Chablis premiers crus et grands crus Le choc des … · jugés oxydés ou avec de faux goûts ......

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30 • Bourgogne Aujourd’hui 69 Appellation Le choc des contraires À Chablis, tout oppose les 2003, gras, riches, solaires, atypiques, et les 2004, tendus, élégants et minéraux. Confrontation... Chablis premiers crus et grands crus D ifficile d’imaginer deux millésimes plus différents que 2003 et 2004 à Chablis. Le premier, marqué par la canicule et la sécheresse, a donné des vins ronds, gras, plus riches qu’à l’accoutumée, dont le profil “sudiste” surprend dans ce vignoble septentrional de la Bourgogne. Le second renoue avec la typicité chablisienne, fondée sur la fraî- cheur, la finesse des arômes et la minéra- lité. Le grand écart... Ce choc des contraires tourne, in extremis, à l’avantage de 2004 qui s’impose à son aîné dans notre sélection, avec quatre petits points d’avance. Quarante-huit pour-cent des chablis premiers crus et grands crus 2004 ont passé l’épreuve avec succès, contre 44% des 2003. Ces résultats confirment le redressement enregistré lors de notre dégustation des 2001 et 2002 (47% d’échantillons sélectionnés, BA n°60). Ils montrent une stabilité réjouissante à un bon niveau, près d’une bouteille sur deux franchissant la barre des 13/20. Le pari n’était pourtant pas gagné d’avance. La très polémique dégustation des vins en primeur pour notre “Spécial millésime 2004” (BA n°64) laissait en effet craindre le pire. Avec à peine 30% de bouteilles rete- nues, la première approche des 2004 se révélait catastrophique. Un véritable fiasco : un tiers des échantillons présentés étaient jugés oxydés ou avec de faux goûts... ce que dément aujourd’hui la dégustation des vins en bouteille. Ce spectaculaire retournement de situation doit inciter à tirer des leçons. La première, nous la prenons à notre compte. Elle démontre que la dégustation de vins en cours d’élevage est un exercice difficile, à manier avec infiniment de pru- dence et de modestie, y compris par des dégustateurs compétents et expérimentés. Mais les producteurs doivent, eux aussi, savoir se remettre en question. Car la pré- sence de nombreux échantillons oxydés et/ou à défaut lors de ce round primeur ne relevait, ni d’une vue de l’esprit, ni d’un mouvement de mauvaise humeur. Pour dire les choses clairement, certains producteurs Repères Chablis grands crus : 100 hectares - 750 000 bout. 7 grands crus : les Clos, Blanchot, Bougros, Preuses, Grenouilles, Valmur, Vaudésir. Chablis premiers crus : 770 hectares - 6 200 000 bout. Principaux premiers crus : Beauregard, Beauroy, Côte-de-Jouan, Côte-de-Léchet, Côte-de-Troesmes, Forêt, Fourchaume, Fourneaux, l’Homme-Mort, Mont-de-Milieu, Montée-de-Tonnerre, Séchet, Montmains, Vaillons, Vaucoupin, Vau-de-Vey, Vau-Ligneau, Vaulorents, Vosgros. Décret d’appellation initial : 13 janvier 1938 pour les chablis grands crus et premiers crus. • Président de la “Fédération des vignerons chablisiens” : Jean Durup • Président du “Syndicat de défense de l’appellation chablis” : Gilles Fèvre • Président de l’”Union des Grands crus de Chablis” : Didier Séguier (domaine William Fèvre) Système d’aspersion d’eau, protection contre le gel. p30-33_chablis_art69 21/03/06 11:31 Page 30

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Appellation

Le choc des contraires

À Chablis, tout oppose les 2003, gras, riches,solaires, atypiques, et les 2004, tendus, élégants etminéraux. Confrontation...

Chablis premiers crus et grands crus

Difficile d’imaginer deuxmillésimes plus différentsque 2003 et 2004 à Chablis.Le premier, marqué par lacanicule et la sécheresse,

a donné des vins ronds, gras, plus richesqu’à l’accoutumée, dont le profil “sudiste”surprend dans ce vignoble septentrionalde la Bourgogne. Le second renoue avec la typicité chablisienne, fondée sur la fraî-cheur, la finesse des arômes et la minéra-lité. Le grand écart...Ce choc des contraires tourne, in extremis,à l’avantage de 2004 qui s’impose à sonaîné dans notre sélection, avec quatrepetits points d’avance. Quarante-huitpour-cent des chablis premiers crus etgrands crus 2004 ont passé l’épreuve avecsuccès, contre 44% des 2003. Ces résultatsconfirment le redressement enregistré lorsde notre dégustation des 2001 et 2002 (47%d’échantillons sélectionnés, BA n°60).Ils montrent une stabilité réjouissante à unbon niveau, près d’une bouteille sur deuxfranchissant la barre des 13/20.

Le pari n’était pourtant pas gagné d’avance.La très polémique dégustation des vins enprimeur pour notre “Spécial millésime2004” (BA n°64) laissait en effet craindre lepire. Avec à peine 30% de bouteilles rete-nues, la première approche des 2004 serévélait catastrophique. Un véritable fiasco :un tiers des échantillons présentés étaientjugés oxydés ou avec de faux goûts... ce quedément aujourd’hui la dégustation des vinsen bouteille. Ce spectaculaire retournementde situation doit inciter à tirer des leçons.La première, nous la prenons à notrecompte. Elle démontre que la dégustationde vins en cours d’élevage est un exercicedifficile, à manier avec infiniment de pru-dence et de modestie, y compris par desdégustateurs compétents et expérimentés.Mais les producteurs doivent, eux aussi,savoir se remettre en question. Car la pré-sence de nombreux échantillons oxydéset/ou à défaut lors de ce round primeur nerelevait, ni d’une vue de l’esprit, ni d’unmouvement de mauvaise humeur. Pour direles choses clairement, certains producteurs

RepèresChablis grands crus :100 hectares - 750 000 bout.7 grands crus : les Clos, Blanchot, Bougros,Preuses, Grenouilles, Valmur, Vaudésir.

Chablis premiers crus :770 hectares - 6 200 000 bout.Principaux premiers crus : Beauregard,Beauroy, Côte-de-Jouan, Côte-de-Léchet,Côte-de-Troesmes, Forêt, Fourchaume,Fourneaux, l’Homme-Mort, Mont-de-Milieu,Montée-de-Tonnerre, Séchet, Montmains,Vaillons, Vaucoupin, Vau-de-Vey, Vau-Ligneau, Vaulorents, Vosgros.

Décret d’appellation initial :13 janvier 1938 pour les chablis grandscrus et premiers crus.• Président de la “Fédération des vigneronschablisiens” : Jean Durup• Président du “Syndicat de défense de l’appellation chablis” : Gilles Fèvre• Président de l’”Union des Grands crus de Chablis” : Didier Séguier (domaine William Fèvre)

Système d’aspersion d’eau, protection contre le gel.

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Les premiers crus couvrent près de 800 hectares.

La petite cabane de la Moutonne, grand cru àcheval sur Vaudesir et Preuses.

Chaufferettes de protection contre les gelées de printemps.

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ont fait preuve d’un manque flagrant de pro-fessionnalisme. Leurs échantillons ont-ils étédéposés trop tôt par rapport à la date de ladégustation ? Ou, ce qui semble plus pro-bable, ont-ils été mal préparés ? Beaucoup devins, instables, n’étaient visiblement pasassez protégés. D’où ces notes fortementoxydatives qui ont entraîné leur rejet...D’oxydation, il n’en reste plus trace,y compris dans les 2004 ratés. Vignoble“technique”, Chablis a maîtrisé ses misesen bouteille. En revanche, les vins indignesde leur niveau présentent tous les défautsde l’année : maigreur, dilution (rende-ments…), amertume, faux goûts, aciditémordante... Les attaques d’oïdium et lesconditions climatiques, fraîcheur et pluies,n’ont pas facilité la vie des vignerons,confrontés également à une importantesortie de raisins. Dans ce contexte, le salutpassait par un contrôle strict des rende-ments et un tri draconien. On pouvait faired’excellents vins à 60 hl/ha, de bons vins à70 hl/ha, mais au-delà… Or, on parle,

à mots couverts, de 150, voire 200 hl/hachez certains, c’est-à-dire une surproduc-tion hallucinante, scandaleuse, qui défi-gure les vins et entache leur réputation.Car ces bouteilles-là se retrouvent forcé-ment sur les marchés...En revanche, les vignerons scrupuleuxont réussi un très bon millésime, au profiltypiquement chablisien. “Au mois d’août,nous avons tous eu très peur, mais le beaumois de septembre a permis aux raisinsde mûrir lorsque les vignes n’étaient pastrop chargées”, explique Benoît Droin,qui exploite avec son père un domaine de25,5 ha. Régisseur du Château Long-Depaquit, Jean-Didier Basch confirme :“En août, il tombait 30 mm d’eau tous lessix jours, mais septembre a permis d’inver-ser la tendance.” Les bons 2004 sont desvins équilibrés, dotés d’une belle fraîcheuret d’une minéralité très chablisienne.“Ils réussissent la synthèse des 2002 et des2000 ; plus minéraux que 2002, mais moinsfruités ; moins minéraux que 2000, mais

Les grands crus de Chablis,100 hectares de vignobles aux expositions et terrainstrès différents.

Ici, le terroir parle fort.Lorsque le vigneron le laisse s’exprimer, il reprend l’ascendantsur le millésime, aussi atypique soit-il.

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plus de fruit”, analyse Benoît Droin.Démonstration, verre en main, avec unclos impressionnant de tension, qui devraitvite digérer son bois, un Montée-de-Tonnerre ultra-typé, campé sur sa minéra-lité, et un “simple” chablis, tout en harmonieet en élégance. Les vins se goûtent déjà trèsbien, y compris certains grands crus. Maisleur avenir paraît assuré...Comme ailleurs en Bourgogne, le choixde la date des vendanges et les options devinification et d’élevage ont fait la diffé-rence en 2003. Bien géré, le millésime adonné de grandes bouteilles, y comprisà Chablis dont le caractère s’accommode simal de la surmaturité. “Chez nous, si cen’est pas assez mûr, ce n’est pas assez bon,mais si c’est trop mûr, ce n’est plus bon”,traduit Jean-Didier Basch. Beaucoup dedomaines réputés ont vendangé parmi lespremiers, souvent la nuit, avant la fin dumois d’août. Mais d’autres ont préférés’élancer après les pluies de septembre.Les élevages ont été raccourcis dans la plu-part des cas, et le fût s’est fait plus discret.“Il fallait avant tout préserver la fraîcheur.Nous avons effectué plus de rotationsentre les fûts et les cuves et mis en bou-teilles plus tôt. Les grands crus ont étéembouteillés fin 2004, au lieu de mars2005”, résume David Delaye, œnologue dela Chablisienne. Quel sera le potentielde garde de ces chablis hors norme ? Nousparions volontiers sur cinq à dix ans, voireplus, pour les cuvées les mieux équilibrées.Car les fameux calcaires kimméridgiens,qui font des grands chablis des crusuniques au monde, d’une longévitéimpressionnante, n’ont pas dit leur derniermot. Ici, le terroir parle fort. Lorsque levigneron le laisse s’exprimer, il reprendl’ascendant sur le millésime, aussiatypique soit-il. C’est ce qui semble se pro-duire actuellement avec les 2003. La miné-ralité pointe derrière le gras. Les plusbelles réussites sont à rechercher dans lesgrands et dans les climats réputés austères,comme Vosgros ou Côte-de-Léchet. Malgréla hausse de 2003, les prix restent intéres-sants : de 11 à 20 € en moyenne pour lespremiers crus, de 20 à 45 € pour les grandscrus. Profitez-en...

Jean-Philippe Chapelon

Photographies : Lionel Georgeot

Chablis, symbole du vin blanc de Bourgogne fin et minéral.

“Volume complémentaire individuel” :usine à gaz ?Après l’élevage en fût et la vendange mécanique, voilà un sujet qui n’a pas fini de faire parler àChablis. À partir de la récolte 2005, l’INAO a admis le principe, comme en Champagne pour lesvins effervescents, du “volume complémentaire individuel”. En résumé, chaque vigneron aura àl’avenir la possibilité de conserver au-delà du “rendement légal annuel” et dans la limite du “ren-dement butoir” une partie de la récolte produite, équivalent au maximum à 10 hl par hectare. Ima-ginons une année de récolte déficitaire, comme 2003, un producteur pourrait alors prélever pourmise en marché, sur cette “réserve” ainsi constituée dans le passé, une quantité de vin corres-pondant à la différence entre le rendement légal et le rendement effectif de l’année. Les partisansdu système estiment qu’il permettra de “lisser les prix” et de lutter contre la surproduction de pré-caution. Ses adversaires y voient au contraire un encouragement à produire. Ils critiquent le flouentourant la mise en œuvre du texte et redoutent une nouvelle “usine à gaz”, à laquelle personnene comprendrait rien. Beaucoup de bruit pour rien ? On peut se le demander. Rappelons en effetque le petit rendement reste et restera toujours la clef de la qualité, à Chablis comme ailleurs !

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