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  • 7/31/2019 Cette Semaine N86

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    CETTE SEMAINEO n zi me an n e Tr i me str i e l 20 0 3 n 86 Pr i x l i bre ou abon n e me n t

    JANVIER/FVRIER

    EXPRIENCES EST-ALLEMANDES

    Dans une prison pour femmes 4

    Le meneur 8

    La survie quotidienne 11

    GRCE

    Aprs les arrestations de membres du 17 Novembre 19

    Menaces contre le squat Lelas Karayianni 22

    DU FOND DES GELES

    Communiqu de Solidarit Internationale 12

    Italie Braquage conscience arme 12

    Carlo Tesseri condamn 23

    Espagne Communiqu et analyse dA. Casellas 14

    Les matons mdecins de Teixeiro 15

    Deux lettres de Yuma 16

    Chypre Solidarit avec G. Karakasian 18

    Sommet de Copenhague, rien... ou presque 2

    Nouveaux ravages de champs dOGM 3

    Anti-france vaincra 17Gnes, la fin des illusions 23

    Barbares contre Empire, ou le ngrisme confondu 24

    Un peu de rpression aussi Pise 26

    Le visage amical de laustralie part en flammes 28

    Petit guide pratique dextermination de la publicit 31

    Ricardo Flores Magn (1912) 32

    Dans certains quartiers, aussitt qu'un mauvais drle acommis quelque mchante action et qu'il veut chapper lapolice, il se transforme immdiatement en homme politique ;il s'crie : Vive l'anarchie !

    Ce n'est pas flatteur pour l'anarchie, mais cela produit

    gnralement son effet.Des gens sans aveu surgissent de toutes parts, et c'est quicognera le plus fort sur les gendarmes ou les agents.

    Voyez plutt ce qui vient de passer Pantin : un certain LeGagneux va chez un restaurateur, fait un repas copieux avecun camarade, puis refuse nergiquement de payer : C'est aux bourgeois de me nourrir s'crie-t-il, je suisanarchiste.

    Le restaurateur essaye de raisonner ce voleur qui entre dansune fureur violente et se met tout casser.C'est alors qu'on va chercher la garde.

    Arrive un gardien de la paix nomm Belorgey, qui veut,comme c'est son devoir, arrter Le Gagneux. Mais celui-cihurle : A moi, citoyens ! Vive l'anarchie !

    Et voil c'est une honte que l'on vient au secours de cemisrable ; l'agent est bouscul, meurtri, renvers, pitin.Courageusement, il se relve pourtant, et conduit enfin sonprisonnier au poste.

    Le Gagneux s'empare alors d'un couteau qu'on vient de luiretirer et le plonge dans le ventre de Belorgey que l'onemporte mourant chez lui.

    L'anarchiste vrai ou faux, le voleur, l'assassin certain passeraen cour d'assises, et tout donne croire que son dner luicotera plus cher qu' la carte.

    Le Petit Journaln 224Dimanche 3 mars 1895

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    SOMMET DE COPENHAGUE13-14 dcembre 2002

    RIEN... OU PRESQUE

    Cette Semaine - janvier 20032

    LE SOMMET de lUnion europenne est

    termin, le gouvernement danois est en

    extase devant son succs auto-proclam, la

    police a t flicite pour son travail bien fait par

    les politiciens, par la presse tablod et par mme

    certaines ONG, ce qui inclue sans surprise le

    forum des ONG Stop la violence 1.

    (...) Comme tou/te-s ceux/celles qui ont voyag

    jusqu Copenhague ont pu sen apercevoir, la

    ville tait un endroit o il tait trs difficile de

    circuler, les gens taient arrts et contrls en

    permanence et ce plusieurs fois. Des centaines et

    des centaines dentre eux/elles ont subi uneviolation de leurs droits civilspar la police [sic]. 94

    personnes ont t arrtes, toutes pour des dlits

    mineurs ridicules, except quatre qui ont t

    accuses de violence et condamnes rester en

    prison. LAnarchist Black Cross de Copenhague

    travaille actuellement avec les personnes arrtes et

    les compagnons emprisonns. Jusqu prsent, la

    presse a t occupe glorifier les chefs de la

    police et discuter pourquoi il ny a pas eu de

    voitures en feu ou de dfenseurs de la loi mutils.

    Ils ont publi trs peu dinformations sur le contre-

    sommet de lUnion europenne. Esprons que cela

    fermera la gueule de ceux qui clament que cest la

    faute des activistes si la presse ne parle pas desmanifestations pacifiques [il ny a pas eu de casse

    ce sommet]. La presse ne souhaite tout simplement

    pas les couvrir. Une histoire dont la presse fait part,

    et qui est intressante, est une large critique contre

    les flics en civil qui ont tent dinfiltrer le cortge

    des anarchistes et plusieurs autres encore,

    officiellement sans en avoir reu lordre (ce qui est

    bien entendu un mensonge). Il y aurait maintenant

    une enqute officielle contre ces flics en civil parce

    quils ont galement viol linterdiction dtre

    masqu. Nous ne pouvons nous empcher de

    trouver un peu drle que certains de ces btards qui

    nous ont attaqu puissent prsent perdre leur

    boulot cause de cela ! Mais ce sont les chefs de lapolice qui on devrait foutre des coups de pied

    parce quils ont donn ces ordres, bien sr ils lont

    fait.

    Le forum des ONG Stop la violence glorifie aussi

    la police. Lundi 16 dcembre, ses organisateurs ont

    offert linspecteur-chef de la police Kai Vitrup un

    gros gteau pour le bon travail en commun

    accompli. La Fdration anarchiste trouve cela non

    seulement outrageusement grotesque, mais

    galement un acte direct dinsulte pour ceux/celles

    qui ont particip aux manifestations et aux actions

    et qui ont t attaqu-e-s par la police, et

    spcialement pour les personnes qui ont tharceles, arrtes et emprisonnes au cours du

    sommet.

    Lors de ce dernier, les flics ont rompu toutes les

    promesses quils avait donnes ces ONG assez

    naves pour entamer des ngociations avec eux, ds

    le premier lieu. Ils nont pas gard de distance lors

    de la manifestation [ils entouraient tout du long les

    diffrents blocs], ils ont multipli les arrestations

    prventives, ils ont utilis des flics en civil comme

    des provocateurs (la meilleure preuve de cela est que

    la police a tent darrter un des leurs parce quil

    tait trop voyant) 2 et ils ont harcel sans cesse les

    gens dans les rues de Copenhague. Ce nest pas

    surprenant pour notre part. Nous esprons que

    certaines de ces organisations ont maintenant appris

    quil nest jamais possible de passer un accord avec

    eux ou de leur faire confiance 3. Celles qui ne lont

    pas compris peuvent aller se faire foutre !

    Actuellement, quatre des ntres sont emprisonns

    sous de faux prtextes. Deux sudois, un franais et

    une anglaise. Ces quatre, accuss d agression sur

    un officier de police ont t arrts pour justifier les

    attaques de la police contre les cortges. Si vous

    souhaitez leur crire des lettres de soutien, vous

    pouvez les joindre par lABC de Copenhague sur :

    http://www.anarchistblackcross.dk

    Nous demandons la libration immdiate de tous

    les prisonniers politiques [sic] de ltat policier

    europen.

    Quoi quil en soit, nous ne nous rendrons jamais,

    cest pourquoi nous irons Thessalonique (Grce)

    les 20-21 juin 2003 et nous esprons que de

    nombreuses personnes qui ont manifest avec nous

    Copenhague le feront aussi.

    Amour et anarchie.

    Fdration anarchiste du Danemark4

    Notes de CS :

    1. Ce cartel dordures a notamment eu pour pratique de

    travailler main dans la main avec les keufs, de se pointer

    sur les cortges pour jouer les mdiateurs et de ramasser

    toutes les canettes pour quelles ne deviennent pas

    dventuels projectiles.

    2. Ce genre dexemple est prendre avec prcaution

    depuis Gnes. Car sil est certain que des flics en civil se

    trouvent parmi nous, leur objectif est principalement le

    renseignement, notamment pour dsigner les futurs

    arrts. La casse, 99.9 % (et encore) est toujours le fait

    des meutiers et souligner le seul aspect de flics

    provocateurs ou insister l-dessus revient conforter

    lquation casse=flics. Bien entendu, un flic repr

    devrait signifier un flic tabass, ce que ces mmes

    meutiers nhsitent pas faire ds quils le peuvent.

    3. Et mme sils respectaient leur parole, il y aurait bien

    dautres raisons pour les traiter comme les ennemis quils

    sont.

    4. Cre peine trois mois avant le sommet, nous avons

    pass un communiqu dune FA, contrairement noshabitudes. Ctait le communiqu le moins pourri sur le

    thme. Une fois nest cependant pas coutume...

    [Traduit de langlais par CS. Publi le 23 dcembre 2002

    sur a-news]

    NOUS AVONS rapidement appris que lefranais arrt tait un compagnon.Il est accus dtre rest masqu malgrlinterdiction, de stre dfendu au cours

    de larrestation, les flics lui ont rajout leport dun marteau. Il a littralement tenlev du bloc anarchiste dans lequel il setrouvait par les ordures en uniforme.

    Lors de son jugement le 17 dcembre,il a refus dadresser la parole la juge, adclar je ne reconnais pas ce tribunal petit-

    bourgeois puis vive la rvolution ! enrepartant. Il a t maintenu en dtention.

    Le 24 dcembre, lors dune demande

    de mise en libert, nous avons pu assister laudience devant une juge, une greffire,

    une procureure et deux matonnes pourlamener. Nous avons aussi pu obtenir unparloir larrach. Suite cette audience,seule une anglaise (qui a choisi un avocatdiffrent de celui commun tous les

    autres pour voir ses chances de librationtre augmentes, et qui plus est li lglise...) et lui restent incarcrs. Comme

    par hasard, ce sont les deux seuls trangershors scandinavie les derniers sudoissont sortis cette date.

    Au cours de laudience du 7 janvier2003, il a prononc quelques mots contrele capitalisme. Langlaise a t condamne

    un mois ferme (peine effectue enprventive) et cinq ans dinterdiction duterritoire. La date du procs a t fixe au

    24 janvier. Toute notre affection et notresolidarit. Pour un suivi, consulter le sitede lABC de Copenhague.

    Quelques mots

    sur un des arrts

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    Cette Semaine - janvier 2003 3

    ELIMINATION DOGMEN TARN-ET GARONNE : COUP DOUBLE

    Nous mangerons la fivre avec nos lgumes acqueux... Pourquoi unmonde moderne si de pareils poisons sinventent !

    Arthur Rimbaud. Une saison en enfer

    Alors que la grande majorit de la population refuse lesOGM la recherche publique et prive continue sesmanipulations, transforme le monde en un laboratoire et ses

    habitants en cobayes dun nouveau dsastre venir.

    Aprs le nuclaire, le sang contamin, les vaches renduesfolles, lamiante, AZF, nous nentendons pas attendre dtre lesvictimes passives de la prochaine catastrophe. Nous dnions tous les pouvoirs conomiques et politiques le droit de continuer empoisonner nos vies et la plante et incitons reprendre enmain nos liberts et nos choix, en les empchant de continuer nuire partout o nous le pouvons.

    Nous ne laisserons pas le capitalisme, les bricoleursirresponsables de la technoscience et les politiciens nousimposer impunment leur recherche du profit tout prix et leurmainmise sur les lments de base de la vie, transforms ennouvelles marchandises.

    Nous avons donc procd quelques nettoyages proximitde deux laboratoires, dabord chez CAUSSADE SEMENCES CAYRAC, le 9 juin 2002, dans des essais dhybrides colza-ravenelle gntiquement modifis pour rsister au dsherbant base de glufosinate, puis chez PIONEER MONTECH, le 16juillet 2002, sur des essais en plein champ dhybrides et delignes de tournesol gntiquement modifis.

    Signalons ceux qui (s) illusionnent sur le contrle citoyen deleur empoisonnement quaucun de ces essais navait t affichen mairie.

    Ajoutons au pouvoir du refus, le refus des pouvoirs qui nousalinent.

    On Gnralise la Mutinerie

    Les Obscurs anti-scientistes, le retour

    [Texte reu seulement mi-dcembre 2002 au journal. Le prcdentcommuniqu des Obscurs anti-scientistes, qui taient dj intervenus Cayrac le 24 aot 2001, a t publi dans CS #83, p.34]

    NETTOYAGE DE LA PARCELLE OGM

    MONSANTO LAFRANAISE (82)Le site dexprimentation en plein champ portant sur du masgntiquement manipul pour rsister lherbicide base deglyphosate et crois avec un autre mas OGM secrtant delinsecticide contre la pyrale a t nettoy dans la nuit du 22 au23 aot 2002.

    Malgr lopposition de la population locale, les promoteurs desOGM veulent nous imposer leurs nuisances gnres par unmodle dagriculture industrielle suicidaire.

    Nous refusons le contrle gntique de la vie, qui conu en

    laboratoire et mis en place par lconomie et les politiques,stend aux animaux et aux humains avec son lot de dsastres venir.

    Les pyrales enrages[Texte reu en dcembre 2002]

    RENRIESEL A T CONDAMN huit mois de prison avec sursis Agen poursabotage dans une usine Novartis, au civil Toulouse pour sabotage dans

    une station Monsanto et six mois ferme Montpellier (annulant le

    prcdent sursis de huit mois) pour destruction de riz transgnique le 5 juin 1999

    dans un centre de recherche dEtat, le CIRAD. Le 19 novembre 2002, la Cour de

    Cassation, validant des jugements prcdents, la dfinitivement condamn

    sous rserve de sa demande de non rvocation du sursis de Nrac 14 mois

    de prison ferme, 7 622 euros damende et 12 103 euros de dommages et intrts

    et de frais. Le bouffon Bov a pris les mmes peines et la Confdration Paysanne

    demande dsormais une grce au Prsident de la Rpublique.

    Depuis mardi, la Confdration paysanne lance une campagne pour

    demander la grce de Jos Bov et la vtre. Etes-vous daccord ?

    Ren Riesel : Je suis formellement oppos ce quon demande ma grce maplace. Et dans mon cas, cette demande ne sera jamais faite. Je trouveparfaitement rpugnant de demander une grce, car il est hors de question queje me renie. Jassume les risques que jai pris, au nom du combat critique que jemne.(...)Vous vous tiez pourtant jusquici associ au combat men contre les

    OGM ?RR : Jai particip lorganisation de la caravane intercontinentale qui a agi auCirad : cest moi qui avait amen les Indiens pendant que Jos Bov amenait lesjournalistes. La confdration y tait minoritaire, et il y avait de nombreuxinorganiss. Le crtinisme mdiatique de ces gens-l nous a amen en appel, oje suis all seul et o on a pris du ferme. On avait port un coup significatif enattaquant le Cirad, un laboratoire dEtat, et non une institution prive. Aprs larprobation unanime de lEtat et des chercheurs, laffaire McDo est arriveopportunment pour noyer le poisson. Mais moi, je nai pas fait lire Chirac, euxoui. Je nai rien leur demander.

    extrait duMidi Libredu vendredi 22 novembre 2002

    [Le passage omis contient les embrouilles juridiques de Riesel avec la Conf par huissier,

    tout comme il use de son avocat pour demander des rectificatifs aux journaux, montrantpar l ses propres limites]

    Note lattention de M Henri Leclerc,

    Ligue des droits de lhomme

    Il est somme toute bien normal que ce qui subsiste des valeurs lgues parlhistoire la gauche porte la Ligue des droits de lhomme dfendre un M.Bov, qui fait manifestement partie de la famille. Il suffit de me lire pour savoirquune telle opration savrerait plus hasardeuse mon gard. Il devrait en effettre vident que je ne suis pour ma part pas dispos tenter dchapper lincarcration nimporte quel prix.

    Il doit ltre aussi que je ne veux nullement gner la repentance par

    procuration de M. Bov. A la seule condition, sans mentionner tout ce quimoppose par ailleurs aux tenants du progressisme, de ne pas me voirsubrepticement inclus dans la dfense don ne sait quelles liberts syndicales ouquelque tentative de repltrer les gauches heureusement dcaties.

    Ren Riesel,25 novembre 2002

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    LE GROUPE NAMENLOS [Sans nom] de

    Berlin tait l'poque compos d'une

    femme la batterie et d'une chanteuse.

    C'tait quelque chose d'extraordinaire et ces

    femmes qui jouaient dans un groupe punk m'ont

    fortement impressionne. Les autres filles punks

    n'taient souvent que la copine de untel et il tait

    difficile pour beaucoup de femmes de se faireune place dans ce milieu. Il fallait avoir une

    grande gueule, ce que j'avais.

    Mita, la batteuse, avait l'air d'un petit

    garon, elle ressemblait au personnage de

    Struwelpeter avec ses cheveux en dsordre et

    son pantalon de cuir . Elle tait aussi un peu

    comme une " sale punk ".

    L'un des titres du groupe tait " les nazis

    sont de retour Berlin Est". Ils l'avaient crit en

    raction tous ces citoyens qui n'arrtaient pas

    de parler de gazer les punks et de rpter qu'une

    telle chose n'aurait jamais exist sous Adolf.

    Lorsque nous sommes allEs Berlin [en

    1983], nous avons appris que Jana, Mita et A.Micha avaient atterri en taule cause de cette

    chanson.

    Nous tions vraiment nervEs qu'il /elles

    soient tombes pour ce texte car on nous traitait

    vraiment comme il/elles le disaient et ces

    espces de types avec leurs slogans fascistodes

    n'taient pour nous rien d'autre que des nazis.

    De retour Leipzig, nous nous sommes dit

    qu'il nous fallait vraiment faire quelque chose !

    Les bombages faisaient en quelque sorte partie

    de notre quotidien de punk et nous avions envie

    d'en faire depuis des lustres, mais cela ne

    marchait jamais. Il ne s'agissait pas seulementde " dgradation du bien public et de

    vagabondage ", c'tait aussi, selon le contenu de

    ce l'on pouvait crire, un acte politique. Mais

    soit nous n'avions pas de bombe de peinture,

    d'ailleurs on n'en trouvait pratiquement pas dans

    le commerce, soit on n'arrivait

    pas se retrouver avec les

    personnes avec qui on en

    avait discut. Enfin, nous

    ne savions pas non plus

    exactement ce que nous

    voulions bomber. En

    principe, on avait pourtanttoujours quelque chose

    dire et on trouvait redire

    tout. Une fois, j'tais chez

    Fleischer, qui faisait une fte

    Grnau, cette nouvelle zone

    d'habitation. Nous avons

    bu et nous avons discut

    de finir quand mme par

    faire quelque chose pour

    celui et celles de Berlin. "Allons

    faire des bombages ! " avons nous dit et les

    autres ont rpondu : " arrtez vos conneries ! "

    car nous tions plutt bourrEs. Mais je suis

    part ie avec Ratte, Krzner et Fleischer.Fleischer tait quelqu'un de simple, de trs drle

    et de dynamique et il tait prt pour tout ce qui

    avait trait l'action, mais ses motivations

    n'taient pas particulirement d'ordre politique.

    En tant que punk, il tait simplement toujours en

    premire ligne. Je connaissais bien Ratte et

    Krzner est venu avec nous parce que c'est lui

    qui s'tait procur les bombes de peinture.

    Nous avons cherch un mur blanc et tagu

    "Librez Jana, Mita et Micha ! ".

    Le fait de bomber m'a fait un effet buf. Le

    cliquetis des bombes m'enivrait littralement.

    Cela avait quelque chose d'trangement

    aventureux et de dangereux. A l'poque, nousvoulions vraiment tre radicaux et consquentEs

    en toute chose. Nous pensions que toute

    personne complice du systme tait coupable.

    Nous avons continu notre chemin et nous

    ne voulions plus nous arrter. Nous avons

    bomb chaque mur, mme celui

    de ces idiotes maisons peintes.

    Partout nous bombions des

    signes anarchistes, le nom

    du groupe " Wutanfall",

    " Etat policier " et des

    paroles des chansons

    polit iques du groupe" Slime ". Nous avons

    continu monter et y

    avons toujours pris plus

    de plaisir. Nous avons

    mme commenc

    bomber des voitures.

    Dessus, nous avons

    tagu " la proprit

    c'est le vol " et " la

    voiture, c'est de la

    merde, un symbole

    social et la chose la plus sacre pour le petit

    bourgeois ". Ensuite, Ratte a arrt de faire les

    voitures. Krtzner, lui, est seulement venu avecnous mais il n'a rien fait.

    Nous tions totalement insouciantEs et nous

    avons dlir de plus en plus. Nous tions soulEs

    et nous nous sommes mis plein de bombe sur les

    bras et nous avons continu dambuler sans

    but particulier. J'aurais prfr renverser les

    bagnoles et leur foutre le feu. Je voulais que

    Grnau brle tout entier.

    C'est l'ge de quatorze ans que j'ai compris

    qu'il y avait d'autres manires de vivre. Au

    march aux puces j'ai rencontr des jeunes aux

    cheveux longs que je n'avais encore jamais vus

    et les flics ont fait dgager l'un d'entre eux en letabassant coups de matraques. Il m'a fait

    normment de peine et j'ai tout de suite t du

    ct des cheveux longs. Par hasard, j'ai ensuite

    fait la connaissance de l'un d'entre eux dont je

    suis tombe immdiatement amoureuse et c'est

    Expriences est-allemandesdans les annes 80

    t c -d s t d r a a p c l v d L C r s d t a l cM d B e 1 d u p h p c u d o l s o a c

    o a p l ( C v d l v n f c q n a p d

    e l e l ( l d A m o e e O l dc d m e c d e b m q l r d d b e l q l Ee t i p l d d p u o o a d c l c d f e a l

    d n r

    p d r d a K n m a c q l n s b p t p l ld l o l p d l c m b p u l q E n s s e d d n v c E m d u c q p s a i n m q l

    b m s l f m q s l s d t e t C j q s v v e pp s b a l f l d f o a d m d f a d m s d l

    n q p q l r b t s e p a u s d c e d d

    Cette Semaine - janvier 20034

    LIBERT POURJANA, MITA ET A-MICHA !

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    ainsi que je suis arrive la discothque de

    Gnthersdorf. C'est l que se retrouvaient les

    cheveux longs et que j'ai connu les types les plus

    politiques qui soient, et qui, ds notre premire

    rencontre, ont commenc parler d'amour libre,

    d'anarchie et autres choses. Au dbut, a m'a

    mise compltement KO. Tout cela me semblait

    la fois dangereux et super beau. Ils m'ont

    emmene avec eux dans des ftes et m'ont fait

    entrer dans des cercles o l'on discutait

    d'anarchie et o l'on disait quel point tout ici

    tait injuste et absurde et comment on pouvait yrsister. Tout est all trs vite, en moins de deux,

    car dans ces milieux il te fallait simplement tre

    politique, sinon tu te plantais. Au dbut, je

    voulais plaire, naturellement, tout simplement

    me faire une place. C'est tout d'abord pour en

    imposer ces hommes intressants que je me

    suis occupe de ces affaires politiques. Ensuite,

    j'ai bien sr fini par trouver ma propre

    dynamique. Et ces gens m'ont aussi permis de

    connatre les punks.

    " Ah, c'est toi ! " m'a dit Menzel, le

    lendemain, en venant m'arrter au travail. " Si

    j'avais su, j'aurais pris mes menottes ". La

    police criminelle avait appel sur mon lieu detravail et demand une certaine Cornlia. Bien

    sr, j'ai immdiatement pass plein de coups de

    fil pour me trouver un alibi mais ni ma mre, ni

    mes amies n'ont voulu m'en donner un. Une

    collgue de travail m'a donn des cigarettes et

    un peu d'argent, ensuite nous sommes partis

    dans la trabbi de Menzel. Comme d'habitude, il

    y avait un casque de chantier dans le

    compartiment chapeaux, tenue de camouflage

    oblige !

    Dans la Beethovenstrasse, on m'a fait

    dcliner mon identit et on a commenc

    m'interroger.

    A ce moment l, je trouvais tout a pluttintressant. J'tais aussi assez insolente car je

    pensais : tu n'as que 17 ans, ils vont peut-tre

    te garder un ou deux jours mais tu n'iras

    certainement pas en prison, pas pour a, au pire

    ils te mettront en maison de correction.

    Lors de l'interrogatoire, ils ont dit que les

    autres avaient dj tout avou et qu'il tait

    absurde de me taire. J'ai pens : " tu connais le

    truc ". Tout a tait tellement absurde, comme

    dans un film. Il y avait le gentil flic et le

    mchant et ils essayaient de te faire tomber. Mes

    doigts taient pleins de peinture et je n'avais pas

    d'alibi ; en fait tout tait clair. Il s'agissait pour

    eux de savoir qui avait bomb quoi et pourquoi.Entre temps, ils ont perquisitionn ma chambre

    chez mes parents. Ils ont tout pris : les affiches,

    les photos, les textes de Biermann sur une

    pochette de disque, des t-shirts dessins, tous

    mes journaux intimes, tous mes pomes et un

    porte-monnaie avec des inscriptions, tout !

    Ensuite, des fins dissuasives, ils ont expos

    tout cela lors de la fte de la presse suivante,

    dans le pavillon de la Stasi

    [Staatssicherheitpolizei, police politique] du

    parc des expositions. Ca a t extrmement

    pnible pour moi, car a n'avait absolument rien

    voir avec ma priode punk. A part cela, ils

    avaient expos un sac US qu'un punk avaitdcor au stylo bille. A un autre, ils avaient pris

    un tee-shirt de l'ouest portant l'inscription " Du

    pain pour le monde ! ". Malheureusement, les

    punks n'ont pas eu l'autorisation d'entrer dans le

    parc des expositions et nous n'avons pas pu voir

    cela de nos propres yeux. Menzel voulait

    naturellement savoir si j'avais couch avec tous

    les hommes mentionns dans mon journal

    intime. C'tait un type curant et mielleux . Il

    nous balanait directement dans la gueule : " je

    vous foutrais tous en taule ! ". Il a fini par avoir

    raison. Il est revenu vers 10 heures en agitant le

    mandat d'arrt : " bon, allez, c'est parti ! En

    avant pour la taule ! " Avant le dpart pour la

    Kstnerstrasse pour la dtention prventive, il

    m'a conseill de regarder une dernire fois le

    ciel, car je ne le reverrai pas de si tt. Jen'arrivais toujours pas y croire. Ce n'est que

    lorsque je me suis retrouve devant la juge de la

    prventive que j'ai compris qu' prsent c'tait

    srieux. Cette conne m'a dit qu'elle avait

    examin mon dossier et constat que la

    dtention prventive tait ncessaire. On m'a

    signifi que j'tais accuse de menes contre

    l'Etat, dgradation, vagabondage, diffamation

    publique, ainsi de suite Ds le dpart, ils en

    ont fait une affaire politique.

    Quatre jours avant le procs, le procureur en

    charge de l'affaire est tomb malade. Ca a t

    une grande chance pour nous. Nous avons eu

    droit un procureur trs jeune, relativementcorrect ou, tout au moins, pas trop terrible.

    En prventive, j'tais avec une femme trs

    sensible et intelligente. Ca m'a beaucoup aide.

    Elle tait en taule pour tentative de fuir la RDA

    et a ensuite t libre. Par hasard, celui qui tait

    accus d'tre son complice se trouvait dans la

    mme cellule que Ratte.

    A elle, j'ai tout racont. Je ne pouvais rien

    faire d'autre dans cette situation. Je n'aurais pas

    russi fermer ma gueule pendant tout ce temps

    l, pas cet ge.

    Au dbut, j'tais compltement intimide.

    J'avais peur et je ne savais pas comment mecomporter. Quel ennui ! Il n'y avait ni radio, ni

    tl et un seul journal. Il n'y avait rien faire. Il

    tait interdit de rester allonge et il n'y avait

    qu'une heure de promenade. Les interrogatoires

    constituaient notre unique distraction. C'taient

    des interrogatoires de la Stasi : " voulez vous

    travailler avec nous ? " " Non ! " et je m'en

    prenais directement une dans la gueule de la part

    de vrais prolos, de monsieurs muscles aux bras

    tatous. C'taient trois jeunes hommes qui

    ressemblaient d'anciens taulards. Ils me

    montraient des photos sur lesquelles je devais

    reconnatre des gens. Ils taient abrutis au point

    de ne pas se rendre compte que je ne mereconnaissais pas moi-mme sur les photos

    Ensuite en arrivait un autre qui voulait que

    j'accepte que mes pomes soient dtruits.

    Comme j'ai refus, ils les ont quand mme

    dtruits, mais sans mon accord.

    Toutes les deux semaines, on me prtait deux

    livres que je ne choisissais pas, de vraies merdes

    qui parlaient d'Erika et Hans et Hans s'en va

    l'arme et comment leur amour reste intact,

    voil les merdes qu'ils racontaient. Pourtant, j'en

    ai aussi reu quelques uns qui taient vraiment

    bons, Anna Seghers par exemple. Je ne l'aurai

    jamais lue dehors. J'ai mme lu " Das neues

    Deutschland " [journal quotidien dEtat de

    RDA], en entier ! Comme j'tais jeune, une fois

    on m'a mme donn des fruits, quelle

    rcompense ! J'ai crue mourir de joie. On m'atoujours confisqu l'argent que m'envoyaient

    mes parents, sauf une fois 15 marks. Avec a j'ai

    cantin des cigarettes, de la moutarde et de la

    limonade. Une autre fois, mes parents m'ont

    apport du " nudossi ", ce nutella de l'est qu'on

    ne trouvait jamais nulle part. L, on a fait la fte

    dans la cellule. C'en tait une de fte ! Il ne se

    passait jamais rien, c'est pour a que l'on se

    concentrait ainsi sur la bouffe. Sur la bouffe et

    sur son corps. Mais ensuite, j'ai appris trs vite

    ce qui se passe en taule et ce qu'il est possible de

    faire. Tous les soirs, j'ai cri aussi loin que

    possible " Bonne nuit ! " Ratte et Fleischer,

    de toutes mes forces, par dessus toute la cour,jusqu'au btiment des hommes. Fleischer et

    Ratte ont toujours rpondu mes appels.

    Finalement, on m'a attribue deux nouvelles

    codtenues qui se trouvaient l pour

    "comportement asocial". A partir de ce moment

    l, c'est parti fond. Pendant deux semaines,

    nous avons anim toute la taule, gueul travers

    les couloirs, imit la tl. Nous avons fait tout ce

    qui tait interdit et ramen nos grandes gueules.

    J'ai normment ri en prventive. Quoi de plus

    logique que d'avoir eu les ides les plus folles

    dans cette situation exceptionnelle? Ca a dur

    jusqu' ce qu'ils nous sparent.

    Ils m'ont mise ensuite avec les " asociales "les plus terribles parce qu'ils pensaient que la

    pire peine qu'ils pouvaient m'infliger taient de

    me placer avec des gens " au niveau zro ".

    Comme j'avais 17 ans, on ne pouvait pas me

    mettre l'isolement et on m'avait dj coll

    toutes les autres punitions. L, il m'a fallu

    couter longueur de journe des histoires de

    prostitues, de pipes et de sodomie.

    Ca a march. Pendant une semaine je ne me

    suis pas faite choppe crier, ni en faisant

    passer des trucs par balancier et j'ai demand

    ce qu'on me remette avec des gens

    " normaux ".

    Le procs a commenc quatre mois aprs. Il a

    entirement tourn autour du fait dtre punk.

    Lavocate, que mavaient procure mes amies

    les Leutzscher, a tout de suite dit que je navais

    pas beaucoup de chance de men sortir. Je nai

    tabli aucun rapport de confiance avec elle

    parce que je ne savais pas comment se droulait

    un procs. Je me suis dit quelle tait elle aussi

    une sorte de Stasi.

    Au cours du procs, jai d aller durgence

    aux toilettes. Lorsque je me suis assise sur la

    cuvette, je nai pas pu faire car les policiers se

    tenaient face moi. Ctait vraiment infernal. Je

    narrivais plus me concentrer sur rien et jaipens : a mest compltement gal ce que je

    vais prendre, lessentiel cest que je puisse aller

    aux toilettes ! Deux semaines plus tard lorsquil

    a fallu y retourner pour le verdict, jai t

    tonne quon me sorte de cellule au pas de

    Cette Semaine - janvier 2003 5

  • 7/31/2019 Cette Semaine N86

    6/32

    course, quon me fasse entrer puis sortir du

    panier salade les menottes aux poignets,

    billonne et toujours en courant. Nous sommes

    passs de la Bernhard-Gring-strasse au

    tribunal. L, jai pu apercevoir tous mes amis

    qui taient posts lentre. Lorsquils nous ont

    vu, ils ont symboliquement lev le poing en

    lair, ce qui ma beaucoup rjouie. Ils ne

    pouvaient pas crier, on les aurait immdiatement

    fait sortir pour a. Il tait dj assez dangereux

    de se trouver runis cet endroit juste pour

    nous.Bien entendu, ils avaient choisi la plus petite

    salle. Mes meilleurs amis taient lextrieur.

    Rotz a fait un scandale en demandant pourquoi

    on lui interdisait dentrer au tribunal en bleu de

    travail alors quil tait un travailleur dans le

    pays des travailleurs et paysans. Mon pre avait

    mis exprs un jeans dchir avec une vieille

    veste et, quand il est entr, il a galement lev le

    poing vers moi. Cela a beaucoup compt pour

    moi.

    Ils ont prononc le jugement si vite que je

    nai pas vraiment compris ce quils disaient.

    Fleischer a pris 10 mois, Ratte 7, Krtzner 8 et

    moi 9. Immdiatement, on nous a tir lextrieur de la salle. Mon pre a encore cri

    quelque chose, mais nous tions dj en train de

    parcourir les couloirs du tribunal, menottes aux

    poignets, jusqu la cour. Jai cri en direction

    de Fleischer : mais quest-ce quils font ?.

    Ctait comme si on allait nous pendre sur

    linstant. En ralit, on nous a juste fait passer

    trs rapidement par la porte de derrire parce

    que nos amiEs nous attendaient la sortie.

    A ce moment, ils ont eu peur de nous et a a

    t un sentiment trs agrable.

    Jai fait le trajet jusquau centre de dtention

    pour excuter la peine, en compagnie des deuxfemmes avec qui je mtais si bien entendue.

    Cela signifiait : encore trois jours la

    Kstnerstrasse. Nous nous en rjouissions

    davance. Mais celle-ci sest rvle beaucoup

    plus dure que nous le pensions.

    De mon exprience la Beethovenstrasse,

    javais gard lide quon pouvait se permettre

    pas mal de choses, mais l, jai pu constater le

    pouvoir quont les flics. Je me disais, ici ils

    peuvent ainsi tassassiner sans que personne ne

    le remarque. Ici, il y avait des matonnes dun

    tout autre genre, des femmes assez vieilles, de

    vraies portes de prison avec leurs cheveux bien

    tirs, et avec des surnoms tels que nazie ousurveillante de camp de concentration.

    Lorsque jai cri quelque chose, une fois, des

    matonnes sont venues, mont tire par les

    cheveux et mont fait ainsi tomber du lit den

    haut. Je me suis crase contre le sol en pierres.

    La douleur tait atroce. Pour me punir, on ma

    ordonn de cirer le couloir. Jai refus en

    arguant quil ltait dj, alors elles mont

    menotte un lit dans une cellule sans fentre.

    Deux heures aprs, elles mont redemand la

    mme chose puis, devant un nouveau refus,

    mont enferme dans la salle des douches et

    attache un tuyau. Il y avait des traces de

    merde partout et jai presque vomi sur moi.Comme je gueulais, elles ont inond la pice et

    mont laisse avec de leau jusquaux chevilles.

    Mes mains et mes pieds ont fini par devenir

    bleus, et je me demandais ce qui allait se passer.

    Lorsquelles sont finalement revenues me

    chercher, on ma fait enfiler de grosses

    chaussettes et une veste pour que tout cela ne se

    voit pas : jtais transfre.

    En prventive, lambiance tait la

    camaraderie. Les dtenues sentraidaient, nouspartagions tout et nous nous sommes donnes

    du courage. Elles mont dit que a se passerait

    bien pour moi, que jirai au quartier des mineurs

    et que dans tous les cas, jarriverai bien

    mimposer : toi, avec ta grande gueule, tu ten

    sortiras partout. Tu nas pas avoir peur.

    On nous a transfr bord de lexpress

    Otto-Grotewohl dans un wagon de

    prisonnires qui contenait trs peu de places,

    presque un wagon bestiaux. On nous a fait

    traverser la gare menottes aux poignets comme

    de grandes dlinquantes. Nous avons alors pris

    cong les unes des autres car nous allions

    chacune dans une taule diffrente. A part moi,personne ne savait o elle allait. Jtais

    transfre Hohenleuben, la seule prison pour

    femmes mineures.

    Je men suis sincrement rjouie. Des

    jeunes ! Seulement des jeunes filles dans le

    groupe ! Avec elles, je vais pouvoir bavarder

    tranquillement !

    Hohenleuben tait un grand btiment neuf

    dot de grandes pices claires avec fentres, trs

    diffrente en cela des autres taules. De la cellule

    darrive, on nous tenait encore une semaine

    lcart du groupe, jai entendu courir dans le

    couloir, des chuchotements, et des files qui

    criaient des choses sympathiques. Javaislimpression dtre en camp de vacances.

    On ma donn des fringues horribles, une

    jupe raide, de grosses chaussettes et un foulard

    carreau (pour se le mettre sur la tte). On se

    ressemblait toutes. Lorsque je suis arrive dans

    la cour, elles ont toutes accouru vers moi, me

    demandant do je venais et pourquoi jtais l.

    Je leur ai racont ce que javais bomb mais

    elles ne mont pas cru. On ne prend pas si peu

    pour une chose pareille mont-elles rpondu.

    Tu dbloques, tu mens, tu nes mme pas

    punk ; elles ont commenc me chercher, me

    donnant des coups de pied dans les tibias et me

    bousculant. Je ne comprenais plus rien.A partir de ce moment l, je nai plus voulu

    sortir dans la cour ni me rendre aux repas car

    javais terriblement peur. Les filles me jetaient

    de la bouffe, me saluaient par un Heil Hitler,

    me menaaient travers la porte de la cellule et

    je ne savais absolument pas ce quelles me

    voulaient. Les mineures taient trs diffrentes

    des autres dtenues. Il ny avait ni de mres ni

    de personnes plus ges parmi elles qui auraient

    pu se trouver l pour des dlits conomiques.

    Ici, les filles venaient toutes de foyers ou de

    maisons de correction et avaient un terrible

    besoin dtre au centre du monde. Il rgnait une

    atmosphre follement explosive. Lorsque je suis

    arrive dans mon groupe, javais horriblement

    peur. Elles voulaient que je me comporte bien

    afin que le groupe ne se fasse pas tancer oupunir. Je me demandais si elles ntaient pas

    cingles et o javais bien pu tomber.

    Parmi les femmes, il y avait la soi-disante

    lite. Cest elles qui dterminaient qui se

    prenait une baffe dans la tronche, cest elles

    quon devait cder un pourcentage de ses

    paquets, cest encore elles qui contrlaient ce

    qui se passait entre les filles. Il faut dire que les

    matonnes ne sintressaient pas aux accrochages

    entre dtenues. Dailleurs, personne naurait

    jamais appel une matonne. Ctait tabou,

    particulirement lorsque cela concernait le

    groupe dlite, huit filles, de vraies cogneuses

    qui staient autoproclames membres de cegroupe. Ds le dbut, elles sont venues de voir

    et lune delle ma dit : Bien, maintenant tu me

    baises les pieds. Sur le moment, jai pens : si

    tu le fais une fois, alors tu devras le faire tout le

    temps. Ne le fais pas, quoi quil advienne. Je

    savais quaprs une telle chose, je naurais plus

    jamais pu me regarder en face. Malgr tout,

    jaurais prfr le faire, le courage nest pas

    venu de moi, mais de la raison.

    Je leur ai rpondu que je ne comprenais pas

    ce quelle voulait et quelle devait me le

    montrer. Lorsquelle se mit genoux et me

    montra ce quelle voulait, je lui demandais si

    elle navait pas limpression davoir lair con.Elle sest relev, ma regarde et ma dit :

    tu es OK.

    Mais cela ne voulait rien dire. Ce nest pas

    pour cela que javais une meilleure position, a

    navait simplement t quun heureux hasard. Il

    fallait lutter jour aprs jour pour se faire sa

    place.

    Jusqu Nol, je nai pas prononc un seul

    mot lintrieur du groupe. Les filles se

    faisaient des cadeaux et bien sr, je nai rien

    reu. Puis, lheure du repas, est arriv un

    groupe de prisonnires majeures qui se

    trouvaient aussi Hohenleuben. Parmi elles se

    trouvait Maria qui mapportait un trs gros sacplein de cadeaux. Quelques prisonnires avaient

    fait une collecte pour que jai aussi quelque

    chose Nol, elles avaient remarqu que jtais

    toujours seule. Jai remerci Maria de tout mon

    cur. Je la connaissais trs bien du milieu de

    Leipzig, ctait une hippie. Elle tait trs

    respecte parmi les 400 dtenues adultes

    dHohenleuben, ctait une des grandes

    gueules. Le fait de moffrir un cadeau ma

    procur un grand respect chez les filles, et Maria

    signifiait aussi clairement au groupe dlite :

    foutez lui la paix !.

    En taule, il a fallu que je commence unapprentissage de couturire. Il y avait des cours

    et des discussions sur des thmes politiques. L,

    on nous expliquait quel point nous avions

    enfreint la loi, on discutait de sport quon ne

    pratique que pour lEtat, on mettait lamour

    Cette Semaine - janvier 20036

  • 7/31/2019 Cette Semaine N86

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    lesbien plus bas que terre et nous parlions des

    lections. Je dis que javais 17 ans et que je

    navais jamais eu le droit de vote. Je navais

    jamais pu voter pour dire si je voulais dun Etat

    ou pas mais que javais quand mme t

    condamne par ses lois. Jaimerai bien vivre

    dans un autre pays avec dautres lois, ai-je

    conclu pour provoquer, puis je me suis

    directement fait virer de la salle.

    Lorsque jai t transbahute dans une

    cellule o toutes avaient t lcole [cest--

    dire vcues ailleurs quenfermes] et o aucunene faisait partie de l lite, jai pens pouvoir

    faire bouger les choses. Quand quelque chose est

    de la merde, bien sr que tu veux faire changer

    les choses. Ca a commenc par des bagarres pour

    ne pas faire mon lit, cirer les chaussures, ne pas

    faire chier les nouvelles arrivantes. Nous avons

    essay de saper le pouvoir du groupe dlite et ce

    fut comme dans un roman policier. Il fallait tre

    prudentes car celui-ci ne devait rien en savoir.

    Nous ne pouvions nous permettre une

    confrontation ouverte, sinon a foirerait et

    aucune fille naurait accept dy participer. L,

    jai fait preuve dune diplomatie hors pair, genre

    nous sommes toutes dans le mme bateau.Ensuite, je me suis aussi rapproche de la

    meneuse du groupe dlite, jai fait appel son

    sens de la justice. Je lui tais sympathique parce

    que je me montrais sincre. Mais il ne fallait pas

    exagrer, on pouvait perdre sa position la

    moindre occasion. Ctait trs frquent.

    Cela a fini par porter ses fruits. Ca ntait pas

    aussi dur quau dbut, lorsque je suis arrive.

    Bien sr, les baffes partaient de temps autre.

    Mais lorsquon rglait une affaire concernant une

    fille, celle-ci participait la discussion, ce qui

    tait avantageux quant au rsultat de la dcision.

    Un autre point : nous devions nous-mme

    noter notre comportement en taule. Je me mettaistoujours la mme sale note car a mtait gal. Je

    men foutais davoir le droit de regarder la

    tlvision ou pas. Ils ne pouvaient pas non plus

    nous mettre ternellement lisolement.

    Finalement, les matonnes ont essay de mettre la

    pression par le biais du groupe. Si lune dentre

    vous a une sale note, aucune ne pourra regarder

    la tl !. Mais force, il est arriv un moment

    o personne dans notre groupe nen a plus rien eu

    foutre, et le chantage des ducatrices est tomb

    leau.

    Il y avait aussi les punitions collectives.

    Lorsque par hasard jai t lane du groupe, on

    ma demand de faire descendre lescaliercorrectement mon groupe. Nous lavons donc

    redescendu, mais elles ont voulu

    nous le faire refaire cinq fois. Jai

    regard les filles, et nous lavons

    refus avec dtermination. Cest

    pour nous chercher, ai-je dit. On

    nous a immdiatement interdit de

    rfectoire et enfermes dans la salle

    de garde pour mutinerie. On nous a

    punies rester cellules fermes.

    En temps normal, les cellules taient

    ouvertes et on pouvait naviguer dans

    les couloirs cest cette possibilit

    qui tait supprime. Nous avonsalors dcid de retourner cette

    situation en la rendant tellement

    agrable quelle ferait plir denvie

    celles qui resteraient lextrieur et

    de leur donner envie de nous

    rejoindre. Nous allions faire gerber les

    matonnes !

    Nous avons alors dvelopp des trsors

    dimagination, jou, fait du sport, cri (de joie).

    On a russi soccuper quatre jours durant puis

    la dynamique de groupe est retombe, certaines

    ont prfr ressortir et regarder Winnetou la

    tlvision.

    La taule a galement t pour moi une

    exprience positive. Jai appris ce que lon peut

    supporter, quel point on peut aller loin dans ses

    refus, quel courage on peut avoir et ses limites.Jai vu combien les gens sont injustes, combien

    ils peuvent tre faux et intriguants. Tout cela, je

    ne le connaissais pas cet ge l, javais toujours

    eu de bon amis, jai appris quil ny a pas que de

    bonnes personnes. Mais dun autre ct, jai

    aussi compris que ces personnes ne sont pas

    mchantes, mais quelles le sont devenues.

    Cest vraiment fou, ce que certaines filles ont

    vcu. Je me suis aussi rendu compte quau fond

    de moi je suis trs lche, et que tout ce que jai

    fait de courageux, je lai fait uniquement par

    raison. Tu dois faire a maintenant ! Tu dois

    agir justement sinon tu ne pourras plus te

    supporter et les autres dehors non plus. Et cettedcision, je ne la regrette pas. Je me suis toujours

    dit : mes amies me voient de lextrieur, et tu

    dois dire ou faire cela.

    Lorsque je suis sortie, je nai pas arrt de

    pleurer. Ctait terrible pour moi de savoir que

    toutes les files taient encore l-dedans. Ma

    libration ne ma pas calme. Jtais certes

    dehors, mais cet enfermement ne me quittait pas.

    Ce sentiment a dur des annes et des dcennies.

    Lide que des filles restaient toujours l-bas ma

    compltement bousille. Jen ai rv des nuits

    entires.

    Le lendemain de ma sortie, je suis alle laWilhemshhe pour retrouver mes amies. L-bas,

    on a commenc par mapprendre qui tait en

    prison et qui tait lOuest. Ma meilleure amie

    tait en taule, tous les Leutzscher en prison, mon

    copain de lpoque lOuest. Rien ntait

    vraiment beau.

    Le soir, ils ont organis une fte de

    bienvenue. Ca ma fait trs plaisir. Les jours

    suivants, jai pass tout mon temps avec Ratte.

    Nous avons uniquement discut de notre

    exprience de taule, nous nous sommes raconts

    toutes nos histoires et avons chang toutes nos

    impressions.

    Un an aprs cette libration, je suisretourne avec Chris, une fille avec qui je mtais

    lie damiti en prison, Hohenleuben pour

    rendre visite un prof, le seul qui ntait pas

    comme les autres et qui nous donnait un peu

    despoir. Il tait comme un oasis dans cet ocan

    de merde, et essayait de rgler les problmes

    quil y avait entre nous en dehors des matonnes.

    Il nous a port de lintrt et nous traitait comme

    des personnes normales. Jaimais bien ce prof, et

    il avait pris trs gentiment cong de moi. Il tait

    classe, et je me suis toujours demande pourquoi

    cette personne travaillait l-dedans.

    A Hohenleuben, a a t la panique gnrale.Nous avons t immdiatement reconnues car

    tout le monde dans ce village avait un lien

    quelconque avec la prison. Ctait le seul

    employeur important pour eux. On nous a

    vites. Ils ont probablement pens que nous

    voulions nous venger ou commettre un attentat.

    Nous essayions en fait de trouver o habitait ce

    prof. Il rsidait dans une petite maison, et nous a

    invit entrer boire un caf aprs avoir

    bredouill. Bien entendu, nous voulions parler de

    la prison avec lui. Nous sommes alors allEs

    nous promener parce quil supposait que son

    appartement tait sur coute. Il nous a racont

    son parcours, que la taule payait bien les profs,que les jeunes enferms taient en quelque sorte

    un dfi pour lui. Bien sr, il ne pouvait pas nous

    dire tout ce qui le faisait gerber dans ce systme.

    Il ne savait pas ce que nous ferions de telles

    infos, mais il a clairement laiss paratre quil

    considrait beaucoup de choses trs graves. Il

    avait bien remarqu que son travail ne servait

    rien et que toutes les files taient rcidivistes. Il

    tait vraiment flipp, mais a limpressionnait

    tout de mme que nous soyons revenues pour le

    voir.

    Lorsque jai t libre, on ma aussi remise

    les lettres de Mita, dans lesquelles elle mcrivait

    en personne pour me dire quelle trouvaitcompltement incroyable que jai bomb tout

    cela pour eux. Elle ma crit plusieurs fois et ma

    toujours fait passer le bonjour. Je crois quelle a

    simul la folie et reu une peine moins lourde

    que Jana. Jana a pass quelques mois en taule

    dans la prison de femmes de Hoheneck rserve

    aux politiques et est reste ma copine.

    On a continu jouer la chanson Les nazis

    sont de retour Berlin-est.

    Texte de Connie M.

    (ne en 1966)

    [Traduit de lallemand par L. Tir de

    Haare auf Krawall, Jugendsubkultur

    in Leipzig 1980 bis 1991,

    Connewitzer Verlagsbuchhandlung,

    pp. 84-93 (292 pages), t 1999]

    Cette Semaine - janvier 2003 7

  • 7/31/2019 Cette Semaine N86

    8/32

    TOUT A COMMENC par les vieux. Ils

    frquentaient tous ces concerts de blues.A cette poque [mi-70], le punk

    nexistait pas encore. Ensuite, ils ont vieilli, ont

    arrt daller aux concerts pour traner dans les

    bars et se sont rsigns.

    Avoir les cheveux longs tait dj

    lpoque une forme dopposition. Ctait

    suffisant en soi, cest la raison pour laquelle ils

    coupaient les cheveux aux gens. Avant nous, a

    arrivait dj. Tu navais pas le droit daller

    lcole avec des cheveux longs, ctait une

    forme dopposition que lon exprimait plus

    individuellement. Par la suite, nous navons

    plus utilis ce moyen, nous navons plus laiss

    pousser nos cheveux de manire si provocanteparce que beaucoup de gens le faisaient dj. Il

    y avait dautres faons de faire quelque chose.

    On sest plus tourn vers lextrieur, la vie

    publique.

    Mais nous navions pas grand chose voir

    avec le reste de la RDA [Allemagne de lEst].

    Bien sr, nous connaissions beaucoup de monde,

    mais notre proche environnement tait Leipzig.

    Ailleurs, il ne se passait presque rien ou sinon

    essentiellement entre universitaires, avec

    Biermann [chanteur contestataire qui sera

    expuls en 1976] et compagnie. Ctait un

    autre niveau, 10 000 pieds au dessus de nous

    pour ainsi dire. A lpoque, certaines chosespassaient galement par lEglise, avec Bettina

    Wegner [chanteuse lyrique interdite de scne

    partir de 1968, sinstallera lOuest en 1983] et

    autres, mais nous refusions dtre lis ceux-l.

    Au dbut des annes 80, Leipzig tait un

    bastion pour des gens qui ne voulaient rien avoir

    faire avec la classe dirigeante. Le milieu de

    Leipzig sest agrandi et la Stasi na absolument

    plus rien compris. Ils taient compltement

    surmens parce quil y avait trop de gens. Dans

    les meilleurs moments, nous pouvions nous

    retrouver une centaine de personnes. Avant que

    le Moderna [bar du centre-ville avec une petite

    scne] sur la Sachsenplatz ne soit ferm vers1980, ctait le lieu de rendez-vous principal. Le

    Moderna est simplement trs central et grand.

    Mais je ny allais pas souvent, car nous navions

    pas grand chose faire avec les vieux hippies.

    Nous avons donc cr notre propre projet et

    squatt une maison partir de laquelle tout sest

    pass.

    CRATION DUN NOUVEAU MILIEU

    Je suis entr lpoque dans le milieu par les

    groupes de blues. Il y avait toujours des concerts

    de ce type donns par des groupes de RDA. Un

    autre lieu de rencontre taient les jubils de

    quelque ville que ce soit, avec de grandes

    manifestations publiques, de la bire et de la

    musique live. De telles ftes taient bien sr

    loccasion de faire de la provocation.

    Celle des mille ans dAltenbourg en 1974 a

    t trs importante pour beaucoup. Ctait autemps du Moderna. Pour ce jubil, une vraie

    grosse fte a t organise, avec des milliers de

    personnes. Des jeunes sont venus de partout,

    notamment parce que beaucoup de groupes

    allaient y jouer.

    A Altenbourg, il y a eu dnormes meutes

    et une baston gnrale contre les flics sest

    dveloppe, mme sil na jamais t clair si elle

    navait pas t dclenche par la Stasi.

    Beaucoup de gens se sont fait arrter. Mais il ne

    sagissait l que de banalits parce que

    quelquun avait sorti un drapeau allemand (de

    lOuest). Certaines personnes en avaient chez

    elles. Puis les flics se sont interposs, pluspersonne ne savait de quoi il sagissait, la fin

    a sest de toute faon transform en bataille

    range contre la Stasi et les keufs.

    Ds lors, Altenbourg

    a t le premier

    vnement dont les

    gens ont parl

    entre eux et

    partir duquel

    ils se sont

    rapprochs.

    Les jubils

    qui avaient

    toujours lieu droite gauche

    sont devenus de

    vrais rendez-vous

    auxquels tous allaient. On se

    donnait des rencarts qui tournaient loccasion

    de concerts ou de ftes. Mais ces vnements

    culturels ntaient en fait que des prtextes pour

    se rencontrer. La plupart du temps, a en restait

    au stade de la rencontre, beaucoup de gens se

    contentaient de se bourrer la gueule l-bas, ce

    qui a toujours t un dfaut du milieu. Pourtant,

    il tait aussi possible de rencontrer des

    personnes qui ntaient pas si accros et avec

    lesquelles on pourrait faire des choses.Le fait de bouger sest ensuite gnralis

    mais sest transpos dans nos propres villes. A

    Leipzig, nous avons mme organis un petit

    rassemblement, invit quelques groupes afin de

    ne pas toujours utiliser les rails de lEtat et de ne

    pas rester dpendants des jubils. Ces

    rencontres dcentralises taient naturellement

    moins grandes et on ne se retrouvait plus

    uniquement cause de groupes de musique

    quelconques mais pour organiser dautres

    choses ensemble.

    Le milieu de Leipzig stait au milieu des

    annes 70 dvelopp partir de ces ftes de

    villes. Tout passait par le Moderna et par les

    personnes plus ges qui avaient dj 30 ans.

    Scartant de la ligne officielle, certains

    directeurs de clubs proches du milieu ont aussi

    organis quelques concerts : le Jrgen

    Schmidtchen Schnefeld, le Jger

    Leutzsch et la Haus Leipzig, mais celle-ci est nouveau rentre dans le rang par la suite. Il y

    avait aussi sporadiquement des vnements

    Taucha. Il y avait galement les discothques,

    nous allions toujours Gnthersdorf. Cest dans

    tous ces lieux que sest retrouve la nouvelle

    gnration, cest l que nous avons fait

    connaissance.

    Finalement, un changement sest produit

    Leipzig, on a vu apparatre des gens plus jeunes

    qui taient moins lis au milieu du Moderna et

    plus lis entre eux. Ils ne se contentaient pas de

    rester assis au bar, mais ont essay plus ou

    moins de crer quelque chose par eux-mme.

    Nous voulions rendre cette ville un peu plusintressante et ne plus tre obligs de nous

    traner ces manifestations organises par la

    FDJ [Freie Deutsche Jugend organisation de

    jeunes du Parti]. A un moment, a a march.

    PREMIRES INITIATIVES

    Au dbut, nous ntions quun petit groupe

    denviron seize personnes. Nous nous

    retrouvions une fois par semaine pour

    rflchir ce que nous pourrions faire. La

    plupart du temps, nous organisions des

    actions fun, juste pour faire chier les gens

    de la Stasi. Personne dentre nous navaitdpos de demande de sortie du pays [ce qui

    signifiait une surveillance de la Stasi et un

    moyen de chantage].

    Une fois, nous avons achet de la craie que

    nous avions rpartie sur la Sachsenplatz. Les

    passants pouvaient crire ou dessiner ce quils

    voulaient. Ctait vers 1980 [lauteur vient

    davoir 18 ans]. On naurait jamais imagin que

    cela prenne de telles proportions et que la place

    soit immdiatement remplie. Pourtant cest ce

    qui sest finalement pass. Tous ont vu quon

    commenait crire cet endroit, ceux du

    Moderna aussi, et tout le monde sy est mis.

    Il ny avait aucun flic sur la place, ils ont tcompltement surpris. Il ne sest rien pass

    jusquau soir. Il y eu ensuite une centaine

    darrestations. Ils ont tout photographi, tous

    ceux dont ils avaient les noms ont t arrts et

    ils sont alls les chercher chez eux aussi bien

    quen discothque !

    On a tous atterris dans la Harkortstrasse

    [immeubles de la Stasi et de la police criminelle]

    o tout un tage tait rserv ce genre de

    choses. Tout le milieu tait l-bas, dans les

    cellules, en attente dans les couloirs et tous

    avaient de ce fait encore plus de liens ensemble.

    Chacun a t condamn quelque chose, une

    amende de 100 marks ou autre. Jai d en raquer

    160 parce que javais achet la craie.

    Normalement, on aurait d finir en taule pour une

    histoire pareille parce quil y avait des crits trs

    durs pour le rgime sur la Sachsenplatz.

    Personnellement, je pense que jai bnfici

    Cette Semaine - janvier 20038

    LE MENEUR

    t q u p q v d 1 1 p t l p d s a l c d n mr L L v d l a c o d c e d d a d P m a

    m s d f i d t c e o u s A p d p r i o s u E q l p d m d m L i s d n

  • 7/31/2019 Cette Semaine N86

    9/32

    dune sorte de protection parce que ma mre

    travaillait comme secrtaire au Parti. Elle

    connaissait donc tous les bonzes du MfS

    [Ministerium fr Staatssicherheit, ministre de

    lIntrieur] grce leurs runions. Cest ce qui

    ma toujours donn une libert plus relative et la

    possibilit de faire plein de trucs. Cela na dur

    que le temps o ma mre tait au Parti.

    Lorsquelle la quitt, on ma galement mis en

    taule.

    Dans cette affaire, on sen est simplement

    sortis avec des amendes et des avertissements. Parla suite, nous avons toujours fait trs attention ce

    que personne ne tombe par imprudence au cours

    de telles actions.

    OPPOSITION OUVERTE ET RPRESSION

    De plus en plus de personnes se retrouvaient

    rgulirement, il sagissait dun cercle

    denviron cent personnes. Nous nous

    retrouvions un jour fixe chaque semaine dans

    une partie du parc Clara Zetkin. Ces

    rencontres ntaient possibles qu lair libre

    car personne ne connaissait dendroit o aller.

    On ne pouvait pas le faire dans les clubs[sortes de Maisons de la Jeunesse] car il fallait

    sinscrire et nous ne voulions rien annoncer.

    Cest lune des raisons pour lesquelles nous

    avons cherch plus tard un squat.

    Lors de ces rencontres, nous avions

    toujours un thme prcis. Parfois ctait la

    lecture dun livre, une autre un jeu tout simple,

    chaque fois une activit diffrente, et a a dur

    comme cela vraiment longtemps. Tout le

    monde pouvait passer, et ainsi toujours plus de

    personnes nous ont rejoint.

    A partir de ce cercle, nous avons ensuite

    organis des manifestations sauvages, comme

    par exemple contre linstallation de missiles

    nuclaires. Notre opinion tait que si lOuest

    devait y renoncer [comme le demandait le

    rgime], lEst devait aussi le faire. Nous

    luttions non seulement contre ces missiles,

    mais aussi contre lensemble de la

    militarisation lEst.

    Mais la manifestation est partie en vrille.

    Nous avions fait au pralable une runion dans

    la cour intrieure de la fac de Vorfeld. Parmi les

    huit personnes stait gliss un informateur. Tout a

    explos. Quelques personnes ont t arrtes. Sur

    la Sachsenplatz, ils ont boucl les rues

    sauvagement et ils nous ont encercl avec leurs

    boucliers. A cause du thme [de grandes manifs

    avaient lieu en Allemagne de lOuest contre

    linstallation des missiles Pershing de lOTAN], ils

    ne pouvaient pas faire grand chose contre nous. Ils

    nous ont laiss partir en nous avertissant que ctait

    la dernire fois. Mais nous avons continu en nous

    greffant sur des manifestations officielles du

    centre-ville, comme les dfils du carnaval. Prs de

    deux-cent personnes de chez nous y participaient

    chaque anne ; il sagissait plutt de parades de

    fous o nous ridiculisions les connards de la Stasi.

    A chaque fois, nous changions de thme en

    parodiant larme ou dautres institutions.

    Par la suite, nous avons imprim des tracts

    clandestins distribus dans le parc Clara Zetkin ou

    glisss dans les botes aux lettres. Ils ont fait des

    petits : ces tracts furent comme les prcurseurs de

    ceux qui ont fleuri sur la colonne Morris quon a

    install un jour en 1989 sur la Karl-Marx Platz,

    devant la Gewandhaus. Il sagissait de petits bouts

    de papier tirs environ mille exemplaires sur

    lesquels se trouvaient des rendez-vous et des infos

    sur les choses que nous avions faites. Mille tait

    pour nous lpoque un nombre norme car il

    nexistait pas de magasins de photocopies, ni rien

    dautre. Tout tait fait de faon assez conspirative :

    nous connaissions un imprimeur, nous lui avons

    donn les textes, il imprimait les tracts quelque part

    et me les repassait. Nous ne tenions pas du tout

    savoir o et comment il ralisait cette tche. Tout

    fonctionnait bien durant cette priode, jusqu ceque nous appelions nouveau une manifestation

    et que la Stasi y cible des personnes prcises. L,

    ils se sont plants en proposant au seul dentre nous

    qui avait fait une demande de sortie de le faire

    passer de lautre ct du mur sil racontait tout.

    Mais il a ferm sa gueule.

    Pendant des annes, nous nous sommes

    retrouvs rgulirement pour rflchir ensemble

    ce qui ne nous convenait pas et sur le comment

    faire contre ce rgime. Nous ne sommes plus alls

    ces concerts comme auparavant, ceux auxquels se

    rendaient les vieux hippies, nous avons prfr

    organiser nos propres initiatives. Nous ne nous

    sommes pas dfinis comme des hippies, pas

    vraiment ! Ils avaient assez dtruit leur raison

    coups de bitures. Ctait assez courant lEst que

    beaucoup cherchent leur salut au troquet. Ca a

    vraiment rendu des gens fous. Puis notre groupe a

    commenc devenir de plus en plus dangereux,

    des gens se faisaient arrter sans cesse et il est

    devenu vident que la prison nous pendait au nez.

    Les grandes runions ont donc stopp, les activits

    ne se passaient plus de faon si centrale et se sont

    dplaces au fur et mesure dans les quartiers.

    Lavantage tait que tout ntait plus si anonyme,

    que les individus se connaissaient mieux entre eux.

    Ces cercles sont devenus trs ferms car il rgnait

    une peur terrible des infiltrs. Cest aussi ce quils

    recherchaient, que nous nous clations ainsi en

    plusieurs groupuscules.

    LHISTOIRE DU SQUAT

    Lhistoire de notre squat est donc assez simple.

    A lpoque, ctait vraiment dingue dans le quartier

    est de Leipzig. Tout ce quartier tait pourri et

    beaucoup de maisons taient vides. Comme la

    plupart dentre nous navait pas dappartement,

    nous avons pris une maison que nous avons

    amnag de bric et de broc. Nous sommes rests l

    presque deux annes, au dbut clandestinement et

    ensuite de faon plus ouverte. Dans notre rue, la

    Erich-Feld-Strasse, il y avait dj de nombreuxsquats. Aucun navait de contrat de location.

    Au dbut, lorsque tout se faisait discrtement,

    on ne les a pas drangs. Ils pensaient quon se

    contentait simplement dhabiter l : il y avait pas

    mal dappartements o les gens ne payaient pas de

    loyer et sans quil leur soit officiellement attribu.

    Les flics ne savaient pas non plus qui avait la

    permission ou pas, sauf lorsquun voisin te

    balanait la KWV [Kommunale

    Wohnungsverwaltung, rgie communale des

    habitations]. De toutes faon, ici on ne pouvait

    normalement pas texpulser sans tattribuer un

    autre logement, cest la raison pour laquelle il

    tait si facile de squatter des maisons malgr le

    rgime. Ils ne pouvaient pas te jeter la rue,

    ctait impossible. Il ny avait officiellement pas

    de SDF en Allemagne de lEst et ils ne tenaient

    pas en avoir sur les bras.

    Quand ils nous ont dcouvert, ils ne nous ont

    donc tout dabord pas expulss, aucunE dentre

    nous nayant dautre logement ; la pnurie leur

    rendait la tche impossible sils avaient d tous

    nous expulser/reloger. Ils ont alors mis la

    pression : lun dentre nous a d retourner vivre

    chez ses parents 25 ans, alors quil ne les

    frquentait plus depuis des annes. Un autre a

    d retourner vivre chez sa femme alors quils

    taient divorcs. Les flics appelaient un camion,

    chargeaient toutes leurs affaires, puis les

    expdiaient la dernire adresse connue. Dans

    ces cas, expulss ainsi, nous retournions

    chaque fois dans le squat. De guerre lasse, nous

    avons pu y rester un peu.

    Ce qui nous distinguait des autres groupes, cest

    que nous tenions conserver les pratiques

    davant et donc de ne pas se sparer des autres :

    nous avons fait une sorte de travail ouvert et tout le

    monde pouvait passer. Nous avions demble

    rserv des pices libres pour les mettre la

    disposition dactivits. Tout le monde avait la

    possibilit dorganiser des choses dans la pice

    commune. Il y avait par exemple des

    Bhagwanjnger dans la maison den face. Personne

    ne savait ce que ctait et ils nous lont expliqu

    [lauteur nen dit pas plus sur ce que cest]. Tout ce

    que nous ne connaissions pas nous intressait,

    jusqu ce que nous ralisions de quel truc il

    sagissait. Nous avons aussi tourn un film en super

    8. On avait russi se procurer une camra et

    prvenu une foule de copains. Lide tait de faire

    un film ironique sur le quartier est et sur nos faons

    de vivre. Suite une perquisition peu de temps

    aprs, il a t perdu. Nous lavions tourn pour rien.

    Une autre fois, nous avons accroch des

    banderoles sur la faade de notre maison lors du 1er

    Mai. A cette date, le journal dEtat contenait les

    rsolutions, numrotes de une cinquante, quil

    convenait de prendre. Nous avons alors affich de

    faon satirique des rsolutions sur la baraque en

    Cette Semaine - janvier 2003 9

  • 7/31/2019 Cette Semaine N86

    10/32

    ruine comme Embellir nos villes et nos

    quartiers. Les banderoles sont bien restes

    trois heures. Puis il y a eu une gigantesque

    bousculade, la police a bloqu la rue et les

    pompiers ont dcroch les banderoles. Nous

    avons tous/toutes t embarquEs. Comme

    nous avions emport avec nous le journal,

    Neues Deutschland, nous avons

    simplement dclar : Quy pouvons-

    nous si cette baraque en ruine a lair si

    naze ?. Aprs cette action, les flics sont

    devenus de plus en plus violents, ilspassaient presque tous les jours, raflant

    tout le monde, ptant tout. Nous avons

    fini par nous rsoudre abandonner le

    lieu. Les personnes qui vivaient

    ensemble se sont disperses aux quatre

    coins de la ville. La sparation sest

    faite toute seule car il arrive toujours

    un temps o chacunE veut une chose

    diffrente. Mais ils nont jamais russi

    nous faire clater. Aujourdhui

    encore, je vois des personnes de cette

    poque.

    LARME

    A 18 ans, aprs laction de la

    Sachsenplatz, jai d aller

    larme. Ils mont envoy au

    service car cela leur permettait de

    mloigner pendant au moins un

    an et demi. Lorsque jai reu mon

    ordre dincorporation, je me suis

    enfui en Bulgarie o je suis

    rest trois mois. A mon retour,

    ils mont arrt et confisqu le

    passeport puis interdit de quitter

    le territoire. A la session suivante

    lanne daprs, jai d y aller.

    A vrai dire, je ne voulais pas

    aller chez les Bausoldaten

    [rgiment de gnie militaire, sans

    armes, rserv aux insoumis ou

    objecteurs] parce que je trouvais a

    trop con. Ils mont affect de force

    dans ce bataillon 99, une unit

    punitive. Ils nous faisaient faire un

    travail en usine que plus personne

    neffectuait. Cest ainsi que nous avons

    travaill dans un boui-boui empoisonn

    Leuna [ple ptro-chimique de RDA].

    Nous tions tous l pour des motifs diffrents,

    chacun stant fait remarquer dune faon ou dune

    autre. Mme les off iciers avaient t muts pour

    raisons disciplinaires.

    A larme, javais galement affaire la

    Stasi. Ils ont voulu menfermer dans la taule

    militaire de Schwedt pour refus dobir,

    dsertion et tout le bataclan. Le plus stupide,

    cest que lorsque tu sors de Schwedt, il te faut

    rattraper le temps perdu pour le service et la

    merde recommence zro. On rentre alors dans

    un cercle infernal. Connaissant cela avant le

    procs , jai simul un sui cide et me sui s

    retrouv linfirmerie. Mais pour les soldats et

    les subalternes, il nexistait pas dinfirmerie

    militaire, seuls les officiers y avaient droit.

    Lhpital civil ma foutu la porte car ils

    taient embarrasss par mon cas. Dans le fond,

    javais vis juste, je sortais sans internement

    avec une sorte de certificat de fou qui allait

    mviter Schwedt. De retour dans mon unit,

    je nai plus rien fait daut re que rester assis

    ou servir table en attendant dtre

    dmobilis.

    Quand je suis rentr, jai rejoint des

    amis dans un squat.

    PARTIR OU RESTER

    Au dbut, nous dbordions plutt

    dnergie. Nous pensions pouvoir

    provoquer des choses, au moinsconstruire notre propre espace

    dans une partie de la ville.

    Nous avons longtemps

    essay dagir avec la

    popula tion, not amment lors

    dactions ludiques destines

    provoquer quelque chose. Mais

    un moment, nous en avons

    eu ras-le-bol. Les gens taient

    si stupides. Il ny avait plus

    rien faire avec eux. Ctait

    grave, frustrant et cest aussi

    une des raisons pour

    lesquelles tant de personnesvoulaient se barrer. Ce ntait ni

    cause des flics, ni cause de

    toute cette violence dEtat, mais

    cause de la population si

    limite. Avec elle, il tait

    impossible de briser quoi que

    ce soit.

    Nous avons vra iment

    essay des annes durant, mais

    ensuite a a t de pire en pire

    avec cette ambiance de dlation.

    Le simple fait de thabiller

    autrement te faisait remarquer, tu

    tais dj estampill.

    Certaines personnes qui

    ont habit avec nous ont dit

    nous allons passer par la voie

    officielle et sont volontairement

    entres au Parti pour y changer

    quelque chose. Elles voulaient se cogner la

    tte contre les murs jusqu ce que a

    bouge, mais a na pas march.

    Ce que nous navons jamais fait, cest de

    crer consciemment des groupes clandestins.

    Nous tions solidaires les unEs des autres,

    mais nous ne voulions pas crer de parti ou

    dorganisation de rsistance. Nous navions

    pas l intention de crer cela, mme si certainEs

    y ont certainement pens... On voit aujourdhui

    ce qui est sorti de tous ces mouvements

    citoyens et de ces partis alternatifs.

    Javais 21 ans lorsquil y a eu ces

    occupations dambassades Berlin-est, et les

    flics ont vraiment russi tout faire clater [en

    1983] : certainEs voulaient rester l, dautres

    quitter le pays. Comme tant de personnes sont

    par ties, jai pri s le train en marche et

    finalement mon tour dpos une demande de

    sortie.

    Javais galement dautres raisons. Priv

    de passeport, je devais rester dans une

    habitation prcise o la Stasi tournait en

    permanence, rentrant dans lappartement tout

    bout de champ sans aucun scrupule. Pourtant,

    je nai jamais rien fait spcialement pour me

    faire expulser de RDA.

    Tant que ma mre tait au Parti, je profitais

    dune petite libert. Quand ils lont jete, ils

    mont prcis que si je ne changeais pas, cest

    la prison qui mattendait. Ils mont alors coll

    un an ferme pour un truc mont de toutes

    pices, complicit de fuite. Ils ont util is un

    agent eux qui a prtendu vouloir senfuir. Il

    mavait laiss des affaires quil ne pouvait pas

    emporter et l, ils mont coinc pour

    complicit. Dautres personnes sont aussi

    tombes dans cette histoire, bien sr on a

    jamais revu ce type.LOuest na jamais t pour nous ni une

    vitrine, ni une image idale. Il y avait bien ces

    braillards qui taient dans lopposit ion juste

    cause de la sparation en deux de lAllemagne,

    mais ceci nexistait pas chez nous.

    Fin 1970/dbut 80, ctait lpoque des

    squats Berlin-ouest. Ctait remarquable pour

    nous dans le sens o les contradictions quils

    posaient dans la soci t bourgeoise tai ent

    semblables aux ntres. Ca nous semblait juste.

    A cette poque, les vnements de l-bas nous

    servaient donc de base comparative.

    Comme il se passait beaucoup de choses

    Berlin-ouest, beaucoup de personnes y sontalles aprs avoir russi passer de lautre

    ct. A Kreutzberg, il y avait des maisons

    entires pleines de gens de lEst. Les gens

    avaient certes le mur derrire eux, mais ce qui

    se passait les touchait encore ; comme ils ne

    pouvaient rien y faire, ils se sont de plus en

    plus engags l ouest.

    LA STASI NE LCHE PAS LAFFAIRE

    Quand lhistoire avec la Stasi a commenc,

    javais 17 ans. Quand jai migr , jen avais

    24. En vivant des annes durant avec ces gens,

    tu fais attention tout faire de manire un peu

    illgale, tre prudent, mais tu nas plus peur.

    Ils peuvent tarrter chaque jour, faire comme

    ils veulent. Cest aussi ce quils ont fait. Et

    cest ainsi que nous avons vcu.

    Lorsquils sont devenus vraiment

    dangereux, je nai plus eu dautre issue que de

    partir le plus vite poss ible. L, ja i alors

    compris que non seulement ils me feraient

    croupir en taule mais quils me buteraient aussi

    peut-tre au coin dune rue.

    Ils sont arrivs en pleine nuit, ils ont

    enfonc les portes, un mlange de flics de base

    et de civils, tel point que je savais plus qui

    tait qui. Une fois, ils mont ligot, tran en

    bas et fail li me balancer travers la vitre. Lun

    deux a gueul : balancez ce porc travers la

    vitre !. Ils mont ligot tous les membres et

    voulaient vraiment me balancer. Quils nous

    foutent des coups en permanence, ctait

    habituel, mais avec les mthodes nazies quils

    ont employes par la suite, jai vraiment eu

    peur. Ils mont dsign comme un meneur. Je

    connaissais beaucoup de monde et mon nom est

    apparu de nombreuses fois au cours de divers

    interrogatoires. Pour eux il fallait toujours un

    coupable, jamais un groupe, il fallait toujours

    que quelquun ait tout influenc. Cest la

    raison pour laquelle quelquun tait toujours

    plus puni que les autres.

    Lorsquils mont arrt une autre fois, ils

    ont tent de menfermer en psychiatrie. L,

    quand tu y es, tu nen ressors jamais. Ils

    Cette Semaine - janvier 200310

  • 7/31/2019 Cette Semaine N86

    11/32

    savaient que javais dj eu affaire

    linfirmerie larme et voulaient

    my enfoncer. Ils mont fait

    comprendre quils me prenaient pour

    un fou et quils profiteraient de la

    moindre occasion pour me mettre

    hors circuit en menfermant. Le MfS

    [ministre de lintrieur, Stasi] ma

    fait un certificat psychiatrique pour

    mviter un jugement, tout mon

    avantage ! Mais ils ont encore une

    fois laiss tomb, ils voulaientsurtout meffrayer.

    Aprs de telles preuves,

    beaucoup de personnes se sont

    retires. Pas mal se sont replies sur

    leur demande de sortie et nont plus

    vcu que pour a. Dautres sont

    rentres dans le systme de vie

    bourgeoise, el les se sont maries, etc.

    A la fin, en 1982, il ne restait plus

    beaucoup de monde parmi nous. Il

    nous manquait ce fameux soutien, car

    on a jamais russi se mettre au clair

    avec la population normale. Ceux-

    l, ils vivaient leur vie en RDA. Tu

    ne pouvais rien y changer, au

    contraire, ils te tombaient sur le

    rble.

    LA SERVITUDE VOLONTAIRE

    Comme je ne trouvais de boulot nulle

    part , la Stasi ma oblig accepter un

    travail compltement stupide dans le

    btiment.

    Ceux-l et leur brigadier mont

    aussi foutu une pression totale. Je ne

    correspondais pas du tout limage

    de leur Brigade, et ils avaient peur de

    ne pas pouvoir devenirBrigade du

    travail socialiste [qui permet

    dobtenir une prime, lie

    lobtention dobjectifs et

    lexemplarit de la camaraderie,

    symbole de lhomme nouveau, au

    sein de la brigade]. Cest chaque

    fois ce dont ils mont prvenu. Nos

    rapports taient vraiment tendus. Je

    leur disais daller se faire foutre avec

    toute leur merde. Dans ces brigades,

    il y avait toujours quelquun avec qui

    on pouvait discuter raisonnablement

    mme si tous les autres portaient des

    illres. Ils taient tout simplement

    rouges, rouges en bouffer de la

    pail le. Ce ntaient mme pas des

    collaborateurs zls du systme, ils

    ne savaient mme pas ce quils

    faisaient. Ils ne voyaient que leur

    peti t confor t, rien de plus. Ctaient

    typiquement ceux qui retournaient

    leur veste et qui, lorsque a a t un

    peu plus mal pour eux, cracheraient

    ensuite sur la RDA, soudainement

    devenue de la merde. Les mmes qui

    peu de temps avant criaient encore

    Hourra !. Ctaient typiquement

    les citoyens qui, mis sous pression,

    pensaient quils avaient t out int rt

    se dissocier des autres.

    La socit toute entire tait

    conue pour a : fous les autres dans

    la merde et a ira mieux pour toi. Ils

    nont pas rflchi plus loin que cela.

    Jtais marqu au fer rouge du fait

    mme que la Stasi mavait forc

    accepter ce travail. Je navais rien

    ajouter. Cest ainsi qutaient les

    rapports, tu navais rien faire dans

    leurs relations.

    Il y avait cependant toujours

    quelques personnes diffrentes.Lorsque jai travaill dans une

    librairie, il y avait des personnes qui

    se contentaient simplement de faire

    leur boulot. Ils ne rvaient pas de

    devenir des chefs au Parti et ne

    faisaient pas de lche. Mais ceci

    nexistait que dans les petites usines.

    Dans les autres, il y avait forcment

    une ligne centrale et cette hirarchie

    o lon marche sur les autres pour

    que lensemble corresponde aux

    attentes officielles.

    Il tait mme parfois possible de

    discuter avec quelques fidles du

    Parti. Ma mre y tait aussi. Mais

    elle ny croyait pas de cette manire

    totalitaire de merde. Les autres, ceux

    qui ne collaboraient pas, taient tout

    de suite des ennemis dEtat. A

    lpoque, il suffisait davoir fait

    quelque chose qui ne leur plaisait

    pas. Tu tais pour ou contre. Il ny

    avait rien entre. Si tu nallais pas

    voter, cest que tu tais contre la

    RDA et tu tais traitE comme telLE.

    Qui nest pas pour est contre tait

    la devise de Mielke [chef de la Stasi ].

    Je suis parti en 1987, ctait

    justement une phase de stagnation.

    Ils avaient expuls ou enferm

    tellement de gens quil ne se passait

    plus grand chose Leipzig, comme

    un reflet de cette vague de

    rpression. Cela a repris en 1988/89,

    quand tous les groupes de lEglise

    ont saut dans le vide et occup les

    espaces que nous avions rempli

    prcdemment [le mur est tomb en

    octobre 1989].

    Gurke

    (n en 1962)

    [Traduit de lallemand par L. Tir de

    Haare auf Krawall, Jugendsubkultur in

    Leipzig 1980 bis 1991, Connewitzer

    Verlagsbuchhandlung, pp. 27-33 (292

    pages), t 1999]

    Cette Semaine - janvier 2003 11

    LA SURVIE QUOTIDIENNE LA FIN DES ANNES 60

    EN 1968, NOUS AVIONS tous entre 18 et 25 ans. Aujourdhui, ilmest dsormais difficile de dire si ne pas travailler relevait duculte ou si ctait tout simplement un moyen de se soustraire cestravaux stupides, car comme de toutes faons 90 % dentre nousstaient dj fait remarquer dans le mauvais sens du terme, noustions certains de ne devenir ni tudiants [situation rserve auxjeunes dociles par le Parti] ni dobtenir ce qui convient de nommertravail satisfaisant. Jai par exemple boss comme serveuse dansun bar, fait des tartines dans une cuisine et mme des gardes denuit en psychiatrie. Un autre a travaill chez le marchand decharbon. Nous faisions de petits boulots de temps autre, nonpas parce que nous le voulions, mais parce que la Stasi aimaitparticulirement lancer des enqutes pour comportementasocial et faire enfermer pour des annes les indsirables.

    Lorsque nous remarquions quils recommenaient sintresser nous, quils nous convoquaient, que a sentait leroussi, nous cherchions vite un nouveau petit job. On trouvaittoujours un truc pour bosser en RDA, quelque chose

    dinvitablement chiant. Ca permettait dvacuer lenqute unmoment.Nous nous sommes balads de taf en taf tout en essayant de

    fuir le plus possible ces tristes obligations.Au milieu des annes 70, nous avions appris quon pouvait

    trs bien sen tirer en fabricant des babioles, vestes et pantalonstricots main, cest--dire ces articles quon ne pouvait se procurerde manire lgale. Ds lors, tout a bien march pour nous, tout aumoins financirement. Mais vrai dire, ce ntait pas une questiondargent. Il navait pas le rle quil a aujourdhui. De toutesmanires, dans les communauts [tablies en squat] il y avaittoujours une ou deux personnes qui devaient justement allerbosser, en fonction de la surveillance.

    Nous tions huit vivre dans notre maison, deux travaillaient.

    Nous mettions tout largent que nous possdions dans une caissecommune. Sinon, il y avait la petite criminalit habituelle : volerdes vivres dans les supermarchs fonctionnait trs bien. On nenous a pas chop une seule fois. Nous avons tous chourr commedes corbeaux, nous prenions ces trucs parce que nous pensionsque cette maudite socit nous devait quelque chose, pas parceque nous navions pas les moyens de lacheter. Dailleurs tout taitridiculement peu cher Nous avons vraiment bien russi nous ensortir, parce que nous tions aussi relativement modestes et pleindimagination. Le loyer slevait 22,70 DM, ce qui divis par troisfaisait peu. Les autres habitantEs ne payaient naturellement rien la socit HLM. Celle-ci navait mme pas russi installer descompteurs, et lorsque ce fut fait, ils furent immdiatement casss.En cinq ans, ils nont rien remarqu, mme si on faisait tout cela

    larrach.

    Ilona(ne en 1950)

    [Traduit du mme livre que prcdemment, extrait p.18]

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    JE SUIS UN HOMME LIBRE, et commehomme libre, je suis all faire unbraquage. Je suis libre, mme maintenantalors que j'cris derrire les barreauxd'une prison sordide, monument de ladmocratie rpressive de l'Etat.

    Je suis libre parce que je suis hors desmurs gris surveills par les fidles chiensen uniforme, je suis loin des barbelsrouills, parce que je vis dans chaque actede rbellion, je fais partie de chaquervolutionnaire, de chaque proltaire, dechaque exploit.

    Il y en a qui pensent que la solution leurproblme est d'enfermer certains d'entrenous (toujours trop malheureusement !)dans ces quelques mtres carrs, en nousprivant de la libert de nos corps, mais ilsne comprennent pas que la libert ne

    rside pas les corps.Est-ce que l'employe qui, tous les matins,va son bureau qu'elle hait parce qu'elleest victime du chantage de ceux qui luidonnent un salaire misrable poursurvivre, est libre ? Est-ce que l'ouvrier, lacuisinire, le mineur, l 'enseignant,victimes du mme chantage vendre bas prix leur corps sur un talage dumarch du travail sont libres ?

    En quoi sont-ils/elles diffrentEs desprostitues qu'ils/elles dnigrent tant, cesgens bien ?

    Est-ce que la fille, l'enfant, dont laconscience, la moralit, la sexualit sontquotidiennement viols par la moraletordue et religieuse qui imprgne chaqueparcelle de notre socit, sont libres ?

    Est-ce que mon pre tait libre lorsqu'il aabandonn sa langue pour utiliser celle dupatron ? Est-ce que ma mre tait librequand, pour me soustraire l'exclusion et la violence de l'imprialisme italien, ellea dcid de ne pas menseigner notrelangue ?

    Et pourtant le monde est remplid'hommes et de femmes libres commetous ceux-l, femmes et hommes qui ne serendent mme pas compte que leur celluleest bien plus petite que la mienne, parcequ'elle ne dpasse pas leur piderme : ilssont la fois prisonniers et leur propreprison prisonniers d'eux-mmes. Leursailes sont englues par un liquide visqueuxet liberticide que les Etats rpandent surles individus, communauts, pour lesempcher de voler et d'observer lesmonstruosits qu'ils accomplissent sur laterre

    Nous, dlinquants, malfrats, hors-la-loi,nous ne sommes pas un problme pour lasocit, mais un fruit de son problme,nous sommes ses enfants : nous sommes

    fils de l'ingalit et de l'injustice lgalise,et tant qu'il y aura un monde bas surl'ingalit, nous serons l, ses fils, enpromenade de par le monde, toujoursprts se rapproprier ce qui est nous.

    Tant que le systme actuel engendrera

    des souffrances, il y aura des mainssouffrantes prtes s'armer contre luipour tre libres. Tant que tout celacontinuera exister, il y aura desconsciences prtes comploter, subvertiret attaquer l'existant.

    Ce sont ces mains et ces consciences,armes par la volont de combattre, quime donnent aujourd'hui, ici en taule, laforce de vivre et de lutter avec la certitudeque, demain, nous serons encoreensemble, unis dans cette mme lutte ;que nous continuerons encore, cte

    cte, dans le futur, parce qu'il nousappartient.

    Je vous embrasse.

    Solidarit avec tous les camaradespoursuivis, perquisitionns, perscuts parl'imprialisme bourgeoisPour la fin du 41bis [les prisons spcialesitaliennes] et de tous les rgimesd'incarcration spciaux dans le mondePour la libration immdiate de tous lesmalades en phase terminale ou qui ontune maladie gravePour la libration immdiate de ceux quiont pass vingt ans en prison

    La lutte n'est pas un devoir moral mais leplus sublime des plaisirs

    Torre Nura,de la prison de Badhe karros.

    [Le 9 fvrier 2001, Michele Deroma,Federico Pais, Riccardo Sotgia et SalvatoreNurra ont t arrts au cours dubraquage d'une bijouterie Luras(Sardaigne). Le 13 juillet 2001, Federico,

    Torre et Ricardo ont pris 5 ans et quatremois, Michele a pris 7 ans et quatre moisplus un an de contrle judiciaire (il a prisplus parce que rcidiviste). L'appel a eulieu le 15 janvier 2002 et a confirm lespeines]

    Traduit de litalien, tir de Su Gazetinu (viaMelas 24 - 09040 Guasila (CA) - Italie), n5,janvier/fvrier 2002, p12

    On peut leur crire :

    Salvatore Nurra et Michele Deroma Carcere Badhe karros 08100 Nuoro

    Federico Pais Carcere Buoncamino 09126 Cagliari

    Riccardo Sorgia a t transfr fin 2002, nousnavons pas sa nouvelle adresse.

    Cette Semaine - janvier 200312

    Ce texte sign Solidarit Internationale est paru (enespagnol) dans le journal "Obrer Prisoner", et vise engager une discussion avec les prisonnier-e-s en luttecontre le FIES, sur la stratgie et les mthodes dvelopper pour appuyer leur combat. Suit une listed'acti