Ce que nous devons à l'Afrique (extrait de la publication)

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Photo Hans Silvester

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Ce que nous devons à l'Afrique Extrait de la publication de l'exposition temporaire du Musée dauphinois Auteur : Collectif sous la direction de Jean-Claude Duclos et Olivier Cogne Parution : 10/2010 Nombre de pages : 190 Collection : Catalogue d'exposition Musée dauphinois Editeur : Département de l'Isère ISBN : 9782355670473 Prix : 20,00 euros

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Parcourir, des premiers temps de l’hommeaux questions d’aujourd’hui, la très longuehistoire du continent africain, sans omettrel’immense apport de ses cultures et de sesproductions artistiques, tel est le défi querelèvent cet ouvrage et l’exposition qu’ilprolonge. Tel est aussi l’ambitieux projetque se sont donné, autour du Musée dau-phinois, les associations et partenaires cul-turels de l’Isère en réfléchissant ensembleà « ce que nous devons à l’Afrique ». DeLouise-Marie Diop-Maes à EmmanuelTerray, en passant par Théophile Obenga,Djibril Tamsir Niame, Chenntouf Tayeb,Étienne Féau, Claude-Hélène Perrot ouAnne-Cécile Robert, pour ne citer qu’eux,des spécialistes tentent ici, chacun dansleur discipline, de procéder à cette évalua-tion. L’objectif, ainsi que nous y inviteEdgard Pisani, étant de « réinventer [avecl’Afrique] une relation fondée sur le respectmutuel ».

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Ce que nous devons à l’Afrique

Musée DauphinoisGrenoble

Octobre 2010

© Patrimoine en Isère/Musée dauphinoisDépôt légal : octobre 2010Réalisation du catalogue : Cent pagesIsbn : 978-2-35567-047-3

Sommaire

Ouvrage coordonné par Jean-Claude Duclos et Olivier Cogne

Préface André Vallini

Avant-propos Jean-Claude Duclos et Bernard Gilman

Analyse démo-géographique et historique sur la place de l’Afrique dans le monde d’aujourd’hui 13

Louise-Marie Diop-Maes

Ce que nous devons à l’Afrique : l’histoire 21L’Afrique, berceau de l’humanité 23

Yves Coppens

L’ancrage africain de la civilisation égyptienne 31Théophile Obenga

Un aperçu de l’apport de l’Afrique à l’humanité au temps de l’Égypte ancienne 35

Cheikh M’Backé Diop

La Charte du Mandé de 1236 et sa portée pour le respect des droits de l’individu 43Djibril Tamsir Niane

Histoire et mémoire des « traites négrières » et de l’esclavage 55Éloi Coly

La contribution de l’Afrique à la prospérité de la France (xviiie-xxe siècles) 63Elisabetta Maino

Pourquoi enseigner l’histoire de l’Afrique ? 71Chenntouf Tayeb

Ce que nous devons à l’Afrique : les cultures 77« Alors l’homme blanc et l’homme noir seront amis » (Jean Rouch) 79

Marie-Isabelle Merle des Isles

« Vous êtes invités à venir faire le tour du monde en un jour » 85Nadine Wanono Gauthier

Apports de l’oralité africaine au patrimoine mondial 91Claude-Hélène Perrot

La place des valeurs culturelles dans l’organisation des communautés locales dans l’Afrique d’aujourd’hui 99

Yao Assogba

Sommaire

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Conceptions du travail en Afrique 105Marianne Lemaire

Les apports de l’immigration africaine en France 111Jacques Barou

Ce que nous devons à l’Afrique : l’art 119Qu’est-ce que l’art africain ? 121

Étienne Féau

L’apport des cinémas africains 129Dominique Wallon

Ce que les habitants de la vallée de l’Omo rappellent des humains que nous sommes 139

Entretien avec Hans Silvester

Comment vivre avec le poids de notre histoire commune ? 145Entretien avec Moridja Kitenge Banza

Ce que nous devons à l’Afrique : le politique 151Les Africains et la démocratie 153

Emmanuel Terray

Ce que l’Afrique pourrait nous apporter 157Anne-Cécile Robert

Ce que nous devons à Edgard Pisani 163 Jean-Claude Duclos

Ce que l’Isère doit à l’Afrique 169L’Afrique et l’Isère à l’épreuve de l’esclavage et de la colonisation 171

Olivier Cogne

Du Dahomey à l’Isère 177Entretien avec Christian Zohoncon

Penser la présence africaine en Isère aujourd’hui 183Abdellatif Chaouite

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Préface

André ValliniPrésident du Conseil généralDéputé de l’Isère

Reconnaître la part d’humanité qui nous vient de l’AfriqueL’Afrique souffre. La malnutrition, le Sida, les changements cli-

matiques et les guerres ne cessent d’y sévir avec des conséquences dramatiques. Pourtant l’Afrique est riche mais elle n’en profite pas. Depuis des siècles, en effet, l’Afrique donne. Des hommes, des matières premières, d’immenses territoires désormais exploités au profit de puissances étrangères, de l’argent pour rembourser des dettes interminables… : les prélèvements sont tels que l’on se demande jusqu’à quand ils seront supportés. Telles sont les réalités de ce grand continent, peuplé d’un milliard d’habitants dont un sur deux vit avec moins d’un dollar par jour.

Certes, des solidarités se manifestent pour tenter d’améliorer leur sort. Nous-mêmes, dans le cadre de la coopération décentralisée du Conseil général de l’Isère, avons noué des accords de partenariat avec deux régions du Maroc et deux autres du Sénégal. Toutes indispen-sables qu’elles soient, ces formes de solidarité ne parviendront pas à changer sensiblement le cours des choses si le reste du monde n’y adhère pas et n’accepte pas de se restreindre. Si les partenaires de l’opération que conduit notre Musée dauphinois et les auteurs qu’il a rassemblés dans ce livre ne sous-estiment en rien la gravité de ces questions, c’est cependant sous un angle un peu différent qu’ils ont voulu aborder les réalités africaines.

Ce que nous devons à l’Afrique

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Le titre de cet ouvrage et de l’exposition qu’il prolonge, « Ce que nous devons à l’Afrique », autant que la foule des événements cultu-rels qui lui sont associés, de l’automne 2010 à l’été 2011, suffit à com-prendre leur objectif : reconnaître la part d’humanité qui nous vient de l’Afrique en procédant à l’état des lieux de ce qu’elle apporte. Chacun des articles de ce livre en témoigne : l’apport de l’Afrique au monde est considérable. Gageons que cette tentative de bilan nous aide à mieux percevoir ce qu’il y a d’africain en nous. Alors, peut-être, les conditions d’un nouveau partage basé sur la reconnaissance mutuelle et la solidarité devraient permettre d’envisager autrement nos relations avec ce continent. Tel est, avec nos nombreux partenaires, le pari de cette exposition.

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Avant-propos

Jean-Claude Duclosdirecteur du Musée dauphinois

Ce que nous devons à l’Afrique…Si la formule est devenue le titre de cet ouvrage et de l’exposition

qui l’accompagne, c’est parce que, dès l’annonce du projet, nos parte-naires l’ont faite leur. Les représentants de quelque quatre-vingts asso-ciations, réunies en juin 2009 au Musée dauphinois, en raison des liens qu’elles entretiennent avec l’Afrique, ont en effet accueilli comme une évidence la nécessité de cette évaluation. La célébration du cinquan-tenaire de l’indépendance de 14 pays d’Afrique n’y était pour rien. Leur adhésion venait du désir et de la volonté de mieux préciser et d’approfondir le sens des coopérations engagées par les villes et asso-ciations du département. Plus précisément, leur objectif était de lutter contre des attitudes de paternalisme, de méfiance et d’arrogance qui persistent encore trop souvent dans notre pays. Le discours de Dakar en est une triste illustration. Comme de nombreux experts, tels René Dumont ou Edgard Pisani, l’ont démontré, le fossé qui nous sépare des Africains ne saurait se creuser davantage et le décalage écono-mique s’aggraver encore, sans qu’un nouveau désastre se produise tôt ou tard dont nous subirions tous les conséquences. Rester aveugles à la commu nau té de destin que nous partageons avec l’Afrique et les Africains serait une grave erreur.

C’est ainsi qu’au sein des associations rassemblées autour du musée et avec d’autres ralliés peu à peu, militants et opérateurs cultu-rels, une réflexion collective s’est développée. Elle connut notamment quatre temps forts lors de séminaires sur l’Afrique – son histoire, ses cultures, ses productions artistiques et ses politiques –, dont le but était de nourrir l’événement culturel dont ce livre est aujourd’hui

Bernard Gilmanadjoint à la Culture de Grenoble de 1965 à 1977,membre du comité de pilotage Afriquisère

Ce que nous devons à l’Afrique

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Affiche du Festival Afrique noire, automne 1982, coll. Musée de Grenoble.

l’une des principales composantes. Ce sont les contributions des experts qui ont été invités à ces séminaires autant que les débats qui suivirent, qui ont en effet orienté la préparation du projet. Certes, un comité de pilotage, aidé de l’équipe du Musée dauphinois en a guidé les étapes, mais en s’attachant toujours à reprendre chacune des idées ou des questions exprimées pour les intégrer au projet. Aussi l’ouvrage, l’exposition et l’ensemble des manifestations qui leur sont associées, constituent-ils une réelle création collective à laquelle des centaines de personnes ont pris part.

Avant d’évoquer le nom de quelques-unes d’entre elles, rappe-lons qu’une opération semblable avait mobilisé, autour du Musée de peintures et de sculptures (aujourd’hui Musée de Grenoble) et de son conservateur, Pierre Gaudibert, tous ceux que la région comptait de connaisseurs et d’amis de l’Afrique. Ainsi l’avaient voulu le maire, Hubert Dubedout, et son adjoint à la Culture, René Rizzardo. C’était, à l’automne 1982, le Festival Afrique noire qui avait notamment béné-ficié du concours de l’association « Culture et développement » et de son responsable, Francisco D’Almeida, par ailleurs membre du

comité de pilotage de cette nouvelle opération. Évoquant la persistance de « formes de néocolonialismes », Hubert Dubedout disait alors : « Notre ville souhaite être un milieu d’accueil pour ceux d’Afrique et du tiers-monde qui ont quelque chose à dire tant sur leur culture que sur leurs créations contemporaines, au contact de l’influence occidentale ». Il précisait que le Festival Afrique noire n’avait pas l’ambition de traiter des problèmes de l’Afrique mais d’opé-rer une confrontation entre « culture traditionnelle et création contemporaine pour permettre à tous de participer au débat ». Ce « permettre à tous », est révé-lateur de la conviction qu’avaient cet élu et son équipe de la nécessité du partage des connaissances comme base du fonctionnement démocra-tique dans la vie de la cité.

Avant-propos

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La similarité de nos objectifs, vingt-huit ans plus tard, signifie-rait-elle que les mentalités n’ont guère évolué depuis à l’égard de l’Afrique ? Et que rien n’est vraiment gagné sur ce plan ? Les évé-nements de juillet 2010, à La Villeneuve de Grenoble, pourraient le laisser penser. Observons que ce qui vient d’arriver à La Villeneuve en a désemparé plus d’un parmi les militants, les syndicalistes et les poli-tiques qui œuvrent depuis si longtemps dans cette ville pour l’accueil et l’intégration des populations d’origine immigrée. Ces événements nous semblent constituer une raison de plus, en ce Musée dauphinois où la mise en lumière de la mémoire des Isérois venus d’ailleurs est une habitude, de proposer cette nouvelle rencontre avec les Africains. Tout dépendra ensuite de la médiation que ce musée et les institutions culturelles qui lui sont associées sauront mettre en œuvre. Souhaitons que les habitants des quartiers de l’agglomération et du département où le sentiment d’appartenir à la même communauté citoyenne se perd viennent nombreux à Sainte-Marie d’en-Haut et participent aux manifestations proposées. Les plus jeunes y sont particulièrement attendus. Reconnaître ce que nous devons à l’Afrique apparaît alors comme une proposition parmi d’autres pour faire l’apprentissage de l’altérité. Une étape obligée pour prendre conscience des droits et des responsabilités qui en résultent, tant au sein de sa propre commu-nauté de vie que de celle, plus large, des habitants de la planète.

Encore faut-il, à l’orée de cet ouvrage et des nombreuses mani-festations qui s’y rattachent, évoquer, comme nous l’avons annoncé, quelques-unes des personnes qui nous ont inspirés et nourris de leur pensée, de leur œuvre et de leurs travaux. Parmi les ouvrages qui nous ont guidés, il en est un vers lequel nous sommes très souvent revenus. Il s’agit du livre dirigé par Adame Ba Konaré, historienne, fondatrice du musée de la Femme de Bamako et ancienne Première Dame du Mali. Nous avons puisé dans les contributions qu’elle y a rassem-blées, en guise de réponse au discours de Dakar du 26 juillet 2007, du Président Nicolas Sarkozy, comme dans une base de données et sommes heureux de l’accueillir à Grenoble fin novembre 2010. La lec-ture de son livre nous a notamment convaincus d’étendre la réflexion à l’ensemble du continent africain et d’en montrer l’histoire, toute l’histoire, des origines à nos jours. Grâce à elle, nous sommes entrés en contact avec d’autres historiens, tels Elikia M’Bokolo ou Tayeb Chenntouf.

Ce que nous devons à l’Afrique

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1. Edgard Pisani, Vive la révolte – Un vieil homme et la politique, Seuil, 2006, p. 147.

Le deuxième personnage auquel nous nous sommes souvent référés, et dont une partie de l’exposition reprend quelques-uns des travaux, est Jean Rouch, l’ethnologue du musée de l’Homme et le cinéaste, mort en 2004 au Niger dans un accident de voiture. Pourquoi Jean Rouch ? Parce qu’au-delà de l’Afrique, et notamment celle de l’Ouest qui est demeurée le « terrain » de sa vie d’ethnologue, il est l’un des premiers à reconnaître aux personnes auprès desquelles il enquête, la qualité d’expert de leur propre connaissance. Fondamentalement anticolonialiste, cette attitude qui caractérise aussi depuis longtemps les travaux du Musée dauphinois, l’a conduit à proposer une « anthro-pologie partagée » dans laquelle ethnographiés et ethnographes ques-tionnent ensemble la réalité, pour leur profit commun. L’occasion est bonne pour rappeler que cette pratique de l’ethnologie reste malheu-reusement marginale aujourd’hui.

S’agissant de l’art, qui peut aussi trouver place dans un musée d’ethnographie et occupe quoi qu’il en soit une place immense dans ce qu’il faut devoir à l’Afrique, nous avions très tôt pensé que les travaux du photographe Hans Silvester correspondraient à ce que nous souhaitions montrer. La force, l’humanité et la somptuosité des photo gra phies qu’il a faites auprès des populations pastorales de la vallée de l’Omo, en Éthiopie – seule région d’Afrique jamais colonisée et lieu de découverte de la célèbre Lucy – témoignent en effet d’un rapport à la nature d’une telle harmonie, qu’elles nous sont apparues représentatives de l’art africain. L’humanisme et la délicatesse du photographe se hâtant de capter les merveilles de cet art provisoire, auprès de cette population menacée, n’échapperont pas au visiteur. Tout en contemplant la beauté singulière, éphémère et joyeuse dont les Africains sont capables quand ils vivent en symbiose avec leur milieu naturel, il prendra aussi conscience de sa grande fragilité. Le danger qui la menace et tous les maux, malheureusement nombreux, qui affectent gravement l’Afrique ont été particulièrement bien analysés par Edgard Pisani. C’est une des raisons pour lesquelles ses ouvrages nous ont particulièrement inspirés. Non seulement pour ses analyses lucides des conséquences de l’héritage et des changements en cours, mais aussi pour les recommandations qu’il formule, « avec l’utopie comme méthode », dans sa proposition d’un « pacte internatio-nal de renaissance de l’Afrique »1. Partageant son espoir et son ambi-tion, nous voudrions, avec beaucoup d’immodestie sans doute, que la reconnaissance de ce que nous devons à l’Afrique génère sur elle un nouveau regard.

Avant-propos

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Marie-Joséphine Koné lors d’une des rencontres-formations préparatoires à l’exposition Ce que nous devons à l’Afrique et au programme Afriquisère, Musée dauphinois, 5 juin 2010, coll. Musée dauphinois.

Aux noms qui précèdent, nous ajouterons encore celui de Moridja Kitenge Banza. L’œuvre de ce jeune plasticien d’origine congolaise (de la République démocratique du Congo), lauréat en 2010 de la bien-nale de Dakar, avait attiré notre attention pour les liens qu’elle établit entre l’histoire et l’actualité de l’Afrique. Au cours nos échanges et du rapport de confiance qui s’est établi avec lui, il nous a proposé d’ex-primer son avis sur l’évaluation de ce que nous devons à l’Afrique. Nous lui sommes par avance reconnaissants des réflexions que ne va pas manquer de susciter la création qu’il a décidé de réaliser spécialement pour l’exposition et dont il révèle ici le message.

Exprimant combien l’apport d’Adame Ba Konaré, Jean Rouch, Hans Silvester, Edgard Pisani et Moridja Kitenge Banza avait été déter-minant dans notre cheminement, nous avons retracé le plan de cet ouvrage et de l’exposition qu’il prolonge. C’est au fil d’un parcours dans le temps long de l’histoire du continent africain, des premiers temps de l’homme aux questions d’aujourd’hui, prolongée d’une évo-cation de l’apport de ses cultures et de ses productions artistiques que lecteurs et visiteurs sont en effet invités à mesurer ce que l’on doit à l’Afrique.

Ce que nous devons à l’Afrique

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Bien d’autres personnes devraient être ici remerciées, à commen-cer par les personnalités qui ont bien voulu parrainer l’opération, les membres de son comité de pilotage, les partenaires associatifs, les acteurs culturels et, bien sûr, les auteurs des contributions qui ont nourri cet ouvrage. Qu’il nous soit permis de citer encore celui de notre ami Cécil Guitart qui, sans doute parce qu’il fut conservateur du musée des Arts africains et océaniens, s’est particulièrement investi dans la préparation de cette opération, et surtout, celui d’Olivier Cogne sans qui elle n’aurait pu être renseignée et réalisée avec autant de précision, de rigueur et de souci du partage. Souhaitons enfin que l’écho de cette opération résonne jusqu’en Afrique et que cet ouvrage y soit lu, grâce au relais des instituts culturels français. Quoi qu’il en soit, nous tenterons, avec l’aide de nos partenaires, de faire perdurer la réflexion engagée afin qu’elle continue de s’enrichir et de produire ses effets bien au-delà de la durée de l’exposition.

Tandis que la municipalité d’Hubert Dubedout installait le Musée dauphinois dans les bâtiments restaurés de l’ancien couvent de Sainte-Marie d’en-Haut, mission lui était donnée de « resituer dans leur contexte historique les questions d’aujourd’hui ». La question africaine, du fait de l’intérêt qu’elle suscite en Isère, se trouve aujourd’hui resituée dans son très large contexte historique, jusqu’à l’actualité la plus vive. Ainsi le musée joue le rôle qui lui avait été assigné et que sa tutelle d’aujourd’hui, le Conseil général de l’Isère, n’a cessé de confirmer. Cet heureux concours de circonstances permet qu’une telle réflexion sur l’Afrique soit lancée. Souhaitons qu’elle incite à plus de respect à l’égard des Africains et intensifie nos relations avec eux, c’est le moins que nous leur devions.

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1. Anne-Cécile Robert, L’Afrique au secours de l’Occident, 2004 (nouvelle édition 2006), Éditions de l’Atelier, Alliance des éditeurs indépendants. Préface de Boubacar Boris Diop. Le livre a été traduit en italien et en espagnol.2. Cette vision constitue déjà une déformation de l’Histoire parce que l’Afrique n’a pas cessé de donner depuis des siècles : contrainte et forcée, elle a fourni des hommes et des femmes (traite et esclavage), des matières premières, des territoires, etc. Elle continue d’ailleurs de le faire aujourd’hui mais, comme par le passé, cet apport s’effectue dans un cadre contraint : celui du commerce mondial qui organise un « échange inégal » et de la domination économique occidentale ou chinoise.

Couverture du livre d’Anne-Cécile RobeRt, L’Afrique au secours de l’Occident, Éditions de l’Atelier, Alliance des éditeurs indépendants, 2004, 158 p.

« L’Afrique au secours de l’Occident ? Vous ne croyez pas que vous exagé-rez ? » Voilà le genre de commentaire que j’ai parfois entendu à la sor-tie de mon livre en 20041. À quoi certains ajoutaient « et puis d’abord, l’Occident n’a pas besoin d’aide ». Il serait aisé de démontrer, marées noires et explosion des inégalités à l’appui, que l’Occident traverse une crise profonde et qu’il aurait bien besoin d’un coup de main pour s’en sortir. Mais, ce serait un autre sujet et il resterait à démontrer que c’est l’Afrique qui peut tendre cette main secourable.

« Au fait, pourquoi l’Afrique ? » me demande-t-on aussi parfois même si le succès de mon livre laisse entendre que la question ne se pose pas à tous. « Pourquoi pas ? » ai-je l’habitude de rétorquer. Loin

d’être une manière de « botter en touche », cette réponse vise à souligner un préjugé : dans l’imagerie commune, le conti-nent noir est toujours celui qui reçoit ; jamais celui qui donne2. Pour envisager ce que l’Afrique pourrait apporter à l’Occident, il importe donc de se départir des a priori de l’Histoire et des visions dépréciatives véhiculées par les médias. Ceux-ci ne s’in-téressent au continent noir que pour en souligner les malheurs,

Ce que l’Afrique pourrait nous apporter

Anne-Cécile RobertJournaliste au Monde diplomatique

Ce que nous devons à l’Afrique

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3. Nous n’entrerons pas ici dans un débat sur les causes des malheurs africains. Le continent y a, évidemment, sa part de responsabilité mais les mécanismes politiques et économiques dans lesquels s’exerce cette responsabilité doivent aussi être soulignés (structures de l’économie mondiale, néocolonialismes, etc.).4. Serge Latouche, L’Autre Afrique, entre don et marché, Albin-Michel, Paris, 1998.

au demeurant réels. Cependant, l’Afrique ne saurait se résumer à ses difficultés, pas plus qu’une personne souffrante ne peut se réduire à sa maladie. « Si nous n’avions pas, dans nos sociétés, les ressources humaines et morales pour faire face aux problèmes qui nous accablent, nous serions déjà tous morts » m’avait un jour expliqué l’écrivain camerounais Eugène Ebodé. Cette capacité de résistance (à la misère, au Sida, aux guerres)3, rarement soulignée, devrait à elle seule susciter l’intérêt et la curiosité des observateurs étrangers.

Malgré son malheur, le continent noir abrite en effet des civili-sations (souvent anciennes), des sociétés qui portent des valeurs et organisent les relations humaines, ainsi que des cultures diverses et créatives. Si les artistes africains parviennent, notamment en France, à faire connaître leurs talents (peinture, cinéma, chansons, etc.), la richesse sociale de leurs pays demeure méconnue. Or, elle constitue potentiellement un gisement de savoir-faire pour nos sociétés occi-dentales fracturées et déboussolées.

« Vous êtes complètement fous en Europe. Comment pouvez-vous laisser les vieux mourir tout seuls comme ça ? », m’écrivit un ami sénégalais en 2003. Il venait de regarder à la télévision les images de la canicule qui a fait 70 000 morts sur le Vieux Continent. Comme beaucoup d’Afri-cains, il était choqué de voir des personnes âgées délaissées par leur famille dans des résidences, parfois très sophistiquées. Le contraste entre la technologie parfois déployée dans les maisons de retraite et la pauvreté des rapports humains n’était pas pour rien dans les com-mentaires choqués que suscitaient les événements en Afrique. Le res-pect des plus anciens et l’importance accordée à la famille rendent, en effet, largement impensables de telles situations sur le continent noir. Nombre de sociologues, par exemple Serge Latouche4, ont souligné ce trait caractéristique des sociétés subsahariennes malgré leur hétéro-généité. Le lien social, sa préservation, y constitue une valeur centrale. D’ailleurs, la charte des droits de l’homme de l’Union africaine est le seul texte de ce genre à faire allusion, à côté des droits de chacun, à ses devoirs envers la collectivité.

Les Africains sont tous insérés dans de multiples réseaux qui com-mencent avec la famille (élargie aux cousins les plus éloignés), le vil-lage, le quartier et s’étendent à toutes sortes de clubs ou d’associations. Celles-ci peuvent concerner le sport ou des activités économiques, comme les coopératives de paysans ou les groupements de femmes. Tout cela repose sur un principe de solidarité qui n’est pas seulement l’expression de la nécessité (faire face à la pénurie). Il s’agit aussi, pro-fondément, de valeurs qui résistent à l’exode rural et que l’on retrouve

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Arbre à palabre dans le village de Jambiani (archipel de Zanzibar, Tanzanie), 2004Ph. Bertrand Devimeux (Aide médicale et développement).L’arbre à palabre est le lieu traditionnel de rassemblement à l’ombre duquel on s’exprime sur la vie en société, les problèmes du village, la politique, etc.

dans les villes de plus en plus peuplées du continent noir. Par exemple, les chauffeurs de taxi de Dakar sont souvent issus du même village et se retrouvent le soir pour s’entraider, voire partager les recettes de la journée. La socialisation des personnes constitue un principe cardi-nal qui résiste à la modernité. Le responsable d’une grande banque africaine stupéfia ainsi ses homologues européens et américains en quittant brusquement une réunion internationale à Washington pour se rendre à l’enterrement d’un parent éloigné en Côte d’Ivoire. C’était au début des années 2000.

Sur le continent noir, la relation sociale l’emporte souvent sur l’ac-cumulation matérialiste. La valeur sociale d’une activité est parfois supérieure à sa valeur économique. Chacun connaît, par exemple, le principe de la tontine. Il s’agit, souvent au sein d’associations de femmes, des fonds dans un pot commun dont le bénéficiaire est tiré au sort, désigné selon une rotation ou choisi en fonction du projet qu’il souhaite mettre en œuvre. L’un des intérêts de ce système est qu’il est destiné à favoriser le développement de l’ensemble de la communauté. Il remplit donc un rôle collectif et social. Ce système de crédit ne rentre pas dans les cadres des mécanismes bancaires classiques. C’est pourquoi d’ailleurs, on note des tentatives de la part des bailleurs de fonds occidentaux pour le faire « entrer dans le droit chemin ». Comme

Ce que nous devons à l’Afrique

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Amadou Hampâté Bâ (1900 ou 1901-1991).© Présence africaine

5. Pierre Merlin, Espoir pour l’Afrique noire, Présence africaine, 2003.

le résume le sociologue Pierre Merlin, en Afrique, « le lien prime le bien »5.

Comment ne pas voir les trésors que recèlent les sociétés africaines au moment où les pays occidentaux s’interrogent sur la crise du lien social et paient de coûteuses études – souvent en vain – pour tenter de la résoudre ? Pourtant, les solutions ne sont parfois pas très loin. La présence d’associations africaines dans un quartier en change souvent la physionomie et contribue à recréer de nouveaux rapports sociaux. En poussant les comparaisons, on pourrait imaginer des coopérants africains venant en Europe expliquer les vertus des rapports humains et comment s’y prendre pour les recréer…

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6. Nelson Mandela, Un Long chemin vers la liberté, Fayard, Paris, 1995.7. Christoph Eberhard et Aboubakry Sidi Ngondo, « Relire Amadou Hampâté Bâ pour une approche africaine du droit », Revue internationale d’études juridiques, 2001, n° 47.8. Christoph Eberhard et Aboubakry Sidi Ngondo, op. cit.

Mais l’expertise africaine pourrait aussi être employée pour le dialogue social. Le fameux arbre à palabre, parfois caricaturé, est en fait une technique pour exprimer les besoins de la communauté et trouver des solutions par consensus. C’est un lieu de discussion et d’échanges Nelson Mandela raconte comment la palabre a influencé sa conception du pouvoir : « L’idée que je me ferais plus tard de la notion de commandement, écrit-il, fut profondément influencée par le spectacle du régent et de sa cour. J’ai observé les réunions tribales qui se tenaient régulièrement à la Grande Demeure et elles m’ont beaucoup appris […] Tous ceux qui voulaient parler le faisaient. C’était la démocratie sous sa forme la plus pure. Il pouvait y avoir des différences hiérarchiques entre ceux qui parlaient, mais chacun était écouté […] En tant que responsable, j’ai tou-jours suivi les principes que j’ai vus mis en œuvre par le régent à la Grande Demeure »6.

La parole joue un rôle essentiel dans la sociabilité africaine au point que certains sociologues ont pu écrire que « la parole c’est l’homme, c’est elle qui actualise la vie, qui lui permet de jaillir »7. La palabre est une forme spécifique de médiation sociale institutionnalisée, voire une sorte de « pouvoir parallèle » selon l’expression de l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ. Souvent la parole, le pouvoir de dire, est confiée à une personne déterminée, par exemple le griot dont c’est le travail. En revanche, le chef parle peu et s’exprime plutôt au travers des rites liés à sa fonction8. La palabre s’oppose au sein d’un groupe à l’arrogance ou à l’esprit de domination. La fonction d’écoute est valo-risée comme celle de dire. Le dialogue remplit une fonction cardinale du lien social en assurant le consensus et l’homogénéité du groupe. Point n’est besoin de développer ce que ce genre de techniques pour-rait apporter à nos sociétés où le pouvoir s’exerce souvent de manière autoritaire. On trouve un mécanisme relevant de la même philoso-phie dans l’imbizo sud-africain où le chef doit se consacrer à écouter ses sujets sans parler. Cette technique a été réactivée par le président Thabo Mbeki.

On pourrait multiplier les exemples de ce savoir-faire africain sous-estimé. Évidemment, il n’existe pas de sociétés parfaites et les Africains se plaignent souvent, par exemple, du poids trop lourd que pèse le groupe sur la vie des individus. En revanche, il s’agit pour notre planète endolorie par les crises et les inégalités de prendre au mot le slogan de la diversité culturelle et d’admettre que le continent noir a lui aussi des choses à apporter au reste du monde. Et que ce monde en a bien besoin !

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Conseils bibliographiques

Christoph Eberhard et Aboubakry Sidi Ngondo,

« Relire Amadou Hampâté Bâ pour une approche

africaine du droit », Revue internationale d’études

juridiques, 2001, n° 47.

Serge Latouche, L’Autre Afrique, entre don et marché,

Paris, Albin-Michel, 1998, 246 p.

Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, Paris,

Fayard, 1995, 658 p.

Pierre Merlin, Espoir pour l’Afrique noire, Paris,

Présence africaine, 1991, 477 p.

Anne-Cécile Robert, L’Afrique au secours de l’Occident,

2004 (nouvelle édition 2006), Éditions de l’Atelier,

Alliance des éditeurs indépendants, 158 p.

Anne-Cécile Robert, Jean-Christophe Servant,

Afriques, années zéro, Nantes, L’Atalante, 2008, 223 p.

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Parcourir, des premiers temps de l’hommeaux questions d’aujourd’hui, la très longuehistoire du continent africain, sans omettrel’immense apport de ses cultures et de sesproductions artistiques, tel est le défi querelèvent cet ouvrage et l’exposition qu’ilprolonge. Tel est aussi l’ambitieux projetque se sont donné, autour du Musée dau-phinois, les associations et partenaires cul-turels de l’Isère en réfléchissant ensembleà « ce que nous devons à l’Afrique ». DeLouise-Marie Diop-Maes à EmmanuelTerray, en passant par Théophile Obenga,Djibril Tamsir Niame, Chenntouf Tayeb,Étienne Féau, Claude-Hélène Perrot ouAnne-Cécile Robert, pour ne citer qu’eux,des spécialistes tentent ici, chacun dansleur discipline, de procéder à cette évalua-tion. L’objectif, ainsi que nous y inviteEdgard Pisani, étant de « réinventer [avecl’Afrique] une relation fondée sur le respectmutuel ».

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