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CED 73, quai Auguste Deshaies - 94200 Ivry-sur-Seine Tél : 01 46 58 38 40 - Fax : 01 46 71 25 59 - Mail : [email protected] Diffuse bleu nuit éditeur, éditeur d‘ouvrages sur la musique Titre : WAGNER, Richard Auteur : Gérard Denizeau Collection : horizons Format : 14 x 20 Nombre de pages : 176 pages Prix TTC sur 4e de Couv. : 20 € Prix HT : 18,69 € (taux de TVA : 7%) Date de parution : Octobre 2012 ISBN 13 : 978-2-35884-020-0 Code-barre : 9782358840200 Couleur : N/B Illustrations : env. 50, ex. musicaux et tableaux Thème Dilicom : 2400 Rayon librairie : Beaux-Arts / Musique Résumé : Maître révolutionnaire de l’Opéra, le compositeur allemand Richard Wagner (1813-1883) est aussi considéré comme le père du Leitmotiv, la répétition d’un thème musical pro- pre à un personnage ou une situation. Traversant une période politiquement instable en Europe, il put finalement compter sur le soutien de Louis II de Bavière jusqu’à la fon- dation d’une salle de représentation révolutionnaire en son temps. Artiste complet soutenu par Liszt, il écrivit égale- ment les livrets de ses opéras, comme le cycle des Nibelungen en Tétratlogie, adapté des légendes alleman- des, et poussa son soucis de direction totale jusqu’à incri- re lui-même ses didascalies sur ses partitions. A sa mort d’une crise cardique à Venise, il laisse plus d’une centaine d’opus dont neuf opéras incontournables, ainsi que ses Wesendonck Lieder. Avec ce nouveau titre de la collection horizons, Gérard Denizeau propose une synthèse sur la vie et l’œuvre d’une figure musicale incontournable de l’Histoire de la musique, tout comme de son théâtre de prédilection, le Festpielhaus de Bayreuth, dans un ouvrage richement illustré et aux nombreuses annexes pratiques. L’auteur : Gérard Denizeau est l'auteur d'ouvrages sur les beaux-arts et la musique, dont Lurçat et Peindre la musique (Acatos), Musique & arts visuels et le Visuel et le sonore (Champion), Chagall et Corot (Cercle d'art). Chez Larousse, il a notamment publié les Genres musicaux (1998-2010), Le Guide de la musique (2005), Le dia- logue des arts (2008) et Les grands compositeurs (2010). Après sa biographie sur Rossini dans cette même collection et son essai sur Les Véristes, il signe ici une analyse originale et inédite sur le maestro ger- manique. Promotion : * 2013 : 200 e anniversaire de la naissance de Wagner * nombreux concerts et commémoration * article dans Opéra Magazine * sélectionné par arte 9 782358 840200

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CED73, quai Auguste Deshaies - 94200 Ivry-sur-Seine

Tél : 01 46 58 38 40 - Fax : 01 46 71 25 59 - Mail : [email protected]

Diffuse bleu nuit éditeur, éditeur d‘ouvrages sur la musique

Titre : WAGNER, RichardAuteur : Gérard DenizeauCollection : horizonsFormat : 14 x 20Nombre de pages : 176 pagesPrix TTC sur 4e de Couv. : 20 €Prix HT : 18,69 € (taux de TVA : 7%)

Date de parution : Octobre 2012ISBN 13 : 978-2-35884-020-0Code-barre : 9782358840200Couleur : N/BIllustrations : env. 50, ex. musicaux et tableauxThème Dilicom : 2400Rayon librairie : Beaux-Arts / Musique

Résumé :Maître révolutionnaire de l’Opéra, le compositeur allemandRichard Wagner (1813-1883) est aussi considéré commele père du Leitmotiv, la répétition d’un thème musical pro-pre à un personnage ou une situation. Traversant unepériode politiquement instable en Europe, il put finalementcompter sur le soutien de Louis II de Bavière jusqu’à la fon-dation d’une salle de représentation révolutionnaire en sontemps. Artiste complet soutenu par Liszt, il écrivit égale-ment les livrets de ses opéras, comme le cycle desNibelungen en Tétratlogie, adapté des légendes alleman-des, et poussa son soucis de direction totale jusqu’à incri-re lui-même ses didascalies sur ses partitions. A sa mortd’une crise cardique à Venise, il laisse plus d’une centained’opus dont neuf opéras incontournables, ainsi que sesWesendonck Lieder.

Avec ce nouveau titre de la collection horizons, GérardDenizeau propose une synthèse sur la vie et l’œuvred’une figure musicale incontournable de l’Histoire de lamusique, tout comme de son théâtre de prédilection, leFestpielhaus de Bayreuth, dans un ouvrage richementillustré et aux nombreuses annexes pratiques.

L’auteur :Gérard Denizeau est l'auteur d'ouvrages sur les beaux-arts et la musique, dont Lurçat et Peindre la musique(Acatos), Musique & arts visuels et le Visuel et le sonore (Champion), Chagall et Corot (Cercle d'art). ChezLarousse, il a notamment publié les Genres musicaux (1998-2010), Le Guide de la musique (2005), Le dia-logue des arts (2008) et Les grands compositeurs (2010). Après sa biographie sur Rossini dans cettemême collection et son essai sur Les Véristes, il signe ici une analyse originale et inédite sur le maestro ger-manique.

Promotion :* 2013 : 200e anniversaire de la naissance de Wagner* nombreux concerts et commémoration* article dans Opéra Magazine* sélectionné par arte

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Chapitre VIIGrandes espérances et tourmentssecrets, les Wesendonck-Lieder

Sans réel moyen de subsistance et contraint à un exilqu’il supporte de plus en plus mal, Richard est recueilli en1852 par Otto Wesendonck, un riche marchand de soie,signe qu’une fois encore, il a su forcer un destin contraire.À son bienfaiteur, notre musicien exprime sa reconnais-sance, selon l’usage immémorial, par la cour serrée qu’ilfait à sa femme ! Il faut dire que la belle et sensibleMathilde n’est insensible ni à la réputation grandissante ducompositeur ni à sa quête visionnaire d’un théâtre lyriqueaux accents purement germaniques, au moment où ilentreprend l’écriture de Tristan, en partie sous l’influencede la pensée de Schopenhauer. Elle-même se pique de poé-sie et fait parvenir divers poèmes de sa façon à Richard ;celui-ci en admire la facture – pour des raisons qui ne serésument probablement pas à son seul amour des bellesLettres – et les vêt d’une riche texture musicale, destinée àla voix et au piano, pour l’essentiel de novembre à mai1857. Ainsi naissent les Wesendonck-Lieder, l’un des plusbeaux recueils de lieder du XIXe siècle.

De Mathilde à Cosima

Otto Wesendonck offre généreusement à Richard etMinna, à partir d’avril 1857, la jouissance d’un charmanthabitat au nom prédestiné, “L’Asile”, installé sur les rivesdu lac de Zurich. Prévenant, le délicat mécène accompa-gne cette libéralité d’un soutien financier, en échange

L'Asyl, la maison que les Wesendonck mirent à la disposition de Wagner, aux abords de leur propriété.

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tant se retrouvent donc à Paris, juste avant le départ deBerlioz pour l’Allemagne. Il faudra cependant attendreencore deux ans pour que les deux compositeurs les plusnovateurs et les plus intransigeants de leur époque seretrouvent. Non pas à Paris, cette fois, mais à Londres, oùles réunit, en juin 1855, un programme de concerts qu’ilsdoivent chacun diriger. Berlioz assiste à un concert deWagner, lequel lui rend la politesse et les deux hommes seretrouvent chez le violoniste Prosper Sainton, le 20 juin.En dépit des incompréhensions et des réserves, l’at-mosphère est à la cordialité, ce dont témoignera leur cor-respondance dans les mois suivants.

Aussi n’est-il pas sans intérêt d’observer quelquestroublantes coïncidences entre les deux grands recueilspour voix soliste produits par chacun des compositeurs,Nuits d’été pour Berlioz, Wesendonck-Lieder pourWagner. Entre février 1838 et juin 1841, le musicien fran-çais écrit les six mélodies des Nuits d’été, confiant leuraccompagnement au piano. Au début de l’année 1856, ildécide d’orchestrer l’accompagnement du Spectre de laRose, deuxième mélodie du cycle, pour un concert de lamezzo-soprano Anna Bockholtz-Falconi. Présent à cettemanifestation, l’éditeur suisse Rieter-Biedermann obtientdu musicien la promesse d’une orchestration complète del’ensemble, en vue d’une publication. Pour lesWesendonck-Lieder, Wagner a également sollicité, de1857 à 1858, le seul accompagnement du piano ; c’estsous cette forme que l’ensemble sera créé en 1862, par lasoprano Emilie Genast. Et, cette même année, c’est sousle titre tout à la fois explicite et inoffensif de FünfGedichte für eine Frauenstimme mit PianoforteBegleitung (Cinq poèmes pour voix de femme avecaccompagnement de piano) que l’éditeur Schott le faitparaître. Mais, dans l’intervalle, le compositeur auraorchestré Traüme, pour une exécution privée au bénéficede Mathilde le 23 décembre 1857, jour de son anniversai-re. C’est à partir de cette instrumentation que, vers 1880-

duquel il ne réclame que la cession d’une part des hypo-thétiques droits d’auteur de son protégé. Dans ces condi-tions idéales, le musicien travaille d’arrache-pied. Letexte du Nibelung est achevé en hiver 1852 et, dès 1853,Wagner entame la composition des premières pages deDas Rheingold, volet initial de la Tétralogie. Ayant fran-chi le cap des quarante ans, toujours à la recherche d’uneréussite matérielle qui tarde à venir, il fait en 1853 la ren-contre décisive de Cosima, fille aînée de Liszt et épousedu chef d’orchestre Hans Von Bülow. À cette mêmeépoque, Hector Berlioz et Richard Wagner sont presséspar leur ami commun, Franz Liszt, de se rapprocher aunom de leur solidaire effort de renouveau musical. Enoctobre 1853, les trois héros du romantisme musical mili-

MathildeWesendonck par J.C. Dorner.

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conception du lied de celle du théâtre en gestation. Parailleurs, Schmerzen semble chanter de façon prémonitoi-re la légende tourmentée des forces obscures qui, de lanaissance à la mort, régissent la destinée des hommes,principe presque obsessionnel de la pensée qui sous-tendl’argument de Tristan.

Les poèmes de Mathilde Wesendonck (voir textes ettraduction en annexe) ne brillent ni par l’originalité ni parla facture, mais ils offrent au compositeur une sorte detableau de genre nuancé d’un trouble sentimentalisme etd’une réelle aspiration à un inaccessible idéal. Nombreuxsont les commentateurs à s’être émerveillés sur la sou-mission de l’orgueilleux Richard aux vers d’une autre,fût-elle la femme aimée du moment. Il serait peut-êtremieux venu de renverser la proposition ; tout ce que nousconnaissons de l’univers lyrique wagnérien (de Die Feenà Siegfried) obéit aux lois implacables d’une progressiondramatique gouvernée par l’idéal suprême, celui de lacréation d’un théâtre lyrique allemand, débarrassé detoute altération latine. Tout naturellement, Mathilde,femme de culture, adapte son écriture aux exigencesesthétiques d’un artiste pour lequel elle éprouve, pour lemoins, une admiration éperdue : « Je viens de lire labiographie de Schopenhauer, et me sens irrésistiblementattirée par son caractère, qui ressemble tant au vôtre. Undésir ancien me prit de regarder une fois encore dans cebel œil inspiré, dans le profond miroir de la nature, qui estcommun au génie. Nos relations personnelles s’évoquè-rent à ma mémoire : je voyais le monde, grand et riche,que vous avez ouvert à l’esprit de l’enfant ; mes yeux nepouvaient se détacher de cet édifice merveilleux ; moncœur battait à coups pressés, de tendre reconnaissance ; etje sentais que de tout cela rien ne pourrait jamais se perd-re pour moi ! Aussi longtemps que je vivrai, je lutteraipour arriver à la connaissance ; telle est votre part dansmon développement. »25

25 Lettre deMathilde àWagner, 1862.

1890, le chef d’orchestre Felix Mottl rédigera pourorchestre la version usuellement donnée en concert.Disciple du maître, Mottl s’est en effet contenté dereprendre la formation de Träume, modeste phalange(bois par 2, 4 cors, 1 trompette, cordes), dont rien ne ditque le compositeur se serait accommodé s’il avait lui-même réalisé cette transmutation24. Les Wesendonck-Lieder sont les seuls vrais lieder composés par un Wagnerparvenu à maturité. On y retrouve, sous une forme beau-coup plus accessible qu’à l’opéra, l’essentiel de son orien-tation esthétique, particulièrement en ce qui concerne letissu harmonique et le dessin mélodique. Sur la partitionimprimée, une pudeur bien naturelle l’a conduit à ne pasdévoiler l’identité du poète ! Autre détail qui ne manquepas de piquant : lors de la création, le 30 juillet 1862 dansla villa de l’éditeur Schott, près de Mayence, le pianisteaccompagnant n’est autre que Hans von Bülow, alorsépoux de Cosima !

Entre Lohengrin et Tristan, la voix d’un romantismeuniversel

Deux des cinq lieder annoncent plus particulièrementTristan et Isolde : Im Treibhaus, qui anticipe de façondirecte le prélude du troisième acte de l’opéra, et Träume,que le musicien reprend, sans presque rien y changer, aucœur du grand duo d’amour du second acte (« O sink her-nieder, Nacht der Liebe »). Cependant, ce n’est pas seu-lement par la texture musicale que les Wesendonck-Lieders’inscrivent dans la prestigieuse mouvance de Tristan.Tout ici relève de la même atmosphère étrange et pas-sionnée, placée sous le signe d’une inéluctable fatalité.De ce point de vue, il n’est pas inutile de rappeler queWagner, orchestrant Träume, avait confié la mélodie à unviolon solo. Certes, il s’agissait d’un geste circonstanciel,puisque cette version était destinée à un orchestre dechambre. Mais cet exercice même rapprochait encore sa

24 À titre decuriosité, il fautsignaler la nou-velle orchestra-tion du cycle,pour alto etorchestre dechambre, réali-sée en 1977par HansWerner Henze.

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vitement qui, repoussant systématiquement toute résolu-tion, laisse paradoxalement ouverte la conclusion dusecond épisode : Uns’re Heimat ist nicht hier ! (Notredemeure n’est pas ici !) Si ensuite le retour des inflexionsrythmiques et mélodiques du début est sensible, l’at-mosphère est complètement transformée, par la multipli-cation des notes sensibles, l’usage du trémolo qui désta-bilise les plans sonores, l’effondrement presque total del’intensité (pp) pour suggérer « le sombre manteau dusilence ». Enfin, comme soulevé par un effort ultime,dans cette atmosphère de murmure agité et d’obscureinquiétude, le chant fait surgir l’image du « vert ourletdes feuilles » (der Blätter grünem Saum) au gré d’unedouloureuse progression chromatique. La voix se tait, la

In Träumen versunken,

tableau de Friedrichvon Amerling, 1835.

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Écrite en ré mineur, Im Treibhaus use globalement dela forme-lied traditionnelle en trois volets. Son caractèremélodique, grave et sombre, est principalement fondé surl’ambiguïté modale et le glissement chromatique. Ainsil’exorde instrumental balance-t-il du quatrième degré aupremier, répétés à la basse cependant que la mélodie évo-lue sur une quarte montante par degrés conjoints. Au troi-sième envoi, la poursuite de la progression dans le regis-tre aigu dissipe toute hésitation : la basse se fixe sur latonique en valeur longue, la mesure s’élargit à 9/8, l’af-firmation de la tonalité de ré mineur est conforté et lamusique s’immobilise enfin sur le simple accord de domi-nante suivi d’un silence. À nouveau le motif initial de lapartie instrumentale s’élève, soudain masqué par la pre-mière intervention de la voix pour le vers HochgewölbteBlätterkronen (Couronnes de feuilles aux mille courbes).Il est tentant de voir dans la forme de la mélodie une équi-valence visuelle des “courbes des couronnes”, mais lecaractère musical le plus remarquable du chant n’est autreque son évolution sur les degrés de l’accord de toniqueavec passages sur les notes intermédiaires, marque pré-gnante de toute la thématique wagnérienne. Un peu plusloin, pour les deux vers Kinder ihr aus fernen Zonen,Saget mir, warum ihr klagt ? (Enfants des terres lointai-nes, Dites-moi, pourquoi vous plaignez-vous ?), la mêmeformule est tout à la fois resserrée et élargie par l’usaged’un chromatisme qui fait entendre les futurs échos deTristan :

Dans la flexibilité de son harmonie comme dans cellede la mélodie, Wagner semble pratiquer une tactique d’é-

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Les trois autres lieder ne sont pas en reste en matièrede résurgence ou d’anticipation. L’atmosphère musicalede Der Engel (L’ange), par exemple, est susceptible dedérouter dans un premier temps, du fait que, loin des pré-méditations de Tristan und Isolde, elle s’inscrit dans lamémoire de Lohengrin avec la franchise de son harmonieaux teintes oniriques et la générosité de sa ligne mélo-dique. Observation parente pour Stehe Still ! (Suspendston vol !) ; c’est à la réminiscence d’une pièce encoreantérieure de Wagner qu’est convié l’auditeur, l’ombre duFliegende Holländer couvrant nombre de brefs épisodesagités de ce lied, entre dynamique du mouvement et désird’un repos à connotation métaphysique. Par son titre etson harmonie, enfin, Schmerzen (Peines) est peut-être levolet le plus sombre, le plus agité, le plus tendu durecueil. On y relève notamment un usage presque systé-matique de la septième majeure, dont l’effet dramatiqueapparaît comme la métaphore sonore des crises appeléesà secouer et finalement à ruiner sans retour la deuxièmegrande vague romantique européenne.

Tumultes intimes, fracas publics

« Tout est chimère ! Tout est illusion ! Nous ne som-mes point faits pour conformer le monde à notre image. Ôcher et pur ange de vérité. Sois bénie pour ton divinamour. Oh ! je savais tout ! Quels jours pénibles j’ai tra-versés ! Quelle angoisse croissante, quels profonds tour-ments ! Le monde était arrêté ; je ne pouvais respirerqu’en sentant ton haleine. Ô ma douce, douce femme ! [...]Mes larmes amères coulent comme un torrent tumul-tueux : est-ce là ce qui pourrait te guérir ? Je sais, ce sontles larmes d’un amour, tel qu’on n’en vit peut-être jamais : dans ces larmes, me paraître ruisseler toute ladétresse du monde. [...] Ce sont les larmes de mon éternelamour pour toi. »26

26 Lettre deWagner àMathilde, 31octobre 1858.

vision s’efface avec les ultimes échos de la cadence pla-gale en ré mineur.

Quant à Traüme, écrit en la bémol majeur et mesuré à3/4, il est donné dans un mouvement très modéré, maisjamais languissant (sehr mässig bewegt, aber nie schlep-pend). L’auditeur familiarisé avec Tristan und Isolde n’aaucune peine à en retrouver ici la tension chromatiquenon plus que l’affrontement dramatique de la voixondoyante et de la texture harmonique, riche d’accordsaltérés par divers retards, anticipations et autres notes depassages. Le premier caractère sonore de Traüme n’estautre que la longueur inusitée du prologue et de l’épilo-gue instrumentaux : respectivement 16 et 17 mesures.Dans les deux cas, le discours musical est énoncé envaleurs régulières d’accords répétés sur pédale detonique, la note-pivot de la mélodie restant la dominante(mib) appuyée par les degrés voisin de réb et fa. La pre-mière section poétique (jusqu’à Nichts vergangen ?) estpensée à la forme interrogative, la voix suivant, au gréd’une triple inflexion, le cheminement proposé par lesaccords de tonique et de dominante, dans une nuance pppropice à vêtir les mots suggérant l’univers du rêve.

La marche des accords procède, le plus souvent, parsimple glissement d’un degré à la seconde supérieure ouinférieure. Le climat ainsi obtenu est celui d’un statismeparadoxal au cœur d’une matière sonore en perpétuelmouvement ; les mouvements de l’âme et du cœur trou-vent ici une équivalence dont l’effet sera considérable-ment accru au sein du drame lyrique. Et c’est finalementdans la tonalité principale de la bémol majeur que se clôtTraüme, et par la même occasion le recueil desWesendonck-Lieder.

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le public, l’ordre de l’Empereur, auquel nous devons del’avoir entendu, a apporté un grand secours à l’esprit fran-çais, esprit logique, amoureux d’ordre, qui reprendra faci-lement la suite de ses évolutions. »27

Charles Baudelaire écrira à Wagner, d’autres aussi, etle compositeur, réconforté, fera savoir à ses nouveauxalliés qu’il ne tient nullement rigueur à la France d’unecabale... montée par ses ennemis « juifs, d’ailleurs sou-vent de nationalité allemande » ! Faute donc d’avoirinvesti le bastion parisien, où il aura à nouveau vainementséjourné de 1859 à 186228, y retrouvant au passage la peurancunière Minna, Wagner se tournera dans la périodesuivante vers d’autres grands foyers, Vienne, Saint-Pétersbourg, Moscou, Venise... Les partitions de laTétralogie accompagneront ces pérégrinations et, le 10juin 1865, Tristan und Isolde connaîtra sa création sous ladirection du chef Hans von Bülow, époux de CosimaLiszt avec laquelle Wagner entretiendra alors une relationqui ne sera officialisée qu’en 1868 et dont naîtront troisenfants.

27 CharlesBaudelaire : « RichardWagner etTannhäuser àParis », le 1er

avril 1861.

28 Il aura toutde même pudonner troisconcerts de sesœuvres auThéâtre Italien,s’assurant unsurcroît deréputation maisprovoquant, parla même occa-sion, un nou-veau déficitfinancier.

Pour l’anecdote, c’est en 1858, que Minna, intercep-tant une lettre échangée entre les deux amants, provoque-ra un scandale obligeant Richard Wagner à quitter Zurichet à partir pour Venise en compagnie du chef d’orchestreKarl Ritter ; il en sera rapidement expulsé, et devraretourner à Lucerne, où il achèvera les deuxième et troi-sième actes de Tristan. Aux tumultes intimes provoquéspar la liaison unissant cet homme marié à la vertueuseépouse de son bienfaiteur succèderont bientôt d’autresfracas, publics et retentissants. Le plus spectaculaire ensera, dès mars 1861, la chute brutale de Tannhäuser àl’Opéra de Paris, en dépit de l’appui de l’impératriceEugénie et des 164 répétitions exigées ! Retiré après troisséances houleuses, l’opéra vaudra tout de même à sonauteur de nombreuses sympathies du côté des hommes delettres et des artistes (en dépit du froid silence gardée parHector Berlioz !).

« L’épreuve est faite ! La musique de l’avenir estenterrée ! » s’écrient avec joie tous les siffleurs et caba-leurs. « L’épreuve est faite ! » répètent tous les niais dufeuilleton. Et tous les badauds leur répondent en chœur, ettrès innocemment : « L’épreuve est faite ! » En effet,une épreuve a été faite, qui se renouvellera encore biendes milliers de fois avant la fin du monde ; c’est que, d’a-bord, toute œuvre grande et sérieuse ne peut pas se logerdans la mémoire humaine ni prendre sa place dans l’his-toire sans de vives contestations ; ensuite, que dix per-sonnes opiniâtres peuvent, à l’aide de sifflets aigus,dérouter des comédiens, vaincre la bienveillance dupublic, et pénétrer même de leurs protestations discordan-tes la voix immense d’un orchestre, cette voix fût-elleégale en puissance à celle de l’Océan. [...] Dans la presse,aucune résistance, aucune protestation, excepté celle deM. Franck Marie, dans La Patrie. M. Berlioz a évité dedire son avis ; courage négatif. Remercions-le de n’avoirpas ajouté à l’injure universelle. [...] Plus d’un composi-teur français voudra profiter des idées salutaires émisespar Wagner. Si peu de temps que l’ouvrage ait paru devant

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Chapitre VIIILes quatre volets de la chronique du Ring

Les années 1848 et 1876 marquent les frontières de laplus prodigieuse aventure de l’histoire du théâtre lyriqueeuropéen. Plus d’un quart de siècle, donc, pour la genèseet l’accomplissement du Ring de Richard Wagner (DasRheingold, Die Walküre, Siegfried, Götterdämmerung),de la toute première esquisse, Der Nibelungen-Mythos alsEntwurf zu einem Drama (Le Mythe des Nibelungencomme esquisse d’un drame) au 17 août 1876, date de lacréation du dernier volet de la Tétralogie,Götterdämmerung. Au hasard de ces longues années, lecompositeur sera successivement passé par tous les étatspsychologiques imaginables, de l’optimisme au pessimis-me, de l’euphorie à la dépression, de l’enthousiasme audécouragement. Plusieurs fois interrompue par des tra-vaux secondaires (Polka, Valse des amantes de Zurich,Élégie, Huldigungs-Marsch, Marche impériale), impor-tants (Wesendonck-Lieder, Siegfried-Idyll), voire capitaux(Tristan und Isolde, Die Meistersinger von Nürnberg),l’élaboration du chef-d’œuvre aux quatre visages aurafréquemment pris l’allure d’un authentique parcours ducombattant, rude, pénible et parsemé d’embûches.

L’Allemagne à la recherche de son passé

En 1835, Jacob Grimm29 publie Deutsche Mythologie(Mythologie allemande) ; le succès de la publication estimmédiat, sanctionné par les rééditions enrichies de 1844

29 Collecteursde légendes etde contespopulaires,Jacob (1785-1863) etWilhelm Grimm(1786-1859)sont à l’originede la formida-ble redécouver-te de la littéra-ture allemandedu Moyen Âge.

Affiche du film en 2 parties de Fritz Lang, 1924.Photo DR.

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Das Rheingold

Créé à Munich le 22 septembre 1869, Das Rheingold(L’Or du Rhin) est l’opéra wagnérien le plus fidèle auxarcanes de la mythologie germanique. Donné avant lelever du rideau, son prélude se signale par l’extraordinaireoriginalité du modèle dramatique qu’il impose, mais aussipar la pertinence de l’analogie qu’il établit avec le fleuvenourricier, ce Vater Rhein dans les profondeurs duquel legénie allemand aime à situer son origine. Entre l’auditeuret le musicologue (au besoin réunis dans la même person-ne), ce stupéfiant tour de force musical crée un éloquentmalentendu : envoûté, le premier en place la réussite sousle signe du miracle ; dérouté, le second n’en saisit pas lemécanisme. Point n’est besoin, en effet, d’être grand har-moniste pour commenter cet épisode qui se résume à ladilatation, sur 137 mesures, du seul accord de Mi bémolmajeur ! Autant dire qu’on se trouve là au seuil du néant,face à l’apparent degré zéro de l’invention musicale. Or, laprégnance de cette page est telle sur l’imagination de l’au-diteur, puis dans sa mémoire, qu’il vaut de s’interroger surles procédés mis en œuvre par Wagner pour suggérer, avecde si faibles moyens, la genèse de l’épopée à venir et sur-tout le caractère cosmique de cette genèse.

La première observation porte ce qu’introduit ce pré-lude : non point une pièce réduite à la durée ordinaired’une soirée mais le cycle complet du Ring dont les qua-tre volets totalisent une vingtaine d’heures, circonstancequi induit un principe d’économie maximale, voire deparcimonie, dans l’invention. Ensuite, le sentiment éprou-vé par l’auditeur de cette page celui d’une mouvanceimmobile, d’une dynamique figée, les sons qui animent lanappe sonore du prélude scintillant à tous les pupitres del’orchestre, en ronde perpétuelle. Enfin, le théâtre exigeune visualisation de l’objet invisible (le fleuve, évidem-ment intransportable sur une scène) qui fait surgir l’illu-

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et 1854. Dès 1843, Wagner s’est plongé avec enthousiasmedans la lecture d’un ouvrage qui lui révèle moins la réalitéd’un monde très ancien de mythes et de légendes que soninstinctive sympathie pour cet univers qui, en marge de larationalité gréco-romaine, du christianisme latin et du clas-sicisme français, constituera le terreau de ses immensesprojets. L’idée, héritée des joutes athéniennes, d’une tétra-logie s’impose assez vite à son esprit. Mais, en lieu et placedes trois tragédies et du drame satirique familiers aux tra-giques grecs, le compositeur donnera un prologue (exposi-tion) suivi de deux pièces (péripéties) auxquelles s’enchaî-nera un épilogue en forme de dénouement (catastrophe).Au regard de l’étonnante complexité de l’intrigue dévelop-pée tout au long des quatre journées, le livret de Wagner sesignale par son efficacité, sa cohérence, son unité orga-nique et son équilibre. Toute la dramaturgie du Ring estsous-tendue par le pressentiment obsessionnel d’un inéluc-table déclin ; les effets s’en découvrent, selon un processusde cascade qui ruine très vite tout espoir d’en ralentir leprocessus. Aussi la Tétralogie se signale-t-elle par unecohésion qui rend problématique l’exécution d’extraitsséparés en dépit du triomphe de certaines pages au concert(Chevauchée des Walkyries, Murmures de la forêt, Marchefunèbre...), voire les représentations séparées de chacun deses quatre volets. Peut-être la seule explication satisfaisan-te relativement à cette indestructible unité d’un drame sicomplexe est-elle à trouver dans la contradiction profondealors vécue par le compositeur. Brûlant d’élans révolution-naires, impatient d’en découdre avec les cadres obsolètesd’un théâtre dépassé par la marche du monde, Wagner sem-ble bien plus soucieux de détruire l’ordre ancien que deconstruite celui de l’avenir. L’anéantissement terminal del’univers du Ring devient, sous ses plumes, la métaphored’une autre ruine, celle de la société des hommes fondéesur le seul rapport des forces. Il y a du Jean-JacquesRousseau chez le compositeur du Ring, quelles qu’aient puêtre ses préventions à l’endroit de tout ce qui venait deFrance !

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nètrent pour former une texture sonore qui, issue d’uneintuition visuelle, conduit logiquement à l’expression ver-bale, laquelle sera le fait des Filles du Rhin, le dernier motdevant rester au poète. Ainsi les trois jeunes ondines, fri-voles et cruelles gardiennes de l’or, enflamment-ellesrailleusement le désir du nain Alberich, membre de latribu des Nibelungen. Furieux, ce dernier s’empare dumétal précieux, placé sous leur surveillance mais dontelles ont eu l’imprudence de lui confier le secret (celui quise forgera un Anneau avec cet or deviendra maître dumonde), choisissant la réalité du pouvoir contre les illu-sions d’un amour qui, lui étant interdit, devient l’objet desa haineuse malédiction.

La véritable action débute dans le Walhalla, siège duroyaume des dieux. Aux côtés de son épouse Fricka,Wotan contemple le palais que viennent de construirepour lui les deux géants, Fafner et Fasolt. Si le coupledivin semble soucieux, surtout Fricka, c’est que l’heuredu paiement est venue. Or, Wotan, menteur comme tousles dieux, a promis sa propre sœur, Freia, aux deux colos-ses, sans songer le moins du monde à tenir parole. Face àl’urgence de la situation, il expédie sur terre son compli-ce Loge, dieu du feu, avec mission de rapporter quelqueobjet de grande valeur qui puisse remplacer le don deFreia. Dans un premier temps, l’affaire prend un tourinquiétant, Loge revenant bredouille. Mais une étrangeconfidence modifie soudain l’éclairage de la scène ; surterre, le dieu a entendu parler d’un événement curieux :un gnome est devenu maître du monde grâce à la posses-sion d’un Anneau fondu avec l’or du Rhin. Pour Fafner etFasolt, point d’hésitation : abandonnant volontiers Freiaà son frère, ils exigent sur-le-champ la possession de l’orqui leur donnera le pouvoir suprême !

En son royaume du Nibelheim, Alberich a cependantinstauré un régime de terreur et de despotisme. Sur fond demartèlement de sombres forgerons, paraît le maître des

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sion au cœur de l’illusion. Ce que l’oreille perçoit de cemagma orchestral, elle le rapporte aussitôt à l’œil : lesmouvances internes des lignes, les mutations d’intensité,les irrégularités de durée, les oppositions de registre...tout ce par quoi le prélude tend, en un mot, à l’unitédynamique, fait miroir au faisceau complexe des lignesqui dessinent le fleuve dans sa vigueur immémoriale.Aussi est-ce la texture sonore elle-même qui, dans sessubtiles mutations, devient forme de l’œuvre au prix d’in-fimes et progressives différenciations de la matière sono-re, du grave unisson initial jusqu’au lever du rideau.Auparavant, le tissu sonore aura mis 17 mesures à seconstituer en accord parfait (mib, sol, sib), le leitmotiv duRhin apparaissant à la m. 49, déjà porteur de toutes lesvirtualités mélodiques de la Tétralogie.

À partir de ce thème, la matière se gonfle, la tensioncroît, les mouvements s’élargissent, la pulsation ryth-mique se dérègle, les eaux du Rhin déferlent en arpègesfluides et gammes fusantes, couleurs et masses s’interpé-

Alberich et lesfilles du Rhin,

production de 1876Photo DR.

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au moment où les dieux regagnent leur château, sanss’illusionner sur la toute-puissance de la malédictiond’Alberich, tandis que les filles du Rhin continuent depleurer la perte de l’or volé.

Die Walküre

Deuxième volet du Ring, Die Walküre débute dans unétrange climat d’orage et de tension. Sur scène, apparaîtla cabane de Hunding et de son épouse Sieglinde. Puissurgit Siegmund, épuisé, apparemment blessé, fuyantdevant la tempête et trouvant finalement refuge dans lamasure abritée sous les bras d’un immense frêne ; attiréepar le bruit, la belle Sieglinde lui porte secours, lui offreà boire. Entre les deux héros, naît un sentiment singulieret puissant, une attraction qui défie toutes les lois humai-nes. C’est au gré de longs récits que, peu à peu, se fait jourla vérité d’une trame complexe : fils de Wotan,Siegmund vient de retrouver sa sœur Sieglinde au sortird’interminables épreuves, la prochaine en date n’étantautre que le duel qu’il doit livrer à Hunding, revenu en sademeure. C’est à Sieglinde que Siegmund doit de retro-uver l’épée sacrée de la victoire qui, répondant au nom deNotung, est systématiquement saluée par le motif le plus

Walküre, 1er Acte, production de 1876

Photo DR.

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lieux, accompagné de Mime porteur du Tarnhelm, heaumemagique qui, fondu avec l’or du Rhin, permet à celui quile porte de prendre l’apparence de son choix, lui confèremême le pouvoir d’invisibilité. Arrivent sur ces entrefaitesWotan et Loge, curieux, affirment-ils de découvrir l’im-mensité des richesses et du pouvoir d’Alberich. Grâce àl’Anneau, ce dernier contraint les foules d’esclaves habi-tant le Nibelheim à accroître encore cette puissance mais,tombant dans le piège tendu par l’habile Loge qui met endoute le pouvoir magique du Tarnhelm, il se transforme enmonstrueux serpent, puis en minuscule crapaud que lesdieux n’ont aucun mal à capturer et à maîtriser. Prisonnierau Walhalla, Alberich accepte de verser une énorme ran-çon contre sa liberté. Plus déloyaux encore que les hom-mes, les dieux acceptent le marché, mais pour aussitôts’emparer de l’Anneau et du Tarnhelm. Totalementdépouillé, Alberich disparaît dans le gouffre du Nibelheimnon sans avoir lancé le célèbre motif de la Malédiction àtous les futurs porteurs de l’Anneau.

Pour Fasolt et Fafner, l’heure est enfin venue d’êtrepayés. Hélas, le monceau d’or proposé, même augmentédu Tarnhelm ne leur suffit pas ; ils exigent également lapossession de l’Anneau. Sur le conseil de la mystérieuseErda, symbole de la terre et de sa profonde sagesse,Wotan cède et jette l’Anneau sur le tas d’or. La malédic-tion d’Alberich provoque aussitôt ses funestes effets,Fafner se jetant sur Fasolt, le tuant et s’emparant, seul, del’Anneau. Les cieux s’assombrissent, l’orage gronde, àl’unisson des pressentiments qui agitent les dieux.Pourtant, c’est sur fond d’arc-en-ciel que se termine DasRheingold, Wotan ne pouvant rendre aux Filles du Rhinl’Anneau maudit, cependant que, pour la première fois,retentit le motif de l’Épée, signe d’une espérance ultime

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tombant par la volonté de son père est ainsi la deuxièmevictime de la malédiction d’Alberich.

Le troisième acte est ouvert par la chevauchée desWalkyries, geste théâtral d’une audace à proprement par-ler incroyable, défi à toutes les conventions de l’universlyrique. Les huit vierges farouches se réunissent sous lesnuées tourmentées pour accueillir Brünnhilde, qui aéchappé à son père pour mettre Sieglinde à l’abri de safureur. À la malheureuse, privée de tout autre souhait que

Brünhilde, par Arthur Rackham,

1912.Photo DR.

célèbre du Ring :

Plantée dans le tronc du frêne, l’arme ne peut être arra-chée, selon la prophétie de Wotan, que par le héros à quielle assurera le triomphe final sur les forces du mal. Dansun état d’exaltation maximale, Siegmund la retire dutronc, les deux amants s’enfuient dans la nuit tandis quetombe le rideau du premier acte.

Tout le début du deuxième acte met en lumière lesambiguïtés du personnage de Wotan. Armé de pied encap, il donne l’ordre formel à sa fille Brünnhilde, costu-mée en Walkyrie, d’accompagner Siegmund dans soncombat contre Hunding ; mais, un peu plus tard, il estobligé de céder aux objurgations de Fricka, gardienne dela loi sacrée du mariage, qui exige la victoire de Hundingau nom du respect de cette même loi. Pour Wotan, pointd’échappatoire, il doit ainsi signer l’acte de mort de sonpropre fils, à qui revenait pourtant la tâche suprême derestituer aux filles du Rhin l’Anneau fondu dans l’or dugrand fleuve. Rendue aux tristes raisons de Wotan,Brünnhilde éclaire Siegmund, en fuite avec Sieglinde, surson avenir : c’est le Walhalla qui l’attend, où il sera servipar la cohorte sublime des Walkyries et où il ne côtoieraque des héros. Mais qu’importe au guerrier si sa chèreSieglinde ne peut l’y suivre ? Fureur et désespoir agitentl’esprit de Siegmund, jusqu’à la menace de tuer lui-mêmesa sœur endormie. Vaincue par tant de constance,Brünnhilde se range à son côté, décidée à désobéir àWotan pour assurer le bonheur des deux amants. Le duels’engage avec Hunding, mais c’est Wotan qui y met fin enbrisant l’épée de Siegmund, aussitôt abattu par son adver-saire. Après la mort de Fasolt, tué par son frère, Siegmund

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la forêt avec un ours, son père adoptif lui dévoile le sec-ret de sa naissance et lui révèle le pouvoir ancien de l’é-pée désormais brisée. Suit une visite discrète de Wotan,qui profite de l’éloignement de Siegfried pour poser desingulières énigmes à Mime et lui confier d’inquiétantesprophéties. Mais déjà Siegfried revient ; impatient etvigoureux il se charge de la remise en état de l’épée, labrandit au-dessus de sa tête et l’abat sur l’enclume pulvé-risée tandis que la chute du rideau ferme ce premier acte.

Précédés par Wotan (déguisé en vagabond) etAlberich, Siegfried et Mime se présentent devant la sinis-tre caverne au fond de laquelle Fafner défend l’or duRhin. S’enchaîne à cet exorde la page la plus poétiquejamais écrite par Wagner, ces « Murmures de la forêt »au gré desquels Siegfried, rêveur, évoque la mère qu’iln’a jamais connue, s’enchante de la douceur de la natureà l’unisson de laquelle il tente de se mettre en soufflantdans un pipeau improvisé.

Siegfried, 1er Acte, production de 1876

Photo DR.

celui de la mort qui la réunira à Siegmund, Brünnhildeapprend qu’enceinte des œuvres de son amant, elle mettraau monde le héros élu, Siegfried ; la jeune femme décidealors d’aller cacher sa grossesse dans la forêt ou som-meille Fafner, gardien de l’or déguisé en monstrueux ser-pent. Toute la fin de l’opéra n’est plus que confrontationentre un Wotan, ivre de fureur, et Brünnhilde suppliante :endormie sur un rocher entouré d’un cercle de feu, elleobtient de n’être tirée de son sommeil que par un hérossans peur (« Die Schlafende schütze mit scheuchendemSchrecken, dass nur ein furchtlos freiester Held hier autdem Felsen einst mich fänd’ » – Protège l’endormied’une farouche frayeur, pour que seul un héros sans peuret complètement libre me trouve un jour sur le rocher).L’embrasement du rocher, l’ultime adieu de Wotan à safille et le merveilleux motif du sommeil donnent à tout cefinale une ampleur et une beauté suprêmes.

Siegfried

Troisième volet du Ring, Siegfried renoue avec l’intri-gue de Das Rheingold, partiellement mise de côté durantDie Walküre. Plusieurs années ont passé, Sieglinde estmorte en mettant au monde Siegfried, fils de Siegmund.Le nourrisson a été recueilli par le forgeron Mime qui nedésespère pas de récupérer l’Anneau, toujours gardé parle géant Fafner, et compte sur le futur héros pour y parve-nir. Pour cela, il lui faut ressouder l’épée brisée par Wotanet envoyer Siegfried à la rencontre de Fafner ; une fois legéant tué et l’Anneau récupéré, Mime aura tout loisir desupprimer Siegfried par traîtrise et de régner à son toursur le Walhalla. Lorsque l’insouciant Siegfried revient de

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Table des matières

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .4I. Des années d’apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .12II. Premières marches de la réputation . . . . . . . . . . . . .20III. Der fliegende Holländer, premier chef-d’œuvre . .32IV. Tannhäuser, sur la voie de l’affranchissement total .40V. Lohengrin, approfondissement

de la veine légendaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .52VI. Musique et société, la révolte dans tous ses états .62VII. Grandes espérances et tourments secrets . . . . . . .76VIII. Les quatre volets de la chronologie du Ring . . . .88IX. De Tristan und Isolde aux Meistersinger

von Nurnberg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .104X. Louis II, prince de Bavière et

mécène de Bayreuth . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .116XI. Au crépuscule, Parsifal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .136

Bayreuth . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .148

Tableau synoptique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .162Catalogue des œuvres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .166Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .168Discographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .169Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .170

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