Changer le monde: comment s'y prennent les jeunes; The UNESCO ...

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Courrier LE DE L’UNESCO JuilletSeptembre 2011 ISSN 2220-2269 e-ISSN 2220-2277 Changer le monde : comment s’y prennent les jeunes Si différents et si semblables Monique Coleman Révolution mobile Gigi Ibrahim Le printemps des indignés Alfredo Trujillo Fernandez Les armes miraculeuses Serge Amisi Plus fort qu’une bombe Nate Marshall Étoiles au clair de lune Carol Natukunda La jeune sughar Noshan Abbas Rebelles et pour cause Jens Lubbadeh C’est ça ou rien Zhao Ying Archi écolo Carlos Bartesaghi Koc La révolution : un haut fait de civilisation Khaled Youssef Organisation des Nations Unies pour l’éducation la science et la culture ,

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CourrierLE

DE L’UNESCO

JuilletSeptembre 2011

ISSN 2220-2269e-ISSN 2220-2277

Changer lemonde :

comment s’yprennent les

jeunesSi différents et si semblables

Monique Coleman

Révolution mobile

Gigi Ibrahim

Le printemps des indignés

Alfredo Trujillo Fernandez

Les armes miraculeuses

Serge Amisi

Plus fort qu’une bombe

Nate Marshall

Étoiles au clair de lune

Carol Natukunda

La jeune sughar

Noshan Abbas

Rebelles et pour cause

Jens Lubbadeh

C’est ça ou rien

Zhao Ying

Archi écolo

Carlos Bartesaghi Koc

La révolution : un haut fait de civilisation

Khaled Youssef

Organisation des Nations Unies

pour l’éducation la science et la culture

,

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2 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J U I L L E T S E P T E M B R E 2 0 1 1

Pierre ArlaudMathieu Ponnard

(France)

Merlijn Twaalfhoven (Pays-Bas) Zhao Ying

(Chine)

Hiroki Yanagisawa (Japon)

Emna Fitouri(Tunisie)

Gigi Ibrahim Khaled Youssef

(Égypte)

Iris Julia Bührle Jens Lubbadeh (Allemagne)

Ingebjørg Bratland (Norvège)

Silvia Bellón(Espagne)

Atti Tata(Togo)

Majd ShahinBetty Shamieh (Territoire palestinien occupé)

Carlos Bartesaghi Koc(Pérou)

Ruth Pérez López(Mexique)

Monique Coleman Nate Marshall

(États-Unis)

Noshan Abbas Khalida Brohi

(Pakistan)

Mila Zourleva(Bulgarie)

Josephat Gitonga(Kenya)

Carol Natukunda (Ouganda)

Barbara Mallinson (Afrique du Sud)

Serge Amisi (République

démocratique du Congo)

« À cinq ans de la date butoir de 2015, fixée pour la réalisation desObjectifs du Millénaire pour le développement, il est plus important quejamais d’encourager les jeunes à se consacrer à la création d’un monde plusjuste », avait écrit Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO, dans sonmessage à l’occasion du lancement de l’Année internationale de lajeunesse (août 2010 – août 2011) et de la Journée internationale de lajeunesse (12 août).

Proclamée par l'Assemblée générale des Nations Unies en décembre2009, cette Année internationale a été placée sous le signe du dialogueet de la compréhension mutuelle. Elle vise à promouvoir les idéaux depaix, de respect des droits de l'homme et de solidarité entre lesgénérations, les cultures, les religions et les civilisations.

Au cours de cette année, un grand nombre de jeunes se sont mis,en effet, à construire un monde plus juste, à commencer par le« printemps arabe ». D'un bout à l’autre du monde, ils ont élevé leursvoix pour réclamer une place dans l’avenir de leurs pays. Le 7e Forum des jeunes de l’UNESCO, qui aura lieudu 17 au 20 octobre 2011, leur donnera l’occasion de s’exprimer sur leurs expériences, d'exposer leurs projets, d'échanger leurs idées.

Depuis sa création, l’UNESCO porte porte aux jeunes un intérêt majeur. Son Programme sur la jeunesse vise à multiplier lesoccasions pour les jeunes de se voir confier plus de responsabilités et de faire reconnaître leur rôle dans la société. De février 2010 à février 2011, l’Organisation a coprésidé le Réseau inter-agences des Nations Unies pour le développement desjeunes, aux côtés du Programme des Nations Unies pour la jeunesse. À ce titre, l’UNESCO a participé à la coordination del’Année internationale de la jeunesse.

Année internationale de

la jeunesse 2010–2011

NOS AUTEURS

(Turquie)Selen Demir

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L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J U I L L E T S E P T E M B R E 2 0 1 1 . 3

CourrierLE

DE L’UNESCO JUILLETSEPTEMBRE 2011

64e année

2011 - n° 3

Le Courrier de l’UNESCO est actuellement un trimestriel

publié en sept langues par l’Organisation des Nations Unies

pour l’éducation, la science et la culture.

7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP, France

Abonnement gratuit à la version électronique :

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Directeur de la publication : Eric Falt

Rédactrice en chef : Jasmina Šopova

[email protected]

Secrétaire de rédaction : Katerina Markelova

[email protected]

Rédacteurs :

Anglais : Cathy Nolan

Arabe : Khaled Abu Hijleh

Chinois : Weiny Cauhape

Espagnol : Francisco Vicente-Sandoval

Français : Françoise Arnaud-Demir

Portugais : Ana Lúcia Guimarães

Russe : Irina Krivova

Stagiaire : Vanessa Merlin

Photos : Danica Bijeljac

Maquette : Baseline Arts Ltd, Oxford

Impression : UNESCO – CLD

Renseignements et droits de reproduction :

+ 33 (0)1 45 68 15 64 . [email protected]

Plateforme web : Chakir Piro et Van Dung Pham

Remerciements à : Mila Zourleva

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Unies, de même que les dénominations de pays ou de

territoires mentionnés.

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Organisation des Nations Unies

pour l’éducation la science et la culture

,

Éditorial – Irina Bokova, Directrice générale de l'UNESCO 5

CHANGER LE MONDE : COMMENT S’Y PRENNENT LES JEUNES

Les jeunes du monde : si différents et si semblables 7Entretien avec Monique Coleman par Katerina Markelova

Un acte de survie Emna Fitouri 9

Révolution mobile Entretien avec Gigi Ibrahim par Khaled Abu Hijleh 11

Le printemps des indignés Alfredo Trujillo Fernandez 13

Il était une fois la jeunesse... 15

La jeunesse tchèque a son mot à dire – Mathieu Ponnard 16

Obami, mon ami – Barbara Mallinson 18

Les armes miraculeuses de Serge Amisi 20Entretien réalisé par Selen Demir

Pris dans une spirale meurtrière – Mila Zourleva 22

Quand la poésie résonne plus fort qu’une bombe – Nate Marshall 23

Chacun rêve différemment, mais… 25Entretien croisé avec B. Shamieh, M. Twaalfhoven, I. Bratland et M. Shahinréalisé par I.J. Bührle et K. Abu Hijleh

JR, l’art et l’impossible – Jasmina Šopova 30

Patrimonito au Togo – Katerina Markelova 31

Des merveilles de créativité – Silvia Bellón et Pierre Arlaud 32

Le sport : juste un point de départ 33

Jeux olympiques de la jeunesse 33

Étoiles au clair de lune – Carol Natukunda 34

La jeune sughar du Balouchistan – Noshan Abbas rencontre 36Khalida Brohi

Une révolution qui ne dit pas son nom – Hiroki Yanagisawa 39

Rebelles et pour cause – Jens Lubbadeh 40

C’est ça ou rien – Zhao Ying 44

La vie à vélo – Ruth Pérez López 46

Archi écolo – Carlos Bartesaghi Koc 48

NOTRE INVITÉ

La révolution : un haut fait de civilisation 50Entretien avec Khaled Youssef par Khaled Abu Hijleh

REPÈRES

L’UNESCO accueille 53Hillary Clinton, Ban Ki-moon, Shashi Tharoor, Forest Whitaker...

« Mordabella »,

techniques

mixtes, 2009.

Œuvre de

Ghassan

Halwani, artiste

plasticien

libanais.

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4 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J U I L L E T S E P T E M B R E 2 0 1 1

Dans ce numéro « On n’est pas obligé de vouloirtransformer la planète, il suffit devouloir changer les choses qui ne vontpas, là où on se trouve », déclare l’actriceet chanteuse américaine MoniqueColeman, nommée championne de lajeunesse des Nations Unies, à l’occasionde l’Année internationale de la jeunesse2010–2011 (pp. 7-8). C’est précisémentainsi que les jeunes s’y prennent pourchanger les choses qui ne vont pas.

Début 2011, ils se sont révoltéscontre les régimes politiques envigueur, d’abord en Tunisie (pp. 9-10),puis en Égypte (pp. 11-12), donnant unebonne leçon de démocratie au reste dumonde. À l’aide des réseaux sociaux, lemouvement a gagné d’autres pays de larégion, réveillant aussi des payseuropéens comme l’Espagne (pp. 13-14).Leurs outils, leurs slogans, leurs objectifssont quasiment partout les mêmes. Ilsse battent pour un travail, pour la justicesociale, la gratuité de l’éducation et dela santé, la liberté d’expression, maisaussi et surtout, pour la démocratie. Lesnouvelles saisissantes du « printemps

arabe » se sont répandues à travers laplanète, l’érigeant en symbole d’unerévolution pacifique menée par lesjeunes.

Ailleurs dans le monde, les jeunes semobilisent par d’autres moyens, commeces étudiants tchèques qui ont décidé de« se mêler » des affaires de leur pays(pp. 16-17) ou cette entrepreneuse sud-africaine qui a créé un réseau socialdestiné aux écoles défavorisées(pp 18-19), sans oublier ceux qui nedésespèrent pas de gagner la guerrecontre le racisme, la xénophobie, lesdiscriminations et les conflits grâce aux« armes miraculeuses » de l’art (pp. 21-30).

S’il est un dénominateur commun àtoutes ces initiatives, c’est bien lasolidarité, illustrée également par lesactions des jeunes volontaires, scouts etsportifs (pp. 31-33), mais aussi par leshistoires bouleversantes des « étoiles »ougandaises (pp. 34-35) et d’une jeunesughar pakistanaise (pp . 36-38). Quant àla jeunesse japonaise, qui a fait preuved’une grande générosité lors de lacatastrophe naturelle de mars 2011, elle

a enclenché un changement radical dusystème de valeurs fondé sur lacroissance économique (pp. 39-40).

Enfin, on ne s’en étonnera pas,l’avenir de l’environnement est un autrechantier privilégié des jeunes. Trèssensibles à la question duréchauffement climatique, les nouvellesgénérations livrent parfois de véritablesbatailles contre différentes formesd‘immobilisme écologique. De l’Unioneuropéenne à la Chine, en passant par leMexique et le Pérou (pp. 40-49), desmilliers de jeunes mettent leurscompétences en tous genres au serviced’une planète plus saine.

Pour clore ce dossier, réaliséexclusivement par de jeunes auteurs,nous avons invité le cinéaste égyptienKhaled Youssef à porter son regard sur le« printemps arabe » (pp. 50-52). Il nouslivre sa vision des événements qui ontbouleversé son pays au début de l’année2011 et de leurs conséquences surl’échiquier des arts et de la société, maisaussi de la politique internationale. �Jasmina Šopova

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Ils sont plus d’un milliard, ils vivent pour laplupart dans les pays en développement. Lapopulation mondiale âgée de 15 à 24 ansreprésente plus d’un milliard d’espoirs pour unavenir meilleur, plus d’un milliard d’idées pourchanger le monde de manière constructive, plusd’un milliard de réponses potentielles aux défisde notre temps. Diplômés ou non, libres oudécidés à l’être, les jeunes réinventent la culture,ils se saisissent des nouveaux médias, ilsrenouvellent la manière d’être ensemble.Pourtant, rares sont ceux qui connaissentl’insouciance de la jeunesse. L’immense majoritédoit construire sa vie en luttant au quotidiencontre les obstacles de la pauvreté, du chômage,du changement climatique, de l’accès restreint àl’éducation ou aux soins médicaux. Commentpeser pleinement sur l’avenir, lorsqu’on est excludes processus de décision ? C’est à nous de lesaider, de les soutenir dans leurs ambitions, enmettant à leur disposition les ressourcesimmenses de l’éducation, des sciences, de laculture, de la communication et de l’information.

Le souffle historique du « printemps arabe » amontré de façon puissante et inattendue lacapacité de la jeunesse à élargir le champ despossibles. L’année 2011, proclamée par lesNations Unies Année internationale de lajeunesse (août 2010 - août 2011), restera dans lesmémoires comme celle où la jeunesse a choisi dereprendre le flambeau de la dignité humaine.

Notre Organisation s’est immédiatementmobilisée pour accompagner la transformationde ces sociétés à un tournant de leur histoire.

L’UNESCO intervient en Tunisie et en Égypte pourformer des journalistes, distribuer du matérielpédagogique, aider à renforcer la libertéd’expression et la réforme du secteur des médias,en vue des prochaines élections. Je me suisrendue sur place, au Caire, pour entendre lesbesoins et renforcer l’intervention de l’UNESCOdans ses domaines de compétences. Lacélébration de la Journée mondiale de la libertéde la presse, le 3 mai à Tunis, co-organisée parl’UNESCO, a libéré la parole et donné l’occasiond’un large débat sur les thèmes portés par lajeunesse, comme le rôle de l’internet et desréseaux sociaux dans la lutte contre la censure.En juin dernier, l’UNESCO a été la première àlancer en Égypte une série de séminaires de librediscussion sur l’engagement civique et ladémocratie.

La culture est un socle sur lequel édifier lanouvelle société démocratique. Les jeunesÉgyptiens s’y sont montrés particulièrementsensibles, en formant spontanément, pendantles manifestations, une chaîne humaine autourde la Bibliothèque d’Alexandrie pour la protégerdes pilleurs. Cette conscience de la jeunesse, lamaturité collective dont elle a fait preuve,l’UNESCO veut l’encourager et l’accompagner surle long terme, grâce à l’initiative « YouthHeritage », qui permet aux héritiers d’unpatrimoine unique de s’imprégner des valeursmillénaires qu’il véhicule et de s’en servir commevecteur de cohésion sociale et d’innovation.

Dans le même esprit, je lancerai uneimportante initiative, « Patrimoine et dialogue »,

L Scène de « Silent

Evolution » (évolution

silencieuse), installation

sous-marine de l’artiste

britannique Jason

deCaires Taylor,

présentée lors de la

Conférence mondiale

sur les changements

climatiques à Cancún au

Mexique (COP16) en

2010. De jeunes

plongeurs se joignent

aux statues immergées

pour évoquer l'une des

menaces du

changement climatique :

l’élévation du niveau de

la mer.

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I Lors de sa première visite

officielle en Croatie, les 21 et

22 mai 2011, la Directrice

générale de l’UNESCO a

ouvert, à Poreč, le premier

Forum de la jeunesse du Sud-

Est européen sur le

patrimoine mondial. Irina

Bokova (en veste blanche) a

marqué ainsi la célébration

de l'Année internationale de

la jeunesse 2010–2011. © U

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ÉditorialIrina Bokova

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lors du prochain Sommet des chefs d’États duSud-Est européen, à Belgrade, en septembre2011. La capitale serbe fut le théâtre d’unerévolution décisive pour l’avènement de ladémocratie dans la région, menée par les jeunesserbes du mouvement Otpor (Résistance), et quiprovoqua la chute du régime du présidentSlobodan Milošević. Plus de 10 ans après cetévénement, alors que la région continued’avancer sur le chemin de la réconciliation et dela démocratie, l’UNESCO veut donner aux jeunesles moyens de leurs ambitions, et mobilise toutesles forces de la culture pour les aider à donnerforme à leurs projets, au service du dialogue etdu respect mutuels. C’est l’objectif principal denotre Programme d’éducation des jeunes aupatrimoine mondial.

L’UNESCO a été la première agence de l’ONUà définir et à développer des programmesadressés spécifiquement aux jeunes. Dès la fin dela Seconde Guerre mondiale, l’UNESCO était déjàimpliquée dans l’organisation de camps deJeunes volontaires internationaux pour aider à lareconstruction de l’Europe. Aujourd’hui, c’est enassurant la qualité de l’éducation pour tous, enaméliorant la protection des élèves et des écolesdans les zones de conflits, en renforçant lesmoyens de la formation professionnelle, quenous créerons les conditions d’un avenir meilleur.C’est aussi en aidant à tisser des liens entre lesdifférentes jeunesses du monde, autour desvaleurs partagées des droits de l’homme. C’estdans ce sens que notre Organisation vient deproduire un court métrage réalisé avec des

6 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J U I L L E T S E P T E M B R E 2 0 1 1

« Dans la noblesse

de votre esprit,

dans l’exubérance

de votre jeunesse,

dans la qualité

de vos relations,

dans l’idéalisme

honnête que vous

possédez,

dans le

dévouement à

notre humanité

commune que

vous apportez...

… Je trouve

l’espoir de

maîtriser les défis

de la transition

à venir,

de compléter

la révolution

que vous avez

entamée et

de construire

la meilleure

Égypte que vos

actions ont

rendue possible ».

Ismail Serageldin,

Directeur de la

Bibliothèque

d’Alexandrie

Le 12 février 2011

K Graffiti représentant le poing emblématique du mouvement

des jeunes serbes Otpor (Résistance), qui a provoqué la chute du

régime du président Slobodan Milošević, en 2000. Ce symbole a

été repris par la jeunesse égyptienne révolutionnaire. La photo a

été prise le 8 avril 2011, dans la rue Mohammed Mahmoud, qui

mène à la place Tahrir, lieu principal du soulèvement de janvier

2011.

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gie

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ma

élèves d’écoles associées de l’UNESCO enAlbanie, en Azerbaïdjan, au Brésil, au BurkinaFaso, au Canada, en France, en Indonésie, auLiban, en Ouganda et en Républiquedominicaine. Les images de ces collégiens quis’expriment librement sur l’égalité entre les sexes,la diversité, la violence, l’exclusion, constituentun matériel pédagogique irremplaçable à ladisposition des écoles secondaires du mondeentier.

Partout dans le monde, la jeunesse est uneforce de progrès. Donnons-lui les moyens de sefaire entendre, de participer pleinement à la viepolitique et sociale, pour réveiller les conscienceset rouvrir les horizons bouchés. C’est l’objectif del’UNESCO à travers son Programme sur lajeunesse, qui soutient l’engagement citoyen etl’innovation sociale.

Une Commission dédiée à la Jeunesse estchargée d’animer la coopération entre l’UNESCOet les ONG. Cette commission composée dejeunes gens est impliquée dans la préparationdes Forums des Jeunes de l’UNESCO, rencontresinternationales biennale qui, depuis 1999,permettent de soumettre aux autoritésnationales les recommandations, les idées de lajeunesse et d’en assurer le suivi, en coopérationavec les gouvernements, la société civile et lesystème des Nations Unies. Cette année, le 7eForum des jeunes de l’UNESCO se tiendra du 17au 20 octobre 2011. Il offrira une formidableoccasion de donner la parole aux jeunes dumonde entier et de se mettre à l’écoute de leursbesoins et de leurs points de vue.

Les jeunes représentants des 193 Étatsmembres de l’UNESCO et de la société civileviendront débattre de la façon dont la jeunesseconduit le changement. La culture de la paix, labonne gouvernance et les opportunitéséconomiques seront examinées sous le prismede la participation des jeunes. Y passerontégalement au crible les réalisations et les leçonstirées de l’Année internationale de la Jeunesse, etnotamment les résultats de la Réunion de hautniveau sur la jeunesse, organisée par l’ONU enjuillet 2011.

Et pour donner aux jeunes un avant-goût decette rencontre, l’UNESCO lance dès le mois dejuillet une vaste campagne en ligne, pourrassembler leurs opinions et leur permettre deproposer des sujets qui leur tiennent à cœur. Lesrésultats de ces discussions enrichiront lesdébats du mois d’octobre.

L’UNESCO a toujours considéré les jeunescomme des partenaires essentiels dans lacréation d’un monde plus juste. L’appel de lajeunesse est toujours un appel à innover, àinventer. Chaque jour nous apporte de nouveauxexemples de cet élan positif. Je souhaite que ceCourrier de l’UNESCO donne à chacun l’inspirationet l’envie d’agir. Bonne lecture ! �

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J U I L L E T S E P T E M B R E 2 0 1 1 . 7

Vous avez été nommée championne de

la jeunesse en novembre 2010. Trois

mois plus tard vous êtes partie en

tournée mondiale. Dans quel but ?

La tournée poursuit des objectifs à lafois personnels et en rapport avecl’Année. Dans la vie, il y a un moment oùil faut sortir de son cocon, renoncer àson environnement familier pour allervoir du nouveau à travers le regard desautres. Aux États-Unis, j’ai l’impressiond’avoir une vision étriquée du reste dumonde. En tant que championne de lajeunesse, et en tant qu’être humain, jen’aurais jamais pu parler de la pauvretési je ne l’avais pas vue de mes propresyeux, ni parler de l’inventivité incroyabledes jeunes, sans les avoir rencontrés.

jeunes du mondesi différents et si semblables

Championne de la jeunesse

des Nations Unies, l’actrice et

chanteuse américaine

Monique Coleman, 31 ans, est

chargée de sensibiliser le

public sur le dialogue et la

compréhension mutuelle,

thèmes principaux de l’Année

internationale de la jeunesse

(août 2010-août 2011). Et elle

compte bien aller au-delà des

déclarations, pour donner

réellement la parole aux

jeunes, et leur permettre

d’exprimer leurs idées et leurs

opinions.

MONIQUE COLEMAN répond aux questions de Katerina Markelova

Année internationale de la jeunesse 2010-2011 :http://www.un.org/fr/events/youth2010

K Avril 2011: un moment de convivialité lors de la tournée de Monique Coleman en Inde.

Galerie de photos du talk-show « Gimme MO ».

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« On n’est pas obligé de vouloir

transformer la planète, il suffit de

vouloir changer les choses qui ne

vont pas là où on se trouve. »

Page 8: Changer le monde: comment s'y prennent les jeunes; The UNESCO ...

Les jeunes ont été au premier plan dans

les insurrections arabes. Cela a-t-il

changé votre regard sur votre mission ?

La première étape de ma tournée devaitme conduire en Tunisie, mais c’estprécisément le jour où je comptais partirque les troubles ont éclaté, et pour desraisons de sécurité, nous avons modifiél’itinéraire. Une de mes missions lors decette tournée est d’essayer de faire parlerdes problèmes avant qu’ils nes’enveniment et ne provoquent dessoulèvements.

Les jeunes se rebellent nonseulement parce que leur vie n’a été quesouffrance, mais aussi parce que celle deleurs parents et de leurs familles n’ontété que souffrance, guerres et supplices.Ce ne sont pas des destructeurs. On nepeut pas leur en vouloir d’agir comme ilsle font, mais ils doivent comprendre quela lutte pacifique est le meilleurmoyen d’atteindre ses objectifs.J’ai trois modèles, que je leurrappelle sans cesse : Martin LutherKing, Gandhi et Nelson Mandela.

En février dernier, j’étais auxPhilippines, le jour où on acommémoré le 25e anniversairede la révolution pacifique quiavait renversé le régime en place[la dictature de Marcos]. Hommes,femmes (y compris les femmesenceintes), enfants… touss’étaient soulevés dans un mêmebut. Et il n’y a pas eu de victime.C’est le genre de révolution quej’aimerais encourager.

Dans votre talk-show « Gimme

MO » disponible uniquement en

ligne, vous mettez l’accent sur le

formidable pouvoir d’expression

que donne internet à la jeunesse.

« Gimme MO » est effectivementune plateforme destinée auxjeunes, où ils peuvent échangerdes idées sur des choses qu’on atendance à passer sous silence ouqu’on aborde sous un angledifférent. Je réalise aussi des interviewsde célébrités, de savants, de personnesque j’ai rencontrées... Le principalobjectif de ce talk-show, c’est de montreraux jeunes que les gens qu’ils admirentne sont pas si différents d’eux, dans lefond. Mais aussi de casser lesstéréotypes. En Australie, j’ai interviewéune jeune réfugiée musulmane qui vitdans un HLM à Melbourne. Elle a 21 ans,porte le voile et rejette totalement le

cliché selon lequel les femmesmusulmanes sont opprimées et n’ontpas voix au chapitre.

Justement, les jeunes que vous

rencontrez au cours de votre tournée,

sont-ils partout les mêmes ou bien

diffèrent-ils d’un pays à l’autre ?

En fait, les jeunes se ressemblenténormément entre eux (rire) ! La vraiedifférence, c’est que dans les pays endéveloppement, les jeunes sont trèssensibilisés aux problèmes mondiaux.Forcément : ils y sont directementconfrontés, ils butent dessus dès qu’ilssortent de chez eux pour aller à l’école.Alors que dans les pays développés, ilssont généralement moins avertis de cequi se passe ailleurs dans le monde. Ilssont plutôt obnubilés par leurs petiteshistoires personnelles.

8 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J U I L L E T S E P T E M B R E 2 0 1 1

Quelles sont les questions les plus

brûlantes que posent les jeunes ?

Dans un pays comme l’Australie, ce quicompte pour les jeunes, c’est de gagnerde l’estime de soi, de s'accepter. Le grosproblème dans ce pays est le taux desuicides des jeunes.

Mais, dans un pays comme leBangladesh, c’est en quelque sortel’opposé ! Je me souviens de cette phrasequ’un étudiant m’avait lancée :« Comment veux-tu ouvrir les yeux auxgens des pays développés ? Ils veulenten finir avec la vie, alors qu’ici nousluttons pour survivre. » Ça disait tout.

Ce qui ne change pas, d’un pays àl’autre, c’est que chaque jeune cherche àtrouver sa place dans le monde. Je fais demon mieux pour leur expliquer que lespossibilités sont illimitées, et convaincrechacun d’eux de toute la valeur et de

tout le potentiel qu’il a,indépendamment de ce qu’il est,de sa classe sociale, de sa religion,du fait qu’il soit privilégié oudéfavorisé. Nous avons tous desobstacles à franchir, et c’est ànous-mêmes de le faire, tout ennous entraidant.

On n’est pas obligé de vouloirtransformer la planète, il suffit devouloir changer les choses qui nevont pas, là où on se trouve. Parceque si chacun s’occupe deproposer des solutions auxproblèmes de son côté, à noustous, on finira par changer lemonde entier.

Lorsque l’Année sera terminée,

pensez-vous continuer à soutenir

les jeunes à travers le monde ?

Absolument, ce que je fais n’estque le début ! Je comptem’investir bien plus encore dans« Gimme MO », pour que çadevienne une plateformetélévisée, et un site interactifpourvu de toutes les technologiesnouvelles. Dans ma carrière

d'actrice, je compte mettre à profit lespectacle, qui est un moyen formidablede faire passer des messages. Souvent,quand je demande aux gens pourquoi ilsse sont engagés, pourquoi ils ont intégréune organisation, ou se sont pris depassion pour une cause, ils me parlentd’un livre ou d’une chanson ou d’unfilm ! J’aimerais donc continuer à meservir de l’art pour créer de nouvellessources d’inspiration. �

L Poster de « Gimme MO », plateforme conçue par

Monique Coleman pour les jeunes.

« Les jeunes se rebellent non

seulement parce que leur vie n’a

été que souffrance, mais aussi

parce que celle de leurs parents et

de leurs familles n’ont été que

souffrance, guerres, supplices... »

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Page 9: Changer le monde: comment s'y prennent les jeunes; The UNESCO ...

Un acte de survieLe 10 janvier 2011, j’ai appris surFacebook que les gens s’apprêtaient àmanifester à Tunis. Avec mes camaradesde classe, nous nous sommes donnérendez-vous le 14 janvier devant leministère de l’Intérieur. Nous avonsmanifesté pendant trois jours, surl’avenue Habib Bourguiba et sur la placede la Kasbah, au cœur de la ville. Nousnous sommes organisés via Facebook,comme la plupart des jeunes Tunisiens.C’est ce qui a fait dire à de nombreuxcommentateurs que notre révolutionétait une « révolution Facebook ».Définition réductrice, à mon sens, car laréalité est beaucoup plus complexe. Enfait, les réseaux sociaux n’ont été qu’unoutil dont les jeunes se sont saisi pourse mobiliser, pour déclencher latransformation de la société, le combatcontre le chômage et d’autres formes

d’humiliations, la revendication durespect des droits de l’homme et de ladignité humaine.

Cela dit, il ne faut pas non plusminimiser le rôle d’internet, qui s’estavéré être un formidable instrument dedémocratisation des pays arabes et quipermet de refléter la diversité de leurspaysages politiques et culturels. Et quiest une arme redoutable contre lacensure. Personne ne pourra désormaisdire : « Je suis l’unique maître. Je dominela scène ». L’internet l’en empêchera, enouvrant son espace à des débatsconstructifs. Il nous permettra aussid’apprendre ce que débat veut dire.

L’avant-dernière révolution enTunisie avait accouché d’une « dictaturerévolutionnaire », dont on connaît lesrésultats. Aujourd’hui, nous participonsà une « révolution civilisée », une

J Scène de la révolution tunisienne, Tunis, fin

janvier 2011.

révolution sans violence, qui estappelée à déboucher sur unedémocratie.

Un bémol, néanmoins : on insistebeaucoup dans la presse et dans lesanalyses sur le caractère « pacifique » decette révolution, parce que les jeunessont sortis désarmés dans les rues. Maisil faudrait manier ce terme avecprécaution. Pacifique, pour qui ? Pourles gens qui ont passé des jours et desjours, tapis dans la peur, à écouter lescartouches siffler ? Pour les soldats et lespoliciers tiraillés entre leur devoirprofessionnel et leurs convictionspersonnelles ? Pour les jeunesmanifestants qui n’avaient jamais vuautant de sang couler ? L’enfer quenous avons traversé n’est peut-être pasaussi meurtrier que celui de nos frèreslibyens, yéménites ou syriens, il n’en

Le soulèvement de la

jeunesse tunisienne en

janvier 2011 représente aux

yeux de l’étudiante Emna

Fitouri plus qu’une

révolution : c’était une

question de vie ou de mort

pour une jeunesse au bord

de l’asphyxie. Dans ce

témoignage, Emna recadre

le rôle joué par internet

dans le soulèvement,

évoque quelques-unes des

raisons profondes de la

révolte et raconte sa

traversée de l’enfer.

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EMNA FITOURI

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reste pas moins que nous avons vécudes moments terribles.

J’ai vu des morts, j’étais tétanisée, j’aiperdu connaissance à force de respirerles gaz lacrymogènes… À la Kasbah deTunis, des gens de Sidi Bouzid - la villeoù Mohamed Bouazizi s'est immolé parle feu le 4 janvier, déclenchant larévolution - affluaient par centaines,pour se joindre aux manifestants de lacapitale. Certains venaient avec femmeset enfants. Ils avaient froid, ils avaientfaim, ils souffraient. Avec les scouts, jeleur ai apporté de la nourriture et descouvertures, j’ai assisté le médecin chefdu service médical des scouts.

Et surtout, j’ai crié. Pendant desjours. J’ai crié « DÉGAGE » de toutes mesforces, jusqu’à ce que Ben Ali s'en aille.Je voulais mettre fin à un régime dontles jeunes étaient devenus les victimesles plus fragiles.

Au lieu d’être le moteur del’économie nationale, nous étions sonbouc émissaire. C’est ce qui expliqueque nous, les jeunes, avons été lespremiers à nous soulever. En fait, nousétions piégés. D’une part, nous

recevions une éducation qui passe pourune des meilleures sur le continentafricain, mais qui, en réalité, n'est pasadaptée aux besoins d’un marché enconstante évolution. D’autre part, lerégime ne nous permettait pasd’accéder à un emploi et de le garder. Laformation continue, permettant auxemployés de mettre à jour leursconnaissances, n’existe pas en Tunisie.Dans le domaine de l’informatique, parexemple, lorsque les technologiesévoluent, les entreprises changent leursingénieurs et techniciens ! La précaritéde l’emploi est un fléau tout aussi lourdque l’impossibilité de trouver du travailpour les jeunes diplômés. Je medemande s’il existe une famille dans lepays qui n’abrite pas au moins un jeunediplômé sans travail.

Bref, le système éducatif instable etla politique économique extrêmementcynique avaient fait de nous unejeunesse désabusée, exploitée,asphyxiée. Nos premiers soulèvementsont été des actes de survie. Nos futuresactions s’inscriront dans une démarchede construction d’un nouveau pays. �

Emna Fitouri, Tunisienne de 21ans,

est en deuxième année d’études de

français à l’Institut préparatoire aux

études littéraires et de sciences

humaines de Tunis. Elle est aussi

cheftaine chez les scouts de Hammam

Lif, dans la banlieue sud de Tunis.

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K Vox populi. Tunis, le 27 janvier 2011.

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L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J U I L L E T S E P T E M B R E 2 0 1 1 . 1 1

Entre 2000 et 2008, vous avez vécu aux

États-Unis. Vous êtes rentrée en Égypte à

l’âge de 22 ans et vous vous êtes aussitôt

engagée sur le plan sociopolitique.

Militiez-vous avant ?

Oui, je militais aux États-Unis,essentiellement au niveau local, entreautres contre les lois sur l’immigration. J’aifait partie d’un groupe de défense desdroits des immigrés clandestins, face auxpressions exercées par la police en faveurde lois à base discriminatoire. J’ai aussi

beaucoup soutenu la causepalestinienne. Partout où il y a unemanifestation ou un appel contre laguerre, je le soutiendrai à coup sûr.

Mais pour être honnête, j’étais loin dem’intéresser à ce qui se passait en Égypteà l’époque, m’y rendant rarement. Ayantvécu à l’étranger de 14 à 22 ans, je n’ensavais pas suffisamment sur la situationintérieure. Je ne connaissais pas lemouvement d’opposition égyptien,totalement passé sous silence dans les

grands médias. Si bien qu’à moins devivre sur place et d’en faire partie, on nesavait rien. Même les gens vivant àproximité n’en entendaient pas parler.Seuls les militants proches, la presse et laclasse politique savaient ce qui se passait.

Je suis entrée en contact avec lesmilitants égyptiens pour la première foislorsque je suis rentrée des États-Unis, en

GIGI IBRAHIM répond aux questions de Khaled Abu Hijleh

Vous pouvez suivre Gigi Ibrahim surhttp://twitter.com/Gsquare86

Dans le feu de la révolution égyptienne de janvier 2011, une jeune fille mobilise les foules

sur Facebook et Twitter, informe les internautes à travers le monde, organise des

rassemblements dans les rues, agite des banderoles… le téléphone mobile toujours à

portée de main. Gigi Ibrahim, 24 ans, incarne le modèle de la révolutionnaire arabe

« génération high-tech ». Ses compatriotes descendus dans la rue n’avaient pas tous un

ordinateur chez eux, loin de là. Et pourtant les médias sociaux ont joué un rôle crucial dans

l’organisation de cet épisode historique qui est en train de changer la face du monde, pas

seulement celle du monde arabe.

Révolutionmobile

La jeune militante égyptienne Gigi Ibrahim, 24 ans,

lors de la révolution égyptienne de 2011.

© Al Jazeera English

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1 2 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J U I L L E T S E P T E M B R E 2 0 1 1

2008. Je me suis alors inscrite à un coursqui portait sur la mobilisation socialesous un régime autoritaire, à l’Universitéaméricaine du Caire. J’ai commencé desétudes en sciences politiques et j’aiparticipé aux manifestations de 2009-2010, où j’ai rencontré de nombreuxmilitants. C’est là que j’ai commencé àmiliter au sein du groupe des Socialistesrévolutionnaires.

On a commencé à une centaine, eton s’est retrouvés des milliers et desmilliers à crier des slogans hostiles aurégime. Ça n’arrêtait pas, la fouletoujours plus nombreuse déferlait sur laplace Tahrir, au centre de la ville.

Arrivés là, nous nous sommes mis àlancer les mêmes slogans que lesTunisiens : « Le peuple veut unchangement de régime ! ». Ce n’était pasnécessairement prévu, et pourtant nousespérions que ça se produise.

Parfois, on se laissait aller àplaisanter : « Eh, on prépare unerévolution sur Facebook ! » Personnen’imaginait que les choses tourneraientcomme elles l’ont fait. Et c’est heureux,parce les gens en avaient assez etl’oppression était telle qu’ils auraient faitn’importe quoi pour obtenir la liberté.

Quel rôle ont joué les médias sociaux

et le journalisme citoyen exercé par les

jeunes dans ces événements d’Égypte ?

Les réseaux sociaux ont joué un rôle depremier plan avant les événements. Cen’est pas là que s’est faite la révolution,mais c’est grâce à eux que nous avonspu communiquer.

Lorsque vous vivez sous un régimeautoritaire, toute information transmise,tout organe de presse, tout média revêtune importance cruciale. Le journalismecitoyen devient alors du militantisme.Faire sortir la vérité, donnerl’information sur des sujets que l’Étatcherchait à censurer, c’était capital.

C’était notre seul moyen, avant larévolution, d’exposer et d’expliquer cequi se passait sur le terrain. Beaucoupde gens ne savaient absolument riendes manifestations et des grèves encours. Ce n’est que grâce aux réseauxsociaux que les médias indépendants etla presse internationale, comme AlJazeera, ont pu être informés. Ce n’estque grâce à eux, qu’on a pu dénoncerles cas de torture dans lescommissariats. Beaucoup ont fait l’objetde vidéos prises avec des téléphonesportables. Toutes ces exactions ont étésorties au grand jour par l’intermédiairede Flickr, de Facebook et de Twitter, quiéchappaient totalement à la censure,jusqu’à ce que le gouvernement aitcommencé d’en interdire l’accès.

Il faut savoir que les gens qui sontdescendus dans la rue, qui ont fait larévolution, n’avaient pas tous accès àdes outils comme Facebook ou Twitter,ni même à un ordinateur. Ils sont sortis

dans la rue et ont risqué leur vie pourobtenir des services de santé et unsystème éducatif dignes de ce nom,pour que leurs enfants aient un avenirmeilleur. Mais même si cesrévolutionnaires ignoraient les outilsinformatiques, les réseaux sociaux ontjoué un rôle essentiel pour latransmission de l’information et lamobilisation.

En tant que jeune femme arabe, ne

trouvez-vous pas que la participation

des femmes égyptiennes au

soulèvement du 25 janvier ouvre une

brèche dans les traditions ?

Je ne suis pas d’accord ! Les femmes onttoujours été de toutes les mobilisationset de toutes les révolutions, au Moyen-Orient comme ailleurs.

Cette fois-ci, en Égypte, elles ont faitgrève, elles ont crié des slogans, ellesont manifesté, elles ont elles aussi subiles arrestations et la torture. Dans ceque j’ai vécu du soulèvement égyptien,il n’y avait aucune différence entre leshommes et les femmes.

Évidemment, les femmes se battentaussi pour leurs droits en tant quefemmes. Et là, on leur rétorque que cen’est pas le bon moment ! Mais alors,c’est quand le bon moment ?* Cela n’estpas propre au Moyen-Orient : aux États-Unis, au Royaume-Uni, partout dans lemonde, les femmes se battent aussipour leurs droits.

Pensez-vous que d’autres jeunes

pourraient s’inspirer de ce modèle

populaire et non violent pour amener

le changement dans d’autres pays ?

Nous avons déjà assisté à desmouvements de jeunes similaires, nonseulement dans la région, mais aussiailleurs. Il y a eu de grossesmanifestations à Londres le 26 marsdernier. Elles reprenaient des banderoleset des slogans comparables à ceux desÉgyptiens. Le monde arabe est toujoursstéréotypé comme une régionrétrograde et violente, un foyer duterrorisme. Cette fois-ci, le monde arabedonne l’exemple d’une démocratieinstaurée par le bas et de changementsprovoqués par un mouvement populaireet pacifique. �

* À ce sujet, lire notre article « Maintenant oujamais » sur les manifestations des Italiennes du 13 février dernier, dans le numéro avril-juin 2011,« Femmes à la conquête de nouveaux espaces deliberté ».

Quelle part avez-vous prise dans la

grande marche du 25 janvier 2011 ?

Je faisais partie de la poignée degroupes politiques qui ont appelé aurassemblement du 25 janvier. Nousnous sommes entendus sur l’heure, lelieu et le contenu des revendications. Laprincipale était en fait l’arrestation deHabib al-Adly, le ministre de l’Intérieur.Nous l’exigions depuis que le jeuneinternaute Khaled Saïd avait été torturéà mort le 6 juin 2010. Nous exigionsaussi la dissolution du parlement, élu àla fin de 2010, et nous demandions lamise en place d’un salaire minimum.Sortir dans la rue était notre façon deporter ces revendications sur le frontpopulaire.

Après le soulèvement tunisien, lespeuples arabes ont commencé à croireau pouvoir de la rue, à la possibilitéd’une révolution pacifique. C’est ladémarche que nous avons suivie nousaussi : transformer un mouvementsocial de jeunes et de groupespolitiques en un véritable mouvementpopulaire, aux revendications à la foispolitiques et économiques.

L Le téléphone portable est devenu un outil essentiel

de lutte pour la démocratie en Égypte.

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J U I L L E T S E P T E M B R E 2 0 1 1 . 1 3

Depuis le 15 mai, l’Espagne vit dans un climat de manifestations et de protestations qui a

surpris une bonne part de l’opinion publique mondiale. Devant ce « Movimiento 15-M » – ou

plus simplement ces « indignés » – on reste perplexe : que peuvent-ils bien vouloir ? L’Espagne

n’est-elle pas un pays avancé et démocratique, sans commune mesure avec la Tunisie ou

l’Égypte ? À bien y regarder, pourtant, on s’aperçoit que nombre d’Espagnols pensent qu’ils

ne parviennent pas à faire entendre leur voix et que le système établi leur refuse tout

simplement un avenir. C’est pour cet avenir que les jeunes ont décidé de se battre.

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ALFREDO TRUJILLO FERNANDEZ

Le printemps

La protestation a éclaté spontanément.« Personne n’a rien vu venir », reconnaîtCristóbal Ramírez, journaliste madrilènede 27 ans, né à Cadix. Tout a commencéle 15 mai, par une manifestationorganisée à Madrid à l’appel descollectifs Democracia Real Ya (La vraiedémocratie maintenant) et Jovenes SinFuturo (Jeunes sans avenir). Ensuite, on ainstallé des tentes, et elles ont fleuri àtravers tout le pays. Au fil des jours, lesmanifestants, qui se sont fait appeler « lesindignés », ont vu leur population,essentiellement juvénile, se gonfler deretraités, de travailleurs de tout poil, deménagères, de papis traînant leurs petits-fils et de familles chargées de bambins.

Cette indignation est, à l’évidence, lepur produit de la grave crise économiquequi frappe le pays. L’Espagne affiche untaux de chômage record pour l’Europeoccidentale : 20,6 % au premier trimestrede 2011. Chez les jeunes, à 44,3 %, ilatteint des sommets. En 2007, avant lacrise, le pays ne comptait que 8,3 % dechômeurs.

Il y avait pourtant eu, durant lesannées de prospérité économique,

J « Printemps », collage et gouaches, 2011. Cette

œuvre de Slobodan K. Bijeljac, peintre français

originaire de Bosnie-Herzégovine, a été créée

spécialement pour ce numéro du Courrier de

l’UNESCO.

Visitez son site : http://bijeljac2.free.fr/

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1 4 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J U I L L E T S E P T E M B R E 2 0 1 1

réelle, plus participative », conclut cejournaliste free-lance. Olivia Waters, uneanglaise de 27 ans qui vit depuis cinqans dans la capitale et arpente chaquejour la forêt de tentes et de bâches qui apoussé en son cœur, renchérit : « Je suischoquée de voir à quel point les citoyensde ce pays sont dans l’impossibilité de sefaire entendre. Pour moi, ils veulent toutsimplement être écoutés, considérés... »

Vitor Peiteado, politologue de 32 ansoriginaire de La Corogne, voit dans cedéferlement de colère « une réactiond’indignation devant une crise dont lestravailleurs ne sont aucunementresponsables, alors que ce sont eux qui,bizarrement, en payent lesconséquences ». Vitor, qui, comme descentaines d’autres jeunes Espagnols cesdeux dernières années, a dû partir àl’étranger à la recherche d’opportunitéset d’un salaire que ne lui offre pas sonpays, se réjouit de ce qui se passe : « Pourla première fois, les gens se disent que leproblème est à chercher dans le systèmelui-même, et que cette démocratie oùl’on ne vous convoque aux urnes quetous les quatre ans, autant que lesystème économique en place, nemarche pas. »

Miriam souligne elle aussi qu’il s’agitsurtout d’obtenir « une meilleureparticipation des citoyens, qui pourraitêtre encouragée grâce aux nouvellestechnologies ». Partout, dans lesassemblées et les débats quis’organisent, on répète aussi que lesresponsables politiques doiventreprésenter les intérêts des citoyens, nonceux des banques et des grandesentreprises. Le mouvement a d’ailleursmis son point d’honneur à tenir les partiset les syndicats traditionnels en margede la protestation, renforçant soncaractère populaire, citoyen et, en unsens, « anti-système ».

L’avenir nous le dira

Mais ni les objectifs du mouvement, niles moyens de les atteindre, ne sontformulés clairement. Pour Miriam, c’est

que le processus en est encore au stadeembryonnaire. « La question des moyensest en gestation. On est dans la phase deprise de conscience qu’il faut changer leschoses, la phase de réflexion. En parlant,en débattant, on arrivera à ce qu’il fautfaire », explique la jeune femme.Cristóbal pense qu’il s’agit de changer unsystème qui, actuellement, « ne s’attaquepas aux difficultés des plus modestes ».Vitor reconnaît que beaucoup d’idéessont encore « très générales » et que lesexigences restent « vagues ». Mais,ajoute-t-il, « c’est la première fois, enquasiment un demi-siècle, qu’unmouvement aussi massif met en doute lalégitimité de la démocratie libéralefondée sur la partitocratie ». Olivia penseque l’absence de définition et de clartéest le reflet de la crise elle-même et del’énormité du problème auquel estconfrontée l’Espagne, et, conclut-elle : « Ily a tellement de problèmes à résoudrequ’on ne sait pas par où commencer ».

Il est possible, en un sens, que cemanque de définition soit l’ébauche d’unmouvement porteur d’objectifs clairs etd’une feuille de route nettement tracée.Et, qui sait, d’un exemple à suivre pourd’autres indignés, dans d’autres payseuropéens mis à genoux par la crise etavec la même vigueur démocratique quel’Espagne. Mais si l’élan des premièressemaines s’estompe, le Movimiento 15-Mpourrait se diluer dans les sables del’histoire, et aller grossir le catalogued’anecdotes de ce printempsd’espérance et d’indignation de 2011. �

quelques signes avant-coureurs d’ungrippage de la machine. En août 2005,dans une lettre au directeur publiée parle quotidien El País, une jeuneBarcelonaise avait lancé le mot« milleuriste ». Il dépeignait le jeuneEspagnol, bardé de diplômes,polyglotte, généralement titulaire d’unmastère, et gagnant péniblement lesmille euros mensuels – le stigmate detoute une génération qui, plus forméeque jamais, se sentait pourtantmaltraitée par le marché du travail etignorée du système.

En politique, avant et après la crisede 2008, ces dernières années ont étéémaillées de cas de corruptionimpliquant des représentants des partismajoritaires. Mais rares sont ceux quiont fini par répondre devant la justice.On ne s’étonnera donc pas que, dansune enquête réalisée en 2009 par leCentre de recherches sociologiques(CIS), six Espagnols sur dix aient estiméque la corruption politique était assezou très fréquente au niveau tant fédéralque local. Et que dans la même étude, lamajorité de la population ait avoué sonmanque de confiance dans la classepolitique et dans le système.

Crise économique, corruptionpolitique, perte de confiance dans lesystème démocratique : tels sont doncles principaux ingrédients du cocktailqui a conduit dans la rue des dizaines demilliers d’indignados à travers le pays.

Enfin, mon pays se réveille

Le 15 mai, Miriam Blanco, unetrentenaire madrilène, apprend que lapremière protestation se tient à la Puertadel Sol. « Enfin », pense-t-elle, « monpays se réveille ! ». Multi-diplômée,maîtrisant plus de quatre langues,Miriam siège depuis les premiers joursdans les comités qui se sont créés. « Ilsnous ont dit : c’est vous l’avenir. Maisnous ne sommes ni l’avenir, ni leprésent », s’anime-t-elle en tentantd’exposer les raisons de l’indignation.« Nous n’avons plus peur, nous n’avonsplus rien à perdre, puisque nous n’avonspas d’avenir, et nos enfants non plus »,ajoute-t-elle.

« Les gens sont à bout », noteCristóbal, qui, ces dernières semaines,s’est plusieurs fois joint auxrassemblements d’indignés de la Puertadel Sol. « Nous voulons un changementde système dans lequel le pouvoirprocède des citoyens, une démocratie

L Alfredo Trujillo Fernandez, journaliste espagnol de

31 ans, travaille actuellement dans l’équipe

rédactionnelle du web de l’UNESCO.

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C’est la première fois, en

quasiment un demi-siècle, qu’un

mouvement aussi massif met en

doute la légitimité de la

démocratie libérale fondée sur la

partitocratie.

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Un an après Mai 68,

Le Courrier de l’UNESCO

avait consacré un numéro à

la « Jeunesse 1969 »*, à

cette « jeunesse en colère »,

à cette « génération du refus

et de l’enthousiasme », au

« malaise de la jeunesse

dans différentes parties du

monde ». Par bien des

aspects, « les déchaînements

soudains de la jeunesse

contestataire » de 1968

ressemblent à ceux du

« printemps arabe » de

2011. Ces quelques extraits

de l’article « Aux prises avec

la société » nous en

convaincront.

Il était une fois la jeunesse…

L Quatrième de couverture du Courrier de l’UNESCO « Jeunesse 1969 », paru en avril de la même année.

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Le besoin d’absolu de la jeunesses'accommode moins que jamais desinjustices et du désordre du monde.René Maheu,

Directeur général de l’UNESCO

Le conflit le plus fondamentalqu'engendre l'avènement de la jeunesseau rang de collectivité constituée etdistincte, tient apparemment à lavolonté qu'ont les jeunes d'obtenir,dans la société, la situation et laconsidération auxquelles ils estimentavoir droit.

La jeunesse, que les moyensmodernes de communication mettent àmême de connaître les différentescultures sans considération defrontières, semble s'être constitué, àl'échelle mondiale, une sorte de cultureinternationale, spécifiquement jeune.

Ils souhaitent des rapports humainsplus francs, plus libres, plus fraternelsque ceux que nous leur offrons. Ilscraignent que l'ordre national etinternational dans lequel on les pousseà entrer ne comporte de gravesinjustices dont ils n'entendent pas sefaire les complices.

Les jeunes, en rébellion plus oumoins déclarée, ont manifesté leurréprobation de la ségrégation raciale […].Ils se sont insurgés contre leconformisme social, ont dénoncé lesmythes de la production pour laproduction, de la consommation pour laconsommation.

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* Ce numéro est disponible dans nos archives :

www/unesco.org/courier

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Ils s’appellent Jan, Jana et Jirka. Âgésd’une vingtaine d’années, ils ont tous étéactifs par le passé au sein d’ONG tchèquesliées à la jeunesse. Ils pouvaient alors faireentendre leurs voix sur différents sujets,que ce soit à l’intérieur même de leurorganisation, dans leur ville ou pourquoipas au niveau européen. Avant de serendre à l’évidence... Il leur étaitpratiquement impossible de semanifester au niveau national ! « On adonc décidé de faire changer les choses »,explique Jan Husak, 23 ans, étudiant enAffaires européennes à Brno, la deuxièmeville du pays, et coordinateur d’un projetné en 2010. « Jusque-là, seuls lesmembres actifs d’une institution commele Parlement national des enfants et de lajeunesse – donc des jeunes déjàimpliqués dans la vie démocratique –pouvaient donner leur avis », ajoute-t-il.Laissant tous les autres jeunes au bord dela route...

Certes, la jeunesse tchèque n’affrontepas les mêmes problèmes que celle d’unpays comme l’Ouganda, mais elle n’est paspour autant à l’abri de la discrimination.« Il y a eu quelques mauvaisesexpériences... », témoigne Jan. « Desjeunes ont fait circuler une pétition et ontmanifesté contre une décision qui les

La jeunessetchèquea son motà dire« Kecejme do toho ! » (Mêlons-nous en ! ) est un projet initié

par trois jeunes Tchèques. Leur but : donner à leurs

concitoyens de 16 à 26 ans l’opportunité d’exprimer un

point de vue sur des questions qui les concernent

directement. Un laboratoire d’idées et une réelle avancée

démocratique pour la jeunesse tchèque.

MATHIEU PONNARD

regardait directement, à savoirl’instauration d’un nouveau baccalauréatnational. Or, alors que la participation desjeunes est l’une des priorités de lapolitique de la jeunesse en Républiquetchèque, la classe politique n’a même paspris la peine d’accepter de recevoir cettepétition ! Pour paraphraser Shakespeare,je me suis dit qu’il y avait quelque chosede pourri, non pas dans le royaume duDanemark, mais en Républiquetchèque ! » Cet évènement signera l’actede naissance de « Mêlons-nous en ! », sescréateurs souhaitant montrer que la classepolitique peut et doit accepter l’opiniondes jeunes gens au niveau national, demanière courtoise, et en total accord avecles principes démocratiques.

Depuis, les jeunes Tchèques ont étésollicités à de nombreuses reprises pourdonner leur avis sur des thématiques enrapport avec leur âge, leurs problèmes etleurs attentes : financement des étudessupérieures, droit de vote à 16 ans, luttecontre le bizutage et le racket à l’école,légalisation du cannabis, éducationsexuelle, travail des jeunes… jusqu’auxcontroversées « boîtes à bébé ».Disséminées depuis 2005 sur tout leterritoire tchèque par la fondation d’aide àl’enfance Statim, ces dernières permettent

aux mères en difficulté d’abandonner unnouveau-né en toute sécurité et loin desregards indiscrets.

Facebook, Twitter et plusgénéralement internet, comme partoutailleurs, sont les canaux de mobilisation etd’expression de ces jeunes, étudiants,chômeurs ou salariés.

Comment ça marche ?

Concrètement, les jeunes votent dans unpremier temps pour une thématique, viainternet et les réseaux sociaux. « Mêlons-nous en ! » va ensuite analyser lesarguments des « pour » et des « contre »et rassembler des informations quiserviront de point de départ auxdiscussions ultérieures dans le cadred’ateliers publics organisés un peupartout dans le pays.

À ce deuxième stade, lesorganisateurs se contentent de faciliterla discussion pour aboutir à la mise aupoint d’une position commune. Grâce à« Mêlons-nous en ! », de jeunesvolontaires sont aussi invités à prendreeux-mêmes en charge l’organisation deces ateliers ou groupes de discussion,que ce soit dans leur salle de classe, dansleur club de jeunes ou tout simplementdans un café.

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compromis. » Jan est catégorique.« Personnellement, je vois aussi notreorganisation comme une très bonneécole de la démocratie, avec la recherched’un compromis et son cheminementultérieur. Mais nous n’en sommes encorequ’au stade de l’expérience ! Monengagement à l’origine reposait sur unethéorie qui pour moi faisait sens... Et jevoulais voir si elle fonctionnait aussi dansla réalité. L’important est de prouver quenotre pays est une démocratie, et que sion se bouge, on peut obtenir desrésultats, éduquer, et montrer, preuves àl’appui, que cela marche, qu’on peutélever le niveau de participation desjeunes au débat national. »

Laboratoire de démocratie

« Mêlons-nous en ! » est une associationindépendante qui ne reçoit aucun don desponsors privés ou politiques. Elledépend d’une plate-forme d’ONGdédiées à la jeunesse, le Conseil tchèquedes enfants et de la jeunesse.L’organisation a reçu la promesse duministère de l’Éducation, de la Jeunesseet des Sports que les résultats desconférences finales seraient analysés parles services du ministère comme unrapport interne sur l’opinion des jeunes.« C’est exactement ce que nous voulons »,s’enthousiasme Jan, « que les jeunesusant de principes démocratiques soiententendus et que leur opinion soit prise encompte, au même titre que les autrespoints de vue, par le système politiqueofficiel. »

Laboratoire d’essais, le « Mêlons-nousen ! » tchèque est soutenu par leprogramme européen « Jeunesse enaction » et par la représentation de laCommission européenne en Républiquetchèque. Une dimension européenne quene renie pas son coordinateur : « Noussommes aussi partie prenante du projetde “Dialogue structuré avec la jeunesse del’Union européenne’’ qui s’étend sur 18mois et trois présidences (Espagne,Belgique et Hongrie) avec pour thèmel’emploi des jeunes. Nous avons organiséun débat sur le sujet et préparé avec leministère un rapport destiné à l’UE. Etnous avons eu l’immense joie de voir laplupart de nos conclusions s’intégrer dansle processus européen. Elles sont aussidiscutées par la Commission et leParlement européens, par le Conseil

économique et social des Nations Unies(ECOSOC)... C’est extrêmementsatisfaisant ! »

Pour l’instant, « Mêlons-nous en ! »reste unique, dans un pays où la jeunessea toujours su s’opposer au pouvoir enplace ou faire bouger les choses.L’organisation n’a pour l’heure noué desrelations qu’avec des partenairesslovaques, afin d’avoir des points decomparaison dans un pays voisin. Maiscette initiative originale, car s’adressant àl’ensemble des jeunes d’un pays,mériterait de voir son modèle copiépartout ailleurs. Pour que la jeunessed’une nation puisse avoir son mot à diresur les affaires la concernant. �

Mathieu Ponnard, 34 ans, est un

journaliste français résidant à Prague.

J Affiche de la Semaine européenne de la jeunesse,

qui s'est tenue du 15 au 21 mai 2011.

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La troisième étape consiste en undébat public auquel sont conviés lesjeunes intéressés, les hommes et femmespolitiques concernés par la question, maisaussi un chef d’établissement dusecondaire. Après discussion avec cesexperts, les jeunes sont à même definaliser la position commune, qui estensuite soumise au vote sur internet.

Enfin, dernière phase, les résultats du votesont présentés aux médias, à la classepolitique et aux spécialistes dans le cadred’une conférence finale où les jeunes ontune nouvelle fois l’occasion d’interpellerles preneurs de décision. Les résultats sontégalement transmis au gouvernement,aux députés et aux sénateurs.

« Sur bien des sujets, ma positionpersonnelle diffère peu de la positioncommune élaborée au final, qui estsouvent d’une portée assez générale.J’aimerais parfois la modifier un peu danstelle ou telle direction... Mais cela ne seraitpas démocratique. Le compromis, c’est le

« L’important est de prouver que

notre pays est une démocratie,

et que si on se bouge, on peut

obtenir des résultats... »

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L Jan Husak, 23 ans, fondateur de « Mêlons-nous en ! ».

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1 8 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J U I L L E T S E P T E M B R E 2 0 1 1

J’ai grandi dans une banlieue aisée deJohannesbourg, où j’ai eu le privilèged’étudier dans une école privée. D’êtreune élève blanche dans unétablissement privé m’a certainementprotégée des déchirements qu’a vécul’Afrique du Sud vers la fin del’apartheid, mais je chéris autant quel’ensemble de mes concitoyens certainsmoments, comme la libération deMandela, son accession à la présidenceou la Coupe du monde 2010, qui ontforgé notre jeune démocratie et notreesprit national depuis lors.

Je rêvais depuis toujours de fonderma propre entreprise, mais ce n’est quelorsque j’eus terminé ma licence demarketing à l’université du Cap et passécinq ans à Londres dans le monde del’entreprise qu’Obami a vu le jour. Àl’époque, en 2007, ce n’était encorequ’un réseau social ouvert etgénéraliste, mais quand Facebook adébordé les milieux universitaires, j’aidécidé de viser les écoles, primaires etsecondaires.

Obami est aujourd’hui un réseausocial pédagogique offrant auxenseignants, aux élèves et aux parentsune plateforme de communication etd’apprentissage. Il combine des outilsde mise en réseau, comme ceux deFacebook, et des fonctionnalitésd’apprentissage aussi étendues quecelles de Moodle [la plateforme

d’apprentissage en ligne sous licencelibre], tout cela dans un environnementsécurisé, car il s’adresse en grande partieaux enfants.

J’ai élaboré la plateforme à Londres,mais lors d’un retour au pays en 2008,j’ai décidé de la rapatrier en Afrique duSud, me disant que si Obamifonctionnait en Afrique, il pourrait,théoriquement, marcher partoutailleurs. Et surtout, qu'il aurait unénorme impact social là où le besoins’en faisait le plus sentir.

Ce merveilleux pays qu’est l’Afriquedu Sud, issu du brassage remarquablede riches cultures, reste en butte à desdifficultés sociopolitiques, alors que 17

ans ont passé depuis l’avènement de ladémocratie. VIH/sida, criminalité,infrastructures insuffisantes et mauvaisegestion expliquent, entre autres, quel’Afrique du Sud reste à la traîne enmatière éducative : en 2010, 23,5 %seulement des diplômés du secondaireont accédé aux études supérieures,selon un communiqué officiel de janvier2011. À 0,68, le coefficient de Gini del’Afrique du Sud est l’un des plus élevésdu monde, [chiffre publié le 25 février2011 par l’agence Bloomberg]. Quandon sait que ce coefficient peut varier de0 à 1, et que le zéro signifie l’égalitéparfaite des revenus, on comprend qu’ilconstitue un signe alarmant des

BARBARA MALLINSON

C’est en 2008 que la jeune

Sud-Africaine Barbara

Mallinson a donné

naissance à Obami, devenu

entre-temps un super

copain de classe des écoliers

de son pays. Ni Blanc, ni

Noir, Obami est virtuel et il

veut contribuer à une

meilleure qualité de

l’éducation pour assurer

une meilleure qualité de vie.

Sa conceptrice raconte son

histoire.

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L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J U I L L E T S E P T E M B R E 2 0 1 1 . 1 9

profondes inégalités du pays. La maind’œuvre non qualifiée abonde, tandisqu’on souffre d’une pénurie depersonnels qualifiés – notamment dansles secteurs de la médecine, del’ingénierie, des technologies del’information, de la finance et destechniques – du fait de la faiblesse del’enseignement des sciences et desmathématiques. Une situation encoreamplifiée par la fuite des cerveaux sud-africains, phénomène endémique qui adécimé nos professions libérales ces 20dernières années.

Obami : mode d’emploi

C’est un problème préoccupant, quel’on ne résoudra qu’en s’attaquant à laracine du mal. Mon souhait, depuistoujours, est de mettre Obami auservice du progrès social, encommençant par poser de solidesfondations éducatives.

Obami apporte donc un soutiendans trois domaines clés de l’éducation :accès aux ressources, pratiquesd’enseignement et d’apprentissage etévaluation des performances. Lesenseignants ont la possibilité de créer,de partager et de se procurer desressources éducatives utilisant lesapplications multimédias, tandis que lesinterfaces enrichies (comme lestechnologies Ajax) de la nouvellegénération du web, le web 2.0, facilitentl’interaction et la collaboration entretous les acteurs, enseignants, élèves etparents, sur le modèle des blogs et desmédias sociaux. Le système comprendaussi une application permettant uneévaluation constante de la performancede l’élève.

J’ai fait des efforts considérablespour que les écoles accèdentgratuitement à Obami. Pourquoi ? Ehbien, pour que chaque élève, quelle quesoit la situation financière de sa famille,ait droit, grâce au réseau, à uneéducation de qualité. Les coûts sontactuellement couverts par des fondsprivés, et j’ai eu la chance de bénéficierd’un soutien précieux : un hébergementgratuit offert par Internet Solutions, leplus gros fournisseur d’accès internetd’Afrique du Sud. Je collabore aussi avecdes ONG spécialisées dans le scolaire :Edunova, qui fournit aux communautésdéfavorisées une formation aux

technologies de l’information et de lacommunication (TIC), et Siyavula, quicrée des ressources éducatives degrande qualité.

Défis à relever

Mais je suis également consciente desdéfis à venir. Outre les sacrificespersonnels auxquels mon mari (quitravaille maintenant à mes côtés) etmoi-même avons dû consentir pourgérer notre entreprise, Obami estdépendant de facteurs externes. Lemarché qui devrait le plus profiterd’Obami souffre d’un manqued’infrastructures et d’accessibilité àinternet : selon le Département sud-africain des statistiques de l’éducationde base, 23 % seulement des 25 000écoles publiques sud-africainesdisposaient d’une salle informatique en2009, et moins de 20 % d’entre ellesseraient actuellement connectées.

Par comparaison, la quasi-totalitédes 2 000 établissements privés du payssont équipés et connectés depuis leurcréation. C’est pourquoi j’ai d’abordorienté notre offre vers le secteur privé.Ma stratégie : m’emparer de ce marchéd’écoles peu nombreuses mais bienreliées à internet, sur place et àl’étranger, pour tirer partie de leursavantages concurrentiels (enseignantsqualifiés, excellentes ressourcespédagogiques) et en faire profiterl’ensemble de la communauté. Déjà, viala plateforme, des écoles moins bienloties ont pu rapidement accéder à desressources éducatives de qualité crééespar d’autres.

Mais même en pariant sur ces écolesconnectées, Obami s’est heurté à desdifficultés. La révolution du web 2.0 n’apas encore gagné les écoles,contrairement aux communautéssociales et aux réseaux d’affaires et deniche. C’est peut-être pour des raisonsde sécurité : les autorités scolaires ont ledevoir de garder farouchement lesportes de ce territoire encore inconnu. Ilm’a fallu du temps pour les convaincrede la valeur sociale d’apprentissaged’Obami et de notre détermination àgarantir un espace sécurisé. Maintenantque le produit a fait ses preuves, avecune quarantaine d’établissementsinscrits, les choses sont plus faciles.

En matière de connectivité, notrecontinent progresse. SEACOM, MainOne, EASSy et WACS, les systèmes decâbles sous-marins reliant l’Afrique aux

autoroutes numériques, devraientpermettre un essor exponentiel de laconnectivité africaine et réduire lescoûts d’accès. Actuellement, on accèdesurtout à internet via la téléphoniemobile, et cela va perdurer, car c’est unmarché gigantesque et en pleindéveloppement. Pour ce qui est desécoles, la baisse des coûts du matériel(grâce au progrès des servicesinformatiques dématérialisés) offriraune réelle occasion de créer des sallesde technologie et de réduire la fracturenumérique (et éducative).

En 2011, Obami s’est vu classé parmiles 10 technologies les plusprometteuses par la société françaiseNetexplorateur, en partenariat avecl’UNESCO, Air France, Deloitte, Orangeet plusieurs autres, alors qu’en 2010,j’avais eu le bonheur de figurer aupalmarès des « 200 jeunes qu’il fautinviter à déjeuner » du quotidien sud-africain Mail & Guardian. C’est toujoursun honneur que de voir Obami reconnu,même s’il a encore bien du chemindevant lui. Chaque étape franchie parObami ne peut que l’aider à continuerd’améliorer la qualité scolaire et à relierd’autres écoles du continent africainavec le reste du monde. �

J Une fille fait ses devoirs devant sa maison, dans un

bidonville, en Afrique du Sud.

K Barbara Mallinson, âgée aujourd'hui de 30 ans, a

conçu Obami, réseau social au service des écoles sud-

africaines.

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« Ladj Ly, vu par JR ».

La reproduction à titre gracieux de cette

photo de la série « Portrait d’une

génération » nous a été accordée par JR

spécialement pour illustrer cet entretien. Nous sommes en 1997. Un petit

garçon travaille dans les champs avec

ses frères. Des hommes armés

assaillent les lieux. Ses frères aînés

courent plus vite que lui. Il est enlevé.

On lui enfile un uniforme, on lui fait

fumer du chanvre, on lui donne une

arme, on lui ordonne de tirer. Il le fait,

comme on joue à la guerre… Son

nom est Serge Amisi, il a aujourd’hui

environ 25 ans, il ne connaît pas

l’année exacte de sa naissance.

Démobilisé à la mort de Laurent-

Désiré Kabila, en 2001, Serge est

déboussolé. La réinsertion dans la vie

civile s’annonce difficile, mais le

hasard fait qu’il se découvre une

vocation d’artiste. Elle lui permet de

recouvrer sa liberté intérieure. Il

commence une nouvelle vie.

Aujourd’hui Serge entend aider ces

200 à 300 mille enfants soldats à

travers le monde à en faire autant. Il

danse avec ses marionnettes, il fait de

la sculpture, il écrit : pour lui, pour

eux, pour nous tous.

Vous n’aviez pas 10 ans quand vous

avez été enlevé et forcé de combattre

auprès des soldats de Laurent-Désiré

Kabila. Quel regard portez-vous

aujourd’hui sur cette période ?

La vision que j’ai de la guerreaujourd’hui n’a rien à voir avec celle quej’avais à l’époque. Quand j’ai été enlevé,j’avais peur. On nous a éloignés de notrefamille et j’ai vite compris qu’on ne nouslaisserait pas revoir nos proches. On étaitdes enfants qui allaient devoir donnerleur vie pour la nation. J’ai pris le rythmede l’armée et je me suis habitué à monentourage.

On ne connaissait rien à la politique.On nous a simplement appris à faire laguerre et à obéir aux ordres. On étaitdevenus des militaires. On se considérait

Les armesSERGE AMISI répond auxquestions de Selen Demir

* Les armes miraculeuses est le titre d’un recueil depoésie du poète martiniquais Aimé Césaire (1913–2008). ©

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entre nous comme des membres de lamême famille et on s’amusait beaucoup.

Vous vous amusiez ! Vous n’aviez pas

peur de la mort ?

On savait qu’on pouvait mourir, maisparfois, on croyait que la mort, c’étaitpour les gens qui meurent, pas pournous. On fumait des joints et on seprenait pour les acteurs d’un film avecSchwarzenegger, comme si la mortn’était pas réelle. On était les stars del’armée parce que les enfants-soldatsamusaient beaucoup les adultes.

Mais ce qui nous manquait, c’était dejouer. On me donnait mon salaire, mais àquoi pouvait-il bien me servir sinon àacheter des petits soldats pour jouer. Etquand la guerre revenait, je remettaisma tenue et me préparais à jouer à laguerre pour de vrai.

J’ai appris à vivre sans peur nihumilité. Aujourd’hui, je ne saurais pasvivre comme ça. Quand je me revoisdans l’armée, je me vois d’un œilextérieur. Je ne reconnais pas cet enfant-là, car je suis différent aujourd’hui.

Aviez-vous des rêves, ou vous

empêchiez-vous même d’y penser ?

On n’avait pas le temps de penser. Onne pensait pas à l’avenir. On n’imaginaitmême pas de grandir un jour. On était làpour la guerre, toujours pour la guerre.

Que ressentez-vous vis-à-vis des

soldats qui vous ont forcé à combattre

et continuent de le faire avec d’autres

enfants aujourd’hui ?

À l’époque, on pensait aider la nation eton était fans du président Kabila, il étaitcomme un père pour nous et onl'admirait beaucoup. On n’en voulait pasforcément à ces soldats qui nous avaientdonné un pouvoir que d’habitude desenfants n’ont pas face aux adultes. Oncherchait toujours à savoir qui d’entrenous était le plus fort. Le monde civilétait un monde inconnu pour nous. Onavait le pouvoir, pourquoi le lâcher ?

Aujourd’hui, je ne connais pas assez lapolitique pour juger des causes de laguerre et je ne sais pas pour quellesraisons ces soldats m’avaient enlevé. Maisje sais que quand on aime son pays, ondoit préserver ses enfants. Qui relèverale pays de la guerre si les enfants passentleur temps à l’armée ? Je ne suis pas encolère, mais je ne suis pas non plus enaccord avec ces soldats. Je ressens surtoutde la pitié pour eux. Ils ne savent pas cequ'ils font.

Vous êtes conscient aujourd’hui de la

manipulation dont vous avez été l’objet.

Vous sentez-vous détaché du formatage

militaire ?

J’ai eu du mal à me réinsérer dans la viecivile. En 2001, j’ai été démobilisé, j’étaisredevenu un civil, mais ma pensée restaitmilitaire. C’est grâce à l’Espace Masolo[Centre de ressources de solidarité

miraculeusesde Serge Amisi

artistique et artisanale, créé en 2003 àKinshasa, capitale de la Républiquedémocratique du Congo, par les artistescongolais Malvine Velo, Hubert Mahela etLamber Mousseka] que j’ai appris à mieuxme comporter avec les autres. J’y aidécouvert l’art, j’y ai retrouvé ma libertéet mon indépendance.

Pendant la guerre, vous étiez un

animateur musical apprécié de vos

camarades. Chanter vous aidait-il à

supporter la situation ?

Oui, j’aimais chanter et faire rire. Avantl’armée, mes grands frères me chantaientdes chansons et me racontaient deshistoires. Dans l’armée, certains soldatsavaient des enfants qui leur manquaient.Ils m’appelaient pour que je leur remontele moral. Ma petite voix et ma tailled’enfant les faisaient rire. J’étais une sortede petite vedette à moi tout seul, ce qui

« On dit de nous que nous sommes des enfants de la guerre,

des enfants-soldats, des kadogos, mais nous étions des enfants dans

la guerre. Je n'ai pas voulu être dans la guerre, on m'a obligé à tenir

l'arme, et je n'ai plus eu de parents, je n'ai plus eu de famille,

je n'ai eu plus rien d'autre que l'armée, que mon arme, mon arme

qu'on m'a dit c'est mon père et ma mère. »

Serge Amisi, Souvenez-vous de moi, l'enfant de demain,

Vents d’ailleurs, 2011.

K Scène du spectacle Congo My Body, donné à Paris (France), au Parc de la Villette, en 2010.

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m’a valu la jalousie des autres enfants-soldats. J’adorais jouer la comédie et jepouvais m’imaginer en artiste.

Quelles formes d’art pratiquez-vous

actuellement ?

Je suis danseur, marionnettiste etsculpteur. J’ai en tête un projet en solo oùje combine ces trois arts. Sinon, je donneun spectacle [Congo My Body] avec monami Yaoundé Mulamba que je connaisd’avant l’armée et qui a été enfant-soldatavec moi. Ces dernières années, nousnous sommes produits à différentsendroits en Europe et en RDC. L’art ne mesuffit pas encore pour gagner ma vie,mais j’espère trouver un atelier pour ytravailler. J’ai aussi d’autres projetssimplement en tant qu’artiste, non entant qu’ancien enfant-soldat, et je suis encontact avec des associations en lien avecla jeunesse au Mozambique et enAllemagne.

Comment avez-vous assumé le regard

des autres lorsque vous avez commencé

à vous exprimer à travers l’art ? Aviez-

vous peur ?

J’avais peur de choquer et de ne pasassumer. J’ai même eu peur d’êtremenacé, jugé. En venant en France, fin2008, j’ai été tout d’un coup choqué parmon propre passé et j’ai commencé àbeaucoup y réfléchir. J’ai eu l’impressionde tout revivre en live dans ma tête.Aujourd’hui je suis tranquille et j’évitede trop y penser pour pouvoir avancer.Si j’avais pu, je ne serais pas allé faire laguerre. J’essaie de me déculpabiliser enme disant que ce n’était pas de mafaute, que j’étais forcé par des adultes,sous l’emprise de la drogue. J’ai réussi àme détacher de tout ça grâce àcertaines personnes qui m’ontbeaucoup soutenu. Un jour, on m’adonné des cahiers d’écolier, et j’aicommencé à écrire le récit de ma vie,simplement pour moi.

En mars dernier vous avez publié en

France, aux éditions Vents d’ailleurs, le

livre Souvenez-vous de moi, l’enfant de

demain. Quel message voulez-vous

transmettre aux jeunes d’aujourd’hui ?

Si j’ai publié ce livre [à partir de son récitécrit en lingala dans ses cahiers entre2004 et 2008], c’est pour laisser une tracede ce qui s’est passé et aussi montrer auxjeunes ce que moi, enfant, j’ai vécu et qued’autres ont vécu ou sont encore en trainde vivre ailleurs. Cela peut porter conseil. �

En avril 2011, dans les locaux du Courrier de l’UNESCO, Serge Amisi s’entretient avec

Selen Demir, 18 ans, étudiante franco-turque à l’Université Paris IV (France), qui réalise

ici sa première interview pour un média grand public.

Pris dans une spirale meurtrière

Quelque 28 millions d’enfants sont privés d’éducation en raison des conflitsarmés. Or l’impact de ces derniers sur l’éducation est souvent sous-estimé. « Alorsque les conflits armés demeurent un obstacle majeur au développement humaindans de nombreuses parties du monde, ses conséquences sur l’éducation sontlargement négligées », s’indigne Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO.Ces conflits anéantissent non seulement les écoles et les infrastructureséducatives, mais aussi les espoirs et les ambitions de générations entières.

Le Rapport mondial de suivi sur l’Éducation pour tous 2011 de l’UNESCO, Lacrise cachée : les conflits armés et l’éducation, souligne toutefois que le problèmeréside autant dans le conflit lui-même que dans ce qui l’accompagne. Lesenfants désertent l’école ou leurs parents leur interdisent de s’y rendre parcequ’à l’intérieur comme à l’extérieur du périmètre scolaire, des menaces pèsenten permanence sur les enseignants et les élèves. Ces derniers sont soumis à laterreur, aux viols, aux enlèvements. Nombre d’enfants enlevés sont transformésen soldats. Pour survivre et garder l’espoir de revoir leurs familles, ils n’ontd’autre choix que d’obéir et de tuer. Les viols sont souvent utilisés commetactique de guerre et, dans certains pays, les jeunes sont particulièrementciblés, car ils sont sans défense. « Je revenais du fleuve où j’étais allée chercherde l’eau… », raconte Minova, une adolescente de 15 ans du Sud-Kivu, enRépublique démocratique du Congo. « Deux soldats se sont approchés de moiet m’ont dit que si je refusais de coucher avec eux, ils me tueraient. Ils m’ontbattue, ont déchiré mes vêtements. L’un d’eux m’a violée. […] Mes parents ontparlé à un commandant et il a dit que ses soldats ne violaient pas, que jementais. J’ai reconnu les deux soldats et je sais que l’un d'eux s'appelle Édouard. »(Human Rights Watch, 2009).

Que les conflits armés minent l’éducation est une évidence. Que les échecsde l’éducation alimentent les conflits l’est moins. Pourtant, un système éducatifqui ne fournit pas aux jeunes les compétences nécessaires pour échapper auchômage et à la misère, ni les outils indispensables à l’apprentissage du « vivreensemble » et du respect de l’autre, devient une source souterraine de haine etde conflits. �

Mila Zourleva, 22 ans, étudiante bulgare, stagiaire à la Division de l’informationdu public de l’UNESCO

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Ce n’est pas vraiment un lieu. Onpourrait dire que c’est un événement.Ou pour être plus précis, unecommunauté. Mais il faudrait peut-êtreplutôt dire que c’est un esprit. Un espritqui chaque année, à la fin de l’hiver,hante pendant près de trois semainesune foule toujours plus densed’enseignants, d’élèves, de poètes et despectateurs venus de différentes partiesdu « Chicagoland ». C’est ainsi qu’onpourrait définir Louder Than a Bomb (Plusfort qu’une bombe), le festival de poésiedes jeunes de Chicago, aux États-Unis.

Louder Than a Bomb (LtaB) a démarréen 2001 sous forme d’une compétitionpoétique opposant huit lycées dans unlocal que Kevin Coval, l’un descofondateurs du festival, décrit, aumieux, comme une « cave infestée de

raps, des chansons, des poèmes scandés.En observant ce groupe de freestyle, j’aiété frappé, au bout de quelquesminutes, par le caractère radicalementdémocratique de ce cercle. Tous ceux quile voulaient pouvaient slamer. On tejugeait sur ton savoir-faire et riend’autre.

Mais l’événement phare de LTaBreste le slam. Un slam est une sorted’olympiade poétique où chaque auteurdéclame ses poèmes sans musique ouautre support. Par nature, un concoursde slam est ridiculement subjectif, et lebruit court à LTaB que les meilleurspoètes ne sont pas ceux qui gagnent.Pour beaucoup de personnesextérieures à la communauté, cela peutsembler parfaitement injuste, mais c’estprécisément le secret du slam : il n’est enréalité qu’une ruse pour propulser legénie artistique et la parole des jeunessous le feu des projecteurs.

Faire communauté là où, pour les générations précédentes, s’affirmait la ségrégation,

propulser le génie artistique et la parole des jeunes sous le feu des projecteurs, combler

le silence de l’incompréhension… Ce sont quelques-unes des réussites du tournoi

poétique au nom retentissant de Louder Than a Bomb, qui réunit depuis dix ans les poètes

en herbe de Chicago.

NATE MARSHALL

Quand la poésie résonne

rats ». Quand, à 13 ans, j’ai commencé àconcourir, LTaB avait pris de l’ampleur,avec 15 équipes concurrentes (la mienneétant la seule représentant un collège).C’était en 2003, mais je me souvienscomme si c’était hier du moment où j’aidéboulé au début de cettemanifestation d’un week-end, etdécouvert dans la salle obscure cetableau qui a changé mon existence :des ados de toutes les couleurs réunispour célébrer la vie. Leur vie. L’air étaitplein du fumet des pizzas gratuites et dela sourde pulsation du hip-hop, et j’ai étésubjugué par l’énergie qui se dégageaitde l’endroit.

Ce qui m’a captivé, surtout, c’est levaste cercle d’élèves qui allaits’élargissant en fond de salle. Enm’approchant d’eux, j’ai vu qu’ilsfaisaient des vers. Ils ne se contentaientpas de réciter des poèmes par cœur,non, ils composaient spontanément des

Le poète, rappeur et essayiste

américain Nate Marshall, 21

ans, déclame sa poésie durant

le slam poétique Louder Than

a Bomb, à Chicago, États-Unis.

© LTaB

plus fort qu’une bombe

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2 4 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J U I L L E T S E P T E M B R E 2 0 1 1

Poésie contre ségrégation

Ce serait une bonne chose à fairen’importe où dans le monde, mais àChicago, elle est carrément vitale. Car laségrégation y est toujours aussipalpable. Dans ce que Martin LutherKing qualifia un jour de « ville du nord laplus raciste », il n’est guère de bon ton,encore aujourd’hui, de laisser se côtoyeren un même lieu des personnesd’origines raciales et socioéconomiquesdifférentes. C’est ce qui rend si bizarre ladémographie de LTaB : elle bafoue cettetendance monolithique propre àChicago. LTaB fait un beau travail enamenant chaque année des élèves detous horizons à se réunir, à s’écouter et àapprendre d’eux-mêmes et des autres.

C’est extraordinaire d’entendre unefille comme Kush Thompsons’enflammer contre les images du corpsféminin « style Barbie » colportées parnotre société, quand on sait qu’elledébarque d’Orr High School, unétablissement à problèmes de WestSide. Et c’est encore plus extraordinairede la voir partager la même scène quedes élèves issus des établissements lesplus courus et les mieux situés, et queces derniers puissent s’identifier à cequ’elle raconte. Une nouvelle cultureurbaine se construit à Chicago grâce àcette découverte des sentimentspartagés.

La ville a subi plusieurs accès deviolence de jeunes ces dernières années,mais LTaB reste un havre de paix aumilieu des tempêtes : en 10 ansd’existence, le festival, qui attire lesélèves par-delà les frontières invisibleset pourtant bien réelles entre quartierset territoires de gangs, n’a pas connu unseul incident violent. Si la compétitionse durcit, opposant aujourd’hui plus de70 équipes et 30 poètes individuels,l’esprit de communauté reste intact. Leslam collectif continue d’y dominer, et iln’est pas rare qu’après un round, leséquipes concurrentes aillent poursuivrejoyeusement leurs échanges au fast-food du coin.

Traînées de poudre

En 2007, cet esprit a fini par parler àdeux réalisateurs américains, GregJacobs et Jon Siskel. L’année suivante, ilsont suivi trois jeunes et une équipependant les préparatifs du tournoi. J’aieu la chance d’être retenu. Les centainesd’heures de rush ont donné naissance àun documentaire qui plonge dans

l’existence de quelques élèves et lamanière dont le slam a bouleversé leurexistence.

Louder Than a Bomb, le film, a étébien accueilli par la presse, notammentpar Variety Magazine et Los AngelesTimes, et il a été remarqué par descritiques comme Roger Ebert [l’un desplus connus aux États-Unis]. Nominé àplusieurs festivals de cinéma aux États-Unis et au Canada, il a été souventprimé, entre autres à Palm Springs,Chicago et Austin. Et il sera diffusé àl’échelle nationale dans le cadre dudocumentaire du mois sur la chaîned’Oprah Winfrey à l’automne 2011.Grâce au film, LTaB a même fait despetits : en avril 2011, j’ai été invité àTulsa avec Kevin Coval pour participer àl’organisation du premier LTaB annuelde cette ville de l’Oklahoma.

Erika Dickerson, lauréate 2009,apprécie le tremplin offert par le festival,qui permet d’« entrer en communautéet en réseau les uns avec les autres, etavec des artistes professionnels ». Quantà Cydney Edwards, monté deux fois surle podium, il déclare : « Louder Than aBomb a été pour moi l’occasion dem’aligner sur d’autres jeunes venus detoute la ville de Chicago et de me forgerun métier ». Ces élèves, qui font

« Si tu n’es pas là la premièresemaine de mai, c’est que t’espas au bon endroit. Parce que

Louder Than a Bomb estl’endroit le plus cool du monde. »

Adam Gottlieb, concurrent 2005-2008

Nate Marshall, 21 ans, est poète,

rappeur et essayiste. Protagoniste du

long-métrage documentaire Louder

Than A Bomb plusieurs fois primé, il a

été finaliste du Gwendolyn Brooks

Open Mic Award 2010 de la guilde

littéraire de Chicago. Publié dans

plusieurs anthologies poétiques, il

poursuit un master d’études anglaises

et afro-américaines à Vanderbilt

University (Nashville, États-Unis).

aujourd’hui partie des champions deslam, représentent la faible portion departicipants qui poursuivront dans lacarrière littéraire. Beaucoup d’autresiront chercher leur métier ailleurs, et cen’est pas plus mal. Louder Than a Bombfait de l’art, du grand, il le fait grandird’une manière qu’on ne trouverait pasailleurs, mais sa première réussite estqu’il fait grandir les jeunes. En leurapprenant à se servir de leurs mots et àécouter ceux des autres, LTaB leurdonne les moyens d‘analyser et dedéfier le monde dans lequel ils vivent,avec ses imperfections et ses injustices.Comme le souligne Malcolm London,vainqueur en individuel 2011, ce quefait le festival « ne s’arrête pas à LTaB ».Les élèves slameurs font communautélà où, pour leurs parents, s’affirmait laségrégation. La symphonie de leursrécits comble le dangereux silence del’incompréhension.

La force de LTaB, c’est ce sens durécit, de l’imagination, que les élèvesutilisent pour dire à un publicenthousiaste le monde dans lequel ilsvivent, tout en s’emparant des moyensde construire celui de leurs rêves. �

L Scène du film Louder Than a Bomb.

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métiers différents et parlent des langues différentes, ils ont beaucoup de choses en

commun : la jeunesse, l’art, l’envie de tisser des liens entre les cultures. Jusqu’à très

récemment, ils ne se connaissaient même pas entre eux : l’UNESCO les a réunis. Ils ont été

désignés « Jeunes artistes pour le dialogue interculturel entre les mondes arabe et

occidental ». Parmi eux, Betty Shamieh (États-Unis/Territoire palestinien occupé), Merlijn

Twaalfhoven (Pays-Bas) et deux représentants du groupe Talent 2008, Ingebjørg Bratland

(Norvège) et Majd Shahin (Territoire palestinien occupé) ont répondu à nos questions. Ils

partagent avec nos lecteurs leurs convictions, projets et passions.

Entretien réalisé par Iris Julia Bührle et Khaled Abu Hijleh

Bien qu’ils viennent de pays différents, qu’ils exercent des

Vue sur la favela Morro

Da Providencia, Rio de

Janeiro, aux façades

recouvertes de photos

de JR. Projet Women

Are Heroes réalisé en

août 2008.© Avec l’aimable

autorisation de JR :

jr-art.net

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Comment un artiste peut-il contribuer

à la paix et à la compréhension

mutuelle entre les peuples ?

Betty Shamieh : L’artiste éclaire notrehumanité tout entière. C’est ce qui estmerveilleux dans le théâtre. Il nousmontre à quel point nous sommessemblables, non seulement d’un boutà l’autre du monde, mais aussi à traversles générations. Il nous dit à la foiscomment et pourquoi il faut vivre enpaix ensemble. Qu’une œuvre d’art, etsurtout une œuvre théâtrale,composée dans l’antiquité grecque,puisse encore nous parler aujourd’hui,prouve bien qu’il existe une seule etunique nature humaine, à la foisreconnaissable et insaisissable.

Ingebjørg Bratland : Pour moi, lamusique est le langage du cœur etlorsqu’on ne parle pas la même langue,on peut toujours communiquer àtravers la musique. Le monde sembleparfois terriblement violent, alors c’estformidable de pouvoir se rencontrer etfaire de la musique ensemble, et doncvivre notre passion. On se met enretrait du monde pour créer cet espacede liberté.

Majd Shahin : La musique est lalangue des peuples. Elle est la façondont on amène d’autres personnes àcomprendre ce qu’on est et ce qu’onressent.

Merlijn Twaalfhoven : Dans mesprojets, j’évite généralementd’employer le mot paix, parce qu’ilgénère trop d’attentes, et aussi desmoments de déception, voire defrustration. Mais cela ne m’empêchepas de réfléchir aux conditions de lapaix. Pour moi, elle se trouve, entreautres, dans le contact entre les gens.C’est pourquoi je m’efforced’encourager les contacts et d’inciter àla curiosité. L’art est un excellentmoyen d’attiser la curiosité des gens,de ne pas apporter de réponses maisde créer des ouvertures. Lorsqu’il y aouverture, lorsque tout n’est pas fixé,les gens acceptent de vous suivreparce qu’ils veulent connaître le finmot de l’histoire et découvrir la vérité.Et c’est ce qui, je crois, peut conduire àla paix et à la compréhension. Je suisheureux lorsque je quitte un endroiten y laissant une sommed’interrogations.

musique, et les gens ne comprenaientpas où je voulais en venir, quelle étaitmon intention politique... Au point quej’ai finalement laissé tomber toutes mesthéories et je me suis dit : bon, allons-y,jouons et écoutons ce que l’autre côté a àdire. Et tout s’est éclairci. Mais j’ai commispas mal d’erreurs en chemin, à force decompliquer les choses et de m’attendre àce que les autres aient les mêmes rêvesque moi. Chacun rêve différemment,mais à partir du moment où vous passezaux actes, la motivation des gens suit etles relations se tissent.

Comment définissez-vous votre rôle

d’artiste dans la vie sociale et politique

de votre pays ?

B.S. : Dans toute société, l’artiste doit êtrecelui qui inspire. Ce que j’espère inspireraux habitants du pays dans lequel je vis,les États-Unis, c’est un désir réel dedevenir citoyen du monde, de découvrird’autres cultures et de s’intéresser aupoint de vue des autres.

Lorsque vous vivez entre deuxcultures, il est aussi très important demontrer leurs points communs. Parexemple, dans leurs œuvres sur le Moyen-Orient, les artistes occidentaux s’enprennent souvent à la condition féminine.Mais aux États-Unis, les femmes ontégalement très peu de pouvoir politique,économique ou artistique ! Un de mesdevoirs, en tant qu’artiste, est doncd’évoquer cette similitude du sort desfemmes à travers le monde, parce quec’est très facile d’observer d’autrescultures, mais les gens oublient parfois deregarder la leur. Comme je vis dans deuxmondes à la fois, je suis poussée àm’interroger sur les différencesfondamentales réelles entre les cultures.

M.S. : Mon pays, la Palestine, a beaucoupde messages et de rêves à partager avecle monde. C’est ce que je voudrais faire àtravers la musique. Bien sûr, le messageest différent selon qu’on se trouve enPalestine ou à l’extérieur. À l’intérieur, ilfaut soutenir les gens. À l’extérieur, ondoit expliquer pas mal de choses sur lepays. Quoi qu’il en soit, je me sens fier dela richesse culturelle de mon pays, que jepeux montrer au monde.

I.B. : À l’étranger, on n’évoque la Palestineque sous l’angle de la guerre, et c’estdonc un bonheur de voir qu’on y faitaussi de la musique et qu’il y a réellementune vie là-bas. Personnelle ment, en tant

Quelles difficultés avez-vous

rencontrées au cours de vos projets ?

Comment les avez-vous surmontées ?

B.S. : Une première difficulté, lorsqu’ons’attaque à des projets complexes, estd’accepter son incapacité d’expliquerpleinement sa démarche. Les artistesévitent parfois les questionscontroversées, parce qu’ils pensent qu’ilsdoivent posséder toutes les réponses ouêtre à même de s’exprimer de telle façonqu’on ne puisse rien avoir à leurreprocher. Selon moi, un artiste devrait sesentir libre de se tromper de temps àautre.

L’autre problème auquel je meheurte souvent, c’est que les gens croienttout savoir de mes opinions politiques. Jerêve de voir le Moyen-Orient ressemblerun jour à l’Union européenne.Évidemment, la plupart des gens merétorquent aussitôt que c’est impossible.Et là, je leur rappelle dans quellesituation se trouvait l’Europe il y a unsiècle : en cent ans, l’Europe a connudeux guerres mondiales, les pays étaientoccupés les uns par les autres et s’entre-déchiraient. Je veux combattre l’opinionselon laquelle on ne peut rien changerau Moyen-Orient.

I.B. : Le seul problème, pour moi, a étéd’ordre linguistique. Certains artisteségyptiens et palestiniens parlaient àpeine l’anglais, et ce n’est pas évident defaire de la musique à plusieurs quand onn’arrive pas à communiquerverbalement. Mais on avait au moins lamusique et on a joué ensemble !

M.S. : Moi, je n’ai pas eu de problème delangue ni de coopération avec lesmusiciens des autres régions du monde.Ma difficulté a été musicale : je suispercussionniste et il m’est difficile dejouer un air norvégien dont le rythme n’arien à voir avec ceux de la musiqueorientale auxquels je suis habitué. Maisça a été une riche expérience !

M.T. : En ce qui me concerne, jerencontre des difficultés quand je veuxsortir des sentiers battus et convaincreles autres de me suivre en terreinconnue. Là, je vois que les gens nepartagent pas nécessairement mes idées.À Chypre, par exemple, j’ai parlé àbeaucoup de gens de la réunification del’île et de mon désir de rapprocher lesdeux bords [le Nord et le Sud, quiconstituent des États séparés] grâce à la

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que musicienne traditionnelle enNorvège, je pense que c’est importantqu’il y ait des jeunes qui poursuivent latradition musicale du pays, parce qu’ilfaut qu’elle continue d’exister.

M.T. : En tant qu’artiste, je veux semer laconfusion et briser les apparences. Lesgens sont avides de définir le monde quiles entoure et de coller des étiquettes, etil est ensuite très difficile de leur faire voirles choses autrement. Il faut donc de laconfusion, pour qu’ils comprennent queles étiquettes n’ont rien d’immuable etregardent ce qu’il y a derrière.

J’ai la chance de pouvoir me rendredans des endroits passionnants, mais jem’efforce aussi de permettre aux autresde me suivre. Quand je vais en Syrie, c’estpour moi une expérience formidable,mais j’essaie de faire en sorte qu’à traversmes projets les Occidentaux puissentégalement y faire un petit tour. J’aimepartager cette curiosité, je ne veux pas lavivre seul dans mon coin.

Aux Pays-Bas, je croise beaucoupd’artistes obnubilés par la qualité de leurmusique, mais la plupart ne sedemandent pas s’ils pourraient la mettreau service d’un monde meilleur. Grâce àl’UNESCO, j’ai rencontré des gens qui nonseulement ont une pensée artistique,mais aussi une idée de la place de l’artdans le monde et des changements qu’ilpeut apporter.

Comment voyez-vous le proche avenir,

après cette distinction de l’UNESCO ?

M.T. : Ce titre est très important pourmoi, parce que je travaille en dehors dessalles de concert, des festivals et desprogrammes d’orchestre. Je suis seulavec une petite équipe ou descollaborateurs freelance, et presque sansbudget. Parfois, j’attire l’attention desmédias, ce qui est important, maiscomme mon travail ne s’inscrit pas dansles infrastructures culturelles, il estdifficile de le cataloguer, et par suite detrouver les soutiens et les partenaires.Une telle reconnaissance donne de lavisibilité à ma démarche et aux succèsque j’obtiens. J’espère aussi qu’au coursdes prochaines années, je pourraipoursuivre les projets entamés, commeAl Quds Underground à Jérusalem-Est. Jen’en suis encore qu’au tout début !

B.S. : Cette reconnaissance est pour moitrès significative. C’est la première foisque je sens que mes deux

Ruti Sela et Mayaan Amir (Israël), créatrices et conservatrices, ont conçu le projetExterritory en vue de réunir des artistes et intellectuels vivant dans des zones de conflit,notamment en Israël et dans le Territoire palestinien occupé.

Sidi Larbi Cherkaoui (Belgique/Maroc), danseur et chorégraphe, a produit desœuvres qui illustrent la rencontre entre les cultures et l’exploration de l’identité.

Federico Ferrone (Italie), réalisateur, a tourné plusieurs films sur l’immigration, lesbanlieues et la contribution des communautés étrangères à la culture d’un pays.

Faïza Guène (France/Algérie), romancière, dépeint la réalité des habitants d’originemaghrébine dans les banlieues françaises en s’attaquant aux clichés et aux idéesreçues.

JR (France), photographe, est notamment à l’origine du projet Face 2 Faceconsistant à afficher côte à côte des portraits d’Israéliens et de Palestiniens exerçantle même métier.

Ibrahim Maalouf (Liban), trompettiste, mélange les styles occidentaux et orientaux ettravaille avec des artistes du monde entier.

Massar Egbari (Égypte), groupe de musiciens, est à l’origine du projet Music as ameans of intercultural dialogue (La musique en tant qu’outil du dialogue interculturel)consistant à inviter des artistes occidentaux pour des concerts communs.

Betty Shamieh (États-Unis/Territoire palestinien occupé), auteur dramatique, aécrit des pièces qui mettent l’accent sur les relations interculturelles, notammentarabo-américaines.

Zuhal Sultan (Iraq), pianiste, a fondé, à l’âge de 17 ans, le National Youth Orchestraof Iraq (Orchestre national iraquien des jeunes) qui travaille avec plusieurs artistesoccidentaux.

Talent 2008 est un projet réunissant neuf jeunes interprètes de musiquetraditionnelle, européens et arabes (Territoire palestinien occupé, Égypte, Norvège).

Merlijn Twaalfhoven (Pays-Bas), compositeur et musicien, a lancé des projetsexceptionnels en Jordanie, dans le Territoire palestinien occupé, en Syrie et auxPays-Bas, dans lesquels la musique crée un lien et devient symbole de paix.

K Photo de groupe à l’UNESCO, lors de la remise des titres de « Jeune artiste pour le dialogue interculturel entre

les mondes arabe et occidental », le 13 avril 2011.

Les jeunes artistes de l’UNESCO

« Jeune artiste pour le dialogue interculturel entre les mondes arabe et occidental »,tel est le titre que la Directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova, a décerné en avrildernier à un groupe d’artistes âgés de moins de 35 ans. Cette distinction reconnaît lacontribution exceptionnelle au dialogue et à l’échange entre les cultures arabe etoccidentale de :

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Un imam, un curé et un rabbin se prêtent au jeu

de l’amitié, dans le cadre du projet Face 2 Face,

réalisé par JR et Marco en 2007, qui ont tapissé plus

d’un mur de portraits d'Israéliens et de Palestiniens

exerçant le même métier.

© Avec l’aimable autorisation de JR : jr-art.net

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appartenances, palestinienne etaméricaine, sont reconnues : l’UNESCO aperçu toute cette complexité identitaire.Je vais continuer de me construire entant qu’artiste, mais je voudrais aussipoursuivre les efforts de Juliano Mer-Khamis [acteur israélien, directeur duThéâtre de la liberté, assassiné le 4 avril2011], qui a fait un travail formidable àJénine. Nous ne devons pas laisser lapeur de la violence nous empêcher decontinuer et d’aspirer à l’avenir auquel lemonde entier a droit.

I.B. : J’adorerais visiter d’autres pays etdécouvrir leurs musiques traditionnelles.La musique traditionnelle est unexcellent moyen de découvrir la culturedes autres, supérieur même à la musiqueclassique qui est pourtant assezuniverselle. Et comme nous sommes déjà

Iris Julia Bührle, 29 ans, est une

historienne de l’art allemande,

également spécialiste de littérature

comparée.

allés en Égypte et en Norvège avec leprojet Talent, ce serait super de visiteraussi la Palestine et d’y donner desconcerts !

M.S. : Je vais poursuivre mon parcours demusicien traditionnel palestinien dansmon pays et à l’étranger. Le titre décernépar l’UNESCO m’encourage à aller del’avant en tant que musicien. Ça a été unvrai bonheur de rencontrer des gens quime comprennent et m’apprécient.Quand on voit qu’il y a des gens un peupartout dans le monde qui partagent lesmême idées, on se sent moins seul ! �

JR, l’art et l’impossible

JR, auteur des photographies quiillustrent cet article, fait partie dugroupe de jeunes artistes del’UNESCO. Cet « artiviste urbain »(sic) français de 28 ans déclareposséder la plus grande galerie dumonde : la rue !

En 2001, JR commence à collerclandestinement sur des façadesparisiennes les photocopies desphotos qu’il prend de ses copains entrain de faire des graffitis sur lestoits. Les sujets se diversifientrapidement et les dimensions de sescollages s’agrandissent, pouratteindre le format 6x8 mètres en2004, dans son projet « Portraitd’une génération » qui le rendracélèbre. Cette année-là, il exposedans les rues de New-York, de LosAngeles, de Paris et… de la Cité desBosquets à Montfermeil, unebanlieue parisienne défavorisée.

En mars 2007, il réalise avecMarco, Face 2 Face, « la plus grandeexpo photo illégale jamaisorganisée ». Des formatsgigantesques de portraitsd'Israéliens et de Palestiniensexerçant le même métier sontaffichés dans plusieurs villes d'Israëlet du Territoire palestinien occupé.« Face 2 Face a montré que ce quenous croyons impossible estpossible, et même facile », déclare-t-il le 2 mars 2011, lors de lacérémonie de remise du prix TED àLong Beach, aux États-Unis(www.tedprize.org).

Son projet Women Are Heroes(Les femmes sont des héros)l’amène en 2008 et 2009 au Kenya,au Brésil, en Inde, au Cambodge. Auprintemps 2011, il se précipite enTunisie pour habiller de ses photosdes commissariats de police etsièges de partis, dans le cadre deson projet actuel Inside Out (DedansDehors). En 10 ans, il a fait ce quenous croyons impossible. Et avecquelle facilité ! – J. Šopova

Visitez le site officiel de JR :www.jr-art.net

K Escalier de la favela Morro Da Providencia, Rio de Janeiro, Brésil, recouvert par JR du portrait d’une femme, dans

le cadre de son projet Women Are Heroes, août 2008.

« En tant qu'artiste, je veux

semer la confusion et briser les

apparences. »

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fruits gorgés d’éléments nutritifs, lesjeunes ont agi à la source. Que faire demieux que de planter un arbre quinourrit les villageois et en même tempssert de matériau d’étanchéité aux tatas ?

Encadrés par l’ONG togolaise FAGAD(Frères agriculteurs et artisans pour ledéveloppement) et soutenus par leprojet Patrimonito et CCSVI, les jeunesvolontaires du patrimoine mondial ontidentifié et planté différentes espècesvégétales en danger intervenant dans laconstruction des tatas. C’est ainsi qu’endeux ans, le site s’est vu doté de 1 050nouveaux arbres sur une surface de2 000 m2. Une première étapeconsistant à réunir les conditionsnécessaires à la restauration des tataspar des moyens traditionnels.

Mais au-delà des aspects matérielsde la culture tamberma, autre nom desBatammariba, les volontaires ontcherché à participer à la préservation deses aspects immatériels, en s’associant àla première édition du FestivalTamberma, du 26 au 30 mars 2011.« C’est la première fois que le festivalFestamber a lieu », explique Atti Y. Tata,jeune Togolais de 23 ans, responsable ducamp qui a accueilli cette année septvolontaires. « On était très excités à l’idée

de prendre part à cette nouvelleinitiative qui met en valeur la richesse denotre culture, nos langues, notreartisanat et nos produits agro-alimentaires locaux ». Autant de joyauxqui, associés aux tatas, font du Togo uneétape incontournable du tourismeculturel en Afrique de l’Ouest. « Pour lesgens qui ne savent rien de cette culture,ce qui était mon cas, ce festival est untrès bon moyen de s’en imprégner enseulement une semaine », renchéritLinda Gustafsson, volontaire suédoise de24 ans. « J’espère vraiment qu’ilcontinuera d’exister, car il donneégalement une très bonne occasion auxTamberma eux-mêmes de porter unautre regard, plus valorisant, sur larichesse du site de Koutammakou ».

Installés à Adéta, les jeunes ne sesont pas laissés effrayer par la distancede près de 400 km les séparant deKoutammakou. En l’absence de véhiculede fonction, ils se sont débrouilléscomme ils ont pu : « On prend un taxi,un bus ou des motos, ça dépend de l’étatde la route », raconte Atti. Le projetsemble en effet encore un peuchancelant : « Nous devions aider auxpréparatifs du festival, mais quand noussommes arrivés sur les lieux, il ne restaitplus grand chose à faire… », dit Linda.Mais même si les choses démarrent toutdoucement, c’est la volonté de découvriret surtout de s’impliquer qui compte. �

Le personnage animé du jeune gardien du patrimoine,

Patrimonito, a vu le jour en 1995. Icône des Volontaires du

patrimoine mondial, il amène ses jeunes compagnons en

Afrique, en Amérique latine, en Asie et en Europe. Sous la

coordination du Centre du patrimoine mondial et du

CCSVI*, les jeunes volontaires s’impliquent dans la

préservation et la valorisation des sites emblématiques du

patrimoine mondial.

K Atti Y. Tata, à Koutammakou, Togo.

* Comité de coordination du service volontaireinternational

Si elles avaient des bras, les tatascentenaires les auraient tendues pouraccueillir ces jeunes comme les grands-mères accueillent leurs petits-enfants.Depuis quatre ans, des volontairestogolais, français, suédois, japonais etsud-coréens se donnent rendez-vous àKoutammakou, site du patrimoinemondial au nord-est du Togo, pourprendre soin de ces vieilles damesfragiles.

Même si les tatas, ces habitatstraditionnels en terre flanqués detourelles, semblent incarner toute lasagesse du peuple Batammariba, ellescèdent sous le poids de lamodernisation qui impose ses lois deconstruction facile et rapide. La naturene les ménage pas non plus, laissant unbien triste paysage de maisonsécroulées après la saison des pluies enaoût et en septembre. Et même le néré,dont l’écorce sert à préparer unedécoction pour badigeonner les mursdes tatas, vient à manquer.

C’est par là que les jeunesvolontaires ont décidé de commencer. Àl’image de cet arbre, au nom symboliquesignifiant « c’est bien » en bambara, quiva parfois chercher l’eau à 60 mètres deprofondeur pour offrir à la cueillette des

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Construire ma citoyenneté, c’est ainsique je définis mon expérience devolontaire des Nations Unies. J’aiparticipé récemment à la campagneTous unis pour mettre fin à la violence àl’égard des femmes, initiée par leSecrétaire général de l’ONU. J’aiparticipé à la création d’espaces dediscussion sur plusieurs réseaux sociauxpour sensibiliser la populationbolivienne à ce grave problème. Unedes leçons que je tire de cetteexpérience récente qui a duré six mois,

de créativitéDes merveilles

Le volontariat des jeunes offred’immenses possibilités. Donnez auxjeunes des exemples à suivre, offrez-leurde nouvelles perspectives, et vous tirerezd’eux des merveilles de créativité. Prenezles jeunes au sérieux, confiez-leur desresponsabilités et une place dans lasociété fondée sur la confiance, et ilsexcelleront.

Le volontariat donne aux jeunes lepouvoir d'agir et de changer le mondeautour d’eux. En 2010, le programme desvolontaires des Nations Unies a déployé,dans 132 pays, près de huit millepersonnes issues de 158 pays. Il a aussi

mobilisé plus de dix mille autresvolontaires qui ont contribué audéveloppement à travers le servicevolontariat en ligne. Environ 62 % de cesderniers venaient de pays endéveloppement, et 80 % étaient desjeunes âgés de 18 à 35 ans.

L’année 2011 marque la célébrationdu dixième anniversaire de l’Annéeinternationale des volontaires. C’est aussil’Année européenne du volontariat. Uneoccasion de plus pour les jeunes de fairevaloir leur droit à la participationcitoyenne. Et de redoubler d’efforts pourconstruire un monde meilleur. �

Programme des Volontaires des Nations Unies: http://www.unv.org

Le scout kényan Josephat Gitonga,

28 ans, prend le service à lacommunauté très au sérieux. Il en amême fait un « devoir quasi sacré », ce quilui a valu d’être repéré par l’Associationdes scouts du Kenya et de se voir confierla direction du centre scout de sa ville,Embu, située à quelques 120 km au nord-est de Nairobi. Passionné et bûcheur,Josephat se lance dans l’aventure enremplissant les objectifs à 200 % ! Avec lesoutien de ses confrères norvégiens, ilréussit à en faire un centre ouvert à lacommunauté et quasi autonome sur leplan du financement, grâce à un microprojet d’hôtellerie et de restauration qui apar ailleurs généré des emplois.

Initialement, il était prévu que lecentre accueille seulementsporadiquement des activités scoutes.Mais Josephat rêve de transformer Embuen un village planétaire. Les Moots scoutsmondiaux ces grands rassemblementsde scouts de la branche des aînés (18-25ans) ne se sont jamais encore tenus enAfrique. Il est grand temps d’agir.

Fort de son expérience qui l’a faitconnaître jusqu’aux rivages scouts del’Asie et de l’Amérique Latine, JosephatGitonga réussit à convaincre rapidementl’Association des scouts du Kenya deprésenter la candidature de sa ville, pourfigurer parmi les trois sites kényansaccueillant le 13e Moot scout mondial (27juillet – 7 août 2010). Et voilà que le rêvedevient réalité : plus de 1 000 jeunescitoyens du monde investissent la villed'Embu, qui n’aura jamais vu autantd’amitiés se nouer, autant de rires et defraternité, mais aussi de débats sur lesgrands défis de notre époque. �

Pierre Arlaud, étudiant français de 25ans, chargé des relations extérieures del’Organisation mondiale du mouvementscouthttp://scout.org/fr/

c’est la grande motivation et l’extrêmeprofessionnalisme de la jeunessevolontaire. Nous sommes de jeunesprofessionnels avides d’apprendre etd’apporter notre pierre à l’édifice de lajustice sociale.

Le volontariat est l’outil parfait pourcanaliser l’idéalisme et l’énergie desjeunes. Malgré les apparences, notremanque d’expérience dû à notre âgeest une barrière facilementfranchissable. Car, au-delà de son utilitésociale précieuse, la participation

citoyenne par le volontariat peut êtreun moyen pour nous les jeunesd’acquérir une première expérience desprincipes éthiques dont dépend ladignité des individus et descommunautés. Cette forme departicipation nous permet de nouspositionner comme agents dudéveloppement, et non plus comme ungroupe vulnérable. �

Silvia Bellón, étudiante espagnole de23 ans

K Ouverture du 13e Moot scout mondial au Kenya, le 27 juillet 2010.

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jeunes », des adolescents ont pris unepart active à la rencontre et les déléguésont exhorté le CIO à entretenir l’espritdes JOJ pendant la période séparant lesJeux.

Cet esprit règne déjà à Innsbruck(Autriche), où le compte à rebours de lapremière édition des Jeux olympiquesd’hiver de la jeunesse prévue pour 2012a commencé. En parallèle, la villechinoise de Nanjing prépare lesdeuxièmes JOJ d’été, prévus pour 2014. �

Comité international olympiquewww.olympic.org

africain de la Coupe du monde 2010 etla ville de Johannesbourg, ce festival aréuni pendant quinze jours plus de 250garçons et filles issus de communautésdéfavorisées : des plus petits villages duCambodge aux quartiers populaires desÉtats-Unis, des bidonvilles de l’Inde auxfavelas de Rio. Renversant les barrièresculturelles, ils se sont retrouvés dans lelangage du sport. Ils ont élargi leurshorizons et gagné la confiance en euxnécessaire pour retourner dans leurspays d’origine et forger non seulementleurs propres destins, mais en mêmetemps ceux de leurs communautés.

Permettre aux jeunes défavorisésd’améliorer leur condition, tel estl’objectif du réseau streetfootballworldqui réunit plus de 80 organisations.S’attaquant à des fléaux comme leVIH/sida, la criminalité ou le problèmedes sans-abri, elles se servent dufootball pour amener les jeunes vers desprogrammes de développement social– et les y maintenir. En collaborationavec ses partenaires, streetfootballworldcompte atteindre chaque année 2 millions de jeunes à travers le monded’ici à 2015.

Le football peut aider à trouver dessolutions à bien des problèmes tropcomplexes pour être résolus par desméthodes conventionnelles. Le jeu estjuste un point de départ. �

www.streetfootballworld.org

L’Année internationale de la jeunesse(AIJ) coïncide avec la naissance d’unenouvelle tradition olympique. En août2010, quelques jours seulement après laproclamation de l’AIJ par les NationsUnies, le Comité international olympique(CIO)* inaugurait les Jeux olympiques dela jeunesse (JOJ). Ils combinent le sportaux activités éducatives et culturellesdans un format unique réservé auxjeunes de 15 à 18 ans. Ces nouveaux Jeuxoffrent aux jeunes un environnement quifavorise les amitiés à long terme et leur

permet de bénéficier des expériences deleurs pairs et des athlètes qui leur serventde modèles.

Les premiers JOJ, qui se sont tenus àSingapour en 2010, ont attiré quelque3 500 jeunes du monde entier et lesrésultats ont dépassé toutes lesattentes. Les jeunes participants ont eul’occasion d’évaluer cette expériencelors de la 7e Conférence mondiale surl'éducation et le sport pour une culturede la paix, organisée en décembre 2010à Durban (Afrique du Sud), et co-sponsorisée par le CIO et l’UNESCO.

Dans l’esprit du thème de laconférence, « Donner la parole aux

Alors que les plus grandes vedettes dusport s’affrontaient à Johannesbourg(Afrique du Sud) pour la Coupe dumonde de la FIFA 2010, 32 équipes dejeunes arrivaient de toutes les régions

du monde pour participer à un matchbien plus inhabituel : « Football pourl’espoir 2010 ».

Organisé par streetfootballworld, laFIFA, le Comité d’organisation sud-

Le sport : juste un point de départ

Jeux olympiques de la jeunesse

* Le 19 octobre 2009, le CIO a obtenu le statutofficiel d’observateur auprès de l’ONU.

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Vu de loin, le quartier de Kawempe, àKampala (Ouganda), ressemble commetous les bidonvilles à une mer decabanes aux murs de boue et deplanches. Lorsqu’on s’approche,pourtant, on sent qu’il y a autre chose :l’odeur de la maladie et du désespoirplane sur ce quartier tel un ange demort. Les yeux des enfants se posent àdemi rassurés sur le visiteur de passage,mais, vaillamment, ils poursuivent de-cide-là leurs jeux. Ils n’ont sans doutejamais usé du dentifrice au cours deleurs courtes vies, mais quelleimportance. Leurs voix obsédantescontinuent de retentir au loin tandisqu’on poursuit sa route dansl’entassement marécageux. Car c’estcela, la spécificité de Kawempe : lesbidonvilles ont poussé dans une zonehumide, où la plupart des habitants vitdans l’incertitude du prochain repas.

Chômage élevé, revenusinsignifiants, dépendance totale enversceux qui gagnent. Des taux de pauvretéqui montent en flèche et l’incapacité depayer les services de santé. Pour s’ensortir, les femmes n’ont généralementqu’une seule issue : celle de vendre leurcorps. Une réalité qui, il y a quelquesannées, a ému aux larmes JamesTumusiime, jeune psychologue âgéaujourd’hui de 30 ans. Fraîchementdiplômé, il travaillait bénévolementdans la clinique d’un bidonville deKawempe, lorsqu’on lui a présenté unemère, âgée de 19 ans. « Elle était frêle, et

m’expliqua que ses enfants tombaienttout le temps malades. La malaria,pensait-elle. Je lui ai conseillé de faire letest de dépistage du VIH », raconteJames, qui soudain se tait. Il se tait silongtemps qu’on craint que l’interviewne s’arrête là. « Le test était positif »,poursuit-il enfin : « Je me suis senti mal.Elle pleurait à fendre l’âme. Je lui ai ditqu’il fallait garder espoir, mais ne l’aijamais revue. J’ai tenté vainement de lajoindre sur son portable... et j’ai priépour qu’elle n’ait pas mis fin à sesjours. » Même maintenant, en narrant lascène, son visage s’assombrit.

Pour le jeune psychologue, c’est ledéclic. Avec sept autres, il décide de« briser la glace » et de tendre la main àd’autres mères célibataires vulnérablesde la zone, dont la plupart n’ont d’autreressource que la prostitution. Uneactivité pourtant prohibée par laconstitution ougandaise.

Éclosion du projet

Un autre jeune homme, qui tient àrester anonyme, se souvient qu’il étaittravailleur social lorsque James l’acontacté. « Il y avait eu un programmede Plan UK, une association caritativequi ne s’occupait que des enfants. Or engénéral, quand vous rencontrez desgosses et que vous leur demandez quisont leurs parents, ils ne savent pasrépondre. Il nous fallait donc un projetqui s’adresse aux travailleurs sexuels etleur permette d’assumer leursresponsabilités. » Un autre, à peu prèsdu même âge, nous rapporte deshistoires déchirantes de prostituées sebattant pour les mêmes « clients ». Il

raconte qu’un jour, sa soeur a même étéfrappée par une prostituée qui laprenait pour une concurrente.

« Je me souviens du jour où nousavons lancé le projet “Briser la glace”.Nous avons passé une semaine surplace, nuits comprises, afin de voir denos yeux ce qui s’y passait. Le plus tristea été de constater que les policiers eux-mêmes recherchaient les relations avecles filles. Cela a même stimulé notrevolonté d’agir pour que cela change »,raconte-t-il. « Il y avait tant de mèresadolescentes qui ne connaissaient pasles pères de leurs enfants. Certainesn’avaient que 13 ans. Les unes étaientencore écolières, d’autres travaillaientcomme serveuses », poursuit James.

En 2007, le projet « Briser la glace »prend son envol. « Nous avonscommencé par un groupe d’une dizainede mères que nous avions rencontréeset qui nous avaient dit qu’elles seprostituaient. Et nous leur avonsdemandé de nous en désignerd’autres », raconte James,coordonnateur du projet. « Nousvoulions qu’elles se protègent contre leVIH/sida et d’autres maladiessexuellement transmissibles (MST). Aufinal, nous avons réuni 60 mères quenous avons formées commeéducatrices. Il leur est en effet facile dese faire écouter du fait de leurexpérience. Même un homme qui seprostitue sera plus attentif au messaged’une femme lui expliquant commentse servir du préservatif que si c’était unautre homme », note-t-il.

Dès 2009, le nombre destravailleuses sexuelles bénéficiaires est

Afrique, chômage, bidonville : un cocktail létal conduisant irrémédiablement des

adolescentes ougandaises à se vendre et à se détruire. Jusqu’à ce qu’une bande de jeunes

décide de prendre les choses en mains.

CAROL NATUKUNDA

Étoiles auclair de lune

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passé à 3 000. C’est qu’entre temps, avecle soutien financier du gouvernementjaponais, Reproductive Health Uganda aouvert la clinique des Moonlight Stars,qui offre des conseils bénévoles et desservices gratuits de dépistage duVIH/sida et autres MST. « Nous avonsbaptisé nos clientes “étoiles du clair delune” (Moonlight Stars) parce que nousne voulions pas d’un nom qui lesmarginalise », précise James. Celles-cireçoivent une carte nominative, pouréviter que des non bénéficiaires neprennent d’assaut la clinique où lessoins sont gratuits.

Besoin de nouveaux donateurs

Florence Kyeswa, la directrice de laclinique, confie qu’en moyenne, ellereçoit chaque semaine quelque 70clientes originaires des bidonvilles deKawempe, la plupart souffrant de MST.L’aide financière japonaise a égalementété employée à former les « étoiles » encouture, cuisine, artisanat et mécanique.Comme l’explique James, lesbénéficiaires sont réparties par groupesd’une vingtaine de personnes, chacunse voyant remettre l’équivalentd’environ 2 500 dollars à titre de capitalde départ. Les filles ainsi dotées y vontde leur histoire : « Maintenant, avec mes

enfants, je m’en sors sans avoir à faire letrottoir. J’ai repris confiance et, surtout,je vais pouvoir aider ma fille à prendreun bon départ », confie une mère de 17ans, devenue marchande de pancakes.Une autre mère de 21 ans, séropositive,s’ouvre à son tour : « J’étais arrivée aupoint de vouloir mourir. Je n’avais plus laforce d’affronter le lendemain dans cesconditions. Maintenant, j’ai accès autraitement et au préservatif, et j’ai unemachine à coudre. Grâce à elle, les bonsjours, je me fais dans les 5 dollars. »

Reste que, selon James, certainstravailleurs du sexe sont parfois tentésde retourner sur le trottoir. Et le projetsouffre aussi de sa dépendance vis-à-visde l’aide extérieure, car l’argent japonaiss’est épuisé : les « étoiles » sont donc à larecherche de nouveaux donateurs. Leprojet s’est pourtant attiré plusieurspartenaires, dont le Fonds des NationsUnies pour la population (FNUAP), pourqui les travailleurs sexuels constituentun groupe à haut risque du fait de lapropagation du VIH, et qui insiste doncsur la nécessité de mieux les prendre encompte. « Le VIH ne se répand passeulement chez les couples mariés,comme on le croit souvent : lestravailleurs du sexe sont les grandsoubliés », observe James.

Le projet a d’autres partenaires :Uganda Youth Development Link, uneassociation d’aide aux enfants des rueset aux jeunes, et l’ONG Beads for LifeUganda, qui apprend aux femmesougandaises à confectionner des bijouxà partir de papier recyclé. Les deuxorganisations s’emploient désormais àsensibiliser les jeunes à travers le payspour qu’ensemble, ils prennent leur vieen mains. �

Carol Natukunda, 28 ans, est

notamment lauréate 2008 du Prix

africain du journalisme d'éducation

décerné par l'Association pour le

développement de l'éducation en

Afrique (ADEA).

L Solitude, ombre et lumière, quelque part en Afrique.

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Tout a commencé le jour où KhalidaBrohi, aujourd’hui 22 ans, a apprisl’existence de la coutume appelée karokari (crime d’honneur). Le crimed’honneur est un meurtre, ou un actede violence extrême, commis par deshommes à l’encontre de femmes de leurfamille, lorsqu’elles sont perçues commecause de déshonneur pour la familletout entière.

Née dans une famille où elle pouvaitjouir d’une exceptionnelle liberté, encomparaison avec son entourage,Khalida a été horrifiée et a aussitôtdécidé de se battre contre cette

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La jeune sughardu Balouchistan

La conviction qui habite

Khalida Brohi se lit

instantanément derrière ses

yeux clairs et son sourire

chaud et inimitable. Qui

croirait pourtant que ce

menu brin de fille, née dans

une tribu au fin fond du

Balouchistan, province du

sud-ouest du Pakistan, ait

pu devenir, à 16 ans,

l’apôtre de la lutte contre

des traditions meurtrières

séculaires ?

Noshan Abbas rencontreKHALIDA BROHI

I Jeunes filles apprenant à tisser dans un centre

communautaire de Karachi, au Pakistan.

tradition ignoble. Dans l’impossibilitéd’agir directement contre les violencesfaites aux femmes, elle s’est mise àcomposer des poèmes qui dénonçaientle karo kari, et a lancé une virulentecampagne de sensibilisation au sein desa communauté.

Mais dans une société religieuse etconservatrice, où tout repose sur l’adagezan, zar, zamin (les femmes, l’or, la terre),les trois grands biens dont dépendl’honneur masculin, vouloir inciter lesdirigeants communautaires à distinguerles coutumes ancestrales des pratiquesreligieuses s’avéra plus dangereux que la

jeune fille ne l’avait imaginé. À en croire I. A. Rehman, président

de la Commission pakistanaise desdroits de l’homme (HRCP), « jadis, lecrime d’honneur sévissait dans les zonesreculées et tribales, mais il gagnemaintenant de grandes villes commeKarachi, Lahore ou Peshawar, s’infiltrantmême dans les régions sédentaires.C’est un véritable drame pour lesfemmes, d’autant que ces crimes nesont pas toujours signalés, même sidepuis la Loi sur les femmes de 2006, oncommence à le faire. On parleapproximativement de 800 à 1 000

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général dans lequel on tient les femmes,trois, et c’est sans doute la principale, lefatalisme avec lequel les femmes elles-mêmes acceptent la coutume. » Avantmême d’avoir essayé de faire bouger cesmentalités, Khalida s’est cependantheurtée au courroux du patriarcat. Elle avu sa vie menacée et a dû quitter sarégion d’origine.

Tradition contre tradition

« En 2008, la sécurité de notreassociation a été menacée », se souvientKhalida. « Nous avons été confrontés àl’opposition de certains responsablesreligieux et communautaires. Il fallaittout abandonner et fuir. » Son père lamet aussitôt en sécurité à Karachi pourqu’elle y achève ses études.

Mais il n’était pas question pour elled’abandonner une cause aussi brûlante.« Alors que tout était fini, je continuaisde me demander quelle erreur j’avaiscommise. “Je respecte la tradition” mesuis-je dit, et soudain, j’ai compris quece qu’il fallait, c’était promouvoir destraditions positives qui contribuent à

mettre fin aux crimes d’honneur, et c’estainsi qu’avec un groupe d’amis nousnous sommes mis à travailler avec lespopulations locales, en en faisant nosalliées. »

Une fois adoptée cette stratégie dudialogue, il fallut encore bien de lapersévérance de la part de Khalida et deson équipe et de son équipe pourparvenir à un résultat. « Nous avonscontinué de défendre la même cause,mais de façon moins agressive »,explique-t-elle qui entreprend alors dedétourner les traditions locales à sonavantage et d’affronter ces mêmesdirigeants tribaux qui l’avaientprécédemment menacée : « Dans notreculture, on ne chasse jamais quelqu’unde chez soi. Cela ne se fait pas. » C’estdonc escortée de sa suite qu’elle seprésente chez l’un des édiles, contraintde l’écouter et de répondre aux jeunesobstinés. « Nous nous sommes adressésà lui dans la langue locale et lui avonsexpliqué que nous comptionsencourager des traditions régionalescomme la broderie, la musique ou lapoésie. » Trois responsables ont réponduà l’appel et des imams ont mêmecommencé à prêcher en faveur desdroits des femmes, au nom de l’islam.

En plus de promouvoir destraditions locales positives grâce auxtravaux de broderie qui sont ensuitecommercialisés par la PDI, les centresSughar offrent aux femmes un tremplinvers une relative aisance financière, enplus d’une formation à valeur ajoutée etd’une éducation de base dans desdomaines comme les mathématiques,l’écriture et la santé génésique. Khalida ygagne une fenêtre d’opportunité poursensibiliser contre les crimes d’honneur :« Les femmes sont trop résignées, maisnous nous efforçons de changer ça eninvoquant le droit des femmes enislam... et là, nous sommes sûrs d’êtreentendus. » Convaincue que leurpassivité est la première cause de lapoursuite de ces crimes, Khalida vise lesfemmes, mais ne néglige pas le soutiendes hommes. Multipliant les outilscréatifs – tournois de cricket, théâtreinteractif, SMS, radio FM, info-militantisme et sensibilisationnumérique –, la PDI milite pour lesdroits des femmes en éduquant leshommes : l’assentiment des dirigeantstribaux ayant été obtenu, des débatssont organisés à leur intention,reprenant les arguments de l’islam.

meurtres par an. Le chiffre peut varierlégèrement d’une année sur l’autre,mais reste considérable. »

Contre vents et marées, Khalida aparticipé à la création en 2004 del'association Participatory DevelopmentInitiatives (PDI), afin de défendre desidées pionnières, telles le programme« Sughar » (dans la langue locale, c’estainsi qu’on désigne une femmeexpérimentée et sûre d’elle) quis’attaque aux crimes d’honneur enaidant les femmes des tribus à conquérirleur indépendance économique.

« Avec le temps, j’ai réalisé que laplupart de ces crimes frappaient desfemmes sans travail, car celles quirapportent un revenu mensuel sontvalorisées par leur famille. Ellesapprennent à se faire entendre et àcontribuer à la vie du ménage et de lafamille », remarque Khalida, soulignantle pouvoir de l’argent. Mais elle sait qu’ilfaut aussi peser sur les mentalités : « Il ya trois grandes causes au crimed’honneur : un, les politiquesgouvernementales, deux, le mépris

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Lorsqu’on lui demande d’évaluer sonaction, elle répond : « De 14 filles au seinde l’équipe, nous sommes passés à 40membres, aussi bien des hommes quedes femmes. C’est le signe que lesattitudes changent. J’ai entendu parlerde crimes d’honneur dans les régionsenvironnantes, mais il n’y en a pas eudans ma communauté depuis troisans. »

Un modèle de courage

Riche de ses propres économies et dusoutien financier de diversesassociations, Khalida a ouvert descentres Sughar dans plusieurs districtsdu Balouchistan, devenant membre del’Unreasonable Institute, lauréate duYoung Champion Award et boursière deYouthActionNet. Elle a lancé surFacebook une page intitulée« Campagne d’éveil contre les crimesd’honneur » (Wake Up Campaign AgainstHonour Killing) qui tient ses membres enalerte sur ces questions et diffused’autres informations connexes. MaisKhalida est consciente qu’en dépit dusoutien que lui apportent sa famille,plusieurs ONG internationales et son équipe, il reste des irréductiblesopposés à sa cause : « Au sein de notrecommunauté, ils sont minoritaires. Ilsgardent le silence, mais je sais qu’ilsattendent que nous trébuchions. C’estpourquoi je veille à ce que nous necommettions aucune erreur ».

Étendant son action en faveur desfemmes, le PDI a soutenu le programme

de distribution de terres aux paysannessans terre du Sind mis en œuvre par legouvernement de Benazir Bhutto. LaPDI a lancé le programme « Des terrespour les femmes » et assuré le suivi dece processus. Puis, constatant desirrégularités, l’ONG a appelé Oxfam à larescousse. La radio locale a été utiliséepour expliquer la nouvelle politiquefoncière dans les zones reculées, uneaide a été apportée pour remplir lesformulaires et un transport fourni auxfemmes devant intenter une action,assorti d’un soutien juridique. « En troisans, le programme a obtenu des terrainspour la moitié de ses 3 000 femmesmembres. »

Faisant la navette entre leBalouchistan et Karachi où elle achèveun premier cycle en relationsinternationales, sociologie et économie,Khalida a également levé des fondspour aider les victimes des inondationsdans le Sind. Avec le soutien d’Oxfam etde la Fondation Rockdale, elle a réunides fonds pour 25 000 familles de lazone, secouru 12 000 personnes etparticipé à la reconstruction.

Regardant en arrière, elle estime quele plus dur a consisté à préserver saréputation – un concept éminemmentculturel, dans une société où l’honneurest sacré, et donc vital. « La question dela respectabilité d’une fille se pose dèsqu’elle met le pied hors de la maison »,rappelle-t-elle. Ses parents ont toujoursété un modèle et un soutien. Mais, enriant, Khalida se souvient tout de même

que sa mère s’est fâchée – « Tu netrouveras jamais de mari ! » – lorsqu’onl’a invitée à Sydney pour le lancementdu partenariat d’Oxfam pour lajeunesse.

Balayant toute relation primaireavec le réel, Khalida relève la tête, plusdécidée que jamais à sauver des vies età inculquer aux femmes l’instinct deprotection et de défense de leur droitfondamental à l’existence. �

L Khalida Brohi (devant, à gauche) avec quelques bénéficiaires du programme « Sughar ».

Noshan Abbas, 26 ans, est une

journaliste pakistanaise, vivant à

Islamabad. Elle travaille pour Al Jazeera

et les cybermédias BBC Urdu et BBC

South Asia. Pour Plan international et

Rutgers WPF, elle a élaboré le premier

Cadre stratégique pakistanais pour les

adolescents.

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Le 11 mars 2011, le Japon a été frappé parun tremblement de terre d’une violencesans précédent dans l’histoire moderne,suivi d’un terrible tsunami. Bilan : plus de14 000 morts et 10 000 disparus. À peinequinze heures après le séisme, HironoriNakahara, directeur web de 32 ans, avaitréussi à lancer avec ces amis le site« buji.me », qui recueille et affiche desinformations relatives à la sécurité et à lasituation de chaque victime, ville par ville.Buji signifie sécurité en japonais.

« La première idée qui m’a traversél’esprit était : comment aider lesvictimes ? Dans une situation de ce genre,il faut réagir vite pour sauver autant devies que possible », note Hironori.

Il a quitté son appartement au centrede Tokyo et a marché pendant troisheures avant d’atteindre la maison de sonamie, près du quartier branché de

Shibuya. C’est là que Hironori et ses amisse sont réunis pour discuter de ce qu’ilspouvaient faire, et c’est là que l’idée de« buji.me » est née.

« J’ai commencé à écrire la premièreligne de code à 18 heures, cinq heuresaprès le séisme, et nous avons pu mettrele site en ligne dès 6 heures le lendemainmatin. J’ai très peu dormi pendant lescinq jours qui ont suivi, consacrant toutmon temps à améliorer le site web pour yhéberger autant d’informations quepossible sur les victimes. »

Si Hironori et son équipe avaientfacturé ce projet, son montant auraitavoisiné les 50 000 dollars. Mais larécompense qu’ils ont reçue est sanscommune mesure : « Grâce à ce projet,nous avons reçu de nombreux ettouchants messages de personnes quinous remerciaient de les avoir aidées à

localiser leurs proches », se souvientHironori. À partir de là toute sonattitude vis-à-vis du travail et de l’argenta changé : « Je ne pouvais plus travaillersur un projet sans me demander : va-t-ilaider quelqu’un ? Je me suis renducompte que l’importance d’un projet semesurait davantage à son impact sur lasociété, qu’au bénéfice pécuniaire qu’ilrapportait ».

Bonheur intérieur brut

Déjà, en 1968, le sénateur américainRobert Kennedy, dans son célèbrediscours du 18 mars, remettait enquestion la notion de progrès : « NotrePIB est maintenant estimé à plus de800 milliards de dollars annuels, mais ilinclut la pollution de l’air, la publicitépour le tabac et les courses desambulances envoyées pour ramasser lesaccidentés sur nos routes... », indiquait-il.« Par contre, il ne tient compte ni de lasanté de nos enfants, ni de la qualité deleur éducation, ni de la gaieté de leursjeux […]. Il ne mesure ni notreintelligence, ni notre courage, ni notresagesse, ni notre niveau d’études, ninotre aptitude à la compassion, ni notredévouement envers notre pays. En unmot, le PIB mesure tout, sauf ce qui faitque la vie vaut la peine d’être vécue. »

À son tour, Jigme Singye Wangchuck,l’ancien roi du Bhoutan, préconisait en1972 un indice de référence alternatif,mesurant la prospérité d’un pays enfonction du bonheur et du bien-être deses habitants : le Bonheur intérieur brut(BIB).

Depuis, beaucoup d’encre a coulé àce sujet et dans le Japon d’aujourd’hui,le PIB ne peut plus constituer l’indicenuméro un de la prospérité. Ces dixdernières années – donc bien avant leséisme – un bouleversement des valeurss’est opéré au sein de la sociétéjaponaise, notamment chez les jeunes,qui ont tendance à voir plutôt d’un bonœil la stagnation économique quiaffecte actuellement le Japon.

« Notre activité économique étaitdémesurée et hors de contrôle. Depuisque je suis petit, j’ai l’impression quetout ce qui m’entoure est excessif »,déclare Youki Amagai, étudiant de23 ans originaire de Chiba. « Jereconnais que l’argent est nécessairepour vivre, mais ce n’est pas quelque

J Le quartier Shibuya, à Tokyo, est un symbole de

la société de consommation japonaise.

Cela faisait un moment que la jeunesse japonaise

commençait à s’interroger sur les bienfaits d’une société

obsédée par la croissance économique. Quand le séisme et

le tsunami ont frappé le pays en mars dernier, des voix se

sont élevées en faveur d’un profond changement du

système de valeurs, qui donnerait la priorité au bien-être

social et à la solidarité.

Une révolutionqui ne dit pas son nom HIROKI YANAGISAWA

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chose qui répond à mes besoinsprofonds. Au lieu de faire les magasins,je préfère aller voir des personnes plusâgées que moi et partager des idéesavec elles. Ce qui m’intéresse enparticulier, c’est de discuter de ce quenous pouvons faire pour améliorernotre société, notamment en matièred’environnement, et de mobiliser lesgens pour agir », poursuit-il.

Depuis que la loi sur les associationsà but non lucratif a été adoptée, en1998, ce secteur est en pleine expansionau Japon. De nombreuses personnes sesont engagées dans des activitésbénévoles. « Pour ce qui est des biensmatériels, le Japon a atteint dessommets de sophistication. Maislorsqu’on se penche sur le systèmesocial du pays, on se rend compte qu’ilest défaillant et lacunaire. Beaucoup dejeunes actifs et d’organisations nonlucratives s’efforcent de combler cedeficit », constate Ikuma Saga,fondateur de Service Grant, la principaleagence japonaise chargée de mettre enrelation les bénévoles avec lesassociations.

Au vu du recul constant de lacroissance démographique japonaise, ilest possible qu’un nombre grandissantde pays dépassent le PIB du Japon dansl’avenir proche. Mais il n’y a pas lieu des’inquiéter. Le Japon devientcertainement plus heureux et plus fortgrâce à sa jeunesse. �

Hiroki Yanagisawa, 33 ans, est

journaliste free-lance et fondateur de

EDGY JAPAN (edgyjapan.jp), un site

web multimédia qui présente et met

en relation des talents, des produits et

des sites créatifs du Japon. Il vit et

travaille entre Tokyo et Hong Kong.

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Ils sont jeunes, ils sont interconnectés et ils veulent

participer au débat : des jeunes du monde entier ont lancé

un mouvement international pour avoir voix au chapitre lors

des conférences sur les changements climatiques. Car c’est

de leur avenir qu’il s’agit.

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« Je ne suis qu’une enfant et je n’ai pastoutes les solutions, mais je veux quevous réalisiez que vous non plus ! »

En 1992, Severn Cullis-Suzuki n’avaitque 12 ans lorsqu’elle a prononcé soncélèbre discours au Sommet de la Terredes Nations Unies à Rio de Janeiro.« Vous ne savez pas comment réparer lacouche d’ozone. Vous ne savez pascomment ramener le saumon dans leseaux polluées. Vous ne savez pascomment ramener à la vie des animauxdésormais éteints. Et vous ne pouvezpas ramener les arbres des zones quisont maintenant des déserts. Si vous nesavez pas comment réparer tout ça, s’ilvous plaît, arrêtez la casse ! »

Près de vingt ans plus tard,l’intervention de Severn Cullis-Suzukin’a pas été oubliée. Elle fait même uncarton sur YouTube. « La jeune fille qui afait taire le monde pendant sixminutes », dit le titre de la vidéo qui,aujourd’hui encore, continue de vousprendre aux tripes.

Severn Cullis-Suzuki est Canadienne,mais elle a pris la parole pour tous lesenfants et les jeunes de ce monde, etnotamment pour ceux qui n’ont pas eula chance de grandir dans un pays richecomme le sien. Un tiers de l’humanitéest jeune. Ce sont deux milliards depersonnes, qui n’ont généralement pasde voix politique. Leur sort repose entre

les mains des adultes. « Vous décidez dumonde dans lequel nous allonsgrandir », déclarait Severn.

Des héritiers endettés

Le conflit de génération est réel : lesjeunes ont réalisé que les adultes leurlaissaient une dette à la foiséconomique et écologique. En 2010, les27 États membres de l’UnionEuropéenne (UE) étaient endettés àhauteur de 8,7 billions d’euros. Unbillion, c’est un nombre que l’on a peineà se représenter... l’équivalent de millemilliards, soit le chiffre 1 suivi de douzezéros. Chaque enfant européen naîtavec un déficit d’environ 17 000 eurossur son compte. Cet endettementtraduit la lâcheté politique consistant àse défausser sur ceux qui ne peuventpas se défendre, car ils sont trop jeunesou ne sont même pas nés.

La dette écologique accumulée parplusieurs générations depuis près d’unsiècle est colossale. Nous consommonsplus d’énergie et de ressources fossilesque la planète ne peut le supporter.Depuis le début de l’industrialisation,l’homme dégage une quantitécroissante de CO2 dans l’air. L’effet deserre réchauffe la planète : latempérature moyenne sur Terre aaugmenté de 0,74 degré Celsius depuis1905. La première décennie du 21e

siècle a été de loin la plus chaudedepuis que l’on dispose de relevés detempératures. Les conséquences duchangement climatique se font déjà

et pourcause

JENS LUBBADEH

Manifestation contre l'industrie minière et

pétrolière à Montréal (Canada), lors du Congrès

mondial de l'énergie, en septembre 2010.

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sentir : la banquise arctique recule, lenombre de catastrophes climatiquesaugmente, le niveau de la mer s’élève, lesglaciers fondent.

« Nous n’héritons pas la Terre de nosancêtres, nous l’empruntons à nospetits-enfants », lit-on sur le site duMouvement international des jeunespour le climat (http://youthclimate.org).Ce proverbe amérindien pose bien leproblème : ce sont les jeunesd’aujourd’hui qui vont payer les frais denotre mode de vie à crédit. « Alors quenous nous dirigeons vers un monde oùil faudra limiter les émissions decarbone, ce sont les jeunes quisupporteront toutes les conséquencesfutures des actions présentes del’humanité », poursuit le site web.

Le Mouvement des jeunes pour leclimat réunit des personnes du mondeentier. Il a des antennes dans denombreux pays sur tous les continents.Depuis la Conférence sur leschangements climatiques organisée en2005 à Montréal (Canada), chaquemembre au niveau national envoie desreprésentants aux rencontres mondialessur le climat.

« Notre génération a compris que lespeuples du monde entier serontaffectés par le changement climatiqueet que nous avons tous le devoird’agir », explique Neva Frecheville,29 ans, membre de la coalitionbritannique où elle coordonnel’engagement international. Clairement,les jeunes d’aujourd’hui ne veulent plusregarder passivement les adultesdécider de leur sort : « Nouscommençons à montrer que nousn’allons pas accepter cette situation, etque nous allons changer les choses ànotre façon », poursuit Neva.

En 2009, les sections nationales ontformé YOUNGO, une associationprônant une réduction du CO2 àl'échelle mondiale de 85 % d'ici à 2050(par rapport à 1990). YOUNGO a étéreconnue officiellement comme uncollectif représentant les intérêts desjeunes au sein de la Convention-cadredes Nations Unies sur les changementsclimatiques (CCNUCC). Ce statut estprovisoire, mais ne devrait pas le rester.« L’année 2011 est cruciale pour lecollectif YOUNGO, car son statut seraexaminé pour être officialisé », expliqueChristiana Figueres, secrétaire exécutivede la CNUCCC. « Cependant, cetteofficialisation ne signifiera pas le “début”

de l’engagement, car des enfants et desjeunes participent déjà aux rencontresde la CNUCCC depuis 2000. »

Lors des conférences sur le climat deCopenhague (Danemark) et de Cancún(Mexique), les jeunes se sont pour lapremière fois exprimés d’une seule etmême voix. Certes, ils n’ont pas encorepu participer aux décisions en sejoignant aux négociations. « Comme lesautres collectifs de la CNUCCC, YOUNGOn’a qu’un statut d’observateur. Nous nepouvons pas prendre part auxnégociations, mais nous pouvons fairedu lobbying pour essayer d’influencerles décisions. La reconnaissance dustatut d’observateur permet aux jeunesd’avoir plus facilement accès auprocessus, aux négociateurs et au

secrétariat », explique Neva. ChristianaFigueres le confirme : « Le statut decollectif facilite les échangesd’information entre les jeunes et lesecrétariat et il aide à orchestrer laparticipation active des jeunesreprésentants lors des réunions de laCNUCCC. » En outre, « les membres deYOUNGO sont également invités àprendre la parole, ce qui permet auxjeunes du monde entier de s’exprimerau niveau le plus élevé de la CNUCCC »,affirme Neva.

Il est à souligner que depuis six ans,les jeunes militants organisentrégulièrement leur propre conférence,qui se tient toujours quelques joursavant la conférence mondiale sur leclimat.

L Scène de « Silent Evolution » (évolution silencieuse), installation sous-marine de l’artiste britannique Jason

deCaires Taylor, évoquant les dangers de l’élévation du niveau de la mer. Créée à l’occasion de la Conférence

mondiale sur les changements climatiques (COP16) de 2010 à Cancún, au Mexique, elle met en scène des jeunes

qui évoluent dans un univers de 400 sculptures immergées.

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Pas si apolitiques que ça

On dit souvent que les jeunesd’aujourd’hui sont apolitiques. En yregardant de plus près, la réalité est pluscomplexe. Certes, les jeunes s’intéressentpeu à la politique traditionnelle et encoremoins à ceux qui l’exercent. Ils netiennent pas en haute estime les partis etles hommes politiques : seul un tiersenviron des Européens âgés de 16 à29 ans leur fait confiance. Mais ce chiffren’est pas plus élevé chez les personnesplus âgées. Cécile Lecomte, jeuneFrançaise de 29 ans, milite pourl’environnement. Elle vit dans la ville deLunebourg, dans le nord de l’Allemagne.Elle s’est notamment fait remarquer parses spectaculaires actions de blocage detrains transportant des déchetsnucléaires en se suspendant au-dessusdes voies. Selon elle, « le désintérêtpolitique n’est pas propre aux jeunes ».

La faiblesse de l’engagementpolitique traditionnel des jeunes estcertainement liée à cette perte deconfiance dans les hommes politiques.Selon Eurostat*, seuls 4 % des jeunesEuropéens sont membres d’un parti. Etseuls 16 % pensent que la voieparlementaire est la meilleure façon dese faire entendre.

En réalité, ils s’engagent en politiqued’une autre manière : « Nous sommesextrêmement politisés et cette tendanceva croissant, car nous nous sentons deplus en plus exclus et déçus », affirmeNeva. Les jeunes Européens estimentque l’engagement politiqueextraparlementaire – organiser desdébats (30 %), participer à desmanifestations (13 %) ou soutenir unepétition ou des ONG (11 %) – est bienplus efficace. Cécile est du même avis.Elle trouve que ces dernières années,l’engagement des jeunes dans les actionsde protestation a véritablement explosé.

Cette tendance s’observe dans lemonde entier, notamment dans les paysoù la voie politique traditionnelle estverrouillée, faute de démocratie. « Denombreux mouvements menés par desjeunes sont nés récemment, que ce soitau Royaume-Uni au sujet des frais descolarité, ou dans des pays commel’Égypte et la Tunisie », commente Neva.« Les jeunes Européens s’unissent pour

contourner les ONG “adultes” et influersur la politique de l’UE. »

Pour Christiana Figueres, il est encoreplus important que les jeunes s’engagentau niveau national : « J’encourage sanscesse les jeunes à participer activementau développement de capacités denégociation et de politiquesenvironnementales dans leur pays »,affirme-t-elle. « C’est à ce niveau qu’ilspeuvent le plus inciter lesgouvernements à prendre des mesures àlong terme, en leur faisant comprendreque c’est la génération future qui sera leplus affectée par le changementclimatique. »

Il est intéressant de constater que laconfiance des jeunes dans les institutionspolitiques (parlements, etc.) est bien plusélevée que leur confiance dans leshommes politiques eux-mêmes. Lesinstitutions supranationales bénéficientd’encore plus de suffrages : 70 % desjeunes ont de l’estime pour le Parlementeuropéen et les Nations Unies. Sur cepoint, les jeunes se différencientnettement des personnes plus âgées. Ilsne pensent probablement plus tant entermes de frontières et voient la mise enréseau et la coopération comme deséléments positifs, qui inspirent confiance.Neva le confirme : « Les jeunes montrentqu’il est possible de mettre les intérêtsnationaux de côté afin de collaborer pourle bien commun ».

L’influence d’internet a certainementquelque chose à voir là-dedans. En2008, 70 % utilisaient le web tous lesjours, et ce chiffre est en hausse cesdernières années. Sur ce pointégalement, on note un réel fossé entre

Jens Lubbadeh, 36 ans, est

journaliste au Greenpeace Magazine,

Allemagne. Il est correspondant du

Courrier de l’UNESCO depuis 2009.

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Les chiffres concernant la jeunesse en Europe citésdans cet article proviennent de Youth in Europe, Astatistical portrait, 2009 edition, Eurostat,Commission Européenne.

les générations : les jeunes maîtrisentbien mieux les possibilités d’internetque les personnes plus âgées. Lesréseaux sociaux, Twitter et les chats sontbien plus utilisés et marquent unnouveau style de relation et de contact :« Nous utilisons des médias sociauxinnovants de manière bien plus efficaceque les délégués plus âgés de laCNUCCC », explique Neva. « Noussommes plus créatifs, innovants etludiques, car nous ne sommes pasfreinés par des styles et des habitudesde campagne dépassés, nous créons enpermanence de nouvelles approches.Notre discours est souvent bien pluspositif, plutôt pro qu’anti. Nousessayons d’imaginer l’avenir dans lequelnous souhaitons vivre. » �

L Jeune scout nettoyant la baie de Manille dans le cadre du projet Ticket to life, Philippines.

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Zhan Yufeng travaille douze heures parjour, sept jours sur sept. Ce jeune hommede 24 ans est à la tête du Réseau d’actionpour le climat des jeunes Chinois (ChinaYouth Climate Action Network – CYCAN),une association à but non lucratif. « J’aides journées très chargées. Je passe montemps à former des bénévoles, collecterdes fonds, rencontrer des partenaires »,explique-t-il. « Parfois je reste au bureautoute la nuit. »

Depuis l’année dernière, Zhan esttitulaire d’un diplôme en art et design del’Institut de la mode de Beijing. Quand ila été invité à participer à la préparationd’une campagne du CYCAN pour laJournée des Nations Unies, le24 octobre 2009, Zhan ne connaissaitpas grand chose au changementclimatique.

Mais il a conçu le logo, les posters etles brochures de cette campagne qui afini par attirer des groupes d’étudiantsde 200 universités de tout le pays et unecinquantaine d’ONG. Elle a touché plusde 5 millions de personnes. « Pendantun mois, j’ai travaillé dur avec denombreux bénévoles. Je suis devenuaccro. Ça a été comme un coup defoudre », se rappelle Zhan.

En décembre 2009, à Copenhague, au Danemark,

d’étranges médecins abordent les passants, leur proposant

un bilan de santé et des ordonnances. Leur attitude tranche

avec l’image qu’on se fait des vieux et doctes médecins

chinois dont ils portent la tenue traditionnelle. Et pour

cause : ils ne sont pas plus médecins que les passants ne

sont malades. Mais le diagnostic qu’ils portent sur notre

planète est bien réel.

ZHAO YING

C’est çaou rien

Plus de 30 000 jeunes ont participédirectement à cette journée soutenuepar le Programme des Nations Uniespour l’environnement (PNUE) etd’autres organisations. Ils ont réalisédes happenings, ont utilisé desventilateurs pour faire fondre desmontagnes de neige, ou se sont peintle torse en bleu pour rappeler au publicque le niveau de la mer monte sousl’effet du réchauffement climatique, ilsse sont déplacés en vélo ou en skate aulieu de prendre leur voiture, etc.

« Mes compagnons étaientpassionnés et dynamiques. J’ai sentileur dévouement, leur persévérance etleur énergie », explique Zhan, quiajoute que cet événement lui a montréun autre versant de la sociétéconsumériste, où les jeunes s’engagentà fond pour une planète plus verte etun avenir plus propre.

À la suite à cette campagne, lesresponsables du CYCAN ontcommencé à recruter des candidatspour la 15e Conférence des NationsUnies sur les changements climatiques(COP15), convoquée à Copenhague auDanemark en décembre 2009,composant ainsi la premièredélégation de jeunes Chinois appelée àparticiper à des discussionsinternationales sur le climat.

L’enjeu était crucial, car ils s’étaientrendus compte qu’il n’y avait eu qu’unseul jeune Chinois aux négociations surle climat de Poznan (Pologne) en 2008,alors que des centaines de jeunes desÉtats-Unis, d’Europe et d’autres régionsdu monde avaient pris part aux débats.

Zhan avait hésité : « Je trouvais quemon anglais n’était pas assez bon pourparticiper à une conférenceinternationale. J’avais peur de ne pasêtre à la hauteur ». Mais il a finalementrejoint la délégation commephotographe et concepteur deprogrammes.

En plus de concevoir des slogans,des tee-shirts et des posters et d’assurerla couverture photographique de laconférence, Zhan et ses compagnonsont organisé des événements, commece « diagnostic d’une planète malade » :habillés en médecins traditionnelschinois, ils proposaient des « bilans desanté » aux participants. Ceux quisignaient des pétitions contre leréchauffement climatique recevaientdes « ordonnances » pour lutter contreles maux de la planète.

L’équipe a également pu débattreavec d’éminents responsables chinois etétrangers, correspondants de presse etnégociateurs climatiques, comme levice-ministre chinois de la Commission

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sur le développement d’État et laréforme, Xie Zhenhua, ou le secrétaire auCommerce américain, Gary Locke.

Leur slogan était No Other Way (C’estça ou rien). Son abréviation, NOW(maintenant), appelle à agirimmédiatement pour réduire lesémissions de carbone et enrayer leréchauffement climatique.

Écouter ne suffit pas

COP15 a révélé à Zhan le retard desjeunes Chinois, notamment en matièrelinguistique. La plupart de sescompagnons comprenaient la teneur desdiscours, mais une poignée seulementétaient capables de s’exprimer en anglais.Zhan a été par contre très impressionnépar le professionnalisme des autresjeunes délégués étrangers :« Expérimentés, pleinement au fait desmécanismes et des politiques de laconférence... Ils ont fait des propositionsgéniales, et, nous, nous avons écouté ».

Les universités chinoises offrent eneffet peu de formations spécialiséesdans les questions climatiques, et lesjeunes militants chinois n’ont passouvent l’occasion d’échanger desinformations sur ce sujet avec leurshomologues étrangers.

En vue de COP15, le CYCAN avaitformé tous les délégués sur le

fonctionnement des débats, laproblématique du changementclimatique, la collecte de fonds, lesrelations publiques et la gestiond’événements. Mais Zhan fait remarquerque ce n’est pas suffisant et qu’il fautaux jeunes une formation et une mise àniveau constantes. Dès son retour enChine, il s’est fait embaucher à pleintemps au CYCAN.

Fondée en 2007 par sept groupes dejeunes Chinois, l’ONG ne compte que troissalariés permanents. Une grande partiede son action repose sur les 51 bénévolesvivant à Beijing et sur un noyau de neufmembres vivant ou étudiant à l’étranger.

Zhan est monté à la tête del'association suite à une série decampagnes majeures, notamment leSommet international des jeunes surl’énergie et le changement climatiqueorganisé en juillet 2010 à Shanghai, et unconcours d’énergie verte, Great PowerRace, qui a attiré un millier d’universitéschinoises, indiennes et américaines.

Originaire de la province côtière deGuangdong, dans le sud de la Chine,Zhan avait l’habitude de courir lesgaleries d’art de la capitale, d’aller aucinéma et au théâtre, et de jouer aubillard avec ses amis après les cours. Sonnouvel emploi du temps professionnelne le lui permet plus.

J Zhan Yufeng manifeste à Copenhague, au

Danemark, lors de la 15e Conférence des Nations

Unies sur les changements climatiques (COP15),

arborant le slogan de son association.

Zhao Ying, 34 ans, à l’Expo Shanghai

2010, qu’elle couvrait pour le compte

de l’agence de presse Xinhua, où elle

est employée depuis 1999. Elle est

actuellement journaliste à China

Features, une section de Xinhua.

La planète passe avant la mode

S’il était, comme prévu, devenudesigner professionnel à la fin de sesétudes, son revenu serait sans doutetrois fois plus élevé. Mais, dit-il, « je nesuis pas pressé de gagner de l’argent. Àmon âge, ce qui compte, c’estd’améliorer ses compétences générales.Le CYCAN est un endroit où je peuxapprendre en permanence en croisantdes gens de tous les milieux ».

La collecte de fonds etl’encadrement des bénévoles est pourlui une préoccupation. L’an dernier, lesemployés du CYCAN n’ont pas été payéspendant trois mois. « Nous avonssouffert, mais nous avons résolu leproblème en présentant des plansconstructifs aux fondations et auxsponsors », dit-il.

Certains meneurs ont aussi quitté leCYCAN pour entamer de nouvellescarrières ou étudier à l’étranger,obligeant l’organisation à rechercher dusang neuf. « Il y a en Chined’innombrables associations de jeunes,mais il leur faut de toute urgenceaméliorer leur expertise si elles veulentse faire entendre », conclut-il. �

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À peine née, la nouvelle voie estbaptisée : Ciclovía Ciudadana (Pistecyclable citoyenne). Les jeunes l’ontentièrement payée de leur poche :l’équivalent de 1 000 dollars. Bien quetracée sans autorisation, elle ne restepas longtemps illégale. Dès lelendemain, le Secrétariat aux Transportsde l’État de Jalisco se prononce enfaveur de l’initiative. Il s’engage nonseulement à améliorer la piste et à lafaire respecter, mais aussi à officialiser àl’avenir toute initiative citoyenne de cegenre, du moment qu’elle est conformeau Plan directeur de mobilité non-motorisée.

De quel plan s’agit-il ? Pour le savoir,il faut remonter à 2007, à Guadalajara,deuxième ville du Mexique et capitalede l’État de Jalisco. Une protestationcitoyenne s’organise contre latransformation de l’avenue LópezMateos en voie rapide. Paulina, qui serend à l’université en voiture, aurait pu ytrouver un intérêt personnel, mais elleestime que le projet est monté sansconcertation avec la population localeet qu’il va à l’encontre de ses besoins. Àcette époque, elle suit justement uneformation sur la gouvernance et latransparence de l’action publique.Quant à Jesús, étudiant en philosophieadepte du vélo, il ne peut que s’opposerà un projet d’aménagement urbain quiprivilégie l’usage de l’automobile.

Aujourd’hui, à 24 et 27 ansrespectivement, ils sont devenus devéritables experts en urbanisme etdéveloppement durable. Ils s’exprimentavec professionnalisme, négocient avecles autorités, parlent aux médias. « Il abien fallu apprendre à débattre et àexposer nos arguments face auxdécideurs politiques », déclare Jesús.D’autant que leur première protestationliée à l’avenue López Mateos n’avait pasabouti aux résultats escomptés. Maiselle a donné un autre fruit, qui s’inscritdurablement dans la vie de la cité : lanaissance du mouvement citoyenCiudad Para Todos (Ville pour tous).

Cela faisait donc quelques annéesdéjà que les jeunes de Ciudad ParaTodos avaient entamé le dialogue avecle gouvernement de Jalisco pour leconvaincre de l’importance de tracer unréseau de pistes cyclables dans la zonemétropolitaine de Guadalajara, quicouvre huit municipalités, dontZapopan. Il avait abouti à l’élaborationdu Plan directeur de mobilité non-motorisée, document d’un millier depages rédigé par un cabinet-conseilavec la participation de la société civile.La lutte semblait gagnée, quand unnouveau gouvernement est arrivé aupouvoir, moins sensible au sujet. Armésde patience, les jeunes ont recommencéà zéro. Ils ont fait des démarches pourconvaincre les nouvelles autorités

RUTH PÉREZ LÓPEZ

Les photos sont de Gerardo Montes de OcaValadez, 33 ans, psychologue et artiste visuelmexicain. Il est membre de Ciudad Para Todos. Pour plus d’informations: http://gmove.wordpress.com/ ethttp://www.flickr.com/photos/gmov/

Un beau matin, au tout

début de cette année 2011,

une trentaine de jeunes

assiègent l’avenue Santa

Margarita à Zapopan,

municipalité de l’État de

Jalisco, au Mexique. Ils

fixent une machine de

traçage à un tricycle de

transport et c’est parti ! En

fin de matinée, une ligne

blanche borde l’avenue sur

cinq kilomètres de long, des

pictogrammes de vélo sont

dessinés au sol, des

panneaux de signalisation

attachés aux poteaux.

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d’allouer des fonds à l’exécution duPlan. Mais c’était peine perdue. Alors, ilsont décidé d’agir par d’autres moyens etde tracer eux-mêmes leur piste cyclable.« On ne disposait d’aucun moyen légalpour les obliger à exécuter le Plan », sesouvient Jesús, « alors on a décidé des’en charger. » Les autorités ayantfinalement donné leur bénédiction, unenouvelle piste cyclable a vu le jour àZapopan en mars dernier, suivant lamême méthode.

Convivialité rime avec sécurité

Mais le combat des jeunes de CiudadPara Todos ne s’arrête pas là. Cesdernières années, ils ont lancé denombreuses activités dans différentsquartiers de la ville, afin de récupérer lesespaces publics. S’opposant à laconstruction d’une voie rapide surl’avenue Inglaterra, ils ont lancé avec lesoutien des riverains un projet de « parclinéaire », visant à valoriser le terre-pleincentral qui sépare les deux voies decirculation. Ils l’ont transformé enpromenade où ils se retrouvent tous lessamedis pour mener toutes sortesd’activités : plantation d’arbres, créationd’un jardin, organisation de spectaclespour enfants, etc. Le « parc nomade » estle nom d’une autre de leurs actions, quiconsiste à occuper des espaces destinésà l’automobile en s’installant sur une oudeux voies de circulation pour y

proposer des jeux, faire de la musique,organiser des courses ou encore jouerau football. L’objectif n’est pas debloquer la circulation des voitures, maisde la ralentir et de pallier le manqued’espaces récréatifs de la ville. La nuittombée, ils organisent des projectionsde films et de documentaires en pleinair.

C’est dire que ces jeunes ne secontentent pas de protester :enthousiastes, ils proposent, de manièredynamique et ludique, des formesalternatives de développement urbain.Aux dires de Gerardo, militant dumouvement et auteur des photosillustrant cet article, l’espace public doitêtre aménagé de manière à faciliter leséchanges entre les personnes. Il doit« inviter à la convivialité, renforcer lacohésion sociale et préserver l’identitédes quartiers ». Gerardo précise que lesactions menées par ces jeunes visent àtransformer la ville et les modes desociabilité dans l’espace public, demanière à combattre l’insécurité enmilieu urbain. En outre, ellescontribuent à la construction de lacitoyenneté et au développement deprocessus participatifs de prise dedécision. Dans ce sens, leurs actionsn’ont pas seulement un impact surl’espace public et la vie quotidienne deshabitants, mais aussi sur la vie politiquede la ville. �

Ruth Pérez López, 34 ans, est une

socio-anthropologue espagnole,

militante au sein de Bicitekas A.C.,

association qui promeut le vélo et le

transport durable à Mexico. Elle a

publié plusieurs livres et articles sur la

pauvreté, la jeunesse, l’espace public et

le changement social.

http://bicitekas.org/

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Scène du projet

« Parc nomade ».

© Gerardo Montes

de Oca Valadez,

Guadalajara

« La vie, c'est comme une

bicyclette, il faut avancer pour

ne pas perdre l’équilibre. »

Attribué à Albert Einstein

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4 8 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J U I L L E T S E P T E M B R E 2 0 1 1

On se demande souvent ce quidétermine le cours de nos vies. En ce quime concerne, ce fut une grave maladie,qui a contraint l’enfant que j’étais àgarder le lit plusieurs mois, entre la vie etla mort. Pendant cette longue période desolitude, la lecture et la méditation sesont converties en dures leçons qui ontfortifié mon esprit et mon caractère.

Après plusieurs années de lutte, j’airecouvré la santé, avec le sentimentqu’une seconde chance m’était donnée,qu’il me fallait saisir pour faire de ma vieet de mon travail des instruments dechangement et de progrès au service desplus démunis.

L’architecture – profession que j’aichoisie tout petit – est considéréecomme une carrière très éloignée dessociétés défavorisées : on la croit surtoutl’alliée du prestige et de la célébrité quede nombreux architectes obtiennentgrâce à des réalisations spectaculaires etcoûteuses. J’ai voulu quant à moi

changer cette image vieille et désuète del’impact que peut avoir l’architecte sur lasociété. Et j’ai décidé de me consacrerentièrement au développement deprojets et de recherches dans le domainede l’architecture durable, des nouvellestechnologies, du changement climatiqueet des solutions que l’architecture peutapporter face aux risques naturels.

Après des années d’efforts, je suissorti premier de l’université San Agustínd’Arequipa, dans ma ville natale, auPérou. Ça a été le premier coup de pouce.Quelques mois plus tard, j’ai eu la chancede participer à un concours internationald’initiatives environnementales. Avec lesoutien de mes mentors, j’ai préparé unprojet de régénération du bassinhydrographique de la rivière d’Arequipa,visant à préserver l’activité agricole touten encourageant le tourisme participatifdans les zones de culture.

Mon projet a été primé et j’ai gagnéun voyage en Allemagne pour participer

à la Conférence des jeunes adultes surl’environnement organisée par la sociétéBayer. Nous nous sommes retrouvés àplus d’une centaine de jeunesenvironnementalistes pour un échange àla fois scientifique et culturel sur lesmoyens de lutter efficacement contre lechangement climatique

C’est grâce à ce voyage que j’aicommencé d’écrire aussi dans lescolonnes de Tunza, le magazine duProgramme des Nations Unies pourl’environnement (PNUE) dédié auxjeunes. Et c’est par ce biais que j’ai puéchanger mes opinions et mesexpériences avec beaucoup d’autresjeunes au niveau mondial, ce qui s’estrévélé une formidable sourced’inspiration et de motivation.

Qu’est-ce qui peut servir à la

fois de réservoir d’eau, de

site d’hivernage, d’abri,

d’igloo, de moulin à eau, de

canot et de radeau ? Difficile

de trouver la réponse, n’est-

ce pas ? Pourtant, la chose

existe, elle est fabriquée

avec des bouteilles en

plastique et des câbles de

récupération, et elle

s’appelle écocylindre. Son

inventeur, le jeune

architecte de 26 ans Carlos

Bartesaghi Koc, raconte

pourquoi il a inventé cet

engin, parmi bien d’autres.

CARLOS BARTESAGHI KOC

Cet article est le fruit d’une collaboration avecTunza, magazine du Programme des Nations Uniespour l’environnement (PNUE) dédié aux jeunes.Consultez son site : http://tunza.mobi/fr/

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par les paysans à partir du recyclage etde la réutilisation de résidus produitsdans les grandes villes. Pour ce qui estdu second projet, il s’agit d’un designurbain pour de nouveaux circuitstouristiques à l’intérieur des célèbrescarrières de sillar (une pierre volcanique)d’Arequipa. La création de ces circuitscréera de nouveaux emplois, tout enprotégeant et améliorant les conditionsde santé et de sécurité des ouvriers descarrières, menacés par une expropriationsauvage.

Actuellement, je travaille à un projetd’usine de traitement des déchetsurbains de la ville d’Arequipa (thèse detitularisation), qui comprend la créationd’un site d’enfouissement contrôlé et saréhabilitation en parc paysager en fin devie utile. Il prévoit la construction d’uneusine de triage des déchetsinorganiques et d’une usine deproduction de compost. Les travailleursinformels qui s’y trouvent actuellementbénéficieront d’un contrat de travail enbonne et due forme, assorti demeilleures conditions de santé,d’hygiène et de sécurité. On leur offriraaussi des possibilités en matière deformation, de garde d’enfants et deloisirs au sein de ces mêmesinfrastructures. Les enfants et les jeunespourront visiter un musée de ladécharge et suivre des parcourséducatifs à l’intérieur de l’usine.

Dans les années à venir, j’espèrecontinuer d’enseigner et de développerune architecture à faible coût,respectueuse de l’environnement. Monobjectif : contribuer à faire de ce mondeun lieu plus juste et plus digne pourl’homme et pour la nature. �

Site de Carlos Bartesaghi Koc :http://www.wix.com/carlosbartesaghikoc/cbk

J’ai ensuite organisé des expositions,des événements et des campagnes, j’aidonné des conférences et j’ai été priscomme assistant à l’université. Encollaboration avec une ONG locale, j’aipu concevoir des projets sociaux etenvironnementaux de plus grandeenvergure qui m’ont fait voyager àtravers la sierra péruvienne et m’ontpermis de me faire une idée de lapauvreté et de la désintégration socialequi s’accroît chaque jour dans notre pays.

Technologies innovantes

Cette expérience a affermi maconviction de toujours : dans des paysémergents comme le mien, il fautappliquer des technologies d’un trèsfaible coût, susceptibles d’être adaptéesà différents contextes sociaux, culturelset économiques. C’est ainsi qu’est née,par exemple, l’idée de l’écocylindre, unabri multifonctions que j’ai élaboré àpartir de bouteilles en plastique et decâbles de récupération formant desparois entrelacées accolées l’une àl’autre. Ce cylindre peut être utilisé etadapté de mille manières selon le lieu,les besoins ou les conditionsclimatiques. Il peut servir de réservoird’eau, de site d’hivernage, d’abri, d’igloo,de moulin à eau, de canot ou de radeau.

D’autres projets, comme« Agrotourisme systémique » ou« Carrières écotouristiques », participentde cette même idée initiale de fusionnerles activités locales, agricoles ouindustrielles, et le tourisme participatif.Dans le premier cas, les habitantshébergent gratuitement les touristesqui, en échange, leur donnent un coupde main et apprennent d’eux lestechniques agricoles ancestrales. Leprojet prévoit également des « abrisautoconstruits », bâtiments fabriqués

LK L’écocylindre de Carlos peut être utilisé et adapté

de mille manières selon le lieu, les besoins ou les

conditions climatiques.

L L'architecte péruvien Carlos Bartesaghi Koc fait un

exposé à Leverkusen (Allemagne), en 2007, en sa

qualité de « jeune envoyé environnemental » de Bayer.

Vue panoramique du projet

« Agrotourisme systémique »

contenant des « abris

autoconstruits », 2009.

© Carlos Bartesaghi Koc

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KHALED YOUSSEF répond aux questions de Khaled Abu Hijleh

Vous faites partie des éminents

défenseurs des revendications portées

par la révolution du 25 janvier en

Égypte, à laquelle vous avez

activement participé. Quelles étaient

vos motivations ?

Je pense que ma participation allait desoi. J’ai en effet pris part à la grandemajorité des manifestations contre le

Larévolutionun haut fait de civilisationQu’il puisse être l’auteur de films ayant préparé le terrain à la révolution égyptienne de

janvier 2011 est une accusation qu’il ne nie pas et un honneur qu’il ne revendique pas.

Pour Khaled Youssef, coréalisateur avec Youssef Chahine du Chaos (2007), le « printemps

arabe » traverse les générations et les frontières. Il livre ici sa vision des événements et de

leurs conséquences sur l’échiquier des arts, de la société et de la politique internationale.

Khaled Youssef à

l’UNESCO, lors de

la projection de

son film Le Chaos,

le 13 avril 2011.

© UNESCO/Michel

Ravassard

NO

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NV

ITÉ Toutes les

générations ont

participé à la

révolution,

même celles qui

ne sont plus là.

régime depuis les années 1980, en tantque président du syndicat desétudiants. Puis, dans les années 1990,nous nous sommes opposés auxdécisions du gouvernement,notamment sur la guerre du Golfe, maisaussi à sa politique intérieure, marquéepar l’oppression et les injusticessociales.

Aussi, lorsque les jeunes ont lancésur Facebook l’appel à manifester (ils’agissait alors de dénoncer les pratiquesrépressives des forces de l’ordre), il étaitpour moi tout naturel de m’y associer,dès le premier jour.

Quand nous sommes parvenus à laplace Tahrir, le 25 janvier 2011, nousétions quelque 20 000 à 25 000

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suivait, j’ai grimpé à l’arrière d’un pick-up. La foule qui s’étendait sous mesyeux était si grande que je ne pouvaisen voir le bout. Je me suis dit : ça y est,c’est la révolution.

Pensez-vous que les films que vous

avez réalisés avec le grand cinéaste

égyptien Youssef Chahine, comme Le

Chaos, en 2007, ont contribué à une

prise de conscience politique chez la

jeunesse égyptienne ?

Je ne peux prétendre à l’honneur d’avoirinspiré cette révolution. Disons que c’està la fois une accusation que je ne niepas, et un honneur que je nerevendique pas. Mais certains estiment,en effet, que nos films, dont une partiedate des années 1980, ont joué un rôlemajeur dans la formation de laconscience de ces nouvellesgénérations qui étaient à l’avant-gardede la révolution.

La jeunesse d’un pays n’est pas une« génération spontanée ». La prise deconscience des jeunes est le fruit del’influence de toutes les formesd’expression humaine, de la poésie à lapolitique, en passant par la musique, lethéâtre, le cinéma. On pourrait doncaffirmer que toutes les générations ontpris part à cette révolution, même cellesqui ne sont plus là : pour moi, le

cinéaste Atef Al-Tayeb [1947-1995] y a participé au

même titre que

Youssef Chahine [1926-2008], ainsi quetous ceux qui ont misé sur la volontédes peuples et qui ont pris le parti dessimples gens.

La révolution du 25 janvier

influencera-t-elle le choix de vos

prochains films, au sens où elle

inaugure une ère nouvelle ?

Sans aucun doute, cette révolution vachanger non seulement la nature desœuvres cinématographiques, maisencore toutes les formes d’art et delittérature. Je pense que la renaissancesociale à laquelle nous aspironss’accompagnera d’une renaissanceculturelle. De nouvelles thématiquesvont s’imposer, ainsi que de nouvellesfaçons de les aborder et de lesreprésenter, reflétant ainsi l’interactiondialectique entre le climat politique et laproduction artistique.

En regardant en arrière, on verra quela révolution du 23 juillet 1952 [qui aconduit à la proclamation de larépublique d’Égypte] a marqué untournant dans l’histoire du cinéma.Jusqu’aux histoires sentimentales s’ensont trouvées modifiées. Il n’y a pas deséparation entre les sphères publique etprivée. Cela me rappelle un vers dugrand poète syrien Nizar Qabbani [1923-1998], qui se demandait si deuxamoureux pouvaient se retrouver sur lesbords du Nil ou de l’Euphrate sans voirpasser au-dessus de leurs têtes desavions partis frapper des enfantspalestiniens, irakiens ou libanais.

Cela dit, je pense qu’on vaassister à une profonde

renaissance

K Des étudiants de l’Université américaine du Caire

manifestent pour sensibiliser leurs pairs à

la nécessité d’une transition

démocratique en

Égypte.

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manifestants. Mais au fil des heures, lenombre des protestataires a grossi pardizaines de milliers, jusqu’à atteindrequelque 80 000 personnes au milieu dela nuit. Là, le pouvoir a ordonné lerecours à la force pour disperser lesmanifestants, et j’ai vu dans le regarddes jeunes une détermination qu’il n’yavait pas dans celui des militants de magénération. Les jeunes se sont opposésaux forces de l’ordre avec une ténacitéque je n’avais jamais observée au coursdes manifestations précédentes. J’aipensé que c’était le signe précurseurd’une révolution. Et j’en ai eu lacertitude le vendredi 28 janvier quandnous sommes descendus dans les rues,divisés en trois groupes, l’un partant dela mosquée Moustapha Mahmoud, dansle quartier de Mouhandissin, l’autre dela mosquée Al-Istiqama, à Jizzeh, et letroisième de la mosquée Al-Nour, dansle quartier d’Abbassiya, tous endirection de la place Tahrir, au cœur dela capitale. Je me trouvais dans lepremier groupe. Pour me faire une idéede l’ampleur du cortège qui nous

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des arts et des lettres dans notre pays,mais pas dans l’immédiat, car il faut untemps de maturation.

Nous nous dirigeons vers deprofonds changements, et quiconquene sera pas de taille à affronter lanouvelle Égypte qui se construit en cemoment se retrouvera isolé dans soncoin.

Quant au cinéma, on sait bien quec’est une question de vision. Mais unevision sans perspective d’avenir restestérile. Le cinéma doit donc à la fois êtreancré dans la réalité pour la refléterfidèlement, et se montrer visionnaire.

Bien qu’il soit peut-être trop tôt pour

tirer les conclusions de la révolution du

25 janvier, trouvez-vous satisfaisants

les premiers résultats obtenus à ce

jour ?

Je suis tout à fait satisfait des acquis qu’aapportés cette révolution, et trèsoptimiste quant aux réalisations à venir.La révolution est une science duchangement. Elle a déjà mené à unchangement du système politique. Ils’agit d’une chute emblématique durégime, que nous sommes en train deremplacer par un nouveau, en nousfondant sur les principes de liberté,d’égalité, de démocratie et de justicesociale, autant de revendications pharesde cette révolution. Je pense que cesprincipes portés par les manifestantsvont transformer jusqu’au modèle socialégyptien. Après la révolution du 23juillet 1952, on a vu les classesmoyennes progresser au sein de lasociété de 5 % à 90 %, un changementradical pour la société égyptienned’alors. Je crois donc que cetterévolution-ci va prochainementtransformer, de la même manière,l’ordre social établi, ainsi que la natureet la structure mêmes de la société. Caril n’est pas possible d’aller contre lavolonté des Égyptiens qui ont fait cetterévolution.

J’ai toujours estimé que la volontédes peuples porte en elle la volontédivine, que personne ne peut vaincre. Lepeuple égyptien a pris les choses enmain par cette initiative – je veux parlerde cette grande révolution qui constitueun haut fait de civilisation. Il me sembletrès peu probable que les changementsà venir restent superficiels ou que lenouveau pouvoir se construise sur unappareil sécuritaire et répressif commel’a fait le précédent régime.

Vous avez déclaré que nous nous

dirigions vers un monde multipolaire

dans lequel le monde arabe, emmené

par l’Égypte, aurait une place de choix.

Peut-on s’attendre à une transformation

globale du monde arabe qui

confirmerait cette vision des choses ?

(Rires) Je ne suis pas surpris del’engouement général pour l’idée d’un« printemps » arabe ! Tout le monde enfait état, ce n’est donc pas une illusion. Ladynamique révolutionnaire actuelle étaitprévisible. Et lorsqu’une puissancerégionale de l’importance de l’Égypte vitune révolution, on peut être sûr de sonimpact. Il ne s’agit pas là de chauvinisme,mais d’une réalité historique etgéographique : un changement enÉgypte retentit nécessairement surl’ensemble du monde arabe. De même,lorsque, ces quarante dernières années,l’Égypte repliée sur elle-même n’a pasjoué son rôle, le monde arabe s’est affaibliet l’Égypte en a été diminuée. Maislorsqu‘elle occupera sa véritable place deleader, le monde arabe vivra une seconderenaissance, cela ne fait aucun doute.

Les révolutions ne prendront pasnécessairement la même forme dans lesautres pays. Chaque société arabepossède son propre mode defonctionnement. Mais elles vont évolueret les différents régimes sauront sansdoute ménager un espace pour laparticipation citoyenne, la démocratie etla liberté d’expression, ainsi que pour unpartage équitable des richesses.

Sans Youssef Chahine, je ne serais pas cinéaste

« Après Dieu, c’est à Youssef Chahine que je dois mon existence en tant quecinéaste. Non seulement parce qu’il m’a formé au cinéma et donné l’occasiond’en faire mon métier, mais parce que, sans lui, je n’aurais jamais eu l’idée defaire du cinéma. J’ai rencontré Youssef Chahine quand je faisais mes étudesd’ingénieur. Il a décelé en moi un talent que je ne soupçonnais pas et que je n’aicessé de nier par la suite. Trois ans plus tard, j’ai quand même fini par me direque je ne perdais rien à essayer. C’est à ce moment-là seulement que j’aicompris qu’il avait raison. Voici pourquoi j’estime que je lui dois tout.

Les dix premières années de ma collaboration avec Youssef Chahine, à titrede coscénariste de ses films et d’assistant réalisateur, ont été décisives pour macarrière. C’est là que j’ai appris mon métier. Mon premier long-métrage, LaTempête, réalisé en 2000, ouvre la seconde étape qui marque mes vrais débutsde cinéaste. J’ai ensuite réalisé onze films jusqu’en 2011, un par an en moyenne.Certains sont à marquer d’une pierre blanche, comme Le chaos, Au moment deprospérité ou La boutique de Chahata. Ce sont les films qui ont suscité le plusd’intérêt au sein de la société égyptienne et qui ont remporté le plus grandsuccès, tant auprès de la critique que des festivals. Les critiques s’accordentd’ailleurs à dire qu’ils ont contribué à faire évoluer l’opinion publique en Égypte cesdix dernières années, sur le plan politique, social et artistique. » – Khaled Youssef

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Quant à la multipolarité, l’histoire l’aprouvé : lorsqu’une seule nation exerceson emprise au point de guider lemonde, cela ne peut être qu’une phasede transition entre deux étapes dans lamarche de l’humanité. Il est clair que lesÉtats-Unis conserveront un rôledominant, mais qu’ils devront lepartager avec d’autres : la Russie, leJapon, la Chine, l’Europe avec à sa têtel’Allemagne ou la France, et le mondearabe emmené par l’Égypte. Le mondearabe entrera ainsi dans le concert desnations en tant que sixième puissancemondiale. Face aux intérêts des grandespuissances, il aura en mains ses proprescartes qu’il posera lui aussi sur la tabledes grands. �

L Affiche française du film Le Chaos de Khaled

Youssef.

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Nouveau partenariat mondialpour l’éducation des filles et des femmesHillary Rodham Clinton, Secrétaired’État des États-Unis d’Amérique, etBan Ki-moon, Secrétaire général del’ONU, étaient les invités spéciaux de laDirectrice générale de l’UNESCO, IrinaBokova, le 26 mai 2011. Ils se sontréunis à l’occasion du lancement duPartenariat mondial en faveur del’éducation des filles et des femmes,qui portera principalement surl’éducation secondaire et surl’alphabétisation des adultes,notamment en Afrique et en Asie. Cissé Mariam Kaïdama Sidibé etSheikh Hasina, respectivementPremiers ministres du Mali et duBangladesh, ont également pris partau Forum de haut niveau organisé le

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SL’avenir du livre« Le livre demain, le futur de l’écrit »était le thème du deuxième Forummondial de l’UNESCO sur la culture etles industries culturelles (FOCUS2011), qui s’est tenu du 6 au 8 juin à laVilla Reale de Monza (Italie).

Les enjeux liés à l’essor du livrenumérique (économie, droits d’auteur,bibliothèques) étaient au cœur de cedébat organisé par l’UNESCO, qui aréuni quelque 200 auteurs, éditeurs,scientifiques, professionnels desmédias, bibliothécaires, sociologues,blogueurs, chercheurs et décideurspolitiques venus d’une quarantainede pays.

« Le livre traverse aujourd’huil’une des mutations les plusfondamentales de son histoire », adéclaré à cette occasion la Directricegénérale de l’UNESCO, Irina Bokova,avant d’ajouter : « Aucune entreprise,aucune bibliothèque, ne peutprétendre détenir à elle seule les clésde cet avenir. Ce Forum mondial dela culture et des industries culturellestraduit parfaitement l’espritd’ouverture qui doit être le nôtre ».

Quelque 800 élèves ont pu suivreles travaux du Forum grâce à uneretransmission des débats dans deslycées de la région. �

même jour au siège de l’Organisation,en présence notamment de l’AgaKhan, président fondateur du RéseauAga Khan de développement, ainsique des représentants de plusieursgroupes mondiaux comme Nokia,Procter & Gamble, GEMS Education,Microsoft, Apple et la FondationPackard.

Dans le monde, près de 39 millionsde filles en âge d’être scolarisées dansles premières années du secondaire nesont inscrites ni dans le primaire nidans le secondaire, et les deux tiersdes 796 millions d’adultesanalphabètes sont des femmes. Seulun tiers des pays environ a atteint laparité des sexes dans le secondaire. �

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ForestWhitaker,Ambassadeurdebonne volontéde l’UNESCOEn reconnaissance de son engagementartistique et humanitaire, l’acteuraméricain Forest Whitaker a éténommé Ambassadeur de bonnevolonté de l’UNESCO pour la paix et laréconciliation, le 21 juin 2011, au siègede l’Organisation.

Ce cinquantenaire originaire duTexas qui, parmi ses nombreux rôles, amagistralement incarné celui dudictateur ougandais Idi Amin Dadadans Le dernier roi d’Écosse de KevinMacdonald, réalise actuellement unfilm, Better Angels. Sous ce titre, inspirédu discours inaugural du présidentLincoln, se dissimule l’histoire desenfants soldats d’Ouganda.

Forest Whitaker est égalementconnu pour son engagementhumanitaire, qui lui a valu le PrixHumanitas. Ce dernier récompense unscénario de cinéma ou de télévision quipromeut la dignité humaine et laliberté, ainsi que le Prix Hope of LosAngeles.

Dans son nouveau rôled’Ambassadeur de bonne volonté del’UNESCO, Forest Whitaker s’est engagéà soutenir plus particulièrement lesprogrammes dédiés à la jeunesse,notamment dans le domaine del’éducation à la paix et aux droits del’homme. Il est attendu au 7e Forum desjeunes de l’UNESCO en octobreprochain. �

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Le MAB a 40 ansPour célébrer ses 40 ans d’existence, leProgramme de l’UNESCO sur l’hommeet la biosphère (Man and theBiosphere, MAB) a organisé laconférence internationale Pour la vie,pour l’avenir. Les réserves de biosphèreet le changement climatique, à Dresde(Allemagne), les 27 et 28 juin.

Ayant dressé un inventaire desréalisations de ce programmepionnier qui vise à concilierconservation de l’environnement etactivités humaines, les participantsont notamment abordé la questiondu rôle des réserves de biosphère

comme instrument de mise en œuvredes politiques sur le changementclimatique.

Les réserves de biosphère sontdes sites d’excellence où l’on teste denouvelles pratiques en vue d’unemeilleure gestion des ressourcesnaturelles et du développementsocio-économique. Les communautéslocales sont activement impliquéesdans la gestion, la recherche,l’éducation et la formation mises enœuvre dans ces sites, ce qui en faitdes lieux d’expérimentation dudéveloppement durable. �

Mémoire du Monde :l’Australie à l’honneurSi la pierre, le papier, le parcheminsont les gardiens de la mémoire denotre passé, les films, le multimédia etl’internet sont les gardiens du tempsprésent pour les générations futures.Guidée par cette idée, l’UNESCO alancé en 1992 le Programme Mémoiredu Monde, appelé à sauvegarder lepatrimoine documentaire de l’humanité.

Le Registre de la Mémoire du monderépertorie, par exemple, le plus ancienlivre imprimé à l’aide de caractèresmobiles métalliques, la Bible à 42 lignesde Gutenberg, ainsi que de nombreusescollections retraçant l’œuvre d’écrivainscélèbres, tels que Hans ChristianAndersen, Astrid Lindgren, ChristopherOkigbo ou Derek Walcott.

Tous les deux ans, de nouveauxdocuments viennent enrichir le Registrede la Mémoire du monde. Cette année,l’inscription de 45 nouvelles collections aporté leur nombre à 238. Autre tradition

biennale : une institution, ou unepersonne, est choisie comme lauréatedu Prix UNESCO/Jikji, en reconnaissancede sa contribution à la préservation dupatrimoine documentaire et à l’accèsà ce patrimoine.

Doté de 30 000 dollars grâce à unedonation de la République de Corée,le Prix UNESCO/Jikji 2011 sera remisen septembre aux Archives nationalesaustraliennes (National Archives ofAustralia, NAA).

Fondées en 1960, les Archivesnationales australiennes partagent leursavoir-faire avec des experts et le grandpublic, et assurent un libre accès auxoutils de préservation des documentsnumériques. Les NAA se sont égalementdistinguées dans le domaine de laconservation de documents écrits avecde l’encre métallo-gallique, une encreincluant des sels métalliques, utiliséeen Europe pendant plusieurs siècles. �

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Les médiassociaux selon ShashiTharoor

Le premier homme politique indien àutiliser Twitter dans un contexteprofessionnel a donné, le 7 juin 2011,à l’UNESCO, une conférence sur lethème « Communication et médiassociaux dans le contexte deschangements mondiaux ». ShashiTharoor a souligné le rôle croissantdes médias sociaux dans lesprocessus de démocratisation(comme les révolutions du «printemps arabe »), dans lessituations de catastrophe naturelle(comme récemment en Haïti ou auJapon) ou encore dans la diplomatieinternationale.

Il a cité l’exemple de la visiteofficielle du président Obama auGhana, peu après son élection. À lasuite de l’annonce faite par la MaisonBlanche, le président américain avaitreçu plus de 250 000 questions de lapart d’Africains à travers le continent,via Facebook et Twitter.

« Les médias sociaux sont là pourdurer, et nous devons faire avec. Ilfaut donc en tirer le meilleur parti »,a-t-il déclaré.

Membre du Parlement indien,Shashi Tharoor a été conseillerprincipal du Secrétaire général etSecrétaire général adjoint à lacommunication et à l’information del'ONU. Il est l’auteur de plusieursouvrages qui ont eu un échointernational, dont Nehru, l’inventionde l’Inde (édition française : Seuil,2008). �

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du mondeÀ la découverte

La collection Raconte-moi, Explique-moi propose, en quelques pages, l’essentiel des

informations sur différents sujets concernant l’UNESCO et ses programmes, tels que : le

patrimoine mondial, les océans, les réserves de biosphère, le climat, la Terre, l'esclavage,

l'artisanat… Ces petits livres guideront la réflexion et fourniront aux jeunes lecteurs (à

partir de 10 ans) toutes les informations nécessaires en anglais, arabe, espagnol,

français et russe. �

Vous pouvez commander les volumes de cette collection à l’adresse suivante :

www.unesco.org/publishing

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Patrimoine del’humanité 2011 En juin 2011, 25 nouveaux sites ont été inscrits surla Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, qui encompte désormais 936. Un bref aperçu :

Les Sites palafittiques autour des Alpes (Suisse,Allemagne, Autriche, France, Italie, Slovénie) Hiraizumi – Temples, jardins et sites archéologiquesreprésentant la Terre Pure bouddhiste (Japon)Le Jardin persan (Iran)Le Réseau des lacs dans la vallée du Grand Rift (Kenya)La Côte de Ningaloo (Australie)

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Le récif corallien de

Ningaloo, Australie

Flamants roses au bord du

lac Nakuru, Kenya

Môtsû-ji, jardin

représentant la Terre pure

(paradis bouddhiste),

Japon

Vestiges des palafittes du

lac de Ledro, Italie

Le jardin persan

Bagh-e Shahzadeh, Iran