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Cartographie des motivations derrière les conflits : le M23

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Cartographie des motivations derrière les conflits : le M23

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Couverture: Des combattants du M23 portant l’uniforme de l’armée rwandaise (RDF) pénètrent dans Goma

Anvers, novembre 2012

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Tables des matières

Introduction 4

1. Contexte 5

2. L’hypothèse « rebelles  avec revendications » : pas convaincante 9

3. L’agenda ethnique : division dans les rangs 11

4. Contrôle des minerais : là n’est pas la priorité 14

5. Le pouvoir comme motivation : géopolitique et implication rwandaise 16

Conclusion 18

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Introduction

Depuis 2004, IPIS a publié divers rapports sur le conflit qui affecte la République démocratique du Congo (RDC). De 2007 à 2010, IPIS a porté avant tout son attention sur les motivations des principaux groupes armés qui subsistent en RDC suite aux guerres que le Congo a connues en 1996 et en 19981. Depuis 2010, nombre de ces groupes ont été démobilisés, plusieurs ont été intégrés à l’armée congolaise (FARDC), et la situation sécuritaire s’est peu à peu stabilisée. Cependant, après les élections de 2011 une série d’événements a conduit à la création d’un « nouveau » groupe armé qui s’est appelé le « M23 ». Au début, les FARDC ont acculé ce groupe près de la frontière rwandaise, et tout semblait indiquer qu’il allait vite disparaître. Mais les mois suivants le M23 s’est remarquablement bien repris ; il s’est emparé de Rutshuru et de Goma et a commencé à manifester des ambitions nationales.

À la lumière de ces développements et eu égard à la recrudescence du risque de conflit armé à grande échelle en RDC, le Réseau européen pour l’Afrique centrale (EurAc) a estimé qu’il était essentiel que les parties prenantes appréhendent correctement les motivations du M23 afin de faire face à l’escalade actuelle. IPIS s’est porté volontaire pour réaliser cette analyse qui constitue une brève mise à jour de sa série de rapports « Cartographie des motivations derrière les conflits ». Le présent rapport ne reflète pas nécessairement la position d’EurAc, et IPIS en assume seul la responsabilité. Des contraintes de temps n’ont pas permis de présenter des cartes web ; les données pertinentes figurent cependant sur des cartes au format classique insérées dans le texte.

Ce rapport étudie quatre hypothèses de motivations du M23  : des revendications historiques, des tensions interethniques, un avantage économique et le contrôle politique de territoires. Chacune de ces explications est comparée au discours, aux décisions et aux actions du M23. Les chercheurs tiennent à souligner que la situation évolue en permanence sur le terrain. Le M23 est un mouvement récent, dont la création remonte à moins de sept mois avant cette analyse ; on signale de nouveaux développements pratiquement tous les jours.

La plupart des informations utilisées relèvent du domaine public. Lorsque les sources étaient insuffisantes, de nouvelles informations ont été recueillies par des chercheurs d’IPIS qui travaillaient sur des thèmes connexes au Sud-Kivu, et par des entretiens téléphoniques.

1 Pour plus de précisions, cf. http://www.ipisresearch.be/mapping.php

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1. Contexte

Le 6 mai 2012, un groupe de mutins des FARDC a annoncé la création d’un nouveau groupe armé, le mouvement M23. Ses membres étaient d’ex-rebelles de l’Armée nationale congolaise / CNDP. Le CNDP a justifié le mouvement en évoquant les promesses non tenues par le gouvernement congolais – promesses faites lors de la signature d’un accord d’intégration de ces soldats aux FARDC, en mars 2009. Bien que le M23 soit le successeur du CNDP, il s’appuie sur une base plus étroite (cf. Encadré 1).

Encadré 1 : la base sur laquelle s’appuie le M23

Une comparaison approfondie du CNDP et du M23 sortirait du cadre de ce rapport  ; pour appréhender les motivations du M23, il convient néanmoins de souligner que ce dernier s’appuie sur une base réduite.

Le réservoir de recrutement du M23 est plus étroit que celui du CNDP, et le mouvement moins implanté localement. Si le CNDP, du moins au début2, était parvenu à s’attacher le soutien de communautés congolaises hutu et banyamulenge, à ce jour les élites de ces communautés ont pour l’essentiel refusé leur soutien au M23. En revanche, le M23 s’est efforcé d’établir des relations avec d’autres communautés, telles que les Hemas et les Lendus en Ituri, sans toutefois parvenir à les gagner à sa cause.

En outre, le remplacement de Laurent Nkunda par Ntaganda à la tête du CNDP a accentué les divisions au sein de la communauté tutsie congolaise, et le soutien au M23 est loin d’être total3. La plupart des combattants du CNDP intégrés affirment être toujours attachés au processus de paix convenu le 23 mars 2009 avec le gouvernement de Kinshasa et demeurer au sein des FARDC. Par conséquent, ce sont moins de 1 000 ex-combattants du CNDP qui ont initialement rejoint le M23, tandis que les troupes contrôlées par le CNDP étaient estimées à environ 4 000 à 6 000 hommes avant leur intégration aux FARDC fin 20084.

Plusieurs événements ont précédé la création du M23. En premier lieu, de graves irrégularités lors de l’élection présidentielle du 28 novembre 2011 ont sérieusement affecté la position du Président élu Kabila5. Sans attendre les résultats définitifs, Étienne Tshisekedi –  le principal opposant à Kabila – s’est proclamé président le 23 décembre 2011 depuis sa résidence. Plus embarrassant encore pour le Président Kabila  : l’absence de tout chef d’État lors de sa prestation de serment, hormis le Président Mugabe, du Zimbabwe.

En dépit du manque manifeste de soutien de la part de la communauté internationale, les donateurs n’ont pas contesté la réélection de Kabila, mais ils ont saisi l’occasion pour inviter Kinshasa à adopter des mesures et à engager des réformes annoncées de longue date6. En mars 2012, des rumeurs ont donc commencé à circuler à propos de l’arrestation imminente du Général Bosco Ntaganda. Bosco est recherché depuis 2006 par la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes de guerre perpétrés dans la région de l’Ituri en 2002 et 2003, alors qu’il faisait partie de la milice rebelle de Thomas Lubanga, l’Union des patriotes congolais (UPC). Les rumeurs concernant l’arrestation imminente de Bosco ont été alimentées par la condamnation de Thomas Lubanga à La Haye. Pour échapper à une éventuelle

2 S. Spittaels et F. Hilgert, Cartographie des motivations derrière les conflits, rapport IPIS, 2008, p. 6-8.3 Rift Valley Institute. From CNDP to M23: The evolution of an armed movement in Eastern Congo, Usalama Project, 2012 p. 11, 37.4 Groupe d’experts des Nations Unies sur la République démocratique du Congo. Rapport final 2008, Doc. ONU S/2008/773,

12 décembre 2008, paragraphe 20.5 Dans son rapport de décembre 2011, le Carter Center déclare que les résultats provisoires de l’élection pèchent par leur

manque de crédibilité. Dans la province du Katanga, il a constaté que le taux de participation frisait les 100 % dans plus d’une douzaine de districts, et que « dans quatre d’entre eux les votes en faveur de Kabila étaient de ou frisaient les 100 % ». En mars 2012 le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH) a publié un rapport sur les violations graves des droits de l’homme commises par des membres des forces de l’ordre congolaises à Kinshasa entre le 26 novembre et le 25 décembre 2011 dans le contexte des élections présidentielles et législatives congolaises.

6 Rift Valley Institute, From CNDP to M23: The evolution of an armed movement in Eastern Congo, Usalama Project, 2012 p. 42-43.

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arrestation, début avril Bosco aurait déclenché une violente mutinerie parmi certains anciens membres du CNDP au sein des FARDC.

Toutefois, la tentative de défection en masse d’avril avait été précédée d’un certain nombre d’autres tentatives de mutineries à partir de début 2012. En janvier, un groupe d’officiers non tutsis de l’armée a fait défection près de Bukavu et a pris le nom de Conseil Supérieur de la Paix (CONSUP). En outre, courant janvier le Colonel Kahasha, dont les troupes étaient déployées près de Beni, a lui-aussi fait défection, créant l’Union des patriotes congolais pour la paix (UPCP) conjointement avec les rebelles du PARECO de Lafontaine. Puis en février plusieurs officiers haut gradés se sont mutinés dans l’Ituri7. Cette succession de défections, dont d’un grand nombre de haut gradés occupant des postes relativement privilégiés, a jeté la suspicion sur une nouvelle rébellion.

Carte 1 : Combats impliquant le M23

7 Groupe d’experts des Nations Unies sur la République démocratique du Congo. Rapport d’étape 2012, Doc. ONU S/2012/348, 21 juin 2012, paragraphes 125 à 129.

May 10th

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November, 21st

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Bambu

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Luofu

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Kivuye

Runyoni

Kibumba

Mokoto

Nyange

Lushoa

Kinigi

Karuba

Kikuvo

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Kafunzo

Katsiru

Kalembe

Bulindi

Kiwanja

Kirumbu

Buhimba

Luhonga

Kirumba

Kanyatsi

Bishusha

Nyanzale

Kibarizo

Bihambwe

Itundula

Biriseke

Bunagana

Rumangabo

Kitchanga

Nyamilima

Nyamitaba

Kirolirwe

Nyakakoma

Vitshumbi

Birambizo

Mindjendje

Nyamitwitwi

Kamandi Lac

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May 18th

July,14th

October, 1st

November, 16th

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Chronologie de l’avance du M23 dans l’est de la RDC

Avril 2012Des centaines de soldats des FARDC abandonnent leur poste. Les mutins sont liés à Bosco Ntaganda, lequel est recherché par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre.

Le 6 mai 2012

Un communiqué de presse annonce qu’un nouveau mouvement politico-militaire baptisé Mouvement du 23 Mars (M23) a été créé. Son but est de « ranimer » un accord de paix signé le 23 mars 2009 entre le gouvernement congolais et le CNDP. Le document précise que le groupe est coordonné par le Colonel Sultani Makenga et qu’il est formé d’anciens officiers du CNDP. Des officiers du CNDP répondent en déclarant qu’ils sont attachés au processus de paix initial convenu en 2009.

Le 10 mai 2012

Les localités de Runyoni, Chanzu et Bikenge, dans le territoire de Rutshuru, tombent aux mains des rebelles du M23 à l’issue de deux heures de combat avec les FARDC. Redoutant les violences, des familles de Kitchanga, dans le territoire de Masisi, commencent à rejoindre le camp de réfugiés de Nkamira, au Rwanda.

Le 18 mai 2012

Cinq jours après la signature d’une trêve pendant laquelle les FARDC ont encouragé les mutins à rentrer dans leur caserne, de violents combats éclatent. Affrontement entre les FARDC et le M23 à Jomba et à Bunagana, près de la frontière de la RDC avec l’Ouganda et le Rwanda, ainsi que sur la colline de Bugusa, à 90  km au nord de Goma. Il s’ensuit des semaines d’hostilités dans le territoire de Rutshuru.

Le 14 juin 2012Le 14 juin, le M23 depuis ses positions sur la colline de Runyoni attaque les FARDC à Bweza et Kisigari. Le 17, des localités de Bweza (incluant Tarika, Ruseke et Murambi) sont prises.

Le 4 juillet 2012

Les FARDC lancent une offensive contre une coalition de rebelles à Kasiki, Miriki et Mbwanvinywa, dans le territoire de Lubero. Le 5, de violents combats reprennent ; les jours suivants, le M23 s’empare de Bunagana, un poste frontière entre la RDC et l’Ouganda. 600 soldats des FARC s’enfuient vers l’Ouganda voisin. Le 9, les soldats rebelles sont retirés de la ville et remplacés par des officiers de police du M23 placés sous le commandement du Colonel Moses Rusingiza.

Le 14 juillet 2012 Le M23 attaque Rugari, dans le Rutshuru.

Le 24 juillet 2012Tôt le matin, de violents affrontements reprennent entre les FARDC et le M23 dans les villages de Kakomero et de Mwaro. Selon certaines sources, le M23 a encerclé les troupes des FARDC à Rugari.

Le 25 juillet 2012

Les FARDC reprennent le contrôle de Rumangabo, à 50 km de Goma, après que le M23 ait occupé la ville toute la journée. De violents affrontements ont lieu entre les FARDC et le M23 à Kiwanja, Rutshuru et Kalengera-Centre. Le M23 prend Rutshuru.

Le 26 juillet 2012 Le M23 attaque les FARDC à Rumangabo.

Le 4 août 2012 Le M23 installe son centre administratif à Rutshuru, au Nord-Kivu.

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Le 1er octobre 2012

Le M23 affirme s’être emparé de villages tenus par les FDLR et le groupe Maï-Maï Shetani Muhima le long de l’axe Kiwanja-Ishasha (dont Katwiguru, Kisharo, Buramba, Nyamilima et Ishasha). Ishasha est un poste frontière vers l’Ouganda, au nord de Bunagana.

Le 17 novembre 2012 Après une première tentative manquée, le M23 chasse les FARDC de Kibumba.

Le 20 novembre 2012Le M23 prend le contrôle de Goma en dépit des appels lancés aux rebelles par l’ONU et l’UE pour qu’ils stoppent leur avance. Les troupes des FARDC abandonnent la ville et s’enfuient vers Sake.

Le 21 novembre 2012Le M23 s’empare de la ville de Sake (27 km à l’ouest de Goma), tandis que les FARDC se replient sur Minova. Les jours suivants, plusieurs batailles sont livrées à Sake et dans les environs.

Le 27 novembre 2012

Le M23 accepte de se retirer de Goma, mais la direction politique et le commandement militaire envoient des messages contradictoires. Un violent pilonnage d’artillerie est encore signalé près de Kibumba.

Des FARDC venues de Minova lancent une offensive contre les positions du M23 à Shasha, Karuba et Mushaki, dans le territoire de Masisi.

Le 28 novembre 2012

Sultani Makenga déclare que ses troupes vont commencer à se retirer des villes capturées récemment, mais que 100  combattants resteront à l’aéroport de Goma. Le M23 annonce qu’à Goma l’administration, dont la police, restera sous son contrôle.

Sources : Radio Okapi, allAfrica, ONU, The Guardian, Le Potentiel, Reliefweb, Reuters et BBC

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2. L’hypothèse « rebelles avec revendications » : pas convaincante

Les communications du M23 peuvent être consultées librement sur les différents canaux au moyen desquels il s’exprime (cf. Encadré 2). Malgré les multiples tentatives d’explication du M23 concernant ses revendications et sa raison d’être, cette dernière demeure obscure, et on constate qu’elle a changé depuis la création du mouvement. Lors de cette création, le M23 affirmait qu’il entendait faire appliquer correctement et intégralement un accord signé entre le CNDP et le gouvernement congolais le 23 mars 20098. Jusqu’à mi-juillet, cette position paraissait encore valable. Dans son communiqué officiel publié suite à l’attaque de Bunagana9, le « coordinateur » Sultani Makenga a souligné que l’intention du M23 n’était ni de « s’emparer de territoires », ni d’obtenir l’ouverture de négociations, mais d’exiger « l’application de l’accord du 23 mars ». À la même époque, le « représentant » du M23 en Europe, Jean-Paul Epenge, répétait que l’unique revendication du M23 portait sur l’application de l’accord du 23 mars et qu’il n’était pas question de changer le régime en place à Kinshasa. Pourtant, moins d’un mois plus tard les exigences du M23 avaient changé.

Encadré 2 : Médias utilisés par le M23

Les rebelles diffusent des messages et de la propagande à l’intention du grand public via une série de sites Internet et de médias sociaux. Le site http://www.m23mars.org/ se présente comme le « site officiel du Mouvement du 23 mars ». Sur ce site, les visiteurs peuvent s’inscrire en tant que membre et faire des dons. Les sympathisants y sont invités à participer à des débats sur « Facebook, Twitter et YouTube ». Jusqu’en juillet, dans sa communication officielle le M23 affichait en bas d’écran un lien vers le site http://www.soleildugraben.com/. Ce site demeure opérationnel, et il est mis à jour régulièrement. Le M23 diffuse sa propagande via un troisième canal, le site http://congodrcnews.com/. En sous-titre, ce site s’annonce comme « M23 VS Kinshasa », et il dispose d’un compte Twitter depuis la reprise des combats au Rutshuru, à la mi-octobre.

Le 8 juillet, juste après l’attaque de Bunagana, le M23 a également créé sur Facebook un profil nommé « M23 Congo RDC » qui affiche une photo de Sultani Makenga, http://www.facebook.com/M23CongoRdc.

Début août, juste après le sommet de la CIRGL la communication et le discours du M23 ont été relookés. Non seulement le mouvement a changé de site Internet et n’a plus du tout fait référence au CNDP, mais en outre il a exprimé sa volonté de trouver « une solution politique qui intègre tous les groupes d’autodéfense populaire »10. Dix jours plus tard, le M23 annonçait la formation d’un nouveau cabinet politique comprenant dix départements et dirigé par 22 chefs et adjoints11. Dans une interview publiée sur le site officiel du M23 le 24 août 2012, Makenga indiquait que le M23 pouvait installer à la tête de la RDC de nouveaux dirigeants qui seraient « capables d’unir le peuple… dialogue… représentant la RDC au sein des nations libres… [et] œuvrer en faveur du bien-être de son peuple… »12.

8 À cet égard, sur le papier à en-tête officiel du M23 figuraient le nom complet et le logo du CNDP.9 Communiqué officiel n° 0019/M23/CNDP/2012 signé Sultani Makenga.10 M23 Communiqué Officiel N°0024/M23/2012, signé par le « Coordonnateur Politique » Bishop Jean-Marie Runiga Lugerero,

8 août 2012, disponible sur http://www.m23mars.org/wp-content/uploads/2012/08/Communiqu%C3%A9_officiel_0024.pdf11 Communiqué officiel n° 0026/M23/2012 signé par le « Chef du département de la justice et des droits de l’homme » Mahamba

Kasiwa, porte-parole désigné, 17 août 2012, consultable sur http://www.m23mars.org/wp-content/uploads/2012/08/Communiqu%C3%A9-Officiel-N%C2%B00026.pdf

12 Point de presse du Chef du Haut Commandement militaire du M23, le Colonel MAKENGA Sultani, cf. www.m23mars.org

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Après que le M23 ait changé de look, la liste de ses exigences a continué de s’allonger, de sorte que les chances de succès de négociations avec Kinshasa sont de plus en plus minces13. En octobre, le mouvement a posé quatre préalables pour participer à des négociations directes14 :1. Respect des accords du 23 mars ;2. Prise en compte des « questions additionnelles aux revendications » du M23, incluant des questions

liées au social et à la bonne gouvernance ;3. Rétablissement de la « vérité des urnes » ;4. La participation aux négociations de l’opposition politique menée par Etienne Tshisekedi et Vital

Kamerhe, ainsi que de la diaspora et de la société civile congolaises.

En novembre, dans son discours le M23 a accordé de moins en moins d’importance aux revendications relatives à la non-application présumée de l’accord du 23 mars, et il a progressivement dévoilé un programme national. Après la prise de Goma Vianney Kazarama, porte-parole du M23, a exigé le départ du Président Kabila, et il a annoncé lors d’un meeting que le mouvement marcherait sur Kinshasa.

Globalement, le «  casus belli  », tel que présenté par la communication du M23, ne paraît guère convaincant. Entre-temps, du fait du changement de discours et des contradictions entre déclarations et comportement, les dirigeants du M23 ont peiné à expliquer leurs motivations à la population congolaise. Par exemple, dans une longue déclaration signée Benjamin Mbonimpa – un politicien du M23 – l’auteur défend les intentions du mouvement tout en niant avec véhémence l’existence de tout programme secret qui conduirait à diviser le pays15.

13 Jusqu’à ce que le M23 prenne Goma, le gouvernement congolais a toujours refusé d’entamer des négociations avec les rebelles.

14 Compte-rendu de la troisième réunion du Conseil exécutif du Mouvement du 23 mars, signé Bertrand Bisimwa, 18 octobre 2012.

15 Éditorial : Qui ose dire que le M23 est pour la Balkanisation de l’est de la RDC ?, 10 août 2012 ; cf. www.m23mars.org

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3. L’agenda ethnique : division dans les rangs

Dans leur grande majorité, les commandants du M23 sont tutsis. Par le passé, la communauté tutsie congolaise a par intermittence fait l’objet de violences et de discrimination. La direction du M23 a souligné à plusieurs occasions qu’une nouvelle menace plane sur sa population au Nord-Kivu et au Congo en général. Par exemple, le 8 juillet 2012, deux jours après que le M23 se soit emparé de Bunagana, elle a publié une lettre officielle dénonçant les présumés massacres ciblés de Tutsis dans la ville de Goma et menaçant « d’assumer ses responsabilités » en cas de besoin16. Il est néanmoins fort probable que la nouvelle soit fausse, étant donné qu’à ce jour aucune agence onusienne ni aucune ONG n’a été en mesure de confirmer de manière indépendante que des attaques systématiques contre des Tutsis congolais ont eu lieu l’an dernier.17.

La stratégie mise en œuvre par le M23 sur le champ de bataille porte à croire que la protection de la population tutsie ne constitue pas sa préoccupation première. Après s’être emparé de la majeure partie du Rutshuru, le M23 a décidé de se diriger d’abord vers Goma avant de tenter de conquérir le territoire de Masisi, où résident une bonne partie des Tutsis congolais et qui jouxte les positions du M23 au Rutshuru. Une fois Goma prise, le M23 s’est avancé vers Sake, mais au lieu de concentrer ses efforts sur le Masisi, il a annoncé que son prochain objectif serait Bukavu. En dépit de quelques incursions du M23 dans le Masisi, notamment vers les villes de Mushaki et de Karuba, les combats les plus acharnés avec les FARDC se sont déroulés sur l’axe menant à Minova, en direction de Bukavu.

Autre constat saisissant  : près de la moitié des ex-commandants tutsis du CNDP n’ont pas rejoint les rangs du M23, choisissant de rester au sein des FARDC18. Si ces officiers avaient considéré qu’une menace sécuritaire imminente et grave pesait sur leur communauté, il est probable qu’ils auraient refusé de combattre le M23.

Outre les assertions susmentionnées, en maintes occasions le M23 a déclaré vouloir coopérer avec le gouvernement de la RDC en vue de « neutraliser » les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui comptent parmi leurs rangs plusieurs commandants impliqués dans le génocide rwandais. Par ailleurs, il a soutenu constamment que les FARDC agissent conjointement avec ces rebelles rwandais. Par exemple, dans un message vidéo daté du 24 novembre 2012 le Colonel du M23 Jean Paul Epenge mentionne un certain nombre d’unités des FARDC qui, selon lui, collaborent avec les FDLR19. Nul doute qu’une telle coopération serait de nature à alarmer la population tutsie du Rutshuru et du Masisi.

Toutefois, dans son rapport final 2012 le Groupe d’experts des Nations-Unies déclare ne pas avoir été en mesure de confirmer de manière indépendante 15 affirmations spécifiques du gouvernement rwandais concernant une collaboration entre les FDLR et les FARDC20.

Il apparaît au contraire que le M23 s’appuie sur une faction des FDLR pour combattre les FARDC. Dans son rapport intérimaire, le Groupe d’experts décrit l’alliance opérationnelle entre le M23 et un groupe dissident des FDLR de plus de 50 combattants basés dans le Parc des Virunga21. Dans un addendum au même rapport, le Groupe estime qu’au moins 40 autres ex-combattants des FDLR démobilisés ont été déployés au sein du M2322. L’incorporation au M23 d’anciens membres des FDLR pourrait expliquer comment une unité des FDLR est parvenue à infiltrer le territoire contrôlé par le M23 à Kibumba et à

16 Communiqué officiel n° 0021/M23/CNDP/2012 signé Sultani Makenga, 8 juillet 2012.17 L’allégation la plus frappante dont le M23 et le gouvernement rwandais ont fait état concerne le massacre de 43 soldats à

Dungu. Cf. http://congosiasa.blogspot.be/2012/07/fact-checking-m23-rebellion.html18 Cf. http://congosiasa.blogspot.be/2012/09/how-many-ex-cndp-commanders-have.html19 Cf. http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=9dz74JWTZGg20 Groupe d’experts des Nations-Unies sur la République démocratique du Congo, Rapport final 2012, S/2012/843, 15 novembre

2012, paragraphes 100 à 103.21 Groupe d’experts des Nations-Unies sur la République démocratique du Congo, Rapport d’étape 2012, S/2012/348, 21  juin

2012, paragraphes 100 à 106.22 Groupe d’experts des Nations-Unies sur la République démocratique du Congo, Additif au rapport d’étape 2012, S/2012/348/

Add.1, 27 juin 2012, paragraphes 20 et 21.

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passer en territoire rwandais où, selon l’armée rwandaise RDF, elle a lancé des attaques dans les secteurs de Bugeshi et de Cyanzarwe23.

L’intention proclamée du M23 de «  neutraliser  » les FDLR ne transparaît pas non plus au travers de ses actions militaires. Aucune des opérations du M23 n’était dirigée contre les positions des FDLR, le mouvement concentrant plutôt ses efforts sur la prise des grands centres administratifs des Kivus. Début octobre, le M23 a effectivement occupé des positions qui étaient tenues par des FDLR le long de l’axe Kiwanja-Ishasha au nord du Rutshuru, mais selon la population locale les FDLR ont laissé le passage libre au M2324.

Carte 2 : Villages d’origine de la population tutsie congolaise

23 Des incertitudes planent quant au déroulement précis des événements. La Forge Fils Bazeye, porte-parole des FDLR, et d’autres cadres des FDLR qu’IPIS a interviewés par téléphone ont nié l’implication de leur groupe. Cf. http://www.newtimes.co.rw/news/index.php?i=15190&a=61175

24 Cf. http://radiookapi.net/actualite/2012/10/02/rdc-le-m23-controle-des-nouveaux-villages-sur-laxe-kiwanja-ishasha-au-nord-kivu/

Jomba

Binza

MwesoBibwe

Kimoho

Rubare

BitaleKatale

Kabaya

Rugari

Gitovu

Kinigi

Karuba

Ngungu

Ishasha

Borengo

Buhimba

Kalonge

Mukingo

Karambi

Nyongera

Rutshuru

Bunagana

Bibatama

Nyabiondo

Nyamilima

Katwiguru

Bweremane

Kitchanga

Kashebere

NyakaribaKirolirweLushebere

Chengerero

Tutsi village (North Kivu)

Lakes

Natural Park

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Province

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RUTSHURU

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UGANDA

Provincial Capital

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Carte 3 : Positions des FDLR par rapport à celles du M23

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4. Contrôle des minerais : là n’est pas la priorité

Par le passé, les rébellions congolaises se sont taillé la réputation de pilleuses des vastes ressources du pays, soit à leur bénéfice, soit pour assurer la subsistance de leur mouvement. En 2009, environ la moitié des sites miniers identifiés dans les provinces du Kivu étaient (partiellement) occupés par un groupe armé25. Des journalistes et d’autres leaders d’opinion ont souvent insisté sur le fait que les rebelles contrôlaient les zones minières en tentant d’expliquer la problématique des groupes armés dans l’est de la RDC. Il n’en va pas autrement pour le M23.

La carte ci-dessus montre les sites miniers les plus importants des provinces du Kivu, dont plusieurs sont accessibles par route depuis Goma. Il est frappant de constater que le M23 ne contrôle aucune de ces zones. De plus, aucune des opérations lancées ces derniers mois par le M23 n’avait pour cible des sites miniers. Cela ne signifie pas forcément que le M23 ne parvient pas à tirer profit du commerce de minerais. Traditionnellement, pour l’essentiel, le coltan et la cassitérite du Nord-Kivu sont exportés via le point-frontière de Goma/Gisenyi, ce qui permet de les taxer. Par ailleurs, après s’être emparé de Goma, le M23 a eu accès à des stocks de coltan et de cassitérite en attente d’exportation. Selon des sources locales, le M23 a « libéré » une cargaison de 1,3 tonnes de minerais que les autorités de la RDC avaient confisqués le 3 novembre. Ces sources ont expliqué que les commandants du M23 Innocent Zimurinda et Baudouin Ngaruye ont facilité l’exportation frauduleuse vers le Rwanda de grandes quantités de minerais issus des mines de Ngungu26. D’après d’autres indices, des négociants interviennent pour le compte du M23 sur certains sites miniers mentionnés sur la carte.

Il convient toutefois d’observer qu’avant leur défection des FARDC les commandants du M23 étaient souvent déployés dans des zones riches en minerais. En 2011, le Groupe d’experts des Nations-Unies a démontré que d’ex-commandants du CNDP avaient amassé de coquettes fortunes grâce au commerce de minerais, et il a notamment fait état des « investissements » de Bosco Ntaganda, Innocent Kaina et Yusuf Mboneza27. En rejoignant le M23, ces commandants ont perdu le contrôle de ces zones minières. De ce fait, actuellement le commerce de minerais s’avère moins lucratif pour les dirigeants du M23 que lorsqu’ils faisaient partie des FARDC.

Il ressort clairement de ce qui précède que, pour le moment, la prise complète du contrôle de zones minières par des moyens militaires en vue de maximiser ses profits n’est pas la priorité du M23. Pour soutenir son effort de guerre, il lui faut donc recourir à d’autres moyens.

25 S. Spittaels et F. Hilgert, Note accompagnatrice de la carte interactive des zones minières aux Kivus, Rapport IPIS, août 2009, p. 11.

26 Entretiens téléphoniques réalisés par IPIS. Par ailleurs, plusieurs indices permettent de penser que le M23 est impliqué dans le pillage ciblé de Goma. Des sources locales font état de vols systématiques de voitures ; par ailleurs, des photos ont été publiées qui montrent les rebelles en train de vider des stocks d’armes des FARDC, et le Guardian a fait état d’un pillage de la Banque nationale (http://www.guardian.co.uk/world/2012/nov/27/congo-rebels-defy-order-goma)

27 Groupe d’experts des Nations-Unies sur la République démocratique du Congo, Rapport final 2011, S/2011/738, 2 décembre 2011, p. 113-119.

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Carte 4 : Zone occupée par le M23 et localisation des mines

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IPIS 29/11/2012

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5. Le pouvoir comme motivation : géopolitique et implication rwandaise

Le M23 a manifesté son impatience et une détermination remarquable en s’emparant de Goma, malgré les frappes aériennes de la MONUSCO et la pression internationale exercée notamment par l’ONU et par l’UE en vue de stopper son avance28. Suite à la chute de Goma, les commandants rebelles ont affirmé à maintes reprises qu’ils allaient prendre Bukavu, Kisangani et également Kinshasa, contestant davantage encore l’autorité de l’État.

En outre, l’ultimatum lancé par les chefs d’État de la CIRGL le 24 novembre – enjoignant au M23 de se retirer de Goma sous 48 heures – n’a pas impressionné non plus la direction politique du M23. Trois jours plus tard, alors que l’ultimatum avait expiré, le « Président » du M23 Runiga a posé six conditions préalables pour que son mouvement quitte la ville, soulevant ainsi une autre série de questions auparavant absentes de la communication officielle du M2329. Sachant que parmi ces préalables figurent l’arrestation d’un certain nombre d’officiers haut gradés de l’armée congolaise, la libération de prisonniers politiques et des négociations directes avec l’opposition politique, il est clair que Runiga ne s’attendait guère à ce que le Président Kabila les accepte. Par ailleurs, lors d’une interview accordée à RFI Runiga a affirmé que même après un éventuel retrait des troupes du M23 il conserverait le contrôle politique et administratif de la ville. Runiga tout comme d’autres leaders du M23 manifestent clairement leur ambition politique.

De plus, divers indices permettent de supposer l’existence d’un programme débordant les revendications du CNDP et le Nord-Kivu dès la création du M23. Le Groupe d’experts des Nations-Unies a établi que la direction du M23 a tenté de conclure des alliances avec d’autres groupes armés congolais qui n’étaient pas concernés par les négociations de l’accord du 23 mars30. Il a identifié dix groupes armés qui ont été approchés par le M23 en vue de créer une coalition élargie d’opposition armée contre Kinshasa. Ces tentatives ont commencé en mai 2012. Les rebelles ont utilisé trois forces d’interposition à Masisi et à Walikale, dont le Raïa Mutomboki. Outre le Nord-Kivu, ils ont déployé des efforts considérables pour étendre leur rébellion au Sud-Kivu et au district de l’Ituri. Le Groupe d’experts a démontré que le M23 soutient des groupes armés dans ces zones au travers d’efforts de mobilisation permanents, de transferts de fonds, de fournitures d’armes et de recrutements.

Le M23 a également tenté de contester le Président Kabila en tendant la main à la principale opposition politique congolaise. En privé, Vital Kamerhe a reconnu avoir été contacté par le M23 en vue d’établir une alliance – ce qu’il a catégoriquement refusé31. Selon le Groupe d’experts, une proposition similaire a été faite à l’UPDS d’Étienne Tshisekedi, tandis que le M23 a conclu une alliance avec le groupe armé « Mouvement pour la revendication de la vérité des urnes » au Kasaï Occidental, la province de Tshisekedi32.

Lors des sept mois qui se sont écoulés depuis sa création, le M23 s’est montré très actif sur le front politique, et il a enregistré des gains territoriaux remarquables. Les analystes s’accordent sur la médiocrité de l’armée congolaise, mais il en était de même du M23. Ils conviennent également que le M23 n’aurait pas engrangé autant de succès en si peu de temps sans aide extérieure. Le soutien dont le M23 bénéficie de l’extérieur a été démontré par le Groupe d’experts des Nations-Unies et par l’ONG internationale Human Rights Watch33, qui l’un et l’autre ont mené des enquêtes approfondies sur le soutien apporté par le gouvernement rwandais. Nombre d’autres observateurs – notamment le personnel de la MONUSCO,

28 Cf. http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/africaandindianocean/democraticrepublicofcongo/9686404/M23-rebels-close-in-on-Goma.html

29 Cf. http://www.m23mars.org/le-president-runiga-lugelero-dissipe-tous-les-malentendus.html/30 Groupe d’experts des Nations-Unies sur la République démocratique du Congo, Rapport final 2012, S/2012/843, 15 novembre

2012, paragraphes 56 à 89.31 Interview d’IPIS avec un diplomate.32 Groupe d’experts des Nations-Unies sur la République démocratique du Congo, Rapport final 2012, S/2012/843, 15 novembre

2012, paragraphes 90 à 93.33 Cf. http://www.hrw.org/news/2012/09/11/dr-congo-m23-rebels-committing-war-crimes

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des officiers du renseignement étrangers, des ONG locales et des journalistes34 – ont mené leur propre enquête et sont parvenus à des conclusions similaires.

Le Groupe d’experts des Nations-Unies conclut que le ministre rwandais de la Défense, James Kabarebe, dirige la chaîne de commandement du M23. L’implication du Rwanda dans le M23 et le contrôle qu’il exerce sur ce mouvement jettent une lumière nouvelle sur les motivations du mouvement. Les actions du M23 trahissent sa volonté de pouvoir qui semble l’emporter sur toutes les autres considérations évoquées ci-dessus. Elles révèlent une tendance claire visant à instaurer un contrôle politique sur le territoire et à contester l’autorité de Kinshasa. Intervenant depuis 1996 au travers de différentes rébellions, Kigali a maintes fois manifesté un intérêt stratégique pour un contrôle politique accru dans l’est de la RDC et un changement de pouvoir à Kinshasa. Ainsi, après le renversement du régime de Mobutu par l’AFDL, le Rwanda a reconnu avoir planifié, dirigé et approvisionné les forces rebelles35. De même, il a été amplement démontré – notamment par l’ONU et Amnesty International – qu’après 1998 le Rwanda a soutenu la rébellion RCD en République démocratique du Congo.

34 Cf. http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/africaandindianocean/democraticrepublicofcongo/9700471/Rwandans-fighting-an-illegal-war-in-the-Congo.html

35 J. Pomfret, Rwandan acknowledges supplying arms, troops, plans to Congo rebellion, Washington Post, 1997.

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ConclusionLors de sa création, le M23 a affirmé qu’il cherchait à faire appliquer correctement et intégralement un accord signé entre le CNDP et le gouvernement congolais le 23 mars 2009. Après la prise de Bunagana et de Rutshuru, ses exigences ont changé. En novembre, les revendications concernant la non-application présumée de l’accord du 23 mars étaient de moins en moins mises en avant dans le discours du M23.

La stratégie mise en œuvre par le M23 sur le champ de bataille n’indique pas que la protection de la population tutsie constitue sa préoccupation première. De même, l’intention proclamée du M23 de « neutraliser » les FDLR ne transparaît pas non plus au travers de ses actions militaires. En outre, il est frappant de constater qu’actuellement le M23 ne contrôle aucune zone minière importante, qu’il n’a attaqué aucune mine et donc que pour l’instant il ne cherche pas à maximiser son profit en s’ingérant dans le commerce de minerais.

Les rebelles affichent clairement leur ambition politique, et dès la création du M23 ils ont arrêté un programme qui déborde les revendications du CNDP et le Nord-Kivu. Ils s’orientent clairement vers l’instauration d’un contrôle politique sur le territoire et contestent l’autorité de Kinshasa –  intérêts stratégiques qu’ils pourraient partager avec le Rwanda.