Cerâmica das Caldas da Rainha

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14 I LA REVUE DE LA CÉRAMIQUE ET DU VERRE N° 170 JANVIER-FÉVRIER 2010 DOSSIER « Les murs ont des oreilles », 5O x 12 x 45 cm Bordallo Pinheiro, Musée de la Céramique. Azulejo du céramiste Herculano Elias. Usine Secla, Caldas, vers 1960 Plaque de rue en faïence émaillée. Caldas da Rainha. Photos : Quito Silva et Mário Reis. CALDAS DA RAINHA Carnet de voyage en Lusitanie Tout a commencé à l’initiative d’Eduardo Constantino qui a répondu à la demande de la ville de Caldas da Rainha désireuse de mettre en place une exposition de céramistes français. Michel Le Gentil y participe, avec Catherine et Bruce Gould, et Armel Hédé. Un camion est venu spécialement du Portugal enlever les pièces en Bretagne. Récit d’une échappée en pays céramique. E duardo et moi, nous partons accompagnés de l’ami Bertrand chargé de prendre des photos. Notre première halte a lieu à Mangualde pour visiter la Casa dos Condes da Anadia qui renferme une des plus bel- les collections privées d’azulejos ; mais la porte est close. Nous n’avons pas plus de chance avec la cave de Santar où des azulejos fameux sont norma- lement visibles sur la cour intérieure du bâtiment. Je me dis que les belles choses se méritent et que ces deux « ratages » doivent être pris comme une mise à l’épreuve initiatique. En ville, sur la place centrale, Eduardo nous fait voir une maison délaissée mais somptueusement parée de ces azulejos tant attendus. Il a tenu à faire ce détour pour nous montrer la nécessité d’une politique de sauve- garde patrimoniale concernant ce type d’habitations. Plus tard, il me mon- trera un ouvrage de photos de son ami Quito Silva concernant ces maisons uniques dans leur genre dont certai- nes, depuis la parution du livre, ont déjà été dépouillées de leur décor pour alimenter des collections privées ou pour parer de nouvelles habitations. Si bien que du lustre de ces maisons il ne reste plus trace que dans cet ouvrage épuisé. Un sentiment d’émerveillement et de tristesse mêlés, voilà ce que nous inspire la vue de ces murs qui ont perdu leur éclat de faïence. « Une humiliation de la raison » C’est par ces mots qu’Eugenio d’Ors définit le baroque. Il y a un peu de cette humiliation de la raison dans l’étrange objet que nous apercevons en visitant Caldas à notre arrivée. Il s’agit d’une sculpture haute de plusieurs mètres faite d’éléments différents, piliers, cer- cles, demi-cercles, bassins habillés de carreaux en céramique. L’œuvre est de Ferreira da Silva. Nous revenons la nuit la photographier. Ses différents éléments créent des découpes dans le ciel étoilé. Des jeunes gens sont assis au pied des bassins. Qu’une œuvre plasti- que devienne un lieu de rendez-vous, voilà qui nous renseigne sur le rôle de l’art monumental dans la cité. La sculptrice et théoricienne Mar- tha Pan a affirmé que son rôle n’est pas de décorer une place mais de créer une place : « L’objet, dit-elle, crée dans l’espace un lieu vivant, un lieu mou- vant, un lieu de rencontre. Rencontre entre la nature et l’objet, entre l’homme et l’objet, entre l’homme et l’espace par l’intermédiaire de l’objet ». L’objet de Da Silva se situe dans cette problé- matique. Je prends une photo de Vénus qui brille dans le U incliné à six ou sept mètres de haut ; puis d’autres photos de carreaux isolés traités chacun comme des petites vignettes abstraites. Ces carreaux de faïence émaillée, décorés librement, dynamisent la sculpture et l’unifient, créant une sorte de parcours labyrinthique. Ils sont une signature secrète en continu. Cette sculpture en ciment, fer et carreaux de faïence de Ferreira da Silva, c’est un peu comme si la pensée de Martha Pan avait été contrariée par l’esprit de Cobra. Le lendemain de notre arrivée, nous avons rendez-vous avec Ferreira da Silva et Carlos Mota, le directeur du Centre culturel, dans un bar popu- laire. Les deux hommes ont l’air de préparer un loto. Da Silva, quatre- vingts ans, est toujours sur la brèche. Je lui montre la photo de Vénus lovée dans les bras du U, il me dit : « c’est ça exactement ». Entre l’artiste et l’hôpital thermal de Caldas da Rainha a été établi un protocole qui, par sa nature, donne à la sculpture de da Silva un côté « work in progress », celui-ci devant créer cha- que année des éléments nouveaux qui viendront parachever l’œuvre. Notre rencontre avec lui est l’occasion de constater le dynamisme de la ville de Caldas ; ses usines de céramique ont mis leur matériel à sa disposi- tion, comme elles l’ont fait avant lui pour les peintres Julio Pomar ou Alice Jorge. Actuellement, da Silva travaille dans les murs de l’usine Molde dont je reparlerai. Les yeux du lapin D’un pays qui porte un soin parti- culier à la production de sa vaisselle, on ne peut s’étonner d’y trouver des restaurants excellents. Nous nous ren- dons donc au restaurant Casal Frade où tout le monde commande du lapin, sauf da Silva. Je lui demande pourquoi, il me répond : « à cause des yeux du lapin » ; puis sur une serviette en papier, il dessine au feutre noir un lapin aux courbes gracieuses et aux yeux de biche. C’est tout simplement un azulejo de papier qu’il m’offre là. Format, motif, tout y est, sauf la couleur. En ce moment précis da Silva est le descendant de ces faïenciers qui, depuis le quinzième siècle ont donné au Portugal son identité céramique. Cela a commencé par l’imitation des « indiennes » (copies céramiques de ces tissus importés des Indes) puis s’est poursuivi par des emprunts aux tradi- tions islamiques, flamandes, italiennes, assimilant aussi bien les « grotesques » que les lois de la perspective ou le jeu avec la géométrisation ou encore l’art du trompe-l’œil. L’extraordinaire souplesse plastique de l’azulejo a permis son emploi dans le domaine de l’architecture en jouant sur l’association de modules (le travail d’Eduardo Nery en est un bel exem- ple) et cette même souplesse a fait que des créateurs aussi divers que Bordallo, Pinheiro, Julio Pomar, Zao Wou-ki,

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« Les murs ont des oreilles », 5O x 12 x 45 cm Bordallo Pinheiro, Musée de la Céramique.

Azulejo du céramiste Herculano Elias. Usine Secla, Caldas, vers 1960

Plaque de rue en faïence émaillée. Caldas da Rainha.

Photos : Quito Silva et Mário Reis.

Caldas da RainhaCarnet de voyage en Lusitanie

Tout a commencé à l’initiative d’Eduardo Constantino qui a répondu à la demande de la ville de Caldas da Rainha désireuse de mettre en place une exposition de céramistes

français. Michel Le Gentil y participe, avec Catherine et Bruce Gould, et Armel Hédé. Un camion est venu spécialement du Portugal enlever les pièces en Bretagne. Récit d’une

échappée en pays céramique.

Eduardo et moi, nous partons accompagnés de l’ami Bertrand

chargé de prendre des photos. Notre première halte a lieu à Mangualde pour visiter la Casa dos Condes da Anadia qui renferme une des plus bel-les collections privées d’azulejos ; mais la porte est close. Nous n’avons pas plus de chance avec la cave de Santar où des azulejos fameux sont norma-lement visibles sur la cour intérieure du bâtiment. Je me dis que les belles choses se méritent et que ces deux « ratages » doivent être pris comme une mise à l’épreuve initiatique. En ville, sur la place centrale, Eduardo nous fait voir une maison délaissée mais somptueusement parée de ces azulejos tant attendus. Il a tenu à faire ce détour pour nous montrer la nécessité d’une politique de sauve-garde patrimoniale concernant ce type d’habitations. Plus tard, il me mon-trera un ouvrage de photos de son ami Quito Silva concernant ces maisons uniques dans leur genre dont certai-nes, depuis la parution du livre, ont déjà été dépouillées de leur décor pour alimenter des collections privées ou pour parer de nouvelles habitations. Si bien que du lustre de ces maisons il ne reste plus trace que dans cet ouvrage épuisé.

Un sentiment d’émerveillement et de tristesse mêlés, voilà ce que nous inspire la vue de ces murs qui ont perdu leur éclat de faïence.

« Une humiliation de la raison »C’est par ces mots qu’Eugenio d’Ors

définit le baroque. Il y a un peu de cette humiliation de la raison dans l’étrange objet que nous apercevons en visitant Caldas à notre arrivée. Il s’agit d’une sculpture haute de plusieurs mètres faite d’éléments différents, piliers, cer-cles, demi-cercles, bassins habillés de carreaux en céramique. L’œuvre est de Ferreira da Silva. Nous revenons la nuit la photographier. Ses différents éléments créent des découpes dans le ciel étoilé. Des jeunes gens sont assis au pied des bassins. Qu’une œuvre plasti-que devienne un lieu de rendez-vous, voilà qui nous renseigne sur le rôle de l’art monumental dans la cité.

La sculptrice et théoricienne Mar-tha Pan a affirmé que son rôle n’est pas de décorer une place mais de créer une place : « L’objet, dit-elle,  crée dans l’espace  un  lieu  vivant,  un  lieu  mou-vant,  un  lieu  de  rencontre.  Rencontre entre la nature et l’objet, entre l’homme et  l’objet,  entre  l’homme  et  l’espace  par l’intermédiaire  de  l’objet ».  L’objet de Da Silva se situe dans cette problé-matique.

Je prends une photo de Vénus qui brille dans le U incliné à six ou sept mètres de haut ; puis d’autres photos de carreaux isolés traités chacun comme des petites vignettes abstraites. Ces carreaux de faïence émaillée, décorés librement, dynamisent la sculpture et l’unifient, créant une sorte de parcours labyrinthique. Ils sont une signature secrète en continu. Cette sculpture en ciment, fer et carreaux de faïence de Ferreira da Silva, c’est un peu comme si la pensée de Martha Pan avait été contrariée par l’esprit de Cobra.

Le lendemain de notre arrivée, nous avons rendez-vous avec Ferreira da Silva et Carlos Mota, le directeur du Centre culturel, dans un bar popu-laire. Les deux hommes ont l’air de préparer un loto. Da Silva, quatre-vingts ans, est toujours sur la brèche. Je lui montre la photo de Vénus lovée

dans les bras du U, il me dit : « c’est ça exactement ».

Entre l’artiste et l’hôpital thermal de Caldas da Rainha a été établi un protocole qui, par sa nature, donne à la sculpture de da Silva un côté « work in progress », celui-ci devant créer cha-que année des éléments nouveaux qui viendront parachever l’œuvre. Notre rencontre avec lui est l’occasion de constater le dynamisme de la ville de Caldas ; ses usines de céramique ont mis leur matériel à sa disposi-tion, comme elles l’ont fait avant lui pour les peintres Julio Pomar ou Alice Jorge. Actuellement, da Silva travaille dans les murs de l’usine Molde dont je reparlerai.

Les yeux du lapinD’un pays qui porte un soin parti-

culier à la production de sa vaisselle, on ne peut s’étonner d’y trouver des restaurants excellents. Nous nous ren-dons donc au restaurant Casal Frade où tout le monde commande du lapin, sauf da Silva. Je lui demande pourquoi, il me répond : « à cause des yeux du lapin » ; puis sur une serviette en papier, il dessine au feutre noir un lapin aux courbes gracieuses et aux yeux de biche. C’est tout simplement un azulejo de papier qu’il m’offre là. Format, motif, tout y est, sauf la couleur.

En ce moment précis da Silva est le descendant de ces faïenciers qui, depuis le quinzième siècle ont donné au Portugal son identité céramique. Cela a commencé par l’imitation des « indiennes » (copies céramiques de ces tissus importés des Indes) puis s’est poursuivi par des emprunts aux tradi-tions islamiques, flamandes, italiennes, assimilant aussi bien les « grotesques » que les lois de la perspective ou le jeu avec la géométrisation ou encore l’art du trompe-l’œil.

L’extraordinaire souplesse plastique de l’azulejo a permis son emploi dans le domaine de l’architecture en jouant sur l’association de modules (le travail d’Eduardo Nery en est un bel exem-ple) et cette même souplesse a fait que des créateurs aussi divers que Bordallo, Pinheiro, Julio Pomar, Zao Wou-ki,

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Vieira da Silva, Hundertwasser, et tant d’autres s’y sont essayé. Cet art de l’azulejo est la signature d’un génie typiquement portugais, créateur de rythmes (les fameuses créations de diagonales en relief du xviiie siècle au moment de la « Grande Production ») et de décors aux répertoires multiples. En ce sens l’azulejo est un marqueur iconographique.

Dans cette serviette en papier pliée en quatre que m’offre da Silva tien-nent cinq siècles de création ; j’accepte avec plaisir cet azulejo virtuel.

Molde, made in PortugalLa ville de Caldas da Rainha est une

vraie ruche céramique composée d’une école céramique, le Cencal, d’une belle salle d’exposition au Centro cultu-ral e de congressos (CCC), de deux musées : le musée national de la Céra-mique et le musée de la fabrique Bordallo Pinheiro, ainsi qu’un tissu d’usines qui va de la petite entreprise à la grosse unité.

C’est à Molde que nous nous som-mes rendus. Son directeur, M. Beato Caetano nous fait les honneurs de la visite. L’usine compte 140 employés. Le travail qui se fait ici n’a rien à envier à celui qui se fait chez nous. Quatre-vingt-quinze pour cent de sa production est destiné à l’exportation (Etats-Unis, France, Angleterre, Pays scandinaves, Canada, Australie). Je reconnais sur des étagères des bols vus en supermarchés en Bretagne. Mainte-nant, je sais d’où ils viennent. Compé-titif sur le plan de la quantité, Molde l’est aussi sur celui de la qualité.

Depuis sa récompense du Natio-nal Industry Design en 1992, l’usine a remporté d’autres prix comme la Council Excellence Medal ou la Dis-tinction by Employment Office en 2005. C’est dans cette logique de la performance qu’elle met son espace de création à la disposition d’un céramiste comme da Silva ou permet au plasti-cien Eduardo Nery d’y faire une inter-vention avec les modules de Molde. Cette œuvre d’Eduardo Nery (Azulejo XXI) qui s’inscrit dans le courant de l’Op’Art donne à l’art de l’azulejo son brevet de modernité si besoin était.

Dans les jardins du muséeLe soir, même lieu, Caldas, autre

décor. Nous dînons dans les jardins du musée. Musique de troubadours exécutée par l’érudit Quito et son groupe Jogralesca. Difficile de passer inaperçus avec nos sacs à dos parmi ce public en habit, surtout lorsqu’on arri-ve en retard. La directrice du musée, Mme Matilde Tomaz do Couto et l’ad-jointe à la culture de la ville de Caldas, Maria da Conceição, nous accueillent. Le repas a lieu pour fêter les vingt-cinq ans du musée. Nous sommes invités à venir le lendemain photographier les pièces aussi librement que nous le souhaitons.

C’est donc tout naturellement que le jour suivant, nous revenons au musée de la céramique qui se trouve dans un parc situé en plein centre ville. Ce parc, très grand, abrite court de tennis, plan d’eau, (où étaient jadis organisées des régates), roseraie, pal-meraie, massifs de fleurs en abondan-

Musée de la céramique et jardin.Plaque de rue de Caldas. Azulejos en relief, entrée du parc Dona Leonor, Hôpital thermal.

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ce. On ne serait pas étonné d’y croiser des femmes avec des robes à cerceau ou des messieurs en canotier.

Quant au musée, le tournis nous prend à la vue des pièces qui s’y

trouvent. Il y a là une partie de la collection composée d’environ 19 000 faïences dont 15 000 azulejos. Cela va des azulejos hispano-mauresques du sei-zième siècle à des composi-tions polychromes produites à Lisbonne en passant par des azulejos hollandais du dix-hui-tième siècle en bleu et blanc

(huit panneaux de quatre fois quatorze azulejos) représentant des

bergers, des jeux d’enfants, des pay-sages, véritable bande dessinée avant la lettre.

Nous photographions pendant une bonne heure. À l’extérieur du musée et faisant toujours partie de la collec-tion, nous attendent des chérubins accompagnés d’azulejos avec des poè-mes d’Edmond Rostand, et puis cette vasque sublime de Bordallo Pinheiro qui annonce l’Art Nouveau. Bordallo Pinheiro justement dont nous visi-terons la fabrique le jour suivant car aujourd’hui elle fait l’objet d’une visite par le ministre de la Culture.

L’Eden perverti de Bordallo PinheiroC’est la responsable technique de

la fabrique, Elsa Rebelo, qui nous accueille. Ici sont reproduits les modè-les que Bordallo Pinheiro créa à la fin du xixe siècle. Le musée consacré à son œuvre jouxte la fabrique.

Devant ces pièces de l’Ecole néo-Palissy, on reste subjugué par le tour de force technique de cet artiste et par son extraordinaire vision poétique : crabe géant d’un mètre de diamètre, guêpe géante juchée sur une borne habillée de carreaux céramiques, tellement surpre-nante qu’on la dirait tout droit sortie d’une BD de Druilhet. L’élaboration d’une pareille sculpture est si complexe que même encore aujourd’hui, malgré

les progrès techniques, l’usine n’arrive plus à la reproduire.

Grands plats grouillant de serpents, insectes, lézards, mouches, taons, lar-ves, grenouilles au fond de vasques, flottant le ventre à l’air, chats apeu-rés, hérons, renards, etc. chaque sujet est traité avec un souci particulier de la mise en scène. Bordallo Pinheiro, magicien et poète, traite faune et flore selon une loi de la jungle dont lui seul est le maître. Il est particulièrement touchant et instructif de consulter ses croquis dans des présentoirs vitrés et de voir ensuite les pièces « réalisées en vrai », de passer du dessin à la céra-mique. Je pense au plaisir de Philippe Ménard faisant cette visite avec nous.

Bordallo Pinheiro est relativement méconnu en France et à tort. De son temps, il eut comme collection-neur, entre autre, l’acteur Coquelin et comme admirateur le graveur et aquafortiste Félix Braquemond, celui-là même qui découvrit les talents de céramiste de Gauguin. Gauguin qui aurait été conquis par le monde de Bordallo Pinheiro. Ne parlait-il pas de « figures animales d’une rigidité sta-tuaire » ?

La vision de Bordallo Pinheiro est celle d’un Eden perverti car l’homme y est singulièrement absent ou traité sur le mode de la caricature ; ou alors il renverrait à une Arche de Noë mais sans Noë.

En quittant Elsa, cousine d’Eduardo, et en la remerciant de la visite, je me dis qu’il serait dommage que le monde mystérieux de ce génie visionnaire ne soit pas montré au-delà des frontières et je connais des scénographes qui s’en donneraient à cœur joie à mettre en scène une féerie où se mêlent la cruauté, la beauté, la tendresse et le mystère du monde.

Le CCCDès le lendemain de notre arrivée à

Caldas, nous nous sommes rendus au CCC où se tient notre exposition.

Avant de mettre une dernière touche à mon installation, nous réorganisons un peu l’espace où sont présentées les pièces de Catherine et Bruce Gould et celles d’Armel Hédé. L’idée rete-nue pour présenter les pièces est celle du face-à-face. Elle est bonne mais pour que la bataille rangée ait lieu nous décidons simplement d’aligner les pots des Gould sur une même ligne. Ainsi disposés, la cohérence de leur travail plastique est plus sensible ; cela permet de souligner la diversité de leurs pièces qui, bien que semblables, apparaissent toutes uniques. Face à elles, celles d’Armel ont été organisées par ensembles chromatiques (céladon, rouge de cuivre, porcelaines enfumées) où les pièces ne se neutralisent pas, où chacune devient mystérieuse. Ainsi le classicisme somptueux de l’un répond au minimalisme et au souci graphique de l’autre, dans un ensemble bien rythmé.

Le soir du vernissage, je décide de dédier l’exposition à Yoland Cazenove et je m’aperçois que notre bon Yoland est connu ici du public des jeunes potiers qui exposent sur le parvis du centre ainsi que des responsables culturels. Le maire se dit satisfait de l’événement et l’adjointe à la Culture, Maria da Conceição affirme la déter-mination de la ville a renforcer son image céramique.

Les Vivants et les MortsDepuis trois jours que nous sillon-

nons Caldas en tous sens, nous avons besoin de marquer une pause. L’ami d’Eduardo, Luis Gomes, nous a invi-tés, ce dimanche, au restaurant. Accueil parfait du chef dans cet établissement où on ne compte pas moins de vingt entrées accompagnées des somptueux vins portugais que sont les Alentejo, Dão et Douro.

Hier, nous avons visité les locaux de l’entreprise de Luis situés à la périphé-rie de Caldas. Sitôt entrés dans son bureau, nous découvrons trois grands

Centre de la Culture et des Congrès (CCC), architecte Ilidio Pelicano.Vernissage au CCC de l’exposition Expressions de la céramique contemporaine française.Plat avec applications en relief, R. Bordallo Pinheiro, 1905,  musée de la céramique.

Azulejo du céramiste Herculano Elias

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panneaux de céramique émaillée réa-lisés au moyen de la reproduction numérique. Ainsi, vis-à-vis d’une vue de New York de 2 par 3 mètres dont les gratte-ciel se reflètent dans l’Hud-son se trouve une pin-up géante à l’allure pimpante et au regard mutin. Le troisième panneau consiste en la reproduction d’azulejos anciens. Nous comparons l’un d’eux à son original et n’y voyons pas de différence.

Puis le maître des lieux nous fait entrer dans son atelier. Extrême pro-preté, outils entretenus avec un soin particulier, pénombre, ambiance digne d’une salle de dissection dans un film de série B américaine. Sur un meuble en métal sont alignés des médaillons ovales ornés de portraits de morts ; ils orneront les tombes comme il est de coutume dans le Sud. On ne tire pas le portrait des morts ; aussi ceux-ci appa-raissent-ils avec l’image qu’ils avaient dans leur jeunesse. Ils sont donc comme décalés, par rapport à leur mort, pas en accord elle, comme s’ils avaient pris trop d’avance sur l’événement qui les frappe, et qu’ils l’avaient distancé. Mais c’est le souhait des vivants de vouloir redonner au grand-père cette allure sportive qu’il avait quand il était jeune, sa chevelure, sa force…

Je m’étonne que l’art funéraire n’in-téresse pas plus les créateurs contem-porains. À ce propos, je me souviens que Yoland a au moins décoré deux tombes, celle de Gabrielle, sa femme, et celle de ses beaux-parents. Cela fait qu’à côté d’Orléans il y a deux Cazenove en exposition libre et per-manente. Je pense aussi au report photographique effectué par Luis sur céramique et me souviens qu’Alain Girel exploita jadis ce procédé qui lui permit de créer cette œuvre baroque injustement méconnue mais peut-être était-il trop en avance sur son temps.

La visite terminée, nous quittons la chambre froide, repassons sous les yeux de la pin-up et sortons cueillir des oranges dans son jardin, au soleil.

Le professionnalisme et la gentillesse de Luis, sa simplicité aussi, tout cela fait partie du monde des vivants

La Jeune GardeLe soir nous avons rendez-vous avec

le jeune céramiste Mário Reis, à la décontraction de surfeur, à São Mar-tinho do Porto, petite station balnéaire où Mário expose avec ses amis Heitor Figueiredo, Eduardo Constantino et l’Espagnol Xohan Viqueira dans une galerie de construction moderne en front de mer. Un ascenseur permet de passer de la basse à la haute ville. La galerie est donc traversée par une navette permanente.

Il est dix heures du soir, un groupe d’amateurs s’arrête au niveau de la salle d’exposition. On y trouve les pièces de Mário. Son œuvre, d’un très grand souci visuel, est animée d’indices signalétiques très simples (ronds, rec-tangles, triangles) et colorés. Pour ces sortes de tableaux de bord, il n’existe pas de mode d’emploi. La clé en est la poésie. Si on la possède, ils deviennent lisibles comme des tableaux en trois dimensions. On pressent que Mário ira loin car il possède, outre le métier, une originalité et un souci du collectif au service de la céramique… Mário Reis pense en terme de groupe avant tout.

Le lendemain, veille de notre départ, notre visite est pour le Cencal. Si Cal-das da Rainha est une ruche céramique, le Cencal est la ruche dans la ruche. À cette école céramique sont formés de nombreux jeunes. Tout ici permet de fonctionner dans les mêmes conditions qu’au Cnifop en France. Le directeur, M. José Luis de Almeida Silva nous fait la visite des lieux ; nous parlons de Deblander ; il me montre la place qu’occupe La  Revue  de  la  Céramique dans la bibliothèque de l’école, entre une revue américaine et une revue anglaise. Ici au Cencal, nous sommes en pays de connaissance et nous conti-nuons la visite avec Sr Velhinho et da Silva. J’admire une belle sculpture en

Vue nocturne de l’œuvre évolutive de Ferreira da Silva pour l’hôpital thermal de Caldas.

Jardin et bâtiment de l’école CENCAL. Sculpture en cours d’achèvement de Xohan Viqueira.

Pasqualina Borges, potière capdeverdienne, et son assitante modelant une jarre pendant la fête de la céramique.grès chamotté de Xohan Viqueira sur

le parvis du CCC.Nous repartons, les affaires un peu

en désordre dans les sacs. Pendant les dix-huit heures du retour s’ébauche-ront les premiers souvenirs de ce voya-ge céramique et les premiers regrets : celui de n’avoir eu le temps de ren-contrer la plasticienne Virginia Frois qui présentait son exposition Guarda acqua, également celui d’avoir vu trop rapidement les potières capverdiennes venues faire un workshop pour la fête de la céramique, où l’aisance de Pasqualina Borges (77 ans) à mode-ler ces grandes jarres était étonnante. Dix-huit heures aussi pour formuler mentalement les remerciements qui vont de soi ainsi ceux que l’on doit aux amis qui vous ont hébergés avec gentillesse. n

Michel Le Gentil

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Petite ville de 25 000 habitants située à 80 km au nord de Lisbon-

ne, Caldas da Rainha a été fondée en 1484 par la reine Leonor de Lancastre, séduite par la qualité de ses eaux. Dès lors, le destin de la ville est scellé : Caldas da Rainha (les eaux chaudes de la reine) devient une station ther-male bien fréquentée. La population s’installe et avec elle, son lot de potiers qui trouvent dans la région les argiles rouges adéquates et le bois des pinèdes pour les cuissons.

La passion des découvertes qui caractérise les Portugais ne concerne pas seulement leurs célèbres naviga-teurs. Dans tous les domaines, dont celui des arts, ils se grisent d’un ailleurs qui pourrait leur apporter des expériences nouvelles, multipliant les emprunts culturels à l’Inde, la Chine ou l’Amérique latine mais aussi à l’Antiquité grecque et romaine. Un mélange détonnant, flamboyant, riche en couleurs et pourtant authentique-ment portugais !

Caldas da Rainha est à elle seule un condensé de cet esprit des décou-vertes grâce à ses artistes du xixe siè-cle, Gomes Mafra et surtout Bordallo Pinheiro, considéré comme le Palissy portugais, dont les pièces parcourent le monde, apportant une renommée internationale à la petite cité. « La céramique de Caldas da Rainha est un chant tiré d’un de ces grands poèmes

Caldas da Rainha, une destinée céramique

Centre historique de Caldas. Façades recouvertes d’azulejos.Photos : Quito Silva et Mário Reis (en bas).

Copie récente d’un azulejo de Rafael Bordallo Pinheiro, Caldas.

qui contiennent en eux-mêmes toute la vie d’un peuple, comme Les Lusiades ou  La  Divine  Comédie. »  (Ramalho Ortigão, 1891)

Est-ce à cause de leur esprit d’ouver-ture que les Portugais, un siècle plus tard, accepteront, de servir de labo-ratoire à la mondialisation ? Toujours est-il que la région abandonne ses méthodes traditionnelles pour se tour-ner vers des commandes destinées uni-quement à l’export. C’est le temps de l’euphorie : on construit à tour de bras pour loger les ouvriers de l’industrie. Dans les années 1990, on compte 120 usines dans la région, sans compter les petits ateliers de production. Entre Alcobaça, la ville voisine et Caldas da Rainha, 6 000 personnes travaillent dans l’industrie céramique,.

Et puis vient le temps de la désil-lusion. Le capitalisme ne rêve d’un ailleurs que pour mieux en exploi-ter les richesses, sans rien laisser en

échange ! Les commandes partent vers des pays comme la Chine, le Vietnam, la Pologne ou la Turquie, obligeant les usines portugaises à fermer, et tant pis pour la qualité et le savoir-faire sécu-laire de la région !

Caldas da Rainha ne baisse pas les bras pour autant. Elle se souvient des vieilles recettes du xixe siècle, l’esprit d’ouverture et la collaboration avec les artistes, seuls capables de donner une âme à une production qui a oublié ses racines. Les pouvoirs publics se mobilisent – enfin diront certains ! Les projets fusent autour de l’usine de Bordallo Pinheiro et du musée de la céramique. La mairie crée une anima-tion sur plusieurs mois avec marché de potiers, conférences et débats. Son adjointe à la culture Maria da Concei-ção charge Eduardo Constantino d’or-ganiser une exposition autour de la céramique française contemporaine.

N.C.

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Rafael Bordallo Pinheiro est né à Lisbonne en 1846. Son talent de

caricaturiste, souvent acerbe et caus-tique, lui apporte une célébrité inter-nationale, notamment par ses publica-tions dans l’Illustrated London News.

C’est à l’âge de 37 ans que Bordallo Pinheiro installe sa première usine de faïences à Caldas da Rainha, à l’appel de son frère Feliciano. Riche en argiles rouge et blanche, la ville possède un savoir faire déjà ancien qui remonte sans doute au moyen âge, mais c’est en 1820 que commence le véritable essor de l’industrie cérami-que avec l’installation de l’atelier de Dona Maria dos Cacos, qui produit une céramique populaire et utilitaire aux émaux vert de cuivre ou brun de manganèse. La céramique purement décorative apparaît plus tard, dans les années 1850, avec la reprise de l’ate-lier par Manuel Cipriano Gomes, dit Mafra, parce qu’originaire de la ville du même nom.

Dans cette seconde moitié du xixe siècle l’Europe se passionne pour Bernard Palissy (1510-1590) dont le style connaît un renouveau en France grâce au céramiste Jean-Charles Avis-seau. En 1853, Mafra, séduit par des pièces rapportées par un ami collec-tionneur, se lance dans ce style et sera récompensé aux expositions interna-tionales de Vienne, Philadelphie, Paris et Rio de Janeiro.

C’est donc sur un terrain propice et dans une période d’effervescen-ce culturelle que Bordallo Pinheiro apporte son talent d’artiste à une production de grande qualité techni-que. La jeune usine connaît très vite le succès et, en 1889, elle reçoit une médaille d’or à l’Exposition universelle de Paris tandis que Bordallo Pinheiro est fait chevalier de la Légion d’hon-neur par le président Sadi Carnot. En 1904, ce sont les États-Unis qui l’ho-norent par une nouvelle médaille d’or à l’Exposition universelle de St Louis.

Acquises par les rois et les grands d’Europe et du nouveau monde, les œuvres de Bordallo Pinheiro donnent à Caldas da Rainha la renommée internationale qui va assurer la pros-périté de la cité pour le siècle à venir, même si, en mauvais gestionnaires, les frères Bordallo n’échappent pas aux problèmes de trésorerie !

Bordallo s’engage dans le courant néo-Palissy qu’il mâtine d’une exubé-rance toute manuéline dans des pièces représentant des animaux ou des fruits. Son talent de caricaturiste lui inspirera aussi des séries de personnages issus du folklore ou de la politique, encore très reproduits de nos jours.

Mais c’est sans doute dans le domai-ne de l’azulejo que Bordallo Pinheiro donne toute la mesure de son sens de l’innovation. Qu’ils soient en relief ou peints, répétitifs ou figuratifs, les azulejos de Bordallo Pinheiro que l’on peut encore admirer sur de nombreux murs et façades de maisons bourgeoi-ses de l’époque, surprennent par leur qualité et leur originalité. Influencé par l’Art Nouveau qui séduit le Portu-gal dans tous les domaines, il pousse la technique du relief aux limites de la sculpture, avec des motifs d’inspira-tion naturaliste.

Lorsqu’il meurt en 1905, toujours en grande difficulté financière, le patrimoine reste entre les mains de la famille qui crée une nouvelle usine en 1908. On peut encore visiter l’un de ses anciens pavillons, transformé en musée et qui dispose d’une fantastique collection de pièces et de moules de l’époque de Bordallo.

Juste après la crise financière de 2008, l’usine a failli fermer, le marché de l’export s’étant brusquement arrêté. La faïencerie, qui a employé jusqu’à 500 personnes, fonctionne au ralenti avec 170 collaborateurs. La mairie a racheté une partie des locaux pour y installer, à terme, des ateliers d’artistes. Une nouvelle direction semble vouloir

Rafael Bordallo Pinheiro: l’âge d’or de Caldas da Rainha

Copie d’un modèle de 1900 de R. Bordallo Pinheiro.Guêpe géante, R. Bordallo Pinheiro, vers 1889.Panneau de jardin, R. Bordallo Pinheiro.

recentrer la production sur l’héritage de Bordallo Pinheiro et sur un travail de qualité, parfois perdu de vue lors-que la mondialisation des dernières années apportait commandes et argent facile. N.C.

Bibliographie : Bordallo Pinheiro, J. Caleia Rodrigues et J. Sampaio. Cerâmica portuguesa. 1931, Empreza do Diaro de Noticias. Rafael Bordallo Pinheiro, José-Augusto França, Livraria Bertrand.

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Né à Porto en 1928, Ferreira da Silva est l’un des artistes emblé-

matiques de Caldas da Rainha. Initié dès l’adolescence aux techniques de la céramique, il apprend aussi la sculp-ture et la gravure, participant à de nombreux salons en Europe, après sa rencontre avec le peintre Julio Pomar dans les années 1950.

En 1954 il intègre l’usine de céra-mique Secla, fleuron et mastodonte de l’industrie de Caldas da Rainha, qui a rendu l’âme en 2008. C’est au contact de l’artiste hongroise Hansi Staël, en charge de la direction artis-tique, que la carrière de Ferreira da Silva va prendre son essor. L’usine autorise dans ses murs l’installa-tion d’un atelier de création bien-tôt dénommé « curral » ou étable ! Trois techniciens sont à sa disposi-tion, Henrique Galo pour la prépa-ration des terres, Alberto Reis pour le modelage et le tourneur virtuose Guilherme Barroso, qui 20 ans plus tard, deviendra le maître d’apprentis-sage d’Eduardo Constantino.

À la création de pièces uniques s’ajoute, au début des années 1960, un travail dédié à l’azulejo, matériau traditionnel de l’architecture portu-gaise que Da Silva veut faire évoluer. En 1962 il participe à l’exposition de la ligue des architectes de New York sur le thème de la céramique murale tridimensionnelle.

Son caractère entier et indomptable se sent pourtant un peu à l’étroit dans les murs du Curral et Ferreira da Silva quitte momentanément l’usine pour un petit atelier local où il se perfec-tionne dans les engobes et les cuis-sons au bois avec le céramiste Afonso Angelico.

En 1967, il obtient une bourse d’études de la fondation Gulbenkian qui lui permet d’aller à Paris à l’école des Métiers d’Art de la rue Thorigny où il étudie les techniques du vitrail et de la tapisserie. Il fait l’expérience de Mai-1968 dans la capitale fran-çaise et y rencontre d’autres artistes qui auraient pu le propulser vers une carrière internationale, mais le mal du pays le fait bientôt réintégrer une nou-velle fois l’abri sécurisant du Curral.

Sa rencontre avec l’artiste Santiago Areal, pour lequel il a une immense estime, l’encourage à aborder les gran-des dimensions et à allier à la céra-mique d’autres matériaux comme le verre, le métal et le bois. Ferreira da Silva veut que ses œuvres défient le futur : « l’homme  est  un  être  cosmique et un passager du temps ». Puisant sou-vent son inspiration dans la mytho-logie, son œuvre a une forte charge symbolique. « Tout mon travail a pour point  de  départ  un  concept  philosophi-que  avec  deux  valeurs  essentielles :  la beauté et la force. »

Ferreira da Silva : il veut peindre la lumière

Aujourd’hui, Ferreira da Silva par-tage son temps entre son village de Gaeiras, adossé aux collines viticoles de Caldas da Rainha et un nouvel atelier à l’usine Molde qui, prenant le relais de Secla, a mis ses installations à la disposition de l’artiste depuis une dizaine d’années. Alors que la crise l’a obligé à licencier plus de la moitié de son personnel, le directeur Beato Caetano essaie de survivre en se recen-trant sur une production de qualité, en collaboration avec des artistes de renom comme Ferreira da Silva ou Eduardo Nery.

La réputation de Caldas da Rainha en temps que centre céramique s’est faite autour d’un immense artiste, Bordallo Pinheiro. La crise amène les industriels les plus innovants à revenir aux sources de cette prospérité, la valeur humaine et l’échange perma-nent avec les artistes. N.C.

Ferreira da Silva, Eduardo Constantino et Michel Le Gentil assis devant la grande fresque de céramique et verre à l’intérieur du CCC.Détail et vue d'ensemble du panneau de da Silva, céramique et verre, dans le hall de l’immeuble administratif de la région Ouest.Page de gauche : Dans l’usine Molde, Le Gentil et da Silva.Cohabition de pièces d’artiste et industrielles.

Bibliographie : Numéro spécial de la Gazeta das Caldas du 28-12-2001, Natacha Narcisso.

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La famille potière des Reis :Le grand-père João Reis, 1977. L’oncle João au CENCAL avec Eduardo Constantino, 1987. L’oncle Armindo au tour, 2003 (photo : Valter Vinagre) et sa production (photo : Nuno Calvet, extraite du livre Tesouros do Artesanato Portugues de Teresa Perdigão).

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Céramique traditionnelle début XXe, vert de Caldas.

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Dans la famille Reis, demandez l’arrière- arrière-grand-père João,

premier potier de la dynastie, contem-porain de Bordallo Pinheiro et l’ar-rière-grand-père Jesuino, qui lui a suc-cédé dans le petit atelier de la rua dos Oleiros (rue des Potiers). Demandez aussi le grand-père João, les oncles Armindo et João, et enfin le neveu Mario, dernier héritier d’un savoir-faire séculaire.

Les Reis ont toujours produit une céramique traditionnelle utilitaire faite de pichets, plats, jarres, ustensiles de cuisson et vaisselle. Ils allaient eux-mêmes extraire leur terre dans les car-rières de la région, un travail pénible et harassant suivi de longues journées de tournage et de cuisson au feu de bois.

Comme partout ailleurs, les potiers de Caldas ont subi de plein fouet la concurrence de l’aluminium et du plastique et peu à peu, les ateliers ont disparu au point que la rue des potiers a été rebaptisée ! L’atelier des Reis a survécu jusqu’en 1985, grâce à l’obs-tination du grand-père et de son fils João et à leur passion peu commune pour leur métier.

À la mort de son père, João devient formateur au centre d’apprentissage du CENCAL, où le rejoint bientôt son frère Armindo. João y voit l’opportu-nité de sortir du carcan familial pour donner libre cours à une production plus personnelle, premier accroc dans la transmission quasi génétiquement programmée de la dynastie. Quelques années après sa mort, c’est son neveu Mário qui reprend le flambeau et se lance dans une production en rupture totale avec la tradition familiale.

Né en 1971, Mário a hérité des siens l’enthousiasme et la passion mais aussi un sens inné de la terre avec laquelle, enfant, il a pu jouer sans se projeter dans le métier. Peut-être parce rien ne lui a été imposé, il s’est affranchi de l’héritage familial et a choisi, à 27 ans, de faire de son parcours céramique un accomplissement personnel.

Mário rend souvent visite à son oncle Armindo qui, à 83 ans, travaille encore un peu dans son atelier, le dernier atelier traditionnel de Caldas da Rainha. Il regrette que ce tourneur hors pair soit aujourd’hui oublié de tous, peut-être parce que le regard des hommes n’aime pas se poser sur les espèces en voie de disparition ! Il lui rend hommage à sa façon, en inté-grant, dans ses sculptures et panneaux de grès, des éléments réalisés au tour dans la pure tradition familiale.

Et puis, Mário s’est retrouvé une autre famille, celle des céramistes d’aujourd’hui qui se sont regroupés dans un collectif mis en place par un Français installé dans la région depuis quelques années, Jean Dominique Fer-rari. Avec quelques autres, ils se battent

Mário Reis, héritier d’une famille potière

pour que leur art ne soit pas considéré comme une activité marginale, les pouvoirs publics étant souvent plus préoccupés par le sort des grandes usines pourvoyeuses d’emploi que par l’avenir de quelques ateliers d’artistes. Mário donne beaucoup de son temps au Collectif 3 Cês, organisant expo-sitions, marchés de potiers, échanges culturels, avec peu de moyens mais beaucoup d’ambition ! Peu à peu, le collectif devient un interlocuteur cré-dible dans la région.

Mário rêve d’expériences nouvelles, qu’elles soient techniques ou artisti-ques, et vit avec bonheur sa sélection à Céramique 14 où, avec Sofia Beça et Heitor Figueiredo, il a été l’invité d’honneur d’une édition consacrée cette année au Portugal. La céramique de Caldas da Rainha a toujours eu un grand succès à Paris et s’est renouvelée dans la confrontation avec d’autres céramistes européens. Qu’il en soit de même pour le dernier des Reis ! N.C.

Le neveu Mário Reis, au salon Céramique 14 à Paris, 2009. Photo: GFGirard.Œuvres de Mário Reis, 2009.

Toutes les photos : Bertrand Le Rouzo, sauf mentions contraires.