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CENTRE NATIONAL D'ART ET DE CULTURE GEORGES POMPIDOU Musée national d'art moderne Bibliothèque publique d'information 75191 - Paris Cédex 04 Tél . 277 .12 .33 Ouvert tous les jours Sauf le mardi de 12 h à 22 h le samedi et le dimanche de 10 h à 22 h PAUL ELUARD et ses amis peintres 4 novembre 1982 - 18 janvier 1983 Le parcours de l'exposition Paul Eluard et ses amis peintres réunit en un déroulement parallèle chronologique et thématique les témoi- gnages de la vie et de l'oeuvre du poète (manuscrits, documents, livres illustrant notamment ses collaborations avéc les peintres) et les oeuvres d'art qui comptèrent pour lui et qui proviennent pour une bonne part de ses collections aujourd'hui dispersées . C'est à travers un grand nombre de pièces majeures, la vision de Paul Eluard sur l'art moderne qui nous est ainsi proposée . Regard d'un poète que les visiteurs de l'exposition pourront aussi retrouver ou découvrir à travers sa voix ou dans ses écrits . On notera dans ce parcours des oeuvres ou des documents particulièrement précieux : CUBISME : - Sept oeuvres de Picasso parmi lesquelles le frontispice d'"Alcools" d'Apollinaire, "L'Homme à la mandoline" (1911) du Musée Picasso et l'étonnante "Nature morte" en relief ("Verre,fromage, couteau", 1914) de la Tate Gallery de Londres. - Deux peintures de Juan Gris (1911 et 1914) et un assem- blage d'Henri Laurens . DADAISME : - Plusieurs reliefs de Jean Arp réalisés entre 1916 et 1926. - Des oeuvres de Man Ray, Picabia et Schwitters. - Un ensemble exceptionnel de collages et de peintures dadaïstes de Max Ernst parmi lesquels "Aquis Submersus" (1919, Musée de Francfort), "Katharina Ondulata" (1920, collection particulière), "Oedipus Rex" (1922, collection particulière), "La Femme chancelante" (1923, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen Dusseldorf), "Piéta ou la Révolution la nuit" (1923, Tate Gallery, Londres). CNAC ec . ° j POMPIDOU Service des Archives /

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CENTRE NATIONAL D'ART ET DE CULTURE GEORGES POMPIDOU

Musée national d'art moderne

Bibliothèque publique d'information

75191 - Paris Cédex 04

Tél . 277 .12 .33

Ouvert tous les joursSauf le mardi

de 12 h à 22 hle samedi et le dimanchede 10 h à 22 h

PAUL ELUARD et ses amis peintres

4 novembre 1982 - 18 janvier 1983

Le parcours de l'exposition Paul Eluard et ses amis peintres réuniten un déroulement parallèle chronologique et thématique les témoi-gnages de la vie et de l'oeuvre du poète (manuscrits, documents,livres illustrant notamment ses collaborations avéc les peintres)et les oeuvres d'art qui comptèrent pour lui et qui proviennentpour une bonne part de ses collections aujourd'hui dispersées . C'està travers un grand nombre de pièces majeures, la vision de PaulEluard sur l'art moderne qui nous est ainsi proposée . Regard d'unpoète que les visiteurs de l'exposition pourront aussi retrouverou découvrir à travers sa voix ou dans ses écrits . On notera dansce parcours des oeuvres ou des documents particulièrement précieux :

CUBISME : - Sept oeuvres de Picasso parmi lesquelles le frontispiced'"Alcools" d'Apollinaire, "L'Homme à la mandoline" (1911) du MuséePicasso et l'étonnante "Nature morte" en relief ("Verre,fromage,couteau", 1914) de la Tate Gallery de Londres.

- Deux peintures de Juan Gris

(1911 et 1914) et un assem-blage d'Henri Laurens .

DADAISME : - Plusieurs reliefs de Jean Arp réalisés entre 1916 et 1926.

- Des oeuvres de Man Ray, Picabia et Schwitters.

- Un ensemble exceptionnel de collages et de peinturesdadaïstes de Max Ernst parmi lesquels "Aquis Submersus" (1919, Muséede Francfort), "Katharina Ondulata" (1920, collection particulière),"Oedipus Rex" (1922, collection particulière), "La Femme chancelante"(1923, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen

Dusseldorf), "Piéta oula Révolution la nuit" (1923, Tate Gallery, Londres).

CNAC ec. ° j POMPIDOU

Service des Archives

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SURREALISME : - Après une évocation de l ' attachement de Paul Eluardpour l'oeuvre de Klee et de De Chirico

"Mannequin métaphysique" (1913,collection S . Janis, New York),l'exposition présente un ensemble rared'oeuvres de Miro "Tête de fumeur" (1925, collection particulière),"L'addition" 1, collection particulière) ; de Masson

"Tombe dansla forêt" (1924, Musée de Grenoble) ; de Magritte

"Le temps menaçant"(1929) et "Les amants" (1928, collection particulière) ; de Dali

"L'Anepourri" (1928)et "Colombe" (1930 ,collection particulière) ; de Tanguy"Le questionnant"(1937, Hirschhorn Museum, Washington) et de Giacometti.

- Plusieurs peintures de Max Ernst réalisées entre1926 et 1929 "La Forêt" (1923, Philadelphia Museum of Art),"Portraitde Gala " (1924, collection particulière),"La Vierge corrigeant l'enfantJésus" (1926,collection particulière).

- Plusieurs peintures de Max Ernst provenant de la maisonde Paul Eluard à Eaubonne.

- Un ensemble d'objets surréalistes.

- Des oeuvres rappelant la diffusion internationale desgrandes expositions du Surréalisme (Toyen, Styrsky, Dominguez, Paalen,Penrose, Jennings, Magritte, Delvaux, Bellmer, Man Ray, L . Fini,etc . . .).

- Un ensemble de documents, livres et peintures concernantla collaboration de Paul Eluard et de Valentine Hugo.

OBJETS PRIMITIFS : -

Plusieurs vitrines rappellent que Paul Eluardfut un excellent connaisseur et un collectionneur passionné d'objetsafricains et océaniens . On remarquera notamment un . superbe masqueBambara, un "Homme-singe" du Bénin, une "Tête" Maori, et un extraor-dinaire crâne de sorcier du pays Pahouin (Congo).

PICASSO : - L'admiration et l'amitié de Paul Eluard pour Picassoest évoquée en premier lieu par une magnifique série de portraits deNusch Eluard, puis, pendant l'occupation par plusieurs peintures ayantappartenu à Paul Eluard et par le plâtre original de "L'homme aumouton".

VOIR : -

Pendant l'occupation Paul Eluard s'attache à d'autres peintresparmi lesquels Jacques Villon, Balthus, André Beaudin, Jean Fautrier,Raoul Ubac, Chagall et Jean Dubuffet auquel, le premier, il consacreun poème

"La rue" (1943, collection particulière) . Ces artistes setrouvent réunis aux précédents dans l'album et l'exposition Voir (1948)qui est ici presque entièrement reconstituée à la fin du parcours del ' exposition.

DOCUMENTS LITTERAIRES : - S'il est impossible de décrire le foisonnementdu parcours littéraire de l'exposition, notons néanmoins quelques piècesparticulièrement importantes :

- "Le Devoir et l'inquiétude" (1917), calligraphiepar Gala (collection particulière).

- "Cinéma parfait (les conséquences des rêves)",manuscrit (Bibi . Litt . J . Doucet) .

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- "Les Animaux et leurs hommes",dédicacé à A . Breton(collection particulière).

- "Au Défaut du silence " , manuscrit dédicacé par Gala à Aragon(collection particulière).

- Max Ernst, "Ernst et Eluard sous le même chapeau"(Bibi . Litt . J . Doucet).

- "Capitale de la douleur " (1926), reliure de P . Bonet (Musée deSaint-Denis).

- "L'Immaculée conception" (1930), manuscrit de P . Eluard et A.Breton (Musée Picasso).

- Lettre de S . Dali à P . Eluard à propos de l'évolution du Surréalisme(Musée Saint-Denis).

- Albums de cartes postales "1900" ou érotiques, ayant appartenuà P . Eluard (collection particulière).

- "Facile", reliure de G . Hugnet avec une mèche de cheveux deNusch (collection particulière).

- "La Barre d'appui" (1936) avec gravure de Picasso (Bibi . Litt .J .Doucet).

- "La Victoire de Guernica", manuscrit (Musée de Saint-Denis).

- "A Pablo Picasso, Mougins, 1938", manuscrit (collection particulière).

- "Donner à voir" (1939), manuscrit (Musée Picasso).

- H . Bellmer, "Die Puppe", recueil de documents, manuscrits reliéspar G . Hugnet (collection particulière).

- Divers poèmes du "Livre ouvert" (1941) enluminés par Picasso(collection particulière).

- "Poésie et vérité"(1942)orné de gouaches Rorschach par P .Eluard(collection particulière).

- Dessins de G . Vulliamy pour "Souvenir de la maison des fous"(1945) (Musée de Saint-Denis).

- M . Chagall, dessins utilisés dans "Le Dur Désir de Durer" (1946).

- Manuscrit pour "Le Temps déborde" (1947,

collection particulière) .

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- Manuscrit relatif à la publication de "Voir" (1948,collection particulière).

- Manuscrit de Poésie ininterrompue II (1952 ,collectionparticulière).

Exposition réalisée par le Musée national d'art moderne et laBibliothèque publique d'information.

SERVICE DE PRESSE/MNAM

SERVICE DE PRESSE/BPI

Postes 46.60 - 47 .13

Poste 44 .49

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Parcours naturelpar Germain Viatte

Paul Eluard, poète d'images . Sur la « vitre claire »dont il rêve, toujours les reflets du voir . Je t'appeleraiVisuelle/Et multiplierai ton image ' . Les images inspirentle poète, il peut les provoquer, il en éprouve laprofonde ambiguïté . Au cours de sa vie il lesreconnaît toujours actives, libres, espérances d'une« fête nouvelle » . Très tôt, dès cette exceptionnelleentente avec Max Ernst, Eluard sait qu'« il n'y ajamais de modèle pour qui cherche ce qu'il n'a jamaisvu » et que la collaboration entre peintres et poètesne peut résulter que d'une liberté réciproque où labeauté va naître d'une « ressemblance involontaire ».Mais vite aussi il en appelle à l'impulsion inspiratricedu poète et du peintre, à leur vocation communed'« éléments moteurs » pour réclamer bientôt leursolidarité dans la communauté des hommes . Avecpassion Eluard rejoint Breton, s'associe au surréa-lisme, à ses explorations et à ses entreprises . Mais ilapparaît plus homme de conciliation que prophèted'excommunication. S'il s'agite, signe, organise desmanifestations internationales, son angélismeanxieux s'applique tôt à dégager l'évidence poétiquedans la simplicité et la transparence . De santédélicate, souvent couché et souffrant, Eluard attendbeaucoup des rêveries de l'imagination . Il ne peutvivre sans les signes, autour de lui, des artistes qu'ilaime. Curieux, il a le génie de la découverte et leplaisir de la trouvaille, s'arrête devant la piècemaîtresse comme devant « les trésors de rien dutout ». Il aime engranger mais il ne craint pas de sedéfaire. Question de liberté mais aussi de survie.Certains des plus merveilleux tableaux de ce sièclepasseront ainsi entre ses mains : Braque, De Chirico,Max Ernst, Gris, Mirô, Tanguy, Picasso : exemplesmarquants d'un regard clairvoyant qui sait précéderl'accord unanime et s'appuie sur la connivenceprofonde d'une quête partagée . Mais ce grand choixque nous avons tenté de rassembler s'accompagne debien d'autres témoignages, souvent secrets mais plusrévélateurs peut-être : dessins, photographies, objets,écrits se trouvent ainsi portés par les échangesfervents de la vie . Ils nous proposent les figures unpeu palies de tant d 'actions communes, d'adhésionset de refus, d'enthousiasmes, de passions, de doutesaussi . Le livre est, bien sûr, le lieu privilégié de cepartage de l ' imaginaire, qui conjugue la fragilité et ladurée, engage l'attention, résulte d'une démarche

commune où peintres et poètes peuvent parfaitements'accorder . La réussite naît ici du rapport juste . Nonpas d'une surenchère de procédés opposés mais d'unesubtile correspondance où souvent le poète s'inclinepour accompagner et soutenir le peintre qu ' il admire.Dans les meilleurs des cas, une seule phrase à deuxvoix. Ainsi en est-il depuis Répétitions (1922)jusqu 'aux proses qui dialoguent avec les photogra-phies de Michel Sima dans Picasso à Antibes (1948).Eluard affectionne les fragments qui, assemblés,constituent une mémoire . Lui qui excelle dans le versunique il cisèle avec les peintres les blasons del'amour et du monde . Ses plus belles trouvailles sontles plus brèves.

Paul Eluard appartient aussi à cette communautésecrète des bibliophiles qui vouent une passion aulivre et aiment établir la singularité d'un ouvrage par

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le recueil de ses atours, manuscrits et documentsrares, et dans l'habit précieux choisi par le relieur.Il partage l'attrait des surréalistes pour la révélationprésente dans le plus éphémère document ou la plusmodeste plaquette . Le livre reste le support privilégiéde l'échange . La dédicace vient ici clore dansl'offrande toute une démarche . Eluard excelle dansces signes qui sont appels ou rappels d 'un don ferventde soi, l'expression insistante d'une bonté qui émeutencore ceux qui eurent le privilège de son amitié . Letravail du livre effectué en commun ou par une sorted'aller et retour dans l'illustration réciproque refuse lecloisonnement, atteste l'équivalence . Giorgio deChirico, Max Ernst, Pablo Picasso, Salvador Dalf,également poètes, apparaissent bien aussi comme telssous la plume d'Eluard . Dans la connivence ou laconvivialité ils seront présents depuis les originesd'une oeuvre jusqu'à cet abandon du poète à lacommunauté qui paraît parfois, après les désarrois quelui impose l'existence, comme l'expression aussi d'undoute tragique.

Il ne peut s'agir dans une exposition telle que celle-cide faire oeuvre d'historien, mais de restituer autantque possible un parcours visuel, le parcours natureld'un poète en son temps avec les peintres . Relationouverte, constant face à face, qui peut s'exprimerdans les lieux de l'existence, par les rappels del'action. et les témoignages de collaboration . Noussouhaitions, avec l'aimant est proche sans doute de MaxErnst développé pour quelques semaines à ladimension d'un paysage, introduire d'emblée cetteapproche sous le signe de l'écriture et de l'enchaîne-ment « automatique » d'un poème visuel . De mêmeque la fleur qui marche ou l'agrandissement monumen-tal de Liberté de Fernand Léger concluent le parcourssur d'autres usages de la poésie . La confrontationcontinue de la peinture et de la littérature s'effectuedans un « passage » comme ceux que les surréalistesaimaient, où sont évoqués sans fausse reconstitutionles lieux et les signes du quotidien de Paul Eluardpendant l'entre-deux-guerres . Après l'éclosion d'unepersonnalité, on y trouve les premiers écrits et lespremiers choix, la révolte dadaïste, l'entente privilé-giée avec Max Ernst et l'univers enchanté d'Eau-bonne . On y rappelle l'active participation aumouvement surréaliste et l'organisation commune de

manifestations dans toute l'Europe, la fascinationpartagée pour les arts sauvages et populaires . On yrencontre Gala et Nusch, Man Ray et Picasso . On yretrouve la contradiction douce-amère des vacancesde l'amour à la veille de la guerre et des solidaritésaffirmées dans la montée des périls . Ce cheminements ' interrompt après une séquence où se dévisagent lesamis d'alors, dans un espace central, rappel symboli-que de ce café Certà où tant d'idées neuves furentéchangées. Lieu de rupture — correspondant pourl'histoire à celle de la guerre — lieu de lecture etd'écoute où un audiovisuel sur le double thème de« monde ébloui — monde étourdi » alterne avec laprésentation du Guernica d'Alain Resnais.

C'est un autre Eluard qui va naître pendant lesactions clandestines de l'Occupation . Encore souf-frant, « fraternellement seul, fraternellement libre »,le poète va conjurer « la nuit le froid et la solitude » etrejoindre définitivement le parti communiste françaisalors dans l'illégalité . C'est un temps d'amitiés forteset aussi d'adhésion à l'oeuvre d'autres peintres telsqu'André Beaudin, Jacques Villon ou Raoul Ubac.

. Depuis l'anthologie de Poésie involontaire et poésietraditionnelle jusqu'aux Quelques mots rassembléspour Monsieur Dubuffet sans oublier la découverted'Auguste Forestier à l'hôpital psychiatrique de Saint-Alban, Eluard manifeste une attention à « La vie detous les hommes » qui rejoint, solidarité sociale mis àpart, celle que le fondateur de la compagnie de l'artbrut attachera à l'« homme du commun » . Rappel descongrès de la paix auxquels ils participèrent ensem-ble, le « visage de la Paix » qui unit Eluard et Picassodans le même envol ouvre à des images universellesrépétées et agrandies à l'infini . Le désespoir qui suit ledisparition de Nusch s'apaise à nouveau dans l'amouravec les accents du Temps déborde et de Corpsmémorable (1947) puis du recueil Le Phénix (1951)où une dernière passion lui restitue « une perpétuelleenfance » . Paru en 1948, l'album Voir 2 , qui donnelieu à une petite exposition en partie reconstituée ici,rassemble ceux qui furent pour Eluard les compa-gnons privilégiés du regard, le rappel de sa fidélité.

Germain Viatte

1. A toute épreuve, Paris, Ed . Surréalistes, 1930.

2. Voir, Genève, Ed . des Trois Collines, 1948 .

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Peindre délivrepar Jean-Charles Gateau

Rendre hommage à Paul Eluard pour le trentièmeanniversaire de sa mort, par le moyen d'uneexposition de peinture, n'a rien d'un artifice ni d'unfourvoiement. C'est au contraire se placer d'embléeau coeur du royaume, là où le poète souhaitait nousattirer : à l'intérieur de la vue.

Aucun poète de ce siècle et je pèse mes mots, n'a eucomme Eluard l'amour de la peinture . Dans l'angoissedouce de voir le jamais vu surgir du néant, lajubilation du partage et l'émulation créatrice, Eluardse tint toujours au plus près de l'oeil et de la main.Peindre était à ses yeux l'activité exemplaire parexcellence, la plus noble de toutes ; il n'entrepritjamais de théoriser longuement, de discourir sur lapeinture. Son ambition fut de parler avec elle, dans lagrande fraternité des inventeurs.

Son admirable disponibilité dans ce domaine vient enpartie de ce que, comme le dit une boutade deDiderot, « n'ayant rien appris, il n'avait rien àdésapprendre ». Sa famille, modeste et parvenue,n'appartenait pas à cette catégorie sociale queBourdieu nomme les « héritiers » . Elle ne lui inculquaaucun préjugé, parce qu 'elle ne lui inculqua aucunjugement esthétique. Ecolier du primaire supérieur,reclus en sanatorium, autodidacte et bibliophile, puisinfirmier sans grade, Eluard parvint à la vie civile et àla vie adulte en 1919, le regard vierge et l'espritavide. Dans cette aube retardée, la peinture déjà faitene l' intéressait que médiocrement, à part, peut-êtreet par affinités spontanées, celle de Poussin . Lesimages toutes faites ont ceci de triste qu'elles sedésamorcent, qu'elles sont guettées par le recense-ment patrimonial et le regard usé des promeneurs demusée: Eluard choisit toujours le côté des images àfaire, le désordre des ateliers, l'odeur d'essence et devernis, la peinture fraîche.

Néophyte un peu « provincial » à cause de son exilmédical en Suisse et de ses pérégrinations militaires,Eluard rattrape rapidement le temps perdu, s'initie,sous l'égide de Paulhan et d'Ozenfant, aux arcanes del'art moderne, assimile la grande révolution picturaledu cubisme et les critères apollinariens d'autonomiede l'oeuvre d'art . II demande des illustrations à Lhotepour Les Animaux et leurs hommes, achète unautoportrait de Derain et des toiles de Braque, Gris etPicasso aux ventes Kahnweiler, commence une

collection . Toute sa vie, il sera un collectionneurpassionné, mais sans avarice et sans fétichisme,improvisant, recevant et donnant, échangeant,achetant et vendant, ne thésaurisant jamais, gaspil-lant parfois, généreux avec ses amis, prélevant sur lesamateurs fortunés une dîme qui l'aidait à vivre —mais les vrais bénéficiaires sont ceux qui lui ontacheté !

Cependant pour le cénacle qui se réunissait vers 1920autour de Breton, Tzara, Aragon, Soupault et Eluard,le cubisme était déjà suspect : ne devenait-il pas uneconvention comme une autre, tentée de se compro-mettre avec le marché de l'art, le carriérisme, ou àtout le moins de s'assagir et de composer avec latradition rationaliste du classicisme français ? Si

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Jean-Charles Gateau

c'était pour substituer aux pommes et aux compotiersde Cézanne, pensaient les jeunes Dada, des compo-tiers et des pommes géométriques, même agrémentésde guitares, on ne sortait pas du conformismedécoratif à usage bourgeois que l'on voulait détruire.Breton et Aragon préservent leur admiration pourPicasso — le peintre Bleu d'Anicet - mais au prix dequelques restrictions mentales (provisoires) et dequelque humeur devant l'ingrisme et les balletsmondains . Eluard ne partage sans doute pas la ragenihiliste de ses amis : à l'enquête de Littérature sur lesmétiers préférés, il répond : peintre . Considérer lapeinture comme un métier fait certainement figured'hérésie dans le groupe ! Mais il participe à toutesles manifestations provocantes de Dada . Il n'estpas pour autant comblé par les plasticiens que legroupe soutient . Il acquiert La Mariée de MarcelDuchamp, mais ne la conservera pas longtemps. Iljoint à sa collection des oeuvres de Picabia, de Arp,de Man Ray . Mais, en réalité, ni l'humour subversifet ésotérique de Duchamp, ni les dérisions provo-cantes de Picabia, ni les flirts avec la non-figurationne le transportent . La subversion, l'abstraction, c'estutile, c'est nécessaire, ce n'est pas enthousiasmant.L'art visionnaire dont Eluard rêve, il va le rencontrerchez Giorgio de Chirico et bientôt chez Max Ernst.

Dès la première rencontre, les paysages oniriques etles inquiétants androïdes de De Chirico ont fascinéEluard. Il en acquiert auprès de Paul Guillaume et parl'entremise d 'Ungaretti . A la fin de 1923, il se rend àRome pour rencontrer le peintre et compléter sacollection, qui compta près d'une vingtaine des plusbeaux De Chirico . Ces toiles étaient pour lui desfenêtres ouvertes sur « le cerveau de l'enfant », unsésame pour régresser vers un monde antérieur aulangage et à l'Oedipe, vers les mères géantes eténigmatiques, vers le temps sacré des origines . Onsait que les surréalistes ont stigmatisé l'oeuvreultérieure de De Chirico — dominée par la mêmeinterrogation anxieuse sur l ' identité, mais adultéréepar les scrupules techniques et l 'obsession culturelle.

Max Ernst, peintures murales de la maison d 'Eaubonne avantrestauration, 1967 .

Eluard, fidèle à ses impressions premières, fera en1937 le plus bel éloge de De Chirico en le comparantà Nerval . la même énigme, la même mer inexplorable,la même place dépeuplée, les mêmes fruits sacrés d'unepassion secrète . ..

C'est toutefois auprès de Max Ernst, son aîné dequelques années, qu'Eluard trouve un guide sur leschemins de la voyance . Le groupe Dada exposa lesoeuvres du peintre rhénan au Sans-Pareil en mai1921 ; Eluard se rendit à Cologne pour le rencontreren novembre 1921, l'attira à Paris à la fin de l'été1922, passa en étroite communion avec lui les années1922, 1923 et 1924, parmi les orages passionnels etles complications dostoïevskiennes qu'attisait l'attraitréciproque de Gala et de Max. De cette exaltationpartagée naquirent des recueils communs : Répéti-tions, Les Malheurs des immortels, Au défaut du silence.Il y eut pour Eluard un « Evangile selon saint Max » :explorer toutes les ressources de l'imaginaire, del 'onirisme, de l ' inconscient, du délire, affronter levertige et la folie dans d' inquiétantes illuminations-hallucinations dont témoignent Mourir de ne pasmourir, Capitale de la douleur, Les Dessous d'une vie,L ' Amour la poésie :

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Peindre délivre

Le loup-corail séduit l'épine-chevalière

Toutes les chevelures des îlesRecouvrent des grappes d'oiseau

La fraise-rossignol chante son sang qui fume.

Eluard fit décorer par Max sa villa d'Eaubonne, etposséda plus de cinquante toiles de Ernst, dont il futdans ces années presque le seul client . Si l'intimité sedénoua par la suite, la symbiose, l'osmose entre lesdeux hommes fut telle qu'il en résulta pour toujoursun fonds commun de la mémoire et de l'imaginairequi imprègne toutes les oeuvres ultérieures : . . . desfrondaisons de charme / Des broderies de chair des fuséesde mouvement.

A la fin de 1924, au moment même où Eluardrevenait de son « voyage idiot » autour du monde, etreprenait sans mot dire sa place aux réunions du caféCertà, le surréalisme, après des années de gestation,se manifestait comme tel . Très vite la viabilité d'unepeinture surréaliste s ' imposa, malgré les aporiessoulevées par Max Morise et Pierre Naville . Attentifautant qu'André Breton à la naissance de cettepeinture, Eluard en propose un véritable « muséeimaginaire » dans Capitale de la douleur en 1926. Auxpoèmes déjà écrits sur Arp, De Chirico et Ernst, vien-nent s'ajouter de nouveaux hommages, à Ernstderechef, à Picasso et Braque, à Klee, à Masson et àMir6.

Conquérant de la liberté, Picasso se voit louer pourson émancipation à l 'égard de la perspectiveacadémique et des canons de la Renaissance :Si nous l'abandonnons, l'horizon a des ailesEt nos regards au loin dissipent les erreurs.

Braque, malgré les réserves de Breton, reçoit sa partd'éloge pour avoir dit et prouvé qu'il travaillait nonpas d'après la Nature mais avec elle, qu'il en épousaitla dynamique créatrice : Un homme aux yeux légersdécrit le ciel d'amour. / Il en rassemble les merveilles /Comme des feuilles dans un bois, / Comme des oiseauxdans leurs ailes / Et des hommes dans le sommeil.

En Klee, Eluard reconnaît l'alternance de jubilationenfantine et de solitude tragique qui éclaire ouassombrit le monde intérieur des amoureux . AndréMasson lui apparaît comme le peintre de la« génération perdue », des Gilles et des Aurélien,incapables de se remettre du grand massacre de 1914-1918; cherchant l'oubli dans le jeu et l'alcool, sauvés

parfois par une dévotion panique à la Femme, déessetoute-puissante qui ourle La guirlande d'un corpsautour de sa splendeur.

La démarche de Mir6 est peut-être la plus exemplaireaux yeux d 'Eluard, puisque le Catalan va jusqu'à fairetable rase de toute figuration dans une toile commePeinture, de 1925, simple expansion nébuleuse de lacouleur bleue, avant de peupler un monde rénové desa calligraphie du bonheur, dans Naissance du monde(été 1925) : A la fin, pour se couvrir d'une aube / Ilfaudra que le ciel soit aussi pur que la nuit.

Au fil des recueils qui suivront Capitale de la douleur,

Eluard saluera les nouveaux venus à la peinturesurréaliste . Parisien d'adoption, le Breton Tanguybalise de signes osseux des Finistères de marée basseaux franges du sommeil, de grandes landes glacialesoù Eluard reconnaît la solitude du coeur : Du bout dumonde au crépuscule d'aujourd'hui / Rien ne résite à mesimages désolées.

Max Ernst, lithographie pour Chanson complète, 1939.

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Jean-Charles Gateau

Dali, hableur cosmopolite, démontre — avec inno-cence ou roublardise, qu'importe ? — la singularité denos associations mentales, et proclame le droitinaliénable pour chacun d'exhiber ses fantasmes pourles partager . Dans un long poème, Eluard mime savolubilité inventive : C'est en lissant les grainesimperceptibles des désirs / Que l'aiguille s'arrêtecomplaisamment / Sur la dernière minute de l'araignée etdu pavot / Sur la céramique de l'iris et du point desuspension . Encore en 1938, quand l 'amoralitépolitique de Dali scandalisera ses amis, Eluard écrira àRoland Penrose : Ce que fait Dali m'est par ailleursprécieux, utile . Et sera utile à tous les hommes. Il y aencore les Belges et les Anglais . Magritte, dontEluard entreprend de récrire « au bien » les mystèresinquiets : Marches de l'ail / A travers les barreaux desformes . Delvaux, dont les vierges nubiles semblentvouées, par quelque fatale incommunicabilité dessexes, à ne jamais rencontrer l'amour, ce qui désole lepoète : Livrées à leur destin ne rien connaître qu'elles-mêmes. Penrose, qui réunit Yseut la blonde et lablonde Lee Miller dans des marines enchantées, etl'autre ami d'outre-Manche, Humphrey Jennings, àqui Eluard adresse un message d'espoir au soir deMunich :Le mouvement a des racines / L'immobile croît et fleurit.

Et enfin Léonor Fini, dont Eluard salue le féminismesensuel, préparant la fin du machisme odieux :Pères frères et amants / Du contenu de ces haillons /Vous n'aurez bientôt plus rien.

Eluard ne se contente pas d'épouser, avec uneintuition perspicace, les mondes intérieurs que luirévèlent les toiles de ses amis surréalistes . Dès sonadolescence, il fut un bibliophile enthousiaste,passionné par la collaboration de l'illustrateur et del'écrivain . Dénonçant l'illustration purement décora-tive et tristement redondante qui était de règle dansles éditions de luxe, il affirme avec force les droits del'invention contagieuse : le peintre est devant un poèmecomme le poète devant un tableau : il rêve, il imagine, ilcrée . Au lieu de répéter ce que dit le texte (et de figeren une seule image décevante la poésie qui est paressence polysémique), l'illustration doit « recouper »le poème (au sens psychanalytique), prolonger sonmouvement en s'en faisant la métaphore, et stimulerà son tour l ' imagination et l'inventivité du lecteur-

spectateur . Ainsi fonctionnent les illustrations dePicasso pour La Barre d ' appui, celles de Dali pourNuits partagées et d'Ernst pour Chanson complète.L ' illustration doit aussi être réversible, et plusieursrecueils, nés de la contemplation d ' images, illustrentces images par des mots . Sans parler d'un textecomme Les Malheurs des immortels de 1922 écrit encollaboration avec Max Ernst en regard des collagesdu peintre, il faut rappeler Les Mains libres de 1937,inspirées par 62 dessins de Man Ray, Jeux vagues lapoupée, qui brodent en 1939 sur 14 photographiescolorées de Hans Bellmer, A l ' intérieur de la vue de1948, sur des séries de collages oniriques de MaxErnst, et Perspectives, la même année, sur des gravuresd'Albert Flocon : On ne se trompe plus d'objet, puisquetout s'accorde, se lie, se fait valoir, se remplace.

Progressivement, Eluard s'est constitué une philoso-phie de l'art qui généralise par rapport à l 'empathieintuitive des poèmes et à la pratique spontanée del ' illustration réciproque. Cette théorie, plus esquisséeque développée, part d'une réflexion sur le fétiche etle fétichisme, se fonde sur les engouements ducollectionneur d'art africain et océanien, s'appuie surune bonne connaissance de l'oeuvre de Durkheim, deLévy-Bruhl et de Marcel Mauss, repensée à traversFeuerbach et Engels. Le sauvage s'aliène dans sapropre création, sacralise ses propres rêves dans lesDieux qu'il sculpte et peint . Il convient d'exorciser laterreur soumise du primitif, mais il faut sauvegarder laforce de l'imagination . A cet égard, pense Eluard, lapeinture. européenne depuis le Moyen Age estconsternante : elle est dominée d'abord par lesstéréotypes religieux, puis par les exigences de laraison civilisée et de la représentation objective : lespeintres se sont amputés de leur subjectivité et se sontastreints à copier, avec d'infimes variations indivi-duelles, soit des modèles canoniques (la « beautégrecque », les nativités et les crucifixions), soit uneréalité convenue et désensibilisée (les batailles et lespommes) . A cette étape, qui correspondrait àl'« esprit objectif » de la Triade hégélienne, succède,avec Picasso et les surréalistes, une démarche

Pablo Picasso, Têtes, huile sur papier monté sur toile, 1943,66 x 55 . Amsterdam, Stedelijk Museum .

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Jean-Charles Gateau

nouvelle qui libère les figurants de leur lien avec unfiguré particulier (tel épisode historique ou mythique,tel homme portraituré), voire même de leur confu-sion avec un référent particulier (le fétiche, l'idoleadorée en tant que telle) . La figure conquiert ainsi unstatut homologue à celui du signe : comme dans lalecture, chaque spectateur d'un tableau imagine, etmodifie ce qu'il voit en le réactivant . L'enseignementdu peintre est ainsi bien supérieur à celui duphilosophe, comme chez Schelling, dont procède, àtravers les romantiques allemands, l 'esthétique sur-réaliste . Immergé dans l'inconscient naturel, l'artisteest le point focal où la nature prend conscience deson unité et de son devenir . Il communique avec lesrègnes végétal et animal, et son oeuvre révèle etentrétient le dynamisme universel . On peut suivrel'élaboration de cette philosophie dans les diversarticles sur l'art sauvage, dans la conférence de 1936sur Picasso « Je parle de ce qui est bien », et dansl'article de 1937 sur Max Ernst « Au-delà de lapeinture » . Donner à voir est l'impérieuse missioncommune du peintre et du poète, pour gagnertoujours davantage leurs semblables à une connais-sance active du monde.

A partir de 1936, l'amitié avec Picasso dominel 'approche éluardienne de la peinture, et l'on peutparler désormais d'un « Evangile selon saint Pablo ».Certes, Eluard ne renie pas les prestiges de l'imagi-naire surréaliste . Mais le choc de la guerre d'Espagneet sa rupture avec Breton le rendent plus attentif auxmenaces de solipsisme onirique et de délectationélitaire qui pèsent sur les adeptes du « châteauétoilé » . Guernica atteste que Picasso sait mettre sonpinceau au service des dénonciations les plusnécessaires sans rien abdiquer de sa personnalité ni deson indépendance . Et surtout, sa rage iconoclasteparaît à Eluard plus efficace que les explorationssurréalistes des fantasmes de l'inconscient, parcequ'elle investit avec turbulence le champ entier de laculture et des mythes ainsi que le quotidien del'univers diurne et sensible, parce qu'elle déjoue toutblocage sur des formules maniéristes, parce qu'elletravaille sans relâche à une transformation révolu-tionnaire de la vision.

Dans le cadre des responsabilités morales et politiquesque le communiste Eluard s'assigne à partir de la

Résistance, son effort fut de « vulgariser » Picasso àtravers de multiples textes ; non pas d'en donner uneréduction châtrée et édifiante à l'usage des massesincultes, mais de persuader le peuple de l'exemplarité

du travail du peintre, « bon maître de la liberté » . Latâche ne lui fut certes pas facilitée par le raidissementdogmatique qui sévit dans son parti entre 1947 et1952, et qui amena certains artistes et intellectuels,par surenchère doctrinale, à subodorer dans tout cequi s'était peint depuis Courbet un relent depourriture bourgeoise . Le volontarisme forcené demilitants, croyant qu'il suffisait de décréter unenouvelle Renaissance humaniste pour qu'elle ad-vienne, confondant vérisme soviétique et réalisme,grandiloquence officielle et grandeur, suscita l'intolé-rance et le malaise et assombrit Eluard en le plaçantdans un difficile porte-à-faux . Le poète choisit de sebattre pour Picasso auprès des siens, et ne songea pasà rompre une solidarité qui lui semblait le devoir leplus urgent.

Jacques Villon, Le Scribe, 1949, huile sur toile, 92 X 75.Musée national d'art moderne, Paris .

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Peindre délivre

Ainsi Picasso fut la « pierre de touche » picturale desdernières années . Mais l'amoureux des images futtoujours disponible à celles qu'on lui proposait . Lesnomenclatures lui importaient peu, et il s'attachaavec la même ferveur à des artistes d'esprit cubistecomme Gris, Villon ou Beaudin, à des expression-nistes comme Chagall dont la lévitation amoureusele ravit, comme Roger Chastel, Cicero Dias et soncamarade Fernand Léger, et, aux alentours dusurréalisme, à Magritte et Delvaux derechef, àBalthus, Dominguez, Labisse et Vulliamy . Il salua àsa naissance le populisme bigarré et grinçant deDubuffet, où il voyait se perpétuer le mince fil de lapoésie impersonnelle et populaire, courant au longdes siècles à l'envers des productions académiqueslégitimées . Il fut, certes, franchement hostile à lanon-figuration qui explosa et envahit les cimaises aulendemain de la guerre : il la considérait comme uneabdication et une amputation . Mais il ne condamnaitpas l 'abstraction lyrique pour peu qu'elle fût« chaude » et allusive : quelques arabesques etgriffures verdâtres de Fautrier l'emmènent au jardind'Eden, quelques lignes rousses enchevêtrées d'Ubacl'entraînent dans les forêts automnales . Voir, en1948, récapitule ses amours et atteste son ouverture.

Au plus fort de la guerre froide, Eluard entreprendson Anthologie des écrits sur l'art restée inachevée,interrompue par la mort du poète . Répugnant àélaborer un discours théorique unique et suivi quiserait la source de contestations infinies avec lesmarxistes de stricte obédience, Eluard préfère, pourson « testament sur la peinture », signer ce qu'ilapprouve et le composer en mosaïque . Il obtient parces collages de citations un double effet d'unani-misme et de triangulation . Unanimisme quand lesdiverses citations, empruntées à une parole pluriellequi traverse les siècles, collaborent à produire un sensunique, d'allure collective ; triangulation quand ellesfournissent des repères historiques antithétiques oucomplémentaires, propres à engendrer une compré-hension dialectique en perspective. Engagé dans unelutte idéologique contre les formalistes néo-kantienset les champions de l'art non figuratif d'une part, lespromoteurs d'un réalisme socialiste de type jdanoviend'autre part, Eluard orchestre un concert qui rendéclatantes les évidences qui sont les siennes .

Ces évidences, peut-on les résumer en quelquesmots ? La première est que la peinture et la poésiemènent un même combat contre les pouvoirs quiveulent les régler . Pour les potentats politiques etéconomiques et leurs porte-parole dans le champ del'idéologie, il s'est toujours agi de patronner et derégir la production et la consommation d'oeuvresd'art . Tantôt, dans les régimes autoritaires, de les« instrumentaliser », de leur imposer une orthodoxieidéologique conforme aux systèmes de pensée envigueur et à leurs objectifs, tantôt, dans les régimes« libéraux », de les exiler dans un domaine clos etautonome — hédonisme toléré parce que spiritualisé,ludisme circonscrit, formalisme, individualisme —d'où serait exclue toute efficacité dans les domainesde la connaissance, de la communication sociale etde la transformation du monde . Contre ces réduc-tions castratrices, Eluard a toujours oeuvré, que cesoit dans les quelques proses critiques qu ' il a rédigées,dans les poèmes où il évoque conjointement etinséparablement le peintre, l 'acte de peindre et latoile peinte (le poète, la poésie et le poème), dans leséchos plus spécifiques donnés par tel texte à telleimage, à restituer à la peinture sa pleine dimensionhumaine . Il entreprend un triple déploiement de lapeinture : il l'érotise, il l'intellectualise, il lamoralise . Face à toute abstraction qui s'efforced'évacuer l'investissement libidinal dans l'image, faceà toute sublimation, Eluard réveille la sensualité,rétablit le lien avec le pulsionnel : Regard aux lèvresbaiser aux yeux.

Inversement, face aux purs sensualistes, Eluardintellectualise la perception de la peinture : voir c'estcomprendre, juger : mortifiant la routine, la vraiepeinture enseigne à substituer la parole individuelleaux clichés et aux normes en usage, à multiplier lesvisions qualitatives du monde : à vivre en poésie, àbannir les répétitions stérilisantes . Cette libérationn'a de valeur que si elle est contagieuse, si sonéthique s'étend à la communauté illimitée de tousceux qui ne sont pas définitivement sourds etaveugles ; elle ne prend son plein sens que dansl'expansion fraternelle de la liberté.

Jean-Charles Gateau

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ELUARD ET SES AMIS PEINTRES

Un catalogue est édité à l'occasion de cette exposition.

. format 21 x 30 cm

. comprenant 256 pages avec 270 reproductions en noiret blanc

A travers les textes de Paul Eluard et les témoignages de ceux quil'ont connu, cet ouvrage rend compte des relations privilégiéesentretenues par Eluard avec les artistes pendant près d'un demi-siècle . Textes de : Paul Eluard, Pierre Daix, Jean-Claude Gateau,Raymond Jean, Bernard Noël, Roland Penrose, Lucien Schefer, WernerSpies, Germain Viatte . Biographie et chronologie.

Il a été prévu un prix spécial pour les Membres de la Presse et cecatalogue pourra être retiré sur présentation de cette lettre etcontre paiement de la somme de 55 frs à la librairie du Centre (soitau rez de chaussée, soit au Sème étage, à l'entrée de l'exposition).

Pour les représentants de la presse non parisiens, ce cataloguepourra être adressé franco, contre paiement de la somme de 73 Frs.

Pour l'étranger, l'expédition sera faite franco contre le paiementde la somme de 62 Frs.

Prix public : 90 Frs.

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BON DE COMMANDE

Ce bon de commande valable pour un exemplaire du catalogue ELUARD,est à retourner, accompagné du règlement à : Centre Georges Pompidou

Service Commercial75191 PARIS CEDEX 04

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Chèque libellé à l'ordre de : Agent Comptable du Centre Georges Pompidou .

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et ses amis peintres4 novembre 1982 - 18 janvier 1983

~-~ Centre Georges Pompidou5e étage . Ouvert (sauf mardi) de 12h à 22h - samedi et dimanche de 10h à 22h

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Tout

commence par des images . ..L'histoire de l'amitié de Paul Huard avec

des peintres commence lorsque la guerrede 14-18 s'achève . Il rejoint alors larévolte dadaïste et sa présence auprès deMax Ernst . Man Ray, Flans Arp rappellecelle qu'Apollinaire avait eu auprès desartistes au moment du cubisme . Il se lieavec André Breton et participe au dévelop-pement du surréalisme (1924-1934) . Etroi-tement associé à la vie mouvementée dugroupe jusqu'à la veille de la guerre 39-45et sa rupture avec Breton, il rencontreDab, De Chirico, Giacometti, Magritte,Mire . . . Son amitié avec ces artistes adonné naissance à des lianes illustréspoèmes inspirés par des peintures ou desdessins, peintures inspirées par des poèmes.En outre, entre 1935 et 1938, il est avecBreton l'infatigable organisateur des exposi-tions surréalistes à Ténérite, Londres,Bruxelles et Paris.

Après 1936, c'est l'amitié avec Picassoqui coïncide avec un nouvel engagementpolitique . Cette amitié durera jusqu 'à la finde sa vie . Traversant avec lui les momentsde la guerre d'Espagne, celle de 39-45,l'après-guerre ils définissent un art engagéqui associe le quotidien, la vie amoureuseet la politique tout en préservant l'autono-mie de l'<euvre d'art Période aussi de lienavec de nouveaux peintres commeChagall, Dubuffet, Fautrier, Léger, Villon.Souvent arraché dans sa jeunesse à méditersur le po iv ir des images, Paul Eluardaptes la guerre s'adresse aux spectateurspour leur apprendra ù hoir.

Ces foisonnants échanges entre créa-teurs ont fait de Paul Eluard un collection-neur de peintures mais aussi de sculpturesd'art primitif et d'objets de curiosité .

L'Exposition :Si les premières grandes manifestations duCentre Pompidou, de Paris-New York àParis-Paris ont présenté l'art du xx`' siècledans l'histoire et selon le brassage des idéesqui s'est produit entre New York, Berlin,Moscou, et Paris, c'est aujourd'hui leregard d'un des plus grands poètes françaisqui permet d'interroger les rapports entrepeinture et poésie . Point de vue qui pourêtre plus intérieur n 'en permet pas moinsd'évoquer le contexte culturel et historiquede la première moitié du xx ` siècle enEurope . L ' exposition se propose de rassem-bler les importantes collections d'Eluardparmi lesquelles on compte certains desplus grands chefs-d'œuvre du siècle.

Conçue comme un double parcourschronologique elle évoque d'une part, lavie et l'oeuvre du poète, de l'autre,l'évolution de l'art dès le début de cesiècle . Une mise en scène de l'espacereconstitue d'une façon libre des élémentsde la vie quotidienne de l'époque : passagescouverts, café littéraire, galeries d'art,jardin public avec en librairie un choix desoeuvres du poète, et au coeur même del'exposition . dans une évocation du caféCertà, le public peut lire de nombreuxtextes d'Eluard et voir en permanence unprogramme audio-visuel Monde ébloui-Monde étourdi . Des animations, des ren-contres doivent restituer l'accord privilégiédu mot et de l'image et montrer l'actualitétoujours vivante de cet échange.

Le catalogue de 224 pages, abondammentillustr é, comprend des textes critiques etdes témoignages d'amis, un dictionnaireillustré des artistes, une chronologie et laliste des oeuvres exposées.

Centre Georges Pompidou