Carole Deltenre - LA SemenceRIE · En regardant « La noche de los Lapices ... de laiton destinées...

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Carole Deltenre

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Carole Deltenre

Genre : féminin

Les hommes se sentent menacés par ce qui aurait une apparence phallique chez la femme, c’est pourquoi ils insistent pour que le clitoris soit enlevé (Marie Bonaparte, « Notes sur l’excision »-revue française de psychanalyse XII, 1946).

A-t-on jamais dit à Carole Deltenre qu’il n’était guère de bon ton d’exhiber son sexe en société ? Que « la chose » ne se montrait pas en public sans en perturber l’ordre ? Que cet endroit du monde que certains ont nommé l’origine devait rester à jamais caché ?

Visiblement pas. Peu soucieuse des convenances, l’artiste se joue des interdits, provoque des réactions épidermiques excessives et contradictoires, toujours radicales comme son travail. Chez elle il n’y a pas de demi-mesures : c’est blanc ou c’est noir, masculin ou féminin. En l’occurrence ce sera féminin.

A première vue, de délicates broches de porcelaine fine, encadrées d’une gracieuse dentelle d’or ou d’argent. Un paysage vallonné ? Une forme

végétale ? Minérale ? Animale peut-être ? Mais non, si le regard s’attarde un peu trop sur l’objet, le scrute en détail, « mon Dieu, quelle horreur, mais c’est un sexe ! »

Que Dieu peut-il bien avoir à faire dans cette histoire ?Dans la célèbre fresque d’Adam et Eve chassés du Paradis terrestre, le peintre Masaccio représente le couple banni, l’homme dans sa nudité naturelle quand la femme dans un geste coupable dissimule sous sa main ce sexe responsable de tous les maux. Pourtant, les grottes préhistoriques ont laissé des traces bien différentes en préservant jusqu’à nos jours ces vulves gravées dans la roche ou tracées au pigment.

De Gustave Courbet représentant avec un réalisme troublant le sexe offert du modèle de son Origine du Monde en 1866 à Valie Export exhibant son propre sexe dans la performance Action Pants : Genital Panic en 1968, c’est toute l’histoire de l’art qui ne cesse de revenir sur le même motif.

40 ans plus tard, Carole Deltenre reproduit la forme métonymique de Valie Export en présentant des fragments pour mieux parler du tout, réactivant par la même occasion la panique d’une partie du public. A son tour, elle ne se contente pas de « représentation » au sens pictural du terme. Elle prélève du réel, moule le sexe sur modèle vivant avec force détails des lèvres et du clitoris, produisant une série de « portraits » d’une nature bien singulière.

Sous une apparence frontale, quasi anatomique, l’artiste produit une œuvre qui se revendique à la fois légère et profondément tragique. Corps diplomatique est une réinterprétation du komboloi, ce passe temps traditionnel grec, réservé à l’usage exclusif des hommes, qui n’est pas sans rappeler la forme du chapelet. Objet de méditation, son propriétaire doit en caresser les perles en les faisant tourner entre ses doigts pour atteindre un état de béatitude spirituelle qui devient ici orgasmique : l’artiste ayant, dans un geste blasphématoire, remplacé les

perles par 33 clitoris en argent provenant d’autant de femmes. On dit les hommes avides de conquêtes et l’artiste de leur donner l’occasion de passer de l’une à l’autre d’un simple geste de rotation. Comme souvent dans le travail de Carole Deltenre, derrière l’apparence séduisante se dissimulent mal d’autres réalités bien plus sombres que ces pièces nous suggèrent avec force, rappelant au passage que sous couvert du plaisir des hommes, aujourd’hui encore, se perpétue la barbarie de l’excision.

Christian Alandete

Par une réflexion sur le genre et le corps en tant qu’objet de désir, il s’agit de mettre en exergue les pouvoirs du corps sexué et de mettre en échec ses mécanismes de séduction. A partir d’un élément traditionnel, (texte, technique, objet) je recherche les incidences de la religion et des codes sociaux dans les rapports de tensions entre corps sexués et à travers la notion de péché.

L’objet porté implique une sorte de mise en scène du corps. Nous en sommes son support et le bijou devient alors un objet transportable, une forme d’«art dans la rue». C’est un objet d’envie voué à être porté, carressé, regardé, utilisé, sali, touché ou encore usé, et dont la fonction première est de séduire. Symbole de puissance, des atouts et des pouvoirs, le bijou, inutile, attire.

Sculptures portables, bijoux

Issus de moulages, portraits de face intimes et violents, ces sexes féminins se donnent à voir sans pudeur ni retenue. Chair brillante de désir, le sexe s’impose au regard de l’autre et n’est plus relégué à une partie cachée du corps mais y est solidement intégré. La monstration exagérée est aujourd’hui un rituel de séduction or la femme séduit plus que jamais par son sexe, dont elle est ici parée.

Série de portraits Nymphe, broches, argent et/ou laiton, porcelaine, 2008-2012

« Ca fait peur de dire le mot. « Vagin. » . (...) Vous prenez soudain conscience que toute la honte et toute la gêne que vous éprouviez avant, en disant ce mot, n’étaient qu’une façon de réduire au silence votre désir et de saper votre ambition. (…) Et quand de plus en plus de femmes diront le mot, le dire ne sera plus un problème. Il fera partie de notre vocabulaire, partie de notre vie. Nos vagins seront alors intégrés, respectés et sacrés. Ils feront enfin partie intégrante de nos corps, connectés à nos cerveaux, alimentant nos esprits. »

Eve Ensler, Les Monologues du vagin

Similaire au chapelet traditionnel, le komboloï est un passe-temps populaire grec réservé aux hommes, ici constitué de moulages de clitoris en argent de 33 femmes différentes. Sacré, objet de méditation et de manipulation, le propriétaire fait tourner l’objet sur ses doigts dans un sens et dans l’autre afin de ramener les petites boules au creux de sa main. Une à une, selon les règles religieuses, ces perles précieuses sont touchées, caressées, comptées, usées par les doigts de leur propriétaire, cette sensation calme l’esprit. Bien que blasphématoire, entre plaisir et fantasme, cet objet retrouve sa fonction originelle d’occupation du corps pour laisser l’esprit méditer.

« La plus grande jouissance est celle que l’on censure. Blâmer ce que l’on désire pour mieux posséder ce que l’on blâme : c’est la stratégie des bons apôtres. » Régis Michel, Posséder et détruire

Collection, 2007, argent, 18 + 1 perles, circonférence 40 cm

Corps diplomatique, 2008, argent, 33 + 1 perles, circonférence 70 cm

Corps diplomatique II, 2010, porcelaine, feuille d’or et fils, 99 + 1 perles, circonférence 2m

De gausche à droite : Made in HK, Made in C, Made in M, broches, bois de Patagonie, plastique industriel, laiton, (+cierge)

En repensant à la visite de Potosi, collier, bois de Patagonie, plastique industriel, cierge, argent, maillechort

Série de pièces La Patagonie, une vraie mine d’or…, 2011

En regardant « La noche de los Lapices », collier, bois de Patagonie, plastique industriel, argent

Les importables (A Suzy Solidor), 2012

CocardesCire de bijoutier, argent, tissus brodés, fil de coton

Des clitoris agglutinés en cire cassante se pressent autour de leurs rares congénères coulés en argent. Le populaire côtoie le précieux, le potentiel côtoie le résultat, la fin côtoie les moyens.L’accumulation n’est pas toujours très ragoutante bien qu’elle soit ici objet de décoration.

Connue, vue et entendue, Lili Marlène vient chatouiller l’histoire en rappelant qu’elle évolue toujours selon celui qui la raconte. La partition ne donne qu’une partie du thème, l’interprétation a disparue, le jeu reste à inventer.

Sceau C.D., 2008, fer

Symbole d’une appartenance à un groupe, à une famille ou une lignée, le sceau appose la marque d’un territoire intime, ici le clitoris de sa propriétaire. Habituellement portée par l’homme, par le pouvoir, c’est ici une trace féminine que l’objet laisse.

Marque de fabrique ou signature, elle atteste l’authenticité et le caractère unique du corps.

Sceau C.L., 2009, inox

Red Light District, 2009, laiton poli frappé et daté, plastique, broderie

Idoles, broches, argent gravé, 2008

Fétichisation du corps et de ses apprêts, reliques absurdes de fragments de stars, enfermées définitivement dans ces boites cercueils.

Ci-gît un crampon cassé de Louis Saha Ici repose un morceau de coquille de Bixente LizarazuIci sèche une larme de Zinédine Zidane Ici repose un brin d’herbe foulé par Lilian ThuramIci repose un poil de Youri Djorkaeff Ci-gît une partie du maillot déchiré de Claude Makélé

Trophée de chasse, 2007

latex et laiton, longueur 35 cm, largeur 20 cm

Ce collier est composé de fioles en latex serties de laiton destinées à recevoir les semences des différentes conquêtes masculines de sa propriétaire. Les fioles sont choisies, remplies une à une et scellées définitivement comme une banque de sperme personnelle. A l’instar des objets masculins démonstratifs de puissance, ce trophée est un attribut de séduction ridicule, un simulacre de victoire.Chaque rapport unique et intime ainsi collectionné est voué à se détruire, le latex pourrit, le liquide sèche, la bourse se rétracte et durcit. L’importance du pouvoir reproducteur féminin, accentué par l’accumulation de géniteurs potentiels, est alors réduite à néant par la mort du sperme.Objet séduisant, trophée de chasse peut simuler, mentir, prétendre que et redevient à l’image du paraître prétendu féminin.

A la chaine, 2008

plastique industriel et laiton, 45 m de long

Les fioles sont ici industrielles et identiques. La fabrication de la chaîne (réalisée à la main, anneau par anneau) aliène l’esprit, le geste est répété indéfiniment. Le remplissage est ritualisé, le corps devient commercial et les donneurs anonymes.Le sperme est un liquide puissant, il faut l’enfermer et le collectionner pour lui enlever tout pouvoir.La régularité formelle induit un quotidien dans l’usage des fioles, un rythme fréquent, une habitude.

« La vie sexuelle est négation permanente de la mort. Elle recouvre toute la gamme des pulsions qui va de la tendresse et de la sentimentalité aux contacts les plus violents et les plus périlleux. »

Julia Hountou, extrait de Michel Journiac

Les restes, 2009, latex, laiton et feuille d’or, pendentifs et broches

(e) , 2006, jouets en plastique sertis d’argent

Deux colliers sexués représentent les images clichées homme-femme imposées par notre société de consommation. Chaque jouet en plastique est sacralisé par son serti en argent, critique des nouveaux modèles figés et stéréotypés et d’une norme d’identité sexuelle cloisonnée.

« La séduction est de l’ordre du rituel, le sexe et le désir sont de l’ordre du naturel. Ce qui s’affronte dans le féminin et le masculin, ce sont des deux formes fondamentales, et non quelque différence biologique ou rivalité naïve du pouvoir. » Jean Baudrillard, La séduction

Peintures

Déjanomé NX3, 2009, 90x110 cm, acrylique sur toile

Déjanomé NX1, 2009, 150x115 cm, acrylique sur toile Déjanomé NX2, 2009, 150X120 cm, acrylique sur toile

Déjanomé NX4, 2009, 53x40 et 49x40 cm, acrylique sur bois

La passe imaginaire, 2012

Installation pour l’exposition ‘Immaculée Conception’, «A la chaine», «Djanomés NX2 et NX3», peinture blanche, néon

A l’heure de l’échec des grands récits, Blanche Neige a choisi de trainer son image virginale dans les peintures classiques et de voler la vedette aux représentantes de mythes historiques et religieux. Issue de la culture de masse, elle s’impose en tant que nouvelle icône féminine incontournable. Sa reconnaissance tient au travail quotidien incessant de son corps devenu commercial et usé à la chaîne. Celle-ci est fabriquée à la main anneau par anneau, le geste aliénant la raison tout comme le remplissage des fioles industrielles. Le liquide vital est collectionné, le remplissage ritualisé et les donneurs restent anonymes.C’est la victoire de la répétition face à l’exception et du trait labellisé face à l’abondance. L’image ainsi désincarnée appelle au remplissage.

Peintures d’après la fresque de la Chappelle Sixtine de Michel Ange et La source de Ingres.

Installation Vidéo

Installation pour le Musée de l’Oeuvre Notre Dame de Strasbourg, Nuit des Musées de Strasbourg, 2009Tete de sainte femme à la guimpe, trace de polychromie et d’or, provient d’un saint sépulcre, vers 1375 Nepenthes x ventrata, 2008, vidéo de 30 minutes

Nepenthes x ventrata, 2008, vidéo couleur, son, 30 minutes

EXPOSITIONS COLLECTIVES (sélection)Musées

. 2011-14 . ‘Un peu de terre sur la peau’ (‘A bit of clay on the skin’), commissaire M.Brugger Worl Jewellery Museum - Seoul, Gardiner Museum - Toronto CODA Museum - Amsterdam, Musée des Arts Décoratifs - Paris Museum of Arts and Design - New York, National Palace Museum - Taipei (Taiwan)

. 2010 . ‘Circuit céramique : la scène française contemporaine’, commissaire F.Bodet Musée des Arts Décoratifs - Paris . 2009 . ‘Nuit des musées’, exposition « Mise à l’oeuvre », Musée de l’Oeuvre N-Dame - Strasbourg Galeries et Fondations

. 2013 . ‘Play for Display’, Galerie Four - Gothenburg - Suède . ‘Parcours du bijou 2013’, Vitrines du Palais Royal - Paris . ‘A&C&K&C&J&M&N’, Galerie V&V - Vienne

. 2012 . ‘Mirror’, Espace Solidor, commissaire B.Lignel - Cagnes sur mer

. 2011 . ‘Kick Ceramic’, Cultuurcentrum t’Vondel, commissaire H.Meert - Halle - Belgique . ‘Bois and Cie’, commissaire J-Y.Le Mignot - Pézenas . 2010 . ‘Alphonse Berber Gallery’, commissaire V.Sidhoum - Berkeley - Etats-Unis . ‘L’éducation sentimentale’, Espace Solidor, commissaire C.Alandete - Cagnes sur mer

. 2009 . ‘Prix Européen des Art Appliqués’, Site des anciens abattoirs - Mons - Belgique . ‘S. Bérélowitch, G. Chajai, C. Deltenre, C. Vaché-Olivieri’, Galerie L’escalier - Brumath

. 2009-11 . ‘Also known as jewellery’, commissaires C.Alandete et B.Lignel Galeries Flow - Londres, Alternatives - Rome, Velvet da Vinci - San Francisco, Institut Français de Munich, Villa Bengel - Idar Oberstein, Ateliers de Paris, Musée Falkenbergs - Suède

RESIDENCES. 2011 . « Du pain et des jeux », 5 mois avec le Collectif OKUP, Laboratoire de recherche ‘Nadine’ Bruxelles - Belgique. Exposition rétrospective au Hall des Chars/Strasbourg . 2010 . Résidence EzaOkup avec le Collectif OKUP, « La machine néolibérale » - Kinshasa (RDCongo) Soutiens de Fondation Sparck/DRAC Alsace/Ville de Strasbourg/WBI Exposition au Syndicat Potentiel/Strasbourg, . 2009 . Red Light District, projet par Droog Design, AtelierTed Noten - Amsterdam . « Brusselwood » avec le Collectif OKUP, à l’INSAS, Nuit Blanche 2009 de Bruxelles

. 2008 « Polygone », avec le Collectif OKUP, commissaire Svetlana Mladenov Sur une demande du Musée d’Art Contemporain de Vojvodine/ Novi Sad (Serbie)

CONFERENCES

. 2012 . « When intimacy is shown publicly », Symposium Zimmerhof - Bad Rappenau

. 2011 . « Un peu de terre sur la peau présentation », Musée des Arts Décoratifs - Paris

PRIX

. 2009 . Grand Prix de la Création de la Ville de Paris . Mention Spéciale, Precioza Young, Le Arti Orafe - Florence - Italie . 2007 . 2 ème Prix du concours international Arsornata (symposium) « Inside Out », Manchester

COLLECTIONS PUBLIQUES

. 2013 Musée Grobet Labadié, collection mode, conservateur Nicolas Halot - Marseille

. 2012 Cominelli Foundation Permanent Collection, commissaire Rita Marcangelo - Salo – Italie

Carole Deltenre14 rue des tisserands, 67201 Eckbolsheim06 66 87 08 42, [email protected]

www.lasemencerie.org