Caroline Quine Alice Roy 09 IB Alice Et Le Chandelier 1933

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ALICEet le chandelier

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CAROLINE QUINE

ALICEet le chandelier

TEXTE FRANÇAIS D'HÉLÈNE COMMIN

ILLUSTRATIONS D'ALBERT CHAZELLE

HACHETTE

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TABLE DES MATIÈRES

I. Un mystérieux vieillard 9II. Premières difficultés 17

III. Une querelle de famille 25IV. Une étrange histoire 34V. La cassette 41

VI. Une mission importante 50VII. La poursuite 56

VIII. Indiscrétion 63IX. Amies ou ennemies? 72X. Une triste nouvelle 81

XI. Un testament surprenant 89XII. Alice fait une découverte 101

XIII. Les suspects s'enfuient 109XIV. Une rencontre imprévue 117XV. Le secret du chandelier 125

XVI. Le piège 133XVII. Sous les verrous 142

XVIII. Lueur dans l'ombre 150XIX. Une dangereuse escalade 156XX. Tout s'éclaire 165

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CHAPITRE PREMIER

UN MYSTÉRIEUX VIEILLARD

OH ! ALICE, on dirait un ouragan ! Le vent va nous emporter! s'écria Bess Taylor, l'air inquiet.

— Nous allons essayer de poursuivre notre route, dit Alice à la jeune fille assise à côté d'elle dans la voiture.

— Tu as raison, approuva Marion Webb. Un arbre pourrait s'abattre sur nous. Je parie que le vent souffle à plus de cent cinquante kilomètres à l'heure !

— Aucune affaire, aussi mystérieuse soit-elle, ne vaut la peine que nous courions un tel risque », répondit Bess en frissonnant.

Les trois amies se rendaient aux Bougies-Torses, une auberge isolée où vivait un vieil homme, parent des Taylor et des Webb. Des amis de ces derniers avaient surpris une conversation un soir

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qu'ils dînaient à l'auberge. D'après certaines rumeurs, l'homme était retenu prisonnier dans la tour de la vieille maison.

Bess et Marion ne connaissaient pas l'endroit et elles avaient demandé à Alice de les accompagner afin de savoir si les bruits qui couraient étaient fondés. S'il y avait quelque chose de louche, Alice — que ses amies appelaient affectueusement « notre détective » — n'aurait aucun mal à éclaircir le mystère.

Les trois amies avaient décidé que les occupants de l'auberge ignoreraient tout de leur mission.

« L'homme que nous allons voir, est bien votre grand-oncle ? demanda Alice.

— Oui, répondit Marion. Il s'appelle Abel Sidney, et l'auberge lui appartient. Mais, il y a deux ans, il en a confié la direction aux époux J animes. »

Les arbres et les buissons se courbaient sous le vent qui s'était brusquement levé et poussait à présent de longs sifflements aigus. Il venait fouetter la voiture avec force dans un tourbillon de poussière et de feuilles.

« Oh ! s'écria soudain Bess. Regardez ! »A peu de distance de la voiture, un immense orme s'était mis à

osciller dangereusement. Alice eut à peine le temps de freiner : l'arbre s'abattit en travers de la route avec un craquement sinistre.

Pendant quelques instants, les trois amies restèrent clouées sur leurs sièges. Ce fut Bess qui parla la première :

« II ne nous reste plus qu'à faire demi-tour et à rentrer chez nous.— Ne dis pas de bêtises ! répliqua Marion. L'auberge n'est pas

loin, je l'aperçois d'ici ; nous pouvons y aller à pied. »Alice rangea la voiture le long de l'arbre afin de la mettre à l'abri

de la tempête. Au moment où les jeunes filles sortaient du cabriolet, une rafale de vent leur ébouriffa les cheveux et leur cingla le visage.

Les yeux mi-clos et se protégeant de leurs bras, elles se dirigèrent vers l'auberge après avoir contourné l'arbre. Elles avançaient avec lenteur, mais elles parvinrent enfin à la vaste pelouse qui s'étendait devant l'auberge. Plusieurs voitures étaient garées sur l'allée en forme de demi-cercle faisant suite à la route qu'elles venaient d'emprunter. L'auberge était une vaste bâtisse dont le corps central, sorte de haute tour au toit plat, comprenait deux étages et était flanqué de deux ailes plus basses, au toit également plat.

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Une pâle lumière brillait au rez-de-chaussée et, au sommet de la tour, la flamme vive d'une bougie placée derrière les vitres d'une fenêtre semblait attendre les voyageurs. Hors d'haleine, Alice et ses amies escaladèrent les marches du perron et se retrouvèrent sous le porche au moment précis où la pluie se mettait à tomber.

Marion regarda les voitures et fit observer avec un sourire forcé : « Je me demande ce que leurs propriétaires diront quand ils verront cet arbre en travers de la route.

— Ils seront furieux », prophétisa Bess. Et elle ajouta en passant les doigts dans la masse de ses cheveux blonds : « Je dois être horrible.

— On le serait à moins, répondit Marion. N'oublie pas que nous venons d'échapper à un voyage dans l'espace ! »

Alice passa la première et ouvrit la porte. Les jeunes filles entrèrent. Devant elles s'étendait un long vestibule éclairé par des candélabres électriques accrochés aux murs. Les ampoules disposées sur ces candélabres étaient de forme étrange, curieusement contournées à la manière de colonnes torses. A droite et à gauche, de larges baies en plein cintre s'ouvraient sur des salles aux proportions imposantes et dans lesquelles étaient alignées de petites tables. Sur chacune d'entre elles était posée une lampe de forme étrange, elle aussi.

Quand les jeunes filles entrèrent, quelques couples levèrent vers elles des visages intrigués, puis, leur curiosité satisfaite, s'absorbèrent à nouveau dans la contemplation de leur assiette.

Au fond du vestibule, une porte s'ouvrit. Une femme parut, vêtue de noir et portant un tablier blanc orné d'un volant. Elle se dirigea vers les visiteuses.

« Bonjour, madame, dit Alice. Pourriez-vous nous servir du thé et quelques tartines ? Nous voudrions attendre la fin de l'orage pour repartir. »

La femme, une personne grande et sèche, aux lèvres minces hocha la tête.

« Installez-vous où vous voudrez, dit-elle.— Y aurait-il un endroit où nous pourrions faire un brin de

toilette et nous donner un coup de peigne ? demanda Alice.— Nous avons des chambres au premier étage, répondit la

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femme. Celle qui est au fond du couloir est inoccupée. Vous pouvez y aller. »

Les jeunes filles gravirent un escalier dont les marches grincèrent sous leurs pas. Elles trouvèrent la chambre et y pénétrèrent, Alice et ses amies commencèrent aussitôt à se recoiffer et à remettre un peu d'ordre dans leur tenue. C'est alors qu'une voix d'homme retentit soudain sur le palier :

« Où vas-tu avec ce plateau, petite misérable ? »Alice, à l'affût du moindre indice, se tourna vers ses compagnes,

un doigt posé sur les lèvres. On entendit une voix répondre, mais c'est à peine si Alice put comprendre ces mots couverts par les sifflements du vent :

«... C'est son anniversaire... Il a cent ans aujourd'hui... Aussi je pensais que...

- Eh bien, moi, ça m'est égal ! s'écria l'homme. Remporte ce plateau à la cuisine. J'ai trois clientes qui viennent d'arriver» Descends les servir et dépêche-toi !

— Mais... c'est son anniv... protesta la jeune fille.

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— Tais-toi ! Je lui monterai quelque chose plus tard. »Un bruit de verre brisé fit sursauter Alice et ses amies. Elles

comprirent que le vent avait enfoncé les fenêtres du rez-de-chaussée. Des pas précipités retentirent dans l'escalier : l'homme tenait sans doute à aller constater les dégâts et à rassurer ses clients.

Alors la porte de la chambre dans laquelle se trouvaient les voyageuses grinça sur ses gonds et s'ouvrit avec lenteur. Alice la regardait, fascinée. Enfin apparut la mince silhouette d'une jeune fille d'environ seize ans. Elle semblait terrifiée, mais cette frayeur était-elle due à l'orage, ou bien à la scène qui s'était déroulée sur le palier quelques instants plus tôt ? Comme l'hôtesse qui avait accueilli les trois amies, la jeune fille portait une robe noire et un tablier blanc. Ses doigts étaient crispés sur les bords d'un plateau. Un bouquet de fleurs et plusieurs assiettes semblaient en grand danger de glisser sur le plancher.

« Attendez, je vais vous aider ! s'écria Alice.— Mais qui... ? »La nouvelle venue poussa un petit cri d'effroi, et on la vit

chanceler. Alice rattrapa le plateau au vol et, du même mouvement, le passa à Bess, éberluée. Puis, voyant la jeune fille toute tremblante, elle la prit par la taille et l'entraîna gentiment vers le lit.

« Ne vous tourmentez plus, dit-elle. Le vent se calme. Il n'y a plus rien à craindre. »

La jeune fille se laissa glisser sur le lit.« Plus rien à craindre ? » répéta-t-elle dans un murmure.

Soudain, elle se releva d'un bond. « Mon Dieu, où ai-je la tête ? s'écria-t-elle. II... il faut que je m'en aille... Il le faut absolument... Les bougies torses...

— Les bougies torses ? répéta Alice.— Oui... Il commence à faire nuit et il faut que je l'aide à les

allumer. »Les trois amies échangèrent des regards intrigués, puis Alice

demanda :« Qui devez-vous aider ? L'homme qui était dans le couloir ?— Oh ! non ! Celui qui vit dans la tour. C'est un vieil homme

charmant et... » La jeune fille s'interrompit, et son regard se perdit dans le vague. Au bout d'un instant, elle reprit : « Je vais descendre vous préparer à dîner. » Elle eut un instant d'hésitation comme

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si elle allait ajouter quelque chose, mais elle demeura silencieuse.

« Je m'appelle Alice Roy, dit Alice comme pour l'encourager. Et voici Bess Taylor et Marion Webb. » Elle prononça rapidement les noms de ses amies afin que la jeune fille ne se les rappelât point.

« Mon nom est Peggy, Peggy Bell, répondit la serveuse. II... faut que j'obéisse aux ordres qu'on m'a donnés. Je n'ai pas le droit de flâner, sinon...

- Sinon quoi... ? demanda Alice. Avec ce qui vient de se passer, personne ne remarquera votre absence.

- L'homme qui habite la tour doit avoir faim, intervint Marion. Vous devriez lui monter ce plateau.

— Je le voudrais bien, mais je n'ose pas, répondit Peggy, les yeux pleins d'effroi. On me l'a défendu... »

Alice vit là une excellente occasion de commencer ses recherches : Elle pourrait monter le plateau elle-même.

« Ce serait trop bête de... gaspiller cette nourriture, dit-elle. Et puisqu'elle est destinée à M... ?

— A M. Sidney, répondit Peggy. C'est lui le propriétaire des Bougies-Torses, mais il habite tout seul dans la tour. Il a cent ans aujourd'hui, et c'est pour fêter son anniversaire que je lui ai préparé quelques douceurs.

— Je voudrais bien voir ce vieillard, dit Alice en souriant. Je pense que l'on a droit à quelques gâteries le jour de ses cent ans !

— M. Jammes trouve que j'ai choisi des choses trop chères, reprit Peggy. Vous comprenez, M. Sidney a abandonné la jouissance de sa propriété à Frank et Clara Jammes, mes parents adoptifs, en échange de sa nourriture et de son entretien... Mais je ne sais vraiment pas pourquoi je vous raconte tout cela, mesdemoiselles...

- Ecoutez-moi, dit Alice d'un ton ferme, je paierai ce qu'il y a sur ce plateau et c'est moi qui vais le monter dans la tour. Je servirai moi-même M. Sidney.

- Oh ! mademoiselle, vous feriez vraiment cela ? » s'écria Peggy, les yeux brillants de joie.

A ce moment une voix tonitruante monta du rez-de-chaussée : « Peggy ! Où es-tu ?

— Mon Dieu, il faut que je descende ! » s'exclama la«jeune fille en se précipitant vers la porte.

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Quand elle eut disparu, Bess s'approcha d'Alice et, d'un geste affectueux, la prit par les épaules.

« Ma chère Alice, voici que tu vas encore te mettre en quatre pour quelqu'un qui, après tout, ne t'est rien.

— En tout cas, tu n'as pas perdu de temps, observa Marion. Moi aussi je voudrais bien voir M. Sidney. Mais si nous y allons toutes les trois, cela pourrait donner des soupçons à M. Jammes.

— C'est juste, dit Bess. Alice, tu devrais y aller toute seule.— Entendu. Mais je m'arrangerai pour que vous puissiez me

rejoindre. »Bess et Marion déclarèrent qu'elles partageraient les frais du

repas de M. Sidney et descendirent à la salle à manger.Alice prit le plateau et commença à gravir les marches qui

menaient au sommet de la tour. L'escalier était sombre et silencieux. Dehors, le vent soufflait et agitait les branches des arbres qui dessinaient sur le mur des ombres aux formes étranges.

« Quel cadre rêvé pour un beau mystère, se disait Alice. Mais en attendant, je vais avoir un problème à résoudre : comment frapperai-je à la porte sans pour cela lâcher mon plateau ? Il est si lourd qu'il me faut absolument le tenir des deux mains ! »

Quand la jeune fille atteignit le haut de l'escalier, elle se trouva devant une porte de chêne. Elle était fermée et, bien qu'un peu de lumière filtrât dessous, on n'entendait aucun bruit.

« Je vais donner un coup de pied dans la porte », se dit Alice. Elle s'appuya contre le chambranle et, du bout de sa chaussure heurta légèrement le battant. A sa surprise, celui-ci, mal refermé sans doute, pivota sur ses gonds avec lenteur.

Le regard d'Alice découvrit alors un spectacle étrange. C'était une chambre comme elle n'en avait encore jamais vu. Mansardée, mais spacieuse, ses murs étaient garnis de dizaines de chandeliers portant des bougies dont la flamme vacillait dans le courant d'air venu de la porte ouverte. M. Sidney, de toute évidence, n'avait pas attendu Peggy pour les allumer !

L'atmosphère était étouffante. Il y flottait une lourde odeur de suif chaud. A l'autre extrémité de la pièce se trouvait la grande fenêtre cintrée qu'elle avait remarquée en s'approchant de la maison. Là, sur

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une table, Alice vit cette énorme bougie torse dont la lueur brillait jusqu'au dehors comme un fanal.

Tout à coup, la silhouette décharnée d'un très vieil homme surgit d'un fauteuil placé devant la fenêtre. A la lumière des bougies, Alice crut voir le Temps sous les traits d'un vieillard aux longs cheveux d'argent. Leur masse retombait sur les épaules courbées, puis rejoignait la barbe neigeuse étalée sur la poitrine. Sous les sourcils en broussailles, le regard était vif, d'une jeunesse surprenante. Séparés par un nez puissant, en bec d'aigle, les yeux étincelaient, fixés sur Alice.

« Bonsoir, monsieur, dit la jeune fille. Je vous apporte le dîner que Peggy vous a préparé en l'honneur de votre anniversaire. »

Alice vit alors le vieillard tendre vers elle ses bras amaigris. Puis, d'une voix rauque, haletante, il s'écria :

« Jeannette, ma Jeannette ! Tu es enfin revenue ! »

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CHAPITRE II

PREMIÈRES DIFFICULTÉS

ALICE considéra le vieillard avec surprise. Elle se demandait qui pouvait bien être cette Jeannette à laquelle il croyait s'adresser.

« Je crains qu'il n'y ait un malentendu, dit-elle en souriant. Je m'appelle Alice, Alice Roy, et c'est la première fois que je viens ici... Mon Dieu, comme cela est étrange ! »

Déposant son plateau sur une chaise, elle regarda fixement une toile accrochée au mur. C'était le portrait d'une jeune femme blonde qui ressemblait quelque peu à Alice. Celle-ci n'eut aucune peine à comprendre comment le vieillard avait cru voir, à la lueur vacillante des bougies, la jeune femme du portrait s'avancer vers lui.

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« J'ai dû rêver », murmura Abel Sidney, laissant retomber ses bras. Et il ajouta, en branlant sa tête chenue : « N'est-ce pas là tout ce qu'il nous reste, à nous autres vieillards ? Ah ! comme nous serions pauvres, en vérité, si nous n'avions pas nos rêves. »

Alice se taisait, ne sachant quelle réponse M. Sidney attendait d'elle, à supposer qu'il attendît encore quelque chose...

« Cependant, reprit le vieil Abel avec un sourire, je crois qu'il me faudra songer à acheter une paire de lunettes. Vous faisiez une très jolie apparition en entrant ici, et dans mon demi-sommeil, j'ai bien cru que ma chère femme, Jeannette, était descendue de son portrait. Si, à présent, je ne suis plus capable de distinguer une charmante jeune fille bien vivante d'un morceau de vieille toile recouvert de peinture, il est grand temps que j'aille consulter un oculiste.

- Puis-je me permettre de vous présenter mes félicitations à l'occasion de votre anniversaire ? » dit Alice.

Abel eut un petit rire amer.« Pardonnez-moi, mon enfant, répondit-il, mais vous dirai-je qu'à la

vérité je ne m'en soucie guère. » Et, se rasseyant, il continua : « Je ne suis qu'un vieil ermite désabusé et grincheux. Mon anniversaire n'a aucune importance pour personne. Peggy est une bonne petite fille et il faut vraiment qu'elle soit pleine d'égards pour avoir ainsi retenu une simple date qui ne signifie plus rien pour moi ni pour quiconque.

- Mais enfin, devenir centenaire, c'est tout de même quelque chose ! s'exclama Alice. Votre nom devrait être dans les journaux, et votre photographie aussi !

- Certainement pas, se récria le vieillard. Ce serait témoigner d'une vanité parfaitement déplacée. A quoi rimerait cette publicité ? Pourquoi m'honorerait-on pour ce qui n'est en somme qu'un accident ? Je n'ai nullement cherché à vivre plus longtemps que les autres. J'ai lu bien des articles à ce sujet dans les journaux... Les reporters demandent toujours aux centenaires comment ils ont fait pour vivre aussi vieux. Vous avez alors un vieil imbécile qui prétend qu'il lui a suffi de ne jamais manger de viande, tandis qu'à mille kilomètres de là, un autre nigaud vous dira que s'il est devenu centenaire, c'est précisément parce qu'il n'a jamais mangé que de la viande ! Non, vraiment, croyez-moi, si l'on arrive à cent ans, c'est tout simplement parce que l'on n'a pas eu la chance de mourir avant. »

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Alice ne put réprimer un frisson. M. Sidney était certainement bien malheureux pour parler ainsi.

« II y a pourtant des gens qui viennent vous voir, avança-t-elle.— Non, répondit le vieil homme. Personne ne me rend jamais

visite. »Alice savait que cela n'était pas tout à fait vrai. « En êtes-vous

certain ? demanda-t-elle.— Tout à fait. Ce sont les Jammes qui me l'ont dit. » La jeune

détective n'insista pas.« Eh bien, moi, déclara Alice d'un ton assuré, j'aimerais célébrer

votre anniversaire ! J'ai deux amies qui m'attendent en bas. Elles sont très gentilles. Me permettriez-vous d'aller les chercher ? Nous pourrions goûter ici avec vous et fêter votre anniversaire tous ensemble. Nous demanderions à Peggy de monter aussi...

— Quoi ? Que dites-vous ? fit le vieillard avec brusquerie. Mais d'abord, qui êtes-vous ? Répétez-moi votre nom.

— Je m'appelle Alice Roy, répondit la jeune fille, je suis la fille de James Roy, l'avoué.

— Tiens, tiens, votre père est avoué», reprit M. Sidney. Il demeura silencieux quelques instants puis déclara : « Allons, faites monter vos amies, je vous en prie, et dites à Jammes de nous servir ce qu'il a de meilleur.

— Vous êtes très gentil, monsieur, dit Alice, mais cela ne sera pas nécessaire. J'ai apporté ceci. » Et elle désigna le plateau.

La jeune fille se hâta de descendre au rez-de-chaussée où elle trouva ses amies qui l'attendaient assises à une table, devant une théière fumante.

« Te voilà enfin, s'écria Bess. Depuis le temps que je me morfonds ici avec toutes ces bonnes choses qui me mettent l'eau à la bouche... Tiens, regarde ! »

Bess découvrit un grand plat creux garni de toasts beurrés et de brioches parfumées.

« Attends encore un peu, dit Alice. Et remets le couvercle sur le plat !

— Comment, tu n'es pas prête ? protesta Bess d'une voix gémissante. Tu veux donc me faire mourir de faim ?

— Nous allons dîner dans la tour, annonça Alice. Mais il faut

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d'abord que je téléphone à la maison. Je vais dire à Sarah de prévenir vos parents. » Elle agita une petite cloche qui se trouvait sur la table, et Peggy accourut.

« Nous dînons toutes les quatre chez M. Sidney, déclara Alice. C'est lui qui nous a invitées.

— Oh ! s'écria la serveuse. Je crains que... »Alice prit la main de la jeune fille tout en se disant que M.

Jammes devait être une personne terrible pour que tout le monde tremblât ainsi devant lui.

« Voulez-vous prier M. Jammes de venir nous voir ? » demanda-t-elle à Peggy.

L'aubergiste était un homme grand, massif et presque chauve. Il s'arrêta devant la table des trois jeunes filles et fit un profond salut.

« Vous désirez, mesdemoiselles ? demanda-t-il d'un ton obséquieux.

— Nous avons décidé de faire un repas plus substantiel, dit Alice. Mais naturellement, nous paierons ce goûter que nous vous avions d'abord commandé. »

L'homme s'inclina plus bas encore tandis qu'Alice poursuivait :« Nous prendrons un consommé, du blanc de poulet, des cœurs

de laitue, du roquefort avec du beurre, du gâteau au chocolat et des jus de fruits. »

Alice énumérait ainsi les différents mets qu'elle avait remarqués sur le plateau destiné à M. Sidney.

« Ce menu me semble excellent », murmura Bess. Quant à Marion elle approuva d'un signe de tête.

« Je vais vous faire servir tout de suite, mademoiselle, dit l'homme en saluant de nouveau.

— Un instant, s'il vous plaît. Nous désirons prendre ce repas dans la chambre de la tour, et je vous serais très obligée d'autoriser Peggy à se joindre à nous. »

A ces mots, l'homme eut un sursaut, et son sourire disparut comme par enchantement.

« Qu'est-ce que cela signifie ? s'écria-t-il. Et qui vous a parlé de la tour ? Pourquoi voulez-vous... et puis d'abord qui êtes-vous ?

— Cela n'a aucune importance, répondit Alice avec un sourire. Nous désirons fêter l'anniversaire de M. Sidney qui, de son côté, nous

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a priées de dîner avec lui. Je suis néanmoins disposée à payer largement ce repas ainsi que le plateau garni qui se trouve déjà là-haut.»

L'assurance de la jeune fille parut en imposer à l'homme qui se retira sans un mot.

Marion adressa un sourire amusé à Alice :« II s'attendait à tout sauf à ça !»Alice se mit à rire, puis, revenant à des choses plus sérieuses,

elle déclara :« II faut que je téléphone à Sarah. Ensuite, nous irons à la tour et

je vous présenterai à M. Sidney. »Mais la ligne étant occupée, Alice entraîna ses amies vers

l'escalier. A cet instant, Peggy vint à leur rencontre.« Comment avez-vous réussi à persuader M. Jammes de

m'autoriser à vous accompagner ? demanda-t-elle d'une voix timide. Il est furieux, mais il tient à garder sa clientèle... surtout quand elle paie largement !

— Je suis très flattée qu'il me considère comme une cliente de marque », répondit Alice, amusée.

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Tout en montant l'escalier de la tour, Alice réfléchissait. Peggy n'était évidemment pas heureuse. Serait-elle maltraitée par les Jammes sous prétexte qu'elle était leur fille adoptive ? Et puis que signifiait cette curieuse entente entre la pauvre enfant et le mystérieux vieillard de la tour ?

Alice n'était encore parvenue à aucune conclusion lorsqu'elle frappa à la porte d'Abel Sidney. En voyant l'étrange silhouette du reclus, Bess et Marion ne purent réprimer un sursaut.

« Je crains que cette vieille tour ne vous paraisse fort mal préparée à recevoir une visite aussi charmante que la vôtre, déclara M. Sidney avec une courtoisie d'une autre époque. Mais tel quel, mon logis est à votre disposition. »

Etonnées, Bess et Marion regardaient les bougies torses qui brillaient partout dans la pièce. Le long d'un mur se trouvait un large divan qui devait manifestement servir de lit au vieillard. Sur l'autre mur, étaient fixés des brevets d'invention qu'Abel Sidney avait fait encadrer. L'un des côtés de la pièce était presque entièrement occupé par un sorte de foyer à charbon de bois comparable à un petit feu de forge, et par un établi sur lequel on pouvait voir des marmites, des chaudrons, des bassines, des barres de suif et de cire d'abeille, ainsi que des moules à bougies.

Alice se contenta de présenter ses amies par leurs prénoms et, par bonheur, M. Sidney ne leur demanda pas leurs noms de famille.

Bess et Marion se taisaient, impressionnées par l'atmosphère étrange qui régnait dans la pièce et par le spectacle saisissant que leur donnait le vieillard. Celui-ci s'affairait à travers la pièce, grommelant et fulminant contre sa maladresse et la lenteur de ses préparatifs. La lumière des bougies qui jouait dans la masse de ses cheveux d'argent, le nimbait d'une auréole éblouissante.

« Mon Dieu, j'allais oublier de téléphoner ! s'exclama soudain Alice. La ligne était occupée, tout à l'heure. »

La jeune fille avait remarqué qu'il n'y avait pas de téléphone dans la tour : il était donc impossible à M. Sidney de communiquer avec l'extérieur.

Comme elle descendait l'escalier, à présent faiblement éclairé par des bougies fixées au mur, elle entendit quelqu'un monter. C'était

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Jammes qui, chargé d'un grand plateau, ronchonnait à voix basse. A quelques pas, suivait Peggy, chargée, elle aussi.

« Tout sera prêt dans un instant, dit l'aubergiste prenant un ton plus aimable.

— Je vais téléphoner », expliqua Alice.Alice s'enferma dans la cabine et au bout d'un moment, elle eut

au bout du fil Sarah, la brave et fidèle domestique de la famille Roy. « Bonsoir, Sarah... Ici Alice, dit-elle.

— Seigneur Jésus ! Tu t'es enfin décidée à appeler ! Je commençais à m'inquiéter. As-tu trouvé l'auberge ?

— Oui ! C'est un endroit étrange. Je t'en parlerai à mon retour. Je dînerai avec Bess et Marion. Voudrais-tu prévenir les Webb et les Taylor, s'il te plaît ?

— Entendu. Mais dis-moi... avez-vous vu leur parent ?— Oui. Et maintenant, excuse-moi, il faut que je te quitte...- Un instant ! Comment s'appelle-t-il ? demanda Sarah.- Sidney... Abel Sidney. Il fête auj...— Abel Sidney ! s'écria Sarah. Alors, mon petit, attends-toi à

des complications. Surtout... »A cet instant, un brusque déclic se fit entendre, et la

communication fut coupée. Malgré tous les efforts d'Alice, il lui fut impossible de reprendre sa conversation avec Sarah. L'orage avait sans doute endommagé la ligne.

La jeune fille remonta alors dans la tour, plus intriguée que jamais. Que signifiait le mystérieux avertissement donné par Sarah ?

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CHAPITRE III

UNE QUERELLE DE FAMILLE

‘VENEZ vous asseoir, mon enfant. La fête a déjà commencé ! s'écria le vieillard quand Alice pénétra dans la chambre.

— Excusez-moi d'avoir tant tardé », dit la jeune fille en s'installant dans le fauteuil à bascule. Abel Sidney hocha la tête.

« Jammes nous a préparé un excellent jus de fruit, dit-il d'un air gourmand.

— Eh bien, je propose un toast pour M. Sidney ! s'écria Alice, levant son verre. Heureux anniversaire ! »

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Bess, Marion et Peggy l'imitèrent. Puis, debout, elles entonnèrent un chant d'anniversaire.

Les yeux du vieil homme brillaient de joie et le bonheur pouvait se lire sur son visage.

« Merci, murmura-t-il. Merci. »Les lumières scintillaient sur la vaisselle et sur l'argenterie et,

dans la joie qui régnait, Bess et Marion sentirent se dissiper la crainte que leur avait tout d'abord inspirée le vieillard. De son côté, Peggy semblait avoir perdu sa timidité.

Alice, Bess et Marion racontèrent des histoires drôles qui ravirent M. Sidney. Puis Alice demanda au vieil homme de leur parler de la fabrication des bougies.

« Tout a commencé en Angleterre, raconta le vieillard en finissant son gâteau. Je suis né à Liverpool et je n'étais encore qu'un enfant lorsque je suis allé travailler chez un fabricant de chandelles.

— Le travail était-il dur ? demanda Bess.— Eh bien, répondit Abel Sidney, la première année, on me fit

transporter le bois et entretenir les feux sur lesquels on laissait fondre le suif. La chaleur était étouffante et les journées fort longues. Ensuite on me chargea de tourner et d'écumer la graisse brûlante. Je devais travailler ainsi chez ce même patron jusqu'à l'âge de dix-huit ans. Après quoi, l'on me donnerait un habit, de l'argent et un certificat attestant que je n'étais plus apprenti, mais compagnon, et libre de travailler où bon me semblerait.

« Je puis dire sans vantardise que j'appris très rapidement mon métier. Je n'avais pas encore seize ans quand je mis au point ma première invention. C'était une bougie percée de quatre trous dans le sens de la longueur et par lesquels la cire chaude s'écoulait au lieu de se répandre sur le chandelier. Elle était ainsi recueillie et brûlait à son tour à mesure que la bougie baissait. Cette invention rapporta beaucoup d'argent à mon patron, mais je ne reçus pas un centime !

— Quelle honte ! s'écria Marion.— Ce fut bien mon avis. Aussi décidai-je de m'enfuir. Je n'avais

pas le moindre argent et ne possédais que les vêtements que j'avais sur le dos, mais j'étais décidé à m'en aller en Amérique. Je réussis à m'entendre avec un capitaine de cargo. Il fut convenu que j'aiderais le cuisinier du bord en échange de ma traversée.

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« Notre bateau essuya plusieurs tempêtes, et il nous fallut des mois pour atteindre New York. L'eau potable baissait dans les citernes, et les conditions de notre voyage devenaient dramatiques. Inutile de vous dire quelle fut notre joie lorsque nous parvînmes en Amérique et que nous jetâmes l'ancre !

« Je ne tardai pas à trouver du travail dans une fabrique de chandelles, poursuivit Abel. Quand j'eus un peu d'argent devant moi, j'achetai une boutique. C'est alors que je me mariai et eus trois enfants.

« Le soir je faisais des expériences, je cherchais des méthodes nouvelles, et... et je négligeai ma famille ! »

La tête blanche s'inclina de nouveau et un frémissement parcourut le corps du vieillard. Par respect, les visiteuses gardèrent le silence. Le vieillard poursuivit :

« C'est à cette époque que j'inventai les bougies torses. Cette découverte devait m'apporter la célébrité et la fortune. »

Lorsqu'elle entendit le vieil homme prononcer les mots « célébrité et fortune», Alice ne put s'empêcher de penser: «Cet homme est donc riche ! On ne le croirait pas à voir le cadre dans lequel il vit. »

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Les yeux de la jeune fille parcoururent la pièce et s'arrêtèrent sur un petit coffre de bois placé sous une table basse. Sur le couvercle du coffre étaient gravées plusieurs bougies torses. Une plaque portant les mots « Propriété d'Abel Sidney » était fixée sur le coffre.

Le vieil homme poursuivit son récit :« La gloire et la fortune ne me furent d'aucun secours. Ma fillette

mourut, puis ma femme et mes fils me quittèrent. Je n'entendis plus parler d'eux jusqu'au jour où j'appris leur mort. Mes fils ne s'étant pas mariés, je n'ai pas de descendants. J'avais bien un frère qui lui aussi était venu s'établir en Amérique, mais il est mort.

— Je suis désolée », murmura Alice.Bess et Marion exprimèrent également leur sympathie. « Ah !

pourquoi les hommes sont-ils aussi ambitieux ?... Ils ne devraient jamais se laisser griser par le succès, dit Abel dans un souffle.

— Pourtant, les gens qui réussissent ne se doivent-ils pas d'utiliser leurs dons dans l'intérêt de la collectivité ? observa Alice.

— Hélas ! C’était l'orgueil, l'orgueil seul qui me poussait à aller de l'avant, bien plus que le souci du progrès de l'humanité ! » dit Abel tristement.

La détresse du vieillard semblait si profonde qu'Alice se leva et vint poser sa main sur l'épaule tremblante d'Abel Sidney.

« Je suis désolée que notre présence ait pu raviver en vous d'aussi tristes souvenirs, murmura-t-elle. Je vous en prie, ne vous désespérez pas ainsi.

— Ne pas me désespérer ? Je suis l'homme le plus malheureux du monde : au lieu d'avoir un foyer agréable où mes arrière-petits-enfants viendraient sauter sur mes genoux, je n'ai vécu que pour voir une maison abandonnée, une famille divisée, et régner la discorde et l'envie, là où il ne devrait y avoir place que pour l'affection et la tendresse ! »

Alice regarda ses amies. Celles-ci haussèrent les épaules en un geste d'ignorance : apparemment elles ne savaient rien de la malédiction qui pesait sur la famille d'Abel.

Le vieil homme se redressa et, regardant autour de lui : « Pardonnez-moi, mes enfants, dit-il. Je n'aurais jamais dû vous laisser sentir le poids de mes cinquante années de solitude et de tristesse. C'est bien mal reconnaître votre gentillesse à mon égard...

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Peggy, y a-t-il encore du jus de fruit ? Buvons aux temps nouveaux, à l'âge de l'électronique et aux voyages dans l'espace ! »

Chacun vida son verre.Bess regarda avec envie la cerise au marasquin qui se refusait

obstinément à quitter le fond de son verre et poussa un soupir de résignation.

Alice se rendit compte que le vieil homme était fatigué, et elle prit congé. Au moment où elle se levait, un cri terrifiant se fit entendre. La jeune fille s'élança vers la fenêtre et regarda en direction du rez-de-chaussée. Tout d'abord elle ne vit personne, mais au bout de quelques secondes, elle aperçut Janimes qui sortait précipitamment de l'auberge et jetait autour de lui des regards étonnés.

« Il faut que je m'en aille ! » s'écria Peggy qui se rua dans l'escalier.

Les autres jeunes filles souhaitèrent une bonne nuit à M. Sidney et suivirent la servante. Au moment où elles arrivaient au premier étage, Janimes pénétrait dans l'auberge.

« Que s'est-il passé ? demanda Alice.— Je l'ignore, répondit Jammes. Sans doute une vieille folle qui

vocalise. Avez-vous bien dîné ?— Très bien, merci, dit Alice. Combien vous dois-je pour le

repas que vous nous avez préparé ? »Alice paya la somme annoncée par l'aubergiste, puis les trois

jeunes filles se dirigèrent vers le porche. Peggy qui arrivait du jardin leur dit qu'elle n'avait pu savoir qui avait crié et elle ajouta : « J'espère que personne n'est blessé. »

« Tout cela est bien étrange, pensa Alice. M. Jammes avait-il écouté à la porte de la chambre de la tour, craignant que, par ses révélations, Abel ne donne à penser qu'il était maltraité ? N'aurait-il pas demandé à une femme, Mme Jammes sans doute, de crier afin de détourner notre attention ? Si c'était le cas, le stratagème avait été efficace. »

Alice ne souffla mot de ses doutes. Elle se contenta d'embrasser Peggy.

« Rappelez-vous que mon père est avoué, dit-elle. Si vous avez besoin de son aide ou de la mienne, n'hésitez pas à me le faire savoir.

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— J'espère vous revoir souvent, répondit Peggy d'une voix timide. Même si je n'ai pas besoin des conseils d'un avoué. »

Alice, Bess et Marion retournèrent ensuite à leur voiture. L'orage avait cessé, mais partout ce n'étaient qu'arbres déracinés et branches brisées. Le cabriolet d'Alice n'avait subi aucun dégât. La jeune fille alluma ses lanternes et mit le moteur en marche. Elle était en train d'exécuter une marche arrière lorsqu'une voiture arriva en trombe et rasa de si près le cabriolet des jeunes filles qu'elle faillit accrocher l'un des pare-chocs. Le conducteur passa la tête à la portière et interpella rudement Alice, lui reprochant d'encombrer le passage. Marion poussa un cri de surprise.

« Mais c'est notre grand-oncle Peter ! s'exclama-t-elle.— Comment, dit l'homme, stupéfait. Est-ce toi, Marion ? Et

Bess aussi ? Que diable faites-vous là ? »Sautant à terre, il s'avança vers les jeunes filles. Il avait l'air à la

fois surpris et contrarié.« Bonsoir, oncle Peter. Il y a bien longtemps que nous ne t'avons

vu », lança Bess affectant une joyeuse insouciance.Alice qui n'avait jamais entendu parler de ce grand-oncle, suivait

la scène avec étonnement.« Allez-vous m'expliquer, oui ou non, ce que vous faites ici ?

répéta l'homme.— Nous avons été surprises par l'orage et nous nous sommes

arrêtées à cette auberge, répondit Marion. Je te présente Alice Roy, une amie. Alice, voici M. Peter Banks, notre grand-oncle. »

M. Banks, homme grand et mince d'environ soixante ans, salua Alice d'un geste bref.

« C'est bon, fit-il, sauvez-vous ! Des jeunes filles ne devraient pas courir les routes à une heure pareille. Bonsoir ! »

Et tournant les talons, il se dirigea vers l'auberge.«Quel accueil! s'écria Marion. Alice, le mystère s'épaissit...

Notre oncle Peter est certainement venu voir Abel Sidney. Hélas ! il faut partir. »

Mais Alice n'eut pas le temps de mettre sa voiture en marche : une autre auto arriva et s'arrêta dans un crissement de pneus.

« Cette auberge est décidément très fréquentée ! » s'exclama Bess.

Alice donna un léger coup de klaxon pour faire comprendre au

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conducteur qu'il l'empêchait de passer. L'homme ne broncha pas. Il se contenta d'observer la voiture de M. Banks.

« Savez-vous à qui appartient cette voiture ? » demanda-t-il à Alice au bout d'un moment. Puis il ajouta aussitôt après : « On dirait celle de Peter ! »

L'homme sortit de la voiture, et Alice put constater qu'il était sensiblement du même âge que M. Banks.

« Ma foi, oui, c'est bien la sienne », reprit-il en enflant la voix. Et se tournant vers Alice, il jeta brutalement : « Dites donc, est-ce que vous ne seriez pas en train de l'attendre par hasard ?

— Certainement pas, répondit la jeune fille en posant doucement la main sur le genou de Marion pour l'inviter à garder le silence. Nous étions sur le point de partir.

— Alors, il ne faut pas que je vous retienne, dit l'homme en s'accoudant à la portière du cabriolet. A présent que le bonhomme a franchi le cap des cent ans, tous les parents qui lui restent semblent se prendre d'une réelle affection pour lui. Mais ils pensent bien plus à son argent qu'à sa santé, vous pouvez en être sûres ! »

L'homme ponctua ses paroles d'un rire bruyant.Les propos de l'inconnu jetaient une nouvelle lumière sur les

étranges affaires d'Abel Sidney, et Alice retint son souffle, dans l'espoir que l'homme continuerait ses confidences.

« Parfaitement ! Après que deux générations ont passé leur temps à se quereller, voici où l'on en arrive... grommela l'homme. Mais ce n'est pas Peter Banks qui me bernera, et je vous garantis qu'il y aura tout à l'heure, dans la chambre de la tour, une explication mouvementée. Foi de Jacob Sidney ! »

Bess et Marion ouvrirent la bouche d'étonnement, mais elles ne dirent mot.

« Abel Sidney serait-il votre parent ? demanda Alice.— Oui, c'est le frère de mon père. Vous connaissez donc Abel ?

s'écria-t-il plongeant la tête à l'intérieur de la voiture. Mais dites-moi, qui êtes-vous ?

— Mon nom ne vous dirait rien, répliqua la jeune fille calmement. Lorsque j'ai appris que c'était son anniversaire, j'ai organisé une petite fête en son honneur. Peggy nous a aidées et elle est venue dîner avec nous.

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— Peggy ? » Jacob Sidney eut une moue méprisante. « Abel fait plus de cas de cette enfant que de sa propre famille !

— Il nous a paru bien seul, dit Alice qui espérait en apprendre davantage. Et il ne nous l'a pas caché... »

Cette fois, l'homme explosa.« Vraiment ? Et à qui la faute s'il est aussi seul ? s'écria-t-il. Il ne

veut plus voir personne, il décourage tout le monde et il se confine dans une mansarde pour y fabriquer des bougies torses à longueur de journée ! Il est fou à lier !... Mais vous pouvez être sûre que moi, je ne serai pas assez naïf pour laisser Peter Banks raconter ses sornettes à Abel. » Et il ajouta en agitant le poing en direction de la maison : « Chez les Sidney on a la tête solide, et jamais un seul Banks n'a encore été capable de les rouler ! »

Sur ces mots vengeurs, l'inconnu se précipita vers l'auberge, laissant les trois jeunes filles muettes de stupéfaction.

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CHAPITRE IV

UNE ÉTRANGE HISTOIRE

TANDIS qu'Alice s'apprêtait à reprendre la direction de River City, Bess et Marion se lancèrent dans une conversation animée.

« Je me demande quelles sont les raisons de cette querelle de famille, dit Bess. Cela m'a l'air très sérieux. »

Marion hocha la tête, et Alice leur fit part de l'avertissement que Sarah lui avait donné au téléphone. Les deux cousines ne purent deviner ce que cachaient les paroles de la vieille servante mais elles promirent de s'informer auprès de leurs parents.

« Nous te mettrons au courant dès que nous en saurons davantage », déclara Bess.

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Les dégâts causés par l'orage et les routes inondées rendirent le voyage du retour assez dangereux, et Alice rentra chez elle plus tard qu'elle ne l'aurait voulu.

« Papa aura certainement dîné », pensa-t-elle.

« Bonsoir, papa ! s'écria Alice en pénétrant dans la cuisine.— Bonsoir, Alice ! Comment se porte la jeune associée de la

maison James Roy et Compagnie ? fit l'avoué avec un sourire malicieux.

— Eh bien, l'espoir de la maison James Roy et Compagnie nage en plein mystère, répliqua la jeune fille. Mais je te raconterai cela plus tard. Hello, Sarah ! » dit-elle à l'adresse de la brave servante qui venait de ranger la vaisselle.

Alice avait trois ans lorsque sa maman mourut. Depuis cette époque, Sarah s'était occupée de la fillette et elle l'aimait comme s'il s'agissait de son propre enfant.

« Allons dans le salon, proposa la jeune fille en frissonnant. J'ai des tas de choses à vous raconter. Mais ^il fait un peu froid, papa. Voudrais-tu faire du feu, s'il te plaît ? »

Un instant plus tard, M. Roy, Alice et Sarah étaient assis devant la cheminée dans laquelle brillait la lueur rassurante d'un feu de bois. Sarah avait préparé une tasse de chocolat fumant pour Alice et lui avait apporté des biscuits.

« Je vais d'abord vous raconter ce qui m'est arrivé, dit Alice. Ensuite, Sarah, tu me donneras des précisions au sujet de ta mise en garde. »

Alice dut interrompre son récit à plusieurs reprises tant était grande la curiosité de son père et de la vieille domestique. Tous trois jugèrent très suspecte l'attitude de M. Jammes. Abel Sidney était pris entre deux feux : d'un côté l'aubergiste malintentionné, de l'autre sa famille avide de partager son héritage.

« Mais tu as parlé d'une mise en garde, Alice. De quoi s'agit-il ? demanda enfin M. Roy.

— Quand j'ai téléphoné à Sarah, elle s'est mise à pousser les hauts cris en me disant que je pouvais m'attendre à avoir des ennuis. Sur ce, la communication a été coupée et je n'ai pu en savoir davantage... De quoi s'agissait-il donc, Sarah ?

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- Ma foi, mon petit, c'est une assez longue histoire, dit la servante.

— Eh bien, racontez-nous cela, pria James Roy. Je ne tiens nullement à ce qu'Alice se trouve en difficulté.

— Oh ! l'affaire n'est pas vraiment sérieuse, mais elle risque de causer un peu de peine à Alice. C'est que Bess et Marion sont ses meilleures amies, et je ne suis pas sûre que leurs parents tiennent à la voir découvrir leurs secrets de famille...

— Mais ils étaient pourtant d'accord pour que j'accompagne Bess et Marion à l'auberge », protesta Alice.

La gouvernante soupira :« Allez donc savoir ce qui se passe dans la tête des gens. Voyons,

il faut que je commence par le commencement. C'est Catherine Hartley, la gouvernante du docteur Simmons, qui m'a parlé de cela la première. »

Sarah raconta l'histoire telle qu'Alice l'avait déjà entendue de la bouche de M. Sidney.

« Depuis la mort de la petite fille, les Banks et les Sidney sont à couteaux tirés, poursuivit la gouvernante. Les Banks en veulent aux Sidney parce qu'Abel a négligé sa famille, et les Sidney en veulent aux Banks parce que Mme Sidney a abandonné son mari.

— Bess et Marion sont donc parentes avec les Banks », conclut M. Roy. Puis il demanda: « Quel est le lien entre les Banks et les Sidney ?

— Eh bien Mme Sidney était une demoiselle Banks », déclara Sarah, ravie de pouvoir donner toutes ces précisions.

Après que Sarah eut donné des précisions sur l'arbre généalogique de la famille Sidney, Alice s'exclama : « Mes deux amies sont donc bien les petites-nièces d'Abel Sidney !

- Exactement, approuva Sarah. Mme Taylor et Mme Webb ne s'attendent pas à ce que tu sois mise au courant de leurs querelles de famille. Elles veulent seulement savoir si les époux Jammes maltraitent M. Sidney.

— En ce qui me concerne, je m'en tiendrai à l'affaire Jammes. » Sarah but une gorgée de café puis elle ajouta : « Certains des

Banks et des Sidney se sont réconciliés, il y a même eu un mariage entre eux. Seulement cela n'a pas été accepté par tout le monde, et le

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couple dut se séparer. Je ne sais pas ce que sont devenus les époux!

— Merci, Sarah, fit Alice. Tu viens de me donner des renseignements très précieux. »

Quand la servante se fut retirée, la jeune fille acheva de conter à son père le récit de sa journée, sans omettre la rencontre avec Jacob Sidney.

« Ne t'inquiète pas, mon petit. A présent que Sarah t'a donné les éléments qui te manquaient dans cette histoire, autant dire que l'énigme est résolue, conclut James Roy. Il semble que la fortune amassée par le vieillard soit en train d'envenimer encore la querelle entre les deux familles. Mais je suis sûr que cela n'entamera nullement l'amitié qui te lie à Bess et à Marion. Leurs mères ont eu la sagesse de les tenir dans l'ignorance de ces histoires de famille. Tiens, le téléphone ! »

La jeune fille se leva d'un bond pour répondre. Elle espérait que l'appel venait de Ned Nickerson, son camarade d'enfance, qui lui avait été d'un grand secours dans l'une de ses précédentes aventures. Mais au lieu de la voix grave et cordiale qu'elle attendait, Alice ne distingua

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qu'un murmure lointain et dont la sonorité ne lui était pas familière. « Est-ce Mlle Roy ? demandait-on.

- Elle-même, répondit la jeune fille.— S'agit-il bien de la personne qui était cet après-midi à

l'auberge des Bougies-Torses ? »Ces mots firent sursauter Alice. Et elle répondit, le cœur battant :

« Parfaitement, j'étais accompagnée de deux amies. Qui est à l'appareil?

- C'est Peggy Bell.— Peggy ? Comme je suis contente que vous m'ayez appelée.

J'étais justement en train de parler de vous à mon père.— Merci, Alice... Vous m'aviez dit que votre père était avoué,

n'est-ce pas ?— En effet. Et je vous avais promis qu'en cas de besoin, mon

père ne demanderait pas mieux que de vous venir en aide.— Merci, Alice. Mais ce n'est pas moi qui suis en cause, c'est

M. Sidney. Il lui faut un avoué, un très bon avoué, et il m'a priée de lui en trouver un qui consentirait à venir le voir demain matin. Vous comprenez, il a décidé de rédiger un nouveau testament.

— Soyez tranquille, Peggy : mon père sera chez vous dans la matinée ! »

Quelques minutes plus tard, Alice n'eut aucune peine à convaincre son père de tenir la promesse qu'elle avait faite en son nom. James Roy en effet commençait à s'intéresser, lui aussi, aux affaires compliquées de la famille Sidney.

« Pourrai-je t'accompagner ? demanda Alice.— Je n'en suis pas sûr... Tu sais qu'il s'agit d'une visite de

caractère strictement professionnel ? » répondit l'avoué, cherchant à taquiner sa fille. Et il ajouta d'un ton léger : « Nous verrons cela demain matin ! »

Pour Alice, les derniers mots de son père équivalaient à une promesse. Elle savait bien qu'il lui serait permis de se rendre avec lui aux Bougies-Torses.

C'est ainsi que le lendemain matin, le père et la fille se mirent en route. Ils sortirent de la ville par le sud. Au volant de sa petite voiture de sport, Alice conduisait bon train, et l'on atteignit bientôt l'auberge

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d'aspect avenant et aussi peu mystérieux que possible sous le soleil de cette belle journée.

« Tiens, dit Alice en désignant la tour, c'est là-haut que se trouve la chambre d'Abel Sidney. Et voici Peggy qui balaie le perron. »

En entendant la voiture dans l'allée, la jeune fille releva la tête et lâcha son balai pour se précipiter à la rencontre des visiteurs.

« M. Sidney vous attend, dit-elle après les avoir remerciés d'être venus. Voudriez-vous montrer le chemin à votre père, Alice ? Il faut que je me dépêche de finir ma besogne.

— Bien sûr », fit Alice. Et, se penchant vers Peggy, elle lui glissa à l'oreille : « Ne vous éloignez pas. Je vais redescendre dans un instant. »

Peggy acquiesça d'un sourire, et Alice rejoignit son père. Tous deux pénétrèrent dans le vestibule de la maison. A peine avaient-ils fait quelques pas en direction de l'escalier qui montait à la tour, que Mme Jammes surgit on ne sait d'où.

« C'est pour le petit déjeuner ? leur demanda-t-elle. Il est un peu tôt... » Rien dans son attitude n'indiquait qu'elle reconnaissait Alice.

« Non, merci, répondit M. Roy, j'ai un rendez-vous important avec M. Sidney. »

Mme Jammes fit un bond en avant et vint se planter au pied de l'escalier.

« Vous ne pouvez pas le voir ! s'écria-t-elle. II... il est malade. Il a passé une très mauvaise nuit.

— Raison de plus pour que je le voie sans tarder », insista l'avoué. Mais Mme Jammes ne l'entendit pas de cette oreille. Elle écarta

les bras afin de lui barrer le passage et, furieuse, s'exclama : « Je vous conseille de vous en aller ! »

Que faire ? Alice savait que son père n'oserait rien tenter contre Mme Jammes. Il ne lui restait plus qu'à prendre les choses en main si elle voulait que le passage fût libéré !

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CHAPITRE V

LA CASSETTE

SOUPLE et rapide comme un félin, Alice se jeta sur Mme Jammes et, l'empoignant par les épaules, la fit pivoter sur elle-même et libéra le passage. Puis elle cria : « Allons-y, papa ! c'est le moment ! » et elle s'élança dans l'escalier qu'elle grimpa quatre à quatre.

M. Roy la suivit, laissant Mme Jammes furieuse et décontenancée.

« C'est ici », déclara Alice comme ils arrivaient sur le palier du dernier étage. Elle frappa à la porte de la chambre haute, et la voix d'Abel Sidney répondit aussitôt : « Entrez ! » Les visiteurs pénétrèrent dans la pièce.

« Entrez, entrez, répéta le vieillard en souriant. Aujourd'hui, mon enfant, il fait si clair ici qu'il me serait impossible de vous confondre

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avec le sujet d'une vieille peinture poussiéreuse. » Puis, s'adressant à James Roy : « Bonjour, maître, continua-t-il. Pardonnez-moi de rester assis, mais j'ai passé une nuit plutôt agitée et, ce matin, je me sens un peu fatigué. Prenez donc une chaise et installez-vous auprès de moi.

— Merci, monsieur », dit l'avoué.Il déposa sa serviette de cuir sur la table et approcha un siège de

celui du vieillard.« Mme Jammes nous a dit que vous étiez malade », déclara

l'avoué.M. Sidney fronça les sourcils.« Comment pourrait-elle le savoir ? répondit le vieil homme. Je

ne l'ai pas vue, pas plus que son mari d'ailleurs. C'est Peggy qui a monté mon petit déjeuner. »

Puis il ajouta : « Peu importe, nous avons à nous occuper de choses plus sérieuses : je désire faire un nouveau testament. Mais d'abord, soyez bien assuré que malgré l'état misérable de ce logis où vous me voyez, je suis prêt à vous régler les honoraires que vous me demanderez. Je désire bénéficier des conseils les plus autorisés et puis en assumer les frais...»

Cependant, Alice quittait la pièce sur la pointe des pieds.« Je connais suffisamment les affaires de ce genre pour savoir

qu'en des circonstances comme celle-ci, la présence d'un tiers est indésirable », se dit-elle en refermant la porte derrière elle sans bruit.

Elle se retrouva sur le palier, impressionnée malgré elle par ce qu'elle venait d'entendre annoncer par Abel Sidney. L'élaboration d'un testament est un acte solennel, et Alice ne pouvait s'empêcher de songer avec émotion à ce vieillard centenaire dont les jours étaient assurément comptés.

Sur la première marche de l'escalier, elle s'arrêta un instant afin de jeter un coup d'œil par la fenêtre qui s'ouvrait vers le jardin. De là, on apercevait l'angle d'une vieille remise et, plus loin, quelques arbres clairsemés qui formaient la lisière d'un boqueteau étage sur la colline.

Soudain, elle vit passer une silhouette qui retint son attention, et elle se rejeta instinctivement de côté afin de pouvoir observer ce qu'elle désirait sans révéler sa présence. Elle venait de reconnaître Frank

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Jammes, le père adoptif de Peggy. Vêtu d'un bleu de jardinier, ii transportait une bêche et un grand panier qui semblait fort lourd.

L'homme s'était arrêté à l'angle de la remise dont Alice savait qu'elle occupait le fond du terrain entourant l'auberge, à bonne distance de la route. Jammes déposa son panier à ses pieds, puis, se redressant, il regarda autour de lui et observa avec attention les fenêtres de la maison. Enfin, semblant satisfait de cet examen, il se mit à creuser le sol avec ardeur.

« Voici un bonhomme qui complote quelque chose de louche, pensa Alice. Que veut-il donc cacher là ? »

Jammes ne tarda pas à arrêter sa besogne. Le trou ne mesurait guère qu'une cinquantaine de centimètres de profondeur et presque autant de diamètre, mais l'homme décida de s'en contenter. Il se pencha vers son panier et en retira une cassette. Alice faillit pousser un cri de surprise en reconnaissant le coffret qu'elle avait remarqué la veille dans la chambre d'Abel Sidney.

C'était un coffret carré d'environ trente centimètres de côté sur vingt de haut. Fait d'ébène, il était cerclé de cuivre et clouté du même

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métal. De toute évidence, son contenu devait être des plus précieux...Jammes plaça le coffret dans le trou, puis il alla prendre

quelques gros rondins sur un tas de bois voisin et revint les entasser sur la cachette. Enfin il ramassa et mit soigneusement dans son panier la terre qu'il avait sortie du trou et alla l'éparpiller dans les buissons. Puis il se dirigea vers la maison. Personne n'eût été capable de distinguer à présent quoi que ce fût d'anormal aux alentours de la remise.

« Décidément, il se passe ici beaucoup plus de choses qu'on ne le soupçonnerait, se disait Alice, descendant l'escalier. Je suis persuadée que M. Sidney n'a jamais demandé à M. Jammes de cacher ce coffret.»

A ce moment, Peggy sortit de l'une des chambres du second étage où elle guettait le retour d'Alice. Celle-ci eut l'impression que la jeune fille avait quelque chose à lui dire, mais ne savait par où commencer. Aussi décida-t-elle de lui tendre la perche.

« M. Sidney a sans doute changé brusquement d'idée au sujet de son testament, dit-elle.

— Chut ! fit Peggy, jetant autour d'elle un regard inquiet. Je n'ai parlé de rien à mes parents... Oh ! Alice, si vous saviez comme tout cela me tourmente : c'est si mal à moi de manquer de franchise à leur égard.

— Que voulez-vous dire, Peggy ? demanda Alice, attirant vers elle la jeune fille.

— Je voudrais bien y voir plus clair dans cette affaire, je vous assure, répondit Peggy avec un soupir. J'aime tant M. Sidney et il a l'air si malheureux... Hier soir, comme vous veniez de partir, il a eu une visite. Quelqu'un que j'ai déjà vu ici plusieurs fois. Il arrive toujours le soir, assez tard. C'est, je crois, un vague parent de M. Sidney... Dix minutes après, un autre monsieur s'est présenté à son tour. « Au bout d'un moment, une discussion épouvantable s'est élevée chez M. Sidney entre les deux visiteurs. On les entendait crier de la cuisine ! Alors, M. Jammes est monté dans la tour pour écouter à la porte. De temps en temps, la dispute semblait s'apaiser et puis, tout à coup, les injures reprenaient de plus belle. Cela a duré ainsi plus d'une heure, et puis le deuxième visiteur est sorti à l'improviste. En découvrant mon père sur le palier, il est entré dans une colère terrible

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et il s'est fâché tout rouge. Quelques minutes plus tard, l'autre visiteur partait aussi, en claquant les portes derrière lui.

— Pauvre M. Sidney, fit Alice, je ne m'étonne plus qu'il nous ait dit avoir passé une si mauvaise nuit !

— Savez-vous que ces deux hommes sont engagés dans une vieille querelle de famille ? reprit Peggy. L'un est un parent de M. Sidney, tandis que l'autre appartient au clan de Mme Sidney.

— Je m'en doutais un peu, dit Alice sans trop s'avancer, mais continuez votre histoire.

— Papa était naturellement furieux de s'être laissé surprendre et quand il est redescendu, il m'a envoyée au lit sans discussion. Pourtant, comme j'entendais M. Sidney marcher de long en large dans sa chambre, je suis montée le voir.

« — Peggy, me dit-il, voudrais-tu appeler M. Roy ? J'ai l'intention « de faire un nouveau testament. »

« II m'a demandé de prendre rendez-vous et de n'en rien dire à personne. J'ai obéi, et c'est cela qui me...

— Ne vous inquiétez pas, répondit Alice. Vous avez bien fait. Seulement je me demande ce que vos parents vont penser du nouveau visiteur de M. Sidney...

— Ma mère n'est pas à la maison pour l'instant, expliqua Peggy. Elle est allée acheter des poulets chez les Kinsley, les fermiers qui habitent de l'autre côté du bois. Quant à M. Jammes, il a défendu qu'on le dérange : il est dans le garage en train de réparer la voiture.

— Mais Mme Jammes ne va-t-elle pas revenir bientôt ? questionna Alice.

— Oui ! Je dirais même qu'elle est déjà là ! »Les deux jeunes filles sursautèrent au son de cette voix irritée

qui venait de retentir derrière elles. A leur confusion, la femme de l'aubergiste surgit au même instant d'une pièce voisine, une brosse à la main.

« La prochaine fois que tu voudras raconter des histoires de famille à des inconnus, il faudra t'assurer d'abord que je ne suis pas dans les parages ! » s'écria-t-elle, furieuse. Et, tendant le cou en avant comme une poule en colère, elle brandit sa brosse vers Peggy, terrifiée.

« J'ai entendu tout ce que tu disais, vermine, poursuivit-elle, menaçante. Tu n'es qu'une hypocrite, une menteuse, une ingrate ! »

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Et, se tournant vers Alice, elle s'écria à tue-tête : « Quant à vous, ma belle, qui écoutez si bien les commérages de cette idiote, je vais vous régler votre compte à l'instant ! »

Alice se redressa imperceptiblement et son regard se fixa sur la femme déchaînée. Clara Jammes parut se troubler un instant sous ce calme regard. Et puis, comme enragée à la pensée de s'en laisser imposer par une simple jeune fille, elle se lança dans une nouvelle tirade, plus violente encore que la première :

« Dire que nous avons peiné et travaillé comme des mercenaires pour te prendre à notre foyer, pauvresse, enfant trouvée ! Et voilà quelle est notre récompense ! »

Épouvantée, Peggy s'était jetée contre Alice, et celle-ci la sentait trembler de tous ses membres.

« Puisque tu n'as pas plus de raison qu'une gamine de deux ans, je vais te traiter en conséquence, vaurienne ! » continua la mégère. Et elle assena un violent coup de brosse sur l'épaule de Peggy.

Celle-ci poussa un cri de douleur, tandis que la brosse s'abattait de nouveau, meurtrissant cette fois ses phalanges. Alice pâlit, saisie d'indignation et de dégoût.

« Laissez-la», dit-elle d'une voix glacée. Et elle écarta vivement la jeune fille puis s'empressa de la faire passer derrière elle afin de la mettre hors d'atteinte.

« De quoi vous mêlez-vous ? hurla la mégère. Si à présent une mère n'a plus le droit de corriger sa fille... Petite peste ! Vous avez de l'audace...

— Et vous, une étrange manière de remplacer la mère de cette malheureuse orpheline ! » riposta Alice.

Suffoquant de rage, Mme Jammes bondit en avant. Son bras se détendit avec violence et le dos de la brosse vint frapper Alice en pleine poitrine. Déjà la femme levait la main pour renouveler son geste, quand la jeune fille lui saisit prestement le poignet qu'elle tordit, et lui arracha son arme improvisée.

« Vous mériteriez que je porte plainte contre vous », dit-elle, et tandis qu'elle parlait, ses yeux bleus étincelaient comme deux lames d'acier. « Savez-vous que je pourrais vous faire arrêter?

— Vous ne doutez vraiment de rien... Pour qui vous prenez-vous donc ? » s'exclama Mme Jammes d'une voix railleuse. Elle semblait néanmoins ébranlée par la défense courageuse de la jeune

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fille, et elle ne fit pas la moindre tentative pour rentrer en possession de sa brosse. Sans doute craignait-elle que son adversaire ne lui rendît la monnaie de sa pièce.

« Peu importe qui je suis ou pour qui je me prends, rétorqua Alice. Ce sont vos violences qui comptent...

— C'est ce que nous verrons, fit l'autre avec un mauvais sourire. J'imagine que je suis ici chez moi et que j'ai bien le droit de m'y comporter à ma guise, surtout quand il s'agit de me défendre contre les intrus !

— Vous vous trompez, d'abord parce qu'ici vous n'êtes pas chez vous, et qu'ensuite, je ne suis pas entrée sans permission», riposta

Alice.Mme Jammes la regarda un instant, bouche bée. « Que... que

voulez-vous dire ? balbutia-t-elle enfin.— Tout simplement que cette maison appartient à M.

Sidney et que d'autre part, je suis venue ici pour répondre à son invitation.

— Mais qui êtes-vous donc, pour être au courant de tant dechoses ? demanda alors la femme.— Je m'appelle Alice Roy et je suis la fille de James Roy. Peut-

être avez-vous entendu parler de lui ? »Alice ne put réprimer un sentiment de fierté et de triomphe en

voyant Mme Jammes perdre tout à coup son arrogance.« Quoi, fit-elle d'une voix qui s'étranglait, James Roy, l'avoué ?- Parfaitement, James Roy, répéta Alice.- Je le connais de réputation, marmonna Mme Jammes. On voit

son nom dans les journaux à chaque instant, et le vôtre aussi... Je ne savais pas qui vous étiez, mademoiselle, et je suis désolée de vous avoir frappée tout à l'heure. Je suis vive et quand mon mauvais caractère prend le dessus, voilà ce qui arrive. Pardonnez-moi...

— Il me semble que vos regrets diffèrent sensiblement selon la qualité de la personne que vous avez offensée, observa alors Alice.

— Vous ne direz rien de tout ceci à votre père, n'est-ce pas ? pria Mme Jammes. Je ferai ce que vous voudrez pour réparer mon incorrection à votre égard.

— Nous allons conclure un pacte, déclara Alice. Je ne dirai rien à mon père à la condition que vous me promettiez de ne plus maltraiter Peggy.

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— C'est entendu », s'écria vivement la femme.Sur ces mots, Alice tourna les talons et s'éloigna, entraînant avec

elle Peggy, abasourdie.Cependant, Alice cherchait une nouvelle occasion de s'entretenir

avec Peggy, mais loin des oreilles indiscrètes. Elle s'installa donc au beau milieu de la vaste salle à manger, déserte à cette heure, et invita la jeune fille à s'asseoir devant elle.

« Dites-moi ce qui vous tracasse », demanda Alice à voix basse.Peggy ouvrit la bouche et puis la referma aussitôt. Alice se dit

que la jeune fille avait besoin qu'on l'encourageât.« Voyons, Peggy, soupçonneriez-vous les Jammes d'être

malhonnêtes ? »Peggy sursauta. « Mon Dieu, comment avez-vous pu deviner ? »

dit-elle bouleversée.

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CHAPITRE VI

UNE MISSION IMPORTANTE

ALICE demanda à Peggy de lui confier ce qu'elle savait. A « Dépêchons-nous, fit-elle, quelqu'un pourrait nous surprendre ! »

La jeune fille hésita un instant.« Je ne sais plus où j'en suis, répondit Peggy, la voix altérée. Ah!

Alice, que je voudrais vous ressembler : avec vous, tout semble si clair, tandis que pour moi, les choses sont toujours si compliquées !

_ Si l'on peut dire ! fit Alice en riant. Eh bien, voyons un peu de quoi il s'agit : je pourrai peut-être vous aider.

— Je suis orpheline, sans doute l'avez-vous compris a travers le paroles de Mme Jammes, commença Peggy amèrement. Je ne

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rien de mes parents. Je n'étais encore qu'un bébé quand on m'a trouvée abandonnée dans une église, et les Jammes m'ont prise à l'orphelinat à dix ans. J'ai travaillé dur à leur service... Quand je revenais de l'école, je trouvais toujours des piles de plats et d'assiettes à laver qui m'attendaient. Je n'ai aucune dette envers les Jammes : j'estime les avoir payés à ma manière... M. Sidney était la seule personne à me témoigner quelque gentillesse. Mais les Jammes l'obligèrent presque à rester dans la tour en prétextant qu'il risquait de tomber en descendant les escaliers. Puis ils me firent travailler de plus en plus dur et m'empêchèrent même d'aller à ma guise.

- Ces gens là se sont conduits d'une manière ignoble », dit Alice. Puis elle ajouta : « Est-ce à partir de ce moment que vous vous êtes doutée de ce que tramaient les Jammes ?

— Oui. »La jeune fille se sentait réconfortée par l'amitié qui s'offrait à

elle. Elle se pencha vers Alice et, les yeux agrandis par l'émotion, lui murmura :

« Je suis à peu près certaine que mon père est en train de dépouiller M. Sidney. Vous comprenez, je le vois souvent rôder ici ou là avec des airs mystérieux. Et puis, tout à coup, il semble avoir de l'argent plein les poches, alors que l'auberge n'en gagne guère. Bien sûr, je ne...

- Voilà qui est fort intéressant, coupa soudain Alice d'une voix claironnante. Figurez-vous que nous aussi, nous avons déjà eu un nid de roitelets dans la vigne vierge qui grimpe le long de la maison. Est-ce qu'il y a beaucoup de roitelets par ici ? »

Peggy resta la bouche ouverte, regardant son amie avec stupéfaction. Avait-elle subitement perdu la raison ?

« Bonjour, mademoiselle ! Vous êtes bien matinale, et nous n'avons guère l'habitude de voir nos clients arriver d'aussi bonne heure. »

Peggy sentit le cœur lui manquer : cette voix qui venait de parler était celle de Frank Jammes, et la jeune fille comprit alors pourquoi Alice avait soudain interrompu la conversation par d'aussi insolites considérations sur les oiseaux.

« Vous a-t-on bien servie ? demanda l'aubergiste en s'approchant de

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la table. Peggy, lève-toi et va chercher un verre d'eau pour mademoiselle.

- Je vous en prie, ne vous donnez pas cette peine », fit Alice, souriante. Et elle retint la jeune fille qui s'apprêtait à obéir. « En réalité, je n'avais pas l'intention de déjeuner tout de suite !

— Vous habitez par ici ? demanda alors M. Jammes.- J'habite à River City, répondit la jeune fille. Je suis revenue ce

matin, en compagnie de mon père que M. Sidney désirait consulter.— Ainsi, vous êtes la fille du docteur Crosby ! Je savais bien

qu'il en avait une de votre âge, mais jamais je n'aurais pensé qu'elle pût être aussi jolie...

- Je ne connais pas de docteur Crosby, dit Alice sèchement.Mon père s'appelle James Roy. »Frank Jammes pâlit et on le vit avaler sa salive à plusieurs

reprises.« James Roy ? répéta-t-il avec effort. Il est là-haut ?- Oui, il y est depuis plus d'une heure, répondit Alice

tranquillement. Il s'agit sans aucun doute d'une affaire importante...- Oh ! non..., c'est-à-dire oui ! bredouilla l'aubergiste, se levant

précipitamment. Excusez-moi », continua-t-il. Et sur ces mots, il se retira, en proie à une agitation extrême. Alice le suivit d'un œil amusé. Elle se disait que s'il était vraiment malhonnête, il devait craindre qu'ayant découvert ses malversations, M. Sidney ne prenne des mesures à son égard.

« Je ne l'ai jamais vu dans cet état, dit Peggy encore stupéfaite. On dirait qu'il a peur de votre père...

- Ce qui confirmerait mes soupçons, observa alors Alice. Je crois que je vais désormais tenir M. Jammes à l'œil.

- Mon Dieu ! soupira Peggy. Je crains d'en avoir trop dit. Et si je m'étais trompée ?...

- Ne vous inquiétez pas, nous ferons l'impossible pour découvrir la vérité, dit Alice avec douceur. Tenez, voici papa qui descend de la tour. Je reconnais son pas. »

Elle se leva et gagna le vestibule pour attendre son père au bas de l'escalier.

« Es-tu prêt à partir ? demanda-t-elle en le voyant.— Non, pas tout de suite, répliqua l'avoué. M. Sidney m'a

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entretenu d'une affaire si compliquée et si étrange que je me trouve placé à présent dans une situation assez délicate. De sorte qu'après ce que je viens d'entendre, je ne quitterai pas cette maison tant que mes documents n'auront pas été contresignés par un témoin, habilité à soutenir éventuellement leur authenticité devant la cour. Aussi va-t-il falloir que tu m'aides, car ceci est d'une extrême urgence. Veux-tu aller tout de suite à Briseville. Là, tu te rendras à la succursale de ma banque et tu demanderas à voir M. Hill de ma part. C'est l'un des fondés de pouvoir. Tu lui diras que j'ai besoin de lui pour authentifier un acte important, et tu le ramèneras le plus vite possible. Nous nous connaissons suffisamment pour qu'il accepte de me rendre ce service. Tu as bien compris ?

— Parfaitement », répondit la jeune fille, se réjouissant de cette occasion d'aider son père à mener à bien une affaire aussi compliquée. De plus, le tour mystérieux que semblaient prendre les événements mettait le comble à son enthousiasme.

Vite, elle courut avertir Peggy qu'elle partait faire une course urgente pour son père, mais qu'elle ne tarderait guère à être de retour. Comme elle parlait, elle s'aperçut tout à coup que la porte battante menant à la cuisine remuait légèrement.

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« Tiens, je vais sortir par-là, ce doit être plus court », dit-elle.Elle traversa le vestibule en trombe et se précipita sur le

panneau. Ainsi qu'elle s'y attendait, celui-ci ne s'ouvrit qu'à demi. Il y eut un choc, et l'on entendit une exclamation étouffée.

« Oh ! je suis désolée, j'ai dû vous heurter », s'écria Alice tandis qu'apparaissait Mme Jammes, la mine effarée, et se frottant le front.

« Mais non, pas du tout », répondit celle-ci.Elle fit brusquement demi-tour, s'engouffra dans sa cuisine et

disparut en un clin d'œil par la porte ouvrant sur le jardin. Alice allait s'élancer sur ses talons quand elle entendit la voix de son père la rappeler.

« Tu t'es sauvée avant que j'aie eu le temps de finir, dit-il en souriant. Je voulais te dire que Peter Banks et Jacob Sidney doivent venir ici ce matin. Or, il faut à tout prix que le testament soit contresigné par un témoin avant leur arrivée. Il n'y a donc pas une seule minute à perdre. »

Alice acquiesça d'un signe de tête et sortit. Une fois dehors, la jeune fille vit l'aubergiste qui s'affairait auprès de sa voiture qu'il essayait de mettre en marche. Mme Jammes, debout à côté de son mari, lui tenait un discours véhément ponctué de grands gestes.

« Elle lui rapporte sans doute la conversation que j'ai eue avec mon père, songea Alice. Il faut que je me dépêche. Mais d'autre part, il est à craindre que je ne retrouve jamais une si belle occasion d'aller jeter un coup d'œil à cette fameuse cassette... »

Elle eut bientôt fait de repérer la remise que l'on voyait du haut de la tour. Elle y courut, déplaça en un clin d'œil les rondins entassés sur la cache et découvrit enfin l'objet dissimulé par M. Jammes.

« Si cette cassette est bien celle que je cherche, papa sera certainement heureux que je la mette en sûreté à la banque », se dit la jeune détective.

La boîte était lourde, mais l'angoisse stimulait les forces de la jeune fille, et l'instant d'après, ayant tiré la cassette hors du trou, elle lisait cette inscription sur l'étiquette jaunie que portait le couvercle :

« Propriété personnelle d'Abel Sidney. »Serrant contre elle le lourd coffret de cuivre et d'ébène, Alice fit

en courant le tour de la maison pour regagner son cabriolet. D'un bond, elle sauta sur le siège et, sans perdre une seconde, tira le starter.

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Nerveux, le moteur ronfla aussitôt. Alice démarra, passa rapidement ses vitesses et fila à toute allure le long du petit chemin de l'auberge. Avec un soupir de soulagement, elle déboucha enfin sur la grand-route, heureusement déserte.

Quelques instants plus tard, comme elle jetait un coup d'œil machinal dans le rétroviseur, l'image qu'elle y aperçut la fit sursauter. Instantanément, elle pressa l'accélérateur à fond : la voiture de Frank Jammes venait de surgir au détour du chemin et s'élançait sur les traces du cabriolet.

« Saurait-il où je vais et pour quelle raison ? » se demanda Alice.En dépit de l'avance prise par la jeune fille, Jammes commençait

à gagner du terrain.« Pas de doute : il cherche à me rejoindre, se disait Alice. De

deux choses l'une : ou bien il veut m'empêcher de ramener M. Hill, ou bien il m'a vue emporter la cassette ! »

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CHAPITRE VIIl

LA POURSUITE

SITUÉE à mi-chemin de River City, Briseville était bâtie un peu à l'écart de la grand-route sur une voie transversale. Alice guettait l'embranchement avec impatience. Enfin, elle reconnut à plusieurs repères que l'endroit était proche et une manœuvre hardie se dessina dans son esprit.

Elle ralentit légèrement, mais assez pour que se réduisît la distance qui la séparait encore de M. Jammes. Et puis, lorsque celui-ci ne fut plus qu'à une trentaine de mètres, elle força brusquement l'allure comme pour narguer son poursuivant. Dans le rétroviseur, elle avait eu le temps de distinguer clairement l'aubergiste, cramponné à son volant, les mâchoires serrées, le visage congestionné.

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Combinant avec une remarquable précision sa vitesse avec la manœuvre à exécuter, Alice atteignit l'embranchement de Briseville sans ralentir, puis brusquement, elle freina et d'un coup de volant donné avec une maîtrise étonnante, s'engagea sur la petite route. Lancé à toute allure, le cabriolet vira prestement sur deux roues, dans le crissement de ses pneus sur le gravier.

Au bout de quelques secondes, Alice souleva son pied appuyé sur l'accélérateur afin de regarder derrière elle. Sa curiosité satisfaite, une expression de soulagement détendit ses traits, et elle força à nouveau la vitesse.

Jammes, aveuglé par sa rage, avait donné dans le piège. Uniquement préoccupé de rejoindre Alice, la brusque manœuvre de cette dernière avait été pour lui une surprise complète. Lancé sur la route de River City, il s'était efforcé de freiner, mais si brutalement, que la voiture, dérapant sur le bas-côté, avait quitté la chaussée pour franchir le talus et s'arrêter net, l'avant engagé dans une clôture de fil de fer barbelé.

Quelques instants plus tard, Alice roulait dans la rue principale de Briseville. Elle trouva sans difficulté la banque dont lui avait parlé son père, gara sa voiture, puis, s'emparant de la précieuse cassette, elle se dirigea vers l'immeuble. Elle fit son entrée dans le vaste hall de celui-ci, nette et fraîche, sans qu'un seul cheveu de sa tête fût décoiffé, ni un pli de sa robe dérangé. Seuls, ses yeux pétillants et son teint animé pouvaient laisser soupçonner l'émotion qu'elle ressentait.

« Je voudrais parler à M. Hill, dit-elle à l'un des huissiers.— Avez-vous un rendez-vous ?— Non, mais si vous dites à M. Hill que je viens de la part de

James Roy au sujet d'une affaire urgente, je suis sûre qu'il me recevra. »

L'homme eut un sourire amusé devant l'assurance de cette jeune fille qui prétendait forcer la porte d'un important personnage en usant d'un prétexte aussi enfantin. Comment en vérité pouvait-elle jouer le moindre rôle dans une affaire quelconque... Cependant, il y avait une nuance de respect dans sa voix quand, cinq minutes plus tard, il revint annoncer à Alice que M. Hill serait heureux de la recevoir immédiatement.

« Que puis-je faire pour votre père, mademoiselle ? demanda-t-il

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à Alice. Oh ! rassurez-vous, je ne suis ni détective, ni sorcier, mais j'ai vu si souvent votre photographie sur le bureau de mon ami Roy que je n'ai eu aucune peine à deviner que vous étiez sa fille.

— Mon père désire que vous lui serviez de témoin pour contresigner un document très important et au sujet duquel il pourrait y avoir plus tard contestation, répondit Alice. J'ai ma voiture dehors et je vous emmène avec moi. Dans cette affaire, monsieur, les minutes sont précieuses.

— Alors, je vous suis, déclara le banquier sans hésiter— Auparavant, je voudrais déposer cette cassette en lieu sûr, dit

Alice.-— Nous allons régler cette question sur-le-champ, fit M. Hill,

pressant un bouton.— Naturellement, ajouta la jeune fille, je vous serai

reconnaissante de bien vouloir me délivrer un reçu.— Vous avez la prudence d'une véritable femme d'affaires », dit

le banquier en souriant.Un homme entra, revêtu de l'uniforme de la banque, et M. Hill

lui remit la cassette en lui ordonnant de la déposer dans la chambre forte. Puis il se tourna vers Alice.

« Tenez, mademoiselle, préparez votre reçu », dit-il.La jeune fille s'empressa de prendre la plume et le papier qu'on

lui tendait. En termes rapides, mais précis, elle décrivit la cassette, puis fit signer le document à M. Hill.

« Et maintenant, s'écria-t-il, en route ! »Cinq minutes plus tard, le cabriolet reprenait le chemin de

l'auberge. A côté d'Alice, le banquier s'adossait fermement à son siège, le visage un peu crispé, tandis que son regard observait avec inquiétude le cadran du compteur.

Comme Alice allait atteindre l'embranchement de la grand-route, une voiture surgit, roulant à toute vitesse en direction de Briseville. Au passage, la jeune fille reconnut l'automobile de Frank Jammes, et, jetant un coup d'œil dans son rétroviseur quelques instants plus tard, elle aperçut l'aubergiste qui, arrêté au bord du chemin, gesticulait et montrait le poing au cabriolet.

Peu de temps après, Alice s'arrêtait devant le perron des Bougies-Torses.

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« J'espère que je n'ai pas été victime d'un enlèvement ? » dit M. Hill en plaisantant. Il descendit de voiture et considéra un moment la façade vieillotte de la maison : « Où suis-je donc et où se trouve votre père ? »

Comme pour répondre à cette question, l'avoué s'avançait au même instant sous la véranda pour accueillir M. Hill.

« Tu n'as vraiment pas mis longtemps, dit-il à Alice. A cette heure-ci, je te croyais tout juste arrivée à Briseville. Jusqu'à présent, les fâcheux visiteurs que nous redoutions n'ont pas encore paru. »

Le banquier suivit James Roy à l'intérieur de l'auberge tandis qu'Alice s'asseyait sur les marches du perron pour laisser se dissiper l'impression d'énervement et d'angoisse qui l'avait accompagnée tout au long de son expédition. Cependant, son esprit demeurait en éveil, et elle se demandait ce que lui dirait M. Jammes à leur prochaine rencontre qu'elle savait inévitable. Elle s'interrogeait en même temps sur le contenu de la cassette et sur les raisons qui, de l'avis de James Roy, rendaient si délicates les affaires de famille d'Abc! Sidney.

« Cela aurait-il par hasard quelque rapport avec la situation de Peggy ? se disait-elle. Ne serait-ce pas magnifique si M. Sidney avait décidé de lui laisser quelque chose sur son testament ? »

Mais Alice n'eut pas le loisir de réfléchir plus longtemps sur ce sujet : une voiture venait de surgir sur le chemin menant à l'auberge.

« Voilà M. Jammes, se dit-elle. Alors, préparons-nous à la bagarre ! »

Alice se trompait : l'automobile qui s'arrêta devant l'auberge quelques instants plus tard n'était pas celle de M. Jammes, et celui-ci ne se trouvait pas davantage dans la seconde voiture qui arriva presque en même temps. Mais lorsque Alice eut compris qui étaient les nouveaux venus, elle sentit son cœur battre à se rompre. Jacob Sidney jaillit de la première voiture comme un diable d'une boîte et, sans regarder autour de lui, il se rua vers la maison, tandis que Peter Banks sautait à bas de son siège pour se précipiter également vers le perron.

Alice ne perdit pas une seconde. Elle se releva d'un bond, feignit de trébucher et de perdre l'équilibre pour se rattraper à la porte. De sorte que les deux cousins, haletants, la trouvèrent devant eux, leur barrant le passage.

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« Ecartez-vous et empêchez cet individu de me suivre ! ordonna brutalement Jacob Sidney.

- Je veux entrer ! Il faut que je voie M. Sidney immédiatement. C'est pour l'entretenir d'une affaire confidentielle, déclara M. Banks, le souffle court.

- M. Sidney est occupé pour l'instant, dit Alice. Il a des visiteurs et il a défendu qu'on le dérange... Voulez-vous vous asseoir?

- Avec qui est-il ? s'écria M. Banks.— Je crains de ne pouvoir vous renseigner, fit Alice, de sa voix

la plus suave. Mais ne prendrez-vous pas tous les deux un peu de thé ?— Tous les deux ? fit Jacob Sidney d'un ton ironique. Sachez

que cet individu n'est pas avec moi...— Soyez tranquille, Sidney, je n'ai aucun goût pour votre

compagnie, lança M. Banks.— De quel droit m'adressez-vous la parole, canaille ? Rappelez-

vous que nous n'avons plus rien à nous dire.— Je pourrais peut-être vous apporter du papier et un crayon,

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offrit Alice, sans bouger d'un pouce. Cela vous permettrait d'échanger quelques notes, puisque vous ne voulez pas vous parler...

— De quoi vous mêlez-vous ? Et puis d'abord, qui êtes-vous ? fit M. Banks, impatienté.

— Mais voyons, monsieur, nous nous sommes déjà rencontrés ici même, hier soir. Vos nièces Bess et Marion étaient avec moi...

— Mais oui, je me souviens, s'exclama Jacob Sidney. Votre voiture était arrêtée au beau milieu du chemin ! Dites donc, que faites-vous ici ?

— En voilà assez ! coupa M. Banks. Vous m'empêchez de passer ! Mais je ne me laisserai pas faire !

- C'est moi qui monterai le premier chez Abel, parce que je suis de la famille et que je porte son nom, cria Sidney à tue-tête.

— J'ai autant le droit de le voir que vous », riposta M. Banks.

A cet instant, Jacob Sidney écarta brusquement Alice et se précipita sur la porte. Poussant un cri étranglé, l'autre s'accrocha au veston de son cousin et après une courte lutte, les deux hommes pénétrèrent ensemble dans l'auberge.

Mais là, un nouvel obstacle se dressa devant eux, et Alice faillit ouvrir un ban en l'honneur de Peggy dont la présence d'esprit et l'ingéniosité avaient fait merveille pour sauver la situation. L'escalier qui montait à la tour était barré par un balai et un lave-pont jetés en bataille sur les premières marches. Celles-ci disparaissaient sous une épaisse mousse de savon tandis qu'un flot d'eau sale ruisselait à mi-étage où Peggy était installée. A genoux, entourée par trois grands seaux remplis jusqu'au bord, elle était armée d'une brosse de chiendent et frottait les degrés à tour de bras.

« Eh, là-haut ! s'écria M. Banks. Laissez-nous passer ! »Peggy sursauta et, en se retournant, renversa l'un des seaux. Les

deux hommes n'eurent que le temps de se jeter de côté pour éviter la cascade qui vint s'abattre au bas des marches.

« Mon Dieu, comme vous m'avez fait peur ! s'exclama Peggy. Attendez que j'éponge mon escalier. Avec tout ce savon, vous risqueriez de glisser ! »

Tandis que les deux visiteurs trépignaient d'impatience, elle descendit un seau dans le vestibule, puis remonta pour transporter l'autre

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sur le palier du premier étage. Et elle commença à essuyer les degrés, posément, et avec force précautions.

Bien que la jupe et les sandales de la jeune fille fussent trempées, elle semblait prendre à sa besogne un plaisir extrême. Enfin, elle se releva et ramassa ses balais. Alors, les hommes s'élancèrent.

Cependant, comme ni l'un ni l'autre ne consentait à céder le pas, il y eut une brève bousculade accompagnée d'un échange de coups de poing et de bourrades. Bras dessus, bras dessous au pied de l'escalier, Alice et Peggy les regardaient, incapables de maîtriser le fou rire qui s'emparait d'elles à ce spectacle ridicule. Finalement, ce fut Peter Banks qui sortit vainqueur de la bataille et il grimpa quatre à quatre, suivi de près par Jacob Sidney.

« Tous mes compliments, Peggy, murmura Alice. Grâce à vous, papa et M. Hill auront pu gagner un temps précieux. Quelle idée de génie, que d'installer tous ces seaux et ces balais en travers du chemin!»

Puis la jeune fille s'élança à son tour dans l'escalier de la tour. Elle rejoignit les deux hommes à l'instant où ils faisaient irruption dans la chambre du vieillard.

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CHAPITRE VIII

INDISCRÉTION

Au NOM de la loi, je vous ordonne d'arrêter ! hurla Peter Banks, ouvrant la porte à toute volée. — N'écoutez pas ce qu'il dit ! cria l'autre d'une voix stridente. Mais quoi que vous fassiez, arrêtez ! » Alice vit Abel Sidney s'adosser dans son fauteuil, placé auprès du haut chandelier garni comme à l'habitude d'une bougie torse toujours allumée.

Debout devant une table voisine, James Roy s'était retourné à demi vers les arrivants qu'il regardait avec calme, tandis que M. Hill, encore assis, la plume à la main, venait manifestement d'en terminer avec sa besogne. Plusieurs feuillets manuscrits étaient épars autour de lui.

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« Puis-je savoir à quel titre vous pénétrez ici ? » demanda froidement l'avoué à M. Banks. Et, rassemblant les papiers, il les plia sans hâte, avant de poursuivre : « Etes-vous policier ou bien magistrat?

Répondez ! »Abasourdi, l'homme demeura cloué sur place, ouvrant et

refermant la bouche sans proférer le moindre son, comme un poisson rouge dans un aquarium.

« Je ne suis ni l'un ni l'autre, répondit-il enfin. Mais dans une affaire comme celle-ci, les gens de la famille ont tout de même

quelques droits ?— Une affaire comme celle-ci ? Que voulez-vous dire,

monsieur? Je viens de rédiger le testament de M. Sidney, et M. Hill, ici présent, a ensuite authentifié le document. Voyez-vous la moindre irrégularité dans tout ceci ? »

Jacob Sidney fit alors un pas en avant.« J'exige que vous me montriez ce papier, déclara-t-il. Je veux

m'assurer que ce testament a été rédigé par quelqu'un qui a toute saraison !- Vous n'avez pas à vous tourmenter à ce sujet, réponditl'avoué, non sans irritation.— Je ne serais pas étonné que vous eussiez mis dans la tête de

mon oncle, quelques idées de votre cru ! » poursuivit Jacob Sidney.Ces mots exaspérèrent Alice, car elle connaissait l'honnêteté et la

parfaite loyauté de son père. Elle s'avança vers Jacob et, le foudroyantdu regard :« Ceci est une insulte, monsieur », s'écria-t-elle. Elle redressa

fièrement sa tête blonde. « Mon père n'avait jamais vu M. Sidney avant ce matin, et jusqu'à hier soir il ignorait même son existence, continua-t-elle. Je vous prie de faire des excuses ! »

Les deux visiteurs reculèrent d'un pas devant cette attaque imprévue.

« Mais... mais qui êtes-vous? balbutia Jacob. C'est insensé, le nombre de personnes qui viennent se mêler de cette affaire, alors que les intéressés n'ont même pas le droit de savoir ce qui se passe ! »

A ces mots, Abel Sidney quitta son fauteuil, et déclara d'une voix où perçait la colère :

« Ce qui me surprend encore davantage, c'est qu'après tant

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d'années d'indifférence et d'oubli, vous manifestiez soudain un tel intérêt pour moi et preniez tant de soin de mes affaires et de mon état mental ! Vraiment, mes neveux, je vous assure que je me sens tout aussi capable aujourd'hui qu'il y a dix ans de mener ma barque sans l'assistance de personne !

— Je n'en doute pas un instant, oncle Abel, fit Jacob d'un ton conciliant. Seulement, je voulais vous mettre en garde contre l'excès de confiance que vous pourriez peut-être accorder à des étrangers...

— Et pas uniquement à des étrangers, mais aussi à certains de vos parents dénués de scrupules, s'exclama vivement M. Banks. Souvenez-vous, oncle Abel, que je suis le seul à toujours avoir eu vos intérêts à cœur.

— Il n'empêche que, parfois, de simples étrangers peuvent aussi se comporter en amis véritables », dit le vieil homme en posant la main sur l'épaule d'Alice.

Puis se tournant vers ses neveux, il ajouta d'un ton sec :« Quand j'aurai besoin de votre avis, je vous le demanderai !— Je ne songeais qu'à vous aider, balbutia Jacob.— Tiens, seriez-vous réellement disposé à me rendre service ?

demanda M. Sidney, une lueur de malice dans les yeux.— Mais bien sûr », fit Jacob avec élan.Il était ravi que pareille occasion s'offrît à lui de gagner la faveur

du vieillard.« Laissez-moi faire, oncle Abel, je vous en prie ! » s'écria

aussitôt M. Banks, se précipitant vers Abel Sidney.« Eh bien, vous pouvez vous y mettre tous les deux », décida

Abel, sentencieux et caressant gravement sa longue barbe.« Vite, que devons-nous faire ? clamèrent les neveux en chœur.— Décamper ! » s'écria brusquement le vieillard d'une voix

tonnante, si inattendue qu'elle fit sursauter tout le monde. « Débarrassez-moi le plancher et ne remettez plus jamais les pieds ici, à moins que je ne vous y invite ! J'en ai assez de vous : vous ne songez qu'à mon argent et vous m'écœurez, à tourner autour de moi comme deux vautours, en attendant ma mort ! Vite, décampez ! »

Peter et Jacob avaient pâli, si grande était leur honte de se voir ainsi démasquer en présence de l'avoué, de son témoin et surtout de cette gamine qui les avait joués si habilement.

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Alice sentait la main d'Abel Sidney trembler sur son épaule. Le vieillard semblait respirer avec difficulté. Il chancela et il dut saisir un instant le bras de la jeune fille pour reprendre son équilibre.

Lentement, les vaincus reculaient vers la porte mais ils ne voulaient pas abandonner la partie sans avoir livré une dernière bataille.

« Voyons, mon oncle, calmez-vous, commença Peter d'une voix apaisante. Comprenez-moi: j'ai eu un mouvement d'impatience..., mais je vous supplie de ne pas m'en garder rancune. »

D'un geste las, Abel fit signe à Alice d'ouvrir la porte. Elle saisit la poignée et tira vivement à elle. Alors, on entendit une exclamation confuse, et Frank Jammes apparut aux yeux de tous, rouge de honte, accroupi sur le seuil, l'oreille à hauteur de la serrure !

«Oh! par... pardon... J'avais per... perdu quel... quelque chose ! bégaya-t-il.

— Que faites-vous ici ? » s'exclama Alice.Frank Jammes semblait pétrifié. Incapable de se relever, il restait

accroupi sur le seuil, comme une grande grenouille. Il leva vers la jeune fille et les autres personnes présentes un regard éperdu.

« J'a... j'avais laissé tomber quelque chose, bredouilla-t-il. Alors, je cherchais...

— Vous nous espionniez, s'écria Peter Banks en s'approchant de l'homme.

« Moi ? Jamais de la vie ! protesta Jammes d'un ton plaintif. Comme si j'étais capable d'une chose pareille... »

L'aubergiste voulut reculer, mais, comme il atteignait l'extrémité du palier, il oscilla un instant au bord des marches, puis partit soudain à la renverse. Et, poussant un cri déchirant, il s'abattit dans l'escalier la tête la première. Il exécuta une pirouette impressionnante et se retrouva à l'étage au-dessous sans autre mal en apparence que la fâcheuse blessure reçue par son amour-propre.

« Vous n'avez rien de cassé ? demanda Alice, suffoquée.— Je porterai plainte contre vous, Banks, vous m'avez poussé !

cria Jammes, qui se frottait la tête et la jambe. J'aurais pu me rompre le cou !

— Dites-moi, Frank, fit Abel Sidney, quand vous aurez fini de descendre l'escalier, voudrez-vous avoir la bonté d'ouvrir la porte à ces

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deux messieurs ? Ils vont vous suivre, mais j'espère que ce ne sera pas la tête la première ! »

Peter et Jacob se regardèrent, l'air ahuri, mais comprenant enfin qu'ils ne gagneraient rien à prolonger leur visite, ils s'engagèrent dans l'escalier, silencieux, l'oreille basse.

En les voyant disparaître, Abel Sidney poussa un profond soupir.« J'espère ne plus jamais les revoir, dit-il en s'appuyant au

chambranle de la porte avec lassitude.— Je vais vous confier un secret, dit Alice. Tous les membres

de votre famille sont loin de ressembler à vos neveux. Les deux jeunes filles avec qui nous avons célébré votre anniversaire s'appellent Bess Taylor et Marion Webb.

— Voilà qui fait plaisir à entendre, répondit Abel, un léger sourire aux lèvres. Je suis heureux d'apprendre qu'il y a encore d'honnêtes gens parmi les membres de ma famille !

— Quelle affaire étonnante, James, dit alors M. Hill. Je n'avais encore jamais vu pareille tragi-comédie accompagner la signature d'un testament, et je vous remercie beaucoup de m'avoir donné l'occasion d'assister à ce spectacle... Et à présent je crois qu'il est temps pour moi de retourner à la banque. Soyez tranquille, James, je n'oublierai rien de ce qui a été dit au cours de notre entretien. Etait-ce bien tout ce que vous aviez à me communiquer ?

— Oui, je vous remercie, répondit James Roy. Voulez-vous qu'Alice vous reconduise à Briseville ?

— Ce n'est pas la peine. Mon chauffeur doit en ce moment m'attendre à la banque, et je vais lui téléphoner qu'il vienne me chercher. Je pense qu'il ne va pas tarder à être l'heure du déjeuner.

— Je n'ai pas besoin de consulter ma montre pour vous répondre : je me sens une faim de loup, dit l'avoué. Et toi, Alice ?

— J'ai avalé une tasse de thé et des tartines il n'y a pas très longtemps, mais ce n'est pas cela qui m'empêcherait de manger un morceau... Oh ! remarque que je puis attendre !

— Très bien, je vais donc en profiter pour questionner un peu M. Jammes », déclara James Roy.

Après que M. Hill eut pris congé, l'avoué s'attarda un moment sur le seuil de la chambre pour échanger encore quelques mots avec Abel Sidney. Mais on entendit bientôt un pas léger sur les

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marches de l'escalier et Peggy parut, chargée d'un lourd plateau. « J'avais préparé des sandwiches, dit-elle timidement. Et je vous apporte aussi du thé glacé à la menthe.

— Splendide ! s'écria James Roy avec enthousiasme. Mais vous allez vous asseoir et partager tout ceci avec nous. Je serais heureux de faire plus ample connaissance avec vous.

__ Peggy est une bonne petite fille. Elle est mon unique soutien,mon seul réconfort, dit Abel. Viens ici, ma chère enfant, et

assieds-toi auprès de moi. Comme tu as l'air lasse !— Oh ! je ne suis pas fatiguée », protesta la jeune fille, d'un ton

résolu. Elle déposa son plateau sur la table, puis ôta la serviette blanche qui le recouvrait.

« Servez-vous, dit-elle. Je ne puis rester parmis vous, des clients viennent d'arriver et je dois m'occuper d'eux. »

Elle quitta la pièce précipitamment tandis qu'Alice, M. Roy et M. Sidney commençaient à manger. Une fois leur repas terminé, Alice s'adressa à son père et à Abel Sidney : « M. Hill vous a-t-il parlé du coffret que j'ai déposé dans la chambre forte ?

— Non, répondirent les deux hommes.

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— Monsieur Sidney, demanda alors Alice, avez-vous demandé à M. Jammes d'enterrer la cassette qui se trouve habituellement sous cette table ? »

Le vieillard jeta un regard surpris vers l'endroit désigné par Alice.

« Ma foi non ! répondit-il. Comment êtes-vous au courant de son existence ? »

Alice raconta l'histoire de la cassette enfouie, et elle ajouta : « J'espère que vous approuverez ma conduite. Tenez, voici le reçu. » Et sortant celui-ci de son sac, elle le tendit à M. Sidney.

« Vous avez agi avec sagesse, dit le vieil homme à la jeune fille. Merci. »

Puis, riant dans sa barbe, il ajouta : « Je vois d'ici la tête que fera ce pauvre Jammes ! Il sera furieux d'avoir été berné par une jeune fille de votre âge ! Vous pouvez être fier de votre fille, monsieur Roy. »

L'avoué prit alors un air grave : « Cela me semble très sérieux, Alice. Je suis heureux que tout se soit bien passé, mais je crois que Jammes nous doit une explication. »

M. Roy se rendit alors dans la salle à manger et revint quelques minutes plus tard en compagnie de Frank Jammes. Quand on lui parla de la cassette, l'aubergiste blêmit, puis, reprenant confiance :

« Bien sûr que je l'ai prise, dit-il. M. Sidney a dormi plus longtemps que d'habitude, et j'ai craint que sa famille ne s'empare de la cassette. Je suppose que son contenu a beaucoup de valeur. »

Abel Sidney ne répondit pas. Il semblait perdu dans ses réflexions.

Alice et son père se regardèrent en silence. Ils ne croyaient guère en la sincérité de l'aubergiste, mais après tout, il y avait peut-être une petite chance pour que l'histoire fût vraie.

« Très bien, Frank, dit enfin Abel Sidney, je vous crois. Mais à l'avenir, je vous prierais de laisser dans cette pièce les objets qui s'y trouvent. »

L'aubergiste acquiesça d'un signe et sortit sans demander son reste. Abel Sidney s'adressa alors à James et Alice Roy : « Cette cassette contient des papiers importants ainsi que quelques pièces d'argent. »

« Je ne m'étais pas trompée », pensa Alice.Après un instant de silence, Abel Sidney ajouta :

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« Je me rends bien compte que rester ici tout seul n'est pas très sage. Je ne peux compter que sur Peggy pour me tenir au courant de ce qui se passe à l'auberge. »

« Et Peggy ne veut pas lui faire de peine en lui racontant qu'elle est maltraitée, et que l'auberge est dans un état déplorable », songea la jeune fille.

« J'ai un secret à vous révéler, dit alors le vieil homme, le regard perdu dans le vague. Il y a de nombreuses années, ma femme et moi avons fait construire des placards secrets, et nous y avons caché un certain nombre d'objets nous appartenant. Hélas ! ma mémoire me fait parfois défaut et je n'arrive plus à me rappeler leur emplacement. Ma femme a emporté ce qui lui appartenait quand elle m'a quitté. J'espère que personne n'a mis la main sur le reste... Alice, je vous charge d'une mission importante : voulez-vous essayer de retrouver ces placards secrets ? Vous pourrez vous faire aider par Peggy, Bess et Marion. Mais surtout, cela doit être fait à l'insu de Jammes et de sa femme.

— J'accepte avec joie ! s'exclama Alice. Tu es d'accord, papa?»

M. Roy approuva d'un signe de tête. Un large sourire illumina alors le visage de la jeune fille.

« Dans ces conditions, il va falloir que je prenne mes repas ici, dit-elle. Et je vais être obligée de vous rendre visite plus d'une fois si je veux que mes recherches passent inaperçues.

— De la discrétion ! chuchota M. Sidney. De la discrétion ! »

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CHAPITRE IX

AMIES OU ENNEMIES?

M ROY dit à Alice qu'il l'attendrait en bas, car il désirait parler à Frank Jammes avant son départ de l'auberge. Alice s'attarda auprès de M. Sidney à qui elle voulait poser quelques questions.

« Quelle chambre occupiez-vous autrefois ? demanda la jeune fille au vieil homme.

— La chambre principale. Elle se trouve à l'extrémité est du vestibule, et elle donne sur l'allée.

— Qui l'occupe actuellement ? Les Jammes ?— Non. Leur chambre est à l'extrémité ouest. Celle de Peggy lui

fait face. Mon ancienne chambre ainsi que deux autres étaient généralement données à des clients. Mais elles n'ont pas été habitées

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depuis plus de deux ans. Clara prétend que l'auberge rapporte assez d'argent et qu'il est inutile de louer ces chambres.

— Existe-t-il un moyen de reconnaître ces placards secrets ? demanda Alice.

— Oui. Grâce à un dessin représentant une bougie torse. Ce dessin se retrouve également sur les coffres et les cassettes.

— Cela devrait faciliter les choses », dit Alice.La jeune fille se sentit soudain envahie d'un brusque sentiment

d'affection pour le vieillard. Elle l'embrassa sur la joue et prit congé de lui en promettant de commencer ses recherches dès le lendemain.

Comme Alice allait franchir le seuil de la maison, une scène animée s'offrit à ses yeux. Sous la véranda se trouvait Frank Jammes adossé contre l'une des fenêtres de la salle à manger, pâle et tremblant. Ses mains s'agitaient fébrilement, enfoncées dans ses poches. Devant lui, James Roy marchait de long en large, ainsi qu'Alice l'avait vu faire souvent dans son bureau ou au tribunal, lorsqu'il procédait au contre-interrogatoire d'un témoin. La jeune fille fit quelques pas en arrière afin de ne pas tomber au beau milieu de la discussion.

« A combien s'est élevé l'an dernier le revenu des prés que vous avez affermés ? lança brusquement l'avoué.

— A peine deux cents dollars, fit l'aubergiste d'une voix sourde.

— Avez-vous reversé cette somme à M. Sidney ?— J'ai tout dépensé en travaux.— En réparations pour l'immeuble ou en matériel pour le

restaurant ? »Jammes s'épongea le front.« Je... je ne sais plus très bien, bredouilla-t-il. Voyons un peu...

mais c'est en réparations, bien sûr !— Je constate qu'aucune peinture n'a été refaite et que le jardin

est en friche, dit James Roy d'un ton sec. De quelles réparations voulez-vous parler ?

— Dites donc, est-ce que ceci est un interrogatoire ? riposta l'aubergiste d'un ton haineux. Rien ne vous autorise à me poser toutes ces questions. Je refuse de répondre. Mais je crois que vous avez raison de penser qu'il se passe quelque chose de louche. A votre place, je surveillerais les deux individus qui étaient ici ce matin. »

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Silencieuse, gardant l'immobilité d'une statue, Alice se tenait sur le seuil. C'est ainsi qu'elle n'attira aucunement l'attention de Mme Janimes lorsque celle-ci se glissa hors de la cuisine, traversa le vestibule à pas de loup et vint se poster tout près de l'endroit où se trouvait l'aubergiste. De sa place, Alice voyait fort bien ce dernier ainsi que sa femme, debout derrière lui, à l'intérieur de la pièce.

Tandis que James Roy continuait à arpenter la véranda Mme J animes, profitant des instants où il lui tournait le dos, releva à petits coups le vantail inférieur de la fenêtre à guillotine. Puis, Alice la vit se pencher par l'ouverture et, à demi dissimulée par l'un des rideaux de cretonne, murmurer quelques mots à son mari.

Le visage de l'homme s'éclaira et, sans quitter des yeux James Roy, il sortit avec précaution une enveloppe volumineuse qu'il tenait cachée sous sa veste. Il la fit passer prestement derrière lui et la tint ainsi un instant pour permettre à sa femme de la saisir.

« Oui, monsieur, poursuivit l'aubergiste, c'est comme je vous le dis et, par-dessus le marché, je crois que chacun de ces deux bonshommes soupçonne l'autre de faire disparaître certains objets de la chambre de M. Sidney. »

L'aubergiste s'éloigna de la fenêtre tandis que Mme Jammes, un sourire aux lèvres, examinait la lettre. Puis elle tourna les talons.

Alice quitta alors son poste d'observation et la suivit.L'expression de curiosité et de triomphe insolent qui se lisait sur

son visage sournois s'effaça comme par enchantement à l'instant où elle découvrit Alice, debout devant elle.

« Que me voulez-vous, à rôder ainsi dans la maison sans faire plus de bruit qu'un chat ? s'écria-t-elle avec violence.

— Mais rien du tout, répondit Alice, l'air innocent. Je cherchais seulement une enveloppe. Tiens, je vois que vous l'avez retrouvée...

— Vous vous trompez », s'écria la femme, en se hâtant de dissimuler le pli sous son tablier. « Ceci est pour moi et je l'ai reçu au courrier de ce matin.

— Je crains qu'il n'y ait une erreur. Puis-je voir l'adresse ?— Certainement pas, répliqua la femme. J'imagine que l'on a le

droit de conserver quelque liberté chez soi, même si l'on habite une maison ouverte au public ! »

Elle écarta Alice d'un geste impérieux mais ce fut pour se trouver

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nez à nez avec James Roy qui, attiré par le ton des voix, venait d'entrer dans la pièce.

« Que se passe-t-il ? demanda-t-il.— Rien de grave, Dieu merci, fit Mme Jammes. Il ne s'agit que

d'un simple malentendu.— Figure-toi, papa, que je viens de voir M. Jammes passer une

enveloppe à sa femme pendant que tu avais le dos tourné », dit Alice, dédaignant de commenter les paroles qu'avait prononcées Mme Jammes. Puis elle ajouta : « Je crois que cette lettre était destinée à M. Sidney. »

La déclaration de la jeune fille eut sur Mme Jammes l'effet d'une bombe. On la vit perdre brusquement contenance et, dans son désarroi, elle laissa tomber l'enveloppe qu'Alice ramassa en un clin d'œil.

« Il s'agit en effet d'un malentendu, dit Alice. Cette lettre est adressée à M. Sidney...

— Euh... j'allais justement la monter chez M. Sidney », répondit la femme. Ses paupières battaient nerveusement, et elle passa sa langue sur ses lèvres sèches.

« Alors je m'excuse de vous avoir retenue, fit Alice avec un

sourire. Il doit s'agir d'une lettre importante, car je vois qu'elle est

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recommandée. Elle vient d'ailleurs de la Compagnie Minière du Middle West... »

Sans un mot, Mme Jammes prit la lettre et se dirigea vers l'escalier en toute hâte. Alice adressa un clin d'œil malicieux à son père et marcha sur les talons de la femme afin de s'assurer que la lettre serait bien remise à M. Sidney.

« Ma mission ici est terminée, dit James Roy à sa fille lorsque celle-ci fut redescendue. Allons-nous-en. Grâce à toi, je viens d'obtenir un renseignement d'une extrême importance. »

Tandis que le cabriolet reprenait le chemin de River City, James Roy apprit à sa fille qu'au nombre des biens énumérés par Abel Sidney sur son testament, figuraient plusieurs actions de la Compagnie du Middle West. Mais le vieillard avait déclaré que cela ne valait sans doute plus grand-chose, car depuis quatre ans déjà il n'avait reçu aucun dividende.

« Or, il se trouve que je possède quelques-unes de ces actions, poursuivit l'avoué. C'est un placement sûr et rentable, et comme les dividendes sont toujours payés avec beaucoup d'exactitude, j'en ai déduit que quelqu'un devait subtiliser les chèques adressés à M. Sidney. D'ailleurs, j'ai moi-même reçu un chèque de la Compagnie du Middle West, il n'y a pas longtemps.

— Ainsi, tu soupçonnes les Jammes de voler M. Sidney ?— J'en ai la certitude, répondit M. Roy d'un ton ferme. Mais

cela ne sera pas facile à prouver.— De mon côté, répliqua Alice, je me mettrai à la recherche des

placards secrets dès demain. »Alice déposa son père devant son bureau. Puis elle prit la route

qui, menant vers le centre de la ville, passait devant la maison qu'habitait son amie Bess Taylor. Mais en arrivant, elle vit une automobile rangée le long du trottoir. C'était celle de M. Banks, le neveu d'Abel Sidney.

Alice hésita un instant, ne sachant si elle devait sonner chez les Taylor ou bien se rendre directement chez la cousine de Bess, Marion. Mais elle n'eut pas le loisir de décider, car au même instant elle aperçut cette dernière qui jetait un coup d'œil par l'une des fenêtres du rez-de-chaussée.

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« Tiens, que se passe-t-il donc ? songea Alice. Marion semble bien préoccupée : j'aurais juré qu'elle m'avait vue et, pourtant, elle ne m'a pas fait le moindre signe... »

Quand la jeune fille eut sonné, ce fut Bess qui vint ouvrir la porte.

« Bonjour, Alice », dit-elle. Et, refermant avec précaution le battant derrière elle, elle s'avança vers son amie. « Mon oncle Peter est à la maison, expliqua-t-elle. Il paraît que, ce matin, tu es retournée aux Bougies-Torses ?

— C'est justement de cela que je venais te parler. Vite, appelle Marion : j'ai des nouvelles passionnantes à vous donner, et il faudra absolument que nous fassions bientôt une nouvelle visite à l'auberge.

— Oh ! tu sais, je n'en ai pas tellement envie, dit Bess. Quant à Marion, je suis sûre que cela ne l'intéresse pas du tout. »

Stupéfaite et déçue par cette sèche réponse, Alice se sentit rougir.

«C'est vraiment dommage... », commença-t-elle avec embarras. Et elle continua, la gorge serrée : « M. Sidney vient de confier ses intérêts à papa, et la situation est devenue assez extraordinaire. C'eût été amusant de chercher à résoudre ensemble certaines énigmes...

— Ainsi, ton père a dorénavant partie liée dans cette affaire, observa Bess d'un ton glacial. Voilà qui est fort bien, seulement il faut que tu m'excuses : je dois aller m'occuper du dîner. Au revoir. »

Piquée au vif par la rebuffade que lui infligeait ainsi sa vieille amie, Alice courut à sa voiture et repartit chez elle à un train d'enfer.

« Qu'est-ce qui a bien pu lui prendre ? se demanda-t-elle, boule-versée, les yeux pleins de larmes. Et en quoi suis-je responsable de toutes ces querelles entre les Banks et les Sidney ? Qu'est-ce qui a pu se passer de si important pour que Bess et Marion me retirent leur amitié ? »

Alice poursuivit son chemin, perdue dans ses pensées. Soudain, elle se rendit compte qu'elle se trouvait sur la route menant à la maison de M. Sidney.

« Peut-être le sort en a-t-il décidé ainsi », pensa la jeune détective.

Quand elle arriva devant l'auberge, elle ne vit personne. La voiture

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îles Jammes n'était plus là. Pourquoi Peggy n'était-elle pas venue à sa rencontre ? Alice éprouva une certaine appréhension. Quelque chose de grave s'était-il produit ?

Surmontant ses craintes, la jeune fille grimpa l'escalier, tout en se disant qu'elle était dans un endroit public, et qu'elle avait le droit de s'y trouver. Elle aperçut Peggy au premier étage.

« Alice ! s'écria la jeune fille. Oh ! Alice, comme je suis contente de vous voir ! J'ai une merveilleuse nouvelle à vous annoncer. Tout de suite après votre départ, je suis montée voir M. Sidney. Il m'a parlé de la mission dont il nous a chargées, vos deux amies, vous et moi. Il m'a également dit que vous ne reviendriez pas avant demain. C'est pourquoi il a voulu que je commence immédiatement les recherches. Les Jammes sont allés en ville. M. Sidney s'est rappelé l'existence d'un tiroir à double fond dans le bureau de la chambre à coucher principale. Il m'a demandé d'aller y jeter un coup d'œil. Devinez ce que j'y ai trouvé ?

— Des vêtements ?— Non.— Des bijoux ?— Vous brûlez. Des diamants ! »

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CHAPITRE X

UNE TRISTE NOUVELLE

LES DIAMANTS ? reprit Alice au comble de la surprise. |Qu'en avez-vous fait ?

— Je les ai donnés à M. Sidney, répondit la jeune fille dans un souffle. Il les a cachés sous le siège de sa chaise. C'est une très belle parure. Si vous l'aviez vue dans son écrin de velours... !

— Quelle a été la réaction de M. Sidney ? » demanda Alice. Peggy ne put s'empêcher de rire.

« II m'a dit : « Reprenez vos recherches et rapportez-moi tout « ce que vous trouverez avant que ces misérables ne mettent la main

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« sur ma fortune ! » Alice, nous sommes seules en ce moment. Nous pourrions en profiter pour fouiller la maison ».

L'occasion était trop belle ! Les deux jeunes filles se mirent au travail sans perdre un instant. Elles commencèrent par passer au peigne fin la chambre dans laquelle Peggy avait découvert le bracelet. Les deux jeunes filles examinèrent les murs, le plancher, les placards : elles ne découvrirent aucun indice leur permettant de constater la présence d'une cache. Elles n'eurent pas davantage de succès avec l'armoire ou les autres meubles.

« Voyons si nous aurons plus de chance avec les autres chambres », dit Peggy.

Alice regarda sa montre. « II est cinq heures, dit-elle à son amie. Ne devriez-vous pas être en train de préparer le dîner ?

— Oh ! mon dieu ! s'écria Peggy. Les Jammes m'ont demandé de mettre un gigot au four.

— Dans ce cas, vous n'avez pas une minute à perdre. Si les Jammes rentrent et s'aperçoivent que vous ne vous êtes pas occupée du dîner... »

Alice n'eut pas le temps de finir sa phrase. Peggy était déjà dans l'escalier et courait en direction de la cuisine. La jeune détective entreprit de poursuivre seule les recherches. Elle pénétra dans le cabinet de toilette jouxtant la chambre à coucher. Tandis que la jeune fille parcourait la pièce des yeux, son regard fut attiré par un panneau de bois étrangement décoré et situé au-dessus de la coiffeuse en noyer. A première vue on aurait pu croire que le petit carré de bois faisait partie du meuble, mais la jeune fille se dit qu'il devait s'agir d'une porte. Cependant, elle ne put trouver parmi les arabesques du panneau un moyen permettant de l'ouvrir. Alors, répondant à une impulsion, Alice se pencha et regarda le panneau de profil.

« Je ne me suis pas trompée, pensa-t-elle. Il s'agit bien d'un dessin représentant une bougie torse. Il doit y avoir quelque chose de caché derrière. Mais comment ouvrir cette porte ? »

Perplexe, la jeune fille contempla le panneau pendant quelques instants, persuadée qu'un mécanisme secret devait en commander l'ouverture.

Alice se dirigea alors vers la porte de la chambre et tourna la clef dans la serrure. Elle ne voulait pas être dérangée et craignait que les

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Jammes ne revinssent plus tôt que prévu. Puis elle retourna dans

le cabinet de toilette et déplaça la coiffeuse.« II faut que j'arrive à ouvrir ce panneau ! » murmura-t-elle.Sa respiration se faisait haletante. Elle passa son pouce sur toute

la surface du panneau. Rien ne se produisit.« C'est plus dur que je ne le croyais », pensa-t-elle.La jeune fille se servit alors de ses deux pouces, essayant

différentes combinaisons. Toujours rien.« Et pourtant, je suis sûre d'avoir vu juste », se dit-elle. Soudain,

ses lèvres esquissèrent un sourire. « La chandelle ! Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ! »

Elle effleura du doigt la petite colonne torse jusqu'au moment où elle sentit une petite protubérance. Elle appuya alors fortement et le panneau se détacha. Au fond de la cavité, elle aperçut un petit loquet qu'elle se hâta de tourner. Une porte s'ouvrit. Une boîte à musique se mit alors à jouer. C'était une pièce ancienne très ouvragée et de très grande valeur. De petites danseuses se mirent à évoluer sur le sommet de la boîte à musique. Alice s'apprêtait à sortir celle-ci de sa cachette lorsqu'on frappa à la porte. Elle remit tout en place et alla ouvrir.

Peggy était debout sur le seuil.« Ils viennent de rentrer, chuchota-t-elle. Vous feriez mieux de

disparaître !— Vous avez raison, Peggy. Dites à M. Sidney que j'ai trouvé

une merveilleuse boîte à musique, mais que je n'ai pas eu le temps de la lui apporter.

— C'est magnifique ! Cela lui fera grand plaisir. »Les deux jeunes filles descendirent les escaliers à la hâte. Peggy

s'enfuit dans la cuisine, tandis qu'Alice sortait de l'auberge.Ce ne fut qu'une fois rentrée chez elle que la jeune fille se

rappela la rebuffade de Bess. Malgré les nouvelles passionnantes qu'elle apportait, la jeune détective avait un air maussade. Elle ne toucha guère à son repas ce soir-là.

« Tu as donc perdu l'appétit ? demanda Sarah. Serais-tu malade ?— Oh ! non, je me sens très bien », dit Alice.James Roy considéra quelques instants sa fille d'un air intrigué :

« Et maintenant, mon cher confrère, à nous deux », fit l'avoué en se levant, le repas terminé. Il s'approcha d'Alice et la prit

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par l'épaule. « Voyons, que se passe-t-il ? Dis-moi ce qui te tracasse.

— Mon Dieu, c'est terrible : on ne peut jamais rien te cacher, constata Alice avec un sourire mélancolique. Mais peut-être vas-tu pouvoir m'aider. Figure-toi que Bess et Marion se sont subitement fâchées avec moi. Marion n'a même pas voulu me parler, et Bess s'est montrée fort blessante. »

Les lèvres d'Alice tremblèrent légèrement tandis qu'elle se rappelait l'incident de l'après-midi.

« C'est désolant », dit l'avoué en fronçant les sourcils. « Certaines personnes sont vraiment difficiles à comprendre... Pourquoi diable les parents de Bess et de Marion ont-ils jugé bon d'empoisonner l'esprit de leurs filles avec ces vieilles querelles de famille ? Tout cela remonte si loin qu'aucun d'eux n'y a eu la moindre part. Je ne sais rien de plus ridicule... Malheureusement, ma pauvre Alice, je ne vois aucun moyen de te venir en aide. Il te faut accepter cette situation comme l'une de ces inévitables déceptions que réserve parfois l'existence et compter sur le temps pour arranger finalement les choses. »

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Alice poussa un profond soupir : « J'imagine qu'à présent les deux clans se défient de toi, sous

prétexte que tu es l'avoué d'Abel, et c'est pourquoi l'on aura défendu à Bess et à Marion de me voir. Qu'en penses-tu ? »

James Roy fit un signe d'assentiment. « Je suis de ton avis : c'est ainsi que les choses ont dû se passer, répondit-il. Et nous ne pouvons compter que sur le temps et sur les événements pour démontrer que ni toi ni moi n'avons trempé dans les intrigues de la famille.

— Jamais je ne me serais attendue à cela de la part de Bess et de Marion », dit Alice avec un nouveau soupir.

L'avoué jeta un coup d'oeil à sa fille et, voyant son air peiné, il décida que le meilleur dérivatif à sa tristesse serait d'aborder un sujet qui absorberait toute son attention.

« Je ne sais vraiment quelle décision prendre dans cette affaire d'Abel Sidney, commença-t-il. C'est un véritable problème. »

Alice se retrouva aussitôt en éveil.« De quoi s'agit-il ? demanda-t-elle.— Il faudrait absolument mettre un terme au pillage

systématique des biens de M. Sidney.— Qui soupçonnes-tu, à part les Jammes ? Peter Banks et Jacob

Sidney ne sont certainement pas en cause : malgré leur convoitise et leurs intrigues, je les crois honnêtes.

— Tu as raison, mon petit, nous pouvons les laisser en dehors de ceci, déclara James Roy.

— Nous devrions rendre visite à Abel Sidney dès demain », proposa Alice.

Cette nuit-là, Alice eut un sommeil agité. Elle pensait à ce qui l'attendait le lendemain matin, et elle ne pouvait oublier l'accueil de Bess et de Marion. Au petit déjeuner, elle montra aussi peu d'entrain que la veille. M. Roy lui faisait face, perdu dans ses pensées. Quant à Sarah, elle tournait autour de la table et essayait de les persuader de goûter à ses gaufres toutes chaudes.

Au bout d'un moment, le téléphone sonna et Sarah alla décrocher.

Alice l'entendit s'écrier :« Je ne vous entends pas ! Qui parle ?

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— Laisse, Sarah, je vais prendre la communication », dit Alice. Et, portant le récepteur à son oreille : « Allô, qui êtes-vous ? Ici Alice Roy, fit-elle posément.

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— Oh ! mon Dieu, Alice ! » s'exclama une voix lointaine qui se perdit en une sorte de sanglot.

« Allô, qui est à l'appareil ? Que se passe-t-il, demanda la jeune fille vivement.

— Il est arrivé une chose... une chose...— Mais qui est-ce ? Marion, Bess, est-ce vous ? s'écria Alice,

affolée.— C'est Peggy... Oh! je vous en supplie, venez vite. C'est

terrible, ter... »On entendit un bref déclic, puis ce fut le silence. Peggy avait

raccroché, laissant Alice partagée entre la stupeur et l'angoisse. Elle courut rapporter ce qu'elle avait entendu à son père. Celui-ci prit un visage grave.

« II faut partir immédiatement, déclara-t-il. Va sortir la voiture, Alice, je suis prêt. »

Quelques instants plus tard, la jeune fille et son père reprenaient la route à présent familière qui menait aux Bougies-Torses. M. Roy et sa fille gardaient le silence, trop préoccupés par le mystérieux appel de Peggy pour songer à échanger une parole.

Que s'était-il donc passé ? Une foule de réponses se présentaient à l'esprit d'Alice. Mme Jammes aurait-elle manqué à sa promesse et maltraité sa fille adoptive ? A moins que Peter et Jacob ne se soient de nouveau rencontrés chez Abel Sidney pour s'y livrer cette fois une bataille en règle...

Enfin, on aperçut le toit de l'auberge à travers les arbres, et Alice s'engagea dans l'allée qui aboutissait à la maison.

Comme elle arrivait devant le perron, elle poussa un cri et freina brutalement. Rangée à l'entrée de la véranda, attendait une longue voiture noire, aux rideaux baissés. C'était un fourgon mortuaire !...

Sans attendre son père, Alice se précipita dans le vestibule. Mais elle s'arrêta net en apercevant Peggy assise sur la dernière marche de l'escalier, la tête sur les genoux et qui sanglotait désespérément.

« Peggy ! » s'écria Alice. Elle s'élança vers elle et la prit dans ses bras. « Qu'est-il arrivé ?

— C'est... c'est M. Sidney, balbutia la jeune fille à travers ses larmes. Il est mort dans la nuit... Je l'ai trouvé ce matin, en lui apportant son petit déjeuner. Il avait l'air de dormir...

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— M. Sidney est mort, dit tristement Alice à son père qui entrait à son tour.

— C'est un malheur, fit James Roy, hochant la tête. Sans doute avait-il vécu longtemps, bien plus longtemps que la plupart des gens, et nous savons aussi que cette longue vie n'avait pas été heureuse. Pourtant, n'eût-il vécu que quelques jours encore, Dieu sait quels ennuis et quels chagrins n'eussent pas été évités !

— Que veux-tu dire ? demanda Alice.— Nous allons assister à un affreux règlement de comptes entre

les membres de sa famille. Ils vont se disputer jusqu'à la moindre parcelle des biens de ce pauvre homme. Et je ne parle pas des gens qui n'étaient même pas ses parents, mais qui ont fait main basse sur une bonne partie des biens de M. Sidney. »

Sur ces entrefaites, Frank Jammes apparut, l'air lugubre. « M. Sidney s'en est allé recueillir la récompense des justes, dit-il d'une voix sépulcrale.

— En ma qualité d'exécuteur testamentaire, je compte rester ici et veiller sur place au nécessaire, coupa l'avoué d'un ton sec.

— Qui vous a demandé d'intervenir ? riposta l'aubergiste, abandonnant soudain ses mines affligées. Personne n'a besoin de vous : toutes les dispositions sont prises pour les obsèques, et c'est même nous qui les paierons de notre poche.

— Je ne crois pas que cela soit nécessaire », répondit l'avoué.Alice remarqua que l'aubergiste débordait d'assurance et de

morgue. Il semblait en vérité que la mort d'Abel Sidney eût considérablement augmenté sa détermination et son audace.

James Roy fixa sur lui un regard pénétrant. Il était plus décidé que jamais à tenir parole et à surveiller de près la succession d'Abel.

« Votre présence ici n'est plus souhaitable, déclara M. Roy. Vous pouvez prendre vos dispositions et quitter l'auberge dès que les obsèques auront eu lieu.

— Je n'ai d'ordre à recevoir de personne, répliqua l'aubergiste. Et je n'ai pas dit mon dernier mot ! »

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CHAPITRE XI

UN TESTAMENT SURPRENANT

L'ATTITUDE de Frank Jammes avait quelque chose de choquant. Comment pouvait-il faire aussi peu de cas de la mort d'un homme qui avait été si bon pour lui ? Alice, son père, et Peggy regardèrent l'aubergiste sans aménité. « A votre place, je me montrerais moins sûr de moi, dit l'avoué. En tout cas, j'attendrais que les dispositions testamentaires de M. Sidney soient connues. Mais d'ici là, vous avez du travail : mettez un écriteau à l'entrée de l'auberge. Vous y inscrirez « Etablissement fermé pour cause de décès ». Puis vous établirez une liste complète de ce dont dispose l'auberge.

— Qu'est-ce qui vous autorise à me donner des ordres ? lança l'aubergiste d'un air de défi.

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— Eh bien, je suis chargé de veiller sur les biens de mon client. A ce propos, j'aimerais avoir un double des clefs. »

Frank Jammes eut un mouvement de surprise.« C'est bon, fit-il, vous gagnez. Mais ma femme et moi nous

devons nettoyer la chambre de la tour. »Alice réagit immédiatement aux paroles de l'aubergiste. Elle

serra le bras de son père pour lui faire comprendre que les Jammes ne devaient en aucun cas rester seuls dans la tour.

« Ma fille et Peggy vous tiendront compagnie, monsieur Jammes, fit l'avoué. Contentez-vous de faire le lit et la salle de bains. Ne touchez à rien. Je vous verrai tout à l'heure, j'ai quelques coups de fil à donner. »

L'aubergiste plissa les paupières. 11 posa un regard mauvais sur M. Roy, mais il ne dit mot.

Alice passa un bras autour des épaules de Peggy, et elles suivirent l'aubergiste. Un léger tremblement parcourut le corps de Peggy quand les deux jeunes filles pénétrèrent dans la chambre de la tour. Mais cela ne dura pas. Les Jammes ne tardèrent pas à arriver et, sous prétexte de faire le ménage, ils se mirent à fouiner aux quatre coins de la chambre de M. Sidney.

Alice craignait qu'ils ne finissent par découvrir les diamants. « Mon père vous a seulement demandé de faire le lit et de nettoyer la salle de bains, leur dit-elle.

- Ah oui ? Il faut pourtant que le ménage se fasse, répondit la femme avec humeur.

— Je vous ordonne d'arrêter ! » s'écria Alice. Puis, se tournant vers Peggy, elle déclara : « Allez voir mon père et demandez-lui de monter immédiatement. »

Peggy avait à peine quitté la pièce que Frank Jammes intervint : « C'est bon, dit-il. Nous n'allons pas nous disputer. Clara, retire les draps et la couverture. »

Mme Jammes s'exécuta. Alors Alice vit l'aubergiste soulever un coin du matelas. S'apercevant que la jeune fille n'était pas dupe de son manège, M. Jammes se redressa vivement et alla chercher les serviettes de toilette qui se trouvaient dans la salle de bains voisine. M. Roy

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arriva à cet instant. Jammes et sa femme s'éclipsèrent aussitôt sans demander leur reste.

Au bout de quelques secondes, la voix tonitruante de Frank Jammes leur parvint : « Peggy, c'est à nous que tu dois obéir, pas à cette pimbêche d'Alice ! Nous sommes tes parents, ne l'oublie pas ! Et maintenant, va faire notre chambre ! »

Alice poussa un soupir : « Quel affreux bonhomme ! »M. Roy approuva d'un signe de tête.« Nous avons encore beaucoup à faire, dit-il. Il va falloir nous

occuper de Peggy et veiller sur la maison. Crois-tu que Sarah acceptera de venir s'installer ici avec toi ?

— J'en suis sûre, papa. Et je suis contente que tu me permettes de rester.

— Je crois que Peggy a besoin de toi », fit l'avoué avec un sourire.

La famille de M. Sidney ne tarda pas à arriver. Alice fut soulagée de constater l'absence de ses amies Bess et Marion quand Peter Banks se présenta, accompagné de Mme Taylor et de Mme Webb. C'est à peine si celles-ci lui adressèrent la parole. Jacob Sidney, lui, était escorté d'un inconnu qu'il présenta comme son conseiller juridique.

Cependant, James Roy s'était posté en sentinelle à l'entrée de la chambre du vieillard et il n'en autorisait l'accès à personne.

Au bout d'un moment, la famille du vieillard assaillait l'avoué, l'accablant de supplications et de menaces, protestant et fulminant dans l'espoir de pénétrer enfin dans la chambre interdite.

« Nous voudrions prendre un petit souvenir », disaient-ils.Peter Banks et Jacob Sidney se tenaient à l'écart. Ils guettaient

l'occasion de s'entretenir avec l'avoué sans témoins, afin d'obtenir quelque renseignement sur le contenu du testament laissé par leur oncle. Mais James Roy restait impénétrable.

« Je n'ai rien à vous dire, répondit-il à toutes les questions. Je suis lié par la loi et par le secret professionnel. »

Dans la matinée un huissier, convoqué par M. Roy, apposa les scellés sur la porte de la chambre de la tour.

Par la suite, l'avoué devait avoir une longue conversation avec les Jammes.

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« Vous êtes désormais responsables de ce qui se passera dans cette maison, leur dit-il. Si les scellés sont brisés, vous serez arrêtés. De plus, les fenêtres sont également condamnées. Il est inutile de chercher à vous introduire par là. C'est clair, n'est-ce pas ? »

Terrifiés, les aubergistes s'engagèrent à suivre les instructions de l'avoué.

James Roy réunit les héritiers afin que l'on se mît d'accord en ce qui concernait le détail des obsèques. Mais personne ne semblait beaucoup se soucier de ce qu'il adviendrait de la dépouille du vieillard. Un seul point parut retenir l'attention de l'auditoire quand l'avoué déclara qu'une certaine somme en argent liquide avait été réservée par Abel Sidney afin de couvrir les frais d'enterrement.

« Je vous donne rendez-vous ici dans deux jours pour la lecture du testament, dit enfin James Roy. Etes-vous d'accord pour que nous fixions la réunion jeudi, à quatorze heures ?

— S'il n'y a pas moyen de le faire plus tôt, allons-y », grommela Peter Banks.

Peu après, M. Roy prit la voiture d'Alice et repartit pour River City. Alice se rendit alors dans la chambre de Peggy. Celle-ci semblait très déprimée.

« Je me sens si seule, confia-t-elle à Alice. J'espère que les Jammes pourront garder cette maison. Je n'ai jamais eu d'autre foyer et j'aimerais continuer à y vivre. Tout ici me rappelle M. Sidney et sa gentillesse. Et puis, vous pourrez me rendre visite.

— Ne vous tracassez pas pour cela, Peggy, répondit Alice. Je vais passer quelques jours ici avec Sarah, ma gouvernante.

— Oh ! Alice, comme je suis heureuse ! » s'écria Peggy.Sarah arriva en taxi à l'heure du déjeuner. Les deux jeunes filles

descendirent à sa rencontre. La gouvernante apportait deux valises dont l'une contenait les affaires d'Alice.

Après avoir exprimé sa sympathie à Peggy, elle demanda : « Savez-vous ce qu'il y avait dans le camion qui vient de quitter l'auberge ?

— Non, répondirent les deux jeunes filles.— Il est parti en emportant plusieurs caisses. Tiens, voici

justement l'homme qui aidait à les charger. »Jammes s'avança vers le groupe.

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« Sarah, je te présente M. Jammes, commença Alice. Je voudrais ...

— L'auberge est fermée, aboya M. Jammes. Vous ne savez pas lire?

— Je suis ici parce qu'on m'y a invitée, répondit Sarah l'air digne.

— Je serais curieux de savoir qui s'est permis de vous inviter ?— M. Roy, dit la vieille gouvernante.— Vraiment ? ironisa l'aubergiste. Eh bien, dans ce cas, ne

comptez pas sur moi ou sur ma femme pour vous servir ! »II s'apprêtait à partir, quand Sarah lui lança :« Qu'y avait-il dans ces caisses ? »Frank Jammes marqua un temps d'hésitation.« Des affaires personnelles », fit l'aubergiste. Puis, s'adressant à

Alice, il lui dit : « Votre père nous a dit de faire nos valises et de nous en aller. »

Sur ces mots, il tourna les talons et partit en direction de la cuisine.

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« Hum, fit Sarah, j'ai l'impression que je viens de soulever un drôle de lièvre.

— C'est bien mon avis, répondit Alice. Ah, si j'avais ma voiture! J'aurais pu suivre ce camion.

— Tout n'est pas perdu, répliqua Sarah. Je suis venue dans le taxi de Morris Blaine, et je lui ai demandé de m'attendre. J'ai pensé que tu voudrais peut-être récupérer ta voiture. Elle est garée devant le bureau de ton père.

— Bravo, Sarah ! » s'exclama Alice, et elle s'élança vers le taxi. A peine installée, elle demanda au chauffeur : « Avez-vous vu dans quelle direction est parti le camion ?

— Oui.— Très bien ! Suivez-le ! » ordonna Alice.Morris Blaine eut l'air quelque peu surpris, mais il obéit.« Allez aussi vite que vous pourrez, mais respectez les

limitations de vitesse. »L'homme fit une grimace. « Je ferai ce que je pourrai,

mademoiselle Alice. Ma bagnole est bien fatiguée, vous savez ! »Alice ne put s'empêcher de sourire malgré les secousses et les

cahots.Le taxi rattrapa le camion au moment où celui-ci pénétrait dans

la cour d'un entrepôt. Alice demanda à Morris Blaine de se ranger le long du trottoir et de l'attendre. La jeune fille resta dans le taxi jusqu'au moment où elle aperçut le chauffeur du camion sortir de son véhicule et entrer dans le bureau. Elle descendit de voiture, traversa la cour et s'approcha du camion. Puis, soulevant la bâche qui recouvrait les caisses, elle lut :

FRANK JAMMES

OBJETS DE VALEUR

« Le contenu de ces caisses appartient-il à M. Sidney ? » se demanda Alice en remontant dans le taxi.

Peu après, Morris Blaine la déposait devant le bureau de son père.

Alice paya la somme indiquée par le compteur et donna un bon pourboire au chauffeur.

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« On dirait qu'il se passe quelque chose de louche, déclara-t-il après avoir remercié la jeune fille. Qui est le coupable ? »

Alice ne put réprimer un sourire : « Je ne peux rien vous dire pour aujourd'hui », répondit-elle, et elle se dirigea vers le bureau de son père.

Mis au courant des événements, M. Roy se montra fort satisfait.« Bien travaillé, dit-il à Alice. Quand tu retourneras à l'auberge

au volant de ta voiture, les Jammes ne se douteront pas que tu as suivi le camion. Cela vaudra mieux ainsi. »

Une fois à l'auberge, Alice déjeuna. Puis elle établit un plan d'action avec Sarah et Peggy. Il s'agissait de surveiller les allées et venues des Jammes. De son côté, la jeune détective continuerait à rechercher l'emplacement des placards secrets.

L'après-midi s'écoula sans que rien de particulièrement notable se produise et les recherches d'Alice furent infructueuses. Sarah aida à la préparation des repas et mit de l'ordre dans la maison. Elle put ainsi avoir l'œil sur Mme Jammes, tandis que Peggy surveillait les mouvements de Frank Jammes.

Alice ne trouva pas d'autre bougie torse, indiquant l'existence de cachettes secrètes. Cependant, elle fit une découverte. Sous le tapis qui recouvrait le plancher de sa chambre elle remarqua que certaines lames pouvaient être retirées sans difficulté. Alice les souleva, mais à sa grande déception, elle ne .trouva rien dessous. « Y avait-il quelque chose de dissimulé ? se demanda-t-elle. Et les Jammes l'auraient-ils découvert ? »

A plusieurs reprises, ce jour-là, Alice rencontra Peggy, seule et en pleurs. « J'ai tellement de peine, finit-elle par avouer. Et l'idée d'avoir à quitter cette maison pour suivre les Jammes n'est pas faite pour me réconforter. »

Alice s'efforça de consoler la jeune fille du mieux qu'elle put, mais elle dut admettre que la perspective n'avait rien de réjouissant.

Le surlendemain, après les obsèques, la famille se rendit à l'auberge des Bougies-Torses pour l'ouverture du testament. On se réunit dans l'une des grandes salles du rez-de-chaussée. Bess et Marion étaient venues avec leurs parents et de loin, elles saluèrent Alice timidement.

L'avoué ayant déclaré que la présence des Jammes et de Peggy était nécessaire, Alice partit les prévenir.

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En entant dans la salle, Peggy s'assit sur la première chaise qu'elle rencontra et s'y tint, n'osant regarder personne tandis que l'on chuchotait autour d'elle. Alice resta debout derrière elle, la main posée sur son épaule.

Alors, James Roy commença en ces termes :« Nous voici réunis pour prendre connaissance des dernières

volontés d'Abel Sidney, contenues dans le testament qu'il a laissé. Le document a été établi il y a trois jours, rédigé en entier de la main du testateur et en double exemplaire. L'original a été déposé au greffe du tribunal et la copie est en ce moment entre mes mains. Ces pièces ont été comparées et déclarées conformes.

« Le document a été contresigné par un témoin, M. Raymond Hill, fondé de pouvoir de la banque Morgan, à Briseville. Je crois nécessaire de vous donner ces précisions car certaines des dispositions de ce testament risquent de vous surprendre. J'ajouterai enfin que, désigné comme exécuteur testamentaire, je n'avais cependant jamais rencontré M. Sidney ni même entendu parler de lui avant le jour où il m'a fait convoquer pour établir ce document. »

Ces mots provoquèrent un remous parmi l'auditoire, et quelques voix s'élevèrent, puis se turent brusquement lorsque l'on vit l'avoué décacheter une grande enveloppe et en tirer plusieurs feuillets manuscrits.

« Monsieur Hill, voulez-vous examiner ce document, s'il vous plaît ! » demanda James Roy.

Le banquier, que personne jusque-là n'avait remarqué, quitta sa place, vérifia les papiers avec soin, puis fit un signe d'approbation.

« C'est bien là ma signature, dit-il. Mes initiales figurent à chaque page. Ce document est celui qu'a rédigé M. Sidney, et que j'ai authentifié en sa présence...

— Finissez-en donc avec toutes ces fioritures et dépêchez-vous de lire ce qui nous intéresse », s'exclama Jacob Sidney.

James Roy lui jeta un regard glacial. Puis il commença sa lecture:

« Je, soussigné, Abel Sidney, sain de corps et d'esprit, bien que venant d'entrer dans ma cent unième année, déclare que ceci est mon testament, écrit de ma propre main et en présence du témoin requis par la loi.

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« Le partage de mes biens se fera après ma mort selon les dispositions suivantes...»

En tête de liste, venait la maison avec ses terres. Puis il y eut la description fort complète d'une autre propriété située à River City, ainsi que de divers immeubles qu'Alice identifia aussitôt : ils se trouvaient en plein centre de la ville, dans le quartier des affaires, et représentaient une valeur considérable.

On indiquait ensuite deux comptes en banque, ainsi qu'un certain nombre d'actions et d'obligations émises par des établissements de crédit.

« Les carnets de chèques ainsi que les relevés et les reçus de la banque se trouvent dans une cassette d'ébène cerclée de cuivre sur le couvercle de laquelle figure mon nom, écrit de ma main », poursuivait James Roy.

Alice sentit le souffle lui manquer. La cassette d'ébène ! Elle avait bien fait de la mettre à l'abri !

Soudain, la voix de James Roy monta d'un ton et il poursuivit :« Je désire que chacun de mes parents, à savoir Jacob Sidney,

Peter Banks, Anna Taylor et sa fille Bess, Louise Webb et sa fille Marion, ainsi que la jeune fille connue sous le nom de Peggy Bell, choisisse, d'un commun accord et dans l'ordre indiqué ci-dessus, un objet unique, parmi ceux m'appartenant... »

« Mon Dieu, Alice, il ne m'a pas oubliée », murmura Peggy.« ... A l'exception cependant, continuait l'avoué, en détachant les

mots, du portrait de feu ma chère femme, dont la destination sera indiquée plus loin. »

« Je désire que tout le reste de mes biens, meubles et immeubles, soit converti en espèces, par une vente publique aux enchères, dans les plus brefs délais, et que la somme ainsi réalisée soit partagée en neuf fractions égales. »

A ces mots, chacun des auditeurs se redressa tandis que certains semblaient vérifier le calcul du vieillard et, du regard, dénombraient les assistants.

« L'une de ces parts sera divisée à son tour en « sept fractions égales », poursuivit James Roy solennel. Stupéfaits, les héritiers se penchèrent en avant. « L'une de celles-ci, à savoir un soixante-troisième de la totalité de mes biens, sera attribuée à Frank Jammes et

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A son épouse, Clara, en reconnaissance des bons et loyaux services qu'ils m'ont jadis rendus. »

Tous les regards se tournèrent vers le couple : ainsi Abel Sidney se doutait que Frank et Clara Jammes le volaient depuis quelque temps !

« Chacune des six parts restantes, soit un soixante-troisième de la totalité de mes biens, sera distribuée à mes parents, à savoir Jacob Sidney, Peter Banks, Anne et Bess Taylor, Louise et Marion Webb. »

« La totalité de la somme restante, c'est-à-dire les huit neuvièmes du produit de la vente de mes biens, sera attribuée à la jeune fille connue sous le nom de Peggy Bell, qui héritera également du portrait de ma femme...»

Une rumeur confuse s'éleva parmi les héritiers déçus.« Vite, un verre d'eau ! s'écria soudain Alice. Peggy se trouve

mal ! »

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CHAPITRE XII

ALICE FAIT UNE DÉCOUVERTE

‘ALLEZ donc chercher un verre d'eau », ordonna M. Hill à Frank Jammes qui semblait beaucoup moins irrité et déçu que les autres héritiers. Il sursauta et se précipita vers la porte pour revenir quelques instants plus tard avec un verre rempli jusqu'au bord. Alice s'empressa d'asperger le visage décoloré de Peggy, puis elle fit couler un peu de liquide entre ses dents.

La jeune fille remua légèrement ; enfin, elle ouvrit les yeux et se redressa.

« J'ai dû me trouver mal, murmura-t-elle. Oh ! Alice, vous êtes là! Restez près de moi, je vous en prie... »

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Les membres de la famille de M. Sidney contemplèrent la scène sans essayer d'intervenir. Soudain, Jacob Sidney s'écria : « Nous attaquerons ce testament !

— Et comment ! renchérit M. Banks. Il n'est pas un tribunal qui reconnaîtra la validité de ce document. C'est un faux ! Et nous prouverons qu'Abel n'avait plus son bon sens pour déshériter ainsi sa famille au profit d'une étrangère ! »

James Roy ne prêta nulle attention à ces menaces. Au lieu de cela, il se contenta de reprendre la lecture du testament :

« Je désire que James Roy, mon exécuteur testamentaire, demande à l'orphelinat de Notre-Dame-Du-Bon-Refuge de se pencher sur le cas de Peggy. Si l'enquête fait ressortir que Frank et Clara Jammes se sont montrés indignes de leur rôle de parents adoptifs, la garde de Peggy devra leur être retirée. »

« Oh ! » s'exclama Peggy. Pendant un instant, Alice crut que la jeune fille allait de nouveau s'évanouir.

« Tout cela est ridicule ! lança Frank Jammes au comble de la fureur. Nous avons toujours traité Peggy avec bonté et compréhension, et nous lui avons donné le foyer qu'elle n'avait pas.

— Oui, renchérit Mme Jammes. Nous l'avons toujours considérée comme notre enfant. Tu ne voudrais pas nous quitter, n'est-ce pas Peggy ? »

Tant d'hypocrisie révoltait Alice qui espérait que Peggy ne se laisserait pas influencer par les propos de ses parents adoptifs.

M. Roy n'avait pas fini. Après avoir terminé la lecture du testament, il déclara :

« Quand je l'ai vu, M. Sidney m'a dit qu'il avait une raison bien précise de ne pas oublier Peggy dans son testament. Il ne m'en a pas dit davantage, car ce jour-là il était trop fatigué. Mais il m'avait promis de me donner tous les détails au cours d'une prochaine entrevue. Malheureusement, celle-ci n'eut jamais lieu. »

Tous les regards se tournèrent vers Peggy.« Qu'est-ce que tout cela signifie ? s'écria Jacob Sidney.— Je... je l'ignore, balbutia Peggy. Il a toujours été très gentil

avec moi, et de mon côté, j'ai fait de mon mieux pour lui être agréable. »

Personne ne dit mot. Ignorant la jeune fille, les héritiers se

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levèrent et quittèrent la pièce en saluant à peine les autres personnes présentes.

Puis M. Roy et M. Hill sortirent à leur tour et allèrent bavarder dans le couloir.

« Vous avez eu une rude journée, dit Alice à Peggy. Pourquoi ne montez-vous pas vous reposer dans votre chambre ?

— Je crois que ce serait pire si je me retrouvais seule, répondit la jeune fille.

— Ce qu'il te faut, intervint Mme Jammes, c'est l'affection d'une mère. Viens.

— Non, je ne veux pas ! » gémit Peggy en s'agrippant au bras d'Alice.

Les Jammes n'insistèrent pas et quittèrent le salon à leur tour.Sarah pénétra bientôt dans le salon et proposa aux deux jeunes

filles de leur préparer du thé et des toasts.Alice et Peggy acceptèrent. « J'en profiterai pour vous parler de

l'héritage, dit celle-ci à la gouvernante d'Alice. Je vais être riche, mais cela me fait un peu peur. »

Après avoir dit au revoir à son père et à M. Hill, Alice s'apprêta à rejoindre Peggy et Sarah, lorsquelle pensa aux époux Jammes. « Je ferais bien d'aller voir ce qu'ils font », se dit la jeune détective.

Alice explora le second étage puis, sans hésiter, prit l'escalier de la tour et monta jusqu'à la chambre d'Abel. Ainsi qu'elle s'y attendait et qu'elle le redoutait, Frank Jammes était là. A quatre pattes sur le paillasson devant la porte, il examinait de près le cachet des scellés placés par l'huissier. La lumière d'une lampe de poche soigneusement masquée afin de n'éclairer qu'une surface limitée, jetait sur les murs blancs des ombres vacillantes.

« Ah ! monsieur Jammes, vous voilà », fit Alice avec bonne humeur.

L'homme, surpris, se retourna vivement.« Auriez-vous encore égaré quelque chose ? continua la jeune

fille.— Je tenais seulement à m'assurer qu'aucune de ces canailles

qui étaient là ce matin, n'avait essayé de s'introduire dans la chambre.— Et votre examen vous a-t-il satisfait ?— Entièrement », grommela Jammes. Il ramassa sa

lampe,

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et se précipita vers l'escalier, bousculant Alice au passage.

La jeune fille le suivit et le vit pénétrer dans sa chambre. Au bout d'un moment, la porte s'ouvrit et l'aubergiste sortit en compagnie de sa femme.

Alice rejoignit alors Peggy et lui proposa une promenade autour de la maison. La pelouse dévorée par les mauvaises herbes et la cour encombrée de débris n'offraient qu'un spectacle peu séduisant, tandis que le vieux hangar qui servait à Jammes de garage et de débarras donnait au jardin un aspect sinistre.

Cependant, une lueur qui clignotait à l'intérieur de la baraque attira l'attention d'Alice. Sans hâte, de l'air le plus naturel, la jeune fille entraîna alors son amie vers les fourrés voisins.

« D'ici, personne ne peut nous apercevoir, expliqua-t-elle ensuite. Nous allons surveiller ce hangar et voir ce qui va en sortir.

— Ce ne pourrait être que Frank Jammes », fit Peggy.Au même instant, comme pour confirmer ce propos, l'aubergiste

apparut à l'entrée du garage. Il observa les alentours avec précautions puis rentra dans la baraque pour en ressortir aussitôt, chargé de deux boîtes de carton qu'il portait sous chaque bras.

« IL s'agit à présent de savoir où il va, murmura Alice. Tiens, le voici qui s'éloigne de la route. Qu'y a-t-il donc de ce côté ?

- Des prés, des herbages et l'ancienne maison du métayer, répondit Peggy à voix basse.

- Nous allons le suivre, décida Alice. Dis-moi, est-il possible de gagner cette bicoque sans sortir du bois ?

— Le chemin est un peu plus long, mais je le connais bien », fit Peggy.

Silencieusement, les jeunes filles s'enfoncèrent dans le taillis. Jammes avait disparu, mais Alice, qui tenait à son idée, pressait le pas. Elle était certaine en effet d'avoir bien deviné le but de l'aubergiste. Au bout d'un quart d'heure de marche Peggy s'arrêta et, tendant le bras, montra une masure à travers les arbres :

« C'est là, dit-elle. Et il faut croire que tu as vraiment des dons de double vue, car voici M. Jammes qui, justement, sort de la maison !

— Attendons qu'il se soit éloigné et puis nous irons visiter les lieux », décida Alice.

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L'intérieur de la métairie ne laissait rien à envier au toit croulant ni aux murs lézardés. Dès qu'elles y furent entrées, une odeur de poussière et de moisissure prit les jeunes filles à la gorge. La lumière du soleil couchant filtrait péniblement à travers les vitres crasseuses, tendues de toiles d'araignées. Quant au plancher, il disparaissait sous les débris et les gravats.

« Regarde, Peggy, les traces de pas montent directement à l'étage ! » annonça Alice, en se baissant pour mieux examiner le sol.

Les deux amies gravirent prudemment l'escalier dont les marches grinçaient et fléchissaient sous leur poids. Elles atteignirent enfin le palier, le cœur battant.

Devant elles, une porte s'ouvrait sur un vaste grenier. Un vieux lit cage garni d'une paillasse éventrée achevait de rouiller et de se disloquer sous la pente du toit. Accotée au conduit defla cheminée, une immense armoire laissait pendre ses portes béantes, dont le bel acajou avait verdi sous les moisissures.

Alice commença par inspecter l'intérieur du meuble. « La penderie est vide, s'écria-t-elle. Et on a enlevé toutes les

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étagères. »Alice se mit à étudier minutieusement le plancher. Un endroit,

moins poussiéreux que le reste du sol, attira l'attention de la jeune fille.

« Comme il fait sombre à présent, murmura Peggy, d'une voix peureuse.

— Nous allons partir dans un instant, dit Alice. Dès que j'aurai... Là, ça y est ! »

Elle s'agenouilla vivement et, du bout des doigts, arracha sans difficulté l'un des clous qui fixaient les lames du parquet.

Elle souleva brusquement la planche. Peggy faillit pousser un cri.

Par l'ouverture, venaient d'apparaître quatre boîtes dont deux étaient de toute évidence celles apportées par M. Jammes. Alice se pencha pour arracher le couvercle de la première. Mais au même instant, un pas fit grincer les marches de l'escalier !

« Mon Dieu, c'est mon père, murmura Peggy, épouvantée.- Sois tranquille, nous lui donnerons du fil à retordre, fit Alice,

entre ses dents. Par ici, vite ! »Elle poussa Peggy dans la vieille armoire, s'y jeta à côté d'elle et,

tirant les portes, les referma tant bien que mal.Dans l'escalier, on n'entendait plus aucun bruit. Tout à coup, il y

eut un nouveau craquement, suivi d'un silence prolongé. Quelqu'un montait les marches, une à une, avec précaution. Peggy claquait des dents et se cramponnait à sa compagne. Enfin, un homme apparut sur le palier, s'avança puis s'arrêta au seuil du grenier.

« Ce n'est pas Jammes, souffla Alice qui gardait l'œil rivé à la fente des portes.

- Oh ! j'aime mieux ne pas regarder, murmura Peggy. J'ai trop peur et puis je sens une araignée qui me court sur le cou.

— Chut ! Et surtout, ne bouge pas. »L'homme se décida à pénétrer dans le grenier. Lorsqu'il aperçut

la lame de parquet déplacée par Alice, il tressaillit et se pencha vivement pour regarder par l'ouverture. On l'entendit soulever le couvercle des boîtes, puis il se redressa et regarda attentivement autour de lui. Comme il se tournait vers l'armoire, son visage fut éclairé un instant par la vague lumière qui venait encore de la fenêtre. Alice retint de justesse l'exclamation qui lui montait aux lèvres.

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L'homme qu'elle venait de reconnaître était M. Hill, le banquier de Briseville, qui avait aidé son père à établir le testament d'Abel Sidney.

Que faisait-il là ? Avait-il donc trahi la confiance mise en lui par son ami James Roy ? L'appât de l'argent aurait-il eu raison de son honnêteté, à lui aussi ?

M. Hill s'était mis à explorer méthodiquement le grenier et il était aisé de prévoir qu'il ne tarderait pas à découvrir les jeunes filles dans leur cachette.

Soudain, le parquet grinça sous ses pas et l'homme eut un sursaut. Alice le vit se baisser encore, arracher quelques clous et soulever une lame. Il plongea ensuite le bras par l'ouverture et ramena un petit coffret métallique dont le couvercle s'ouvrit avec un brusque déclic. M. Hill en sortit une liasse de papiers qu'Alice identifia sans peine : c'étaient des obligations. Le banquier les feuilleta rapidement avant de les enfouir dans sa poche, puis il remit la boîte en place, et rabattit la lame de parquet.

Alice était au supplice. L'immobilité lui donnait des crampes et ses pieds engourdis lui semblaient lardés de coups d'épingle.

M. Hill fouillait du regard tous les recoins de la mansarde et soudain, ses yeux se fixèrent sur la vieille armoire. Il commença à se diriger lentement vers elle, s'arrêtant à chaque pas pour éprouver la solidité des lames sur lesquelles il posait le pied.

Alice hésitait, se demandant s'il valait mieux tenter bravement une sortie ou bien continuer à espérer malgré tout que M. Hill n'ouvrirait pas l'armoire. Mais soudain, un spectacle plus sinistre encore lui glaça le sang.

Sur le palier, venait de surgir Frank Jammes. Il avait gravi l'escalier à pas de loup, avec la sûreté d'un homme connaissant les lieux. Ses yeux luisaient comme ceux d'un rat cerné par ses ennemis, mais on le sentait indécis, ne sachant s'il devait s'approcher de M. Hill ou battre en retraite. A cet instant, M. Hill tourna par hasard les yeux vers la porte et il découvrit Jammes.

« Ah ! vous voilà, dit-il d'un ton sarcastique. Qu'apportez-vous encore ici ? Allons, montrez-moi donc ce qu'il y a là-dedans ! »

Jammes s'avança. Il tenait dans ses bras une caissette emballée dans de vieux journaux.

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« J'ignore ce que vous faites ici à rôder dans une maison qui n'est pas à vous, riposta-t-il avec rage, mais si vous voulez savoir ce que j'apporte, tenez, renseignez-vous ! »

Sous les yeux horrifiés d'Alice, Jammes lança son fardeau de toutes ses forces en direction de M. Hill. Celui-ci se baissa brusquement pour esquiver le choc, mais le coin de la lourde caisse l'atteignit à l'épaule et il chancela un instant, ne conservant son équilibre que par miracle.

C'était là une occasion que Jammes ne devait pas laisser échapper. Et, profitant de l'avantage supplémentaire que lui donnaient sur le banquier son âge et sa taille, il se précipita sur lui et l'assaillit d'une grêle de coups de poing. M. Hill leva les bras pour se protéger, mais l'aubergiste lui fit un croc-en-jambe et, voyant son adversaire s'écrouler, il bondit sur lui. Alors d'une main, il se mit à lui serrer la gorge, tandis que de l'autre, il lui martelait la tête et le visage.

« Oh ! le lâche ! » s'exclama Alice, et elle se rua hors de sa cachette. Elle trébucha et faillit tomber, tant ses pieds et ses jambes étaient engourdis. Mais elle se rattrapa et, attaquant Jammes à revers, elle l'empoigna par son col de chemise et se mit à tirer de toutes ses forces.

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CHAPITRE XIII

LES SUSPECTS S'ENFUIENT

« Quoi, qu'est-ce ? Qui est là ? » s'écria l'aubergiste, suffoquant. Il réussit enfin à tourner la tête et reconnut son adversaire. Alors, il retroussa les lèvres et lança d'une voix haineuse :

« Lâchez-moi, vermine, si vous ne voulez pas qu'il vous arrive malheur ! »

En guise de réponse, la jeune fille serra encore plus fort. Alors, comprenant qu'un allié inattendu venait à son secours, M. Hill redoubla d'efforts pour se dégager. Puis, quand il y fut parvenu, il décocha à Jammes un terrible coup de poing au creux de l'estomac.

L'aubergiste s'affala tout de son long, le souffle coupé. M. Hill

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se releva. Ses vêtements étaient en désordre, froissés et couverts de poussière, et son visage marbré de traces violacées enflait à vue d'œil.

« Alice ! Et Peggy aussi ! D'où diable sortez-vous ? s'écria-t-il, haletant.

— Nous étions ici les premières, expliqua Alice. Et quand nous vous avons entendu arriver, ne sachant de qui il s'agissait, nous nous sommes cachées dans la vieille armoire qui est là-bas.

— Par exemple, si je me doutais..., grommela M. Hill. Mais, serait-ce vous qui aviez soulevé une lame de parquet ?

— Parfaitement, et c'est au moment où nous allions regarder ce qu'il y avait dans les boîtes que vous nous avez fait si peur. »

M. Hill hocha la tête et une grimace qui voulait être un sourire passa sur ses traits tuméfiés.

« Ma chère Alice, dit-il, je vous dois des remerciements. C'est votre père qui m'a demandé de revenir ici : il pensait que vous pourriez avoir besoin d'aide.

« Lorsque j'ai vu Jammes rôder de ce côté, je suis venu reconnaître les lieux. J'ai alors découvert cette masure et... vous savez le reste ! »

Alice fut soulagée : M. Hill était un honnête homme.« Comment ai-je pu le soupçonner ? » se demanda la jeune fille.Cependant Jammes se relevait péniblement, en se tenant

l'estomac à deux mains.« Peggy, faut-il que j'aille prévenir la police pour qu'elle vienne

arrêter cet homme ? demanda-t-il d'une voix sourde.— M'arrêter, moi ? s'écria M. Hill.- Arrêter M. Hill ? répétèrent Alice et Peggy, stupéfaites. Mais

pourquoi ?- Pour avoir tenté de s'emparer d'objets appartenant à

M. Sidney, tiens, répliqua Jammes. Pourquoi donc imaginez-vous qu'il rôdait par ici, dans cette maison où M. Sidney cachait tous ses trésors, hein ?

— Vous ne manquez pas d'audace », s'exclama le banquier. Et perdant brusquement patience, sans plus se soucier de sa dignité, il lança d'une voix tonitruante : « Menteur ! C'est vous qui êtes le voleur : je connais vos manigances ! »

M. Jammes se mit à ricaner. Et il riposta :

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« Vraiment ? Eh bien, moi, je vous ai vu subtiliser des valeurs qui étaient cachées ici, sous le plancher. Elles sont à présent dans votre poche. Oseriez-vous le nier ?

- Je n'ai pas à m'en cacher : les voici, déclara le banquier, en exhibant la liasse, mais je ne les ai pas volées. Le voleur est celui qui les a apportées ici !

— Vous irez raconter cela au juge d'instruction, lança Jammes, d'une voix triomphante. Je vous dis qu'Abel Sidney s'était fait une cachette dans cette maison !

« Viens, Peggy ! Ces deux escrocs se croient bien malins, mais nous avons la preuve qu'ils ne cherchent qu'à te voler ton héritage. Rentrons chez nous et je m'en irai tout de suite à River City afin d'aviser la police. Je demanderai en même temps que l'on nous envoie quelqu'un pour veiller sur toi, et je te dénicherai un bon avoué qui, je l'espère, n'aura pas pour fille l'une de ces pécores qui se croient tout permis.

— Non, je ne veux plus vous voir, plus jamais, cria Peggy, en se jetant au cou d'Alice. Allez-vous-en !

— Tu regretteras un jour ce que tu viens de dire là, fit Jammes, avec un rire forcé. Quand tes nouveaux amis t'auront dépouillée tu reviendras nous supplier d'avoir encore une fois pitié de toi. »

Alice regarda Jammes droit dans les yeux.« Je connais certaine petite cassette d'ébène cerclée de cuivre

que l'on avait cachée sous un tas de bois..., dit-elle lentement. Elle pourrait raconter une histoire très curieuse, si curieuse même que je ne serais pas étonnée si les visites que vous recevrez un jour de Peggy se déroulaient dans un parloir de prison ! »

Jammes ouvrit et referma la bouche, puis il tourna les talons et redescendit l'escalier.

« II faut essayer de savoir où il va », dit Alice, en se baissant pour ramasser la caissette abandonnée par Frank Jammes. Je vais téléphoner à mon père et lui raconter ce qui s'est passé. »

M. Hill débarrassa Alice de son fardeau et il suggéra de retirer les autres boîtes de leur cachette.

Une fois leur besogne achevée, Peggy, Alice et M. Hill s'élancèrent sur les traces de l'aubergiste qui regagnait les Bougies-Torses en passant à travers champs. Quand ils arrivèrent à l'auberge, Sarah leur

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annonça que Frank et Clara Jammes se trouvaient dans leur chambre. «A présent, je vais appeler papa», dit Alice. Et elle ajouta, s'adressant au banquier : « Seulement, je vous demanderai de bien vouloir tenir à l'œil M. et Mme Jammes pendant ce temps-là.

— A vos ordres, mademoiselle », fit M. Hill, amusé. Et il claqua les talons, avec un simulacre de salut.

Alice courut au téléphone. La secrétaire de M. Roy répondit à son appel, et lui annonça, à sa grande déception, que son père avait quitté River City pour une affaire urgente. Il ne serait de retour que le lendemain.

« II ne me reste donc qu'à m'arranger pour tenir jusqu'au bout », se dit Alice, serrant les dents.

« Les Jammes finiront bien par descendre s'ils veulent dîner, déclara Sarah. Nous les verrons à ce moment-là. »

Tout le monde s'installa dans la salle à manger. Alice pouvait ainsi surveiller l'escalier et surprendre les aubergistes lorsqu'ils descendraient. Au bout d'une demi-heure, ceux-ci ne s'étaient toujours pas montrés.

Se doutant de quelque chose, Alice décida de se rendre dans leur chambre et de leur parler. Au premier une surprise l'attendait : la porte de la chambre de Frank et Clara Jammes était grande ouverte, et il ne restait plus un seul vêtement dans l'armoire. Alice ouvrit alors les tiroirs du bureau. Rien !

« Ils sont partis ! pensa-t-elle. Qui sait ce qu'ils ont bien pu emporter ! »

Alice se précipita dans la salle à manger.« Les Jammes ont pris la fuite ! s'écria-t-elle.— Ça alors ! s'exclama Sarah. Comment ont-ils fait ?

Nous n'avons pas bougé d'ici. »Peggy se laissa tomber sur une chaise. « Tout cela est ma faute,

dit-elle. J'aurais dû y penser ! Les Jammes se sont sans doute enfuis par l'escalier de secours. »

Elle expliqua que cet escalier était en mauvais état et qu'on l'avait camouflé sous un rideau en attendant de le réparer.

« Vite, montrez-moi le chemin ! » demanda Alice à Peggy.La jeune fille les conduisit à un petit vestibule donnant derrière

la maison. Il y avait là une porte entrebâillée. Aucun doute n'était

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possible : c'était bien par là que les Jammes avaient pris la fuite.Alice se précipita au dehors et courut jusqu'à l'endroit où elle

avait laissé son cabriolet. Hélas ! elle comprit que son pressentiment ne l'avait pas trompée quand elle s'aperçut que les pneus arrière étaient à plat, sauvagement tailladés à coups de couteau.

«Et moi qui n'ai qu'une seule roue de rechange », songea la jeune fille, furieuse de s'être ainsi laissée jouer par ses adversaires.

A cet instant, Peggy accourut, suivie de M. Hill. Tandis qu'Alice leur apprenait sa mésaventure, une idée lui traversa brusquement l'esprit.

« On a fait cela pour empêcher toute poursuite, dit-elle. A moins que l'on n'ait voulu donner le change, et laisser croire qu'une poursuite était nécessaire... Je parie que les Jammes ne sont pas loin d'ici ! »

Elle fit rapidement le tour du jardin et s'en revint annoncer que la voiture des Jammes avait disparu.

« Ils n'auront rien pu emporter de ce qui était dans la maison, sauf ce qu'ils avaient peut-être dissimulé dans la cuisine ou à la cave. »

Puis elle se tourna vers le banquier et lui demanda : « Qu'y avait-il dans ces boîtes que nous avons vues à la métairie ?

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— Des couverts d'argent massif, et du linge de table brodé. Cette masure doit être pleine à craquer de tous les objets volés.

— Alors c'est là que les Jammes seront d'abord allés », conclut Alice. Elle ouvrit son coffre et en sortit une torche électrique.

« Et maintenant, reprit-elle, dépêchons-nous de les y rejoindre. Je vais laisser mes veilleuses allumées ainsi que les lampes de la maison. De cette manière, on pourra croire qu'il y a quelqu'un. »

Alice possédait heureusement un instinct d'orientation remarquable, et, malgré l'obscurité, elle retrouva sans hésiter le chemin de la vieille métairie. Mais elle fut assez désappointée de ne pas y voir briller la moindre lumière.

« Ils sont déjà repartis, dit M. Hill. En admettant qu'ils soient venus...

— Un instant, fit Alice. S'ils ont laissé leur voiture sur la route, ce qui est bien probable, il leur aura fallu aussi longtemps qu'à nous, sinon plus, pour arriver jusqu'ici. Attendons... »

Les jeunes filles et M. Hill demeurèrent un long moment silencieux, auprès d'un bouquet d'arbres. C'était l'endroit qu'Alice avait choisi, afin que la tache claire de sa robe et de celle de Peggy se confondît avec l'ensemble des troncs marbrés de plaques grisâtres.

Tout à coup, l'oreille fine d'Alice perçut un bruit léger, mais qui détonnait avec celui de la brise et des myriades d'insectes qui traversaient la nuit. On eût dit un petit choc métallique, assourdi et lointain.

Sur-le-champ, Alice fit jaillir la lumière de sa torche, et un long faisceau étincelant trancha dans l'obscurité comme une lame d'argent. La métairie surgit de l'ombre et, devant son perron croulant, l'on vit se découper brutalement les silhouettes de Frank et de Clara Jammes. L'homme transportait une longue caisse étroite, tandis que sa femme tenait une paire de chandeliers d'argent.

« Criez-leur que l'accès de cette maison est interdit et qu'ils ne doivent rien emporter, murmura Alice à M. Hill. Et prenez votre plus grosse voix ! »

Le banquier s'éclaircit la gorge, puis il répéta d'une voix tonitruante les sommations indiquées par la jeune fille.

« Qui êtes-vous ? hurla Jammes. J'ai le droit d'être ici !

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— Ne bougez pas ! » s'écria M. Hill.Mais l'aubergiste lui lança un rire insolent et commença à

descendre les marches du perron.« II faudrait que nous puissions leur faire peur, souffla Alice. Il

suffirait d'un bruit... » Elle se pencha, ramassa un gros caillou. « Je me demande...

- Attendez ! » dit vivement M. Hill, qui avait deviné l'idée de la jeune fille. Et, saisissant la pierre, il la lança de toutes ses forces en visant la maison.

On entendit un fracas de verre brisé, et Jammes sauta au bas du perron tandis que les vitres du vasistas surmontant la porte d'entrée tombaient en miettes sur le seuil de la maison. Mme Jammes poussa un cri perçant et s'élança sur les traces de son mari qui prenait la fuite sans demander son reste. Inexorablement, Alice continua à diriger sur eux sa torche dont le faisceau aveuglant les pourchassa jusque dans les champs où ils détalaient comme des lièvres. Puis ils s'enfoncèrent dans les fourrés qui s'étendaient vers la route.

« II faut les empêcher de fuir ! s'écria Alice. Il y a peut-être d'autres objets volés dans leur voiture ! »

Accompagnée de Peggy et de M. Hill, elle s'élança à leur poursuite, mais en vain. Parvenus à une vingtaine de mètres de la route, ils entendirent une voiture démarrer.

Tous trois retournèrent alors à l'auberge où les attendait un excellent repas préparé par Sarah.

Après avoir dîné, M. Hill annonça qu'il allait à la métairie et qu'il y monterait la garde. « J'en profiterai pour poursuivre mes recherches », ajouta-t-il.

Alice lui laissa sa lampe-torche et Peggy lui offrit des couvertures : ainsi, M. Hill ne passerait pas la nuit dans de trop mauvaises conditions.

Après le départ de M. Hill, Alice ne put s'empêcher de songer aux événements de la journée. La fuite des Jammes la préoccupait particulièrement et elle décida finalement de téléphoner à son ami le commissaire Stevenson à qui elle raconta toute l'affaire.

« Vous avez bien fait de m'appeler, lui dit le policier. Je vais donner ordre à mes hommes de rechercher les Jammes. Nous passerons leur voiture au peigne fin dès que nous les aurons retrouvés.

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Tout objet marqué d'une bougie torse sera considéré comme appartenant à M. Sidney. »

Après sa conversation téléphonique avec le commissaire, Alice monta dans la chambre de Peggy pour lui souhaiter une bonne nuit. Elle trouva la jeune fille dormant à poings fermés.

Au moment où Alice pénétrait dans la salle à manger, le téléphone sonna. Elle décrocha. Une voix d'homme demanda à l'autre bout du fil : « Pourrais-je parler à Mlle Alice Roy ? »

Un large sourire illumina le visage de la jeune détective.« Salut, Ned ! s'exclama-t-elle.— Alice ! Ça fait des jours et des jours que j'essaie de t'avoir au

téléphone. Pourquoi te caches-tu ?— Oh ! Ned ! J'ai tant de choses à te dire ! Peux-tu laisser ton

travail ? Je te raconterai ce qui s'est passé.— Le camp de vacances ferme demain. Je serai de retour chez

moi après-demain. A propos, que s'est-il passé entre toi et Bess ? Je l'ai appelée pour savoir où tu étais, et elle m'a accueilli comme un chien dans un jeu de quilles !

- Je t'expliquerai plus tard, répondit Alice. Passe-moi un coup de fil avant de partir. Il se pourrait que je rentre à la maison.

— Entendu. A bientôt.— A bientôt. »La vaisselle faite, Alice et Sarah s'assirent dans le salon et

bavardèrent quelques instants. Puis elles se souhaitèrent une bonne nuit et regagnèrent leurs chambres.

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CHAPITRE XIV

UNE RENCONTRE IMPRÉVUE

LA NUIT fut paisible et, lorsque Alice s'éveilla, le soleil entrait à flots par les fenêtres sans volet. Elle .gagna la cuisine, se baigna le visage d'eau fraîche et rinça sa bouche desséchée. Puis, comme elle s'efforçait de défriper sa robe chiffonnée, elle vit par la fenêtre M. Hill qui se dirigeait vers la maison.

« Bonjour, s'écria le banquier, d'une voix joyeuse. Du côté de la métairie, rien de nouveau depuis hier soir. Le front est calme. Et ici ?

- Pas le moindre incident non plus », répondit Alice. A ce moment, Sarah entra et prépara le petit déjeuner tandis que M. Hill s'en allait téléphoner à Briseville.

« 1l faut à présent que j'aille à la banque, annonça enfin M. Hill.

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Mon chauffeur doit venir me chercher, et je vous le renverrai aussitôt afin qu'il surveille la métairie.

— Quant à nous, nous ne bougerons pas de la maison, déclara Alice. Et nous n'ouvrirons à personne. Dès que mon père sera de retour, je lui demanderai d'installer ici un gardien et j'emmènerai Peggy chez moi à River City.

- Excellente idée et je ne vois pas ce que l'on pourrait faire de mieux dans l'état actuel des choses, approuva le banquier. Ma petite Alice, vous êtes un véritable stratège. J'admire la manière dont vous avez mené et enlevé la partie avec les Jammes ! »

La voiture de M. Hill arriva et emmena le banquier. Au bout d'une demi-heure le chauffeur revint avec des pneus de rechange pour le cabriolet. Il s'empressa de les mettre en place avant d'aller prendre sa faction à la métairie.

Vers midi, Alice téléphona au bureau de son père. Celui-ci venait de rentrer. La jeune fille put alors le mettre rapidement au courant de la situation. On décida sur-le-champ des mesures à prendre. En fait, il s'écoula à peine une heure avant qu'une voiture ne s'arrêtât à la porte des Bougies-Torses. L'avoué en descendit, suivi de deux personnages solides, à la démarche souple et silencieuse.

« Détectives privés », dit simplement James Roy.Puis il posta ses hommes, l'un dans l'auberge, l'autre à la

métairie, ce qui permit de relever le chauffeur de M. Hill. Il fut convenu qu'à minuit, les deux hommes seraient remplacés à leur tour.

« Et maintenant, Peggy, nous n'avons plus qu'à prendre la route de River City pour trouver là-bas un bon bain et un vrai déjeuner, déclara Alice en riant. Pour l'instant, nos ennuis sont terminés ! »

C'était là qu'Alice se trompait...De retour à River City, James Roy apprit à sa fille que les

Sidney et les Banks avaient fait cause commune pour contester les droits de Peggy à l'héritage d'Abel Sidney. Et ils avaient choisi pour défendre leurs intérêts son confrère Walter Corbett, dont la réputation n'était pas loin de valoir la sienne.

« Voici une nouvelle complication où je ne puis t'être, hélas ! d'aucun secours, fit Alice en soupirant. Ah ! comme je voudrais avoir l'âge de m'inscrire au barreau !

— Ne te plains pas : tu m'as beaucoup aidé, répliqua James

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Roy. Et puis, je suis certain que nous gagnerons ce procès. Mais il nous serait fort utile d'établir, de manière irréfutable, la raison pour laquelle Abel Sidney a déshérité sa famille entière au profit de cette orpheline. »

Cette conversation terminée, Alice rejoignit Peggy dans la chambre d'amis où la jeune fille était occupée à déballer le contenu de sa valise.

Ce fut une besogne bientôt faite, car la nouvelle héritière ne possédait qu'une paire de chaussures et trois robes : deux de serge noire pour le service et celle de jersey bon marché qu'elle portait sur elle.

« Nous allons descendre tout de suite en ville et faire une foule d'achats, décida Alice. Comme j'ai des comptes de crédit dans la plupart des magasins, tu n'as pas besoin de t'inquiéter pour la question d'argent : tu me rembourseras plus tard, sur ton héritage. Il te faut des robes, des bas, des chaussures, des pyjamas, des combinaisons, des...

- Mon Dieu, Alice, est-il possible que je puisse réellement acheter tant de choses ? s'écria Peggy, suffoquée. Quel plaisir cela va être pour moi !

- Et pour moi donc ! renchérit Alice. Tu vas voir comme c'est amusant. Vite, partons. »

Amusant? Savoir... Quand, au rez-de-chaussée d'un grand magasin de la ville, Alice pénétra avec Peggy dans la cabine de l'ascenseur, elle découvrit que Bess et Marion en étaient avec elles les seules occupantes !

Les deux cousines adressèrent à Alice un sourire timide ; puis, semblant se rappeler soudain quelque consigne imposée, elles se redressèrent et détournèrent la tête. Une grande tristesse s'empara d'Alice quand celle-ci se vit une fois encore victime de circonstances où pas plus elle que ses amies n'avaient aucune part.

D'un mouvement impulsif, elle posa la main sur le bras de Bess.« Bess, écoute-moi, dit-elle. Je ne t'ai rien fait. Pourquoi notre

amitié serait-elle brisée à cause d'une querelle stupide dont les acteurs sont morts à présent et qui remonte à plus de cinquante ans ? »

A la surprise d'Alice, une grosse larme roula sur la joue de Bess. Celle-ci dégagea son bras et tourna le dos, mais elle garda la tête baissée et l'on vit un sanglot secouer ses épaules. Cependant, Marion

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se mordillait les lèvres nerveusement tandis que son regard inquiet allait d'Alice à Bess.

« Nous n'y pouvons rien, dit-elle enfin. Tu sais bien que ton père fait tout son possible pour priver nos parents de la part d'héritage à laquelle ils ont droit. »

En arrivant à l'étage auquel se trouvait le rayon des vêtements de dame, Alice proposa à ses amies de s'asseoir quelques instants dans le salon de thé.

« Nous allons parler un peu, dit-elle. Et puis, il faut aussi que vous fassiez plus ample connaissance avec Peggy. Même si vous devez rester fâchées avec moi, il n'y a pas de mal à ce que vous bavardiez avec elle. »

Après quelque hésitation, Bess et Marion acquiescèrent, et les quatre jeunes filles s'installèrent au fond du salon. Tandis que ses compagnes gardaient un air gêné, Alice se sentait à présent fort à l'aise. Aussi commença-t-elle à parler la première :

« Voyons, Bess, Marion et toi vous avez rencontré Peggy en même temps que moi, le soir de l'orage. Nous étions arrivées à

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l'auberge ensemble. De plus, c'était la première fois que chacune d'entre nous voyait M. Sidney. Et, bien qu'il fût votre parent éloigné, vous n'aviez jamais entendu parler de lui. C'est bien cela, n'est-ce pas?»

Bess et Marion firent un signe d'approbation et Alice poursuivit :« Peggy savait que mon père était avoué, uniquement parce que

je le lui avais dit. Je crois me souvenir que vous étiez avec moi à ce moment-là. Bref, ce soir-là, Peggy me téléphonait en me disant que M. Sidney avait besoin d'un avoué et qu'elle n'en connaissait point d'autre que mon père.

« M. Sidney voulait rédiger son testament, et il semblait en excellent état de le faire. Vous avait-il donné l'impression de n'être pas en possession de toutes ses facultés ? »

Bess et Marion échangèrent un regard gêné, puis, d'un même geste, secouèrent la tête.

« Mon père a le devoir de se conformer aux désirs de ses clients et de veiller à l'exécution de leurs volontés, reprit Alice. Voici ma position. Et celle de Peggy est tout aussi claire. Elle était au service de M. Sidney depuis qu'elle était enfant. Il a voulu faire d'elle son héritière, et cela n'a pas apporté à Peggy le bonheur. Elle souffre beaucoup de voir la façon dont vos parents la traitent.

- Oh ! oui, s'écria Peggy du fond du cœur.- Je connais l'histoire de la querelle de famille, poursuivit

Alice. Aujourd'hui, tous ceux qui y ont eu quelque part sont morts. Pourquoi nous laisserions-nous séparer par la rancune insensée de gens qui ne sont plus ?

- Tu as raison, Alice, dit Marion résolument. En ce qui me concerne, je suis désolée et j'ai honte de ce qui s'est passé. Je t'en prie, accepte mes excuses et considère-moi à nouveau comme ton amie. »

Pendant ce discours, Bess, la plus douce et la plus émotive des deux cousines, pleurait à chaudes larmes dans son mouchoir.

« Oh ! Alice, disait-elle, riant et sanglotant à la fois, je suis si heureuse ! »

Alice laissait aussi éclater sa joie. Finalement, tout le monde se mit à rire de bon cœur, et les dames assises dans le salon regardaient le groupe avec des sourires indulgents, en se demandant peut-être quelle innocente plaisanterie amusait ainsi ces jeunes filles.

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« Que veniez-vous acheter ? demanda enfin Marion.— Peggy a besoin de robes, expliqua Alice. Voulez-vous nous

aider à choisir ?- Avec joie ! » répondirent Bess et Marion.Ce soir-là, quand le magasin ferma ses portes, quatre jeunes

personnes en sortirent, joyeuses, chargées de paquets et bavardant avec entrain.

Peggy était transformée. Vêtue de neuf des pieds à la tête, on avait peine à la reconnaître, car sa tenue coquette dissimulait mieux sa maigreur et semblait atténuer sa pâleur. On eût dit aussi que sa métamorphose lui avait donné confiance en elle-même. Cependant, elle était encore bien loin de se sentir à son aise.

« Ne me quitte pas, Alice, je t'en prie, murmura-t-elle tout à coup. J'ai peur que les Jammes n'essaient de me reprendre ou ne viennent me faire du mal.

— Mais non, voyons, tu ne crains rien, répliqua Alice d'un ton insouciant. Tu vas t'installer chez nous. Sarah prendra soin de toi. Tu verras, tout ira bien. »

M. Roy arriva vers sept heures, et tout le monde passa à table. Après dîner, l'avoué demanda à Alice de le suivre dans son bureau.

« Alice, dit-il, je t'ai fait venir ici pour éviter de parler de tout cela devant Peggy : je crois avoir ma petite idée sur l'affaire Abel Sidney.

— Tu as découvert quelque chose concernant le passé de Peggy?

- Oui. Je me suis rendu à l'orphelinat de Notre-Dame-du-Bon-Refuge. J'y ai consulté les archives mais celles-ci ne m'ont rien appris sur l'identité des parents de Peggy. En revanche, j'y ai découvert que M. Sidney était l'un des principaux bienfaiteurs de cette institution. »

M. Roy expliqua que le vieil Abel Sidney s'était pris d'affection pour l'une des pensionnaires de l'orphelinat, Sadie Bell. Il demanda qu'on lui donnât le nom de Peggy. Il avait en effet perdu une petite fille qui s'appelait ainsi.

« C'est alors, poursuivit M. Roy, que les Jammes, qui possédaient un restaurant, manifestèrent le désir d'adopter la fillette. M. Sidney accepta à la condition que les époux Jammes consentent à venir habiter sous son toit et à travailler pour lui. Mais Frank et Clara Jammes refusèrent de se transformer en domestiques. C'est pourquoi il

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fut décidé de faire un restaurant de la vieille maison. Abel Sidney promit également aux Jammes de leur léguer une partie de sa fortune après sa mort.

- Père, demanda Alice, quelque peu intriguée, crois-tu que M Sidney t'aurait raconté tout cela s'il vivait encore ?

- Sans aucun doute. Malheureusement, c'est à nous qu'il appartient maintenant de dévoiler le secret. Si nous ne le faisons pas, les héritiers d'Abel ne manqueront pas d'engager une action en justice.

— Pas tous ! s'exclama Alice en riant. Bess et Marion sont revenues à de meilleurs sentiments. » La jeune fille raconta à son père ce qui s'était passé l'après-midi.

« Toutes mes félicitations, Alice, répondit son père. J'aimerais bien que tu persuades leurs parents et leurs oncles de renoncer à ce procès. A propos, le but de ma visite à l'orphelinat était de mettre la direction de cet établissement au courant de la requête de M. Sidney : tu te rappelles que celui-ci a demandé qu'une enquête soit ouverte et que l'on confie la garde de Peggy à d'autres personnes ?

— Mais les Jammes ont disparu !- Eh bien, cela leur enlève tout droit sur Peggy. Je vais appeler

l'orphelinat et leur demander l'autorisation de garder Peggy jusqu'à ce qu'une décision soit prise à son sujet.

— Quelque chose me dit que les Jammes ne vont pas tarder à se manifester, fit Alice. Ils voudront sans doute retrouver des objets qu'ils ont cachés ou mettre la main sur des biens appartenant à M. Sidney.

- C'est bien possible. Ah ! autre chose ! J'ai obtenu du tribunal qu'on mette sous scellés le contenu des caisses entreposées par Jammes. »

A peine avait-il fini de parler qu'Alice se redressa sur sa chaise. Un visage menaçant venait d'apparaître à la fenêtre entrouverte.

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CHAPITRE XV

LE SECRET DU CHANDELIER

« QUE SE passe-t-il ? demanda M. Roy se tournant vers la fenêtre.

— Je viens d'apercevoir Frank Jammes ! s'écria la jeune fille. Il nous épiait ! » L'avoué et sa fille sortirent précipitamment, mais l'homme avait disparu.

« Espérons qu'il n'a pas surpris notre conversation, dit M. Roy. Il pourrait en tirer avantage.

— Comment cela ? demanda Alice.— En faisant cause commune avec la famille de M. Sidney et en

menaçant Peggy. »

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Afin d'empêcher que de pareils incidents ne se reproduisent, M. Roy fit fermer toutes les fenêtres de la maison.

« Je crois qu'il vaudrait mieux éviter de parler de tout cela à Peggy », dit Alice.

Leur invitée passa une excellente nuit. Le lendemain matin, elle descendit dans la salle à manger et insista pour qu'on lui donnât quelque chose à faire.

« J'ai tellement l'habitude de travailler, que je ne peux imaginer de rester un instant inoccupée.

- Vous pourriez aider Sarah, dit M. Roy en souriant. Vous vous arrêterez de temps en temps pour lire ou vous distraire. A propos, Peggy, aimeriez-vous reprendre vos études ?

— Oh, oui ! s'écria Peggy.— Dans ce cas, nous allons vous chercher une bonne école.

Bien entendu, il faudra que nous ayons l'accord de l'orphelinat ainsi que celui de vos nouveaux parents.

— Oui... dit Peggy au bout de quelques secondes. Mais cela me fera beaucoup de peine de quitter mes nouveaux et chers amis. »

Elle regarda Alice d'un air songeur. Celle-ci lui sourit.

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« Tu viendras nous voir », dit-elle pour l'encourager.A cet instant, le téléphone sonna. C'était Ned. 11 invita Alice à

déjeuner.« Tu pourras ainsi me montrer cette mystérieuse auberge. Où en

est l'affaire ?— Ce serait trop long à t'expliquer. Je te raconterai tout ça

quand je te verrai.— Très bien. Je passe te prendre à midi. »Alice expliqua à Peggy que Ned était un ami de longue date,

étudiant au collège d'Emerson.« Je peux demander à Bess et à Marion de venir te tenir

compagnie.— Ce ne sera pas la peine, Alice, répondit Peggy. Je préfère

rester seule un peu. Et tu auras une surprise ce soir au dîner.— Voilà qui me semble prometteur, fit Alice d'un air gourmand.

Puis-je savoir de quoi il s'agit ?— Je peux te dire comment ça s'appelle, mais cela ne te dira

rien. Est-ce que le nom de Gâteau des Iles te dit quelque chose ?— Rien du tout, répondit Alice en riant. Mais ça n'a pas l'air

mal. Il me tarde d'y goûter. »Ned arriva au bout d'un moment, et il emmena Alice dans une

auberge située en dehors de la ville. L'établissement disposait d'une piscine. Ils louèrent des maillots et passèrent une demi-heure dans l'eau.

Pendant le repas, Alice mit Ned au courant des événements.« Allons aux Bougies-Torses, proposa le jeune homme. Je

t'aiderai dans tes recherches.— D'accord, répondit Alice. Mais nous ne pourrons pas fouiller

la chambre de la tour. On y a apposé des scellés. Le gardien a les clefs de la maison. »

A leur arrivée à l'auberge, le gardien salua Alice. Celle-ci lui présenta Ned et demanda à pénétrer dans la maison.

« Entendu, répondit le gardien. A propos, j'ai reçu la visite de deux types et d'un couple. Ils m'ont donné du fil à retordre. Ils voulaient à tout prix pénétrer dans la chambre de la tour.

— Comment étaient-ils ? » demanda Alice.Après avoir écouté la description donnée par le gardien, la jeune

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fille reconnut Jacob Sidney, Peter Banks et les Jammes.« J'espère que l'autre détective monte toujours la garde devant la

métairie, dit la jeune fille.— Mais non ! Il est parti. C'est votre père qui lui en a donné

l'ordre. Vous ne le saviez pas ? »« Impossible, se dit la jeune fille. J'ai l'impression que cela cache

quelque chose. »Une fois à l'intérieur de l'auberge, elle se précipita vers le

téléphone afin d'appeler son père. Mais elle ne tarda pas à s'apercevoir que les fils étaient coupés.

« Ned ! s'écria-t-elle, veux-tu venir un instant ? »Le jeune homme examina les fils attentivement.« Pas de doute, fit-il. Quelqu'un les a coupés. Qui soupçonnes-

tu?— Ce ne peut être que Frank Jammes. Il a dû attendre que le

gardien ait le dos tourné et il s'est introduit dans la maison. Il s'est dit que si on le surprenait, il valait mieux qu'on ne puisse pas téléphoner à la police.

— Et l'autre gardien ? Que lui est-il arrivé ? demanda Ned. Tu crois que les Jammes lui ont fait parvenir un faux message afin de se débarrasser de lui ?

— J'en suis sûre. »Ned proposa d'aller jusqu'à la cabine publique la plus proche et

d'avertir les services du téléphone.« Bonne idée, dit Alice. Mais vas-y sans moi, Ned. Je vais en

profiter pour continuer mes recherches. »Après le départ de Ned, Alice visita l'auberge, chambre après

chambre.Au premier étage, tout était en ordre. La jeune fille se dit que les

Jammes avaient dû emporter tous les objets de valeur qui auraient pu s'y trouver.

Ensuite, Alice se rendit dans la chambre qu'elle avait occupée auparavant. Mais à peine en avait-elle franchi le seuil, que la jeune détective s'immobilisa.

Sur le lit gisait un homme pieds et poings liés. Un mouchoir lui servait de bâillon, et il semblait dormir. Alice s'avança sur la pointe des pieds. L'homme n'était autre que Jacob Sidney ! Elle s'empressa de

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lui retirer son bâillon, ce qui ne manqua pas de le réveiller. Encore tout étourdi, l'homme posa un regard interrogateur sur la jeune fille. « Vous ! s'écria-t-il d'une voix rauque. Pourquoi suis-je ici ?

— Je l'ignore. J'arrive à l'instant. Que s'est-il passé ?— Je vous raconterai ça quand vous m'aurez détaché. »Mais Alice n'avait aucune confiance en Jacob Sidney. Pourquoi

se trouvait-il à l'intérieur de l'auberge, alors que rien ne l'y autorisait ? Elle préférait attendre le retour de Ned avant de faire quoi que ce soit.

« Racontez-moi d'abord votre histoire, dit Alice. Comment êtes-vous entré ici ? »

L'homme dut admettre qu'il s'était introduit pendant que le garde avait le dos tourné.

« Je tenais à protéger mon héritage, expliqua-t-il. Mais soudain, quelqu'un m'a frappé par-derrière. Je ne me rappelle plus ce qui s'est passé par la suite. »

A ce moment un bruit de pas se fit entendre. C'était Ned. Alice lui fit signe de ne pas se montrer trop surpris.

Jacob Sidney, qui, de toute évidence, avait pris Ned pour un policier en civil, se défendit : « Je suis dans mon droit, monsieur l'inspecteur ! Une partie de cette maison me revient en héritage.

— Je vous présente M. Jacob Sidney, dit Alice à Ned tandis que celui-ci se baissait pour débarrasser l'homme de ses liens.

— Eh bien, monsieur Sidney, répondit Ned, je vous conseille de filer en vitesse et de ne pas remettre les pieds ici.

— Je m'en vais ! Je m'en vais ! » s'exclama l'intrus tout penaud. Il se releva, descendit l'escalier en courant et disparut par la

porte d'entrée. Alors Ned et Alice éclatèrent de rire.« A mon avis, nous ne sommes pas près de le revoir fouiner dans

les parages, fit remarquer Ned.— En tout cas, pas tant que vous serez ici, monsieur

l'inspecteur, dit Alice en riant.— Oui, répondit Ned. Mais revenons aux choses sérieuses. J'ai

eu ton père au bout du fil. Tu avais raison, il n'a jamais demandé au détective d'abandonner son poste. Il nous le renvoie le plus vite possible. Par ailleurs, nous recevrons la visite d'un employé du téléphone. C'est sans doute le même homme qui, après avoir renvoyé le gardien et assommé Jacob Sidney, a coupé le fil du téléphone.

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— Allons voir s'il n'a pas commis d'autres méfaits », suggéra Alice.

Ils commencèrent par examiner les placards et l'escalier dérobé. Ils ne découvrirent rien de suspect. Puis Alice montra la boîte à musique à son compagnon et les deux jeunes gens poursuivirent leurs recherches.

« Donc, c'est une bougie torse qui nous servira de point de repère? demanda Ned.

— Oui », répondit Alice.Les murs, les plafonds, le plancher, tout fut passé au crible. Les

deux jeunes gens s'étaient séparés afin de mieux se partager la besogne. Au bout d'une demi-heure, Ned appela :

« Alice ! Viens vite ! J'ai trouvé quelque chose ! »Alice courut rejoindre Ned dans le vestibule qui se trouvait au

fond de l'auberge.« Regarde, dit Ned. La tapisserie n'est pas la même partout. On a

dessiné une bougie torse à cet endroit. Tu crois que cela signifie quelque chose ? »

Alice passa son doigt sur la surface rugueuse du tissu.« Je sens quelque chose là-dessous, dit-elle d'un air triomphant.

Ned, il faut voir ça de plus près !— Nous allons nous servir de mon canif», répondit le jeune

homme.Ils découpèrent le tissu autour de la protubérance. Puis Ned

souleva la tapisserie.« Un coffre-fort ! s'écria Alice.— Oui, dit Ned. Espérons que nous parviendrons à l'ouvrir. Je

n'ai rien d'un perceur de coffres-forts. »Alice rit de bon cœur, puis elle tendit le bras et serra la poignée.

A son grand étonnement, celle-ci tourna.« Ned ! Le coffre n'était pas verrouillé ! »La porte s'ouvrit. « Des épées ! » s'exclama Ned après avoir jeté

un bref coup d'œil à l'intérieur.Il en sortit une, toute sertie de diamants. C'était une pièce

ancienne d'une très grande valeur. Ils en examinèrent cinq autres toutes aussi belles.

« Tu m'avais caché qu'Abel Sidney était un collectionneur, dit

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Ned. Et je dois dire qu'il avait très bon goût. Qu'est-ce que tu vas en faire ? demanda Ned en désignant les épées.

— Je n'en sais rien, répondit Alice. Nous n'avons pas le droit de les emporter, mais les laisser ici me semble risqué.

— Nous pourrions les remettre à leur place et recoller la tapisserie, suggéra Ned.

— Bonne idée ! J'ai vu un pot de colle dans la chambre de Peggy, je pense qu'il fera l'affaire. »

Les deux jeunes gens se mirent au travail. Ce fut long et difficile, mais le résultat semblait satisfaisant : personne ne remarquerait que le tissu avait été coupé.

« Et maintenant, que faisons-nous ? demanda Ned. Je trouve cette chasse au trésor de plus en plus passionnante.

— Je t'en prie, répondit Alice, ne parle à personne de ce que nous venons de découvrir.

— Dites donc, mademoiselle Roy ! plaisanta Ned. Est-ce là une façon de s'adresser à un inspecteur de police ? »

Au souvenir de la méprise de Jacob Sidney, les deux jeunes gens éclatèrent de rire. Mais il leur fallut penser aux choses sérieuses.

« Je crois que pour une première visite, le résultat n'est pas trop mauvais, dit Alice. Pourtant, avant de partir, je voudrais m'assurer que les scellés de la chambre de la tour sont intacts. »

La jeune fille monta l'escalier, suivie de Ned.« Cette auberge me donne le frisson, déclara Ned. Ce n'est pas

ici que je viendrais finir mes jours !— Je la trouve mystérieuse à souhait », répondit la jeune fille.

Puis, parvenue devant la chambre de la tour, elle ajouta : « Les scellés sont toujours là, mais on dirait que quelqu'un y a touché. Il ne me... »

A cet instant, retentit un cri terrifiant suivi d'un fracas dont l'écho se répercuta longuement dans la vieille maison.

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CHAPITRE XVI

LE PIÈGE

ALICE et Ned se regardèrent, cloués sur place par le cri terrible qu'ils venaient d'entendre. « Qu'est-ce que c'est ? demanda Ned. On aurait dit que cela venait de l'extérieur. »

Les deux jeunes gens se précipitèrent vers la fenêtre donnant sur l'escalier et s'efforcèrent de manœuvrer la glissière rouillée. Unissant leurs efforts, ils réussirent enfin à relever le vantail inférieur, et Alice se pencha au-dehors.

« Mon Dieu, s'exclama-t-elle, il y a un homme étendu sur le toit de la véranda, avec une échelle renversée sur lui. Comment a-t-il pu arriver jusque-là ? En tout cas, il paraît bien mal en point. »

Ned regarda à son tour.

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« Ce n'est pas le détective, déclara-t-il. Mais au fait, où est-il donc ?

— Vite ! descendons ! proposa Alice. Il faut que nous sachions qui est cet homme et que nous allions à son secours. »

Ned s'élança dans l'escalier, suivi de près par Alice. Les deux jeunes gens s'arrêtèrent au premier étage pour se diriger vers l'une des chambres du devant qui donnait sur le toit de la véranda.

Ned s'approcha de l'inconnu qui gisait, inconscient. La jeune fille dégagea l'échelle avec précaution, puis retourna l'inconnu sur le dos.

« C'est la première fois que je vois cet homme, dit Alice. Je suis persuadée qu'il essayait de s'introduire dans l'auberge.

— Je vais chercher le détective », proposa Ned.Le jeune homme revint au bout d'un moment. Il était seul. Le

détective ne se trouvait nulle part.« Voilà qui est étrange, fit Alice. Nous verrons cela plus tard.

Pour l'instant il faut conduire cet homme à l'hôpital. Ned, essaie de trouver un téléphone et appelle la police afin qu'on nous envoie une ambulance.

— Te laisser seule ici ne me dit rien du tout.— Tu peux partir tranquille, tout ira bien », répondit la jeune

fille.A contrecœur, Ned se dirigea vers sa voiture et mit le moteur en

marche.Alice décida alors de ne pas perdre de temps et de se mettre en

quête du détective. Elle allait pénétrer dans le vestibule, lorsqu'elle entendit un bruit de pas derrière elle. Elle se retourna : l'homme qu'elle avait laissé, gisant sur le dos et inconscient, était là, un sourire mauvais sur les lèvres !

La jeune fille voulut s'enfuir, mais une poigne de fer se referma sur son bras.

« Laissez-moi ! » cria-t-elle.L'homme éclata d'un grand rire, puis il lança :« J'ai ordre de me débarrasser de vous ! »Alice comprit alors que le bandit lui avait joué la comédie

pendant tout le temps qu'il était resté étendu sur le toit de la véranda.

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« Qui vous a donné cet ordre ? demanda la jeune fille. Frank Jammes ?

— Vous en savez trop », répondit le bandit en resserrant son étreinte.

Alice voulut se dégager, mais l'inconnu sortit un petit flacon de sa poche et l'agita sous le nez de la jeune fille.

Instinctivement, elle retint son souffle et ferma les yeux pour se protéger contre les effluves acres qu'elle sentait autour d'elle. C'était un soporifique, elle en était sûre. Du chloroforme, peut-être !

Mais elle eut beau se débattre, elle ne pouvait résister indéfiniment. Et il lui fallait bien respirer ! A ce moment elle entendit le bruit d'une voiture qui se rapprochait : « II faut que je tienne jusqu'à leur arrivée ! » se dit la jeune fille, mais ses poumons lui semblaient prêts à éclater et elle finit par céder : elle prit une inspiration profonde. Le sol bascula sous ses pieds et elle tomba, d'un mouvement lent, interminable. Elle croyait flotter dans l'espace, comme soutenue par de grandes ailes invisibles. Plus bas, toujours plus bas...

Quelque temps plus tard, Alice rouvrit les yeux. Que s'était-il

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passé ? Elle était seule, allongée sous un lit. Une douleur violente lui martelait les tempes.

Alice se releva et, s'appuyant contre les murs, elle se dirigea vers la fenêtre. Elle aperçut vaguement l'échelle sur le toit de la véranda. Elle chercha la voiture de Ned, mais celui-ci n'était peut-être pas encore revenu. Soudain, un sentiment de peur l'étreignit : l'homme avait-il assommé Ned et l'avait-il séquestré quelque part avant de s'enfuir dans sa voiture ?

La jeune détective fouilla l'auberge, chambre après chambre, placard après placard. Mais elle ne découvrit aucune trace de Ned. Finalement, elle sortit sous la véranda d'un pas chancelant. L'air frais qui lui fouetta le visage lui fit du bien, mais elle dut s'asseoir sur les marches du perron pour rassembler ses idées.

Qu'était devenu Ned ? Alice se reprochait amèrement de s'être laissé prendre au piège que lui avait tendu le bandit.

Un peu remise enfin, elle se leva et fit quelques pas devant le porche.

« II faudrait que je trouve un téléphone », se dit la jeune fille. Soudain elle s'arrêta net ; elle venait d'apercevoir deux grands pieds qui dépassaient sous les marches de la véranda. Etait-ce Ned ? Craignant le pire, Alice s'approcha de l'homme, et le saisit par les chevilles. Bien que le soporifique lui eût laissé les membres lourds et la tête bourdonnante, elle se mit à tirer de toutes ses forces afin de dégager l'inconnu de sa fâcheuse position.

« C'est le détective ! » s'exclama-t-elle, médusée. Mon Dieu ! comme il est pâle ! »

Elle s'agenouilla auprès du corps inerte et souleva la tête de l'homme pour l'appuyer contre elle.

Le gardien poussa un gémissement, et ses paupières battirent.Au bout d'un moment, l'homme se ranima et fut en mesure de

raconter ce qui s'était passé : lui aussi avait été attaqué et chloroformé.Alice lui fit part de son inquiétude au sujet de Ned.« J'aimerais vous aider, dit le détective, mais je ne vois pas ce

que nous pouvons faire pour l'instant. »A ce moment-là, des pneus crissèrent sur le gravier de l'allée.

Alice poussa un soupir de soulagement quand elle vit Ned sortir de sa voiture.

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« Alice ! Que se passe-t-il ? Où étais-tu ? demanda le jeune homme.

— Sous un lit ! » répondit Alice en souriant. Puis elle ajouta : « On m'a attaquée et assommée.

— Quoi ! » s'écria Ned.Mis au courant des événements, le jeune homme ne cacha pas

l'inquiétude qu'il avait ressentie après avoir constaté la disparition de sa compagne.

« J'ai cru qu'on t'avait enlevée, dit-il. La police aussi d'ailleurs. Elle te cherche partout.

— De mon côté, j'ai cru que tu avais subi le même sort que moi. Que t'est-il arrivé ? »

Ned raconta que peu après son coup de téléphone, une ambulance était arrivée à l'auberge, mais que le « malade » avait disparu.

« J'ai immédiatement appelé la police locale, qui a envoyé trois de ses hommes afin de m'aider dans mes recherches. Comme tu étais introuvable, nous avons pensé qu'on t'avait enlevée. Je suis alors allé au poste de police, et j'ai donné ton signalement ainsi que celui du « blessé ». La police est en train de passer la région au peigne fin. Je suis revenu dans le dessein de... »

II n'eut pas le temps de finir sa phrase : une camionnette venait de s'arrêter devant le perron. C'était la compagnie du téléphone. La ligne fut bientôt rétablie et Ned en profita pour appeler le commissaire de police et le mettre au courant des derniers développements de la situation.

« Tout sera fait pour rattraper le fugitif, dit le commissaire. Dites à Mlle Roy que nous n'avons aucune nouvelle des Janimes ».

Lorsque Ned eut transmis le message à Alice, celle-ci fit remarquer : « Quelque chose me dit que mon agresseur a été envoyé par les Jammes. Si nous le retrouvions, il nous mènerait à eux, j'en suis sûre.

— C'est bien possible, répondit Ned. Mais pour l'instant, tu vas sagement rentrer chez toi.

— D'accord, mais à une seule condition, répliqua Alice. C'est que tu dînes à la maison.

— J'accepte », fit le jeune homme en souriant.

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Ensuite Alice téléphona à son père et lui demanda d'envoyer un autre détective afin de prendre la relève de celui qui avait été attaqué.

« Je m'en occupe sans tarder, dit M. Roy.- J'ai encore beaucoup de choses à te raconter, papa. Mais nous

verrons cela au moment du dîner. A propos, quand pourrais-je aller dans la chambre de la tour ? Je suis persuadée que c'est là que se trouve la solution de nombreux problèmes.

— La voie sera libre demain après-midi, répondit l'avoué. Un huissier et un commissaire-priseur seront là dans la matinée, mais même après l'expertise, la porte de la chambre devra rester fermée. Je te donnerai donc ma clef.

— Formidable, papa ! J'arrive avec Ned. A tout de suite. » Alice annonça au garde que quelqu'un viendrait bientôt le relever, et les deux jeunes gens partirent pour River City. A mi-chemin, Ned regarda l'indicateur du niveau d'essence et déclara : « Je n'ai plus assez d'essence pour aller jusqu'au bout. Y a-t-il une station par

ici?— Oui, répondit la jeune fille. Prends la prochaine route à

droite. »Un instant plus tard la voiture de Ned s'arrêtait devant une

pompe à essence.« Le plein, s'il vous plaît », demanda le jeune homme.Soudain, Alice, qui regardait distraitement une voiture filant en

direction de Maywood, sentit son pouls s'accélérer. L'homme qui se trouvait au volant de la voiture, n'était autre que son agresseur.

« Dépêchez-vous ! » cria-t-elle au pompiste.Ned la regarda d'un air interrogateur.« Je viens de voir l'homme qui m'a attaquée, murmura la jeune

fille. Vite ! suivons-le ! »Ned se tourna vers le pompiste : « Ça ira ! » lui lança-t-il. Puis,

regardant le compteur, il sortit un billet de sa poche et le tendit à l'homme qui ne cacha pas sa surprise.

« Gardez la monnaie », fit-il. Puis il demanda à Alice : « Dans quelle direction est-il parti ?

— Il se dirigeait vers Maywood. Je t'en prie, Ned, dépêche-toi ! Il faut que nous le rattrapions. Il se pourrait bien qu'il ait rendez-vous avec les Janimes. »

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L'homme ne conduisait pas vite, et les deux jeunes gens ne tardèrent pas à l'apercevoir.

« Et maintenant, que faisons-nous ? demanda Ned.— Essayons de savoir où il se rend. Ensuite nous avertirons la

police. »Au bout d'un moment, l'homme se dirigea vers un vieux quartier

de Maywood. Il gara sa voiture devant une maison délabrée. Une pancarte clouée sur la porte indiquait : Pension de famille Dilberry. L'homme sortit une clef de sa poche et ouvrit.

« Ned, va chercher la police, dit Alice. Je reste ici pour surveiller la maison.

— J'y vais, mais promets-moi de ne pas commettre d'imprudence ! répondit le jeune homme.

— Et s'ils se sauvaient ?— Pas question que tu les prennes en chasse ! » fit Ned d'un air

déterminé. Et il attendit que la jeune fille lui donnât sa parole avant de partir.

Alice sortit de la voiture et se tint debout devant la haie qui entourait la pension de famille.

Peu après, Ned revint, accompagné de deux policiers en civil, les détectives Wright et Brenton. Celui-ci se proposa de faire le tour de la maison et de surveiller la porte de derrière. Pendant ce temps, les autres pourraient voir ce qui se passait à l'intérieur.

Une femme d'une soixantaine d'années répondit à leur coup de sonnette. Wright montra son insigne et demanda à voir Mme Dilberry.

« C'est moi, répondit la femme d'un air pincé.— Vous avez parmi vos pensionnaires un homme qui est

recherché pour agression, coups et blessures, fit Wright.— Vous vous trompez, répliqua la femme. Il n'y a ici que des

gens respectables.— Si vous refusez de nous aider, dit le policier, vous serez

poursuivie pour complicité. Où est-il ? Nous l'avons vu entrer ici.— Vous voulez dire M. Krill ? demanda Mme Dilberry en jetant

sur le policier un regard craintif. Il est dans la chambre du premier. »Ned et le détective se dirigèrent vers l'escalier, Alice, elle,

s'attarda auprès de l'hôtelière :

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« Avez-vous des pensionnaires du nom de Jammes ? lui demanda-t-elle.

- Oui, mais ils sont partis il y a une heure environ, répondit la femme. Juste après avoir reçu un coup de téléphone.

— Où sont-ils allés ? demanda Alice.— Ils ne m'ont pas mise dans la confidence, mademoiselle.— Voyons, poursuivit Alice, ce sont bien des amis de

M. Krill ?— Pour ça, oui ! fit l'hôtelière. Ils étaient tout le temps

ensemble.— Merci », répondit la jeune détective. Et elle se hâta de monter

l'escalier afin d'interroger le suspect.

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CHAPITRE XVII

SOUS LES VERROUS

KRILL commença par refuser d'ouvrir la porte. Puis, lorsque Wright lui dit que des témoins l'avaient vu aux Bougies-Torses, il finit par se décider à tirer le verrou.

« Je n'ai rien à me reprocher », déclara-t-il. Alice fit un pas dans la direction de l'homme. « Je vous accuse d'être le complice de Frank et Clara Jammes, lança-t-elle. Je vous accuse également de m'avoir chloroformée ainsi que le détective qui montait la garde à l'auberge des Bougies-Torses. » Krill eut l'air abasourdi devant l'assurance de la jeune fille. « Je n'aurais jamais dû les écouter ! murmura-t-il d'un air piteux.

- Je vous conseille de nous dire ce que vous savez, fit le détective.

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- Hein ? Quoi ? répondit l'homme. Inutile d'insister, vous ne tirerez rien de moi !

- C'est bon, suivez-nous. Mademoiselle Roy, voulez-vous dire à Brenton de nous retrouver à la voiture ? »

Alice descendit la première et transmit le message à Brenton. Celui-ci rejoignit ses compagnons près de la voiture.

« Voulez-vous venir avec nous ? demanda Wright à Alice et à Ned. Mademoiselle Roy, vous devrez déposer contre cet homme. »

Ils se rendirent ensuite au poste de police. Alice signa divers papiers, puis on emmena Krill dans une cellule.

Après toutes ces formalités, les deux jeunes gens purent enfin partir pour River-City.

« Vois-tu, Alice, dit Ned au bout d'un moment, je ne m'ennuie jamais avec toi. Il suffit que je t'invite à déjeuner pour que je me retrouve plongé en plein mystère.

- J'en suis la première surprise, dit Alice en réprimant un sourire. En attendant, j'aimerais bien mettre la main sur les Jammes...

— Je suis sûr que ça ne saurait tarder, répondit Ned. Mais je t'en prie, sois prudente, ils sont dangereux. »

II était assez tard lorsque Ned raccompagna Alice chez elle.M. Roy était déjà là et déclara qu'il avait « une faim de loup ».

Cependant, il insista pour avoir des détails sur ce qui s'était passé au cours de l'après-midi.

« Cela attendra un peu, fit Sarah. Mon rôti, lui, ne peut pas attendre. Et que personne ne s'avise de jouer les rabat-joie pendant le dîner. »

M. Roy haussa les épaules en souriant, mais il obéit.Au moment du dessert, Peggy s'éclipsa et revint avec son gâteau.

Chacun la félicita chaudement, puis on passa dans le salon.Alice relata les événements en insistant sur la découverte des

épées et l'arrestation de Krill.« Ce que vous faites pour moi est merveilleux, dit Peggy. Mais il

ne faut pas prendre de risques. »Au bout d'un moment, Ned se leva et prit congé de ses hôtes.« Je fais partie de l'équipe de rugby du collège, dit-il

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pour s'excuser. Je dois me lever de bonne heure, demain. » Après le départ de Ned, Alice demanda à son père à quelle heure il comptait se rendre aux Bougies-Torses le lendemain.

« Je partirai d'ici à sept heures. Il faut que j'arrive le premier afin que l'expertise puisse avoir lieu. Toi et Peggy vous pourriez prendre votre petit déjeuner et venir ensuite me rejoindre. Vous poursuivrez vos recherches, une fois l'inventaire fini.

— Formidable ! s'écria Alice, le regard pétillant de joie. Je vais prévenir Peggy. Elle est dans la cuisine avec Sarah. »

Lorsqu'elle fut mise au courant, Peggy ne put s'empêcher de frémir.

« Faut-il absolument que j'y aille ? demanda-t-elle, les larmes aux yeux. Ce... cet endroit m'impressionne, Alice. Je m'en rends mieux compte depuis que je vis ici. La présence de M. Sidney me faisait oublier ce que l'auberge pouvait avoir de sinistre. »

Alice passa un bras autour des épaules de la jeune fille.« Je comprends », lui dit-elle sur un ton affectueux.Elle rejoignit son père et le mit au courant du désir de Peggy de

ne pas les accompagner.« Que dirais-tu si je demandais à Marion et à Bess de venir à

l'auberge ? Après tout, l'affaire les concerne aussi. »L'avoué esquissa un sourire.« Crois-tu qu'elles accepteront ?— Nous verrons bien. »Alice se dirigea vers le téléphone et appela Bess.« Tous les biens connus de M. Sidney sont répertoriés. Quant

aux objets de valeur, ils sont à la banque. Papa m'a autorisée à poursuivre la chasse au trésor. J'aimerais que vous m'aidiez. Après tout, c'est M. Sidney qui en a eu l'idée le premier.

— Entendu, déclara Bess. Mais il faut que j'en parle à mes parents. Ne quitte pas, je reviens. »

Alice attendit un long moment. Enfin, la voix de Bess lui parvint:

« Mes parents acceptent. Ils m'ont chargée de te dire qu'ils sont heureux que nous nous soyons réconciliées.

— Je passerai te prendre à neuf heures et demie », dit Alice.La jeune fille téléphona ensuite à Marion qui dut

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également consulter ses parents. Ceux-ci ne firent aucune difficulté.

« J'espère que nous découvrirons une véritable fortune ! » s'écria Marion au téléphone.

Pendant le trajet, Alice raconta à Bess et à Marion ce qui s'était passé depuis leur dernière rencontre.

« C'est horrible ! s'écria Bess.— J'espère que je pourrai aider à capturer ce Jammes, s'exclama

Marion. Il faut l'empêcher de nuire ! »Lorsque les jeunes filles arrivèrent à l'auberge, elles virent M.

Roy en train de bavarder avec deux hommes : l'un d'eux était M. Harris, fonctionnaire de l'administration fiscale ; l'autre, M. Thompson, était commissaire-priseur.

« Alice va vous montrer ce qu'elle a découvert », dit M. Roy aux deux hommes après que ceux-ci eurent terminé leur inventaire.

Une fois en possession des épées, de la parure et de la boîte à musique, les trois hommes s'apprêtèrent à partir. Avant de prendre congé de sa fille, l'avoué lui remit la clef de la chambre de la tour.

Il était déjà une heure. Les trois jeunes filles s'assirent sur les marches du perron et mangèrent les sandwiches que Peggy leur avait préparés. Alice annonça à ses amies que l'orphelinat de Notre-Dame-Du-Bon-Refuge se proposait de trouver de nouveaux parents adoptifs pour Peggy.

« C'est une chic fille, dit Bess. J'aimerais bien qu'elle vienne vivre chez nous. »

Une fois leur court repas terminé, Marion demanda à Alice :« Par où commençons-nous ?— Par la tour », répondit Alice.Les trois jeunes filles gravirent l'escalier, Alice ouvrit la porte et

elles pénétrèrent à l'intérieur de la pièce. L'atmosphère y était lourde et confinée. Alice se dirigea vers l'une des fenêtres et l'ouvrit. Puis les trois amies laissèrent leur regard se promener lentement autour de la chambre.

« Je me demande à quoi tient cette étrange impression que l'on ressent ici, dit Bess. J'ai l'impression que ce n'est plus la même pièce.

— C'est sans doute à cause des bougies Torses, répondit Alice. Elles ne sont pas allumées.

— Je trouve que ces bougies sont placées d'une drôle de façon,

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dit Marion. Y aurait-il là par hasard quelque signification particulière ? »

Alice avisa sur la cheminée deux superbes chandeliers d'argent garnis de hautes bougies dont la forme était remarquablement élégante.

« Voici deux pièces qui vaudraient assurément un bon prix chez un antiquaire », dit-elle.

Elle tira une chaise devant l'âtre béant et grimpa sur le siège de paille afin d'examiner l'un des objets de plus près. Elle le souleva avec précaution pour mieux l'admirer.

« Tiens », observa-t-elle, en passant le doigt instinctivement à la place qu'il occupait sur le dessus de la cheminée, « on dirait que la surface n'est pas très régulière. »

Quand elle déposa le chandelier il lui sembla que l'un des carreaux de faïence qui recouvraient le manteau basculait légèrement. Alors, elle déplaça sa chaise pour se rapprocher de la seconde bougie, placée à l'autre extrémité de la cheminée. La lumière de la fenêtre éclairait en plein cet endroit-là.

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« Voici qui me paraît anormal, murmura-t-elle. Ici, aussi, l'on croirait que l'un des carreaux bouge. »

Elle entreprit aussitôt de desceller complètement la céramique. Ce fut une besogne fastidieuse et qui mit à une rude épreuve les doigts délicats de la jeune fille. Mais bien que la vieille chaise sur laquelle elle était perchée manquât de basculer plusieurs fois, Alice ne se laissa pas rebuter.

« Il faut que j'aide Peggy à découvrir tout ce que l'on a pu cacher dans cette pièce. Si, ainsi que je le crois, chaque bougie marque l'emplacement d'un trésor, la tâche sera assez facile. »

Le carreau enlevé, elle découvrit une cavité d'où elle retira un petit rouleau fortement serré par un lacet de cuir. « Bess ! Marion ! s'écria-t-elle. Regardez ce que je viens de trouver. » Sautant à bas de sa chaise, elle se précipita vers la table pour y examiner sa trouvaille dont le poids lui semblait surprenant.» Qu'est-ce que ça peut bien être? demanda Bess.

— Je n'en sais rien», répondit Alice en défaisant le lacet. Le paquet contenait des pièces d'or de vingt dollars soigneusement enveloppées par séries de dix. A l'autre extrémité de la cheminée, une seconde cachette renfermait un rouleau identique. Alice l'ouvrit : il contenait des bijoux.

« Tout cela est merveilleux ! dit Bess. Alice, une partie de ce trésor te revient ! » La jeune détective secoua la tête.

« J'espère découvrir un secret beaucoup plus important que ces pièces ou ces bijoux », répondit-elle, puis elle se tourna vers la fenêtre cintrée près de laquelle se tenait le plus souvent Abel Sidney. Et elle se dirigea lentement vers la lourde table sculptée qui occupait l'embrasure. C'était là que se trouvait l'énorme bougie torse, qui, la nuit, éclairait le jardin comme un fanal. Le haut chandelier de cuivre était posé sur une vieille Bible usée qu'Alice écarta avec respect. A sa place, le bois était plus luisant et plus net que partout ailleurs, mais à la limite de ce triangle sans poussière, la jeune fille remarqua une fente aussi fine qu'un cheveu. Et passant le doigt sur la surface, Alice devina plus qu'elle ne sentit une rainure presque imperceptible. Et elle en suivit le contour qui dessina sur la poussière un rectangle d'environ quarante centimètres sur vingt.

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« Un compartiment secret ! » s'exclama Alice. Et ses compagnes accoururent.

Méthodiquement, elle explora le dessus de la table, cherchant le ressort qui permettrait de démasquer la cachette, mais ce fut en vain. Enfin, les jeunes filles découvrirent une légère encoche sous le bord du plateau. Alice y enfonça le bout du doigt et le compartiment s'ouvrit brusquement, révélant une cavité profonde de quinze à vingt centimètres. A l'intérieur, Alice vit une pile de lettres. L'enveloppe du dessus portait une inscription : A ouvrir en présence de Peggy Bell.

Alice s'efforça de garder son sang-froid.« Je crois préférable de n'y pas toucher », dit-elle. Et elle rabattit

délibérément le couvercle du compartiment, puis elle souleva la Bible pour la remettre en place. Elle voulait parler de la découverte à son père : lui saurait ce qu'il conviendrait de faire.

Au moment où les trois amies allaient reprendre leurs recherches, on frappa à la porte.

« Qui est là ? demanda Alice.— Le détective, mademoiselle Roy. On vous demande au

téléphone. Une voix de femme. Cela m'a l'air grave. »Alice ouvrit la porte. Ses compagnes se précipitèrent dans

l'escalier tandis qu'elle refermait la porte à clef.« Allô ? fit-elle en prenant le récepteur.- Oh ! Alice ! » C'était Sarah dont la voix était secouée par des

sanglots.« Oh ! Alice ! C'est terrible... on a kidnappé Peggy. »

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CHAPITRE XVIII

LUEUR DANS L'OMBRE

KIDNAPPÉE ? » Ce fut presque un cri qui sortit de la gorge de la jeune fille. « C'est impossible ! Comment cela s'est-il produit ?

— Je l'ignore, répondit Sarah d'une voix tremblante d'émotion. Viens vite, je t'en prie. J'ai téléphoné à ton père, mais sa secrétaire m'a dit qu'il était au tribunal et qu'on ne pouvait le déranger.

— J'arrive tout de suite », promit Alice. La jeune fille annonça la sinistre nouvelle à ses amies. « Pauvre Peggy ! dit Bess. Dépêchons-nous. Nous n'avons pas une minute à perdre. »

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Les trois amies s'engouffrèrent dans la voiture, et Alice démarra aussitôt.

« Je suis sûre que ce sont les Jammes qui ont fait le coup. Ils vont sans doute réclamer une rançon », dit Marion au bout d'un moment.

Alice ne répondit pas. Elle espérait qu'il s'agissait d'un malentendu et que Peggy était partie de son propre gré.

« Elle va certainement téléphoner ou rentrer », pensait-elle.Hélas ! elle dut déchanter lorsqu'elle vit Sarah faire les cent pas.La gouvernante de la jeune fille expliqua : « Je suis allée faire

des courses et j'ai laissé Peggy. Je lui ai fait promettre de verrouiller portes et fenêtres, et de n'ouvrir à personne... Oh ! Alice ! Qu'allons-nous faire ?

— Avertissons la police, proposa Marion.— Il vaut mieux attendre le retour de papa, dit Alice. Il ne va

pas tarder. Dis-moi, Sarah... qu'est-ce qui te fait penser que Peggy a été kidnappée ?

— Eh bien... le blanchisseur est arrivé ici juste après moi. Quand je lui ai fait part de mes craintes, il m'a dit qu'il venait de voir une voiture disparaître au coin de la rue.

— A-t-il pu voir qui il y avait à l'intérieur ?— Oui... il a vu un homme et une femme. D'après sa description

il s'agit des Jammes. Où l'ont-ils emmenée, Alice ?— Je donnerais cher pour le savoir », répondit Alice qui

commençait à être sérieusement inquiète.Elle décida de suivre le conseil de Marion et de téléphoner au

commissaire Stevenson. Celui-ci ne cacha pas ses craintes :« Jusqu'à présent nous n'avons aucun indice qui nous permette

de retrouver les Jammes. Ils se cachent quelque part, c'est certain. Si je n'ai rien de nouveau d'ici à demain, j'avertirai le F.B.I. Il se pourrait que vous receviez une lettre réclamant une rançon. »

Le commissaire Stevenson s'interrompit un instant puis il reprit : « Alice, je vous conseille de vous méfier... Vous risquez de partager le même sort que Peggy. Après tout, les Jammes vous considèrent comme leur pire ennemie.

— Il y a une chose que je ne comprends pas, fit Alice. Frank etClara Jammes doivent hériter d'une partie de la fortune de M.

Sidney. Pourquoi se conduisent-ils ainsi ?

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— Sans doute pour obliger Peggy à signer un document leur reconnaissant le droit à une plus grande part de son héritage. Ils doivent penser que cela leur est dû étant donné qu'ils se sont occupés d'elle. Peut-être veulent-ils conserver la garde de Peggy.

— Je ne crois pas qu'elle accepterait, dit Alice au commissaire.— S'ils la menacent, tout est possible. »Alice n'était pas convaincue. Le cœur gros, Bess et Marion

prirent congé de la jeune fille lorsque leurs parents passèrent les prendre.

M. Roy arriva quelques instants plus tard. La nouvelle de l'enlèvement de Peggy le bouleversa profondément. Il téléphona immédiatement au directeur de l'orphelinat pour le mettre au courant des événements et lui faire part de ses soupçons.

Sarah, Alice et M. Roy dînèrent sans entrain, ce soir-là.Au bout d'un moment, Alice demanda : « A quelle heure peut-on

rendre visite aux prisonniers ?— Cela dépend, répondit l'avoué. Pourquoi ?— J'aimerais dire deux mots à Krill. J'arriverais peut-être à lui

faire avouer où se cachent les Jammes.— Ton idée n'est pas mauvaise. Je t'accompagnerai à

Maywood. »Le lendemain Alice et son père se levèrent de bonne heure. M.

Roy appela la prison et obtint qu'une exception soit faite en sa faveur : il pourrait voir le prisonnier à dix heures.

Au moment où Alice allait rejoindre sa voiture, le téléphone sonna. La jeune fille décrocha. Une voix inconnue au curieux accent étranger lui parvint :

« Allô ? Mademoiselle Roy ?— Oui.— Je vous préviens que si vous cherchez à retrouver Peggy

Bell, il risque de lui arriver malheur. Et à vous aussi. »Alice n'eut pas le temps de répondre. L'homme avait raccroché.Sarah, qui se tenait à côté d'Alice, avait tout entendu. Elle se

tourna vers M. Roy : « Je vous en prie, ne la quittez pas des yeux ! On vient de la menacer.

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— Ne vous inquiétez pas, fit l'avoué. Je veillerai sur elle. » Alice et son père arrivèrent à la prison de Maywood et on les conduisit dans la cellule de Krill.

Le prisonnier prit un air méfiant.« J'ai dit que je ne parlerai pas, leur lança-t-il.— Nous ne sommes pas la police, répliqua M. Roy.— Ah ouais ? Mais rien ne vous empêchera de leur vendre la

mèche ! Pas question que je vous dise quoi que ce soit. »Et l'homme leur tourna le dos.Alice comprit qu'il fallait changer de méthode.« Monsieur Krill, dit-elle, il y a un enlèvement, et vous êtes

complice ! »Le prisonnier fit volte-face.« Je n'ai rien à voir dans cette affaire ! hurla-t-il. J'ai dit à Frank

Jammes que je ne voulais pas me mêler de ça. »Soudain, il fixa un regard incrédule sur Alice et demanda : « Qui

a été kidnappée ? C'est vous que l'on devait faire disparaître !— Allons, Krill, n'aggravez pas votre cas, dit M. Roy.

Racontez-nous ce que vous savez. »L'homme se mit à arpenter sa cellule. Il avait l'air de plus en plus

mal à l'aise.« J'avais besoin d'argent, finit-il par avouer. Frank Jammes m'a

dit que je pouvais en gagner facilement. Je lui avais autrefois rendu un grand service et ainsi nous serions quittes. Il voulait que je me débarrasse de votre fille, et que je retrouve des papiers cachés dans la chambre de la tour.

« II m'expliqua où trouver une échelle. C'est alors que vous êtes arrivée, mademoiselle. J'ai imaginé mon petit scénario et je vous ai chloroformée. Mais je n'ai pas pu vous emmener à cause de votre ami qui était dans les parages. Je savais que Jammes ne serait pas content, car il voulait absolument vous enlever afin...

— Afin... ? » demanda Alice.Krill hésita un instant, puis il reprit : « Oh ! après tout, autant

vous dire la vérité. Les Jammes possèdent une petite maison sur les bords de la rivière Muskoka. Je ne connais pas l'endroit exact, mais il me semble me rappeler qu'elle se trouve près d'un bois au bout d'une

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route dont le nom finit par « garage ». Leur maison s'appelle Bellevue, je crois. »

A ce moment, un gardien arriva et annonça :« C'est terminé, monsieur Roy. »Ce qu'Alice et son père venaient d'apprendre était de la plus

grande importance. Il fallait agir vite.« Père, penses-tu pouvoir m'accompagner ? demanda la jeune

fille dès qu'ils furent dehors.— Je ne veux pas manquer ça », répondit M. Roy en souriant.

Retrouver une route dont le nom finissait par « garage » n'étaitpas facile. Après deux heures de vaines recherches, Alice et son

père s'arrêtèrent dans un restaurant situé au bord d'une route. Tandis qu'ils discutaient de ce qu'il convenait de faire, ils s'aperçurent que leur conversation semblait intéresser une de leurs voisines de table. Au bout d'un instant, la femme se pencha vers eux et déclara :

« Je crois pouvoir vous aider. Il me semble qu'il s'agit de la route du Barrage. Vous la trouverez à environ deux kilomètres d'ici. Elle mène à la rivière.

— Merci, dit Alice. Nous y allons tout de suite. »La villa Bellevue se trouvait effectivement sur la route du

Barrage. Elle était isolée. L'avoué et sa fille ne virent aucune voiture devant la maison qui semblait inhabitée.

« Les Jammes ne doivent pas venir souvent ici, fit M. Roy.— Sans doute, répondit la jeune fille. Mais peut-être est-ce là

qu'ils séquestrent Peggy. Il faut en avoir le cœur net. »La jeune fille et son père sortirent de leur voiture et frappèrent à

la porte. Pas de réponse...« II est probable qu'ils l'ont ligotée et bâillonnée. Assurons-nous

qu'elle n'est pas à l'intérieur. »Ils firent le tour de la maison et regardèrent par les fenêtres.Il n'y avait personne. Soudain, Alice saisit le bras de son père et

du doigt, désigna le salon.« Tu vois ces caisses alignées contre le mur ? Elles sont

identiques à celles que Frank Jammes a déposées dans cet entrepôt l'autre jour ! Et elles portent la même inscription. Je suis sûre qu'elles contiennent des objets volés.

— Tu as certainement raison, mais nous n'avons pas le droit de

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pénétrer dans cette maison. Nous commettrions une infraction. Je crois que... » !

M. Roy n'eut pas le temps d'achever sa phrase, une voiture arrivait. Alice et son père se raidirent : allaient-ils devoir affronter les Jammes ?

Non ! Car au bout de quelques secondes, ils s'aperçurent qu'il s'agissait d'une voiture de la police. Le policier qui en descendit faisait une ronde de routine.

« Vous tombez bien, dit M. Roy en lui montrant sa carte. Je vous présente ma fille, Alice.

— J'ai entendu parler de vous, fit le policier. Je m'appelle Hastings. Puis-je vous être utile ? »

Alice mit le policier au courant de l'affaire.« 11 n'y a pas une minute à perdre ! fit Hastings. Votre amie est

peut-être en danger. Je vais briser un carreau et nous allons voir ce qu'il y a à l'intérieur. »

Hélas ! Peggy ne se trouvait pas dans la maison. Alice ne cacha pas sa déception. Il faudrait reprendre les recherches, mais dans quelle direction ?

« Voyons ce qu'il y a dans ces cartons », proposa M. Roy.Alice et les deux hommes commencèrent à défaire la ficelle qui

entourait chaque boîte. Alice avait choisi un carton dont le dessus présentait de nombreuses perforations. La jeune fille s'agenouilla et retira le couvercle.

C'est alors qu'elle poussa un long cri d'épouvanté.

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CHAPITRE XIX

UNE DANGEREUSE ESCALADE

LA BOITE contenait un serpent à la livrée noire rayée de jaune. Surpris, il recula, puis lança la tête en avant, menaçant la jeune fille de ses crochets.

Terrorisée, Alice fit quelques pas en arrière en chancelant. Le serpent sortit de la boîte et se tortilla sur le plancher. Alors, d'un bond, le policier s'empara d'un tisonnier et frappa le reptile à plusieurs reprises.

« Je vous remercie, dit Alice. J'étais en mauvaise posture ! » Hastings prit le serpent et le déposa devant la porte de la maison. Remise de ses émotions, Alice se dirigea vers la boîte dont elle explora l'intérieur. Un morceau de tissu en cachait le fond. La jeune

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fille le retira d'un geste rapide. Elle découvrit alors divers objets en argent sur lesquels était gravée l'initiale S.

« L'argenterie de M. Sidney ! s'exclama la jeune fille. Maintenant je comprends la présence de ce serpent ! »

Elle raconta au policier ce qu'elle savait des agissements de Frank et Clara Jammes.

« C'est mon père qui est chargé de la succession de M. Sidney, dit Alice.

— Dans ces conditions, répondit Hastings, nous allons nous mettre à la recherche de tout objet pouvant appartenir à M. Sidney, et nous irons ensuite au commissariat. »

Alice et les deux hommes découvrirent un service à thé en argent marqué de l'initiale S, ainsi qu'un certain nombre d'objets dont ils ne purent affirmer avec certitude qu'ils avaient appartenu à Abel Sidney.

« Croyez-vous que les Jammes reviendront ici ? demanda Alice au policier.

- Certainement... s'ils sont sûrs que personne ne connaît cet endroit », répondit Hastings. Puis il ajouta : « Je vais faire surveiller la maison. »

« Peggy savait-elle que les Jammes possédaient cette villa ? demanda Alice à son père tandis que l'avoué et sa fille quittaient la demeure des Jammes. Est-il possible qu'elle l'ait su et qu'elle n'en ait rien dit ?

— J'en doute, répondit l'avoué. Elle t'aurait mise au courant. Non... je pense plutôt que les Jammes se sont servis de cette maison comme d'une cachette provisoire. »

Une fois arrivés à River City, Alice et son père firent une halte au bureau de celui-ci. La jeune fille appela Sarah et l'orphelinat de Notre-Dame-Du-Bon-Refuge. Rien de nouveau ne s'était produit pendant son absence.

Puis elle appela le commissaire Stevenson. Elle le mit au courant de l'existence de la villa Bellevue et lui donna une description exacte des lieux.

« La villa est la propriété des Jammes, lui dit-elle. Nous y avons trouvé de nombreux objets ayant appartenu à M. Sidney.

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— Bravo, Alice ! fit le commissaire. Je crois que, grâce à vous, nous tenons une bonne piste. »

La jeune fille raccrocha et demanda à son père si les détectives de garde aux Bougies-Torses avaient donné de leurs nouvelles.

« Oui, répondit M. Roy. Ils ont téléphoné pendant notre absence. Seul Jacob Sidney s'est présenté à l'auberge, mais on ne l'a pas laissé entrer.

— Je me demande ce qu'il voulait », déclara Alice. Puis elle ajouta : « J'ai l'impression qu'il n'a tenu aucun compte de l'avertissement de Ned. »

Ce même soir, M. Hill vint dîner chez les Roy. « Je crois savoir où les Jammes cachent Peggy, annonça Alice aux deux hommes.

— Où ? demanda l'avoué très étonné.— Aux Bougies-Torses !— Aux Bougies-Torses ? répétèrent les deux hommes qui n'en

croyaient pas leurs oreilles.— Parfaitement, reprit Alice. C'est là-bas, j'en suis sûre, que

nous trouverons la clef de l'énigme. J'en mettrais ma main au feu ! »Tandis que la voiture de James Roy roulait à vive allure sur la

route des Bougies-Torses, Alice réfléchissait, s'interrogeant sur cette impulsion qui l'avait soudain décidée à retourner à l'auberge. Ce n'était qu'une idée qui lui avait traversé l'esprit sans crier gare, mais sans doute convient-il de se rappeler que les inspirations d'Alice succédaient toujours à l'examen méthodique et rigoureux de la situation en cause.

Quel que pût être le but poursuivi par Frank Jammes, l'objet de ses convoitises, trésor caché ou bien renseignements précieux, se trouvait dans la vieille maison d'Abel Sidney. C'était l'évidence même, à en juger par les derniers événements.

A voix haute, la jeune fille s'adressa à son père :« Ne crois-tu pas qu'il vaudrait mieux couper ton moteur, à

présent que nous sommes engagés dans l'allée ? Eteins donc aussi tes phares.

— Voilà », dit James Roy, mettant aussitôt au point mort.La voiture roula sans bruit jusqu'à la maison, sombre, presque

invisible parmi la masse des arbres. Alice ressentit au cœur un petit

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pincement de déception et d'angoisse, devant cette vaste bâtisse déserte, que l'on eût pu croire abandonnée depuis des années.

Faisons d'abord le tour de la maison pour voir si le détective est là », murmura M. Hill.

Les deux hommes partirent les premiers. Alice resta quelques pas en arrière.

En silence elle contempla la maison. Son regard parcourut du haut en bas la façade imposante. Quelle histoire ces murs ne pourraient-ils pas raconter si la parole leur était donnée ! Et quel...

« Est-ce une lumière ? » se demanda soudain Alice, arrachée à ses réflexions.

Là-haut, dans la tour, les fenêtres semblaient un peu moins sombres que les autres. Était-ce le reflet des étoiles sur les vitres, ou bien quelque lueur venant de l'intérieur qui les rendait ainsi différentes?

Alice regarda avec plus d'attention.« On dirait que les fenêtres sont masquées pour empêcher la

lumière de passer », songea-t-elle.

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Comme elle allait se diriger vers la porte d'entrée, elle se ravisa, en se souvenant de l'échelle qu'avait utilisée Krill pour sa mise en scène.

Aux deux extrémités de la véranda, les murs du rez-de-chaussée étaient garnis d'un solide lattage de bois d'acacia, au long duquel grimpaient un chèvrefeuille et de la vigne vierge. Alice enfonça les mains dans le feuillage pour s'agripper aux lattes et elle escalada la façade. Elle atteignit en un clin d'œil le haut de la véranda et se hissa sur la toiture de zinc.

Oui, l'échelle était encore là ! Ce fut pour Alice une besogne lente et difficile que de la dresser contre le mur sans bruit. Mais la jeune fille parvint finalement à appuyer le dernier barreau sur le rebord de la fenêtre de la tour. Il n'y eut pas le moindre heurt ni le moindre grincement.

Alors, Alice éprouva la solidité de l'échelle. Celle-ci était bancale, l'un des montants étant plus court que l'autre. Néanmoins, la jeune fille décida qu'elle parviendrait à la maintenir en équilibre si elle veillait à faire porter tout son poids du même côté.

Lentement, avec des précautions infinies, elle commença son ascension. Comme elle allait atteindre le haut de la tour, l'échelle vacilla si brusquement qu'Alice sentit le cœur lui manquer. Dans un réflexe, elle allongea le bras et n'eut que le temps de s'accrocher au rebord poussiéreux de la fenêtre qui se trouvait au-dessus d'elle.

Elle n'osait plus remuer, ni même lever la tête de peur de perdre l'équilibre. Enfin, elle se rassura et, se hissant presque à la force des poignets, continua à monter. Deux échelons encore et elle put prendre appui de l'avant-bras dans l'embrasure et se cramponner de l'autre main à un crochet qui avait dû servir jadis à fixer le bas d'un store. Alors, elle se haussa prudemment pour amener ses yeux au niveau de la fenêtre.

Debout sur le dernier barreau de l'échelle, malgré sa situation précaire, Alice triomphait. Elle avait maintenant la preuve de ce qu'elle n'avait d'abord fait que soupçonner. La lourde tenture qui masquait la vue, n'empêchait pas de deviner qu'une lumière brillait à l'intérieur de la chambre, trahie par l'infinité de trous minuscules qui marquaient la trame de l'étoffe. Et bien plus, l'on entendait une voix d'homme résonner derrière les vitres !

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Toujours prudente et prenant des peines infinies pour garder son équilibre, Alice insinua ses doigts sous le bord de la fenêtre à guillotine afin de soulever le vantail inférieur. Celui-ci céda d'un centimètre, puis de deux, glissa encore. Soudain, il grinça légèrement et s'arrêta tandis qu'Alice baissait la tête et s'attendait au pire.

Quelques instants s'écoulèrent. La voix continuait à bourdonner derrière les vitres. Alice respira. Elle releva les yeux et examina la fenêtre. La tenture devait être fixée à l'embrasure, et non pas aux vantaux, car elle n'avait pas suivi le mouvement de celui déplacé par la jeune fille, et continuait à masquer l'intérieur de la pièce.

Si Alice ne pouvait rien voir, elle entendait en revanche beaucoup mieux à présent. Ainsi qu'elle l'escomptait, la voix qui parlait était celle de Frank Jammes.

« Tu as passé toute la journée ici avec cette pimbêche et je suis certain que tu sais où est le magot. Abel n'était pas sur la paille, Dieu merci ! Où est l'argent ? Cesse de pleurnicher. Comme, de toute façon, tu ne reverras jamais Alice, tu ferais aussi bien de parler. Si tu nous vends la mèche, tu auras ta part. Sinon, tu seras quand même obligée de rester avec nous, et il faudra que tu travailles dur, parce que nous, tu comprends, nous n'avons pas un sou. Ah ! mademoiselle trouve à son goût sa belle robe neuve, elle aime les jolies choses, je parie ? Eh bien, nous allons voir ! Parle, vermine, et dépêche-toi : je te donne encore une minute, une seule, tu entends, et après tu referas connaissance avec le fouet ! »

Tandis que l'homme continuait ses menaces, Alice entendait Peggy qui pleurait.

« Je vous dis que je ne sais rien, répétait-elle d'une voix entrecoupée.

— Plus que quarante secondes, et tu auras le fouet, s'écria soudain Mme Jammes, demeurée muette jusque-là... Plus que trente-cinq secondes !

— Et sois tranquille, poursuivit l'homme, si tu ne te décides pas, nous enlèverons Alice Roy. Ce sera aussi facile que pour toi, parce que nous lui tendrons un piège : nous t'obligerons à lui écrire qu'elle vienne te voir. Ensuite, tu n'auras plus qu'à regarder comment nous nous y prendrons pour la forcer à nous dire où est cet or !

— Oh ! non, je vous en supplie, s'écria Peggy en sanglotant. Je

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travaillerai pour vous, j'accepterai n'importe quoi, mais ne faites pas de mal à Alice !

— La minute est passée », dit Mme Jammes.Saisie d'horreur, Alice souleva le bas de la tenture. Une scène

dramatique lui apparut.Peggy se tenait à quelques pas d'Alice, appuyée à la vieille table

où celle-ci avait découvert le compartiment secret. Sa jolie robe neuve était sale et froissée ; l'une des manches pendait, à demi arrachée. Ses cheveux retombaient en désordre le long de son visage. Alice la voyait de profil, tournée vers les Jammes qu'elle regardait avec terreur. La femme était campée devant elle, les bras croisés, en retrait de son mari qui, lentement, retroussait ses manches. L'une de ses mains serrait une forte badine de saule.

« Ouvre le débarras, Clara, dit Jammes. C'est là que nous la mettrons quand nous en aurons fini avec elle. »

La mégère se dirigea vers le fond de la chambre. Jammes la suivit des yeux. Voyant l'attention des deux misérables se détourner un instant de Peggy, Alice passa la main par la fenêtre et heurta légèrement le bord de la table.

« Peggy ! » murmura-t-elle.Au son de cette voix étouffée, qui lui semblait ne venir de nulle

part, les nerfs de la pauvre fille cédèrent. Et, poussant un cri terrible, elle s'abattit sur le parquet.

Jammes se retourna, prompt comme l'éclair, et il vit le bas de la tenture retomber brusquement. Il lâcha un juron et s'élança, les mains en avant, pour repousser l'échelle à laquelle se cramponnait Alice.

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CHAPITRE XX

TOUT S'ÉCLAIRE

TOUT À COUP, un cri retentit, faisant sursauter M. Roy et son compagnon. « Qu'est-ce que c'est ? s'exclama James Roy. Cela venait de la maison. Vite, allons voir ! » Les deux hommes coururent jusqu'à la véranda et l'avoué ouvrit la porte.

« A la tour ! » ordonna-t-il en se ruant vers le vestibule.En atteignant le dernier palier, il se jeta de tout son poids sur la

porte d'Abel Sidney, reconnaissable à la lumière que l'on voyait filtrer dessous. Le verrou céda et le battant s'ouvrit avec fracas.

Les hommes découvrirent alors une scène sinistre et stupéfiante.

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Dans la fenêtre, s'encadraient la tête et les épaules d'Alice qui semblait se tenir dans les airs. Cependant, Frank Jammes avait passé les bras par l'ouverture et on le voyait repousser la jeune fille qui se cramponnait à ses poignets pour ne pas être précipitée dans le

vide.Agrippée à la taille de Jammes, Peggy Bell tirait l'homme en

arrière, dans un effort désespéré pour secourir son amie. Et derrière elle, brandissant un bâton qu'elle s'apprêtait à abattre sur les épaules de la jeune fille, se tenait Mme Jammes !

« Arrêtez ! » cria M. Roy d'une voix tonnante.Bondissant dans la pièce, il envoya promener la femme d'un

revers de main et sauta à la gorge de Frank Jammes. De son côté, M. Hill courait à la fenêtre pour soutenir Alice. Il n'était que temps, car à peine avait-il empoigné la jeune fille que l'échelle sur laquelle elle était en équilibre basculait et s'abattait à grand fracas dans le jardin.

Le banquier réussit à hisser Alice dans la chambre. Pendant ce temps, Peggy défendait la porte vers laquelle Clara Jammes s'était

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précipitée, résolue à s'échapper sans plus se préoccuper du sort de son mari.

« Laissez-moi ! » hurla l'aubergiste qui suffoquait. James Roy le lâcha, et le misérable recula en titubant jusque dans un coin de la pièce, les mains crispées sur sa gorge. « N'as-tu pas de mal, Alice ? demanda l'avoué.

— Pas du tout, répondit-elle. Mais vous êtes arrivés à temps. Et maintenant, papa, appelons la police. Je crois que les Jammes ne manqueront pas de choses à leur dire.

— Oh ! Alice, j'ai bien failli te faire tuer, s'écria Peggy. C'est en m'entendant pousser un cri que ces gens se sont aperçus de ta présence !

— Mais c'est aussi ce qui nous a alertés, dit James Roy. Monsieur Hill, voulez-vous descendre téléphoner ? Appelez le poste central de la police d'Etat et demandez que l'on nous envoie immédiatement des hommes et une voiture pour emmener deux prisonniers. »

Lorsque le banquier eut disparu, Alice se tourna vers M. Jammes et, le regardant fixement :

« Où est le détective ? demanda-t-elle.— Cherchez-le, répliqua l'homme insolemment.— Moi, je sais, déclara Peggy. M. Jammes m'a obligée

à demander au garde de me laisser entrer ici une seconde fois. Naturellement, on me connaissait. Mais Jammes ne s'est pas montré, car lui avait peur d'être reconnu. Quand le détective s'est détourné pour ouvrir la porte, Jammes l'a assommé avec je ne sais quoi. Il l'a ensuite ligoté et bâillonné avant de l'enfermer dans le placard qui se trouve sous l'escalier.

— Je cours le délivrer, s'écria Alice. Peggy, suis-moi ! » Honteux de s'être laissé berner une seconde fois, le détective ne

se fit pas prier pour prendre en charge les prisonniers et, si Frank Jammes avait été laissé entièrement à ses soins, il eût certainement passé un mauvais quart d'heure.

« En attendant la police, dit M. Roy, se laissant tomber dans un fauteuil, essayons d'y voir un peu clair dans cet imbroglio.

— Je voudrais d'abord savoir comment votre fille avait deviné que les Jammes étaient ici, s'écria M. Hill. Aviez-vous découvert quelque indice, Alice ?

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— Pas du tout, répondit-elle. J'avais simplement la conviction que ce que cherchait Jammes se trouvait dans cette maison. Et je me disais aussi qu'il penserait que jamais on ne viendrait le chercher à l'endroit où il nous avait attaquées, Peggy et moi.

— C'était un raisonnement excellent, déclara M. Hill, et la vraie solution du mystère. Seulement, je n'y aurais pas pensé.

— Mais si, voyons, protesta Alice modestement.— De toute ma vie, je n'ai vécu d'heures aussi passionnantes »,

fit le banquier.Et puis la police arriva et emmena le couple. Après leur départ,

M. Hill demanda : « Et maintenant, que faisons-nous ? Je suggère que nous allions dormir, nous l'avons bien mérité.

— Non, répondit Alice. Je vais téléphoner aux autres héritiers et leur demander de venir sans tarder. J'ai quelque chose d'important à leur dire. »

Des regards interrogateurs se tournèrent vers elle.La jeune fille poursuivit : « Au cours de mes recherches dans la

chambre de la tour, je suis tombée sur une lettre adressée à Peggy. Elle doit être ouverte en présence de Peter Banks, Jacob Sidney, Anna et Bess Taylor, et Louise et Marion Webb. Cette lettre, écrite par M. Sidney, expliquera sans doute pourquoi il a légué presque tous ses biens à Peggy.

— Oh ! s'exclama celle-ci.— Vois-tu un inconvénient à ce qu'ils viennent ?— Mon Dieu, je crois qu'il vaut mieux en finir», dit la jeune

fille en poussant un soupir de résignation.Alice alla jusqu'au téléphone et appela les divers membres de la

famille d'Abel Sidney. Tous promirent d'arriver le plus tôt possible.« Est-ce que tu as mangé ? demanda Alice à Peggy après avoir

rejoint les autres.— Non, répondit la jeune fille.— Eh bien, je crois qu'un morceau ne nous ferait pas de mal, fit

Alice en souriant. Cela nous permettra d'attendre l'arrivée des Banks et des Sidney. »

Il n'y avait pas grand-chose dans le buffet de la cuisine, mais Alice et Peggy réussirent tout de même à faire quelques sandwiches au jambon et au fromage. A peine avaient-ils fini leur repas improvisé,

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que les Taylor arrivèrent, bientôt suivis des Banks. Enfin, tout le monde se rassembla dans le grand salon.

« J'espère pour vous que vous ne m'avez pas dérangé pour rien, fit Jacob Sidney, toujours aussi peu courtois. Vous rendez-vous compte de l'heure ?

- Vous ne perdrez pas votre soirée, répondit Alice. Et maintenant, voulez-vous me suivre ? Notre cérémonie doit avoir lieu dans la chambre de la tour. »

Tandis qu'ils montaient, Peggy prit la main de la jeune détective et la serra très fort.

« N'aie pas peur, murmura Alice à l'oreille de Peggy. Quelque chose me dit qu'une merveilleuse surprise nous attend. »

Une fois tout le monde assis, Alice se dirigea vers le bureau de M. Sidney et pressa l'encoche dissimulée sous le bord de la table.

Le compartiment secret s'ouvrit, et un murmure de surprise suivit le geste de la jeune fille.

Alice donna la lettre à Peggy qui était tellement émue, qu'elle la laissa tomber à terre.

« Alice, lis-la à ma place, veux-tu ? » demanda la jeune fille.

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Alice ramassa la lettre, ouvrit l'enveloppe et retira la feuille qui se trouvait à l'intérieur.

Tous les assistants se penchèrent en avant, anxieux, le regard posé sur la jeune fille qui, rapidement, parcourait la lettre.

Nous ne reproduirons pas in extenso le long document dont Alice donna lecture à son auditoire stupéfait. Disons seulement pour abréger qu'Abel Sidney y avouait n'avoir plus le courage de révéler aux yeux de tous un très vieux secret, mais qu'il espérait qu'un jour peut-être son manuscrit serait découvert.

« Quand j'aurai achevé de tout écrire, disait-il, je voudrais pouvoir oublier la malédiction que j'ai attirée sur les miens, et avoir la force d'exprimer ouvertement ce que je confie aujourd'hui à ce papier.

« Peggy Bell, dont j'ai l'intention de faire mon héritière, est le seul être au monde en qui se trouve uni le sang des Sidney et des Banks...»

A ces mots lus par Alice, il y eut parmi les assistants une exclamation de surprise, et chacun se pencha afin de ne pas perdre une syllabe de ce qui allait suivre. Le visage de Peggy était devenu d'une pâleur extrême.

Le manuscrit révélait ensuite que Jérémie Banks, le frère de Mme Abel Sidney, avait eu deux fils, Arthur et Peter.

« C'est exact, murmura Peter Banks. Et mon frère Arthur s'est fait tuer pendant la guerre, le pauvre diable.

— Arthur laissait un fils, John, qui partit étudier la peinture à New York. Il rencontra à l'Institut des beaux-arts une jeune fille dont il s'éprit. Elle se nommait Hélène Sidney. Leurs parents s'opposèrent au mariage. »

A cet endroit de la lecture, l'on vit Jacob Sidney se cacher brusquement le visage dans les mains.

« Continuez, murmura-t-il. Ne vous occupez pas de moi.— Les jeunes gens s'enfuirent ensemble. Reniés par leur

famille, ils s'engagèrent dans la vie. L'année suivante, naquit une petite fille à qui ils donnèrent le nom de Peggy. Peggy, comme la petite fille que j'avais perdue... Cependant, John Banks avait dû accepter n'importe quel genre de travail pour gagner de quoi vivre. Un jour qu'il peignait un panneau publicitaire sur un immeuble, son échafaudage s'écroula, et il se tua dans la chute.

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« Le sort impitoyable qui semblait s'acharner sur notre famille depuis la mort de mon enfant, retira aussi la vie à Hélène Banks, poursuivait Alice. Elle fut mortellement blessée dans un accident et sa petite fille partit à l'aventure. Je finis par la retrouver un peu plus tard dans un orphelinat, sous un autre nom. Cette enfant, Peggy Bell, se nomme en réalité Elisabeth Banks. Désirant la protéger contre les rancunes et les querelles de la famille, j'ai tenu son identité secrète. Je m'apprêtais à la révéler lorsque les Jammes proposèrent de l'adopter. Ceux-ci m'assurèrent qu'ils rélèveraient et la traiteraient comme leur propre fille. Le jour viendra cependant où Peggy apprendra qui elle est. »

Un silence s'abattit sur l'assistance. Puis Jacob Sidney se leva et, d'un pas chancelant, se dirigea vers Peggy.

« Ta mère était mon enfant, lui dit-il. Et tu es ma petite-fille, si toutefois tu consens à me reconnaître pour ton aïeul après l'attitude révoltante que j'ai eue envers toi. J'ai chassé ma pauvre Hélène de ma vie par entêtement, comme un vieux fou que j'étais. Et jamais, je n'ai su ce qu'elle était devenue. »

Quelques jours plus tard, Marion, Bess et Peggy se retrouvaient aux Bougies-Torses avec Alice. Ensemble, elles suivirent les étapes de la piste découverte par cette dernière, dans la chambre d'Abel : chacune des bougies torses marquait l'emplacement de l'une des cachettes où le vieillard avait dissimulé ses trésors.

Papiers de famille, vieilles lettres, brevets d'invention et coupures de journaux furent ainsi découverts par dizaines, outre maints rouleaux d'or et liasses de billets de banque.

« II ne faut rien laisser inexploré, disait Alice, car aux termes du testament, la maison sera mise en vente d'ici quelques jours.

- Il m'est venu une idée, fit Peggy timidement. J'ai déjà beaucoup plus d'argent que je ne pourrai jamais en dépenser. Alors, si j'achetais moi-même la propriété ? Cette vieille maison resterait ainsi dans la famille.

— Oh ! Peggy, c'est une idée magnifique ! s'exclama Alice, enthousiasmée. Et comme cela, au prochain Noël, tous les Banks et tous les Sidney pourront se réunir ici, pour la première fois depuis cinquante ans.

- Ce qui n'eût jamais été possible sans toi, fit Peggy gravement.

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— Certes non, renchérit Marion. Sans la clairvoyance d'Alice dès le début de cette affaire, les deux familles seraient encore ennemies et les Jammes auraient accaparé la fortune d'Abel Sidney. Mon Dieu, Alice, si tu savais comme je suis contente, mais contente, d'être redevenue ton amie !

— Et moi donc ! » s'écria Bess. Puis elle ajouta en riant : « Ainsi, rien ne nous empêchera de te suivre, la prochaine fois que tu te lanceras sur la piste d'une nouvelle énigme, ce qui, certainement, ne saurait tarder !

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TABLE DES MATIÈRES

I. Un mystérieux vieillard 9II. Premières difficultés 17

III. Une querelle de famille 25IV. Une étrange histoire 34V. La cassette 41

VI. Une mission importante 50VII. La poursuite 56

VIII. Indiscrétion 63IX. Amies ou ennemies? 72X. Une triste nouvelle 81

XI. Un testament surprenant 89XII. Alice fait une découverte 101

XIII. Les suspects s'enfuient 109XIV. Une rencontre imprévue 117XV. Le secret du chandelier 125

XVI. Le piège 133XVII. Sous les verrous 142

XVIII. Lueur dans l'ombre 150XIX. Une dangereuse escalade 156XX. Tout s'éclaire 165

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Alice Roy

Alice Roy est l'héroïne des livres suivants :(ordre de sortie en Amérique)

1. Alice détective (The secret of old dock) 1930 19592. Alice au manoir hanté (The hidden staircase) 19303. Alice au camp des biches (The bungalow mystery) 19304. Alice et les diamants (The mystery at Lilac inn) 19305. Alice au ranch (The secret at shadow ranch) 19316. Alice et les faux monnayeurs (The secret of red gate farm) 19317. Alice et le carnet vert (The due in the diary) 19328. Quand Alice rencontre Alice (Nancy's mysterious letter) 19329. Alice et le chandelier (The sign of the twisted candle) 193310. Alice et pigeon voyageur (The password to larkspur Lane )193311. Alice et le médaillon d'or (The due of the broken locket) 193412. Alice au Canada (Alice chercheuse d'or) (The message in the hollow oak) 193513. Alice et le talisman d'ivoire (The mystery of the ivory charm) 193614. Alice et la statue qui parle (The whispering statue) 193715. Alice et les contrebandiers (The haunted bridge) 193716. Alice et les chats persans (The due of the tapping heels) 193917. Alice et la malle mystérieuse (Mystery of the brass bound trunk) 194018. Alice et l'ombre chinoise (The mystery at the moss-covered mansion) 194119. Alice dans l'île au trésor (The Quest of the Missing Map) 194220. Alice et le pickpocket (The due in the jewel box) 194321. Alice et le clavecin (The secret in the Old Attic) 194422. Alice et la pantoufle d'hermine (The due in the crumbling wall) 194523. Alice et le fantôme (The mystery of the tolling bell) 194624. Alice et le violon tzigane (The due in the old album) 194725. Alice et l'esprit frappeur (The ghost of blackwood hall) 194826. Alice et le vase de chine (The due of the leaning chimney) 194927. Alice et le corsaire (The secret of the wooden lady) 195028. Alice et les trois clefs (The due of the black keys) 195129. Alice et le vison (The mystery at the ski jump) 195230. Alice au bal masqué (The due of the velvet mask) 195331. Alice écuyère (The ringmaster's secret) 195332. Alice et les chaussons rouges (The scarlet slipper mystery) 195433. Alice et le tiroir secret (The witch-tree symbol) 195534. Alice et les plumes de paon (The hidden window mystery) 1956 35. Alice et le flibustier (The haunted show boat) 195736. Alice aux îles Hawaïf (The secret of golden pavilion) 195937. Alice et la diligence (The due in the old stage-coach) 196038. Alice et le dragon de feu (The mystery of the fire dragon) 196139. Alice et les marionnettes (The due of the dancing puppet) 196240. Alice et la pierre d'onyx (The moonstone castle mystery) 196341. Alice en Ecosse (The due of the whistling bagpipes) 196442. Alice et le diadème (The phantom of pine hall) 196543. Alice à Paris (The mystery of the 99 steps) 1966

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44. Alice chez les Incas (The due in the crossword cipher) 196745. Alice en safari (The spider sapphire mystery) 196846. Alice et le mannequin (The mysterious mannequin) 197047. Alice et la fusée spatiale (Mystery of the moss-covered mansion) 197148. Alice au concours hippique (The missing horse) 197149. Alice et le robot (The crooked banister) 197150. Alice et la dame du lac (The secret of mirror bay) 197251. Alice et l'œil électronique (Mystery of the glowing eye) 197452. Alice à la réserve des oiseaux (The double jinx mystery) 197353. Alice et la rivière souterraine (The secret of the forgotten city) 197554. Alice et l'avion fantôme (The sky phantom) 197655. Alice et le secret du parchemin (The strange message in the parchment) 197756. Alice elles magiciens (The triple hoax) 197957. Alice et le secret de la vieille dentelle (The secret in the old lace) 198058. Alice et la soucoupe volante (The flying saucer mystery) 198059. Alice et les Hardy Boys super-détectives (Nancy Drew and Hardy Boys super sleuths) 198060. Alice chez le grand couturier (The twin dilemma) 198161. Alice et la bague du gourou (The swami's ring) 198162. Alice et la poupée indienne (The kachina doll mystery) 198163. Alice et le symbole grec (The greek symbol mystery) 198164. Alice et le témoin prisonnier (The captive witness) 198165. Alice à Venise (Mystery of the winged lion) 198266. Alice et le mauvais présage (The sinister omen) 198267. Alice et le cheval volé (Race against time) 198268. Alice et l'ancre brisée (The broken anchor) 198369. Alice au canyon des brumes (The mystery of misty canyon) 198870. Alice et le valet de pique (The joker's revange) 198871. Alice chez les stars (The case of the rising stars) 198972. Alice et la mémoire perdue (The girl who couldn't remember) 198973. Alice et le fantôme de la crique (The ghost of craven cove) 198974. Alice et les cerveaux en péril (The search for Cindy Austin) 198975. Alice et l'architecte diabolique (The silent suspect) 199076. Alice millionnaire (The mistery of missing millionaires) 199177. Alice et les félins (The search for the silver persian) 199378. Alice à la tanière des ours (The case of the twin teddy bears) 199379. Alice et le mystère du lac Tahoe (Trouble at Lake Tahoe) 199480. Alice et le tigre de jade (The mystery of the jade tiger) 199581. Alice et les collectionneurs (The riddle in the rare book) 199582. Alice et les quatre tableaux (The case of the artful crime) 199683. Alice en Arizona (The secret at solaire) 199684. Alice et les quatre mariages (The wedding day mistery) 199785. Alice et la gazelle verte (The riddle of ruby gazelle) 199786. Alice et les bébés pumas (The wild cat crime) 199887. Alice et la dame à la lanterne (The ghost of the lantern lady) 1998

3 Autres non classésSortilèges esquimaux : les enquêtes de Nancy Drive 1985 (tiré d'une série dérivée en France)*La chambre secrète : les enquête de Nancy Drive 1985Le fantôme de Venise : les enquête de Nancy Drive 1985

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Noms originaux[modifier]

En version originale,

Alice Roy = Nancy Drew ; Bess Taylor = Bess Marvin ; Marion Webb = Georgia "George" Fayne ; Ned Nickerson = Ned Nickerson ; Daniel Evans = Dave Evans ; Bob Eddelton = Burt Eddelton ; James Roy = Carson Drew ; Sarah Berny = Hannah Gruen ; Cécile Roy = Eloise Drew. Commissaire Stevenson = Commissaire McGinnis

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