Cer Veau Et Psycho

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Lillusion est omniprésente. Dans l’art bien sûr. Laperspective d’abord qui nous permet de voir desvolumes sur une toile plane ; le trompe-l’oeil quinous fait croire à la présence d’une coupole alorsque le plafond de l’église est plat ; les assemblages defruits, légumes ou autres aliments du peintre milanais duXVIe siècle, Guiseppe Arcimboldo, qui deviennent des portraits.Et la musique n’est pas en reste. Jean-Sébastien Bach (1685-1750), notamment, se joue des notes, les entrecroisant de sorteque, parfois, on croit entendre deux instruments, alors qu’il n’yen a qu’un. Le théâtre est illusion, le roman et le cinéma sontillusions. L’art est illusion.

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  • LESSENTIELLESSENTIELNOVEMBRE 2012 - JANVIER 2013

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    La vision Une perception ambigu Les couleurs interdites Les illusions 3D

    Les autres sens Tromper lodorat Comprendre sans entendre Se voir de lextrieur

    Cerveau sous infl uence Les hallucinations La neuromagie Les membres fantmes

    Les Les illillusionsusionsPourquoi le cerveau

    se trompe

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  • Lillusion est omniprsente. Dans lart bien sr. Laperspective dabord qui nous permet de voir desvolumes sur une toile plane ; le trompe-lil quinous fait croire la prsence dune coupole alorsque le plafond de lglise est plat ; les assemblages de

    fruits, lgumes ou autres aliments du peintre milanais duXVIe sicle, Guiseppe Arcimboldo, qui deviennent des portraits.Et la musique nest pas en reste. Jean-Sbastien Bach (1685-1750), notamment, se joue des notes, les entrecroisant de sorteque, parfois, on croit entendre deux instruments, alors quil nyen a quun. Le thtre est illusion, le roman et le cinma sontillusions. Lart est illusion.

    Tous les sens sont les jouets des illusions. La vision esttrompe par des segments qui paraissent de taille ingale, alorsquils sont de mme longueur, mais leurs extrmits diffren-tes. Le toucher donne lieu au mme type derreur de percep-tion. On sent une odeur qui nexiste pas ou lon trouve quunerose dgage une odeur pestilentielle. Le magicien dtourne lat-tention et fait croire la prsence dun objet absent (ou inver-sement !). Le temps stire ou file, selon que lon est dhumeurmorose ou joyeuse.

    Tout serait-il illusion ? Non, au moins tes-vous sr de tenirce magazine dans vos mains, ou de lire cette page sur votreordinateur ou votre tablette. Mais au-del, les illusions sontmultiples, ce qui en fait un outil prcieux pour les neuroscien-tifiques qui, en analysant comment le cerveau se fait piger,mettent nu les mcanismes sous-jacents de la perception sen-sorielle. En neurosciences, ltude des consquences dunelsion crbrale permet de mieux comprendre le rle normalde laire endommage. Les illusions ne sont pas des patholo-gies, mais des anomalies perceptives, que les neuroscientifiquesutilisent de la mme faon. Nous aimons tre tromps par lepeintre, le musicien ou le magicien. Et, pour notre plaisir, lecerveau est un matre incontestable de lart de lillusion.

    LEssentiel n 12 novembre 2012 - janvier 2013 1

    Directrice de la rdaction : Franoise Ptry

    LEssentiel Cerveau & PsychoRdactrice en chef : Franoise PtryRdactrice : Bndicte Salthun-LassalleCerveau & PsychoRdacteur : Sbastien Bohler

    Pour la ScienceRdacteur en chef : Maurice Mashaal Rdacteurs : Franois Savatier, Marie-Neige Cordonnier, Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly

    Dossiers Pour la ScienceRdacteur en chef adjoint : Loc Mangin

    Directrice artistique : Cline LapertSecrtariat de rdaction/Maquette :Annie Tacquenet, Sylvie Sobelman, Pauline Bilbault, Raphal Queruel, Ingrid Leroy

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    ditorialFranoise PTRY

    Lart de lillusion La vie a besoin dillusions,

    cest--dire de non-vrits tenues pour des vrits. Friedrich Nietzsche (1844-1900), Le livre du philosophe

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    2 Les illusions Cerveau & Psycho

    Les illusions visuelles La perception visuelle du monde dpend de la faon dont le cerveau interprte chaque scne. Les scientifi ques utilisent les illusions pour comprendre son fonctionnement.

    Les illusions des autres sens Lodorat, le toucher, laudition et le sens du mouvement peuvent aussi tre tromps. Les illusions provoquent des effets impressionnants, sans que lon en ait toujours conscience.

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    Des illusions dans tous les sens 4Prface

    Pascal Mamassian et Franois Le Corre

    Les illusions visuelles

    Les illusions visuelles et le cerveau 8Les erreurs que fait parfois le systme visuel donnent des indices sur le fonctionnement du cerveau. Susana Martinez-Conde et Stephen Macknik

    Les ambigutsde la perception visuelle 14Le cerveau interprte le monde environnant malgrles ambiguts auxquelles fait face le systme visuel. Pascal Mamassian

    Les trompe-lilen trois dimensions 20Plusieurs uvres dart renferment des illusionsqui renforcent limpression de relief. Stephen Macknik et Susana Martinez-Conde

    La perceptiondes couleurs interdites 22Certaines expriences permettent de percevoir du vert rougetre et du bleu jauntre, des couleurs interdites. Vincent Billock et Brian Tsou

    Illusions croquer 28Lassociation de fruits ou de lgumes fait apparatre des objets, personnages ou animaux. Susana Martinez-Conde et Stephen Macknik

    Les illusions des autres sens

    Les illusions olfactives existent-elles ? 34Il est diffi cile de dfi nir les illusions olfactives et de comprendre comment le cerveau cre la reprsentation dune odeur. Gilles Sicard

    Des illusions au bout des doigts 40Le sens du toucher se laisse parfois tromper au mme titreque la vision. Ces perceptions ont des points communs. douard Gentaz

    Des illusions sonorespour tudier laudition 48Certaines suites de Bach comportent plusieurs mlodies joues par un seul instrument ; ce sont des illusions. Daniel Pressnitzer

    Les illusions de langage 55Quand on entend des sons, mme incomprhensibles,le cerveau en extrait un discours qui a un sens. Claire Delle Luche

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    n 12 - Trimestrielnovembre 2012 - janvier 2013

    Les illusionsPourquoi le cerveau se trompe

    Les illusions insolites Le temps qui acclre, les associations de couleurs et de lettres, les rves ou les hallucinations sont-ils des illusions ?Les scientifi ques tudient tout ce qui peut nous leurrer.

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    Le sens dtre soi 58Le sens vestibulaire permet de percevoir les mouvements du corps dans lenvironnement. Mais il peut tre tromp... Isabelle Viaud-Delmon

    Les illusions insolites

    Perception du temps sous infl uence 64Les souvenirs, les motions et la culture modifi ent la faon dont on peroit le monde... y compris le temps. Sylvie Droit-Volet

    Comment la magietrompe le cerveau 70Les magiciens exploitent toutes les failles des mcanismes crbraux de la perception et de lattention. Stephen Macknik, Susana Martinez-Conde

    et Sandra Blakeslee

    Les hallucinationssont-elles des illusions ? 76Les hallucinations se distinguent des illusions, notamment parce que les premires ne reposent sur aucune perception. Alexandre Lehmann et Juan C. Gonzlez

    Les membres fantmes 82Les personnes amputes dune main, mais qui la ressentent encore, prsentent des rorganisations corticales. Christian Xerri

    Les synesthsies : chacun ses illusions 88Les associations des synesthtes par exemple une couleur une lettre seraient des vestiges de limaginaire enfantin. Jean-Michel Hup

    Art et neurosciences

    La mort se cache dans les dtails 94Les Ambassadeurs (1533) de Hans Holbein le Jeune analys par un neurobiologiste. Franois Sellal

    Test

    Voyez-vous global ou local ? 96Un test simplifi qui vous permettra de dterminersi vous voyez une image de faon globale ou dtaille.

    En couverture : Bhaskar Dutta / Getty Images

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    Ce numro comporte un encart dabonnement Cerveau & Psycho broch en p. 32 de la totalit du tirage et une offre dabonnement en p. 21.

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  • 4 Les illusions Cerveau & Psycho

    Ce qui est essentiel la perception sensoriellenest pas ce qui spare les sens les uns des autres,mais ce qui les unit entre eux, chacune de nosexpriences internes (mme non sensorielles)et notre environnement.

    Erich von Hornbostel,The Unity of the Senses, 1927

    Notre connaissance du mondeest faonne par nos sens, quinous renseignent sur notreenvironnement, mais aussisur nous-mmes. Mais nos

    sens peuvent tre tromps. Illusions visuelles les plus nombreuses , et un segment dedroite vertical nous semble plus long que lemme segment horizontal ; illusions olfacti-ves, et lodeur du chocolat nous apparat ds-agrable ; illusions auditives, et les diffrentsinstruments de lorchestre produisent unemusique harmonieuse. Pour nen citer quequelques exemples. Parfois, les sens sentrem-lent, et une note de musique devient couleur,type de synesthsie rapporte par Franz Liszt.

    Alors quest-ce quune illusion des sens, ouillusion perceptive ? La perception est uneinteraction de linformation extraite dumonde par les sens avec des connaissancesdj acquises sur ce monde. Lorsque ces deuxtypes dinformations ne concident pas, une

    illusion perceptive en rsulte. Ce dossier pr-sente dans quelle mesure ltude des illusionssensorielles permet aux scientifiques de com-prendre ce que sont les sens, comment ilsinteragissent et comment naissent les conflitsentre les diffrentes sources dinformations.Avant de rpondre ces questions, deman-dons-nous ce quest un sens et quels sont lessens que nous possdons, afin de pouvoirdterminer ce quils ont en commun et ce quiles distingue.

    Combien de sens ?

    La conception classique des sens, hritedAristote, nous enseigne que nous disposonsde cinq sens : lodorat, le got, le toucher, lau-dition et la vision. Mais les psychologues etles physiologistes ont dcouvert dautres orga-nes sensoriels, dont le systme vestibulaire,situ dans loreille interne, qui assure lqui-libre. Nous avons aussi de nombreux rcep-teurs sous la peau qui nous permettent de dis-tinguer le chaud du froid, mais aussi deressentir la douleur. Dautres rcepteurs enregistrent ltirement de la peau et desmuscles, ce qui nous donne des informationssur la position de nos membres : cest le sensproprioceptif. Un sens serait-il donc dfinipar un type de rcepteurs et un mcanisme

    Des illusionsdans tous les sens

    Prface

    Comment dfinir un sens ? Combien en existe-t-il ?Ltude des illusions sensorielles permet de rpondre

    ces questions et celles que soulvent les sens.

    Pascal Mamassian

    est chercheur CNRSau LaboratoirePsychologiede la perception lUniversit ParisDescartes.Franois Le Corre

    est doctorant lInstitut Jean Nicod(CNRS, ENS, EHESS)et lUniversitPierre et MarieCurie, de Paris.

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    dans le systme nerveux central qui interprteles signaux mis par ces molcules ? Dans cesconditions o devons-nous nous arrter dansla liste des sens ? La faim, la soif, lestimationdu temps sont-elles galement des sens ?Plusieurs articles de ce dossier abordent cesdivers aspects de la dfinition des sens et desillusions auxquelles ils sont soumis.

    Linteraction des sens

    Ainsi, la question du nombre de sens resteouverte. La situation est-elle plus claire en cequi concerne notre conception mme dunsens ? Selon Aristote, chaque sens reprsente,dune part, un processus unitaire , dautrepart, un processus spar . Un processussensoriel, par exemple visuel, est unitaire silest cohrent de parler de la vision et non desvisions. Cependant, plusieurs donnes phy-siologiques suggrent que le systme visuelest compos de diffrents modules quiseraient sensibles certaines caractristiquesvisuelles et pas dautres. Par exemple, unelsion dune rgion du cortex temporalengendre une perte de la vision des couleurs(achromatopsie), tandis quune lsion duneautre zone provoque la perte de sensation dumouvement (akintopsie).

    Plus surprenant encore, la perceptiondune caractristique visuelle peut tre pr-sente ou absente selon les cas. Par exemple,dans les annes 1980, les neuropsychologuesDavid Milner et Melvin Goodale ont dcritle comportement dune patiente atteintedune lsion ventrolatrale du cortex occi-pital. Cette personne tait incapable de re-connatre et didentifier un certain nombredobjets familiers, par exemple une tasse ouune paire de ciseaux, alors quelle pouvait lessaisir et les manipuler correctement. Alorsfaut-il rejeter lhypothse dunicit de lavision, ou faut-il chercher, au contraire, ceque ces processus visuels ont en commun ?

    Cette dernire tche nest cependant pasfacile accomplir. Et ce prcisment parceque lhypothse de la sparation des sens,selon laquelle ces derniers ninteragissentjamais, fait face de nombreuses difficults.Dabord, plusieurs rgions crbrales sont

    multimodales , cest--dire que leurs neu-rones sactivent lorsquune modalit senso-rielle est stimule (par exemple la vision), ouune autre (par exemple le toucher), ou lesdeux ensemble. Ces neurones assureraientdonc le traitement de la forme de lobjet,indpendamment du sens (visuel ou tactile)impliqu dans sa perception.

    Par ailleurs, de nombreuses expriencesrvlent une interaction forte des sens. En 1976,Harry McGurk et John MacDonald ont mis aupoint une des expriences les plus impression-nantes o la vision perturbe laudition. Dansleur illusion, un participant entend le pho-nme /ba/ tout en regardant les mouvementsde lvres articulant le phonme /ga/. Quandon demande au sujet quel stimulus auditif luia t prsent, il dit avoir entendu le pho-nme /da/ qui na jamais t propos !

    Si les psychologues et les physiologistes ontdes difficults dfinir ce quest un sens, peut-tre faut-il se tourner vers la philosophie ? Lephilosophe britannique Paul Grice (1913-1988)a distingu quatre faons dindividualiser unsens : les critres des qualia, du contenu, desstimulus et des organes sensoriels.

    Selon le premier critre, les sens se distin-guent par leffet quils produisent quand onles utilise. Par exemple, leffet produit par la

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  • vision dune tasse diffre de celui provoqupar son toucher. Cependant, ce critre nex-plique pas vraiment ce quest un sens : il estincapable de rendre compte de la dforma-tion de la perception de la voix par celle dumouvement des lvres dans lexprience deH. McGurk et J. MacDonald.

    Selon le critre du contenu, chaque sensserait sensible diffrentes proprits quilserait seul dtecter. Par exemple, la couleurserait une proprit de la vision seulement,les sons nappartiendraient qu laudition, etc.Mais que faut-il penser des patients atteintsdachromatopsie qui ne voient pas les cou-leurs ? Il serait absurde de penser quils nevoient pas du tout !

    Selon le critre des stimulus, ce ne sont pasles proprits des objets telles quelles appa-raissent au sujet qui importent, mais pluttla stimulation physique quelles provoquent,par exemple les rayonnements lectromagn-tiques pour la vision, les fluctuations de lapression de lair pour laudition, etc. Maisdeux sens distincts peuvent partager unmme type de stimulus ; cest le cas de cer-taines substances chimiques, dtectes aussibien par le got que par lodorat.

    Le sens de la perceptiondu temps existe-t-il ?

    Enfin, selon le dernier critre, chaquemodalit sensorielle se distinguerait par le typedorgane sensoriel auquel elle est attache : lesyeux pour la vision, les oreilles pour laudi-tion, etc. Cependant, ce critre se heurte desconsidrations dindpendance des rcepteurs.En particulier, avons-nous un sens de la tem-prature spar du sens de la douleur ? Si oui,quel est lorgane sensoriel qui leur est associ ?Et quel est celui de la perception du temps ?Aujourdhui, la question de la diffrenciationdes sens reste un dfi thorique.

    Toutefois, ce flou qui existe entre les sens etqui est mis en vidence avec les illusions sen-

    sorielles serait bnfique pour certaines per-sonnes ayant un handicap. En 1688, dans unelettre au philosophe anglais John Locke, le phi-losophe irlandais William Molyneux deman-dait si un aveugle de naissance qui recouvraitla vue lge adulte pourrait distinguer unesphre et un cube au premier regard, grce sa connaissance de ces objets par le toucher.La dernire rponse, apporte en 2011 par lepsychologue Richard Held et ses collgues, delInstitut de technologie du Massachusetts,suggre que la rponse est ngative, cest--dire que le transfert de connaissances entre lessens nest pas immdiat.

    Les illusionsrenseignent sur les sens

    Toutefois, ces mmes auteurs ont mon-tr, quaprs un apprentissage adapt, unenouvelle modalit sensorielle peut devenirfonctionnelle. Ces travaux ouvrent des pers-pectives intressantes, notamment pour ledveloppement dappareils de substitutionsensorielle. Ces outils utilisent une modalitsensorielle pour accder des informationsnormalement perues par une autre moda-lit. Par exemple, des sujets aveugles peuventutiliser un appareil de substitution visuo-tactile. Ce dernier comprend une camra, pla-ce sur la tte du sujet, qui enregistre des infor-mations visuelles ; ces donnes sont traduitesen informations tactiles qui sont ressentiespar une partie du corps du sujet (dos, abdo-men, langue, etc.). Aprs quelques heuresdentranement, la personne aveugle est capa-ble didentifier, grce aux stimulations tacti-les, la forme de certains objets distance.

    En consquence, tudier les illusions dessens permet de mieux comprendre commentchaque sens fonctionne et comment ils inter-agissent. Mais cest aussi une faon de dcou-vrir comment labsence ou la perte dun senspeut tre plus ou moins pallie par lexploi-tation dune autre modalit sensorielle.

    6 Les illusions Cerveau & Psycho

    La perception est une interaction de linformationextraite du monde via les sens avec des connaissances

    dj acquises. Lorsque ces deux types dinformationssont dissonants, une illusion perceptive en rsulte.

    Bibliographie

    C. Spence,Crossmodalcorrespondences :A turorial review,in Attention, Perceptionand Psychophysics,vol. 73, pp. 971-995,2011.D. Alais, F. Newellet P. Mamassian,Multisensoryprocessing in review :From physiologyto behaviour,in Seeing andPerceiving, vol. 23,pp. 3-38, 2010.A. Paternoster,Le Philosopheet les Sens, PressesUniversitairesde Grenoble, traduitpar A. Reboul, 2009.S. Shimojoet L. Shams,Sensory modalitiesare not separatemodalities : Plasticityand interactions,in current opinionin Neurobiology,vol. 11, pp. 505-509,2001.B. Steinet A. Meredith,The Mergingof the Senses, MITPress, 1993.

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    La perception visuelle du monde dpend de la faon dont le cerveau interprte chaque scne. Les scientifiques

    utilisent les illusions pour comprendre son fonctionnement.

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  • 8 Les illusions Cerveau & Psycho

    Les illusions visuelles

    Les illusions visuelleset le cerveau

    Les erreurs dinterprtation du systme visuel rvlentaux scientifiques comment fonctionne le cerveau.

    Cest un fait des neurosciences :ce dont nous faisons lexp-rience nest que le fruit denotre imagination. Nous avonsdes sensations qui ne refltent

    pas ncessairement la ralit physique dumonde extrieur. Bien sr, beaucoup dexp-riences de la vie quotidienne sont des stimu-lus physiques qui envoient des signaux au cer-veau. Mais la machinerie neuronale quiinterprte ces informations en provenance desyeux, oreilles et autres organes sensoriels estaussi responsable des rves et des illusions.Ainsi, le rel et limaginaire partagent un soclecommun dans le cerveau. Socrate avait raison :Tout ce que je sais, cest ce que je ne sais rien.

    Pour comprendre comment le cerveaucre une impression de la ralit, les neu-roscientifiques tudient notamment les illu-sions visuelles. Les artistes et les illusion-nistes utilisent ce type dillusions depuislongtemps, et ont ainsi compris les mcanis-mes de fonctionnement du systme visuel.

    Ils ont dvelopp diffrentes techniques pour tromper lil de lobservateur bienavant que les scientifiques tudient les pro-prits des neurones. Par exemple, ils arri-vent faire croire au cerveau quune struc-ture plate est en trois dimensions, ou que descoups de pinceau sur une toile reprsententen fait une vritable corbeille de fruits.

    Comment fonctionnele systme visuel

    Quest-ce quune illusion visuelle ? Cestla dissociation entre la ralit physique et laperception subjective dun objet ou dun v-nement. Ainsi soumis une illusion visuelle,nous percevons quelque chose qui nexistepas, ou ne voyons pas quelque chose qui estprsent. Grce cette rupture entre la per-ception et la ralit, les illusions visuelles per-mettent aux scientifiques de comprendrecomment le cerveau choue recrer lemonde physique. En consquence, ltude deces checs leur indique les diffrentes tapesde traitement mises en uvre par le cerveaupour reconstruire lexprience visuelle.

    De nombreux facteurs, dont le contraste,les couleurs, les ombres et les mouvementsdes yeux, crent des effets qui influent surce que nous voyons . Dans cette sriedimages, nous vous prsentons diffrentstypes dillusions visuelles et nous prcisonsce quelles nous apprennent sur la percep-tion visuelle.

    Les illusions visuelles correspondent des dissociations entrela ralit physique et la perception subjective que lon a des objets.

    Les illusions de contraste, de mouvement, de couleur, de formeet de volume induisent le cerveau en erreur. Ces erreurs renseignentsur les mcanismes de la perception visuelle.

    En Bref

    Susana Martinez-Conde etStephen Mackniktravaillent lInstitutneurologiqueBarrow, Phoenix,dans lArizona,aux tats-Unis.

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    C es motifs statiques provoquent une illusion percep-tive de mouvement. Cet effet tonnant est accentuquand vous regardez limage en vision priphrique ou sivous bougez les yeux sur limage.Dans cette illusion,crepar Akiyoshi Kitaoka, professeur de psychologie lUniversit Ritsumeikan Tokyo, les serpents donnentlimpression de tourner,alors que seuls vos yeux bougent !

    En revanche,si vous fixez votre regard sur un des pointsnoirs prsents au centre de chaque serpent, le mouve-ment ralentit, puis sarrte. Cest la preuve que les mou-vements oculaires sont ncessaires pour que cette illusion

    fonctionne. Les scientifiques ont montr que ces mouve-ments illusoires activent les mmes rgions crbrales quecelles impliques dans la perception dun mouvement rel.

    Quelle est la cause de cette illusion ? Nous savons queles diffrences de luminosit sur les bords doivent,dunefaon ou dune autre, tromper les neurones dtecteursde mouvement des circuits visuels et les activer artifi-ciellement . En dautres termes, les configurations par-ticulires de luminance et de contraste pigent le sys-tme visuel en lui faisant percevoir du mouvement l oil ny en a pas.

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    Illusion de mouvement

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  • 10 Les illusions Cerveau & Psycho10 Les illusions Cerveau & Psycho

    V oyez-vous dans ce bouquet de violettes les profilsde Napolon Bonaparte (en haut droite), de Marie-Louise dAutriche (en haut gauche) et de leur fils (au

    milieu) ? Les troupes de Napolon, admiratives, avaientnomm Bonaparte Petit Caporal , car il avait russi vaincre quatre armes plus grandes que la sienne lorsde sa premire campagne.

    Des annes plus tard, Bonaparte, alors banni sur lledElbe, avait confi ses amis quil reviendrait avec lesviolettes ; il avait ainsi gagn le surnom de Caporal laViolette, la petite fleur qui revient au printemps.Quandil rentra effectivement en France, les femmes le soute-nant se rassemblrent pour vendre des violettes. Ellesdemandaient aux passants :Aimez-vous les violettes ? Si la personne rpondait oui , cela signifiait quellentait pas confdre ; si elle rpondait eh bien, elleadhrait la cause napolonienne. Les soutiens deNapolon distriburent alors tous des reproductionsde cette gravure Caporal la Violette ralise par Jean-Dominique tienne Cannu de 1815.

    Dans des illusions ambigus comme celle-ci, le cer-veau interprte la mme image de deux faons diffren-tes, ces deux interprtations sexcluant mutuellement.En dautres termes, vous pouvez voir une des deux ima-ges, mais pas les deux en mme temps.

    Ces figures ambigus permettent de dissocier la per-ception subjective du monde physique. Lobjet ne changejamais,mais votre perception alterne entre deux interpr-tations possibles. Cest pour cette raison que de nom-breux scientifiques tudiant les corrlats neuronaux de laconscience utilisent les illusions ambigus.

    Les figures ambigus

    La couleur en contexte

    C ette illusion, cre par Beau Lotto et Dale Purves, de lUniversitDuke aux tats-Unis, est un autre exemple qui montre comment lecerveau peroit la mme couleur de faon distincte selon le contexte.Le carr central marron sur le haut du cube est de la mme couleurque le carr orange de la face dans lombre. Mais ce dernier sembleorange cause de lclairage et des carrs autour qui le rendent plusclair que le carr marron.

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    Bibliographie

    A. Gilchrist et al.,Seeing blackand white, OxfordUniversity Press, 2006.B. Conway et al.,Neural basis fora powerful staticmotion illusion,in Journalof Neurosciences,vol. 25,pp. 5651-5656, 2005.A. Fraser et al.,Perception of illusorymovement, in Nature,vol. 281, pp. 565-566,1979.

    Avec

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  • LEssentiel n 12 novembre 2012- janvier 2013 11

    Lillusion visuelle de la premire photographie,nommeillusion du mur du caf, a t dcouverte sur lext-rieur dun restaurant par Steve Simpson, du Laboratoirede psychologie de Richard Gregory Bristol en Angleterre.Il a remarqu que les lignes de mortier parallles entreles carreaux verts et blancs sur le mur semblent penches,alors quelles sont droites. Les scientifiques utilisent uneversion simplifie en noir et blanc de cette illusion (voirlimage au centre) pour montrer comment des objets oudes motifs peuvent prendre des formes distinctes de leurforme relle.Cette illusion fonctionne quand les carreauxnoirs et blancs sont dcals et quand chaque carreau estentour dune bordure de mortier gris.En effet,des neu-

    rones distincts ragissent aux diffrentes teintes,de sorteque le mortier a lair plus clair ct des carreaux som-bres et plus fonc prs des carreaux clairs. Et le cerveauinterprte ce contraste comme une ligne irrgulire.

    Ces distorsions de formes sont dues linteraction dela forme relle de lobjet avec la forme des objets envi-ronnants (linterprtation dpend nouveau ducontexte). Dans lillusion cre par Kitaoka, une partiecirculaire dun sol de carreaux blancs et noirs sem-ble bombe, alors que limage ne contient que des car-rs de taille gale (voir limage de droite). Cest la dispo-sition des petits carrs noirs et blancs qui trompe lecerveau et crew cette distorsion de forme.

    Distorsion de formes

    Les illusions de contraste

    D ans cette illusion, cre par Edward Adelson, de lInstitut de technologie du Massachusetts aux tats-Unis, les carrs A et B ont la mme couleur :gris. Si vous en doutez, dcoupez les deux carrs et placez-les cte cte ! Ce pige visuel rsulte du fait que le cerveau ne peroit pas directement les couleurs et la luminosit des objets, mais les compare celles des lments qui les entourent.Ici, le carr A a lair plus fonc, car il est entour de carreaux clairs, et le carr B semble plus clair,car il est proche de carreaux foncs.

    Prenons un autre exemple : quand vous lisez du texte imprim sur une feuille avec une lumireintrieure, la quantit de lumire reflte par lespace blanc sur la feuille est infrieure celle qui serait renvoye par les caractresnoirs en lumire extrieure. Mais votre cerveau ne considre pas les niveaux de grisrels. En revanche, il interprte les lettres commetant noires, quelles que soient les conditions dclairage,parce quelles sont plus sombres que le reste de la feuille. Edw

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  • 12 Les illusions Cerveau & Psycho

    Les illusions 3D

    L es artistes reproduisent au mieux la ralit. Pour ce faire, ilsdonnent une impression de volume et de distance en utilisantde faon intuitive la perspective, la couleur, lclairage et lesombres. Ainsi, luvre dart sur une toile est parfois difficile dis-tinguer du modle qui est en volume.

    Ces images paraissent surgir du cadre. Dans Les Attributs duPeintre, une uvre du XVIIe sicle de Cornelius Gysbrechts, unepeinture semble senrouler hors du chevalet de lartiste (voirci-contre).

    En outre, la coupole de lglise Saint-Ignace de Loyola, Rome,est un splendide exemple dillusion baroque (voir ci-dessous).Larchitecte de lglise, Orazio Grassi, avait prvu de construireune coupole, mais il mourut avant que lglise ne soit termine.Trente ans plus tard, en 1685, lartiste jsuite Andrea Pozzo pei-

    gnit un faux dme sur le plafond au-dessus de lautel. Pozzo taitdj considr comme un matre dans lart de la perspective,maisil se surpassa. Encore aujourdhui, de nombreux visiteurs de Saint-Ignace sont stupfaits quand ils ralisent que sa magnifique cou-pole nest quune illusion.

    Les architectes ralisrent aussi quils pouvaient manipuler la ra-lit en dformant les indices de perspective et de profondeur pourcrer des structures dfiant la perception. Avez-vous besoin dunegrande pice dans un petit espace ? Pas de problme. Cest ce quefit Francesco Borromini au Palazzo Spada, un palais de Rome (voirci-contre). Borromini cra ce spectaculaire trompe-lil dune gale-rie de 37 mtres de long sur un espace qui nest que de 8,5 mtres !Il y a mme une sculpture de taille humaine au fond de la galerie...En fait, la sculpture ne fait que 60 centimtres de haut.

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  • 14 Les illusions - Cerveau & Psycho

    Les ambigutsde la perception visuelle

    Pascal Mamassian

    est chercheur CNRS au Laboratoire Psychologiede la perception lUniversit Paris Descartes.

    Le cerveau interprte le monde environnantavec une remarquable prcision malgr les ambiguts

    auxquelles fait face le systme visuel. Les illusions trompent le cerveau et rvlent comment il fonctionne.

    Il ny a pas dans le cerveau de rgions sp-cifi quement responsables des illusions visuelles. Ces dernires font partie de la perception visuelle, traite par le sys-tme visuel constitu de diverses struc-

    tures crbrales, de lil jusquaux aires cor-ticales suprieures (voir lencadr page 17). Les illusions existent parce que toute per-ception est ambigu. Chaque photon dtect par les rcepteurs de la rtine peut provenir dune multitude de sources lumineuses plus ou moins intenses et plus ou moins proches. Chaque couleur rfl chie par un objet peut rsulter dune infi nit de combinaisons de teintes de lobjet et de couleurs de la lumire.

    Comment savons-nous que notre percep-tion est correcte ? En un mot, ce que nous voyons, ce que notre cerveau nous indique comme tant la ralit, est-ce effectivement la ralit ? Comment savons-nous que ce que nous pensons tre une chaise rouge est identique ce que notre voisin pense gale-ment tre une chaise rouge ? La rponse est aussi simple que dstabilisante : nous ligno-rons ! Pourtant, tre victime dune illusion visuelle semble lexception plutt que la rgle.

    Comment le systme visuel djoue-t-il les piges ? Comment, en cas de doute, choisit-il la bonne rponse ? Et pourquoi lui ar-rive-t-il de se tromper ? Pour rpondre ces questions, voyons les ambiguts auxquelles fait face le systme visuel et ce que cela nous apprend sur son fonctionnement.

    Des illusions visuelles tous les jours

    Commenons par un effet d la rsolu-tion limite de lil. La rtine humaine est compose de photorcepteurs, qui captent les photons de la lumire et transmettent des informations nerveuses aux diffrentes structures du systme visuel. Les photor-cepteurs sont nombreux et concentrs au centre de la rtine, nomm fova. En re-vanche, ils sont rpartis de faon de plus en plus parse vers la priphrie de la rtine.

    Ainsi, nimporte quelle scne visuelle devrait tre nette au centre et floue en pri-phrie. Or quand on regarde une scne, on la peroit nette partout. Limpression que lon a dune vision uniformment nette est peut-tre

    Les illusions visuelles

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  • LEssentiel n 12 novembre 2012 - janvier 2013 15

    lillusion visuelle la plus surprenante ! Pour le vrifi er, modifi ons les bords dune image en prenant garde de prserver certaines informa-tions tels le contraste et la rsolution (voir la fi gure 2). On obtient alors une paire dimages dites mtamres : lune uniformment nette et lautre dont les bords sont dforms. Et pourtant, quand on fi xe le centre de limage, on ne peut pas distinguer limage dorigine et limage modifie. Ainsi, la nettet uniforme du champ visuel est illusoire.

    Mais la perte de rsolution en priphrie du champ visuel provoque des phnomnes gnants. Par exemple, un effet de camoufl age visuel empche de percevoir un objet qui devrait tre visible. Cest le cas dans le phno-mne dit dencombrement (voir la fi gure 3) : un symbole isol est visible en priphrie du champ visuel, alors quil ne lest plus quand il est entour de deux objets ou signes similaires. Cet objet est camoufl, et devient invisible, du fait de son assimilation avec les objets qui lentourent. La faible rsolution du champ visuel priphrique nest pas seule responsable de ce phnomne, car quand lobjet est isol ( la mme distance dans le champ priph-

    rique), on le voit parfaitement. Il sagit donc dun effet de contexte.

    Le contexte joue en effet un rle primordial dans la perception. Dans le phnomne den-combrement, le contexte est spatial : les objets autour du symbole identifi er perturbent la perception. Mais le contexte peut aussi tre temporel. Quand on regarde une image colo-re plusieurs secondes, notre systme visuel sadapte cette couleur, par exemple rouge. De sorte que si lon regarde ensuite une feuille blanche, on peroit la couleur complmen-taire du rouge, savoir une teinte verdtre.

    Cet effet dadaptation est localis spatia-lement : si limage rouge est situe en bas

    En bref Le systme visuel est dune impressionnante effi cacit. Il fait en permanence des hypothses et des dductions

    pour crer des images stables et correctes du monde. Parfois, il se trompe, car lhypothse retenue est incorrecte. Comprendre ces erreurs daiguillage permet aux scientifi ques

    de prciser comment fonctionne le systme visuel.

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    1. Ces deux traces dans le sable sont identiques ;

    il suffi t de tourner la page 180 degrs pour sen rendre

    compte. Pourtant, on a limpressionque lune est en relief et lautre en creux. Cette illusion reposesur une hypothse : le systme visuel considre que la lumire

    vient den haut, et que les parties sombres sont des ombres. Cela permet dinterprter

    limage en trois dimensions.

    3-illus_cerv_mamasian-.indd 153-illus_cerv_mamasian-.indd 15 15/10/12 17:2715/10/12 17:27

  • 16 Les illusions - Cerveau & Psycho

    droite du champ visuel, alors la teinte ver-dtre est perue uniquement cet endroit. On parle de proprit rtinotopique , car le phnomne se dplace quand on bouge les yeux ou tourne la tte. linverse, une proprit spatiotopique est ancre dans le monde et ne dpend pas de la position des yeux. Un phnomne rtinotopique sug-gre un mcanisme de perception dit de bas niveau : linformation visuelle est dtermi-ne au niveau de la rtine ou des premiers tages de la perception visuelle, avant que les rgions corticales suprieures ne ralisent une analyse plus approfondie. La proprit rtinotopique mise en vidence dans le cas de ladaptation la couleur confi rme ce que lon savait dj de certains neurones de la rtine, en particulier les cellules ganglion-naires, qui codent la couleur par contraste, par exemple rouge/vert ou bleu/jaune.

    La rtine et le cortex traitent la couleur

    Cependant, cette adaptation la couleur ne se limite pas aux proprits de la rtine. Par exemple, si aprs ladaptation des formes co-lores, on regarde une feuille o sont dessins les contours de certaines de ces formes, leffet color est beaucoup plus fort dans les formes quen dehors (voir la fi gure 4). Or on sait que les contours des objets sont traits par le cortex et non par la rtine ou par toute autre struc-ture sous-corticale. Le cortex participe donc aux phnomnes dadaptation la couleur.

    Ainsi, la couleur perue dun objet dpend de ses bords, de sorte quelle est en partie traite au niveau cortical. Cette constatation sapplique dautres proprits complexes de la couleur, tel le fait quune surface est plus ou moins brillante. Prenez une bouche avec un rouge lvre brillant et une autre avec un rouge lvre mat (voir la figure 5). En fait, on a obtenu la seconde image partir de la premire avec une lgre modifi cation : on a juste fl out les deux points les plus lumineux des lvres brillantes. Ces deux changements trs localiss modifient la perception de la brillance de lensemble des lvres jusqu leurs bords, et pas seulement l o la modi-fi cation est faite. Cela prouve que les rgions corticales suprieures dduisent laspect de lobjet entier et lui appliquent cette pro-prit jusqu ses bords, de sorte que lon peroit une image plausible, ici entirement mate cause des deux rgions fl outes.

    4. Regardez limage de gauche en fi xant la croix au centre pendant une vingtaine de secondes. Puis regardez le centre de limage droite. Aprs quelques secondes, vous verrez les couleurscomplmentaires apparatre dans les contours, et mmeentre les dessins, mais de faon moins intense.

    3. Si vous fi xez la croix centrale sur chaque ligne, vous voyez bien le symbole gauche. En revanche, vous ne pouvez pas identifi erle mme symbole sil est entour droite dautres objets similaires. Et ce, bien que tous les objets soient de mme taille, de mme intensit et la mme distance de la croix de fi xation. Le contexte dun objet perturbe la perception.

    2. Vous ne pouvez pas distinguer ces deux images si vous fi xez la croix blanche au centre. Pourtant, limage de droite est dforme sur les bords. Le cerveau donne moins dimportance la vision dans le champ priphrique, crant ainsi lillusion que tout est net !

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  • LEssentiel n 12 novembre 2012 - janvier 2013 17

    Lobservateur peut aussi infl uer sur la per-ception de la couleur. Prenons un carr et un disque qui peuvent tre vus comme deux surfaces transparentes se recouvrant partielle-ment (voir la fi gure 6). Quelle surface est per-ue devant lautre ? Peu importe, car la trans-parence et la couleur des deux surfaces sont identiques. Mais ds quune fi gure est perue devant lautre, elle semble plus sombre.

    Raliser des dductions

    Il nest pas ncessaire de regarder une sur-face pour quelle devienne plus sombre. On peut par exemple fi xer une des deux inter-sections des contours du carr et du disque, et volontairement faire passer lun des deux objets au premier plan : il devient imm-diatement plus sombre. La perception de la

    Le systme visuel

    L e systme visuel de lhomme comprend lil, des structures crbrales internes dites sous-corticales, tel le corps genouill latral, et une partie importante du cortex situe surtout dans le lobe occipital, larrire de la tte. Lil contient non seulement les photorcepteurs qui captent les photons , mais aussi une multi-

    tude dautres neurones telles les cellules ganglionnaires dont les axones quittant lil forment le nerf optique.

    Linformation produite par lil arrive au corps genouill latral, puis au cortex dans laire visuelle primaire (V1). Cette information visuelle diffuse vers dautres aires visuelles du cortex selon une cer-

    taine hirarchie (V2, V3, V4) avant dtre transmise en mme temps au cortex temporal et au cortex parital. Quelques rgions corti-cales ont des neurones particuli-rement sensibles une proprit visuelle ; par exemple, laire V5/MT intervient dans le mouvement, et le cortex infro-temporal dans la forme des objets.

    5. Ces lvres brillantes et mates sont presque identiques : seuls les deux points

    les plus lumineux des lvres en haut ont t fl outs pour obtenir limage en bas !

    P. M

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    sian

    Lobe frontal

    Nerf optique

    Corps genouill latral

    Lobe occipital

    Lobe parital

    Lobe temporal

    Cortex infro-temporalCervelet

    Subdivisions fonctionnelles

    du cortex visuelil

    V1

    V2

    V3

    V4

    V3/A

    V5/MT

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  • 18 Les illusions - Cerveau & Psycho

    brillance dun objet dpend donc de latten-tion quon lui porte ; cela suggre un traite-ment crbral suprieur qui influe sur des proprits visuelles lmentaires telles que lintensit lumineuse dune image.

    La couleur des objets nest quune des proprits du monde que le systme visuel tente danalyser et dinfrer , cest--dire de dduire des indices perus. Une autre caractristique importante est leur forme tridimensionnelle. Plusieurs indices dans les images permettent de percevoir une forme, en particulier les petites diffrences entre les images vues par lil gauche et celles vues par lil droit ; ces dcalages nous per-mettent davoir une vision stroscopique.

    Les ombres dans le cerveau

    On estime que cinq dix pour cent de la population occidentale nont pas de vision stroscopique. Mais la plupart de ces per-sonnes nen ont pas conscience, jusqu ce quon le leur prouve, par exemple en leur projetant un fi lm en 3d quelles sont inca-pables de voir correctement. Heureusement pour ces individus, le monde ne leur appa-rat pas forcment plat, car dautres indices visuels compensent cette lacune.

    En effet, dautres sources dinformations tridimensionnelles existent ; ce sont par exemple les ombres que cre locclusion de la lumire par un objet. La position dune ombre par rapport lobjet qui en est la cause est un indice tridimensionnel impor-tant (voir la fi gure 7). Cependant, pour que

    le systme visuel utilise cet indice, il doit connatre la direction de la lumire. Sans cette donne, lindice dombre reste ambigu.

    Prenons par exemple deux traces de pas dans le sable, lune semblant en relief, lautre en creux (voir la figure 1). En fait, les deux empreintes sont identiques : il suffit den tourner une de 180 degrs pour obtenir lautre. Pour vous en convaincre, tournez la page, et les traces sinversent : les parties de limage qui apparaissaient en creux prennent du relief tandis que celles en relief deviennent creuses. Ce changement de forme lors de la rotation de limage repose sur une hypo-thse faite par le systme visuel : la lumire vient den haut. Quand on tourne limage, les parties sombres correspondant aux ombres changent de position, alors que la lumire provient toujours den haut ; en consquence, la seule explication raisonnable pour le sys-tme visuel est que cest un changement de la forme de lobjet qui provoque les nouvelles positions des ombres.

    Comment cette hypothse dune source lumineuse au-dessus est-elle reprsente dans le cerveau ? La faon symbolique que lon utilise pour la dcrire la lumire claire les objets par le haut suppose que cest une connaissance de haut niveau qui se met en place comme un raisonnement expliquant des phnomnes sensoriels lmentaires.

    Cependant, diffrentes donnes montrent que cette hypothse est en fait reprsente prcocement dans le systme visuel. Dabord,

    6. Quand le carr est peru en transparence devant le disque,il semble plus sombre. Et inversement. Pourtant, les deux formesont la mme couleur et la mme brillance. Tout dpendde lattention quon leur porte !

    7. Cette oratrice semble fl otter sur un tapis au-dessus de la plage. Mais cest uniquement parce que limage inclut par hasard lombredun drapeau situ derrire le photographe ; cette ombre est prise

    par erreur comme lombre de la plateforme o se trouve la femme.

    P. M

    amas

    sian

    3-illus_cerv_mamasian-.indd 183-illus_cerv_mamasian-.indd 18 15/10/12 17:2815/10/12 17:28

  • LEssentiel n 12 novembre 2012 - janvier 2013 19

    reprenez les deux objets en relief et en creux , et mettez la tte en bas plutt que de tourner la page. La mme inversion de forme est perue : la lumire serait donc au-dessus de la tte plutt quau-dessus du monde . En dautres termes, lhypothse sur la posi-tion de la lumire est code de faon rtino-topique (le phnomne bouge avec la posi-tion des yeux), plutt que spatiotopique (ne dpend pas de la position des yeux). Dautres tudes en imagerie crbrale confirment ce rsultat : des rgions corticales situes au d-but des processus de traitement du systme visuel, telle laire v1, participent linterpr-tation de la direction de la lumire, alors que des aires corticales de haut niveau ralisent lanalyse visuelle en trois dimensions.

    Des connaissancesantrieures utiles

    Cet exemple o le systme visuel dduit que la source lumineuse est situe au-des-sus de la tte explique pourquoi on nest pas conscient de lambigut des images contenant des ombres. En fait, lensemble des connaissances dont on dispose a priori nous permet de percevoir le monde de faon

    stable. Mais voir un monde stable ne signifi e pas forcment quon le voit de faon vri-dique : en gnral, les infrences visuelles que le cerveau ralise sont correctes, mais il est facile de le tromper.

    Parfois, ces connaissances antrieures ne sont pas suffisantes pour fixer la per-ception de faon unique, de sorte quelle alterne entre deux interprtations ou plus. Par exemple, quand on regarde le carr et le disque superposs pendant plusieurs se-condes, notre perception alterne entre le car-r devant le disque et le disque devant le car-r plusieurs fois par minute. Ces perceptions bistables sont la preuve que notre systme visuel est perptuellement en train de cher-cher linterprtation du monde la plus plau-sible partir des images qui se projettent sur les rtines. Cette infrence ncessite la puissance de calcul de plusieurs structures corticales et sous-corticales dans le cer-veau ; les neuroscientifiques commencent juste explorer le rle de chacune de ces structures dans la perception visuelle. Pour ce faire, ils cherchent de nouveaux phno-mnes qui rvlent le fonctionnement du systme visuel et qui parfois donnent lieu dimpressionnantes illusions.

    Bibliographie

    J. Freeman et E. Simoncelli,

    Metamers of the visual stream, in Nature

    Neuroscience, vol. 14, pp. 1195-1201, 2011.

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    of illuminationfor 3D perception

    in the human brain, in PNAS USA, vol. 107,

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    R. van Lier et al., Filling-in afterimage

    colors betweenthe lines, in Current

    Biology, vol. 19,R323-R324, 2009.P. Tse, Voluntary

    attention modulates the brightness

    of overlapping transparent surfaces,

    in Vision Research, vol. 45, pp. 1095-

    1098, 2005.

    3-illus_cerv_mamasian-.indd 193-illus_cerv_mamasian-.indd 19 15/10/12 17:2815/10/12 17:28

  • Stephen Mackniket SusanaMartinez-Condetravaillent lInstitutneurologiqueBarrow de Phoenix,dans lArizona,aux tats-Unis.

    20 Les illusions Cerveau & Psycho

    Les illusions visuelles

    Les trompe-lilen trois dimensions

    Certaines illusions observables sur diverses uvresarchitecturales nous montrent comment le cerveau

    reconstruit le monde en trois dimensions.

    Bien quelles semblent prcises etrelles, nos sensations ne repro-duisent pas ncessairement laralit physique du monde.Cest un fait reprsent par les

    artistes : la ralit nest accessible que sousune forme subjective, dpend de notre per-ception et varie dun individu lautre. Lesillusions reprsentent lun des outils impor-tants que les neuroscientifiques utilisentpour comprendre comment le cerveaudonne un sens au monde rel.

    Les illusions sont dfinies par la dissocia-tion entre la ralit physique et la perceptionsubjective dun objet ou dun vnement. Uneillusion visuelle nous permet donc de prci-ser les processus de traitement quutilise le cer-veau pour construire lexprience visuelle.

    Longtemps avant que les scientifiques ntu-dient les neurones, les artistes avaient conuun ensemble de techniques pour tromper le cerveau. Appliques larchitecture, leursillusions visuelles ne cessent de nous tonner.

    Pline lAncien, dans son Histoire Naturelle,raconte la comptition lgendaire entre deuxpeintres clbres de la Grce antique : Zeuxiset Parrhasios. Chacun avait apport une pein-ture recouverte dun tissu. Zeuxis enleva levoile : il avait ralis une peinture si ralistede grappes de raisins que les oiseaux arriv-

    rent du ciel pour les picorer. Convaincu de savictoire, Zeuxis essaya de dvoiler la peinturede Parrhasios pour confirmer sa supriorit.Mais il perdit, car le voile quil essayait dtertait la peinture de Parrhasios elle-mme. Lalgende signifie que les peintres peuvent trans-mettre une parfaite illusion de la ralit, desvolumes ou de la distance en utilisant la pers-pective, la couleur, la lumire et les ombres.

    Les peintres prhistoriques utilisaient djdes astuces pour que leurs uvres paraissentplus vraies. Par exemple, le bison de la grottedAltamira, Santillana del Mar en Espagne,est peint en profitant des formes du rocher,pour renforcer limpression de volume.

    Tromper lil

    Ces techniques atteignent leur perfectiondans le trompe-lil, lune des formes lesplus labores dillusion artistique. Ce stylede ralisme photographique est apparu laRenaissance et sest panoui au XVIIe sicleaux Pays-Bas.

    La tour de Pise est un exemple architectu-ral intressant pour mieux comprendre lefonctionnement du cerveau. Dans lillusiondite de la tour penche, propose en 2007 parFrederick Kingdom, Ali Yoonessi et ElenaGheorghiu, de lUniversit McGill Montral,

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  • LEssentiel n 12 novembre 2012- janvier 2013 21

    lorsque deux images identiques du mmeobjet pench et fuyant sont places cte cte,les deux objets semblent inclins selon deuxangles diffrents (voir la figure ci-dessus).

    3D partir de 2D

    Cette illusion rvle comment le systmevisuel utilise la perspective pour permettre lareconstruction des objets tridimensionnels.Nous parlons de reconstruction , parce quele systme visuel na pas daccs direct lin-formation tridimensionnelle de lenvironne-ment. Notre perception de la profondeurrsulte de processus de calculs neuronauxreposant sur plusieurs rgles : la perspective(les lignes parallles semblent converger auloin), la stropsie (lil droit et le gauchereoivent des images du mme objet dcalesselon un axe horizontal, ce qui permet la per-ception de la profondeur), locclusion (lesobjets proches cachent les objets plus loigns),le clair-obscur (la variation de contraste dunobjet selon la position de la source lumineuse),et le sfumato (limpression de profondeurvaporeuse cre par linteraction dlmentssitus sur des plans diffrents, un terme tirdune technique de la Renaissance).

    Lillusion de la tour penche montre quele cerveau utilise aussi langle de convergence

    de deux objets inclins dont le point de fuitese situe vers le fond pour calculer langlerelatif que font ces deux objets. Elle ne seproduit plus quand on regarde deux person-nages penchs sur le ct, mais pas vers lar-rire. En effet, puisquils ne semblent pas treinclins, le cerveau ne sattend pas ce quilsconvergent dans le lointain. Ce phnomnemontre que le cerveau nutilise sa bote outils de perception de la profondeur quedans les situations o des lignes semblentconverger vers larrire-plan.

    Ainsi, notre cerveau cre lillusion de la pro-fondeur partir des informations provenantde la rtine. Les illusions visuelles nous mon-trent que la couleur, la luminosit et la formenexistent pas dans labsolu, mais quelles sontdes expriences subjectives, relatives, cest--dire apprcies diffremment par des person-nes distinctes ou selon la position de lobser-vateur. Si nous ressentons quune table estrouge et sa surface lisse, cela rsulte de lacti-vit lectrique des neurones et non dun enre-gistrement passif de stimulus environnemen-taux. La table existe bien, mais ce que nous enpercevons dpend de nos capacits crbraleset de dterminants externes lobjet, tels quela distance qui nous en spare, la luminositou des facteurs socioculturels. Cette subjecti-vit est vraie pour toute perception.

    Bibliographie

    S. Macknik etS. Martinez-Conde,

    Consciousness :Neurophysiology

    of visual awareness in,in Encyclopaedia

    of Neuroscience, vol. 3,pp. 105-116, 2009.

    A. Cole,La perspective :

    profondeur et illusion,Gallimard, Les yeux

    de la dcouverte, 2003.J. Ninio, La science

    des illusions, OdileJacob, 1998.

    Robb

    ie Ha

    yton

    4_Ess_012_pxxx_illusions3D_macknik_ben.qxp 15/10/12 17:29 Page 21

  • Vincent Billock

    et Brian Tsousont biophysiciens la base Wright-Patterson de larmede lair (U.S. Air Force),dans lOhio,aux tats-Unis.

    22 Les illusions Cerveau & Psycho

    Avez-vous dj vu du jaunebleutre ? Non, nous ne pen-sons ni un vert bleut ni un vert-jaune, mais bien uneteinte qui serait jaune et bleue

    la fois. Et un vert rougetre ? L encore, ilne sagit ni dun brun boueux qui pourraittre obtenu en mlangeant diffrentes cou-leurs, ni dun jaune issu dun rouge mlang du vert clair, ni dune texture pointilliste opoints rouges et points verts seraient mls,mais bien dune seule couleur, rougetre etverdtre en mme temps, au mme endroit.En ralit, il est peu probable que vous y soyezparvenu : aucun vert (ni aucune autre teinte)ne parat la fois bleutre et jauntre ; demme, il nexiste pas de rouge verdtre.

    Pourtant, nous avons trouv comment,dans des conditions particulires, percevoirces couleurs interdites. Ce phnomne visuelprcise la notion dopposition des couleurspropose en 1872 par le physiologiste prus-sien Ewald Hering. Ce dernier suggra que lavision des couleurs reposait sur une opposi-tion entre le rouge et le vert, le jaune et le bleu,quatre couleurs fondamentales (auxquelles ilajoutait le blanc et le noir). Autrement dit, enchaque point du champ visuel, le rouge et levert, dune part, le jaune et le bleu, dautrepart, sopposent : la perception de la couleurrouge en un point empche la perception de

    la couleur verte cet endroit, et vice versa. Demme pour le jaune et le bleu.

    Ce principe dopposition est galement luvre quand on flchit lavant-bras : le tri-ceps se relche et le biceps se contracte ; mus-cles antagonistes, le biceps et le triceps agissenten opposition. On ne peut contracter en mmetemps ces deux muscles. La vision des couleursrepose sur ce mme phnomne dopposition.Ainsi, selon la thorie dHering, les nuancesde la vision sont produites par la combinai-son du rouge et du jaune, du rouge et du bleu,du vert et du jaune, ou du vert et du bleu.Effectivement, nous percevons le vert bleu (leturquoise ou cyan), le rouge jaune (lorange),le rouge bleu (le violet) et le vert jaune, maispas ni du rouge verdtre, ni du vert rougetre,ni du bleu jauntre, ni du jaune bleutre.

    Lopposition des couleurs

    Cette thorie de lopposition des couleurs at critique, mais reste intressante. Diversesrecherches semblent montrer que loppositiondes couleurs nat ds la rtine et le msenc-phale, la premire rgion crbrale impliquedans la vision. Les signaux bruts correspondantaux couleurs sont produits par les cnes, untype de photorcepteurs situs dans la rtine.Il existe trois types de cnes, chacun tantpourvu dun pigment sensible une bande de

    interdites

    Les illusions visuelles

    En thorie, il est impossible de percevoir du vert rougetreet du bleu jauntre, mlanges de couleurs opposes.

    Certaines expriences permettent pourtant dy parvenir.

    La perception des

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  • LEssentiel n 12 novembre 2012- janvier 2013 23

    longueurs donde diffrente, de sorte que lescnes dtectent la lumire selon trois bandesde longueurs donde qui se chevauchent et sontcentres sur le bleu, le vert et le rouge.

    Dautres cellules rtiniennes traitent lessignaux mis par ces trois types de cnes, ce quiproduit les signaux correspondant aux quatrecouleurs primaires le rouge, le vert, le jauneet le bleu. Mais tout se passe comme si le sys-tme nerveux tait constitu de seulement deuxtypes de canaux de perception des couleurs :un canal rouge moins vert o les signauxpositifs reprsentent diffrents niveaux derouge, les signaux ngatifs reprsentent diff-rents niveaux de vert et les signaux nuls ni lunni lautre ; et un canal jaune moins bleu fonc-tionnant sur le mme principe (voir lencadrci-dessous). Cette organisation est conforme lopposition des couleurs dHering.

    En 1983, Hewitt Crane et Thomas Pian-tanida, de la Socit SRI International, un ins-titut de recherche situ Menlo Park, enCalifornie, ont djou les rgles de la percep-tion qui interdisent du rouge vert ou du jaunebleu. Ils ont demand des sujets de regarderune bande rouge et une bande verte accoles,ou une bande jaune et une bande bleue acco-

    les. Un dispositif suivait la direction des yeuxdes sujets, et dplaait des miroirs de sorte queles champs de couleur restaient immobiles surla rtine des sujets malgr les saccades inces-santes de leurs yeux. Ainsi, limage tait sta-bilise. Les sujets ont rapport voir les couleursse fragmenter en morceaux qui apparaissaient,disparaissaient, puis rapparaissaient. Ils ontsurtout constat que la frontire entre les ban-des colores disparaissait au bout de quelquesinstants, et que les couleurs se mlangeaientau niveau de la frontire dissoute. Certainsvoyaient du vert rougetre ou le bleu jauntreinterdits. Dautres voyaient un scintillementbleu sur un fond jaune.

    Ces rsultats tonnants furent ngligs pourplusieurs raisons. Dabord, ils taient quelque

    Le rouge et le vert sont des couleurs dites opposes : on ne peutgnralement percevoir du rouge et du vert comme une seulecouleur, le rouge-vert. Il en est de mme pour le jaune et le bleu.

    Mais si lon parvient court-circuiter une tape du fonctionnementdu cerveau par des procdures exprimentales, les couleursinterdites peuvent devenir visibles.

    En Bref

    Quest-ce que lopposition de couleurs ?

    L a vision des couleurs semble repo-ser sur deux paires de couleursdites opposes : le rouge et le vert,dune part, le jaune et le bleu, dautrepart. La perception de lune des cou-leurs dune paire,par exemple le jaune,nimporte o dans le champ visuelempche la perception de la couleuroppose (le bleu) au mme endroit eten mme temps.Ainsi, bien que lonpuisse voir des combinaisons dautrescouleurs tel le violet, mlange derouge et de bleu , on ne peut engnral pas percevoir de bleu jaun-tre ni de vert rougetre. Le systmevisuel semble utiliser deux canauxpour les informations concernant lacouleur (ci-contre) : un canal jaunemoins bleu , capable de signaler lejaune ou le bleu,mais pas les deux enmme temps et au mme endroit, etun canal rouge moins vert fonc-tionnant sur le mme principe.

    La faon dont les deux canaux de couleur du systme visuel rpondent la lumire explique lapparence du spectre visible, par exemple pourquoi la lumire

    violette a lair bleu rougetre, et pourquoi la lumire jaune nest pas un vert rougetre.

    Canal rouge-vertCanal jaune-bleu

    Rponse positive (rouge et jaune)

    Pas derponse

    Rponse ngative (bleu et vert)

    Spectre visible

    La couleur visible ci-dessous (ici le violetsur le spectre) rsultede la combinaison des rponses des deuxcanaux rouge et vert (en haut) et jaune-bleu (en bas).

    Le rouge et le vertsannulent, ce qui autorise la perception dujaune pur transmispar lautre canal.

    Longueurs donde (en nanomtres)400 450 500 550 600 650 700

    Jen

    Chris

    tians

    en

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  • 24 Les illusions Cerveau & Psycho

    peu incohrents : certains sujets percevaientune illusion visuelle et non les couleurs inter-dites. De surcrot, ces couleurs taient diffici-les dcrire. H. Crane et T. Piantanida essay-rent de rsoudre ce problme en demandant des artistes de raconter comment ils les per-cevaient : sans succs. Ensuite, il tait difficilede reproduire lexprience, car le dispositif

    suivant les mouvements des yeux tait on-reux et peu pratique utiliser. Enfin, les cher-cheurs navaient pas de thorie proposerpour interprter leurs rsultats. Ce fut vrai-semblablement le principal cueil.

    Court-circuiterle systme visuel

    Les deux chercheurs devinrent que leurprocdure avait court-circuit la partie du sys-tme visuel responsable de lopposition descouleurs et activ un mcanisme de remplis-sage perceptif : quand on oblige deux ban-des de couleurs opposes coexister sur lartine, le systme visuel remplit la zone fron-tire de ces couleurs interdites.

    En 2001, nous avons propos une nouvelleexplication de ces observations. Nous savionsquen plus de la stabilisation des images, uneautre condition exprimentale fait dispara-tre la frontire entre des plages adjacentes decouleurs opposes : lorsque les deux plagesont la mme luminance. Cette caractristiquemesure lintensit lumineuse par unit de sur-face. Elle peut se dfinir approximativementcomme la brillance perue. Pour un observa-teur, si les deux couleurs ont la mme lumi-nance, le fait de les prsenter rapidement enalternance ne produit quasiment pas de sen-sation de clignotement entre les deux teintes.

    Par ailleurs, quand des sujets observent fixe-ment deux champs adjacents dont les couleursont la mme luminance, ils voient la frontireentre les deux couleurs saffaiblir, puis dispa-ratre. Les couleurs se fondent lune dans lau-tre, sauf dans le cas des paires rouge-vert etjaune-bleu. Cet effacement est particulire-ment net lorsque les mouvements des yeux delobservateur sont rduits au maximum.

    Puisque lgalit des luminances et la stabi-lisation des mouvements des yeux provoquentlune et lautre la fusion des couleurs, nous noussommes demand si ces deux proprits pour-raient se combiner. Leffacement de la frontireentre couleurs serait-il alors suffisamment puis-sant pour se produire mme avec des couleursopposes ? Pour tester cette hypothse, nousnous sommes associs Gerard Gleason, duLaboratoire amricain de recherche de larmede lair, qui tudie les saccades oculaires.

    Nous avons utilis le dispositif de suivi duregard mis au point par G. Gleason ainsi quedes systmes qui maintiennent la tte. Septspcialistes de la vision des couleurs, capablesde dcrire prcisment leurs perceptions, ontparticip nos expriences.

    Comme la perception de la luminance dediffrentes couleurs varie dun individu lautre, nous avons tout dabord mesur leursrponses au rouge, vert, jaune et bleu. Puisnous avons prsent chacun deux des ban-des adjacentes de rouge et de vert, ou de jauneet de bleu, ajustes pour que les deux cou-leurs apparaissent de mme luminance, ou,au contraire, de luminances trs diffrentes.

    Franchir la frontire interdite

    Ainsi, la combinaison de la mme luminanceet de la stabilisation de limage grce au suividu regard sest rvle efficace pour faire fran-chir la frontire interdite . Pour les imagesde mme luminance, six de nos sept observa-teurs ont peru des couleurs interdites : la fron-tire entre les deux couleurs disparaissait et lescouleurs se mlangeaient (le septime obser-vateur percevait du gris). Parfois, le rsultat res-semblait un gradient de couleurs allant, parexemple, du rouge au vert, avec toutes les nuan-ces possibles de rouge verdtre et de vert rou-getre entre les deux. Parfois, les champs rougeet vert concidaient, comme si une couleurtransparaissait travers lautre, mais sans treattnue. Souvent, un agrable vert rougetreou jaune bleutre remplissait le champ visuel(voir lencadr page ci-contre). Deux sujetsracontrent quils taient dsormais capablesdimaginer du vert rougetre et du jaune bleu-tre, mais cette facult ne persista pas.

    Nous sommes donc aujourdhui capablesde rpondre la question que le philosopheDavid Hume a pose en 1739 : est-il possiblede percevoir de nouvelles couleurs ? Oui, mais

    Bibliographie

    V. Billocket B. Tsou,Neural interactionsbetween flicker-induced self-organizedvisual hallucinationsand physical stimuli, in PNAS, vol. 104,pp. 8490-8495,2007.V. Billocket B. Tsou,What do catastrophicvisual binding failureslook like ?, in Trendsin Neurosciences,vol. 27, pp. 84-89,2004.V. Billock et al.,Perceptionof forbidden colorsin retinally stabilizedequiluminant images :an indicationof softwired corticalcolor opponency ?,in Journal of the OpticalSociety of America A,vol. 18, pp. 2398-2403, 2001.H. Craneet T. Piantanida,On seeing reddishgreen and yellowishblue, in Science,vol. 221,pp. 1078-1080, 1983.

    Nous sommes dsormais capables de voirdu jaune bleutre et du vert rougetre.

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  • LEssentiel n 12 novembre 2012- janvier 2013 25

    celles que nous avons mises en vidence sontcomposes de couleurs familires.

    la suite de ces observations, nous avonspropos un modle de la formation des cou-leurs interdites dans le cerveau. Nous pensonsque certaines populations de neurones sont encomptition pour mettre les signaux ner-veux : elles ne peuvent pas mettre en mmetemps. Tout comme deux espces animales sedisputent parfois une mme niche cologique,les neurones se disputent le droit dmettre .Toutefois, les neurones qui perdent , cest--dire qui nmettent pas de signal, sont rduitsau silence, mais ne meurent pas, contrairement une espce animale qui disparat si une autresapproprie les ressources.

    Comptition de neurones

    Une simulation numrique de cette comp-tition neuronale reproduit lopposition descouleurs : pour chaque longueur donde acti-vant le systme visuel, les neurones stimulspar le rouge, ou ceux activs par le vert, peu-vent gagner, cest--dire produire un influx ner-veux, mais pas les deux populations simulta-nment ; de mme pour les neurones jaunes et bleus . Mais si lon empche la compti-tion, par exemple en inhibant les connexions

    entre les populations neuronales vertes et rouges , ou bleues et jaunes , les tein-tes prcdemment en conflit peuvent coexis-ter, et les couleurs impossibles apparaissent.

    Dans notre exprience, lorsque les lumi-nances des champs rouge-vert ou jaune-bleudiffraient suffisamment, les sujets ne perce-vaient pas les couleurs interdites. En revan-che, des textures apparaissaient : par exem-ple, un scintillement vert sur un fond rouge,ou des rayures bleues sur un fond jaune, toutcomme H. Crane et T. Piantanida lavaientrapport. Ils avaient sans doute utilis desimages ayant la mme luminance pour cer-tains de leurs sujets et ayant des luminancesdiffrentes pour dautres.

    Ces figures tachetes ou rayes sont ton-nantes. Elles ont t tudies dans dautrescontextes scientifiques. Par exemple, le math-maticien britannique Alan Turing, pionnier delinformatique, a modlis les motifs ns dansdes mlanges alatoires de molcules chimi-ques. Il a ainsi reproduit les taches du lopardet dautres phnomnes biologiques, notam-ment certaines hallucinations visuelles.

    De multiples facteurs peuvent dclencherdes hallucinations visuelles aux motifs gom-triques : drogues, migraines, crises dpilepsieet notre prfr un stimulus visuel nomm

    Comment voir les couleurs interdites

    D es conditions exprimentales particulirespermettent de percevoir du bleu jauntreet du vert rougetre. Ce rsultat implique quelopposition des couleurs nest pas aussi forte-ment grave dans le cerveau quon ne le pensegnralement. Apparemment, le mcanismedopposition peut tre dsactiv.

    Dans les expriences ralises pour fairedisparatre la barrire des couleurs interdites,un dispositif suit les mouvements des yeuxdes sujets pour maintenir les stimulus colorstoujours au mme endroit sur la rtine.

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    Lorsque les sujets fixent deux plages de couleursopposes (a) et que limage est immobile sur leur rtine, la frontire

    entre les deux plages semble svanouir, comme si les couleursfusionnaient (b). Lorsquun champ est plus lumineux que lautre,

    les mlanges forment par exemple des points bleus sur fond jaune.Mais pour des nuances de luminance similaire, la plupart des sujets

    voient de nouvelles couleurs (des bleus jauntres)

    normalement impossibles percevoir

    et, par consquent, reprsenter ici (c).

    a

    b

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  • champ vide clignotant. Dans les annes 1830,le physicien anglais David Brewster, linventeurdu kalidoscope, a montr que des lumiresclignotantes peuvent aussi dclencher des hal-lucinations visuelles. Il semble quen passantvite devant une clture claire par le soleil touten fermant les yeux, il ait lui-mme expri-ment ces illusions et ressenti des flashs dom-bre et de lumire projets sur ses paupires fer-mes. On peut percevoir de tels clignotementssi lon est passager dans une voiture roulantle long de ranges darbres claires par le soleil,et que lon ferme les yeux ou, mieux encore,si lon fixe un ordinateur dont lcran clignote.On peut alors tenter de percevoir les illusionsgomtriques que cela engendre.

    Les illusions gomtriques

    Il existe plusieurs types dillusions gom-triques produites par des clignotements lumi-neux : des ailes de moulin vent, des cerclesconcentriques, des spirales, des toiles darai-gne et des nids dabeilles. En 1979, JackCowan, de lUniversit de Chicago, et BardErmentrout avaient remarqu que toutes cesimages dclenchaient lactivation de bandesde neurones du cortex visuel primaire, unergion crbrale situe larrire du cerveauet implique dans le traitement des informa-tions visuelles. Par exemple, quand une per-sonne regarde des cercles concentriques, desbandes verticales de neurones sont activesdans le cortex visuel primaire ; quand elleregarde les ailes dun moulin vent, des ban-des horizontales de neurones sactivent.

    Ainsi, en faisant lhypothse que des neu-rones du cortex visuel organiss en bandessont activs spontanment en rponse aux cli-gnotements, B. Ermentrout et J. Cowan pou-vaient expliquer lorigine de nombreuses illu-sions gomtriques. Nanmoins, ces rsultatsne donnaient pas de mthode capable de pro-voquer une illusion particulire, ce qui per-mettrait de ltudier en dtail. En effet, les cer-cles, spirales et autres figures perues sousleffet du clignotement sont la fois imprvi-sibles et instables, probablement parce quechaque flash de lumire clignotante perturbelillusion dclenche juste avant.

    Une technique produisant volont uneillusion spcifique serait utile. Pour essayer destabiliser les figures dclenches par le cligno-tement, nous nous sommes inspirs dautressystmes formant spontanment des motifs de

    Turing. Imaginez, par exemple, une pole peuprofonde remplie dhuile, chauffe par-dessouset refroidie par-dessus. Si la diffrence de tem-prature est suffisamment importante, lhuilechaude qui monte et lhuile froide qui descendsauto-organisent en un ensemble de cylindresorients horizontalement, qui, vus de dessus,ressemblent des rayures. Chaque cylindretourne sur son axe le fluide montant dunct et descendant de lautre. La figure est sta-ble si les rouleaux adjacents tournent dans dessens opposs. En gnral, lorientation descylindres (la direction des rayures ) est ala-toire au moment o le motif se forme. Maissi lon impose en un point lorientation du fluxascendant de liquide, le motif volue pour sali-gner dans cette direction.

    Nous nous sommes inspirs de cette exp-rience et avons voulu voir si en prsentant unmotif gomtrique ct dune zone cligno-tante, nous stabiliserions lillusion perue parles sujets.Ainsi, nous avons associ des dessinsde cercles et dailes de moulin vent illuminsde faon stable et une zone vide tout autourclaire par une lumire clignotant rapidement(voir lencadr page ci-contre). Nous pensionsque les figures stimuleraient des bandes de neu-rones dorientations spcifiques dans le cortexvisuel, et que le clignotement priphrique lar-girait le motif en y ajoutant de nouvelles ban-des parallles de neurones. Nous nous atten-dions ce que les sujets voient les figurescirculaires et les ailes dun moulin vent enva-hissant la zone clignotante environnante.

    Oppositions de formes

    Mais notre grande surprise, les sujets nevoyaient pas du tout cela : les cercles taiententours dailes de moulin vent illusoirestournant environ un tour par seconde. Etautour des ailes de moulin vent, apparais-saient de ples cercles concentriques. Nousavons obtenu des rsultats similaires lorsquunezone vide, mais claire par une lumire cli-gnotante, tait place au centre des figures.Dans tous les cas, lillusion tait situe danslaire clignotante ; elle ne stendait tout ledessin que si nous le faisions clignoter de faonsynchrone avec la zone vide.

    Ce rsultat naurait pas d nous surpren-dre. Il y a 50 ans, Donald MacKay, du KingsCollege de Londres, a montr que lorsquuneforme en ailes de moulin vent est observeen lumire clignotante, un discret motif en

    26 Les illusions Cerveau & Psycho

    J. Ch

    ristia

    nsen

    /J. H

    ovis

    Pouvez-vousle voir ? La visionbinoculaire peutpermettre de voirles couleurs interdites.Essayez de fixerces paires de rectanglesen laissant vos yeuxloucher de sorteque les airesrouges et vertesse superposent ;sur la figure du bas,les deux croixse superposent.Les couleurs fusionnessont en comptition,formant des tachesinstables. Certainespersonnes peuventavoir ainsi un aperu du vert-rougetreinterdit. Cependant,on obtient de meilleursrsultats en utilisantdes images de mmeluminance et en lesstabilisant sur la rtine.

    5_Ess_012_pxxx_couleurs_billock_ben.qxp 15/10/12 17:30 Page 26

  • anneaux concentriques se superpose aux ailesde moulin vent, et inversement.

    Ces rsultats seraient la consquence duneopposition perceptive. Imaginez que vousvoyiez un flash intense de lumire rouge. Uneimage rmanente de la couleur oppose (iciverte) persiste aprs le flash. Si le systme visueltraite les ailes de moulin vent et les cerclescomme des formes gomtriques opposes, lemotif de MacKay pourrait rsulter dimagesgomtriques rmanentes qui persistent pen-dant les instants dobscurit entre les flashs.

    Oppositions perceptives

    Ce type dillusion a un quivalent en cou-leurs : une zone rouge peut faire paratre ver-dtre une zone adjacente grise. Dans des condi-tions adquates tel le systme clignotant ,une figure gomtrique fait apparatre la formeoppose dans la zone vide adjacente. En dau-tres termes, lillusion de MacKay implique uneopposition gomtrique spare dans le temps(les ailes de moulin vent et les cercles sont

    prsents des instants distincts), tandis quenotre effet est une opposition gomtriquespare dans lespace (les ailes et les cerclesapparaissent dans des zones adjacentes).

    Les couleurs interdites et ces illusions go-mtriques prcisent la nature de loppositionperceptive. Les couleurs interdites rvlent quelopposition des couleurs nest pas aussi rigideque le pensaient les psychologues. Et notremodle de comptition permet de mieux com-prendre comment le cerveau traite ces couleurs.

    Quant aux expriences qui stabilisent les illu-sions gomtriques, elles rvlent des similitu-des avec les phnomnes impliquant les cou-leurs. La nature neuronale des oppositionsgomtriques est de ce point de vue intres-sante. Les motifs opposs laissent penser quedes bandes perpendiculaires de neurones sontactives dans le cortex visuel. Cette caractris-tique pourrait-elle tre un indice de la faondont le cblage neuronal produit les opposi-tions ? En trouvant de nouveaux moyens dtu-dier et de piger le systme visuel, on pourrapeut-tre rpondre cette question.

    LEssentiel n 12 novembre 2012- janvier 2013 27

    Illusions sous contrle

    S i vous avez dj roul, les yeux ferms, sur une route borde darbres, vousavez peut-tre peru une alternance rapide de lumire et dobscurit. Ce cli-gnotement provoque souvent des illusions visuelles fugaces comprenant des figu-res gomtriques, tels des cercles concentriques,des spirales ou des ailes de mou-lin vent. Ltude des mcanismes crbraux luvre dans ces illusions seraitfacilite si les chercheurs pouvaient les stabiliser et contrler les figures perues.

    De nombreux motifs gomtriquesactivent des bandes de neurones dans le cortexvisuel primaire. Des motifs en forme dailesde moulin vent activent des bandeshorizontales de neurones (a). Des cerclesconcentriques activent des bandes verticales (c)et des formes en spirale activent des bandesinclines (b et d). On suppose que les illusionsgomtriques se produisent quanddes clignotements stimulent le cortex visuel

    primaire. Les activations rsultantes sauto-organiseraient en motifs rays.

    Pour contrler lillusion visuelleprovoque par des clignotements, les auteurs

    ont montr des sujets de petites figuresnoires et fait clignoter la lumire tout autour.

    Les sujets ont peru des cerclesconcentriques gris autour dailes de moulin

    vent (e), et des ailes de moulin ventqui tournaient autour de cercles

    concentriques (f). Des illusions similairesapparaissent quand la zone vide clignotante

    est au centre. Les cercles et les ailesde moulin vent se comporteraient

    comme des figures opposes.

    Blen

    d Im

    ages

    / S

    hutte

    rstoc

    k.com

    Cortex gauche

    Cortex droit

    Mo

    tifo

    bse

    rv

    Rac

    tion

    du

    cer

    veau

    Cortexvisuel

    primaire

    a b c d

    e f

    G. R

    etsek

    C. W

    ilson

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  • Susana Martinez-Conde etStephen Mackniktravaillent lInstitutneurologiqueBarrow de Phoenix,dans lArizona,aux tats-Unis.

    Les illusions visuelles

    Illusions croquerLe cerveau prend parfois des uvres dart culinaires

    pour diffrents objets, personnages ou animaux.

    Vous arrive-t-il dtre impres-sionn par de la nourritureplus vraie que nature ? Parexemple, les hamburgers autofu, les btonnets de surimi

    ou certains plats de grands chefs nont rien voir avec limage quils donnent.

    En fait, ce stratagme est vieux comme lemonde. Pendant le carme au Moyen ge,on cuisait le poisson pour quil ressemble

    du chevreuil, et les banquets de fte avaientau me