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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 1 CHAPITRE 08 COAGULATION, ANTICOAGULATION ET HEMOSTASE EN CHIRURGIE CARDIAQUE Mises à jour : Janvier 2017 Table des matières Introduction 3 Physiopathologie de l’hémostase 4 Cascade de la coagulation 5 Voie cellulaire 6 Systèmes régulateurs 14 Inflammation et complément 17 Hypercoagulabilité périopératoire 20 Les anticoagulants 24 Anti-thrombine indirects, héparines 28 Agents anti-thrombine directs 33 Agents anti-Xa directs 35 Agents anti-vitamine K 40 Antiplaquettaires et statines 41 Monitorage 43 Thrombocytopénie (HIT) 46 Chirurgie sous anticoagulants 51 Définition des risques 51 Gestion périopératoire 56 Antagonisme 63 Substitution 69 Coagulation en chirurgie cardiaque 74 Traitement préopératoire 74 Tests peropératoires (POC) 78 Coagulopathie peropératoire 86 Hémothérapie peropératoire 99 Epargne sanguine et transfusion 100 Normalisation des plaquettes 104 Facteurs de coagulation 107 Agents antifibrinolytiques 115 Thérapie anti-inflammatoire 118 Aspects techniques CEC 121 Conclusions 123 Précis d’Anesthésie Cardiaque PAC 5

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 1

CHAPITRE 08

COAGULATION, ANTICOAGULATION ET HEMOSTASE

EN CHIRURGIE CARDIAQUE

Mises à jour : Janvier 2017

Table des matières Introduction 3 Physiopathologie de l’hémostase 4 Cascade de la coagulation 5

Voie cellulaire 6 Systèmes régulateurs 14 Inflammation et complément 17 Hypercoagulabilité périopératoire 20 Les anticoagulants 24 Anti-thrombine indirects, héparines 28

Agents anti-thrombine directs 33 Agents anti-Xa directs 35 Agents anti-vitamine K 40 Antiplaquettaires et statines 41

Monitorage 43 Thrombocytopénie (HIT) 46 Chirurgie sous anticoagulants 51

Définition des risques 51 Gestion périopératoire 56 Antagonisme 63

Substitution 69 Coagulation en chirurgie cardiaque 74 Traitement préopératoire 74

Tests peropératoires (POC) 78 Coagulopathie peropératoire 86 Hémothérapie peropératoire 99

Epargne sanguine et transfusion 100 Normalisation des plaquettes 104 Facteurs de coagulation 107 Agents antifibrinolytiques 115 Thérapie anti-inflammatoire 118 Aspects techniques CEC 121 Conclusions 123

Précis d’Anesthésie Cardiaque

PAC 5 •

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 2

Auteurs Pierre-Guy CHASSOT Ancien Privat-Docent, Maître d’enseignement et de recherche, Faculté

de Biologie et de Médecine, Université de Lausanne (UNIL), CH - 1005 Lausanne Ancien responsable de l’Anesthésie Cardiovasculaire, Service d’Anesthésiologie, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV), CH - 1011 Lausanne

Carlo MARCUCCI Responsable de l’Anesthésie Cardiovasculaire, Service

d’Anesthésiologie, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV), CH - 1011 Lausanne

Former Assistant Professor of Anesthesiology, Duke University, Durham (USA)

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 3

Introduction Une certaine maîtrise des problèmes de la coagulation, de l’anticoagulation et de l’hémostase est nécessaire à l’anesthésiste pour gérer correctement une opération de chirurgie cardiaque, parce que toute utilisation de circuits extracorporels implique d’anticoaguler le patient, et parce que toute chirurgie déclenche une réaction d’hypercoagulabilité et un syndrome inflammatoire qui sont proportionnels au stress physiologique de l’intervention. De plus, nombreux sont les patients qui sont sous anticoagulants ou antiplaquettaires en préopératoire, aussi bien en chirurgie cardiaque qu’en chirurgie non-cardiaque. Ce chapitre est un exposé succinct des données utiles au clinicien pour comprendre les phénomènes coagulatoires et pour maîtriser les problèmes liés à l’anticoagulation, en chirurgie cardiaque comme en chirurgie générale. Il est directement lié à quatre autres chapitres de cet ouvrage:

Chapitre 07: la circulation extracorporelle (Chapitre 7); Chapitre 21: les coagulopathies congénitales et acquises (Maladies hématologiques) ; Chapitre 28: l’épargne sanguine et la transfusion (Chapitre 28). Chapitre 29: les antiplaquettaires (Chapitre 29)

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 4

Physiopathologie de l’hémostase Un rappel succinct des phénomènes physiologiques de la coagulation est utile à la compréhension de l’anticoagulation, obligatoire pour tous les circuits extracorporels, et à la prise en charge des malades souffrant de coagulopathies, que ce soit en chirurgie cardiaque ou en chirurgie non-cardiaque, en soins intensifs ou au déchocage. La coagulation dans l’évolution animale Les invertébrés les plus développés possèdent déjà un système simple pour assurer l’hémostase. Chez les crabes, par exemple, une lésion vasculaire provoque l’agrégation des hémocytes circulants et la formation d’un gel protéique (coaguline) obtenu par clivage d’une protéine circulante (coagulogène) sous l’effet d’une protéase sérique (coagulase localisée dans les granules des hémocytes) [3]. On retrouve là un schéma simplifié mais identique à celui de la cascade de la coagulation telle qu’on la connaît chez les mammifères. Il est rendu nécessaire parce que le sang est devenu le principal transporteur d’oxygène (ce qui n’est pas le cas chez les insectes, par exemple) et parce que la pression artérielle est plus élevée (40-60 mmHg) chez les invertébrés supérieurs (crabes, poulpes) ; il est donc impératif de colmater rapidement les brèches de l’arbre vasculaire. Les ancêtres des vertébrés sont les chordés (voir Annexe C, page 3), qui sont actuellement représentés par des poissons primitifs dont sont issues les lamproies, apparues il y a 450 millions d’années. Ces animaux possèdent déjà une cascade coagulatoire pratiquement identique à celle des mammifères. Ce système s’est donc mis en place dès la bifurcation entre les invertébrés et les vertébrés, durant la période de – 550 à – 450 millions d’années. Il consiste en une chaîne d’activations successives de facteurs qui circulent dans le plasma à l’état inactivé et soluble, mais qui peuvent donner naissance à de la fibrine lorsqu’une rupture endothéliale entraîne l’agrégation de plaquettes au niveau de la lésion. Cette réaction doit rester localisée à la zone pathologique afin d’en assurer l’imperméabilité, ce qui est impératif à cause de la pression artérielle élevée (60 à 150 mmHg), mais elle ne doit pas se disséminer dans tout l’arbre vasculaire. Un certain nombre d’éléments empêche le sang de coaguler inopinément [1].

Un courant sanguin laminaire. Un endothélium intact. Un excès relatif de substances antiplaquettaires et anticoagulatoires sécrétées par

l’endothélium; presque chacune des étapes de la coagulation possède sont inhibiteur plasmatique.

Des facteurs de la coagulation circulant à l’état inactif et soluble. La nécessité d’un stimulus local pour déclencher la coagulation. Le développement de la cascade coagulatoire uniquement sur des surfaces cellulaires

adéquates (plaquettes). La présence de protéases sériques capables de dégrader des facteurs activés qui se seraient

échappés dans la circulation générale. Tout ce système complexe fonctionne sur un équilibre dynamique entre agents procoagulants et agents anticoagulants. Références 1 ADAMS RLC, BIRD RJ. Review article: Coagulation cascade and therapeutic update: Relevance to nephrology. Part I: Overview

of coagulation, thrombophilia and history of anticoagulants. Nephrol 2009; 14:462-70 3 AIRD WC. Hemostasis and irreducible complexity. J Thrombosis Haemost 2003 ; 1 :227-30

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 5

Cascade de la coagulation Le concept d’une cascade de réactions successives dans laquelle chaque élément devient l’enzyme ou le cofacteur nécessaire à la réaction suivante date de 1964 [1]. Il a permis d’éclaircir l’enchaînement des étapes qui ont lieu dans un tube in vitro. Il est basé sur l’existence d’une voie intrinsèque, purement sérique, et d’une voie extrinsèque initiée par une lésion endothéliale. Ces deux voies se rejoignent en une voie commune pour aboutir à la formation de fibrine. De manière simplifiée, les réactions sont les suivantes (Figure 8.1). Figure 8.1: Cascade de la coagulation dans sa représentation classique. Elle ne tient compte que des facteurs sériques tels qu’ils peuvent être testés in vitro, mais est très utile pour comprendre l’utilité des différents tests de coagulation. Elle est répartie en voie intrinsèque, purement sérique, et en voie extrinsèque, initiée par une lésion endothéliale. Ces deux voies se rejoignent en une voie commune au niveau du facteur Xa (FXa). La plupart des facteurs forment une cascade enzymatique, alors que les facteurs V et VIII sont des cofacteurs pour les facteurs X et IX respectivement. TTPa: temps de thromboplastine activé (aPTTt actvated partial thromboplastin time); évalue la voie intrinsèque et la voie commune. TP: temps de prothrombine; évalue la voie extrinsèque et la voie commune. FT: facteur tissulaire [2,3].

Voie intrinsèque: l’activation du facteur XII (facteur Hageman) en F XIIa conduit à celle du facteur XI puis du facteur IX; associé au facteur VIIIa, ce dernier active le facteur X. Ce facteur Xa est au centre de la cascade, à la jonction des trois voies.

Voie extrinsèque: le facteur tissulaire (FT) est un élément déclencheur qui se trouve dans des tissus (fibrocytes, collagène) normalement extérieurs à l’endothélium vasculaire et protégés du sang par celui-ci; il active le facteur VIIa et fonctionne comme son récepteur.

Fibrine

Voie intrinsèque

Voie extrinsèque

Voie commune

Tests:

TTPa TP

VIII

XII XIIa

V

II IIa

VII

Prothrombine Fibrinogène

XI XIa

IX IXa +

VIIIa

X Xa +

Va

X

VIIa +

FT

Thrombine

Lésion

Ca2+

© Chassot 2013

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 6

Voie commune: le facteur Va est le cofacteur du facteur Xa; ensemble, ils forment le complexe prothrombinase qui va transformer la prothrombine (facteur II) en thrombine (facteur IIa). Cette dernière est l’élément final qui transforme le fibrinogène soluble en un gel de fibrine.

Le temps de thromboplastine activé (aPTT, activated partial thromboplastin time) reflète le fonctionnement des éléments de la voie intrinsèque et de la voie commune, alors que le temps de prothrombine (TP) traduit celui de la voie extrinsèque et de la voie commune. Les deux voies intrinsèque et extrinsèque ne sont pas indépendantes l’une de l’autre et ne peuvent pas se remplacer l’une l’autre lorsqu’un facteur est insuffisant, comme lors de déficience en facteur IX (voie intrinsèque) ou en facteur VII (voie extrinsèque). Le complexe FT-FVIIa peut activer aussi bien le facteur X que le facteur IX, mais il ne peut pas compenser un manque en complexe IXa/VIIIa [181]. Bien qu’elle explique correctement la coagulation in vitro, cette cascade n’est pas appropriée à la situation in vivo, dans laquelle les thrombocytes et l’endothélium jouent un rôle capital.

Cascade de la coagulation

La cascade de la coagulation illustre un enchaînement de facteurs sériques s’activant les uns les autres in vitro. Elle comprend une voie intrinsèque, purement sérique, et une voie extrinsèque, dont l’origine est une lésion tissulaire. Ces deux voies convergent vers une voie commune aboutissant à la formation de thrombine et à la transformation de fibrinogène en fibrine. Le PTT reflète le fonctionnement des éléments de la voie intrinsèque et de la voie commune, alors que le TP traduit celui de la voie extrinsèque et de la voie commune. Cette cascade explique bien les évènements qui ont lieu dans le sang isolé à l’intérieur d’un tube, mais elle rend mal compte de ce qui se passe à l’intérieur d’un vaisseau.

Références 1 DAVIE EW, RATNOFF OD. Waterfall sequence for intrinsic blood clotting. Science 1964; 164:1310-2 2 HOFFMAN M, MONROE DM. A cell-based model of hemostasis. Thromb Haemost 2001; 85:958-65 3 ROBERTS HR, MONROE DM, ESCOBAR MA. Current concepts of hemostasis. Anesthesiology 2004: 100:722-30 Voie cellulaire Une nouvelle conception a vu le jour il y a une quinzaine d’années, basée sur le rôle prépondérant des éléments cellulaires [3,5]. Elle permet de mieux comprendre comment la coagulation reste localisée au vaisseau lésé sans se répandre instantanément dans tout l’arbre vasculaire. Elle est basée sur le rôle déclencheur du facteur tissulaire (FT) mis à nu par une lésion endothéliale et sur celui du complexe FT/VIIa ancré à une cellule pariétale normalement abritée du courant sanguin par l’endothélium [4]. Elle implique deux types de cellules:

La cellule tissulaire porteuse du FT (fibrocytes, myocytes, lipocyte, mononucléaire, macrophage, collagène);

Le thrombocyte circulant, qui offre une surface phospholipique chargée négativement pour l’ancrage des facteurs de la coagulation.

La voie cellulaire comprend trois phases se recoupant partiellement: l’initiation, l’amplification et la propagation.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 7

Initiation Le contact entre deux types de cellules normalement séparées, les cellules sous-endothéliales et les thrombocytes, est la clef qui amorce le démarrage de la coagulation. Les cellules porteuses du FT entrent en relation avec les éléments sanguins lors d’une lésion endothéliale (traumatisme, rupture de plaque instable). Le FT, une glycoprotéine transmembranaire de 47’000 Da, active le facteur VII (FVIIa), qui lui adhère immédiatement. Ce complexe FT/VIIa active à son tour les facteurs IX (FIXa) et X (FXa). Ce dernier s’associe à son cofacteur, le facteur Va, qu’il a lui-même activé; le calcium (Ca2+) est requis pour cette séquence. L’ensemble Va/Xa forme le complexe prothrombinase, fixé à la cellule pariétale porteuse du FT. Ce complexe déclenche la transformation de la prothrombine (facteur II) en thrombine (facteur IIa) (Figure 8.2). Cette phase dure 5-7 minutes. Figure 8.2: Phase d’initiation. Les cellules porteuses du facteur tissulaire (FT) sont mises au contact du sang lors d’une lésion endothéliale (traumatisme, rupture de plaque instable). Le FT active le facteur VII (fVIIa), qui lui adhère immédiatement. Ce complexe TF/VIIa active à son tour les facteurs IX (fIXa) et X (fXa). Ce dernier s’associe à son cofacteur, le facteur Va, qu’il a lui-même activé. L’ensemble Va/Xa forme le complexe prothrombinase, fixé à la cellule pariétale. Ce complexe déclenche la transformation de la prothrombine (facteur II) en thrombine (facteur IIa), en quantité encore minime pendant cette phase. A ce stade, la thrombine apparaît en quantités minimes (concentration picomolaire) et ne conduit pas à la formation d’un caillot, car les thrombocytes, le facteur VIII et le facteur von Willebrand ne sont pas encore activés. Ils circulent dans le sang sous forme soluble et inactive. L’enchaînement décrit jusqu’ici reste localisé au niveau de la lésion endothéliale. Les molécules de facteur Xa qui s’échappent dans le courant sanguin sont rapidement inhibées par l’antithrombine (AT III), alors que le facteur IXa est bloqué beaucoup plus lentement par l’AT III. La prolifération du complexe FT/VIIa est limitée par son inhibiteur circulant (TFPI, tissue factor pathway inhibitor) (voir Systèmes régulateurs). Amplification La phase d’amplification se déroule à la surface des plaquettes. Elle ne commence que lorsque la lésion vasculaire est suffisante pour que les plaquettes soient activées et que le facteur von Willebrand

Endothélium

Collagène

Thrombine (minime quantité)

Lésion © Chassot 2013

FT VIIa

FT VIIa

IX

IXa

V

Va

Xa

II

FT

VII

VIIa

Va

IIa

Lésion

X

Xa

Fibrocytes, myocytes

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 8

franchisse la barrière endothéliale et adhère aux cellules porteuses de FT. La petite quantité de thrombine formée pendant la phase d’initiation a plusieurs fonctions (Figure 8.3) [3,5]. Figure 8.3: Phase d’amplification. La petite quantité de thrombine formée pendant la phase d’initiation a plusieurs fonctions: 1) activation de plaquettes par stimulation de leurs récepteurs à la thrombine (PAR1); 2) activation du facteur V des thrombocytes; le fVa se lie au fXa produit localement pour former un complexe prothrombinase (Va/Xa); 3) activation du facteur XI des plaquettes (XIa); 4) dissociation du complexe circulant formé par le facteur VIII et le facteur von Willebrand (VIII/FvW). La présence de complexe prothrombinase (Va/Xa) à la surface des plaquettes crée un système amplificateur (Ampl), puisqu’il transforme la prothrombine (fII) en thrombine (fIIa), elle-même à l’origine de l’activation plaquettaire. FT: facteur tissulaire.

Activation des plaquettes par stimulation de leurs récepteurs à la thrombine (PAR-1, protease-activated receptor-1); elles changent de forme et développent des spicules.

Activation du facteur V des thrombocytes, dont la forme activée (Va) apparaît à leur surface; le FVa se lie au FXa produit localement pour former un complexe prothrombinase (Va/Xa).

Activation du facteur XI des plaquettes (XIa). Dissociation du complexe circulant formé par le facteur VIII et le facteur von Willebrand

(VIII/FvW); le FvW, également présent dans les tissus sous-endothéliaux, permet l’adhésion de la plaquette sur le site de la lésion vasculaire par son récepteur GP Ib/V/IX. Le facteur VIIIa reste lié à la surface plaquettaire.

La présence de complexe prothrombinase (Va/Xa) à la surface des plaquettes crée un système amplificateur, puisqu’il transforme la prothrombine en thrombine, elle-même à l’origine de l’activation plaquettaire. Cette rétro-action positive augmente exponentiellement le nombre de plaquettes activées au niveau de la lésion vasculaire. La présence de calcium (Ca2+) est requise pour que le complexe prothrombinase (Va/Xa) convertisse la prothrombine en thrombine. La position centrale du facteur Xa comme déclencheur de l’amplification explique l’impact qu’ont sur la coagulation les substances qui l’inhibent directement, comme le rivaroxaban ou l’apixaban.

Endothélium

Collagène

Plaquette

V

VIII-FvW

VIIIa +

FvW PAR1 Va

Xa

Ampl

XIa

XI

Pl activée

Thrombine (grande quantité)

Lésion © Chassot 2013

FT VIIa

FT VIIa

IX

IXa

V

Va

II

FT

VII

VIIa IIa

Lésion

X

Xa

Fibrocytes, myocytes

Xa

Va

Fibrocytes, myocytes Fibrocytes, myocytes Fibrocytes, myocytes Fibrocytes, myocytes Fibrocytes, myocytes Fibrocytes, myocytes

Endothélium

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Propagation La phase de propagation est caractérisée par la formation de fibrine et par l’installation d’un caillot au niveau de la lésion endothéliale. Elle a lieu à la surface des plaquettes (Figure 8.4) [3,5]. Figure 8.4: Phase de propagation, caractérisée par la formation de fibrine et par l’installation d’un caillot au niveau de la lésion endothéliale. Elle a lieu à la surface des plaquettes: 1) liaison du facteur IXa produit pendant la phase d’initiation, avec le facteur VIIIa dissocié du facteur von Willebrand (complexe IXa/VIIIa ou complexe ténase); 2) production de davantage de facteur Xa par le complexe IXa/VIIIa; 3) liaison du facteur Xa avec le facteur Va plaquettaire et formation de complexe prothrombinase Va/Xa en présence de Ca2+; 4) le facteur XIa favorise la formation de facteur IXa à la surface des thrombocytes, ce qui va augmenter l’apparition de facteur Xa; ce dernier a une place centrale dans la coagulaiton. Le résultat de cette activité est une flambée dans la production de thrombine (thrombin burst), assez puissante pour déclencher la transformation massive de fibrinogène en fibrine.

Liaison du facteur IXa produit pendant la phase d’initiation, avec le facteur VIIIa dissocié du facteur von Willebrand; ce complexe IXa/VIIIa (complexe ténase) est situé à la surface des plaquettes.

Production de davantage de facteur Xa par le complexe IXa/VIIIa. Liaison du facteur Xa avec le facteur Va plaquettaire et formation de complexe

prothrombinase Va/Xa. Le rôle du facteur XIa est de favoriser la formation de facteur IXa à la surface des

thrombocytes, ce qui va augmenter l’apparition de facteur Xa. Il existe donc plusieurs boucles rétroactives positives. Le résultat de cette activité est une flambée dans la production de thrombine (thrombin burst), assez puissante pour déclencher la transformation massive de fibrinogène en fibrine. La plaquette est l’élément central de cette phase, car elle seule offre la surface adéquate et le positionnement requis pour forger les complexes ténase et prothrombinase. La fixation des plaquettes activées et agréguées au niveau de la lésion endothéliale survient en parallèle à

Endothélium

Collagène

Plaquette

V

VIII-FvW

VIIIa +

FvW IXa VIIIa

PAR1 Va

Xa

Ampl

XIa

XI

Pl activée

Thrombine (quantité massive)

Lésion © Chassot 2013

FT VIIa

FT VIIa

IX

IXa

V II

FT

VII

VIIa

Va

IIa

Lésion

X

Xa

Fibrocytes, myocytes

X

Xa

Va

Xa

Ca2+

Fibrocytes, myocytes

Endothélium

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 10

la stimulation de la chaîne coagulatoire. La condition essentielle pour que ce système fonctionne est la présence d’une quantité suffisante de fibrinogène et de plaquettes. La thrombine produite en masse clive les molécules de fibrinogène en monomères de fibrine qui vont spontanément polymériser en un gel agglutinant les thrombocytes (uncross-linked fibrin). Chaque molécule de thrombine peut activer 1'000 molécules de fibrinogène. Le degré de stabilité finale de l’ensemble thrombocytes-fibrine, qui détermine la qualité de l’hémostase et la fin du saignement, dépend des conditions locales: pH, température, concentration de calcium (Ca2+), quantité de thrombine, de plaquettes, de fibrinogène et de facteur XIII [6]. C’est le facteur XIII activé par la thrombine et le Ca2+ (XIIIa) qui assure l’essentiel de cette stabilité (Figure 8.5). Il crée des ponts entre les éléments de fibrine (cross-linked fibrin) et les rigidifie [2]. Un second facteur de stabilisation est l’inhibiteur de la fibrinolyse activé par la thrombine (TAFIa, thrombin-activated fibrinolysis inhibitor), qui réduit les points d’attache pour la plasmine. Ces deux facteurs protègent le thrombus de la fibrinolyse. Figure 8.5: Formation de fibrine. Les plaquettes activées, fixées au niveau de la lésion endothéliale par le facteur von Willebrand (FvW) lié au récepteur GP Ib/V/IX, offrent son support mécanique à la chaîne coagulatoire. Elles sont agréguées par le lien entre leurs récepteurs GP IIb/IIIa et le fibrinogène (F). La thrombine (IIa) produite en masse clive les molécules de fibrinogène en monomères de fibrine qui vont spontanément polymériser en un gel agglutinant les thrombocytes (uncross-linked fibrin), dont le facteur XIIIa activé par la thrombine assure la stabilité; il crée des ponts entre les éléments de fibrine (cross-linked fibrin) et les rigidifie. Un second facteur de stabilisation est l’inhibiteur de la fibrinolyse activé par la thrombine (TAFIa, thrombin-activated fibrinolysis inhibitor), qui réduit les points d’attache pour la plasmine. Plaquettes Les plaquettes et les molécules de fibrinogène circulent de manière fluide dans le courant sanguin tant que l’endothélium est intact. Une rupture dans la continuité de ce dernier, qu’elle soit due à une brèche

Endothélium

Collagène

Lésion © Chassot 2013

FvW FT

Lésion

TAFI

Plaquette activée

Plaquette activée

FvW

Pl activée

Pl activée

Pl activée

F

F F

GPIb/V/IX GPIb/V/IX

GP2b/3a

GP2b/3a

GP2b/3a

GP2b/3a

GP2b/3a GP2b/3a

TAFIa

F

IIa

Fibrinogène

FXIII FXIIIa

Fibrine

Fibrocytes, myocytes

IIa

Thrombine (production

locale mais massive)

Thrombine

Fibrocytes, myocytes

Endothélium

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vasculaire ou à une rupture de plaque athéromateuse instable, met en contact avec le flux sanguin des éléments normalement camouflés dans la paroi du vaisseau : collagène, facteur von Willebrand (FvW), macrophages, lipides, etc. Ce phénomène va déclencher l’activation plaquettaire, qui procède en trois phases (Figure 8.6) [1]. Figure 8.6 : Activation des plaquettes et formation d’un thrombus plaquettaire (thrombus blanc) lors de lésion endothéliale mettant à nu le collagène normalement recouverts d’endothélium : plaquettes et facteurs inactivés (8.6 A), phase d’initiation (8.6 B) et phase d’extension (8.6 C). Les agents antiplaquettaires (aspirine, clopidogrel, etc) agissent en bloquant la phase d’activation (ou initiation) des plaquettes. Plaq* : plaquette activée.

© Chassot 2013

GPIb/V/IX von Willebrand

GPIb/V/IX von Willebrand

GPIb/V/IX

Endothélium

Activation

Fib

Activation

Plaquette

Plaquette

Plaquette

Collagène

Collagène Endothélium

Collagène

Endothélium

Fb

von Willebrand

TXA2 ADP

TXA2 ADP

Fib

Plaq*

Plaq*

Figure 8.6 A : Les plaquettes et les molécules de fibrinogène (F) circulent fluidement dans le courant sanguin tant que l’endothélium est intact. Le récepteur GP Ib/V/IX rest inactivé ; le facteur von Willebrand est à l’intérieur de la paroi vasculaire. Le sang n’a aucun contact avec les éléments sous-endothéliaux tels le collagène ou les lipides.

Figure 8.6 B : Lorsque survient une lésion endothéliale, les plaquettes entrent en contact avec les lipides, avec le collagène et avec le facteur von Willebrand, ce qui active le récepteur GP Ib/V/IX et provoque une dégranulation plaquettaire ; la libération de thromboxane A2 (TXA2) et d’ADP active les plaquettes, qui adhèrent à l’endothélium lésé. Les plaquettes activées (Plaq*) dévelop-pent des spicules typiques.

Figure 8.6 C : La stimulation des récepteurs correspondants par la TXA2 et l’ADP active le récepteur GP IIb/IIIa plaquettaire qui se lie alors au fibrinogène circulant. Les molécules de fibrinogène forment des ponts entre plusieurs plaquettes et la chaîne ainsi formée amorce le bouchon plaquettaire (thrombus blanc).

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Phase d’initiation, pendant laquelle les plaquettes adhèrent à la lésion ; le facteur von Willebrand est un des éléments principaux qui fixent la plaquette à la lésion vasculaire ;

Phase d’extension, caractérisée par un recrutement et une agrégation d’autres plaquettes ; il se forme un thrombus blanc (plaquettes liées entre elles par des molécules de fibrinogène) ;

Phase de perpétuation, marquée par la stabilisation du thrombus au moyen de la fibrine (thrombus rouge).

Lorsque survient une lésion endothéliale, les plaquettes entrent en contact avec le collagène et avec le facteur von Willebrand. La rencontre entre les structures sous-endothéliales et les thrombocytes circulants active spécifiquement le récepteur GP Ib/V/IX et provoque une dégranulation plaquettaire qui libère de la thromboxane A2 (TXA2), de l’adénosine-diphosphate (ADP) et de la thrombine. Ces substances stimulent à leur tour les récepteurs correspondants de chaque plaquette et ceux des thrombocytes voisins ; elles amplifient ainsi la réaction par recrutement de nouveaux éléments [7]. Les plaquettes activées changent de forme et développent des spicules typiques. La stimulation des récepteurs plaquettaires par la TXA2, l’ADP et la thrombine transmet un signal intracellulaire qui conduit à une hausse du Ca2+ ionisé sarcoplasmique et à une baisse de la production d’AMP cyclique (cAMP) ; ce phénomène active les quelques milliers de complexes GP IIb/IIIa situés à la surface de chaque plaquette. Une fois activés, ces derniers se lient au fibrinogène circulant. Cette liaison forme des ponts entre plusieurs plaquettes et devient la colle qui agglutine les thrombocytes entre eux. La chaîne ainsi formée amorce le bouchon plaquettaire, squelette du futur caillot. Lorsqu’elles sont stimulées, les plaquettes libèrent des agents activateurs de la coagulation (TXA2, ADP, sérotonine, thrombine) dont certains sont aussi des vasoconstricteurs locaux (TXA2, sérotonine), alors que l’endothélium sécrète des substances qui freinent l’activité plaquettaire et ont un effet vasodilatateur : le NO• (baisse du Ca2+ ionisé intracellulaire), la prostacycline PGI2 (augmentation du cAMP, modulation de la réponse au TXA2) et l’ecto-ADPase (suppression de la phase de recrutement plaquettaire). Terminaison Le caillottage doit rester limité à la zone de la lésion et ne pas se disséminer à tout l’arbre vasculaire. Plusieurs systèmes empêchent cette diffusion (voir Systèmes régulateurs) (Figure 8.7).

La thrombine est rapidement inactivée par l’antithrombine III (ATIII) et par la thrombomoduline (TM);

Le complexe TM-thrombine active la protéine C qui bloque les facteurs Va et VIIIa; Le complexe FT/VIIa est limité par son inhibiteur circulant (TFPI, tissue factor pathway

inhibitor) qui inhibe rapidement tout complexe circulant en-dehors de la zone lésée. A plus long terme, la fibrinolyse assure la dégradation progressive des amas de fibrine et la résorbtion du thrombus. Triade de Virchow La triade de Virchow (Rudolf Virchow, 1821-1902) résume les trois éléments en jeu dans la thrombose: la paroi vasculaire, le sang et le flux sanguin. La thrombose artérielle et la thrombose veineuse n’ont pas la même genèse et sont rarement simultanées [8].

Thrombose artérielle: elle est associée à une rupture de plaque athéromateuse qui met au contact du sang des éléments normalement abrités par l’endothélium: facteur tissulaire, collagène, macrophage, lipocytes, lipides. Le thrombus mural, initialement formé de

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plaquettes, crée une sténose qui provoque des forces de cisaillement (shear stress) et des turbulences, potentiellement génératrices de davantage de thrombus.

Thrombose veineuse: typiquement associée à une hypercoagulabilité, elle est liée à une activité procoagulante de l’endothélium suite à une stimulation inflammatoire; le ralentissement du flux sanguin y est un élément capital.

Figure 8.7: Limitation. Plusieurs systèmes empêchent la diffusion de la coagulation: 1) la thrombomoduline (TM) endothéliale inhibe la thrombine circulante; 2) le complexe TM-thrombine active la protéine C (Prot Ca) qui bloque les facteurs Va et VIIIa; 3) l’antithrombine III (AT III) inactive rapidement la thrombine et plus lentement le facteur IXa; 4) la prolifération du complexe FT/VIIa est limitée par son inhibiteur circulant (TFPI, tissue factor pathway inhibitor); 5) la fibrinolyse assure la dégradation progressive des amas de fibrine et la résorbtion du thrombus; elle est assurée par la plasmine issue du plasminogène sous l’action de la kallikréine, du facteur XIIa et de l’activateur endothélial (tPA, tissue plasmin activator). PG: prostaglandine. Références 1 ANGIOLILLO DJ, UENO M, GOTO S. Basic principles of platelet biology and clinical implications. Circ J 2010; 74:597-607 2 BAGOLY Z, KONCZ Z, MUSZBEK L. Factor XIII, clot structure, thrombosis. Thromb Res 2012; 129:382-7 3 HOFFMAN M. Remodeling the blood coagulation cascade. J Thromb Thrombolysis 2003; 16:17-20 4 HOFFMAN M. A cell-based model of coagulation and the role of factor VIIa. Blood Reviews 2003; 17 (Suppl 1):S1-S5 5 HOFFMAN M, MONROE DM. A cell-based model of hemostasis. Thromb Haemost 2001; 85:958-65 6 INNERHOFER P, KIENAST J. Principles of perioperative coagulopathy. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2010; 24:1-14 7 SAKHUJA R, YEH RW, BHATT DL. Antiplatelet agents in acute coronary syndromes. Curr Probl Cardiol 2010; 35:123-70 8 WOLBERG AS, ALEMAN MM, LEIDERMAN K, MACHLUS KR. Procoagulant activity in hemostasis and thrombosis:

Virchow’s triad revisited. Anesth Analg 2012; 114:275-85

Endothélium

Collagène

Lésion © Chassot 2013

FvW FT

Lésion

Plasmine Plaquette activée

Plaquette activée

F

F

GPIb/V/IX

GP2b/3a

GP2b/3a

GP2b/3a

IIa

IIa IIa

AT III

TM

tPA

PGI2 NO

Plasminogène

Thrombine

Thrombo- moduline

AT, TM TFPI

VIIa

TFPI

TM

Thrombo- moduline

Prot Ca Prot C

Inhibition

Xa

VIIIa

Fibrocytes, myocytes

Kallicréine XIIa

Fibrocytes, myocytes

Endothélium

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Voie cellulaire de la coagulation

La coagulation se déroule en 3 phases (initiation, amplification et propagation) qui se développent à la surface de deux types de cellules : - Cellules extravasculaires normalement isolée par l’endothélium (fibrocytes, macrophages) - Plaquettes circulantes activées 1 - La lésion endothéliale met des cellules porteuses du facteur tissulaire (FT) au contact du sang. La chaîne de la coagulation est activée (initiation) : - Formation de complexe FT/FVIIa (voie extrinsèque) - Activation du facteur X en F Xa - Formation de complexe Xa/Va (complexe prothrombinase) - Transformation de la prothrombine (facteur II) en thrombine (F IIa) (quantité minime) 2 - La petite quantité de thrombine formée a plusieurs effets (amplification) : - Activation de plaquettes - Libération de F VIIIa (à partir de complexe avec le facteur von Willebrand) - Activation de facteur V plaquettaire en F Va et de F IX en F IXa - Formation de complexe Xa/Va (complexe prothrombinase) - Rétroaction positive sur la transformation de F II en F IIa (thrombine) (grande quantité) 3 - La thrombine est produite en masse ; elle transforme le fibrinogène en fibrine, qui forme un caillot avec les plaquettes (propagation) : - Formation de complexe IXa/VIIIa (voie intrinsèque) - Formation de davantage de complexe Xa/Va (complexe prothrombinase) - Rétroaction positive avec formation massive de F Xa et de thrombine - Clivage du fibrinogène en fibrine, qui polymérise et forme un gel englobant les plaquettes L’agrégation des plaquettes procède également en 3 phases : - Adhésion à la lésion vasculaire par les récepteurs GP Ib/V/IX - Recrutement de plaquettes et agrégation par liaison entre le récepteur GB IIb/IIIa et les molécules de fibrinogène (thrombus blanc) - Stabilisation par la fibrine (thrombus rouge)

Systèmes régulateurs Il est capital que la réaction coagulatoire ne s’emballe pas. Elle doit rester localisée à l’endroit de la lésion vasculaire afin de stopper l’hémorragie, mais ne doit en aucun cas provoquer des thromboses intempestives disséminées dans tout l’arbre vasculaire. Plusieurs mécanismes permettent ce contrôle (voir Figure 8.7).

La fibrinolyse; Les inhibiteurs circulants; L’activité endocrine des plaquettes; L’endothélium vasculaire sain; La contrainte pour la chaîne coagulatoire de se dérouler à la surface de plaquettes activées par

la lésion endothéliale.

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Fibrinolyse Une fois l’hémostase réalisée et la paroi vasculaire étanche, le thrombus doit disparaître. La fibrinolyse consiste en un clivage de la fibrine en fragments sans activité coagulatoire (D-dimères). Elle est réalisée par la plasmine, transformée à partir du plasminogène circulant par deux déclencheurs principaux [1].

L’activateur tissulaire du plasminogène (t-PA, tissue plasminogen activator), synthétisé dans l’endothélium vasculaire en réponse au thrombus et à la stase;

L’activateur sérique du plasminogène, ou urokinase (u-PA, urokinase plasminogen activator), activé à partir de la pro-urokinase par la plasmine, le facteur XIIa et la kallikréine ; il se rencontre en plus grande quantité dans le système urinaire.

La fibrinolyse est également contrôlée par deux systèmes freinateurs: des inhibiteurs de l’activation du plasminogène (plasminogen activator inhibitors PAI-1 et PAI-2), et l’inhibiteur de la fibrinolyse activé par la thrombine (TAFI, thrombin-activated fibrinolysis inhibitor) qui réduit les points d’attache pour la plasmine. La fibrinolyse peut elle aussi déraper et devenir excessive, au point que la plasmine dégrade également le fibrinogène. Elle est donc régulée par un inhibiteur de ses activateurs spécifiques. Dans les cas cliniques, elle peut être freinée par des agents antifibrinolytiques comme l’aprotinine, l’acide tranexamique ou l’acide ε-aminocaproïque. L’acide tranexamique et l’acide ε-aminocaproïque se fixent sur la lysine du plasminogène et bloquent l'activation de la plasmine. L’aprotinine est un inhibiteur non spécifique des protéases, qui bloque directement la plasmine. En chirurgie cardiaque, ces substances diminuent les pertes sanguines de 30% et les reprises pour hémostase de 60% [2,6]. Inhibiteurs Comme on l’a déjà mentionné, plusieurs mécanismes associés à la cascade coagulatoire jouent un rôle capital pour limiter l’extension du caillot. Lorsqu’ils s’échappent dans la circulation, les facteurs de coagulation sont ainsi rapidement maîtrisés [1,5,7].

La prolifération du complexe FT/VIIa en-dehors de la lésion endothéliale est limitée par son inhibiteur circulant (TFPI, tissue factor pathway inhibitor), essentiellement produit par l’endothélium; il inhibe rapidement tout complexe s’échappant en-dehors de la zone lésée.

La thrombomoduline (TM) endothéliale inhibe la thrombine. Le complexe TM-thrombine active la protéine C et la protéine S qui bloquent les facteurs Va

et VIIIa. L’antithrombine III (AT III) inactive rapidement la thrombine et le facteur Xa, plus lentement

les facteurs IXa, XIa et XIIa; elle est responsable de plus de la moitié de l’effet inhibiteur total. L’héparine agit comme un cofacteur le l’AT III et rend la réaction inhibitrice de la thrombine 2’000 fois plus active.

La thrombine en excès est liée à la fibrine qui vient de se former (antithrombine I). Le facteur VIIIa est instable et se dissocie spontanément.

Endothélium L’endothélium est une couche cellulaire extrêmement active qui possède un rôle crucial dans la protection contre les thromboses. L’endothélium sécrète des substances qui freinent la coagulation et modifient la perfusion locale.

Inhibiteur du complexe FT/VIIa (TFPI, tissue factor pathway inhibitor). Activateur tissulaire de la plasmine (tPA): activation de la fibrinolyse.

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Thrombomoduline : inhibition des facteurs IIa (thrombine) et Xa. Récepteur de la protéine C : inhibition des facteurs Va et VIIIa. NO•: principal agent vasodilatateur distal (baisse du Ca2+ ionisé intracellulaire), inhibition de

l’agrégation plaquettaire. Prostacycline PGI2: augmentation du cAMP, diminution de l’agrégation plaquettaire. Ecto-ADPase: suppression de la phase de recrutement plaquettaire. Endothéline: vasconstricteur puissant, dont la sécrétion est stimulée par la thrombine,

l'angiotensine II, l'adrénaline et la vasopressine. Un endothélium malade réagit de manière pathologique. Lors de réaction inflammatoire majeure ou d’athéromatose, par exemple, la balance physiologique entre les effets du NO• et ceux de l’endothéline sont modifiés au profit d'une vasocontriction et d’une stimulation plaquettaire [9]. Ainsi, des stimuli qui entraînent normalement une vasodilatation (hypoxie, exercice et augmentation de la demande en O2, par exemple) peuvent conduire à une vascoconstriction et à une augmentation de l’adhésivité plaquettaire dans des vaisseaux artériosclérotiques. Dans certaines situations anormales, l’endothélium peut exprimer le facteur tissulaire (FT), et de ce fait devenir un déclencheur de la coagulation. C’est le cas dans l’exposition à certains lipopolysaccharides bactériens (sepsis), aux cytokines inflammatoires ou au LDL oxydé [1]. Par ailleurs, le FT est un composant majeur des plaques athéromateuses [8]. Plaquettes Lorsqu’elles sont stimulées, les plaquettes libèrent des agents activateurs de la coagulation (TXA2, ADP, sérotonine, thrombine) dont certains sont aussi des vasoconstricteurs locaux (TXA2, sérotonine), alors que l’endothélium sécrète des substances qui freinent l’activité plaquettaire et ont un effet vasodilatateur : NO•, prostacycline PGI2 et ecto-ADPase. La situation peut évoluer de deux manières différentes [4].

Prédominance des agents vasodilatateurs et inhibiteurs des plaquettes : résolution spontanée du thrombus ; la circulation est rétablie, mais la cicatrisation et la fibrose de la plaque athéromateuse accroissent progressivement sa taille.

Prédominance des agents vasoconstricteurs et stimulateurs des plaquettes comme le stress, la fumée ou l’inflammation : recrutement massif de thrombocytes et de facteurs de coagulation ; le thrombus devient occlusif et provoque une ischémie ou une nécrose distale.

L’activité endocrine opposée des plaquettes et de l’endothélium maintient un équilibre dynamique au niveau artériolaire. Mais certaines situations sont accompagnées d’une excitabilité plaquettaire exagérée : obésité, tabagisme, hyperlipidémie, hypercholestérolémie, hypertension artérielle, vieillissement, diabète, insuffisance rénale [3]. La balance penche alors en faveur de la thrombose.

Systèmes régulateurs de la coagulation

Plusieurs mécanismes permettent à la coagulation de rester cantonnée à l’endroit de la lésion vasculaire sans risque de dissémination : - Fibrinolyse : clivage de la fibrine par la plasmine - Inhibiteurs circulants : anti-thrombine (AT III), thrombomoduline (inhibiteur de thrombine) inhibiteur du complexe FT/VIIa - Dissociation spontanée : facteur VIIIa - Endothélium (action inhibitrice) : inhibition du complexe FT/VIIa, activation de plasmine, sécrétion de NO, de prostacycline PGI2, d’endothéline - Présence obligatoire de plaquettes : seule des plaquettes activées et localement fixées offrent une surface adéquate pour le déroulement de la cascade coagulatoire

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of coagulation, thrombophilia and history of anticoagulants. Nephrol 2009; 14:462-70 2 BROWN JR, BIRKMEYER NJO, O’CONNOR GT. Meta-analysis comparing the effectiveness and adverse outcomes of

antifibrinolytic agents in cardiac surgery. Circulation 2007; 125:2801-13 3 DAVI G, PATRONO C. Platelet activation and atherothrombosis. N Engl J Med 2007; 357:2482-94 4 FALK E, SHAH PK, FUSTER V. Coronary plaque disruption. Circulation 1995; 92:657-71 5 INNERHOFER P, KIENAST J. Principles of perioperative coagulopathy. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2010; 24:1-14 6 KOSTER A, SCHIRMER U. Re-evaluation of the role of antifibrinolytic therapy with lysine analogs during cardiac surgery in the

post aprotinin era. Curr Opin Anaesthesiol 2011; 24:92-7 7 MOSESSON MW. Update on antithrombin I (fibrin). Thromb Haemost 2007; 98:105-8 8 VILES-GONZALEZ JF, ANNAND SX, ZAFAR MU, et al. Tissue factor coagulation pathway: A new therapeutic target in

atherothrombosis. J Cardiovasc Pharmacol 2004; 43:669-76 9 ZAUGG M, SCHAUB MC, FOËX P. Myocardial injury and its prevention in the perioperative setting. Br J Anaesth 2004; 93:21-33 Inflammation et complément L’inflammation est une réaction de défense de l’organisme contre un envahisseur. C’est un système complexe et redondant, qui comprend de nombreux circuits de rétroaction amplificateurs, mais aussi des circuits inhibiteurs qui en limitent la portée. Dans une plaie, la barrière cutanée ou muqueuse est brisée. Le corps doit à la fois s’y protéger des toxines et y empêcher la perte de sang. C’est la raison pour laquelle la réaction inflammatoire est intimement liée à la coagulation. Normalement, le sang n’est en contact qu’avec l’endothélium vasculaire, avec lequel il entretient un équilibre constant. Lorsqu’il rencontre une surface non-endothélialisée comme une lésion ou un corps étranger, il déclenche toute une cascade de phénomènes protecteurs. Le processus inflammatoire est conçu pour rester localisé, mais il arrive que la réponse soit exagérée ou que l’agression soit systémique, comme c’est le cas lorsque le sang rentre en contact avec des surfaces étrangères dans une CEC. La réaction de défense de l’organisme se transforme alors en un syndrome inflammatoire systémique (Systemic Inflammatory Reaction Syndrome ou SIRS). Le tableau clinique est caractéristique : fièvre, tachycardie, hypotension, leucocytose, accumulation liquidienne et insuffisance poly-organique [4]. En chirurgie cardiaque, le SIRS est déclenché par une série de phénomènes : le contact avec les surfaces du circuit de CEC, le contact avec l’air dans les aspirations de cardiotomie, l'hypothermie, l'héparinisation et les complexes héparine-protamine, les lésions d'ischémie et de reperfusion, ou encore les toxines libérées dans le tube digestif. Environ 20% des patients à bas risque développent des complications liées au SIRS [3]: coagulopathie, accumulation liquidienne interstitielle, oedème cérébral, oedème pulmonaire (péjoration des échanges gazeux), dysfonction multiorganique (troubles neurologiques, insuffisance cardiaque, rénale et hépatique). La réaction inflammatoire comprend deux phases distinctes liées à des déclencheurs différents [7,9].

Phase précoce ; elle est mise en route par le contact du sang avec une lésion endothéliale ou une surface non-endothélialisée comme le circuit de CEC (voie de contact), et comprend deux composantes intimement imbriquées :

o La voie humorale, qui comprend 3 éléments, la coagulation, le complément et les cytokines ;

o La voie cellulaire, constituée par les globules blancs et l’endothélium. Phase tardive : elle est liée aux lésions d’ischémie et de reperfusion, et à la libération

d’endotoxines, essentiellement par le tube digestif. Voie humorale La voie du complément est le plus ancien moyen de défense de l’organisme, puisqu’on le retrouve déjà chez les oursins. Il consiste en un ensemble de 35 molécules qui assistent la réaction antigène-

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anticorps ou la défense anti-bactérienne, et qui convergent vers des protéines particulièrement redoutables puisqu’elles sont capables de perforer les membranes cellulaires (MAC : membrane attack complex) (Figure 8.8) [8]. Figure 8.8 : Schéma simplifié de l’activation du complément. La chaîne du complément comprend 3 voies qui sont initiées par des déclencheurs distincts : la voie classique (réaction antigène-anticorps Ag-Ac), la voie alternative (activation directe par contact) et la voie de la lectine (site des membranes bactériennes). Par différentes étapes intermédiaires, elles convergent vers le clivage du facteur C3 en C3a (anaphylatoxine I, libération d’histamine) et C3b, lequel clive à sont tour le facteur C5 en C5a (anaphylatoxine II, activateur leucocytaire) et C5b qui est le premier composant du complexe MAC (MAC : membrane attack complex), complexe protéique qui attaque les membranes cellulaires et qui est le résultat ultime des voies du complément. Les nombreuses étapes intermédiaires ne sont pas représentées ici. Très imbriquée avec la cascade de la coagulation, la chaîne du complément comprend 3 voies distinctes (classique, alternative et de la lectine) qui convergent vers le clivage du facteur C3 en C3a (anaphylatoxine I, libération d’histamine) et C3b, lequel clive à sont tour le facteur C5 en C5a (anaphylatoxine II, activateur leucocytaire) et C5b qui est le premier composant du complexe MAC. Le système kinine-kallikréine comprend un groupe de protéines sériques impliquées dans la régulation du tonus et de la perméabilité vasculaires. Elles circulent sous forme de kininogènes inactives, qui sont activées par les kallikréines libérées dans les tissus lésés. Cette réaction donne naissance à la bradykinine qui est vasodilatatrice (sécrétion de NO et de prostacycline). Il existe une kallikréine plasmatique qui circule sous forme de prékallikréine inactive et qui est activée par le Facteur XIIa de la coagulation (voie intrinsèque). Comme la bradykinine formée est elle-même un activateur du Facteur XII, il se forme ici un système auto-amplificateur du lien avec la cascade de la coagulation.

Histamine

Activation leucocytes

C3

Voie alternative

Voie classique

Voie de la lectine

C3a

C5a C5

Ag-AC Bactér Contact

C3b +

Anaphyla- toxine I

MAC

Anaphyla- toxine II

C5b

+

C6,C7,C8,C9

© Chassot 2013

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 19

Les cytokines sont des polypeptides qui assurent la communication entre cellules et déclenchent des activités spécifiques selon leurs cibles [7].

TNF-alpha (Tumor necrosis factor) ; sécrété par les monocytes, les mastocytes et les lymphocytes-T en réponse aux endotoxines bactériennes, il active la chaîne inflammatoire. A haute concentration, il provoque une symptomatologie de choc septique avec des effets cardiodépresseur, vasodilatateur, thrombogène et perméabilisant capillaire.

Interleukines pro-inflammatoires (IL-1, IL-6, IL-8) ; sécrétées par les leucocytes, elles activent la production de protéine C-réactive, de fibrinogène et de catécholamines ; elle provoquent une hyperglycémie, une leucocytose et de la fièvre.

Interleukines anti-inflammatoires (IL-10) ; elles assurent un feed-back négatif qui empêche l’emballement de ces réactions en chaîne.

La cascade de la coagulation (voir Figure 8.1) est intimement connectée à la réaction inflammatoire. La thrombine, par exemple, en potentialise plusieurs effets : activation des polymorphonucléaires et des plaquettes, sécrétion l’IL-6 et d’IL-8, activation de C3. De leur côté, les plaquettes stimulent l’adhésion des leucocytes à la paroi vasculaire. Voie cellulaire Les neutrophiles polymorphonucléaires chargés de phagocyter les pathogènes contiennent des granules pouvant libérer des enzymes protéolytiques, des radicaux oxygénés et des médiateurs inflammatoires. Lorsque survient une lésion vasculaire, ils roulent d’abord à la surface de l’endothélium par l’accrochage de molécules appelées sélectines, puis ils adhèrent à l’endothélium lésé par l’ancrage de molécules appelées intégrines (molécules d’adhésion). En troisième lieu, ils migrent dans l’espace interstitiel par chimiotactisme pour y libérer leurs substances bactéricides [6]. Les basophiles, activés par la voie du complément, sécrètent essentiellement de l’histamine, qui augmente la perméabilité capillaire et facilite le passage des éléments figurés ; elle provoque aussi une vasodilatation et une bronchoconstriction. Les mastocytes ressemblent aux basophiles mais sont cantonnés dans l’espace périvasculaire des organes et ne circulent pas ; lorsqu’ils sont stimulés par le complément ou la thrombine, ils sécrètent différents médiateurs inflammatoires dont de nombreuses interleukines. Les monocytes, enfin, sont des macrophages qui libèrent une série de facteurs inflammatoires (interleukines, TNF-alpha) et phagocytent les éléments étrangers [7]. Les cellules endothéliales sont les régulatrices naturelles de la coagulation et de l’inflammation. Elles répondent à la présence de thrombine, de facteur C5a, de cytokines et d’interleukines par la sécrétion de sélectines et d’intégrines qui immobilisent les leucocytes. Elles gèrent le tonus vasculaires par la libération de substances vasodilatatrices comme le NO, l’histamine et la bradykinine ou de substances vasoconstrictrices comme l’endothéline-1 ou la noradrénaline ; par ailleurs, le NO inhibe la fonction plaquettaire. Phase tardive La phase tardive comprend deux composantes principales.

Les lésions d’ischémie et de reperfusion. Après avoir été privée d’O2 pendant l’ischémie, la cellule en reçoit en masse au moment de la reperfusion, ce qui déclenche une cascade d'évènements pathologiques plus graves que ne l’étaient les dégâts de l’ischémie, notamment par la formation massive de radicaux libres (ROS reactive oxygen species) qui contiennent un nombre impair d'électrons sur leur orbite externe: peroxyde (O2

•-), H2O2, hydroxyl (•OH) (voir Chapitre 24 Mécanismes). Les ROS libérés dans le cytoplasme par les mitochondries sont normalement réduits par des antioxydants naturels (superoxide dismutase, catalase, glutathion,

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vitamine E), mais ces derniers sont débordés par l’abondance de peroxydes formés lors de la reperfusion. Les ROS peuvent alors attaquer les phospholipides des membranes, le DNA et diverses protéines [1,2,4]. Les mitochondries intoxiquées par l’excès d’O2 laissent également échapper des cytokines qui, de concert avec les peroxydes, activent de dangereux enzymes cytoplasmiques (caspases) impliqués dans l’apoptose et susceptibles de lyser les éléments de la cellule et de conduire à la nécrose.

Les endotoxines stimulent massivement la production de complément, de TNF-alpha et d’interleukines. La libération d'endotoxines par les bactéries Gram-négatives qui hantent le tube digestif est liée à la baisse de débit splanchnique en CEC et en hypothermie; le flux dans la muqueuse gastrique, par exemple, est diminué jusqu'à 60% par le bas débit (< 2 L/min/m2) et par la vasoconstriction pendant la CEC [5].

Inflammation et complément

La réaction inflammatoire est un système rapide, complexe et redondant qui sert à la protection de l’organisme contre des agresseurs. Elle est très imbriquée avec la cascade de la coagulation. Si la réponse est exagérée ou l’agression systémique, l’inflammation donne lieu à un syndrome inflammatoire systémique (SIRS). Elle comprend trois aspects. - Voie humorale : cascade du complément produisant des molécules capables de lyser les cellules étrangères, cytokines (déclencheurs spécifiques), kinines (régulateurs du tonus et de la perméabilité vasculaires) - Voie cellulaire : neutrophiles (phagocytose), basophiles (libération d’histamine), endothélium (facteurs régulateurs) - Phase tardive : lésion d’ischémie-reperfusion, relargage d’endotoxines digestives

Références 1 ELAHI MM, YII M, MATATA BM. Significance of oxidants and inflammatory mediators in blood of patients undergoing cardiac

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103:89-98 3 GROVER FL. The Society of thoracic Surgeons national Database. Current status and future directions. Ann Thorac Surg 1999;

68:367-73 4 HALL R. Identification of inflammatory mediators and their modulation by strategies for the management of the Systemic

Inflammatory Response during cardiac surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 2013 ; 27 : 983-1033 5 OPAL SM. The host response to endotoxin, antipolysaccharide strategies, and the management of severe sepsis. Int J Med

Microbiol 2007; 297:365-77 6 SHERWOOD ER, TOLIVER-KINSKY T. Mechanisms of the inflammatory response. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2004;

18:385-405 7 SNIECINSKI RM, LEVY JH. The inflammatory response to cardiopulmnary bypass. In: MONGERO LB, BECK JR (eds). On

bypass. Advanced perfusion techniques. Totowa (NJ, USA): Humana Press 2010, 125-140 8 STAHL GL, SHERMAN SK, SMITH PK, LEVY JH. Complement activation and cardiac surgery : a novel target for improving

outcomes. Anesth Analg 2012 ; 115 :759-71 9 WARREN OJ, SMITH AJ, ALEXIOU C, et al. The inflammatory response to cardiopulmonary bypass: Part 1 - Mechanisms of

pathogenesis. J Cardiothorac Vasc Anesth 2009; 23: 223-31 Hypercoagulabilité périopératoire Le sang est maintenu en équilibre entre des forces procoagulantes et des forces anticoagulantes. Cet équilibre peut être rompu en faveur de la coagulation par augmentation de l’activité coagulatoire ou par diminution de la fibrinolyse. Ceci peut survenir dans des affections congénitales ou lors de maladies acquises [7].

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 21

Hypercoagulabilité congénitale (risque thrombotique augmenté 5-9 fois) : o Effet procoagulant : facteur V Leiden (facteur V résistant au clivage par la protéine

C), mutation G20210A de la prothrombine, hyperfibrinogénémie. o Réduction dans l’efficacité de l’anticoagulation : déficience en protéine C et S, défaut

en antithrombine III. o Réduction de la fibrinolyse : défaut en inhibiteur du plasminogène, lipoprotéine (a).

Hypercoagulabilité acquise (risque thrombotique augmenté 8-15 fois) : o Anticorps antiphospholipides (lupus érythémateux), cardiolipine. o Affections comme les carcinomes, les états inflammatoires, les brûlures sévères ou les

traumatismes majeurs. o Thrombocytopénie induite par l’héparine (voir HIT). o Causes pharmacologiques : contraceptifs oraux, colles tissulaires, utilisation excessive

de facteurs coagulants (rFVIIa, desmopressine). L’origine d’une thrombo-embolie est multifactorielle, et la cause déclenchante est très souvent la chirurgie. Les trois éléments de la triade de Virchow (sang, débit et paroi vasculaire) sont gravement perturbés par l’acte opératoire et par les lésions tissulaires ; l’équilibre de la coagulation est déstabilisé par le stress métabolique et par le syndrome inflammatoire systémique en faveur d’une hypercoagulabilité [4].

Accélération de la formation de thrombine et diminution de l’activité antithrombine, correspondant à une stimulation de la cascade coagulatoire.

Hyperfibrinogénémie (jusqu’à 6 g/L). L’élévation spontanée du taux de fibrinogène au cours de la chirurgie augmente la fermeté du caillot mais aussi le risque de thrombose.

Thrombocytose. Les plaquettes augmentent en nombre et en agrégabilité. Cette hyperactivité peut conduire à une consommation excessive et à une baisse de fonctionnalité postopératoire, particulièrement importante lors de contact avec des surfaces étrangères comme dans la CEC ou l’assistance ventriculaire [5].

Hypofibrinolyse. La dissolution du caillot est retardée. La cascade coagulatoire est un système très puissant, car bloquer la perte de sang est capital lors d’une agression ou d’une blessure. Ce phénomène, apparu avec les premiers vertébrés il y a 450 millions d’années, a constitué un avantage évolutif certain pour les animaux qui en sont pourvus. L’hypercoagulabilité périopératoire, avec son cortège d’occlusions artérielles, de thromboses veineuses et d’embolies, est la manifestation d’un élément primordial pour la survie des êtres complexes. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit si difficile à inhiber correctement. Examens Le diagnostic d’occlusion vasculaire est évidemment basé sur l’ischémie des organes-cibles (infarctus, occlusion vasculaire), la stase veineuse et l’embolie (le plus souvent pulmonaire). La présence de complexes thrombine-antithrombine (TAT) ou de D-dimères confirme la genèse d’un thrombus. Mais il n’existe pas d’examen qui puisse prédire quels sont les malades à risque. En périopératoire, deux types d’examens de laboratoire réalisables en salle d’opération (POC test, point-of-care test) permettent d’avoir une idée du degré de stimulation de la coagulation et de ses éventuelles déviances.

Thrombo-élastogramme (TEG) (ROTEM™); il évalue le temps nécessaire à obtenir un caillot, la vitesse de sa formation, sa fermeté, et le délai pour sa disparition.

Test de fonction plaquettaire (VerifyNow™, Multiplate™, etc). Malheureusement, ces examens sont peu standardisés et n’ont pas été validés par de larges études multicentriques. Il n’existe pout l’instant qu’un embryon de consensus sur leurs valeurs limites.

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Prophylaxie La thrombose veineuse profonde et l’embolie pulmonaire sont les risques les plus courants de l’hypercoagulabilité postopératoire. Elles sont favorisées par un certain nombre de facteurs.

Age avancé; Coagulopathies; Anamnèse de thrombo-embolie; Maladie cancéreuse active; Obésité; Syndrome inflammatoire: infection, sepsis, maladie rhumatismale; Chirurgie orthopédique, chirurgie du cancer; Immobilisation, compression veineuse; Grossesse et postpartum, prescription d’oestrogènes; Cathéter veineux central, sonde de pace-maker.

Outre la mobilisation précoce et la physiothérapie intense, la prophylaxie thrombo-embolique est basée sur l’anticoagulation. Plusieurs régimes différents sont actuellement considérés comme adéquats [2,6].

Héparine non-fractionnée, 5’000 UI 2-3 x/jour sous-cut; HBPM: première dose en préopératoire ou 3-6 heures postopératoire;

o Enoxaparine (Clexane®, Lovenox®), 40 mg/jour ou 30 mg 2 x/jour sous-cut; o Nadroparine (Fraxiparine®) 5700 U/j sous-cut ; o Dalteparine (Fragmin®) 5’000 U/j sous-cut ;

Fondaparinux (Arixtra®), 2.5 mg/jour sous-cut; Dabitagran (Pradaxa®), 110 ou 220 mg/jour per os; Rivaroxaban (Xarelto®), 10 mg/jour per os.

Le traitement est en général de courte durée (7-10 jours), mais il est prolongé (4-6 semaines) dans les situations à haut risque comme la chirurgie pelvienne ou orthopédique majeure. Le risque que présente un malade de souffrir de thrombo-embolie peut être quantifié par différents scores cliniques, dont l’un des plus pertinents est le score de Padoue (Padua Prediction Score) [1].

Cancer actif 3 points Anamnèse de thrombo-embolie 3 points Mobilité réduite 3 points Syndrome d’hypercoagulabilité 3 points Trauma ou chirurgie récents (< 30 jours) 2 points Age > 70 ans 1 point Insuffisance cardio-respiratoire 1 point Infarctus ou AVC 1 point Status inflammatoire 1 point Obésité (BMI > 30) 1 point Hormonothérapie 1 point En-dessous de 4 points, le risque est faible ; > 4 points, il est élevé et justifie une prophylaxie [1].

Le diagnostic d’embolie pulmonaire est suspecté d’après sa probabilité clinique, telle qu’on peut l’établir par un score comme le score de Genève révisé (voir Tableau 17.11) [3].

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Hypercoagulabilité périopératoire

La coagulabilité sanguine est augmentée proportionnellement au stress métabolique et inflammatoire d’une opération. Différents processus sont en jeu : - Accélération de la formation de thrombine - Hyperfibrinogénémie - Augmentation du nombre et de l’agrégabilité plaquettaire - Baisse de la fibrinolyse Régimes prophylactiques contre le risque de thrombose veineuse profonde et d’embolie pulmonaire : - Héparine non-fractionnée, 5’000 UI 2-3 x/jour sous-cut - HBPM, première dose en préopératoire ou 3-6 heures postopératoire - Enoxaparine (Clexane®, Lovenox®), 40 mg/jour ou 30 mg 2 x/jour sous-cut - Nadroparine (Fraxiparine®), 5700 U/j sous-cut - Dalteparine (Fragmin®), 5’000 U/j sous-cut - Fondaparinux (Arixtra®), 2.5 mg/jour sous-cut - Dabigatran (Pradaxa®), 110 ou 220 mg/jour per os - Rivaroxaban (Xarelto®), 10 mg/jour per os Références 1 BARBAR S, NOVENTA F, ROSSETTO V, et al. A risk assessment model for the identification of hospitalized medical patients at

risk for venous thromboembolism : the Padua Prediction Score. J Thromb Haemost 2010 ; 8 :2450-7 2 GARCIA DA, BAGLIN TP, WEITZ JI, et al. Parenteral anticoagulants: Antithrombotic therapy and prevention of thrombosis, 9th

ed: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest 2012; 141 (Suppl 2):e24S-e43S 3 LE GAL G, RIGHINI M, ROY PM, et al. Prediction of pulmonary embolism in the emergency department: The revised Geneva

score. Ann Intern Med 2006; 144:165-71 4 NIELSEN VG, ASMIS LA. Hypercoagulability in the perioperative period. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2010; 24:133-44 5 NIELSEN VG, STEENWYK BL, HOLMAN WL, et al. Mechanical circulatory device thrombosis: a new paradigm linking

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recent developments. Blood Coag Fibrinol 2012; 23:482-93 7 SNIECINSKI RM, HURSTING MJ, PAIDAS MJ, LEVY JH. Etiology and assessment of hypercoagulability with lessons from

heparin-induced thrombocytopenia. Anesth Analg 2011; 112: 46-58

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Les anticoagulants Les anticoagulants actuellement utilisés en clinique peuvent être classés sous quatre catégories en fonction de leurs sites d’action (Figure 8.9). Figure 8.9: Points d’impact des différents anticoagulants sur la cascade de la coagulation: agents anti-vitamine K (bleu), agents anti-Xa (jaune), agents anti-thrombine directs (orange), héparines (vert) (agents anti-thrombine par l’intermédiaire de l’AT III). Les héparines à bas poids moléculaire ont un effet anti-Xa important (flèche pontillée). AT: antithrombine.

Inhibiteurs indirects de la thrombine: héparines, pentasaccharides (fondaparinux) (voie intraveineuse ou sous-cutanée);

Inhibiteurs directs de la thrombine: intraveineux (lépirudine, bivalirudine, argatroban) ou oraux (dabigatran);

Inhibiteurs directs du facteur Xa: rivaroxaban, apixaban, edoxaban (per os); Agents anti-vitamine K: warfarine, coumarines (per os).

Les anticoagulants classiques, en usage clinique depuis longtemps, ont plusieurs points d’impact dans la chaîne coagulatoire, alors que les nouvelles substances (NACO: nouveaux anticoagulants oraux) sont beaucoup plus sélectives. D’autre part, ces dernières sont plus rapides, présentent moins

Fondaparinux (indirect

via AT III)

Voie intrinsèque

Voie extrinsèque

Voie commune

Fibrine

Fibrinogène

VIII

XII XIIa

V

II IIa

VII

Prothrombine

XI XIa

IX IXa +

VIIIa

X Xa +

Va

X

VIIa +

FT

Thrombine

Lésion

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Rivaroxaban Apixaban, Edoxaban (directs)

Héparines (indirects)

Anti-thrombine

(AT III)

Dabigatran Argatroban Bivalirudine

Anti-vitamine K

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d’interactions, et jouissent d’une pharmacocinétique mieux prévisible qui rend inutile un monitorage de l’effet anticoagulant. D’une manière générale, les NACO sont plus efficaces que les AVK dans la prévention thrombo-embolique (RR moyen 0.81), présentent bien moins de risque d’hémorragie intracrânienne (RR 0.48), et offrent une faible baisse de mortalité (RR 0.90) [5]. Ils affichent par contre davantage de risque hémorragique gastro-intestinal (RR 1.25), mais ce type de saignement entraîne 10 à 30 fois moins de mortalité et d’invalidité qu’un AVC hémorragique. Malheureusement, ces nouveaux médicaments présentent deux inconvénients.

Absence d’antagoniste (sauf pour le dabigatran); Effets variables mais non quantitatifs sur les tests de coagulation habituels.

Le troisième défaut de ces substances est leur coût : un mois de traitement revient en moyenne à 76.00 euros, alors qu’il ne coûte que 12.50 € avec les AVK, dosage du TP inclus. Bien qu’elle soit différente selon les substances, une réduction du dosage est souvent nécessaire en cas d’insuffisance hépatique ou rénale, et en cas d’administration conjointe de substances modifiant le métabolisme des anticoagulants, car les risques sont cumulatifs: l’addition de plusieurs effets non significatifs peut donner un résultat dangereux. Pour les substances à élimination rénale (HBPM, dabigatran, fondaparinux, xabans), la règle la plus simple est de donner une demi-dose en cas de dysfonction rénale (clairance de la créatinine 30-50 mL/min) et de s’abstenir en cas d’insuffisance terminale (clairance de la créatinine < 30 mL/min). Chez les obèses, il convient d’augmenter la dose de 30% [4]. Vu que les données concernant les interférences médicamenteuses sont encore incomplètes, il est prudent de considérer comme valables pour tous les NACO les contre-indications pharmacologiques signalées pour chacun individuellement, à savoir la prescription simultanée des substances suivantes [1,2,6].

Les anti-protéases anti-VIH (ritonavir, indinavir, atazanavir, etc); Les anti-fungiques azolés (kétoconazole, itraconazole, miconazole, voriconazole, etc); Les immunosuppresseurs ciclosporine et tacrolimus; Les antiarythmiques quinidine, amiodarone et vérapamil; La rifampicine; La carbamazépine, le phénobarbital et la phénytoïne.

Le traitement anticoagulant chronique présente des risques majeurs, puisqu’il est associé à environ 5'000 décès par année en France. L’association des anticoagulants avec des antiplaquettaires entraîne un risque hémorragique rédhibitoire, mais peut se justifier en cas de syndrome coronarien aigu ou de stents chez des patients en FA ou porteurs de prothèses valvulaires mécaniques [3]. Les principales données concernant les anticoagulants sont résumées dans le Tableau 8.1 et dans le Tableau 8.2. Les dosages et l’adaptation des doses à l’insuffisance rénale figurent dans le Tableau 8.3. Les données concernant les antiplaquettaires sont disponibles dans le Chapitre 29 (Chapitre 29) et accessoirement dans le Chapitre 3 (Antiplaquettaires). Un résumé de ces données figure dans les Tableaux 8.11 et 8.12, pages 124 et 125. Références 1 HEIDBUCHEL H, VERHAMME P, ALINGS M, et al. European Heart Rythm Association Practical Guide on the use of non-

vitamin K antagonist anticoagulants in patients with non-valvular atrial fibrillation. Europace 2015 ; 17:1467-507 2 HEIDBUCHEL H, VERHAMME P, ALINGS M, et al. European Heart Rythm Association Practical Guide on the use of non-

vitamin K antagonist anticoagulants in patients with non-valvular atrial fibrillation. Executive summary. Eur Heart J 2016; doi:10.1093/eurheartj/ehw058

3 HOLBROOK A, SCHULMAN S, WITT DM, et al. Evidence-based management of anticoagulant therapy. Antithrombotic therapy and prevention of thrombosis, 9th ed: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest 2012; 141 (Suppl 2):e152S-e184S

4 NUTESCU EA, SPINLER SA, WITTKOWSKY A, et al. Low-molecular-weight heparins in renal impairment and obesity: available evidence and clinical practice recommendations across medical and surgical settings. Ann Pharmacother 2009; 43:1064-83

5 RUFF CT, et al. Comparison of the efficacy and safety of new oral anticoagulants with warfarin in patients with atrial fibrillation : a meta-analysis of randomised trials. Lancet 2014 ; 383:955-62

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 26

6 SIÉ P, SAMAMA CM, GODIER A, et al. Chirurgies et actes invasifs chez les patients traités au long cours par un anticoagulant oral anti-IIa ou anti-Xa direct. Propositions du Groupe d’intérêt en hémostase périopératoire (GIHP) et du Groupe d’études sur l’hémostase et la thrombose (GEHT). Ann Fr Anesth Réanim 2011 ; 30 : 645-50

Tableau 8.1 : Pharmacologie des anticoagulants et antiplaquettaires Substances Mécanisme Indication Monitorage Remarque Héparine non-fractionnée inhib ind thrombine/fXa thrombose, aPTT, ACT demi-vie allongée selon dose

(par antithrombine III) CEC, PCI antagoniste : protamine HBPM prophylact inhib ind fXa/thrombine prophyl TVP anti-Xa (TT) antagoniste partiel: protamine HBPM thérapeut inhib ind fXa/thrombine thrombose anti-Xa (TT) antagoniste partiel: protamine Fondaparinux (Arixtra®) inhib indirect fXa prophyl TVP anti-Xa pas d’antagoniste (FVIIa ?) (par antithrombine III) PCI (+ héparine) ↓ dose si fonct rénale ↓ Idrabiotaparinux inhib indirect fXa FA, emb pulm anti-Xa antagoniste: avidine Dabigatran (Pradaxa®) inhib direct thrombine FA, proph TVP anti-IIa, dTT (aPTT) antagoniste: idarucizumab Temps d’écarine (hémodialyse?) Hirudine inhib direct thrombine thrombose aPTT/ACT pas d’antagoniste CEC, HITS ↓ dose si fonct rénale ↓ Lépirudine (Refludan®) inhib direct thrombine CEC, PCI, HIT aPTT/ACT pas d’antagoniste (irréversible) ↓ dose si fonct rénale ↓ Bivalirudine (Angiox®) inhib direct thrombine CEC, PCI, HIT aPTT/ACT, (TP) pas d’antagoniste (réversible) ↓ dose si fonct rénale ↓ Désirudine (Iprivask®) inhib direct thrombine HITS aPTT/ACT pas d’antagoniste Danaparoïde (Orgaran®) inhib direct thrombine prophyl TVP, CEC anti-Xa (labo) pas d'antag. Demi-vie 22 h Argatroban (Argatroban Inj®) inhib direct thrombine CEC, HIT (aPTT/ACT) pas d’antagoniste Rivaroxaban (Xarelto®) inhib direct fXa TVP, emb pulm, FA anti-Xa (TP) pas d’antagoniste (PCC) Apixaban (Eliquis®) inhib direct fXa TVP, FA anti-Xa (TP) pas d’antagoniste (PCC) Edoxaban (Lixiana®) inhib direct fXa TVP, FA anti-Xa (TP) pas d’antagoniste (PCC) Coumarines inhib fact vit K-dépendants TVP, FA, TP, INR INR thérapeutique: 2-3 (F II, VII, IX, X, prot C &S) proth valve (impératif) antagoniste : vit K Aspirine bloc irrévers récept COX1 SCA, IdM, AVC, bloc irréversible revasc coronar Clopidogrel (Plavix®) bloc irrévers récept ADP stent, SCA, IdM bloc irréversible Prasugrel (Efient®) bloc irrévers récept ADP stent, SCA bloc irréversible Ticagrelor (Brilinta®, Brilique®) bloc révers récept ADP stent, SCA, IdM bloc réversible Tirofiban/eptifibatide bloc récept GP IIb/IIIa PCI bloc révers thrombocyte Abciximab (ReoPro®) bloc irrévers réc GP IIb/IIIa PCI bloc irrévers thrombocyte Les tests indiqués entre parnethèse sont modifiés, mais n’ont pas de valeur quantitative pour doser l’effet de la substance. Test d'agrégabilité: test rapide (VerifyNow™, Multiplate™, etc) ciblé selon le récepteur (COX-1, ADP ou GP IIb/IIIa).

fXa : facteur X activé. aPTT : temps de thromboplastine partiel activé. ACT : temps de coagulation activé. TP : temps de prothrombine. dTT: temps de thrombine dilué. INR : international normalised ratio. CEC : circulation extracorporelle. PCI : intervention coronarienne percutanée. HIT : syndrome thrombocytopénique induit par l’héparine. TVP : thrombose veineuse profonde. FA : fibrillation auriculaire. SCA : syndrome coronarien aigu. IdM : infarctus du myocarde. AVC : accident vasculaire cérébral. Ind: indirect. Dir: direct.

Test d’agré-gabilité

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Tableau 8.2 : Pharmacocinétique des anticoagulants et antiplaquettaires

Substances Voie Demi-vie Elimination Délai préop Héparine non-fractionnée iv, scut 1-2.5 h hépatique, SRE 4-6 h HBPM prophylactique scut 4-5 h rénale 12 h HBPM thérapeutique scut 4-5 h rénale 24 h Fondaparinux (Arixtra®) scut 16 h rénale 48 h* Idrabiotaparinux scut 130 h rénale > 7 j Dabigatran (Pradaxa®) po 9-15 h rénale ≥ 48 h* Lépirudine iv, scut 1.5 h rénale 10 h Désirudine (Iprivask®) scut 2-3 h rénale 10 h Bivalirudine (Angiox®) iv 30 min plasma, reins (1/4) 4 h Danaparoïde (Orgaran®) iv, scut 7-25 h rénale 48 h Argatroban (Argatroban Inj®) iv 1 h hépatique 4 h Apixaban (Eliquis®) po 12 h foie (3/4), reins (1/4) 48 h* Rivaroxaban (Xarelto®) po 6-12 h foie (2/3), reins (1/3) 24-48 h* Edoxaban (Lixiana®, Savaysa®) po 10-14 h foie (1/2), reins (1/2) 48 h* Acénocoumarol (Sintrom®) po 11 h hépatique 4 j Warfarine (Coumadine®) po 40 h hépatique 6 j Phénprocoumone (Marcoumar®) po 140 h hépatique 10 j Aspirine po 1.5 h rénale 5 j Clopidogrel (Plavix®) po 8 h plasmatique/rénale 5 j Prasugrel (Efient®) po 4 h hépatique 7 j Ticagrelor (Brilinta®, Brilique®) po 10 h foie (2/3), reins (1/3) 5 j Tirofiban (Aggrasta®) iv 2 h rénale 6 h Eptifibatide (Integrilin®) iv 2.5 h rénale 8 h Abciximab (ReoPro®) iv 30 min rénale 72 h

Délai préop: délai d’attente recommandé entre la dernière prise ou l’arrêt de la perfusion et l’intervention chirurgicale; correspond en général à 3 demi-vies sériques. Recommandation en cas d’ALR rachidienne ou de bloc profond: 5 demi-vies. *: délais correspondant à 3 demi-vies, recommandés en cas de risque chirurgical standard; cas à haut risque: attendre 5 demi-vies, soit 72 heures; délais standards à doubler en cas d’insuffisance rénale (clairance créatinine < 50 mL/min). ALR rachidienne: attendre 5 demi-vies. HBPM : héparine à bas poids moléculaire. Valeurs de laboratoire recommandées pour la chirurgie: INR < 1.5, TP > 75%, aPTT < ± 35 sec (selon norme du laboratoire), ACT < 120 sec, thrombocytes ≥ 70’000 /mcL. SRE: système réticulo-endothélial

Tableau 8.3 : Dosages des anticoagulants usuels Substance Prophylaxie Thérapeutique Voie Insuff rénale Héparine non-fractionnée 80 U/kg + 18 U/kg/h iv -

5'000 UI 2-3 x/j s-cut - Enoxaparine 40 mg/j à 1 mg/kg/12 h s-cut Prophyl: 0.5 mg/kg/j (Clexane®, Lovenox®) 30 mg 2 x/j Thérap: 1 mg/kg/j Nadroparine (Fraxiparine®) 5700 U/j 95 U/kg 2x/j s-cut 50% de la dose Daltéparine (Fragmin®) 2500-5000 UI/j 120 UI/kg/12h s-cut 50% de la dose Fondaparinux (Arixtra®) 5.0-7.5 mg/j 7.5 mg/j s-cut contre-indiqué Dabigatran (Pradaxa®) 150-220 mg/j 150 mg 2x/j per os contre-indiqué Apixaban (Eliquis®) 2.5-5.0 mg 2x/j per os 50% de la dose Rivaroxaban (Xarelto®) 10 mg/j 15-20 mg/j per os 50% de la dose Warfarine (Coumadine®) 5 mg/j* per os - Acénocoumarol (Sintrom®) 4 mg/j* per os - Phenprocoumone (Marcoumar®) 2-6 mg/j* per os - * : variable selon la valeur de l’INR recherchée.

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Inhibiteurs indirects de la thrombine Parmi les inhibiteurs indirects de la thrombine, on compte l’héparine non-fractionnée (HNF), les héparines de bas poids moléculaire (HBPM), et des polysaccharides comme le fondaparinux et l’idraparinux. Ces agents sont mal absorbés par voie orale et doivent être administrés par voie parentérale (voir Tableaux 8.1, 8.2, 8.3, 8.11 et 8.12). Héparine non-fractionnée (HNF) L’héparine, primitivement extraite du foie et actuellement préparée à partir du tissu intestinal de porc, est un mélange hétérogène de polysaccharides (glycosaminoglycane) (poids moléculaire 8’000-30'000 Da) qui se lient à l’antithrombine III (AT III) et accélèrent la capacité de cette dernière à inhiber les facteurs IIa (thrombine) et Xa, accessoirement IXa, XIa et XIIa [1]. C’est donc un agent indirect dont l’action dépend de la présence d’AT III en quantité suffisante. Sans héparine, la thrombine et le Xa sont inhibés par l’AT III avec une demi-vie d’environ 1 minute. En présence d’héparine, cette réaction est potentialisée 700 à 4’000 fois [2]. L'AT III est également dotée de propriétés anti-inflammatoires indirectes en agissant sur la production de prostaglandines. La consommation importante d'AT III au cours d’une héparinisation complète peut donc activer les cellules de la lignée blanche et contribuer à la cascade inflammatoire après une CEC [10]. L’action de l’héparine sur l’AT III est double [14]. Premièrement, son fragment de haute affinité induit un changement de configuration de l'AT III qui augmente considérablement l’affinité de celle-ci pour les facteurs IIa et Xa. Deuxièmement, le fragment de faible affinité rapproche le facteur IIa du site d’action de l’AT III. Pour que l’AT III désactive la thrombine (IIa), les deux mécanismes, changement de conformation et rapprochement, sont aussi importants l’un que l’autre. Pour désactiver le facteur Xa, par contre, le rapprochement ne joue pas de rôle (Figure 8.10). Ces deux mécanismes différents expliquent les actions plus ou moins sélectives des différents dérivés de l’héparine. L’héparine non-fractionnée (HNF) a un rapport d’activité anti-Xa / anti-IIa de 1:1. Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM), dont le fragment de faible affinité est plus court, ont un rapport anti-Xa / anti-IIa de 2-4:1 et le pentasaccharide fondaparinux, qui ne contient que le segment de haute affinité, inhibe sélectivement le facteur Xa. Une fois que l’AT III s’est fixée sur les facteurs, un changement de conformation diminue son affinité pour l’héparine, qui est libérée et peut se lier à une autre molécule d’AT III. Les héparines n’ont malheureusement aucune action sur la thrombine déjà fixée à la fibrine au sein d’un thrombus. Par voie intraveineuse, l’HNF a une action immédiate, alors que les dérivés HBPM ont un delai d’action de 20 à 60 minutes. Les dosages recommandés par voie intraveineuse sont plus élevés en cas de thrombo-embolie qu’en cas de syndrome coronarien aigu (SCA) [3].

Bolus initial : 80 UI/kg, ou 5'000 UI (SCA: 60-70 UI/kg) ; Entretien : 18 UI/kg/h, ou 32’000 UI/24 h (SCA : 12-15 UI/kg/h).

L’effet anticoagulant de l’HNF est très variable à cause d’une forte liaison à d’autres protéines, aux macrophages, aux plaquettes et à l’endothélium [7]. Les HBPM et le fondaparinux, au contraire, sont beaucoup moins liés et font preuve d’une action mieux prévisible. A cause de la variation interindividuelle de son effet, l’HNF requiert donc un monitorage constant. Son activité anticoagulante est bien corrélée à l’aPTT et à l’ACT (activated clotting time) (voir Monitorage). Les dérivés plus courts n’ont pas d’effet prévisible sur ces deux paramètres et sont donc plus difficiles à monitorer, mais leur surveillance n’est pas nécessaire parce que leur profil pharmacocinétique est plus stable. L’HNF est résorbée et métabolisée par l’endothélium et le système réticulo-endothélial. Les métabolites sont inactifs et sont éliminés par voie rénale. La demi-vie biologique est fonction de la dose administrée : 30 minutes à la dose de 25 U/kg, 1 heure à la dose de 100 U/kg et 2.5 heures à la

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dose de 400 U/kg [2]. L’hypothermie ralentit considérablement la clairance de l’héparine. L’HNF est l’inhibiteur de thrombine le plus utilisé en CEC à cause de sa facilité d’administration, de sa réversibilité par la protamine, et de la possibilité de mesurer son activité avec des tests de coagulation comme l’ACT. Bien qu’il présente une relation quasi linéaire avec le taux d’héparine sérique, l’ACT, n’est pas spécifique pour cette dernière, et peut présenter une certaine variabilité [12]. Mais une des limitations majeures de l’HNF est son incapacité à inhiber la thrombine liée à la fibrine dans un thrombus. En effet, la thrombine située dans les microthrombi formés sur les surfaces artificielles est hors d'atteinte de l'héparine. Des inhibiteurs directs de la thrombine (lépirudine, bivalirudine, argatroban) ont été développés pour mieux inhiber la thrombine intégrée dans le thrombus, mais leur application de routine en clinique est limitée par leur absence d’antagoniste (voir Inhibiteurs directs de la thrombine). Les HBPM et le fondaparinux, qui ne peuvent pas non plus être antagonisés, n’ont pas suffisamment d’activité anti-IIa pour être utiles dans les systèmes circulatoires extracorporels. Figure 8.10 : Mécanisme d’action des inhibiteurs indirects de la thrombine (inhibiteurs de l’antithrombine III, ou AT III). A : héparine non fractionnée. Après la liaison avec son fragment de haute affinité pour l’AT III (fragment jaune), l’héparine induit un changement de conformation au niveau du site d’action de l’AT III, qui augmente sensiblement son affinité pour les facteurs IIa (thrombine) et Xa. Le fragment de basse affinité de la chaîne d’héparine (en violet) sert à rapprocher le facteur IIa du site d’action de l’AT III ; ce mécanisme n’est pas requis pour la fixation du facteur Xa. Une fois que l’AT III s’est fixée sur les facteurs IIa et Xa, un changement de conformation diminue l’affinité pour l’héparine, qui est libérée et peut se lier à une autre molécule d’AT III (flèche pointillée blanche). B : héparine de bas poids moléculaire. Le fragment de basse affinité est plus court, ce qui ne permet pas le rapprochement du facteur IIa. L’inhibition du facteur Xa est plus marquée que celle du facteur IIa. C : fundaparinux. La molécule ne possède que le fragment de haute affinité et ne peut donc induire que la fixation du facteur Xa par l’AT III. L'héparine en forte concentration (≥ 300 UI/kg) induit une libération de lipoprotéine-lipase et de lipase hépatique, ce qui hydrolyse les triglycérides plasmatiques en acides gras non-estérifiés (FFA: free fatty

+

+

F IIa F Xa

+

F IIa F Xa

+

F Xa

B C

A

AT III

Complexe héparine - AT III

AT III IIa

Héparine

AT III

AT III AT III

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acids), dont le taux s’élève de 15-20%. Ces acides gras libres se lient aux protéines plasmatiques et déplacent les substances qui y sont fixées, ce qui augmente la concentration libre de ces dermières, donc leur activité pharmacologique. Ce processus a lieu en quelques minutes [11]. Il arrive que certains patients présentent une résistance à l’héparine : malgré une dose adéquate, l’aPTT et l’ACT ne sont pas prolongés comme attendu. Plusieurs phénomènes expliquent cette réponse insuffisante (voir Coagulopathie peropératoire) [3].

Insuffisance en AT III, particulièrement fréquente chez les malades depuis plusieurs jours sous des doses thérapeutiques d’héparine ;

Haut degré de fixation de l’HNF aux protéines sériques ; Clairance accélérée de l’HNF ; Taux excessif de facteur VIII ; Taux excessif de fibrinogène.

Héparines de bas poids moléculaire (HBPM) Développées dans les années 1980, les HBPM sont dérivées de l’héparine par dépolymérisation. Leur poids moléculaire varie de 2’000 à 9’000 Da. Avec leur segment de haute affinité, elles peuvent induire le changement de configuration nécessaire pour que l’AT III fixent les facteurs IIa et Xa, mais leur chaîne est trop courte pour bien affronter le IIa (thrombine), ce qui explique leur action plus faible contre celle-ci. Par contre, elles ont une activité anti-Xa supérieure [1]. Leur taille plus petite explique leur faible liaison plasmatique et endothéliale, ce qui rend leur action plus prédictible. Leur effet est mal évalué par l’ACT, mais peut être mesuré par le dosage de l’effet anti-Xa. Leur demi-vie varie de 4 à 7 heures, mais elle est prolongée jusqu’à 17 heures lorsque la clairance de la créatinine est < 30 mL/min. Leur élimination par les reins les rend inappropriées en cas d’insuffisance rénale et oblige à espacer ou à diminuer les doses de moitié lorsque la clairance de la créatinine est < 50 mL/min [9,13]. Les HBPM sont moins immunogéniques que l’HNF et induisent moins fréquemment des thrombocytopénies (voir HIT). Leur dosage varie selon l’indication (voir Tableau 8.3). Un mg d’enoxaparine correspond à environ 100 UI d’effet anti-Xa [3].

Prophylaxie (sous-cutané): o Enoxaparine (Clexane®, Lovenox®) 40 mg/j à 30 mg 2 x/j; o Nadroparine (Fraxiparine®) 5700 U/j; o Daltéparine (Fragmin®) 5’000 U/j.

Thérapeutique (sous-cutané): o Enoxaparine 1 mg/kg/12h; o Nadroparine 95 U/kg/12h; o Daltéparine 120 U/kg/12h.

Ces dosages sont réduits de moitié lors d’insuffisance rénale. En préopératoire, les délais entre la dernière injection sous-cutanée et la chirurgie sont de 12 heures lors de prophylaxie et de 24 heures lors de dose thérapeutique. La première injection postopératoire a lieu 6-12 heures après la fin de la chirurgie en cas de prophylaxie, pour autant que l’hémostase soit contrôlée. Elle est prolongée à 24-48 heures en cas de dosage thérapeutique ou d’hémorragie postopératoire. Protamine La protamine, originellement extraite du sperme de saumon, est aujourd’hui produite par technologie recombinante. C’est une molécule polycationique chargée positivement qui forme des complexes stables avec l'héparine, qui est chargée négativement. La demi-vie plasmatique de la protamine est de 7 minutes, alors que celle de l’héparine est de 60-120 minutes [3]. Un mg de protamine (100 UI) neutralise 1 mg d'héparine (100 UI). Habituellement, on administre une dose de protamine

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correspondant aux 80% de la dose d'héparine, mais un dosage basé sur l’héparinémie réelle du patient (système Hepcon™) conduit à donner des quantités moindres et réduit de ce fait la dysfonction plaquettaire rencontrée après CEC. Un ACT fait 5 minutes après la fin de l’administration de protamine doit être dans une limite de ± 10% par rapport à la valeur de départ avant CEC. La neutralisation de l’effet des HBPM est possible à raison de 1 mg de protamine pour 100 UI d’effet anti-Xa (dose maximale : 50 mg), à la condition d’être à moins de 8 heures après l’administration d’HBPM ; cet antagonisme n’est que partiel (60%) [3]. La protamine ne se lie pas aux pentasaccharides (fondaparinux), et ne peut donc pas les antagoniser. La protamine présente plusieurs effets secondaires immédiats, dont l’incidence varie de 1 à 13% des cas (moyenne 2.6%) [5,6].

Libération d'histamine, qui se caractérise par une vasodilatation importante avec baisse de précharge et de postcharge; elle est directement proportionnelle à la vitesse d'administration (réaction de type I). Il est très fréquemment nécessaire d'accélérer les perfusions et de donner un vasoconstricteur (néosynéphrine ou nor-adrénaline) pour contrecarrer cet effet.

Hypertension pulmonaire ; le complexe héparine-protamine déclenche la libération de thromboxane A2, qui est un vasoconstricteur pulmonaire ; la PAP s’élève de 25-50%.

Réaction antigène – anticorps (IgG et IgE) (réaction de type II); plus rare, celle-ci se rencontre chez les diabétiques traités par une insuline stabilisée avec de la protamine (protamine-Zn), chez les malades réopérés qui ont déjà reçu de la protamine, chez les patients allergiques aux poissons, et chez les hommes vasectomiés.

Réaction anaphylactoïde déclenchée par le complexe héparine-protamine en activant directement la voie classique du complément (C4a) sans l'intermédiaire d'une réaction antigène-anticorps (réaction de type III, qui survient dans 1.5% des cas). Le tableau clinique est celui d'une réaction anaphylactique majeure avec hypotension sévère; la libération massive de thomboxane, déclenche une hypertension pulmonaire et une bronchoconstriction qui peuvent être foudroyantes.

En l’absence d’héparine, ou en excès par rapport à l’héparine, la protamine a un effet anticoagulant.

Les patients allergiques peuvent être opérés avec des circuits de CEC pré-héparinés et une héparinisation systémique réduite (100 UI/kg), ce qui permet éventuellement d’éviter l’administration de protamine [8]. Une dose de stéroïde pendant la CEC (500 mg méthylprednisolone) et une injection très lente (perfusion sur 20 minutes) par une voie périphérique peuvent diminuer l’intensité de la réaction chez un malade allergique. Pentasaccharides: fondaparinux (Arixtra®) Les pentasaccharides sont des analogues synthétiques de la séquence de saccharides qui lie l’héparine à l’AT III (voir Figure 8.10). Ils correspondent au segment de haute affinité, qui est la longueur de chaîne minimale requise pour induire le changement de conformation, sans n'avoir aucune capacité de rapprochement. Donc, incapables d’inhiber le facteur IIa (thrombine), ils inhibent sélectivement le facteur Xa [13]. Ces agents ne se lient pas à d’autres protéines ni à des membranes cellulaires, et présentent de ce fait une pharmacocinétique linéaire et une courbe dose-réponse bien prédictible. Ils ne réclament pas de monitorage particulier, mais nécessitent une administration sous-cutanée. Le fondaparinux (Arixtra®), dont la demi-vie est de 16-17 heures, n'est pas métabolisé mais entièrement excrété par les reins. Il doit être évité en cas d’insuffisance rénale (clairance de la créatinine < 20 mL/min), diminué à 1.5 mg/j si la clairance est de 20-30 mL/min et de moitié si elle est de 30-50 mL/min [3]. Il est indiqué dans la prévention des évènements thrombo-emboliques. La valeur-cible pour une concentration plasmatique à valeur prophylactique est 0.2-0.7 mcg/mL. L’effet est mesuré par l’activité anti-Xa calibrée pour la substance, mais n'est pas nécessaire de routine. Le dosage est 7.5 mg 1 fois par jour par voie sous-cutanée. Chez les obèses (> 100 kg), il est augmenté à

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10 mg/j [4]. La protamine ne renverse pas l’effet du fondaparinux, qui n’a pas d’antagoniste spécifique (voir Antagonisme). L’idraparinux est un analogue du fondaparinux avec une longue demi-vie (130 heures); il suffit d’une injection sous-cutanée par semaine. L’adjonction de biotine à la molécule (idrabiotaparinux) permet l’action d’un antagoniste, l’avidine, qui se lie à la biotine [13].

Agents anti-thrombine indirects

L’héparine se lie à l’antithrombine III (AT III) et accélère 2’000 fois la capacité de cette dernière à inhiber les facteurs IIa (thrombine) et Xa. Son action dépend d’une quantité suffisante d’AT III. L’héparine non fractionnée (HNF) a un rapport d’activité anti-Xa / anti-IIa de 1:1. Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) ont un rapport anti-Xa / anti-IIa de 2-4:1 ; le fondaparinux inhibe sélectivement le facteur Xa. L’HNF se lie à d’autres protéines et son activité est très variable, d’où la nécessité d’un monitorage par l’aPTT et l’ACT. Par voie iv, son effet est immédiat, mais sa demi-vie biologique (1-2.5 heures) est fonction de la dose administrée. Elimination par le système réticulo-endothélial. L’HNF n’inhibe pas la thrombine liée à la fibrine dans un thrombus. Antagoniste: protamine; 1 mg de protamine (100 UI) neutralise 1 mg d'héparine (100 UI). Risque de thrombocytopénie (HIT): 1-5%. Délai d’interruption préopératoire de la perfusion: 4 heures. Dosages iv : - Thrombo-embolie aiguë: bolus 80 UI/kg (5'000 UI), entretien 18 UI/kg/h (32’000 UI/24h) - Syndrome coronarien aigu: bolus 60-70 UI/kg, entretien 12-15 UI/kg/h Les HBPM (Clexane®, Lovenox®, Fraxiparine®, etc) ont plus d’effet anti-Xa que d’effet anti-thrombine. Leur demi-vie varie de 4 à 7 heures, mais elle est prolongée jusqu’à 17 heures lorsque la clairance de la créatinine est < 50 mL/min. En cas d’insuffisance rénale, diminution des doses de moitié ou abstention. La protamine est un antagonsite partiel. Dosages sous-cut : - Prophylactique : 5'000-10’000 UI /j ; délai d’interruption préopératoire: 12 heures - Traitement : 20'000 UI/j (250 UI/kg/j) ; délai d’interruption préopératoire: 24 heures Le fondaparinux (Arixtra®) inhibe sélectivement le facteur Xa. Sa demi-vie est de 16-17 heures, il est excrété par les reins, En cas d’insuffisance rénale, diminution des doses de moitié ou abstention. Dosage sous-cut : 7.5 mg/jour. Pas d’antagoniste. Délai d’interruption préopératoire: 48-72 heures.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 33

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14 WEITZ JI, HIRSH J. New anticoagulant drugs. Chest 2001; 119:95s-107s Inhibiteurs directs de la thrombine Il en existe deux catégories bien distinctes: les inhibiteurs intraveineux qui sont des alternatives possibles à l’héparine en cas de thrombocytopénie induite par cette dernière (HIT, heparin-induced thrombocytopenia), et les inhibiteurs oraux qui sont des alternatives aux agents anti-vitamine K. A l'exception du dabigatran, il n’existe pas encore d’antagoniste pour ces substances (voir Tableaux 8.1 page 26, 8.2 et 8.3 page 27, 8.11 et 8.12 pages 124-125). Agents intraveineux L’hirudine est une substance isolée de la salive des sangsues, Elle se lie à la thrombine au niveau du site de fixation de la fibrine et forme avec la thrombine un complexe irréversible. Elle n’est plus utilisée en clinique mais est remplacée par des préparations recombinantes ou synthétiques, essentiellement utilisées dans la thrombocytopénie induite par l’héparine (dosages particuliers pour la CEC: voir HIT) [1,5,8,12].

Bivalirudine (Angiox®) : inhibiteur synthétique et réversible de la thrombine ne générant ni anticorps ni thrombocytopénie. Demi-vie : 25 min ; excrétion rénale. Dosage en cas de HIT : 0.15-2.0 mg/kg/h sans bolus. Le plus facile à manipuler pour la CEC. Test pour mesurer l'effet: temps d'écarine (ECT); moins fiables: ACT, PTT.

Argatroban (Argatroban Injection®) : petite molécule synthétique qui se lie sélectivement et réversiblement à la thrombine. Demi-vie : 1 heure ; excrétion rénale minime et métabolisme majoritairement hépatique. Dosage en cas de HIT : 2.0 mcg/kg/min sans bolus ; diminuer à 0.5-1.2 mcg/kg/min en cas d’hépatopathie ou après chirurgie cardiaque. Retour à une coagulation normale 2-4 heures après l’arrêt de la perfusion.

Danaparoïde sodique (Orgaran®) : mélange d’héparine, de sulfate de chondroïtine et de dermatane. Demi-vie de 7 heures pour l’activité anti-IIa et de 25 heures pour l’activité anti-Xa; élimination rénale. Dosage en cas de HIT : bolus 2'250 U, puis perfusion 400 U/H pour 4 heures, 300 U/h pour 4 heures et maintien avec 150-200 U/h.

Désirudine (Iprivask®) : forme recombinante de l’hirudine, inhibiteur spécifique de la thrombine. Demi-vie d’élimination : 2-3 heures (voie rénale). En usage clinique pour la prophylaxie antithrombotique postopératoire (5-15 mg/j), expérience limitée en cas de HIT (15-30 mg/12h). Administration sous-cutanée selon l’aPTT. Pas utilisable pour la CEC.

Lépirudine (Refludan®) : forme recombinante de l’hirudine qui provoque une inhibition irréversible de la thrombine. Demi-vie sérique de 10 min, demi-vie d’élimination 1-1.5 heure. Elle est contre-indiquée en cas d’insuffisance rénale. La meilleure surveillance est l’ECT (temps de coagulation par l’écarine du sang total citraté). La production de lépirudine a été abandonnée en 2012 pour des motifs commerciaux.

Agents per os: dabigatran (Pradaxa®) L’étexilate de dabigatran (Pradaxa®) est la forme orale absorbable du dabigatran ; sa biodisponibilité est de 6.5%. C’est un inhibiteur compétitif direct de la thrombine, qui est actif sur la thrombine

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 34

circulante et sur la thrombine fixée dans le caillot. Le pic de concentration est atteint en 1.5-3 heures. La demi-vie est de 9-11 heures chez le jeune et de 13-17 heures chez la personne âgée [4]; elle dépasse 28 heures lorsque la clairance de la créatinine est < 30 mL/min [2]; le dabigatran est contre-indiqué dans l'insuffisance rénale. Les malades âgés de > 75 ans et ceux dont la Clcréat est de 30-50 mL/min doivent recevoir une demi-dose. La liaison protéique est modeste (35% de la substance circulante). Le dabigatran est rapidement métabolisé par des estérases sériques non-spécifiques; les résidus sont excrétés par voie rénale. Le médicament n’est pas recommandé lorsque la clairance de la créatinine est inférieure à 30 mL/min, ni en cas d’insuffisance hépatique ou de grossesse [2]. Il est également contre-indiqué en association avec les anti-VIH, l’amiodarone, le verapamil, la rifampicine, les conazoles, la ciclosporine et le tacrolimus [10,11]. Il existe un antidote spécifique pour le dabigatran: l'idarucizumab (Praxbind®) est un anticorps monoclonal commercialisé depuis fin 2015; par voie intraveineuse, il a une activité rapide et une durée d’action de 6 heures (voir Antagonisme). D'autre part, une hémodialyse peut retirer environ 40-68% de la substance en 4 heures [9]. Le dabigatran présente une tendance significative (OR 1.33) à augmenter l’incidence d’infarctus myocardique par rapport aux AVK [7,10]. En préopératoire, il est recommandé d’interrompre le dabigatran 48 heures, et de préférence > 48 heures avant des interventions très hémorragiques. Si la clairance de la créatinine est < 50 mL/min, le délai est porté à 3-4 jours pour les opérations standards et à ≥ 4 jours pour les opérations à haut risque de saignement [6,9]. Il est judicieux de contrôler l’effet résituel par un temps de thrombine (TT) 6-12 heures avant la chirurgie. Les tests de coagulation sont différemment affectés par le dabigatran (150 mg, 2 fois par jour) [2,7,9,13,17].

Le TT est plus sensible au dabigatran que l’aPTT (> 55 et > 2.0, respectivement). Il n’offre cependant aucune valeur quantitative et sa normalité n’exclut pas un effet résiduel de la substance.

Le TT dilué (dTT, Hemoclot™) calibré pour le dabigatran permet un dosage adéquat. Le temps d’écarine (ECT, ecarin clotting time > 5) mesure l’activité de la thrombine par le

biais d’un dérivé du venin de vipère ; il est très sensible au dabigatran. Le TCA (temps de céphaline activée) fournit une indication approximative de l’effet

anticoagulant du dabigatran, mais sa sensibilité est limitée. Le TP et l’INR sont modifiés de manière non prédictible (x 1.5-1.9) ; ils ne sont pas utilisables

pour l’évaluation de l’effet anticoagulatoire du dabigatran. Les indications cliniques reconnues du dabigatran sont les suivantes [2,4,7,14,15,16].

Prophylaxie périopératoire de la thrombose veineuse profonde (150-220 mg/j); Traitement de la thrombose veineuse aiguë (150 mg 2x/j) ; Prévention de l’embolie systémique (AVC) en cas de fibrillation auriculaire (150 mg 2x/j) ; Le dosage est divisé de moitié lorsque la clairance de la créatinine est < 50 mL/min et chez les

patients âgés de > 75 ans. Le ximelagatran, un précurseur oral du melagatran, a été retiré du marché en 2006 à cause de sa toxicité hépatique. Références 1 ADAMS RLC, BIRD RJ. Review article: Coagulation cascade and therapeutic update: Relevance to nephrology. Part I: Overview

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 35

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Agents anti-thrombine directs

Inhibiteurs parentéraux de la thrombine (alternatives à l’HNF) : - Bivalirudine (Angiox®, 0.15-2.0 mg/kg/h), demi-vie : 25 min ; excrétion principalement rénale - Argatroban (Argatroban Inject®, 2.0 mcg/kg/min), demi-vie : 1 heure ; excrétion hépatique - Danaparoïde (Orgaran®, bolus 2'250 U, puis perfusion 150-200 U/h), demi-vie: 7 heures (anti-IIa) à 25 heures (anti-Xa); élimination rénale - Désirudine (Iprivask®, 5-15 mg/j scut), demi-vie: 2-3 heures, élimination rénale Inhibiteur oral de la thrombine (alternative aux agents anti-vitamine K) : dabigatran (Pradaxa®). Inhibiteur direct, actif sur la thrombine circulante et sur la thrombine fixée dans le caillot. Demi-vie : 9 heures chez le jeune, 13-17 heures chez la personne âgée, > 28 heures en cas d’insuffisance rénale. Le TT est plus sensible au dabigatran que l’aPTT, alors que le TP/INR est prolongé de manière non prédictible. Délai d’interruption préopératoire: minimum 48-72 heures. Dosages: - Prophylaxie: 150-220 mg/j - Thérapeutique: 150 mg 2x/j A l'exception du dabigatran, ces substances n’ont pas d’antagoniste; antagoniste du dabigatran: idarucizumab (Praxbind®).

Inhibiteurs directs du facteur Xa Les trois inhibiteurs directs du facteur Xa actuellement sur le marché européen sont des substances orales réclamant 1 à 2 prises par jour, mais ne nécessitant aucun contrôle de la coagulation (voir Tableaux 8.1, 8.2 et 8.3, pages 26 et 27). Toute une série de grandes études randomisées multi-centriques ont permis de préciser quelles sont les indications cliniques de ces nouvelles substances

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 36

[11,26]. Les délais d'interruption de ces médicaments avant une intervention chirurgicale sont exposés sous Gestion périopératoire (voir Tableaux 8.7A et 8.7B pages 58 et 61, 8.11 et 8.12 pages 124-125). Rivaroxaban (Xarelto®) Le rivaroxaban est un inhibiteur compétitif direct du site actif du facteur Xa. Après ingestion orale, la biodisponibilité est de 80%, et le pic de concentration est atteint en 2.5-4 heures. La demi-vie est de 5-9 heures, mais de 11-13 heures > 75 ans et en cas d’insuffisance rénale. La liaison protéique est très forte (92-95% de la substance circulante). L’élimination se fait par métabolisation hépatique pour deux tiers et par excrétion rénale pour un tiers [4]. Les taux sériques obtenus avec une dose de 20 mg sont en moyenne de 250 ng/mL au pic de concentration (2-4 heures après la prise) et de 40-50 ng/mL au nadir (12-24 heures) [23]. Cependant, les valeurs obtenues avec le même dosage affichent une importante variabilité interindividuelle (47-93%) [23], entre autre liée à l’âge et à la fonction rénale (Figure 8.11) [19]. Figure 8.11: Profils de concentration du rivaroxaban (20 mg 1 x/j) en fonction du temps dans différentes situations: patients de 90 ans en insuffisance rénale (pointillé turquoise), patients avec une clairance de la créatinine de 35 mL/kg (pointillé jaune), patients de 90 ans (pointillé violet), patients de 45 kg (pointillé vert). La courbe d’un individu standard est représentée en bleu. En rouge, courbes des 5ème et 95ème percentiles; la valeur supérieure représente environ 3 fois la valeur inférieure [modifié d’après réf 19]. Bien que l’inhibition du facteur Xa soit directement proportionnelle au taux plasmatique de la substance, on ne dispose pour l’instant d’aucune donnée concernant la relation entre ce taux et le risque hémorragique [20]. Il semble toutefois logique de penser qu’ils augmentent de manière parallèle. Comme pour les autres xabans, il peut exister des interférences médicamenteuses avec d’autres substances dont le métabolisme dépend aussi des cytochromes hépatiques CYP3A4 et du transport par la P-glycoprotéine. Ainsi les antifongiques azolés, les antiprotéases anti-VIH, certains antibiotiques (clarithromycine) et certains antiarythmiques (dronédarone) augmentent de 2.5 fois les taux de rivaroxaban, alors que le phénobarbital, la carbamazépine, la phénytoïne, la rifampicine et le millepertuis les diminuent de 50%. Il n’existe pas d’interaction avec les statines [13,14].

400

300

200

100

4 8 12 16 20 24 Temps après administration (heures)

Concentration (mcg/L) Normal

90 ans, cl créat 30 mL/min clairence créat 35 mL/min 90 ans 45 kg

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 37

Le rivaroxaban prolonge significativement le TP et non-significativement l’aPTT. Le TP ne peut pas être utilisé pour quantifier l’effet; il ne permet pas de confirmer l’absence d’anticoagulation résiduelle même s’il est normal. Le test spécifique est l’activité anti-Xa calibrée pour le rivaroxaban (voir Monitorage) [1,11]. La substance est contre-indiquée chez les femmes enceintes, pendant l’allaitement et chez les malades en insuffisance hépatique (Child-Pugh B et C) ou rénale (Cl créat < 30 mL/min) [1]. En préopératoire, il est recommandé d’attendre 24 heures après la dernière dose (10 mg/j) pour procéder à des interventions sans risque hémorragique chez des patients sans comorbidités [27]. Ce délai est porté à 48 heures pour les doses de 15-20 mg, si le patient est âgé de > 75 ans ou si la chirurgie est majeure; il est porté à 3-4 jours si la clairance de la créatinine est de 30-50 mL/min. Si la Clcréat est < 30 mL/min, la substance est contre-indiquée. Pour procéder à une anesthésie loco-régionale rachidienne (péridurale, intrathécale) ou à des blocs profonds, il est recommandé d’attendre 72 heures par souci de sécurité [13]. Le retrait du cathéter épidural doit être reporté à 48 heures après la dernière dose. Un délai de 6 heures est à respecter entre la ponction ou le retrait du cathéter épidural et la reprise du médicament [24]. En Europe, le rivaroxaban occupe le tiers du marché des anticoagulants et les trois quarts de celui des NACO. Il est accepté dans les indications suivantes:

Prophylaxie de la thrombose veineuse profonde postopératoire (10 mg/j), débutée 6-12 heures après la chirurgie [28];

Traitement de la thrombose veineuse profonde aiguë (TVP) et de l’embolie pulmonaire (15 mg 2x/j pendant 3 semaines, puis 20 mg/j) [5];

Prévention de l’embolie systémique (AVC) en cas de fibrillation auriculaire (20 mg/j) [21]; Traitement du syndrome coronarien aigu en appoint de la bithérapie (2.5-5 mg 2x/j) [18].

Apixaban (Eliquis®) L’apixaban est aussi un inhibiteur compétitif direct du facteur Xa. Sa demi-vie est de 8-15 heures; l’élimination se fait par métabolisation hépatique pour les trois quarts et par excrétion rénale pour un quart [4]. Comme pour le rivaroxaban, des interférences médicamenteuses sont possibles avec des substances dont le métabolisme dépend des cytochromes hépatiques CYP3A4. La substance est également à éviter chez les femmes enceintes et chez les malades en insuffisance hépatique ou rénale (Cl créat < 30 mL/min) [1]. L’apixaban (2.5-5 mg 2x/j) prolonge le TP de manière non-fiable et modifie peu l’aPTT [11]. Le test de choix est le dosage de l’activité anti-Xa. En préopératoire, il est recommandé d’attendre 48 heures après la dernière dose pour procéder à la chirurgie et, par sécurité, 72 heures pour une ALR rachidienne. Ce délai est porté à 3-4 jours si le patient est âgé de > 75 ans, si la chirurgie est très hémorragique ou si la clairance de la créatinine est < 50 mL/min. En Europe, l’apixaban est accepté dans les indications suivantes:

Prophylaxie de la thrombose veineuse profonde postopératoire (2.5-5.0 mg 2x/j) [15]; Prévention d’embolie systémique en cas de fibrillation auriculaire [8].

Edoxaban (Savaysa®, Lixiana®) L’edoxaban est introduit sur les marchés japonais, américain et européen depuis le printemps 2015 pour le traitement et la prévention de la TVP et pour la prévention de l’AVC dans la FA [6,7]. A la dose de 60 mg/j, il diminue significativement le risque hémorragique par rapport à la warfarine [12]. Sa demi-vie est de 10-14 heures et son élimination est pour moitié rénale. Son dosage est de 60 mg 1 x/jour (indépendamment des repas), mais il doit être diminué de moitié en cas d’insuffisance rénale (clairance créatinine 30-50 mL/min) [29]. Comme tous les xabans, il prolonge le TP de manière non-

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 38

quantitative, mais ne modifie que partiellement le TT et le PTT ; le test de choix est le dosage de l’activité anti-Xa [10]. Comme on ne dispose pas encore de test spécifique pour l’edoxaban, il est conseillé d’utiliser le dosage anti-Xa calibré pour l’HBPM. N’ayant aucune donnée sur sa gestion en périopératoire, il est pour l’instant suggéré de l’arrêter 48 heures avant l’opération dans les cas standards, 72 heures avant une ALR rachidienne et 3-4 jours en cas d’insuffisance rénale (Tableaux 8.7 pages 58 et 61, 8.11 et 8.12 pages 124-125). Les concentrés de complexe prothrombinique 4-facteurs (50 UI/kg) antagonisent l’effet de l’edoxaban [30]. Contre-indications D’une manière générale, les différents NACO (nouveaux anticoagulants oraux : dabigatran, rivaroxaban, apixaban) partagent les mêmes contre-indications. Elles sont liées essentiellement au risque hémorragique et à l’élimination rénale (totale ou partielle) de ces substances.

Hémorragie évolutive cliniquement significative, diathèse hémorragique, coagulopathie ; Maladie gastro-intestinale ulcéreuse ; Insuffisance rénale (clairance créatinine < 30 mL/min ou nécessitant une dialyse) ; Hépatopathie sévère ; Grossesse et allaitement ; Prothèse valvulaire cardiaque (indication aux AVK).

Antidote Contrairement au dabigatran, les agents anti-Xa n’ont pas d’antagoniste disponible en cas d'urgence. Toutefois, deux agents sont actuellement en cours d'essai clinique et devraient arriver sur le marché dans un proche avenir (voir Antagonisme) [3,17,22].

Andexanet alfa (Annexa®); fonctionne comme un leurre du facteur Xa et séquestre les inhibiteurs de ce facteur (xabans). L'activité anti-Xa est réduite de 92-94% en 5 minutes et l'effet dure 2 heures [25] et l'hémostase est effective dans 79% des cas [9]. La durée d'action de l'andexanet étant plus courte que celle des xabans, il y a un risque d'effet rebond de l'anticoagulation. La substance est en voie de commercialisation pour renverser l'effet du rivaroxaban, de l'apixaban et de l'edoxaban, mais elle n'est pas encore approuvée par la FDA ni par l'EMA.

Ciraparantag (aripazine, PER977); molécule polyvalente contenant 8 sites de fixation covalente par l'H+, efficace pour renverser l'effet des xabans, de l'argatroban, du fondaparinux, du dabigatran et des héparines. Le temps de coagulation est normalisé en 10 minutes [2], et l'hémorragie diminuée de 90% chez l'animal [16]. Les essais cliniques n'étant pas encore terminés, la substance ne sera pas sur le marché avant 1-2 ans.

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27 TURPIE AG, KREUTZ R, LLAU J, et al. Management consensus guidance for the use of rivaroxaban - an oral, direct factor Xa inhibitor. Thromb Haemost 2012; 108:876-86

28 TURPIE AG, LASSEN MR, DAVIDSON BL, et al, RECORD4 investigators. Rivaroxaban versus enoxaparin for thromboprophylaxis after total knee arthroplasty: a randomised trial. Lancet 2009; 373:1673-80

29 WEITZ JI, EIKELBOOM JW, SAMAMA MM. New antithrombotic drugs. Antithrombotic therapy and prevention of thrombosis, 9th ed: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest 2012; 141 (Suppl 2):e120S-e151S

30 ZAHIR H, BROWN KS, VANDELL AG, et al. Edoxaban effects on bleeding following punch biopsy and reversal by 4-factor prothrombin complex concentrate. Circulation 2015 ; 131:82-90

Agents anti-Xa

Inhibiteurs directs du facteur Xa, administrés par voir orale 1 fois par jour (2x pour l'apixaban). Le test spécifique est l’activité anti-Xa calibrée pour le médicament, car les tests habituels sont modifiés de manière non-quantitative; seul le TP est prolongé. Des interférences médicamenteuses sont possibles avec des substances dont le métabolisme dépend aussi des cytochromes hépatiques CYP3A4 et de la protéine de transport P-gp. - Rivaroxaban (Xarelto®, 10-20 mg/j), demi-vie : 10 heures, 12 heures > 75 ans et en cas d’insuffisance rénale. Délai d’interruption préopératoire : minimum 24 heures (10 mg/j) avant intervention mineure ; 48 heures avant opération majeure, dosage 15-20 mg/j, ou âge >75 ans ; 2-4 jours en cas d’insuffisance rénale (élimination rénale pour moitié) - Apixaban (Eliquis®, 2.5-5.0 mg 2x/j), demi-vie 12 heures, élimination principalement par métabolisation hépatique. Délai d’interruption préopératoire : 48 heures - Edoxaban (Lixiana® 60 mg/j), demi-vie 10-14 heures, élimination pour moitié par voie rénale. Délai d’interruption préopératoire : 48 heures, 72 heures si risque hémorragique ou ALR rachidienne

- En règle générale : interruption de 3 demi-vies avant la chirurgie (48 h) et de 5 demi-vies avant une ALR rachidienne (72 h)

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 40

Agents anti-vitamine K Dans les années 1920, des hémorragies massives parmi le cheptel ayant mangé du foin moisi avaient mis sur la piste de la warfarine. D’abord utilisée comme mort-aux-rats, celle-ci a ensuite été adaptée à l’usage clinique chez l’homme comme anticoagulant oral (Coumadine®). Les coumarines comme la phénprocoumone (Marcoumar®) ou l’acénocoumarol (Sintrom®) sont utilisées depuis les années cinquante (voir Tableaux 8.1 page 26, 8.2 et 8.3 page 27, 8.11 et 8.12 pages 124-125). Les anti-vitamine K (AVK) agissent en bloquant la synthèse hépatique des facteurs dépendant de cette vitamine: facteurs II (prothrombine), VII, IX et X, protéine C et S (voir Figure 8.9). En début de traitement, la déplétion en protéine C et S est plus rapide que celle en facteurs de coagulation, ce qui induit passagèrement un état hypercoagulable, puisque ces deux protéines ont un effet inhibiteur sur la cascade coagulatoire [1]. La demi-vie est de 8-11 heures pour le Sintrom® et 90-160 heures pour le Marcoumar®. Etant principalement éliminés par voie hépatique, ces médicaments sont peu influencés par la fonction rénale. La dose initiale est 5-10 mg par jour, réglée ensuite sur la réponse de l’INR. Chez les personnes âgées, il est judicieux de rester < 5 mg/j [2]. L’incidence des saignements sous AVK varie de 0.5% à 3.4% par an selon les études, en fonction de l’INR recherché [5]. Bien qu’ils soient utilisés depuis une soixantaine d’années, les agents anti-vitamine K présentent des inconvénients majeurs [4,6].

La réponse est lente; le pic d’action est atteint après plusieurs jours (4 jours pour le Sintrom, 7 jours pour le Marcoumar); lors de thrombo-embolie veineuse, l’AVK est débuté pendant les 2-5 premiers jours de traitement héparinique intraveineux.

Le traitement nécessite une surveillance continue par l’INR / TP. La marge thérapeutique est étroite; l’INR thérapeutique est situé entre 2.0 et 3.0. Or la réponse

individuelle est très variable pour plusieurs raisons: polymorphisme génétique et ethnique important, forte liaison à certains aliments, fluctuations dans l’ingestion de vitamine K, interaction avec de nombreux autres médicaments.

o Potentialisation: antifungiques azole, céphalosporines, érythromycine, amoxicilline, amiodarone, diltiazem, clofibrate, fluvastatine, simvastatine, phénylbutazone, cimétidine, oméprazole, acétaminophène, alcool, AINS.

o Inhibition: rifampicine, barbiturés, carbamazépine, azathioprine. Lors d’interruption préopératoire, le délai pour que l’INR soit ≤ 1.5 est en moyenne de 5 jours, mais il varie considérablement selon les patients en fonction de la dose d’entretien, de la fonction hépatique, de l’alimentation et des médications concomitantes. La routine est d’interrompre les AVK 5 jours avant la chirurgie et de les reprendre le premier jour postopératoire (voir Chirurgie chez malades anticoagulés) [3]. Comme on ne peut pas laisser les patients aussi longtemps sans anticoagulation, il est recommandé d’assurer une substitution momentanée par une héparine (voir Substitution). Références 1 ADAMS RLC, BIRD RJ. Review article: Coagulation cascade and therapeutic update: Relevance to nephrology. Part I: Overview

of coagulation, thrombophilia and history of anticoagulants. Nephrol 2009; 14:462-70 2 AGENO WA, GALLUS AS, WITTKOWSKY A, et al. Oral anticoagulant therapy: Antithrombotic therapy and prevention of

thrombosis, 9th ed: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest 2012; 141 (Suppl 2):e44S-e88S

3 DOUKETIS JD, BERGER PB, DUNN AS, et al. The perioperative management of antithrombotic therapy. American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines (8th edition). Chest 2008; 133:299S-339S

4 HOLBROOK A, SCHULMAN S, WITT DM, et al. Evidence-based management of anticoagulant therapy. Antithrombotic therapy and prevention of thrombosis, 9th ed: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest 2012; 141 (Suppl 2):e152S-e184S

5 JACKSON SL, PETERSON GM, VIAL JH, et al. Outcomes in the management of atrial fibrillation : clinical trials results can apply in practice. Intern Med J 2001 ; 31 :329-36

6 SINAURIDZE EI, PANTELEEV MA, ATAULLAKHANOV FI. Anticoagulant therapy: basic principles, classic approaches and recent developments. Blood Coag Fibrinol 2012; 23:482-93

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 41

Agents anti-vitamine K

Les AVK bloquent la synthèse hépatique des facteurs dépendant de la vitamine K: facteurs II (prothrombine), VII, IX et X, protéine C et S. Le le pic d’action est atteint après plusieurs jours (4 jours pour le Sintrom®, 7 jours pour le Marcoumar®) ; la demi-vie est longue : 11 heures pour le Sintrom®, 40 heures pour la Coumadine® et 140 heures pour le Marcoumar®. La réponse est très variable individuellement, d’où la nécessité de monitorer régulièrement le TP/INR (niveau thérapeutique : INR 2.5-3.0). Dose initiale : 5-10 mg/j ; entretien : 2-5 mg/j. Lors d’interruption préopératoire, le délai pour que l’INR soit < 1.5 est en moyenne de 5 jours, mais il varie considérablement selon les patients en fonction de la dose d’entretien, de la fonction hépatique, de l’alimentation et des médications concomitantes. La routine est d’interrompre les AVK ≥ 5 jours avant la chirurgie et de les reprendre le premier jour postopératoire ; une substitution avec une héparine est en général nécessaire.

Antiplaquettaires et statines La thrombine active à la fois la formation de fibrine et l’agrégation des plaquettes; elle est un pont entre le système de la coagulation et celui de l’agrégation plaquettaire. Mais les thrombocytes possèdent leurs propres systèmes d’activation, et leurs nombreux récepteurs peuvent être bloqués par différentes substances (Figures 8.12 et 8.13) (Tableaux 8.11 et 8.12 pages 124-125). Figure 8.12 : Plusieurs types de récepteurs sont localisés à la surface d’une plaquette. Lors de lésions endothéliale, le facteur von Willebrand (FvW) et le collagène activent le récepteur GP Ib/V/IX. Ceci procoque une libération de thromboxane A2 (TXA2), d’ADP, de thrombine et de sérotonine. Ces substances vont activer les récepteurs correspondants de la plaquette et des thrombocytes du voisinage (TP α et β, P2Y1 et P2Y12, PAR1 et PAR4). La stimulation de ces récepteurs induit une élévation du Ca2+ intracellulaire et une baisse de l’AMP cyclique, ce qui conduit à une activation du récepteur GP IIb/IIIa ; celui-ci se lie au fibrinogène, qui agglutine plusieurs plaquettes entre elles, et au FvW qui ancre la plaquette à la paroi. PAR : protease-activated receptor. TP : thromboxane/prostanoid.

TPα TPβ COX-1

Facteur von Willebrand Collagène

Fibrinogène FvW

↑ Ca2+ ↓ cAMP

PAR1 PAR4

Thrombine TXA2 ADP

TXA2

P2Y12 P2Y1

ADP

GPIb/V/IX

Fib

GP IIb/IIIa

© Chassot 2013

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 42

Figure 8.13 : Les différentes catégories d’agents antiplaquettaires, classés selon le récepteur bloqué. Inhib : inhibiteurs. IPDE : inhibiteur des phospho-diestérases. FvW : facteur von Willebrand. Fi : fibrinogène. Sans être des anticoagulants proprement dits, les agents antiplaquettaires (AAP) inhibent l’agrégation des thrombocytes et freinent à des degrés divers la formation du “thrombus blanc” qui est la base du caillot dans les lésions vasculaires artérielles (rupture de plaque athéromateuse, par exemple) [1]. Le sujet est traité en détail dans un autre chapitre (Chapitre 29 Les antiplaquettaires). Les statines sont des inhibiteurs de la 3-hydroxy-3-méthylglutaryl coenzyme A réductase, très largement utilisés pour leurs effets hypolipémiants, anti-inflammatoires, anti-oxydants et stabilisateurs des plaques athéromateuses (voir Chapitre 3 Les statines). Mais les statines ont encore des effets directs à la fois sur la coagulation et sur l’agrégabilité plaquettaire [4].

Inhibition de l’activité du facteur tissulaire (FT) et diminution de la synthèse du facteur Va; Activation de la thrombomoduline et de la voie de la protéine C inhibitrice de la coagulation; Inhibition de la formation de thromboxane A1 et activation de la synthèse de NO dans les

plaquettes. Dans plusieurs situations cliniques, les statines ont effectivement démontré une réduction significative du risque cardiovasculaire (44-63%), indépendante des autres conditions thérapeutiques : angioplastie coronarienne, syndrome coronarien aigu, thrombo-embolie veineuse profonde [2,3]. Mais il s’agit le plus souvent d’études impliquant de hautes doses de statines, qui tendent à augmenter le risque d’AVC hémorragique. Références 1 BECATTINI C, AGNELLI G, SCHENONE A, et al. Aspirin for preventing the recurrence of venous thromboembolism. N Engl J

Med 2012; 366:1959-67 2 HULTEN E, JACKSON JL, DOUGLAS K, et al. The effect of early, intensive statin therapy on acute coronary syndrome: a meta-

analysis of randomized controlled trials. Arch Intern Med 2006; 166:1814-21

GP 2IIb-IIIa

Anti-GP IIb/IIIa: Abciximab Eptifibatide Tirofiban

Anti-adhésion: DZ 697b ARC1779

Inhib COX-1: Aspirine

AINS

Inhib thrombine: Vorapaxar Atopaxar

Inhib ADP irréversibles: Clopidogrel Prasugrel

Inhib ADP réversibles: Ticagrelor Cangrelor Elinogrel

IPDE-3: Cilostazol

TPα TPβ COX-1

Facteur von Willebrand Collagène

PDE3

↑ Ca2+ ↓ cAMP

PAR1 PAR4

Thrombine

TXA2 ADP

TXA2

P2Y12 P2Y1

ADP

GP Ib/V/IX

Fibrinogène FvW

Fib

© Chassot 2013

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 43

3 PATTI G, CANNON CP, MURPHY SA, et al. Clinical benefit of statin pretreatment in patients undergoing percutaneous coronary intervention: a collaborative patient-level meta-analysis of 13 randomized studies. Circulation 2011; 123:1622-32

4 VIOLI F, CALVIERI C, FERRO D, PIGNATELLI P. Statins as antithrombotic drugs. Circulation 2013; 127:251-7 Monitorage Les tests de coagulation habituels font partie de l’évaluation du malade anticoagulé en préopératoire, mais ont une portée limitée dans la prédiction du risque hémorragique, parce qu’ils évaluent essentiellement la coagulation in vitro sans l’effet des cellules circulantes (plaquettes, leucocytes) ni celui de l’endothélium. Leur standardisation est difficile [8]. Leur sensibilité dépend du réactif utilisé [2,14].

L’aPTT (activated partial thromboplastin time) est sensible aux facteurs I, II, V, X (voie commune) et VIII, IX, XI, XII (voie intrinsèque); le seuil pathologique est fixé empiriquement à ≥ 60 secondes (1.5-1.8 fois la valeur normale) ; la valeur normale (30-40 sec) est variable selon les laboratoires.

Le TP (temps de prothrombine) est sensible aux facteurs I, II, V, VII, X (voie extrinsèque) ; il mesure les facteurs dépendant de la vitamine K. Le seuil pathologique est fixé empiriquement à ≥ 40 secondes. Le rapport normalisé INR (International normalized ratio) est un mode d’expression du TP qui tient compte de la sensibilité du réactif utilisé pour le test (thromboplastine) et qui réduit les variations entre laboratoires ; il est spécifique aux agents anti-vitamine K et ne s'applique pas aux autres substances. L’INR normal est < 1.5.

Le TT (temps de thrombine) mesure la conversion du fibrinogène en fibrine; il est prolongé par les inhibiteurs de la thrombine comme l'héparine, la bivalirudine ou le dabigatran.

Le fibrinogène doit rester > 2 gm/L pour permettre une polymérisation adéquate de la fibrine et éviter des saignements excessifs. La méthode de Clauss habituellement utilisée pour sa mesure est sensible à la présence de colloïdes, ce qui conduit à une surestimation de son taux en leur présence. Ni la technique de Clauss ni le FIBTEM de la thromboélastographie ne sont standardisés.

Le taux de thrombocytes ne prédit rien de leur fonction, mais doit être > 70’000/mcL pour assurer un thrombus efficace.

Suivi des anticoagulants Les tests de laboratoire sont essentiels pour le suivi des malades sous héparine ou antivitamine K (AVK), parce que la réponse à ces médicaments est très variable selon les individus et selon les circonstances (diète, comédication, etc). Il n’en est pas de même pour les nouveaux anticoagulants oraux (NACO), qui ont précisément été mis au point dans le but d’offrir une réponse linéaire entre la dose et l’effet, et d’éviter le recours à de fréquents dosages de laboratoire. De ce fait, on ne dispose pas de monitorage fiable pour ces substances, qui tendent à modifier les tests de manière non spécifiques. Pour les NACO, il est difficile d’évaluer avec certitude quel est le degré réel d’anticoagulation d’un malade et quel est le seuil hémostatique à partir duquel la coagulation peut être considérée comme satisfaisante. Les tests de laboratoire sont diversement influencés par ces différents anticoagulants (Tableaux 8.4 et 8.11 pages 44 et 124), et les seuils de sécurité d’INR ou d’aPTT validés pour les AVK ne s’appliquent pas aux nouvelles substances [3,13]. Il est d’usage d’évaluer l’effet de l’héparine non-fractionnée (HNF) par deux tests de laboratoire, vu que la substance présente une pharmacocinétique non-linéaire [6].

Le temps de thromboplastine (aPTT, activated partial thromboplastin time) est performant aux dosages habituels; valeur recherchée: 2 à 3 fois la valeur de contrôle.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 44

L’ACT (ACT, activated clotting time) est préférable aux dosages élevés comme lors de CEC; valeur recherchée: ≥ 450 secondes pour un circuit de CEC standard, 250-300 secondes pour un circuit pré-hépariné.

Tableau 8.4 : Effets des anticoagulants sur les tests de laboratoire Substance aPTT TP INR TT ACT Anti-Xa* Anti IIa Héparine non-fractionnée ↑ ↑ ↑ ↑ ↑

HBPM ↑ (↑) ↑

Fondaparinux (Arixtra®) ↑

Bivalirudine (Angiox®)** ↑ ↑ ↑ ↑

Argatroban (Argatroban Inj®) ↑ ↑

Dabigatran (Pradaxa®)** (↑) ↑ ↑↑

Rivaroxaban (Xarelto®) ↑ (↑) ↑↑

Apixaban (Eliquis®) (↑) (↑) ↑↑

Edoxaban (Lixiana®) ↑ (↑) ↑↑

Anti-vitamine K ↑ ↑↑ ↑↑ ↑

* Spécifiquement calibré pour la substance dosée ** Test spécifique: temps d'écarine (ECT); pour le dabigatran, également dTT (Hemoclot™)

L’INR a été spécifiquement conçu pour le suivi des AVK. La sensibilité des tests est la plus élevée pendant les 4-8 premières heures après l’administration de la substance.

D’après: Chassot PG, Barelli S, Blum S, Angelillo-Scherrer A, Marcucci C. Antiplatelet therapy and anticoagulation. In :

Marcucci C, Schoettker P, editors. Perioperative hemostasis. Coagulation for anesthesiologists. Heidelberg : Springer Verlag, 2015

Drouet L, Bal dit Sollier C, Steiner T, et al. Measuring non-vitamin K antagonist oral anticoagulant levels: When is it appropriate and which methods should be used ? Int J Stroke 2016; 11:748-58

Heidbuchel H, Verhamme P, Alings M, et al. European Heart Rythm Association Practical Guide on the use of non-vitamin K antagonist anticoagulants in patients with non-valvular atrial fibrillation. Europace 2015 ; 17:1467-507

La mesure de l’activité des HBPM, qui affectent peu l'aPTT, du fondaparinux et des substances anti-Xa (fondaparinux, xabans) se fait par le dosage de l’effet anti-Xa calibré pour la substance, dont le pic est atteint 3 à 5 heures après l’administration. La valeur cible est 0.5-1.0 ou de 1.0-2.0 UI/mL en administration prophylactique ou thérapeutique, respectivement [10]. Ce dosage n’est pas requis pour le suivi des malades, excepté en cas d’obésité, de grossesse, d’insuffisance rénale, de surdosage ou de décision préopératoire urgente. La variabilité de la réponse individuelle et les effets de la diète ou des co-médications imposent de suivre l’effet des anti-viatmine K par le temps de thromboplastine (TP ou temps de Quick) ou par l’INR. Le niveau thérapeutique recherché est ≤ 30% pour le TP et 2.5 - 3.0 pour l’INR [1]. Les tests de coagulation sont affectés de manière variable par les NACO [4,5,7,9,12,15].

Le TT (temps de thrombine) est très sensible au dabigatran, mais ne permet qu’une évaluation qualitative, alors que le TT dilué (dTT) et calibré pour le dabigatran (Hemoclot™) permet une détermination quantitative du taux plasmatique. Le TT est insensible aux xabans.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 45

L’aPTT est sensible au dabigatran et permet de déterminer la présence ou l’absence d’effet anticoagulatoire, mais non une quantification. Un effet résiduel de la substance est possible même si l'aPTT est normal. L'aPTT est mal corrélé aux xabans.

Le TP est sensible aux agents anti-Xa directs (rivaroxaban, apixaban, edoxaban), mais insensible aux agents anti-IIa directs (dabigatran). Il est partiellement corrélé au taux plasmatique de rivaroxaban et d’edoxaban, mais de manière très dépendante du réactif utilisé. Il est peu corrélé au taux d'apixaban. Il n’est fiable que s’il est réalisé avec une thromboplastine sensible aux xabans (Neoplastin Plus™, sensible à des taux ≥ 50 ng/mL). En l’absence de normalisation entre les différents réactifs, le TP ne peut pas être envisagé pour prédire l’intensité de l’anticoagulation. Un TP normal ne permet pas d’exclure une activité anti-Xa résiduelle [9,12].

Les tests chromatographiques mesurant l’activité anti-Xa calibrée pour chaque substance permettent de quantifier l’effet des anti-Xa directs (rivoraxaban, apixaban) et indirects (HBPM, fondaparinux) en U/mL; leurs résultats sont étroitement corrélés au taux sérique de ces substances. Ce sont les tests préférentiels pour les xabans. Toutefois, on ne dispose d’aucune donnée pharmacologique sur la relation entre les résultats de laboratoire et le risque hémorragique du malade [12].

Le temps d’écarine (ECT, ecarin clotting time) mesure le temps de thrombine avec un dérivé du venin de vipère comme activateur de la prothrombine ; il est approprié pour l’évaluation du dabigatran et de la bivaluridine.

Un TP ou un aPTT normaux signalent que l’activité résiduelle du rivaroxaban ou du dabigatran, respectivement, est probablement faible, mais ne permettent pas en eux-mêmes d'autoriser la chirurgie [11]. Les valeurs obtenues par les différents tests dépendent du délai entre l’examen et la dernière prise du médicament ; elles sont les plus élevées pendant les premières heures (pic de concentration sérique), période où les tests ont leur sensibilité maximale [12]. Il est donc recommandé d’effectuer une mesure élective dans la période du taux résiduel, soit entre 12 et 18 heures après la dernière prise pour avoir une idée de la concentration minimale de la substance à laquelle le patient est toujours exposé [9,12]. L’identification et la mesure exacte de la concentration de ces substances sont possibles par chromatographie liquide haute performance ou par spectrographie de masse, mais ces examens ne sont pas disponibles partout et ne sont en général pas remboursés.

Monitorage des anticoagulants

Suivi des patients sous héparine non-fractionnée (HNF) en perfusion : - Temps de thromboplastine (aPTT, activated partial thromboplastin time) ; valeur recherchée: 1.5 – 2.5 fois la valeur de contrôle - ACT (activated clotting time) ; préférable aux dosages élevés ; ≥ 450 secondes en CEC Suivi des patients sous HBPM, fondaparinux et anti-Xa : dosage de l’effet anti-Xa calibré pour la substance. Valeur cible : 0.5-1.0 UI/mL (prophylactique) ou 1.0-2.0 UI/mL (thérapeutique). Suivi des patients sous agents anti-vitamine K (AVK) : - TP (temps de Quick), valeur-cible : ≤ 30%

- INR (International normalized ratio), valeur-cible : 2.5 - 3.0

Suivi des patients sous nouveaux anticoagulants oraux (NACO) : - TT, aPTT et ECT prolongés par le dabigatran ; Hemoclot™ (quantitatif) - TP prolongé par le rivaroxaban et l'edoxaban (non fiable pour l’apixaban) - Activité anti-Xa calibrée pour la substance comme mesure quantitative pour les xabans - TP et aPTT sont prolongés de manière non-quantitative; leur normalité ne permet pas d’éliminer une activité anticoagulatoire des xabans ou du dabigatran, respectivement

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 46

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13 SIÉ P, SAMAMA CM, GODIER A, et al. Chirurgies et actes invasifs chez les patients traités au long cours par un anticoagulant oral anti-IIa ou anti-Xa direct. Propositions du Groupe d’intérêt en hémostase périopératoire (GIHP) et du Groupe d’études sur l’hémostase et la thrombose (GEHT). Ann Fr Anesth Réanim 2011 ; 30 : 645-50

14 VAN VEEN JJ, MAKRIS M. Management of perioperative anti-thrombotic therapy. Anaesthesia 2015 ; 70 (Suppl.1) : 58-67 15 WEITZ JI, QUINLAN DJ, EIKELBOOM JW. Periprocedural management and approach to bleeding in patients taking dabigatran.

Circulation 2012; 126:2428-32 Thrombocytopénie induite par l’héparine (HIT) La thrombocytopénie induite par l’héparine (TIH), ou HIT (heparin-induced thrombocytopenia), est un état prothrombotique déclenché par des anticorps IgG dirigés contre le complexe formé entre l’héparine et le facteur-4 des plaquettes (PF4). Cet ensemble IgG-héparine-PF4 active la plaquette, qui relâche alors le PF4, prêt à former d’autres complexes avec l’héparine. Il s’ensuit une activation intense des plaquettes, qui libèrent leurs microparticules et déclenchent la cascade de la coagulation par la voie extrinsèque (facteur tissulaire et facteur VIIa) avec production massive de thrombine. Ce syndrome présente plusieurs caractéristiques [7,13,14].

Exposition à un traitement d’héparine pendant 5-10 jours; le risque est de 1-5% avec l’héparine non-fractionnée (HNF) et de 0.1-1% avec les héparines à bas poids moléculaire (HBPM) ; il est de 1-5% après chirurgie cardiaque ou trauma [6].

Thrombocytopénie: chute du taux de plaquettes d’au moins 50%. Thromboses veineuses et artérielles, avec leur cascade de complications (35-80% des cas):

embolie pulmonaire, infarctus myocardique, AVC, nécroses cutanées. En général, les thromboses veineuses sont prédominantes, mais les thromboses artérielles sont plus fréquentes en chirurgie cardiaque. Une CIVD est présente dans 10-20% des cas.

Taux élevé d’anticorps anti-héparine. Ce taux est corrélé avec les complications thrombotiques au cours de l’héparinothérapie, mais il se négative au-delà de 3 mois car les anticorps ont une durée de vie inférieure à 100 jours.

Les problèmes cliniques sont liés à l’excès de thrombine, non à la thrombocytopénie [6]. Le syndrome est suspecté chez tout patient sous héparine qui développe une thrombocytopénie ou une thrombose dans les 5-15 jours après le début du traitement. Sa probabilité est évaluée par un score qui a une haute valeur prédictive négative, mais une faible valeur prédictive positive (Tableau 8.5A) [13]. Il existe également un score spécialement dédié à la situation après CEC (Tableau 8.5B) [12].

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 47

Tableau 8.5A

Score de risque pour la thrombocytopénie insuite par l’héparine (HIT) (4Ts score: Thrombocytopenia, Timing, Thrombosis, oTher cause)

Score = 2 Score = 1 Score = 0

Thrombocytopénie Chute thrombos > 50% Chute > 50%, mais Chute < 30% Nadir 20-50’000/mcL chirurgie < 3 jours Pas de chirurgie < 3 j Délai 5-10 j après début héparine 5-10 j héparine douteux < 5 j, mais pas > 1 j après début héparine, > 1 j après début héparine, héparine à < mais héparine 5-30 jours mais héparine 30-100 100 jours auparavant jours auparavant Thrombose veineuse ou artérielle veineuse suspicion confirmée érythème aux points nécrose cutnaée d’injection de l’héparine Autre cause de pas d’autre cause autre cause possible autre cause thrombocytopénie sepsis, IPPV probable, CIVD Probabilité de HIT Score 6-8: élevée Score 4-5: modérée Score 0-3: exclusion de HIT Une probabilité élevée (score 6-8) n’est pas pour autant un diagnostic certifié de HIT. D’après: Linkins LA, Dans AL, Moores LK, et al. Treatment and prevention of heparin-induced thrombocytopenia. Antithrombotic therapy and prevention of thrombosis, 9th ed: American College of Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest 2012; 141 (Suppl 2):e495S-e530S .

Tableau 8.5 B: Score de risque pour la thrombocytopénie insuite par l’héparine après CEC

Scénario Clinique Points Taux de plaquettes Type A: recuperation après CEC, 2 puis rechute après > 4 jours Type B: thrombopénie immédiate 1 post-CEC et persistence > 4 jours Délai après CEC ≥ 5 jours 2 < 5 jours 0 Durée de CEC ≤ 120 minutes 1 > 120 minutes 0 Score total: ≥ 2 points: probabilité élevée de HIT; < 2 points: faible probabilité de HIT D’après: Lillo - Le Louët A, Boutouyrie P, Alhenc-Gela M, et al. Diagnostic score for heparin-induced thrombocyto-penia after cardiopulmonary bypass. J Thromb Haemost 2004; 2:1882-8 Les scores intermédiaire et élevé obligent à tester la présence d’anticorps anti-complexe héparine-PF4, qui est diagnostique [14].

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 48

Tests immunologiques (ELISA): dosage direct des anticorps; la sensibilité de ces tests est élevée, mais leur spécificité est modérée;

Tests fonctionnels: activation plaquettaire en présence d’héparine et libération de sérotonine; plus difficiles à réaliser, ces tests sont considérés comme la référence.

Certaines situations sont à risque élevé (> 1%) et réclament un dosage des plaquettes tous les 2-3 jours pendant 2 semaines, particulièrement les jours 5, 7 et 9; ce sont tout particulièrement l’administration d’héparine postopératoire (incidence en orthopédie 1-5%), les suites de la chirurgie cardiaque (incidence 1-5%) et la chirurgie du cancer (incidence 1-2%). La prévalence est moindre en obstétrique et dans les indications médicales à l’héparine. Les femmes sont deux fois plus souvent atteintes que les hommes [13]. Après chirurgie cardiaque, l’apparition ou la persistance d’une thrombocytopénie au-delà du 4ème jour est toujours suspecte, car la baisse des plaquettes liée à la CEC, qui débute dès la fin de la pompe, se résout normalement après 4 jours. Le pic d’incidence de HIT survient entre le 5ème et le 15ème jour postopératoire. La mortalité du syndrome est de 5 à 30%, en général liée aux complications des thromboses. Leur prophylaxie est handicapée par le fait qu’elles peuvent survenir en même temps que la thrombocytopénie [6]. Le traitement consiste à interrompre immédiatement l’administration d’héparine (HNF et HBPM) et les contacts avec la substance (rinçage, cathéter enduit d'héparine). L'héparine est remplacée par un agent qui bloque la cascade au niveau du facteur Xa: argatroban, bivalirudine, désirudine, danaparoide ou fondaparinux. La transfusion de plaquettes n’est indiquée qu’en cas d’hémorragie grave, mais non en fonction du taux de thrombocytes. En effet, le risque de saignement est faible et la transfusion plaquettaire augmente le risque de thrombose. L’anticoagulaion doit être prolongée pendant 6 semaines en cas de thrombocytopénie isolée et 3 mois en cas de thrombose associée [7]. Un antivitamine K (INR 2.0-3.0) est donc introduit dès que les plaquettes ont récupéré un taux normal (≥ 150’000/mcL), avec un recouvrement d’au moins 5 jours par l'anticoagulant en perfusion. Chirurgie cardiaque en cas de HIT Lorsqu’un patient souffre de thrombocytopénie induite par l’héparine ou en a souffert dans son anamnèse, deux possibilités se présentent [14].

Les anticorps anti-héparine sont présents : o Si la chirurgie est élective : attendre que les tests soient négativés ; on peut alors

utiliser de l’héparine pour la CEC. o Si la chirurgie est urgente : utiliser des alternatives à l’héparine, à savoir bivalirudine

si la fonction rénale est normale, argatroban en cas d’insuffisance rénale. Adjonction possible : protection plaquettaire.

Les tests pour les anticorps anti-héparine sont négatifs : o Utilisation d’héparine pour la CEC.

Dans les deux cas, on évite l’HNF et les HBPM en pré- et en postopératoire. Les anticoagulants à disposition en lieu et place de l’héparine n’ont pas d’antagoniste et ne sont pas renversées par la protamine. Leur élimination dépend de leur demi-vie sérique (voir Inhibiteurs directs de la thrombine, Tableau 8.1 page 26 et Tableau 8.2 page 27) et de l’utilisation d’un circuit d’hémofiltration en fin de CEC [1,4,5,7,14].

Bivalirudine (Angiox®) : inhibiteur réversible direct de la thrombine et de l'activation plaquettaire. Demi-vie : 25 min (doublée en cas d'insuffisance rénale) ; élimination rénale. Le plus facile à manipuler pour la CEC, mais avec un risque de thrombose dans le réservoir ou dans l’oxygénateur si le débit de la machine est interrompu, car l’élimination de la bivalirudine par protéolyse plasmatique continue dans le sang immobilisé. Il faut donc prévoir des shunts artério-veineux, un CellSaver™ sur la récupération du sang, un rinçage intermittent du réservoir veineux et un stockage du sang dans des poches citratées. La bivalirudine

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 49

augmente linéairement l'ACT, le TP, le PTT et le TT; le test le plus fiable est le temps d'écarine (ECT, ecarin clotting time), mais il n'est pas réalisable dans tous les laboratoires. Dosage : bolus 1 mg/kg + 50 mg dans le liquide d’amorçage de la CEC + perfusion 2.5 mg/kg/h. On vise un ACT ≥ 450 sec au moyen de bolus additionnels de 0.1-0.5 mg/kg [9]; l'ECT visé est 400-500 sec [14]. La perfusion est arrêtée 10-15 minutes avant la fin de la CEC. L’ultrafiltration n’est utilisée qu’après la CEC pour acccélérer l’élimination de la bivalirudine.

Argatroban (Argatroban Injection®) : molécule synthétique qui se lie sélectivement et réversiblement à la thrombine. Demi-vie : 40-50 minutes ; élimination hépatique. Dosage : bolus 0.1-0.2 mg/kg iv + 0.05 mg/kg dans le liquide d’amorçage de la CEC + perfusion 5-10 mcg/kg/min (immédiate et continue) pour ACT 350-400 sec et aPTT 1.5 à 3 fois la valeur de base ; bolus supplémentaires si nécessaire : 2 mg. Retour à une coagulation normale 2-4 heures après l’arrêt de la perfusion. L’argatroban est le médicament de choix en cas de dysfonction rénale.

Danaparoïde sodique (Orgaran®) : inhibition prédominante du facteur Xa. Demi-vie de 7 heures pour l’activité anti-IIa et de 25 heures pour l’activité anti-Xa ; élimination rénale. Dosage : bolus iv 1’500-2'000 U + 5’000-10'000 U dans le liquide d’amorçage de la CEC ; ajout de 1'500 U après 2 heures. Très difficile à gérer en CEC et très hémorragipare dans le postopératoire.

Lépirudine (Refludan®) : forme recombinante de l’hirudine, inhibiteur irréversible de la thrombine découvert chez la sangsue. Demi-vie sérique de 10 min, demi-vie d’élimination 1-1.5 heure, mais inhibition irréversible de la thrombine ; élimination rénale. La meilleure surveillance est l’ECT (temps de coagulation par l’écarine du sang total citraté). Dosage : bolus 0.25 mg/kg + 0.2 mg/kg dans le liquide d’amorçage de la CEC + bolus 5 mg pour ACT > 350 sec (imprécis) ; perfusion 0.15 mg/kg/h. La production de lépirudine a cessé en 2012.

La bivalirudine, seule substance testée dans des études contrôlées, est considérée actuellement comme le premier choix pour remplacer l’héparine en chirurgie cardiaque [8,9,13]. Deux autres substances sont à disposition en cas de HIT, mais ne sont pas utilisables pour la CEC à cause de leur administration sous-cutanée.

Désirudine (Iprivask®) : forme recombinante de l’hirudine. Demi-vie d’élimination : 2-3 heures. Dosage suggéré en cas de HIT : 15-30 mg/12h sous-cutané selon l’aPTT, mais l’expérience avec cette substance est très limitée.

Fondaparinux (Arixtra®) : analogue synthétique de la séquence de pentasaccharides de l’héparine, inhibition sélective du facteur Xa. Demi-vie : 16-17 heures ; excrété par les reins, il doit être évité en cas d’insuffisance rénale ou diminué de moitié si la clairance de la créatinine est de 30-50 mL/min. Dosage : 7.5 mg/jour par voie sous-cutanée (10 mg/j > 100 kg). Toutefois, l'efficacité du fondaparinux n'est fondée sur aucune étude randomisée; la susbtance a même été soupçonnée de pouvoir déclencher un HIT [14].

Anticoagulants oraux anti-Xa (rivaroxaban, apixaban, edoxaban): en investigation. La protection des plaquettes (thromboplégie) est une option additionnelle à l’anticoagulation. Elle consiste à inhiber leur agrégation pendant la durée de l’intervention avec un antiplaquettaire de courte durée d’action. Cette inhibition freine leur consommation et minimise le risque de thrombocytopénie postopératoire.

Prostacycline (Iloprost®) : augmentation de l’AMPc intraplaquettaire et inhibition de l’activation. Demi-vie 15-30 min. Perfusion de 6-12 ng/kg/min réglée selon le test HIPA (Heparin-induced platelet activation). Arrêt 20 minutes avant la protamine [3].

Tirofiban (Aggrastat®) : bloqueur du récepteur GP IIb/IIIa des plaquettes, responsable de la liaison de celles-ci avec le fibrinogène (voir Figures 8.12 et 8.13). Demi-vie : 2 heures. Bolus 0.4 mcg/kg, puis perfusion 0.15 mcg/kg/heure. Arrêt 1 heure avant la fin de la CEC [10].

Cangrelor (Kengrexal®) : inhibiteur réversible direct du récepteur P2Y12 commercialisé dans le cadre de la PCI et du syndrome coronarien aigu, encore en essai clinique dans cette

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 50

indication. Demi-vie 9 minutes. Perfusion 0.75 mcg/kg/min [2,11]. Interruption 30 minutes avant la protamine.

Thrombocytopénie induite par l’héparine (HIT)

Le HIT (heparin-induced thrombocytopenia) est déclenché par des anticorps dirigés contre le complexe formé par l’héparine et le facteur-4 des plaquettes (PF4), dont la conséquence est une activation/consommation des thrombocytes et la mise en route de la chaîne de la coagulation. Caractéristiques : - Traitement d’héparine pendant 5-10 jours - Thrombocytopénie (chute > 50%) - Thromboses veineuses et artérielles - Taux élevé d’anticorps anti-héparine (atténué au-delà de 3 mois) - Incidence : 1-5% avec HNF, 0.1-1% avec HBPM, plus fréquent après chirurgie - Mortalité : 5-10% Traitement : arrêt de l’héparine et remplacement pas une alternative administrées par voie sous-cutanée (traitement à long terme) :

- Désirudine (Iprivask®) - Fondaparinux (Arixtra®)

Substances utilisables pour l’anticoagulation de la CEC en cas de HIT : - Bivalirudine (Angiox®), facile à manipuler - Argatroban (Argatroban Injection®), préférable en cas d’insuffisance rénale Références 1 ADAMS RLC, BIRD RJ. Review article: Coagulation cascade and therapeutic update: Relevance to nephrology. Part I: Overview

of coagulation, thrombophilia and history of anticoagulants. Nephrol 2009; 14:462-70 2 ANGIOLILLO DJ, FIRSTENBERG MS, PRICE MJ, et al. Bridging antiplatelet therapy with cangrelor in patients undergoing

cardiac surgery. JAMA 2012; 307:265-74 3 ANTONIOU T, KAPETANAKIS EI, THEODORAKI K, et al. Cardiac surgery in patients with heparin-induced thrombocytopenia

using preoperatively determined dosages of Iloprost. Heart Surg Forum 2002; 5:354-7 4 COPPENS M, EIKELBOOM JW, GUSTAFSSON D, WEITZ JI. Translational success stories. Development of direct thrombin

inhibitors. Circ Res 2012; 111:920-9 5 GARCIA DA, BAGLIN TP, WEITZ JI, et al. Parenteral anticoagulants: Antithrombotic therapy and prevention of thrombosis, 9th

ed: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest 2012; 141 (Suppl 2):e24S-e43S 6 GREINACHER A. Heparin-induced thrombocytopenia. N Engl J Med 2015 ; 373 : 252-61 7 KELTON JG, ARNOLD DM, BATES SM. Nonheparin anticoagulants for heparin-induced thrombocytopenia. N Engl J Med 2013;

368:737-44 8 KOSTER A, BUZ S, et al. Bivalirudin anticoagulation during cardiac surgery : a single-center experience in 141 patients. Perfusion

2009 ; 24 : 7-11 9 KOSTER A, DYKE CM, ALDEA G, et al. Bivalirudin during cardiopulmonary bypass in patients with previous or acute heparin-

induced thrombocytopenia and heparin antibodies: Results of the CHOOSE-ON trial. Ann Thorac Surg 2007; 83:572-7 10 KOSTER A, KUKUCKA M, BACH F, et al. Anticoagulation during cardiopulmonary bypass in patients with heparin-induced

thrombocytopenia type II and renal impairment using heparin and the platelet glycoprotein Iib/IIIa antagonist tirofiban. Anesthesiology 2001; 94:245-51

11 KRAJEWSKI S, KURZ J, NEUMANN B, et al. Short-acting P2Y12 blockade to reduce platelet dysfunction and coagulopathy during experimental extracoroporeal circulation and hypothermia. Br J Anaesth 2012; 108:912-21

12 LILLO – LE LOUËT A, BOUTOUYRIE P, ALHENC-GELA M, et al. Diagnostic score for heparin-induced thrombocytopenia after cardiopulmonary bypass. J Thromb Haemost 2004; 2:1882-8

13 LINKINS LA, DANS AL, MOORES LK, et al. Treatment and prevention of heparin-induced thrombocytopenia. Antithrombotic therapy and prevention of thrombosis, 9th ed: American College of Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest 2012; 141 (Suppl 2):e495S-e530S

14 SALTER BS, WEINER MM, TRINH MA, et al. Heparin-induced thrombocytopenia. A compréhensive clinical review. J Am Coll Cardiol 2016; 67:2519-32

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 51

Chirurgie non-cardiaque chez les malades anticoagulés Chaque année, 10% des millions de personnes qui prennent des agents antithrombotiques subissent une intervention chirurgicale [1]. Cette situation est gérée en fonction du risque hémorragique si l'opération se déroule sous anticoagulant et du risque thrombotique si le traitement est interrompu. Dans le deuxième cas, le risque est proportionnel à la durée de l'interruption, qui est elle-même fonction de la demi-vie du médicament. Schématiquement, plusieurs cas de figure peuvent se présenter (voir les définitions de risque ci-après).

Opération non-hémorragique: continuation du traitement sans interruption; Opération très hémorragique: interruption momentanée du traitement; Patient à bas risque thrombo-embolique: interruption possible pendant 1 à 3 jours selon la

substance; Patient à haut risque thrombo-embolique: continuation du traitement sans interruption; Patient à haut risque thrombo-embolique et opération hémorragique: substitution des agents à

longue durée d'action par de l'héparine non-fractionnée ou à bas poids moléculaire. Dans tous les cas, la décision relève d'une entente conjointe entre l'anesthésiste, le chirurgien, le médecin traitant et l'hématologue, discussion qui doit avoir lieu assez longtemps à l'avance pour permettre une organisation cohérente de la prise en charge. Une consultation hématologique est toujours bénéfique dans les cas complexes. Références 1 BARON TH, KAMATH PS, McBANE RD. Management of antithrombotic therapy in patients undergoing invasive procedures. N Engl J Med 2013; 368:2113-24 Définition des risques Risque de thrombose Le risque thrombo-embolique est classé en 3 catégories : faible, modéré et élevé. Il implique un traitement anti-thrombotique continu, qui va de la simple aspirine jusqu’à l’anticoagulation thérapeutique (INR > 3). La principale menace vient de cinq principales situations: la fibrillation auriculaire (FA), l’anamnèse de thrombose veineuse profonde et/ou d’embolie pulmonaire, la maladie cancéreuse, l’implantation de prothèse valvulaire et celle de stent coronarien [2,15]. Défini dans le cadre de la FA, le score CHADS2 permet une certaine stratification du risque thrombo-embolique (Tableau 8.6A); il a été raffiné ultérieurement sous forme du score CHA2DS2-VASc (Tableau 8.6B) [3,10].

Fibrillation auriculaire (FA). Le risque annuel d’AVC varie de 2% à 7% et à 18% selon que le score CHADS2 est de 0-2, 3-4, ou ≥ 5, respectivement. La FA secondaire à une valvulopathie ou à une intervention mitrale est dans la catégorie à haut risque.

Thrombose veineuse profonde (TVP) et embolie pulmonaire. Le risque de récidive est élevé pendant les 3 premiers mois ou lors d’association à d’autres facteurs comme le cancer. En préopératoire, le filtre cave inférieur n’est indiqué qu’en cas d’intervention urgente dans le premier mois après l’accident thrombo-embolique.

Maladie cancéreuse. Les néoplasmes viscéraux sont fréquemment accompagnés d’un syndrome paranéoplasique thrombogène. D’autre part, les patients sont souvent sous radio-, hormono- ou chimiothérapie, et peuvent être porteurs de cathéters implantés.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 52

Tableau 8.6A

Stratification des risques thrombo-emboliques Risque Prothèse valvulaire Fibrillation Thrombo-embolie Stents mécanique auriculaire veino-pulmonaire coronariens Elevé Prothèse mitrale CHADS2 ≥ 5 TVP/embolie < 3 m BMS < 6 sem

AVC ou AIT récent AVC ou AIT récent Coagulopathie DES < 3-6 m (< 6 mois) Valvulopathie, RAA SCA < 3-6 m Modéré Prothèse aortique CHADS2 3-4 TVP/embolie 3-12 m BMS 6 s - 3 m

mécanique avec: FA, Récidive de TVP DES 6 - 12 m AVC, diabète, ICC, Cancer actif SCA 6 - 12 m âge > 75 ans Faible Prothèse aortique CHADS2 0-2 TVP/embolie > 12 m BMS > 3 m

mécanique simple 0 facteur de risque DES > 12 m* SCA > 12 m

Note. CHADS2: score comprenant 5 éléments (congestive heart failure, hypertension, age, diabetes, stroke); chaque élément compte pour 1 point, sauf l’AVC (stroke S2) qui compte double. ICC: insuffisance cardiaque congestive. m: mois. s: semaine. TVP: thrombose veineuse profonde. BMS: bare-metal stent (stent métallique passif). DES: drug-eluting stent (stent actif, à élution). SCA: syndrome coronarien aigu. *: certains DES particulièrement délicats peuvent rester indéfiniment dans la catégorie à risque modéré. D’après: Baron TH, Kamath PS, McBane RD. Management of antithrombotic therapy in patients undergoing invasive procedures. N Engl J Med 2013; 368:2113-24 Douketis JD, Spyropoulos AC, Spencer FA, et al. Perioperative management of antithrombotic therapy : Antithrombotic therapy and prevention of thrombosis, 9th ed. American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines, Chest 2012 ; 141 (2 suppl) : e326S-50S

Tableau 8.6B Définition du score CHA2DS2-VASc

Facteur de risque Points Insuffisance cardiaque ou défaillance ventriculaire gauche 1 Hypertension 1 Age > 75 ans 2 Diabète insulino-requérant 1 Ictus, ischémir cérébrale transitoire ou thrombo-embolisme 2 Vasculopathie (infarctus, athérome aortique, artériopathie périphérique) 1 Age 64-74 ans 1 Sexe feminin 1

D’après: Lip GY, Nieuwlaat R, Pfisters R, et al. Refining clinical riak stratification for predicting stroke and thromboembolism in atrial fibrillation using a novel risk factor-based approach: the Euro Heart Survey on Atrial Fibrillation. Chest 2010; 137:263-72

Prothèse valvulaire. Le risque le plus élevé est représenté par les prothèses mécaniques mitrales (jusqu’à 12% de risque thrombotique par an) ; en position aortique, les prothèses mécaniques sont à risque modéré en cas d’association à d’autres facteurs ou à risque faible si

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 53

ce n’est pas le cas. Les prothèses biologiques ne réclament une anticoagulation que pendant les 3 premiers mois.

Stent coronarien. La présence de matériel étranger au sein d’un petit vaisseau présente un grand danger d’activation plaquettaire et de thrombose tant que l’armature n’est pas endothélialisée. Le recouvrement de la prothèse prend de 6 semaines (stents nus) à 6-12 mois (stents à élution) ou davantage (stents à haut risque), durée pendant laquelle une bithérapie antiplaquettaire est de rigueur. Au-delà, un traitement continu d’aspirine reste obligatoire (voir Chapitre 29 Antiplaquettaires).

Type de chirurgie. La chirurgie orthopédique majeure (PTH, prothèse de genou) et la chirurgie du cancer présentent un risque thrombo-embolique plus de 10 fois supérieur à celui de la chirurgie générale.

Risque hémorragique Le risque hémorragique est essentiellement lié à trois données.

Effet résiduel de l’anticoagulant (ou antiplaquettaire); Comorbidités du malade; Type de chirurgie.

Chez les patients chroniquement anticoagulés, l’incidence globale d’hémorragie peropératoire est de 5.1%, et l’incidence de pertes sanguines majeures de 2.1% [23]. Le patient peut souffrir de différentes affections qui augmentent la probabilité de saignement au cours d’une intervention [4].

Anamnèse de saignements spontanés ou prolongés, anémie ; Coagulopathie, thrombocytopénie, maladie de von Willebrand (congénitale ou secondaire à

des affections lymphoprolifératives, carcinomateuses ou immunologiques) ; Anticoagulants ou antiplaquettaires en cours ; Age > 70 ans, sexe féminin ; Insuffisance rénale ; Insuffisance hépatique, alcoolisme ; Pathologie cancéreuse active ; Risque vasculaire élevé (hypertension artérielle, anamnèse d’ictus, diabète).

Le score de Papworth (Papworth Bleeding Risk Stratification Score), développé exclusivement pour la chirurgie cardiaque et partiellement validé, est une tentative pour déterminer à l’avance quels sont les patients à haut risque de saignement. Il est basé sur cinq données dont chacune vaut 1 point [17].

Intervention urgente ; Chirurgie autre que pontages aortocoronariens simples ; Maladie aortique ; BMI > 25 ; Age > 75 ans.

Les tests de coagulation conventionnels ont une assez faible valeur prédictive positive pour le risque de saignements peropératoires, alors que leur valeur prédictive négative est élevée [6]. Il en est de même pour la thromboélastographie, bien que sa valeur prédictive soit globalement supérieure à celle des tests conventionnels [8]. Une anamnèse dirigée sur les problèmes d’hémorragie et d’anticoagulation a davantage de valeur que les examens de laboratoire de dépistage [7]. Toute une série de substances naturelles fréquemment consommées interfèrent avec la coagulation et peuvent entraîner un risque accru d’hémorragie, notamment par potentialisation des effets des anticoagulants et des antiplaquettaires [1]: anis, céleri, clou de girofle, curcuma, danshen, dong quai, gingko, fenugrec, gingembre, camomille, marronier d’Inde, mélilot, papaïne, trèfles, vitamine E,

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pamplemousse. L’avocat, le soja, le ginseng, le persil et le thé vert antagonisent les anticoagulants, en particulier les anti-vitamine K. L’acte chirurgical est en général réparti en trois catégories en fonction du risque hémorragique propre à l’intervention [5,11,16].

Risque faible : interventions non-hémorragiques qui se déroulent sans transfusion (chirurgie de paroi, dermatologie, dentisterie, endoscopie, cataracte).

Risque intermédiaire : interventions qui nécessitent occasionnellement une transfusion sanguine (chirurgie générale, laparotomie, thoracotomie, ORL, orthopédie), endoscopie avec geste invasif, angioplastie coronarienne (PCI).

Risque élevé : o Interventions très hémorragipares au cours desquelles l’hémostase est difficile et la

transfusion sanguine habituelle (chirurgie hépatique, aortique, cardiaque) ; o Interventions dans un espace clos (crâne, canal médullaire, chambre postérieure de

l’oeil), où toute hémorragie peut causer des dommages irréversibles ; o Les interventions rétropéritonéales, intrathoraciques et intrapéricardiques sont en

général assimilées à des opérations en espace clos; o Thrombolyse (AVC, syndrome coronarien aigu); o Anesthésie loco-régionale sous-duremèrienne ou péridurale, ponction lombaire.

Mais la définition de l’hémorragie est elle-même hétérogène et varie selon les études. Elle est souvent empruntée à des essais cliniques liés au traitement des stents coronariens (TIMI, GUSTO, TRITON, etc). Une codification homogène a récemment été proposée par le Bleeding Academic Research Consortium (BARC) pour les hémorragies non-chirurgicales et peropératoires ; elle est très utile pour l’évaluation du risque avant une intervention [12].

Type 0 : absence de saignement. Type 1 : pétéchies, hyperménorrhagies, epistaxis ou saignements hémorrhoïdaires ne

réclamant pas d’intervention médicale. Type 2 : saignements réclamant une intervention médicale, mais ne remplissant pas les critères

des types 3, 4 ou 5. Type 3 : saignement occasionnant une chute de l’Hb de ≥ 30 g/L, justifiant une ou plusieurs

transfusions, ou nécessitant une reprise chirurgicale ; tamponnade cardiaque (3b) ; hémorragie intra-crânienne (3c).

Type 4 : hémorragie grave liée à la chirurgie cardiaque en CEC : transfusion de ≥ 5 poches de sang, perte de de ≥ 2 L/24 heures par les drains thoraciques, hémorragie intra-crânienne (AVC).

Type 5 : hémorragie entraînant le décès. Le risque hémorragique chez les malades sous agent anti-vitamine K est défini par le score HAS-BLED (Hypertension, Abnormal renal/liver function, Stroke, Bleeding history or predisposition, Labile INR, Elderly, Drugs/alcool concomitantly) [9].

Hypertension (Pas > 160 mmHg); Néphropathie (créatinine > 200 mcmol/L), hépatopathie (bilirubine, transaminases élevées); AVC; Anamnèse d'hémorragie majeure; INR labile (< 60% du temps dans la zone thérapeutique); Age > 65 ans; Médications à risque hémorragique (antiplaquettaires, AINS); Alcoolisme (> 8 boissons/semaine)

Chaque élément vaut 1 point.

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Balance des risques L’interruption du traitement anticoagulant ou antiplaquettaire fait immédiatement courir au malade un risque majeur de thrombose et/ou d’embolie [14]. C’est une décision lourde de conséquence qui doit être bien pesée, même si le but est de diminuer le risque opératoire en améliorant l’hémostase. Hormis les opérations à risque hémorragique élevé, le danger représenté par les pertes sanguines est en général moins grave que celui représenté par la menace thrombo-embolique. Le risque de séquelles lié à une thrombose vasculaire est bien plus grand que celui lié au saignement. Même si elle est moins fréquente, la thrombose est grevée d’une mortalité plus lourde que celle de l’hémorragie. Les valeurs de laboratoire habituellement recommandées pour réaliser un acte chirurgical en sécurité sont les suivantes:

INR < 1.5, TP > 75%, aPTT < norme-limite du laboratoire (30-40 sec selon les labos), ACT < 120 sec, Thrombocytes ≥ 70’000 /mcL.

Stratification du risque chez les patients anticoagulés

La gestion périopératoire des patients chirurgicaux anticoagulés est fonction du risque hémorragique si l’opération se déroule sous anticoagulant et du risque thrombotique si le traitement est interrompu. Le risque de thrombose est élevé en cas de : - FA avec insuffisance ventriculaire, hypertension, diabète, grand âge ou ictus - Maladie thrombo-embolique (surtout < 3 mois) - Maladie cancéreuse - Prothèse valvulaire mécanique (mitrale > aortique) - Stents coronariens (BMS < 6 semaines, DES < 6-12 mois) L’acte chirurgical est réparti en trois catégories en fonction du risque hémorragique : - Risque faible : interventions non-hémorragiques, pas de transfusion - Risque intermédiaire : transfusion occasionnelle - Risque majeur : interventions hémorragiques (hémostase difficile, transfusion habituelle), interventions dans un espace clos (crâne, canal médullaire, chambre postérieure de l’oeil), ALR rachidienne Valeurs de laboratoire recommandées pour la chirurgie hémorragique : - TP > 75%, INR < 1.5 - aPTT ≤ norme du laboratoire

- ACT < 120 sec - Thrombocytes ≥ 70’000 /mcL

D’une manière générale, la morbi-mortalité de la thrombose est plus importante que celle de l’hémorragie. Références 1 BARASH PG, et al, eds. Précis d’anesthésie clinique. Paris: Arnette (Wolters Kluwer France), 2008, 1205-14

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 56

2 BARON TH, KAMATH PS, McBANE RD. Management of antithrombotic therapy in patients undergoing invasive procedures. N Engl J Med 2013; 368:2113-24

3 DOUKETIS JD, SPYROPOULOS AC, SPENCER FA, et al. Perioperative management of antithrombotic therapy : Antithrombotic therapy and prevention of thrombosis, 9th ed. American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines, Chest 2012 ; 141 (2 suppl) : e326S-50S

4 GOMBOTZ H, KNOTZER H. Preoperative identification of patients with increased risk for perioperative bleeding. Curr Opin Anesthesiol 2013 ; 26 :82-90

5 HEIDBUCHEL H, VERHAMME P, ALINGS M, et al. European Heart Rythm Association Practical Guide on the use of non-vitamin K antagonist anticoagulants in patients with non-valvular atrial fibrillation. Europace 2015 ; 17:1467-507

6 KOZEK-LANGENECKER SA. Perioperative coagulation monitoring. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2010 ; 24 : 27-40 7 KOZEK-LANGENECKER SA, AFSHARI A, ALBALADEJO P, et al. Management of severe perioperative bleeding : Guidelines

from the European Society of Anaesthesiology. Eur J Anaesthesiol 2013 ; 30 : 270-82 8 LEE GC, KICZA AM, LIU KY, et al. Does rotational thromboelastometry (ROTEM) improve prediction of bleeding after cardiac

surgery ? Anesth Analg 2012 ; 115 : 499-506 9 LIP GY, FRISON L, HALPERIN JL, et al. Comparative validation of a novel risk score for predicting bleeding risk in

anticoagulated patients with atrial fibrillation: the HAS-BLED (Hypertension, Abnormal renal/liver function, Stroke, Bleeding history or predisposition, Labile INR, Elderly, Drugs/alcool concomitantly) score. J Am Coll Cardiol 2011; 57:173-80

10 LIP GY, NIEUWLAAT R, PFISTERS R, et al. Refining clinical riak stratification for predicting stroke and thromboembolism in atrial fibrillation using a novel risk factor-based approach: the Euro Heart Survey on Atrial Fibrillation. Chest 2010; 137:263-72

11 MAR PL, FAMILTSEV D, EZEBOWITZ MD, et al. Periprocedural management of anticoagulation in patients taking novel oral anticoagulants: Review of the literature and recommendations for specific populations and procedures. Int J Cardiol 2016; 202:578-85

12 MEHRAN R, RAO SV, BHATT DL, et al. Standardized bleeding definitions for cardiovascular clinical trials. A consensus report from the Bleeding Academic Research Consortium. Circulation 2011 ; 123 :2736-47

13 TAFUR AJ, McBANE R, WYSOKINSKI WE, et al. Predictors of major bleeding in peri-procedural anticoagulation management. J Thromb Haemost 2012; 10:261-7

14 TOTH P, MAKRIS M. Prothrombin complex concentrate-related thrombotic risk following anticoagulation reversal. Thromb Haemost 2012; 107:599

15 VAN VEEN JJ, MAKRIS M. Management of perioperative anti-thrombotic therapy. Anaesthesia 2015 ; 70 (Suppl.1) : 58-67 16 VEITCH AM, VANBIERVLIET G, GERSCHLICK AH, et al. Endoscopy in patients on antiplatelet or anticoagulant therapy,

including direct oral anticoagulants: British Society of Gastroenterology (BSG) and European Society of Gastrointestinal Endoscopy (ESGE) guidelines. Gut 2016; 65:374-89

17 VUYLSTEKE A, PAGEL C, GERRARD C, et al. The Papworth Bleeding Risk Score : a stratification scheme for identifying cardiac surgery patients at risk of excessive early postoperative bleeding. Eur J Cardiothorac Surg 2011 ; 39 :924-30

Gestion périopératoire D'une manière générale, la gestion d'une opération ou d'une hémorragie sous anticoagulant dépend de la combinaison des risques.

Risque hémorragique faible, risque thrombotique élevé: mesures locales (compression, hémostase chirurgicale ou endoscopique), maintien de l'anticoagulation;

Risque hémorragique élevé, risque thrombotique faible: arrêt des anticoagulants, antagonisme en cas d'urgence;

Risque hémorragique et risque thrombotique élevés: antagonisme prudent, solution au cas par cas.

Degré d'urgence: les lésions menaçant la vie ou les intervention urgentes très hémorragipares réclament un renversement immédiat de l'anticoagulation. Lorsque l'intervention peut attendre 1-2 jours, la simple interruption du traitement suffit vu la demi-vie assez courte des nouveaux anticoagulants oraux (4-16 heures); ceci ne s'applique pas aux agents anti-vitamine K (AVK) dont la durée d'action dépasse 4-5 jours.

Dans les cas complexes, il est toujours prudent de consulter un hématologue. Délais préopératoires De manière simplifiée, le taux sérique d’un médicament baisse à 12.5% de sa valeur initiale après 3 demi-vies et à 3% après 5 demi-vies. La demi-vie d’élimination des substances (voir Tableau 8.2 page 27) conditionne donc le délai qu’il faut prévoir entre l’interruption du traitement et l’acte chirurgical. Alors qu’il existe des recommandations pour les délais à respecter lors de traitement avec les héparines et les anti-vitamine K, on ne dispose pas de suffisamment de données sur les nouveaux

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 57

anticoagulants pour pouvoir promulguer des règles concernant leur gestion préopératoire. Pour l’instant, on est contraint de se satisfaire de propositions formulées par des groupes d’experts ; elles sont basées sur la pharmacocinétique de ces substances [11,12,16,20]. Les délais d’interruption préopératoire minimaux habituellement proposés sont les suivants (risque hémorragique standard, fonctions hépatique et rénale normales).

Héparine non-fractionnée 4 h HBPM prophylactique 12 h HBPM thérapeutique 24 h (48 heures si insuffisance rénale) Fondaparinux (Arixtra®) 48 h (4-6 jours si insuffisance rénale) Dabigatran (Pradaxa®) 48 h (3-5 jours si insuffisance rénale) Apixaban (Eliquis®) 48 h (3-4 jours si insuffisance rénale) Edoxaban (Savaysa®,Lixiana®) 48 h (3-4 jours si insuffisance rénale) Rivaroxaban (Xarelto®) 24-48 h selon risque hémorragique, âge et fonction rénale

(3-4 jours si clairance créatinine < 50 mL/min) Coumarines 5 jours (Marcoumar® 10 jours) Désirudine (Iprivask®) 10 h Bivalirudine (Angiox®) 4 h Danaparoïde (Orgaran®) 48 h Argatroban (Argatroban Inj®) 4 h

Ces délais sont basés sur une attente correspondant à 3 demi-vies d’élimination; en cas d’insuffisance rénale, ils sont au moins doublés pour les substances éliminées par les reins. Le taux résiduel de dabigatran et de rivaroxaban est d’environ 30-50 ng/mL après 4 demi-vies ; dans les études RE-LY (dabigatran) et ROCKET-AF (rivaroxaban), ce taux a permis d’opérer les malades sans augmentation du risque hémorragique [18]. A cause des risques inhérents à l’anesthésie loco-régionale, il est préférable d’attendre 5 demi-vies avant une ponction neuraxiale pour s’assurer d’une élimination complète du produit [4,5,8,16]. Vu le manque d’expérience clinique avec les nouveaux anticoagulants et vu leur absence d’antagoniste disponible (sauf pour le dabigatran), il est nécessaire de rester extrêmement prudent avec les indications à l’ALR rachidienne chez les patients recevant l’un de ces médicaments. En comptant un délai de 3 demi-vies et en prenant les valeurs hautes pour la demi-vie plasmatique de chacune des substances, on peut recommander, de manière simplifiée, d’attendre 48 heures pour tous les NACO, sauf pour le rivaroxaban (10 mg/j) dans les interventions simples chez des malades sans comorbidité où ce délai peut être ramené à 24 heures. Les interventions mineures sans risque hémorragique (dentisterie, ophthalmologie, chirurgie de paroi, etc) se déroulent sans interruption des NACO, en prenant toutefois soin d’opérer lorsque le taux sérique est bas (entre 8 et 18 heures après la dernière prise) [2,12]. Pour l’ALR et les interventions très hémorragiques, il est recommandé d’attendre 72 heures, soit 5 demi-vies. Avec les tests spécifiques anti-Xa pour chacun des nouveaux agents, il est possible d’obtenir une concentration sérique de la substance et d’avoir une bonne estimation du risque hémorragique ainsi que du délai d’attente (pour autant que la fonction rénale soit normale) [6,18].

Taux résiduel < 30 ng/mL : risque minime ; Taux 30-200 ng/mL : attendre 12-24 heures ; Taux 200-400 ng/mL : attendre > 24 heures (en général 48 heures) ; Taux > 400 ng/mL : renvoi.

Le test est répété toutes les 12 ou 24 heures jusqu’à ce que le taux passe en-dessous du seuil de sécurité fixé à 30 ng/mL, cette valeur étant pour l’instant assez arbitraire. Ces recommendations s’entendent pour des malades dont la fonction rénale est normale, subissant des interventions sans risque hémorragique excessif.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 58

Gestion périopératoire détaillée La gestion des anticoagulants en préopératoire peut se résumer comme suit (Tableau 8.7A, voir aussi Tableaux 8.11 et 8.12 pages 124-125) [4,5,7,11,15,16,18].

Tableau 8.7A Gestion des anticoagulants pour un acte chirurgical ou invasif

Substances Interruption Substitution Antidote TTT non-spécifique Héparine non-fractionnée (HNF) 4 h - Protamine HBPM prophylactique 12 h HNF iv (protamine) HBPM thérapeutique 24 h HNF iv (protamine) Fondaparinux (Arixtra®) 48 h HNF iv* Aucun Dabigatran (Pradaxa®) 48 h Non recomm* Idarucizumab Apixaban (Eliquis®) 48 h Non recomm* Aucun disponible Rivaroxaban (Xarelto®) 24-48 h Non recomm* Aucun disponible Traitement local Edoxaban (Lixiana®) 48 h Non recomm* Aucun disponible Ac tranexamique Coumarines ≥ 5 jours HNF/HBPM dès 2j Vitamine K Desmopressine Bivalirudine (Angiox®) 4 h - Aucun PCC-4fact Danaparoïde (Orgaran®) 48 h HNF dès 24 h Aucun FEIBA Argatroban (Argatroban Inj®) 4 h - Aucun Plaquettes Aspirine 3-5 j AINS Aucun Transfusions Clopidogrel (Plavix®) 5 j Tirofiban, Aucun Prasugrel (Efient®) 7 j eptifibatide Aucun Ticagrelor (Brilinta®, Brilique®) 5 j - Aucun Tirofiban (Agrasta®) 6 h - Aucun Eptifibatide (Integrilin®) 8 h - Aucun Abciximab (Rheo-Pro®) 72 h - Aucun

Le délai d’interruption correspond en général à 3 demi-vies sériques de la substance (5 demi-vies en cas d’ALR rachidienne ou de bloc profond). En cas de risque hémorragique chirurgical élevé, le délai de sécurité pour l’interruption des NACO (nouveaux anticoagulants oraux) est en moyenne de 2-4 jours. *: une substitution n'est en général pas nécessaire; comme la pharmacocinétique des HBPM est identique à celle des NACO, seule l'HNF aurait un sens, mais les patients à haut risque thrombo-embolique qui mériteraient cette substitution ne sont en général pas sous NACO.

Héparine non-fractionnée (HNF); interruption de la perfusion 4-6 heures préopératoires. En chirurgie cardiaque lors de syndrome coronarien aigu ou de thrombose de prothèse valvulaire: continuation de la perfusion jusqu’à l’induction. Idem pour la bivalirudine.

o Contrôle: aPTT, ACT. o Antidote spécifique: protamine.

Héparines de bas poids moléculaire (HBPM); la durée de l’interruption est fonction de la dose sous-cutanée.

o HBPM prophylactique (10’000-12’000 UI/24 h): interruption 12 heures. o HBPM thérapeutique (≥ 20’000 UI/24 h): interruption 24 heures; éventuelle

substitution par HNF intraveineuse pendant 12-20 heures. o Contrôle de l’effet résiduel : effet anti-Xa. o Antidote partiel: protamine.

Fondaparinux (Arixtra®): interruption de 48 heures ; substitution par HNF intraveineuse réservée aux cas à très haut risque thrombo-embolique.

o Délai étendu à 4-6 jours si la clairance de la créatinine est < 50 mL/min. o Contrôle de l’effet résiduel : effet anti-Xa. o Pas d’antidote spécifique.

Anti-vitamine K (AVK); arrêt préopératoire de 5 jours (warfarine, acénocoumarol) à 10 jours (phenprocoumone). Une valeur d’INR < 2.0 est en général suffisante pour procéder à une chirurgie à risque hémorragique modéré, alors qu’un INR < 1.5 est requis pour une chirurgie

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 59

majeure. Contrôler l’INR 24 heures avant la chirurgie. L’interruption des AVK n’est pas nécessaire avant la chirurgie dermatologique, la dentisterie, l’ophthalmologie (cataracte), l’endoscopie ou la pose de pace-maker (algorithme décisionnel: voir Figure 8.15) [3].

o Substitution si risque thrombo-embolique élevé: HNF ou HBPM dès 48-72 heures après la dernière dose (voir ci-dessous).

o Antidote spécifique: vitamine K (Konakion®) 2.5-5 mg iv/12 h en cas d’urgence; l’effet n’est obtenu qu’après 12 heures. Si opération élective et INR 1.5 - 2.0 : 1-2 mg vitamine K per os.

o Non-spécifique (indiqué en cas d’hémorragie intra-crânienne ou d’hémorragie massive): complexe prothrombinique à 4-facteurs (PCC prothrombin complex concentrate) ; il est beaucoup plus efficace que le PFC et n’impose pas le risque d’une surcharge de volume [13].

Dabigatran (Pradaxa®); adaptation du délai d’interruption préopératoire en fonction de la clairance de la créatinine et du risque hémorragique de l’intervention. Le risque hémorragique chirurgical est le même en arrêtant le dabigatran 48 heures avant l’intervention qu’en stoppant la warfarine pendant 5 jours [10].

o Délai d’interruption préopératoire: 48 heures (Cl créat > 50 mL/min), 3-5 jours si clairance créatinine < 50 mL/min).

o Contrôle de l’effet résiduel : temps de thrombine dilué (dTT, Hemoclot™), temps d'écarine, effet anti-IIa ; TT: sensible mais pas quantitatif.

o Antidote: idarucizumab (Praxbind®) (voir Antagonisme). Rivaroxaban (Xarelto®), apixaban (Eliquis®), edoxaban (Lixiana®); l’interruption du

traitement pendant 48 heures est en général suffisante, vu leur courte demi-vie. o Délai étendu à 72 heures en cas d’opération à risque hémorragique élevé ou d’ALR

rachidienne. o Délai étendu à 3-5 jours si la clairance de la créatinine est < 50 mL/min. o Délai diminué à 24 heures pour le rivaroxaban à 10 mg/j pour une opération simple

chez un patient sans comorbidité. o Contrôle de l’effet résiduel : activité anti-Xa. TP prolongé : persistance de l’effet

(non-quantitatif). TT, TPT, fibrinogène, facteur XIII et D-dimères ne sont pas influencés [1].

o Pas d’antidote spécifique pour l'instant (en préparation) ; les complexes prothrombiniques 4-facteurs sont probablement efficaces (voir Antagonisme).

La grande variabilité interindividuelle et l’effet de l’âge ou de l’insuffisance rénale induisent des variations de 1 à 4 dans le taux résiduel de rivaroxaban 12 à 24 heures après la dernière prise ; le taux de 50 ng/mL, considéré comme valeur limite autorisant la chirurgie, est atteint en 12 à 48 heures selon les patients; le seuil de sécurité est à 30 ng/mL [17]. Cette grande variabilité oblige à beaucoup de prudence en cas de risque hémorragique élevé ou lors d'anesthésie loco-régionale rachidienne (voir Figure 8.11). Chez les malades à risque ou dans les cas d’urgence, la durée de l’interruption préopératoire peut être décidée en fonction du taux plasmatique (dosé par l’effet anti-Xa). Comme l’effet clinique est proportionnel à ce taux, il n’y a pas lieu de prévoir une substitution lorsque le délai d’attente est prolongé à cause d’une insuffisance rénale, puisque le malade est suffisamment anticoagulé par l'effet résiduel. En se basant sur leur demi-vie, on peut formuler une recommandation simple pour le délai d’interruption préopératoire des nouveaux anticoagulants oraux (NACO) [18,20,21,22].

Opération urgente: attendre au moins 1 demi-vie; Opération à risque hémorragique nul ou faible : pas d’interruption, mais préférence pour

intervenir 8-10 heures après la dernière prise; Opération à risque hémorragique modéré: attendre 3 demi-vies;

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 60

Opération très hémorragique, âge > 75 ans ou insuffisance rénale: attendre ≥ 5 demi-vies (3-5 jours) ;

Anesthésie loco-régionale (ALR) rachidienne, blocs profonds : attendre 5 demi-vies ; D’une manière générale, le délai de sécurité avant une intervention très hémorragique est de 3

jours. Dans l’attente d’antidote pour tous les NACO, on est contraint à une attitude plutôt

conservatrice et prudente. Anesthésie loco-régionale L’anesthésie loco-régionale rachidienne ne doit être envisagée que lorsqu’il est hautement probable que l’effet anticoagulant de la substance a complètement disparu, soit après 5 demi-vies d’élimination. La péridurale, la rachi-anesthésie et les blocs profonds doivent être pratiqués avec une extrême prudence chez les patients sous NACO vu l’absence de données cliniques claires sur le sujet et la possibilité d’une alternative moins risquée (anesthésie générale) [21]. Dans l'attente d'une meilleure évidence et en accord avec le principe de précaution, il est prudent de renoncer à l'anesthésie rachidienne, sauf en cas de force majeure, chez les malades sous un nouvel anticoagulant (fondaparinux, dabigatran, rivaroxaban, apixaban, edoxaban). Les délais recommandés doivent être adaptés au risque hémorragique propre de la chirurgie et à la fonction rénale pour les substances à élimination rénale. Le délai recommandé entre la dernière dose d’anticoagulant et le retrait du cathéter épidural est le même que le délai prévu entre la dernière dose et la ponction rachidienne. Il est recommandé d’attendre 6-12 heures après le retrait du cathéter péridural avant de démarrer le traitement avec un anti-thrombine ou un anti-Xa [8,23]. Après thrombolyse, la loco-régionale est proscrite pendant 10 jours. Ces données sont résumées dans le Tableau 8.7B [8,9,14]. Elles s’entendent pour des ponctions atraumatiques; il est clair que le risque d’hématome spinal est directement fonction du nombre d’essais. Pour les opérations sous anticoagulant comme la chirurgie cardiaque, une ponction hémorragique commande le renvoi de l’intervention de 24 heures. Postopératoire En postopératoire, l’héparine ou l’HBPM est recommencée 24-48 heures après la fin de l’intervention, en général avec une dose prophylactique; le dosage thérapeutique est atteint au 2ème jour, sauf en cas de prothèse mécanique mitrale qui doit être protégée en permanence par une anticoagulation pleinement efficace. Le délai pour la reprise de l’héparine dépend du risque hémorragique, de la qualité de l’hémostase et du degré de menace thrombo-embolique [4,5]. Lors de la reprise postopératoire, l’effet des NACO s’installe en 1-2 heures ; il est donc recommandé de les débuter 24-48 heures après l’opération ou 6-12 heures après le retrait du cathéter épidural, selon le risque hémorragique. Il est concevable de débuter par un dosage plus faible pendant quelques jours si la situation est inquiétante. Lorsque l'hémostase est difficile, il faut attendre 2 à 3 jours avant la reprise, mais lorsque le risque thrombo-emblique est élevé, il est important de les recommencer le plus vite possible, soit le lendemain de l'intervention [19,21]. Ces médicaments n'existant que sous forme orale, ils sont broyés et administrés par une sonde gastrique si l'alimentation n'est pas possible. Ceci n'est toutefois pas envisageable pour le dabigatran dont les capsules ne doivent pas être ouvertes; dans ces conditions, il faut envisager une substitution par une HBPM [16]. Références 1 BARRETT YC, WANG Z, et al. Clinical laboratory measurement of direct factor Xa inhibitors: anti-Xa assay is preferable to

prothrombin time assay. Thromb Haemost 2010; 104:1263-71 2 BONHOMME F, HAFEZI F, BOEHLEN F, HABRE W. Management of antithrombotic therapies in patients scheduled for eye

surgery. Eur J Anaesthesiol 2013; 30:449-54 3 DOUKETIS JD. Perioperative management of patients who are receiving warfarin therapy: an evidence-based and practical

approach. Blood 2011; 117:5044-9

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 61

Tableau 8.7B

Gestion des anticoagulants lors d’anethésie loco-régionale

Substances Délai* acceptable Administration Délai*** pour avant la procédure sous ALR** administration Héparine non-fractionnée (HNF) 4 h (aPTT normal) > 1 heure 4 h HBPM prophylactique 12 h prudence 4 h HBPM thérapeutique 24 h non recommandé 4 h Fondaparinux prophylactique 72 h non recommandé 6-12 h Fondaparinux thérapeutique CI non recommandé 12 h Dabigatran (Pradaxa®) 72-96 h (selon créat) non-recommandé 6 h Apixaban (Eliquis®) 72 h non-recommandé 6 h Rivaroxaban prophylactique 72 h (créat normale) non-recommandé 6 h Rivaroxaban thérapeutique 72 h non-recommandé 6 h Edoxaban 72 h non-recommandé 6 h Coumarines INR < 1.4 non-recommandé après retrait Bivalirudine (Angiox®) 10 h non-recommandé 6 h Danaparoïde (Orgaran®) CI non-recommandé 6 h Argatroban (Argatroban Inj®) 4 h (aPTT normal) non-recommandé 6 h Aspirine (< 300 mg/j) 0 pas de précaution ----- Clopidogrel (Plavix®) 7 jours non-recommandé 6 h Prasugrel (Efient®) 7-10 jours non-recommandé 6 h Ticagrelor (Brilinta®, Brilique®) 5 jours non-recommandé 6 h Tirofiban (Agrasta®) 8 h non-recommandé 6 h Eptifibatide (Integrilin®) 8 h non-recommandé 6 h Abciximab (Rheo-Pro®) > 48 h non-recommandé 6 h Alteplase, reptilase, streptokinase 10 jours contre-indiqué 10 jours

Remarque générale: dans l'attente de données cliniques claires et en accord avec le principe de précaution, il est prudent de renoncer à l'anesthésie rachidienne, sauf en cas de force majeure, chez les malades sous un nouvel anticoagulant (fondaparinux, dabigatran, rivaroxaban, apixaban, edoxaban). *: Le délai entre la dernière prise de la substance et le geste loco-régional correspond à au moins 5 demi-vies. CI: contre-indication à l'ALR. ** Recommandations concernant l’administration de la substance pendant que le cathéter spinal ou épidurral est en place (délai entre la pose et l’injection ou la prise orale). ***: Délai acceptable après la réalisation d’une ALR ou le retrait d’un cathéter pour administrer la dose suivante de la substance. Sources: Gogarten W, Vandermeulen E, Van Aken H, et al. Regional anaesthesia and antithrombotic agents: recommendations of the European Society of Anaesthesiology. Eur J Anaesthesiol 2010; 27:999-1015 Harrop-Griffiths W, Cook T, Gill H, et al. Regional anaesthesia and patients with abnormalities of coagulation. The Association of Anaesthesists of Great Britain & Ireland, The Obstetric Anaesthesits’Association, Regional Anaesthesia UK. Anaesthesia 2013 ; 68 :966-72 Horlocker TT, Wedel DJ, Rowlingson JC, et al. Regional anesthesia in the patient receiving antithrombotic or thrombolytic therapy: American Society of Regional Anesthesia and Pain Medicine evidence-based guidelines (third edition). Reg Anesth Pain Med 2010; 35:64-101

4 DOUKETIS JD, BERGER PB, DUNN AS, et al. The perioperative management of antithrombotic therapy. American College of

Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines (8th edition). Chest 2008; 133:299S-339S 5 DOUKETIS JD, SPYROPOULOS AC, SPENCER FA, et al. Perioperative management of antithrombotic therapy : Antithrombotic

therapy and prevention of thrombosis, 9th ed. American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines, Chest 2012 ; 141 (2 suppl) : e326S-50S

6 FARAONI D, LEVY JH, ALBALADEJO P, et al. Updates in the perioperative and emergency management of non-vitamin K antagonist oral anticoagulants. Critic Care 2015; 19:203

7 GAVILLET M, ANGELILLO-SCHERRER A. Quantification of the anticoagulatory effect of novel anticoagulants and management of emergencies. Cardiovasc Med 2012; 15:170-9

8 GOGARTEN W, VANDERMEULEN E, VAN AKEN H, et al. Regional anaesthesia and antithrombotic agents: recommendations of the European Society of Anaesthesiology. Eur J Anaesthesiol 2010; 27:999-1015

9 HARROP-GRIFFITHS W, COOK T, GILL H, et al. Regional anaesthesia and patients with abnormalities of coagulation. The Association of Anaesthesists of Great Britain & Ireland, The Obstetric Anaesthesits’Association, Regional Anaesthesia UK. Anaesthesia 2013 ; 68 :966-72

10 HEALEY JS, EIKELBOOM J, DOUKETIS J, et al. Periprocedural bleeding and thromboemblic events with dabigatran compared with warfarin. Circulation 2012; 126: 343-8

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 62

Gestion périopératoire des anticoagulants

D’une manière générale, les délais d’interruption préopératoire sont basés sur la demi-vie de la substance ; ils sont doublés en cas d’insuffisance rénale pour les substances éliminées par les reins. - Opération urgente : attendre au moins 1 demi-vie - Opération à risque hémorragique modéré : attendre 3 demi-vies - Opération à risque hémorragique élevé, ALR rachidienne : attendre 5 demi-vies Une substitution par de l’HNF est envisagée dans les cas à risque thrombo-embolique élevé si l’interruption dure > 48 heures. Délais recommandés : - Héparine non-fractionnée 4 h - HBPM (prophylactique) 12 h - HBPM (thérapeutique) 24 h (48 h si Cl créat < 50 mL/min) - Fondaparinux 48 h (4-6 jours si Cl créat < 50 mL/min) - Dabigatran 48 h (3-5 jours si Cl créat < 50 mL/min) - Apixaban 48 h (3-4 jours si Cl créat < 50 mL/min) - Edoxaban 48 h (3-4 jours si Cl créat < 50 mL/min) - Rivaroxaban 24-48 h selon âge et risque hémorragique (3-4 jours si Cl créat < 50 mL/min) - Coumarines 5 jours (Marcoumar 10 jours) En comptant un délai de 3 demi-vies et en prenant les valeurs hautes pour la demi-vie plasmatique de chacune des substances, on peut recommander, de manière simplifiée, d’attendre 48 heures pour tous les NACO, sauf pour le rivaroxaban dans les interventions simples chez des malades sans comorbidité où ce délai peut être ramené à 24 heures. Pour l’ALR rachidienne, il est prudent de prolonger ce délai à 72 heures. Le délai pour le retrait du cathéter est le même que celui pour la pose. Celui pour la reprise de l’anticoagulant dépend du risque hémorragique, de la qualité de l’hémostase et du degré de menace thrombo-embolique, mais il est en général de 12-48 heures. Dans les cas complexe, il est toujours prudent de consulter un hématologue. 11 HEIDBUCHEL H, VERHAMME P, ALINGS M, et al. European Heart Rythm Association Practical Guide on the use of non-

vitamin K antagonist anticoagulants in patients with non-valvular atrial fibrillation. Europace 2015 ; 17:1467-507 12 HEIDBUCHEL H, VERHAMME P, ALINGS M, et al. European Heart Rythm Association Practical Guide on the use of non-

vitamin K antagonist anticoagulants in patients with non-valvular atrial fibrillation. Executive summary. Eur Heart J 2016; doi:10.1093/eurheartj/ehw058

13 HICKEY M, GATIEN M, TALJAARD M, et al. Outcomes of urgent warfarin reversal with frozen plasma versus prothrombin complex concentrate in the emergency department. Circulation 2013; 128:360-4

14 HORLOCKER TT, WEDEL DJ, ROWLINGSON JC, et al. Regional anesthesia in the patient receiving antithrombotic or thrombolytic therapy: American Society of Regional Anesthesia and Pain Medicine evidence-based guidelines (third edition). Reg Anesth Pain Med 2010; 35:64-101

15 KOVAKS RJ, FLAKER GC, SAXONHOUSE SJ, et al. Practical management of anticoagulation in patients with atrial fibrillation. J Am Coll Cardiol 2015; 65:1340-60

16 MAR PL, FAMILTSEV D, EZEBOWITZ MD, et al. Periprocedural management of anticoagulation in patients taking novel oral anticoagulants: Review of the literature and recommendations for specific populations and procedures. Int J Cardiol 2016; 202:578-85

17 MUECK W, LENSING AWA, AGNELLI G, et al. Rivaroxaban. Population pharmacokinetic analyses in patients treated for acute deep-vein thrombosis and exposure simulations in patients with atrial fibrillation treated for stroke prevention. Clin Pharmacokinet 2011; 50:675-86

18 PERNOD G, ALBALADEJO P, GODIER A, et al. Management of major bleeding complications and emergency surgery in patients on long-term treatment with direct oral anticoagulants, thrombin or factor Xa inhibitors : proposals of the Working Group on Perioperative Haemostasis (GIHP) – March 2013. Arch Cardiovasc Dis 2013 ; 106 :382-93

19 SAMAMA MM, CONTANT G, SPIRO TE, et al. Laboratory assessment of rivaroxaban : a review. Thrombosis Journal 2013; 11:11

20 SIÉ P, SAMAMA CM, GODIER A, et al. Chirurgies et actes invasifs chez les patients traités au long cours par un anticoagulant oral anti-IIa ou anti-Xa direct. Propositions du Groupe d’intérêt en hémostase périopératoire (GIHP) et du Groupe d’études sur l’hémostase et la thrombose (GEHT). Ann Fr Anesth Réanim 2011 ; 30 : 645-50

21 TURPIE AG, KREUTZ R, LLAU J, et al. Management consensus guidance for the use of rivaroxaban - an oral, direct factor Xa inhibitor. Thromb Haemost 2012; 108:876-86

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 63

22 WEITZ JI, QUINLAN DJ, EIKELBOOM JW. Periprocedural management and approach to bleeding in patients taking dabigatran. Circulation 2012; 126:2428-32

23 WYSOKINSKI WE, McBANE RD. Periprocedural bridging management of anticoagulation. Circulation 2012 ; 126 :486-90 Antagonisme en cas d'hémorragie Les nouveaux anticoagulants oraux (NACO) anti-Xa et anti-thrombine présentent moins de risque hémorragique que les AVK: réduction des hémorragies intracrâniennes de 51%, de l'ictus de 19% et de la mortalité de 40% [33]. Cependant, leur risque de saignement reste de 1-3.6% par an selon les substances et selon les indications [4]. Si une hémorragie grave sous anticoagulant menace la survie du patient ou si l'urgence de la chirurgie empêche de respecter les délais imposés par l’élimination spontanée de la substance, il est possible de renverser l’effet des anticoagulants, soit avec un antidote spécifique, soit avec des facteurs de coagulation. Ceci n'est pas sans risque, et la manière de procéder doit prendre en compte plusieurs données importantes.

Le risque de la lésion hémorragique. Sont considérés comme saignement majeur sous anticoagulant une baisse d'Hb de 20-50 g/L, une perte sanguine nécessitant la transfusion de > 2 unités de sang ou une hémorragie intracrânienne [31].

Le risque hémorragique de la chirurgie. La plupart des opérations peut se dérouler sans danger malgré un effet anticoagulant résiduel. Seules les interventions à haut risque hémorragique imposent d’opérer dans des conditions coagulatoires normalisées. Ce sont essentiellement : neurochirurgie intracrânienne ou intrarachidienne, interventions hémorragipares avec hémostase difficile, chirurgie orthopédique ou oncologique majeures, chirurgie uro-génitale majeure (à cause de l’urokinase endogène) [8].

Le risque thrombo-embolique de la maladie. S’il est élevé, le renversement complet de l’anticoagulation est toujours dangereux. Dans cette situation, il ne s'agit pas de rétablir une coagulation normale, mais de freiner l'anticoagulation à un niveau compatible avec le risque hémorragique de la lésion ou de la chirurgie. Le renversement prophylactique de l’anticoagulation n’est pas recommandé, sauf dans les opérations à très haut risque hémorragique chez des malades à faible risque thrombo-embolique [40].

Le risque thrombotique de la chirurgie. Celle-ci s’accompagne d’une hypercoagulabilité, d’une activation plaquettaire et d’une inhibition de la fibrinolyse qui augmentent le risque de thrombose vasculaire. L’anamnèse d’accident vasculaire récent et les pathologies cancéreuses présentent un risque particulièrement élevé. La thrombose est 6 fois plus fréquente en chirurgie du cancer qu’en chirurgie générale ou vasculaire [9,10,39].

Le risque thrombotique des agents utilisés pour l'antagonbisme. Les complexes prothrombiniques activés et le facteur rVIIa peuvent occasionner des thromboses artérielles dans 1 à 20% des cas [19,24].

Le degré d’urgence. Si le délai d'intervention est trop court pour que l'effet s'atténue de lui-même, l’anticoagulation peut être renversée par un antidote, s’il est disponible. A défaut, on peut recourir à des facteurs de coagulation non-spécifiques.

Les situations difficiles doivent être réglées au cas par cas avec l'aide d'un hématologiste. Les tests de laboratoire conventionnels sont peu performants pour juger du degré d'anticoagulation sous les NACO (voir Tableau 8.4 page 44) [20,37,41]. Le TT ou le TP sont sensibles au dabigatran et aux xabans respectivement, mais la corrélation n'est absolument pas quantitative et des valeurs normales n'excluent nullement des taux résiduels significatifs [34]. Le PTT est moins sensible que le TT au dabigatran, et le TP l'est moins à l'apixaban qu'aux autres xabans [6]. Les tests spécifiques pour le dabigatran sont le test anti-IIa, le temps de thrombine dilué (dTT) et le temps d'écarine (Ecarin clotting time); pour les xabans, ce sont les tests anti-Xa calibrés pour chaque agent [6]. On estime qu'un taux résiduel ≤ 30 ng/mL de dabigatran, de rivaroxaban ou d'apixaban, mesuré > 4 heures après la dernière prise du médicament, ne nécessite pas d'intervention et permet d'opérer sans risque [11,28]. Malheureusement, les tests spécifiques ne sont pas universellement disponibles en urgence.

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Comme la demi-vie des NACO est courte (en moyenne 12 heures), la simple attente est la première mesure à envisager si la situation le permet [4,16,17]. Plus on attend, plus le risque de saignement diminue. Après 24 heures, le taux plasmatique n'est plus que de 25%, et un délai de 48 heures garantit l'absence d'effet (taux résiduel de 6-7%). Comme l'élimination des NACO est en grande partie rénale, ce délai doit être doublé lorsque la clairance de la créatinine est < 50 mL/min. Dans les interventions vitales non-électives, la chirurgie est envisageable dès que le dosage de l'effet anti-Xa ou anti-IIa correspond à un taux plasmatique < 50 ng/mL [11]. La prise en charge s'accompagne toujours de mesures générales: compression locale, hémostase chirurgicale ou endoscopique, embolisation radio-interventionnelle, administration de volume, éventuellement transfusions de sang en cas d'anémie aiguë ou de plaquettes en cas de thrombopénie. L'antagonisme des anticoagulants peut s'opérer soit par des antidotes spécifiques lorsqu'ils existent, soit par des médicaments et des facteurs de coagulation non-spécifiques. Antidotes spécifiques Les anticoagulants classiques possèdent un antidote qui permet d’en renverser intégralement l’effet.

Héparine non-fractionnée (HNF): protamine. Un mg de protamine (100 UI) neutralise 1 mg d'héparine (100 UI). Habituellement, on administre une dose de protamine correspondant aux 80% de la dose d'héparine.

Héparines à bas poids moléculaire (HBPM): la protamine est un antagoniste partiel. Une neutralisation de 60% de l’effet anticoagulant est possible à raison de 1 mg de protamine pour 100 UI d’effet anti-Xa (dose maximale : 50 mg), à la condition d’être à moins de 8 heures après l’administration [5,12].

Agents anti-vitamine K (AVK): vitamine K (Konakion®) intraveineuse (2.5-5.0 mg, éventuellement 10 mg) administrée en > 20 minutes; effet maximal après 12-24 heures [2,50].

La préparation d'antidotes spécifiques pour les NACOs avance à grands pas. Il en existe actuellement trois, dont un est déjà disponible [3,27,34].

Idarucizumab (Praxbind®, actuellement commercialisé); anticorps monoclonal se liant de manière irréversible avec le dabigatran (affinité 350 fois supérieure à celle de la thrombine). Malgré sa courte demi-vie, il neutralise tout le dabigatran circulant. Normalisation du TT et de l'ECT, hémostase chirurgicale normalisée dans 94% des cas [30,35].

o Début de l'action: < 5 minutes. o Demi-vie: initiale 47 min, terminale 10.3 heures; élimination rénale. o Dosage: 2 x 2.5 g iv en 10 min à 15 minutes d'intervalle.

Andexanet alfa (Annexa®); fonctionne comme un leurre du facteur Xa et séquestre les inhibiteurs de ce facteur (xabans) dans un rapport stochiométrique 1:1. L'activité anti-Xa est réduite de 92-94% en 5 minutes et l'effet dure 2 heures [36]; sur une série de 67 malades, l'hémostase est effective dans 79% des cas [7]. La durée d'action de l'andexanet étant plus courte que celle des xabans, il y a un risque d'effet rebond de l'anticoagulation [25]. La substance est en voie de commercialisation pour renverser l'effet du rivaroxaban, de l'apixaban et de l'edoxaban, mais elle n'est pas encore approuvée par la FDA ni par l'EMA.

o Début de l'action: 2 minutes. o Demi-vie: initiale 1 heure, terminale 6 heures. o Dosage: 400-800 mg, bolus iv à 30 mg/min, puis perfusion 4-8 mg/min; dose requise

plus élevée pour le rivaroxaban que pour l'apixaban. Ciraparantag (aripazine, PER977); molécule polyvalente contenant 8 sites de fixation

covalente par l'H+, efficace pour renverser l'effet des xabans, de l'argatroban, du fondaparinux, du dabigatran et des héparines. Le temps de coagulation est normalisé en 10 minutes [2], et l'hémorragie diminuée de 90% chez l'animal [23]. Les essais cliniques n'étant pas encore terminés, la substance ne sera pas sur le marché avant 1-2 ans.

o Début de l'action: 5-10 minutes.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 65

o Durée d'action de 24 heures. o Dosage: 100-300 mg en bolus iv.

Les indications de ces antidotes sont les saignements menaçant la survie du patient, particulièrement les hémorragies intracrâniennes, et les interventions chirurgicales majeures urgentes ne pouvant pas être renvoyées de 12-24 heures. Ils ne présentent pas de danger de thrombose secondaire car ils sont sans effet sur les facteurs de coagulation [4]. Dans la mesure où ils seront disponibles, ils seront préférables aux agents non-spécifiques, mais leurs indications resteront limitées aux situations incontrôlables. Ils n'ont aucune indication en cas de surdosage d'un NACO si le malade ne saigne pas. Bien qu'il normalisent les tests de laboratoire et diminuent efficacement les saignements, ces antidotes ont un effet relatif sur la survie des patients, qui souffrent d'une mortalité élevée liée à la pathologie de base justifiant l'anticoagulation et aux conséquences de l'hématome, notamment intracrânien. D'ailleurs, le devenir des malades hospitalisés en urgence pour hémorragie sous NACO, sans antidote disponible, est comparable à celui des malades saignant sous AVK, pour lequel l'antidote est d'utilisation courante [37]. Ajoutées à leur coût très élevé, ces remarques limitent les indications des antagonistes à un secteur de niche. Antagonisme non-spécifique En l'absence d'antidote, on ne peut que recourir à un renversement non-spécifique, après s’être assuré que la calcémie, l’équilibre acido-basique et la température du malade sont normaux (voir Facteurs de coagulation) [19,26,34]. Il est possible d’atténuer les effets de l’anticoagulation par l’appoint de deux substances [13,32,42].

L’acide tranexamique (2 gm iv) ; cet antifibrinolytique peut freiner la production de plasmine et l'activation excessive de la fibrinolyse. Il s'est montré relativement efficace dans des situations telles que l'hémorragie traumatique majeure, la CEC ou le syndrome inflammatoire postopératoire (voir Antifibrinolytiques).

La desmopressine (0.3 mcg/kg iv) stimule la production de facteur VIII et de facteur von Willebrand par l’endothélium et améliore l’adhésion plaquettaire (voir Pharmacothérapie).

Si ces deux substances n'améliorent pas la situation, l'étape suivante consiste à administrer des facteurs de coagulation. Dans le cas des NACO, malheureusement, l'anticoagulant circulant bloque également les facteurs administrés, ce qui les rend bien moins performants que dans le cas des AVK [16,17,27].

Complexe prothrombinique (PCC prothrombin complex concentrate); contient les facteurs II, IX, X (préparations à 3 facteurs) et du facteur VII (préparations à 4 facteurs), ainsi que de la protéine C et de la protéine S. Dosage: 25-50 UI/kg. Permet le renversement partiel de l’effet des xabans sur les tests de coagulation in vitro, mais inefficace sur le dabigatran [14,44]. Les préparations à 4 facteurs sont préférables ; la dose efficace est 50 UI/kg [44]. Les demi-vies des différents facteurs ne sont pas identiques et s’étalent de 5 heures pour le FVII à 60 heures pour le FII.

Complexe prothrombinique activé (aPCC) ou FEIBA® (Factor eight inhibitor bypass activity), contient les facteurs II, IX, X et VII dont une bonne partie sous forme activée. Dosage: 30-50 UI/kg. Bonne alternative contre l’effet du dabigatran, il est aussi plus efficace que les PCC pour le renversement in vitro du rivaroxaban, mais il présente un risque significatif de thrombose secondaire [29].

Facteur VII activé (rFVIIa, Novo-Seven®), 90 mcg/kg; le rFVIIa active le facteur X en Xa, ce qui génère davantage de thrombine. Il peut être indiqué pour contrecarrer les anti-Xa. Bien qu’il normalise les tests de coagulation, le rFVIIa ne diminue pas significativement les pertes sanguines [14]. Il présente un risque élevé de thrombose [1]. Bien qu’aucune étude clinique n’ait démontré de succès clair dans le renversement de l’effet des NACO, le rVIIa pourrait être utile en cas d’hémorragie sur fondaparinux [21].

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 66

L’ordre d’efficacité croissant pour renverser l’effet des xabans sur les tests de coagulation est : PCC < rFVIIa < aPCC; toutefois l’effet est limité et ne dépasse pas 50% de correction [29].

Transfusion de plaquettes en cas de thrombocytopénie ou de traitement antiplaquettaire associé.

Le PCC et le FEIBA sont réservés aux pertes sanguines potentiellement létales qui ne répondent pas aux mesures d'hémostase et de soutien, mais ils n'offrent aucune garantie de succès. Les travaux prouvant l'efficacité des facteurs de coagulation dans l'hémorragie sur NACO sont très limités et peu concluants, particulièrement pour le rFVIIa [4]. Ces agents ne doivent pas être utilisés de manière prophylactique, ni en cas de taux d'anticoagulant suprathérapeutique sans saignement actif incontrôlé, car le danger de thrombose secondaire est bien réel [34]. Le plasma frais décongelé (PFC) a peu de chance d’être efficace car il contient de faibles concentrations des facteurs et fait courir un risque de surcharge hémodynamique pour obtenir l’effet désiré (1-2 litres de PFC sont nécessaires pour normaliser le taux des facteurs). Or il ne s’agit pas ici de compenser la déplétion des facteurs, comme dans le renversement des AVK, mais de surmonter leur inhibition par une substance circulante [1,18,19]. Dans ce cadre, le PFC n'est utile que comme expandeur plasmatique. Le renversement de l'anticoagulation par les NACOs est excessivement onéreux: une dose de PCC activé (50 UI/kg) dépasse CHF 5'000.-, et celle de Praxbind® s'élève à CHF 3'400.- [34]. Ces traitements sont basés sur la persistance des saignements et sur les altérations des tests de coagulation (TP, aPTT, TT, thromboélastographie, anti-Xa). En l’absence d’héparine, une valeur anti-Xa < 0.1 U/mL suggère que l’effet a disparu. Un taux résiduel < 50 ng/mL de xaban ou de dabigatran est compatible avec la chirurgie, et un taux ≤ 30 ng/mL permet d'opérer sans risque [11]. Le thromboélastogramme est probablement le test le plus instructif. Bien que la plupart des tests standards soit améliorée, leur éventuelle normalisation par le traitement n’assure malheureusement pas que l’hémostase soit normale en cours d’opération [38]. D’autre part, l’administration de facteurs de coagulation peut améliorer le bilan hémorragique sans que les tests de laboratoire ne soient significativement modifiés [43]. Le couplage est donc assez lâche entre les valeurs de laboratoire et le saignement clinique. A défaut de renverser l’effet anticoagulant, on peut tenter de freiner l’absorption digestive du produit avec du charbon actif si la dernière prise remonte à moins de 3-4 heures. On peut aussi éliminer la substance par filtration [15]:

Par hémodialyse pour le dabigatran, car sa fixation protéique est modeste (35%); 40-65% de la substance sont éliminés en 4 heures, mais un effet rebond peut survenir à l'arrêt de la dialyse [22].

Par plasmaphérèse pour le rivaroxaban et l’apixaban, qui sont trop fortement liés aux protéines plasmatiques (80-95%) pour être efficacement dialysés.

Toutefois, cette option est plus théorique que réaliste. L’installation d’une hémodialyse ou d’une plasmaphérèse chez un patient qui saigne abondamment est aléatoire, et la ponction veineuse centrale sous anticoagulation présente des risques évidents d’hémorragie potentiellement désastreuse. Chez un malade qui saigne sous anticoagulants, l'élévation du TP et du TT, éventuellement du PTT, doit faire suspecter l'utilisation d'un NACO et commander un test anti-IIa et anti-Xa, éventuellement un dTT, pour s'en assurer. Répétés à 6 heures d'intervalle si la situation l'autorise, deux dosages successifs permettent de situer le malade sur la courbe d'élimination de la substance et de décider si un antagonisme est requis. La chirurgie est envisageable dès que le dosage de l'effet anti-Xa ou anti-IIa est < 50 ng/mL, ce qui peut être atteint par une simple attente si la situation le tolère. Il est capital de connaître le délai depuis la dernière prise du médicament, qui permet de savoir si l'on est au pic ou au nadir de la concentration circulante, l'âge et la fonction rénale du patient, qui permettent d'évaluer la vitesse d'élimination du produit, ainsi que ses comorbidités et comédications, qui permettent de juger des éventuelles interférences. Un algorithme permet de clarifier l'enchaînement des diverses mesures thérapeutiques (Figure 8.14).

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 67

Figure 8.14: Algorithme de prise en charge des malades souffrant d'hémorragie ou devant subir une opération urgente hémorragipare lors d'utilisation des nouveaux anticoagulants oraux (NACO): dabigatran, rivaroxaban, apixaban ou edoxaban. *: ces tests ont une valeur d'alerte, mais n'ont pas de valeur quantitative; en particulier, une valeur normale n'exclut pas la présence d'un taux significatif de la substance. **: la demi-vie des NACO est en moyenne de 12 heures; après 24 heures, le taux plasmatique est de 25%, et un délai de 48 heures garantit l'absence d'effet (taux résiduel de 6-7%). La chirurgie est envisageable dès que le dosage de l'effet anti-Xa ou anti-IIa correspond à un taux plasmatique < 50 ng/mL, ce qui peut être atteint par une simple attente si la situation le permet. ***: le PCC activé (FEIBA) est réservé aux hémorragies potentiellement létales. Moyens conventionnels: compression locale et hémostase chirurgicale ou endoscopique, embolisation radio-interventionnelle, administration de volume (cristalloïdes, expandeurs plasmatiques), charbon actif si ingestion < 4 heures.

Tests normaux

Hémorragie: moyens conventionnels Chirurgie: délai 12-24 heures**

Stop NACO 24-48 heures

Patient sous traitement par NACO +

Saignements actifs ou Chirurgie majeure non-élective

Pas d’antagonisme

Hémorragie contrôlable Chirurgie non-urgente

Acide tranexamique 1-2 g iv Desmopressine 0.3 mcg/kg Transfusions selon besoins

Hémorragie incontrôlable Opération urgente

Délai depuis la dernière prise de NACO Fonction rénale, co-médications, âge

Tests anormaux

Laboratoire Anti-IIa (dabigatran)

Anti Xa (xabans)

Antagonisme spécifique Dabigatran: idarucizumab (Praxbind)

Xabans: andexanet ou aripazine (si disponibles)

Antagonisme non-spécifique PCC, éventuellement FEIBA***

© Chassot 2017

Laboratoire PTT*, TT* (dabigatran), TP* (xabans)

Dabigatran: dTT, ECT, anti-IIa Xabans: anti-Xa

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 68

Renversement de l’effet des anticoagulants

Le but est d’atteindre un niveau d’anticoagulation qui soit un compromis acceptable entre les pertes sanguines spontanées ou peropératoires et le danger de thrombo-embolie. Antagoniser l'anticoagulation n'a pas de sens en dehors de l'hémorragie majeure. Le renversement prophylactique de l’anticoagulation n’est pas recommandé, sauf dans les opérations à très haut risque hémorragique chez les malades à faible risque thrombo-embolique. Antidotes spécifiques : - Héparine non-fractionnée : protamine (1 mg protamine pour 1 mg héparine) - HBPM : la protamine est un antagoniste partiel - Agents anti-vitamine K : vitamine K (2.5-5 mg iv / 12 h) - Dabigatran: idarucizumab - Autres NACO: pas d'antidote commercialisé (andexanet alfa et aripazine en préparation) Agents non-spécifiques : - Acide tranexamique (2 gm), desmopressine (0.3 mcg/kg)

- Complexe prothrombinique (facteurs II, IX, X et une dose variable de facteur VII)* - Complexe prothrombinique activé (aPCC), FEIBA® (facteurs II, IX, X et VII partiellement activés)** - Facteur VII activé (rFVIIa, Novo-Seven®)*** (mesure de sauvetage) - Ordre d’efficacité pour renverser l’effet du rivaroxaban sur les tests de coagulation in vitro: PCC < rFVIIa < aPCC - Transfusion de sang en cas d'anémie aiguë et de plaquettes si thrombopénie * : préférentiellement pour contrer les agents anti-Xa (rivaroxaban, apixaban, edoxaban) ** : préférentiellement pour contrer les agents anti-thrombine (dabigatran) *** : pour contrer les anti-Xa, les anti-thrombine directs (dabigatran) et les anti-Xa indirects (fondaparinux) ; l’efficacité du rFVIIa n’est cliniquement prouvée dans aucune de ces indications.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 70

présenterait un danger majeur d’accident vasculaire, mais le meilleur compromis entre le risque hémorragique chirurgical et le risque thrombo-embolique de la maladie. La substitution est essentiellement justifiée par la mortalité plus élevée en cas de thrombose veineuse (embolie pulmonaire) ou artérielle (infarctus, ictus) qu’en cas d’hémorragie majeure. Bien qu’elle soit traditionnellement considérée comme une règle de l’art, la substitution par une héparine est actuellement remise en question, particulièrement pour les nouveaux anticoagulants [1,6,15]. En effet, les études récentes démontrent qu’elle augmente 3 à 5 fois le risque hémorragique sans mettre à l’abri des complications thrombotiques (incidence inchangée). Une méta-analyse portant sur 7'118 patients sous AVK ayant été substitués par une héparine en préopératoire montre que le risque de saignement mineur et majeur est accru (HR 5.4 et 3.6, respectivement), alors que le risque thrombo-embolique est inchangé (HR 0.84) [12]. Il se peut même que le taux d’hématome soit supérieur avec la substitution par rapport à la continuation du traitement de base [3]. Un registre prospectif de 2'179 patients sous NACO (rivaroxaban, apixaban et dabigatran) trouve une incidence d’évènements thrombo-emboliques similaire chez les patients substitués (1.6%) et chez ceux qui ne le sont pas (0.8%), mais des pertes sanguines cinq fois plus importantes chez les premiers (2.7%) par rapport aux seconds (0.5%) (OR 5.0) [2]. Dans l’état actuel de nos connaissances, la substitution n’est donc formellement indiquée que chez les malades à très haut risque thrombotique (score CHADS élevé, prothèse valvulaire mécanique) qui sont sous AVK. Dans les autres situations, elle est n’offre probablement aucun bénéfice et relève d’une décision au cas par cas. Hormis les très hauts risques thrombotiques lors d'une interruption de > 96 heures, elle n’est pas justifiée pour les NACO, car elle augmente le risque hémorragique (HR 3.5) sans diminuer le risque d’AVC ni de thrombo-embolie [2,6,11]. Comme une bonne partie des saignements survient dans le postopératoire, il est recommandé de ne pas redémarrer l’anticoagulation de substitution avant 24 à 72 heures, selon la qualité de l’hémostase [14]. La prise en charge périopératoire des patients sous AVK peut être représentée par un algorithme (Figure 8.15) [4,5,8]. Elle est basée sur une stratification du risque thrombo-embolique en 3 catégories comme décrites dans le Tableau 8.8.

Les opérations mineures ou non-hémorragiques (dentisterie, excision cutanée, cataracte, biopsie, endoscopie, pace-maker, etc) peuvent se dérouler sans interruption des AVK, bien que le taux de saignement soit 3 fois plus élevé. Le bloc rétrobulbaire présente un risque d’hématome de 0.7% seulement sous AVK [10]. En périopératoire, l’INR visé est à la limite inférieure de la zone thérapeutique.

Arrêt des AVK 5-6 jours avant les interventions à risque hémorragique intermédiaire ou majeur (Marcoumar® : arrêt 10 jours).

Substitution avec une héparine 3 jours avant l’opération en fonction du risque thrombo-embolique.

o Cas à risque thrombo-embolique élevé : HNF 12-15 UI/kg/h (20’000-30’000 UI/24 h) en perfusion, sans bolus; arrêt 4-6 heures avant l’intervention. Alternative : HBPM à dose thérapeutique (250 UI/kg/24 h, ≥ 20’000 UI/24 h) en 2 doses quotidiennes sous-cutanées; arrêt 24 heures avant l’intervention ; si le risque hémorragique est élevé, la dernière administration (24 h préop) est une demi-dose.

o Cas à risque thrombo-embolique modéré : HBPM à dose thérapeutique (250 UI/kg/24 h) en 2 doses quotidiennes sous-cutanées; arrêt 24 heures avant l’intervention. Alternative dans les cas à risque hémorragique élevé: HBPM à dose prophylactique (10’000 UI/24h sous-cut); arrêt 12-24 heures avant l’intervention. Dans cette indication, la substitution est contestable: dans les CHADS2 2-3, elle ne modifie pas le risque thrombotique par rapport à l'arrêt simple, mais elle augmente le risque de saignement [7].

o Cas à risque thrombo-embolique faible : pas de substitution. o Préférence pour l’HBPM sous-cutanée autant que possible, sauf si la clairance de la

créatinine est < 30 mL/min, où l’HNF iv est recommandée. o L’administration intraveineuse nécessite une hospitalisation, alors que la forme sous-

cutanée permet un traitement à domicile. o Patients avec anamnèse de HIT et anticorps anti-héparine: bivalirudine ou argatroban.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 71

Interruption de l’héparine 4 heures (HNF intraveineuse) à 12-24 heures (HBPM) avant l’intervention.

Risque embolique élevé (< 1 mois après une thrombose veineuse des membres inférieurs ou du petit bassin) et opération en urgence (substitution impossible): pose d’un filtre amovible sur la veine cave inférieure.

Reprise des AVK 12-24 heures postopératoires (le soir ou le lendemain de l’opération). Reprise de l’héparine dans les 24-48 heures postopératoires pour 4-6 jours ; le délai peut être

prolongé à 72 heures si le risque hémorragique est très élevé ; la reprise à moins de 24 heures double le risque hémorragique postopératoire mais est préférable en cas de risque thrombo-embolique élevé [13]. L’héparine est arrêtée seulement lorsque l’INR est de retour dans la zone thérapeutique.

Les nouveaux anticoagulants oraux (dabigatran, rivaroxaban, apixaban, edoxaban) ont des demi-vies d’environ 12 heures nécessitant une interruption de 48 heures, voir 3-5 jours chez les personnes âgées et les insuffisants rénaux. Leurs antidotes ne sont pas encore disponibles, sauf pour le dabigatran. Généralement, il n’y a pas lieu de mettre en route un relai avec une héparine pour ces substances, sauf dans les cas à très haut risque de thrombose comme les prothèses valvulaires mécaniques, mais ces derniers sont de préférence sous AVK [15]. Les NACO ayant une pharmacocinétique superposable à celle des HBPM, une substitution par ces dernières n'a aucun sens ni aucune indication [2,9,11]. En cas de doute dans le cadre préopératoire, la meilleure attitude est de doser l’anticoagulant (effet anti-Xa calibré pour la substance pour le rivaroxaban, l'edoxaban et l’apixaban, effet anti-IIa ou Hemoclot™ pour le dabigatran). Si le taux est élevé, la substitution n’est pas nécessaire ; s’il est bas, l’attente est inutile et le malade est opérable sans délai. Lors de la reprise postopératoire dans les cas à haut risque hémorragique et haut risque thrombo-embolique, il est concevable de débuter le traitement anticoagulant pas de l'héparine non-fractionnée pour laquelle la protamine est un antidote efficace et toujours disponible. Le NACO est repris lorsque la situation est stabilisée, en veillant à ce que les deux substances ne soient jamais administrées simultanément.

Substitution périopératoire des anticoagulants

La substitution des AVK par une héparine est réservée aux cas à haut risque thrombo-embolique. Dans les autres situations, elle augmente 3 à 5 fois le risque de saignement sans diminuer le risque thrombo-embolique. Elle n’est pas conseillée dans les interventions à haut risque hémorragique ni chez les malades à bas risque thrombo-embolique. Elle n’est pas recommandée avec les nouveaux anticoagulants oraux (dabigatran, rivaroxaban, apixaban, edoxaban). Dans les situations à risque thrombo-embolique élevé (thrombose veineuse profonde récente, FA CHADS2 > 4, prothèse mécanique mitrale), l’AVK est remplacé par une héparine de courte demi-vie. Le but n’est pas la normalisation de la coagulation, qui présenterait un danger majeur d’accident vasculaire, mais le meilleur compromis entre le risque hémorragique chirurgical et le risque thrombo-embolique de la maladie. Substitution des AVK : - Stop AVK 5 jours préop (Marcoumar 10 j) - Substitution avec une héparine 3 jours avant l’opération - Interruption de l’héparine 4-6 heures (HNF iv) à 24 heures (HBPM scut) préopératoires - Reprise des AVK à ≤ 24 heures postopératoires - Reprise de l’héparine 12-48 heures postopératoires, stoppée lorsque que l’INR est dans les valeurs thérapeutiques

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 72

Figure 8.15 : Algorithme de prise en charge des malades sous agents anti-vitamine K (AVK) en préopératoire de chirurgie non-cardiaque, basé sur le risque hémorragique chirurgical et sur le risque de la maladie thrombo-embolique [adapté d’après références [8,15]. PCC: prothrombin complex concentrate. *: selon pertes sanguines et non à titre prophylactique. Références 1 BARON TH, KAMATH PS, McBANE RD. Management of antithrombotic therapy in patients undergoing invasive procedures. N

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Risque thrombo-embolique

modéré - élevé

Patient sous traitement par des agents anti-vitamine K (AVK)

Stop AVK 5-6 jours préop. Substitution par héparine selon le risque

thrombo-embolique

Pas d’interruption des AVK

Risque hémorragique

faible

Vitamine K, 2-5 mg iv PCC en perfusion*

Opération élective Opération urgente

Risque hémorragique modéré - élevé

Risque de saignement triplé Risque thrombo-

embolique faible: Pas de substitution

J -1: si INR > 1.5, vit K 1-2 mg po

Reprise AVK 24 h postop

J -3: début héparine J -1: INR > 1.5, vit K 1-2 mg po si risque

hémorragique élevé

Risque thrombo-embolique élevé

Risque thrombo-embolique modéré HNF iv: 20’000-24’000 UI/24 h

Stop 4 heures préop. HBPM scut: 20’000 UI/24 h

Stop 24 heures préop.

HBPM scut: 20’000 UI/24 h Stop 24 heures préop.

HBPM scut: 10’000 UI/24 h Stop 12 heures préop.

Reprise AVK 24 h postop per os

Reprise héparine 24-72 h postop selon risque de saignements et qualité de l’hémostase

Stop héparine lorsque INR thérapeutique (J + 5-7)

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 73

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Tableau 8.8 : Stratification des risques thrombo-emboliques et substitution des AVK par héparine

Risque & Prothèse valvulaire Fibrillation Thrombo-embolie Substitution INR visé mécanique auriculaire veineuse/artérielle Elevé Prothèse mitrale CHADS2 ≥ 5 TVP/embolie < 3 m HNF iv: INR ≥ 3 AVC ou AIT récent AVC ou AIT récent Thrombose artérielle 12-15 UI/kg/h (< 6 mois) Valvulopathie, RAA Coagulopathie HBPM scut: 250 UI/kg/24h Modéré Prothèse aortique CHADS2 3-4 TVP/embolie 3-12 m HBPM scut INR = 2-3 mécanique avec: FA, Récidive de TVP 10’000-20’000 AVC, diabète, ICC, Cancer actif UI/24h selon âge > 75 ans risque hémorr* Faible Prothèse aortique CHADS2 0-2 TVP/embolie > 12 m En général pas INR = 2 mécanique simple 0 facteur de risque de substitution *: La substitution dans les risques modérés est actuellement remise en question.

Note. Ce tableau reprend les données du Tableau 8.6 en y incorporant la substitution par l’héparine. CHADS2: score comprenant 5 éléments (congestive heart failure, hypertension, age, diabetes, stroke); chaque élément compte pour 1 point, sauf l’AVC (stroke S2) qui compte double. ICC: insuffisance cardiaque congestive. m: mois. s: semaine. TVP: thrombose veineuse profonde. m: mois. INR visé: valeur d’INR recommandée. HNF: héparine non-fractionnée. HBPM: héparine à bas poids moléculaire. D’après: Douketis JD, Spyropoulos AC, Spencer FA, et al. Perioperative management of antithrombotic therapy : Antithrombotic therapy and prevention of thrombosis, 9th ed. American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines, Chest 2012 ; 141 (2 suppl) : e326S-50S Wysokinski WE, McBane RD. Periprocedural bridging management of anticoagulation. Circulation 2012 ; 126 :486-90

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 74

Coagulation et anticoagulation en chirurgie cardiaque La circulation extracorporelle (CEC) entraîne une formation de thrombine, une consommation des facteurs de coagulation, un épuisement des plaquettes et une activation de la fibrinolyse. Plusieurs mécanismes sont en jeu : l’hémodilution, le contact avec des surfaces étrangères et avec l’air, les lésions traumatiques des pompes et des aspirations, l’hypothermie, le syndrome inflammatoire systémique. Ces phénomènes exigent une prise en charge soigneuse pour éviter les thromboses pendant la CEC et les hémorragies après celle-ci. La tendance actuelle est en faveur d’une gestion de la coagulation peropératoire fondée sur un protocole et basée sur des examens de laboratoire réalisés en salle d’opération (goal-directed blood management). La stratégie est triple :

Traiter la coagulopathie ; Prévenir les thromboses ; Réduire l’hémorragie et les transfusions.

Cette attitude est exposée en détail plus loin dans ce chapitre (voir Hémothérapie peropératoire). Impact de l’anticoagulation préopératoire Anticoagulants Il est fréquent que les malades de chirurgie cardiaque soient sous antithrombotiques en préopératoire. Plusieurs cas de figure peuvent se présenter [17].

Les anticoagulants coumariniques sont stoppés 5 jours avant l’opération et remplacés par de l'héparine (10'000-15'000 UI/jour) dès le 3ème jour préopératoire ; on recherche un aPTT égal à 1.5 fois la valeur de départ.

La dernière dose d’HBPM sous-cutanée est administrée 12-24 heures avant l’intervention. Une perfusion d'héparine en cours pour un syndrome coronarien instable n'est pas stoppée

avant l'opération, mais continuée jusqu'à l'incision; elle peut également être remplacée par une dose de 5'000 UI iv d'héparine à l'induction.

L’héparinisation intraveineuse continue pendant plus de 3 à 4 jours préopératoires peut épuiser les réserves en antithrombine III de l’organisme, et empêcher une anticoagulation efficace en CEC; le traitement est l’administration d’antithrombine III (500-1000 UI), éventuellement de poches de plasma frais décongelé (voir Coagulopathie peropératoire).

Les prothèses valvulaires mécaniques réclament une anticoagulation permanente, quelle que soit leur position (aortique, mitrale ou tricuspidienne) ; l’INR visé est 2-2.5 en position aortique et ≥ 3 en position mitrale ou tricuspidienne. Les bioprothèses valvulaires ne nécessitent une anticoagulation par des AVK que pendant 3 mois.

Avant chirurgie en CEC, les nouveaux anticoagulants oraux sont interrompus pour une durée correspondant à 3 demi-vies de la substance, soit :

o Rivaroxaban : 48 heures o Apixaban : 48 heures o Edoxaban : 48 heures o Dabigatran : 48-72 heures.

Chez les patients sous anticoagulants ou sous antiplaquettaires, la dose d’héparine utilisée lors de la CEC ou lors d’OPCAB reste la même que la routine habituelle (ACT recherché : > 450 sec et > 250 sec, respectivement), car une inhibition incomplète de la thrombine peut conduire à une activation plaquettaire secondaire [2].

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 75

Antiplaquettaires L’aspirine en prévention secondaire (50-160 mg/jour) est un traitement à vie qui n’est jamais interrompu, même en préopératoire. Toutefois, lors de chirurgie cardiaque élective avec CEC, il est traditionnellement recommandé d’arrêter l’aspirine 5 jours avant l’intervention à cause d’une augmentation des saignements de l’ordre de 20% [4]. L’interrompre pendant une plus longue période ne modifie pas l’incidence d’hémorragie ni d’accident cardiaque postopératoire, mais fait courir un risque d’accident coronarien préopératoire, puisque 2-10% des patients font un syndrome coronarien aigu 8.5 jours après l’arrêt de l’aspirine en prévention secondaire [8]. Actuellement, les dernières recommandations européennes spécifient que l’aspirine à faible dosage (75-160 mg) doit être maintenue chez tous les patients subissant des pontages aorto-coronariens avec ou sans CEC, et ne doit être interrompue 3-5 jours que chez ceux qui présentent un risque hémorragique très élevé ou qui refusent les transfusions [14]. De toute manière, la recommandation d’arrêter l’aspirine ne s’applique pas aux situations suivantes, dans lesquelles elle est maintenue jusqu’à l’intervention [7] :

Patients souffrant d’un syndrome coronarien aigu ou d’un angor instable ; Patients porteurs de stents coronariens ; Patients porteurs de prothèses valvulaires mécaniques ou autre matériel prothétique ; Opérations à cœur battant (sans CEC).

De nombreuses études ont maintenant démontré que l’aspirine n’augmentait le risque hémorragique que de manière marginale et seulement avec de hauts dosages (≥ 325 mg/j), que les saignements occasionnés sont diminués par les antifibrinolytiques, et que le maintien de l’aspirine jusqu’à l’opération et sa reprise immédiate en postopératoire diminuent la mortalité hospitalière de 45% chez les coronariens [11,15]. La bithérapie (aspirine + clopidogrel) maintenue jusqu’à l’intervention est un prédicteur indépendant du risque hémorragique, des besoins transfusionnels, des reprises chirurgicales pour hémostase et du séjour en soins intensifs. Bien que le nombre de poches de sang administrées (de 1.6 à 3 unités) soit significativement augmenté (de 51% à 73% des cas), la mortalité des patients et leur devenir à long terme ne semblent pas affectés [12]. Une étude portant sur 4'794 cas a démontré que la prise de clopidogrel < 5 jours avant l’opération n’augmente pas significativement le risque hémorragique par rapport à son arrêt > 5 jours préopératoires : OR 1.24 pour les reprises chirurgicales à visée hémostatiques, OR 1.40 pour les transfusions sanguines [9]. Elle montre aussi un autre point capital : le chirurgien qui réalise l’opération est le facteur le plus clairement associé à l’hémorragie ! Sous ticagrelor, le risque hémorragique des PAC est identique au risque sous clopidogrel [16]. Par contre, avec le prasugrel, qui est 10 fois plus puissant que le clopidogrel, le risque de saignements au cours de PAC est augmenté de 4.7 fois [18]. Il est habituellement recommandé d’interrompre le clopidogrel 5 jours, le ticagrelor 3-5 jours, et le prasugrel 7 jours avant des PAC électifs en CEC (voir Chapitre 29, Recommandations pour la chirurgie cardiaque) [4]. Bien que conventionnelle, cette attitude fait courir un danger thrombotique évident en échange d’une meilleure hémostase. Quelques faits le démontrent.

Chez les porteurs de stents, le risque d’évènement coronarien augmente de 1-2% pendant la durée de l’arrêt, mais peut s’élever à 2% par jour en cas de syndrome coronarien aigu (SCA) [12].

Le maintien du clopidogrel jusqu’à 24 heures préopératoires diminue significativement le taux d’infarctus à 1 an (OR 0.57-0.63) [1,12].

La comparaison du ticagrelor et du clopidogrel montre que le raccourcissement de la période sans antiplaquettaire abaisse le taux de mortalité après PAC (HR 0.49) puisque le ticagrelor est arrêté 24-72 heures avant l’opération et le clopidogrel stoppé > 5 jours préopératoires. Par contre, il n’y pas de différence de mortalité entre les deux médicaments s’ils sont interrompus la veille de l’opération ou plus de 5 jours avant celle-ci [6]. C’est donc la durée de l’arrêt qui fait la différence.

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Comme pour l’aspirine seule, le double traitement n’est pas interrompu lorsqu’il est prescrit pour un syndrome coronarien instable ou pendant la phase de ré-endothélialisation des stents (stents passifs : minimum 6 semaines ; stents actifs 1ère génération: ≥ 6 mois; stents actifs 2ème génération: 3 mois). Dans ces situations, il doit être continué jusqu'à 24-48 heures de l'opération. Lorsque la durée de l’arrêt préopératoire fait débat, un test d’agrégabilité plaquettaire est précieux car ses résultats permettent souvent de raccourcir le délai entre l’opération et la dernière prise de clopidogrel sans augmenter pour autant les pertes sanguines [13]. Les patients dont les plaquettes conservent une certaine activité résiduelle sous bithérapie antiplaquettaire ont moins de saignement majeur postopératoire. La durée d’interruption des antiplaquettaires peut donc être réduite, car un faible répondeur saigne moins qu’un individu normal. Ainsi, le délai d’attente moyen avant des PAC a pu être abaissé à 2.7 jours sans augmentation du risque hémorragique chez les patients qui ont une agrégabilité résiduelle satisfaisante au test préopératoire [10]. Les antifibrinolytiques peropératoires permettent de réduire le risque hémorragique chez les patients sous antiplaquettaires. La revascularisation à coeur battant, qui nécessite une héparinisation plus faible, est particulièrement indiquée dans ces circonstances parce que moins hémorragipare [7]. Pontages de sauvetage en urgence La situation est délicate lors de pontages aorto-coronariens (PAC) en urgence pour syndrome coronarien aigu, parce que l’administration d’une dose de charge de clopidogrel (300-600 mg) ou de ticagrelor (180 mg) est une recommandation formelle avant même de procéder à une coronarographie, donc avant de savoir si le patient est susceptible de subir une revascularisation chirurgicale en urgence ou en semi-urgence (0.3-0.5% des PCI) [2]. Eviter cette médication fait prendre trop de risque de thrombose coronarienne en cas de traitement médical ou de PCI avec pose de stent, mais elle grève d’éventuels PAC d’une morbidité hémorragique significative : l’incidence de saignements majeurs est de 11-47% après 300 mg et de 73% après 600 mg de clopidogrel, mais elle est presque 5 fois plus élevée après 60 mg de prasugrel [3,18]. L’angioplastie en urgence, sans que l’anatomie coronarienne soit connue auparavant, est une excellente indication pour le ticagrelor, bloqueur puissant, rapide et réversible, qui occasionne moins de pertes sanguines peropératoires que les autres substances. Lorsque des PAC sont réalisés dans le cadre d’un syndrome coronarien aigu, l’aspirine et le clopidogrel ou le ticagrelor ne sont pas interrompus plus de 24-48 heures ; ils doivent être repris le plus vite possible dans le postopératoire et continués pour au moins 6 mois (voir Chapitre 29, Recommandations pour la chirurgie cardiaque) [2,5].

Antiplaquettaires en chirurgie cardiaque Opérations électives en CEC - Stop aspirine 5 jours si risque hémorragique élevé ou refus de transfusion - Stop clopidogrel 5 jours - Stop ticagrelor 3-5 jours - Stop prasugrel 7 jours - Reprise de l’aspirine < 24 heures postopératoires Exceptions pour l’aspirine (maintien jusqu’à la prémédication) - Opérations à cœur battant (sans CEC) - Syndrome coronarien aigu - Patients porteurs de stents ou de prothèses, quel que soit le délai depuis la pose Exception pour la double thérapie (maintien jusqu’à 24-48 heures préop) - Opérations à cœur battant (sans CEC) - Syndrome coronarien aigu - Patients porteurs de stents non-endothélialisés (< 6 sem pour BMS, < 3-6 mois pour DES)

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 77

Reprise en postopératoire : aspirine < 24 heures, bithérapie 24-48 heures (selon risque hémorragique). Opération à cœur battant (OPCAB) : maintien des antiplaquettaires. Opération en urgence (sauvetage après PCI, patients sous dose de charge) : prévoir antifibrinolytiques et transfusions plaquettaires, préférence à la chirurgie sans CEC (OPCAB). L’interruption des antiplaquettaires en cas de SCA ou de stents récents fait courir un risque d’accident thrombotique de 1-2% par jour d’arrêt et une augmentation jusqu’à 50% des complications cardiaques per- et postopératoires. Ces recommandations sont sujettes à controverse, car les pertes sanguines sont variables selon les études et selon les chirurgiens. Dans la mesure du possible, il est souhaitable de maintenir les antiplaquettaires jusqu’à 24-48 heures de l’intervention, éventuellement sous contrôle d’un test d’agrégabilité plaquettaire. Références 1 BIANCARI F, AIRAKSINEN KEJ, LIP GYH. Benefits and risks of using clopidogrel before coronary artery bypass surgery:

Systemic review and meta-analysis od randomized trials and observational studies. J Thorac Cardiovasc Surg 2012; 143:665-75 2 BROWN C, JOSHI B, FARADAY N, et al. Emergency cardiac surgery in patients with acute coronary syndromes : a review of the

evidence and perioperative inmplications of medical and mechanical therapeutics. Anesth Analg 2011 ; 112 : 277-99 3 CRUDEN NL, MORCH K, WONG DR, et al. Clopidogrel loading dose and bleeding outcomes in patients undergoing urgent

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Eur J Cardiothorac Surg 2008; 34:73-92 5 HAMM CW, BASSAND JP, AGEWALL S, et al. ESC Guidelines for the management of acute coronary syndromes in patients

presenting without persistent ST-segment elevation. Eur Heart J 2011; 32:2999-3054 6 HELD C, ASENBLAD N, BASSAND JP, et al. Ticagrelor versus clopidogrel in patients with acute coronary syndromes

undergoing coronary artery bypass surgery. J Am Coll Cardiol 2011; 57:672-84 7 HILLIS LD, SMITH PK, ANDERSON JL, et al. 2011 ACCF/AHA Guideline for coronary artery bypass graft surgery. J Am Coll

Cardiol 2011; 58:e123-e210 8 JACOB M, SMEDIRA N, BLACKSTONE E, et al. Effect of timing of chronic preoperative aspirin discontinuation on morbidity

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clopidogrel-treated patients undergoing coronary artery bypass graft surgery. Circ Cardiovasc Interv 2012; 5:261-9 11 McILLROY DR, MYLES OS, PHILLIPS LE, SMITH JA. Antifibrinolytics in cardiac surgical patients receiving aspirin: a

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grafting in patients with acute coronary syndrome: a meta-analysis of 34 studies. Eur Heart J 2011; 32:2970-88 13 RANUCCI M, BARYSHNIKOVA E, SORO G, et al. Multiple electrode whole-blood aggregometry and bleeding in cardiac surgery

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undergoing coronary artery bypass graft surgery. Eur Heart J 2014; 35:1510-4 15 SUN JC, WHITLOCK R, CHENG J, et al. The effect of preoperative aspirin on bleeding, transfusion, myocardial infarction, and

mortality in coronary artery bypass surgery : a systematic review of randomized and observational studies. Eur Heart J 2008; 29:1057-71

16 WALLENTIN L, BECKER RC, BUDAJ A, et al. Ticagrelor versus clopidogrel in patients with acute coronary syndromes. N Engl J Med 2009; 361:1045-57

17 WEBER CF, KLAGES M, ZACHAROWSKI K. Perioperative coagulation management during cardiac surgery. Curr Opin Anaesthesiol 2013 ; 26 : 60-84

18 WIVIOTT SD, BRAUNWALD E, MCCABE CH, et al. Prasugrel versus clopidogrel in patients with acute coronary syndromes. N Engl J Med 2007; 357:2001-15

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 78

Tests de coagulation peropératoires Les situations difficiles évoluent rapidement en salle d’opération. Les examens classiques de la coagulation nécessaires à choisir la thérapeutique la plus appropriée occasionnent un délai souvent trop long (45-90 minutes) et dépendent de la disponibilité d’un laboratoire d’hématologie. D’autre part, les tests conventionnels (TT, aPTT, TP, INR, etc) ne reflètent que la mise en route de la cascade coagulatoire in vitro et n’apportent aucun renseignement sur la participation des plaquettes, ni sur la stabilité du caillot, ni sur la fibrinolyse [23]. Ils sont de faibles prédicteurs du risque hémorragique. Le développement de tests faisables au lit du malade (POC tests : point-of-care tests) a changé la donne, même si ces tests ne sont pas aussi fiables que ceux pratiqués dans un laboatoire spécialisé. D'un point de vue pratique, on peut grouper ces tests en 3 catégories.

Test de la cascade coagulatoire in vitro (ACT); Tests de résistance viscoélastique du caillot (TEG™, ROTEM™, Sonoclot™); Tests d'agrégabilité plaquettaire (Multiplate™, VerifyNow™, PFA-100™, etc).

L’implémentation de ces tests dans la routine de chirurgie cardiaque a pour objectif d'individualiser la prise en charge et de gérer l'hémostase de manière dirigée au lieu de perfuser divers composants de manière indiscriminée. On a déjà démontré qu’elle permet de diminuer le taux d’hémorragie postopératoire, la consommation de produits sanguins et la morbidité par rapport à la prise en charge conventionnelle [22]. Mais elle implique une formation adéquate du personnel d’anesthésie et un contrôle de qualité permanent. ACT Le test le plus utilisé en chirurgie cardiaque est l’ACT (Activated clotting time) : du sang complet est mis en contact avec un activateur de la voie intrinsèque (célite, kaolin, verre ou une combinaison de ces produits), et réchauffé à 37°C. L’appareil mesure le temps nécessaire à transformer le sang liquide en un gel coagulé. Les résultats sont prolongés en cas de déficience en facteurs de la voie intrinsèque (facteur XII, prékallikréine) ou en fibrinogène, et en présence d’aprotinine; cette dernière allonge l’ACT utilisant la célite comme activateur. Il est donc préférable de recourir à un test au kaolin lorsque le patient reçoit de l’aprotinine [5]. L’ACT est essentiellement utilisé pour quantifier l’effet de l’héparine ; bien qu’il soit très sensible, il est peu spécifique. La valeur de l’ACT normal est situé entre 80 et 120 secondes. L’ACT minimal nécessaire pour éviter des problèmes thrombotique ou hémorragique pendant une CEC est toujours discutée, mais une valeur > 450 secondes, correspondant à une héparinémie de > 2 U/mL, est généralement acceptée comme référence pour les circuits standards, et une valeur de > 250 secondes pour les circuits pré-héparinés. Si l'ACT est < 400 secondes (ou < 250 secondes), il est recommandé de ne pas commencer la CEC sans ajouter une dose supplémentaire d'héparine (5'000 – 10'000 UI) ; on procède à un nouveau contrôle après 3 minutes [12]. Il se peut que l’ACT ne s’allonge pas suffisamment malgré une dose adéquate d’héparine; il s’agit probablement d’une résistance à l’héparine liée à un défaut en AT III (voir Coagulopathie peropératoire). Bien que linéaire, la corrélation de l’ACT avec la concentration plasmatique d’héparine est n’est pas exacte: l’ACT tend à sous-estimer l’héparinémie réelle. De ce fait, il se peut que le blocage de la thrombine et de la fibrinolyse soit moins complet qu’attendu [2]. Thromboélastographie La thromboélastographie décrite par Hartert en 1948 est une manière élégante et rapide d’évaluer le développement et la résistance physique du thrombus formé au cours du processus coagulatoire, et sa dissolution au cours de la fibrinolyse. L’échantillon de sang complet est placé dans une petite cuve

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 79

chauffée à 37°C ; le développement de la fibrine se traduit par un couplage progressif des mouvements rotatoires entre la cuvette et une tige qui y est plongée (Figure 8.16). Figure 8.16 : Systèmes de thromboélastographie. A: système TEG™; le couplage progressif des mouvements de la cuve (oscillation de 4°45’ autour de son axe) avec ceux d’une tige est enregistré par un capteur électromagnétique ; il traduit la formation et la solidité des ponts de fibrine. B: système ROTEM™; les mouvements oscillatoires sont impartis à la tige et non à la cuve et la transmission est optique et non électro-magnétique [d’après référence 20]. Le signal électrique est affiché sous forme d’une trace dont la déflection est proportionnelle à la solidité du caillot (Figure 8.17). Cette trace permet de mesurer une série de paramètres correspondant aux propriétés visco-élastiques du thrombus sous une force de cisaillement correspondant à celle qui règne dans la circulation veineuse [20].

TC (temps de coagulation) : temps écoulé entre le début de la mesure et le début de la formation du caillot. Valeur normale : 55 secondes; la valeur normale varie selon le type de test.

TFC (temps de formation du caillot) : temps écoulé entre le début de la formation du caillot et une amplitude de courbe de 20 mm. Valeur normale : 95 secondes; la valeur normale varie selon le type de test.

Angle alpha (pente du TFC) : vitesse de formation de la fibrine. Valeur normale : 22-38° (sang natif), 53-67° (activation par kaolin).

A10: amplitude 10 minutes après le temps de coagulation (TC); valeur normale : 43-68 mm. Une amplitude de 0 mm signifie une absence totale de thrombus; le maximum de 100 mm indique que le système est complètement bloqué par le caillot (au-delà de 10 minutes).

FMC (fermeté maximale du caillot, exprimée en mm) : amplitude maximale du tracé, en général à la 15ème minute ; il définit les propriétés visco-élastiques finales du caillot. Valeur normale : 47-71 mm.

IL, LM (index de lyse, ou lyse maximale) : pourcentage de la fermeté du caillot (FMC) à 30 ou 60 minutes. Valeur normale : < 18% à 60 minutes.

Il existe deux modèles de thromboélastographie en version utilisable au lit du malade (POC-test): le thromboélastogramme (TEG™) et le thromboélastomètre rotatoire (ROTEM™). Dans le système TEG™, le sang est placé dans une cuvette qui oscille sur son axe de 4°45’; le développement de la

A B

Tige Capteur Caillot à 37°C

Support Senseur Cuvette (37°C) Fibrine et agrégat plaquettaire Caillot à 37°C

Cuvette

Cuve oscillante

Ressort Détecteur

Source lumineuse Axe de rotation

+/- 4.75°

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fibrine se traduit par un couplage progressif des mouvements du tube avec ceux d’une tige, dont les oscillations sont enregistrées par un capteur électromagnétique La technologie du ROTEM diffère en ce sens que les mouvements oscillatoires sont impartis à la tige et non à la cuve et que la transmission est optique et non électro-magnétique (Figure 8.16). Le système est plus stable et plus simple d’emploi. L’échantillon consiste en sang citraté et recalcifié ; il est réparti en aliquots additionnés de différents activateurs (figurant entre parenthèses dans la liste ci-dessous) permettant plusieurs analyses en parallèle. Outre le temps de coagulation et la cinétique du caillot, le ROTEM™ offre ainsi plusieurs autres données (Figure 8.18) [19]. Figure 8.17 : Thromboélastogramme. A: représentation schématique d’un thromboélastogramme normal. TC: temps de coagulation. TFC: temps de formation du caillot (temps écoulé entre le début de la formation du caillot et une amplitude de courbe de 20 mm). A10: amplitude 10 minutes après le TC. FMC: fermeté maximale du caillot. IL: index de fibrinolyse. α: angle représentant la pente du TFC, mesurée entre le point de démarrage du caillot et une amplitude de 20 mm. B: Illustration de thromboélastogrammes correspondant à différentes pathologies [d’après référence 20].

INTEM (+ acide ellagique + phospholipide + calcium): information sur la voie intrinsèque ; le TC de l’INTEM est équivalent à l’aPTT.

20 mm

TC TFC

Normal Anticoagulants Antiplaquettaires Fibrinolyse Hyperrcoagulabilité

B

Fibrinolyse Thrombose

60 min

α FMC IL

A

A10

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 81

Figure 8.18 : Exemples de tracés thromboélastographiques ROTEM™. A: tracé normal. B: tracé de thrombocytopénie. C: tracé de fibrinolyse excessive. D: tracé sous héparinisation complète (CEC). MCF: fermeté maximale du caillot. CT : temps de coagulation. ML : lyse maximale (pourcentage de MCF à 60 minutes) [d’après référence 19].

EXTEM (+ facteur tissulaire + calcium): information sur la voie extrinsèque, équivalente au TP.

HEPTEM (acide ellagique + héparinase): neutralisation de l’héparine par de l’héparinase ; permet de diagnostiquer des anomalies alors que le patient est sous héparine (CEC).

APTEM (facteur tissulaire, calcium, + aprotinine): neutralisation de la fibrinolyse par de l’aprotinine ; met en évidence une hyperfibrinolyse en comparaison avec l’EXTEM.

FIBTEM (élimination de la participation plaquettaire au caillot par la cytochalasine D): évaluation de la fonctionalité du fibrinogène, puisque la formation du thrombus ne dépend plus que de ce dernier.

ECATEM (+ écarine): information équivalente à l’Ecarin clotting time pour l’évaluation des inhibiteurs directs de la thrombine (bivalirudine, desirudine, dabigatran).

A

B

C

D

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L’EXTEM, l’INTEM et l’APTEM sont directement asociés aux taux de fibrinogène et de plaquettes [21]. L'HEPTEM associé à l'INTEM autorise un diagnostic des anomalies de facteurs de la coagulation alors que le patient est sous héparine en CEC; on peut ainsi prévoir quels seront les éléments à corriger après la sortie de pompe [19]. Le prolongement du TC de l'INTEM (> 240 sec) et de l'EXTEM (> 100 sec), ainsi que l'allongement de la FMC et la réduction de l'angle alpha, sont utiles pour déterminer les besoins en PCC (Prothrombin complex concentrate), qui contient les facteurs II, VII, IX, X [7]. Toutefois, un excès d'héparine ou de protamine peut également prolonger l'INTEM-TC. Une valeur de FIBTEM A10 < 5 mm est un bon indicateur d'hypofibrinogénémie (< 1 g/L) ; un FIBTEM de 10 mm correspond à environ 2 g/L de fibrinogène (méthode de Clauss) ; si la FMC de l’EXTEM ne s’améliore pas après perfusion de fibrinogène, l’indication est posée à une transfusion de plaquettes. La comparaison entre EXTEM et FIBTEM permet le diagnostic différentiel entre thrombocytopénie et hypofibrinogénémie, ce qui offre la possibilité de n'administrer que l'élément en défaut. Toutefois, la fonction plaquettaire n'est pas correctement investiguée par la thromboélastographie, sauf dans une version spécifique du système TEG (TEG-PlateletMapping™). Les premiers résultats de ces tests tombent en 5 à 10 minutes, mais il faut attendre jusqu’à 60 minutes pour un examen complet (selon la durée de la fibrinolyse). Comme ces tests ont une haute valeur prédictive négative, leur normalité en présence d’hémorragie est une indication formelle à une reprise chirurgicale [15]. Agrégabilité plaquettaire Le thromboélastogramme ne dit malheureusement rien sur la fonction plaquettaire. Il est donc judicieux de lui adjoindre un test d’agrégabilité plaquettaire, mais celle-ci est un phénomène complexe et multifactoriel, dont il est malaisé de juger la fonctionalité avec un examen standard, rapide et univoque. Plusieurs examens sont disponibles mais ils évaluent des mécanismes différents du fonctionnement des plaquettes ; leur degré de cohérence est modeste. De ce fait, il n’existe pas de consensus clair sur la meilleure méthode à utiliser ni sur la valeur à considérer comme le seuil au-delà duquel le risque hémorragique devient très élevé. Deux appareils sont fréquemment utilisés en peropératoire (voir Chapitre 29, Tests d’activité plaquettaire) [3,4].

Multiplate Electrode Aggregometry (MEA™). Il est fondé sur l’augmentation de l’impédance électrique entre des électrodes plongées dans le plasma lorsque celles-ci se recouvrent d’amas plaquettaires. Il mesure l’agrégation entre thrombocytes par les récepteurs GP-IIb/IIIa, point de convergence de la stimulation de tous les autres récepteurs plaquettaires. Il évalue l’agrégation liée à différents agents selon l’agoniste utilisé: aspirine (acide arachidonique), bloqueurs du récepteur ADP (ADP).

VerifyNow™. Cet examen mesure la baisse de densité optique lorsque les plaquettes forment des agrégats, facilités par la présence de microbilles recouvertes de fibrinogène. Il évalue l’agrégation entre thrombocytes par les récepteurs GP-IIb/IIIa. Selon l’agoniste utilisé, il mesure l’agrégation liée à différentes substances : acide arachidonique (aspirine) ou ADP (clopidogrel, prasugrel, ticagrelor). Le test est simple, rapide, semi-automatique, basé sur l’utilisation de cartouches ne réclamant aucun pipettage. Il se réalise au lit du malade. Il n’est fiable que dans les limites normales du taux plaquettaire et de l’hématocrite. Il est relativement peu sensible aux très hauts et très bas degrés d’inhibition plaquettaire. Le VerifyNow™ est l’examen actuellement le plus utilisé et le mieux validé dans les essais cliniques.

Ces tests d’agrégabilité plaquettaire effectués avant l’héparinisation permettraient de prévoir quels sont les patients qui réclameront le plus de transfusions érythrocytaires et plaquettaires : une inhibition de > 60% identifie 72-91% des patients polytransfusés. Ils ont une meilleure valeur prédictive que le délai entre l’opération et la dernière prise de clopidogrel [18]. Lorsque leurs plaquettes sont inhibées à > 70%, les patients ont 11 fois plus de risque d’être transfusés, quelle que soit la durée d’interruption (surface sous la courbe ROC pour valeur-seuil à 70% : 0.77) [17]. Cependant, hormis quelques applications spécifiques, aucun des tests utilisés actuellement ne détecte adéquatement les hypo- ni les

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hyper-répendeurs aux antiplaquettaires ; aucun ne permet d’individualiser le traitement de façon à améliorer significativement les résultats cliniques [10]. La dysfonction plaquettaire liée à l'hypothermie (< 33°C) étant réversible, il convient d'effectuer les tests sur du sang réchauffé à 37°C. Prise en charge ciblée Pendant longtemps, l’hémostase a été assurée de manière empirique et aveugle, car on ne disposait pas de critères objectifs ni d’évidences cliniques sur lesquels fonder une attitude rationnelle pour l’administration des procoagulants. La situation a beaucoup évolué ces dix dernières années avec la mise au point de tests de coagulation spécifiques faciles à réaliser en salle d’opération. Ceci a permis de définir des stratégies logiques dirigées sur des cibles précises (goal-directed), qui évitent de donner à l’aveugle une quantité de produits sans rapport avec les besoins réels. Un algorithme basé sur l'utilisation du thromboélastogramme et d’un test d’agrégabilité plaquettaire permet de déterminer l’origine du saignement et de stratifier l'administration des différents facteurs hémostatiques en fonction des lacunes décelées (exemple basé sur le ROTEM™ à la Figure 8.19) [6,11]. Dans sa version pour la chirurgie cardiaque, cet algorithme est variable selon les institutions, mais est en général constitué de plusieurs étapes identiques (voir Hémothérapie peropératoire) [1,6,11,22,23].

Correction des altérations physiologiques: maintien du pH > 7.3, de la température > 36°C, du [Ca2+]i > 1 mmol/L, et de l'Ht > 25%.

Hémostase chirurgicale soigneuse, compression, coagulation, colles tissulaires. Mesures thérapeutiques prises en fonction des résultats des gazométries, des thrombo-

élastogrammes et des tests d'activité plaquettaire réalisés sur place (point-of-care tests), complétés par des taux de plaquettes et de fibrinogène (laboratoire). La première batterie de tests est effectuée pendant le réchauffement de CEC, avant la sortie de pompe, et le traitement entrepris dès que la mise en charge est réalisée (la perfusion de facteurs de coagulation pendant la CEC risque de thromboser les filtres).

o Si TCIN > 240 sec mais TCHEP normal: protamine (0.8 mg pour 1 mg d'héparine) pour ACT < 130 sec.

Administration d'un antifibrinolytique (LMAP > 15%): acide tranexamique ou acide e-amino-caproïque (voir Antifibrinolytiques).

En cas de persistance des saignements malgré les mesures conventionnelles: o Si TCIN et TCHEP > 240 sec + TCEX > 80 sec: fibrinogène (selon taux plasmatique), PFC

(si hypovolémie). o Si FMCFIB < 9 mm: fibrinogène; maintenir le taux > 2.0 g/L avec Fibrinogène™ 25-50

mg/kg; assurer la correction du fibrinogène est la première mesure à prendre dans la correction des facteurs de coagulation.

o Si FMCFIB > 9 mm et thrombopénie (taux < 50'000/mcL) : thrombocytes (5 U). o Si agrégabilité plaquettaire abaissée (Multiplate™, VerifyNow™): desmopressine (0.3

mcg/kg), thrombocytes (2-5 U) (voir Normalisation des plaquettes). o Si monomères de fibrine + FMC < 9mm: facteur XIII (Fibrogammin P® 10-30 UI/kg)

[14]. o Si baisse des facteurs II, VII, IX et X: concentré de complexe prothrombinique (PCC)

avec 3 ou 4 facteurs (20-30 UI/kg) (voir Facteurs de coagulation). Mesures extrêmes (sauvetage), pour autant que soient normalisés l'Ht (> 25%), le fibrinogène

(> 2.0 g/L), la calcémie (> 1 mmol/L) et les plaquettes (> 70'000/mcL), justifiée seulement en cas d’hémorragie persistante malgré l’utilisation de tous les moyens hémostatiques, inclus la chirurgie, l'endoscopie et la radiologie interventionnelle:

o PCC activé (FEIBA™, 50 UI/kg). o Facteur rVIIa (NovoSeven™, 90 mcg/kg).

La chute de l'Hb < 70 g/L commande la transfusion de poches de sang; à partir de 4 unités, il est de routine d'administrer simultanément du PFC dans un rapport 1:1 [6].

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Figure 8.19 : Exemple d’algorithme pour l’administration des agents hémostatiques basé sur l’utilisation du ROTEM™ en fin de CEC et complété par un test de fonction plaquettaire (CHUV, Lausanne) [11]. Il est recommandé de procéder à un nouveau test après le renversement de l’héparine par la protamine. TC: temps de coagulation (secondes). LM: lyse maximale du caillot à 60 minutes (%). FMC: fermeté maximale du caillot (mm). Cette manière de faire est basée sur une utilisation sélective des différents éléments impliqués dans l’hémostase, et non dans une administration à l’aveugle du maximum de composants qui rappelle la phrase fameuse du Maréchal Ney (1769-1815) : "L’abondance de la mitraille compense l’imprécision du tir ". Plusieurs études cliniques ont déjà démontré les bénéfices de cette attitude. L’adoption d’un algorithme précis permet d’économiser les transfusions sanguines (-8% à -62%) et surtout le plasma frais décongelé (PFC : 10-15 x moins) ; elle réduit l’incidence de transfusions massives de 2.5 fois ; elle diminue de moitié le taux de ré-exploration chirurgicale pour hémostase et celui d’évènements

Traiter en premier lieu les éléments suivants (objectif): Hypothermie (T ≥ 36°C), hypocalcémie (Ca2+ > 1 mmol/L),

acidose (pH > 7.3), érythrocytes (Hb > 70 gm/L)

HEPTEM

PCC 30 U/kg PFC 15 mL/kg

Protamine 25-50 mg

INTEM

EXTEM

Fibrinogène 20-50 mg/kg

FIBTEM

Thrombocytes 2 – 5 unités

FMCFIB < 9 mm

FMCFIB > 9 mm

TCIN > 240 s TCHEP normal

TCHEP/TCIN < 0.66

© ALG - CHUV 2017

Test fonct plaquettes

APTEM LMAP > 15% A tranexamique 15 mg/kg

Multiplate™, VerifyNow™, etc Desmopressine

0.3 mcg/kg

TCEX > 80 s

TCIN > 240 s TCHEP > 240 s

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thrombo-emboliques. Par contre, elle double l’utilisation de fibrinogène et de PCC (concentré de complexe prothrombinique) [8,9]. Une première étude contrôlée et randomisée (100 patients de chirurgie cardiaque) comparant un guidage par des tests conventionnels à un guidage par thromboélastographie (ROTEM™) et agrégométrie plaquettaire (Multiplate™) démontre clairement que le suivi ciblé diminue les transfusions (5 versus 3 poches), l’administration de PFC (5 versus 0 unités) et l’utilisation de facteur VIIa (12 versus 1 patients traités), mais aussi la morbidité (insuffisance rénale, sepsis, thrombose) et la mortalité (20% versus 4%, p = 0.013) [22]. Une deuxième étude corrobore ces résultats : l’administration de produits sanguins selon un algorithme basé sur le ROTEM™ diminue significativement le taux de transfusions érythrocytaires (OR 0.50), de plaquettes (OR 0.22) et de PFC (OR 0.20) sans modifier les perfusions de fibrinogène [13]. Les mesures de sauvetage comme les transfusions massives, la ré-exploration chirurgicale et le Facteur VIIa sont moins fréquentes, sans que le taux de complications soit modifié. Dans les situations à haut risque hémorragique comme la chirurgie cardiaque, les polytraumatismes ou la transplantation hépatique, tout porte à croire qu’une gestion ciblée de la coagulation diminue les coûts globaux [16].

Tests de coagulation peropératoires

Tests réalisés en salle d’opération dans un délai de < 20 minutes qui permettent de stratifier l'administration des différents facteurs hémostatiques en fonction des déficits spécifiques décelés au lieu de perfuser divers agents de la coagulation de manière indiscriminée. ACT : temps de coagulation activé (normal 80 - 120 sec), utilisé pour le suivi de l’héparinisation. Valeur recherchée : - CEC conventionnelle > 450 sec - Circuit pré-hépariné 250-300 sec - Allongement insuffisant après une dose adéquate d’héparine : déficience en AT III Thromboélastographie (TEG™, ROTEM™) : mesure du développement et de la résistance physique du thrombus, puis de sa dissolution au cours de la fibrinolyse. - Temps de coagulation - Temps de formation du caillot - Vitesse de formation de la fibrine - Fermeté maximale du caillot - Lyse maximale du caillot Permet de différencier les besoins en protamine, antifibrinolytique, fibrinogène, thrombocytes ou facteurs de coagulation. Agrégabilité plaquettaire : évalue l’effet résiduel des antiplaquettaires (transfusion de plaquettes fraîches, desmopressine). L’utilisation de ces tests au sein d’un algorithme basé sur l’administration ciblée de procoagulants permet de diminuer le taux d’hémorragie postopératoire, la consommation de produits sanguins et la morbidité par rapport à la prise en charge conventionnelle.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 86

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Anaesthesiol 2013 ; 26 : 60-84 Coagulopathie peropératoire La chirurgie cardiaque s’accompagne d’une coagulopathie souvent importante, qui est par nature multifactorielle mais en grande partie liée à la circulation extracorporelle (CEC) [18,46].

Médication anticoagulatoire ou antiplaquettaire préopératoire ; Coagulopathie préopératoire ; Hémodilution ; Hypothermie, acidose ; Héparinisation complète pour la CEC, héparinisation résiduelle après la protamine ; Résistance à l’héparine ; Activation et consommation des facteurs sur les surfaces étrangères ; Activation et consommation par l’extravasation péricardique/pleurale et par les aspirations ; Activation et consommation des plaquettes, thrombopénie et dysfonction plaquettaire ; Hyperfibrinolyse ; Syndrome inflammatoire systémique.

La CEC Indépendamment de toute lésion tissulaire, la CEC déclenche directement la formation de thrombine et de fibrine. Cinq minutes après sa mise en route, leur taux est déjà augmenté de 20 fois, alors que ces substances ne se rencontrent normalement qu’au niveau de la plaie et non dans la circulation systémique [4]. Plusieurs phénomènes interviennent [18,40].

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 87

Le système de contact. Au contact de surfaces étrangères chargées négativement comme le verre ou les plastiques, le facteur XII (Hageman) se clive en XIIa (activé) qui transforme la prékallikréine en kallikréine, le facteur XI en XIa et les kininogènes en bradykinine ; le taux de cette dernière augmente de 10 fois. L’activation du FXIa aboutit à la formation active de thrombine par la voie intrinsèque de la coagulation. Le facteur XIIa active également la voie du complément et favorise la transformation de plasminogène en plasmine, provoquant la fibrinolyse. Cependant, la balance penche en faveur de l’excès de thrombine et de l’effet procoagulant ; cette situation perdure jusqu’au 5ème jour postopératoire [2].

La voie extrinsèque. L’expression du facteur tissulaire (FT) et la concentration en facteur VIIa sont anormalement élevées en CEC.

La fibrinolyse. Le taux de plasmine circulante augmente 10-50 fois pendant la CEC ; les vitesses de formation et de dégradation de la fibrine étant équivalentes, cette situation revient à une consommation accrue de fibrinogène sans formation de caillots [5].

Les plaquettes. Elles sont stimulées par le contact avec les surfaces étrangères, par l’héparine et par l’excès de thrombine en circulation ; elle adhèrent aux surfaces, y forment des amas et sécrètent de la thromboxane A2 vasoconstrictrice. Leur nombre et leur agrégabilité diminuent de 30-50% au cours d’une CEC [38]. Leur fonction est réduite en hypothermie (< 30°C), mais cette dysfonction est réversible au réchauffement ; toutefois, elle ne se manifeste pas sur le résultat des tests d’agrégabilité qui sont effectués sur du sang réchauffé à 37°C. La plasmine dissocie le récepteur GP Ib, ce qui active partiellement la plaquette mais la rend moins sensible aux agonistes [11].

La réaction inflammatoire. Les leucocytes sont activés par les surfaces étrangères ; ils vont alors sécréter du facteur tissulaire (FT) qui contribue au développement de la cascade coagulatoire et à la production de thrombine. Les surfaces étrangères stimulent aussi la voie alternative du complément (la voie classique est déjà activée par le F XIIa) ; les facteurs C3a et C5a se lient aux leucocytes circulants et contribuent à leur activation.

L’hémodilution. Les taux de tous les facteurs sont abaissés de 20-30% par la dilution hydrique de la CEC. Les colloïdes abaissent les taux de facteur VIII et von Willebrand ; ils freinent l’adhésion plaquettaire [14,38].

En fin de CEC, le taux de fibrinogène a baissé de 30-40% ; le 30% de l’antithrombine III est consommé, ce qui tend à augmenter progressivement la « résistance » à l’héparine. Les facteurs II, VII, IX et X sont diminués de près de 50% après la CEC [16].

Le sang retransfusé. S’il n’est pas épuré par un système CellSaver™, le sang aspiré dans le péricarde ou le médiastin contient du facteur tissulaire, des complexes thrombine-antithrombine, des activateurs du plasminogène et des déclencheurs inflammatoires. Il contribue massivement aux altérations de la coagulation.

Hypothermie et acidose. Une coagulopathie s’installe dès 35°C, et la cascade de la coagulation est complètement inactivée à 16°C. L’acidose aggrave la situation et freinant l’activité des facteurs sensibles au pH comme le facteur VIIa.

L’expression du facteur tissulaire (FT) et de la voie extrinsèque sont essentiellement liées au traumatisme chirurgical, à l’activation par les aspirations et à la réaction inflammatoire. Les leucocytes activés s'infiltrent entre les cellules endothéliales et produisent des radicaux libres, des superoxydes et des enzymes lysosomiques; c'est la cause de lésions endothéliales, d'augmentation de perméabilité capillaire, d'accumulation liquidienne extracellulaire et de syndrome inflammatoire systémique (voir Syndrome inflammatoire). Les lésions imparties aux plaquettes et aux facteurs de coagulation (dénaturation protéique) sont directement liées à la durée de CEC, à la profondeur de l'hypothermie (≤ 25°), aux aspirations, et au contact avec l'air (réservoir veineux, aspirations). On peut réduire l’activation de la coagulation par différents moyens, mais, hormis l’anticoagulation, leur efficacité est très variable.

Anticoagulation complète par l’héparine non-fractionnée (HNF) ; l’activité de la thrombine est bloquée lorsque l’ACT est > 480 secondes, à la condition que l’anti-thrombine soit présente en quantité suffisante (voir Héparines). La dose de charge d’héparine pour obtenir une

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 88

anticoagulation adéquate est de 300-400 UI/kg. L'ACT est contrôlé 3-5 minutes plus tard. Les doses supplémentaires sont titrées selon la réponse individuelle du patient à l’héparine.

En cas de résistance à l’héparine, supplémentation en anti-thrombine (AT III), car son taux baisse de 40% en CEC à cause de l’hémodilution et de la consommation par l’héparine. Le nadir de la concentration en AT III est atteint au 3ème jour postopératoire [10]. Administration sous forme de concentré d’AT III (500-1’000 UI pour un adulte) ou de plasma frais décongelé (voir ci-après) [47].

Chez les patients sous anticoagulants ou sous antiplaquettaires, la dose d’héparine utilisée lors de la CEC ou lors d’OPCAB reste la même que la routine habituelle (ACT recherché : > 450 sec et > 250 sec respectivement), car une inhibition incomplète de la thrombine peut conduire à une activation plaquettaire secondaire [3].

Antifibrinolytiques ; l’acide tranexamique et l’acide amino-caproïque se fixent sur la lysine du plasminogène et bloquent l'activation de la plasmine, donc la fibrinolyse. L’aprotinine est un inhibiteur non spécifique des protéases, qui bloque directement la plasmine (voir Anti-fibrinolytiques).

Thromboplégie ; la CEC et l’héparine activent les plaquettes, qui relâchent leurs granules (ADP, thrombexane), forment des agrégats et adhèrent aux surfaces ; 30-50% d’entre elles ne sont plus fonctionnelles en postopératoire et ne réagissent plus à l’ADP ni au collagène [38]. Leur blocage momentané par un agent antagoniste du récepteur P2Y12 (récepteur ADP) comme le cangrelor en perfusion (demi-vie : 9 minutes) les protège de la stimulation et préserve leur fonctionnalité pour le postopératoire [26]. Cette thérapeutique prometteuse est encore en phase d’essai.

Modifications liées à la technologie de la CEC [18]. o Restriction des aspirations ; le sang récupéré est en contact avec l’air et contient des

activateurs de la coagulation (TF, thrombine), de la fibrinolyse (plasmine) et de l’inflammation (interleukines, TNF, C3a, C5a). Les aspirations sont la source principale d'hémolyse, de thrombopénie, de coagulopathie et de stimulation du syndrome inflammatoire [40]. Les perturbations du système coagulatoire sont nettement diminuées lorsqu’on ne recycle pas le sang aspiré ou lorsqu’on le filtre dans un système CellSaver™, mais cette manoeuvre élimine malheureusement les plaquettes, les protéines et les facteurs de coagulation [45].

o Restriction de la taille des circuits ; la miniaturisation des circuits et la suppression du réservoir de cardiotomie minimisent le contact du sang avec des surfaces étrangères et suppriment le contact avec l’air, ce qui freine la libération des activateurs de la coagulation et des déclencheurs inflammatoires.

o Biocompatibilité des circuits ; les circuits préhéparinés et les circuits imprégnés de polymères particuliers freinent la cascade du complément, l’agrégabilité plaquettaire et l'activation leucocytaire. L’effet clinique est toutefois peu important et se limite à une diminution du taux de FA postopératoire et du temps de séjour aux soins intensifs [30]. La réduction des transfusions n’est pas constante [36].

o Ultrafiltration ; la filtration continue en fin de CEC, après la mise en charge (MUF, modified ultrafiltration), permet de réduire l’hémodilution et de soustraire un grand nombre de cytokines et de déclencheurs de la réaction inflammatoire.

Opération à cœur battant sans CEC ; l’absence de CEC n’élimine pas l’activation coagulo-inflammatoire, mais la réduit ; la dysfonction plaquettaire est moindre [43].

L’anticoagulation et la coagulopathie liées à la CEC doivent être respectivement antagonisée et traitée pour limiter les risques hémorragiques. L’antagoniste de l’héparine est la protamine, administrée à raison de 1 mg de protamine pour 1 mg d’héparine (voir Protamine). Un excès de protamine peut inhiber la cascade coagulatoire et l’activité plaquettaire. La protamine est injectée dès la décanulation de CEC. Elle présente plusieurs effets secondaires:

Vasodilatation systémique et hypotension artérielle ; Vasoconstriction pulmonaire ; Réaction antigène-anticorps ;

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 89

Réaction anaphylactoïde foudroyante (choc anaphylactique).

Coagulopathie de la CEC La coagulopathie de la CEC est liée à 3 phénomènes : l’hémodilution, l’activation et la consommation. La CEC déclenche rapidement la formation de thrombine et de fibrine, indépendamment de toute plaie tissulaire. Cinq systèmes sont activés par le contact avec des surfaces étrangères: - Le F XII activé déclenche la voie intrinsèque - Le facteur tissulaire et le facteur VIIa sont augmentés - Les plaquettes sont stimulées - L’activation de la fibrinolyse détruit la fibrine formée mais consomme du fibrinogène - L’activation des leucocytes et du complément déclenche une réponse inflammatoire systémique massive Plusieurs moyens sont mis en œuvre pour pallier cette stimulation : - Anticoagulation complète (héparine 300-400 UI/kg) - Antifibrinolytique - Restriction des aspirations, CellSaver™ - Restriction des circuits, circuits biocompatibles - Ultrafiltration - Opération à cœur battant

Anticoagulation en CEC L’héparine est indispensable au bon déroulement d’une CEC. C’est la raison pour laquelle elle est injectée par voie veineuse centrale après avoir contrôlé le reflux sanguin, ou adminsistrée directement dans l’OD par le chirurgien ; l’injection est suivie d'un rinçage pour être sûr que la totalité de la dose soit injectée. Qu’elle soit administrée par le chirurgien ou par l’anesthésiste, son injection est clairement annoncée de manière à ce que le/la perfusionniste puisse procéder à un ACT de contrôle 3-5 minutes plus tard. La dose de charge d’héparine pour obtenir une anticoagulation adéquate pour une CEC est de 300-400 U/kg [11]. Ensuite, les doses supplémentaires doivent être titrées selon la réponse individuelle du patient. L’ACT minimal nécessaire pour éviter des problèmes thrombotique ou hémorragique pendant une CEC est toujours discutée, mais une valeur ≥ 450 secondes est généralement acceptée comme référence pour les circuits standards, et une valeur de ≥ 250 secondes pour les assistances avec circuits pré-héparinés. Si l'ACT est < 400 secondes, on ne commence pas la CEC sans ajouter une dose supplémentaire d'héparine (5'000 – 10'000 UI) ; on procède à un nouveau contrôle après 3 minutes. Résistance à l’héparine Il arrive que l’ACT n’atteigne pas les valeurs recherchées malgré une dose élevée d’héparine. Cette résistance à l’héparine est due en général à un déficit en antithrombine (AT III) lié à plusieurs causes [12].

Déficience congénitale en AT III (incidence 1:3'000) ; le taux d’AT III est abaissé de 40-60%. Consommation de l’AT III par une héparinothérapie en cours ; la chute de l’antithrombine est

de 5-10% par jour. Un traitement préopératoire avec de l’héparine pendant plusieurs jours en est la cause la plus fréquente.

Hémodilution ; le taux d’AT plasmatique peut diminuer de 30%.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 90

Baisse de production d’AT III en cas d’insuffisance hépatique, de malnutrition ou de syndrome néphrotique.

Consommation accrue d’AT III en cas de sepsis, de CIVD, d’embolie pulmonaire ou d’assistance circulatoire mécanique.

La prise en charge est basée sur trois éléments.

Augmentation des doses d’héparine. Toutefois, il existe un effet-plafond : l’anticoagulation ne s’approfondit plus lorsque l’héparinémie est > 4 U/mL [28].

Plasma frais décongelé. Le PFC contient environ 1 U d’AT III par mL. Deux poches de PFC suffisent rarement à compenser le manque en AT III [10]. L’administration d’une quantité suffisante pour normaliser l’AT III (1-2 L) fait courir le danger d’une hypervolémie. D’autre part, le PFC présente tous les risques infectieux et allergiques liés aux transfusions d’éléments sanguins.

Concentré d’antithrombine, sous forme humaine purifiée ou recombinante (synthétisée dans du lait de chèvre génétiquement modifiée). La demi-vie du produit est respectivement de 12 heures et de 3.8 jours. La dose recommandée est 500-1'000 UI pour un adulte [47], ce qui est relativement modeste, car il faut jusqu’à 45 U/kg pour maintenir un taux d’ATIII normal [10]. Le coût de ce traitement est de CHF 1’200-2’500.-, mais il est plus efficace que le PFC.

L’attitude la plus logique est de doser l’ATIII et de ne donner du concentré d’antithrombine que lorsque le taux est bas ; s’il est normal, une augmentation du dosage d’héparine suffit en général [12]. Héparine et protamine La protamine antagonise l’héparine dans un rapport 1:1 (mg). Le dosage de la protamine est surévalué si le calcul est effectué sur la base de la quantité totale d’héparine administrée, car il ne tient pas compte de l’élimination progressive. Il est donc recommandé de ne donner que le 80% de la dose ou de titrer l’héparine résiduelle. Un excès de protamine peut en effet augmenter l’hémorragie, car la substance active la sécrétion endothéliale de plasminogène et se lie à la thrombine, bloquant ainsi la transformation du fibrinogène en fibrine. Un dosage adéquat est d’autant plus important que la protamine a des effets secondaires importants : libération d’histamine (hypotension artérielle systémique), réaction anaphylactique, choc vasoplégique, hypertension artérielle pulmonaire.

Anticoagulation en CEC

Le contact du sang avec des surfaces étrangères et avec l’air oblige à une anticoagulation complète au moyen d’héparine non-fractionnée (HNF). L’héparine est administrée avant la CEC par voie centrale à raison de 300-400 UI/kg pour obtenir un ACT > 450 secondes. Si l'ACT est < 400 secondes, on ajoute une dose supplémentaire de 10'000 U et on procède à un nouveau contrôle. Une impossibilité d’allonger l’ACT malgré une dose adéquate d’HNF (résistance à l’héparine) doit faire suspecter une insuffisance en antithrombine III, qu’il faut remplacer sous forme de concentré (500 – 1'000 U/kg), éventuellement de plasma frais décongelé. Les malades qui présentent une thombocytopénie induite par l’héparine peuvent être anticoagulés par d’autres substances, malheureusement sans antagoniste et non réversibles par la protamine: - Bivalirudine (Angiox®) - Argatroban (Argatroban Injection®) La protamine antagonise l’héparine non-fractionnée à raison de 1 mg pour 1 mg d'héparine (100 UI).

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 91

Hémodilution Le mélange du sang avec le liquide d'amorçage (800-1’500 mL de solution hydro-électrolytique) est responsable d'une hémodilution majeure qui abaisse soudainement l'hématocrite aux environs de 25% et qui diminue la pression colloïdo-osmotique de 40% [21]. C'est la cause principale de la chute de pression enregistrée au début de la CEC. La pression remonte ensuite parce que l'hypothermie provoque une stimulation des résistances artérielles périphériques (RAS) et parce que la viscosité augmente à mesure que la température du sang baisse. La chute de la pression osmotique aggrave la fuite liquidienne extracellulaire dans l'espace interstitiel des poumons, du coeur, du foie, des reins, des viscères abdominaux et des muscles. L'hémodilution est avantageuse sur plusieurs plans (voir Chapitre 7, Liquide d’amorçage).

Elle améliore la microcirculation en baissant la viscosité sanguine, ce qui est capital en hypothermie ; la viscosité reste stable lorsque l'Ht en pourcent a la même valeur que la température en degrés C° ;

Elle diminue le besoin en sang allologue et les complications associées à la transfusion ; Elle est bien tolérée puisque la consommation d'O2 tissulaire est diminuée à froid.

En CEC normothermique, un Ht de 18% suffit juste à remplir les besoins en oxygène d'un malade endormi et curarisé [29]. Lorsque l’Hb est < 70 g/L, le flux sanguin cérébral augmente de 45% et le flux plasmatique rénal s’élève dans la zone corticale, mais la réserve coronarienne diminue de 50% et la perfusion splanchnique est à la limite de l'ischémie [34,41]. L’hémodilution n’est bénéfique que dans certaines limites. Un Ht inférieur à 22%, par exemple, est un facteur prédictif indépendant de morbi-mortalité postopératoire [20]. L'Ht a un impact particulier sur la fonction cérébrale et sur la fonction rénale. Les troubles neurocognitifs deviennent plus importants lorsque l’Ht minimal est de 15-17% [8] ; seul un Ht > 28% assure un status neurologique postopératoire normal [44]. Chez les enfants, le score neurologique et le développement psychomoteur sont meilleurs lorsque l’Ht en CEC est élevé (28%) que lorsqu’il est bas (21%) [23]. D’autre part, la fonction rénale s’aggrave linéairement avec la baisse de l’hémoglobine lorsque l’hématocrite est < 30% [42]. Un Ht de 25-28% en cours de CEC est donc la limite inférieure de sécurité pour garantir la reprise fonctionnelle des organes. Hémolyse Le contact avec des surfaces étrangères de différentes natures provoque une série de traumatismes hématologiques plus ou moins sévères, et en général directement proportionnels à la durée de la CEC. De plus, les pompes provoquent des lésions mécaniques des éléments figurés, qui sont fonction de leur degré d'occlusivité et de leur vitesse de rotation. Enfin, les aspirations dans le champ opératoire sont responsables d’une partie des dégâts inflammatoires et érythrocytaires, qui sont d'autant plus graves que les aspirations sont puissantes et prolongées et que l'hémorragie est importante. L'hémolyse qui en résulte est bien visible dans les urines qui deviennent rouge-bordeau. Dans ce cas, il est nécessaire de maintenir un débit urinaire satisfaisant et d'alcaliniser les urines avec du bicarbonate de Na+ (50-100 mmoles i.v.) pour freiner la cristallisation de l'Hb libre dans les tubules [19]. Une autre cause d'hémolyse est la présence d'agglutinines froides. C'est une maladie autoimmune caractérisée par la présence d'anticorps causant l'agglutination des érythrocytes en dessous d'un certain seuil de température. Les agglutinines froides sont des anticorps IgM dirigés contre des antigènes Anti-Ig présents sur la membranne des globules rouges. Elles causent une agglutination de ces derniers à basse température. Au réchaufffement, ces aggrégats provoquent des thrombi microvasculaires et sont hémolysés, ce qui dégage une grande quantité d'hémoglobine libre. Cette affection est une maladie idiopathique, ou la séquelle d'un processus infectieux ou lymphoprolifératif. Son incidence est

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inférieure à 1% des patients de chirurgie cardiaque. L'affection se manifeste par des thromboses périphériques et une hémolyse (voir Chapitre 21 Coagulopathies). Les agglutinines froides sont détectées au test de Coombs direct (présence de complément sur les GR du patient) et indirect (présence d’anticorps sériques). Elles existent chez tous les individus, mais ne réagissent normalement qu’à 0-4°C. Leur signification clinique tient à leur taux sérique et à la valeur de la température à laquelle elles sont activées. Les valeurs considérées comme sûres pour la CEC sont un titre inférieur à 1:32 à une température de 4°C, sans agglutination détectable à 28°C ou au-dessus. Les probabilités de complications peropératoires deviennent significatives pour des taux supérieurs à 1:512 à 4°C, ou inférieurs à cette valeur si la température d'activation est supérieure à 25°C [32]. En salle d'opération, on prend une série de précautions.

Chirurgie en normothermie (CEC > 34°C) ou à cœur battant ; Réchauffement de la salle d’opération et des perfusions ; Cardioplégie chaude (> 34°C) cristalloïde ou au sang ; Réchauffement des poches de sang en cas de transfusion ; En cas de crise avec hémolyse :

o Réchauffer à 37°C ; o Améliorer la perfusion périphérique avec un vasodilatateur (nitroprussiate) ; o Alcaliniser les urines (50-100 mmoles bicarbonate de Na+) ; o Méthylprednisolone (500 mg) : efficacité discutée ;

Réduction des taux circulants par plasmaphérèse préopératoire si nécessaire. Les crises se manifestent par une hémolyse et des occlusions vasculaires périphériques myocardiques, hépatiques et rénales.

Hémodilution et hémolyse en CEC Le volume d’amorçage de la CEC provoque une hémodilution (Ht 25-28%), nécessaire pour freiner l’augmentation de la viscosité du sang à basse température. En hypothermie, la viscosité reste stable lorsque la valeur de l'Ht en % est la même que celle de la température en degrés C°. Lorsque l’Ht est < 25%, le status neurologique et la fonction rénale postopératoires sont péjorés. Un Ht de 25-28% est la limite inférieure de sécurité pour garantir la reprise fonctionnelle normale des organes. La CEC provoque une hémolyse, en général infra-clinique. En hypothermie, celle-ci peut devenir massive en présence d’hémagglutinines froides (mises en évidence par un test de Coombs). Chirurgie cardiaque en cas de HIT Lorsqu’un patient souffre de thrombocytopénie induite par l’héparine (voir HIT), d’autres anticoagulants sont à disposition, mais ces substances n’ont pas d’antagoniste et ne sont pas renversées par la protamine. Leur élimnination dépend de leur demi-vie sérique (voir Inhibiteurs directs de la thrombine, Tableau 8.1 page 26 et Tableau 8.2 page 27) et de l’utilisation d’un circuit d’hémofiltration en fin de CEC [1,6,15,24].

Bivalirudine (Angiox®) : inhibiteur réversible direct de la thrombine. Demi-vie : 25 min ; élimination rénale. Le plus facile à manipuler pour la CEC, mais avec un risque de thrombose dans le réservoir ou dans l’oxygénateur si le débit de la machine est interrompu, car l’élimination de la bivalirudine par protéolyse plasmatique continue dans le sang immobilisé.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 93

Il faut donc prévoir des shunts artério-veineux, un CellSaver™ sur la récupération du sang, un rinçage intermittent du réservoir veineux et un stockage du sang dans des poches citratées. Dosage : bolus 1 mg/kg + 50 mg dans le liquide d’amorçage de la CEC + perfusion 2.5 mg/kg/h. On vise un ACT ≥ 2.5 fois la valeur de base au moyen de bolus additionnels de 0.1-0.5 mg/kg [25]. Le temps d'écarine (ECT, ecarin coagulation time) est un test spécifique. La perfusion est arrêtée 10-15 minutes avant la fin de la CEC. L’ultrafiltration n’est utilisée qu’après la CEC pour acccélérer l’élimination de la bivalirudine. Un retour en pompe est impossible après sevrage.

Argatroban (Argatroban Injection®) : molécule synthétique qui se lie sélectivement et réversiblement à la thrombine. Demi-vie : 1 heure ; élimination hépatique. Dosage : bolus 0.1-0.2 mg/kg iv + 0.05 mg/kg dans le liquide d’amorçage de la CEC + perfusion 5-10 mcg/kg/min (immédiate et continue) pour ACT 350-400 sec ; bolus supplémentaires si nécessaire : 2 mg. Retour à une coagulation normale 2-4 heures après l’arrêt de la perfusion. L’argatroban est le médicament de choix en cas de dysfonction rénale.

Danaparoïde sodique (Orgaran®) : inhibition prédominante du facteur Xa. Demi-vie de 7 heures pour l’activité anti-IIa et de 25 heures pour l’activité anti-Xa ; élimination rénale. Dosage : bolus iv 1’500-2'000 U + 5’000-10'000 U dans le liquide d’amorçage de la CEC ; ajout de 1'500 U après 2 heures. Très difficile à gérer en CEC et très hémorragipare dans le postopératoire.

Lépirudine (Refludan®) : forme recombinante de l’hirudine, inhibiteur irréversible de la thrombine. Demi-vie sérique de 10 min, demi-vie d’élimination 1-1.5 heure, mais inhibition irréversible de la thrombine ; élimination rénale. La meilleure surveillance est l’ECT (temps de coagulation par l’écarine du sang total citraté). Dosage : bolus 0.25 mg/kg + 0.2 mg/kg dans le liquide d’amorçage de la CEC + bolus 5 mg pour ACT > 350 sec (imprécis) ; perfusion 0.15 mg/kg/h. La production de lépirudine a cessé en 2012 pour des motifs commerciaux.

CEC lors de thrombocytopénie induite par l’héparine (HIT)

Le HIT (heparin-induced thrombocytopenia) est déclenché par des anticorps dirigés contre le complexe formé par l’héparine et le facteur-4 des plaquettes (PF4), dont la conséquence est une activation de la chaîne de la coagulation. Caractéristiques : - Traitement d’héparine pendant 5-10 jours - Thrombocytopénie (chute > 50%) - Thromboses veineuses et artérielles - Taux élevé d’anticorps anti-héparine (atténué au-delà de 3 mois) - Incidence : 1-5% avec HNF, 0. 1-1% avec HBPM, plus fréquent après chirurgie - Mortalité : 5-10% Traitement : arrêt de l’héparine et remplacement pas une alternative. Substances utilisables pour l’anticoagulation de la CEC : - Bivalirudine (Angiox®), facile à manipuler - Argatroban (Argatroban Injection®), préférable en cas d’insuffisance rénale - Danaparoïde sodique (Orgaran®), très lent, fort risque hémorragique - Lépirudine (Refludan®), retirée du marché Syndrome inflammatoire systémique (SIRS) lié à la CEC La CEC est le cas le plus emblématique de la stimulation par la voie de contact du complément (Figure 8.20) (voir Chapitre 07, Syndrome inflammatoire systémique).

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Figure 8.20 : Activation par la voie de contact. Dans un vaisseau bordé d’endothélium intact, les différents facteurs circulent sous forme inactive. Mais en présence de surfaces chargées négativement comme le verre, les métaux ou les plastiques (CEC), le Facteur XII se clive en F XIIa (activé). Celui-ci transforme la prékallikréine en kallikréine, les kininogènes en bradykinine et le facteur XI en F XIa ; ce dernier processus aboutit à la formation de thrombine par la voie intrinsèque de la coagulation. Le F XIIa favorise aussi la transformation de plasminogène en plasmine, provoquant la fibrinolyse. Le contact active directement le complément par la voie alternative, et indirectement par le F XIIa (voie classique). MAC (membrane attack complex) : complexe protéique qui attaque les membranes cellulaires, résultat ultime des voies du complément. En présence de surfaces chargées négativement comme le verre, les métaux ou les plastiques, le Facteur XII se clive en F XIIa (activé). Celui-ci transforme la prékallikréine en kallikréine, les kininogènes en bradykinine et le facteur XI en F XIa ; ce dernier processus aboutit à la formation de thrombine par la voie intrinsèque de la coagulation. Le F XIIa favorise aussi la transformation de plasminogène en plasmine, provoquant la fibrinolyse. Le contact active directement le complément par la voie alternative, et indirectement par le facteur XIIa (voie classique). D’autres phénomènes de la CEC concourent au déclenchement du complément, comme le relargage d’endotoxines par le tube digestif et la formation de complexes héparine-protamine. La voie cellulaire est également stimulée par le contact, soit par l’intermédiaire du facteur XIIa et de la kallikréine, soit directement par l’activation des neutrophiles. Mais le circuit extracoroprel ne possède pas d’endothélium pour limiter ces différentes réactions, qui peuvent donc prendre une ampleur excessive et se distribuer dans tout l’organisme.

Complément Voie alternative Voie intrinsèque

de la coagulation

Complément Voie classique

Eléments inactivés CEC

XII

MAC

Thrombine

XIIa

Kallikréine

Activation neutrophiles

Fibrinolyse

Bradykinine Plasmine

Stimulation par la voie de contact

Prékallikréine

© Chassot 2015

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La durée de CEC, la profondeur de l'hypothermie et le degré d'hémodilution ont tous été évoqués comme facteurs aggravants, mais ils ne paraissent avoir qu'un rôle secondaire dans la genèse du SIRS [22]. Les lésions mécaniques de la pompe, de l'oxygénateur et des filtres, le contact du sang avec les surfaces étrangères (circuits) et avec l'air (aspirations, réservoir veineux), sont les éléments déclencheurs principaux. Plus de 50% des neutrophiles sont séquestrés dans les poumons durant le réchauffement; leur dégranulation contribue aux dommages cellulaires pulmonaires. Le SIRS se déclenche dans les premières minutes de la CEC et s’éteint vers le 4ème – 5ème jour postopératoire ; il est suivi d’une période de relative immunodépression [37]. Le pic des marqueurs inflammatoires survient vers la 5ème heure après la CEC. Au cours d’une CEC, la stimulation inflammatoire conduit donc à un état instable caractérisé par une série de phénomènes (Figure 8.21).

Elévation de tous les marqueurs inflammatoires (TNF-alpha, interleukines, cytokines, CRP) ; Activation du complément et des leucocytes ; Production de thrombine et stimulation de la cascade de la coagulation ; Production de plasmine et stimulation de la fibrinolyse (élévation des D-dimères) ; Activation et consommation des plaquettes ; Relargage d’endotoxines et de TNF-alpha ; Relargage de radicaux libres et d’oxydants ; Libération de bradykinine, d’histamine et d’anaphylatoxines : augmentation de la perméabilité

capillaire, vasodilatation systémique, vasoconstriction pulmonaire ; Altérations de la fonction cardiaque, pulmonaire, rénale et cérébrale ; l’incidence de

fibrillation auriculaire est proportionnelle à l’élévation des marqueurs inflammatoires [13]. La question de déterminer la part de la CEC par rapport à celle de la chirurgie cardiaque elle-même dans la genèse du SIRS peut être approchée par l'observation de la chirurgie à coeur battant. Cette dernière est associée à une réduction, mais pas à une disparition, des taux postopératoires de marqueurs de la réaction inflammatoire comme le C3a, le C5a, le TNF-alpha ou l'interleukine-6 et l’IL-8 [7,9,17]. Toutefois, la signification de ces variations est incertaine, puisque l'IL-8 et le C3a sont liés au traumatisme tissulaire direct et que l'IL-10 a des propriétés anti-inflammatoires [31]. Les effets de la CEC dépendent largement de l'équilibre entre la libération des médiateurs pro-inflammatoires et celle des médiateurs anti-inflammatoires [27]. Certaines populations affichent une réaction pro-inflammatoire dominante, telles les personnes âgées ou celles qui souffrent de dysfonction ventriculaire gauche [39]. Elles pourraient bénéficier particulièrement de la chirurgie à coeur battant. Dans les groupes à risque faible, les taux de complications liés au SIRS sont identiques entre les opérations avec ou sans CEC [33,35]. Le circuit de CEC est donc un facteur déclenchant majeur, mais il n'est pas le seul responsable de la réaction inflammatoire (voir Thérapie anti-inflammatoire) [43].

Syndrome inflammatoire et CEC

Le contact direct du sang avec le circuit de CEC et avec l’air induit une réaction inflammatoire systémique (SIRS) massive déclenchée par l’activation du Facteur XII (FXa), du complément et des leucocytes. Elle est caractérisée par : - Elévation de tous les marqueurs inflammatoires - Activation du complément et des leucocytes - Production de thrombine et stimulation de la cascade de la coagulation - Production de plasmine et stimulation de la fibrinolyse - Activation et consommation des plaquettes - Relargage d’endotoxines, de TNF-alpha et d’interleukines - Relargage de radicaux libres et d’oxydants - Libération de bradykinine, d’histamine et d’anaphylatoxines - Augmentation de perméabilité capillaire, baisse des RAS, augmentation des RAP - Altérations de la fonction cardiaque, pulmonaire, rénale et cérébrale

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 96

Figure 8.21 : Représentation schématique des mécanismes mis en jeu dans la genèse du syndrome inflammatoire systémique [d'après références 22,40]. Références 1 ADAMS RLC, BIRD RJ. Review article: Coagulation cascade and therapeutic update: Relevance to nephrology. Part I: Overview

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Lésions polyorganiques

Consommation Hypocoagulation

Thrombose Ischémie

Hyper-fibrinolyse

Activation plaquettes

Endotoxines Complément

Cytokines Kallikréine

Facteur XIIa

Bas débit Dépulsation

Ischémie Reperfusion

Contact avec des surfaces étrangères

Activation et adhésion leucocytes-endothélium

Migration leucocytes Libération protéases + radicaux libres (ROS)

© Chassot 2013

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 97

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 98

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 99

Hémothérapie peropératoire La transfusion et l’hémostase ont été longtemps assurées de manière empirique, car on ne disposait pas de critères objectifs sur lesquels fonder une stratégie rationnelle pour l’administration du sang et de ses dérivés. La situation s’est modifiée ces dix dernières années avec la découverte d’une hausse de mortalité postopératoire liée aux transfusions et avec la mise au point de tests de coagulation faciles à réaliser en salle d’opération. Ceci a permis de définir des stratégies logiques basées sur les données de l’expérience clinique. Comme pour la prise en charge en sortant de CEC ou pour l’utilisation des catécholamines, un algorithme d’hémothérapie, établi à l’avance et épaulé par des examens de laboratoire, donne des résultats supérieurs à ceux d’une improvisation répétée de cas en cas. Cet algorithme est constitué de plusieurs étapes [1,3,4,5].

Evaluation préopératoire du risque hémorragique: anamnèse de saignements, coagulopathie congénitale ou acquise, prise d'anticoagulants ou d'antiplaquettaires, insuffisance hépatique ou rénale, etc (voir ci-dessus Anticoagulation préopératoire). Recherche et traitement de l’anémie 3-4 semaines avant l’opération.

Chez les patients sous antiplaquettaires, envisager une intervention sans CEC (pontages à cœur battant, par exemple) pour réduire la dose d’héparine administrée et diminuer les risques hémorragiques.

Correction des altérations physiologiques: maintien du pH > 7.3, de la température > 36°C, du [Ca2+]i > 1 mmol/L, et de l'Ht > 25%.

Seuils de transfusion restrictifs : Hb 70-90 gm/L ; utilisation de poches de sang déleucocyté et âgé si possible de < 14 jours. Utilisation de Cell-Saver™.

Administration prophylactique d'un antifibrinolytique: acide tranexamique ou acide e-amino-caproïque, (aprotinine) (voir Antifibrinolytiques).

Renversement de l'héparine (pour ACT < 130 sec): protamine selon l’héparinémie résiduelle ou à raison de 0.8 mg pour 1 mg.

Maintien des facteurs de coagulation (selon thromboélastogramme): fibrinogène > 2.0 g/L (concentré de fibrinogène), facteurs II, VII, IX et X (concentré de complexe prothrombinique avec 3 ou 4 facteurs), facteur XIII (voir Facteurs de coagulation).

Maintien des plaquettes (selon tests d’agrégométrie): concentrés plaquettaires pour taux > 70'000/mcL, éventuellement desmopressine (DDAVP) (voir Normalisation des plaquettes).

Mesure de sauvetage: PCC avec 4 facteurs partiellement activés (FEIBA™) et facteur rVIIa (NovoSeven™), pour autant que soient normalisés l'Ht (> 25%), le fibrinogène (> 2.0 g/L), la calcémie (> 1 mmol/L) et les plaquettes (> 70'000/mcL). Justifié seulement en cas d’hémorragie persistante malgré l’utilisation de tous les moyens hémostatiques, inclus la chirurgie, l'endoscopie et la radiologie interventionnelle.

Cette manière de procéder réduit clairement le nombre de poches de sang et d’unités de PFC administrées ; elle diminue aussi la morbidité (reprise chirurgicale pour hémostase, événement thrombo-embolique, insuffisance rénale). Par contre, elle double l’utilisation de fibrinogène et de PCC (concentré de complexe prothrombinique) [2,4]. Références 1 BROWN C, JOSHI B, FARADAY N, et al. Emergency cardiac surgery in patients with acute coronary syndromes : a review of the

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5 WEBER CF, KLAGES M, ZACHAROWSKI K. Perioperative coagulation management during cardiac surgery. Curr Opin Anaesthesiol 2013 ; 26 : 60-84

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 100

Epargne sanguine et transfusion La transfusion sanguine fait l’objet d’un chapitre particulier (voir Chapitre 28) et ne sera abordée ici que sous trois aspects succincts : la gestion globale de l’épargne sanguine du patient (Patient blood management), les risques de la transfusion et les recommendations en chirurgie cardiaque. Gestion globale de l’épargne sanguine La transfusion sanguine n’est qu’une composante au sein d’une stratégie intégrée d’épargne sanguine qui considère le sang du malade comme un bien irremplaçable méritant une protection maximale. Elle repose sur cinq principes [3,17].

Correction de l’anémie et/ou de la coagulopathie préopératoire ; Economie des globules et facteurs de coagulation du patient, limitation des pertes sanguines ; Administration rationnelle des produits sanguins, seuils de transfusion restrictifs ; Utilisation d’algorithmes basés sur des examens de laboratoire réalisés en salle d’opération ; Amélioration du DO2 tissulaire par optimisation hémodynamique et ventilatoire.

Cette stratégie comprend de nombreuses mesures qui sont énumérées dans le Tableau 8.9 et détaillées dans le chapitre 28 (Stratégie globale de la gestion du sang) [2]. L'anémie préopératoire mérite une mention spéciale parce qu'elle est aussi facile à corriger qu'elle est dangereuse pour la survie. Une anémie modérée (100-120 g/L) est grevée d'une morbidité augmentée de 40% [17] et d'une mortalité augmentée de 16% [6]. Or elle est présente dans environ 30% des cas [6]. Le traitement préopératoire est simple, puisque la majeure partie des cas est due à une anémie ferriprive: fer, acide folique, vitamine B12, éventuellement EPO; la transfusion n'est pas une option cohérente, car un seul flacon augmente le risque périopératoire de 2-3 fois [16]. A cette anémie de départ, s'ajoute les pertes sanguines peropératoires et celles liées aux prélèvements pour les examens de laboratoire; ces derniers représentent en moyenne 450 mL en chirurgie cardiaque et 1'000 mL pour 2 semaines de soins intensifs [8]. Le but de la transfusion est d’améliorer le transport d’O2 vers les tissus (DO2), non de corriger le taux d’hémoglobine (Hb). Il se base sur le déséquilibre hémodynamique, sur le dysfonctionnement ischémique des organes et sur la réserve cardiopulmonaire du patient. Toutefois, l’Hb est un repère pratique qui reste très utilisé et qui permet de définir des critères simples. Pour autant que le malade soit normovolémique et la source d’hémorragie contrôlée, la transfusion est indiquée pour les valeurs d’Hb suivantes [11].

Chez un individu sain dont l’hémodynamique est normale, la transfusion est indiquée si l’Hb est < 60 g/L.

En périopératoire, la transfusion est raisonnable si l’Hb est < 70 g/L. Dans les populations à risque (ischémie coronarienne, insuffisance ventriculaire, AVC,

néphropathie, âge avancé), le seuil de transfusion peut être relevé à 80-90 g/L ; il en est de même chez les patients fébriles, septiques ou souffrant de SDRA.

Il est improbable que la transfusion améliore le DO2 lorsque l’Hb est ≥ 100 g/L, sauf en cas de cardiopathie cyanogène (shunt D-G, hypertension pulmonaire) ou de SDRA.

Une poche de sang augmente le taux d’Hb d’environ 1 g/L et l’Ht de 3% chez un adulte. La transfusion érythrocytaire a une incidence sur la coagulation. En effet, elle améliore la fonction plaquettaire en augmentant la production de thromboxane et la libération d’ADP ; elle augmente aussi la production de thrombine [12]. De plus, la marginalisation des plaquettes dans le flux sanguin par la masse des érythrocytes qui reste au milieu du courant augmente les chances de fixation des thrombocytes à la paroi vasculaire [14].

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 101

Tableau 8.9

Stratégie intégrée: mesures multimodales d’épargne sanguine (Patient blood management)

Préopératoire :

o Correction des coagulopathies, gestion optimale des anticoagulants/antiplaquettaires o Correction de l’anémie : préparation par fer, acide folique, vitamine B12, érythropoïétine

(EPO) o Prédonation de sang autologue

Peropératoire : o Seuils de transfusion bas: 70-80 g/L Hb selon pathologies (60 g/L en CEC < 35°C) o Evaluation du transport d’O2 (SaO2, SvO2) et de l’oxygénation tissulaire (ScO2) o Utilisation de sang déleucocyté o Hémodilution aiguë isovolémique (Ht 28-30%) o Récupération de sang (Cell-Saver™) o Hémodilution limitée en CEC (mini-circuits, microplégie) o Circuits pré-héparinés (Heparin-coated) et biocompatibles o Ultrafiltration continue et ultrafiltration modifiée o Normothermie peropératoire o Augmentation du DO2: ventilation à FiO2 0.8-1.0 o Baisse de la VO2: anesthésie et curarisation profondes o Augmentation du débit cardiaque: catécholamines o Pression artérielle contrôlée, pression veineuse basse o Chirurgie: hémostase compulsive, colles tissulaires, agents hémostatiques o Opération sans CEC : pontages à cœur battant (OPCAB), endoprothèse, endovalve o Détermination des besoins par thromboélastographie (ROTEM™) et test d’agrégabilité

plaquettaire o Substances antifibrinolytiques (acide tranexamique, acide ε-amino-caproïque), desmopressine o Facteurs de coagulation isolés (VIII, IX, XIII, antithrombine III), fibrinogène, complexe de

prothrombine) o Maintien de l’équilibre acido-basique et de la calcémie o Transfusion/plasmaphérèse plaquettaire o Sauvetage: facteur VIIa

Postopératoire : o Baisse de la stimulation sympathique o Normothermie o Baisse de la VO2 (lutte contre frissons, fièvre, douleur) o Limitation et micro-échantillonnage des prises de sang o Substances antifibrinolytiques (acide tranexamique, acide ε-amino-caproïque) o Facteurs de coagulation (thromboélastogramme), fibrinogène o Erythropoïétine (EPO), fer, acide folique, vitamine B12

Adapté de : Ferraris VA, Brown JR, Despotis GJ, et al. 2011 update to the Society of Thoracic Surgeons and the Society of Cardiovascular Anesthesiologists blood conservation clinical practice guidelines. Ann Thorac Surg 2011; 91:944-82 Zacharowski K, Spahn DR. Patient blood management equals patient safety. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2016; 30:159-69

Risques liés à la transfusion Environ 4% des patients transfusés développent des complications. Les risques de la transfusion de produits sanguins peuvent se grouper en plusieurs rubriques (voir Chapitre 28 Risques).

Transmission de maladies bactériennes, virales ou liées au prion ; Réaction transfusionnelle ABO ; Réaction liée aux consitutants des poches de sang (hyperkaliémie, hypocalcémie, etc) ;

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 102

Immunomodulation (réactions liées aux leucocytes) : pneumopathie aiguë (TRALI, Transfusion-Related Acute Lung Injury), récidive cancéreuse, flambée inflammatoire.

Risque économique (coût, difficultés d’approvisionnement). La transfusion est directement impliquée dans la morbi-mortalité postopératoire après chirurgie cardiaque. Une analyse comparative de la survie des patients qui reçoivent 1-2 poches de sang par rapport à ceux qui ne sont pas transfusés dans un collectif de 3'254 cas démontre une augmentation globale de la mortalité de 16% chez les transfusés ; le risque de décès est multiplié 1.7 fois (HR 1.67) à 6 mois, mais la différence n’est plus significative à 5 ans (HR 1.06) [13]. Les "dommages collatéraux" de la transfusion semblent pourtant se retrouver sur le long terme. Dans une série de 1'915 patients de chirurgie cardiaque suivis à 5 ans, la transfusion (34% du collectif) a entraîné une augmentation de mortalité de 70% (HR 1.7) sur le long terme, même après correction pour les comorbidités et les facteurs associés; en analyse multivariée, la transfusion reste un déterminant indépendant de la mortalité [1]. Une étude de suivi à 10 ans de 10'289 patients opérés de pontages aorto-coronariens a montré une réduction significative de la survie des malades transfusés qui est proportionnelle au nombre de poches de sang reçues (Figure 8.22A) [7]. Dans cette étude, le risque à long terme de 3 poches de sang est équivalent à celui d'une réopération, d'une maladie du tronc commun ou d'une fraction d'éjection basse; le risque de 6 unités de sang est le même que celui d'une insuffisance rénale ou d'une insuffisance ventriculaire. Une analyse du devenir à 7 ans de 8'724 patients a démontré une odds ratio respectivement de 3.38 et de 3.35 pour les infections et les complications ischémiques (infarctus, AVC, insuffisance rénale) chez les malades transfusés par rapport aux non-transfusés (Figure 8.22B) [9]. Recommandations en chirurgie cardiaque Quelques mesures simples peuvent considérablement diminuer la consommation de produits sanguins et modifier le pronostic des malades [10].

Traiter l’anémie péropératoire. Trop de patients arrivent en salle d’opération avec une Hb à 100-110 g/L. Or un taux d’Hb < 120 g/L chez les femmes et < 130 g/L chez les hommes est responsable d’une aggravation de la morbi-mortalité périopératoire [15], et ce risque est doublé en cas de transfusion [4,5]. Un traitement de fer, de vitamine B12, d’acide folique et, si nécessaire, d’érythropoïétine (EPO) permet de normaliser les valeurs en préopératoire et d’aborder la chirurgie avec une meilleure réserve.

Restreindre les transfusions : seuil restrictif (Hb < 80 g/L, Hb < 90 g/L chez les personnes âgées ou à risque), hémodilution normovolémique pré-CEC, récupération sanguine, ultrafiltration.

Eviter la coagulopathie peropératoire : normothermie, équilibre acido-basique, calcium, antifibrinolytique. Utilisation routinière de la thromboélastographie pour évaluer les déficits en facteurs de coagulation et les compenser sélectivement : protamine, acide tranexamique, fibrinogène, PCC, facteur XIII.

Améliorer la tolérance à l’anémie : FiO2 0.8-1.0, myorelaxation, anesthésie profonde, normovolémie.

Références 1 ENGOREN MC, HABIB RH, ZACHARIAS A, et al. Effect of blood transfusion on long-term survival after cardiac operation. Ann

Thorac Surg 2002; 74:1180-6 2 FERRARIS VA, BROWN JR, DESPOTIS GJ, et al. 2011 update to the Society of Thoracic Surgeons and the Society of

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 103

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69 Figure 8.22 : Effet des transfusions sur la mortalité postopératoire en chirurgie cardiaque. A: Réduction de la survie à 10 ans des patients transfusés proportionnellement au nombre de poches de sang reçues au cours de pontages aorto-coronariens [7]. 1: aucune transfusion (trait jaune). 2: transfusion de 3 unités (trait bleu). 3: transfusion de 6 unités ou plus (trait rouge). B: Augmentation de la mortalité après chirurgie cardiaque chez les

Patients non-

transfusés

Patients transfusés

5

10

15

20

25

Années postop

Mortalité (%)

0 1 2 3 4 5 6 7

Années postop

1

2

Survie (%)

3

30

40

50

60

70

80

90

100

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

A

B

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 104

malades transfusés par rapport à ceux qui de le sont pas. La différence survient essentiellement pendant les six premiers mois, mais les courbes continuent à diverger légèrement à long terme [9].

Transfusion sanguine

Le but de la transfusion érythrocytaire est d’améliorer le DO2 tissulaire. Indications (patient normovolémique et hémorragie contrôlée) :

- La transfusion est indiquée si l’Hb est < 60 g/L - En périopératoire, la transfusion est en général indiquée si l’Hb est < 70 g/L - Dans les populations à risque (ischémie coronarienne, insuffisance ventriculaire, AVC, néphropathie, âge avancé), le seuil de transfusion peut être relevé à 80-90 g/L

Il est improbable que la transfusion améliore le DO2 lorsque l’Hb est ≥ 100 g/L, sauf en cas de cardiopathie cyanogène (shunt D-G, hypertension pulmonaire) ou de SDRA. La transfusion augmente le risque d’infection, de SDRA et d’insuffisance rénale ; elle augmente la mortalité postopératoire d’environ 15% (en valeur relative).

Normalisation des plaquettes Les plaquettes sont des corpuscules anucléés dont la durée de vie est de 7-10 jours. Produits dans la moëlle, ils sont éliminés par le système réticulo-endothélial dans la rate et le foie. Les plaquettes dépendent étroitement des globules rouges pour leur approvisionnement en lipides précurseurs de la thromboxane ou des prostaglandines et en substrat pour le métabolisme de l’ADP [8]. De plus, la marginalisation des plaquettes dans le flux sanguin par la masse des érythrocytes qui reste au milieu du courant augmente les chances de fixation des thrombocytes à la paroi vasculaire [14]. En cas d’anémie sévère, la transfusion érythocytaire améliore donc le fonctionnement des plaquettes. Transfusion plaquettaire Une unité de plaquettes contient environ 2 x 1011 thrombocytes. Chez un adulte, elle augmente le taux circulant au maximum de 20'000/mcL, souvent moins. La majeure partie des interventions chirurgicales peut se dérouler sans difficulté avec un taux de thrombocytes situé entre 50'000/mcL et 75'000/mcL; seules les intervention intracrâniennes nécessitent une valeur > 100'000/mcL. Les incidents transfusionnels et les risques de contamination virale ou batérienne sont plus fréquents avec les perfusions de plaquettes (11‰) qu'avec celles d'érythrocytes (3.5‰) ou de PFC (0.8‰) [11]. Le risque de TRALI (transfusion-related acute lung injury) est également plus élevé : en moyenne 1:2'000 pour les plaquettes, alors qu’il est 1:5'000 pour les concentrés érythrocytaires [13]. Un épisode fébrile ou hypotensif est fréquent lors de la perfusion (voir Chapitre 28 Risques liés aux produits sanguins). La mortalité est de 1:40'000 transfusions. L’administration de plaquettes ne se justifie que dans les interventions hémorragipares réalisées chez des malades dont les thrombocytes sont soit dysfonctionnels soit en nombre insuffisant : patients sous antiplaquettaires ininterrompus et patients en aplasie médullaire ou en consommation aiguë. En effet, la transfusion de plaquettes en chirurgie générale est associée à un risque augmenté d’AVC et de thromboses artérielles (OR 1.55) et à un excès de mortalité (OR 2.40) [4]. La même association se retrouve en chirurgie cardiaque, avec un excès d’AVC (OR 2.56) et de mortalité (OR 4.76) chez les patients thrombo-transfusés [12]. D’autre part, normaliser la fonction plaquettaire des malades sous

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 105

antiplaquettaires leur fait courir un risque accru de thromboses vasculaires, en particulier dans les stents et les endoprothèses. Il est donc évident qu’une administration prophylactique de thrombocytes présente plus de danger que de bénéfice ; elle n’est recommandée qu’en cas d’aplasie médullaire ou de situation équivalente. Sous traitement antiplaquettaire avec un agent irréversible (aspirine, clopidogrel, prasugrel), les plaquettes sont inhibées pour toute leur durée de vie, mais la substance est fixée sur les thrombocytes de manière définitive. Dès que l’équilibre est atteint entre le plasma et les récepteurs plaquettaires, l’agrégabilité thrombocytaire ne dépend plus du taux sérique de l’agent. Lorsque celui-ci baisse en fonction de l’élimination (12.5% après 3 demi-vies), les plaquettes fraîchement mises en circulation ou les plaquettes transfusées fonctionnent normalement, ce qui est la cas 12 heurs après l’ingestion d’aspirine ou de prasugrel et 24 heures après celle de clopidogrel, quand bien même les thrombocytes du patient sont encore bloqués pour plusieurs jours. La situation est différente avec les antiplaquettaires réversibles comme le ticagrelor, car la substance est en équilibre constant entre le plasma et les récepteurs, que les plaquettes soient celles du patient ou celles d’une transfusion (Figure 8.23). Figure 8.23 : Agents antiplaquettaires (AP) et transfusion thrombocytaire. A : les agents irréversibles comme le clopidogrel ou le prasugrel diffusent du sang vers les plaquettes et y restent fixés pendant que le taux sérique baisse en fonction de la demi-vie plasmatique. Le degré d’inhibition plaquettaire ne dépend pas du taux sérique de la substance. Les plaquettes transfusées rencontrent d’autant moins d’agent circulant que le délai depuis la dernière prise est long : 50% après 1 demi-vie, 25% après 2 demi-vies et 12.5% après 3 demi-vies ; elles fonctionnent normalement au-delà de 2-3 demi-vies, alors que les plaquettes du patient restent définitivement bloquées. B : avec les agents réversibles comme le ticagrelor, il s’établit un équilibre dynamique entre le sang, les plaquettes du patients et les plaquettes transfusées ; la substance s’y répartit en fonction des gradients de concentration. Le degré d’inhibition plaquettaire dépend directement du taux sérique de la substance. Comme la liaison du ticagrelor aux récepteurs ADP est forte, la rétrodiffusion vers le plasma est ralentie, mais la substance peut diffuser entre plaquettes (cross-diffusion), ce qui altère également la fonction des thrombocytes transfusés.

Thrombos du

patient Thrombos transfusés

Sang

Excrétion

AP

AP

A

Thrombos du

patient Thrombos transfusés

Sang

AP

AP AP

B

Excrétion

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 106

Dans ce cas, l’inhibition de l’agrégabilité est directement proportionnelle au taux sérique pour toutes les plaquettes, et la transfusion ne sera efficace qu’après au moins 3 demi-vies, en l’occurrence au-delà de 36 heures. Comme le ticagrelor a une affinité élevée et une liaison forte avec les récepteurs ADP, la rétrodiffusion depuis les plaquettes est lente, donc l’effet clinique tend à se prolonger au-delà de la durée pharmacocinétique théorique. En dépit de son risque d’hémorragie spontanée inférieur à celui du clopidogrel ou du prasugrel, le ticagrelor pose un grave problème lorsque le saignement nécessite une transfusion plaquettaire, car celle-ci sera moins efficace pendant les 2-3 jours qui suivent la dernière prise [6]. Une étude conduite in vitro a monté que l’addition de plaquettes à des échantillons de sang de patients sous antiplaquettaires permet de supprimer l’effet de l’aspirine, de diminuer significativement celui du clopidogrel, mais est moins efficace pour renverser celui du ticagrelor [3]. Lors d’interventions cardiaques, la transfusion de concentrés plaquettaires devrait se restreindre aux conditions suivantes :

Thrombocytopénie < 50'000/mcL ; Dysfonction plaquettaire prouvée par un test fonctionnel (Multiplate™, VerifyNow™, etc) ; Hémorragie sur traitement antiplaquettaire ininterrompu en préopératoire ; Hémorragie non contrôlée par les mesures habituelles.

Thromboplégie En inhibant l’agrégation plaquettaire pendant la CEC avec un antiplaquettaire de courte durée d’action, on devrait éviter la stimulation et la consommation des thrombocytes par le contact avec les surfaces étrangères, qui conduisent à la thrombocytopénie et à la dysfonction plaquettaires postopératoires. Cette thromboplégie, ou thrombo-anesthésie, est une option déjà utilisée chez les malades ayant des anticorps anti-héparine (voir HIT). Plusieurs modalités sont envisageables.

Prostacycline (Iloprost®) : augmentation de l’AMPc intraplaquettaire et inhibition de l’activation. Demi-vie 15-30 min. Perfusion de 6-12 ng/kg/min réglée selon le test HIPA (Heparin-induced platelet activation). Arrêt 20 minutes avant la protamine [2].

Tirofiban (Aggrastat®) : bloqueur du récepteur GP IIb/IIIa des plaquettes, responsable de la liaison de celles-ci avec le fibrinogène. Demi-vie : 2 heures. Bolus 0.4 mcg/kg, puis perfusion 0.15 mcg/kg/heure. Arrêt 1 heure avant la fin de la CEC [5].

Cangrelor (Kengrexal®) : inhibiteur réversible direct du récepteur P2Y12, commercialisé seulement dans le cadre de la PCI et du syndrome coronarien aigu. Demi-vie 9 minutes. Perfusion 0.75 mcg/kg/min [1]. Interruption 30 minutes avant la protamine. Il bloque l’activation plaquettaire induite par la CEC et l’hypothermie, et réduit les complications qui leur sont associées in vitro et in vivo [7].

Desmopressine La desmopressine (DDAVP : déamino-D-arginine vasopressine, Octostim®, Minirin®) stimule la production de facteur VIII et de facteur von Willebrand par l’endothélium. Elle augmente leurs taux de 3 à 5 fois. Elle est thérapeutique dans certaines pathologies accompagnées de dysfonction plaquettaire spécifique (hémophilie A non-sévère, maladie de von Willebrand type I congénitale ou acquise, urémie, hépatopathie, sténose aortique sévère) (voir Chapitre 21, Maladies hématologiques). Bien que la réactivité des plaquettes in vitro à différents stimulants de l’agrégation soit nettement améliorée par la DDAVP [10], la réduction des pertes sanguines reste modeste en clinique [15]. Elle pourrait être utile en cas d’inhibition par les antiplaquettaires, car elle réduit les pertes sanguines et les transfusions lors de revascularisation coronarienne chirurgicale chez les malades sous aspirine. Elle pourrait renverser partiellement les effets de la bithérapie aspirine + clopidogrel [9]. Son dosage est de 0.3 mcg/kg intraveineux en 30 minutes (demi-vie 4-5 heures). Il est recommandé d’administrer simultanément de l’acide tranexamique car la desmopressine stimule aussi la fibrinolyse.

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Transfusion plaquettaire Indications peropératoires en cas d’hémorragie active : - Thrombocytopénie < 50’000/mcL - Dysfonction thrombocytaire prouvée par un test d’agrégabilité plaquettaire - Hémorragie sur traitement antiplaquettaire ininterrompu - Hémorragie incontrôlable par les mesures habituelles Les risques de contamination bactérienne ou virale (1.1%) sont beaucoup plus élevés que lors de transfusions de sang ou de PFC. La surtransfusion plaquettaire comporte un risque certain de thrombose vasculaire (infarctus, AVC). Recommandation: pas de transfusion plaquettaire prophylactique en-dehors de l’aplasie médullaire. Desmopressine : améliore l’agrégabilité plaquettaire, stimule la production de facteur VIII et de facteur von Willebrand par l’endothélium. Potentiellement utile lors d’hémorragie sur antiplaquettaires. Dosage : 0.3 mcg/kg.

Références 1 ANGIOLILLO DJ, FIRSTENBERG MS, PRICE MJ, et al. Bridging antiplatelet therapy with cangrelor in patients undergoing

cardiac surgery. JAMA 2012; 307:265-74 2 ANTONIOU T, KAPETANAKIS EI, THEODORAKI K, et al. Cardiac surgery in patients with heparin-induced thrombocytopenia

using preoperatively determined dosages of Iloprost. Heart Surg Forum 2002; 5:354-7 3 HANSSON EC, HAKIMI CS, ARSTRÖM-OLSSON K, et al. Effects of ex vivo platelet supplementation on platelet aggregability

in blood samples from patients treated with acetylsalicylic acid, clopidogrel, or ticagrelor. Br J Anaesth 2013; 112:570-5 4 KHORANA AA ; FRANCIS CW, BLUMBERG N, et al. Blood transfusions, thrombosis and mortality in hospitalized patients with

cancer. Arch Intern Med 2008 ; 168 : 2377-81 5 KOSTER A, KUKUCKA M, BACH F, et al. Anticoagulation during cardiopulmonary bypass in patients with heparin-induced

thrombocytopenia type II and renal impairment using heparin and the platelet glycoprotein Iib/IIIa antagonist tirofiban. Anesthesiology 2001; 94:245-51

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7 KRAJEWSKI S, KURZ J, NEUMANN B, et al. Short-acting P2Y12 blockade to reduce platelet dysfunction and coagulopathy during experimental extracoroporeal circulation and hypothermia. Br J Anaesth 2012; 108:912-21

8 PEYROU V, LORMEAU JC, HERAULT JP, et al. Contribution of erythrocytes to thrombin generation in whole blood. Thromb Haemost 1999 ; 81 : 400-6

9 RANUCCI M, NANO G, PAZZAGLIA A, et al. Platelet mapping and desmopressin reversal of platelet inhibition during emergency carotid endarterectomy. J Cardiothorac Vasc Anesth 2007 ; 21 : 851-4

10 REITER RA, MAYR F, BLAZICEK H, et al. Desmopressin antagonizes the in vitre platelet dysfunction induced by GPIIb/IIIa inhibitors and aspirin. Blood 2003; 102:4594-9

11 SPIESS BD. Platelet transfusions : the science behind safety, risks and appropriate applications. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2010 ; 24 : 65-83

12 SPIESS BD, ROYSTON D, LEVY JH, et al. Platelet transfusions during coronary artery bypass graft surgery are associated with serious adverse outcomes. Transfusion 2004 ; 44 : 1143-8

13 TRIULZI DJ. Transfusion-related acute lung injury: Current concepts for the clinician. Anesth Analg 2009; 108:70-6 14 UIJTTEWAAL WS, NIJHOF EJ, BRONKHORST PJ, et al. Near-wall excess of platelets induced by lateral migration of

erythrocytes in flowing blood. Am J Physiol 1993 ; 264 : H1239-44 15 WEBER CF, DIETRICH W, SPANNAGL M, et al. A point-of-care assessment of the effects of desmopressin on impaired platelet

function using Multiple Electrode whole-blood Aggregometry in patients after cardiac surgery. Anesth Analg 2010 ; 110 :702-7 Facteurs de coagulation De nombreux facteurs de coagulation sont disponibles sous forme isolée ou combinée (Tableau 8.10). Leur indication première, admise par les autorités sanitaires dans la plupart des pays, est le traitement des coagulopathies congénitales. Certains ont été approuvés pour renverser l’effet des agents

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antivitamine K (AVK). Mais leur usage le plus fréquent est lié à leur effet potentiel sur les coagulopathies de consommation rencontrées lors des hémorragies massives. En réalité, cette indication est souvent hors recommandation (off label). La plupart de ces facteurs présente une certaine efficacité pour diminuer les pertes sanguines, mais les grandes études contrôlées, lorsqu’elles existent, tendant à démontrer que cet effet est plutôt modeste, et qu’il s’accompagne d’un certain risque thrombotique, probablement aux environs de 1-3% [10]. D’autre part, la valeur-seuil pour l’administration d’un facteur est basée sur la norme d’individus sains. Elle n’a de sens que si le malade saigne; elle peut varier selon le risque hémorragique et le contexte clinique [1]. A l’exception des coagulopathies congénitales identifiées chez des malades déjà substitués, la transfusion prophylactique de facteurs n’est pas recommandée avant la chirurgie.

Tableau 8.10 Principaux facteurs de coagulation et leurs préparations

Facteurs Taux normal Taux Demi-vie Produits (µg/mL) préop (heures) requis Fibrinogène 2’000-4’000 > 1.5 g/L 72-120 Fibrinogène-dp Prothrombine 100-150 > 40% 70 CCP 3-4 facteurs Facteur V 5-10 > 20% 20 Facteur VII 0.5 > 50% 3-6 CCP 4 facteurs Facteur VIIa 0.01 2-3 CCP activés, rVIIa Facteur VIII 0.1 > 75% 8-12 rFVIII, FVIII-dp Facteur IX 4-5 > 75% 24 CCP 3-4 fact, rF IX, FIX-dp Facteur X 8-10 > 50% 40 CCP 3-4 facteurs, FX-dp Facteur XI 5 > 20% 55 FXI-dp Facteur XII 30 50 Facteur XIII 2 > 75% 70-150 FXIII-dp, rFXIIIa Fact von Willebrand 5-10 > 60% 12 FvW-dp Protéine C 4.5 6-10 CCP 4 facteurs, CCP activés Protéine S 25 42 CCP 4 facteurs, CCP activés Antithrombine (AT) 0.2-0.4 48-72 rAT, AT-dp (CCP 4 facteurs) CCP: concentré de complexe prothrombinique. r: recombinant. dp: dérivé du plasma. a: activé. Les demi-vies sont les valeurs physiologiques et ne s’appliquent pas en cas de consommation aiguë. Les CCP activés contiennent les 4 facteurs et du facteur VII activé. Sources : Bolliger D, Görlinger K, Tanaka KA. Pathophysiology and treatment of coagulopathy in massive hemorrhage and hemodilution. Anesthesiology 2010; 113:1205-19 Goodnough LT, Shander A. Current status of pharmacologic therapies in patient blood management. Anesth Analg 2013;116:15-34 Innerhofer P, Kienast J. Principles of perioperative coagulopathy. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2010; 24:1-14 Martinez M, Graf L, Tsakiris DA. Congenital bleeding disorders. In: Marcucci CE, Schoettker P, ed. Perioperative hemostasis. Coagulation for anesthesiologists. Heidelberg: Springer, 2015, 71-87 Roberts HR, Monroe DM, Escobar MA. Current concepts of hemostasis. Anesthesiology 2004: 100:722-30

Plasma frais congelé (PFC) Le plasma frais décongelé est une source économique de facteurs de la coagulation et une manière pratique de maintenir le pouvoir oncotique du plasma, bien qu’il faille respecter le groupe ABO. Malheureusement, ses indications ne sont fondées que sur des données dont le degré d’évidence est faible et sur des études, le plus souvent observationnelles, dont la qualité de preuve est modeste [31,35]. Les indication habituellement reconnues sont les suivantes.

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Renversement des AVK chez des patients souffrant d’hémorragie intracrânienne ou de saignement massif lorsque des concentrés de complexe prothrombinique ne sont pas disponibles ; en cas d’AVC hémorragique, la mortalité est significativement réduite (OR 0.29) [25].

Composant de la perfusion en cas d’échange plasmatique (purpura thrombocytopénique, par exemple).

Remplacement d’une déficience en facteur de coagulation qui n’existe pas sous forme isolée (facteur V ou facteur XII, par exemple).

Remplacement d’une déficience de multiples facteurs de coagulation entraînant des pertes sanguines massives, lorsque le dosage des facteurs et leur remplacement ciblé ne sont pas disponibles.

Prévention de l’hémodilution chez des patients polytransfusés. Cette attitude n’est recommandée qu’en cas de transfusion massive ; dans cette situation, elle diminue la mortalité (OR 0.38) et l’incidence d’insuffisance multiorganique (OR 0.40) [25]. Aucun argument statistique ne plaide pour ou contre un rapport fixe avec le nombre de poches de sang (1:1 à 1:3), mais ce dernier est un repère pratique dans les situations d’urgence [31].

En-dehors de la transfusion massive, l’administration de PFC lors de chirurgie hémorragique, de chirurgie hépatique ou après CEC n’améliore pas le pronostic, mais tend au contraire à augmenter la mortalité (OR 1.22-3.83) [25,30]. Du fait de leur faible corrélation avec les taux circulants de facteurs de coagulation, les tests préopératoires (TP, INR, aPTT) ont peu de lien avec le risque hémorragique chirurgical. Dès lors, l’indication au PFC basée sur une diminution des valeurs de laboratoire est infondée et n’a pas démontré d’effet significatif sur le saignement peropératoire ni sur le taux de transfusion [19]. Vu la faible concentration des facteurs dans le PFC (environ 0.5 g de fibrinogène par flacon), la quantité à perfuser pour réapprovisionner un patient est considérable. La dose standard de 10-15 mL/kg est en général insuffisante, et seule une dose de 30 mL/kg est susceptible de normaliser les taux sériques, au prix d’une augmentation du volume circulant d’environ 2 litres [6]. L’utilisation prophylactique est inefficace pour compenser une coagulopathie de consommation chirurgicale et pour diminuer le nombre de transfusions sanguines, mais présente un risque évident de surcharge de volume et de complications immunologiques [4] (voir Chapitre 28 Transfusion de produits dérivés). Une fois dégelé, le PFC se conserve encore 24 heures à 4°C; à la température ambiante, il doit être perfusé dans la demi-heure [18]. La transfusion de PFC est grevée de quatre complications majeures (voir Chapitre 28 Risques liés aux produits sanguins) [19].

Hypervolémie et insuffisance hémodynamique congestive (TACO, transfusion-associated circulatory overload) due à l’excès de volume transfusé ; son incidence augmente lorsqu’une dysfonction ventriculaire est présente.

Réaction fébrile (fréquente), contamination infectieuse (incidence 0.8‰). Réaction allergique (incidence 1-1.5%) avec urticaire, hypotension et bronchospasme. Lésions pulmonaires : TRALI (transfusion-related acute lung injury) déclenché par les

anticorps liés au plasma des donneurs. Son incidence est proportionnelle à la quantité de plasma administrée; elle varie de 1:2'000 à 1:50 [19]. Quelle que soit son indication, la transfusion de PFC triple le risque de complications pulmonaires (OR 2.92) [25]. Vu le taux élevé d'anticorps anti-HNA et anti-HLA chez les femmes multipares, l'utilisation de sang uniquement mâle pour la préparation du PFC a diminué l'incidence d'allergies et de TRALI.

Il arrive sur le marché de nouvelles préparations de PFC qui présentent certains avantages [35].

Octaplas® : préparation purifiée à partir de 1'500 donneurs, sans virus ni prions; groupage ABO nécessaire.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 110

Uniplas® : variante dans laquelle les anticorps anti-A et anti-B sont extraits ; pas de groupage ABO.

LyoPlas® : plasma lyophilisé provenant d’un seul donneur, sans cellules sanguines, dont les agents pathogènes et les virus sont détruits par irradiation ultraviolette ; avantage : conservation à température ambiante pour 15 mois.

En résumé, les indications admises pour le PFC sont les transfusions massives, la non-disponibilité de facteurs de coagulation isolés et l’échange plasmatique [31]. Dans les autres situations, les risques ont une forte probabilité de surpasser les bénéfices escomptés. Fibrinogène Le fibrinogène (facteur I) est une glycoprotéine de grande taille (340 kDa) qui circule sous forme soluble à un taux de 2-4 g/L ; ce taux augmente jusqu’à 6 g/L lors de traumatisme ou d’intervention chirurgicale. En l’absence de consommation, le fibrinogène a une demi-vie de 100 heures. Il a trois actions principales [24].

Sous sa forme soluble, il sert de liant entre les plaquettes par sa liaison avec les récepteurs GP IIb/IIIa de ces dernières.

Lorsqu’il est clivé par la thrombine (facteur IIa), il est converti en monomères de fibrine, qui polymérisent pour former un réseau ferme et insoluble ; la fermeté visco-élastique du thrombus est directement corrélée au taux de la substance : elle est maximale pour un taux de 3.6 g/L [27]. Le réseau de fibrine ne devient solidement et irréversiblement interconnecté que lorsque le Facteur XIII s’y est lié de manière covalente (Figure 8.5).

Il fonctionne comme inhibiteur de la coagulation par son action antithrombine I. Le fibrinogène est le premier élément dont le taux s’abaisse en cas de pertes sanguines : il atteint le niveau critique de 1.5 g/L lorsque la perte de volume circulant est de 50% [13]. Son rôle-clef dans la coagulation fait que son administration dès le début de l’hémorragie à raison de 2-8 gm améliore la fermeté du caillot et diminue significativement les pertes sanguines et les transfusions. Plusieurs études randomisées démontrent une nette réduction dans les besoins en poches de sang allologue, en plaquettes et en plasma chez les patients qui ont reçu du fibrinogène [17,27]. L'essai ZEPLAST dans la chirurgie cardiaque complexe montre que la supplémentation en fibribogène réduit les hémorragies et les transfusions postopératoires comparé à l'administration de PFC [29]. Toutefois, certains travaux ne notent pas de gain dans les transfusions mais révèlent une amélioration dans la fermeté du caillot mesurée au ROTEM™ (FIBTEM: MCF 14 mm) (voir Tests peropératoires) [7,28]. D'autres enfin ne trouvent aucun bénéfice à la perfusion de fibrinogène, que ce soit à dose fixe [14] ou en fonction de la perte de sang [26]. Le taux de 2 g/L semble être la limite en-dessous de laquelle l’hémostase est altérée, mais il n’existe pas de seuil réel car le taux de saignement augmente linéairement et de manière continue avec la baisse du taux de fibrinogène préopératoire [16]. De ce fait, les recommandations actuelles ont relevé la valeur du fibrinogène souhaitable en cas d’hémorragie aiguë et considèrent comme hypofibrinogénémie un taux < 2 g/L [2,32]. L’administration de 3 gm de fibrinogène à un patient de 70 kg augmente son taux plasmatique d’environ 1 g/L [24]. La gestion la plus précise consiste à se baser sur les résultats du FIBTEM : 25-50 mg/kg sont nécessaires pour maintenir la FMC > 10 mm [36]. Par contre, la question de l’administration prophylactique de fibrinogène avant ou après la CEC chez les patients de chirurgie cardiaque dont le taux est < 2.5 g/L reste pour l’instant ouverte, d’autant plus que le dosage du fibrinogène par la méthode classique de Clauss est assez imprécis. Le remplacement du fibrinogène peut avoir lieu de trois manières différentes [24].

Le plasma frais décongelé (PFC) contient environ 2 g/L (0.4 g/U) de fibrinogène, ce qui oblige à donner de grande quantité de plasma (30 mL/kg), avec un risque de surcharge volémique, de réaction immunologique et de contamination virale ou bactérienne.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 111

Le cryoprécipité est un concentré de plasma humain, dont une unité contient 388 mg de fibrinogène ; les risques de contaminations et de réactions immunologiques l’ont fait retirer d’une majeure partie du marché européen.

Le fibrinogène lyophilisé et pasteurisé ne présente pas ces risques ; la poudre (1 g/U) une fois diluée, la concentration du produit s’élève jusqu’à 20 g/L, ce qui évite la surcharge liquidienne. C’est la forme la plus adéquate, sauf que son coût est d’environ 200 € pour 1 gm.

Bien que la normofibrinogénémie soit un facteur clef du tarrissement hémorragique en chirurgie cardiaque, la supplémentation en fibrinogène ne corrige pas les défauts qui ne sont pas liés à la genèse de la fibrine, comme par exemple le manque de thrombine ou la dysfonction plaquettaire.

Facteurs de coagulation (I)

Plasma frais congelé (PFC). Indications : - Hémorragie intracrânienne sur AVK - Plasmaphérèse - Hémorragie massive - Non-disponibilité de facteurs de coagulation isolés Dans les autres situations, les risques (surcharge hémodynamique, complication pulmonaire, réaction allergique) ont une forte probabilité de surpasser les bénéfices escomptés Fibrinogène : - Indiqué en cas d’hémorragie lorsque son taux est < 2 g/L (administration prophylactique inefficace) - Dosage : 25-50 mg/kg (3 gm nécessaires pour augmenter le taux sérique de 1 g/L) - Administration : préparation lyophilisée - PFC : contient seulement 2 g/L (0.4 - 0.5 g/U) Concentrés de complexe prothrombinique Les concentrés lyophilisés de complexe prothrombinique, ou PCC (Prothrombin complex concentrates, anciennement PPSB), comprennent les facteurs dépendants de la vitamine K. Ils peuvent se diviser en 3 catégories [10,34].

Concentrés de 3 facteurs : facteurs II, IX, X (Prothromplex HT®) ; utilisés essentiellement en Amérique du Nord pour antagoniser les AVK.

Concentrés de 4 facteurs : facteurs II, VII, IX, X (Prothromplex T®, Kanokad®, Kaskadil®, Cofact®, Beriplex®, Octaplex®) ; dosage : 20-25 UI/kg en cas d’hémorragie persistante, 30-50 UI/kg en cas de saignement intracrânien sur AVK.

Concentrés activés : facteurs II, VII, IX, X, dont une partie sous forme activée (FEIBA®, Factor eight inhibitor bypassing activity, Autoplex-T®) ; dosage : 50-100 UI/kg.

La concentration de chaque facteur est très variable selon les préparations. Certaines contiennent également de l’antithrombine III et/ou des protéines C et S. Les unités (UI) correspondent aux unités de facteur IX contenu dans la préparation (voir Tableau 8.10) [9]. Leurs indications sont premièrement la prévention ou le traitement de l’hémorragie chez les hémophiles A et B et le renversement des AVK en cas de saignement aigu, notamment intracrânien. La consommation de facteurs par une hémorragie massive nécessite leur remplacement lorsque la perte excède 200-250% du volume sanguin [1]. Les concentrés de 4 facteurs pourraient être un

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 112

antidote partiel aux agents anti-Xa (rivaroxaban, apixaban), mais non aux agents anti-thrombine (dabigatran) (voir Antagonisme) [9,12,21]. Les concentrés activés (FEIBA®) n’ont de sens qu’en présence d’une inhibition des facteurs VIII et IX [11], mais ils pourraient être actifs comme antagonisme du dabigatran [9]. Les PCC ne sont pleinement actifs que si la température, la calcémie et l’équilibre acido-basique sont optimaux. Comme la demi-vie des facteurs qu'ils contiennent est plus longue que celle des nouveaux anticoagulants oraux, il existe un risque de thrombose important; il est donc recommandé de placer les patients sous une dose prophylactique basse d’héparine. L'administration concommittante de vitamine K (Konakion®) est essentielle lorsque l'hémorragie est due à un AVK [9]. Facteur VII activé Le facteur VIIa recombinant (rFVIIa, NovoSeven®) est le moyen le plus rapide et le plus efficace de générer de la thrombine si le taux de prothrombine est conservé. Il agit sur la coagulation par deux mécanismes différents court-circuitant les facteurs VIII et IX (voir Figure 8.1).

Formation de complexe avec le facteur tissulaire (FT) libéré au niveau des lésions vasculaires ; le complexe FT-rFVIIa active la cascade coagulatoire par stimulation du facteur X en Xa et provoque une production massive de thrombine (voie extrinsèque) ;

Liaison aux plaquettes, qui activent la transformation du facteur X en Xa. Le rFVIIa est indiqué dans l’hémophilie congénitale A et B, dans la thrombasthénie de Glanzmann, et en cas de déficience en facteur VII. Il est possible que le rFVIIa puisse être un antagoniste partiel des agents anti-thrombine (dabigatran) ou anti-Xa (rivaroxaban), mais il a une demi-vie brève et ne restaure pas les facteurs IX et X, ni le facteur II (prothrombine), qui ne sont présents que dans le PCC ou le PFC (voir Tableau 8.10) [9]. Le dosage recommandé est de 90 mcg/kg (au prix courant de 1.5 dollars US par mcg), à répéter après 2 heures. Un suivi de laboratoire est possible en mesurant le TP et le TC/TFC du thromboélastogramme. En-dehors de ces indications reconnues, l’utilisation du rFVIIa s’est rapidement répandue dans des domaines variés ne répondant pas aux indications recommandées (off-label use), mais entraînant parfois des saignements difificiles à juguler : chirurgie cardiaque, polytraumatisme, transplantation hépatique, hémorragie intracrânienne sous AVK, etc. Une pléthore de publications a déferlé dans la littérature, rapportant les succès potentiels de ces nouvelles applications. Toutefois, aucune donnée issue d’essais contrôlés ne met en évidence un gain significatif sur la mortalité dans ces indications hors recommandations [37]. De toute manière, la substance ne peut être efficace que si quatre éléments sont contrôlés [15].

Taux de plaquettes > 70’000/mcL ; Calcémie > 1 mmol/L ; Fibrinogénémie ≥ 2 g/L ; Hémoglobine ≥ 80 g/L.

Une dose supraphysiologique de rFVIIa peut induire une thrombose intravasculaire disséminée [3]. Le taux de thromboses artérielles sur rFVIIa est d’environ 2%, mais une méta-analyse a mis en évidence une incidence d’évènements thrombo-emboliques jusqu'à 20% et un accroissement des AVC en chirurgie cardiaque, alors que l’efficacité de la substance pour réduire la mortalité n’est pas prouvée [22,23]. En l’absence de grande étude contrôlée et randomisée, l’utilisation du rFVIIa en-dehors du syndrome hémophiliaque reste du domaine off-label de la substance et doit faire l’objet d’un jugement clinique au cas par cas en fonction de la balance entre les risques et les bénéfices. Elle est une mesure de sauvetage en dernier recours lors d’hémorragie incontrôlable malgré l’utilisation de tous les moyens hémostatiques, inclus la chirurgie, l'endoscopie et la radiologie interventionnelle, mais elle n’est en aucun cas une mesure prophylactique, d’autant plus que son coût est prohibitif (environ 1'000 € pour une dose) [33].

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 113

Facteur XIII Le facteur XIII est responsable de la solidité du réseau des polymères de fibrine et a des propriétés anti-fibrinolytiques. En chirurgie cardiaque, l’administration de FXIII (Fibrogammin P® 10-30 UI/kg) après la protamine permet une réduction des pertes sanguines postopératoires, mais son utilité clinique n’a été que partiellement investiguée jusqu’ici [33]. Il ne semble efficace que chez les patients dont le taux de facteur XIII est abaissé (fermeté maximale du caillot diminuée au thromboélastogramme), ce qui survient fréquemment lors de pertes sanguines importantes ou de larges plaies (brûlures, chirurgie de la colonne, chirurgie hépatique) [8]. Comme dans le cas précédent, il ne se justifie que lorsque les autres traitements ont échoué à tarir l’hémorragie. Un déséquilibre entre la thrombine et le facteur XIII est typique de l’activation de la coagulation avec abaissement des réserves en FXIII. Il se caractérise par la présence de monomères de fibrine dans la circulation ; ces derniers sont dosables en laboratoire. Ainsi, mettre en évidence des monomères de fibrine permet de prédire un défaut d’hémostase par manque de facteur XIII ; le TP et l’aPTT ne sont pas modifiés par le manque de Facteur XIII. La substitution de ce dernier (10-20 UI/kg, 750-1'500 UI pour un adulte) rétablit la FMC sur le thromboélastogramme et réduit les pertes sanguines [20]. Facteur von Willebrand Le facteur von Willebrand (FvW) a trois effets principaux : d’un côté, il interagit avec le récepteur GP Ib/V/IX des plaquettes et de l’autre il se lie au collagène du sous-endothélium ; d’autre part, il maintient en solution le Facteur VIII. Il ancre donc les plaquettes à la paroi vasculaire lésée. Il peut manquer à cause d’une déficience congénitale ou acquise (néoplasies, sténose aortique sévère) (voir Chapitre 21, Maladies hématologiques). La substitution par 1 UI/kg (Haemate®, Wilate®) augmente le taux d’environ 2%. Il est recommandé d’administrer 30 UI/kg en préopératoire, 20-30 UI/kg en cours de chirurgie, et 20-30 UI/kg 3 x/j pendant 5 jours. La demi-vie du produit est de 14-17 heures. Le taux requis pour une hémostase normale est > 80% du taux normal. Dans le cas particulier de la sténose aortique sévère, la maladie de von Willebrand acquise touche plus de 25% des patients avec une vavulopathie de type rhumatismal. Cependant, ces malades ne présentent pas de risque hémorragique accru lors du remplacement valvulaire en CEC. D’autre part, le RVA rétablit l’intégralité fonctionnelle du FvW et supprime les symptômes hémorragiques spontanés [5]. Références 1 ASMIS LM. Coagulation factor concentrates. In: MARCUCCI CE, SCHOETKKER P, ed. Perioperative hemostasis. Coagulation

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 114

Facteurs de coagulation (II) Concentrés de complexe prothrombinique (PCC) : contient les facteurs vitamine-K dépendants (II, VII, IX, X) en concentrations variables selon les produits. Indications : - Hémophilie A et B - Hémorragie intracrânienne sur AVK - Remplacement des facteurs II, VII, IX, X lors d’hémorragie massive (si possible objectivé par des tests spécifiques) - Possibles antagonistes des agents anti-Xa (?) Facteur VII activé (rFVIIa, NovoSeven®). Vu son coût et ses risques de thrombose, le rFVIIa n’est indiqué que comme mesure de sauvetage en cas d’hémorragie massive, une fois que les éléments suivants ont été contrôlés : plaquettes > 70’000/mcL, calcémie > 1 mmol/L, fibrinogènémie ≥ 2 g/L, Hb ≥ 80 g/L. - Indication formelle : hémophilie A et B, thrombasthénie de Glanzman - Possible antagoniste des agents anti-thrombine ou anti-Xa (?) - Indication hors recommandations : sauvetage en cas d’hémorragie massive, après échec des autres mesures - Dosage : 90 mcg/kg, à répéter après 2 heures Facteur XIII : la présence de monomères de fibrine au cours d’hémorragie massive indique un défaut en facteur XIII. Mesure de sauvetage en cas d’échec des autres thérapies.

12 HEIDBUCHEL H, VERHAMME P, ALINGS M, et al. European Heart Rythm Association Practical Guide on the use of non-

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 115

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Agents antifibrinolytiques La production de plasmine et l'activation excessive de la fibrinolyse sont caractéristiques de la CEC et du syndrome inflammatoire postopératoire. Trois substances antifibrinolytiques sont utilisées pour contrecarrer cet effet : l'aprotinine (Trasylol®), l’acide tranexamique (ATX) (Tranex®, Anvitoff®, Exacyl®, Cyclokapron®) et l'acide ε-amino-caproïque (AEAC) (Amicar®). L’ATX et l’AEAC se fixent sur la lysine du plasminogène et bloquent l'activation de la plasmine, donc la fibrinolyse. L’aprotinine est un inhibiteur non spécifique des protéases, qui bloque directement la plasmine. En clinique, ces substances diminuent globalement les pertes sanguines de 30-50% et les reprises chirurgicales pour hémorragie de 60% [4,15]. L’aprotinine L'aprotinine, qui est extraite du poumon de boeuf, a été isolée en 1930. C'est un inhibiteur des protéases sériques, de la kallikréine, de la protéine C et de la trypsine. A cet égard, elle a été utilisée dans le traitement des pancréatites aiguës pendant les années soixante. Elle a des effets anti-inflammatoires, mais freine aussi la synthèse de NO. En 1987, Royston a décrit une diminution importante des hémorragies après chirurgie cardiaque (286 ml versus 1509 ml) sous l'effet d'un traitement prophylactique à haute dose (6 millions UI) d'aprotinine [23]. On a par la suite trouvé des résultats similaires avec des doses de 2 millions UI seulement [3]. Il est certain que l’aprotinine diminue significativement les pertes sanguines, particulièrement dans les situations à haut risque hémorragique comme les réopérations et les patients sous antiplaquettaires [4,6,24]. L'aprotinine diminue également l'intensité de la réaction inflammatoire systémique et la production de C1, de TNF et de kallikréine [16]. Elle baisse environ de moitié (OR 0.5-0.65) l'incidence des séquelles neurologiques dans certaines études [6,24], mais pas dans toutes [4]. Cependant, l'aprotinine est responsable de réactions anaphylactiques dans 0.1-3% des patients. Le risque et l'intensité de la réaction sont augmentés en cas d'exposition dans les 6 à 12 mois qui précèdent, ce qui demande beaucoup de vigilance lors de reprise chirurgicale dans l’année qui suit une première opération en CEC [2]. L'aprotinine inhibe la vasodilatation des artérioles glomérulaires afférentes. Cette vasoconstriction préglomérulaire peut s’ajouter à la vasodilatation des artérioles efférentes postglomérulaires induite par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) : elle réduit encore davantage la perfusion glomérulaire et la fonction excrétrice rénale chez les patients sous IEC. Une étude clinique a démontré une association significative entre la combinaison d’aprotinine et d’IEC et l’insuffisance rénale après chirurgie cardiaque (incidence 3.5%) [13] ; l’incidence d’élévation de la créatinine > 200 µmol/L est de 11.8% dans la combinaison aprotinine + IEC au lieu de 5% chez les patients sans aprotinine (OR 2.9). Une augmentation du taux de dysfonction rénale sous aprotinine se retrouve dans plusieurs études, particulièrement en cas de dosage élevé [4,6,12].

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 116

Il y a quelques années, trois études observationnelles, groupant respectivement 898, 4'374 et 3'876 patients et utilisant un score de propension pour comparer les groupes, sont venues jeter le trouble dans l'habitude extrêmement répandue d'administrer de l'aprotinine préventivement à la majorité des malades de chirurgie cardiaque. La première compare les effets de l'aprotinine (6 millions UI) à ceux de l'acide tranexamique (50-100 mg/kg) [12]. L'efficacité des deux substances en terme d'hémorragies et de transfusions est identique, mais les complications rénales sont plus fréquentes avec l'aprotinine (24% versus 17%, p = 0.01); cette association est renforcée chez les patients présentant une dysfonction rénale préopératoire. La deuxième étude a démontré que l'utilisation de l'aprotinine (dose ≥ 2 millions UI) est associée à un accroissement du risque d'insuffisance rénale, d'infarctus et d'ictus par rapport à l'acide tranexamique, à l'acide ε-amino-caproïque ou à un placebo [18]. L'aprotinine augmente le taux d'insuffisance rénale (5.5% versus 1.8%), d'ictus (4.5% versus 1.6%), d'évènements cardiaques (20.4% versus 13.2%), et de mortalité (2.8% versus 1.3%). Ces effets sont dose-dépendants. Aucune de ces complications n'est augmentée dans les autres groupes. La diminution de l'hémorragie n'est pas significative (753 ml versus 827 ml avec le placebo et 676 ml avec l'acide tranexamique). La troisième étude reprend les observations de la deuxième mais avec un suivi de 5 ans ; la mortalité des patients ayant reçu de l’aprotinine (20.8%) est significativement supérieure à celle du groupe contrôle (12.7%) (hazard ratio 1.48), alors que la mortalité des patients ayant reçu de l’acide tranexamique ou de l'acide ε-amino-caproïque est inchangée [17]. Ces deux dernières études ont été très critiquées à cause de leurs biais de sélection et divers problèmes méthodologiques ; de plus, elles sont en contradictions avec les principales méta-analyses publiées à la même époque [1]. Dans les trois études, la dose d’aprotinine utilisée est de 2-4 millions d’unités. En février 2006, la FDA a recommandé de limiter l'utilisation de l'aprotinine aux situations dans lesquelles le bénéfice d'une réduction de l'hémorragie est essentiel au traitement médical et surpasse les risques potentiels de toxicité. Jusqu’en automne 2007, on pouvait résumer le débat par les points suivants [11].

Les antifibrinolytiques sont essentiellement indiqués dans les situations à risque hémorragiques élevés ;

Les antifibrinolytiques réduisent le taux d'hémorragie d'environ 30-50% ; L'aprotinine est l'agent le plus efficace, mais pas de manière marquée; elle présente un taux de

réaction allergique de 0.1-2% ; L’aprotinine augmente l'incidence de complications rénales chez les patients avec une

dysfonction rénale préopératoire et chez les patients sous IEC ; L'aprotinine semble réduire l'incidence de complications neurologiques ; L'aprotinine est éventuellement suspecte d'augmenter la mortalité et le taux de complications

cardiaques ; L'aprotinine est au moins cinq fois plus chère que les autres antifibrinolytiques.

Début novembre 2007, une grande étude canadienne contrôlée et randomisée (BART: Blood conservation using Antifibrinolytics: Randomized Trial in high-risk cardiac surgery) a démontré un accroissement de mortalité et de complications cardiovasculaires dans le groupe aprotinine par rapport aux groupes acide tranexamique et acide ε-amino-caproïque (RR 1.53) [8]. Même si elle diminue davantage les saignements que les deux autres substances (RR 0.79), l’aprotinine semble augmenter le risque de décès dans les hémorragies massives. En conséquence, la firme Bayer a retiré le Trasylol® du marché mondial le 6 novembre 2007. La rapidité de ce retrait a beaucoup surpris, d’autant plus que l’étude BART présente de sérieuses faiblesses méthodologiques et que le poids de l’évidence dans la littérature penche en faveur de l’aprotinine dans les pontages aorto-coronariens et chez les malades sous anti-thrombotiques [21]. Bien que les autorités sanitaires européennes et canadiennes aient clairement indiqué que les bénéfices de l’aprotinine surpassent ses risques en chirurgie cardiaque [7,9], son utilisation n’a pas repris. Toutefois, la substance pourrait revenir sur le marché, puisque la firme Nordic™ en a racheté la licence et que l’agence européenne des médicaments (European Medicines Agency, EMA) en a levé l’interdiction.

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Précis d’anesthésie cardiaque 2017, version 5 – 08 Coagulation et hémostase 117

Autres agents antifibrinolytiques Dans l’attente, la plupart des centres ont choisi de remplacer l’aprotinine par l’acide tranexamique (ATX). Cet analogue de la lysine se lie au plasminogène de manière réversible et inhibe sa conversion en plasmine. L’acide tranexamique est légèrement moins efficace que l’aprotinine pour diminuer les pertes sanguines et les reprises chirurgicales pour hémorragie, particulièrement lorsque celle-ci est importante : les transfusions sont réduites de 34%, au lieu de 39% chez les patients traités par aprotinine [10]. Cependant, le ATX ne déclenche pas de réactions allergiques ni de dysfonction rénale postopératoire. En outre, il est moins onéreux. Les dosages décrits dans la littérature varient de 10 à 100 mg/kg ; la demi-vie du produit est de 2 heures. Il est important d’administrer une première dose avant la CEC (10-30 mg/kg), suivie d’une perfusion (1-2 mg/kg/h) ou d’une répétition de la première dose dans la CEC, et d’une dose après la CEC [5,26]. Le but est de maintenir une concentration plasmatique de 20 mcg/mL. Une perfusion peut être mise en route dans le postopératoire si nécessaire. La dose maximale mentionnée est 150 mg/kg. Il n’y a guère de données prouvant que des doses supérieures à 10 mg/kg et 1 mg/kg/heure augmentent l’efficacité du produit [22]. Au contraire, l’augmentation des doses accroît le risque de convulsions postopératoires jusqu’à 7 fois [15,19]. Dans une étude portant sur 4'883 patients et utilisant un dosage modéré (24 mg/kg), le risque de convulsions est augmenté de 70% (OR 1.70) dans le groupe sous ATX par rapport au groupe témoin ; ces différences sont plus marquées dans la chirurgie à cœur ouvert (OR 2.03) que dans la chirurgie coronarienne (OR 1.21) [14]. Toutefois, l’inocuité de l’ATX a été démontrée dans l’étude CRASH-2 : l’administration de 2 gm dans les 3 premières heures qui suivent un traumatisme avec hémorragie importante n’a pas entraîné d’effets secondaires sérieux, mais a réduit la mortalité due aux pertes de sang (RR 0.85) [25]. L'acide ε-amino-caproïque est sensiblement moins efficace que l’ATX: le taux de transfusion est réduit de 19% comparé à 34% pour l’ATX [10]. Le dosage est de 50 mg/kg en bolus suivi d’une perfusion de 25 mg/kg/heure [22]. Chez les patients sous aspirine, les antifibrinolytiques réduisent significativement le taux de transfusion (OR 0.37) [20]. L'incidence financière du choix de l'antifibrinolytique est considérable, parce que l'aprotinine est un médicament coûteux: CHF 220.- pour 1 million UI (US$ 200.00); la dose équivalente d'acide tranexamique revient à CHF 24.- (1 gm) (US$ 25.00) ; l’AEAC est le moins cher : US$ 5.00. A titre de comparaison, une poche de sang coûte CHF 235.- en Suisse (valeur février 2012).

Antifibrinolytiques

Les antifibrinolytiques se fixent sur la lysine du plasminogène et bloquent l'activation de la plasmine, donc la fibrinolyse. En clinique, ils diminuent globalement les pertes sanguines de 30%. Trois substances sont utilisées à cet effet. - L’aprotinine, retirée du marché depuis 2007 à cause d’un excès d’insuffisance rénale, de complications cardiaques et de mortalité ; pourrait être réintroduite en chirurgie cardiaque - L’acide tranexamique ne déclenche pas de réactions allergiques ni de dysfonction rénale; dosage: 10-30 mg/kg avant et après la CEC; dose totale maximale: 150 mg/kg; les hautes doses acccroissent le risque de convulsions postopératoires. - L’acide ε-aminocaproïque est légèrement moins efficace. L’acide tranexamique (2 gm) et la desmopressine (0.3 mcg/kg) sont des agents potentiellement utiles en cas d’hémorragie liée aux nouveaux anticoagulants pour lesquels il n’existe pas d’antidote spécifique.

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26 UMSHEID CA, KOHL BA, WILLIAMS K. Antifibrinolytic use in adult cardiac surgery. Curr Opin Hematol 2007; 14:455-67 Thérapie anti-inflammatoire Le lien étroit qui existe entre la coagulation et la réaction inflammatoire (voir Inflammation et complément) laisse à penser qu’une atténuation de cette dernière pourrait améliorer le risque hémorragique ou thrombotique. Comme l’intensité du SIRS (Systemic Inflammatory Response Syndrome) dépend d’une cascade d’éléments différents, il n’est pas étonnant que de multiples abords soient potentiellement utiles pour la freiner [4]. Stéroïdes Les corticostéroïdes maintiennent l’intégrité des membranes cellulaires, particulièrement dans le cœur et les poumons, freinent l’adhésion leucocytaire et réduisent la production de complément et de

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cytokines [5,15]. En dépit d’une nette atténuation de la réaction inflammatoire et d’une claire diminution des marqueurs inflammatoires après CEC, ils ne préviennent les dysfonctions multiorganiques que chez les malades en hypocorticisme, et leur impact clinique demeure incertain. Diverses revues et méta-analyses ont synthétisé les résultats acquis jusqu’ici avec les stéroïdes [1,2,8,16].

La réduction de l’incidence de FA est significative. Le temps de séjour aux soins intensifs et le temps de séjour hospitalier sont diminués. La stabilité hémodynamique peropératoire est améliorée, l’utilisation de vasopresseur est

réduite. La réduction du taux d’hémorragie est marginale. La durée de ventilation mécanique est un peu raccourcie; certaines études ont montré une

atténuation des complications respiratoires, mais d’autres publications montrent une aggravation des échanges gazeux postopératoires et un retard à l'extubation.

Le réveil est amélioré : le taux de nausée, vomissement et frisson est diminué. Le taux d’infection de plaie est identique, et le taux d’infections générales peu modifié. Le taux d’épisodes hyperglycémiques est augmenté 1.5 fois dans une méta-analyse et celui

d’hémorragies digestives est doublé dans une autre. La mortalité n’est pas modifiée.

Bien que les protocoles des différentes études soient très variables, on peut en conclure que l’administration prophylactique de stéroïdes pourrait diminuer la morbidité postopératoire, pour autant qu’elle ne soit pas elle-même la cause d’un accroissement des infections et des hémorragies [1]. Les dosages traditionnels étant assez élevés (méthylprednisolone 30 mg/kg, dexaméthasone 1 mg/kg), il est possible que des doses plus faibles aient un meilleur rapport bénétice/complication tout en conservant une activité satisfaisante sur la réduction de la réponse inflammatoire [8]. La question de savoir si une prophylaxie de routine avec des stéroïdes est recommandable a reçu une réponse plutôt négative de deux essais contrôlés et randomisés. Le premier est une étude hollandaise (DECS, DExamethasone for Cardiac Surgery) de 4'494 patients randomisés entre dexaméthasone 1 mg/kg et placebo, administrés à l’induction de l’anesthésie [3]. La mortalité et les complications majeures (infarctus, ictus, insuffisance rénale) sont moindres dans le groupe stéroïde, mais de manière marginale (OR 0.83), alors que d’autres morbidités sont significativement diminuées : infections (OR 0.64), délire (OR 0.79), insuffisance respiratoire (OR 0.69). Les patients à risque élevé (EuroSCORE > 5) tirent le maximum de bénéfice (OR 0.77). Bien que ces résultats ne soient pas renversants, cet essai a clairement démontré l’inocuité du traitement, qui n’a déclenché aucune aggravation du risque hémorragique ni infectieux. Le second essai est une étude multicentrique (SIRS, Steroids In caRdiac Surgery) de 7'507 patients assignés à recevoir 500 mg de méthylprednisolone ou un placebo [17]. La mortalité n'est pas réduite de manière significative (OR 0.87), le taux de complications majeures est inchangé (OR 1.03) et le taux d'infection n'est pas modifié, de même que l'incidence de delirium. Ces deux études, méthodologiquement incontestables, n'incitent donc pas à l'utilisatoion de stéroïdes comme routine pour diminuer la réaction inflammatoire liée à la CEC. Autres substances pharmacologiques Au fil des essais cliniques, toute une série de substances a été invoquée comme atténuateur possible de la réaction inflammatoire, sans qu’aucune d’entre elles ne se détache par un effet évident [4].

L’aprotinine diminue l'intensité de la réaction inflammatoire systémique et la production de C1, de TNF et de kallikréine [6]. L’acide aminocaproïque et l’acide tranexamique ont moins d’effet.

Les statines ont un effet anti-inflammatoire et diminuent la mortalité après pontages aorto-coronariens [13].

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Le bleu de méthylène est un anti-NO et de ce fait possède un effet anti-inflammatoire, mais son usage est réservé aux situations d’hypotension réfractaire [7].

L’insuline ; l’hyperglycémie est accompagnée d’une hypersécrétion de cytokines, et les diabétiques sont connus pour une production excessive de superoxide par leurs mitochondries [7]. De ce fait, le maintien d’une normoglycémie atténue la réaction inflammatoire, mais cette dernière induit une résistance à l’insuline qui peut expliquer les difficultés rencontrées dans la gestion de la glycémie peropératoire [11].

La N-acétyl-cystéine (Salmucol®) ou l’allopurinol (Xyloric®) diminuent les marqueurs inflammatoires et bloquent l’effet toxique des radicaux libres, mais leur utilisation clinique s’avère décevante et n’apporte pas de bénéfice en terme de mortalité ni de morbidité [10].

Les inhibiteurs du complément : le pexelizumab et le TP10, qui inhibent la chaîne du complément au niveau de C5a, atténuent la morbi-mortalité après chirurgie cardiaque dans des groupes sélectionnés de patients, sans pour l’instant faire preuve d’effets cliniques significatifs [12].

Aspects anesthésiques L’anesthésiste peut influencer la réaction inflammatoire de plusieurs manières [4].

Ventilation : la baisse du volume courant à 4-8 mL/kg au lieu de 10-12 mL/kg et la diminution de la FiO2 à 0.6 limitent les lésions mécaniques et cellulaires, et abaissent les taux de cytokines libérées par les poumons.

Stabilité hémodynamique : l’hypoperfusion tissulaire (hypotension et bas débit) active la libération de cytokines et d’endotoxines, en particulier dans le tube digestif.

Préconditionnement : les halogénés ont la propriété de diminuer l’impact des lésions ischémiques sur la cellule myocardique, au moins momentanément (voir Chapitre 5 Préconditionnement) [9]. Le préconditionnement à distance par courtes périodes d’ischémie musculaire d’un membre a un effet protecteur sur le myocarde et sur la survie clinique [14].

Thérapie anti-inflammatoire Stéroïdes (méthylprédnisolone 500 mg ou dexaméthasone 1 mg/kg à l’induction): ils atténuent la réaction inflammatoire systémique et les marqueurs associés. Ils diminuent l’incidence de FA, nausée – vomissement, instabilité hémodynamique, insuffisance respiratoire, infections, séjour en soins intensifs. Ils ne modifient pas la mortalité. Par contre, ils n’augmentent ni le risque infectieux ni le risque hémorragique. Toute une série de substances a été investiguée à cause de leur potentiel anti-inflammatoire. Cependant, même si elles tendent à abaisser les marqueurs inflammatoires, aucune n’a démontré d’impact significatif sur la morbi-mortalité globale après chirurgie cardiaque. En anesthésie, la ventilation protectrice à bas volume courant et le maintien d’une pression artérielle et d’un débit satisfaisants, y compris pendant la CEC, favorisent les résultats cliniques postopératoires, en partie par le biais d’une réduction du SIRS. L’utilisation d’halogénés (préconditionnement) diminue les lésions myocardiques lors de revascularisation coronarienne.

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Aspects techniques de la CEC A part les interventions à cœur battant, il existe divers moyens techniques de réduire le syndrome inflammatoire et les modifications de la coagulation déclenchés par la CEC, mais aucun ne permet de les supprimer. La portée clinique de ces améliorations reste en général modeste [6,15].

Absence de CEC ; opérer à cœur battant (OPCAB) atténue mais ne supprime pas la libération des marqueurs inflammatoires (C3a, C5a, TNF-alpha, IL-6, IL-8), car le cœur ischémique est une source importante de cytokines. Comme les effets de la CEC dépendent largement de l'équilibre entre la libération des médiateurs pro-inflammatoires et celle des médiateurs anti-inflammatoires (IL-10) [5], certaines populations pourraient bénéficier particulièrement de la chirurgie à coeur battant car elles affichent une réaction pro-inflammatoire dominante, telles les personnes âgées ou celles qui souffrent de dysfonction ventriculaire gauche [12]. Dans les groupes à risque faible, les taux de complications liés au SIRS sont identiques entre les opérations avec ou sans CEC [8,9].

Restriction des aspirations ; le sang récupéré contient de l'air, des débris celulaires et des activateurs de la coagulation (TNF, thrombine, plasmine) ou de l’inflammation (interleukines, C3a, C5a). Les aspirations sont la source principale d’embolie, d'hémolyse, de thrombopénie, de coagulopathie et de stimulation du SIRS [13]. Les perturbations du système coagulatoire sont nettement diminuées lorsqu’on ne recycle pas le sang aspiré ou lorsqu’on le filtre dans un système CellSaver™, mais ces manoeuvres éliminent malheureusement les plaquettes, les protéines et les facteurs de coagulation [14].

Restriction de la taille des circuits ; la miniaturisation des circuits et la suppression du réservoir de cardiotomie minimisent le contact du sang avec des surfaces étrangères et

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suppriment le contact avec l’air, ce qui freine la libération des activateurs de la coagulation et des déclencheurs inflammatoires [2].

Biocompatibilité des circuits ; les circuits préhéparinés et les circuits imprégnés de polymères comme le poly-2-méthoxy-éthyl-acrylate freinent la cascade du complément et l'activation leucocytaire, réduisent l'adhésivité plaquettaire et l'adsorption des facteurs de coagulation [4]. Même s’ils atténuent les complications pulmonaires, rénales et neurologiques, leur impact clinique est peu important [7].

Hémofiltration ; elle réduit l’excédent liquidien propre à la CEC et évacue les déclencheurs inflammatoires hydrosolubles. Elle réduit l’œdème interstitiel postopératoire, les besoins transfusionnels, le syndrome inflammatoire systémique et l’insuffisance multi-organique [3,10].

Filtres leucocytaires ; la réduction du taux de leucocytes est bénéfique surtout pour les échanges gazeux, puisque les poumons sont le principal lieu de séquestration leucocytaire pendant la CEC. Malheureusement, ces filtres ne préviennent pas l’insuffisance respiratoire postopératoire [1].

Normothermie ; le maintien de la température ≥ 34°C évite les altérations de la coagulation et la flambée inflammatoire déclenchées par le réchauffement, mais la température idéale pour la CEC n’a pas encore pu être définie [11].

Ces améliorations ont probablement un impact sur les complications postopératoires dans les cas à haut risque ou les interventions complexes, mais ont peu d'influence pour les interventions standards chez des patients à risque faible. Vu l'augmentation de prix qu’elles impliquent, ces nouvelles technologies ne présentent pas pour l'instant un rapport coût / bénéfice favorable à leur utilisation de routine.

Modifications techniques de la CEC Les possibilités sont nombreuses, mais elles ont d’impact clinique modéré : - Restriction du contact avec les surfaces étrangères (minicircuits)

- Matériaux biocompatibles - Restriction du contact avec l’air (limitation des aspirations, absence de réservoir veineux) - Hémofiltration - Normothermie - Opération sans CEC Références 1 ASIMAKOPOULOS G. The inflammatory response to CPB: the role of leucocyte filtration. Perfusion 2002; 17:7-10 2 BIANCARI F, RIMPILAINEN R. Meta-analysis of randomised trials comparing the effectiveness of miniaturised versus

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15 WARREN OJ, WATRET AL, DE WIT KL, et al. The inflammatory response to cardiopulmonary bypass: Part 2 - Anti-inflammatory therapeutic strategies. J Cardiothorac Vasc Anesth 2009; 23: 384-93

Conclusions Au cours de ces dernières années, une forme d’hématologie pratique s’est installée en salle d’opération et a élargi le champ d’activité de l’anesthésie. La possibilité d’effectuer sur place des tests de coagulation (ROTEM™, par exemple) et d’activité plaquettaire (Multiplate™, VerifyNow™, PFA-100™, entre autres) a ouvert la voie à une gestion plus rationnelle de l’hémostase et des facteurs de coagulation, orientée sur les besoins spécifiques du patient (goal-directed therapy). D’autre part, l’arrivée sur le marché clinique de nouveaux agents anticoagulants et antiplaquettaires a modifié la prise en charge périopératoire des patients. Enfin, l’idée d’une gestion globale de la masse sanguine du malade (Patient blood management) a progressivement intégré la préparation préopératoire du malade, la transfusion sanguine et plaquettaire, l’administration de dérivés plasmatiques et de facteurs de coagulation, ainsi que l’évaluation directe des performances coagulatoires en un tout fonctionnel qui réclame de l’anesthésiste de bonnes notions d’hématologie. De plus, l’anesthésiste qui s’investit en chirurgie cardiaque doit être capable de maîtriser les problèmes d’anticoagulation soulevés par l’usage de la circulation extracorporelle. Les développements futurs de cette situation vont certainement conduire à une gestion plus cohérente de l’hémostase et à une utilisation plus restrictive des produits sanguins. Ainsi se développent des algorithmes pour la prise en charge des opérés sous agents inhibant la coagulation et pour la gestion des différents produits procoagulants, en gardant à l’esprit que le but n’est pas une normalisation du status, mais un état d’équilibre optimal entre le risque hémorragique et le risque thrombotique. Or ce point d’équilibre peut se placer à un endroit variable du spectre en fonction des risques propres au patient et à la situation chirurgicale. Pour l’heure, l’introduction dans la pratique de nouveaux anticoagulants est souvent perturbante pour l’anesthésiste, qui peut avoir quelque difficulté à se retrouver dans les délais à respecter pour l’interruption préopératoire du traitement, notamment en cas d’ALR rachidienne. Les Tableaux 8.11 et 8.12 tentent de répondre à ce problème en offrant un résumé des données pharmacocinétiques et des recommandations proposées pour l’interruption préopératoire des anticoagulants et des antiplaquettaires.

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Tableau 8.11 Pharmacocinétique des anticoagulants et des antiplaquettaires

Mécanisme Pic* tβ1/2 Elimination** Monitorage*** Héparine non-fractionnée Inhibit indirect thrombine & Xa 5 min 1-2.5 ha Hépatique, SRE aPTT, ACT HBPM prophylactique Inhibit indirect Xa & thrombine 3-5 h 4-5 h Rénale anti-Xa, (TT) HBPM thérapeutique Inhibit indirect Xa & thrombine 3-5 h 4-5 h Rénale anti-Xa, (TT) Fondaparinux Inhibiteur indirect facteur Xa 1.7 h 16 h Rénale anti-Xa Dabigatran Inhibiteur direct thrombine 1-2 h 9-15 h Rénale anti-IIa,dTT (aPTT)b

Rivaroxaban Inhibiteur direct facteur Xa 2-4 h 6-12 h Foie (2/3), reins (1/3) anti-Xa, (TP) Apixaban Inhibiteur direct facteur Xa 3-4 h 12 h Foie (3/4), reins (1/4) anti-Xa, (TP) Edoxaban Inhibiteur direct facteur Xa 1-2 h 10-14 h Foie (1/2), reins (1/2) anti-Xa, (TP) Acénocoumarol Inhibit fact vit K-dépendants 4 jours 11h Hépatique TP, INR Warfarine Inhibit fact vit K-dépendants 4 jours 40 h Hépatique TP, INR Phénprocoumone Inhibit fact vit K-dépendants 7 jours 140 h Hépatique TP, INR Bivalirudine Inhibiteur direct thrombine 10 min 30 min Plasma, reins (1/4) aPTT, (TP) Argatroban Inhibiteur direct thrombine 15 min 1 h Hépatique (aPTT), (ACT) Aspirine Bloc irréversible récept COX1 < 1 h 1.5 h Rénale Test agrégabilité Clopidogrel Bloc irréversible récept ADP 3-8 h 8 h Plasma, reins Test agrégabilité Prasugrel Bloc irréversible récept ADP 1 h 4 h Rénale Test agrégabilité Ticagrelor Bloc réversible récept ADP 2 h 10 h Foie (2/3), reins (1/3) Test agrégabilité Tirofiban Bloc révers récept GP IIb/IIIa 30 min 2 h Rénale Test agrégabilité Eptifibatide Bloc révers récept GP IIb/IIIa 20 min 2.5 h Rénale Test agrégabilité Abciximab Bloc irrévers récept GP IIb/IIIa 10 min 30 min Rénale Test agrégabilité * Délai entre l'administration et le pic d'activité/concentration. ** La proportion de substance éliminée par les reins varie dans les publications selon qu'elle est calculée à partir de la dose totale ingérée ou de la dose réellement absorbée (dépendant de la biodisponibilité); dans le deuxième cas, la proportion éliminée par les reins est plus grande. *** Les tests entre parenthèse sont modifiés mais n'ont pas de valeur quantitative pour doser l'effet de la substance. a : Demi-vie variable selon la dose. b : Des tests particuliers comme la mesure de l’inhibition directe de la thrombine (Hemoclot™) ou le temps de coagulation à l’écarine (ECT) permettent un dosage du dabigatran. Test anti-Xa: spécifique à chaque anticoagulant, permet le dosage quantitatif. Test d'agrégabilité: test rapide (VerifyNow™, Multiplate™, etc) ciblé selon le récepteur (COX-1, ADP ou GP IIb/IIIa). tβ1/2: demi-vie sérique d'élimination. HBPM : héparine de bas poids moléculaire. SRE: système réticulo-endothélial.

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Tableau 8.12 Délais proposés pour l’interruption préopératoire des anticoagulants et des antiplaquettaires*

Chirurgie

générale Situations à

risque** Age > 75 ans Clairance créat

< 50 mL/min Héparine non-fractionnée iv, scut 4-6 h 6 h 4-6 h 4-6 h HBPM prophylactique scut 12 h 12 h 12 h 24 h HBPM thérapeutique scut 24 h 24 h 24 h 48 h Fondaparinux (Arixtra®) scut 48 h ≥ 72 h ≥ 72 h 4-6 jours Dabigatran (Pradaxa®) po 48 h > 48 h > 48 h 3-5 jours Rivaroxaban (Xarelto®) 10 mg/j po 24 h 48 h 48 h 3-4 jours Rivaroxaban (Xarelto®) 15-20 mg/j po 48 h 48-72 h 48 h 3-5 jours Apixaban (Eliquis®) po 48 h 72 h 48 h 3-5 jours Edoxaban (Lixiana®, Savaysa®) po 48 h 72 h 48 h 3-5 jours Acénocoumarol (Sintrom®) po 4 jours 4 jours*** 4 jours*** 4 jours Warfarine (Coumadine®) po 6 jours 6 jours*** 6 jours*** 6 jours Phénprocoumone (Marcoumar®) po 10 jours 10 jours*** 10 jours*** 10 jours Bivalirudine (Angiox®) iv 2-4 h 4 h 4 h 6 h Argatroban (Argatroban Inj®) iv 4 h 4 h 4 h 4 h Aspirine po 3-5 jours 5 jours 5 jours 5 jours Clopidogrel (Plavix®) po 5 jours 5-7 jours 5-7 jours 5 jours Prasugrel (Efient®) po 7 jours 10 jours contre-indiqué 7 jours Ticagrelor (Brilique®, Brilinta®) po 5 jours 5 jours 5 jours 5 jours Tirofiban (Aggrasta®) iv 6 heures 6-10 heures 6-10 heures 12-24 heures Eptifibatide (Integrilin®) iv 8 heures 12 heures 12 heures 24 heures Abciximab (ReoPro®) iv 72 heures ≥ 72 heures 72 heures 72 heures * Règle générale de sécurité déterminant la durée de l'interruption préopératoire (chirurgie élective): 3 demi-vies pour la chirurgie générale et 5 demi-vies pour les situations à risque; doublement de la durée en cas d'insuffisance rénale pour les substances à élimination rénale. Urgences: attendre si possible ≥ 1 demi-vie. Les durées mentionnées sont indicatives et correspondent à un compromis entre la diminution du risque hémorragique et l'augmentation du risque thrombo-embolique lors de l'interruption thérapeutique; pour les AVK, prévoir une substitution par HNF ou HBPM en cas de risque thrombo-embolique élevé. Tenir compte de la combinaison de situations augmentant l'effet pharmacologique. ** Situations à risque: chirurgie à haut risque hémorragique (voir ci-dessous), combinaison médicamenteuse augmentant le risque hémorragique, ALR rachidienne dans la situation de status coagulatoire et rachidien normal. ALR rachidienne: par sécurité, attendre 5 demi-vies; délais identiques pour la pose ou le retrait du cathéter péridural; reprise du traitement anticoagulant > 6 heures après sa manipulation. Chirurgie à haut risque hémorragique: opérations accompagnées de pertes sanguines massives et d'hémostase difficile, opérations dans un espace clos (neurochirurgie intracrânienne et intrarachidienne, chirurgie chambre postérieure de l'œil). *** Contrôle de l'adéquation du délai par la valeur du TP (> 75%) / INR (< 1.5). Reprise postopératoire: J1 si risque hémorragique faible, J2-3 si risque hémorragique élevé.