Caroline Henricot EE 3

25
L’application du Code marocain de la famille, à la croisée des jurisprudences belge et marocaine en matière de dissolution du mariage Caroline Henricot E & E, n° 3 Cette étude a bénéficié d’un soutien du Centre Jacques Berque Etudes et Essais du Centre Jacques Berque N° 3 - 2011 Rabat (Maroc)

Transcript of Caroline Henricot EE 3

Page 1: Caroline Henricot EE 3

 

L’application du Code marocain de la famille, à la croisée des jurisprudences belge

et marocaine en matière de dissolution du mariage

Caroline Henricot

E & E, n° 3

Cette étude a bénéficié d’un soutien du Centre Jacques Berque

Etudes et Essais du Centre Jacques Berque

N° 3 - 2011

Rabat (Maroc)

 

Page 2: Caroline Henricot EE 3

 

L’application du Code marocain de la famille, à la croisée des jurisprudences belge et marocaine

en matière de dissolution du mariage

Caroline Henricot

Résumé

Chaque été, les membres de la communauté marocaine établis en Belgique sont nombreux à traverser les rives de la Méditerranée. Les vacances estivales sont aussi l’occasion de régler différents aspects juridiques de leur vie privée. C’est ainsi que le droit marocain de la famille s’exporte en Belgique à travers des actes de mariage ou des jugements de dissolution des unions conjugales. Au départ de questions classiques de droit international privé, cet article invite le lecteur à voyager à la croisée des jurisprudences belge et marocaine, en matière de dissolution du mariage, dans l’objectif d’affiner sa perception du droit marocain de la famille et de résoudre les problèmes de qualifications posés par certaines institutions du droit marocain de la famille.

Mots-clés : Droit international privé, code marocain de la famille, modes de dissolution du mariage, jurisprudence marocaine, jurisprudence belge

 

Page 3: Caroline Henricot EE 3

 

Sommaire  

Le chiqaq : un mode de divorce égalitaire ? ......................................................................................4 1. Etude de la jurisprudence marocaine..............................................................................................4

1.1 Dissolution du mariage fondée sur le chiqaq devant les tribunaux marocains .......... 5 1.1.1 Procédure de conciliation......................................................................................... 5 1.1.2 Droits dus à l’épouse et aux enfants........................................................................ 5 1.1.3 Réparation du préjudice subi par l’époux lésé ....................................................... 6 

1.2 Exequatur des divorces pour désunion irrémédiable prononcés devant les tribunaux belges ..................................................................................................................................... 8

2. Etude de la jurisprudence belge .......................................................................................................9 2.1 Dissolution du mariage fondée sur le chiqaq devant les tribunaux belges ................ 9 2.2 Reconnaissance de divorces chiqaq prononcés devant les tribunaux marocains...... 9

Les autres modes de dissolution du mariage : la persistance des répudiations ? ................10 1. Etude de la jurisprudence marocaine............................................................................................10

1.1 Dissolution du mariage par consentement mutuel (« Attalaq Al-Ittifaki ») ............. 10 1.2 Dissolution du mariage par khôl................................................................................. 11

2. Etude de la jurisprudence belge .....................................................................................................13 2.1 Dissolution du mariage par consentement mutuel .................................................... 13 2.2 Dissolution du mariage par khôl ................................................................................. 14 

L’effet pervers de l’article 57 du Code de droit international privé ...........................................15 1. Définition de la notion de répudiation..........................................................................................15

1.1 Répudiation au sens du droit marocain ....................................................................... 15 1.1.1 Jugement ou acte adoulaire ? ................................................................................. 16 1.1.2 Avant ou après la consommation du mariage ?.................................................... 16 1.1.3 Dissolution du mariage par procuration............................................................... 17 

1.2 Répudiation au sens du droit belge ............................................................................. 17 2. Pratique des autorités consulaires belges de Rabat..................................................................18 2.1 « Sticker  57 Codip » et répudiations prononcées antérieurement à l’entrée en vigueur du Codip (1er octobre 2004) .............................................................................. 19 2.2 « Sticker 57 Codip » et chiqaq ...................................................................................... 20 2.3 « Sticker 57 et divorce par consentement mutuel » .................................................... 22

Vers une appréciation in concreto des modes de dissolution du mariage ..............................23  

 

Page 4: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

 

L’application du Code marocain de la famille, à la croisée des jurisprudences belge et marocaine

en matière de dissolution du mariage

Caroline Henricot * Avocate au Barreau de Bruxelles

Assistante de cours à l'Université catholique de Louvain

« Tout ce qui est nouveau Est attrayant et beau

Mais de ce qui s’est fait vieux Ne détourne pas les yeux »

Proverbe marocain **

Alors que certains estiment que seule la laïcité permettra l’avènement d’un réel changement au sein de la société marocaine, d’autres se réjouissent des avancées obtenues, en particulier sur le plan du respect de l’égalité des sexes. Le Maroc s’est doté, depuis février 2004, d’un Code de la famille (nouvelle Moudawana)1, dont l’esprit modernisateur et égalitaire n’a pas manqué d’être salué outre-

                                                 

                                                

* L’auteur adresse ses plus vifs remerciements à Mohamed Loukili, professeur à la faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat (Agdal), à Julien Lecomte, premier secrétaire de l’Ambassade de Belgique à Rabat, à Vincent Macq, magistrat de liaison à Rabat, à Mourad Guidiri, attaché adjoint au Bureau de la coopération belge à Rabat, à Khalid Berjaoui, doyen de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat (Souissi), à Adil Bouhya, magistrat à Khénifra, au Centre Jacques Berque de Rabat, ainsi qu’aux professeurs Jean-Yves Carlier et Marc Fallon pour leur relecture et leurs conseils précieux et avisés. ** L. Messaoudi, Proverbes et dictons du Maroc, Casablanca, EDL/Belvisi, 1987, p. 152. 1 Pour une vision optimiste des avancées apportées par le Code marocain de la famille du point de vue de la doctrine marocaine, voir S. Sarehane, « Le nouveau Code marocain de la famille », Gaz. Pal., septembre 2004, pp. 2-17 ; voir également R. Naji El Mekkaoui, La Moudawana (Code Marocain de la Famille). Le référentiel et le Conventionnel en Harmonie. T.1 : Le mariage et la filiation ; T : 2 La dissolution du mariage, Rabat, Bouregreg, 3è ed., 2009. Pour une analyse plus critique, voir M.-Cl. Foblets et M. Loukili, « Mariage et divorce dans le nouveau Code marocain de la famille: quelles implications pour les Marocains en Europe », Rev. crit. dip, 2006, pp. 521-555. Voir également : Le Code de la famille à l’épreuve de la pratique judiciaire, sou la dir. de A. EL Hajjami, Marrakech, Service de Coopération et d’Action culturelle. Ambassade de France au Maroc, 2009.  

mer2. Pourtant, les résistances se font sentir tant au sein de la population qu’au sein du corps judiciaire, soucieux de ne pas brusquer l’évolution des mentalités. Ces résistances se manifestent à travers l’analyse de la jurisprudence marocaine, qui semble, à certains égards, rétive au changement. La présente contribution a été rédigée à la suite d’un séjour de recherche d’un mois à Rabat en février 2011. Cette étude propose un voyage à la croisée des jurisprudences belge et marocaine, dans l’objectif d’affiner la perception et la compréhension du droit marocain de la famille. Le sujet est centré sur la problématique des différents modes de dissolution du mariage au Maroc puisqu’il semble que ce soit le point cardinal autour duquel se cristallisent les problèmes de compréhension du droit marocain par les différents acteurs belges. Appelés à se prononcer sur la reconnaissance des jugements marocains, les magistrats belges tâtonnent, se heurtant au langage policé que

 2 Pour un aperçu nuancé de la réforme de la Moudawana, du point de vue européen, voir A. Quinones Escamez, « La réception du nouveau Code de la famille marocain (Moudawana, 2004) en Europe », Rivista di diritto internazionale privato e processuale, septembre 2004, pp. 877-900. Voir également l’ouvrage de référence sur le Code marocain de la famille et ses implications en Europe : J.-Y. Carlier et M.-Cl. Foblets, Le Code marocain de la famille. Incidences au regard du droit international privé en Europe, Bruxelles, Bruylant, 2005. Voir aussi l’excellent état des lieux réalisé par M. Traest, « La réception du droit marocain de la famille dans la jurisprudence belge, en particulier le mariage, sa dissolution et la contestation de paternité », J.T., n° 6402, 2010, pp. 445-453. 

Page 5: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

leur offre le texte du Code de la famille marocain. Pourtant, ils n’ont pas hésité à faire preuve d’audace en prononçant tout récemment des divorces sur la base des dispositions du droit marocain. L’enthousiasme qu’a suscité la réforme de la Moudawana a peut-être, quelque peu, endormi les esprits, leur faisant oublier que son impact ne pouvait se mesurer qu’à l’application qu’en feraient les magistrats marocains. Si les lignes qui suivent nuancent les avancées réelles, elles le font dans l’unique objectif d’encourager une application des textes, fidèle à l’esprit égalitaire du législateur. Afin de rencontrer au mieux les attentes des praticiens, cette étude ne s’attardera pas sur l’ensemble des modes de dissolution du mariage mais uniquement sur les hypothèses les plus fréquentes3. Une attention toute particulière sera accordée au chiqaq, thème abordé par la première partie, puisqu’on s’accorde à dire que ce divorce judiciaire et égalitaire constitue l’un des points majeurs de la réforme. La jurisprudence marocaine sera mise en perspective avec la jurisprudence belge afin de mesurer l’application du texte par les magistrats marocains. On aurait pu croire que le succès réservé au chiqaq aurait entrainé la disparition des autres modes de dissolution du mariage. Pourtant, force est de constater la persistance du divorce moyennant compensation (khôl) et l’importance des divorces par consentement mutuel. La deuxième partie leur sera consacrée. Enfin, dans la troisième partie, on s’interrogera sur la notion de « répudiation », consacrée à l’article 57 du Code de droit international privé relatif aux modes de dissolution du mariage par volonté unilatérale

                                                 

                                                

3 Ne seront pas abordés les divorces pour causes ouverts à la femme (prévus à l’article 98 du nouveau Code de la famille : 1) pour manquement de l’époux à l’une des conditions stipulées dans l’acte de mariage ; 2) pour préjudice subi ; 3) pour défaut d’entretien ; 4) pour absence du conjoint ; 5) pour vice rédhibitoire chez le conjoint ; 6) via le serment de continence ou pour délaissement), ni la répudiation talaq, qui ne pose pas de réelle controverse en droit belge puisqu’il est communément admis qu’il s’agit d’une répudiation pure et simple tombant sous le champ d’application de l’article 57 du Code de droit international privé, consacré à la reconnaissance des répudiations. 

du mari et aux effets qui en découlent. Ces questions sont soulevées à la suite d’une période d’observation de onze jours, passés au service de légalisation de l’Ambassade de Belgique à Rabat, au cours duquel un relevé quotidien de la jurisprudence a été effectué4.

Le chiqaq : un mode de divorce égalitaire ? Les dispositions du Code marocain de la famille (ci-après « CMF ») relatives aux modes de dissolution du mariage sont au cœur des relations entre les jurisprudences belge et marocaine. Appelées à prononcer des divorces en application du droit marocain ou à reconnaitre les divorces prononcés par les autorités marocaines, les juridictions belges sont contraintes de se frotter aux dispositions du CMF, ce qui fait surgir des difficultés de compréhension et également des problèmes de qualification des actes marocains. La présente étude a pour objectif de mettre en lumière l’application concrète des articles du CMF par les magistrats marocains, ce qui devrait contribuer à affiner la perception du droit marocain par les magistrats belges. Cet effort permet de rappeler que le magistrat belge est tenu d’appliquer le droit étranger « selon l’interprétation reçue à l’étranger », comme l’y invite l’article 15, §1er, alinéa 2 du Code de droit international privé (ci-après « Codip »). 1. Etude de la jurisprudence marocaine Le divorce pour discorde ou chiqaq est un des apports majeurs de la réforme. Perçu comme un acquis fondamental par les femmes, cette disposition leur ouvre, enfin, l’accès à un mode de dissolution du lien conjugal judiciaire et égalitaire, sans qu’elles ne doivent plus prouver de préjudice. C’est peut-être ce vent de liberté qui explique l’incroyable succès du chiqaq dès son

 4 Sur cette période de onze jours, 36 actes de dissolution de mariage ont été légalisés : 14 divorces moyennant compensation (khôl), 10 divorces par consentement mutuel, 7 actes de répudiation talaq et 5 divorces chiqaq. 

Page 6: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

apparition5. L’invasion des prétoires par les femmes permet de croire que ces dernières ont enfin pu utiliser des droits dont elles avaient été privées depuis des années6. Certains acteurs judiciaires marocains condamnent toutefois cette « folie de divorces » qui ne peut, selon eux, que conduire à la déstabilisation de l’ordre familial7. La lecture de la jurisprudence relative au divorce, qualifié par le Prophète du « plus exécrable (des actes) licites, pour Dieu », semble démontrer une certaine volonté des magistrats marocains de freiner les recours – qu’ils jugent abusifs – au divorce chiqaq, par les femmes. 1.1 Dissolution du mariage fondée sur le chiqaq devant les tribunaux marocains L’article 94 du CMF, relatif au chiqaq, dispose que : « Lorsque les deux époux ou l'un d'eux, demandent au tribunal de régler un différend les opposant et qui risquerait d'aboutir à leur discorde, il incombe au tribunal d'entreprendre toutes tentatives en vue de leur conciliation, conformément aux dispositions de l’article 82 ci-dessus », tandis que l’article 97 prévoit qu’ « en cas d’impossibilité de conciliation et lorsque la discorde persiste, le tribunal en dresse procès verbal, prononce le divorce et statue sur les droits dus, conformément aux articles 83, 84 et 85 ci-dessus. A cet effet, le tribunal tient compte de la responsabilité de chacun des époux dans les causes de divorce, pour évaluer la réparation du préjudice subi par                                                  

                                                

5 Les statistiques officielles, publiées annuellement par le Ministère de la Justice font état d’un nombre croissant de divorces prononcés sur la base du chiqaq : 10 313 en 2006 (sur un total de 43 030 tous types confondus de dissolutions du mariage) ; 18 562 en 2007 (sur un total de 49 232) et 24 854 en 2008 (sur un total de 55 376). Des études sociologiques confirment que « le divorce pour discorde tend progressivement à dominer toutes les autres demandes de divorces émanant des femmes ». Voir K. Lahsika, Le Code de la famille et les acteurs judiciaires : représentations et réalité de l’application. Etude sociologique, Meknès, Initiatives pour la Protection des Droits des Femmes, 2008, p. 89.  6 K. Lahsika, Le Code de la famille et les acteurs judiciaires : représentations et réalité de l’application. Etude sociologique, op. cit., pp. 35 ; 87. 7 Ibidem, pp. 30 ; 38 ; 85. 

l’époux lésé ». Ces dispositions conduisent à examiner la jurisprudence relative à la procédure de conciliation, étape préalable indispensable (a), la jurisprudence relative aux droits dus à l’épouse et aux enfants (b), ainsi que celle qui concerne la réparation due à l’époux lésé (c). 1.1.1 Procédure de conciliation La procédure de conciliation, prévue à l’article 82 du CMF, est une étape préalable indispensable, quel que soit le mode de dissolution du mariage. En principe, la présence physique des époux est requise. Si toutefois les époux résident à l’étranger, le tribunal a la possibilité d’envoyer une commission rogatoire au Consulat du Maroc du pays dans lequel se trouvent les époux pour déléguer la procédure de conciliation. Une telle procédure a été utilisée par le tribunal de première instance de Khénifra qui a adressé une commission rogatoire au Consulat du Maroc d’Amsterdam pour entamer la procédure de conciliation. Après avoir convoqué les époux et tenté de les concilier, le Consul doit ensuite envoyer un procès-verbal constatant la réussite ou l’échec de la conciliation, permettant le cas échéant à la juridiction marocaine de prononcer le divorce8. Ce cas d’espèce démontre la possibilité pour les juridictions marocaines de rester fidèles à la procédure de conciliation que leur impose l’article 82 du CMF mais ne peut probablement pas illustrer une pratique constante au sein des juridictions marocaines. 1.1.2 Droits dus à l’épouse et aux enfants L’article 97 du CMF impose au tribunal, lorsqu’il prononce le divorce, de statuer sur les droits dus à l’épouse conformément aux articles 83, 84 et 85 du CMF. Ces dispositions s’appliquent, quel que soit le mode de dissolution du mariage. L’article 83 impose à l’époux de consigner au

 8 T.P.I. de Khénifra, 12 mars 2007, dossier 2007/138, Ministère de la justice, Choix de jurisprudence relative à l’application du code de la famille (publié en arabe), T. I., pp. 172 et 173. 

Page 7: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

secrétariat-greffe du tribunal une somme d’argent, lui permettant de s’acquitter des droits dus à l’épouse et aux enfants à l’égard desquels il a l’obligation d’entretien. L’article 84 du CMF précise que les droits dus à l’épouse comportent le reliquat du Sadaq, la pension due pour la période de continence (Idda)9, le don de consolation (Mout’â) et le droit de résider dans le domicile conjugal durant la période de continence (3 mois) tandis que l’article 85 du CMF fixe les droits à la pension alimentaire dus aux enfants. Malgré les termes pourtant clairs de l’article 97, la Cour suprême a sanctionné un arrêt dans lequel une juridiction avait octroyé à l’épouse le don de consolation prévu à l’article 84 du CMF. La Cour estime que le don de consolation ne peut être octroyé qu’aux femmes ayant été répudiées ou aux épouses défenderesses à une action en divorce diligentée par le mari10. Dans le cas d’espèce, la femme était demanderesse en chiqaq et n’avait pas suffisamment prouvé la responsabilité de son mari dans la séparation, ce qui la privait de facto du droit de réclamer le don de consolation11. Ce cas d’espèce peut illustrer la manière dont les tribunaux marocains interprètent les nouvelles dispositions du Code dans un sens parfois restrictif et désavantageux pour les femmes. Alors que l’article 94 renvoie à l’article 84 sans préciser que la femme perd ses droits lorsqu’elle est la partie demanderesse au divorce, la Cour se charge d’interpréter librement l’article 94, combiné à l’article 84 pour faire perdre à la femme le droit au don de consolation qu’elle peut revendiquer dans les autres modes de dissolution du mariage.                                                  

                                                

9 La version française du CMF a traduit l’ « idda » par « période de viduité ». En réalité, le délai de viduité désigne la période de veuvage de la femme. Selon le professeur Loukili, il est dès lors plus correct de parler de « période de continence » dans le cadre de l’article 84 du CMF. 10 Conformément à l’article 84 du CMF, le don de consolation sera évalué en fonction de la durée du mariage, de la situation financière de l’époux, des motifs du divorce et du degré d’abus avéré dans le recours au divorce par l’époux. 11 C.S., chambre de statut personnel et succession, arrêt n° 433 du 21 septembre 2010, Revue de la jurisprudence et des lois (publié en arabe), n° 158/2010, p. 161. 

1.1.3 Réparation du préjudice subi par l’époux lésé Lorsqu’il statue sur les droits dus à l’épouse et aux enfants, le tribunal est invité à tenir compte de la responsabilité de chacun des époux dans les causes du divorce pour évaluer la réparation du préjudice subi par l’époux lésé, conformément à l’article 97 du CMF. L’étude de la jurisprudence pourrait démontrer que les magistrats imputent, systématiquement semble-t-il, la responsabilité de la dissolution du lien conjugal à l’épouse – qu’elle soit demanderesse ou défenderesse à l’action - et la condamnent à payer une indemnité visant à réparer le préjudice subi par son époux lésé. Afin d’évaluer le montant de la réparation, la Cour suprême se fonde sur les règles applicables en matière de responsabilité civile pour établir la responsabilité de la femme dans la dissolution de l’union conjugale. Fut ainsi condamnée à indemniser son mari, demandeur en chiqaq, une épouse, refusant de le rejoindre au domicile conjugal fixé au Maroc. L’épouse fut contrainte de l’indemniser des dépenses qu’il avait effectuées au Maroc pour préparer le domicile conjugal ainsi que des frais liés au procès12. Dans un sens identique, la Cour suprême a imputé la responsabilité de la rupture du lien conjugal à l’épouse demanderesse en chiqaq, vu la persistance de cette dernière à résider à l’étranger, ce qui rendait impossible la cohabitation conjugale entre les deux époux. L’épouse fut condamnée à payer 30 000 dirhams13. Dans un cas assez similaire, la Cour suprême a condamné l’épouse à payer une indemnité de 50 000 dirhams alors qu’elle avait introduit une procédure chiqaq, en réponse à une procédure diligentée par son mari qui sollicitait son retour au domicile

 12 C.S., chambre de statut personnel, arrêt du 15 mars 2006, dossier 2005/1/2/519, Ministère de la justice, Choix de jurisprudence relative à l’application du code de la famille (publié en arabe), T. I., pp. 116-117. 13 C.S., chambre de statut personnel et succession, arrêt n° 222 du 18 avril 2007, cité par D. Fakhori in La pratique judiciaire en matière de famille, Jurisprudence relative au chiqaq (publié en arabe), Casablanca, 2009, p. 5 (soit environ 3 000 €). 

Page 8: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

conjugal, fixé au Maroc. Dans ce cas d’espèce, les époux vivaient en France depuis 1994, soit depuis quatorze ans, lorsque le mari avait décidé de retourner au Maroc après sa retraite. Malgré la scolarisation des deux enfants du couple en France et les problèmes de santé invoqués par l’épouse, la Cour a confirmé que l’entière responsabilité du divorce reposait sur l’épouse. L’indemnité à laquelle elle fut condamnée fut calculée en fonction des dépenses consenties par le mari pour la fête de noces, pour le trousseau et pour le préjudice moral qu’il avait subi vu son attachement à son épouse14. Dans la prolongation de la jurisprudence de la Cour suprême, la Cour d’appel d’Al Hoceima a condamné l’épouse, demanderesse en chiqaq, à payer une indemnité à son mari qui désirait le maintien de l’union conjugale, alors que la femme ne présentait aucune « cause sérieuse à la dissolution du mariage »15. La base légale sur laquelle s’appuie le raisonnement délictuel des juridictions est détaillée dans un arrêt de la Cour d’appel d’El Jadida. La Cour explique que le fondement légal à la demande d’indemnisation présentée par le mari à l’encontre de sa femme est une faute délictuelle qui consiste dans la rupture d’obligations légales des deux époux et non une responsabilité contractuelle. Selon la Cour, les obligations des époux inscrites et citées dans l’article 51 du CMF sont des obligations légales auxquelles les parties ne peuvent déroger car elles sont contenues dans un texte d’ordre public16.

                                                 

                                                                        

14 C.S., chambre de statut personnel et succession, arrêt n° 427 du 10 septembre 2008, Revue de jurisprudence de la Cour suprême (publié en arabe), n° 71, 2009, p. 177. 15 Cour d’appel Al Hoceima, 5 décembre 2006, dossier 2006/260, Ministère de la justice, Choix de jurisprudence relative à l’application du code de la famille (publié en arabe), T. I., pp. 117-118. 16 Cour d’appel d’El Jadida, 12 décembre 2006, dossier 2006/101/34, Ministère de la justice, Choix de jurisprudence relative à l’application du code de la famille (publié en arabe), T. I., pp. 118-119. Dans ce cas d’espèce, la femme avait demandé que lui soit octroyée la moitié de la maison dont elle se prétendait propriétaire avec son mari, revendiquant ainsi l’application de l’article 49 du CMF. La Cour a rejeté sa demande au motif qu’elle n’apportait pas la preuve du titre de propriété. Cette affaire démontre toutefois

Comme on le voit, la jurisprudence des juridictions de fond s’inscrit dans la lignée des principes dégagés par la Cour suprême. Certains arrêts se montrent particulièrement sévères à l’égard de la femme. Ainsi, dans un arrêt du 7 mai 2008, la Cour d’appel d’Oujda a estimé que l’indemnité à laquelle avait été condamnée la femme en première instance n’était pas suffisamment élevée au motif que « la responsabilité de la rupture de la relation conjugale incombe à l’épouse qui a persisté à demander le divorce malgré l’existence d’un jugement la condamnant à retourner au domicile conjugal montrant la volonté de son mari au maintien de leur relation, ce qui rend l’épouse responsable de cette rupture »17. En appel, la femme fut condamnée à payer une indemnité de 10 000 dirhams pour préjudice moral et matériel, alors que le tribunal de première instance avait fixé l’indemnité à 7 000 dirhams. La majoration de l’indemnité est étonnante dans la mesure où les pièces du dossier semblaient démontrer que le mari de cette femme la maltraitait. Il est également intéressant de relever qu’en première instance, l’indemnité à laquelle la femme avait été condamnée (7 000 dirhams) représentait l’exacte contrepartie des droits qui lui revenaient (5 000 dh au titre de don de consolation, 1 500 dh pour son logement, 350 dh pour la pension alimentaire de l’enfant et 200 dh pour le service de la garde de leur enfant). D’après F. Sarehane, cette recherche d’équivalence par les magistrats marocains

 une mauvaise compréhension de l’article 49 du CMF. En réalité, cette disposition permet aux époux de modaliser leur contrat de mariage en y indiquant un mode de répartition des biens qu’ils auront acquis pendant leur mariage. Cette disposition semble faire l’objet d’erreurs de compréhension, non seulement dans le chef des hommes qui pensent devoir sytématiquement partager leurs biens en cas de divorce mais également dans le chef des femmes qui revendiquent l’application de cette disposition malgré l’absence de clause dans le contrat de mariage. 17 Cour d’appel d’Oujda, 7 mai 2008, arrêt n° 346, dossier n°63/08, inédit. Dans ce cas d’espèce, le mari avait interjeté en appel contre le jugement afin d’obtenir une diminution des indemnités et droits accordés à l’épouse. La Cour d’appel a débouté l’appelant sur cette question au motif que « le premier juge avait fait une juste appréciation des éléments permettant de fixer les différents droits et indemnités ». 

Page 9: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

dans l’établissement des montants dont les époux sont redevables, serait fréquente. Cette pratique devrait-elle être analysée comme un souci, de la part du corps judiciaire, de mettre l’homme et la femme sur pied d’égalité ? Il n’en reste pas moins qu’en pratique, condamner la femme à verser une indemnité équivalente aux droits dont son mari est redevable à son égard, revient en réalité à lui faire perdre ses droits financiers. Dans cette perspective, la mise en application du divorce chiqaq se rapproche dangereusement du divorce moyennant compensation (khôl’) (voir infra). Et si, comme en l’espèce, la femme se voit condamner à payer une indemnité supérieure au montant résultant de ses droits (in casu, 3 000 dirhams), la dissolution du lien conjugal apparaît alors comme devant être monnayée. Le sentiment que la mise en application du chiqaq dérive pernicieusement vers le khôl est illustré par une autre décision qui semble démontrer la persistance, dans l’esprit de certaines femmes, de la conviction qu’elles sont obligées d’abandonner leurs droits en échange de la dissolution du mariage qu’elles tentent d’obtenir18. Les termes de cette décision ne permettent pas de comprendre si l’abandon des droits de la femme le fut à l’initiative délibérée de cette dernière sans faire l’objet de contrainte, ou si cela fut acté par ignorance des nouvelles dispositions qui n’exigent plus de contrepartie à la dissolution du mariage par la femme. La justification de la tendance jurisprudentielle visant à condamner la femme, responsable de la rupture, à payer une indemnité à son mari découle des termes de l’article 97 du CMF, relatif au chiqaq. Si certains analysent ce courant jurisprudentiel comme une injustice à l’égard des femmes, d’autres y voient au contraire une application stricte de l’article 97 du CMF. Cette indemnité pourrait être vue comme l’équivalent du « don de consolation » (Mout’â)

                                                                                                 

18 T.P.I. de Kénitra, 28 décembre 2010, n° 2529, dossier n°2486/10, inédit : « le tribunal a, au fond, prononcé le divorce entre la demanderesse […] et son époux, le défendeur […], divorce simple, irrévocable, pour discorde, en donnant acte de son désistement, elle, de tous les droits qui lui sont dus, lui découlant du divorce ». 

dont le mari est redevable envers son épouse lorsqu’il la répudie. Cela dit, cette pratique rend le divorce plus difficile pour les femmes19 et leur fait perdre tous les droits pécuniaires qu’elles auraient pu revendiquer. Certains acteurs judiciaires estiment en outre que les dédommagements accordés aux femmes sont injustes, voire humiliants dans la mesure où ils ne paraissent pas reconnaître la participation et les efforts de l’épouse dans la construction du patrimoine conjugal20.

1.2 Exequatur des divorces pour désunion irrémédiable prononcés devant les tribunaux belges Conformément à l’article 128 du CMF, « les jugements de divorce, de divorce judiciaire, de divorce par khol’ ou de résiliation de mariage, rendus par les juridictions étrangères, sont susceptibles d’exécution s’ils sont rendus par un tribunal compétent et fondés sur des motifs qui ne sont pas incompatibles avec ceux prévus par le présent Code en vue de la dissolution de la relation conjugale ». Amenées à exequaturer des jugements étrangers, les juridictions marocaines sont invitées à rapprocher la cause ayant donné lieu à la dissolution du lien conjugal devant les juridictions étrangères à une cause existant dans le droit marocain. Ainsi, le tribunal de première instance d’Oujda a accordé l’exequatur d’un jugement de divorce rendu par le tribunal de première instance de Bruxelles en affirmant que: « l’examen dudit jugement montre qu’il s’agit d’un jugement de divorce pour cause de discorde entre lesdits époux; qu’une telle cause de divorce n’est pas contraire à ce qui est prévu par l’article 94 du code de la famille marocain; qu’ainsi ledit jugement n’est pas contraire à l’ordre public marocain »21. Ainsi, le divorce pour désunion

 19 M.-Cl. Foblets et M. Loukili, « Mariage et divorce dans le nouveau Code marocain de la famille: quelles implications pour les Marocains en Europe », op. cit., p. 527.  20 K. Lahsika, Le Code de la famille et les acteurs judiciaires : représentations et réalité de l’application. Etude sociologique, op. cit., 2008, p. 93. 21 T.P.I. Oujda, jugement n° 6774 du 10 décembre 2010, inédit. 

Page 10: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

irrémédiable prononcé par les juridictions belges a été rapproché du divorce pour cause de discorde, prévu à l’article 94 du CFM, ce qui a facilité sa reconnaissance devant les tribunaux marocains.  2. Etude de la jurisprudence belge

2.1 Dissolution du mariage fondée sur le chiqaq devant les tribunaux belges Par le biais du droit international privé, les tribunaux belges sont confrontés à l’application du Code marocain de la famille dont ils tentent de décrypter les dispositions, en particulier en matière de divorce. L’article 55 du Code de droit international privé belge détermine le droit applicable à la dissolution du mariage grâce à une échelle de rattachement en cascade, qualifiée d’ « échelle de Kegel inversée ». Le paragraphe premier de cette disposition désigne en premier lieu la loi de l’Etat dans lequel les deux époux résident habituellement (1°) ; à défaut de résidence dans un même pays, la loi de la dernière résidence habituelle commune des époux, pour autant que l’un d’eux réside encore dans cet Etat (2°); à défaut d’une telle résidence, la loi de la nationalité commune des époux (3°), et enfin à défaut de nationalité commune, la loi belge (4°)22. Le second paragraphe de l’article 55 offre aux parties la possibilité de choisir le droit applicable. Cette option de droit peut porter sur le droit belge ou sur le droit de la nationalité commune des époux. Cette dernière hypothèse devrait présenter l’hypothèse la plus fréquente d’application du droit marocain. Le troisième échelon du paragraphe premier de cette disposition a conduit le tribunal de première instance de Liège à prononcer la dissolution du mariage entre                                                  

                                                

22 Cette disposition continuera à déterminer le droit applicable en matière de divorce pour toutes les actions judiciaires intentées avant le 21 juin 2012. Après cette date, pour déterminer le droit applicable à défaut de choix effectué par les parties, il faudra se référer à l’article 8 du règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, J.O., 29 décembre 2010, L 343/14. 

deux ressortissants marocains sur la base des articles 94 et suivants du CMF23. Appliquant à la lettre cette disposition, le tribunal a constaté l’impossibilité de concilier les parties puisque la défenderesse ne comparaissait pas. Aux yeux de cette juridiction, la persistance de la discorde entre les époux était établie à suffisance par le fait que le mariage n’avait pas été consommé ainsi que par le fait qu’un acte de divorce avait été établi par les autorités marocaines, et que la femme avait sollicité le prononcé du caractère définitif de ce divorce. Dès lors que l’épouse n’a pas comparu pour réclamer d’éventuels droits visés aux articles 83, 84 et 85 du CMF et que le demandeur invoque que le divorce a déjà été valablement prononcé par les autorités marocaines, le tribunal considère qu’ « il n’y a pas lieu en Belgique de statuer sur une quelconque responsabilité des époux et, a fortiori, sur un éventuel préjudice ».

2.2 Reconnaissance de divorces chiqaq prononcés devant les tribunaux marocains D’après différents rapports, la dissolution du mariage par chiqaq serait majoritaire devant les juridictions marocaines, ce qui pourrait conduire les autres modes de dissolution du mariage à tomber en désuétude. On pourrait dès lors s’attendre à ce que les autorités belges soient amenées de plus en plus à se pencher sur la reconnaissance des jugements chiqaq. Tel fut le cas à l’occasion d’une affaire soumise à la Justice de paix de Harelbeke, par laquelle la demanderesse sollicitait l’octroi de mesures urgentes et provisoires en application des articles 221 et 223 du Code civil24. La

 23 Civ. Liège (2e ch.), 26 mai 2009, Rev. dr. étr., 2009, p. 748 ; J.L.M.B., 2010/38, p. 1807, note P. Wautelet, « Le rayonnement de la prohibition de l’accueil des répudiations étrangères ». Dans ce cas d’espèce, la dissolution du mariage avait déjà été prononcée par les juridictions marocaines le 7 novembre 2006 mais n’avait pu être reconnue par les autorités belges, ayant qualifié cet acte de « répudiation ». Or, l’une des conditions de l’article 57, § 2 du Code de droit international privé belge faisait défaut puisque, à l’époque de la répudiation, l’époux marocain avait sa résidence habituelle en Belgique. 24 J.P. Harelbeke, 26 mars 2009, [email protected], 2010, p. 140. 

Page 11: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

recevabilité de cette demande était conditionnée à la circonstance que les parties étaient toujours mariées. Or, il transparaissait du dossier qu’un divorce irrévocable pour cause de discorde (« de onherroepbare echtscheiding wegens onenigheid ») avait été prononcé par le tribunal de première instance de Berkane (Maroc) le 3 avril 2008. Contraint d’examiner la reconnaissance de ce jugement, le juge de paix a valablement soumis l’appréciation de cet acte à l’article 22 du Code de droit international privé, relatif à la reconnaissance des jugements étrangers. Le choix de cette disposition, au détriment de l’article 57 du Code relatif aux répudiations, démontre la pertinence de l’analyse effectuée par cette juridiction, qui entérine la position selon laquelle le divorce chiqaq doit être considéré comme un divorce judiciaire et égalitaire, ce qui le soustrait au carcan de l’article 57 du Code. A l’appui de son analyse, le juge a constaté l’absence de contrariété à l’ordre public ainsi que le respect des droits de la défense, ce qui le conduit à déclarer irrecevable l’action introduite par la demanderesse puisque les parties doivent être considérées comme valablement divorcées25. L’analyse effectuée par le juge ne permet toutefois pas d’identifier si le prononcé du chiqaq fut accompagné de la condamnation d’une des parties au paiement d’une indemnité. Or, comme le démontre l’étude de la jurisprudence marocaine (voir supra), il semble fréquent que l’épouse soit condamnée à payer une indemnité à son mari pour le préjudice qu’elle lui a causé en sollicitant la dissolution de l’union conjugale. Si tel avait été le cas, on peut s’interroger sur la manière dont le juge aurait réceptionné le volet indemnitaire de ce jugement. Les freins posés par la jurisprudence marocaine visent probablement à décourager les femmes de recourir trop facilement au divorce chiqaq, ce qui doit rendre les magistrats belges attentifs

                                                 

                                                

25 « Het spreekt voor zich dat een echtscheidingsvonnis op basis van onenigheid niet kennelijk in strijd is met de openbare orde. Nazicht van het vonnis leert huidige rechtbank bovendien dat H.M. gedurende het volledig verloop van de procédure voor de rechtbank van eerste aanleg in Berkane zowel zelf verschenen is als vertegenwoordigd werd door een advocaat ». 

aux modalités ayant accompagné la dissolution du mariage. Les autres modes de dissolution du mariage : la persistance des répudiations ?

1. Etude de la jurisprudence marocaine

1.1 Dissolution du mariage par consentement mutuel (« Attalaq Al-Ittifaki ») L’instauration du « divorce par consentement mutuel », prévu à l’article 114 du CMF a été perçue comme « une énorme avancée dans la marche vers l’égalité hommes/femmes au Maroc », puisque cette disposition introduit une nouvelle procédure permettant aux deux époux de divorcer de commun accord26. Comme l’indique l’article 114 du CMF, « les deux époux peuvent se mettre d’accord sur le principe de mettre fin à leur union conjugale, soit sans conditions, soit avec conditions, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les dispositions du présent Code et ne portent pas préjudice aux intérêts des enfants ». Ensuite, l’acte d’accord dressé par les adouls est présenté devant le tribunal par les deux conjoints ou l’un deux aux fins d’obtenir l’autorisation de l’instrumenter. Si le tribunal ne parvient pas à concilier les époux, il autorise que « soit pris acte du divorce ». Autrement dit, la dissolution du mariage fait l’objet d’un acte adoulaire, homologué a posteriori par le juge. Dans cette hypothèse, il n’y a donc pas de dissolution judiciaire puisque l’intervention du juge se limite à une « autorisation » donnée a priori et à une homologation de l’acte passé par les adouls. L’étude de la jurisprudence marocaine relative à cette disposition démontre un décalage entre une formulation libre, volontaire et égalitaire qui aurait dû faire de ce divorce un mode civilisé et respectueux de dissolution du mariage, et une pratique qui

 26 K. Lahsika, Le Code de la famille et les acteurs judiciaires : représentations et réalité de l’application. Etude sociologique, Meknès, op. cit., p. 82. 

10 

Page 12: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

semble parfois assimiler le divorce par consentement mutuel au divorce khôl (voir infra). Cette incohérence a été mise en évidence lors d’une étude sociologique menée en 2008 qui préconise « une intervention juridique pour empêcher que cette forme moderne du divorce ne se transforme en un divorce moyennant compensation [khol’] maquillé ce qui constituerait un détournement patent de l’esprit de la moudawana »27. Comme le souligne la doctrine, « bien des fois, une répudiation par consentement mutuel peut cacher une répudiation par compensation », ce qui l’amène à conclure que ces deux modes de répudiation sont très voisins28. En réalité, le divorce moyennant compensation (khôl) n’est qu’un cas d’application particulier du divorce par consentement mutuel, ce qui pourrait dès lors expliquer que ce texte soit empreint des « mêmes orientations discriminatoires envers les femmes »29. Ces dernières continuent à faire l’objet de « pressions et chantages de toutes sortes pour les contraindre à accepter le divorce par consentement »30. Ces propos peuvent être illustrés par un cas tranché par le tribunal de première instance de Marrakech31. Les époux s’étaient mis d’accord sur les modalités relatives à la fin de leur mariage, en présentant au tribunal l’accord par lequel ils avaient convenu que l’épouse consentait à abandonner tous ses droits à son mari en contrepartie de la dissolution du mariage. Après avoir considéré dans un premier temps qu’il s’agissait d’un divorce par consentement mutuel, le tribunal                                                  

                                                

27 Ibidem, p. 101. 28 F. Rhissassi et K. Berjaoui, « Femmes, droit de la famille et système judiciaire dans les Etats du Maghreb : L’exemple du Maroc », in Femmes, droit de la famille et système judiciaire en Algérie, au Maroc et en Tunisie, Rabat, UNESCO, 2010, p. 79. 29 K. Lahsika, Le Code de la famille et les acteurs judiciaires : représentations et réalité de l’application. Etude sociologique, op. cit., p. 97. 30 Propos tenus par une avocate de 37 ans, cités par K. Lahsika, Le Code de la famille et les acteurs judiciaires : représentations et réalité de l’application. Etude sociologique, op. cit., p. 98. 31 T.P.I. de Marrakech, 12 juin 2007, dossier n° 2006/54, Ministère de la justice, Choix de jurisprudence relative à l’application du code de la famille (publié en arabe), T. I., pp. 174-175. 

déclare que les deux époux peuvent convenir de mettre fin à leur mariage selon la méthode khôl. Dans un sens identique, les termes d’un acte adoulaire qualifié d’ « acte de divorce par consentement mutuel » révèlent que l’épouse s’est désistée de tous ses droits et que son mari a prononcé à son encontre un « divorce simple, […] par consentement mutuel, moyennant compensation (khol’), irrévocable par lequel il s’est dûment séparé d’elle »32. Ces cas d’espèce démontrent une assimilation du divorce par consentement mutuel au divorce khôl, ce qui fait craindre que ce mode de dissolution du mariage ne puisse être perçu, aux yeux des autorités occidentales, comme respectant l’égalité des sexes (voir infra). Il s’agira dès lors d’être attentif aux conditions auxquelles est soumise la dissolution du mariage par consentement mutuel afin d’évaluer si la femme n’a pas abandonné ses droits sous la contrainte.

1.2 Dissolution du mariage par khôl L’avènement du divorce chiqaq a contribué à diminuer le recours aux autres modes de dissolution de l’union conjugale, comme semblent le démontrer les statistiques officielles. Ainsi, les chiffres relatifs à la répudiation moyennant compensation (khôl) sont passés de 9 184 en 2006, à 8 253 en 2007 et à 7 175 en 2008. Bien que la fiabilité des statistiques officielles soit remise en cause par certains universitaires, par une partie de la doctrine et par les associations féministes, ces chiffres démontrent la persistance de ce mode de dissolution du mariage et non sa disparition, comme on aurait pu s’y attendre33. Le nombre de divorces khôl légalisés par le service consulaire de Rabat est à cet égard significatif. La confusion entre le divorce khôl et le divorce par consentement mutuel découle peut-être de la formulation de l’article 115 du

 32 Acte adoulaire, 13 janvier 2010, enregistré sous le n° 39 le 14 janvier 2010 sur le registre des divorces n° 04 après autorisation donnée par le T.P.I. de Kénitra, Section de la Justice de la famille, dossier n° 2243/09, le 29 décembre 2009. 33 A. El Hajjami, Le Code de la famille à l’épreuve de la pratique judiciaire, op. cit., p. 19. 

11 

Page 13: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

CMF qui prévoit que: « les deux époux peuvent convenir de divorcer par khôl, conformément aux dispositions de l’article 114 ci-dessus », relatif au divorce par consentement mutuel. Pourtant, la différence essentielle entre le khôl et le divorce par consentement mutuel réside dans la compensation que la femme doit fournir pour se délier des liens du mariage, compensation qui ne doit pas nécessairement accompagner le divorce par consentement mutuel puisque celui-ci peut, au libre choix des époux, être dressé avec ou sans conditions. Ainsi, dans le divorce khôl, il est fréquent que les femmes abandonnent non seulement la totalité de leurs droits, tels la pension pour la période de continence, le don de consolation, le droit au logement dans le domicile conjugal pendant les trois mois de la période de continence (droits prescrits par l’article 82 du CMF), mais également qu’elles renoncent à la garde de leurs enfants en contrepartie de la dissolution du mariage. A titre exemplatif, un acte adoulaire datant du 6 août 2004 mentionne que : « l’ex-épouse précitée renonce au salaire de la pension et à la garde de ses deux filles en vue de vivre sous la prise en charge et la garde de leur père, son ex-époux précité, qui a accepté cela et s’est engagé à permettre à son ex-épouse précitée de visiter ses deux filles précitées une fois chaque semaine et l’ex-épouse a déclaré n’être pas enceinte »34.

Dans certains cas, en contrepartie du maintien du droit de garde à la mère, cette dernière abandonne, outre ses droits, les droits à l’égard de ses enfants (droit à la pension alimentaire, indemnités de logement et salaire de garde). Ainsi, dans un dossier tranché par le tribunal de première instance de Fès, cette juridiction a constaté le divorce moyennant compensation intervenu entre les époux, tout en prenant « acte du désistement par l’ex-épouse de tous ses droits dus naissant

                                                 

                                                

34 Divorce moyennant compensation, consigné sous n°455 folio 414 registre 109 en date du 6 août 2004, à la suite de l’autorisation de divorce moyennant compensation émanant de la division de la juridiction de la famille du tribunal de première instance d’Oujda, dossier n°497/04 sous n°390/04 en date du 20 juillet 2004, inédit. 

du divorce, ainsi qu’à ceux de ses enfants: [...], tels la pension alimentaire, les indemnités de logement et le salaire de garde, et son engagement à prendre en charge lesdits enfants jusqu’à l’extinction légale du droit ». Pour justifier sa solvabilité et sa capacité à prendre en charge ses enfants, l’épouse « a produit une attestation de travail comme couturière dans une société dite Mode Studio; que par ce fait, elle serait en droit de divorcer avec compensation moyennant les droits dus des enfants; et qu’en conséquence, les conditions et les accords sur la base desquels les parties ont décidé de mettre fin à leur union matrimoniale ne s’opposent pas aux dispositions du code de la famille et ne portent aucun préjudice à l’égard des enfants »35. La particularité de ce khôl est d’avoir fait l’objet d’un jugement puisqu’un acte adoulaire aurait pu suffire. Comme l’indique ce jugement, les époux ont fait usage de la faculté qui leur était offerte par l’article 115 du CMF de « divorcer par khôl aux termes de l’article 114 ». Toutefois, il est fréquent que les femmes ayant abandonné la garde de leurs enfants tentent de recourir à l’article 117 du CMF, aux termes duquel : « la femme a droit à restitution de la compensation si elle établit que son divorce par khol’ est le résultat d’une contrainte ou si elle a subi un préjudice qui lui a été porté par son époux ». En pratique cependant, la jurisprudence semble très restrictive à l’égard de cette disposition. A plusieurs reprises, la Cour suprême a débouté l’ex-épouse au motif que le chantage n’était pas établi puisque l’épouse avait posé son accord pour l’abandon du droit de garde36. En outre, les conditions pour la mise en œuvre de l’article 117 du CMF sont très rigides comme le démontre un arrêt de la Cour suprême du 22 novembre 2006. La Cour a débouté l’ex-épouse sollicitant

 35 T.P.I. Fès, 24 mars 2008, n°1765, dossier n° 07-2-2686, inédit. 36 A titre exemplatif, voir C.S., 4 janvier 2006, dossier 2004/2/1/2/343, Ministère de la justice, Choix de jurisprudence relative à l’application du code de la famille (publié en arabe), T. I., pp. 175-176 et C.S., 4 octobre 2006, dossier 2006/2/1/2/143, Ministère de la justice, Choix de jurisprudence relative à l’application du code de la famille (publié en arabe), T. I., p. 177. 

12 

Page 14: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

l’annulation de la transaction consentie en contrepartie du divorce, au motif que cette dernière n’avait pas respecté les conditions prescrites par le droit musulman, selon lesquelles l’action en annulation de la transaction consentie sous la contrainte doit être introduite dans un délai d’un an et qu’elle n’avait pas produit le document requis, établissant qu’elle avait consenti l’abandon de ses droits sous l’effet de la contrainte37. Dans une autre affaire, la Cour d’appel de Nador a annulé la transaction, non dans l’intérêt de la femme mais dans l’intérêt de l’enfant. En l’espèce, la femme avait abandonné son droit de garde sur l’enfant à naître afin d’obtenir le divorce khôl. Après la dissolution du mariage, elle avait tenté d’obtenir l’annulation de la transaction au motif de l’absence d’objet à la convention puisque l’enfant n’était pas encore né. En adoptant un raisonnement distinct de celui avancé par la femme, la Cour a annulé la transaction, au nom de l’intérêt de l’enfant38. 2. Etude de la jurisprudence belge

2.1 Dissolution du mariage par consentement mutuel Les difficultés auxquelles sont confrontées les juridictions belges dans l’analyse des jugements marocains qualifiés de « divorces par consentement mutuel » sont liées en grande partie à l’absence quasi systématique d’indication de la base légale sur laquelle le jugement a été prononcé39. Cette difficulté a toutefois pu être surmontée par le tribunal de première

                                                 

                                                

37 C.S., 22 novembre 2006, dossier 2006/1/2/230, Ministère de la justice, Choix de jurisprudence relative à l’application du code de la famille (publié en arabe), T. I., pp. 177-178. 38 Cour d’appel de Nador, 14 mars 2007, dossier 06/9/3/301, Ministère de la justice, Choix de jurisprudence relative à l’application du code de la famille (publié en arabe), T. I., pp. 181-182. 39 Cette carence dans les jugements marocains a été relevée à de nombreuses reprises, voy en particulier M. Traest, « La réception du droit marocain de la famille dans la jurisprudence belge, en particulier le mariage, sa dissolution et la contestation de paternité », op. cit., p. 453 et les auteurs auquel il renvoie en note infrapaginale 97. 

instance de Gand40. Bien que le jugement de divorce marocain ne faisait pas référence à l’article 114 du CMF, le tribunal a estimé qu’il transparaissait de la traduction française de ce jugement qu’il s’agissait bel et bien d’un divorce par consentement mutuel et que par conséquent il n’était pas pertinent de l’analyser sous l’angle de l’article 57 du Code de droit international privé41. L’analyse effectuée par cette juridiction est remarquable dans la mesure où elle s’est livrée à une véritable étude de l’article 114 du CMF depuis son introduction en 2004 tout en identifiant la difficulté de dissocier un divorce par consentement mutuel d’un khôl42. Afin de

 40 Civ. Gand (3e ch.), 4 décembre 2008, [email protected], 2010/1, p. 131. 41 « Uit de inhoud van dit vonnis, blijkt integendeel dat het ter zake wél om een EOT ging: – de echtgenoten hebben samen hun verzoek tot echtscheiding geformuleerd – de echtgenoten gingen over alles akkoord (geen geslachtsgemeenschap, samenleven niet mogelijk) – aan de vrouw werd geen enkel nadeel opgelegd of van haar werd niets afgedwongen. Tenslotte blijkt uit geen enkel gegeven dat de rechten van verdediging van de eiseres werden geschonden. Ter zake diende de verweerder dit vonnis dan ook niet te toetsen aan artikel 57 WIPR ». 42 « In de praktijk is het evenwel niet altijd eenvoudig om uit te maken of we te maken hebben met een EOT dan wel met een khol. Vele van de Marokkaanse akten/beslissingen beantwoorden, wat de inhoud betreft, aan een EOT (de echtgenoten dienen samen een echtscheidingsverzoek in, er is een akkoord met soms specifieke voorwaarden (b.v.onderhoudsgeld)). Wat de procedure betreft, wordt evenwel vaak deze inzake de khol gevolgd (rechterlijke machtiging tot echtscheiding, opmaak van echtscheidingsakte door de adouls en vervolgens homologatie van die akte door de rechtbank). Het Marokkaans Familiewetboek laat ook toe dat deze procedure wordt gebruikt in het kader van een EOT. Artikel 114 van het Marokkaans Familiewetboek is, wat het verloop van de procedure betreft, nogal bondig. In de Nederlandse vertaling lezen we dat de rechtbank "toestemming verleent voor de getuigenis tot verstoting alsmede de vastlegging daarvan bij akte". In de Franse vertaling lezen we dat de rechtbank "autorise que soit pris acte du divorce et qu'il soit instrumenté". Op basis van de wetteksten alleen, is het dus moeilijk om te bepalen hoe de procedure verloopt bij EOT enerzijds en khol anderzijds. Meer duidelijkheid zou er zijn als de Marokkaanse rechters in hun vonnissen de door hen toegepaste artikelen zouden vermelden. Wanneer wordt verwezen naar artikel 114 Marokkaans Familiewetboek, is meteen ook duidelijk dat niet moet worden getoetst aan de strengere criteria van artikel 57

13 

Page 15: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

passer outre cette difficulté de qualification, elle a préféré opter pour une analyse in concreto du jugement qui lui était soumis afin d’investiguer si, en l’espèce, le principe d’égalité hommes/femmes et les droits de la défense de la femme étaient respectés. L’approche adoptée par cette juridiction mérite d’être saluée car elle dénote le souci de ne pas se réfugier derrière une interprétation rigide de l’article 57 du Codip. Afin de parfaire cette analyse in concreto, on pourrait suggérer à la juridiction belge de requérir des parties le dépôt de l’acte d’accord passé entre elles. En effet, il semble qu’on ne puisse évaluer le véritable respect du principe d’égalité entre époux que par la prise de connaissance du contenu de cet accord. Il s’agit en effet d’être attentif aux mises en garde soulevées par l’étude sociologique citée supra et de tenter de vérifier si la dissolution du mariage par consentement mutuel ne fut pas l’objet de chantages et de pressions à l’égard de l’épouse. Ainsi, il semble imprudent de conclure hâtivement que tout divorce prononcé sur la base de l’article 114 du CMF doit nécessairement être considéré comme un divorce par consentement mutuel respectant parfaitement l’égalité entre époux. Saisi d’une demande en reconnaissance d’un divorce marocain, le tribunal de première instance de Bruxelles a adopté une démarche similaire à celle suivie par la juridiction de Gand. En l’espèce, il s’agissait de réceptionner dans l’ordre juridique belge un « divorce avant consommation du mariage ». A l’instar de son homologue gantois, la juridiction bruxelloise a soustrait l’acte marocain à l’analyse de l’article 57 du Codip au motif que l’examen du Code de la famille marocain « ne permet en effet pas de considérer que l’acte de dissolution litigieux aurait été établi sans que la femme ait disposé d’un droit égal ». La requérante fut considérée comme étant dès lors valablement divorcée43. La difficulté de qualifier ce type de divorce est liée à l’absence d’indication de

                                                                                                                          WIPR. (VERHELLEN, J., Drie jaar Wetboek IPR : een verkennende analyse van vragen uit de praktijk, in T. Vreemd., 2008, themanummer IPR, blz. 29) ». 43 Civ. Bruxelles, 19 mai 2008, Rev. dr. étr., 2008, p. 289. 

base légale dans l’acte marocain. Il semble toutefois que pourraient entrer dans le champ d’application de l’article 114 du CMF tous les divorces qualifiés de « divorces par consentement mutuel avant/après la consommation du mariage » ou de « divorces conventionnels avant/après la consommation du mariage ». Bien souvent, les actes de divorce mentionnant simplement avoir été dressés avant la consommation du mariage devront être rangés sous l’article 114 du CMF. Tel est certainement le cas de l’acte adoulaire datant du 18 septembre 2006, qualifié de « divorce par consentement mutuel avant la consommation du mariage », dressé à la suite de l’autorisation de faire instrumenter l’acte de divorce, établie par le tribunal de première instance de Berkane le 25 août 2006. Le contenu de cette autorisation judiciaire permet de confirmer que cet acte a été dressé conformément à l’article 114 du CMF: « vu la demande présentée par Mr... et Mme..., dans laquelle ils exposent qu’ (...) ils désirent et s’entendent à mettre fin à leur union conjugale par consentement mutuel avant la consommation du mariage (....); attendu que l’époux vise à obtenir l’autorisation aux fins de faire constater le divorce d’avec son épouse par consentement mutuel avant la consommation du mariage par deux adouls instrumentaires; (...); Et attendu que l’article 114 du Code de la famille prévoit que les époux peuvent se mettre d’accord sur le principe de mettre fin à leur union conjugale, soit sans conditions, soit avec conditions lorsque celles-ci ne sont pas incompatibles avec les dispositions du présent code et ne portent pas préjudice aux intérêts des enfants; Et attendu que la convention passée entre les parties répond aux dispositions de l’article 114 dudit code »44.

2.2 Dissolution du mariage par khôl L’étude de la jurisprudence belge à l’égard du divorce moyennant compensation ou khôl démontre une certaine ambiguïté de la

 44 T.P.I. de Berkane, 25 août 2008, dossier n°30/06 (décision d’autorisation aux fins de faire constater un divorce par consentement mutuel avant la consommation du mariage). 

14 

Page 16: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

part des juridictions, peut-être due aux hésitations de la doctrine et de la jurisprudence antérieure au Code de droit international privé45. Une partie de la doctrine, en effet, plaide pour la soustraction du khôl au régime de l’article 57 du Code de droit international privé, relatif aux répudiations, au motif que ce mode de dissolution du mariage se rapproche d’avantage du divorce par consentement mutuel46. D’un autre côté, les travaux préparatoires du Code ont tenté de trancher la controverse en classant le divorce khôl sous le champ d’application de l’article 5747. Ceci explique que certaines juridictions appliquent à la lettre l’esprit de l’article 57 du Code et refusent de reconnaître les répudiations khôl ne répondant pas aux conditions du second paragraphe48. D’autres, au contraire, ont développé une position plus souple, admettant de soustraire le divorce khôl du régime de l’article 57 à condition qu’il soit établi qu’il a été obtenu à l’initiative de l’épouse et en l’absence de contrainte49. L’effet pervers de l’article 57 du Code de droit international privé

Lors de l’adoption du Code de droit international privé en Belgique, les discussions s’intensifièrent autour de la disposition relative à la répudiation. L’article 57 du Code vise toute « dissolution du mariage à l'étranger fondée sur la volonté du mari sans que la femme ait disposé d’un droit égal ». L’invocation de cette disposition par les différentes autorités belges mérite de s’arrêter

                                                 

                                                

45 Pour des cas de reconnaissance d’un acte de divorce khôl sous le régime antérieur à l’entrée en vigueur du Code de droit international privé, voir Liège (1ère ch.) 5 février 2002, J.T., 2002, p. 368; R.R.D. 2002, p. 548 ; Civ. Bruxelles 9 juin 1999, T. Vreemd., 1998, p. 369. 46 J.-Y. Carlier et M.-Cl. Foblets, Le Code marocain de la famille. Incidences au regard du droit international privé en Europe, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 69. 47 Proposition de loi portant le Code de droit international prive, Doc. parl., Sén., sess. extr. 2003, n°3-27/1 du 7 juillet 2003, p. 88. 48 Civ. Liège (2e ch.), 31 janvier 2008, Rev. dr. étr., 2009, liv. 151, p. 716. 49 Civ. Bruxelles, 13 septembre 2007, Rev. dr. étr., 2007, p. 491, note S. De Blaere ; Civ. Bruxelles (12e ch.), 13 novembre 2007, Rev. trim. dr. fam., 2010, p. 205.  

sur sa portée en droit belge, tout en examinant préalablement cette notion au regard du droit marocain. Ce n’est qu’après en avoir défini les contours qu’il s’agira de s’interroger sur la pratique des différentes autorités belges confrontées à cette notion.

1. Définition de la notion de répudiation

1.1 Répudiation au sens du droit marocain Les précisions qui suivent sur la notion de « répudiation » doivent être comprises en référence au caractère sacré du lien conjugal, tel que décrit dans la tradition islamique: « De toutes les choses qu’Il a permises, il n’y en a pas de plus détestée, pour Dieu, que le divorce » (Hadith authentifié par Abou Daoud). La dissolution du mariage est perçue comme une mauvaise chose et doit rester exceptionnelle, comme l’affirme l’article 70 du CMF: « Le recours à la dissolution du mariage [...] ne devrait avoir lieu qu’exceptionnellement et en prenant en considération la règle du moindre mal, du fait que cette dissolution entraîne la dislocation de la famille et porte préjudice aux enfants ». Bien que ce terme ait été banni de la traduction française du CMF, la répudiation y est bel et bien maintenue à l’article 78 du CMF sous le vocable de « divorce sous contrôle judiciaire », visant « la dissolution du pacte de mariage requise par l’époux ou par l’épouse, selon des conditions propres à chacun d’eux, sous le contrôle de la justice et conformément aux dispositions du présent Code ». Au sens linguistique, le talaq est un « divorce par déclaration », par lequel l’époux50 « peut, de par son unique volonté,

 50 La définition donnée par Naji El Mekkaoui parle de dissolution du mariage par volonté unilatérale de « l’un des époux ». D’après le professeur Loukili, la répudiation est toujours prononcée par l’homme. Même dans l’hypothèse du khôl ou du tamliq, la femme demande à son mari de la répudier. C’est donc toujours l’homme qui répudie son épouse, même si l’initiative de la répudiation émane de la femme. Voir M.-Cl. Foblets et M. Loukili, « Mariage et divorce dans le nouveau Code marocain de la famille: quelles implications pour les Marocains en Europe », Rev. crit. dip, 2006, p. 527. 

15 

Page 17: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

dissoudre le lien conjugal », tandis que le tatliq ou divorce judiciaire est « la mise à terme de l’union conjugale par décision judiciaire » 51. La confusion dans l’utilisation du terme « divorce » et du terme « talaq » ou répudiation, a été mise en lumière par la doctrine marocaine, qui tente de préciser ces deux notions. Depuis la réforme de la Moudawana, cette confusion a probablement été accrue par la substitution du terme plus neutre de « divorce », à celui de « répudiation ». Comme l’explique un auteur marocain, la connotation négative attachée au terme répudiation explique la volonté du gouvernement marocain d’abolir ce vocable du Code et de le proscrire du langage officiel ou officieux52. Cette éradication du terme « répudiation » est toutefois confinée à la version française du Code et ne se retrouve pas dans la version arabe qui continue à utiliser la terme talaq. La disparition de ce terme n’a toutefois pas manqué de renouveler les difficultés de compréhension de la part du monde occidental. Bien plus, les nouvelles dispositions sont parfois appréhendées avec suspicion, certains n’hésitant pas à estimer que cette nouvelle formulation est empreinte d’hypocrisie. En réalité, si la répudiation n’a pas disparu au sens de la dissolution du mariage par volonté discrétionnaire, elle est aujourd’hui encadrée de garde-fous judiciaires. Les juridictions se sont vues dotées d’une mission de « supervision judiciaire », consistant à tenter la réconciliation, à contrôler les conditions dans lesquelles se déroule le talaq, et à assurer les droits de chacun. 1.1.1 Jugement ou acte adoulaire ? Il est parfois difficile pour les magistrats belges de distinguer l’hypothèse dans laquelle la dissolution du mariage

                                                 51 R. Naji El Mekkaoui, La Moudawanah (Code Marocain de la Famille). Le référentiel et le Conventionnel en Harmonie. T : 2 La dissolution du mariage, Rabat, Bouregreg, 3è ed., 2009, p. 70. 52 R. Naji El Mekkaoui, La Moudawanah (Code Marocain de la Famille). Le référentiel et le Conventionnel en Harmonie. T : 2 La dissolution du mariage, op. cit., p. 73. 

intervient après un jugement de celle où elle ne fait que l’objet d’un acte adoulaire. En réalité, la dissolution du mariage n’est judiciaire que dans l’hypothèse du chiqaq, ouvert aux deux époux et dans l’hypothèse - rarissime en pratique - où l’union conjugale est dissoute pour l’une des causes mentionnées à l’article 98 du CMF, permettant à l’épouse de demander le divorce pour l’une des causes suivantes : 1) pour manquement de l’époux à l’une des conditions stipulées dans l’acte de mariage ; 2) pour préjudice subi ; 3) pour défaut d’entretien ; 4) pour absence du conjoint ; 5) pour vice rédhibitoire chez le conjoint ; 6) via le serment de continence ou pour délaissement. Autrement dit, la dissolution du mariage n’est judiciaire que si elle entre dans un des cas prévus par le Titre IV du CMF consacré au tatliq, ou divorce judiciaire. La confusion est probablement alimentée par le nouveau rôle octroyé au tribunal lors de la dissolution du mariage par répudiation. Dorénavant, la déclaration unilatérale de rupture qui se déroule devant les adouls est encadrée a priori et a posteriori par la juridiction de la famille. Avant la consignation de l’acte adoulaire, le tribunal doit autoriser le mari à répudier son épouse et ensuite, il doit homologuer l’acte dressé. L’intervention des juridictions est invoquée par certains magistrats marocains pour affirmer que la répudiation a complètement disparu de l’arsenal juridique marocain au profit des divorces judiciaires. Cette position oublie cependant que le rôle des magistrats est finalement infime puisqu’il ne consiste ni à s’opposer à la dissolution du lien conjugal, ni à vérifier la pertinence des motifs à l’origine de la dissolution, ni à s’enquérir de la volonté de l’épouse. L’intervention du corps judiciaire semble d’avantage être circonscrite à un rôle procédural, dans l’objectif probablement de faciliter la reconnaissance de cet acte au niveau international. 1.1.2 Avant ou après la consommation du mariage ? Une autre confusion dans l’esprit occidental peut parfois découler de

16 

Page 18: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

l’indication que la dissolution du mariage intervient avant ou après la consommation du mariage. Bien souvent, cette indication n’est accompagnée d’aucune autre indication, ce qui complique le travail de qualification de l’acte et pourrait faire croire qu’il s’agit d’un mode propre de dissolution du lien conjugal. Toutefois, aucune disposition du Code de la famille marocain ne prévoit spécifiquement le cas de la dissolution du mariage avant sa consommation. En réalité, cette précision n’a d’intérêt qu’au regard de l’article 32 du CMF, relatif au Sadaq (à la dot). Cette disposition précise que l’intégralité du Sadaq n’est acquise par l’épouse qu’en cas de consommation du mariage. Si la répudiation (« divorce sous contrôle judiciaire ») intervient avant la consommation du mariage, l’épouse n’a droit qu’à la moitié du Sadaq fixé. Autrement dit, si l’épouse avait déjà perçu l’intégralité de la dot, elle doit en restituer la moitié53. Dans certains cas, la femme devra restituer l’intégralité du Sadaq lorsque le mariage n’a pas été consommé. Tel sera le cas, par exemple, si la répudiation (« divorce sous contrôle judiciaire ») intervient à la suite d’un mariage où la fixation du Sadaq est déléguée54. Ainsi, l’indication que le « divorce » a été prononcé avant ou après la consommation du mariage n’est guère utile pour le praticien belge désireux de qualifier l’acte, puisque n’importe quel acte de dissolution du mariage                                                  

                                                

53 Cet enjeu pécuniaire explique que les maris invoquent fréquemment la non consommation du mariage, tandis que leurs épouses tentent de prouver le contraire. Le rite malékite, auquel renvoie l’article 400 du CMF, établit les modes de preuve permettant d’établir la consommation du mariage. La femme devra démontrer qu’il y a eu isolation entre elle et son mari, ce qui permet de présumer que le mariage a été consommé. Cette présomption doit être complétée par le serment de la femme qu’il y a eu consommation du mariage. 54 A titre exemplatif, voir l’acte de « divorce avant consommation du mariage », consigné sous le n°282, f°176, registre 73 des mariages et divorces le 21 janvier 2000, section notariale de Meknès (inédit), qui indique que : « l’époux et le mandataire de l’épouse ont requis de constater que l’épouse était toujours vierge, le mariage des époux susdits n’ayant pas été consommé. L’époux a reçu de visu des notaires la somme de cinq mille dirhams au titre de la dot qu’il avait remis à l’épouse ». 

(répudiation talaq, khôl, divorce par consentement mutuel, chiqaq, etc…) peut être accompagné de cette mention qui n’aura d’utilité qu’au regard des droits pécuniaires dont l’épouse est bénéficiaire.

1.1.3 Dissolution du mariage par procuration De nombreux actes de divorces judiciaires ou de répudiations adoulaires sont dressés alors que l’un des époux est représenté par un mandataire. Bien que le Code marocain de la famille ne contienne aucune disposition permettant le divorce par procuration, les tribunaux marocains ont admis cette pratique en interprétant de manière extensive la disposition autorisant le mariage par procuration. L’article 17 du CMF autorise en effet le mariage par procuration sous certaines conditions, que l’on pourrait transposer au divorce. Ainsi, le divorce par procuration serait possible si la preuve de l’existence de circonstances particulières empêchant le mandant d’être présent au divorce en personne est apportée ; si le mandat est établi sous la forme authentique ou sous-seing privé avec la signature légalisée du mandant ; et si le mandataire est majeur, jouit de sa pleine capacité civile. 1.2 Répudiation au sens du droit belge Tel que le définit l’intitulé de l’article 57 du Code de droit international privé, le terme « répudiation » doit être compris comme visant la « dissolution du mariage à l'étranger fondée sur la volonté du mari », comme le confirme la doctrine qui n’utilise le terme « répudiation » que pour désigner « la dissolution du mariage par expression de volonté unilatérale, qui est, en principe, l’apanage exclusif du mari »55. Les travaux préparatoires insistent sur le volet inégalitaire inhérent à ce mode de dissolution de l’union conjugale en précisant qu’il s’agit de l’hypothèse « où la dissolution trouve sa cause même dans la seule volonté de l'un des

 55 J.-Y. Carlier et M.-Cl. Foblets, Le Code marocain de la famille. Incidences au regard du droit international privé en Europe, op. cit., p. 58. 

17 

Page 19: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

époux »56. Le Conseil d’Etat la définit également comme « un acte juridique solennel accompli par le mari qui déclare, en prononçant des paroles sacramentelles, qu'il répudie sa femme, ou qu'il la renvoie chez ses parents », face auquel le juge ne serait que le « témoin public d’une déclaration de volonté maritale »57. C’est donc uniquement au nom du respect du principe de l’égalité des sexes, tel qu’énoncé par l'article 5 du 7e protocole à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, que cette institution se trouve condamnée. A contrario, dans toutes les hypothèses où le principe d’égalité des sexes aura été respecté, l’acte devrait être soustrait au régime de l’article 57 du Code. Il semble pourtant que telle n’est pas la position suivie par les services consulaires. 2. Pratique des autorités consulaires belges de Rabat Tous les matins, des dizaines de personnes se présentent au service de légalisation de l’Ambassade de Belgique de Rabat, afin de faire légaliser des actes marocains. Ce service ne se contente toutefois pas de légaliser les actes mais effectue également une première analyse afin d’évaluer si l’acte doit être qualifié de « répudiation ». Dans l’affirmative, un « sticker article 57 du Code de droit international privé » est joint à l’acte marocain, afin d’attirer l’attention des autorités sur le fait qu’il s’agit d’une « dissolution du mariage fondée sur la volonté du mari »58.

                                                 

                                                

56 Proposition de loi portant le Code de droit international prive, Doc. parl., Sén., sess. extr. 2003, n°3-27/1 du 7 juillet 2003, p. 88. 57 Avis de la section de législation du Conseil d’État précédant la loi portant le Code de droit international privé, Doc. parl., Sén., sess. ord. 2001-2002, n° 2-1225/1 du 1er juillet 2002, pp. 280-284. 58 Comme le précise la circulaire du 14 décembre 2006 portant instructions en matière de légalisation, « le problème apparaîtra dès lors clairement pour chaque personne qui recevra la décision judiciaire étrangère ou l’acte authentique étranger et qui pourra, si elle le souhaite, demander une enquête ». Voir Circulaire du 14 décembre 2006 portant instructions en matière de légalisation, M.B., 11 janvier 2007, point 3, p. 1163. 

Conformément à la définition qu’en donne l’article 30 du Code de droit international privé, la légalisation est un « concept stricto sensu »59 qui ne vise qu’à attester « la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont l’acte est revêtu ». Toutefois, la pratique des autorités consulaires découle de l’article 2 de l’Arrêt royal du 12 juillet 2006 relatif à la légalisation de décisions judiciaires ou actes authentiques étrangers qui prévoit que « lorsque l’agent diplomatique ou consulaire ou le Ministre des Affaires étrangères qui légalise une décision judiciaire étrangère ou un acte authentique étranger constate un problème prima facie au niveau de cette décision judiciaire étrangère ou de cet acte authentique étranger, quand bien même toutes les conditions sont satisfaites pour la légalisation, il légalise la décision judiciaire étrangère ou l’acte authentique étranger et mentionne ses remarques sur une feuille annexée »60. La circulaire du 14 décembre 2006 portant instructions en matière de légalisation vise en particulier la traduction des documents de répudiation pour lesquels, « les postes diplomatiques et consulaires concernés ont reçu des instructions ad hoc de la part de la Direction Générale Affaires consulaires du Service public fédéral Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au Développement concernant la remarque à apposer lorsqu’il s’agit d’une procédure de dissolution du mariage basée sur la volonté unilatérale d’un époux »61. Ce fondement légal ne paraît pourtant pas suffisant aux yeux de certains parlementaires, qui désirent ouvrir la possibilité de refuser la légalisation pour ce type d’actes. Ainsi, deux propositions de lois ont été déposées en vue de modifier l'article 14 de la loi du 31 décembre 1851 sur

 59 Circulaire du 14 décembre 2006 portant instructions en matière de légalisation, M.B., 11 janvier 2007, point 1.7., p. 1160. 60 A.R. du 12 juillet 2006 relatif à la légalisation de décisions judiciaires ou actes authentiques étrangers, M.B., 11 janvier 2007, art. 2, p. 993. 61 Circulaire du 14 décembre 2006 portant instructions en matière de légalisation, M.B., 11 janvier 2007, point 1.8.1.3., p. 1161. 

18 

Page 20: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

les consulats et la juridiction consulaire, afin de permettre aux services consulaires de refuser la légalisation « si le document est manifestement un faux ou contraire à l'ordre public belge »62. Les auteurs de cette proposition justifient cette initiative en expliquant que les consulats belges au Maroc : « légalisent de très nombreux actes de répudiation chaque semaine. Sur base annuelle, au Maroc on compte environ plus de 20 000 actes légalisés de répudiation. La légalisation d'actes administratifs est une véritable industrie dans nos consulats au Maroc : environ 70 000 actes par an »63. Autrement dit, cette proposition viserait à permettre au service de légalisation de refuser l’homologation de tout acte de « répudiation », dont la qualification dépendrait dès lors du pouvoir discrétionnaire de ce service. L’observation du fonctionnement du service de légalisation de l’Ambassade de Rabat semble démontrer une certaine suspicion envers tout acte de dissolution du mariage. Peu d’entre eux échappent à la qualification de « répudiations ». Si l’accolement du « sticker 57 » sur les actes de dissolution du mariage par talaq ou par khôl peut sans doute être justifiée, avec des réserves pour ces derniers, d’autres pratiques sont plus étonnantes. 2.1 « Sticker  57 Codip » et répudiations prononcées antérieurement à  l’entrée en vigueur du Codip (1er octobre 2004)   Lors de l’étude de la pratique consulaire, il a été constaté que le sticker est annexé à tout type de répudiation sans considération de la date à laquelle elle a été prononcée. Pourtant, l’article 126, §2 du Code de droit international privé a clairement                                                  

                                                62 Proposition de loi modifiant l'article 14 de la loi du 31 décembre 1851 sur les consulats et la juridiction consulaire, Doc. parl., Sén., sess. ord. 2007-2008, n°4-906/1 du 28 août 2008, p. 2; Proposition de loi modifiant l'article 14 de la loi du 31 décembre 1851 sur les consulats et la juridiction consulaire, Doc. parl., Sén., sess. ord. 2010-2011, n°5-489/1 du 16 novembre 2010, p. 2. 63 Ibidem. 

établi que « Les articles concernant l'efficacité des décisions judiciaires étrangères et des actes authentiques étrangers s'appliquent aux décisions rendues et aux actes établis après l'entrée en vigueur de la présente loi ». Autrement dit, il n’est pas pertinent de joindre ce sticker à des répudiations prononcées avant le 1er octobre 2004, date d’entrée en vigueur du Code de droit international privé. Sur la période d’observation de la pratique consulaire, le « sticker 57 » a pourtant été apposé sur 5 actes de répudiation talaq et sur 8 divorces moyennant compensation (khôl) qui avaient été dressés avant l’entrée en vigueur du Code de droit international privé. Si la qualification des actes en « répudiations » n’est pas contestée dans les espèces traitées par le service de légalisation, il n’est toutefois pas adéquat de soumettre l’analyse de ces actes aux conditions posées par l’article 57 du Codip, bien plus rigides que le régime antérieur. En effet, avant l’introduction de cette disposition, la reconnaissance des répudiations était régie par les règles générales d’exequatur, consignées à l’ancien article 570 du Code judiciaire, ainsi qu’aux principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation64. Deux tendances jurisprudentielles se distinguaient. La première était assez libérale et reconnaissait la répudiation soit en l’absence de proximité avec la Belgique (aucune des parties ne réside en Belgique ni n’a la nationalité belge), soit lorsque la femme y consentait au moment de la répudiation ou ultérieurement. Un autre courant jurisprudentiel plus strict exigeait le cumul des conditions : à la fois une proximité forte avec le Maroc et une acceptation de l’épouse65. Les tribunaux belges appelés à se prononcer sur la reconnaissance des répudiations actées avant l’entrée en vigueur de l’article 57 du Codip ne s’y trompent d’ailleurs pas et soumettent l’analyse de l’acte

 64 A cet égard, voir F. Collienne, « La reconnaissance des répudiations en droit belge après l’entrée en vigueur du Code de droit international privé », Rev. gén. dr. civ., 2005, pp. 445-453, spéc. pp. 446-448. 65 J.-Y. Carlier et M.-Cl. Foblets, Le Code marocain de la famille. Incidences au regard du droit international privé en Europe, op. cit., p. 63. 

19 

Page 21: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

aux principes en vigueur antérieurement66. Par conséquent, il serait adéquat d’inviter les services consulaires à vérifier la date de l’acte adoulaire de répudiation avant d’y annexer le « sticker article 57 Codip ». 2.2 « Sticker 57 Codip » et chiqaq La pratique consulaire en matière de chiqaq est encore plus étonnante. Alors que ce mode de dissolution du mariage est censé être égalitaire et judiciaire, le service de légalisation estime au contraire qu’il s’agit de distinguer les chiqaq ayant fait l’objet d’un jugement, des chiqaq adoulaires, ces derniers devant être qualifiés de « dissolution du mariage fondée sur la volonté du mari ». La préoccupation du service de légalisations ne semble donc pas tant de vérifier le respect du principe de l’égalité des sexes que de vérifier si le chiqaq a été prononcé à l’issue d’un jugement. Ainsi, selon ce service, si le chiqaq a été prononcé par le tribunal de première instance, il s’agit véritablement d’une dissolution judiciaire, ce qui lui permet d’éviter le « sticker 57 Codip ». Par contre, s’il ressort de l’acte que celui-ci a été dressé par des adouls sur autorisation du tribunal de la famille, l’acte tombe dans la catégorie de l’article 57 du Codip. Cette pratique donne lieu à des résultats étonnants, dont la cohérence n’apparaît pas toujours clairement. Ainsi, le service de légalisation n’a pas apposé le                                                  

                                                

66 Voir Trav. Tournai (3e ch.), 25 avril 2006, J.L.M.B., 2006/28, pp. 1237-1243. Bien que devant se prononcer sur la reconnaissance d’une répudiation intervenue avant l’entrée en vigueur de l’article 57 du Codip, le tribunal du travail, de manière assez remarquable, a pris en considération l’évolution du droit marocain de la famille pour appuyer l’idée que la vérification de la compatibilité d’une décision avec l’ordre public doit se faire in concreto : « que le tribunal constate que le droit marocain de la famille s’est doté, entre le moment où l’acte de divorce a été prononcé le 7 janvier 1992 et le jugement du 8 juillet 2004, d’une nouvelle forme de divorce appelée chiqaq, équivalente à une répudiation ; que cette procédure peut être intentée par les deux époux (la femme disposant d’un droit égal) ; que cette nouvelle procédure renforce l’idée de l’examen in concreto de l’ordre public permettant de reconnaître la répudiation en cas d’acceptation de l’épouse puisque cette dernière dispose dans son droit interne d’un droit égal à celui de son mari d’intenter pareille action ». 

« sticker 57 » sur un acte adoulaire « portant reproduction d’un jugement de divorce », au motif qu’il transparaissait de l’acte que le chiqaq avait bel et bien été prononcé à la suite d’un jugement rendu par le tribunal de première instance de Rabat67. Cette solution est cohérente non seulement au regard du caractère judiciaire de la dissolution du mariage mais surtout en raison du respect du principe d’égalité des sexes. En effet, il transparait des termes du jugement que la procédure avait été introduite par la femme et que celle-ci n’avait pas abandonné ses droits : « le tribunal […] ordonne le divorce de la demanderesse […], du défendeur, […], pour une première fois irrévocable, pour cause de discorde, après consommation du mariage, dit que c’est la demanderesse qui assure la garde des deux enfants […], fixe le droit de visite dudit père à son enfant une fois par semaine, soit chaque dimanche de 10 heures à 17 heures, condamne le défendeur aux dépens et ordonne l’application des dispositions de l’article 141 du Code de la Famille ». Une position inverse fut prise par le service de légalisation à l’égard d’un acte de chiqaq qui aurait été acté par les adouls et n’aurait pas fait l’objet d’une dissolution judiciaire, raison pour laquelle il n’échappa pas au « sticker 57». Il ressort de cet « acte de divorce », qu’ « à la requête du Sieur […], les instrumentaires des présentes ont procédé au récolement du jugement n° 1738, dossier n°5-9-573, le 08/07/2009, rendu par le tribunal de première instance de Salé, lequel a ordonné le divorce pour cause de discorde de la demanderesse […], de son époux […] »68. Si la traduction française de cet acte peut laisser supposer que le chiqaq a bel et bien été prononcé à l’issue d’une dissolution judiciaire du mariage, tel ne fut pas l’avis du service consulaire. En effet, selon ce dernier, la version française de cet acte aurait fait l’objet d’une erreur de traduction, la version arabe mentionnant « récolement du jugement n°1738, dossier n°5-9-573, le 08/07/2009,

 67 T.P.I. de Rabat, 17 juin 2010, n°1137, dossier n° 32/393/10, inédit. 68 Acte de divorce enregistré sous le n°293, folio 140, registre des divorces n°18, le 6/7/2010. 

20 

Page 22: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

rendu par le tribunal de la famille du tribunal de première instance de Salé, lequel a ordonné le divorce pour cause de discorde de la demanderesse […], de son époux […] ». D’après le service de légalisation, si le jugement émane du tribunal de la famille et non du tribunal de première instance, cela signifie que le jugement rendu n’est qu’un jugement donnant l’autorisation aux adouls de dresser l’acte chiqaq. Cet acte fut dès lors qualifié de « dissolution du mariage fondée sur la volonté du mari » bien qu’il transparaissait clairement de la traduction que l’épouse était demanderesse à l’action. Une lecture attentive de cet acte révèle qu’il s’agit en réalité d’un acte adoulaire de constatation d’un jugement chiqaq69. Après avoir obtenu le jugement prononçant la dissolution de leur mariage par chiqaq, les parties semblent s’être rendues chez les adouls pour procéder à une sorte de transcription adoulaire de l’acte. Ce procédé peut s’expliquer par des raisons sociologiques, les intéressés continuant d’être convaincus qu’un acte adoulaire est indispensable aux yeux des autorités70. Pourtant, l’acte dressé par les adouls n’a aucune valeur juridique et ne fait que reproduire les termes d’un jugement. En l’espèce, la dissolution de l’union conjugale fut bel et bien judiciaire, ce qui renverse l’analyse effectuée par le service de légalisation. Comme cet exemple le suggère, l’analyse du service consulaire de légalisation n’est pas à l’abri d’erreurs dans l’examen des dossiers qui lui sont soumis. En effet, cette

                                                 69 Analyse effectuée par Adil Bouhya, magistrat à Khénifra. 70 Dans le même sens, voir les actes adoulaires dressés à la suite d’un divorce chiqaq : « acte de transcription d’un jugement de divorce pour discorde », enregistré sous le n°150 le 8 février 2011 sur le registre des mariages et divorces 04, consigné sous le n°312 le 8 février 2011 sur le registre des mariages et divorce 126, du tribunal de première instance de Kénitra, à la suite du jugement prononcé par le tribunal de première instance de Kénitra, 28 décembre 2010, n° 2529, dossier n° 2486/10, inédit ; « attestation de divorce définitif », consigné sous n° 503, folio 550, registre 116 le 21 février 2011, à la suite du jugement de divorce pour cause de discorde, rendu par le tribunal de première instance d’Oujda le 19 octobre 2010, n° 5967/10, dossier n° 2250/10, inédit. 

lecture des actes de divorce chiqaq est inadéquate à l’égard des dispositions du CMF. Le CMF décrit clairement le chiqaq comme un mode judiciaire et égalitaire de dissolution du mariage. Cette pratique consulaire pourrait conduire à s’interroger sur la portée de la notion de répudiation, telle que circonscrite par l’article 57 du Codip. Vise-t-elle uniquement les actes de dissolution du mariage par volonté unilatérale du seul mari, tel que les travaux préparatoires semblent le définir, ou englobe-t-elle également tout type d’acte de dissolution du mariage n’ayant pas fait l’objet d’un jugement ? Cette dernière interprétation, retenue par le service de légalisation, dépasse le cadre de l’article 57 du Codip et conduit à des effets indésirables. En effet, l’autorité naturelle qui s’attache à un acte légalisé par l’Ambassade sera invoquée par les différents acteurs confrontés à la reconnaissance éventuelle de l’acte. En première ligne, l’Office des Etrangers se réfugiera derrière la qualification donnée par le service de légalisation. Cet argument lui permettra de refuser la reconnaissance du divorce chiqaq et ainsi, de refuser le droit au regroupement familial d’une partie s’étant remariée après la dissolution de son précédent mariage par chiqaq. Si par chance, l’intéressé parvient à introduire un recours fructueux contre cette décision, donnant lieu à l’annulation de l’acte administratif par le Conseil du contentieux des étrangers, encore faut-il que l’Office des Etrangers prenne une nouvelle décision à l’égard de la demande en regroupement familial. Dans l’hypothèse où le visa serait enfin délivré, l’intéressé devra encore obtenir la transcription du divorce chiqaq et de son nouveau mariage auprès des autorités communales. Arrivé à ce stade, il risque à nouveau de se heurter à un refus de la part des autorités communales, invoquant à leur tour le « sticker 57 Codip » à l’appui de leur décision. Bien souvent, le dossier sera transmis au parquet et fera l’objet d’une procédure devant le tribunal de première instance visant à la reconnaissance de l’acte marocain. Plusieurs années se seront écoulées, l’épouse sera peut-être enceinte et le bébé inscrit comme étant le fils du premier mari… Comme l’exprime bien P. Wautelet,

21 

Page 23: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

« l’effet prohibitif de l’article 57 du code rayonne dès lors bien au-delà des relations entre les époux dont le mariage a pris fin par ce mode particulier de divorce »71. Ces cas de figure sont légion et pourtant la pratique des autorités administratives ne fléchit guère. Adopté dans l’objectif - louable certes - de protéger les femmes contre une dissolution unilatérale de leur mariage, l’article 57 du Codip fait l’objet d’un usage abusif et semble servir une politique de durcissement migratoire au détriment du droit fondamental à la vie privée et familiale. Le gouvernement belge ne s’en cache d’ailleurs pas puisqu’il explique qu’ « Une acceptation aveugle de décisions judiciaires étrangères et actes authentiques étrangers, sur base d’un contrôle ne portant que sur la compétence du signataire, ne sert pas les intérêts de notre pays en matière de lutte contre la fraude et de lutte contre l’immigration illégale, au regard de la législation belge et des obligations internationales de la Belgique »72.

2.3 « Sticker 57 et divorce par consentement mutuel » Poursuivant le même raisonnement, le service de légalisation qualifie les « divorces par consentement mutuel » de « dissolution du mariage fondée sur la volonté du mari » puisque la dissolution du mariage, sur la base de l’article 114 du CMF, fait l’objet d’un acte dressé par les adouls et non d’une dissolution judiciaire prononcée par le tribunal de la famille73.

                                                 

                                                                        

71 P. Wautelet, « Le rayonnement de la prohibition de l’accueil des répudiations étrangères », note sous Civ. Liège (2e ch.), 26 mai 2009, op.cit., p. 1812. Pour d’autres exemples de situations schizophréniques, voir les illustrations citées par P. Wautelet précité, p. 1812, note 17 : Bruxelles (21e ch.), 20 novembre 2008, Etat belge c./Sloussi Nabila, R.G. 2008/8703 ; Civ. Bruxelles (réf.), 3 mars 2006, Rev. dr. étr., 2006, p. 231 et Civ. Nivelles, 13 mai 2008, R.T.D.F., 2009, p. 726. 72 Circulaire du 14 décembre 2006 portant instructions en matière de légalisation, M.B., 11 janvier 2007, point 3, p. 1163. 73 Voir par exemple : acte de divorce consensuel après consommation du mariage définitif, consigné au registre de divorce notarial d’Al Hoceima, n° 01, p. 722, folio 473, le 16 décembre 2010, inédit ; acte de divorce par consentement mutuel avant la

Cette pratique étonnera probablement la doctrine qui considérait que les divorces par consentement mutuel échappaient certainement au contrôle de l’article 57 du Codip74. Comme on le voit, la préoccupation du service consulaire est d’avantage liée au respect de la dissolution judiciaire du mariage plutôt qu’à la vérification du respect de l’égalité entre les époux. Si l’analyse des actes qualifiés de « divorce par consentement mutuel » a pu démontrer une confusion entre celui-ci et le divorce khôl, il serait pourtant imprudent de généraliser ce constat et de condamner tout acte de dissolution par consentement mutuel sans se livrer à une appréciation concrète de la teneur de l’accord passé entre les époux devant l’adoul. L’interprétation retenue par le service de légalisation est d’autant plus surprenante que la procédure marocaine de divorce par consentement mutuel est assez similaire à celle prévue en droit belge puisque en Belgique, les époux ne se rendent devant le tribunal de première instance que pour homologuer en quelque sorte leurs conventions de divorce. Il serait adéquat que le personnel chargé du service de légalisation puisse bénéficier de formations non seulement sur l’application du droit marocain de la famille mais également sur l’évolution de la

 consommation du mariage, consigné au registre de divorce notarial de El Aïoun sous le n°109, folio 75, registre des divorces n°1, le 10 décembre 2010, inédit ; acte de divorce avant consommation de mariage par consentement mutuel, consigné au registre de divorce notarial d’Oujda sous n° 561, folio 481, registre 111, le 20 mai 2005, inédit ; acte de divorce conventionnel, consigné au registre de divorce notarial de Nador, centre Driouch, livret n° 1, folio 459, sous n°911, le 19 août 2010, inédit ; acte de divorce par accord mutuel, consigné au registre des divorces du Tribunal de première instance de Kenitra, consigné sous n° 212, registre des divorces n° 04, le 19 février 2008, inédit. A tous ces actes, fut annexé le « sticker 57 Codip », constatant la « dissolution du mariage fondée sur la volonté du mari ». 74 M. Traest, « La réception du droit marocain de la famille dans la jurisprudence belge, en particulier le mariage, sa dissolution et la contestation de paternité », op. cit., p. 453, citant J. Verhellen, « Drie jaar Wetboek I.P.R. : een verkennende analyse van vragen uit de praktijk », Tijdschrift voor Vreemdelingenrecht, 2008 (Themanummer I.P.R.), (19), p. 29.  

22 

Page 24: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

jurisprudence belge à l’égard de la reconnaissance des répudiations. Outre ces formations, le Ministère des Affaires étrangères pourrait s’interroger sur l’opportunité d’adopter une circulaire indiquant précisément les cas dans lesquels un acte de dissolution de mariage marocain doit être qualifié de répudiation.

* Vers une appréciation in concreto des modes de dissolution du mariage

L’étude de la jurisprudence marocaine a mis en lumière toute l’ambivalence qui existe au sein de la société marocaine, tant au sein de la population qu’au sein du corps judiciaire appelé à appliquer le CMF. Les décisions judiciaires analysées ont mis en évidence la polyvalence des différents modes de dissolution du mariage en droit marocain et l’impossibilité de les catégoriser de manière rigide. Au contraire, il s’agit d’explorer ce que renferment les termes d’un jugement. Face aux difficultés de qualification des actes de dissolution, la doctrine insiste, de manière unanime, sur l’importance de se livrer à une appréciation in concreto de la situation75. Ainsi, face à un divorce moyennant compensation (khôl), il s’agit de vérifier la portée de la transaction pour identifier l’exacte contrepartie consentie par l’épouse et investiguer le degré de liberté dont elle a joui dans la dissolution du lien conjugal. A cet égard, la jurisprudence des juridictions bruxelloises doit être saluée. Soucieux de rechercher une solution équitable pour la femme, les magistrats se livrent à une appréciation in concreto du cas d’espèce, prenant ainsi une certaine liberté avec les travaux préparatoires du Code de droit

                                                 

                                                

75 M. Traest, « La réception du droit marocain de la famille dans la jurisprudence belge, en particulier le mariage, sa dissolution et la contestation de paternité », op. cit., p. 451 ; S. De Blaere, note sous Civ. Bruxelles, 13 septembre 2007, Rev. dr. étr., 2008, p. 495 ; J.-Y. Carlier et M.-Cl. Foblets, Le Code marocain de la famille. Incidences au regard du droit international privé en Europe, op. cit., p. 70 ; M.-Cl. Foblets et M. Loukili, « Mariage et divorce dans le nouveau Code marocain de la famille: quelles implications pour les Marocains en Europe », op. cit., p. 555. 

international privé. Quant au divorce par consentement mutuel, prescrit à l’article 114 du CMF, il serait prudent de demander aux parties de produire l’acte d’accord passé devant les adouls avant d’établir la reconnaissance de cet acte. Seul le contenu de cet accord permettra de vérifier si l’égalité entre époux a été parfaitement respectée et si derrière le vocable « divorce par consentement mutuel », ne se cache pas un divorce khôl dont la compensation serait l’abandon, par la femme, de son droit de garde à l’égard de ses enfants. A maints égards, l’article 57 est critiquable car il ne permet plus cette appréciation de la part des différentes autorités concernées. Les instances judiciaires sont désorientées face à des actes qu’elles ne parviennent pas toujours à qualifier. Les magistrats se trouvent enfermés derrière les verrous de l’article 57 du Codip, auquel le sticker accolé par les services consulaires les invite à se référer. Les instances administratives, tels l’Office des étrangers ou les officiers d’état civils se réfugient trop facilement derrière l’article 57, sans prendre l’audace de se livrer à une réelle appréciation concrète de l’acte qui leur est soumis. Certains auteurs se demandent dès lors si les effets découlant de l’article 57 n’ont pas dépassé l’intention du législateur puisque souvent, ils conduisent à « punir le nouveau conjoint de l’époux qui a procédé à la répudiation, voire ses enfants »76 et

 76 P. Wautelet, « Le rayonnement de la prohibition de l’accueil des répudiations étrangères », note sous Civ. Liège (2e ch.), 26 mai 2009, op.cit., p. 1814. Cet auteur tente de trouver des solutions afin de palier aux difficultés engendrées par la non-reconnaissance des répudiations prononcées à l’étranger. Il explore la possibilité d’appliquer la théorie de la question préalable pour soumettre la validité de la répudiation au droit international privé marocain, avant de conclure que cette théorie soulève des difficultés théoriques et n’a pas reçu d’accueil favorable en Belgique. La même conclusion l’amène à ne pas retenir les solutions que pourrait offrir la théorie des droits acquis. Enfin, il propose d’étendre le champ d’application de la clause d’exception, prévue à l’article 19 du Codip, à la reconnaissance des décisions et des actes authentiques étrangers. Il constate cependant l’impuissance de cette disposition à offrir une vraie solution aux difficultés constatées. Face à l’impasse des solutions qu’aurait pu offrir l’arsenal du droit international privé, P. Wautelet

23 

Page 25: Caroline Henricot EE 3

Etudes et Essais du CJB, n° 3, 2011 

s’interrogent sur l’opportunité de retenir l’application de l’article 57 lorsque la question de la reconnaissance de la répudiation se pose préalablement à celle de la reconnaissance d’un mariage célébré postérieurement77. L’existence même de cette disposition pourrait être remise en question vu les abus auxquels elle conduit. Sa pertinence et son adéquation à l’égard d’une institution qu’elle tente de condamner ne parviennent pas à se concilier avec les acquis de la réforme du Code marocain de la famille. Cet article enferme les différents acteurs (services consulaires, office des étrangers, magistrats, services communaux, etc...) dans un carcan qui ne leur laisse aucune marge d’appréciation, ce qui est en contradiction avec l’ambivalence dont sont empreintes les décisions judiciaires marocaines qui ne se laissent réduire à aucune catégorie.

 

                                                                         conclut que seul un rapprochement entre les Etats concernés pourrait permettre de dégager une solution. Toutefois, quand on connaît les blocages qu’ont pu susciter les négociations de Conventions bilatérales entre la Belgique et le Maroc, on peut douter de l’efficacité de cette voie.  77 P. Wautelet, « Du bon accueil en Belgique des répudiations étrangères », note sous Liège (1ère ch.), 9 juin 2009, J.L.M.B., 2010/38, p. 1806. 

24