Carte Blanche L'Echo

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MARDI 11 OCTOBRE 2011 L’Echo 17 DÉBATS & OPINIONS Ramener la finance à la raison L e destin de Dexia est désormais scellé. Dans la nuit de dimanche à lundi, le conseil d’administration du groupe ban- caire a, en effet, marqué son ac- cord pour la reprise par l’État belge de la totalité du capital de Dexia Belgique, pour un montant de 4 milliards d’euros. En outre, la Belgique garantira, pour une du- rée de dix ans, le financement, à hauteur de 60,5 %, de la banque résiduelle, dans laquelle seront logés 90 milliards d’euros d’actifs risqués de Dexia. Quant aux ga- ranties apportées par les gouver- nements français et luxembour- geois, ces dernières atteindront respectivement 36,5 et 3 %, conformément à une clé de répar- tition similaire à celle utilisée lors du premier plan de recapitalisa- tion du groupe. AUCUNE LEÇON N’A ÉTÉ TIRÉE Il va sans dire que le précédent de 2008 n’aurait pas dû se répéter. En dépit des trois années écou- lées, le management de Dexia n’a cependant tiré aucune leçon de ses erreurs passées. En effet, rien n’a, semble-t-il, été mis en place pour réduire sensiblement l’expo- sition du groupe aux actifs à risque. La responsabilité de la di- rection de Dexia est dès lors enga- gée. En particulier, Jean-Luc De- haene lequel est, comme législateur européen et président du conseil d’administration de Dexia, dans une situation évi- dente de conflit d’intérêts — n’a été en mesure ni de rétablir la santé financière de Dexia ni d’em- pêcher que les dépôts belges ne continuent à financer une banque «d’investissement» française. L’État Belge ne peut dès lors plus lui maintenir sa confiance pour défendre l’intérêt général de nos concitoyens. Au-delà de ces considérations immédiates, les déboires de Dexia doivent inciter les législateurs eu- ropéen et belge à prendre des me- sures ambitieuses sur cinq points principaux. TESTS DE RÉSISTANCE 1. Le premier point concerne la nécessité d’améliorer la qua- lité des tests de résistance des banques européennes. Le dernier en date — réalisé en juillet 2011 — a, en effet, fait l’impasse sur le risque lié aux dettes souveraines, ce qui, dans le contexte actuel, re- lève au mieux d’un aveuglement naïf. La réalité montre que c’est précisément ce risque qui a amené Dexia au bord du gouffre. Les leçons devront en être tirées pour les tests de résistance futurs. Afin de rétablir la confiance des citoyens — qu’ils soient clients, contribuables ou investisseurs — ces derniers devront soumettre les bilans des banques à des épreuves reflétant mieux la réa- lité. RÈGLES DE LIQUIDITÉ 2. Deuxième leçon à tirer de la chute de Dexia: il est essentiel que le législateur euro- péen adopte des règles de liqui- dité strictes afin d’empêcher que les banques ne financent des prêts à long terme essentielle- ment par des emprunts à court terme sur les marchés interban- caires. C’est, en effet, ce modèle qui a fait de Dexia un géant aux pieds d’argile. FONDS PROPRES 3. L’urgence d’accroître sen- siblement les fonds pro- pres des banques est un troi- sième constat à observer. Dexia se targue, dans son rapport annuel, d’un ratio de fonds pro- pres de plus de 11 %, supérieur aux exigences les plus récentes du comité de Bâle (normes de «Bâle III»). Cela n’a pourtant pas empêché sa déconvenue, ce qui illustre non seulement la néces- sité d’imposer des normes de fonds propres plus ambitieuses, mais également de mettre en place une limite stricte à l’effet de levier des banques. Dans le cas de Dexia, ce dernier était en effet de 59, au 30 juin dernier: concrètement, ce chiffre signifie que, pour chaque euro de fonds propres, Dexia était engagé (en termes d’octrois de crédits, d’achats d’actions et d’obliga- tions) à hauteur de 59 euros. A titre de comparaison, les 26 plus grandes banques européennes ne sont actuellement «leviéri- sées» en moyenne qu’à hauteur de 22. En outre, entre 2009 et 2011, l’effet de levier de Dexia a augmenté (de 48 à 59), contrai- rement à celui de ses consœurs, qui a diminué... BANQUE CASINO 4. Le cas Dexia démontre éga- lement combien il est impératif d’instaurer au plus vite une séparation stricte des activi- tés de banque de détail — jouis- sant de la garantie publique — et des activités de banque dite d’in- vestissement — livrées à elles- mêmes. Le groupe Dexia s’est laissé entraîner, dans les années 2000, dans des activités de banque casino, afin de livrer à ses actionnaires (y compris les com- munes…) des rendements sur fonds propres autour de 20 %. Dans une économie de marché, de tels profits sont impossibles sans distorsion de marché et sans la garantie implicite des États de socialiser les pertes iné- luctables. NIVEAU EUROPÉEN 5. Enfin, l’improvisation qui accompagne le processus de restructuration de Dexia illustre la nécessité de mettre en place un régime ordonné de résolution de crises au niveau européen. Certes, la Commission euro- péenne a déposé, en juillet der- nier, un nouveau paquet de ré- formes visant à mieux réguler l’industrie bancaire. Cependant, les propositions avancées sont nettement insuffisantes, tant en matière d’exigences de fonds pro- pres que de ratios de liquidité. En outre, aucune mesure posant les prémices d’une séparation stricte des métiers bancaires n’est envi- sagée par la Commission. Les Verts s’emploieront dès lors à amender sensiblement la pro- position législative de la Commis- sion afin de renforcer au mieux la résilience du système bancaire européen aux crises futures. COUP DUR POUR LA BELGIQUE En termes de déficits publics, la nationalisation de Dexia Banque est un nouveau coup dur pour la Belgique. En outre, l’éventuelle exécution des garanties appor- tées à la banque résiduelle (près de 54 milliards d’euros) engen- drerait une forte dégradation des conditions de refinancement de l’État belge sur les marchés. Symbole de la faillite du capita- lisme financier belge, le cas Dexia offre néanmoins l’opportunité de tirer enfin les leçons du passé en amorçant une refonte radicale de l’industrie bancaire dans notre pays. Philippe Lamberts Député européen Ecolo, coprési- dent du parti Vert européen Le cas Dexia offre l’opportunité de tirer enfin les leçons du passé, pour une refonte radicale de l’activité bancaire en Belgique. D ans un marché concurrentiel, il n’est pas inhabituel que des entreprises mettent tout en œuvre pour rendre difficile la vie de leurs concurrents, avec le but final qu’ils disparaissent du marché. Cer- taines entreprises appliquent ce principe au pied de la lettre en poursuivant l’élimination de leurs concurrents par le biais d’une ac- tion en dissolution judiciaire. Cette dernière possibilité est plus que ja- maisd’actualité. Conformément à l’article 634 du Code des sociétés, lorsque l’actif net d’une société anonyme est ré- duit à un montant inférieur au ca- pital minium (61.500 EUR), tout intéressé peut demander, au tribu- nal de commerce, la dissolution de la société. Une règle similaire existe pour les SPRL et pour les so- ciétés coopératives à responsabi- lité limitée, où le seuil du capital minimal est toutefois fixé à 6.200 EUR. C’est une règle classique du droit des socié- tés, qui s’inscrit dans le cadre de la préservation du capital des sociétés à res- ponsabilité li- mitée. Le capi- tal est une sorte de garantie pour les créan- ciers, ce qui jus- tifie la respon- sabilité limitée. Si des pertes viennent affecter le capital (et donc la garantie des créanciers), il convient d’être vigi- lant. D’où la possibilité de la disso- lution judiciaire. L’action en dissolution judiciaire peut être introduite par tout «inté- ressé». On pense d’abord aux créanciers et actionnaires minori- taires. Une certaine controverse existait quant au point de savoir si un concurrent, qui ne serait pas un créancier, peut être qualifié d’«in- téressé» dans le sens de l’article 634 et pourrait donc demander disso- lution judiciaire. CONCURRENT INTÉRESSÉ Deux arrêts récents de la cour d’ap- pel de Bruxelles du 20 janvier 2009 et de la cour d’appel de Gand du 28 juin 2010 confirment la ten- dance qui s’est manifestée progres- sivement: un concurrent est bel et bien un «intéressé» au sens de l’ar- ticle 634. Dans le premier arrêt, une entreprise avait perdu deux clients qu’avait récupérés son concurrent, dont le capital était descendu en-dessous du capital minimum. La cour d’appel de Bruxelles est d’avis que le deman- deur dispose d’un intérêt à ce que son concurrent, qui agit en infra- ction des règles relatives aux pertes du capital et qui perturbe le mar- ché, respecte ces règles ou dispa- raisse du marché. Dans le deuxième arrêt, la cour d’appel de Gand va plus loin encore et semble même dire que le simple désir d’éli- miner un concurrent (en infra- ction) suffit pour démontrer son intérêt. Ce dernier arrêt divise la doctrine: certains suggèrent qu’une entreprise ne peut agir en dissolution judiciaire de son concurrent si elle ne démontre pas qu’elle est affecté directement ou indirectement par (la situation fi- nancière de) son concurrent qui ne respecte pas les règles du jeu. D’au- tres sont d’avis qu’on ne peut exiger de l’intéressé qu’il démontre avoir subi un préjudice, car cela revien- drait à ajouter un critère à la loi. En toute hypothèse, il convient de bien préparer son dossier. En effet, sans justifications concrètes, le fantôme de l’abus de droit s’ap- proche inévitablement. Il faut donc pouvoir justifier que l’intérêt est lé- gitime et que la dissolution judi- ciaire n’est pas, dans les circons- tances de l’espèce, disproportionnée par rapport à l’avantage recherché. Dans le cadre d’une procédure en dissolution judiciaire, le tribunal peut également, le cas échéant, ac- corder à la société dont l’actif net est réduit à un montant inférieur au capital minimum, un délai en vue de régulari- ser sa situation (et donc d’orga- niser une aug- mentation de capital). Ce dé- lai est régulière- ment accordé par les tribu- naux. Mais cela n’empêche pas qu’une assigna- tion en dissolu- tion judiciaire d’un concur- rent reste une arme efficace: la procédure oblige, au moins, le concurrent en défaut à rechercher et injecter du nouveau capital. De plus, en cas de régulari- sation en cours de la procédure, les frais (et l’indemnité) de procédure restent à charge du défendeur. Comparé à d’autres armes (par exemple l’assignation en faillite) la procédure en dissolution judiciaire est simple. En effet, le fait que l’actif net d’une société est réduit à un montant inférieur au capital mini- mum, est facile à établir. Il suffit de consulter les derniers comptes an- nuels sur le site web de la Banque nationale de Belgique. Finalement, on sera attentif au fait que beaucoup de sociétés – en réa- lité bien plus qu’on pourrait le pen- ser – se trouvent dans une situation où leur actif net est réduit à un montant inférieur au capital mini- mum. Une société nouvellement constituée avec un capital égal au capital minimum se retrouve – par exemple – déjà exposé au risque d’une dissolution judiciaire, dès que les moindre pertes sont actées (les frais de constitution suffisent). Il ne s’agit donc pas toujours de so- ciétés en difficulté ou qui sont éco- nomiquement non viables. Chaque société doit être consciente de l’importance de son capital et les risques liés aux pertes de capital. Même une perte mini- male suffit pour qu’une société puisse être impliquée dans une procédure judiciaire mettant en cause la survie même de l’entre- prise. A cela s’ajoute un régime spécifique de responsabilité des administra- teurs, voire des actionnaires, sur le- quel nous reviendrons dans une prochaine chronique. Eliminez vos concurrents en perte! Coin de l’expert Frederic Deltour Avocat, LMBD Prioux L’action en dissolution judiciaire peut être introduite par tout «intéressé». Participez au débat sur lecho.be/debats Le groupe Dexia est démantelé. L’État belge acquiert Dexia Banque Belgique pour 4 milliards d’euros. Avec la France et le Luxembourg, la Belgique apporte sa part de garantie — 60,5 % — à une «bad bank», banque de défai- sance, cotée en Bourse, regrou- pant quelque 90 milliards d’euros d’actifs douteux de l’ex-Dexia. Quelles leçons tirer du désastre, s’interroge le député écolo? Le management de Dexia n’a tiré aucune leçon de ses erreurs passées. © Bloomberg

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MARDI 11 OCTOBRE 2011 L’Echo 17

DÉBATS & OPINIONS

Ramener la financeà la raison

Le destin de Dexiaest désormaisscellé. Dans la nuitde dimanche àlundi, le conseild’administrationdu groupe ban-

caire a, en effet, marqué son ac-cord pour la reprise par l’Étatbelge de la totalité du capital deDexia Belgique, pour un montantde 4 milliards d’euros. En outre, laBelgique garantira, pour une du-rée de dix ans, le financement, àhauteur de 60,5 %, de la banquerésiduelle, dans laquelle serontlogés 90 milliards d’euros d’actifsrisqués de Dexia. Quant aux ga-ranties apportées par les gouver-nements français et luxembour-geois, ces dernières atteindrontrespectivement 36,5 et 3 %,conformément à une clé de répar-tition similaire à celle utilisée lorsdu premier plan de recapitalisa-tion du groupe.

AUCUNE LEÇON N’A ÉTÉ TIRÉEIl va sans dire que le précédent de

2008 n’aurait pas dû se répéter.En dépit des trois années écou-lées, le management de Dexia n’acependant tiré aucune leçon deses erreurs passées. En effet, rienn’a, semble-t-il, été mis en placepour réduire sensiblement l’expo-sition du groupe aux actifs àrisque. La responsabilité de la di-rection de Dexia est dès lors enga-gée. En particulier, Jean-Luc De-haene — lequel est, commelégislateur européen et présidentdu conseil d’administration deDexia, dans une situation évi-dente de conflit d’intérêts — n’aété en mesure ni de rétablir lasanté financière de Dexia ni d’em-pêcher que les dépôts belges necontinuent à financer une banque«d’investissement» française.L’État Belge ne peut dès lors pluslui maintenir sa confiance pourdéfendre l’intérêt général de nosconcitoyens.

Au-delà de ces considérationsimmédiates, les déboires de Dexiadoivent inciter les législateurs eu-ropéen et belge à prendre des me-

sures ambitieuses sur cinq pointsprincipaux.

TESTS DE RÉSISTANCE

11.. Le premier point concerne lanécessité d’améliorer la qua-

lité des tests de résistance desbanques européennes. Le dernieren date — réalisé en juillet 2011 —a, en effet, fait l’impasse sur lerisque lié aux dettes souveraines,ce qui, dans le contexte actuel, re-lève au mieux d’un aveuglementnaïf. La réalité montre que c’estprécisément ce risque qui aamené Dexia au bord du gouffre.

Les leçons devront en être tiréespour les tests de résistance futurs.Afin de rétablir la confiance descitoyens — qu’ils soient clients,contribuables ou investisseurs —ces derniers devront soumettreles bilans des banques à desépreuves reflétant mieux la réa-lité.

RÈGLES DE LIQUIDITÉ

22.. Deuxième leçon à tirer dela chute de Dexia: il est

essentiel que le législateur euro-péen adopte des règles de liqui-dité strictes afin d’empêcher queles banques ne financent desprêts à long terme essentielle-ment par des emprunts à courtterme sur les marchés interban-caires. C’est, en effet, ce modèlequi a fait de Dexia un géant auxpieds d’argile.

FONDS PROPRES

33.. L’urgence d’accroître sen-siblement les fonds pro-

pres des banques est un troi-sième constat à observer. Dexia

se targue, dans son rapportannuel, d’un ratio de fonds pro-pres de plus de 11 %, supérieuraux exigences les plus récentesdu comité de Bâle (normes de«Bâle III»). Cela n’a pourtant pasempêché sa déconvenue, ce quiillustre non seulement la néces-sité d’imposer des normes defonds propres plus ambitieuses,mais également de mettre enplace une limite stricte à l’effetde levier des banques. Dans lecas de Dexia, ce dernier était eneffet de 59, au 30 juin dernier:concrètement, ce chiffre signifie

que, pour chaque euro de fondspropres, Dexia était engagé (entermes d’octrois de crédits,d’achats d’actions et d’obliga-tions) à hauteur de 59 euros. Atitre de comparaison, les 26 plusgrandes banques européennesne sont actuellement «leviéri-sées» en moyenne qu’à hauteurde 22. En outre, entre 2009et 2011, l’effet de levier de Dexia aaugmenté (de 48 à 59), contrai-rement à celui de ses consœurs,qui a diminué...

BANQUE CASINO

44.. Le cas Dexia démontre éga-lement combien il est

impératif d’instaurer au plus viteune séparation stricte des activi-tés de banque de détail — jouis-sant de la garantie publique — etdes activités de banque dite d’in-vestissement — livrées à elles-mêmes. Le groupe Dexia s’estlaissé entraîner, dans les années2000, dans des activités debanque casino, afin de livrer à sesactionnaires (y compris les com-

munes…) des rendements surfonds propres autour de 20 %.Dans une économie de marché,de tels profits sont impossiblessans distorsion de marché etsans la garantie implicite desÉtats de socialiser les pertes iné-luctables.

NIVEAU EUROPÉEN

55.. Enfin, l’improvisation quiaccompagne le processus

de restructuration de Dexiaillustre la nécessité de mettre enplace un régime ordonné derésolution de crises au niveau

européen.Certes, la Commission euro-

péenne a déposé, en juillet der-nier, un nouveau paquet de ré-formes visant à mieux régulerl’industrie bancaire. Cependant,les propositions avancées sontnettement insuffisantes, tant enmatière d’exigences de fonds pro-pres que de ratios de liquidité. Enoutre, aucune mesure posant lesprémices d’une séparation strictedes métiers bancaires n’est envi-sagée par la Commission.

Les Verts s’emploieront dès lorsà amender sensiblement la pro-position législative de la Commis-sion afin de renforcer au mieux larésilience du système bancaireeuropéen aux crises futures.

COUP DUR POUR LA BELGIQUEEn termes de déficits publics, lanationalisation de Dexia Banqueest un nouveau coup dur pour laBelgique. En outre, l’éventuelleexécution des garanties appor-tées à la banque résiduelle (prèsde 54 milliards d’euros) engen-drerait une forte dégradation desconditions de refinancement del’État belge sur les marchés.

Symbole de la faillite du capita-lisme financier belge, le cas Dexiaoffre néanmoins l’opportunité detirer enfin les leçons du passé enamorçant une refonte radicale del’industrie bancaire dans notrepays. "

Philippe Lamberts

Député européen Ecolo, coprési-dent du parti Vert européen

Le cas Dexia offre l’opportunitéde tirer enfin les leçons du passé,pour une refonte radicale de l’activitébancaire en Belgique.

Dans un marché concurrentiel,il n’est pas inhabituel que des

entreprisesmettenttoutenœuvrepour rendre difficile la vie de leursconcurrents, avec le but final qu’ilsdisparaissent du marché. Cer-taines entreprises appliquent ceprincipe au pied de la lettre enpoursuivant l’élimination de leursconcurrents par le biais d’une ac-tionendissolutionjudiciaire.Cettedernièrepossibilitéestplusqueja-mais d’actualité.Conformément à l’article 634 duCode des sociétés, lorsque l’actifnet d’une société anonyme est ré-duit à un montant inférieur au ca-pital minium (61.500 EUR), toutintéressépeutdemander,autribu-nal de commerce, la dissolution dela société. Une règle similaireexistepourlesSPRLetpourlesso-ciétés coopératives à responsabi-lité limitée, où le seuil du capitalminimal est toutefois fixé à 6.200EUR.C’est une règleclassique dudroit des socié-tés, qui s’inscritdanslecadredela préservationdu capital dessociétés à res-ponsabilité li-mitée. Le capi-talestunesortede garantiepour les créan-ciers,cequijus-tifie la respon-sabilité limitée.Si des pertes viennent affecter lecapital (et donc la garantie descréanciers), il convient d’être vigi-lant. D’où la possibilité de la disso-lution judiciaire.L’action en dissolution judiciairepeutêtreintroduitepartout«inté-ressé». On pense d’abord auxcréanciers et actionnaires minori-taires. Une certaine controverseexistait quant au point de savoir siun concurrent, qui ne serait pas uncréancier, peut être qualifié d’«in-téressé»danslesensdel’article634et pourrait donc demander disso-lution judiciaire.

CONCURRENT INTÉRESSÉDeuxarrêtsrécentsdelacourd’ap-peldeBruxellesdu20janvier2009et de la cour d’appel de Gand du28 juin 2010 confirment la ten-dancequis’estmanifestéeprogres-sivement: un concurrent est bel etbien un «intéressé» au sens de l’ar-ticle 634. Dans le premier arrêt,une entreprise avait perdu deuxclients qu’avait récupérés sonconcurrent, dont le capital étaitdescendu en-dessous du capitalminimum. La cour d’appel deBruxelles est d’avis que le deman-deur dispose d’un intérêt à ce queson concurrent, qui agit en infra-ctiondesrèglesrelativesauxpertesdu capital et qui perturbe le mar-ché, respecte ces règles ou dispa-raisse du marché. Dans ledeuxième arrêt, la cour d’appel deGand va plus loin encore et semblemêmedirequelesimpledésird’éli-miner un concurrent (en infra-ction) suffit pour démontrer sonintérêt. Ce dernier arrêt divise ladoctrine: certains suggèrentqu’une entreprise ne peut agir endissolution judiciaire de son

concurrentsiellenedémontrepasqu’elle est affecté directement ouindirectement par (la situation fi-nancièrede)sonconcurrentquinerespectepaslesrèglesdujeu.D’au-tressontd’avisqu’onnepeutexigerde l’intéressé qu’il démontre avoirsubi un préjudice, car cela revien-drait à ajouter un critère à la loi.En toute hypothèse, il convient debienpréparersondossier.Eneffet,sans justifications concrètes, lefantôme de l’abus de droit s’ap-procheinévitablement.Ilfautdoncpouvoirjustifierquel’intérêtestlé-gitime et que la dissolution judi-ciaire n’est pas, dans les circons-tances de l’espèce,disproportionnée par rapport àl’avantage recherché.Dans le cadre d’une procédure endissolution judiciaire, le tribunalpeut également, le cas échéant, ac-corder à la société dont l’actif netest réduit à un montant inférieurau capital minimum, un délai en

vue de régulari-ser sa situation(et donc d’orga-niser une aug-mentation decapital). Ce dé-laiestrégulière-ment accordépar les tribu-naux. Mais celan’empêche pasqu’une assigna-tion en dissolu-tion judiciaired’un concur-rent reste une

arme efficace: la procédure oblige,aumoins,leconcurrentendéfautàrechercher et injecter du nouveaucapital. De plus, en cas de régulari-sationencoursdelaprocédure,lesfrais (et l’indemnité) de procédurerestent à charge du défendeur.Comparé à d’autres armes (parexemple l’assignation en faillite) laprocédureendissolutionjudiciaireestsimple.Eneffet,lefaitquel’actifnet d’une société est réduit à unmontant inférieur au capital mini-mum, est facile à établir. Il suffit deconsulterlesdernierscomptesan-nuels sur le site web de la Banquenationale de Belgique.Finalement,onseraattentifaufaitque beaucoup de sociétés – en réa-litébienplusqu’onpourraitlepen-ser–setrouventdansunesituationoù leur actif net est réduit à unmontant inférieur au capital mini-mum. Une société nouvellementconstituée avec un capital égal aucapital minimum se retrouve – parexemple – déjà exposé au risqued’une dissolution judiciaire, dèsque les moindre pertes sont actées(lesfraisdeconstitutionsuffisent).Il ne s’agit donc pas toujours de so-ciétés en difficulté ou qui sont éco-nomiquement non viables.Chaque société doit êtreconsciente de l’importance de soncapitaletlesrisquesliésauxpertesde capital. Même une perte mini-male suffit pour qu’une sociétépuisse être impliquée dans uneprocédure judiciaire mettant encause la survie même de l’entre-prise.Acelas’ajouteunrégimespécifiquede responsabilité des administra-teurs,voiredesactionnaires,surle-quel nous reviendrons dans uneprochaine chronique. "

Eliminezvos concurrentsen perte!

Coin de l’expert

Frederic Deltour

Avocat, LMBD Prioux

L’action endissolutionjudiciaire peut êtreintroduite par tout«intéressé».

Participez au débatsur lecho.be/debats

Le groupe Dexia est démantelé.

L’État belge acquiert Dexia

Banque Belgique pour 4 milliards

d’euros. Avec la France et le

Luxembourg, la Belgique apporte

sa part de garantie — 60,5 % — à

une «bad bank», banque de défai-

sance, cotée en Bourse, regrou-

pant quelque 90 milliards d’euros

d’actifs douteux de l’ex-Dexia.

Quelles leçons tirer du désastre,

s’interroge le député écolo?

Le management deDexia n’a tiré aucuneleçon de ses erreurspassées.

© Bloomberg