Catalogue Festival 2013

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© 1977 Cinema International Corporation N.V.

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SOMMAIRE

ÉDITOS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

HOMMAGE À WILLIAM FRIEDKIN

LES FILMS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

RESTAURATIONS ET INCUNABLES

LES FILMS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

« D’UNE ÈRE À L’AUTRE » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

HOMMAGE À LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE

LES FILMS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

« RETROUVER LE CINÉMA

LES 50 ANS DE LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE » . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

COULEURS DU CINÉMA MUET

LES FILMS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

« COULEUR, PREMIERS PAS » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

GLOSSAIRE DES PROCÉDÉS COULEUR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

RAJ KAPOOR, LE SHOWMAN

LES FILMS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

« RAJ KAPOOR : LE SOCIALISME DIVERTISSANT ET ROMANTIQUE » . . 53

RENCONTRES ET CINÉ-CONCERTS . . . . . . . . . . . . . .61

PARTENAIRES/REMERCIEMENTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

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2 ÉDITOS

AURÉLIE FILIPPETTIMINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION

C’est pour maintenir vivante et vive cette mémoire universelle des œuvres cinématographiques que La Cinémathèque française organise pour sa deuxième édition le festival Toute la mémoire du monde .

Tels les mots d’Alain Resnais, dont le festival s’inspire, l’État ne peut que s’associer à l’objectif de la manifestation de tirer les films de cette « abstraite indifférence où ils sont entre eux » et de permettre aux spectateurs « assis devant leur morceau de mémoire universelle » de mettre « bout à bout les fragments d’un même secret» .

Je tiens à saluer la poursuite de cette manifestation qui, grâce à des partenariats institutionnels et à des ayants droit essentiels sur les questions de patrimoine, se déploie cette année, dans les locaux de Paris Bercy de La Cinémathèque française mais aussi hors les murs et bientôt en région, car elle permet au public de découvrir ou de redécouvrir de nombreux films restaurés, dont certains seront projetés pour la première fois en France, et ainsi de nous donner à voir les chefs-d’œuvre comme les œuvres moins connues du patrimoine cinématographique mondial . Je me réjouis que William Friedkin y soit à l’honneur et puisse venir échanger sur les œuvres qui l’ont marqué et que La Cinémathèque française honore les travaux de l’archive italienne Fondazione Cineteca di Bologna, de même que la mémoire de l’acteur, producteur et cinéaste Raj Kapoor, en cette année où le cinéma indien fête son centenaire comme j’ai eu plaisir à le célébrer lors du dernier festival de Cannes aux côtés du ministre du tourisme indien .

Ainsi, alors que les discussions présenteront les différents procédés ayant permis au cinéma muet de se coloriser, le festival fera également la lumière sur des œuvres restaurées et numérisées par La Cinémathèque française et Gaumont-Pathé-Archives grâce au concours de l’État et du Centre National du Cinéma et de l’image animée, de même plus largement sur le travail de collecte, de restauration et de sauvegarde, au cœur des enjeux de mémoire . Une mémoire qui pose indissociablement la question de la transmission du patrimoine film et non-film, au jeune public notamment . C’est la raison pour laquelle, je souhaite souligner les nombreuses initiatives de ce festival et de ses partenaires, destinées à la jeunesse, et plus particulièrement les rencontres et ateliers en direction des étudiants et des élèves, visant à les sensibiliser à l’action essentielle opérée par les institutions patrimoniales publiques et privées .

À toutes et à tous, je souhaite donc un excellent festival et d’être inspirés par ce patrimoine précieux que nous offre le cinéma, une mémoire du monde sans laquelle tout serait à recommencer, qu’il nous appartient à tous de valoriser et préserver pour les générations futures .

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3ÉDITOS

FRÉDÉRIQUE BREDINPRÉSIDENTE DU CNC

Toute la Mémoire du monde s’impose désormais dans l’agenda des cinéphiles et des amoureux du patrimoine cinématographique comme un rendez-vous incontournable . En offrant un panorama des plus belles restaurations récemment réalisées à travers le monde, il nous fait mesurer – et avec quel éclat – toute la richesse de cet art qui n’a, depuis son invention, cessé de se réinventer !

La programmation exceptionnelle de cette édition – de la filmographie de Raj Kapoor, le « Charlie Chaplin indien », aux nombreux ciné-concerts et ateliers proposés – saura, à n’en pas douter, ravir un public toujours plus large . Tout comme l’hommage rendu à la Fondazione Cineteca di Bologna, qui met en lumière le rôle indispensable que jouent les cinémathèques en Europe, dans un contexte parfois sévère de crise des soutiens apportés à la culture .

Au CNC, la préservation et la diffusion du patrimoine cinématographique sont une mission essentielle, que nos actions portent très haut . À travers plusieurs œuvres issues des Archives françaises du film, le CNC s’associe au programme sur la couleur au temps du cinéma muet . Il invitera les spectateurs à retracer cette formidable aventure, au gré de films dont les procédés ingénieux nous rappellent que le cinéma fut très vite investi par les couleurs de la vie .

C’est avec un plaisir tout aussi grand que le CNC contribue aux ateliers pédagogiques, qui permettent à des classes cinéma comme au grand public de découvrir quelques-uns des secrets de la restauration . Favoriser le lien entre les œuvres qui fondent notre mémoire et les cinéphiles de demain est un objectif majeur du CNC, porté par ses multiples dispositifs d’éducation à l’image .

« Créer, c’est se souvenir » disait Victor Hugo, et ce mot nous invite à penser les liens intimes qui unissent notre patrimoine et notre présent . La création d’aujourd’hui est l’héritière des formes artistiques qui l’ont précédée et que votre festival contribue à révéler et à mieux faire connaître . Je salue chaleureusement l’équipe organisatrice de Toute la mémoire du monde et je ne doute pas que cette édition sera une source d’émerveillement pour le public, invité à découvrir ou à redécouvrir des œuvres exceptionnelles dont la rareté fait tout le prix .

Bonnes projections à tous !

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4 ÉDITOS

COSTA-GAVRASPRÉSIDENT DE LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE

SERGE TOUBIANADIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE

La deuxième édition de Toute la mémoire du monde a comme invité d’honneur William Friedkin . Nous sommes heureux et fiers d’accueillir l’auteur de Sorcerer (Le Convoi de la peur, le remake du film d’Henri-Georges Clouzot Le Salaire de la peur), qu’il viendra présenter dans une version restaurée . William Friedkin a accepté avec enthousiasme une carte blanche, choisissant cinq films qui font partie de sa cinéphilie intime, parmi lesquels Le Samouraï de Jean-Pierre Melville (restauré numériquement par Pathé), Sueurs froides d’Hitchcock et Crimes et délits de Woody Allen .

L’autre invité de Toute la mémoire du monde est la Cineteca di Bologna, une des archives en Europe parmi les plus dynamiques et les plus modernes . Son directeur, Gian Luca Farinelli, présentera des films récemment restaurés dans le laboratoire L’Immagine Ritrovata . Entre autres, Païsa de Roberto Rossellini, ou Manille de Lino Brocka . À l’occasion du Centenaire du cinéma indien, Toute la mémoire du monde rend hommage à une figure historique, Raj Kapoor, acteur et réalisateur .

Toute la mémoire du monde est aussi l’occasion de voir des films restaurés (par exemple, le Fanny et Alexandre de Ingmar Bergman, que vient de restaurer Gaumont), des œuvres du cinéma muet accompagnées musicalement, de parcourir en une quarantaine de séances des pans souvent peu connus de l’histoire du cinéma mondial . Notons également une Nuit Fantômas, le 7 décembre (le film de Louis Feuillade sera accompagné à l’orgue) . Et puis, au cœur du festival, la programmation de Shoah de Claude Lanzmann, récemment restauré numériquement à partir du négatif 16 millimètres, la projection étant précédée d’une conversation avec l’auteur .

Toute la mémoire du monde est un moment privilégié pour faire le point sur quelques grandes questions techniques qui préoccupent archives et cinémathèques, mais aussi les détenteurs de catalogues de films, petits et gros, ainsi que les éditeurs et diffuseurs de films anciens, sans oublier les laboratoires techniques qui sont évidemment concernés . Tables rondes, interventions de spécialistes, ateliers de formation permettront de débattre de questions liées au format et aux normes techniques, et surtout de la question essentielle de notre temps : comment conserver les données numériques ?

Cette année le festival s’élargit en s’associant, grâce au concours de l’Agence pour le Développement Régional du Cinéma (ADRC) et de l’Association Française des Cinémas d’Art et Essai (AFCAE) à une dizaine de salles à Paris, en région parisienne et dans des villes de province (Beauvais, Caen, Nancy, Nîmes ou Pessac…) . Plus on est de fous…

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5ÉDITOS

PATRICK BROUILLERPRÉSIDENT DE l’AFCAE

CHRISTOPHE RUGGIAPRÉSIDENT DE L’ADRC

L’Association Française des Cinémas d’Art et Essai (AFCAE) et l’Agence pour le Développement Régional du Cinéma (ADRC) sont heureuses de s’associer à cette deuxième édition du festival Toute la mémoire du monde, pour offrir des projections « hors les murs » dans dix cinémas Art et Essai de proximité à Paris, en Ile-de-France et en régions .Ces projections, organisées aux quatre coins de la France, proposeront aux publics de ces territoires de découvrir, en avant-première, sur grand écran et dans les conditions désormais offertes par le numérique, les rééditions de trois films inscrits dans le programme du festival : Fleurs d’équinoxe de Yasujiro Ozu, La Propriété, c’est plus le vol d’Elio Petri et Sueurs Froides d’Alfred Hitchcock .

Cette première collaboration marque la volonté de La Cinémathèque française de s’ouvrir sur d’autres lieux œuvrant, au quotidien, pour la diffusion culturelle par le film . Il était dès lors naturel que l’AFCAE et l’ADRC, qui, par leurs actions, ont pour point commun de participer activement à l’aménagement culturel et social du territoire en favorisant le pluralisme et la diversité cinématographique, s’y associent afin de permettre à un plus grand nombre de cinéphiles passionnés et de spectateurs curieux de participer aux festivités un peu partout en France .

Nous souhaitons que ce premier « hors les murs » rencontre un franc succès et se développe dans les prochaines années pour réunir un plus grand nombre de salles et de spectateurs autour de films qui, parfois revenus d’entre les morts pour mieux hanter nos esprits, retrouvent force et éclat grâce aux évolutions technologiques mises au service de la mémoire cinématographique .

LES LIEUX DU HORS LES MURS

BEAUVAISCinespace

CAENLux

NANCYLe Caméo

NÎMESLe Sémaphore

PARISLe Grand Action

PARISLe Reflet Médicis

PESSACJean Eustache

ROMAINVILLELe Trianon

SAINT-ETIENNELe Méliès

TREMBLAY-EN-FRANCEJacques Tati

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6 HOMMAGE À WILLIAM FRIEDKIN

LES FILMS

HOMMAGE À WILLIAM FRIEDKIN SÉANCE D’OUVERTURE

Le Convoi de la peur / Sorcerer, William Friedkin (1977) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

CARTE BLANCHE

Le Trésor de la Sierra Madre / The Treasure of the Sierra Madre, John Huston (1948) . . . . . . . . . . . . 8

Sueurs froides / Vertigo, Alfred Hitchcock (1958) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Le Samouraï, Jean-Pierre Melville (1967) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

À cause d’un assassinat / The Parallax View, Alan J . Pakula (1974) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Crimes et délits / Crimes and Misdemeanors, Woody Allen (1989) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

Pour cette carte blanche, j’ai choisi des films que j’ai vus de nombreuses fois et que je continue toujours d’apprécier avec les années. Ces films sont devenus mes amis, je les regarde souvent. Ils traitent tous d’une certaine manière des thèmes qui m’intéressent le plus : la paranoïa, l’obsession, la peur irrationnelle. Les films en engendrent d’autres.

Sorcerer a été autant influencé par Le Trésor de la Sierra Madre que par Le Salaire de la peur d’Henri-Georges Clouzot . Il ne s’agit pas d’un remake mais d’une nouvelle version du film de Clouzot, de même qu’on ne peut pas parler d’un remake pour une nouvelle mise en scène de Hamlet ou de Cyrano, mais d’une nouvelle interprétation . La restauration de Sorcerer se rapproche au plus près de la version originale . Je tiens à remercier La Cinémathèque française de présenter au public français cette nouvelle restauration numérique, la meilleure jamais effectuée .

WILLIAM FRIEDKIN, 3 OCTOBRE 2013

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7HOMMAGE À WILLIAM FRIEDKIN

WILLIAM FRIEDKIN(né en 1939)Réalisateur, scénariste, producteur et interprète, William Friedkin débute sa carrière à la télévision où il réalise des centaines d’émissions, dont certaines sont des documentaires comme The People versus Paul Crump (1962) . Cinq ans plus tard, il signe son premier long métrage, Good Times, à l’âge de 27 ans . Après avoir adapté des pièces de théâtre au cinéma (L’Anniversaire, 1968 et Les Garçons de la bande, 1970), il réalise des films qui l’érigent comme une figure du Nouvel Hollywood : French Connection, en 1971, pour lequel il obtient l’Oscar du Meilleur réalisateur, et L’Exorciste en 1973 .

Restauration en 4K par Warner Bros. sous la direction de William Friedkin, avec le concours de Bryan McMahan (coloriste), d’Aaron Levy (design et mixage son) et de Ned Price (coordinateur).

Sorcerer (Le Convoi de la peur) est sorti en salles aux États-Unis le 24 juin 1977 . Trop tard peut-être . Quelques semaines plus tôt, en effet, Star Wars (La Guerre des étoiles) de George Lucas triomphait sur les écrans américains avant de déferler sur ceux du monde entier . Quelque chose s’achevait dans l’histoire du cinéma américain pour laisser place à un monde nouveau, un monde où l’idée de spectacle cinématogra-phique se trouverait elle-même radicalement transformée . L’échec commercial du film de William Friedkin marqua la fin d’une époque et fit de Sorcerer, pendant longtemps, un film maudit, quasiment invi-sible, auréolé d’une légende amplifiée par le fait qu’il était devenu, pour des raisons à la fois techniques et juridiques, très compliqué de le revoir dans de bonnes conditions . Mais c’est sans doute sa capa-cité à avoir su absorber ce qui se faisait de plus radical dans ce que l’on a rétroactivement dénommé le Nouvel Hollywood qui en a fait un objet de culte . Dans sa manière d’injecter de l’expérimental dans du monu-mental, de l’abstraction dans le spectacle .

C’est après le succès planétaire de L’Exorciste que Friedkin eut l’idée et surtout la pos-sibilité de réaliser un cou-teux et distant remake du film d’Henri-Georges Clouzot, Le Salaire de la peur, adapté du roman de Georges Arnaud . Pas moins de deux major compa-nies, Universal et Paramount, s’unirent pour produire le film du nouveau wonder boy d’Hol-lywood . La distribution, à qui l’on imputa d’ailleurs une par-tie de l’échec du film car aucun des acteurs principaux ne pou-vait être considéré comme une star, fut réunie après de nombreux refus et défections . Sorcerer est un film de seconds couteaux, ce qui contribue à en faire aujourd’hui sa force para-doxale . Le tournage, on le sait, fut homérique, constamment mis en danger par les éléments ou les hommes .Le premier plan du géné-rique, celui d’un totem pri-mitif, figure archaïque venue d’une préhistoire humaine, insuffle dans le film, immédia-tement, une dimension propre-ment magique . Ce sentiment d’un surnaturel diffus apparaît d’autant plus aigu que le film semble mettre en scène des personnages uniquement défi-nis par leur action concrète, loin de toute morale et de toute transcendance, compa-rables en cela aux policiers de French Connection . Friedkin raconte une odyssée de l’ex-trême, celle de quatre hommes perdus et voués à accomplir

une tâche absurde . Quatre hommes à propos desquels la question de savoir s’ils sont du côté du bien ou du mal, s’ils ont fait ou non les bons choix, s’ils sont ou non au-delà de toute rédemption, apparaît dérisoire . L’expérience, plas-tique et cinétique mais aussi sonore (les pulsations de Tangerine Dream), fusionne avec le récit d’une aventure sans rétribution . Le film est construit sur le principe de l’autodestruction imminente (la dangerosité de la nitroglycé-rine transportée par les quatre hommes) et consécutivement sur une tension permanente . Si la forme du road movie a long-temps défini une grande par-tie d’un cinéma américain dit moderne, le relâchement d’une action qui se dissolvait dans l’errance et la déconnection, Sorcerer fonctionne sur une énergie inverse, sur son envers, celle d’une contraction insup-portable et de la menace d’un éclatement fatal . Something’s got to give . Quelque chose doit céder . C’est là, résumé, l’art incomparable de William Friedkin, auteur d’un cinéma qui a poussé une certaine logique de l’action, cet ethos du cinéma américain, jusqu’à ses ultimes conséquences .

JEAN-FRANÇOIS RAUGERDirecteur de la programma-tion de La Cinémathèque française

Quatre hommes de nationalités différentes s’associent pour conduire un chargement de nitroglycérine à travers la

jungle sud-américaine .

Séance présentée par William Friedkin.

RÉALISATIONWilliam Friedkin

SCÉNARIOWalon Green, d’après le roman Le Salaire de la peur de Georges Arnaud

PRODUCTIONFilm Properties International N .V ., Paramount Pictures, Universal Pictures

PHOTOGRAPHIEDick Bush et John M . Stephens

INTERPRÈTES Roy Scheider, Bruno Cremer,Francisco Rabal, Amidou

USA, 1977, couleur, DCP, 122 minutes

LE CONVOI DE LA PEUR WILLIAM FRIEDKIN | 1977

SORCERER MARDI 3 DÉCEMBRE, 20H

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8 HOMMAGE À WILLIAM FRIEDKIN

JOHN HUSTON (1906-1987)John Huston débute sa carrière hollywoodienne comme scénariste dans les années 1930 . La Warner lui confie la réalisation d’un premier film en 1941, Le Faucon maltais . Enrôlé pendant la guerre, il réalise trois documentaires remarqués, avant de tourner de nouveau avec Humphrey Bogart Le Trésor de la Sierra Madre et Key Largo, tous deux sortis en 1948 . Sa filmographie comprend de nombreuses adaptations littéraires, telles que Quand la ville dort (1950), La Charge victorieuse (1951), Moby Dick (1956), La Nuit de l’iguane (1964) ou Gens de Dublin (1987) . Huston a également poursuivi une carrière d’acteur, dirigé notamment par Otto Preminger (The Cardinal, 1963) ou Roman Polanski (Chinatown, 1974) .

Depuis plusieurs années John Huston a le projet d’adapter Le Trésor de la Sierra Madre quand la Warner achète les droits du roman, en 1941 . Le travail d’écri-ture débute pendant la guerre, alors que le cinéaste est enrôlé dans les troupes américaines, mais le film est reporté à son retour définitif du front .

John Huston adapte un roman paru aux États-Unis en 1935, de l’énigmatique et invi-sible auteur Bernard Traven . Tentant de rencontrer l’écrivain reclus, qui lui a écrit sa satis-faction à la lecture du scéna-rio, Huston fait la connaissance

au Mexique d’un certain Hal Croves . L’individu prétend être envoyé par Bernard Traven pour le représenter . La colla-boration des deux hommes est productive, si bien que le cinéaste embauche Croves comme conseiller technique . Le doute subsiste : Huston n’a jamais su si Croves et Traven étaient une seule et même personne . . .

Le film est tourné au Mexique, au printemps 1947, dans la région montagneuse voisine de Jungapeo, à Tampico et à Durando . Selon le cinéaste, il s’agirait du premier film de

fiction hollywoodien tourné presque intégralement en exté-rieur hors des États-Unis .

Aux côtés de Humphrey Bogart et de Tim Holt, John Huston impose la participation de son père, Walter Huston, dans le rôle de Howard . Le comé-dien accepte malgré le portrait dressé par son fils : Howard est sage, rusé… et édenté . L’acteur doit également apprendre la langue espagnole pour incar-ner le vieil aventurier, John Huston tenant tout particuliè-rement à filmer les dialogues avec les autochtones dans leur langue natale1 .

À la cérémonie des Oscars de 1949, Walter Huston remporte celui du Meilleur acteur dans un second rôle, et John ceux du Meilleur scénario adapté et du Meilleur réalisateur . Le Trésor de la Sierra Madre a reçu, lors de sa sortie américaine en 1948, un excellent accueil de la critique, qui salue sa den-sité psychologique, son esthé-tique et la qualité de sa mise en scène .

1 - John Huston, An Open Book,

New York Alfred A . Knopf, 1980) .

Deux aventuriers américains s’associent avec un vieil homme pour exploiter un filon d’or dans la Sierra Madre .

Séance présentée par William Friedkin.

RÉALISATION John Huston

SCÉNARIO John Huston, d’après un roman de Bernard Traven

PRODUCTEURHenry Blanke (Warner Bros .)

PHOTOGRAPHIE Ted McCord

INTERPRÈTES Humphrey Bogart, Tim Holt, Walter Huston, Bruce Bennett

États-Unis, 1948, noir et blanc, DCP, 126 min

LE TRÉSOR DE LA SIERRA MADRE JOHN HUSTON | 1948

THE TREASURE OF THE SIERRA MADRE MERCREDI 4 DÉCEMBRE, 16H30

Le Trésor de la Sierra Madre et Le Samouraï délivrent avec simplicité deux histoires qui partagent le même sens moral. Tous deux explorent la limite fragile qui sépare le bien et le mal, au cœur d’un monde maudit. Le Trésor de la Sierra Madre est le film incontournable sur l’avidité et l’un des meilleurs films à suspense jamais réalisés. Les interprétations de Humphrey Bogart et de Walter Huston figurent parmi les plus remarquables du cinéma américain. William Friedkin - 3 octobre 2013

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9HOMMAGE À WILLIAM FRIEDKIN

ALFRED HITCHCOCK (1899-1980) Surnommé le « maître du suspense », auteur de thrillers spectaculaires et secrètement théoriques, Alfred Hitchcock est un cinéaste qui compte plus de cinquante longs métrages et a toujours fait du cinéma avec la conscience des moyens et des puissances encore inexplorées d’un art nouveau .De 1925 à 1939, il réalise en Angleterre dix-huit films parmi lesquels L’Éventreur (1926), Chantage (1929) et Les 39 Marches (1935) . Appelé par le producteur Selznick, il s’installe à Hollywood et réalise, en 1940, Rebecca qui marque le début de sa période américaine . S’ensuivent La Corde (1948), Sueurs froides (1958), Psychose (1959), La Mort aux trousses (1959) et Les Oiseaux (1962), des films devenus cultes et emblématiques de son œuvre .

Le film a été restauré par Paramount Picture Corporation. Il est distribué par Théâtre du Temple.

Vertigo est une adaptation du roman de Boileau-Narcejac D’entre les morts . En octobre 1956, lorsque la Paramount achète les droits du roman, Hitchcock est l’une des per-sonnalités les plus influentes de Hollywood . Les deux romanciers auraient spéciale-ment imaginé leur récit pour le cinéaste, qui n’avait pu acqué-rir les droits de leur précédent roman, Les Diaboliques, mis en scène par Henri-Georges Clouzot .

Pour sa quatrième et ultime collaboration avec l’acteur, Alfred Hitchcock met en scène James Stewart en héros impuissant, au cœur d’une troublante enquête policière qui mue en obsession amou-reuse . L’actrice Vera Miles, avec qui Hitchcock avait tourné Le Faux Coupable (1956), est au départ pressentie pour incarner le double rôle de Madeleine/Judy . Enceinte, elle décline le rôle . Alors qu’Hitchcock est hospitalisé, la production prend l’initia-tive d’engager Kim Novak . Sur le tournage, la relation entre l’actrice et le metteur en scène s’avère houleuse . Hitchcock fait appel à son équipe de techni-ciens habituelle : le chef opéra-teur Robert Burks, le monteur Georges Tomasini, la scripte et assistante Peggy Robertson, le compositeur Bernard Herrmann ainsi que Saul Bass à qui l’on doit le célèbre géné-rique animé . Le choix du scé-nariste est plus tumultueux . Une première adaptation de Maxwell Anderson est refusée par Hitchcock . Alec Coppel propose ensuite une nouvelle mouture, qui sera par la suite finalisée par Samuel Taylor, un scénariste originaire de San Francisco . Ce dernier invente le

personnage de Midge (Barbara Bel Geddes) et étoffe la per-sonnalité de Scottie .

Construit en deux parties, Vertigo marque un tournant dans l’œuvre du cinéaste, en révélant le dénouement de l’histoire trente minutes avant la fin du film . Ce parti pris est une liberté de l’auteur qui se dégage ainsi du récit origi-nal mais aussi de ses propres techniques narratives, et témoigne de sa brillante maî-trise du suspense . Il utilise pour la première fois le « travelling compensé », une innovation, qui plonge le spectateur dans les tourments psychiques du héros .

Lors de sa sortie, le film est mal accueilli par le public et la cri-tique . Ce n’est que plus tard, dans les années 1960, qu’il est redécouvert par les cinéphiles . Ce vibrant voyage dans la spi-rale du temps et de la mémoire a influencé un très grand nombre de cinéastes, parmi eux Chris Marker (La Jetée), Brian De Palma (Obsession), David Lynch (Mulholland Drive), entre autres…

À San Francisco, Scottie, un ancien policier souffrant d’acrophobie est engagé pour filer Madeleine, la femme d’un

ami . Il la suit jusqu’à l’obsession .

Séance présentée par William Friedkin.

RÉALISATIONAlfred Hitchcock

SCÉNARIOAlec Coppel, Samuel A . Taylor, d’après le roman de Boileau-Narcejac

PRODUCTIONParamount Pictures, Alfred Hitchcock Productions

PHOTOGRAPHIERobert Burks

INTERPRÈTES James Stewart, Kim Novak, Barbara Bel Geddes, Tom Helmore

États-Unis, 1958, Couleur, DCP, 123 min

SUEURS FROIDES ALFRED HITCHCOCK | 1958

VERTIGO VENDREDI 6 DÉCEMBRE, 16H30

Sueurs froides est le film de Hitchcock le plus complexe. En 1958, le public s’attendait à un film à suspense romantique et le rejeta, l’estimant trop ambigu. Il est aujourd’hui considéré comme le chef-d’œuvre d’Alfred Hitchcock, son film le plus personnel, mettant en scène, plus que tout autre film, ses propres obsessions. William Friedkin - 3 octobre 2013

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10 HOMMAGE À WILLIAM FRIEDKIN

JEAN-PIERRE MELVILLE (1917-1973)Réalisateur, scénariste, producteur et parfois acteur, Jean-Pierre Melville, de son vrai nom Jean-Pierre Grumbach, est l’une des figures majeures du cinéma français d’après-guerre . Cinéphile éclairé, il réalise son premier court métrage Vingt-quatre heures de la vie d’un clown en 1945, sous le pseudonyme de Jean-Pierre Melville, en hommage à l’auteur de Moby Dick . En 1947, il tourne Le Silence de la mer . Enthousiasmé, Jean Cocteau lui confie en 1949 l’adaptation de son roman Les Enfants terribles . Il fonde ses propres studios, les studios Jenner, au milieu des années 1950 . Grand admirateur de films noirs hollywoodiens, il réalise Le Doulos (1962), Le Deuxième Souffle (1966), Le Samouraï (1967), Le Cercle rouge (1970) . . . Jean-Pierre Melville est considéré comme l’un des parrains de la Nouvelle Vague et le maître du film noir français .

Le négatif a été scanné en 4K au laboratoire LTC, puis restauré en 2K afin d’obtenir la meilleure résolution. L’étalonnage a été supervisé par Pierre Lhomme, chef opérateur qui a travaillé avec Jean-Pierre Melville sur L’Armée des ombres (et dont la collaboration au travail de res-tauration avait été saluée). Le son magnétique était encore en assez bon état. Les dynamiques sonores ont été retravaillées et le son mono d’origine a été conservé. Le film a été restauré par Pathé en 2011.

Librement adapté du roman de Joan McLeod The Ronin, Le Samouraï est un film noir qui met en scène un tueur à gages élégant, hiératique et taciturne au cœur d’une traque dans Paris . Jean-Pierre Melville filme le silence, la soli-tude et la lutte intérieure de son « samouraï » . La mise en scène est minimaliste et froide . La photographie d’Henri Decae joue avec une lumière glaciale teintée de gris, de bleu et de vert .

Le film est tourné à l’été 1967 à Paris, en partie aux studiosJenner, appartenant à Jean-Pierre Melville . Lors du tour-nage, les studios sont détruits par un incendie et les décors reconstruits à la hâte dans les studios de Saint-Maurice . Le Samouraï est souvent consi-déré comme le point culminant de la carrière de Jean-Pierre Melville . Le film forge les motifs du cinéma « melvillien » . Son style a influencé aussi bien Michael Mann (Le Solitaire, 1981), John Woo (The Killer, 1989), Jim Jarmusch (Ghost Dog, 2000), ou récemment Nicolas Winding Refn (Drive, 2011) .

Le Samouraï est la première collaboration de Jean-Pierre Melville et Alain Delon, avec qui il travaillera sur ses deux derniers longs métrages Le Cercle rouge (1970) et Un flic (1972) .

Jef Costello, tueur à gages, est arrêté par la police après avoir exécuté un nouveau contrat : l’assassinat d’un gérant

de boîte de nuit . Il est relâché faute de preuves et malgré la présence de témoins . Mais les commanditaires du meurtre

décident par précaution de le faire tuer à son tour .

Séance présentée par William Friedkin.

RÉALISATION Jean-Pierre Melville

SCÉNARIO Jean-Pierre Melville, Georges Pellegrin, d’après le roman de Joan McLeod

PRODUCTIONCICC, Fida Cinematografica

PHOTOGRAPHIE Henri Decae

INTERPRÈTES Alain Delon, François Périer, Nathalie Delon, Cathy Rosier

France/Italie, 1967, couleur, DCP, 95 min

LE SAMOURAÏ JEAN-PIERRE MELVILLE | 1967

MERCREDI 4 DÉCEMBRE, 14H

Le Samouraï est un film intense et poétique sur la vie intérieure d’un tueur à gages, interprété par Alain Delon dans ce qui me semble être son meilleur rôle. Il s’agit du film de gangster existentialiste par excellence, à la fois classique et glacé. Depuis sa sortie, ce film a exercé une influence majeure sur les cinéastes du monde entier, dont moi. William Friedkin - 3 octobre 2013

Page 13: Catalogue Festival 2013

11HOMMAGE À WILLIAM FRIEDKIN

ALAN J. PAKULA (1928-1998)Pakula débute à Hollywood en 1949, se consacrant d’abord à la production . Au tournant des années 1960, il fonde sa propre société de production avec Robert Mulligan, finançant les films de ce dernier . En 1969, Pakula réalise son premier long métrage, The Sterile Cuckoo (Pookie) . Ce que l’on nomme de manière informelle sa « trilogie de la conspiration » va très vite le révéler : Klute (1971), The Parallax View (1974) et All the President’s Men (1976) sont trois films politiques qui marquent le public et la critique . De nouvelles réalisations suivront, parmi elles : Sophie’s Choice (1982), qui vaudra à Meryl Streep l’Oscar de la Meilleure actrice en 1983, Presumed Innocent (1990), ou encore The Pelican Brief (1993), dont l’intrigue repose de nouveau sur un complot politique .

Dans la première version du scénario, adaptée du roman homonyme de Loren Singer paru en 1970, Lorenzo Semple Jr . allait jusqu’à situer le meurtre du sénateur dans un cortège automobile à Dallas . Mais Alan Pakula préfère ancrer son film dans le registre fiction-nel . L’inspiration du début de l’intrigue reste pour le moins flagrante . David Giler écrit une seconde version du scé-nario . Pakula souhaite en effet qu’il développe la vision des personnages, des lieux et de l’Amérique . Une grève des

scénaristes interrompt le travail ; le cinéaste achève l’écriture du film au jour le jour, écrivant le matin ce qu’il tourne l’après-midi, sans pourtant dévier de son idée initiale .

La genèse du film est contem-poraine de la commission d’enquête sur le Watergate . « En allant tourner au stu-dio, j’écoutais les auditions des témoins » se rappelle le cinéaste, pour qui le film reflète « un sentiment commun d’un secret pesant sur toutes choses, d’une vérité enfouie

profondément sans parvenir à être dévoilée1» .

C’est par la mise en scène que Pakula signifie le soup-çon, l’existence de puissances secrètes, l’obsession de la conspiration . Il joue sur la géométrie d’un décor urbain écrasant, évoquant menace et manipulation . La tension dramatique est construite par des plans très longs, un rythme narratif lent . La pho-tographie sombre de Gordon Willis accentue le sentiment de danger, d’un mécanisme angoissant et impénétrable . La post-production du film dure une année . Le cinéaste tra-vaille quatre mois sur le mon-tage d’images – véritable film dans le film – que constitue le test de la Parallax auquel est soumis le personnage joué par Warren Beatty .

« Si le film fonctionne, le spec-tateur aura un petit peu moins confiance, à la fin, en la per-sonne assise à côté de lui2» .

1- Michel Ciment, « Entretien avec Alan J .

Pakula », Positif, octobre 1976

2- Alan Pakula cité par Jared Brown, Alan

Pakula : his films and his life, New York :

Back Stage Books, 2005 .

À Seattle, le jour de la fête de l’Indépendance, le sénateur Carroll est assassiné . Trois ans plus tard, après les dispa-

ritions successives de plusieurs témoins clés, le journaliste Joe Frady, d’abord sceptique à l’idée d’une conspiration,

entame une enquête qui révèle peu à peu l’envergure du complot .

Séance présentée par William Friedkin.

RÉALISATIONAlan J . Pakula

SCÉNARIODavid Giler et Lorenzo Semple Jr ., d’après un roman de Loren Singer

PRODUCTIONGabriel Katzka, Alan J . Pakula, Charles H . Maguire

PHOTOGRAPHIEGordon Willis

MUSIQUEMichael Small

INTERPRÈTES Warren Beatty, Hume Cronyn, William Daniels, Paula Prentiss

États-Unis, 1974, couleur, 35 mm, 102 min

À CAUSE D’UN ASSASSINAT ALAN J. PAKULA | 1974

THE PARALLAX VIEW VENDREDI 6 DÉCEMBRE, 14H00

À cause d’un assassinat met en scène un complot au cœur du gouvernement américain et des bureaux d’affaires. Lors de sa sortie en salles en 1974, le film a divisé la critique et le public, nombreux sont ceux qui mirent en doute sa crédibilité. Il est apparu peu après les assassinats de John et Robert Kennedy et de Martin Luther King, Jr. Aujourd’hui encore, il conserve la force d’un thriller bouleversant, plus vraisemblable que jamais. William Friedkin - 3 octobre 2013

Page 14: Catalogue Festival 2013

12 HOMMAGE À WILLIAM FRIEDKIN

WOODY ALLEN Il débute sur scène et à la télévision dans les années 1960 en écrivant et interprétant des sketches . Également scénariste et dramaturge, il met en scène son premier film en 1969, Prends l’oseille et tire-toi . L’univers comique du cinéaste va par la suite se développer, film après film . Il réalise, à la fin des années 1970, trois œuvres au ton plus grave et introspectif : Annie Hall (1977), Intérieurs (1978) et Manhattan (1979) . Allen poursuit la composition d’un personnage désormais ancré dans la mythologie hollywoodienne : un intellectuel juif timide, lucide mais inadapté, dont l’humour questionne la société américaine . Son œuvre abonde en titres célèbres : Zelig (1983), Septembre (1987), Alice (1990), Ombres et brouillard (1991), Tout le monde dit I love you (1996) .

En 1988, Woody Allen, Mia Farrow et leurs enfants voyagent pendant plusieurs semaines à travers l’Europe et les pays scandinaves . L’écriture du prochain projet du cinéaste a débuté avant le départ . Woody Allen com-plète son ébauche chaque jour, sur le papier à lettre des différents hôtels de leur séjour .

Le tournage débute à l’au-tomne 1988, dans un cinéma de Greenwich Village . Allen collabore de nouveau avec Sven Nykvist, qui a signé la photographie de la plupart des films d’Ingmar Bergman .

Il choisit Martin Landau pour le rôle de Judah, après l’avoir admiré dans Tucker de Francis Ford Coppola (1988) . « De tous les acteurs avec lesquels j’avais travaillé, lui seul lisait mon texte exactement comme je l’entendais moi-même, avec les mêmes inflexions, la même prononciation, les mêmes relâchements . Tout sonnait juste » . Angelica Huston incarne le personnage de sa maîtresse, qu’Allen se figure comme « une femme grande, impressionnante, avec une forte personnalité1» .

Fin mars 1989, Woody Allen est insatisfait du premier montage

de son film . L’intrigue, alors principale, entre son person-nage et celui de Mia Farrow ne fonctionne pas . Les semaines suivantes, il retournera quatre-vingts des cent trente-neuf séquences du film2 . À l’issue de ce considérable travail de réécriture et de montage, le film trouve sa forme et son titre définitifs .

À sa sortie en octobre 1989, la réception critique et commer-ciale est excellente . Il obtient trois nominations aux Oscars . L’œuvre est considérée comme aboutie, riche et spirituelle . La complexité et la virtuosité de sa structure sont saluées . Une quinzaine d’années plus tard et autant de longs métrages, Woody Allen fera reposer Match Point (2005) sur des thématiques et une intrigue criminelle similaires .

1 Woody Allen, Entretiens avec Stig

Björkman, Cahiers du cinéma, 2002 .

2 Eric Lax, Entretiens avec Woody Allen,

Plon, 2008 .

Un ophtalmologiste respectable craint que sa maîtresse ne dévoile leur liaison . Un documentariste incompris s’éprend

d’une productrice .

Séance présentée par William Friedkin.

RÉALISATION Woody Allen

SCÉNARIO Woody Allen

PRODUCTEURRobert Greenhut

PHOTOGRAPHIE Sven Nykvist

INTERPRÈTES Martin Landau, Anjelica Huston, Woody Allen, Alan Alda, Mia Farrow

États-Unis, 1989, couleur, 35 mm, 104 min

CRIMES ET DÉLITS WOODY ALLEN | 1989

JEUDI 5 DÉCEMBRE, 16H30

Woody Allen est, selon moi, le cinéaste américain le plus intéressant depuis les années 1960. Bien que principalement connu pour ses comédies, son film Crimes et délits (1989) est étrangement sombre et existentiel. Il brouille les frontières entre le bien et le mal, entre la compassion et le meurtre de sang-froid. William Friedkin - 3 octobre 2013

Page 15: Catalogue Festival 2013

13RESTAURATIONS ET INCUNABLES

LES FILMS

RESTAURATIONS ET INCUNABLES

Fantômas, Louis Feuillade (1913-1914) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .16

Le Métis / The Half-Breed, Allan Dwan (1916) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .18

Partie de campagne, Jean Renoir (1936) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

Sur un air de Charleston, Jean Renoir (1926) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

Fleurs d’équinoxe / Higanbana, Yasujiro Ozu (1958) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .21

Le Cousin Jules, Dominique Benicheti (1968) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

La Dernière Séance / The Last Picture Show, Peter Bogdanovich (1971) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

Shoah, Claude Lanzmann (1985) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

Fanny et Alexandre / Fanny och Alexander, Ingmar Bergman (1981) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Le Festin des huîtres / Chit Chat with Oysters, Adrian Maben (2013) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

Pays Barbare, Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi (2012) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

L’Avenir de la mémoire, Diane Baratier (2013) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Page 16: Catalogue Festival 2013

14 RESTAURATIONS ET INCUNABLES

RESTAURATIONS ET INCUNABLES

D’UNE ÈRE À L’AUTRE « – Avant d’en arriver à toutes ces rénovations, on pourrait peut-être essayer quelque ingénieux

expédient. Peut-être par exemple en refaisant à neuf la partie centrale des chapiteaux, aurait-il été

possible de recoller tout autour les morceaux extérieurs des chapiteaux anciens, avec leurs motifs

végétaux et leurs figurines admirables.

– Ah oui ? Et vous croyez que ces parties anciennes des chapiteaux déjà brisés et effrités, réduites,

comme vous l’auriez souhaité à un mince revêtement, ne seraient pas tombées en poussière au bout

de quelques années ? Une fois détruites, qui les auraient encore admirées ? »

Camillo Boito, « La restauration en architecture . Premier dialogue » . Conserver ou restaurer ? (1893)

Page 17: Catalogue Festival 2013

15RESTAURATIONS ET INCUNABLES

1 - Marie Frappat, « Réactiver les œuvres . Histoire et pratiques des professionnels de la restauration » . in L’Histoire à l’atelier : restaurer les œuvres d’art (XVIIIe-XXIe siècles), Noémie Étienne et Léonie Hénaut (dir .), Presses universitaires de Lyon, 2012 .

2 - La revue 1895 a rendu compte de ces débats dans son numéro 69 (printemps 2013, AFRHC) .

3 - Raymond Borde . Les Cinémathèques (L’Âge d’Homme, 1983) .

Le festival Toute la mémoire du monde est né en 2012 de notre envie de montrer des restaurations récentes, et de porter sur la place publique la réflexion sur les questions de conservation et de restauration .En ce sens, cette section « Restaurations et incunables » était en quelque sorte le cœur de la manifestation . Le festival répondait ainsi à la mission que se sont sans cesse don-née les archives, d’entretenir et de nourrir l’intérêt du public pour l’histoire du cinéma .

Le festival a vu le jour dans un moment marqué par la montée en puissance des outils numériques dans la restauration . Depuis quelques années déjà, des progrès importants ont été réalisés dans la maîtrise du contraste, des couleurs ou de la stabilité des films . Une ère nouvelle de la restauration s’est ouverte, carac-térisée par des collaborations entre restaurateurs, techniciens, détenteurs de catalogue, historiens, financeurs publics et privés1 . Le succès de restaurations de prestige ressorties en salles aura marqué l’année 2013 en France (Le Joli Mai de Chris Marker et Pierre Lhomme, ou La Belle et la Bête de Jean Cocteau, notam-ment) . Nombre de festivals internationaux ouvrent des sections de films restaurés . Le succès de Lumière à Lyon et du Cinema Ritrovato à Bologne est retentissant . Les restaurations ont depuis longtemps représenté un point de contact privilégié avec le public, redonnant vie à des œuvres du passé .

Nous avons toutes les raisons de nous réjouir de l’actuel regain d’intérêt envers le cinéma de patrimoine . L’an passé, les ren-contres sur les questions liées à la restauration lors du festival avaient parfois donné lieu à des échanges vifs, souvent pas-sionnés, faisant ressortir le besoin de partager la documenta-tion des restaurations (dossiers d’œuvres) ou de poursuivre des recherches qui permettraient de constituer un répertoire his-torique des techniques cinématographiques propre à éclairer les rendus des procédés2 . Pour autant, le numérique aura aussi amené son lot d’incertitudes, dont il importe de nous préoc-cuper . Les cinémathèques sont nées dans les années 1930 de la prise de conscience par quelques-uns de la disparition du cinéma muet, dans le contexte de destructions massives prati-quées par les sociétés de production, les loueurs ou les distribu-teurs depuis les années 1910 . Dès l’arrivée du parlant, quantité d’œuvres avaient été envoyées à la fonte ou recyclées pour les besoins des industries chimiques . En France, l’annuaire Le Tout cinéma de 1932-1933 recensait nombre d’entreprises assurant les « achats de vieux films flamme et non-flamme et de tous déchets avec garantie de destruction3» .

Aujourd’hui se pose de façon urgente la question de la conser-vation du cinéma numérique et de l’ensemble des images ani-mées . Qu’adviendra-t-il de la production contemporaine ?

En 2007, le Digital Dilemma I, un rapport émis par l’Academy of Motion Pictures, concluait à l’incertitude d’une conservation numérique pérenne . Le second rapport du Digital Dilemma en 2011 a établi l’impossibilité de la conservation numérique pour le cinéma indépendant, faute de moyens . Depuis, plusieurs archives européennes ont ouvert des centres de conservation numérique (Svenska Filminstitutet, Danish Film Institute ou Cinémathèque royale de Belgique) ou louent des espaces comme le Eye Film Institut . Elles ont considéré que les nouveaux modes de dif-fusion, les migrations des données et le renouvellement com-plet des infrastructures ne laissaient pas d’autre alternative . En France, le Centre National de la Cinématographie et des images animées a lancé des études techniques avec la CST et la FICAM .

Faut-il envisager plusieurs modes de conservation, selon le mode de production des images ? Comment les modes de diffusion et de conservation des images peuvent-ils être harmonieux ? Comment continuerons-nous à faire circuler nos collections argen-tiques, alors que toutes les salles commerciales sont désormais équipées en numérique ? Quelle part des collections photochi-miques peut-elle être numérisée ? Des dispositions doivent-elles être prises par les industries dès le tournage ?Ces questions, et bien d’autres, seront posées dans le cadre de la deuxième édition du festival Toute la mémoire du monde .

PAULINE DE RAYMONDProgrammatrice de Toute la mémoire du monde

Fanny et Alexandre, Ingmar Bergman (1982)

Page 18: Catalogue Festival 2013

16 RESTAURATIONS ET INCUNABLES

RÉALISATIONLouis Feuillade

SCÉNARIOLouis Feuillade, d’après le roman éponyme de Pierre Souvestre et Marcel Allain

PRODUCTIONS .E .G . Société des Établissements Gaumont

PHOTOGRAPHIEGeorges Guérin

INTERPRÈTESRené Navarre, Edmond Bréon, Georges Melchior, Renée Carl, Jane Faber, André Volbert, Naudier, Maillart .

France, 1913-1914, noir et blanc et couleur, DCP, 300 minutes

LOUIS FEUILLADE (1873-1925)Cinéaste prolifique, réputé pour être l’un des pionniers du film à épisodes et des ciné-romans, il aborde à peu près tous les genres, du mélodrame au burlesque . Il débute en 1905 chez Gaumont comme scénariste d’Alice Guy, puis devient réalisateur . Il crée des feuilletons populaires Bébé et Bout-de-Zan avant d’adapter en 1913 le roman de Marcel Allain et Pierre Souvestre Fantômas . Il complète son exaltation pour les génies du crime en offrant à Musidora le rôle d’Irma Vep, héroïne des Vampires (1915) . En 1916, il réalise Judex, davantage basé sur l’image du Justicier . Le succès se poursuit en 1919 grâce aux séries Tih Minh et Barrabas . En 1921, Les Deux Gamines, qui met en scène la danseuse Sandra Milowanoff, rencontre un immense succès .

La restauration numérique a été réalisée à l’occasion des cent ans de Fantômas par Gaumont et le Centre National de la Cinématographie et de l’image animée, en collabo-ration avec La Cinémathèque française.

La série avait déjà été restaurée deux fois, d’abord photochimi-quement, en 1995, puis en vidéo, en 1998. En 2012, une analyse par les Archives françaises du film de l’ensemble du matériel connu a permis de déterminer quels éléments étaient dispo-nibles. Les cartons et les inserts ont été réintégrés, ainsi que les teintes d’origine. Le scan numé-rique a été effectué en immer-sion à une résolution de 5K. La restauration numérique –stabili-sation, étalonnage et traitement de l’image – a été effectuée en

2K. Elle a été menée en colla-boration entre Gaumont Pathé Archives et Éclair Group.

Le cinéma comporte, malgré des centaines, des milliers d’œuvres remarquables, peu de cathédrales . […] Fantômas est le premier de ces repères et le plus ancien, celui qui atteint aujourd’hui son centenaire ; celui qui hante toujours cependant les rêves, la littérature et les arts plastiques de notre époque comme si le temps ne faisait rien à l’affaire ; comme si, par magie, un Louis Feuillade avait, entre mai 1913 et mai 1914, trouvé la clef ouvrant les portes d’un cinéma à la fois populaire et hautement poétique, à la fois réaliste et fantastique, à la fois témoin et révolutionnaire .

Sans doute Fantômas, le roman et le film, ne sont pas nés de rien : depuis 1908, un Victorin Jasset, chez Éclair, avait abordé la thématique de ce « fantas-tique social », cher à Pierre Mac Orlan, avec ses Nick Carter . Sans doute, Léon Gaumont flaira-t-il la bonne affaire en lançant cinq heures de mystère et de coups de théâtre issues des quatre cents pages des trente-deux feuilletons populaires parus depuis février 1911 sous les signatures de Pierre Souvestre et Marcel Allain ; énorme flot d’images destiné à l’énorme Gaumont Palace que le maître d’œuvre Louis Feuillade, entre deux autres films, réalisa avec la tranquille assurance qui était la sienne et sans se douter qu’il entrait avec lui comme un capi-taine dans la légende du ving-tième siècle .

Fantômas, Juve contre Fantômas, Le Mort qui tue, Fantômas contre Fantômas, Le Faux Magistrat, tels sont les titres des chapitres de l’œuvre globale qui est venue jusqu’à nous, jamais oubliée ni dépassée ; cinq épisodes qui comportent des clous impres-sionnants : exécution d’un inno-cent à la guillotine évitée de peu du premier ; serpent meurtrier et fusillade dans l’entrepôt vini-cole de Bercy en feu du second ; gants de peau humaine assas-sins du troisième ; mur saignant dans le quatrième ; cloche son-nant à toute volée en semant des rubis et des gouttes de sang humain dans le dernier .

Les cinq épisodes du sérial de Louis Feuillade sur le héros cambrioleur de Pierre Souvestre et Marcel Allain .

Nuit Fantômas accompagnée à l’orgue de cinéma par Touve R. Ratovondrahety. Voir conférence p .61

FANTÔMAS LOUIS FEUILLADE | 1913 - 1914

SÉANCE SPÉCIALE SAMEDI 7 DÉCEMBRE, MINUIT

Page 19: Catalogue Festival 2013

17RESTAURATIONS ET INCUNABLES

Ces événements sont d’autant plus spectaculaires qu’ils se pro-duisent dans le contexte d’une économie décorative toute « gaumontesque » mais aujour-d’hui pleine de charme ; succes-sion d’offices inévitablement envahis de bureaux et de clas-seurs, salons non moins encom-brés de bergères disposées en diagonale, de secrétaires et de tentures d’où, à tout instant, peut surgir la menace . Et les portes ! Ah, les portes, on devrait écrire un poème à leur sujet . Elles annoncent et dissimulent le crime . Elles sont criminelles .

Mais le coup de maître de Louis Feuillade fut certainement de hisser, pour cette production exceptionnelle, les acteurs « à tout faire » de l’atelier de pose des Buttes Chaumont au statut de vedettes, de les transfor-mer en figures mythiques . René Navarre se persuada jusqu’à sa mort d’être ce Fantômas aux mille visages que les specta-teurs reconnaissaient – enfin – dans la rue et Renée Carl resta à jamais la pantelante Lady Beltham, à la fois victime et complice du criminel, à laquelle le noir allait si bien .

Avec le temps, une autre vedette s’imposa à la vue des amoureux de Fantômas et c’était le Paris de la fin de la « Belle Époque », ce Paris disparu où le réalisateur avait tourné avec gourmandise tant de séquences aujourd’hui bouleversantes dans leur vérité nue, leur réalisme sans fard,

comme autant de préfigurations de ce qui allait être le cinéma européen des années quarante et cinquante . Et c’est dans la mixité des images arrachées à la vie parisienne de l’an 1913, celles des photographies des services d’anthropométrie de la police criminelle, des gravures lyriques du Petit Journal illus-tré qui inspirèrent Feuillade et son opérateur Georges Guérin, à ces rencontres d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection comme il est dit dans Maldoror, que gît, pur et permanent, le génie du cinéaste . De celui qui, écrivait Alain Resnais, possédait l’ins-tinct poétique prodigieux qui lui permettait de faire du surréa-lisme comme on respire .

PIERRE PHILIPPEHistorien et restaurateur de Fantômas

FANTÔMASPREMIER ÉPISODE 59 minutesFantômas, l’empereur du crime, règne sur Paris . Un soir, au Royal Palace Hôtel, il s’empare des bijoux de la princesse Danidoff . Mis sur l’affaire, l’inspecteur Juve mène, parallèlement, l’enquête sur la disparition inquiétante de Lord Beltham .

JUVE CONTRE FANTÔMAS DEUXIÈME ÉPISODE64 minutesJuve et Fandor travaillent sur la disparition d’une femme retrouvée broyée chez un certain docteur Chaleck . Ils suivent le suspect qui, lors de la filature, réapparaît en apache : le Loupart . Avec sa complice Joséphine, ce dernier s’apprête à tendre un guet-apens à monsieur Martialle, un riche négociant en vins .

LE MORT QUI TUE TROISIÈME ÉPISODE95 minutesSur la butte Montmartre, le peintre céramiste Jacques Dollon est attaqué chez lui par un mystérieux Homme noir . Reprenant ses esprits, Dollon trouve dans son atelier le cadavre d’une amie : la baronne de Vibraye .

FANTÔMAS CONTRE FANTÔMAS QUATRIÈME ÉPISODE 60 minutesL’opinion publique prétend que Juve et Fantômas ne font qu’un tant l’arrestation du bandit se fait attendre, et l’inspecteur est incarcéré . Cependant, à la Chapelle, le père Moche surprend l’assassinat d’un encaisseur perpétré par l’apache Paulet .

LE FAUX MAGISTRAT CINQUIÈME ÉPISODE74 minutesRuiné, le marquis de Tergall doit vendre les bijoux de son épouse . Rosa, la domestique, fait savoir à son amant Bébé l’apache le lieu de la transaction avec l’acheteur . Un subterfuge permet à un faux abbé de subtiliser les bijoux tandis que le marquis est attaqué et dépouillé du produit de la vente .

Page 20: Catalogue Festival 2013

18 RESTAURATIONS ET INCUNABLES

ALLAN DWAN (1885-1981)Il débute en 1909 à la Essanay et devient rapidement scénariste et metteur en scène . En 1914, il réalise Richelieu, premier long métrage pour Universal, avant d’entrer à la Triangle et de travailler au contact de David W . Griffith . Il dirige Mary Pickford, Norma Talmadge, Gloria Swanson (Zaza, 1923, Scandale, 1924) et Douglas Fairbanks (Robin des bois, 1922, Le Masque de fer, 1929) . Puis il fait débuter la jeune Ida Lupino dans Her First Affaire (1932), fait tourner Shirley Temple dans Heidi (1937) et réalise des superproductions comme Suez (1938) avec Tyrone Power . Iwo Jima (1949), le western Quatre Étranges Cavaliers (1954) et Deux rouquines dans la bagarre (1956) sont les œuvres qui marquent ses dernières années d’activité .

RÉALISATIONAllan Dwan

SCÉNARIOAnita Loos, d’après la nouvelle de Bret Harte In The Carquinez Woods

PRODUCTEURFine Arts Film Company

PHOTOGRAPHIEVictor Fleming

INTERPRÈTESDouglas Fairbanks, Alma Reuben, Sam De Grasse, Tom Wilson, Frank Brownlee, Jewel Carmen, George Beranger

États-Unis, 1916, noir et blanc, 35 mm, 68 minutes

Lo Dorman, un jeune homme à moitié indien, est rejeté de tous . Il est accueilli par la troublante fille du pasteur, Nellie,

mais sa présence en ville n’est pas du goût du shérif Dunne .

Ciné-concert par Louis Sclavis et Benjamin Moussay. Voir p .62

Séance présentée par Robert Byrne. Conférence Voir p .61

LE MÉTIS ALLAN DWAN | 1916

THE HALF-BREED CLÔTURE DIMANCHE 8 DÉCEMBRE, 20H30

Douglas Fairbanks a dessiné un bien joli tableau de son arrivée dans le cinéma . Il mar-chait un jour à travers Central Park, et un cameraman l’aurait filmé bondissant par-dessus les bancs . Par une heureuse coïncidence, Harry Aitken, le producteur de D . W . Griffith et président de la Triangle Films, aurait vu le film plus tard… On connaît la suite .

La vérité, cependant, est beau-coup moins légère . Douglas Fairbanks convoitait l’industrie

du film depuis 1912 et rêvait d’être acteur bien des années avant de signer en 1915 avec la société Triangle Films de Harry Aitken . Fairbanks était une célébrité de Broadway et les termes du contrat qu’il négocia étaient excellents . Il prit notamment la disposi-tion de placer son image sous l’égide du responsable de la branche Fine Art de Triangle, D . W . Griffith . Douglas n’allait prendre aucun risque, et ne travaillerait qu’avec le meil-leur dans le domaine .

Le premier film de la nou-velle star, The Lamb (Le Timide), était un des trois films Triangle à être célébré en avant-première au Théâtre Knickerbocker à New York, en septembre 1915 . Les cri-tiques en tombèrent des nues, saluant le tour de force . La revue Photoplay définit le film comme « un mélodrame amé-ricain typique et exubérant, révélant Douglas Fairbanks, une des personnalités de la scène américaine les plus connues et les plus aimées

Page 21: Catalogue Festival 2013

19RESTAURATIONS ET INCUNABLES

depuis longtemps . Motion Picture News écrivit : « The Lamb (…) est de loin le point fort de la programmation (…) . Un acteur excellent, venant du music-hall est maintenant à l’écran : [Fairbanks] devient un plaisir pour les yeux… » . Le public et les critiques sentirent qu’il y avait quelque chose de différent avec cet acteur . Son visage enjoué, sa personnalité attachante et son goût exu-bérant pour les pitreries ren-dirent tous les autres visages de l’époque bien fades en comparaison .

The Half-Breed fut le neu-vième des treize films de Fairbanks que Griffith super-visa et le troisième réalisé par Allan Dwan . Dans le film, l’acteur incarne un orphe-lin, « L’eau Dormante », pro-noncé Lo Dorman par les habitants, né d’une Indienne et d’un homme blanc . Rejetée par l’homme, la mère de Lo abandonne le nourrisson à un immigrant solitaire, avant de se jeter désespérée du haut d’une falaise . L’orphelin gagne en virilité mais quand son bienveillant gardien meurt, il redevient un marginal, le « métis », et doit s’exiler pour vivre seul dans les bois . Dans la ville voisine d’Excelsior, il rencontre Nellie Wynn, l’agui-cheuse fille du pasteur, inter-prétée par Jewel Carmen . Elle joue avec ses senti-ments, tout comme Teresa (Alma Rubens) qui se retrouve

bientôt hors-la-loi et trouve elle aussi refuge dans la forêt .

À la surprise de toute l’équipe, The Half-Breed s’avéra être l’un des rares échecs commer-ciaux de Fairbanks . Au premier abord, cela semble surpre-nant . Les moyens de produc-tion étaient impressionnants, l’histoire originale était tirée d’une nouvelle à succès de Bret Harte, In the Carquinez Woods, et le solide Allan Dwan avait été désigné pour réaliser le film . The Half-Breed est une his-toire fascinante sur les discri-minations raciales dans l’Ouest américain . Les intertitres sont intelligents et incisifs, les deux rôles féminins sont com-plexes et nuancés . Les décors et la photographie étaient, comme le dit le biographe du caméraman Victor Fleming, « visuellement enchanteurs » . Le tournage s’est déroulé sur place, dans le comté de Calaveras en Californie, et notamment dans une forêt de séquoias où l’équipe filma un véritable incendie . Le film couta 22 906 $, quasiment le double de la dernière produc-tion de Fairbanks (Flirting with Fate), et pourtant les retours de l’époque étaient décevants . « Nous qui étions dans le film, pensions que le succès était assuré », écrivait Fairbanks deux ans plus tard . « Mais le public… ne l’a pas vu comme tel » .Même si le film était intéres-sant, audacieux et bien réalisé,

il y manquait l’enthousiasme de Fairbanks . Le Lo Dorman de Bret Harte est stoïque, strict et impassible – à l’op-posé de la personnalité de la star, dont le célèbre sourire et les cascades se font rares . Le film rencontra le succès en tant que pamphlet contre le racisme, adaptation du conte de Bret Harte et histoire de deux personnages féminins complexes mais, comme le dit Alma Rubens deux ans après la sortie du film : « Douglas Fairbanks dans un rôle drama-tique profond ! Pouvez-vous imaginer ça aujourd’hui ? »

L’histoire n’a pas été moins cruelle avec les éléments matériels de The Half-Breed. Seules deux uniques copies d’origine 35 mm ont survécu. La copie la plus complète est une copie Pathé five-reel diacétate 35 mm, conser-vée dans les collections de La Cinémathèque française. Elle provient d’une version rééditée en 1924 par Tri-Stone Pictures et, bien qu’elle offre une qualité visuelle supé-rieure, il manque les inter-titres originaux de 1916. La Library of Congress possède une copie de la version ori-ginale de 1916, mais incom-plète et le matériel restant est gravement endommagé. Cette copie a été déni-chée au cours de la triste-ment célèbre découverte de Dawson en 1978 : des cen-taines de films antérieurs à

la Première Guerre mondiale furent découverts dans une piscine de cette ancienne cité de la ruée vers l’or du Yukon canadien, enfouis là à l’is-sue de leur période de dis-tribution. Enfin, une version courte 16 mm provenant des collections de Lobster Films contient plusieurs séquences inédites absentes des élé-ments 35 mm.

Cette nouvelle restauration, effectuée en 2013 comme un projet collaboratif entre La Cinémathèque française et le San Francisco Silent Film Festival, rassemble les éléments de ces trois sources restantes. La copie de La Cinémathèque française a fourni la plupart des plans, la copie de la Library of Congress a procuré les inter-titres originaux et quelques plans absents des autres sources, et la copie 16 mm de Lobster Films a permis de récupérer une poignée de plans disponibles nulle part ailleurs. Le résultat est la reconstruc-tion la plus complète possible de la première version de The Half-Breed, projetée pour la première fois le 30 juillet 1916.

TRACEY GOESSELHistorienne du cinéma, prépare un livre sur Douglas Fairbanks .

ROBERT BYRNEPrésident du San Francisco Silent Festival .

Page 22: Catalogue Festival 2013

20 RESTAURATIONS ET INCUNABLES

JEAN RENOIR (1894-1979)Fils du peintre Pierre-Auguste Renoir, admirateur d’Erich von Stroheim et notamment de son film Foolish Wives (1921), Jean Renoir débute sa carrière de cinéaste en 1924 avec La Fille de l’eau, interprété par Catherine Hesling . En 1931, il réalise La Chienne qui offre à Michel Simon un de ses plus beaux rôles et marque le début de la période réaliste du cinéaste . S’ensuivent des œuvres magnifiques comme Madame Bovary (1933), Toni (1935), La Grande Illusion (1937) ou La Règle du Jeu (1939) . Tour à tour réalisateur, acteur, scénariste et producteur, Renoir s’installe aux États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale et tourne, entre autres, L’Homme du Sud (1945) et Le Journal d’une femme de chambre (1946) . De retour en France, il réalise French Cancan (1954) et Le Déjeuner sur l’herbe (1959), avant de s’orienter vers le théâtre et l’écriture .

RÉALISATIONJean Renoir

SCÉNARIOJean Renoir d’après la nouvelle de Guy de Maupassant

PRODUCTIONPanthéon Productions

PHOTOGRAPHIEClaude Renoir

INTERPRÈTESSylvia Bataille, Jane Marken, André Gabriello, Georges Darnoux, Jacques B . Brunius, Paul Temps

France, 1936, noir et blanc, DCP, 40 minutes

Le producteur Pierre Braunberger monte le film en 1946, dix ans après le tournage resté ina-chevé. En 2013, il est restauré par Les Films du Panthéon avec le soutien du CNC, de La Cinémathèque française et du Fonds Culturel Franco-Américain. La numérisation 2K et le traitement de l’image ont été faits au laboratoire Digimage et la restauration du son au Studio Diapason.

Jean Renoir adapte la nou-velle de Maupassant Une par-tie de campagne : « L’histoire d’un amour déçu, suivi d’une vie ratée, peut être le thème d’un épais roman . Maupassant, lui, en quelques pages, nous dit l’essentiel . C’est la transposi-tion à l’écran de cet essentiel d’une grande histoire qui m’atti-rait1» . Partie de campagne mêle savamment cruauté et humanité .

C’est un film épuré, dénué de fioritures pour raconter le jeu de la séduction et de l’amour comme un instant de bonheur fugace, commandé par un sen-timent purement instinctif . Le cinéaste rend hommage à son père dans la recherche d’effets d’ombre et de lumière à travers les feuillages, dans les scènes d’étreintes ou les promenades en canots . Mais le beau temps n’est pas au rendez-vous du tour-nage et la menace d’un orage apporte fortuitement une autre dimension au récit . Renoir doit quitter le film pour réaliser Les Bas-Fonds (1936) et le laisse inachevé .

1 - Jean Renoir, Ma vie et mes films,

Flammarion, 1974 .

Le film sera précédé de la projection de :

SUR UN AIR DE CHARLESTON

RÉALISATIONJean RenoirSCÉNARIOPierre Lestringuez et André Cerf

PRODUCTIONNéo-Films

PHOTOGRAPHIEJean Bachelet

INTERPRÈTESCatherine Hesling, Johnny Huggins .

France, 1926, noir et blanc,

35 mm, 23 minute

En 2028, un savant africain atterrit dans un Paris dévasté, retourné à l’état sauvage .

Jean Renoir vient de réaliser Nana (1926) avec son épouse Catherine Hesling dans le rôle principal . Le film est un échec commercial qui le contraint à se séparer de certaines œuvres de son père . Le couple découvre le jazz et rencontre le danseur américain Johnny Huggins, alors en tournée . Catherine Hesling suggère à Renoir de tourner Sur un air de Charleston avec les dernières chutes de pellicule de Nana . Grâce à une mise en scène jouant principalement sur les contrastes du noir et blanc, le film met en valeur la beauté et les talents de danseuse de l’actrice . Accélérations et ralentis viennent accentuer le rythme saccadé et déjà provocateur des chorégraphies dont il se dégage une spontanéité et une énergie folles .

Été 1860, Monsieur Dufour décide de passer une journée à la campagne en compagnie de sa femme, de sa belle-mère,

de sa fille Henriette et de son futur gendre, son commis Anatole . Ils rencontrent deux canotiers, Henri et Rodolphe,

qui entreprennent de faire la cour à la mère et à la fille .

Séance présentée par Laurence Braunberger. Sur un air de Charleston est accompagné au piano par Stephen Horne.

PARTIE DE CAMPAGNE JEAN RENOIR | 1936

SAMEDI 7 DÉCEMBRE, 18H

Page 23: Catalogue Festival 2013

21RESTAURATIONS ET INCUNABLES

RÉALISATIONYasujirô Ozu

SCÉNARIOYasujirô Ozu, Kôgo Noda, d’après le roman de Ton Satomi

PRODUCTIONShochiku

PHOTOGRAPHIEYuharu Atsuta

INTERPRÈTESIneko Arima, Shin Saburi, Kinuyo Tanaka, Yoshiko Kuga, Keiji Sata

Japon, 1958, couleur, DCP, 118 minutes

YASUJIRÔ OZU (1903-1963)En 1927, pour son premier film, Sabre de pénitence, Ozu collabore avec celui qui signera bon nombre de ses scénarios : Kôgo Noda . En 1936, il réalise son premier film parlant Le Fils unique . Fidèle à son équipe technique et à ses acteurs (Setsuko Hara, Chish Ry, Haruko Sugimura), il élabore un style personnel : caméra à hauteur de tatami, plans d’ensemble, rareté des mouvements de caméra et célèbres « faux »-raccords . Ses thèmes se concentrent petit à petit sur la famille, confrontant la société japonaise traditionnelle à la société moderne d’après guerre . Ozu meurt le jour de ses soixante ans, quelques mois après la sortie de son dernier film Le Goût du saké . Son œuvre sera vraiment découverte en France en 1978 seulement et connaîtra un grand succès, notamment grâce aux films Le Goût du riz au thé vert (1952), Voyage à Tokyo (1953) et Bonjour (1959) .

Le film a été restauré en 2K, à partir des éléments négatifs originaux, par la Shochiku Co., Ltd., et le National Film Center, National Museum of Modern Art, Tokyo. Ressortie en salles par Carlotta Films en 2014.

Fleurs d’équinoxe est fidèle aux grandes thématiques abordées par Ozu tout au long de son œuvre : la famille mise en ques-tion et, plus particulièrement, le conflit entre les générations dans une société en profonde mutation .

Bien qu’il affiche une ouverture d’esprit et un point de vue rela-tivement libéral sur le mariage, Wataru est profondément vexé de ne pas avoir été consulté au préalable par sa fille Setsuko et s’oppose farouchement à son mariage avec l’homme qu’elle aime . Cette impulsion autori-taire est une réponse déses-pérée à l’absence de respect et d’obéissance jusqu’alors réser-vés aux parents dans la société japonaise . Emportée par l’élan de la société moderne, Setsuko n’entend pas se soumettre au poids de la tradition . Ozu choi-sit d’exprimer le point de vue du père, son sentiment face à l’émancipation de sa fille et son honneur blessé . Il relate la ten-sion générée par ce conflit avec une certaine distance, teintée d’une douce ironie . Ozu rappelle aussi avec délicatesse l’immua-bilité des choses, confrontant la suprématie de la nature à une société fébrile, en mouvement

constant, tourmentée par les événements récurrents qui viennent ponctuer les existences .

Fleurs d’équinoxe est le pre-mier film en couleurs tourné par le cinéaste, à la demande de la Shochiku . Ozu n’avait jusqu’alors pas de goût parti-culier pour l’usage de la couleur au cinéma : « la couleur, ça va de temps à autre, mais si vous ne voyez que cela, c’est comme ne manger que du tendon [cre-vettes ou poisson frits servis sur du riz] – au bout d’un moment, vous en avez assez1» . Il avoua ensuite : « Déjà quand j’utilisais le noir et blanc je m’intéressais aux tons et à l’atmosphère, je n’ai donc pas éprouvé de diffi-cultés majeures à me servir de la couleur . Le rouge ressort très bien avec l’Agfa2» .

Ozu tire partie de cette particu-larité chromatique et exploite la dominante de rouge en met-tant l’accent sur certains détails (vêtement, théière, fleur), struc-turant en poète la composition de sa mise en scène .

1 - Entretien dans Star, Tokyo, mars 1946,

repris par Donald Richie, Ozu, Éd . Lettre

du blanc, 1980 .

2 - Ozu Jitaku o Kataru, repris par Donald

Richie, Ozu, Éd . Lettre du blanc, 1980 .

Setsuko, la fille de Wataru, cadre supérieur vieillissant et plutôt conservateur, ne veut plus de son mariage arrangé

et souhaite épouser un certain Masahiko Taniguchi pour des raisons purement sentimentales et personnelles .

FLEURS D’ÉQUINOXE YASUJIRÔ OZU | 1958

HIGANBANA DIMANCHE 8 DÉCEMBRE, 16H30

Page 24: Catalogue Festival 2013

22 RESTAURATIONS ET INCUNABLES

La restauration a été initiée par Dominique Benicheti et pour-suivie grâce à des proches du réalisateur, au soutien de la Gould Family Foundation et au Laboratoire Arane-Gulliver où ont été menés les travaux.

En 1968, à l’âge de vingt-cinq ans, Dominique Benicheti débute la réalisation de son film documentaire Le Cousin Jules . Le tournage s’étend sur cinq années et capte la vie et les gestes quotidiens de Jules, forgeron et cousin éloigné du réalisateur, et de son épouse Félicie .

En septembre 1973, le réalisa-teur relate la genèse de son film . « En Bourgogne, j’ai un cousin éloigné du côté de ma mère ; il vit dans un petit village près de Pierre-de-Bresse . Jules est né en 1891 . À l’âge de vingt-deux ans, il épouse Félicie . Son père et son grand-père étaient forgerons .

Il est donc devenu forgeron à son tour . Dans mon enfance, je passais tous mes étés chez eux . J’ai toujours été fasciné par le travail du fer . En 1967, j’ai alors décidé de réaliser un film sur Jules . Dès que j’avais du temps libre, en dehors de mon travail pour la télévision, je partais le retrouver en Bourgogne . J’ai également pris de nombreuses photographies, qui me servaient d’études . J’avais une idée très précise du script du film ; j’ai réalisé pour chaque scène des croquis dans un format s’appa-rentant au Cinémascope . Avec Paul Launay, mon premier came-raman, nous avons débuté le tournage au mois d’avril 1968 . »

Au regard de l’approche du cinéaste, de son implication dans la durée et de sa proximité avec le personnage principal, Le Cousin Jules apparaît comme le parent caché du Profils Paysans de Raymond Depardon .

En 1973, le film remporte le Prix Spécial du Jury et la Mention Spéciale du Prix du Jury Œcuménique au Festival de Locarno . Malgré ce suc-cès critique, le format d’ori-gine (Cinémascope) entrave sa diffusion et empêche une large distribution . En 2012, le film est redécouvert au New York Film Festival et rencontre un vif intérêt . En 2013 il est pré-senté dans la section Forum de la Berlinale .

DOMINIQUE BENICHETI (1943-2011)Ancien élève des Beaux-Arts de Paris et de l’IDHEC, Dominique Benicheti est réalisateur, producteur et directeur de la photographie d’une trentaine de films documentaires, institutionnels, scientifiques et d’animation, tels que Le Cousin Jules (1973), Le Prix de la liberté (1994), L’Odyssée magique (2009) . À partir de la fin des années 1970, il enseigne le cinéma documentaire à l’Université d’Harvard . Parallèlement, il participe à la fondation du laboratoire Arane-Gulliver, l’un des premiers laboratoires spécialisés dans le format 70 mm . Il a également contribué, en tant que technicien et consultant, à la création de films en 3D .

RÉALISATIONDominique Benicheti

PRODUCTIONRythma Film, Dominique Benicheti, Société des Films Orzeaux

PHOTOGRAPHIEPierre William Glenn

France, 1973, couleur, DCP, 91 minutes

En format large, le portrait de Jules et Félicie, un couple de paysans octogénaires et taciturnes, entre 1968 et 1973 .

Séance présentée par Pierre-William Glenn, Simone Appleby et Jean-René Faillot.

LE COUSIN JULES DOMINIQUE BENICHETI | 1973

COUSIN JULES SAMEDI 7 DÉCEMBRE, 17H

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23RESTAURATIONS ET INCUNABLES

RÉALISATIONPeter Bogdanovich

SCÉNARIOLarry McMurtry, Peter Bogdanovich

PRODUCTIONColumbia Pictures Corporation, BBS Productions

PHOTOGRAPHIERobert Surtees

INTERPRÈTESTimothy Bottoms, Jeff Bridges, Cybill Shepherd, Ben Johnson, Cloris Leachman, Ellen Burstyn, Eileen Brennan

États-Unis, 1971, noir et blanc, DCP, 126 min

PETER BOGDANOVICH (né en 1939)Il débute sa carrière en tant qu’acteur dans les années 1950 . Cinéphile averti, il devient programmateur au MoMA au début des années 1960 et publie des monographies sur l’œuvre des cinéastes John Ford, Orson Welles, Howard Hawks, Allan Dwan . Il intègre ensuite le magazine Esquire qui l’envoie à Hollywood comme correspondant . Roger Corman, avec qui il se lie d’amitié, lui propose la réalisation de La Cible (1968) . Le succès critique de ce premier film lui permet de réaliser, en 1971, son deuxième long métrage, et le plus célèbre, The Last Picture Show, puis On s’fait la valise doc ? (1972) . Proche des cinéastes du « Nouvel Hollywood », ses premiers films lui valent ses plus grands succès .

Lors de sa sortie en salles en 1971, Columbia imposa une durée n’excédant pas deux heures. Le film fut amputé de huit minutes. Ces coupes ont été réintégrées au mon-tage par le réalisateur, dans les années 1990, lors de la réé-dition du film en VHS et DVD. Elles figurent dans cette res-tauration numérique de Sony Pictures, supervisée par Peter Bogdanovich. Ressortie en salles le 11 décembre 2013 par Park Circus.

Adapté du roman éponyme de Larry McMurtry, The Last Picture Show décrit l’isole-ment, la solitude et le déses-poir des habitants d’Anarene au début des années 1950 . À travers les errances de trois adolescents, Sonny, Jacy et Dwayne, le cinéaste propose un portrait mélancolique de l’Amérique profonde où se mêlent désirs et frustrations, illusions et déceptions de l’en-trée dans l’âge adulte . « Tout se termine pour eux après le lycée . Voilà l’histoire . La vie se ter-mine après leur seizième anni-versaire . Je me souviens que lors des repérages, il y avait ce groupe d’adolescents dans une voiture, ils ne faisaient qu’er-rer sans but . Nous n’arrêtions pas de les croiser . J’ai trouvé cela merveilleux . Voilà la raison de la scène où Sonny arrive en voiture au sommet de la colline, il conduit et descend de la voiture puis regarde son village derrière lui alors qu’il

mange une barre chocolatée . Il n’y a nulle part où aller .1» Le film dépeint une Amérique en train de perdre ses repères et ses valeurs . Il mêle réalisme et élégie .

Les onze semaines de tour-nage ont lieu à Archer City, la ville natale de Larry McMurtry, dans laquelle se situe égale-ment l’action de son roman . Les personnages sont pour la plupart inspirés des habitants, certains allant jusqu’à interpré-ter leur propre rôle . « Je leur ai fait passer [aux acteurs] deux bonnes semaines en compa-gnie des habitants de la ville avant de débuter le tournage afin qu’ils se nourrissent à leur contact1» .

Sur les conseils d’Orson Welles, Peter Bogdanovich filme en noir et blanc, de manière à recréer et à sublimer l’atmosphère de l’époque . Le chef opérateur

Robert Surtees (Mogambo, Ben-Hur, Les Révoltés du Bounty) signe la photographie . Le monteur Donn Cambern apparaît au générique mais c’est Peter Bogdanovich qui aurait monté seul le film durant six mois .

En 1972, The Last Picture Show remporte un grand succès critique et commercial . Il est nommé huit fois aux Oscars et obtient deux récompenses : meilleurs second rôle pour Ben Johnson et Cloris Leachman . Il s’agit également des premiers grands rôles au cinéma de Jeff Bridges et Cybill Shepherd .

1 - Paul McCluskey, Conversations

with Peter Bogdanovich (1974), in

Thomas J . Harris, Bogdanovich’s

Picture Shows, The Scarecrow Press .

Un portrait de la jeunesse d’Anarene, une petite ville du nord du Texas, en 1951 .

Séance présentée par Jean-Baptiste Thoret.

LA DERNIÈRE SÉANCE PETER BOGDANOVICH | 1971

THE LAST PICTURE SHOW SAMEDI 7 DÉCEMBRE, 17H30

Page 26: Catalogue Festival 2013

24 RESTAURATIONS ET INCUNABLES

Shoah a été numérisé et res-tauré par Why Not Productions en 2012, avec l’aide de la Fon-dation pour la Mémoire de la Shoah et du CNC. Les travaux ont été supervisés par Caro-line Champetier, directrice de la photographie et assistante sur Shoah. Le négatif 16 mm a été scanné en résolution 4K par le laboratoire L’Immagine Ritrovata à Bologne, les tests ayant montré que le rendu du grain et des couleurs de la pel-licule 16 mm Fuji était sensible-ment meilleur en partant du 4K. Le nettoyage numérique, léger, respecte les spécificités du tournage documentaire en 16 mm (poils caméra, instabi-lité). Une attention particulière a été portée à l’étalonnage, dirigé par Caroline Champe-tier chez Éclair. Repartir du négatif 16 mm a permis un travail précis sur les couleurs, les lumières et la matière de l’image. Un internégatif de sau-vegarde et une copie 35 mm sonore ont été tirés à partir des images restaurées.

Claude Lanzmann a réalisé ce film de 9h30 sur l’extermina-tion des juifs d’Europe sans utiliser une seule image d’ar-chive . Pendant douze ans il a interrogé des survivants, des témoins et des tueurs . Shoah est considéré comme l’une des œuvres les plus importantes du cinéma mondial .

« Il n’est pas facile de parler de Shoah . Il y a de la magie dans

ce film, et la magie ne peut pas s’expliquer . Nous avons lu, après la guerre, des quantités de témoignages sur les ghettos, sur les camps d’extermination ; nous étions bouleversés . Mais, en voyant aujourd’hui l’extraordi-naire film de Claude Lanzmann, nous nous apercevons que nous n’avons rien su . Malgré toutes nos connaissances, l’affreuse expérience restait à distance de nous . Pour la première fois, nous la vivons dans notre tête, notre cœur, notre chair . Elle devient la nôtre . Ni fiction ni documentaire, Shoah réussit cette recréation du passé avec une étonnante économie de moyens : des lieux, des voix, des visages . Le grand art de Claude Lanzmann est de faire parler les lieux, de les res-susciter à travers les voix, et, par-delà les mots, d’exprimer l’indicible par des visages . (…)Comme tous les spectateurs, je mêle le passé et le présent . J’ai

dit que c’est dans cette confu-sion que réside le côté miracu-leux de Shoah . J’ajouterai que jamais je n’aurais imaginé une pareille alliance de l’horreur et de la beauté . Certes, l’une ne sert pas à masquer l’autre, il ne s’agit pas d’esthétisme : au contraire, elle la met en lumière avec tant d’invention et de rigueur que nous avons conscience de contempler une grande œuvre . Un pur chef-d’œuvre . »

Simone de Beauvoir, « La Mémoire de l’horreur » (Le Monde, 28 avril 1985)

CLAUDE LANZMANN(né en 1925)Organisateur de la résistance au lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, ami de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, collaborateur puis directeur des Temps Modernes, signataire du Manifeste des 121 pour l’indépendance de l’Algérie, Claude Lanzmann est de tous les combats de l’après-guerre . Après Pourquoi Israël (1973) sélectionné par le Festival de New York, il se lance dans un projet monumental qui lui prendra douze ans : Shoah . Sa sortie en 1985 est un événement majeur, historique et cinématographique . Puis viennent Tsahal (1994), Un vivant qui passe (1997), Sobibor, 14 octobre 1943, 16h (2001), Le Rapport Karski (2010) et enfin Le Dernier des injustes (2013) . Un Ours d’or d’honneur couronne l’ensemble de son œuvre au Festival de Berlin 2013 .

RÉALISATIONClaude Lanzmann

PRODUCTIONLes Films Aleph et Historia Films

PHOTOGRAPHIEDominique Chapuis, Jimmy Glasberg, William Lubchansky

France, 1985, couleur, DCP, 570 minutes

Une enquête sur les lieux du génocide du peuple juif par les nazis à travers un faisceau de témoignages de juifs res-

capés, de nazis, de villageois voisins des camps .

Première partie précédée d’une conversation avec Claude Lanzmann et Caroline Champetier, animée par Serge Toubiana.Conférence Voir p .61

SHOAH CLAUDE LANZMANN | 1985

5 DÉCEMBRE, 19H (1ÈRE PARTIE), 6 DÉCEMBRE, 10H (2ÈME PARTIE), 7 DÉCEMBRE, 10H (3ÈME PARTIE), 8 DÉCEMBRE, 10H (QUATRIEME PARTIE)

Page 27: Catalogue Festival 2013

25RESTAURATIONS ET INCUNABLES

RÉALISATION Ingmar Bergman

SCÉNARIOIngmar Bergman

PRODUCTIONJörn Donner, Svenska Filminstitutet (SFI), Cinematograph AB, Tofisfilmkunst, Sveriges TV 1, Personafilm, Gaumont

PHOTOGRAPHIESven Nykvist

INTERPRÈTESPernilla Allwin, Bertil Guve, Ewa Fröling, Allan Edwall

Suède, 1982, couleur, DCP, 189 min (version courte)

INGMAR BERGMAN (1918-2007)Metteur en scène de théâtre, réalisateur, scénariste et producteur, Ingmar Bergman est l’une des figures les plus importantes du cinéma mondial . De ses premières réalisations : Crise (1945), Le Septième Sceau (1957), Persona (1966) aux plus tardives, Cris et chuchotements (1972), Scènes de la vie conjugale (1974), Bergman n’a cessé de mettre en scène ses questionnements métaphysiques et psychologiques sur la relation des hommes à Dieu, à l’amour et à la mort .

Le film a été restauré numéri-quement en 2K par Gaumont aux laboratoires Éclair Group.

« Avec Fanny et Alexandre, Ingmar Bergman a fait triompher le rêve, l’enfance et la liberté » .Olivier Assayas et Stig Bjorkman, 1990 .

Fanny et Alexandre est le der-nier long métrage réalisé pour le cinéma par Ingmar Bergman . Il ne se consacra ensuite plus qu’au théâtre, à l’écriture de scénarios et à la réalisation de téléfilms (Après la répéti-tion, 1984 ; En présence d’un clown, 1997) . Bergman précise : « Après Fanny et Alexandre, je ne ferai plus de longs métrages . Je ne me suis jamais tant amusé, et je n’ai jamais travaillé si dur . Fanny et Alexandre résume ma vie de cinéaste . Pour faire des longs métrages, il faut être jeune,

physiquement et mentalement . Si j’écris quelque chose, il faudra que ce soit quelqu’un d’autre qui le mette en scène1» .Véritable film-testament, Fanny et Alexandre est aussi son œuvre la plus autobiographique . Par le prisme de l’enfance, de la reli-gion, de la peur de la mort et de la solitude, de son amour du théâtre, Ingmar Bergman entraîne le spectateur au plus près de ses souvenirs et de ses obsessions . Ainsi le cinéaste met en scène ce qu’il présente comme « la chronique d’une famille bourgeoise plutôt cos-sue, très unie autour de la mater familias, c’est-à-dire la grand-mère paternelle, avec ses trois fils mariés et leurs enfants . Le film raconte un peu plus d’une année de leurs vies . Je vois en ce film une immense tapisserie pleine de couleurs, de gens, de maisons, de forêts, de mysté-rieux repaires dans des grottes et des cavernes, de secrets et de ciels nocturnes2» .Durant l’été 1979, Bergman s’est retiré dans sa maison sur l’île de Fårö lorsqu’il entreprend et achève l’écriture du scéna-rio de Fanny et Alexandre . En 1980, alors qu’il peine à trou-ver des financements pour son film en raison de l’échec com-mercial de son précédent long métrage, De la vie des marion-nettes (1980), Bergman ren-contre Jorn Donner, le directeur de l’Institut du cinéma suédois . Ce dernier accepte de finan-cer en grande partie le film à la seule condition que le film

soit tourné en Suède et en sué-dois . Le tournage débute en septembre 1981 et réunit environ soixante interprètes et près de mille deux cents figurants avec un budget total s’élevant à six millions de dollars . Il existe deux versions de Fanny et Alexandre . L’idée de réaliser une version longue de plus de cinq heures, découpée en cinq épisodes pour la télévision, est née de l’écriture du scénario . Il s’agit de la version la plus impor-tante pour Bergman : « la dis-tribution cinématographique était nécessaire, elle n’était pas prioritaire3» . Toutefois, la ver-sion réduite à trois heures pour l’exploitation en salles fut un triomphe mondial et le film rem-porta une vingtaine de prix dont le César du Meilleur film étran-ger en 1984 en France, et quatre Oscars, parmi lesquels celui du Meilleur film étranger et celui de la Meilleure photographie .

1 - Ingmar Bergman, Images,

Gallimard, 1992

2 - Conférence de presse,

novembre 1980, in Peter Cowie,

Ingmar Bergman biographie cri-

tique, Seghers, 1986 .

3 - Ibid

D’après les souvenirs du cinéaste, une évocation de la vie d’une famille d’une petite ville suédoise au début du XXe

siècle, à travers le regard de deux jeunes enfants, Fanny et Alexandre

Séance présentée par Olivier Assayas (sous réserve).

FANNY ET ALEXANDRE INGMAR BERGMAN | 1982

FANNY OCH ALEXANDER SAMEDI 7 DÉCEMBRE, 20H

Page 28: Catalogue Festival 2013

26 RESTAURATIONS ET INCUNABLES

Les éléments originaux utilisés pour le montage du film ont été numérisés par David Zimmerman à Londres, puis montés et res-taurés en 2013 avec le concours de La Cinémathèque française.

En décembre 1971, les Pink Floyd se trouvent dans le petit stu-dio parisien d’Europa-Sonore pour améliorer la qualité du mixage multipiste du film Live at Pompeii, réalisé par Adrian Maben . Avec l’ingénieur du son Charles B . Raucher, ils souhaitent faire du overdubbing : rajou-ter de la musique et des brui-tages sur la bande son originale . David Gilmour et Richard Wright doublent leurs voix pour la chan-son Echoes, part I and II, Roger Waters et Nick Mason restent en cabine . Des huit pistes enregis-trées à Pompéi, ils en obtiennent vingt-quatre . Ce film est un portrait du groupe tel qu’il était plus d’un an avant la sortie du disque The Dark Side of the Moon . Il témoigne d’une des périodes les plus foisonnantes de

son existence . La session d’enre-gistrement est filmée avec une caméra Coutant sur pellicule 16 mm inversible noir et blanc . Les rushes ont été retrouvés par le réalisateur et sont aujourd’hui conservés à La Cinémathèque française . Ils n’ont jamais été vus, à l’exception d’un extrait de dix minutes utilisé dans le director’s cut de Pink Floyd, Live at Pompeii . Adrian Maben revient sur cette expérience : « J’ai réussi à filmer cette séance qui témoigne de l’extraordinaire complicité qui existait, à cette époque, entre chaque membre du groupe . Ils se moquaient de moi, des cli-chés des journalistes, du public, de la drogue et d’eux-mêmes . Ils étaient les rois de l’unders-tatement, leur humour à froid était ravageur, déstabilisant et sans pitié . Surtout celui de Roger Waters . Richard Wright, plus dis-cret, se tenait un peu à l’écart des autres . Plus tard, il acquit le sur-nom de the quiet one, « celui qui ne parle pas » . La journée était longue . Pour se donner des forces,

ils ont envoyé le roadie, Chris Adamson, acheter quelques dou-zaines d’huitres et de la bière à la Brasserie Lorraine . Brusquement, le festin des huîtres est devenu l’épicentre d’une conversation drôle et détonante . Ils ont parlé, ils ont beaucoup parlé : Pompéi, les ordinateurs qui remplacent les musiciens (ou pas), l’arrivée de David Gilmour après le départ de Syd, les huîtres qui traversent les frontières nationales, la chorale de Berlioz, l’argent et les méthodes astucieuses qu’ils avaient inven-tées pour ne plus se disputer ! Bref, un peu de tout et n’importe quoi pour une demi-journée de tournage . Il faut comprendre qu’à cette époque, les Pink Floyd ne parlaient pas au public, ils ne don-naient jamais d’interviews . Pour eux, les journaux étaient sans inté-rêt, les journalistes étaient vieux et ne comprenaient rien à leur musique . La publicité était inutile parce que leurs concerts étaient toujours complets, le bouche à oreille suffisait pour remplir les salles .Ce document sobre et drôle est unique . Les rushes n’ont pas nécessité beaucoup de montage . Ils captent l’esprit interne de la bande des quatre . Tout compte fait, Pink Floyd Live at Pompeii pourrait être projeté après Le Festin des huîtres . L’un est le pen-dant de l’autre . Est-ce un film, un reportage ou la mise en images d’un disque ? Quarante ans après, je ne sais toujours pas . »

RÉALISATIONAdrian Maben

PRODUCTIONAdrian Maben

INTERPRÈTESRoger Waters, David Gilmour, Richard Wright et Nick Mason

France, 2013, DCP, 60 minutes

ADRIAN MABEN (né en 1942)Réalisateur franco-écossais, il est connu pour ses films documentaires sur l’art et sur la musique, notamment Pink Floyd : Live at Pompeii (1972), Monsieur René Magritte (1978) et Helmut Newton : frames from the edge (1989) .

Entretien inédit des Pink Floyd au studio Europa-Sonore à Paris, en décembre 1971 .

Séance présentée par Adrian Maben.

LE FESTIN DES HUÎTRES ADRIAN MABEN | 2013

CHIT CHAT WITH OYSTERS SÉANCE SPÉCIALE DIMANCHE 8 DÉCEMBRE, 19H30

Page 29: Catalogue Festival 2013

27RESTAURATIONS ET INCUNABLES

Véritables archéologues de l’image, Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi ont exhumé d’archives cinématographiques privées et anonymes des images de la période coloniale italienne en Éthiopie, qu’ils ont ensuite retravaillées, re-filmées et remon-tées . Le résultat propose au spec-tateur une relecture de l’histoire aussi bien italienne que mondiale .

Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi commentent leurs intentions : « Nous étudions à la loupe les photogrammes sur la colonisation, et transcrivons leurs légendes . Ces matériaux devaient être visionnés à la mai-son, en silence . Dans ces frag-ments de films, on remarque, en les regardant sans projec-teur, les traces de ceux qui les ont possédés, les moments du

film qu’ils ont le plus vus . Notre double lecture passe par les images et par la façon dont elles étaient vécues . Une Éthiopienne à genou, le sein à l’air, un soldat barbu qui lui lave symbolique-ment les cheveux ; des termes récurrents (barbare, primitif, pil-lard, bigamie) reviennent dans les légendes . Nous avons trouvé aussi beaucoup de séquences militaires illustrant la violence des Italiens lors de la conquête de l’Éthiopie et la phrase sui-vante : “Pour ce pays primitif et barbare, l’heure de la civilisation a sonné” . Surgissent alors des frag-ments de l’image de Mussolini en Afrique : il fallait communi-quer avec les masses à travers les caractéristiques physiques de sa personne, qui doit appa-raître comme une icône unique et incomparable » .

À l’instar des réflexions menées par des artistes et cinéastes comme Harun Farocki ou Chris Marker, Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi ne cessent de s’interroger sur les fonctions de l’image et de la mémoire . Avec Pays barbare, ils pro-posent un nouveau regard sur le colonialisme et le fascisme, des thèmes qu’ils avaient déjà abordés dans Dal polo all’equa-tore (1986), Diario africano (1994) ou encore Archivi italiani (n.1) : il fiore della razza (1991), Animali criminali (1994) et Lo Specchio di Diana (1996) .

« Le fascisme s’est présenté comme un “produit nouveau” après la Première Guerre mon-diale : époque de la mobilisa-tion qui a déchiré le monde et la pensée, qui encore aujourd’hui même ne se sont pas recou-sus . Nous utilisons depuis tou-jours les documents d’archive, que nous retravaillons jusqu’à les faire nôtres . Nous utilisons le passé pour le présent . Pour nous, seul le présent existe . Le philosophe Gian Battista Vico a défendu une théorie cyclique de l’histoire, selon laquelle nous ne serions pas à l’abri d’un retour de la barbarie » . (Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi) .

Pays barbare a été présenté en 2013 au Festival de Locarno, au Festival International du Film de Toronto et au Festival International du Film de Londres .

RÉALISATIONYervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi

PRODUCTIONSylvie Brenet / Les Films d’Ici

MONTAGEYervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi

MUSIQUEGiovanna Marini, Keith Ullrich

France, 2013, couleur, DCP, 65 min

YERVANT GIANIKIAN ET ANGELA RICCI LUCCHI (Nés en 1942)Installé à Milan, le duo d’artistes-cinéastes réalise des courts et des longs métrages depuis le milieu des années 1970 . Utilisant de manière récurrente des images d’archive qu’ils revisitent, leurs travaux se situent aux frontières du cinéma expérimental, de la fiction et du documentaire . Leur premier documentaire Dal polo all’equatore (1986) remporte un succès critique . Ils ont également réalisé une trilogie sur la Première Guerre mondiale, Prigioneri della Guerra (1995), Su tutte le vette è pace (1998), et Oh! Uomo (2004) .

Montage critique d’images d’archive sur le fascisme et le colonialisme italien en Afrique .

Séance présentée par Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi.

PAYS BARBARE YERVANT GIANIKIAN ET ANGELA RICCI LUCCHI | 2013

SÉANCE SPÉCIALE VENDREDI 6 DÉCEMBRE, 19H30

Page 30: Catalogue Festival 2013

28 RESTAURATIONS ET INCUNABLES

Il m’a fallu trois ans pour réali-ser ce film . Tout d’abord j’ai dû ramener la matière de l’histoire du film, c’est-à-dire un négatif abîmé par le temps .

Goha, long métrage de 1957, était en voie de décomposition, il n’y avait plus de copie visible . Mon père venait de mourir et m’avait confié le soin de ses films, c’était son premier long métrage . Il fallait commencer par lui .Puis il me fallait surmonter deux difficultés : rendre émouvant un film sur la technique et rester objective, alors que, directrice photo, je pleurais un support en voie de disparition .

Pour pallier ce conflit interne, je fus obligée de mêler mon his-toire personnelle à l’histoire contemporaine . Ce film est une promenade dans un monde que j’aime, dans lequel j’ai grandi et qui évolue comme notre société, comme chacun d’entre nous .

Je voulais un découpage très fluide et contemplatif pour décrire ce changement rapide . En deux ans le dernier bastion qui avait résisté au numérique venait d’être emporté, la pelli-cule et les bobines au cinéma devenaient des disques durs .

Seule, sans argent puisque per-sonne ne pensait qu’un film sur la technique pouvait être inté-ressant, j’ai voulu acheter sur le site du Boncoin .fr un fauteuil roulant à roues pneumatiques . Mais en me rendant chez le ven-deur, c’était des roues dures que je trouvais . Que faire ? Le fauteuil, pour le reste, était si mignon et parfait que je l’ache-tais en pensant trouver une solution – solution que j’ai cher-ché pendant tout le tournage sans la trouver…

Cette contrainte a donné au film une forme, remplie de conflits de ce type, des conflits entre les affects et le matériel . Si le

film est, malgré un travelling à roues dures, stable, c’est parce que beaucoup d’amis ou de per-sonnalités fortes ont participé à cette histoire : Alain Jomy a créé la musique, Jean-Claude Carrière a structuré par sa pensée le propos, Jean-Pierre Beauviala nous a introduit dans son monde de caméras, Christian Guillon a expliqué la nouvelle invention de sa société d’effets spéciaux et ma mère, toujours la même, s’émerveille devant ce monde qui fabrique notre présent . Beaucoup d’autres évènements et personnages s’y sont mêlés et renforcent l’impression dési-rée de mosaïque – la mosaïque étant la première représenta-tion « numérique » du monde qui nous entoure : Edgar Morin, Daniel Borenstein, Rosette, Nicolas Vanier, Éric Guichard, Gwénolé Bruneau, Laurent Mannoni, Monique Koudrine, Jean Monod, Serge Bromberg, Éric Le Roy, François Éde, Bruno Patin, André S . Labarthe, Arthur Dreyfus, Béatrice de Pastre, Christian Lurin .

DIANE BARATIER

RÉALISATIONDiane Baratier

SCÉNARIODiane Baratier

PRODUCTIONRouge Production

France, 2013, couleur, Blu-ray, 85 minutes

DIANE BARATIER(née en 1963)Directrice de la photographie et réalisatrice française, Diane Baratier est une ancienne élève de l’ENS Louis-Lumière . Elle a été l’assistante de Raoul Coutard sur le premier court métrage de Nicolas Nicloux La Piste aux étoiles et, à partir de 1993, la directrice de la photographie de tous les films d’Eric Rohmer, L’Arbre, le maire et la médiathèque (1993), Conte d’été (1996), Les Amours d’Astrée et de Céladon (2007)… En 2009, elle réalise son premier documentaire Mon Père, Jacques Baratier .

Quand son père, le cinéaste Jacques Baratier, meurt, sa fille Diane découvre que l’un des trente films qu’il avait réa-

lisés était perdu et certains étaient en passe de disparaître . Cette découverte l’a conduite à réfléchir sur la dispari-

tion du cinéma .

Séance présentée par Diane Baratier.Conférence Voir p .61

L’AVENIR DE LA MÉMOIRE DIANE BARATIER | 2013

SÉANCE SPÉCIALE MERCREDI 4 DÉCEMBRE, 17H

Page 31: Catalogue Festival 2013

29HOMMAGE À LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE

HOMMAGEÀ LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE

Programme « Grand Tour d’Italie », (1908-1914) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32

Ma l’amor mio non muore !, Mario Caserini (1913) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

Programme « Chaplin / Mutual », Charles Chaplin (1916-1917) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

Païsa / Paisà, Roberto Rossellini (1946) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

La Propriété, c’est plus le vol / La Proprieta non è piu un furto, Elio Petri (1973) . . . . . . . . . . . . . . . . 36

Manille / Maynila : sa mga kuko ng liwanag, Lino Brocka (1975) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

LES FILMS

Page 32: Catalogue Festival 2013

30 HOMMAGE À LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE

HOMMAGE À LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE

RETROUVER LE CINÉMA LES 50 ANS DE LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE

La Cinémathèque de Bologne a cinquante ans . Même si, d’un point de vue historiographique, cette affirmation est contes-table dans la mesure où sa création officielle remonte à 1974 . Cependant, nous aimons la faire remonter à 1963, quand nous reconstruisons son histoire . Le maire de l’époque, pensa qu’il était tout à fait naturel qu’une ville « moderne » possède, aux côtés d’institutions culturelles plus traditionnelles, un espace dédié à la conservation, à l’étude et à la diffusion du cinéma . Un groupe de professeurs, écrivains, artistes, architectes, citoyens, tous mus par une passion pour la cinéphilie – dans le sens utilisé dans les années soixante, soit un sens très politique . . . –, a posé les bases conceptuelles et pratiques de ce qui, au début, était une Commission pour les activités cinématographiques avant de devenir une cinémathèque .

La rencontre des meilleures forces intellectuelles d’une ville et d’un pouvoir municipal éclairé, sont à l’origine de l’enracinement profond de la Cinémathèque de Bologne avec son propre terri-toire, et que l’ouverture à l’internationale n’a fait que renforcer .Essentiel, également, le rapport particulier que Bologne a depuis toujours avec le cinéma . Bien que Bologne soit une ville périphé-rique en matière de production, elle est le chef-lieu de la région où sont nés Zavattini, Fellini, Antonioni, Pasolini, Bertolucci, Cavani, Bellocchio, Avati, Vancini, et celle aussi où on étudiait et pensait le cinéma . En effet, c’est à Bologne, dans les années 1960, que voient le jour la première édition cinématographique et le premier département universitaire dédié aux arts du spec-tacle . En 1968, Bologne inaugure la première salle italienne de cinéma d’essai . Parallèlement, ce même groupe d’intellectuels qui allait consti-tuer la future Cinémathèque se retrouve, chaque année à La Mostra del Cinema Libero, un festival très militant, très « antagoniste », très attentif au cinéma offstream, émergeant, censuré, invisible . . . En 1986, Il Cinema Ritrovato apparaît béné-ficiant de l’héritage de La Mostra del Cinema Libero . Le passage se fait en vertu d’un état de fait devenu plus évident : le cinéma « invisible », le cinéma à récupérer et à défendre, le cinéma libre appartient désormais au passé . Les premières éditions accueil-leront un public international limité, curieux et qualifié auquel elles offriront des rétrospectives intégrales de Lang, muet et sonore, et beaucoup de cinéma muet italien .Il s’agit là d’un passage crucial, d’un saut en matière de qualité et d’une nouvelle prise de conscience . En 1989, la Cinémathèque intègre la FIAF . L’acquisition et la conservation des collections vont de pair avec une vocation qui deviendra vite centrale : la restauration . C’est à partir d’une école-laboratoire de forma-tion qu’est créé, en 1992, le laboratoire L’Immagine Ritrovata . L’histoire du laboratoire progresse avec celle de la Cinémathèque, liées par une coopération scientifique et opérationnelle indis-sociable . À la fin des années 1980, le projet Chaplin, un projet très consistant de restauration de l’œuvre cinématographique de Charlie Chaplin et de catalogage de ses archives sur support papier – confié à la Cinémathèque par les héritiers et l’Associa-tion Chaplin – constitue un nouveau point d’articulation de la vie globale de l’institution .

La Cineteca est, depuis un an, une fondation culturelle qui entre-tient des relations privilégiées avec le pouvoir municipal . Dans un pays peu disposé à investir dans la culture, je crois que notre institution continue à croître, jour après jour, grâce à la disponi-bilité et au sérieux scientifique des personnes qui y travaillent .

Charlot usurier, Charlie Chaplin, (1916)

Page 33: Catalogue Festival 2013

31HOMMAGE À LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE

Nous souhaitons vivement que cette croissance continue à se faire à un double niveau, local et international . La preuve : les deux salles du cinéma Lumière, le rendez-vous annuel avec Il Cinema Ritrovato, l’activité en direction des jeunes générations de la ville et les projets de recherche internationaux sur Chaplin, Pasolini, sur le cinéma européen, une activité éditoriale, une bibliothèque riche et fréquentée par un vaste public local mais aussi par des chercheurs italiens et étrangers . Mais la parfaite synthèse de cette double vocation reste, à mes yeux, la Piazza Maggiore de la ville bondée d’un public cosmo-polite, émerveillé face au grand écran que nous installons chaque année : pour les soirées du Cinema Ritrovato, puis pendant tout le mois de juillet . C’est justement d’ici, de l’observation de cette envie de cinéma, qu’est née notre toute dernière initiative : Il Cinema Ritrovato al cinema . Quiconque s’occupe de restauration traverse, depuis quelques années, une passe délicate . L’emploi de technologies numériques a déplacé les frontières du possible et a rouvert des questions méthodologiques . Dans le contexte de la fin commerciale de la pellicule, la Cineteca se donne pour priorité de préserver ce sup-port, sa qualité et les savoirs qui s’y rattachent . Récupérer avec de nouveaux outils la beauté et la netteté visuelle d’œuvres qui, autrement, risqueraient d’être perdues à jamais, pour les por-ter à un public plus vaste, est également notre objectif . Nous croyons que l’endroit idéal pour cette rencontre est la salle de cinéma . Avec Il Cinema Ritrovato al cinema, nous sommes en train d’organiser la distribution de dix grands films du passé, res-taurés et en version originale, dans quarante salles de cinéma italiennes . Un défi et un risque à un moment où les salles en Italie continuent à fermer leurs portes . Un risque soutenu par tout l’amour du cinéma qu’a respiré, à Bologne, ma génération et celle d’avant et, je l’espère, celles qui viendront .

J’aimerais conclure en disant que, lorsqu’on veut faire un joli compliment, on dit de Bologne qu’il s’agit d’un « petit Paris » . Peut-être n’est-ce pas vrai, mais nous avons toujours eu le regard tourné vers la France et Paris, qui illumine notre chemin . C’est aussi pour cela que nous sommes particulièrement reconnais-sants à la Cinémathèque de nous avoir invités à venir dans ses prestigieux locaux pour y présenter notre travail .

GIAN LUCA FARINELLIDirecteur de la Cinémathèque de Bologne

La propriété, c'est plus le vol, Elio Petri (1973)

Païsa, Robert Rossellini (1946)

Page 34: Catalogue Festival 2013

32 HOMMAGE À LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE

Une histoire de l’Italie préfasciste et d’avant-guerre au travers d’un programme de courts métrages du cinéma muet

italien .

Accompagnement au piano par Jacques Cambra.Séance présentée par Gian Luca Farinelli.

LE GRAND TOUR D’ITALIE 1908-1914

NON FICTION ITALIENNE DIMANCHE 8 DÉCEMBRE, 17H30

Italie, 1908-1914, noir et blanc et couleur,

35 mm, 70 minutes

FABRICATION DES CHARRETTES SICILIENNESFrance, 1910, Pathé Frères ,35 mm, 4’ à 17 ips

DANS LE GOLFE DE SALERNEFrance, 1909, Pathé Frères, 35 mm, 6’ à 17 ips

EXCURSION À LA GROTTE D’AZURFrance, 1910, Société des Établissements Gaumont, 35 mm, 4’ à 17 ips

LA FESTA DEI GIGLI DI NOLAItalie, 1909, Cines, 35 mm, 6' à 16 ips

L’INDUSTRIA DELLA CARTA NELL’ISOLA DEL LIRIItalie, 1910, Cines, 35 mm, 8’ à 16 ips

EXCURSION DANS LES ABRUZZIFrance, 1910, Eclipse, 35 mm, 6’ à 16 ips

À TRAVERS LES RUINES DE LA ROME ANTIQUEFrance, 1911, Pathé Frères, 35 mm, 5’ à 16 ips

L’INDUSTRIA DEI CAPPELLI DI PAGLIAItalie, 1911, Eclipse, 35 mm, 7’ à 18 ips

CITTÀ DI RIMINIItalie, 1912, Società Anonima Ambrosio, 35 mm, 4’ à 18 ips

BOLOGNA MONUMENTALEItalie, 1912, Latium Film, 35 mm, 5’ à 16 ips

I PIZZI DI VENEZIAItalie, 1912, Cines, 35 mm, 3’ à 17 ips

GRADO E LA LAGUNA DI AQUILEJAItalie, 1910, Cines, 35 mm, 3’ à 16 ips

CONCORSO DI BELLEZZA FRA BAMBINI A TORINOItalie, 1909, Aquila Films, 35 mm, 3’ à 17 ips

IL PIÙ VASTO ALTIPIANOItalie, 1914, Milano Films, 35 mm, 3’ à 16 ips

PRIMO GIRO CICLISTICO D’ITALIAItalie, 1909, SAFFI-Comerio, 35 mm, 8’ à 16 ips

L’imaginaire italien est encore maintenant profondément marqué par les manipula-tions de la propagande fasciste . En réa-lité, le dal vero (« d’après nature ») a été un des genres à succès de l’industrie ciné-matographique italienne naissante que Cines, Ambrosio, Itala, Milano Films de Luca Comerio proposaient au public ita-lien et exportaient dans le monde entier .Quand, à la fin des années 1980, la Cinémathèque de Bologne a cherché dans les archives du monde entier ce qui avait survécu du cinéma muet italien, nous avons découvert une vaste production de non fiction . Ces courts métrages racon-taient l’Italie préfasciste et d’avant-guerre, prises de vues d’une Italie d’opérateurs et de photographes qui s’étaient formés sur des modèles de représentation fortement inspirés par les leçons de la peinture ita-lienne de la seconde moitié du XIXe . Nous fûmes immédiatement fascinés par ces

documents si lointains dans le temps et pourtant si proches et émouvants qu’il fut décidé de lancer un projet de recherche et de sauvegarde de tous les films italiens de non fiction des vingt premières années du siècle dernier . Ce que nous présentons à La Cinémathèque française est seulement un des nombreux parcours possibles dans un fonds qui compte à ce jour plus de cent titres d’une durée totale de neuf heures .Nous avons organisé le programme sur le schéma de Paisà de Rossellini (1946), en un hypothétique voyage en Italie, du Sud, de la Sicile, au Nord, jusqu’aux frontières de l’Empire austro-hongrois et qui se ter-mine par les prises de vues du premier tour cycliste d’Italie réalisé en 1909 par le plus célèbre documentariste de l’époque, Luca Comerio . Ce ne sont pas uniquement des paysages, des lieux célèbres d’Italie, mais aussi l’activité manufacturière et les fêtes populaires .

Le cinéma offre aux maisons de produc-tion italiennes – mais pas seulement – du début du siècle une possibilité extraor-dinaire de raconter l’Italie au monde et aux nouveaux citadins de l’État unitaire . Mais avec la production dal vero, le cinéma italien du début des années 1910 restitue l’image d’un pays moderne et industria-lisé, qui, dans le même temps, peut exal-ter la tradition millénaire de son histoire et les incomparables beautés artistiques et naturelles de son territoire . Tandis que dans les ports de Gênes et de Naples les groupes de touristes débarquent des paque-bots à vapeur, des millions d’émigrants se pressent sur les bancs, prêts à s’embar-quer pour l’Argentine, le Canada, les États-Unis . L’Italie n’est plus un pays pour eux .

GIAN LUCA FARINELLI

Page 35: Catalogue Festival 2013

33HOMMAGE À LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE

MARIO CASERINI (1874-1920)Mario Caserini débute sa carrière comme acteur et devient un réalisateur prolifique, pionnier du cinéma italien . Entre 1906 et 1920, il réalise près de soixante-dix films, essentiellement des adaptations littéraires, mélodrames et épopées historiques . Son film Othello, réalisé en 1906, est considéré comme une des premières adaptations de l’œuvre de William Shakespeare, qu’il complète avec Roméo et Juliette (1908), Macbeth (1909) et Hamlet (1910) . Il est également l’auteur de certains scénarios, notamment celui de son œuvre la plus célèbre : Les Derniers Jours de Pompéi (Gli ultimi giorni di Pompéi, 1913) .

Restauré par le Musée National du Cinéma de Turin, la Fon-dazione Cineteca Italiana di Milano, la Cinémathèque de Bologne, avec la participation de la Cineteca Nazionale – Cen-tro Sperimentale di Cinema-tografia de Rome.

La restauration digitale a été réalisée à partir du négatif caméra conservé à la Fonda-zione Cineteca Italiana de Milan. Le graphisme des titres et des intertitres a été reconstruit grâce à un fragment de positif nitrate conservé à la Cineteca Nazionale – Centro Sperimentale di Cine-matografia de Rome. Les inter-titres manquants sur la copie de Rome ont été recomposés sur la base des affiches et bro-chures d’époque conservées au Musée National du Cinéma de Turin. Les intertitres recomposés, signalés par le sigle R-11, ont été insérés selon les indications de montage présentes sur le négatif original ; une division en actes a également été rétablie. La res-tauration a été effectuée par le laboratoire L’Immagine Ritrovata de Bologne en 2013.

Lyda Borelli est une comé-dienne de théâtre confirmée lorsqu’elle accepte cette pre-mière expérience cinématogra-phique pour la compagnie Film Artistica Gloria de Turin . Ses poses expressives en costumes de scène ont été immortalisées quelques années auparavant par les peintures de Cesare Tallone et de Giuseppe Amisani, que les

séries photographiques d’Emilio Sommariva et de Mario Numes ont achevées de populariser . Interpréter le rôle principal dans un film muet est une gageure pour une comédienne de théâtre renommée, mais Lyda Borelli parvient à incarner avec brio le personnage au destin tra-gique d’Elsa Holbein, écrit spé-cialement pour elle . L’intrigue lui offre l’occasion d’apparaître sur les planches dans les rôles qui ont fait sa renommée théâ-trale (Salomé, Zazà) . La mise en scène de Mario Caserini, fondée sur cette théâtralité, lui accorde un espace propice au déploie-ment de son art . La position de la caméra en coulisse accentue la référence et confère d’em-blée à l’actrice un statut de diva . Mario Caserini privilégie les plans larges, la profondeur de champ et un sens aigu du cadre (sublimé par la photographie

d’Angelo Scalenghe) qui per-mettent aux acteurs une pleine possession de l’espace et de multiples possibilités de com-positions dramatiques .

« Ma l’amor mio non muore est typique d’une époque et d’un temps : la fin de siècle . Son scénario, imité d’Henry Bataille, est un drame d’amour dont on ne sait qui est le plus fatal, la femme amoureuse ou l’homme amoureux . Pour nous qui regardons vivre ces fantômes, nous sommes tout étonnés d’une époque si proche et déjà si lointaine, où la dou-ceur de vivre de tout un monde lui permettait de ne vivre hors de l’ennui que par l’amour » . Henri Langlois

RÉALISATIONMario Caserini

SCÉNARIOEmiliano Bonetti

PRODUCTIONFilm Artistica « Gloria »

PHOTOGRAPHIEAngelo Scalenghe

INTERPRÈTESLyda Borelli, Mario Bonnard, Camillo de Riso, Maria Caserini, Gianpaolo Rosmino .

Italie, 1913, noir et blanc, DCP, 80 min

Le colonel Holbein, chef de l’état major du Grand-duché de Wallenstein, se fait subtiliser des plans de défense par

un espion . Tombé en disgrâce, il se suicide et sa fille Elsa est condamnée à l’exil par le duc de Wallenstein . Sous le

pseudonyme de Diana Cadouleur, elle devient une talentueuse actrice et cantatrice, et se produit avec succès sur

la Riviera . De nature mélancolique, elle rencontre un homme en convalescence tout aussi ténébreux : Maximilien .

Séance présentée par Gian Luca Farinelli.

MA L’AMOR MIO NON MUORE ! MARIO CASERINI | 1913

LOVE EVERLASTING DIMANCHE 8 DÉCEMBRE, 19H

Page 36: Catalogue Festival 2013

34 HOMMAGE À LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE

RÉALISATION ET SCÉNARIOCharlie Chaplin

PRODUCTIONMutual Film Corporation

PHOTOGRAPHIERoland Totheroh

États-Unis, 1916, noir et blanc, DCP, 71 minutes

Le projet Essanay/Mutual est une initiative de la Cinémathèque de Bologne et de Lobster Films, en collaboration avec Film Preservation Associates, sous l’égide de l’Association Chaplin.

La restauration a été supervi-sée par la Cinémathèque de Bologne, Serge Bromberg et David Shepard, et réalisée au laboratoire L’Immagine Ritrovata.

Pour leur généreuse contribu-tion, sont remerciés Alexander Payne, Amitabh Harivansh Bachchan, la George Lucas Family Foundation, Martin Scorsese et la Film Foundation, la Material World Charitable Foundation et Michel Haza- navicius.

Remerciement à : Academy of Motion Pictures Arts and Sciences, Archives françaises du film (CNC), BFI National Archive, La Cinémathèque fran-çaise, Cinémathèque Royale de Belgique, Library of Congress, Lobster Films, The Museum of Modern Art, Pathé et UCLA Film Archive.

CHARLOT USURIER (THE PAWNSHOP)Interprètes : Charlie Chaplin, Henry Bergman, Edna Purviance, John Rand, Albert Austin, Eric Campbell .

Désormais fort d’une équipe d’habitués ayant fait ses preuves, comprenant Edna Purviance, Eric Campbell, Albert Austin et d’un nouvel arrivé : Henry Bergman (qui travaillera avec Chaplin jusqu’aux Temps modernes), Charlot usurier semble avoir été créé pour explorer et mettre en scène la souplesse et la gestuelle qui caractérisent Chaplin, mais dans un espace très réduit . Le décor est avant tout rempli d’objets inanimés que Chaplin transforme au gré de ses envies, en transpose le sens, en détourne l’emploi, créant ainsi un univers métaphorique et personnifié qui prend forme autour de son personnage .

CHARLOT POLICEMAN (EASY STREET)Interprètes : Charlie Chaplin, Edna Purviance, Eric Campbell, Albert Austin, Henry Bergman .

Pour son Charlot policeman, Chaplin s’est fait construire, au prix exorbitant de dix mille dollars, son premier plateau de tournage en forme de T dont David Robinson a retrouvé les origines dans la Methley Street, rue de Londres où Hannah Chaplin et ses deux fils ont habité . Cette disposition sera recréée dans les Studios Chaplin, devenant le décor privilégié des comédies chaplinniennes . C’est aussi grâce à ce plateau que Charlot policeman s’approche de la perfection et, avec un réalisme étonnant, rend toute la violence de la vie dans un quartier de la ville . Une violence inédite pour Chaplin, tout comme pour Charlot qui cette fois-ci joue le rôle d’un représentant des forces

de l’ordre . Cet élément inattendu et contradictoire génère une série de situations comiques .

L’IMMIGRÉ (THE IMMIGRANT)Interprètes : Charlie Chaplin, Edna Purviance, Kitty Bradbury, Albert Austin .

Cité par les plus grands cinéastes immigrés ou fils d’immigrés comme Kazan et Coppola ainsi que par les grands maîtres d’autres continents comme Ousmane Sembène et Satyajit Ray, L’Immigré est, de fait, l’un des plus intenses portraits de l’immigration du siècle dernier et l’œuvre peut-être la plus proche de l’histoire personnelle de l’auteur . Ayant finalement migré deux fois, la première de son pays natal pour faire fortune et la seconde de son pays d’adoption où il était devenu une persona non grata, l’histoire américaine de Chaplin commence, comme celle de millions d’européens, à New York, devant la statue de la Liberté où l’on accueille les passagers, dans L’Immigré, avec un panneau : « Vous êtes arrivés dans le pays de la liberté », alors que ceux-ci sont bousculés et rassemblés comme du bétail . De ces moments, Chaplin se rappelle une sensation d’isolement et d’aliénation bien avant que l’euphorie d’une nouvelle vie ne l’envahisse . L’Immigré est avant tout une œuvre qui décline au mieux l’identité de son personnage : un inadapté éternel, un marginal, un exclu, quelqu’un qui voit et pense le monde d’une manière autre, un errant, un suspect permanent, que Hannah Arendt, philosophe allemande du siècle dernier, avait ainsi défini : Charlot est l’immigré par définition .

CECILIA CENCIARELLI

Séance présentée par Cecilia Cenciarelli. Accompagnement au piano par Neil Brand.Conférence : « Projet Chaplin ». Voir p .61

PROGRAMME CHAPLIN / MUTUAL MERCREDI 4 DÉCEMBRE, 15H

Charlot usurier, Charlie Chaplin, (1916)

JEUNEPUBLIC

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35HOMMAGE À LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE

La restauration de Païsa a été accomplie par la Cinémathèque de Bologne dans le cadre du Projet Rossellini, initiative soutenue par l’Institut Luce Cinecittà, CSC-Cineteca Nazio-nale et le Coproduction Office.

Entre Rome ville ouverte (1945) et Allemagne année zéro (1948), Païsa constitue le second volet de la trilogie sur la Deuxième Guerre mondiale réalisée par Roberto Rossellini, au lende-main de la chute du régime fas-ciste . Après avoir filmé la ville : Rome, il s’attache à donner une vision d’ensemble du pays . En suivant progressivement l’avan-cée des alliés lors de la cam-pagne d’Italie, Païsa aborde en six épisodes les destins

individuels et collectifs dans un pays libéré mais meurtri . Il témoigne avec justesse de cette période trouble, des turpitudes et des errements d’une popu-lation dévastée .

Rossellini s’appuie sur les valeurs du néoréalisme pour être au plus près du réel et du présent . Accompagné de son scéna-riste, premier assistant et ami Federico Fellini (dont l’épouse Giulietta Masina fait ici sa pre-mière apparition à l’écran), il parcourt le pays, modifiant le scénario au fil des lieux traver-sés et des rencontres . Païsa est avant tout un film de rencontres, liant des êtres confrontés à la guerre, à leur propre solitude, mais également aux alliés, à la fois libérateurs et envahisseurs .

Les intrigues apparaissent comme prises sur le vif, le jeu des acteurs non professionnels, recrutés sur le terrain, accentue l’authenticité et la sincérité du sujet . Bien que les commen-taires en voix off induisent la mise à distance nécessaire à la place de témoin, chaque récit implique humainement le spec-tateur dans l’histoire qui vient de se jouer .

Païsa est présenté à la Mostra de Venise, mais ne remporte aucun prix . Ce n’est que deux mois plus tard que la critique s’enthousiasme en France et aux États-Unis pour ce qui devien-dra un des chefs-d’œuvre du néoréalisme .

RÉALISATIONRoberto Rossellini

SCÉNARIORoberto Rossellini, Federico Fellini, Sergio Amidei, Marcello Pagliero, Alfred Hayes, Vasco Pratolini, Klaus Mann, Rod E . Gerge

PRODUCTEURSMario Conti, Rod E . Geiger,Roberto Rossellini

PHOTOGRAPHIEOtello Martelli

INTERPRÈTESRenzo Avanzo, Dale Edmonds, Dots M . Johnson, Robert Van Loon, Giulietta Masina, Harriet White Medin, Maria Michi, Gar Moore, Giulio Panicali, Alfonsino Pasca, Carmela Sazio, William Tubbs

Italie, 1946, noir et blanc, DCP, 124 min

En suivant une progression géographique et chronologique, Païsa retrace six histoires de la libération italienne, des

côtes siciliennes au delta du Pô, de l’été 1943 à l’hiver 1944 .

Séance présentée Gian Luca Farinelli.

PAÏSA ROBERTO ROSSELLINI | 1946

PAISÀ MERCREDI 4 DÉCEMBRE, 21H

ROBERTO ROSSELLINI (1906-1977) Après la réalisation du Navire blanc (1941), il tourne, de 1945 à 1948, trois fictions sur la guerre et ses conséquences en Italie . Rome ville ouverte remporte un succès immédiat . Païsa, puis Allemagne année zéro, finissent d'inscrire la nouvelle esthétique du cinéaste, à l'origine de l’impulsion du néoréalisme . Ingrid Bergman lui offre sa participation et les convergences entre l'actrice hollywoodienne et le néoréalisme de Rossellini donnent lieu à une série de films axés sur la solitude : Stromboli (1949), Europe 51 (1951), et Voyage en Italie (1953) . Rossellini se tourne ensuite vers la télévision et réalise India (1958), puis des films historiques : Vanina Vanini (1961), La Prise de pouvoir par Louis XIV (1967) .

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36 HOMMAGE À LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE

ELIO PÉTRI (1929-1982)Membre du parti communiste italien, jusqu’en 1957, il débute sa carrière comme journaliste et critique cinéma pour les journaux L’Unità, Gioventù nuova et Città aperta . Sa rencontre avec le réalisateur Giuseppe De Santis est décisive pour sa carrière . Ce dernier l’engage, entre 1953 et 1960, comme assistant et co-scénariste . En 1961, il réalise son premier long-métrage L’Assassin . Dix ans plus tard, le film La Classe ouvrière va au paradis est récompensé par la Palme d’Or au Festival de Cannes . L’œuvre d’Elio Petri s’attache à dénoncer les maux de la société italienne moderne, avec une puissance contestataire et un humour caustique . « Un cinéaste italien est un medium(…) . On ne peut pas penser au cinéma sans sentir quelque chose qui provient des entrailles les plus profondes de la société1»

La restauration a été menée par la Cinémathèque de Bologne, le Musée national du cinéma de Turin ainsi que Titanus. Les tra-vaux ont été réalisés au labora-toire L’Immagine Ritrovata. Lors de la 70ème Mostra de Venise, la restauration est récompensée par le Prix Venise Classiques.Le film sera distribué en France par Tamasa en 2014.

« La propriété ne peut rien don-ner d’autre que la maladie et les malades, elle ne peut qu’emblé-matiser toute la série des frustra-tions sexuelles et tenir l’homme prisonnier de celles-ci . Elle est la clef de cette espèce de cein-ture de chasteté dans laquelle la société capitaliste a emprisonné l’homme1 » Elio Petri .

La propriété, c’est plus le vol est une comédie satirique sur la condition de l’homme moderne pris en otage par une société où la propriété est un puissant mode d’aliénation et d’identifica-tion . « De l’analyse des névroses à l’étude de la schizophrénie, Petri nous fait prendre conscience que la société capitaliste engendre des traumatismes collectifs qui rejail-lissent sur l’individu en des termes d’une gravité extrême1 » . Les per-sonnages, grotesques et négatifs, sont mis en relief par une mise en scène où se mêlent réalisme et une forme d’expressionnisme . En s’inspirant du concept de distanciation selon Brecht, Elio Petri apostrophe le spectateur en proposant un récit entrecoupé

de monologues sur fond noir des personnages principaux . « Regarde en toi et tu verras que tu es malade comme les person-nages du film, regarde si tu peux en sortir, eux ne le peuvent pas, toi peut-être que oui1» .

Le scénario est le fruit d’une colla-boration entre Elio Petri et l’écri-vain et scénariste Ugo Pirro . « Le film nous a donné beaucoup de peine, nous avons mis un an pour écrire le scénario . (…) Le travail a vraiment été dur, d’autant que nous voulions sortir de certains modèles de notre cinéma tout en restant attachés à une tradi-tion culturelle italienne . Je ne sais pas si nous y avons réussi, peut être qu’à la limite nous n’avons pas fait un film italien2» .

Présenté au Festival International du Film de Berlin en 1973, le film est très mal accueilli par la cri-tique . « Comme Pasolini, la veille, insulté pour avoir répandu la por-nographie en Italie, Petri se voyait reprocher d’avoir attaqué le petit commerce en la personne du charcutier de La Propriété, c’est plus le vol3» . Toutefois, l’acteur Flavio Bucci remporte en 1974 le Golden Globe de la Meilleure révélation masculine .

1 - Elio Petri, sous la direction de

Jean A . Gili, Faculté des Lettres

et Sciences Humaines, Nice,

1974 .

2 - Ugo Pirro, Jean A . Gili,

Elio Petri et le cinéma italien,

Rencontres du cinéma italien

d’Annecy, 1996 .

3 - Andrée Tounès, Op. Cit.

RÉALISATIONElio Petri

SCÉNARIOElio Petri, Ugo Pirro

PRODUCTIONClaudio Mancini

INTERPRÈTESFlavio Bucci, Ugo Tognazzi, Daria Nicolodi, Orazio Orlando

Italie/France, 1973, couleur, DCP, 120 minutes

Total, un employé de banque allergique à l’argent, prend plaisir à voler un riche boucher de Rome en le dépossédant

de ses objets les plus précieux .

Séance présentée par Gian Luca Farinelli.

LA PROPRIÉTÉ, C’EST PLUS LE VOL ELIO PETRI | 1973

LA PROPRIETÀ NON È PIÙ UN FURTO JEUDI 5 DÉCEMBRE, 14H

Page 39: Catalogue Festival 2013

37HOMMAGE À LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE

LINO BROCKA (1939-1991)Soucieux des problèmes sociaux dans son pays, Lino Brocka livre une œuvre réaliste, influencée par le cinéma italien et hollywoodien . Militant face à l’oppression de l’État, il est victime de la censure et parfois même emprisonné . Son premier film Wanted : Perfect Mother (1970) est ouvertement engagé . En 1975, Manille rencontre le succès critique . Insiang (1976) est le premier film philippin montré au Festival de Cannes . En 1978, après plusieurs échecs commerciaux, il se résigne aux réalités de la production nationale ; il continue de montrer la réalité sociale de son pays mais sous la forme de mélodrames, comédies et films policiers . En 1979, Jaguar participe au Festival de Cannes et déchaîne les foudres de la censure philippine . Son dernier film diffusé en France, Les Insoumis (1987), est présenté à Cannes en 1988 .

Le film a été restauré en 2013 par la World Cinema Fondation et le Film Development Council des Philippines au labora-toire L’Immagine Ritrovata / Cinémathèque de Bologne, en collaboration avec LVN, Cinema Artists Philippines et Miguel de Leon.La restauration a été ren-due possible grâce au néga-tif déposé par Pierre Rissient au BFI National Archive aux débuts des années 1980. L’état de conservation était critique. Le négatif a été scanné par immersion en 4K. Le directeur de la photographie Miguel de Leon a supervisé l’étalonnage et validé la copie positive uti-lisée comme référence.

Adapté du roman d’Edgardo Reyes publié en feuilleton dans le magazine populaire Liwayway, Manille retrace le destin tragique de deux adolescents dont l’ave-nir tient de la survie dans la capi-tale philippine . Le titre original Manille : dans les griffes du néon traduit bien le piège cruel dans lequel cette jeunesse pauvre et opprimée est précipitée . Les néons des quartiers luxueux de la cité fiévreuse attirent ces pauvres âmes comme des papil-lons, elle les entraîne irrémédia-blement dans les bas-fonds, en proie au proxénétisme et à la violence . Dictée par un régime oppresseur dénoncé maintes fois par le cinéaste, l’activité économique soumise au rac-ket alimente une exploitation féroce des êtres corvéables à

merci . Le film témoigne de la sauvagerie d’un monde où les corps ne sont qu’une valeur mar-chande livrée à la spéculation ; Lino Brocka les filme comme des icônes gracieuses et lanci-nantes en pleine détresse .

Pour mettre en scène ce triste poème de l’innocence per-due, Brocka utilise les procé-dés du mélodrame sans pour autant sombrer dans le cliché . Atteignant une grande sobriété d’expression, il livre une œuvre d’un puissant réalisme, décri-vant la misère de manière qua-siment documentaire . Pierre Rissient écrivait : « Lino Brocka connaissait toutes les artères fourmillantes de cette ville, il les pénétrait comme il péné-trait dans les veines des ban-nis de ce film . Parfois une veine s’ouvre et saigne . »

Le film sera suivi de la projec-tion de :

SUR LE TOURNAGE DE MANILLE

DCP, 22 min

Ce court métrage est un docu-ment rare, tourné par Lino Brocka avec son producteur et son directeur de la photo-graphie Miguel de Leon durant le tournage de Manille .

Restauré en 2013 par la World Cinema Foundation et le Film Development Council of the Philippines, à la Cinémathèque de Bologne / Laboratoire L’Immagine Ritrovata.

RÉALISATIONLino Brocka

SCÉNARIOClodualdo del Mundo, d’après le roman d’Edgardo Reyes

PRODUCTEURMiguel de Leon, Severino Manotok pour Cinema Artists

PHOTOGRAPHIEMiguel de Leon

INTERPRÈTESBembel Roco, Hilda Koronel, Lou Salbador Jr, Tommy Abuel, Jojo Abella, Juling Badabaldo

Philippine, 1975, couleur, DCP, 124 min

MANILLE LINO BROCKA | 1975

MAYNILA SA MGA KUKO NG LIWANAG SAMEDI 7 DÉCEMBRE, 14H30

Julio et Ligaya, couple d’adolescents amoureux, vivent dans un modeste village . Une mère maquerelle convainc les

parents de Ligaya de l’envoyer travailler à Manille . Julio décide de partir la retrouver .

Séance présentée par Pierre Rissient et Gian Luca Farinelli.

Page 40: Catalogue Festival 2013

COULEURS DU CINÉMA MUET38

COULEURS DU CINÉMA MUET

Programme Georges Méliès . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

Programme Segundo de Chómon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42

Programme « Couleurs naturelles » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

Programme « Couleurs & Féminité » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

La Phalène bleue, Georges Champavert (1917) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

The Open Road, Claude Friese-Greene (1925) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

L’Éventreur / The Lodger, Alfred Hitchcock (1926) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

La Symphonie Nuptiale / The Wedding March, Erich Von Stroheim (1926) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

Les Ailes / Wings, William A . Wellman (1926) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

LES FILMS

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COULEURS DU CINÉMA MUET 39

EN GUISE D’INTRODUCTION

1 Joshua Yumibe . Moving Colors . Early Film, Mass Culture, Modernism . Rutgers University Press, 2011 .2 Tom Gunning . «Colorful Metaphors . The Attraction of Color in Early Silent Cinema» . Living Pictures 2, n°2 (2003)

Le programme offre un parcours dans l’histoire mouvementée de la couleur au cinéma avant l’arrivée de l’Agfacolor en 1936, une pellicule qui permet pour la première fois d’enregistrer la couleur de manière satisfaisante sur un support reproductible à l’infini . Pendant toute la période du cinéma muet, la couleur s’invente par deux principales voies, que ce programme met à l’honneur : les couleurs des créateurs et des cinéastes, et les couleurs des inventeurs dont les recherches s’élaborent sou-vent grâce à la trichromie .

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la culture populaire bascule dans la couleur via notamment la chromolitographie . Estampes et illustrations colorées envahissent la vie quotidienne . Dans la continuité de la tradition des lanternes magiques, le cinémato-graphe propose des copies luxueuses, peintes à la main, image par image . Pathé fait du film peint au pochoir une excellence maison à partir de 1903 . On suit l’exemple de Georges Méliès . Fééries et films à trucs sont les genres attachés à la peinture . En 1906, les ateliers de coloris sont étendus afin de répondre à la demande . Bientôt, entre 130 à 200 ouvrières travaillent à cette tâche1 . La même année, un système de découpe méca-nique des pochoirs apparait . Les capacités de productions aug-mentent à nouveau .

Producteurs et acheteurs promeuvent et goûtent la couleur comme une attraction sensuelle ajoutée à l’image en noir et blanc2 . Parallèlement à cette quête d’une couleur sensuelle, grâce à la trichromie, de nombreux pionniers tentent de reproduire ce que l’on nomme alors les « couleurs naturelles » . L’inventeur anglais William Friese-Greene réalise ses premiers essais en 1898 . Charles Urban rachète ses brevets et confie à son ingénieur G . A . Smith le soin de développer la couleur naturelle . En 1908, le Kinemacolor est lancé . En 1913, la grande salle du Théâtre Edouard VII sur le boulevard des Capucines lui est dédiée . La même année, le catalogue anglais compte à lui seul quelques 440 titres . Mais le procès de William Friese-Greene rend invalide l’exploitation, et le procédé disparaît en 1914 . Les productions Gaumont lancent le Chronochrome en 1913, un procédé très sophistiqué dont le succès est éclatant . Les films sont montrés à Londres, à New York et au Gaumont-Palace, place Clichy . Le 4 avril 1913 ouvre la salle du Gaumont Color, 8 rue du Faubourg Montmartre .

Les productions des années 1910 feront souvent du pochoir un usage plus réaliste . Les teintes sont moins bigarrées . À partir de ces mêmes années 1910, les teintages et leur esthé-tique monochrome dominent . Ils accompagnent l’allongement de la durée des films et participent pleinement du renouvel-lement narratif et stylistique du cinéma . Des années 1910 aux années 1930, une compétition féroce s’installe entre les com-pagnies pour conquérir le marché de la couleur . De nombreux procédés voient le jour . En 1915, naît un système qui connaitra une fortune particulière, le Technicolor . Entre 1922 et 1927, le Technicolor n°2 est utilisé pour les scènes spectaculaires de productions de prestige . L’exploitation de ces scènes s’avère difficile . Le film à double émulsion se dégrade rapidement . 1932 marque la naissance du Glorious Technicolor dans son fameux système trichrome à imbibition . Une page est tournée .

PAULINE DE RAYMONDProgrammatrice de Toute la mémoire du monde

COULEUR, PREMIERS PAS

Exemples de teintages

Page 42: Catalogue Festival 2013

40 COULEURS DU CINÉMA MUET

Pourquoi la merveilleuse et étrange cosmogonie méliésienne mérite toujours et encore d’être visitée et revisitée ? Pourquoi Méliès fascine-t-il toujours autant, à l’ère des effets spé-ciaux numériques, des Jaeger en acier pixellisé et autres créa-tures en performance capture ?

Méliès découvre le cinémato-graphe en 1895-1896 comme les aventuriers intrépides du Voyage dans la Lune, qui n’ont pas hésité à braver l’armée des Sélénites pour envahir une terra incognita très agitée . Il se sert presque immédiatement de la caméra de Marey et Lumière comme d’une machine à fantômes, un fantascope animiste duquel va s’échapper, pendant plusieurs années, un ballet incessant de visions burlesques, diaboliques, dignes de Bosch, de la lanterne magique et de la féerie .

Ce qui le rend si passionnant, aux yeux du spectateur d’au-jourd’hui mais aussi de l’histo-rien, c’est qu’il est à lui tout seul une véritable encyclopédie de l’archéologie du cinéma et des arts du spectacle . En remontant aux sources de l’iconographie méliésienne, on comprend vite que cet artiste génial, metteur en scène et illusionniste le plus inventif des débuts du cinéma, est l’héritier de plusieurs siècles de traditions magiques, de pra-tiques fantasmagoriques, de secrets techniques, optiques,

théâtraux, féeriques, transmis de thaumaturges en nécro-manciens, de décorateurs en lanternistes, de techniciens en prestidigitateurs .C’est ainsi que, lorsque vous voyez aujourd’hui un film de Georges Méliès projeté sur un écran, vous avez la chance d’ef-fectuer un voyage fantastique et unique dans la France de Napoléon III et de la fin du XIXe siècle . Méliès n’est sûrement pas un homme de ce XXe siècle dit « moderne » . Il est l’héritier de Robert-Houdin, le plus grand magicien du Second Empire, il est le reflet vivant des extraor-dinaires féeries du Châtelet, il

est le disciple de la fantasma-gorie robertsonnienne, il est enfin celui qui saura le mieux utiliser les possibilités illusion-nistes de la caméra chronopho-tographique, au grand dam du rigoriste Marey .

Il ne reste rien des incroyables féeries montées tout au long du Second Empire, à part quelques rares photographies et livrets qui ne peuvent resti-tuer la beauté de ce type de spectacle, la virtuosité des met-teurs en scène, décorateurs et truqueurs . Pyrotechnie, effets optiques, projections lumi-neuses, décors monumentaux,

costumes bariolés, chansons et danses : la féerie enchantait un public captif .

Il ne reste rien encore, à part quelques fragiles plaques de verre, des spectacles de fan-tasmagorie de Robertson, Philipsthal ou Comte . Il ne reste rien non plus, à part quelques photos et de précieux objets truqués, de la stupéfiante qualité et intelligence des spectacles de Robert-Houdin, qui trom-pait son monde avec élégance et distinction .

Et pourtant… Si l’on veut revivre la féerie, la fantasmagorie, la

SAMEDI 7 DÉCEMBRE, 16H

Un programme de films rares, peints à la main, présentés en copies restaurées par La Cinémathèque française en 2013 .

La copie du Voyage dans la Lune, teintée et retouchée au pinceau pour la soirée de gala donnée en l’honneur de Méliès

le 16 décembre 1929, salle Pleyel, est une restauration des Archives françaises du film .

Boniment par le conteur Julien Tauber et accompagnement au piano par Jacques Cambra. Séance présentée par Jacques Malthête et Laurent Mannoni.Conférence Voir p .61

Le Palais des mille et une nuits, Georges Méliès (1905)

PROGRAMME GEORGES MÉLIÈS

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41COULEURS DU CINÉMA MUET

magie blanche et noire, l’illu-sionnisme, si l’on veut remon-ter aux enfers, traverser la voie galactique en cheval, explorer les pôles en ballon, chasser le Sélénite, il suffit de regarder un film de Méliès .Il est important d’insister sur les racines culturelles de Méliès car le spectateur d’aujourd’hui, s’il n’est pas conscient de ce passé, risque tout simplement de ne pas comprendre la richesse et l’intérêt de cet univers absolu-ment unique dans l’histoire de l’art cinématographique .

Il est essentiel aussi de voir et revoir les films de Méliès dans les meilleures conditions . Oubliez vos DVD – même s’ils sont bien utiles et souvent bien conçus – et revivez l’Art trompeur sur grand écran, avec de la musique et les boniments d’origine, quand ils existent . Car en effet, il faut le redire, le cinéma des années 1890-1900 était un « spectacle vivant », avec aboyeurs à l’en-trée, pianiste ou orchestre, bruiteurs, bonimenteurs ou « conférenciers » dans la salle . Des « machines à bruits » ont même été construites pour accompagner ces films : elles produisaient des coups de tonnerre, le vent, la foudre, la pluie, des tirs de fusil, etc . Or presque tous les films de Méliès contiennent des effets sonores qui sont rarement res-suscités aujourd’hui . Quand en 1905 Méliès projette avec

triomphe, sur la scène même du Châtelet, deux films, durant la féerie Les Quat’ Cents Farces du diable, il est évident que le spectacle prend une enver-gure toute autre qu’aujourd’hui, puisqu’un orchestre entier et des bruiteurs se trouvaient dans la fosse du théâtre, puisque des acteurs jouaient sur la scène . Méliès renouvellera à plusieurs reprises, toujours avec bonheur, cette expérience de spectacle mixte, mi-cinématographe mi-théâtre : Le Raid Paris – Monte-Carlo en automobile, « grande course fantastique funambu-lesque » qui se moque des aven-tures automobiles du roi des Belges Léopold II, est projeté plus de trois cents fois en 1905 aux Folies-Bergère .À défaut de reconstituer les féeries théâtrales, magiques et cinématographiques de Méliès au Châtelet, ce qui devra être fait un jour, comme il faudra ressusciter aussi le « cadavre exquis » cinématographique que Henri Langlois et Georges Franju avaient conçu en 1937 pour le Gala des fantômes, La Cinémathèque française, qui s’est toujours attachée à col-lecter et à protéger l’œuvre du magicien de Montreuil, a res-tauré « en numérique », comme on dit aujourd’hui, quelques films exceptionnels, entière-ment peints à la main .

Cette peinture d’aniline posée délicatement sur pellicule –

travail de bénédictin, image par image, sur une surface minus-cule, avec une précision parfois inouïe – constitue aussi l’une des caractéristiques majeures du spectacle méliésien . En repre-nant les couleurs bariolées des plaques de lanterne magique, Méliès donne d’abord une vie supplémentaire aux images grises du cinématographe qui déprimaient tellement Maxime Gorki en 1896 . Mais il va plus loin encore en créant littérale-ment un langage cinématogra-phique de la couleur : certains de ses effets spéciaux ne sont réellement efficaces que si la pellicule est peinte au pinceau . Ses trucages pyrotechniques, ses jaillissements de fumée, ses éclairs, ses effets de nuit étoilée sur déroulants, prennent une dimension toute autre en cou-leurs, bien évidemment .

Longtemps, les cinémathèques ont été complètement désar-mées pour sauver ces fragiles incunables peints à la main . Pour les sauver de la destruction, on les recopiait en noir et blanc, ce qui donnait des résultats désastreux . La généralisation du cinéma en couleurs a per-mis enfin le contretypage, de mieux en mieux amélioré au fil du temps, jusqu’au numérique qui permet des miracles (et aussi des aberrations regrettables) .

Les films présentés ici pro-viennent de collections pri-vées et du fonds de Madeleine Malthête-Méliès, qui a eu l’ex-trême générosité de dépo-ser ses films nitrate à La Cinémathèque française . Ils sont tous peints à la main : savourez ces feux d’artifices d’une époque révolue, mais ô combien captivante !

LAURENT MANNONIDirecteur scientifique du Patrimoine à La Cinémathèque française

L’ALCHIMISTE PARAFARAGARAMUS OU LA CORNUE INFERNALE1906, 35 mm, 16 ips, 3 minutes 16

LE MERVEILLEUX ÉVENTAIL VIVANT1904, 35 mm, 16 ips, 5 minutes

LE RAID DE PARIS - MONTE-CARLO EN AUTOMOBILE1905, 35 mm, 16 ips, 11 minutes

LE PALAIS DES MILLE ET UNE NUITS1905, 35 mm, 16 ips, 18 minutes

LE VOYAGE DANS LA LUNE (restitution de 1929), 35 mm, 16 ips, 13 minutes

LA LÉGENDE DE RIP VAN VINKLE1905, 35 mm, 16 ips, 15 minutes

Page 44: Catalogue Festival 2013

COULEURS DU CINÉMA MUET42

Films peints ou teintés issus des collections de la Cinémathèque de Bologne, du BFI National Archive, des Archives françaises du film et de La Cinémathèque française.

De 1902 à 1904, Chomón dirige un atelier de coloriage de films à Barcelone et Pathé est déjà l’un de ses clients . C’est pen-dant cette période catalane qu’il aurait réalisé ses premières bandes documentaires . À par-tir de 1903-1904 apparaissent les premiers films coloriés au moyen de pochoirs et il n’est pas impossible que Chomón ait commencé à pratiquer ce mode de coloriage à Barcelone avant de rejoindre Pathé à Vincennes, où la mise en couleurs de ses films sera toujours extrême-ment soignée .

Si Chomón s’est largement inspiré de Méliès dans un cer-tain nombre de films à trucs, comme l’atteste Le Troubadour qui reprend en 1906 L’Homme-Orchestre réalisé à Montreuil

en 1900, il se distingue par son exploitation magistrale du tour de manivelle, des ombres chinoises et du mouvement inversé .

Lorsqu’il arrive chez Pathé au début de 1905 – année charnière dans la production cinémato-graphique française (Pathé et Gaumont construisent de nou-veaux studios à Vincennes, à Montreuil et à Paris) –, Gaston Velle est déjà sur place depuis plus d’un an . Après avoir réa-lisé quelques films à trucs chez Lumière, c’est lui qui a principa-lement pris en charge ce genre de production chez Pathé, qu’il quittera au printemps 1906 pour rejoindre la Cinès en Italie . Une collaboration va alors s’établir entre Velle et Chomón et il en résultera une dizaine de films à trucs . Velle était, par ail-leurs, prestidigitateur et il est fort probable qu’il a transmis à Chomón quelques éléments d’art magique .Après avoir participé à la réali-sation d’environ 140 films chez

Pathé, à Vincennes, Chomón regagne Barcelone où, en février 1910, il s’associe à un industriel, Joan Fuster Gari, pour créer une maison de production de films, la Chomón-Fuster, qui sera dis-soute en novembre de la même année, après avoir édité une qua-rantaine de films distribués par Pathé à partir du mois de juin . Chomón travaille ensuite pour Ibérico, la marque de la suc-cursale espagnole de Pathé . Une trentaine de films seront ainsi réalisés d’août 1911 à mars 1912 . En mai 1912, Chomón signe un contrat avec la compagnie italienne Itala Film et s’installe à Turin . Il collaborera avec Giovanni Pastrone aux effets spéciaux de Cabiria en 1913-1914, et de La Guerra e il Sogno di Momi en 1916, entre autres films et metteurs en scène . Sa der-nière contribution aux effets spéciaux concernera le Napoléon d’Abel Gance en 1925-1926 .

Contrairement à Georges Méliès et à bien d'autres réalisateurs des premiers temps, Chomón est ainsi l'un des rares ciné-matographistes à avoir réussi le grand saut paradigmatique entre le cinéma monstratif des films à trucs des années 1900 et le cinéma institutionnalisé des années 1910 . Les trucages de ses premières scènes à trucs et à transformations devien-dront effets spéciaux dans les films narratifs dont il assurera l'exécution avec une efficacité reconnue .

JACQUES MALTHÊTE

Segundo de Chomón (1871-1929), le maître espagnol des trucages, est connu pour ses complexes et fascinants effets

visuels et chromatiques . Aussi bien à Vincennes, chez Pathé, qu’à Barcelone et plus tard à Turin, à l’Itala Film, puis

à Paris, sa contribution aux images animées restera intimement liée à la couleur .

Séance présentée par Jacques Malthête. Accompagnement au piano par Mathieu Regnault.

LE TROUBADOURFrance, 1906, pochoir, 35 mm, 16ips, 2 minutes

LA LÉGENDE DU FANTÔME France, 1908, pochoir, 35 mm, 16 ips, 8 minutes

LA GRENOUILLEFrance, 1907, pochoir, 35 mm, 18 ips, 3 minutes

LA FÉE AUX PIGEONS de Gaston VelleFrance, 1906, pochoir, 35 mm, 16 ips, 43 minutes

L’ÉCRIN DU RAJAH OU LE COFFRET DU RAJAHde Gaston Velle France, 1906, pochoir, 35 mm, 16 ips, 8 minutes

FISICA DIABOLICA / PHYSIQUE DIABOLIQUEEspagne, 1911, teintage, 35 mm, 16 ips, 4 minutes

LE SPECTRE ROUGE France, 1907, coloré à la main, 35 mm, 16 ips, 8 minutes

LE VOYAGE SUR JUPITER OU UNE EXCURSION SUR JUPITERFrance, 1909, pochoir, 35 mm, 16 ips, 9 minutes

PROGRAMME SEGUNDO DE CHOMÓN SAMEDI 7 DÉCEMBRE, 13H

Le Voyage sur Jupiter, Segundo de Chomón (1909)

Page 45: Catalogue Festival 2013

COULEURS DU CINÉMA MUET 43

[WILLIAM FRIESE-GREENE, ESSAI 1] de William Friese-GreeneRoyaume-Uni, 1912, trichrome, 35 mm, 16 ips, 30 secondes

[WILLIAM FRIESE-GREENE, ESSAI 2]de William Friese-GreeneRoyaume-Uni, 1912, trichrome, 35 mm, 16 ips, 30 secondes

KELLER-DORIAN : FILM GAUFRÉ : SONIA DELAUNAYFrance, 1925, Keller-Dorian, 35 mm, 24 ips, 4 minutes

TARTANS OF SCOTTISH CLANSRoyaume-Uni, 1906, Kinemacolor, 35 mm, 16 ips, 2 minutes

WOMAN DRAPED IN PATTERNED HANDKERCHIEFSRoyaume-Uni, 1908, Kinemacolor, 35 mm, 16 ips, 1 minute

LES RIVES DU NIL / NUBIA, WADI HALFA AND THE SECOND CATARACTRoyaume-Uni, 1911, Kinemacolor, 35 mm, 16 ips, 6 minutes

DEAUVILLE-TROUVILLE, LA PLAGE ET LE FRONT DE MERFrance, 1912, trichrome, 35 mm, 18 ips, 4 minutes

NICEFrance, 1913, trichrome, 35 mm, 18 ips, 7 minutes

JEUNES FEMMES PRENANT LE THÉ – AUTOCHROME LUMIÈREFrance, circa 1937, autochrome, 35 mm, 24 ips, 3 minutes

PORTRAITS DE MANNEQUINS –

AUTOCHROME LUMIÈREFrance, circa 1937, autochrome, 35 mm, 24 ips, 3 minutes

PRÉSENTATION DE MODES – AUTOCHROME LUMIÈREFrance, circa 1937, autochrome, 35 mm, 24 ips, 1 minute

FILM TRICHROME JUMEAUX - LASCELLES DAVIDSONde Norman Lascelles Davidson et Benjamin JumeauxRoyaume-Uni, 1903, trichrome, 35 mm, 18 ips, 1 minute

L’ouvrage d’Isaac Newton, Optique, publié en 1704, démontre que l’œil distingue sept couleurs principales . En réa-

lité, les teintes se modifient graduellement et c’est sans transition que l’on passe d’une couleur à la suivante . Les

études furent reprises par le physicien anglais Thomas Young qui développa au début du XIXe siècle une théorie

simple et claire du trichromatisme, en proposant que tout point de la rétine comporte au moins trois « particules » qui

répondent aux trois couleurs rouge, vert et violet . Toutes les couleurs sont perçues, selon Young, grâce au mélange

des signaux provenant des trois systèmes .

Cette théorie sera confirmée au XXe siècle et exploitée par les photographes et cinéastes . L’expérience décisive, réa-

lisée par l’Anglais James Clerk Maxwell, date de 1861 . La superposition en projection du rouge et du vert produit du

jaune, celle du bleu et du vert donne du turquoise, celle du rouge et du bleu crée du rose et celle des trois couleurs

produit du blanc . Ce principe sera repris en photographie, puis en cinématographie, par Lee et Turner, Jumeaux et

Davidson, et surtout Léon Gaumont et ses films chronochromes, dont La Cinémathèque possède le matériel origi-

nal . Mais d’autres pistes extraordinaires seront explorées par les pionniers : films autochromes, films à réseaux len-

ticulaires, films peints ou projetés avec des filtres colorés . Il était temps que le Technicolor arrive !

Séance présentée par Laurent Mannoni, François Ède et Béatrice de Pastre. Accompagnement au piano par Paul Lay. Copies issues des Archives françaises du film, de Gaumont-Pathé-Archives, du BFI National Archive, de la Cinémathèque de Bologne et de La Cinémathèque française. Rencontre Voir p .61

PROGRAMME COULEURS NATURELLES VENDREDI 6 DÉCEMBRE, 18H

La Plage de Deauville, avec le procédé trichrome en 1912

ÉTUDES DE LUMIÈRES de Maurice AudibertFrance, 1929, procédé Audibert (voir glossaire pages 50-51), DCP, 10 ips, 26 minutes

La restauration a été effectuée numériquement en résolution 4k, d’après un contretype de sécurité tiré d’après un positif nitrate (circa 1923) et conservé par La Cinémathèque française . La superposition des trois images a été effectuée sur un logiciel de palette graphique, et les couleurs ont été recréées en référence aux filtres de couleurs du projecteur conservés également dans les collections d’appareils de La Cinémathèque française . Les imperfections du procédé ont été dans la mesure du possible conservées .Les prises de vues d’Études de lumières représentent de toute évidence des tests de lumière et de couleur sur des natures mortes, des poteries, et des modèles féminins, et ce, afin de tester photographiquement les différentes textures . Ces poses étaient délibérément fixes, afin d’éviter les flous et les franges de couleurs .

Page 46: Catalogue Festival 2013

44 COULEURS DU CINÉMA MUET

A ROSE AMONGST THE BRIARSde Sherwood MacDonaldÉtats-Unis, 1915, pochoir, 35 mm, 18i ps, 34 minutes

La Cinémathèque française conserve dans ses collections une copie nitrate, destinée à la distribution française, et colo-riée au pochoir selon le procédé Cinemacoloris mis au point par Segundo de Chomón, si l’on en croit les informations four-nies par un carton. Déposée par Pathé en 1951, cette copie d’exploitation, à l’origine en trois bobines, est incomplète : il manque par endroits quelques photogrammes et intertitres, et

surtout la toute fin du film, au total environ 150 mètres. Aucun autre élément n’ayant été loca-lisé, cette copie a été sauvegar-dée en 2007 via le tirage d’un internégatif couleur. Le tirage de plusieurs copies s’est avéré nécessaire pour restituer les très belles couleurs d’origine. Plusieurs des productions Balboa ont été distribuées par Pathé-Exchange aux États-Unis, puis par Pathé Frères en France . Le synopsis du catalogue Pathé Frères a permis d’élaborer un carton résumant la fin du film .

La société Balboa a été l’une des compagnies de production indé-pendantes les plus importantes

de son époque, mais sur une durée très brève, de 1913 à 1918 . Fondée par Herbert M . Horkheimer, elle a constitué un vivier de jeunes réalisateurs talentueux, dont Henry King . Plusieurs comédiens y ont fait leurs débuts : Fatty Arbuckle, Buster Keaton, Ruth Roland . Dans A Rose Amongst the Briars, on retrouve Jackie Saunders, une des stars maison, et Frank Erlanger, tous deux embauchés par Balboa dès 1913 . Un des thèmes de la Balboa était l’injus-tice sociale . A Rose Amongst the Briars dépeint le monde ouvrier, visuellement d’abord, par de magnifiques plans d’usine et de maisons ouvrières, mais aussi par un scénario assez inattendu pour 1915 . La naïveté de la jeune fille s’oppose à la perversité du « riche débauché » . Notons que « Sidney Farrell » dans la version américaine devient « Kernburg » dans les intertitres français : on est en guerre…

LA BICHE AU BOISde Édmond FlouryFrance, 1896, pochoir, 35 mm, 20 ips, 18 secondes

LOÏE FULLERFrance, 1905, pochoir, 35 mm, 16 ips, 2 minutes

FILLETTES DE BRETAGNEFrance, 1909, pochoir, 35 mm

16 ips, 9 minutes

LA PEINE DU TALIONde Gaston VelleFrance, 1906, 35 mm, pochoir, 18 ips, 5 minutes

RÊVE D’ART de Gaston VelleFrance, 1910, pochoir, 35 mm, 18 ips, 6 minutes

ÉPANOUISSEMENT DE QUELQUES FLEURS de Émile LabrélyFrance, 1919, pochoir, 35 mm, 18 ips, 6 minutes

LA MAISON DE COUTURE PAUL POIRET France, 1925, pochoir, 35 mm, 18 ips, 3 minutes 30

LA MODE À PARISFrance, 1926, pochoir, 35 mm, 18 ips, 1 minute 30

RÊVE ENFANTINde Émile Cohl France, 1910, pochoir, DCP, 16 ips, 4 minutes 45

LA FÉE AUX FLEURS de Gaston VelleFrance, 1905, pochoir, 35 mm, 16 ips, 1 minute

Cette séance est un hommage direct aux recherches de l’historien du cinéma Joshua Yumibe dans son ouvrage

Moving Colors . Early Film, Mass Culture, Modernism (Rutgers, University Press, 2011) . Celles-ci ont mis en évidence

la manière dont, à ses débuts, la couleur au cinéma s’est vue associée au corps féminin . Les danseuses seront le pre-

mier sujet généralement lié à la couleur, ce pour toutes les grandes compagnies de production au tournant du siècle .

Par ailleurs, le métier de coloriste est la première voie par laquelle les femmes s’impliquent dans la production ciné-

matographique . De la chromolitographie, aux plaques de lanterne magique ou aux cartes postales, les arts appliqués

emploient déjà cette main d’œuvre peu payée pour mettre en couleurs . Dans les années 1890, le cinéma ne sait pas

encore photographier la couleur, celle-ci s’applique image par image sur des centaines de photogrammes par un

geste répétitif . Dans les années 1900, les ateliers de pochoir des productions Pathé sont remplis de jeunes femmes .

Séance présentée par Joshua Yumibe. Accompagnement au piano par Mathieu Regnault. Copies issues des AFF, du BFI National Archive, Lobster Films, la Cinémathèque suisse, la Cinémathèque de Bologne et La Cinémathèque française.

PROGRAMME COULEURS & FÉMINITÉ DIMANCHE 8 DÉCEMBRE, 13H

A Rose amongst the briars, Sherwood MacDonald (1915)

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COULEURS DU CINÉMA MUET 45

LA PHALÈNE BLEUE GEORGES CHAMPAVERT | 1917

JEUDI 5 DÉCEMBRE, 18H

GEORGES CHAMPAVERT Déconsidéré par la critique, Georges Champavert ne tendrait à subsister qu’à travers une filmographie tenant une quinzaine de titr es réalisés entre 1917 et 1928 . Au cours de sa période d’activité cinématographique il cumule les fonctions de producteur (via sa société Prismos), de scénariste-adaptateur et de réalisateur . Et c’est avec une même troupe d’acteurs qu’il tourne le plus souvent (Marthe Lepers, Juliette Malherbe, Joseph Boulle, Geneviève Félix…) . Selon Éric Le Roy, il serait né à Nice sous le nom de Davin de Champclos, auteur de chansons et d’opérettes à la Belle Époque .

RÉALISATIONGeorges Champavert

SCÉNARIOGeorges Champavert

PRODUCTIONÉclipse

PHOTOGRAPHIEA . T . Irvin

INTERPRÈTESGeneviève Félix, Juliette Malherbe, Anatole Bahier, Albert Beauval, Martel, Marthe Lepers

France, 1917, noir et blanc teinté, 35 mm, 93 minutes

Le film a été restauré par La Cinémathèque française au laboratoire de l’ANIM (Cinémathèque portugaise) en 2011, à partir d’une copie teintée et coloriée sur un sup-port 35 mm nitrate donnée à La Cinémathèque française par Beeld en Geluid (Pays-Bas). Le rendu des teintes a été res-titué par le procédé Desmet à partir d’un contretype tiré de la copie nitrate. Les passages coloriés ont, quant à eux, néces-sité le recours à un internégatif couleur. Les images décompo-sées constatées dans certaines séquences de la copie nitrate se sont retrouvées photographiées sur le nouveau tirage.

Tourné en 1917 sur la côte bre-tonne, La Phalène bleue sort en France après la guerre . Le film est à l’affiche au cinéma des nouveautés Aubert-Palace, dont le programme annonce une « grande scène dramatique en 4

parties » . Cependant, la version restaurée par La Cinémathèque française compte un prologue et six parties avec des inter-titres en néerlandais . À ce jour, la copie correspondant à la ver-sion française est considérée comme disparue .

Au premier abord, l’utilisation discontinue et outrancière des multiples teintages et virages peut déconcerter . Maladresse, maniérisme ou composition aléatoire ? Il se peut aussi que le langage des couleurs ajoutées échappe, par moment, à notre imaginaire visuel contemporain . Néanmoins, la lecture chroma-tique proposée en filigrane reste, la plupart du temps, intelligible . Notamment lorsque la couleur intervient pour extérioriser un sentiment, une relation intime que l’image ne peut montrer de manière explicite . La phalène bleue est un papillon éphémère que deux générations

de Rutherford convoitent pour enrichir leur collection . À la traque patiente du père fait écho la séduction pressante et prédatrice du fils . Le parallèle évident qui souligne les diffé-rences entre les deux hommes est illustré par le montage et commenté par les teintes . Les couleurs ajoutées au pochoir outrepassent également leur fonction conventionnelle . La nuit où Madeleine se décide à fuguer, un orage éclate . Son conflit intérieur trouve un pro-longement à travers les éclairs dont les couleurs fugaces et changeantes ne cherchent plus à être figuratives .Avec la métaphore du papil-lon, on retrouve la candeur des féeries aux coloris qu’on a pu voir se déployer dix ans plus tôt . Mais en 1917, les fée-ries n’avaient plus cours et le désenchantement de l’après-guerre est venu épingler, sans état d’âme, le lépidoptère au registre du mélodrame .Le sens de la composition dont fait preuve Georges Champavert dans ce film n’a pas laissé insen-sible Louis Delluc, qui note des qualités pour la mise en relief des paysages1 . Au-delà du pitto-resque, la profondeur de champ apporte aux scènes d’extérieur une dimension dramatique à la manière des life models de la lanterne magique .

1 - Éric Le Roy, "Champavert Georges" in François Albera et Jean A . Gili (dir), Dictionnaire du cinéma français des années vingt, 1895, n°33, juin 2001, pp .86-87 .

Robert est spécialisé dans les aventures sans lendemain . Il entreprend la conquête de Madeleine alors que son père,

riche entomologiste collectionneur, espère un jour piéger la phalène bleue qui manque encore à son tableau de chasse…

Séance présentée par Céline Ruivo. Accompagnement à l’accordéon par Daniel Colin.

Page 48: Catalogue Festival 2013

46 COULEURS DU CINÉMA MUET

THE OPEN ROAD CLAUDE FRIESE-GREENE | 1925

MERCREDI 4 DÉCEMBRE, 19H

CLAUDE FRIESE-GREENE (1898-1943)Fils du pionner du cinéma William Friese-Greene, Claude Friese-Greene est directeur de la photographie, producteur et réalisateur . Il débute comme pilote à la Royal Flying Corps et lie ses deux passions, cinéma et aviation, en travaillant pour Aerofilms, la première compagnie commerciale de photographie aérienne au monde . Après le décès de son père en 1921, il reprend ses travaux, continue dans les années 1920 de développer le procédé de couleur additif « Biocolor » et le dépose sous le nouveau brevet de « Friese-Greene Natural Colour » . Il réalise plus de soixante films entre 1923 et 1943 .

RÉALISATIONClaude Friese-Greene

PHOTOGRAPHIEClaude Friese-Greene

Royaume-Uni, 1925, couleur, 35mm, 64 min

Les négatifs originaux ont été déposés au BFI National Archive aux débuts des années 1950. La nature du procédé couleur représentait un véritable défi en termes de conservation et de reproduction. Le contenu n’étant pas monté et ne pré-sentant aucune suite chrono-logique, un transfert vidéo a permis de donner une forme cohérente au récit. La série The Lost World of Friese-Greene, co-produite en 2006 par le BFI et la BBC, a suscité un fort enthousiasme du public. Quatre-vingts ans après la pro-jection commerciale des neuf premiers épisodes, c’est avec l’aide généreuse d’Eric Anker-Petersen que le BFI présente cette version définitive restau-rée numériquement.

Commencé en 1924 par Claude Friese-Greene, The Open Road est une série de 26 épisodes prenant la forme d’un périple

en voiture à travers la Grande-Bretagne, de l’extrême pointe sud-ouest, Land’s End, dans les Cornouailles, à l’extrême pointe nord-est, John O’Groats, dans les Highlands, se concluant par un retour à Londres en août 1926 .

Cette peinture de la Grande-Bretagne représente une avancée certaine dans le développement de la couleur au cinéma, mais aussi une chronique sociale fascinante, témoignant des changements survenus dans le pays après la Première Guerre mondiale . Le choix du carnet de voyage motorisé (concept en vogue dans le milieu des années 1920) se trouve être la forme idéale pour révéler les teintes authen-tiques des paysages et la phy-sionomie de la population . Les régions sillonnées offrent une variété de décors incroyable : villes, villages, campagnes et bords de mer, sites historiques .

Les magnifiques portraits, les postures et les métiers montrés dessinent une carte postale cap-tivante du peuple britannique dans toute sa diversité . Porté par des observations pleines d’humour figurant sur les inter-titres, le film propose une vision romantique de la mère patrie, avec des références aux Pilgrim Fathers ou au whisky écossais .

Marchant dans les pas de son célèbre père William Friese-Greene, Claude Friese-Greene est parvenu à déposer le bre-vet de ce procédé couleur qui repose sur la combinaison de photogrammes alternativement teintés en rouge et bleu-vert et qui, projetés à 24 images par seconde, créent l’illusion d’op-tique d’une couleur naturelle . La série est réalisée pour une exploitation commerciale en salle, les neuf premiers épisodes sont présentés en novembre 1925 . Bien qu’il représente une véritable prouesse technique, le problème majeur de ce procédé réside dans un scintillement constant et des débordements de couleurs lors de mouvements rapides dans une scène . Ces difficultés suffisent à faire obs-tacle à son exploitation . Malgré l’enthousiasme et le fort intérêt exprimé dans la presse et parmi les spectateurs présents lors du spectacle, l’industrie ciné-matographique ne l’adopte pas et le film demeure longtemps une curiosité invisible .

Récit en couleur d’un voyage à travers l’Angleterre, le pays de Galles et l’Écosse, des Cornouailles au nord des

Highlands, en passant par Plymouth, Cardiff, Glasgow, Edimbourg, et finissant par Londres .

Séance présentée par Céline Ruivo. Accompagnement au piano par Neil Brand.

Page 49: Catalogue Festival 2013

47COULEURS DU CINÉMA MUET

L’ÉVENTREUR ALFRED HITCHCOCK | 1927

THE LODGER SAMEDI 7 DÉCEMBRE, 14H

RÉALISATION Alfred Hitchcock

SCÉNARIO Eliot Stannard, Alfred Hitchcock d’après le roman de Marie Belloc Lowndes

PRODUCTION Gainsborough Pictures

PHOTOGRAPHIE Baron [Gaetano di] Ventimiglia, Hal Young

INTERPRÈTESIvor Novello, June Tripp, Marie Ault, Arthur Chesney, Malcolm Keen

Royaume-Uni, 1927, noir et blanc et couleur, DCP, 91 minutes

Restauré par le BFI National Archive en collaboration avec ITV Studios Global Entertainment, Network Releasing et Park Circus Films, avec le soutien de The Hollywood Foreign Press Association, The Film Foundation, et de Simon W. Hessel, ainsi que du British Board of Film Classification, Deluxe 142, Shivendra Singh Dungarpur et Ian & Beth Mill.

En 1926, les techniques de virage et de teintage ont atteint un degré élevé de maîtrise et de sophistication . À la veille de l’ap-parition du procédé sonore et alors que les avancées dans le domaine du cinéma en couleur dite naturelle sont prometteuses, la disparition des colorations chimiques au sein de l’industrie cinématographique est immi-nente . Le soin apporté dans

l’utilisation des teintes pour The Lodger témoigne de ce savoir-faire qui répond autant aux attentes d’un public qu’à une exigence artistique . Pour les extérieurs, le virage bleu fait ici corps avec le récit . Il incarne aussi bien l’épais brouillard noc-turne londonien qu’une atmos-phère prégnante et diffuse . Combiné au teintage jaune, il étouffe l’éclairage électrique . Plus loin, d’autres variantes de teintes apportent de nouvelles orientations narratives .

Les travaux de restauration entrepris par le BFI, qui conserve une copie nitrate teintée, s’appli-quaient notamment à restituer le plus fidèlement possible les nuances des teintes originelles de The Lodger . Entre 1982 et 2000, trois restaurations recou-rant aux colorants chimiques ont été réalisées . Mais les résultats n’étaient pas satisfaisants . Le matériel contemporain (sup-port et émulsion) accepte dif-féremment les colorants de référence initialement conçus pour des supports nitrate noir et blanc des années 1920 . Avec le perfectionnement récent de la technologie numérique, le BFI a réalisé en 2012 une restauration « plus actuelle » en 4K, dont le rendu s’avère finalement plus proche de l’original .

Après le succès commercial de The Pleasure Garden, The Lodger est à l’affiche, un mois plus tard, en Angleterre . Initiant un style qui trouvera rapidement son

qualificatif (« hitchcockien »), The Lodger est considéré par Alfred Hitchcock lui-même comme son premier vrai film . La présence récurrente, voire obsédante, de la figure blonde, la représenta-tion de l’escalier transcendant le décor au point de le faire basculer dans une inquiétante étrangeté, le thème du coupable innocent… sont autant d’élé-ments que Hitchcock reprendra tout au long de sa carrière . Dans ce film hanté par le spectre de Jack l’Éventreur, l’influence de l’expressionnisme allemand est manifeste notamment à travers l’éclairage qui laisse parfois sur-gir des ombres plus mentales que vraisemblables . Et cette citation esthétique peut trou-ver son origine dans le séjour en Allemagne du jeune Hitchcock, en 1924 . Alors assistant de Graham Cutts, il travaille comme décorateur pour l’UFA . Dans les studios de Potsdam, Hitchcock voit Friedrich Wilhelm Murnau à l’œuvre sur le tournage du film Le Dernier des hommes (Der Letzte Mann) . L’audace tech-nique dont fait preuve le met-teur en scène allemand marque durablement Alfred Hitchcock .

Le film sera précédé de la projection :BAR ROOM SCENE Kinetoscope Edison 1894DCP, 40 ips, 1 minuteRestauré par La Cinémathèque françaiseDiscussion politique dans un bar entre un démocrate, un républicain, une serveuse et un policier .

Dans les rues de Londres, un septième meurtre vient d’être commis selon le même mode opératoire . La nouvelle

provoque la panique en ville, mais Daisy Bunting préfère afficher une insouciance désinvolte . La famille Bunting loue

une chambre à leur domicile ; un homme mystérieux s’y installe .

Séance présentée par Bryony Dixon. Accompagnement au piano par Stephen Horne.

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Page 50: Catalogue Festival 2013

COULEURS DU CINÉMA MUET48

LA SYMPHONIE NUPTIALE ERICH VON STROHEIM | 1928

THE WEDDING MARCH DIMANCHE 8 DÉCEMBRE, 14H

RÉALISATION Erich von Stroheim

SCÉNARIOHarry Carr, Erich von Stroheim

PRODUCTEURParamount

PHOTOGRAPHIERoy H . Klaffki, Ray Rennahan

INTERPRÈTESErich von Stroheim, Fay Wray, Matthew Betz, ZaSu Pitts

Etats-Unis, 1928, noir et blanc et couleur, 35 mm, 115 minutes

La restauration s’est effectuée en deux temps. Au début des années cinquante, Stroheim retrouve des éléments nitrate de La Symphonie nuptiale à La Cinémathèque française, ainsi qu’une bobine resca-pée de Honeymoon. Il décide de restaurer uniquement La Symphonie nuptiale, avec l’aide de Renée Lichtig employée par Henri Langlois. Le son est resyn-chronisé grâce aux disques qu’il a conservés1. Il recompose éga-lement le montage de plusieurs séquences.

En 1998, Kevin Brownlow sou-haite entreprendre de nouveaux travaux car les copies d’exploi-tation comportent un défaut de reproduction. Il retrouve un contretype de sécurité à la Library of Congress, effec-tué d’après une copie nitrate en voie de décomposition, et le combine au contretype nitrate conservé à La Cinémathèque française. Une séquence en Technicolor bichrome, qui se trouve dans la copie nitrate de la Library of Congress, est réintégrée et reproduite sur Eastmancolor. La nouvelle copie reprend le montage voulu par Stroheim en 19542. Le film comporte égale-ment des retouches au pinceau.

Contraint de renoncer au réa-lisme acerbe qui caractérise son film polémique Les Rapaces (Greed, MGM, 1924), Erich von Stroheim s’adonne dans La Symphonie nuptiale aux « jolis

ornements illusoires d’une fra-gile histoire d’amour3» . Stroheim a l’ambition de constituer un diptyque intitulé The Wedding March et Honeymoon . Il tourne dès lors sans relâche, porté par un élan créateur inépuisable, menant à bout ses acteurs et ses techniciens . Faute de pou-voir payer les débordements de Stroheim, le producteur indé-pendant Pat Powers doit céder les droits du film en cours de tournage à Jessy L . Lasky, vice-président de la Paramount . Du fait de la longueur très impor-tante des rushes, la postproduc-tion s’avère longue et complexe . Stroheim se retrouve du jour au lendemain dépossédé de la supervision du montage de Honeymoon par la Paramount . Le studio engage successivement plusieurs monteurs, dont Joseph von Sternberg, qui ne parvien-dront pas à donner une forme satisfaisante à cette seconde partie4 . Honeymoon ne fera pas l’objet d’une exploitation amé-ricaine mais sortira en France sous le titre Mariage de prince.

Le tournage de La Symphonie nuptiale emploie le Technicolor bichrome n° 2 qui a existé aux États-Unis entre 1922 et 1927 . En général, ce système apparaît brièvement dans des moments clés où les décors et les cos-tumes atteignent une forme grandiloquente, comme c’est le cas pour la séquence de la procession religieuse et mili-taire dans La Symphonie nup-tiale . Pour réaliser ce type de

séquence, on a recours à un prototype particulier de caméra et d’optiques comprenant des filtres de couleurs, qui enre-gistrent successivement le rouge et le vert sur un même négatif . La séparation des deux couleurs s’effectue au moment du tirage, sur deux positifs à reliefs, absorbant chacun soit un colorant rouge-orangé, soit un vert-bleuté . Les deux positifs sont ensuite collés l’un contre l’autre, ce qui donne un extrait en couleur à double émulsion, monté dans la copie standard noir et blanc .

CÉLINE RUIVODirectrice de Collections film de La Cinémathèque française

1 - Renée Lichtig, En travaillant avec Stroheim, Cahiers du Cinéma . 2 - Kevin Brownlow et Patrick Stanbury, The Wedding March, The Restoration, notes du programme The 1998 Channel 4 Silents, projection au London Film Festival avec l’orchestre philarmonique de Londres conduit par Carl Davis en 1998 .3 - Erich von Stroheim, Picture Play, 1926 .4 - Richard Koszarski, The Man You Love to Hate, Oxford University Press, 1983 .

Dans la Vienne de 1914, Nicki, officier issu de l’aristocratie décadente, doit épouser une riche infirme . Il tombe amou-

reux de Mitzi, jeune femme issue des faubourgs populaires .

Accompagnement à l’orgue de cinéma par Jean-Philippe Le Trévou. Voir p .62

ERICH VON STROHEIM(1885-1957)Réalisateur, scénariste, acteur et producteur, il débute sur les films de David W . Griffith, où il est à la fois cascadeur, conseiller artistique et assistant-réalisateur . En 1919, il réalise son premier film Maris aveugles, puis Chevaux de bois (1922), Les Rapaces (1923-25) et La Veuve joyeuse (1925) . Jugés extravagants, tant par la mise en scène que par les thèmes abordés, les films d’Erich von Stroheim seront souvent remontés par ses producteurs .

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Le film a été restauré en 2011 pour célébrer les cent ans de Paramount Pictures. La res-tauration a été supervisée par Technicolor à partir d’un contretype détérioré conservé par l’Academy Film Archive. Les rayures ont été effacées et l’image stabilisée grâce à des outils informatiques. Des logiciels d’effets visuels, tels qu’After Effects ou DVO, et un script original ont permis de supprimer les détériorations du nitrate original photogra-phiées sur le contretype et de reproduire les scènes colorisées par le procédé Handschiegl.

Premier film oscarisé, Wings est considéré comme l’un des principaux chefs-d’œuvre du

cinéma muet de Hollywood . Sorti en 1927, il est le premier film à reconstituer les batailles du ciel de la Grande Guerre .

Afin d’obtenir à l’écran des com-bats aériens réalistes, le pro-ducteur Jesse L . Lasky engagea un jeune réalisateur, William A . Wellman, qui n’avait à son pal-marès guère plus que quelques films, dont un seul succès : You Never Know Women . Ce choix était surtout motivé par le fait que Wellman était le seul à la Paramount à avoir été pilote d’avion . Au final, le film regorge de détails personnels, fait preuve d’une grande connaissance du sujet et d’une créativité visuelle remarquable .

Doté d’un budget colossal, le tournage a surtout été rendu possible grâce à la participation de l’armée américaine pour la reconstitution des scènes de guerre . Tournée au Texas, la grande bataille de Saint-Mihiel a été soigneusement recréée . Elle a notamment nécessité plusieurs escadrons et une quinzaine d’avions . Le coup de maître de Wellman a été de filmer sans trucages les scènes aériennes avec des caméras embarquées .Au départ, le casting ne com-portait pas de stars . Les deux comédiens choisis, Charles « Buddy » Rogers et Richard Arlen, n’avaient jusqu’alors tenu que de petits rôles . Mais Jesse Lasky demanda la réécriture du scénario pour y introduire la It girl de la Paramount : Clara Bow . L’investissement financier était énorme, il s’agissait d’attirer le public . Le film permit aussi de découvrir Gary Cooper, encore méconnu à l’époque, dans une scène courte, mais mémorable .À propos du film, Wellman dé-clara des années plus tard : « C’était un film formidable . Peu de gens l’ont vu, mais ceux qui l’ont vu transmettent un réel et sincère enthousiasme à son encontre . Avec un peu de chance, on se souviendra de ce film » .

COULEURS DU CINÉMA MUET 49

LES AILES WILLIAM A. WELLMAN | 1927

WINGS VENDREDI 6 DÉCEMBRE, 21H15

RÉALISATION William A . Wellman, Harry d’Abbadie d’Arrast

SCÉNARIOHope Loring, Louis D . Lighton

PRODUCTIONParamount Pictures

INTERPRÈTESClara Bow, Charles « Buddy » Rogers, Richard Arlen

États-Unis, 1927, noir et blanc et couleur, DCP, 144 minutes

Jack Powell et David Armstrong sont amoureux de la même femme, Sylvia Lewis . Lorsque les États-Unis entrent

en guerre, ils s’engagent dans l’armée de l’air . De cette rivalité naît une amitié . Leur vie bascule lors de la bataille

de Saint-Mihiel en 1918 .

Accompagnement à l’orgue par Thierry Escaich. Voir p .62

xxxx

WILLIAM A. WELLMAN (1886-1975)Après plusieurs films muets, c’est avec L'Ennemi public en 1931, puis Une Étoile est née en 1937 qu’il s’impose parmi les grands réalisateurs de Hollywood . Il réalise plusieurs films de guerre (Les Pilotes de la Mort, Les Hommes Volants, Escadrille Lafayette) . Mais son genre de prédilection est le western (Buffalo Bill, La Ville abandonnée, Au-delà du Missouri) dans lesquels il développe souvent des thèmes traitant de l’injustice sociale (L'Étrange incident, Convoi de femmes) .

Page 52: Catalogue Festival 2013

COULEURS DU CINÉMA MUET50

GLOSSAIRE DES PROCÉDÉS COULEUR

AUTOCHROME LUMIÈRE

En 1932 apparaît le Filmcolor, équivalent sur pellicule de la lourde et fragile plaque auto-chrome sur verre . Puis viennent le « Filmcolor ultra-rapide » et le « Lumicolor ultra-rapide » qui bénéficient d’émulsions douze fois plus rapides et permettent enfin la photographie en cou-leur de sujets en mouvement ou à l’ombre . Louis Lumière essaiera alors de faire appli-quer le procédé autochrome au cinéma . Il fera tourner de nombreux essais, notamment lors de l’Exposition de 1937 . Le procédé aurait pu devenir une alternative au Technicolor en plein essor aux Etats-Unis . Il ne connut pas de développe-ment commercial à l’approche de la guerre . (Sources: Institut Lumière)

AUDIBERT

Maurice Audibert débute ses recherches dès 1909 avec Rodolphe Berton, sur un pro-cédé additif trichrome . Un pre-mier prototype naît en 1911 : trois photogrammes noir et blanc sont exposés simultanément devant trois objectifs munis de filtres de couleurs primaires (rouge, vert, bleu) durant la prise de vue . Ces trois images sont placées côte à côte à l’horizon-tale sur un film 65 mm afin d’être exemptes de parallaxe . Deux prototypes améliorés voient le jour en 1920 . Ce second sys-tème contient trois images dis-posées en forme de triangle rectangle, sur bande 65 mm . Malheureusement, l’exploitation nécessite des projecteurs non standards ce qui demande un

investissement supplémentaire pour les exploitants . Audibert propose dès lors en 1924 un sys-tème plus aux normes, réduit optiquement sur positif 35 mm, avec trois petites images dis-posées en triangle . Le fonds Audibert (films, papiers, appa-reils) est extrêmement riche et important pour la connaissance du développement de la cou-leur au cinéma, il est déposé à La Cinémathèque française . CR

CHRONOCHROME GAUMONT

En 1912, Gaumont présente le fruit de ses recherches sur les procédés additifs . Le procédé, initialement nommé Biochrome, sera commercialisé sous le nom Chronochrome à partir de 1913 . L’image est captée sur pelli-cule panchromatique à travers trois objectifs installés sur la caméra et équipés de filtres correspondant aux trois cou-leurs primaires . Chaque cap-ture d’image est enregistrée sur trois photogrammes, un pour chacune des couleurs primaires . Ceux-ci sont ensuite superpo-sés à l’écran grâce à trois filtres, installés sur le projecteur, dont chacun correspond à une cou-leur primaire . Tandis que le filtre rouge est fixe, les filtres bleu et vert doivent être constam-ment réglés afin que la mise en registre des trois images soit réussie . Pour un meilleur résul-tat dans ce sens, et dans le but d’économiser de la pellicule, la hauteur de l’image standard (18 mm) est réduite . La cadence de la projection est maintenue à 16 images/seconde . Le procédé disparaîtra vers 1922 . ID

WILLIAM FRIESE-GREENE

Entre 1898 et 1914, Friese-Greene imagine plusieurs prototypes par la synthèse additive . En 1898, il équipe la caméra et le projecteur d’un disque dont la surface présente trois parts égales, chacune associée à une couleur primaire . En tournant à une vitesse comprise entre 40 et 70 i/s, le disque crée l’illusion de la persistance des couleurs sur l’image noir et blanc . Pour supprimer l’effet de vacillement, le disque est remplacé par un prisme placé devant l’objectif . Afin de revenir à une cadence plus standard (16 i/s), il envi-sage un dispositif de trois camé-ras alignées ou disposées en triangle, agencement repris pour les trois projecteurs . Mais cette solution consomme trois fois plus de pellicule .

En 1905, Friese-Greene fait breveter un procédé plus rudi-mentaire, le Biocolor . Malgré les échecs de ses inventions, il persiste et conçoit un nouveau système : deux négatifs défilent en parallèle et sont superposés chacun à une bande sans fin transparente présentant une succession de rectangles mono-chromes (rouge, vert, bleu) de la taille des images . Le même schéma étant repris sur le posi-tif . MT

HANDSCHIEGLCette méthode de colorisation est créée en 1916 par Max Handschiegl et Alvin Wickoff, à la demande de Cecil B . DeMille . Le procédé s’inspire des techniques de la lithographie . Il permet de teindre les photogrammes

noir et blanc par imbibition . Sa particularité est d’effectuer une sélection photographique des zones à colorer, ce qui permet d’obtenir une précision dans la sélection et de donner aux parties colorées des bords plus doux que ceux produits par la méthode du pochoir . À partir du négatif original, on reproduit les scènes que l’on souhaite coloriser en autant de positifs que de couleurs souhaitées . Ces positifs sont retouchés afin d’obscurcir les zones devant être colorées . Pour chaque couleur, un négatif est développé, dont les parties à colorer sont claires . Ce négatif est trempé dans une solution de tannage, qui durcit les parties exposées sans affecter les parties claires . Ce négatif servira ensuite de matrice, les parties claires absorbant la teinture, qui sera transférée sur les copies d’exploitation noir et blanc par contact . NC

KELLER-DORIAN

Le procédé Keller-Dorian utilise un brevet déposé en 1909 par Rodolphe Berthon . L’objectif de la caméra est équipé d’un filtre à trois bandes, une de chaque cou-leur primaire . L’image est ensuite enregistrée grâce aux micros lentilles gravées sur le support noir et blanc . La surface lenticu-laire de la copie d’exploitation permet de la même manière la projection en couleur . Le pro-cédé a été commercialisé en 1928 par Kodak sous le nom de Kodacolor au format 16 mm . La société américaine Keller-Dorian poursuit ses recherches et pré-sente quelques films entre 1929 et 1937, en collaboration avec Eastman Kodak et Paramount, mais les difficultés persistantes

Page 53: Catalogue Festival 2013

COULEURS DU CINÉMA MUET 51

concernant la fabrication de copies d’exploitation ne permet-tront pas de donner une suite commerciale à ce procédé . ID

KINEMACOLOR

Le Kinemacolor est présenté pour la première fois à Londres en 1908 par George Albert Smith et Charles Urban . Smith pro-pose un procédé additif à par-tir de deux couleurs primaires . Un disque rotatif à deux filtres, rouge et vert, est installé devant la caméra, de façon à ce que les photogrammes du néga-tif noir et blanc, spécialement traité, soient alternativement exposés à chacune des deux couleurs . Le même système de filtres est installé devant le projecteur : les photogrammes exposés au tournage derrière le filtre rouge sont projetés à travers le filtre de la même couleur, et ainsi de suite . Afin que l’œil humain puisse perce-voir l’image en couleur, chaque image se répétant deux fois il faut multiplier la vitesse de pro-jection par deux, la cadence doit être réglée à 32 images/seconde (16 ipsx2) . Malgré ses divers inconvénients (dont la mauvaise reproduction de la gamme des bleus), le procédé fut reçu avec enthousiasme . La concurrence entraîna toutefois sa disparition vers 1915 . ID

FILMS PEINTS À LA MAIN

L’apposition de la couleur se fait à la main à l’aide d’un pin-ceau très fin, image par image, sur la pellicule positive côté l’émulsion ; cette technique s’inscrit dans la continuité de

celle utilisée pour les plaques de verre . Dans les ateliers de coloriage, l’ouvrière appose une seule couleur à base d’aniline sur l’ensemble d’une scène . Les images défilent dans un cadre, puis le film est rembobiné et une autre ouvrière exécute la même tâche en ajoutant une couleur différente . L’application doit être minutieuse et l’intensité du coup de pinceau constante, afin que les couleurs ne débordent pas ou semblent inachevées . Le coût très élevé et l’augmentation de la longueur des films feront péri-cliter cette technique au profit du pochoir . Par la suite, dans la période muette, le coloriage à la main subsistera ponctuellement (une fleur, un coup de revol-ver . . .) et illuminera les copies de prestige . DB

LE POCHOIR

Par film colorié au pochoir, on entend le moyen par lequel les coloris sont appliqués sur un positif d’exploitation . Le pro-cédé s’articule en 4 étapes : 1) découpe image par image sur la surface à colorier d’une bande pochoir - par soucis de syn-chronisme on fait en sorte que la bande pochoir et la bande à colorier proviennent d’un même négatif; 2) nettoyage de l’émulsion de la bande pochoir ; 3) superposition de la bande pochoir et du positif à colorier côté émulsion ; 4) ajout de la couleur à travers la découpure . Selon les moyens de production et l’évolution des techniques, la précision est plus ou moins heureuse . Il existe en effet plusieurs dispositifs permet-tant de réaliser les coloris . De

nombreux brevets d’invention ont été déposés, notamment par Pathé, relatifs aux machines à découper les bandes ou à colorier les copies à travers les découpures . Une mécanisation se développe dans les ateliers de coloris pour répondre à la production croissante jusqu’au début des années 1910 . Le colo-ris trouve son expression la plus exaltée avec un genre qui lui reste ontologiquement lié : la féerie . MT

TECHNICOLOR

Voir La Symphonie nuptiale, page 48

TEINTAGE ET VIRAGE

Appelé aussi teinture, le teintage est obtenu par immersion du film positif noir et blanc dans une solution colorante . En effet, les zones où l’émulsion est la moins dense (où l’image est la plus claire) laissent trans-paraître toute l’intensité de la couleur alors que les parties noires recouvrent la couleur ajoutée . Déjà connu en pho-tographie, le virage apparait sur les supports filmiques vers 1896-1899 . Comme le teintage c’est un procédé couramment employé durant toute la période du cinéma muet (et même au-delà) . Il s’obtient par réaction chimique des sels d’argent convertis en un ton coloré (sépia, bleu, vert ou rouge) . Le virage est autant apprécié pour sa pro-priété à atténuer les contrastes que pour sa capacité à renforcer l’image . Virage et teintage, de par leur complémentarité, sont souvent combinés, permettant

d’offrir une bichromie du plus bel effet . D’un point de vue esthétique ces deux procédés dépassent leur usage conven-tionnel (bleu pour la nuit, rouge pour les incendies, etc .) . Leur recours permet de formuler un langage subtil qui perd toute sa substance dans une version noir et blanc . MT

RÉDACTEURS : DELPHINE BIET, NICOLAS CAÏSSA, IRIS DENIOZOU, CÉLINE RUIVO, MEHDI TAÏBI.

Page 54: Catalogue Festival 2013

RAJ KAPOOR, LE SHOWMAN52

RAJ KAPOOR, LE SHOWMAN

Le Feu / Aag, Raj Kapoor (1948) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

La Mousson / Barsaat, Raj Kapoor (1949) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

Le Vagabond / Awaara, Raj Kapoor (1951) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

Le Petit Cireur / Boot Polish, Raj Kapoor (1954) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

Shree 420, Raj Kapoor (1955) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

Dans l’ombre de la nuit / Jagte Raho, Amit Maitra et Sombhu Mitra (1956) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

LES FILMS

Page 55: Catalogue Festival 2013

RAJ KAPOOR, LE SHOWMAN 53

Acteur, réalisateur, producteur légendaire et fondateur de R . K . Films, Raj Kapoor (1924-1988) est la clef de voûte du cinéma commercial hindi de Bombay, plus tard appelé Bollywood . À l’époque de l’âge d’or du cinéma indien, dans les années 1950, ses films étaient extrêmement populaires, non seulement en Inde, mais également en Union Soviétique, au Moyen-Orient, en Iran, en Turquie, en Afrique de l’Est et du Sud et dans cer-taines parties d’Asie .

Raj Kapoor réalise son premier film à l’âge de 23 ans, Aag (Le Feu, 1948) . La R . K . Films devient alors la marque de fabrique du cinéma commercial de l’Inde indépendante . Son second film Barsaat (La Mousson, 1949) met en scène des histoires d’amour

maudites, sa superbe bande originale ainsi que sa sexualité plus explicite ont fait de ce film un succès . Awaara (Le Vagabond, 1951) présentait une séduisante jeune avocate défendant, en tenant responsable la société, le pauvre criminel dont elle est amoureuse . Dans ce film, Kapoor fait habilement se confronter la mythologie et des valeurs modernes rompant avec la tradition . En 1947, après la Partition, l’Inde nouvellement indépendante, connait un large afflux de réfugiés ainsi qu’un fort exode rural . Awaara a ainsi immédiatement suscité une vive émotion auprès des déracinés et démunis à travers le monde . Kapoor a entre-tenu une longue collaboration avec le scénariste K . A . Abbas, un communiste aux scénarios imprégnés du socialisme nehruvien . Leur collaboration suivante, Shree 420 (1955), invite une fois de plus Raj Kapoor à faire valoir l’honnêteté et l’amélioration des conditions de vie des pauvres, au détriment des puissants .

Les films de Kapoor reflètent diverses influences, de son expé-rience au Prithvi Theatres, aux grands réalisateurs internatio-naux . Le cinéaste fait ses débuts au studio Bombay Talkies, où travaillaient le réalisateur allemand Franz Osten et des tech-niciens allemands, influencés par l’expressionnisme . Kapoor a emprunté le personnage du vagabond à Charlie Chaplin, il était aussi influencé par Frank Capra, Vittorio De Sica et Orson Welles . Émerveillé par Pather Panchali de Satyajit Ray en 1955, il invita Ray à réaliser un film pour la R . K . Films, mais celui-ci déclina son offre .

Dans sa seconde période, plus commerciale, des années 1960 aux années 1980, l’érotisme et la sexualité prennent le pas sur ses idées romantiques, sociales et religieuses, comme dans Sangam, Bobby, Satyam Shivam Sundaram et Prem Rog . L’échec du très coûteux Mera Naam Joker (Je m’appelle Joker, 1970) marque un tournant dans sa carrière .

Peut-être que le plus grand héritage que Raj Kapoor ait légué au cinéma mondial est sa faculté à être « ambidextre » : bien que ses plus belles œuvres abordent de manière radicale des thèmes sociaux, elles apparaissent aussi comme des romances, riches en émotions, avec des décors extravagants et de déli-cieuses et irrésistibles chansons .

MEENAKSHI SHEDDEConsultante indienne des festivals de films de Berlin et de Dubai . Commissaire indépendante basée à Bombay, en Inde .

RAJ KAPOOR : LE SOCIALISME DIVERTISSANT ET ROMANTIQUE

RAJ KAPOOR, LE SHOWMAN DANS LE CADRE DES CENT ANS DU CINÉMA INDIEN . AVEC LE SOUTIEN DE L’AMBASSADE DE L’INDE À PARIS

Le Vagabond, Raj Kapoor (1951)

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RAJ KAPOOR, LE SHOWMAN

« Jamais je n’oublierai Aag car c’est l’histoire d’un jeune homme consumé par le désir d’une vie meilleure et plus intense . Le film parlait de tous ceux qui entraient et sortaient de ma propre vie comme des ombres, en don-nant quelque chose, en pre-nant quelque chose . . . Il n’y avait jamais assez d’argent [pour la production] : ce fut une tâche pénible, depuis la première prise de vue jusqu’au jour de la sor-tie1» . (Raj Kapoor) .

En 1947, grâce à l’argent écono-misé par son travail d’acteur, Raj Kapoor, alors âgé de vingt-trois ans, fonde sa propre société de productions R . K . Films . Aag est le premier film qu’il réalise et produit . Le tournage a lieu en grande partie dans les locaux du Famous Studios au cœur de Bombay où les bureaux de R . K . Films sont provisoirement installés .

L’action du film se déroule prin-cipalement dans un théâtre où l’on suit les tourments de Kewal, jeune metteur en scène impul-sif, interprété par Raj Kapoor, dans la création de sa première pièce de théâtre Aag (Le Feu) . L’évocation de la découverte du théâtre par le personnage enfant (interprété par Shashi Kapoor, son petit frère), n’est pas sans rappeler le contexte familial dans lequel Raj Kapoor a grandi . Son père, Prithviraj Kapoor, est l’une des figures majeures du théâtre hindi . Acteur engagé, membre de l’association cultu-relle proche du parti commu-niste, l’IPTA (Indian People’s Theatre Association), il fonde en 1944 la compagnie de théâtre ambulant Prithvi Theatres, des-tinée à aller à la rencontre des populations les plus reculées et défavorisées d’Inde . Ce film, aux résonnances autobiographiques, entraîne le spectateur dans un mélodrame poétique sur le désir amoureux et ses pulsions des-tructrices . Une ode à l’art et à la tension entre la beauté éternelle qui touche l’âme, et la beauté réelle, visible mais éphémère .

Par la maîtrise du clair-obscur, le travail de la lumière témoigne de la grande influence du cinéma occidental dans l’œuvre de Raj Kapoor, particulièrement celle de l’expressionnisme allemand . Avant de se lancer dans la réali-sation, Kapoor avait été clapman aux célèbres studios Bombay Talkies fondés par le réalisa-teur Himanshu Rai, lequel avait

collaboré avec le cinéaste alle-mand Franz Osten lors de son séjour en Inde .

Aag marque le début de la forte et longue collaboration artistique entre Raj Kapoor et l’actrice, déjà célèbre, Nargis . « Nargis était mon inspiration, meri sphoortti (mon énergie) . Les femmes ont toujours beaucoup compté dans ma vie, mais Nargis était pour moi plus importante que n’importe qui d’autre . Je lui disais toujours : “Kreishna est ma femme et la mère de mes enfants . Je veux que tu sois la mère de mes films” . »

1 - Ritu Nanda, Raj Kapoor : speaks,

ed . Viking, 2002 .

RÉALISATIONRaj Kapoor

SCÉNARIOInder Raj Anand

PRODUCTIONR . K . Films

INTERPRÈTESRaj Kapoor, Nargis, Prem Nath

Inde, 1948, noir et blanc, 35 mm, 138 min

NARGIS (1929-1981)Nargis est l’une des actrices les plus populaires de l’âge d’or du cinéma hindi . Elle fait sa première apparition au cinéma à l’âge de cinq ans dans le film Naachwali (1934) . Le réalisateur Mehboob Khan l’engage dans de nombreux films tels que Taqdeer (1943) et Andaz (1949) et lui offre l’un de ses plus grands rôles dans Mother India (1957) . Mais c’est sa longue collaboration avec Raj Kapoor qui la propulsera au rang de star internationale . De 1948 à 1956, le couple tourne une dizaine de films dont Barsaat (1949), Awaara (1951), Shree 420 (1955) et Jagte Raho (1956) . Leur complicité amoureuse et artistique prend fin en 1956 . Au-delà de sa grande sensibilité et de la pureté de son jeu, elle incarne la femme moderne par excellence et devient un modèle pour un grand nombre de femmes .

Kewal, un jeune homme de la campagne, rêve de fonder sa propre compagnie de théâtre . Chassé par son père de la

maison familiale, il rencontre sur sa route Rajan, propriétaire d’un théâtre, qui l’aide à réaliser son rêve . Mais Kewal

est hanté par Nimmi, son amour d’enfance, qu’il cherche dans toutes les actrices qu’il croise .

Séance présentée par Jitka de Préval.

LE FEU RAJ KAPOOR | 1948

AAG MERCREDI 4 DÉCEMBRE, 20H30

54

Page 57: Catalogue Festival 2013

55RAJ KAPOOR, LE SHOWMAN

Barsaat est la seconde réalisa-tion de Raj Kapoor et le pre-mier grand succès commercial pour sa société de production R . K . Films . Le film est vénéré en Inde, notamment en raison de sa bande originale composée par le duo Shankar-Jaikishan (S-J) qui comporte des succès tels que Hawa Mein Udta Jaaye, Jiya Beqarar Hai ou encore Mein Humse Mile . Lata Mangeshkar, célèbre chanteuse de playback que Raj Kapoor a découvert sur le tournage du film Andaz (1949), interprète les chants des actrices Nargis et Nimmi .

« À partir de Barsaat, ma musique n’a pas été simple-ment un ajout, mais une par-tie intégrante du tissu du film . La musique est une forme de divertissement qui touche des millions de personnes dans ce pauvre pays en développement, et c’est la moins chère . Le public veut de la musique, des danses, des sensations fortes, des tours de magie, du cirque, des com-bats, tout . La musique étant une partie intégrante de notre vie culturelle, vous ne pouvez pas l’extirper…1», disait Raj Kapoor . C’est aussi la première fois que

des chanteurs de playback sont crédités au générique .

Le succès du film réside par ail-leurs dans la liberté et l’audace des personnages . À propos de Barsaat, Nargis se souvient : « C’était la première fois qu’une romance moderne comme la nôtre a été introduite . De l’amour haute-tension, vous savez… donc naturellement la jeunesse s’est tout de suite identifiée à nous . Les jeunes ont idéalisé ce couple en quelque sorte… Cette iden-tification ne s’est pas produite qu’en Inde – mais à l’étranger aussi, en Russie . Raj Kapoor a vraiment introduit quelque chose de nouveau . C’était la première fois dans l’histoire du cinéma hindi qu’on a pu voir une romance aussi torride à l’écran2 » . L’amour qui unit le couple inter-prété par Raj Kapoor et Nargis est alors considéré comme une apogée dans le cinéma hindi .

Barsaat réunit pour la première fois l’ensemble des membres du « clan Kapoor », qui tra-vailleront sur la grande majo-rité de films produits par R . K . Films . Selon Nargis : « Il y avait Raj, moi-même, K . A . Abbas,

Shailendra, Hasrat, Radhu Karmakar, Allauddin, l’ingénieur du son et, bien sûr, Shankar-Jaikishan . Nous nous sommes assis ensemble et avons dis-cuté du film . Tous en faisaient partie » .

La photographie du film, par son recours à la profondeur de champ, est volontairement influencée par le travail de Gregg Toland, directeur de la photo-graphie de Citizen Kane (1941) d’Orson Welles .

1 - Ritu Nanda, Raj Kapoor : speaks,

ed . Viking, 2002 .

2- Mohan Bawa, Actors and Acting,

in Raj Kapoor: speaks, op . cit .

RÉALISATIONRaj Kapoor

SCÉNARIORamanand Sagar

PRODUCTIONR . K . Films

PHOTOGRAPHIEJal Mistry

INTERPRÈTESNargis, Nimmi, Raj Kapoor, Prem Nath, K .N . Singh

COMPOSITEURSShankar-Jaikishan

Inde, 1949, noir et blanc, 35 mm, 171 min

SHANKAR-JAIKISHAN Shankar Singh Raghuvanshi et Jaikishan Dayabhai Panchal sont un duo de compositeurs de musique de films indiens . Ils débutent leur carrière comme musiciens d’orchestre au sein de la compagnie Prithvi Theatre et font la connaissance de Raj Kapoor qui les engage pour assister le compositeur Ram Ganguly sur le film Aag (1948) . L’année suivante, Kapoor fait appel à eux pour composer la bande originale de son film Barsaat (1949) . Le succès rencontré lance leur carrière et marque le début d’une longue collaboration et amitié avec Raj Kapoor . De 1949 à 1971, l’année du décès de Jaikishan, ils travaillent sur de nombreuses productions de la R . K . Films avec, entre autres, les paroliers Shailendra et Hasrat Jaipuri, et les chanteurs de playback Mohammed Rafi et Lata Mangeshkar .

En vacances dans la vallée du Kashmir, Pran et Gopal, deux jeunes amis de la ville, rencontrent deux jeunes femmes

venant de la montagne . Ils ont des conceptions opposées de l’amour, l’un est idéaliste et romantique, l’autre un

séducteur invétéré, et s’engagent dans un jeu amoureux dont les règles leur échappent .

LA MOUSSON RAJ KAPOOR | 1949

BARSAAT JEUDI 5 DÉCEMBRE, 20H

Page 58: Catalogue Festival 2013

RAJ KAPOOR, LE SHOWMAN56

« Awaara est sorti à une époque où les films étaient complète-ment différents . Les vestiges de la domination impériale bri-tannique étaient toujours pré-sents, et nous voulions un nouvel ordre social . J’ai essayé de créer un équilibre entre le divertis-sement et ce que j’avais à dire au peuple… Awaara traîtait de tout . Il abordait le thème de la division des classes . Il racontait

la plus grande histoire d’amour romantique et juvénile au cœur de la misère dont l’ère de l'Indé-pendance avait héritée . Il a fleuri de la boue comme un lotus et se présenta au public comme quelque chose de jamais vu . Est-ce que cela pourrait réelle-ment arriver à un jeune homme dans de telles circonstances ? Avec une chanson sur les lèvres et une fleur, il a traversé toutes

les épreuves que les boulever-sements socio-économiques ont pu provoquer . Le vagabond, l’awaara, incarnait le change-ment voulu par le peuple1» .

Avec ce film, Raj Kapoor renouvelle le genre du mélo-drame hindi et y introduit une dimension sociale alors inédite . Il invente avec le scénariste K . A . Abbas le personnage du vagabond, une référence affir-mée à Charlie Chaplin, que l’on retrouvera ensuite de manière récurrente dans son œuvre . Le film fait référence au contexte sociopolitique de l’Inde indé-pendante et à son exode rural massif . Cette population déra-cinée s’identifie au vagabond . Inspirée d’Orson Welles dans ses décors grandioses et sa photo-graphie, le film est sans doute le film de Raj Kapoor le plus abouti plastiquement .

Awaara est la première collabo-ration entre Raj Kapoor, Khwaja Ahmad Abbas et le dialoguiste V . P . Sathe . En février 1949, lors d’un voyage à Mahabaleshwar, K . A . Abbas et V . P . Sathe écrivent le récit d’Awaara, directement inspiré de l’his-toire de l’oncle d’Abbas, un juge persuadé que l’honnêteté et la décence sont des qualités héréditaires jusqu’à ce que son propre fils se retrouve accusé de vol . Suite à l’enthousiasme généré par la sortie en salle d’Andaz (1949), le scénario est d’abord proposé au cinéaste Mehboob Khan .

RÉALISATIONRaj Kapoor

SCÉNARIOKhwaja Ahmad Abbas et V .P . Sathe

PRODUCTIONR . K . Films

PHOTOGRAPHIERadhu Karmakar

INTERPRÈTESPrithviraj Kapoor, Nargis, Raj Kapoor, Leela Chitnis, K .N . Singh, Shashi Kapoor

Inde, 1951, noir et blanc, 35 mm, 193 min

KHWAJA AHMAD ABBAS (1914-1987) K . A . Abbas est journaliste, essayiste, scénariste, réalisateur et producteur de film . Après avoir débuté une carrière de journaliste au sein des journaux National Call puis Bombay Chronicle, il intègre en 1936 le studio Bombay Talkies et y devient attaché de presse . Il est l’un des membres fondateurs de l’Indian People’s Theatre Association (IPTA) . Il a écrit de nombreux scénarios tels que Neecha Nagar de Chetan Anand, Shree 420 (1955) de Raj Kapoor, The Eternal Tale of Dr. Kotnis (1946) de V . Shantaram et réalisé des films comme Children of the Earth (1946), Seven Indians (1969), ou encore Pardesi (1957) . Awaara est le sixième film écrit par K . A . Abbas et sa seconde collaboration avec son ami de longue date V . P . Sathe, journaliste, attaché de presse et membre de l’IPTA .

Un riche juge de Bombay répudie sa femme enceinte, après qu’elle a été libérée du joug d’un criminel, persuadé

que l’enfant qu’elle porte n’est pas le sien . Élevé sans père et dans la misère des bidonvilles, l’enfant Raju grandit et

doit voler par nécessité . Plus tard, sa rencontre accidentelle avec Rita, son amour d’enfance devenue avocate, lui

donnera le courage de changer son destin .

LE VAGABOND RAJ KAPOOR | 1951

AWAARA VENDREDI 6 DÉCEMBRE, 20H

Page 59: Catalogue Festival 2013

RAJ KAPOOR, LE SHOWMAN 57

Mais la collaboration est inter-

rompue après un désaccord sur

le choix des acteurs interpré-

tant les rôles du père et du fils .

Abbas et Sathe souhaitent réu-

nir Prithviraj et Raj Kapoor pour

interpréter ces rôles . Ils pro-

posent alors la réalisation du

scénario à Raj Kapoor qui est

immédiatement séduit : « À la

fin du récit, Raj Kapoor, ému,

s’est levé et nous a donné une

roupie symbolique pour la signa-

ture, en disant : “C’est à moi» .

C’était parti ! Mais il nous restait

à convaincre Papaji [Prithviraj]

d’interpréter le rôle du père » .

Ce dernier rechigne à accepter

le rôle : « Prithviraj ne joue pas

le rôle du père du héros » . K . A .

Abbas réussit à le convaincre en

lui rétorquant : « Non, vous n’in-

terprétez pas le père du héros .

C’est Raj Kapoor qui joue le fils

du héros !2 »

Grâce au succès commercial

de son précédent film Barsaat, Raj Kapoor achète un terrain

à Chembur, une banlieue de

Bombay, pour y construire

son propre studio de cinéma,

R . K . Films & Studios . Les stu-

dios sont encore en construc-

tion lorsque le tournage débute

le 14 décembre 1949, jour du

25e anniversaire de Raj Kapoor .

Les premières scènes sont fil-

mées aux Rang Mahal Studios à

Dadar, un quartier de Bombay,

puis dans trois autres studios

de Bombay : Shrikant, Asha et

Jagruti . Awaara est le premier

film à réunir trois membres de la

famille Kapoor : le père Prithviraj

Kapoor (juge Raghmutah), Raj

Kapoor (Raju) et son jeune frère

Shashi Kapoor (Raju enfant) .

En 1950, la construction de R .

K . Films & Studios n’est toujours

pas achevée, cependant Raj

Kapoor souhaite y tourner la

séquence la plus difficile, celle

du rêve qui transpose dans

un sublime décor onirique les

angoisses amoureuses de Raju .

Les séquences de chants et de

danses sont largement réservées

à la traduction des sentiments

amoureux des personnages . Le

tournage de cette séquence

d’une dizaine de minutes, réa-

lisé dans un studio sans toit,

aurait duré trois mois . V . P . Sathe,

présent sur le tournage, se sou-

vient : « Le décorateur M . R .

Achrekar a transformé un étage

entier, sans toit, des R . K . Studios

en décor géant . En tout, six ou

sept décors équivalents ont été

construits . Le temps de mettre

le premier couplet en images, il

fallait déjà démonter le décor

et en ériger un différent pour le

couplet suivant… N’importe quel

autre réalisateur aurait proba-

blement achevé un film entier

avec l’argent et le temps que Raj

a consacré pour le tournage de

la chanson » . La séquence est

chorégraphiée par la danseuse

française Madame Simkie, fidèle

complice du danseur et choré-

graphe indien Uday Shankar .

Pour ajouter à l’atmosphère sur-

réelle, Raj Kapoor demande à

son directeur de la photographie

de créer un effet tourbillon de

fumée, maintenu à hauteur de

genoux, afin de laisser visibles

les visages des acteurs et des

danseurs . La chanson, construite

en trois parties, est composée

par le duo Shankar-Jaikishan,

compositeurs et amis proches

de Kapoor, et écrite par le paro-

lier Shailendra . Elle est enregis-

trée en 1950, au Famous Studio

à Tardéo .

La première projection du film a

lieu deux ans après le début du

tournage, le 14 décembre 1951

à Bombay, au Liberty Cinema .

Si les critiques sont mitigées,

le film, mélange de mélodrame

et de romance, séduit le public

indien et connaît également un

large succès au Moyen-Orient,

en Turquie, en Chine et en URSS .

Le couple Raj-Nargis est pro-

pulsé au rang de stars natio-

nales et internationales . En

revanche, aux États-Unis, le

film ne sort que très briève-

ment dans quelques salles et

dans une version largement

amputée . La chanson Awaara hoon (« Je suis un vagabond »)

interprétée par le célèbre chan-

teur de playback Mukesh, que

Raj Kapoor décrit comme son

« âme », est l’une des chan-

sons de films indiens les plus

connues . Elle a été réenregis-

trée en arabe et en turc .

1- Ritu, Nanda, Raj Kapoor, his Life, his Films, publié par R . K . Films & Studios, Inde, 1991

2 - K . A . Abbas in Ritu, Nanda, Raj Kapoor : speaks, ed Viking, 2002 .

Page 60: Catalogue Festival 2013

RAJ KAPOOR, LE SHOWMAN58

La réalisation de Boot Polish est attribuée à Prakash Arora, l’un des assistants de Raj Kapoor . Toutefois, il apparaît certain qu’il a été entièrement tourné sous le contrôle du chef d’orchestre de la R . K . Film, Raj Kapoor lui-même . Soucieux de la réussite commerciale du film, il décide d’incorporer des séquences de chants, avec des mélodies telle que Nanhe munne bachche teri mutthi main kya hai ?, devenue depuis une chanson à succès . Raj Kapoor fait également une brève apparition dans le film, interprétant son propre rôle . Boot Polish est un mélodrame

musical illustrant la misère sociale par le prisme de l’his-toire de deux orphelins des bidonvilles de Bombay aspi-rant à une vie meilleure . Réalisé dans le contexte mouvementé des premières années de la Partition de l’Inde et la mise en place des réformes sociales du Premier ministre Jawaharlal Nehru, Boot Polish a souvent été interprété comme une représen-tation allégorique de la jeune Inde indépendante .

Le film s’inspire du néoréa-lisme italien et plus particuliè-rement au film Sciuscià (1946)

de Vittorio De Sica, récit des mésaventures de deux orphe-lins cireurs de chaussures dans la Rome d’après-guerre . « Mes premiers films ont été influen-cés par les films étrangers que j’ai vus… Particulièrement par les trois Italiens qui étaient pré-sents lors du festival du film de Bombay en 1952 : Roberto Rossellini, Vittorio De Sica et Cesare Zavattini . […] J’ai été extrêmement ému par les films de De Sica, surtout par Miracle à Milan, Le Voleur de bicyclette et Sciuscià . J’ai beaucoup dis-cuté avec Zavattini, le scéna-riste de De Sica . […] De Sica et Zavattini ont mis en images ce qu’ils observaient et ressen-taient . Quelque chose de vrai . Des tranches de vie1 . »

À sa sortie Boot Polish remporte un large succès, notamment en raison des performances des deux jeunes acteurs Kumari Naaz et Rattan Kumar . Kumari Naaz (de son vrai nom Salma Baig) interprète le rôle de Bhola et elle est créditée au générique sous le pseudonyme « Baby Naaz » . Elle débute sa carrière très tôt, à l’âge de quatre ans, et elle est dans les années 1950 l’un des enfants stars les plus en vogue et les mieux payés . En 1955, elle est récompensée au Festival de Cannes d’une Mention Spéciale pour son interprétation dans Boot Polish .

1 - Ritu Nanda, Raj Kapoor : speaks, ed . Viking, 2002 .

RÉALISATIONPrakash Arora

SCÉNARIOBhanu Pratap

PRODUCTIONR . K . Films

PHOTOGRAPHIETara Dutt

INTERPRÈTESKumari Naaz, Rattan Kumar, David Abraham, Chand Burke

Inde, 1954, noir et blanc, 35 mm, 149 min

Bhola et Belu sont deux jeunes orphelins forcés à la mendicité par leur tante . Encouragés par l’oncle John à avoir

une vie meilleure et plus stable, ils deviennent cireurs de chaussures .

LE PETIT CIREUR PRAKASH ARORA | 1954

BOOT POLISH DIMANCHE 8 DÉCEMBRE, 14H30

JEUNEPUBLIC

Page 61: Catalogue Festival 2013

RAJ KAPOOR, LE SHOWMAN

Raj Kapoor s’associe une nou-velle fois aux scénaristes K . A . Abbas et V . P . Sathe pour l’écri-ture de Shree 420, une fable morale et musicale . Le film tire son titre de l’article 420 du code pénal qui condamne le vol et les délits mineurs . À cette époque en Inde, surnommer quelqu’un « 420 » est une façon de le trai-ter de fraudeur, de voleur .

À travers l’histoire de Raju, K . A . Abbas et V . P . Sathe dressent un portrait manichéen de la société indienne postcoloniale contrainte à repenser ses valeurs traditionnelles face au modèle occidental . Le film oppose ainsi une population pauvre, honnête et digne à la corruption et à l’opulence des classes domi-nantes et place le héros au cœur de ces déséquilibres .

Cette dualité est incarnée par les personnages de Vidya (« connaissance ») et Maya (« illu-sion ») qui évoluent en miroir autour de Raju . Il devra choisir entre son amour pour Vidya, la jeune institutrice dévouée et son attirance illusoire pour la tentatrice malhonnête Maya .

Shree 420 est une satire sociale réalisée à la manière des films du New Deal de Frank Capra, que Raj Kapoor cite comme l’une de ses influences, met-tant en scène un homme de bonne volonté confronté à la réalité de la ville . « Certains films ont profondément mar-qué ma vie, comme certaines relations . Et certains réalisa-teurs ont presque changé ma façon de créer, comme Frank Capra . Tous mes films mettent

en scène un homme ordinaire, l’opprimé, qui réussit à la fin à faire quelque chose de mieux de sa vie . J’ai toujours partagé l’optimisme de New York-Miami de Capra2» (Raj Kapoor) .

Entre drame et comédie, ce film s’inscrit dans la tradition du cinéma populaire à sujet social dont Raj Kapoor et K . A . Abbas furent les initia-teurs . D’autre part, Shree 420 renvoie à nouveau à Charlie Chaplin à travers le person-nage clownesque du vaga-bond candide . Deux séquences illustrent parfaitement cette évocation : en ouverture du film Raju quitte la campagne, baluchon à l’épaule, pour trou-ver du travail en ville et inter-prète la chanson Mera Joota hai japani (« Mes chaussures sont japonaises »), puis, assis sur un trottoir, le héros partage une banane avec un enfant des rues, référence directe au Kid .

Considéré selon le cinéaste Satyajit Ray comme le meil-leur film de Raj Kapoor, Shree 420 obtint de nombreux prix .

1 - Nanda, Ritu, Raj Kapoor : speaks, ed . Viking, New Delhi, Inde, 2002

2 - Ritu Nanda, Raj Kapoor : speaks, ed . Viking, 2002 .

RÉALISATIONRaj Kapoor

SCÉNARIOKhwaja Ahmad Abbas et V . P . Sathe

PRODUCTIONR . K . Films

PHOTOGRAPHIERadhu Karmakar

INTERPRÈTESNargis, Nadira, Raj Kapoor, Nemo, Lalita Pawar

Inde, 1955, noir et blanc, 35 mm, 177 min

RADHU KARMAKARNé en 1912Directeur de la photographie repéré par Raj Kapoor pour son travail sur le film Milan (1946) du célèbre studio Bombay Talkies . Il devient l’un des piliers du « clan Kapoor » à la fin des années 1940 lorsque Raj Kapoor l’engage sur Awaara (1951) . Le cinéaste dit de lui : « J’aime la lumière contrastée de Radhu . Cela allait avec l’état d’esprit de mes scènes, particulièrement les scènes dramatiques . Awaara est l’un de mes films les mieux photographiés . C’était révolutionnaire et tout le crédit en revient à Radhu Karmakar1» . En 1960 il réalise son premier et unique film, Jish Desh Men Ganga Behti Hai, une production R . K . Films .

Raju est un jeune vagabond candide venu de la campagne pour tenter sa chance à Bombay . Il tombe amoureux de

Vidya, une jeune institutrice honnête et pauvre, mais succombe rapidement aux charmes de Maya, une tentatrice

sans scrupules qui l’entraîne dans un monde où règnent la luxure, la débauche et la corruption .

Séance présentée par Jitka de Préval.

SHREE 420 RAJ KAPOOR | 1955

SAMEDI 7 DÉCEMBRE, 20H30

59

Page 62: Catalogue Festival 2013

RAJ KAPOOR, LE SHOWMAN

« Ce qui m’a attiré vers les films de Chaplin, c’est Chaplin lui-même – le vagabond, le clo-chard, l’homme ordinaire . Je n’ai pas tellement été attiré par son accoutrement mais plutôt par la simplicité de ce “petit homme” aux émotions profondément humaines . Sa manière d’aimer la vie, bien qu’il soit pauvre . Chez Chaplin, il y a tellement de choses qui m’ont touché – le processus de réflexion derrière toutes ses croyances . Selon moi, son personnage est le meilleur jamais créé .1»

Avec ce film, Raj Kapoor poursuit donc son hommage à Chaplin en interprétant un héros bur-lesque et pathétique à la ges-tuelle particulièrement appuyée . Selon le critique anglais Geoff Brown : « Le personnage inter-prété par Kapoor est calqué sur celui de Chaplin . Il commence par partager sa nourriture avec un chien, à s’accaparer le trot-toir, et passe la majorité du film à faire le clown, se précipitant d’une pièce à l’autre, se cachant dans une caisse, dégringolant d’une gouttière, régulièrement poursuivi par une foule d’habi-tants agités, brandissant tout ce qu’ils trouvent, du bâton à la

raquette de tennis sans corde . Le résultat est l’un des films les plus divertissants de Kapoor .2»

Jagte Raho est présenté en 1957, en une version réduite à 115 minutes, et obtient le Grand Prix au Festival de Karlovy Vary . Mais le film est un échec commercial .

Par ailleurs, le film marque la fin de la longue collaboration et liaison entre Raj Kapoor et l’actrice Nargis, qui apparaît brièvement à la toute fin .

1- Raj Kapoor, Ritu Nanda, Raj Kapoor: speaks, ed . Viking, 2002 .

2- Geoff Brown, citation reprise du site de la Pacific Cinématheque .

RÉALISATIONAmit Maitra et Sombhu Mitra

SCÉNARIOKhwaja Ahmad Abbas, Amit Maitra, Sombhu Mitra

PRODUCTIONR . K . Films

PHOTOGRAPHIERadhu Karmakar

INTERPRÈTESRaj Kapoor, Pradeep Kumar, Sumitra Devi, Smriti Biswas, Pahadi Sanyal

Inde, 1956, noir et blanc, 35 mm, 137 min

SOMBHU MITRA(1915-1997)Tour à tour acteur, réalisateur, scénariste, Sombhu Mitra est l’une des plus importantes personnalités du théâtre Bengali . Ancien membre de l’Indian People’s Theatre, il fonde en 1948 sa propre compagnie de théâtre Bohurupee à Calcutta . Il réalise de nombreux films en bengali tel que Dharti Ke Lal (1946), et quelques films en hindi dont Jagte Raho, qu’il coréalise avec Amit Maitra .

La déambulation nocturne d’un paysan assoiffé . À la recherche d’un verre d’eau, il s’introduit involontairement dans

un immeuble et est accusé de vol . En tentant de se cacher, il devient le témoin de l’immoralité des habitants de

l’immeuble .

DANS L’OMBRE DE LA NUIT AMIT MAITRA ET SOMBHU MITRA | 1956

JAGTE RAHO JEUDI 5 DÉCEMBRE, 14H30

60

Page 63: Catalogue Festival 2013

61RENCONTRES ET CINÉ-CONCERTS

RENCONTRES

WILLIAM FRIEDKIN, À PROPOS DE SORCERERWilliam Friedkin revient sur Sorcerer, un film

construit sur le principe d’une tension permanente,

une odyssée de l’extrême où quatre hommes per-

dus sont voués à accomplir une tache absurde .

Animé par Jean-François RaugerMercredi 4 décembre, 19h30 (HL)

LA CINÉMATHÈQUE DE BOLOGNE, ÉTAPES ET DIVERSITÉ D’UN PARCOURSJeudi 5 décembre, 9h30-13h (GF)

9h30 : Dialogue avec Gian Luca Farinelli Animé par Serge ToubianaGian Luca Farinelli est directeur de la

Cinémathèque de Bologne . Il dirige le festival

«Il Cinema Ritrovato» avec Peter von Bagh .

10h45 : « Le Projet Chaplin : le fonds d’archives papier et la restauration des films de la Mutual ».Par Cecilia Cenciarelli

Cecilia Cenciarelli travaille à la Cinémathèque

de Bologne depuis 2000, elle est actuellement

directrice de la Recherche, en charge du «Projet

Chaplin» . Elle coordonne également les projets

de restaurations soutenus par la World Cinema

Foundation .

11h30 : « Workshop avec les laboratoires » Nous nous pencherons sur le travail mené par

L’Immagine Ritrovata ; une occasion de donner

également la parole à des laboratoires parisiens

pour qu’ils nous fassent entrer dans la fabrique

des restaurations en restituant leurs principales

étapes de recherches, images à l’appui .

Trois sessions :

La restauration en numérique de Shoah à partir de son négatif 16 mmPar Davide Pozzi (directeur de L’Immagine

Ritrovata), Béatrice Valbin-Constant (directrice

du Pôle Patrimoine d’Éclair Group), Caroline

Champetier (directrice de la photographie) et

Thomas Rosso (Why Not Productions) .

Les dernières restaurations des films de Georges Méliès Par Béatrice Valbin-Constant et Thierry Delannoy

(responsable de la restauration chez Digimage)

La restauration de Goha de Jacques BaratierPar Gilles Langlais (Laboratoire Archives fran-

çaises du film) .

À PROPOS DE SHOAH, LE FILM ET SA RESTAURATIONPar Claude Lanzmann, Caroline Champetier et Serge Toubiana« Le grand art de Claude Lanzmann est de faire

parler les lieux, de les ressusciter à travers les

voix, et, par-delà les mots, d’exprimer l’indicible

par des visages » Simone de Beauvoir .

Jeudi 5 décembre, 19h (HL)

CONSERVER / RESTAURER Vendredi 6 décembre, 9h30-13h (HL)

9h30 : « Restaurer Le Métis d’Allan Dwan »Par Robert Byrne (président du San Francisco

Silent Film Festival)

10h : « Vers une approche scientifique de la restauration »Par Ulrich Ruedel (Conservation Technology

Manager au BFI National Archive)

10h30 : « La restauration de Fantômas, une étude de cas »

Par Pierre Philippe (historien et restaurateur),

Manuela Padoan (directrice de Gaumont-Pathé-

Archives) et Béatrice Valbin-Constant (directrice

du Pôle Patrimoine d’Éclair Group)

11h : « Restauration…ou simple copie numé-rique ? »Par David Walsh (responsable des collections

numériques à l’Imperial War Museum de Londres) .

Intervention proposée par la FIAF

11h30 : Table ronde « Pour une conservation numérique du cinéma ? » Animée par Michel Romand-Monnier (directeur

général adjoint de La Cinémathèque française) .

Avec Laurent Cormier (directeur du patrimoine

cinématographique au CNC), Nicola Mazzanti

(conservateur et directeur de la Cinémathèque

Royale de Belgique), Angelo Cosimano (délégué

général de la CST), Lars Karlsson (responsable

de l’archive numérique du Svenska Filminstitutet

à Stockholm), Tommaso Vergallo (directeur du

cinéma numérique chez Digimage) et Christophe

Massie (président délégué de l’Observatoire des

Métiers et Marchés à la FICAM) .

CONSERVATOIRE DES TECHNIQUES « LES DÉBUTS DU CINÉMA EN COULEUR »Avec présentation d’appareils et de films rares .

Vendredi 6 décembre, 14h30-17h30 (GF)

14h30 : « Les films peints à la main : ce que restaurer veut dire »Par Jacques Malthête, historien

15h00 : « De la main à la machine : les couleurs au pochoir dans le cinéma des premiers temps »Par Joshua Yumibe, historien

15h30 : « Pour une histoire du film trichrome »Par Céline Ruivo, conservatrice

16h00 : « Les couleurs des films muets : Teintes, grains et rendu en numérique »

Par Ulrich Ruedel, chercheur

16h30 : « À la recherche des couleurs perdues : nouvelle approche de la reproduction et de la restauration des films en couleurs anciens »Par François Ede, restaurateur

17h00 : « Films chromolithographiques en boucle : premiers dessins animés »Par Laurent Mannoni, historien

RENCONTRES

Page 64: Catalogue Festival 2013

CINÉ-CONCERTS

LE MÉTIS D’ALLAN DWANpar Louis Sclavis à la clarinette et Benjamin Moussay aux claviers. En vingt-cinq années, Louis Sclavis est devenu une

figure incontournable du jazz contemporain . Il a

promené sa clarinette de Rameau à Duke Ellington,

du free à la musique contemporaine, en multipliant

les fructueuses collaborations . Il a notamment créé

une composition musicale pour le film de Charles

Vanel Dans la nuit (1929) . Louis Sclavis a par ailleurs

composé les musiques des films Ça commence aujourd’hui de Bertrand Tavernier, Après lui de Gaël

Morel et Plus tard tu comprendras d’Amos Gitaï .

Benjamin Moussay est pianiste et compositeur de

jazz . Formé au Conservatoire de Paris, il enseigne

à présent le piano jazz et se produit seul ou en

groupe, sur scène ou pour l’écran .

Séance de clôture : Dimanche 8 décembre, 20h30

(HL)

TROIS SÉANCES EXCEPTIONNELLES À L’ORGUE DE CINÉMA En partenariat avec

L’orgue de cinéma s’est développé après la Première

Guerre mondiale jusqu’à l’arrivé du parlant, notam-

ment dans les pays anglo-saxons, mais aussi en

France, même si les sources l’attestant sont assez

rares . Des années 1880 aux années 1910, le facteur

d’orgue anglais Robert Hope-Jones travaille au

perfectionnement du unit organ ou unit orches-tra . L’instrument sera bientôt commercialisé par

Wurlitzer aux Etats-Unis . Orgue électrique, il joue

plus vite que l’orgue d’église ou de concert . Il dis-

pose aussi de nombreuses sonorités nouvelles . Il

est ainsi possible d’imiter divers instruments, mais

aussi d’approcher le bruitage grâce aux « jeux »

de l’orgue .

L’instrument change d’allure . Il se resserre et prend

une forme de fer à cheval . Aux États-Unis ou en

Angleterre, il s’intègre à merveille au décorum fas-

tueux et « atmosphérique » des salles de prestige .

Les Ailes de William Wellman par Thierry EscaichVendredi 6 décembre, 21h15 (HL)

La Symphonie nuptiale d’Erich von Stroheim par Jean-Philippe Le Trévou Dimanche 8 décembre, 14h (HL)

Et la Nuit « Fantômas »par Touve R. RatovondrahetyEntr’actes animés par José de Haro, DJ .

Pendant toute une nuit, le public est invité à revê-

tir masques, hauts-de-forme, cagoules ou pos-

tiches et à partager les aventures du maléfique

Fantômas sur de troublantes tonalités improvisées

à l’orgue de cinéma .

Titulaire des Grandes Orgues de Sainte-Cécile,

Touve R. Ratovondrahety est pianiste du corps

du ballet de l’Opéra de Paris .

Samedi 7 décembre, minuit – 6h30 (HL)

SÉANCE BONIMENTÉE DE FILMS PEINTS DE GEORGES MÉLIÈS Un programme de films rares, peints à la main,

accompagné au piano par Jacques Cambra et boni-

menté par le conteur Julien Tauber . La Légende de Rip Van Vinckle, pièce fantastique de 1905, sera

bonimentée d’après le seul « résumé à lire pendant

la projection » qui subsiste (il était proposé par

Méliès avec le texte descriptif du film) . Le Palais des mille et une nuits, grande féerie orientale de la

même année, sera bonimenté en suivant les procé-

dés stylistiques d’époque . Il sera projeté la copie

du Voyage dans la lune, teintée et retouchée au

pinceau pour la soirée de gala donnée en l’honneur

de Méliès le 16 décembre 1929, à la salle Pleyel .

Samedi 7 décembre, 16h (HL)

CINÉ-CONCERTS

L’Association « Les Amis de Georges Méliès - Cinémathèque Méliès » propose plusieurs pro-

grammes exclusifs . Les ciné-concerts rendent

hommage au génial prestidigitateur, à travers

des spectacles bonimentés par Marie-Hélène

Lehérissey, d’après Georges Méliès, et accom-

pagnés au piano par Lawrence Lehérissey

(tous deux descendants de Méliès) .

RENCONTRES ET CINÉ-CONCERTS62

Page 65: Catalogue Festival 2013

GRANDS MÉCÈNES DE LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE EN PARTENARIAT AVEC

Remerciements particuliers

William Friedkin, Marcia Franklin, La Cinémathèque de

Bologne (Gian Luca Farinelli et ses équipes), l’Ambassade

de l’Inde à Paris (Apoorva Srivastava et Nilu Ray) et Jitka

de Préval, les Archives françaises du film du CNC, Allen

Studio Paris, la FIAF .

Conception et organisation

Président de La Cinémathèque française

Costa-Gavras

Directeur

Serge Toubiana

Programmatrice

Pauline de Raymond

Comité de pilotage

Bernard Benoliel, Laurent Mannoni, Jean-François Rauger,

Céline Ruivo

Coordination

Samantha Leroy, assistée d’Anna Tarassachvili et d’Alice Lenay

Recherche copies et droits

Caroline Maleville

Ciné-concerts

Annick Girard, Samantha Leroy, Pauline de Raymond

Activités pédagogiques // Rencontres en bibliothèque

Gabrielle Sébire,Élodie Imbeau, Fabrice Nardin, Clary

Demangeon // Véronique Rossignol

Traduction

Annick Girard, Fabio Venturi (Scéna)

Régie technique // Audiovisuel // Coordination copies

// Vérification copies

Alain Bidegorry, Pierre Louis, Stéphane Pineau et l’équipe

des projectionnistes // Fred Savioz // Sully Boyer, Béatrice

Cathébras // Géraldine Gomez, Matthieu Grimault, Pedro

Marques, Pascale Pompeï, Guilhem Reboul

Direction administrative

Michel Romand-Monnier, Axelle Moleur

Hébergement

Alice Lenay

Communications et partenariats

Jean-Christophe Mikhailoff, Tiphaine Coll, Laurence Hagège,

Éric Bouchier, Fréderic Benzaquen, Matthieu Brassier, Mélanie

Haoun, Alain Kantorowicz, Aurélie Koch-Mathian, Anaïs

Laledj, Céline Lombart, Vincent Merlier, Marianne Miel,

Jeanne Mongay, Vincent Olive, Sylvia Pereira, Sophie Regard-

Baldarassi, Soraya Taous, Paul Vincent .

Presse

Élodie Dufour assistée d'Emmanuel Bolève

Site Internet

Xavier Jamet, Olivier Gonord, Hélène Lacolomberie, Nicolas

Le Thierry d’Ennequin

Remerciements

Bernard Benoliel, Raphaël Bourge, Clarisse Bronchti, Émilie

Cauquy, Stéphane Dabrowski, Joël Daire, Vincent François,

Matthieu Grimault, Joëlle Hofmann, François Laffort, Rodolphe

Lussiana, Laurent Mannoni, Laure Marchaut, Vanessa Nony,

Hervé Pichard, Jean-Francois Rauger, Sébastien Ronceray,

Céline Ruivo, Mehdi Taïbi, Florence Tissot, Sylvie Vallon .

Catalogue

Direction de publication

Serge Toubiana

Responsables éditorial

Pauline de Raymond, Samantha Leroy

Responsable de publication

Mélanie Haoun

Rédaction et recherches

Emmanuelle Berthault, Delphine Biet, Clarisse Bronchti,

Nicolas Caïssa, Iris Deniozou, Marion Langlois, Samantha

Leroy, Mehdi Taïbi, Anna Tarassachvili

Relecture et corrections

Bernard Benoliel, Mélanie Haoun, Aurélie Koch-Mathian,

Alice Lenay, Samantha Leroy, Rodolphe Lussiana, Pauline

de Raymond, Anna Tarassachvili

Iconographie et assistante d’édition

Aurélie Koch-Mathian

Conception graphique

Scope Éditions

Hors les murs

Créée en 1955, l’AFCAE, qui réunit plus de 1100 cinémas,

agit pour le développement des lieux de diffusion et la

diversité des films . Elle accompagne les cinémas Art et

Essai par une mise en réseau favorisant l'exposition des

films sur tout le territoire . Elle soutient plus de 50 films

chaque année et représente le mouvement Art et Essai

auprès des pouvoirs publics et des différents partenaires

institutionnels .

AFCAE | 12 rue Vauvenargues 75018 - Paris

Tél .: 01 56 33 13 23 | www .art-et-essai .org

Créée par le Ministère de la Culture et de la Communication,

l’ADRC remplit deux missions complémentaires en faveur

du pluralisme et de la diversité cinématographique, en lien

étroit avec le CNC : le conseil et l’assistance pour la création

et la modernisation des cinémas ; le financement et la mise

en place de circulations des œuvres pour un meilleur accès

aux films, y compris du patrimoine cinématographique .

ADRC | 58, rue Pierre Charron 75008 - Paris |

www .adrc-asso .org

63

Page 66: Catalogue Festival 2013

Remerciements ADRC (Jean-Michel Gévaudan, Rodolphe Lerambert), AFCAE (Patrick Brouiller, Renaud Laville, Émilie Chauvin) Peter Agoos Arane

Films (Jean-René Faillot, Simone Appleby, Marina Laloux), Archives françaises du film du CNC (Laurent Cormier, Béatrice de Pastre, Daniel Borenstein,

Eric Le Roy, Jean-Baptiste Garnero, Daniel Brémaud, Gilles Langlais), Diane Arnaud, Olivier Assayas, Association Frères Lumière (Nathalie Morena), Diane

Baratier, Anna Batistova (Narodni Filmovy Archiv), Frédérique Berthet, Margaret Bodde (Film Foundation), Neil Brand, Nicole Brenez, British Film Institute

(Amanda Nevill, Bryony Dixon, Fleur Buckley, Ulrich Ruedel, Lorraine Salter, Christine Whitehouse, Kathleen Dickson, Kieron Webb), Jacques Cambra,

Carlotta (Vincent Paul-Boncour, Ines Delvaux), Rinaldo Censi, Paolo Cherchi Usai (George Eastman House), Caroline Champetier, Christophe Cheynier,

Thomas Christensen (Danish Film Institute), Cinémathèque Royale de Belgique (Nicola Mazzanti, Clémentine de Blieck), Cinémathèque suisse (Frédéric

Maire, Caroline Fournier, André Schaublin), Cineteca di Bologna (Gian Luca Farinelli, Rossana Mordini / Davide Pozzi, Elena Tammaccaro - L’Immagine

Ritrovata / Cecilia Cenciarelli, Andrea Meneghelli, Carmen Accaputo, Guy Borlée), CNC (Frédérique Bredin, Laurent Cormier), Daniel Colin, Catherine

Cormon (Eye Film Institute), Angelo Cosimano (CST), Amandine D’azevedo, Digimage (Denis Auboyer, Bruno Despas, Thierry Delannoy, Olivier Duval,

Tommaso Vergallo), Éclair Group (Thierry Forsans, Sébastien Arlaud, Jean-Pierre Neyrac, Béatrice Valbin-Constant), François Ede, Thierry Escaich, Térésa

Faucon, FIAF (Christophe Dupin), Les Films d’Ici (Sylvie Brenet, Céline Païni), Les Films du Panthéon (Laurence Braunberger), Fondation Groupama Gan

pour le cinéma (Dominique Hoff, Catherine Pradel), Fondation Jérôme Seydoux - Pathé (Sophie Seydoux, Stéphanie Salmon), Fondation Technicolor

pour le Patrimoine du Cinema (Séverine Wemaere), Fonds Culturel Franco Americain /Franco-American Cultural Fund, DG A - MPA - SACEM - WGAW

(Jean-Noël Tronc, Alejandra Norambuena Skira, Églantine Langevin), Laure Gaudenzi (Cinémathèque universitaire), Gaumont (Nicolas Seydoux, Ariane

Toscan du Plantier, Jérôme Soulet, Morgane Toulouse), Gaumont-Pathé-Archives (Manuela Padoan, Agnès Bertola), Yervant Gianikian et Angela Ricci

Lucchi, Tracey Goessel, Groupama (Thierry Martel, Christian Collin, Philippe Sorret, Sylvain Burel), Oliver Hanley (Austrian Filmmuseum), Stephen Horne,

Inclinaisons (Marion Piras), Joshua Siegel (MoMA), Lars Karlsson (Svenska Filminstitutet), Martin Koerber (Deutsche Kinemathek), Claude Lanzmann, Paul

Lay, Lobster Films (Serge Bromberg, Éric Lange, Maria Chiba), Adrian Maben, Jacques Malthête, Christophe Massie (Orfeo/FICAM) Ministère de la culture

et de la communication (Aurélie Filipetti, Sophie Cazes), Neuflize OBC (Philippe Vayssettes, Carole Tournay) Photoplay (Kevin Browlow, Sophie Djian),

Priska Morrissey, Benjamin Moussay, Paramount USA (Peter O’Rourke), Park Circus (Nick Varley, Van Papadopoulos, Jack Bell), Pathé (Jérôme Seydoux,

Marc Lacan, Véronique Boucheny, Stéphanie Tarot, Stéphanie Delaunay), Pierre Philippe, Pierre Rissient, Elif Rongen (Eye Film Institute), Rouge Production

(Camille Gillet), Pierre Ryngaert, San Francisco Silent Film Festival (Robert Byrne), Louis Sclavis, Meenakshi Shedde (meenakshishedde@gmail .com), Julien

Tauber, Tamasa (Philippe Chevassu), Technicolor (Christian Lurin), Théâtre du Temple (Vincent Dupré), Jean-Baptiste Thoret, R . Ratovondrahety Touve,

Jean-Philippe Le Trévou, David Walsh (Imperial War Museum), Warner Bros . USA (Ned Price), Why Not productions (Thomas Rosso) .

P2-3 : Aurélie Filippetti © STEPH VISUAL - CF / Frédérique Bredin © DR . P4-5 : Costa Gavras © F . Atlan - CF / Serge Toubiana © Ewa Rudling / Patrick Brouiller © DR / Christophe Ruggia © DR . P6 : William Friedkin © Pat York . P8-9 : Le Trésor de la Sierra Madre, John Huston, 1948 © Warner Bros / Sueurs froides, Alfred Hitchcock, 1958 © Fonds Truffaut . P10-11 : Le Samouraï, Jean-Pierre Melville, 1967 © Pathé Distribution / À cause d’un assassinat, Alan J . Pakula, 1974 © Théâtre du Temple . P12 : Crimes et délits, Woody Allen, 1989 © Carlotta Films / P15 : Fanny et Alexandre, Ingmar Bergman, 1982 © Gaumont / P16-17 : Fantômas, Louis Feuillade, 1913-1914 © Gaumont-Pathé-Archives . P18 : Le Métis, Allan Dwan, 1916 © San Francisco Silent Film Festival - CF P20-21 : Partie de campagne, Jean Renoir, 1936 © Les Films du Jeudi/de la Pléiade / Fleurs d’équinoxe, Yasujirô Ozu, 1958 © Carlotta Films . P22-23 : Le Cousin Jules, Dominique Benicheti, 1968-1973 © DR / La Dernière séance, Peter Bogdanovich, 1971 © Sony Pictures . P24-25 : Shoah, Claude Lanzmann, 1985 © Les Films Aleph / Fanny et Alexandre, Ingmar Bergman, 1982 © Gaumont . P26-27 : Le Festin des huîtres, Adrian Maben, 2013 © Adrian Maben / Pays Barbare, Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi, 2013 © Unifrance . P28 : L’Avenir de la mémoire, Diane Baratier, 2013 © Rouge Production . P30-31 : Charlot usurier, Charlie Chaplin, 1916 © Digital documents from Charlie Chaplin Archive, Cineteca di Bologna © Roy Export Company Establishment . All rights reserved / La Propriété c’est plus le vol, Elio Petri, 1973 © DR / Païsa, Roberto Rossellini, 1946 © Les Films Sans Frontières . P33 : Ma l’amor mio non muore !, Mario Caserini, 1913 © DR . P34-35 : Charlot usu-rier, Charlie Chaplin, 1916 © Digital documents from Charlie Chaplin Archive, Cineteca di Bologna © Roy Export Company Establishment . All rights reserved / Païsa, Roberto Rossellini, 1946 © Les Films Sans Frontières . P36-37 : La Propriété c’est plus le vol, Elio Petri, 1973 © DR / Manille, Lino Brocka, 1975 © DR . P40 : Le Palais des mille et une nuits, Georges Méliès, 1905 . P42-43 : Voyage sur Jupiter, un film de Segundo de Chomon - 1909 - Pathé Production / Deauville-Trouville, la plage et le front de mer, 1912 - Gaumont-Pathé-Archives . P44-45 : A Rose Amongst the Briars, Sherwood MacDonald, 1915 © Collections CF / La Phalène bleue, Georges Champavert © Collections CF . P46-47 : The Open Road, Claude Friese-Greene, 1925 © BFI / L’Eventreur, Alfred Hitchcock, 1927 © BFI . P48-49 : La Symphonie nuptiale, Erich von Stroheim, 1928 © DR / Les Ailes, William A . Wellman et Harry d’Abbadie d’Arrast, 1927 © Park Circus . P53 : Awaara, Raj Kapoor © DR . P54-55 : Le Feu, Raj Kapoor, 1948 © DR / La Mousson, Raj Kapoor, 1949 © DR . P56 : Le Vagabond, Raj Kapoor, 1951 © DR . P58-59 : Le Petit Cireur, Raj Kapoor, 1954 © DR / Shree 420, Raj Kapoor, 1955© DR . P60-61 : Dans l’ombre de la nuit, Raj Kapoor, 1956 © DR / Salle henri Langlois © VISUAL Press Agency - CF / P61-62 : Organ Foort 1932 MacLean / Le Voyage dans la lune, Georges Méliès, 1902, coll CF © ADAGP, Paris 2008 . P63-64 : Sueurs froides, Alfred Hitchcock, 1958 © Fonds Truffaut . / Partie de campagne, Jean Renoir, 1936 © Les Films du Jeudi/de la Pléiade / La Propriété c’est plus le vol, Elio Petri, 1973 © DR / Le Palais des mille et une nuits, Georges Méliès, 1905 . / Shree 420, Raj Kapoor, 1955© DR . Le Samouraï, Jean-Pierre Melville, 1967 © Pathé Distribution .

Couv. : A WILLIAM FRIEDKIN FILM «SORCERER» Starring ROY SCHEIDER, BRUNO CREMER, FRANCISCO RABAL, AMIDOU, RAMON BIERI Production Design JOHN BOX . Screen play WALON GREEN . Associate Producer BUD SMITH . Original Music TANGERINE DREAM . Based on the novel The Wages of Fear by Georges Arnaud . Directed and Produced by WILLIAM FRIEDKIN . Sorcerer est projeté lors du festival Toute la mémoire du monde, mardi 3 décembre 2013 à 20h . © 1977 Cinema International Corporation N .V .

EN PARTENARIAT MÉDIA AVECAVEC LA PARTICIPATION DE

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Page 67: Catalogue Festival 2013
Page 68: Catalogue Festival 2013

En couverture :

A WILLIAM FRIEDKIN FILM «SORCERER» Starring ROY SCHEIDER, BRUNO CREMER, FRANCISCO RABAL, AMIDOU, RAMON BIERI.

Production Design JOHN BOX. Screen play WALON GREEN. Associate Producer BUD SMITH. Original Music TANGERINE DREAM.

Based on the novel The Wages of Fear by Georges Arnaud. Directed and Produced by WILLIAM FRIEDKIN

Sorcerer est projeté lors du festival Toute la mémoire du monde, mardi 3 décembre 2013 à 20h