Le
soumissionnaire évincé le recours pourra demander des dommages-intérêts
(art. 34 LMP). Pour obtenir des dommages-intérêts, une procédure doit être
lancée. Dans un cas concret, un avocat recourait contre l’adjudication de la
piscine de Neuchâtel. Ayant gagné au TF, il pense demander tous les frais
d’avocats (art. 34 al. 2 LMP), ce qui nécessite une nouvelle procédure. Ainsi,
une action en responsabilité de l’État (première instance) doit être ouverte.
Aujourd’hui, aucune jurisprudence n’existe concernant ce point. Il est par
contre impossible de réclamer des dommages-intérêts positifs pour l’éviction :
le soumissionnaire évincé pourrait alors réclamer le bénéfice qu’il aurait pu
réalisé (gain manqué). Les dommages-intérêts négatifs concernent la perte
éprouvée. Les coûts d’opportunité ne sont pas couverts non plus : l’argent qui
n’a pas pu être obtenu n’est pas pris en compte. Selon l’art. 34 al. 2 LMP,
seules les dépenses comptent (frais nécessaires à l’offre et frais d’avocats).
Pour terminer, nous dirons quelques mots sur l’art. 13 OMP. Les concours
d’architecture sont une autre procédure : ils sont un peu réglementés et ne
doivent pas être confondus avec les procédures de gré à gré. Le concours est
utile lorsque l’État ne sait pas ce qu’il veut. Pour faire un appel d’offres, il faut
qu’un projet existe déjà : dès lors, il faut qu’un architecte ait déjà réalisé des
plans et qu’un ingénieur ait concrétisé ces plans. Lorsqu’on ne dispose que
d’un terrain sur lequel on veut construire un hôpital, on ne dispose qu’un
programme des travaux, nécessitant l’ouverture d’une procédure donnant aux
participants la mission de concevoir le projet. L’art. 13 lit. l OMP prévoit qu’il
est possible de donner à l’architecte lauréat du concours les marchés
subséquents (planification de détail et surveillance des travaux). Il s’agit d’un
cas de marchés subséquents : le concours débouche sur la planification et
sur la surveillance des travaux. Pour pouvoir adjuger de gré à gré (les autres
IUR III 2012-2013 91
Jérémy Stauffacher Droit Public
pays prévoient un appel d’offres public à la suite du concours, au contraire de
la Suisse), 3 conditions doivent alors être remplies (art. 13 lit. l ch. 1-3 OMP) :
- La procédure doit avoir respecté la loi : le concours doit donc avoir été
ouvert à tous (participation non fermée : ouverte à tous).
- Le jury doit être indépendant : ce n’est pas l’État qui choisit.
- Il faut avoir annoncé dans le concours que celui qui a gagné le
concours obtiendra alors de gré à gré la planification et la surveillance
des travaux. Or, pour la construction de l’Université, l’État a oublié de
préciser que le gagnant recevrait les tâches. Le TC a admis le recours.
Chapitre 1. L’aménagement du territoire...............................................................................1§1. Généralités sur le droit public de la construction.....................................................................1§2. Introduction à l’aménagement du territoire..............................................................................2
I. Définitions et sources..........................................................................................................................................2II. Contenu et instruments.....................................................................................................................................4III. Les limites constitutionnelles........................................................................................................................6
IUR III 2012-2013 92
Jérémy Stauffacher Droit Public
a. La garantie de la propriété..............................................................................................................................................6b. La liberté économique......................................................................................................................................................7c. L’égalité de traitement......................................................................................................................................................8d. Les droits politiques..........................................................................................................................................................8
§3. Les plans................................................................................................................................................10I. Généralités.............................................................................................................................................................10II. Les plans directeurs.........................................................................................................................................12III. Les plans d’affectation...................................................................................................................................14IV. La coordination des plans............................................................................................................................16
§4. Les zones...............................................................................................................................................17I. Généralités.............................................................................................................................................................17II. La zone à bâtir (art. 15 LAT).........................................................................................................................18III. La zone agricole (art. 16 ss LAT)...............................................................................................................19IV. Les autres zones (art. 17-18 LAT).............................................................................................................20
§5. Les autorisations et la police des constructions.....................................................................21I. Généralités.............................................................................................................................................................21II. Les autorisations (art. 22-23 LAT).............................................................................................................22III. La procédure en matière d’autorisation................................................................................................29IV. La police des constructions..........................................................................................................................30
§6. Procédures, remise en état et expropriations.........................................................................34I. Garanties de procédure et voies de droit.................................................................................................34II. La procédure de remise en état...................................................................................................................37III. L’expropriation formelle...............................................................................................................................40IV. L’expropriation des droits du voisinage................................................................................................44V. L’expropriation matérielle.............................................................................................................................47
Chapitre 2. La protection de l’environnement....................................................................50§7. Notions et principes..........................................................................................................................50
I. Les sources.............................................................................................................................................................50II. Les mécanismes de protection....................................................................................................................53
§8. La protection contre les immissions...........................................................................................53I. La double limitation des émissions (art. 11 al. 1 LPE)........................................................................53II. La limitation préventive (art. 11 al. 2 LPE)............................................................................................55III. La limitation plus sévère (art. 11 al. 3 LPE).........................................................................................56IV. L’assainissement (art. 16 LPE)...................................................................................................................58
Chapitre 3. Droit économique...................................................................................................59§9. Généralités............................................................................................................................................59
I. Les concepts et leurs délimitations.............................................................................................................59II. Panorama général de l’intervention étatique.......................................................................................59III. La politique économique en droit fédéral.............................................................................................61
§10. La liberté économique...................................................................................................................62I. La notion.................................................................................................................................................................62II. Le contenu............................................................................................................................................................67III. Les titulaires.......................................................................................................................................................68IV. Les restrictions..................................................................................................................................................69
§11. Le monopole et la concession......................................................................................................72I. Le monopole..........................................................................................................................................................72II. La concession......................................................................................................................................................74
§12. Les redevances.................................................................................................................................77§13. Les marchés publics........................................................................................................................80
I. Notion.......................................................................................................................................................................80II. Législations..........................................................................................................................................................82
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