Carnet de voyage annexe 2

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Les carnets de l’ordinaire extraordinaire Récit(s) de voyage d’un paysagiste en Asie Illat-Pibouleau Benjamin

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Les carnetsde l’ordinaire extraordinaire

Récit(s) de voyage d’un paysagiste en Asie

Illat-Pibouleau Benjamin

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A ma famille,mes amis,mes muses,et mes feutres

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- Ecrire, c’est essayer de s’en souvenir -

- Partir, c’est déjà apprendre -

Partir... Ça nous est un peu tombé dessus, comme ça, sans prévenir.Je me souviens : on était au mois de février, il faisait gris, froid et pluvieux, comme tout l’hiver à Bordeaux. Et puis comme ça, mi par défi, mi par envie, on s’est inscrit avec Etienne pour un work-shop parrainé par le Pays Barval, à Sakon Nakhon, en Thailande. Dix jours de réflexions, d’interrogations et de projets en partenariat avec une Université d’Architecture et de Paysage locale, sur un territoire inconnu.C’est, je crois, de ces quelques jours au loin que notre engagement prend ses racines. Ce qui nous attend, là-bas, va profondément, et durablement, nous changer.“Là-bas”: le Larousse définit ce mot comme “un lieu situé plus loin”. Loin, certes, mais aussi et surtout tellement différent de notre “ici”...

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Les bienfaits de ce work-shop sont évidents, nous donnant l’opportunité d’apprendre et de comprendre des systèmes paysagers complètement inconnus. Et puis c’est pour nous aussi l’occasion de travailler avec des étudiants thaïlandais et de confronter nos connaissances et savoir-faire.Mais dix jours, ce n’est pas assez pour compredre, analyser, décortiquer un territoire si différent. Les projets proposés, si ils sont l’émanation du frottement constructif de nos deux cultures, survolent les problématiques et n’ont pas pu saisir les vrais désirs des habitants. C’est donc heureux, fatigués, mais un peu frustrés que nous rentrons chez nous. Et puis... à force d’en parler, une idée se fait jour entre Etienne et moi. Pourquoi ne pas y retourner? Pourquoi ne pas saisir l’opportunité de notre diplôme pour tenter d’aller faire “là bas” l’expérience de la participation dont on nous parle tant à l’école? Cette idée, on va la pousser, la développer, sur plusieurs mois, pour finalement la concrétiser avec la création de notre association. Cette association, nous la voulons comme un support de réflexion pour notre diplôme, un moyen plus qu’une fin en soi. C’est aussi une manière de fédérer des personnes autour de nous, des spécialistes de toutes les branches et corps de métier, désireux comme nous de réaliser des démarches paysagères qui essayent d’aller dans le bon sens, en tous cas dans celui des habitants.Et puis entre temps, tombe également la nouvelle de l’acceptation de notre dossier pour le Vietnam. Nous passerons donc six mois à Hanoi, pour finir notre cursus universitaire, avant de pouvoir repartir à Sakon Nakhon réaliser notre diplôme.Un long voyage nous attend, donc...Les pages qui suivent se veulent avant tout un complément à la lecture de notre diplôme commun. Elles sont la retranscription de notes prises sur place et de croquis réalisés sur le vif. Elles seront parfois maladroites, souvent personnelles, en tous cas éclairantes sur notre démarche. Ce sont mes réflexions, pensées et interrogations sur des paysages qui m’ont surpris, des attitudes qui m’ont amusé, ou des pratiques que j’ai trouvé exemplaires.Vous raconter trois mois d’une aventure paysagère participtive que nous avons voulu unique, c’est essayer de vous faire partager le quotidien de notre démarche, avec ses joies, ses réussites et ses petites victoires.C’est aussi vous raconter ses ratés et ses maladresses et ce, dans une volonté d’honnêteté et de transparence.Si partir c’est déjà apprendre, écrire c’est essayer de s’en souvenir : voilà à quoi aura été utile ce petit carnet de bord.Une aventure avant tout humaine donc, dans laquelle nous sommes allés à la rencontre des habitants de cette petite province du Nord-Est de la Thaïlande : ces gens qui construisent le paysage, le vivent et que nous avons essayé de comprendre, de l’intérieur.

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6Les carnets de l’ordinaire extraordinaire

Quelques mois avant la Thailande....................p.8Six mois au Vietnam, ça forge...................................p.10Green Vietnam, y’a comme une AMAP à Hanoi.......................p.12L’orphelinat, autosuffisance alimentaire thérapeutique...........p.14L’île du fleuve rouge, agriculture et nudisme à Hanoi............p.16

En attendant Sakon Nakhon...........................p.18Bangkok, je t’aime autant que je te déteste....................p.20Le projet Tyin, ça partait pourtant d’une bonne intention.......p.22Le téléphone, outil de mésentente cordiale.....................p.24Petite parenthèse, speed-boat pour Koh Samed....................p.26Here we go, bus de nuit pour Sakon Nakhon......................p.27

Un mois en ville............................................p.28L’arrivée, les touristes de Sakon Nakhon........................p.30Premiers pas dans les villages, definitely something went wrong.....p.32Participation à la pagaie, le petit bistrot du coin de la rue........p.34Arrivée de Nicolas, Bouddha est parmi nous.......................p.36La journée au musée, the way to the Dharma......................p.37Ca va être dur, spleen et idéal.................................p.38Eve, elle impose son style......................................p.39Le Songkran, the legend of the biggest watergun ever seen........p.40Dans la pépinière, en famille...................................p.42Ventiane, comme un parfum suranné...............................p.44De la ville au fleuve, “ Azy on va touch’ le mék’! ”..............p.46A la bien, l’écolodge de Barnaby................................p.48Landscape avengers, bon, c’est quoi le plan?.....................p.50

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Deux mois dans un village............................p.58Welcome home, l’emménagement...................................p.54Donc ça marche comme ça en fait, au marché avec Paa Tik.........p.56Quand on arrive en ville, des rencontres qui font une vie........p.58Ainsi parlait Jwu, on touche un truc du doigt là................p.60A fond les ballons, qui veut un appareil-photo?.................p.62“My path is long and easy, but yours is short and complicated”....p.64Comme un américain à Ban Paen...................................p.66Prise de conscience, short-timing..............................p.68Une journée avec Kasemchai, les limites de la patience et du reniement de soi...............................................p.70Au sanatorium, comme une envie de vomir acide....................p.72Avec Kasemchai, pour de vrai....................................p.74Le Big C, comme un air de déjà-vu...............................p.76La vie au village, l’histoire des coconuts......................p.78Dernier tour de bécane, eat the road, Jack.......................p.80C’est la fête, au village des fantômes..........................p.82Au revoir joli lac, maintenant on va voir la Thailande...........p.84

Un petit tour en Thailande............................p.86In Koh Chang, we are young forever..............................p.88Le projet de Jwu, allier tourisme et équité.....................p.90La guerre du bath, industrialisation du tourisme pour back-packers..................................................p.92Suit up, rendez-vous professionnels à Bangkok....................p.94A table avec Jah, “when I argue I see shapes”...................p.96With me, nobody never died in the jungle........................p.97Khao Sok, l’écotourisme, le vrai................................p.98Toujours aller à l’opposé, le resort fantôme hanté.............p.100Une ferme aquacole à Koh Tao...................................p.102Bangkok to reality, la chiffonnière du pilier du pont............p.104Quand rien ne retient, c’est qu’il faut partir.................p.106

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Thaïlande

Cambodge

Malaisie

Vietnam

LaosBirmanie

Chine

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9Quelques mois avant la Thailande

Quelques mois avant la Thaïlande

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10Quelques mois avant la Thailande

- Six mois au Vietnam -

- Ça forge, Ça forge -On commence notre découverte de l’Asie du Sud-est par six mois au Vietnam. Plus précisément à Hanoï, au sein de la Hanoï Architectural University. Nous sommes ici pour finaliser notre cursus d’études et sommes intégrés à une promotion de jeunes vietnamiens, parlant pour la plupart le français.Ce sera pour nous une véritable chance que de rencontrer toutes ces personnes. Devenus des amis pour certains, ils nous feront découvrir leur Vietnam, ses coutumes, ses traditions, mais aussi cet élan de la jeunesse là-bas qui, si elle a des envies de modernisme et d’Occident, n’en oublie pas ses racines et son patrimoine culturel. Apprenant à cuisiner à leurs côtés (notamment les fameux nems!), visitant la région ensemble ou simplement en confrontant nos différences, ce sera pour nous l’occasion de voir un pays de l’intérieur, et non comme des touristes de passage.

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11Quelques mois avant la Thailande

Enivrante, entêtante, épuisante, il n’y a, en fait pas vraiment de qualificatifs pour décrire la mégalopole vietnamienne. La ville “au-delà du fleuve” (du vietnamien Hà Nôi), forte de 3 millions d’habitants (chiffres officiels, bien entendu..) est une des capitales les plus denses au monde.Tout va très vite, sent très fort et étourdit les occidentaux que nous sommes. Ici, la moto est reine : traverser la route relève ainsi de l’exploit sportif, en tous cas d’un courage absolu.C’est un peu une claque que nous nous prenons lorsque nous posons nos bagages dans un petit hôtel du centre-ville. Rien n’est pareil, tout est différent... Mais il va falloir s’y habituer!Pays communiste, parmi les derniers au monde, la présence du parti se fait sentir partout. Couvre-feu de minuit, militaires à toutes les intersections, et une propagande qui s’affiche en grand dans les avenues bondées de la ville. La momie de l’oncle Ho veille sur le peuple, depuis sa sépulture de verre...Mais Hanoï, c’est aussi une capitale village. Pour nous, habitués à nos villes strictes et bien proprettes, c’est un peu le choc. Le moindre espace est utilisé pour la production. Installés dans le vieux quartier de la ville, nous serons surpris de constater que notre voisine élève des cochons sur le trottoir ou que le parking d’à côté est en fait un vaste poulailler. Le voisin d’en face, lui, fait dans le combat de coqs, et c’est aux hurlements des entraînements que nous nous réveillerons pendant six mois. Et puis les arbres sont ici pour la plupart des fruitiers. Quand on observe les cerisiers sans fruits des quais de Bordeaux, on se dit parfois que l’on marche un peu sur la tête chez nous...Car ici, la ville produit. Des bêtes, des herbes, des légumes,... en fait tout ce qu’il est possible de faire, et ce sur le moindre espace disponible.Mais Hanoi, c’est surtout cette “culture-trottoir”. L’espace public est vivant, rythmé, habité. Là encore, chaque petit bout de bitume ou renfoncement du bâti est utilisé pour installer un petit troquet, une petite cuisine, ou ces fameux bia-hoi, les brasseries typiques de la capitale. On s’y assoit sur de petits tabourets de plastique, et on mange sur le pouce une des spécialités culinaires de la si riche gastronomie vietnamienne.Et puis l’école nous laissant un peu de temps libre (quand même!) c’est l’occasion pour nous d’aller arpenter les alentours sur nos fidèles motorbikes. Déjà dans la visée de notre diplôme, ce sera pour nous l’occasion de nous forger un regard, un avis, sur cette culture vietnamienne qui, bien que différente de la Thailande, en est toute autant déroutante.Les exemples qui suivent sont, après tri et sélection, ce que nous avons retenu de ces quelques expériences au Vietnam. Une manière de nous forger un regard, donc, mais aussi une sorte de glossaire, un recueil d’initiatives qui nous ont marqués, et qui peut-être nous seront utiles pour la suite de notre travail...

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12Quelques mois avant la Thailande

C’est à Hanoï, quelques jours après notre arrivée, que nous rencontrons par hasard Pierrot, 40 ans, qui ne possède plus vraiment toutes ses dents. Ce Français, grand conteur d’histoires et back-packer dans l’âme, est installé ici depuis 16 ans. Outre quelques bons plans culinaires, il nous parle de son travail dans l’association «Green Vietnam» pour laquelle il est engagé depuis plusieurs années. L’homme a piqué notre curiosité et nous décidons de le suivre quelques jours sur place, histoire d’observer de visu ce qu’il nous raconte avec tant de verve.

C’est en 2007 que Quang, un Vietnamien qui a beaucoup voyagé, retourne dans sa province natale de Tuyen Quang, pour fonder une ferme durable qui préserve l’environnement et soutient les petits producteurs locaux. Son but est ici d’essayer d’améliorer les conditions de vie de ces populations des montagnes qui ont beaucoup souffert de la “révolution culturelle” à la vietnamienne. Pérenniser les savoirs agricoles ancestraux et préserver la terre nourricière, voilà ses deux credos.Le siège de production de l’association est situé à 170 Km de la capitale Vietnamienne, autant dire que plusieurs heures de motobike sont nécessaires pour y accéder. Le cadre est à couper le souffle : des rizières à flanc de colline, des vergers, des bungalows qui accueillent des «agro-touristes», souvent des jeunes étrangers qui viennent quelques semaines travailler aux côtés des agriculteurs. 55 Ha, une dizaine de familles vietnamiennes et une centaine de travailleurs, amis et bénévoles, produisent des engrais verts, des plantes médicinales et des fruits ancestraux dans un système de cultures associées. Après quelques jours de travail, et comme deux fois par semaine, une petite équipe, conduite ce jour-là par Pierrot, charge la camionnette qui part livrer la production aux adhérents, à Hanoi. C’est une vraie AMAP! Les agriculteurs ont ainsi la garantie d’un partage équitable des revenus grâce au système associatif, et les acheteurs à Hanoï ont l’assurance de produits sains et bio. Mais les difficultés dûes aux aléas de production sont tout de même nombreuses et la rentabilité de l’organisation est néanmoins soutenue par les subventions de l’Etat et de l’Ambassade de France. Des voyageurs comme nous viennent ici, pour un temps, partager le quotidien des travailleurs Vietnamiens. Le logement dans l’écolodge de maisons traditionnelles et la nourriture sont gratuits en échange du travail fourni dans les champs.

- Green Vietnam, y a comme une AMAP à Hanoï-

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13Quelques mois avant la Thailande

PSFA VU

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14Quelques mois avant la Thailande

Ça nous est tombé dessus comme ça, sans prévenir. On avait rendez-vous avec le trio infernal, Dao, Thanh et Ha, trois copines étudiantes comme nous à l’Université d’Architecture d’Hanoï. On était censés manger un Bun-bô ensemble. Censés, car encore une fois, nous n’avions rien compris. Nous voilà donc embarqués pour aller fêter l’anniversaire de petits orphelins avec l’association qu’elles ont créée. Tous les mois, c’est une véritable petite boum qu’elles organisent, avec gâteaux, cadeaux, et karaoké. Les anniversaires des trente derniers jours sont ainsi mis à l’honneur. Et ce soir, les guest-stars, c’est nous! On n’en mène pas large devant la porte qui nous sépare des enfants. La soirée se révèlera finalement magique en émotions, rires et partages. Mathieu, Etienne, et moi-même chanteront même un “joyeux anniversaire” en français de notre plus jolie voix. Après cette soirée, on se dit qu’on ferait bien quelque chose pour les aider. On reviendra finalement plusieurs fois, notamment de jour, pour explorer avec eux le potager qu’ils ont mis en place, et partager quelques bons moments.Situé dans la périphérie de Hanoi, ce village d’enfants orphelins, tous victimes génétiques de l’agent orange déversé durant la guerre du Vietnam. L’agent orange vous connaissez? De son joli nom le 2,4,5-trichlorophénol, c’est l’herbicide le plus utilisé par l’armée américaine. Il a servi à défolier la jungle (afin d’empêcher la guérilla vietnamienne de se cacher), à protéger les installations militaires et à détruire les récoltes ennemies. L’agent orange, c’est 83 millions de litres déversés sur 1,68 million d’hectares, désormais contaminés. Les effets n’apparaissent pas sur la première génération, mais on estime que ses effets nocifs pourraient se faire sentir sur encore plus de dix générations... Mais revenons à notre petit village. Créé par un vétéran américain, il regroupe presque 200 enfants et adolescents, pour la plupart abandonnés par leurs parents. L’espace s’organise autour d’un petit parc d’agrément assez inutile, et d’un terrain de foot, où vos fidèles serviteurs ont sévérement mouillé le maillot. Ici, le moindre espace libre est planté d’un potager ou de fruitiers, recouvert d’une serre, ou carrement utilisé comme poulailler. Des ateliers, encadrés par les jardiniers, permettent aux enfants de planter, regarder pousser, ramasser, et puis bien sûr, cuisiner...et manger! (vous avez dit jardin thérapeutique?) Le centre est ainsi en totale autonomie sur sa production de fruits et légumes, et les enfants mangent des aliments sains,... et produits par eux-mêmes! Il existe de nombreux autres centres comme celui-ci, mais rares sont ceux qui ont eu la chance de pouvoir développer ce genre d’activité...

- L’orphelinat, autosuffisance alimentaire thérapeutique -

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15Quelques mois avant la Thailande

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16Quelques mois avant la Thailande

Tam a un truc à nous montrer aujourd’hui. Ça se voit dans ses yeux. C’est un copain qu’on s’est fait à l’école et il a vraiment à coeur de nous faire visiter les moindres recoins de la capitale vietnamienne. Il fait une chaleur à mourir en cette fin août, et il nous propose aujourd’hui d’aller nous baigner dans le fleuve rouge. On hésite un peu : pas dit que ce soit le fleuve le plus propre du monde... et puis il y aurait presqu’un peu de courant. Mais la chaleur et les moqueries de Tam quant à notre courage auront finalement raison de notre prudence. C’est donc sur l’île agricole d’Hanoï que nous nous rendons sur nos fidéles destriers. Et on ne s’attendait pas vraiment à voir ça. Si l’on gare sa moto au pied du pont Long Bien et que l’on se risque à sa traversée à pied, un petit escalier mène sur l’île de Bäi Giù A. Les crues fréquentes du fleuve rouge ont protégé ces terres de l’appétit vorace des promoteurs immobiliers et ont permis de maintenir ici une polyculture d’une incroyable richesse. A moins d’un kilomètre de l’hyper-centre d’Hanoï, on pratique ici culture associée, intensification écologique et compostage biologique, produisant fruits et légumes variés, vendus directement sur le marché attenant. Ça donne à réfléchir, à l’heure des grands débats sur cette fameuse “agriculture urbaine” : on a ici, l’exemple probant que ca marche! Pour l’anecdote, l’île est aussi un repaire de naturistes: la cohabitation des deux, pour le moins déconcertante, se passe pourtant sans aucun problème...

-L’île du fleuve rouge, agriculture et nudisme à Hanoï-

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17Quelques mois avant la Thailande

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Thaïlande

Cambodge

Malaisie

Vietnam

LaosBirmanie

Chine

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19En attendant Sakon Nakhon

En attendant Sakon Nakhon

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20En attendant Sakon Nakhon

Laissant ma famille, mes amis, et une sacrée jolie fille derrière moi, je débarque donc à Bangkok par une chaude journée de la fin Mars.Son nom entier? « Ville des anges, grande ville, résidence du Bouddha d’émeraude, ville imprenable du dieu Indra, grande capitale du monde ciselée de neuf pierres précieuses, ville heureuse, généreuse dans l’énorme Palais Royal pareil à la demeure céleste, règne du dieu réincarné, ville dédiée à Indra et construite par Vishnukarn ».... Entre nous, on l’appellera Bangkok, si vous le permettez.

- Bangkok, je t’aime autant que je te déteste -

- My life on a roof-top -

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21En attendant Sakon Nakhon

On estime qu’il y vit entre 8 (chiffre offciel) à 18 (chiffre officieux) millions d’habitants. Le grand écart, en somme.C’est un peu la ville de la démesure, Bangkok. La première fois, on est toujours un peu décontenancé par une ville de cette ampleur. Quelle que soit l’image que vous pouvez avoir en tête avant d’arriver dans cette capitale, elle sera forcément fausse.Venant de Hanoï, on s’attend un peu à la même chose : une ville grouillante mais encore un peu fermière. Une ville belle, mais encore en construction. Il n’en est rien. Bangkok, c’est déjà une ville du futur, et elle a déjà amorcé un pas vers l’avant.Bangkok, c’est riche et c’est pauvre. C’est grand et c’est petit.C’est moche et c’est magnifique. Ça sent bon et ça sent mauvais.Et puis Bangkok, c’est avant tout une pieuvre. Tentaculaire, géante, monstrueuse, et à la fois organique et douce.Rares sont les villes que l’on sent à ce point “vivantes”, au sens premier du terme. Bangkok est un organisme vivant, vraiment.Son coeur est à Mochit, son estomac à Chakuchak et ses veines sont les artères (souvent bouchées) qui parcourent son corps. Oui, car Bangkok a un peu de cholesterol..Mais je m’enflamme un peu, là. Bangkok, la “Los Angeles” de l’Asie, me laisse un peu perplexe. Cela fait quatre fois que je viens ici et je n’ai toujours aucun repère, ou si peu. On se fait toujours promener par des taxis ou des bateaux sur le Chao Praya. On fait bien semblant de savoir où l’on va, mais en fait, on est toujours un peu perdus!D’apparence seulement, tout se ressemble : de grandes avenues ponctuées de grands immeubles de prestige, des autoroutes urbaines infranchissables et ses taxis multicolores, roses, jaunes, violets ou oranges fluos.On décide d’aller boire un verre au Banyan Tree, un hôtel super luxueux qui dispose de la terrasse la plus haute de la ville. La terrasse a servi de décor pour de nombreux films et est plutôt réputée pour sa vue.Et effectivement, le spectacle vu d’en haut est somptueux. Un horizon de sky-scrappers, des voitures, partout, des gens qui marchent, pressés. Ça grouille, c’est vivant, une vraie fourmillière, quoi.Le soleil se couche, on l’apercoit entre deux buildings. Les façades rougissent, pour un temps. Et puis les lumières artificielles s’allument, à droite, à gauche.Bangkok, c’est aussi la ville qui ne dort jamais, qui ne s’éteint pas. Il n’y a pas de bouton OFF et pas de pauses. Cette ville a son propre rythme. On l’aime ou on ne l’aime pas, on s’y fait ou pas (ou plutôt, on le supporte ou pas). Bangkok est un peu schizophrène, aussi.Une partie de vous l’adorera, une autre ne la supportera pas.Pour ma part, j’ai fait mon choix.Bangkok, je t’aime autant que je te déteste.

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22En attendant Sakon Nakhon

- Le projet Tyin, ça partait pourtant d’une bonne intention... -Bruits, klaxons, gaz d’échappement, c’est à la Mochit Station de Bangkok que nous retrouvons Mathieu. Etudiant de Bordeaux, il est, comme nous, tombé un peu amoureux de la Thaïlande. Etudiant en Architecture à Bordeaux, dans la même école que nous, il termine une année ici. Nous l’avons rencontré lors du premier work-shop, où il était en train d’effectuer son année d’échange avec la Kasetsart University de Bangkok. Il nous emmène sur son site de mémoire, un bidon-ville de la périphérie de Bangkok. Il y a là-bas un exemple qu’il veut absolument partager avec nous, avant que l’on parte sur Sakon Nakhon...

Le projet date de 2010. Les maîtres d’oeuvre, TYIN Architecture, se sont installés sur site pendant deux mois, pour réaliser une aire de jeux pour enfants, en concertation avec la population locale. En partenariat avec une association locale, ils ont monté des ateliers de participation, impliquant la population au dessin du projet, et ont réalisé les travaux avec des habitants.Cela fait rêver sur le papier, et ce n’est pas si éloigné de ce que l’on comtpe faire à Sakon Nakhon...Ce projet n’aura malheureusement eu une espérance de vie que de quelques semaines. En effet la valeur des matériaux du projet, (les luminaires, le métal, le bois,..) a dépassé la valeur sociale de ce projet, réalisé pour des enfants. Aujourd’hui très âbimé et pillé, celui-ci est tombé en désuétude. Tout le monde y a cru. Le projet a même été primé après sa réalisation! Et pourtant, aujourd’hui, il n’en reste plus que les traces. Nous attendant à tomber sur une belle réussite, nous n’avons pu que constater l’étendue des dégradations. Mon but ici n’est pas d’établir une critique de cette initiative, et encore moins de la démarche et de l’engagement des personnes qui y ont participé. Le constat que nous en tirons est que, malgré une démarche exemplaire, la maîtrise du projet peut nous dépasser, et qu’il ne faut pas négliger le programme. Ce dernier doit être pris en compte dès la phase de conception. De plus, ce projet pose la question du suivi : une telle initiative a besoin d’un temps certain pour s’inscrire dans les habitudes des gens et être ainsi respecté. Mais ce n’est pas un échec total. La méthode a permis de donner l’opportunité aux habitants de réfléchir ensemble à l’aménagement de leurs lieux de vie, ainsi qu’à des étudiants et professionnels de participer à un projet où les échanges ont certainement étaient bénéfiques pour tous les participants. Un échec de forme et de fonctionnement, mais une belle démarche de fond, malgré tout..

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23En attendant Sakon Nakhon

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24En attendant Sakon Nakhon

C’est une belle invention le téléphone portable.On l’a dans la poche et quelque part, c’est le monde entier que l’on y met.Ses amis, ses contacts, son Facebook, son Skype, son Myspace, son Instagram...Tout devient disponible, pour tout le monde et tout le temps.Et nous devenons, du coup, disponibles pour tout le monde, tout le temps.On n’a plus d’excuses désormais. Plus de “j’ai oublié notre rendez-vous” ou de “je ne savais pas”. On est notifié en permanence de l’activité de ses proches, et inversement.Je sais, depuis Bangkok, que Jean a mangé une tarte aux pommes en France ce midi, et qu’elle avait l’air sacrément bonne. Et j’en suis foncièrement content...Mais ça reste pour nous un sacré bon moyen de communication avec nos amis thaïlandais. Et ils font dans ce que l’on appelle “l’hyper connection”.

- Outil de mésentente cordiale -

- Le téléphone -

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25En attendant Sakon Nakhon

Cela nous a permis d’entretenir une relation qu’il aurait été difficile de maintenir sans cet outil simple de mise en relation, qu’est Facebook par exemple.Mais le système a ses failles.On s’y attendait, on l’appréhendait et, entre nous, on aurait été déçus que ce soit trop facile... On essuie quelques problèmes de communication avec nos copains thaïlandais. Nous pensions nos mails, textos, messages facebook, twitter et autres pigeons voyageurs, envoyés depuis la France pour préparer notre arrivée ici, efficaces et clairs... En fait non, et ça complique un peu les choses.On se rend compte en fait que notre anglais est à peu près aussi mauvais (si ce n’est pire..) que le leur. Et puis, un écran d’ordinateur ou de téléphone, ça ne vaut pas un contact les yeux dans les yeux ou une main serrée.Nous nous retrouvons donc, à trois jours de partir pour Sakon Nakhon, sans nos deux soutiens les plus précieux, que sont Eve et Neung, deux étudiants thais rencontrés lors de notre dernière venue ici, et qui nous avaient assurés de leur aide.Eve, tout juste diplômée de la Kasetsart University de Bangkok en Architecture du Paysage, part pour deux semaines à Krabi (un endroit somptueux que l’on ne découvrira que bien plus tard) pour ... justement fêter son diplôme! On a un peu de mal à lui en vouloir : elle fait la fête avec ses amis proches, avant que chacun ne se sépare aux quatre coins de la Thaïlande.Pour Neung, c’est un peu plus compliqué.. Etudiant à la Kasetsart University de Bangkok lui aussi, mais dans la filière architecture, ses professeurs lui demandent un complément, afin de pouvoir valider son diplôme d’architecte.. Ce qui lui donne deux semaines de “charrette” intensive, et le rend indisponible pour monter avec nous à Sakon. Nous lui proposons évidemment notre aide, mais il s’agit de réécrire son mémoire, et nos capacités limitées pour rédiger en langue thaï lui font dire qu’il n’a pas vraiment besoin de nous...!Au téléphone, il s’étonne néanmoins que nous voulions rester aussi longtemps sur place. Il pensait que nous étions là seulement pour quelques semaines, trois tout au plus.. Là encore, nous pensions avoir été clairs sur nos intentions.Nous prennons conscience qu’en fait, nous n’avons jamais vraiment pris le temps de leur expliquer notre démarche, ce que nous voulions faire là-bas, et pourquoi. Et ce sentiment se renforcera au fil des semaines qui suivront.La communication, c’est un peu notre gros défaut. On est tellement persuadés de notre démarche et de notre méthode, que l’on pense que cela coule de source, pour tout le monde.Communiquer, expliquer, voilà deux choses sur lesquelles il va falloir que l’on travaille sérieusement si on veut arriver à nos fins ici.

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26En attendant Sakon Nakhon

Quittant Paris, sa grisaille et son froid de canard, et sachant nos amis thaïs occupés avec leur diplôme, nous nous autorisons deux jours de farniente sur une île à 3 h de Bangkok.Koh Samed est une toute petite île au Nord-Est de Bangkok, méconnue des touristes, qui préférent tous aller à Pattaya, le Las Vegas de la Thailande.Un climat étonnamment sec y a créé un environnement presque méditerranéen. Sa situation géographique, entre deux pôles touristiques d’envergure que sont Pattaya et Koh Chang, a finalement préservé ce petit ilôt du tourisme de masse.Nous y avons déjà fêté Noël et c’est d’un plaisir non feint que nous y retournons. On a nos habitudes dans un petit hôtel, ou plutôt ce que l’on pourrait appeler une “bungalow accomodation” : Nuan Kitchen, du nom de la minuscule baie qui l’abrite, et de la cuisine extraordinaire qui y est préparée.Trente mètres de plage à peine et huit bungalows éparpillés dans la jungle. Une attention particulière a été portée à leur implantation. On n’a pas touché au sol en place et ils semblent simplement posés ici pour un temps, s’adaptant au relief pourtant accidenté et respectant la végétation, pourtant sacrément dense.On resterait bien là, mais on nous attend quelque part au Nord...

- Speed-boat pour Koh Samed -

- Petite parenthèse -

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27En attendant Sakon Nakhon

Quai de la Mochit Station. Bangkok.Ça y est, c’est le grand départ pour Sakon Nakhon. On a opté pour un bus de nuit. Ce n’est pas le plus confortable, mais cela nous évite une nuit d’hotel.Et puis, avec un peu de chance, on arrivera peut-être à dormir.Je prends soudainement conscience que ça y est, boom, on y est vraiment.Cela fait maintenant plus d’un an que l’on est sur ce projet. Un an à travailler, prévoir, planifier, théoriser...On a imaginé tellement de choses, préparé tellement de scénarios dans nos têtes.Ne reste maintenant plus qu’à appliquer sur le terrain! Et ça fait un peu peur, là tout de suite.Un peu comme un funambulisteUn peu comme un acteur avant d’entrer en scène.Et puis sans thaïs avec nous, le stress commence vraiment à monter.Comment va-t-on communiquer sur place? Comment va-t-on aborder les gens? Trouver notre maison pour trois mois?Heureusement on est une équipe. On compte les uns sur les autres, et il y en a toujours un pour remotiver les autres.Le mot d’ordre du jour : ça va le faire!

- Here we go -

- Bus de nuit pour Sakon Nakhon -

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Thaïlande

Cambodge

Malaisie

Vietnam

LaosBirmanie

Chine

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29Un mois en ville

Un mois en ville

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30Un mois en ville

On arrive à Sakon Nakhon à 6h du matin et il fait déjà chaud, très chaud.Et ça fait bizarre d’être ici, vraiment bizarre. Ça y est, on y est, ce n’est plus le moment de reculer. Nous ne connaissons personne, et c’est donc avec nos trois mots de thaïlandais qu’il va falloir composer :#bonjour! / #merci! / #merci du fond du coeur! / #c’est très bon! #sawadee krap! / #krapumkrap! / #cocoontak chaï! / #aloï maaa! / (Je précise que l’orthographe est évidemment fausse.. mais la phonétique nous permettra de retenir facilement et sûrement des tournures de phrases thailandaises...)Ca fait sourire les gens à qui l’on dit ces mots, mais ca deviendra plus compliqué lorsqu’il s’agira d’expliquer que l’on vient de France, et que l’on est là dans le cadre de notre diplôme pour une expérience participative d’aménagement territorial...

- Les touristes de Sakon Nakhon -

- L’arrivée -

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31Un mois en ville

Ce n’est pas bien grave, on en a vu d’autres. Rock’n’roll !On attrape un taxi moto chacun, et on file vers le centre par la voie rapide, avec nos gros sacs sur le dos, et des plans de la région qui battent le vent.Le seul repère que l’on a encore en tête, c’est le temple principal de la ville, le Wat Phra Chum Cheng, et c’est là que l’on se retrouve, un tas immense de bagages à nos pieds et dégoulinants de sueur.On décide de poser nos affaires dans un petit troquet qui fait l’angle, juste en face du temple, le temps de décider ce que l’on fait.La petite famille qui fait tourner le business prend là son petit déjeuner et partage avec nous son café.Nous leur demandons un hôtel, aidés par notre précieux petit guide linguistique francais/thaï. On articule chaque mot, chaque syllabe, avec sans doute un air un peu demeuré.Ils éclatent de rire, mais ne comprennent pas ce que l’on veut.Bon... ça va être chaud! Il n y a pas ici, ce que l’on appellerait chez nous, un Office de Tourisme.Pas de bureau de renseignements pour les touristes. Pas de loueur de scooters, pas de plans de la ville disponibles... Partout ailleurs en Thaïlande, ou presque, on est harcelés, dès la sortie du bus, par des gens qui vous proposent tous les services du monde (un taxi, une manucure, un hôtel ou à manger).Rien de tout ça ici! Tout le monde a l’air de se moquer gentiment de nous. C’est à la fois extrêmement agréable, mais très peu pratique, là tout de suite.Nous finissons quand même par sympathiser avec le gérant du petit magasin d’électronique, juste en face du café. Cela doit faire une heure ou deux qu’il nous voit galérer et s’escrimer à parler aux gens, et quelque part, je crois qu’il nous prend un peu en pitié. Il parle relativement bien anglais, et nous propose de nous aider dans nos recherches d’hébergement.Aussitôt dit, aussitôt fait, il ferme boutique, met nos sacs dans son coffre, et nous emmène à un premier hôtel, où une fois, parait-il, il a déjà vu des back-packers s’installer.La chambre est effectivement peu chère, mais la propreté est..comment dire... difficilement acceptable. On n’est pas très difficiles pourtant, mais passer les prochaines semaines dans ce trou à rats est absolument impensable. Un petit cafard qui grimpe sur la tong de Maeva finira par nous décider à quitter les lieux prestement.Nous repartons, et échouons finalement dans un petit motel du centre, un peu plus cher, mais vraiment propre et avec le wifi. C’est vraiment confortable, même si le style de la chambre emprunte beaucoup à l’architecture carcérale du début du siècle.On salue chaleureusement notre aide, sans qui nous serions encore au café à nous demander quoi faire. On se promet de se revoir très vite, et on souffle, enfin.

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32Un mois en ville

Nous avons enfin réussi à trouver des motos à louer pour pas trop cher. Le plan a été trouvé par l’ami d’un ami de notre ami du magasin électronique (on se dit que l’on commence à lui devoir beaucoup...). Le type fait un peu mafieux, avec ses verres bleus fumés, ses bagues et ses colliers énormes avec des pendentifs de Bouddha. Après un petit entretien d’usage devant le temple, il nous emmène dans sa grosse mercedes chez lui pour récupérer les scooters. Nous sommes accueillis par sa femme, qui, après nous avoir servi un thé, prend les choses en main. C’est clairement elle qui “porte la culotte” et notre loueur perd un peu de sa superbe et fait, du coup, beaucoup moins mafieux. Demande de garanties, appels à Eggarin pour s’assurer de notre identité, caution,... Bref : louer une moto n’est vraiment pas si simple ici!

- Definitely, something went wrong -

- Premiers pas dans les villages -

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33Un mois en ville

Mais ça y est, on est équipés, et donc indépendants et on commence à arpenter le territoire autour de Sakon Nakhon.Arrive donc ce joli jour du dimanche de Pâques.Seul quelqu’un ayant déjà réveillé Etienne peut éprouver le plaisr que j’ai, ce matin-là, à le sortir du lit, qui plus est, pour le traîner à l’église!On se dit que ca peut être une bonne idée pour s’intégrer à la communauté, de Chum Cheng, ou du moins pour se présenter. On sait le village fervent, et puis, aller à l’église en Thaïlande, ça a un certain côté improbable qui nous fait bien rêver.Après deux heures à nous perdre dans les rizières, une panne d’essence (les stations sont rares dans les villages...), et une roue crevée réparée par un garagiste amateur surgi de nulle part, nous finissons par apercevoir le clocher au loin. C’est un peu un signal cette église. Un totem, un phare. Notre-Dame de Ronchamp des rizières, en somme.Nous arrivons donc à midi, clairement en retard pour l’office (ce qui ravit Etienne), dans un village désert. On pressent très vite que quelque chose ne va pas.La toiture de l’église est arrachée. Des tuiles traînent, éparses, dans le gazon. Le clocher est à moitié arraché et des bouts de tôles pendent, lamentablement.On entre, et là c’est un peu une scène d’apocalypse. Les trous dans le plafond éclairent des bancs désordonnés, parfois renversés, des missels qui traînent, humides comme des éponges, et l’autel a clairement servi d’atelier ou d’établi. Non, il n’y a pas eu d’office aujourd’hui, et ce depuis longtemps...La cabane communautaire sur laquelle on avait travaillé lors du dernier work shop est totalement effondrée. C’était une petite cahute de bois, auto-construite par les habitants, en surplomb du lac, qui venait s’enraciner sur le petit chemin qui longe l’église. Elle gît désormais sur les berges et semble à moitié engloutie par les jacinthes d’eau.On ne comprend pas et notre faible niveau de thaïlandais ne nous permet pas de communiquer avec les habitants pour comprendre ce qu’il s’est passé.Nous supposons un événement climatique, un ouragan ou une forte tempête.Ça fait bizarre, on était là il n’y a pas 4 mois et tout a changé.L’explication tombera avec l’arrivée de Eve. Le village de Chum Cheng, en contact direct avec le lac, a subi une tempête aussi violente que soudaine. Sans arbres protecteurs pour casser le vent, ce dernier est venu frapper l’église de plein fouet, arrachant toiture et clocher. Heureusement, les habitations ont été moins touchées, et , en dehors des dégâts matériels, aucune perte humaine n’est à déplorer.Nous ne serons pas allés à l’église aujourd’hui (sorry mum!), mais on a un peu pensé à Dieu, quand même.

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34Un mois en ville

Vaille que vaille, et malgré nos difficultés à communiquer, nous nous installons pour quelques jours à la terrasse du petit café, juste en face du Wat Phra That Chum Cheng.Ce petit bar offre une situation privilégiée, en plein centre ville, à l’angle de deux axes passants, peut-être les plus passants de la ville.Le café ne porte pas de nom.Quelques tables de béton disposées sur le trottoir, de l’ombre, et des boissons fraîches à disposition, on ne peut rêver mieux!Et puis la famille qui tient ce petit café est vraiment gentille. Ils ont vécu nos premières galères en arrivant à Sakon Nakhon et ils nous voient depuis, passer tous les jours devant chez eux.La mère s’attelle à la préparation de la fameuse salade de papaye, servie le midi, tandis que les filles s’attachent au service des rares clients qui s’arrêtent ici.Les plus jeunes, un peu turbulents, jouent au power rangers sur les quelques marches qui séparent le magasin de la rue, tandis que le père surveille nonchalemment, et bière en main, le petit barbecue de fortune où rôtissent poissons farcis et poulets marinés.On y est bien, dans ce petit bar des familles!

- Le petit bistrot du coin de la rue -

- Participation à la pagaie -

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35Un mois en ville

Nous sortons les stylos, les cartes, les calques et les quelques prospectus touristiques qu’on a réussi à glaner à l’hôtel. Et on commence à dessiner. Les gérants se demandent bien ce que l’on fait, et lorgnent nos gribouillages par dessus nos épaules, en souriant.C’est l’agence nomade toute première génération !On est là pour faire participer, et on s’y attelle, du mieux que l’on peut.La stratégie est simple : Une carte scotchée sur les carreaux de la table.Du calque, des feutres.Du coca, de l’eau fraîche et une bouilloire à côté pour les cafés.Deux qui restent à la table, et un qui se proméne autour pour glaner des “clients”.Nous essayons d’alpaguer les gens qui parlent un minimum l’anglais. Principalement des étudiants et des touristes, venus à la journée(et rarement de bien loin..) pour admirer le temple et s’y recueillir.Contre la promesse d’eau ou de café, la plupart acceptent de passer quelques minutes avec nous.Nous mettons même notre nouvel ami d’en face sur le coup, en lui demandant d’expliquer aux gens, et en thaï, ce que l’on cherche à faire.Les questions sont assez simples : D’où venez-vous? Où habitez-vous?Que faites-vous dans la vie?Où mangez-vous à Sakon Nakhon?Où faites-vous vos courses?Si vous deviez m’emmener quelque part, où serait-ce?Nous dessinons avec eux, au fur et à mesure de l’entretien, et nos premières “cartes des neurones” commencent à se matérialiser.Les premiers endroits stratégiques apparaissent, centrés autour du Big C, le centre commercial flambant neuf, pour faire les courses, ou faire du léche-vitrine, le temple, pour se recueillir et prier, et le parc de la reine, pour manger à midi, se balader en famille, ou se relaxer entre amis.On finit les entretiens avec une photo-portrait, qui est parfois refusée.Bref, l’agence nomade première génération c’est : Beaucoup de cafés bus.Des tremblements incontrôlés, pour le coup.Des kilos de poulet mangés.De la papaye épicée avalée, un sourire crispé sur lévres en feu.Des calques gribouillés.Des portraits.De belles rencontres.Une carte qui commence à ressembler à quelque chose.Et le sentiment d’avancer, malgrè tout.

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36Un mois en ville

Avec Etienne, ca fera bientôt un an qu’on a créé l’association.Dès le début, on s’est rendu compte de la nécessité de s’associer à d’autres. Et c’est vrai qu’on a très vite senti le besoin d’élargir notre cercle de travail, pour ne pas tourner en rond et surtout élargir nos perspectives.“A deux on est plus forts”... oui, mais “Plus on est de fous, plus on rit”, comme on dit.Il y a donc Maeva, l’architecte qui passe son diplôme avec nous et Nicolas, qui intervient dans le cadre de l’association. Notre professionnel de la photo est donc parmi nous, avec sa bonne humeur et sa grosse voix légendaire. Il nous a rejoints deux semaines après le début de notre aventure et c’est un vrai bonheur que de l’avoir parmi nous.On le briefe rapidement sur nos difficultés, sur ce qui marche et ce qui marche moins. Il nous insuffle une bonne énergie, nous conseille, nous reprend. Bref, ça nous bouscule, nous interroge, on en avait bien besoin!Bonne humeur, bons repas, bonne ambiance, l’équipe est au complet.

- Bouddha est parmi nous -

- Arrivée de Nicolas -

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37Un mois en ville

Aujourd’hui, on décide de passer la journée au musée, histoire de trouver les touristes... qu’on ne verra en fait jamais! Et puis on se dit que les guides doivent bien parler anglais. Hum.. je préfére ne pas commenter leur niveau, mais ces derniers n’ont clairement pas l’habitude de voir des étrangers.On se met donc à visiter le musée, accompagnés de notre guide.Dans une mise en scène plus que douteuse, alternant dinosaures en plastique, mannequins hideux et musiques assourdissantes, on nous explique en fait les origines de la province, du jurassique jusqu’à nos jours, et ce qui fait l’identité de la région.Ce que l’on en retient : des dinosaures, du riz et des moines. C’est un peu schématique, mais le message est là.Ces dinosaures nous poursuivront d ‘ailleurs tout le long de notre voyage ici : rond-points, aire d’autoroute, ils sont partout.Ce musée vide dégage une impression de tristesse et donne un peu le sentiment d’avoir été mal conçu ou du moins mal programmé. Il nous rappelle à tous l’importance de bien réfléchir aux usages et qu’un bon programme doit s’adapter aux usagers, et non l’inverse.

- The way to the Dharma -

- La journée au musée -

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38Un mois en ville

Le moral n’est pas au beau fixe.Nous touchons du doigt les limites de notre méthode. Les personnes interrogées sont toutes allées à l’école, ont eu la chance d’avoir une éducation. Ce sont soit des expatriés, soit des touristes de Bangkok ou d’ailleurs, qui ont les moyens de voyager.Nous n’avons aucun moyen de communiquer avec tout ce que la ville compte de travailleurs de rue, ouvriers du bâtiment ou de la marée-chaussée, petits vendeurs d’amulettes à la sauvette, ou restaurateurs de salades de papaye.Et pourtant, ce sont eux qui font vivre la ville, la construisent, la façonnent.A titre personnel, je commence à me rendre compte également, que presque 3 mois dans les villages, ça va être un peu une épreuve, en tous cas un sacerdoce.Soleil rouge, soleil vert, coeur au vent.

- Spleen et Idéal -

- Ca va être dur... -

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39Un mois en ville

- Elle impose son style -C’est difficile à dessiner une fille. Surtout quand elle est jolie. Son arrivée nous détend tous, et elle nous apaise de sa présence.On a une locale dans l’équipe! Et qui plus est, qui parle le thai ET le dialecte.Elle sait se faire respecter dans les villages. La position de femme est un peu particulière dans ces régions rurales et traditionnalistes. Mais à voir les chefs de village qui l’écoutent sans broncher, on se dit qu’elle sait ce qu’elle fait, et qu’elle ne se laisse pas démonter. Ce n’est pas toujours la position la plus évidente pour se faire entendre, mais Eve en impose et ne se laisse pas démonter.On déménage donc chez elle et cette perspective nous met en joie! On connaît bien sa famille et ça promet de beaux moments et beaucoup d’émotion pour les retrouvailles.Elle vient d’ici et elle impose son style, c’est tout!

- Eve -

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40Un mois en ville

- The legend of the biggest watergun ever seen -Plus qu’une célébration, le Nouvel An thaïlandais est une guerre. L’espérance de vie d’un vêtement sec y est d’environ 3 minutes, et encore, si on a la chance de ne pas avoir d’enfants comme voisins.Le principe? Une bataille d’eau géante qui dure trois jours, sans jamais s’arrêter. Tout est permis et tout le monde participe, de 7 à 77 ans.D’ailleurs, tout le monde, lors de ces trois jours, semble avoir 7 ans.Fait assez amusant, les thaïlandais n’ont pas de décompte, comme chez nous, où l’on se retrouve tous à minuit - dix secondes devant un écran ou une horloge pour égrener les derniers instants qui nous séparent de notre nouvelle année, si riche en promesses. Ici, la transition s’opére quelque part au milieu de ce week-end festif, sans moment précis marquant. Un passage à la nouvelle année en douceur...Nous déambulons donc en motos, ou à l’arrière du pick-up d’Eve, armés de pistolets à eau, évidemment les plus gros que l’on ait pu trouver. (Ceux qui nous connaissent un minimum ne seront évidemment pas surpris...). Oui on fait un peu colons avec nos énormes machines, mais notre âme d’enfant a pris le dessus : il nous fallait les plus gros, et puis c’est tout!A partir de là, il n’y a plus aucune pitié qui tienne. Pas de mercis, et pas de prisonniers.Tout le monde en prend pour son grade et personne n’est épargné.Les plus vicieux utilisent de l’eau glacée, qu’ils rafraichissent avec des pains de glace. Ok il fait chaud, mais franchement ce n’est pas fair-play.Ce sont nos cibles prioritaires. Mais entre nous, le fait d’être occidental dans ce contexte n’arrange pas les choses : on est en fait la cible prioritaire de tout le monde...!

- Le Songkran festival -

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41Un mois en ville

Une autre tradition consiste en de longues processions dans les rues des villages. On déambule ainsi derrière de gros chars diffusant de la techno thaï assourdissante (non non, aucun jugement de valeur, la musique est juste très très forte...) De jeunes gens paradent en costumes magnifiques, au pas. Les chars sont incroyablement bien décorés. Il s’agit de pick-ups, réaménagés pour l’occasion, et la richesse des ornementations étourdit. C’est doré, ça brille, ça claque!Autour, c’est un peu la marche des morts-vivants. Tout le monde (ou presque..) est ivre, mais ivre-mort. On se fait offrir une quantité hallucinante de verre de whiskys, bière et mélanges aux couleurs improbables...et on finit inévitablement un peu ivres nous aussi.Tout le monde veut nous parler, nous prendre dans ses bras ou juste trinquer avec nous. Les questions fusent :“Where you from?”“Ho Farang! (étranger), ho Farangset! (français) ” Grosso-modo, il ne se passe pas cinq minutes sans que l’on nous verse un seau d’eau, et qu’on nous serve un verre. C’est chaleureux, mais un peu épuisant.Mais dans tout ce joyeux bazar, la maman d’Eve parvient à nous convier à un rituel plutôt touchant. Il s’agit de prendre un baquet d’eau et de venir s’agenouiller devant les anciens du quartier, réunis pour l’occasion en une file assise et presque religieuse. Après un mot du plus âgé, nous leur déversons, chacun notre tour et délicatement, de l’eau sur les mains jointes pieusement, et un peu dans le cou. On marque ainsi son respect, des plus jeunes envers les plus âgésOn purge par là-même ses pêchés, on absout ceux des autres, et, en quelque sorte, on se lave de toute impureté avant d’attaquer une nouvelle année.Invariablement, le tout dégénére en une vaste bataille d’eau, avec tout ce que le quartier compte de petits cons. On finit la soirée avec un policier ivre mort (lui aussi..), qui crie, arme au ceinturon, que son poulet est le meilleur du coin et que c’est pas du KFC! On acquiesce poliment, on ne voudrait surtout pas le contredire...Le Songkran festival intervient pile à l’interface entre saison séche et saison humide. On vide ainsi les réserves, parce qu’on sait que, bientôt, elles se rerempliront. L’eau, au centre de cette fête et au coeur de tous les rituels associés, nous saute à la figure. Dans un pays si chaud, au climat si sec (du moins sur le plateau de l’Isaan), on comprend bien pourquoi elle est tant vénérée, encensée.Source de vie, elle apporte ici, depuis tout temps, l’abondance et l’assurance de récoltes abondantes. Nous comprennons également mieux pourquoi elle est tant présente dans les projets d’aménagement ici.Courante, contrôllée, en ébulition, stagnante, ou juste évoquée, elle est simplement partout, dans tous les aménagements, tous les parcs, parce qu’elle symbolise la vie.

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Après presque trois semaines passées ici,Après l’enfer (tout relatif, on s’entend..) du motel de Sakon Nakhon, les menus choisis au hasard sur une carte écrite exclusivement en thaïlandais,les gens qui nous parlent sans n’y rien comprendre, les sourires échangés qu’on ne peut prolonger, faute de parler la langue, la promiscuité d’un lit pour deux partagé à trois mecs, les reproches justifiés de Maeva quand à la propreté de la chambre, le wifi défaillant, une réceptionniste impossible à draguer, les shi-fu-mi pour l’accés à la douche froide, les lessives étendues sur nos motos,Après avoir épuisé tout ce que la ville compte d’anglophones,Et après avoir survécu à la guerre atomique du Songkran,La proposition faite par les parents d’Eve d’habiter chez eux pour un temps est vécue par tous comme une bénédiction, une vraie.Ok, on n’est pas venus là pour le confort, mais quand même, un mois de motel ça use, le corps et les nerfs.Du Wifi, des lits pour tous, douches à volonté, cuisine traditionelle et surtout le cadre magnifique et apaisant d’une petite pépinière de la banlieue de Sakon Nakhon, on est au top.

- En famille -

- Dans la pépinière -

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Les parents d’Eve habitent en fait une maison dans un village un peu plus loin et la maison de la pépinière est un peu comme une résidence secondaire, pour les week-ends, les amis et les fêtes.La maman de Eve nous apprend à cuisiner, le père nous emmène dans sa pépinière, nous parle des plantes, du climat et des oiseaux.Nous leur organisons une soirée française, avec boeuf bourguignon (cuisiné sur un barbecue, presqu’un exploit) et oeufs mimosas... Ils ne semblent pas emballés par la recette mais finissent leur assiette, sans doute plus par politesse que par goût.Nous mangeons des abeilles (certainement le truc le moins écolo que je ferai de toute ma vie..), on aide à la vente, on livre les plantes,... bref on vit le vrai quotidien de thaïlandais, et avec le Songkran, on commence à vraiment comprendre les choses de l’intérieur.Et puis, tout est réuni pour que l’on se mette vraiment à travailler.Apres le café du motel et sa charmante serveuse muette, l’agence nomade 2.0 vient de naître et s’installe au rez-de-chaussée de la maison familiale.Nous nous mettons ainsi à produire cartes, plans, dessins,... Nous réalisons notre première news-letter, au sujet de laquelle beaucoup d’avis divergent. On retranscrit les premières interviews et on commence à réaliser notre “carte des neurones”, une carte qui replace les “paysages vécus” des personnes interrogées.Nous définissons nos prochaines actions, les endroits à aller voir, et les gens à rencontrer.Etienne se met sur l’herbier (dans une pépinière, on ne pouvait pas rêver mieux...), Nico trie ses photos, et Maeva et moi rattrapons le retard pris chacun dans nos carnets respectifs.On commence même à parler projet et les premiers grands débats apparaissent.On se dispute un peu au sujet de l’implantation du bâtiment de Maeva. Faut-il rentrer dans les projets de la ville, même s’ils sont contradictoires, et peut-être les voir se réaliser? Ou tout sacrifier au nom de l’utopie?La question n’est pas simple. Comment se permettre de juger les efforts de la ville pour se moderniser, et s’équiper? Certes leurs choix ne nous paraissent pas toujours justifiés, mais un certain Levy Strauss nous rappelle les dangers du jugement..On fait des équipes et on ne se mettra finalement jamais vraiment d’accord.Mais ce débat soulève une question importante, pour nous et l’association. Dans quelle mesure avons-nous la légitimité de contredire les avis des décideurs? Et surtout, quel poids pouvons-nous avoir? Entre la réalité et l’utopie il va falloir apprendre à se positionner.

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Un mois déjà que nous sommes en royaume thaïlandais et il est temps de faire notre premier “VisaRun” en dehors du pays. Direction le Laos, et sa capitale toute proche.Il se dégage de Ventiane comme un parfum suranné. Une langueur, une douceur de vivre, qu’on ne saurait expliquer. Une sorte de calme et d’apaisement qui laisse rêveur.Il y a comme une envie de prendre son temps qui flotte dans l’air. Arrêter de se presser, de courir et s’asseoir sur un banc, mais à l’ombre.Après avoir traversé la frontière à pied, sur ce qu’ils appellent le pont de l’amitié, il nous faut prendre un tuk-tuk pour la capitale, qui est encore à une vingtaine de kilomètres.Nous débarquons donc dans la capitale laotienne sous le soleil accablant d’un début d’après-midi et avons vraiment l’impression d’arriver dans un gros village. Des bâtiments bas, de petites rues à sens unique aux allures d’impasses, des laotiens débonnaires au pas nonchalant, pas pressés pour un sou, et puis quelques touristes assez rares qui, comme nous, suent toute l’eau de leur corps.Sous les conseils avisés de notre chauffeur de tuk-tuk, nous atterrissons au Funky Monkey Hôtel (le nom de ce dernier est un poème en lui-même..)C’est un hôtel comme il en existe tant en Asie : presque propre, des dortoirs en enfilade et un sanitaire pour dix pensionnaires.Il est, comme bien souvent, rempli de voyageurs au long cours, ces fameux “back-packers”, aux histoires plein les poches. Je les écoute, à la fois fasciné, mais pris d’un certain mépris. Mais c’est peut-être un peu de la jalousie.

- Comme un parfum suranné -

- Ventiane -

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A qui aura mangé l’animal le plus improbable (“le coeur d’un serpent vivant, je te jure!”), à qui aura fait l’expérience la plus dangereuse (“un trek dans les montagnes, notre guide avait une kalaschnikov!”), à qui aura la théorie la plus pertinente sur la vie (“les pays occidentaux nous ont désappris à vivre, on ne fait plus que consommer..!”)...Mais justement! Vous ne voyagez pas les amis, vous consommez! Aucune des personnes rencontrées ce soir-là n’a passé plus d’une semaine à un endroit. Et ils sont nombreux, ces back-packers, sur les routes, à voyager en sauts de puce. Ils sillonnent l’Asie ou l’Amérique latine, dilapidant leur argent avant de rentrer chez eux, des étoiles pleins les yeux.Ils sont en fait le pur produit d’une société qu’ils critiquent et fuient assidûment. On ne voyage plus de nos jours, on consomme du paysage, des rencontres, et on capitalise du souvenir, qu’on ressortira à l’occasion pour épater les amis (“un coeur vivant, je te jure!”) .Mais pris dans l’élan, nous nous mettons à consommer, nous aussi, et profitons un peu de cette “belle endormie” de Ventiane. Nous nous retrouvons ainsi, le premier soir assis à la terrasse de notre hôtel, qui donne directement sur la route.Un homme passe, qui fait les poubelles. Courbé, sale, les mains calleuses, il trie et récupère ce qu’il pourra revendre le lendemain, ne laissant que les ordures ordinaires, qu’il prend grand soin de remettre dans ces grandes corbeilles noires qui font ici office de poubelles.Le verre dans un carton sur le porte-bagages.Le carton, méticuleusement plié, dans une poche qui pend au guidon.Les emballages plastiques dans une poche de l’autre côté.Il a y même une petite boîte, vissé à l’avant, pour les déchets rares, comme les piles ou les ampoules.Le reste, non valorisable, retourne invariablement dans les poubelles, qui seront ramassés quelques heures plus tard.Le recyclage puissance mille, en somme. Ce travailleur souterrain, invisible, plus qu’aucun autre, fait que la ville fonctionne. Il contribue, à sa manière, à la propreté de la ville, et à la revalorisation de ses déchets. Mais ces travailleurs, on ne les voit pas.Nos regards se croisent, et il nous tend la main, pour demander l’aumône. On se prend un peu tous une baffe. On a sans doute dépensé en une journée ce qu’il gagne en une semaine, si ce n’est pas un mois. Et en plus, on n’a plus rien à lui donner, ou presque.Je lui donne mon dernier billet en poche, 500 kip (le plus petit qui existe), que je m’étais pourtant promis de garder. Il était vraiment beau, avec son évocation stakhonoviste et lyrique de la campagne laotienne.Mais entre nous, il les mérite largement, et plus qu’aucun autre.

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Deuxième soir, toujours sur la même terrasse.On discute entre nous, et on se rend compte que l’on a toujours pas vu le Mékong, si ce n’est lors de sa traversée en bus. Mais vu la façon dont on avait été entassés dans le véhicule, ce n’est que par bribes, et entre deux aisselles, que l’on avait pu l’entre-apercevoir. Dessiné, chanté, peint, le Mékong a servi de muse à de nombreux artistes, asiatiques ou occidentaux, et semble recouvrir une sorte de dimension magique, en tous cas fascinante, un peu à la manière d’un Gange, en Inde.De son petit nom le “Sông Cửu Long” ou “fleuve des neuf dragons”, il irrigue six pays, de la Chine au Vietnam. Long de presque 5000 km, il fait vivre directement plus de 70 millions d’habitants.On le sent, on sait qu’il est là, mais depuis la ville, impossible de le voir.Nous l’avons aperçu en cette fin du mois d’avril dans sa configuration la plus sèche. Nous sommes pile à l’interface entre saison sèche et humide, et les pluies ne tarderont plus à revenir.De ce que l’on a pu en apercevoir, il présente ici, grosso-modo, la physionomie d’une grosse Garonne à pleins taquets.Mais revenons à nos moutons, il est minuit passé maintenant, lorsque Nicolas nous interpelle de sa légendaire voix de baryton: “Azy on va touch le Mék!”.(Nous lui découvrons depuis peu ce tic de langage, sorte de manie syntaxique qui consiste à écourter tous ses mots. C’est amusant, mais plutôt déconcertant, surtout quand on ne le connaît pas...).Le temps de motiver une petite équipe et de faire quelques réserves, et nous voila en route pour tenter de toucher du doigt ce fleuve mythique. On s’ennuyait un peu, voila une activité qui promet son lot d’aventures. Bon gré, mal gré, nous nous dirigeons donc vers le Nord, bien décidés à en découdre avec ce fichu fleuve.

- De la ville au fleuve -

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47Un mois en ville

Mais l’entreprise n’est pas si aisée.Sortis du tissu dense de la ville, il nous faut franchir l’artère principale de la ville, qui longe en fait la courbure du fleuve, et qui, à cette heure-ci, est envahie de prostituées, et de lady-boys. Non non, on n’est pas super intéréssés.Plus loin, ce sont les marchands du marché de nuit, qui plient bagages. Les hommes remballent, replient les parasols, entassent dans les camionettes, tandis que de minuscules mamies, accroupies sur de minuscules tabourets comptent et recomptent le “butin” amassé dans la soirée, consciencieusement.Puis vient une route, encore, fermée au public, et pour l’heure squattée par des jeunes laotiens en goguette. Ça se drague, ça se cherche, les garcons repartiront peut-être avec un numéro de téléphone, et la promesse de se revoir...ou pas.Puis nous remontons, sur une digue en béton, qui, nous le pensons, protége la ville des fortes crues de la saison des pluies. Cette construction s’étend à perte de vue et semble d’une facture plutôt récente.On pense que l’on va l’apercevoir d’en haut, mais non, toujours pas. Rien que l’immensité du noir d’une nuit d’avril d’un côté, et les lumières de la ville de l’autre.De rares arbres émaillent notre équipée, et on se fait la réflexion que le parcours doit être un vrai calvaire en journée.S’ensuit enfin une marche digne du bagne, sans eau, sur plus d’un kilomètre, emportés par notre propre poids, dans un sable d’un gris sale, terreux, qui s’efface sous nos pas.Nous arrivons enfin au bord de ce fleuve damné (on le respecete beaucoup moins, tout à coup...), sur une sorte de falaise de 3-4 mètres, qui nous empêche finalement son accés. On n’a pas touché le Mékong, mais on aura essayé...

- “ Azy, on va touch’ le Mék’ ! “ -

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48Un mois en ville

Tant qu’à être au Laos, autant en profiter un peu. On n’a pas encore beaucoup vu du pays et on a un peu faim d’aventures et de nouvelles découvertes. Le pays est connu pour sa douceur de vivre et sa population accueillante. On a, certes, fait de belles découvertes dans la capitale, mais ce ne sont pas de vraies rencontres.Un peu écoeurés par l’ambiance “expats” de Ventiane et par tous ces back-packers aux histoires trop cools, nous décidons d’aller nous mettre au vert dans la campagne laotienne.Et puis on suffoque vraiment en ville.On ressent comme un besoin d’espace, de vent et de nature.On a repéré un petit lodge qui pratique ce qu’on appelle dans le jargon de “l’écotourisme” et on se dit que l’on pourrait peut-être en faire un bon (ou un mauvais...) exemple pour notre diplôme, et l’association.On pose ainsi nos valises à l’hôtel de Barnaby, un anglais dans le plus pur style anglais, parlant un anglais dans le plus pur style anglais :

- A la bien -

- L’écolodge de Barnaby -

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49Un mois en ville

“ The only one which deserves to be teached isn’it? ”Notre anglais a monté un petit éco-lodge sur les berges d’un affluent direct du Mékong, à 50km au Nord de Ventiane.Six bungalows privatifs et deux dortoirs : il peut accueillir, en haute saison, une bonne vingtaine de personnes. On n’est clairement pas en haute saison, et on se retrouve quasiment les seuls clients de l’hôtel.. on sera tranquilles!En plus des bâtiments d’hébergement, on trouve un petit accueil, sur les hauteurs des berges. Il fait office de réception, café internet,.. et d’épicerie de première nécessité.Un petit sentier, semé de fleurs sauvages et peuplé de crapauds aux proportions indécentes, méne à une vaste barge posée sur l’eau qui constitue en fait le coeur de l’hôtel, là où tout se passe.Elle consiste en une plate-forme semi-couverte, abritant cuisine, tables pour manger et des canapés assez larges pour s’y poser, une main dans l’eau. A une extrémité, un carré de 10m par 10m laisse apparaître la rivière. C’est en fait une piscine à contre-courant totalement naturelle et plutôt agréable par ces chaleurs qui courent.On est bien, là, et on se laisse un peu aller (pour deux jours) à la Dolce Vita. La cuisinière (en fait la femme de Barnaby) nous régale de plats typiquement laotiens qui n’ont pas à souffrir la comparaison avec les spécialités thailandaises.Bref, on est un peu au paradis!Seul bémol, les activités proposées : soit trop chères, soit un peu nulles (un pseudo-cours de médecine par les plantes dans la jungle, avec un guide qui se demandait autant que nous ce qu’il faisait là).De même, on essaiera en vain de participer au travail dans les champs, une activité proposée par l’hôtel, mais que peu de touristes semblent demander.Mais la vraie réussite du lieu, c’est que l’endroit est quotidiennement envahi par les villageois du coin, et surtout les jeunes et les adolescents.Se partageant une limonade pour quatre et sous l’oeil amusé et bienveillant de Barnaby, ils viennent profiter de la piscine et de la terrasse. Ils sont ici chez eux et on commence à vraiment rigoler avec eux. Concours de salto, course de vitesse dans la piscine, on communique sans paroles, mais on rigole beaucoup.C’est là qu’on se dit que cet endroit mérite vraiment le nom d’écolodge. Plus que sur des panneaux solaires et des matériaux locaux, l’hôtel a misé sur la rencontre informelle entre nos deux cultures. On vit côte à côte et c’est vraiment agréable. On est dans un rapport d’égal à égal ici. On partage les mêmes tables, les mêmes repas, les mêmes activités.Faire profiter locaux et touristes dans la bonne humeur générale, voilà une recette harmonieuse et plutôt géniale. Et c’est peut-être un nouveau critère, presque informel, pour qualifier un écolodge.

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50Un mois en ville

Nous revenons du Laos un peu ankylosés.Ces vacances “forcées” nous ont fait du bien, c’est sûr.Nous avons élargi nos horizons, vu d’autres choses, une autre culture, certes pas si différente, mais différente quand même.Mais de retour à Sakon Nakhon, c’est un peu l’heure du bilan pour nous.Un mois déjà que l’on est ici.Un mois à découvrir, ressentir, s’émerveiller.Alterner les moments difficiles, et les rencontres magnifiques.Les endroits glauques et les endroits où l’on se sent bien.Un mois qu’on est ici.Mais, entre nous, le projet n’a pas encore beaucoup avancé.Les galères de communication, les problèmes matériels, d’intendance, les excuses ne manquent pas.

- Landscape Avengers -

- Bon... C’est quoi le plan? -

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51Un mois en ville

Et puis quelques désillusions aussi. Les chefs de village, rencontrés quelques mois auparavant, qui ne se rappellent pas de nous, nos amis thailandais pas si disponibles finalement... Ce n’est jamais très agréable.Mais la vérité est là, on ne sait toujours pas vraiment où l’on va.On se retrouve donc ce soir-là tous les quatre, face au lac, un peu silencieux et paradoxalement face à nous mêmes.On regarde le soleil s’échapper derrière les cimes majestueuses du Phu Phan, et on a tous un peu le vague à l’âme.Pour ma part, je me pose sérieusement la question de notre légitimité ici.Je le garde pour moi, de peur de plomber l’ambiance déjà un peu pesante, mais cette question me fait réfléchir depuis un bon bout de temps.Ok Ok, je suis un peu le pessimiste de la bande, mais quand même. Qui sommes nous pour juger ce qui se passe ici? Et qui plus est pour intervenir?Luc Perrot, lorsque nous lui parlions de notre projet en cours au Vietnam, nous appelait, mi-affectueux mi-provocateur, les “intruders”.Et c’est bien ce que nous sommes! Ce n’est pas notre pays, pas notre culture, pas notre langue et quelque part, pas nos problèmes. Dans ce cadre, sommes-nous les mieux placés pour comprendre et projeter? Comment nous positionner, en tant qu’occidentaux face aux problèmes rencontrés par les agriculteurs? Comment convaincre? Et d’abord : Comment se faire comprendre?Comment questionner sans offenser? Comment agir sans dénaturer? Comment proposer sans imposer?Ces questions, nous les avons depuis le début, mais ici, dans ce contexte, ells prennent une nouvelle couleur.Aux questionnements lointains, se heurte la réalité crue du terrain.On y est maintenant. Et on ne peut pas tricher.Nous avions imaginé tant de choses, mais tout est en fait si compliqué. Et nos problèmes avec la langue n’arrangent rien. Nous sommes tous touchés et émus par l’aide prodiguée par Eve. Rien ne l’oblige à être là, avec nous et à nous aider. Mais elle le fait de bonne volonté, et de son plus beau sourire. Ça nous touche, même si on sait qu’elle ne pourra pas toujours être là, et que bientôt nous nous retrouverons de nouveau seuls. L’heure est un peu au spleen, encore une fois.En même temps, nous nous rassurons aussi très vite. Je crois qu’on a tous besoin d’action et de concret. Et puis la perspective d’habiter bientôt dans le village nous remotive tous.Enfin, enfin, l’expérience, la vraie, va pouvoir commencer.Et on a hâte!

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52

Thaïlande

Cambodge

Malaisie

Vietnam

LaosBirmanie

Chine

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53Deux mois dans un village

Deux mois dans un village

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54Deux mois dans un village

Ça y est, on a une maison dans le village de Ban Paen.Ça a été dur, mais on l’a fait. Encore une fois, l’aide d’Eve et de sa famille nous aura été d’un grand secours. La négociation avec la propriètaire n’aura pas été des plus simples. Elle est surtout inquiète que l’on mette le désordre dans sa maison et dans le village. C’est vrai qu’avec nos gros sacs à dos, nos barbes de 20 jours et nos cheveux longs, on a un peu le look back-packer. Et ils ont vraiment mauvaise presse, surtout dans les villages.On les appelle ici les “farang khil nôk” ou littéralement “étrangers chiures d’oiseaux”, en raison de leur mauvais comportement...et sans doute aussi de leur mauvaise hygiène de vie! Là-dessus, il n’y a pas à discuter, on embaume la pièce!Bref, ça négocie sec, et on comprend que la mère de Eve, professeur (le métier le plus respecté là-bas), sert un peu de caution. Elle parle fort, elle mouline des bras, elle accepte, elle refuse, elle invoque le ciel et parfois elle rigole un peu, en nous regardant

- L’emménagement -

- Welcome home -

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55Deux mois dans un village

De ce que nous pouvons comprendre, elle nous décrit comme de gentils étudiants travailleurs (tout nous, quoi!)En tous cas, ça marche et nous voilà locataires, pour presque deux mois, d’une coquette petite maison en plein centre du village. La propriétaire (dont je reparlerai très vite) nous confie les clés d’un air un peu méfiant, auquel nous répondons par notre plus beau sourire.De plein-pied, la maison se divise entre une vaste pièce commune avec une pile de matelas dans un coin, deux chambres (dont une condamnée pour des raisons qui nous échappent) et une salle de bain, avec une sorte de baignoire carrée, étroite et profonde, dont nous ne comprendrons le rôle essentiel que plus tard.Pour pallier aux coupures d’eau (assez fréquentes ici...), les habitants ont tous chez eux ce genre de petit réservoir, qu’ils maintienent rempli afin de pallier au manque. Pour quatre personnes (européens qui plus est), c’est quatre jours d’autonomie pour la cuisine, la vaisselle, et la douche.Le confort est un peu spartiate mais plus qu’acceptable.Mais la maison dénote un peu dans le village. Seule construction en tout-béton, ce n’est pas la cabane en bois sur pilotis qu’on espérait. Elle aurait presque des airs de villa californienne (enfin si on regarde vite, en plissant les yeux, la tête à l’envers)Elle fait un peu maison de colons, mais au moins on a de l’espace, des bureaux pour dessiner et des matelas pour dormir. La famille d’Eve, comme si elle n’en avait déjà pas assez fait, nous offre deux petits barbecues en terre cuite, qui seront nos seuls moyens de cuisson. Il n y a pas de restaurants à Bann Paen, et à peine une petite épicerie, mais ça c’est encore une autre histoire...La petite mamy d’en face, aux cheveux les plus blancs que j’ai jamais vus, nous apporte une sorte de dessert à l’allure étrange, et au goût assez atroce. Ça sent les pieds (vraiment) et on n’est même plus vraiment sûrs que ce soit un dessert. Mais c’est fait avec une telle gentillesse qu’on est tous un peu touchés, et qu’on finit son plat le sourire aux lèvres, un peu crispé néanmoins. Encore une fois, impossible de parler, mais la gentillesse n’a pas besoin de mots, c’est dans les yeux que ça se passe.On la raccompagne jusque à chez elle, en se disant qu’il faudra lui faire un petit cadeau culinaire très prochainement.Ah le village..Ça y est, on y est. Chez l’habitant, à son contact, à partager son quotidien.Ca aura été plus compliqué que prévu, plus long aussi.On est là pour six semaines. Et on ne va pas chômer.On a tous envie d’apprendre, découvrir, comprendre et l’opportunité d’être là, avec Etienne, Nicolas, et Maeva, notre équipe en fait, nous galvanise tous.

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56Deux mois dans un village

Pââ tik, notre propriètaire, renferme toutes les caractéristiques d’une psychopathe. En plus méthodique et organisée.Elle vient parfois nous réveiller à six heures du matin, gratuitement, pour des raisons que l’on ignore. Elle rentre chez nous aussi, comme ça, sans prévenir pour chercher un oreiller, une cuillère, ou simplement vérifier que l’interrupteur de la salle de bains fonctionne bien, plusieurs fois.Elle nous sert également de grand monologues enflammés en pur dialecte laotien en levant les yeux au ciel. Nos sourires et nos meilleures têtes de “désolé, on ne comprend pas“ n’y font rien. Elle s’arrête quand elle a fini de parler, c’est tout. Elle n’est pas trop habituée à la location sans doute... On est chez elle et elle nous le fait bien ressentir. Mais on s’y habitue, et on commencerait presque à trouver ça amusant. Et puis, ça nous force à un ménage quotidien, ce qui est plutôt appréciable.

- Au marché avec Pâa tik -

- Donc ça marche comme ça, en fait... -

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57Deux mois dans un village

Mais on l’aime bien quand même notre mamie de substitution.Nos dialogues de sourds ont une saveur particulière, un je-ne-sais-quoi d’improbable qui nous la rend attachante.Nous partons donc ce matin-là chez elle, avec pour mission de lui donner un appareil-photo jetable et d’essayer de la suivre le temps d’une journée-type. L’objectif secret est en fait beaucoup plus sournois : découvrir où trouver de la viande et du bois dans le village. Tout le monde en a, mais impossible d’en acheter.On se retrouve donc toute la matinée dans son potager, à l’extérieur du village, à ramasser salades, concombres, et tout un tas de légumes inconnus.Le village, très dense, ne permet pas de cultiver un potager à côté de sa maison. Les villageois ont donc, pour la plupart, et en plus de leurs rizières, de petites parcelles jardinées et parfois un bout de forêt pour faire leur bois et leur propre charbon.Une vérité nous saute aux yeux. Ce village, qui tend vers une quasi auto-suffisance alimentaire, repose sur un système complexe de coopération et d’entraide. Pas de boucherie, mais on sait que la maison au fond à gauche produit du porc. Pas de primeurs, mais on sait que Pââ tik produit des salades...et on échange!Le midi, notre mamie nous invite à manger avec ses filles et chacun apporte sa petite spécialité. C’est simple, frais et incroyablement convivial. Je suis persuadé qu’au fond, elle commence vraiment à nous trouver sympathiques.Après avoir nettoyé les légumes, nous partons faire le marché avec elle. Celui-ci prend place sur une petite place, devant la mairie. Pas un arbre, et en plein soleil, c’est à peine tenable, même pour elle.Avoir quatre farangs avec soi fait plutôt bien tourner le business. On devient très vite l’attraction phare du marché et on se prend au jeu, un peu amusés. C’est en fait une excellente manière de se présenter à tous, car tout le village est là.“Pak sot sot may may!” (“ils sont frais mes légumes!”) Les gens éclatent de rire et on écoule assez vite la marchandise. Notre propriètaire finit même par proposer aux dames qu’on vienne livrer les légumes à domicile. Si quelqu’un achète le stock entier, c’est torse nu que se fera la livraison! Ça a le don de les faire rougir et rigoler doucement, mais ça amuse moins les maris, qui commenceraient presque à nous regarder d’un mauvais oeil.Une fois le marché fini, on remballe le petit stand et on hérite d’une botte de légumes inconnus, qu’on s’empressera de tester le soir venu.On rentre vite, car ce soir, Neung s’en va. Des obligations familiales et peut-être un départ futur pour la France le font rentrer plus tôt que prévu sur Bangkok. C’est dommage, on commençait vraiment à s’amuser tous les cinq, on avait une bonne énergie et c’était aussi très pratique d’avoir quelqu’un qui parlait la langue...

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58Deux mois dans un village

Neung parti, nous voilà Etienne, Nicolas et moi-même à Sakon Nakhon. Maeva ne peut pas venir, elle a des mails à envoyer à son école pour son rendu qui approche à grands pas.L’ambiance est toujours aussi bonne entre nous, mais le manque d’hygiène, de confort et la promiscuité, nous font à tous ressentir le besoin de nous séparer, de respirer.Et puis c’est toujours un plaisir de retourner en ville. Du bitume, des feux tricolores, du béton, des restaurants, des gens, c’est rassurant, une ville.C’est assez contradictoire de dire ça, mais pour l’urbain que je suis, c’est comme une bouffée d’oxygéne. Je respire.Et puis on commence à avoir nos petites habitudes ici..Le micro-café nous a permis de découvrir la ville et on l’aborde non plus comme de simples touristes, mais presque comme des habitants du lieu. Certains nous reconnaissent même dans la rue, ou nous invite à leur table. C’est assez plaisant, cette sensation de se sentir appartenir à la ville, et devenir un habitant.

- Des rencontres qui font une vie -

- Quand on arrive en ville -

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59Deux mois dans un village

On se retrouve donc, comme à peu près toujours, chez les soeurs Lang. Elles sont sacrément mignonnes les soeurs Lang. Le bar s’appelle en fait le “Komintra”, sous-titré “milk and dessert bar”, ce qui est plutôt drôle, parce qu’on y sert à peu prés tout sauf du lait et des desserts et qu’on aurait plutôt tendance à vouloir l’appeler “beer and rock’n’roll bar”.Comme je le disais, on a nos petites habitudes ici. Et puis il y a ce groupe de vieux briscards qui rejoue tous les vieux classiques du genre. J’ ai pris l’habitude, modestement, d’aller tenir la batterie pour eux, et c’est vraiment des moments incroyables... parce que le bar est vide la plupart du temps et que l’on joue pour nous et nous seuls!Il y a Dick (Rivers) à la guitare, un vrai talent ce gars, Johnny (Halliday) à la basse, le gérant du bar et qui fait un peu semblant de jouer, et Gilbert (Montagnier), le chanteur et le clavieriste le plus enthousiaste de la création!Ça va faire une heure maintenant qu’on joue, et c’est au profit d’une pause du groupe que l’on fait la rencontre de Jwu, un gars plutôt étrange mais incroyable. Il connait le gérant (Johnny) depuis l’enfance et joue même parfois ici, seul à la guitare. On fait les présentations et on se retrouve attablés avec lui.On lui parle de notre projet et il accroche tout de suite. On se retrouve finalement à parler des heures et des heures de géopolitique, de corruption et de Neil Young, son héros. Je délaisse un peu le groupe, mais ça vaut vraiment le coup.Jamais, oh grand jamais, on n’avait poussé une discussion aussi loin avec un thaïlandais, il parle un anglais excellent, ce qui aide beaucoup. Il nous parle ouvertement des problèmes de son pays. Ses opinions, ses points de vue, son recul face à son gouvernement (et même au roi..!) me sidérent. Il parle sans contraintes, sans préjugés, et on se prend au jeu de comparer nos pays (“hooo you’re eating frogs?”/ “What about that papaya salad all the time?). C’est plutôt amusant, même si ca ne veut pas dire grand chose.Notre projet l’intéresse et il évoque un projet qu’il a monté à Kho Chang, dont il nous parle longuement. On ira finalement le visiter avec lui quelques semaines plus tard, mais dans l’ensemble, on sent qu’on a à faire à quelqu un de bien.Il nous parle également (et là ca devient vraiment intéressant...) d’un terrain qu’il posséde avec sa famille, aux portes de la ville et sur lequel il voudrait monter un projet en lien avec l’agriculture, quelque chose pour la communauté... Il nous invite à venir y jeter un coup d’oeil le lendemain, ce que nous acceptons, mi-excités, mi-émus.C’est fou le hasard.Rendez-vous est pris avec le destin, demain on est chez Jwu!

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60Deux mois dans un village

Je l’annonçais un peu plus tôt, Jwu est vraiment un mec bien. Ça ne s’explique pas ces choses-là. Ce sentiment que l’on peut avoir sur les gens, comme ça, sans vraiment les connaître. On a appris à se méfier, en Europe.Mais ce mec est bon, je le sens, on le sent tous.Des yeux malicieux, des manières un peu maladroites, les cheveux courts, un front intelligent et une bedaine naissante, il se dégage une impression sympathique de ce personnage.Et puis c’est un fan absolu de Neil Young, dont il connait tout le repertoire à la guitare.Cet homme ne peut donc pas être foncièrement mauvais. Nous nous retrouvons donc sur sa parcelle en ce jour éclatant de soleil. Et on ne sait vraiment pas à quoi s’attendre.Peut-être qu’il nous a trop vendu l’affaire.

- On touche un truc du doigt, là -

- Ainsi parlait Jwu -

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61Deux mois dans un village

Ou peut-être qu’on se l’est trop imaginée.Et c’est un peu une révélation. On en aurait rêvé, que ca ne serait pas arrivé.Quelques Raï de rizières, des bassins, des vaches, des cochons, des chiens, une gentille ferme, tout est là.Bloquée entre un Big C (un affreux centre commercial comme chez nous, le même, exactement) et une improbable église catholique aux formes d’OVNI, la parcelle se distribue comme un ruban entre l’autoroute et le lac, à quelques encablures de l’entrée de la ville. Nous sommes, grosso-modo, à moins de deux kilomètres de la ville, sur l’axe principal qui méne de Surat Thani (la province juste à côté) à Sakon Nakhon.Un axe passant quoi.Un fermier franchement sympathique, mais ne parlant évidemment pas un mot d’anglais nous accueille chaleureusement. Il vit ici à l’année avec femme et enfants et s’occupe du terrain. Il y fait un peu de riz, malgré la mauvaise qualité du sol et fait paître quelques vaches en liberté, pour entretenir le reste. Un poulailler et quelques cochons dans un enclos finissent le tableau.Le site est vraiment magnifique, avec ses vues sur le lac, et son aspect champêtre au milieu d’une zone commerciale. Au bord de la route qui rentre dans Sakon Nakhon (en fait le terme d’autoroute serait plus approprié..), sa situation est invraisemblable. Une fois passé le premier rideau d’arbres, on est vraiment à la campagne, mais en ville! Quelques panneaux publicitaires (sûrement éclairés la nuit..) pointent au-dessus des frondaisons, mais à part ça, on pourrait être à Bann Paen.Mais plus que tout ça, ce sont les propos de Jwu qui finissent par nous mettre des étoiles dans les yeux. Avec sa fratrie de neuf frères et soeurs, ils ont hérité cette terre de leur père, avec pour consigne de ne jamais la vendre, malgré les pressions foncières, et d’en faire un lieu ouvert et utile pour la famille et pour tous.Ancien fonctionnaire de l’Etat, ce bon père de famille a passé sa retraite à élever ici des vaches et produire du riz, tout simplement parce qu’il aimait ça, ce contact à la terre nourricière et ce “retour aux sources”. Les larmes semblent monter aux yeux de Jwu quand il nous en parle, et on n’insiste pas trop sur le sujet...On n’en revient pas, on vient juste de rencontrer le gars qu’il nous fallait.Peut-être le coucher du soleil,Peut-être la croix de l’église luisante dans le clair-obscur,Peut-être la fatigue?Mais on se dit qu’on a vraiment été touchés par Dieu, Jésus ou Bouddha, ou les trois en même temps, allez savoir. La providence ou le destin?Jwu, on va rester en contact, c’est sûr.

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62Deux mois dans un village

Il ne nous reste plus que cinq appareils photos jetables.Boom.La participation, comme on l’entendait de loin, en France, s’est un peu cassée la figure. Mais en fait pas tant que ça.On avait imaginé un raz-de-marée sur Sakon Nakhon. On pensait qu’on allait interviewer tout le monde, tout le temps. Je me rapelle d’Etienne affirmant :“Au minimum, c’est cinq personnes par jour, et si on le peut, on en fait dix...” Et Dieu que j’y croyais moi aussi!Face aux problèmes de communication et à cette vérité, certes brutale, mais vraie, que la plupart des gens se moquent gentimment des questions territoriales, on se remet un peu en question. On pourrait tourner autour du pot, à essayer de se chercher des excuses. Mais en fait, notre méthode a simplement évolué. C’est la loi du terrain. Et elle est implacable.Les moyens de faire de la participation qu’on avait imaginé “de loin”, perdent un peu de leur sens, confrontés à la réalité du terrain. A nous, désormais d’en imaginer d’autres et de pas baisser les bras.

- Qui veut un appareil-photo? -

- A fond les ballons -

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63Deux mois dans un village

Et on décide donc de se remonter les manches.On se rend compte qu’il faut définitivement privilégier la qualité à la quantité. Notre participation, telle qu’on la pratique, passe bien plus par le “faire” que par le “savoir”.Passer une journée entière avec une personne, la suivre dans son quotidien et “faire” avec elle, est en fait bien plus riche et intéressant que de poser dix questions banales à dix personnes différentes. De toutes façons, tout le monde va faire ses courses au Big C, prier au temple et manger au parc de la reine.C’est un peu schématique, mais les conclusions de notre “micro-café” ne vont pas beaucoup plus loin.Entre ceux qui nous donnent des réponses pour nous faire plaisir, ou qui se prennent à jouer les guides locaux, il est devenu difficile de faire la part des choses et de dégager quelques chose de vraiment intéressant de cette méthode.Mais nous croyons néanmoins toujours à la distribution de nos appareils-photo jetables. C’est vraiment le seul moyen que l’on a de pouvoir saisir ce qui fait valeur aux yeux des habitants. Ce qui, pour eux, fait symbole, totem, ce qu’ils apprécient et ce qu’ils n’apprécient pas. Et surtout, cela nous permet de toucher une part indicible dans la lecture de ces paysages : celle du symbolique. Comment les habitants de ce territoire se représentent-ils “mentalement” leurs lieux de vie, leurs paysages quotidiens?C’est donc avec l’aide précieuse d’Eve que nous nous attelons à notre “journée appareil-photo jetable”. Nous sillonnons ainsi la campagne et les villages alentours, pour donner nos précieux outils. On va à Ban Chum Cheng, chez notre propriétaire, le professeur de Ban Paen... et on s’aventure même à l’Est, à une grosse vingtaine de kilomètres, pour tâcher de découvrir comment on vit dans le massif forestier, et aussi loin du lac.C’est ainsi que nous échouons au “village des fantômes”. Entourés par toutes les mamas du village, toutes excitées par notre présence et qui ne cessent de nous taquiner, Eve essayent de leur expliquer notre démarche et comment se servir de l’appareil.Elles nous posent plein de questions et la moindre de nos réponses maladroites en thaï les fait hurler de rire. C’est vraiment un bel échange, plutôt drôle et sympathique, et on resterait bien avec elles. Etienne échappe de justesse au mariage, et je fais caler la voiture d’Eve devant tous les villageois, ce qui achéve de faire rigoler tout le monde. Je sens un peu de moquerie de la part des hommes qui nous regardent de loin. J’essaye, par les gestes, de leur faire comprendre que je n’ai pas l’habitude de conduire à gauche, que chez nous on freine du pied gauche et que c’est pas facile, et que...bref je m’enfonce et je retourne honteusement m’asseoir avec le reste du groupe.Pas sûr qu’elles aient tout compris, mais elles nous invitent à revenir récupérer l’appareil pour la fête des fantômes, un rituel semi-vaudou, qui nous intrigue au plus haut point...

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Un peu galvanisés et surtout très excités par notre rencontre avec Jwu, on se met en “charette” avec notre petite agence nomade.Il revient dans trois jours et notre objectif est de lui présenter l’état d’avancement de notre projet, une sorte de “champ des possibles” de ce qui est réalisable sur son terrain. Nous le sentons demandeur d’idées neuves, fraîches et son terrain a vraiment un énorme potentiel. En tant que futur paysagiste, j’aurais presque envie de dire qu’il ne faut toucher à rien ou presque. Tout est déjà là, en place. Il faut juste le révéler, et le refaire fonctionner, mais tout en douceur.On brainstorme, on débat (notre sport favori ici..) et on se met d’accord sur la façon d’aborder ce projet et surtout sur ce qu’on imagine des attentes de Jwu.Des idées certes, mais aussi du concret, on en est sûr.A ce stade, notre réflexion s’articule autour du credo:

Learn-Produce-Transform-Sell

- Yours is short but complicated -

- My path is long but easy, -

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65Deux mois dans un village

La Thaïlande, comme de nombreux pays asiatiques, excelle dans la production de matériaux bruts. Le pays était ainsi, il y a encore peu, le premier exportateur de riz du monde. Oui mais de riz brut. Acheté sur des marchés mondiaux selon des mécanismes extrêmement compliqués, il devient difficile pour les petits producteurs de dégager des bénéfices. Ils n’en contrôllent pas le prix. Ce qui donne de la valeur ajoutée, c’est si le riz est fumé, coloré, en bref transformé...On pense ainsi à une sorte de “ferme pédagogique”, où enfants, parents et agriculteurs, pourraient venir découvrir (ou redécouvrir) les bienfaits de la production fermière et des pratiques agricoles pérennes. Sa parcelle pourrait ainsi nous donner l’opportunité de tester des concepts de permaculture. La rizière, découpée en carrés d’un Raï, pourrait nous permettre de faire des tests, sur la manière de traiter le sol, de cultiver le riz, et, pourquoi pas, d’essayer de varier les espéces, et les méthodes culturales.Les parties remblayées pourraient nous permettre d’installer ici un verger conséquent, et d’imaginer un potager productif.Les bassins, enfin, pourraient nous permettre d’imaginer de l’aquaculture, un concept plutôt novateur (et dont nous irons visiter un exemple plus tard à Koh Tao), qui pourrait marcher en correlation avec le potager.Mais pour être pérenne, ce concept doit être viable, du point de vue économique, qui est, comme chacun sait, le nerf de la guerre.La première idée est donc de construire le projet petit à petit, afin de limiter l’investissement.La deuxième idée est de le faire construire par des bénévoles (et c’est là que l’association rentre en jeu...) avec les matériaux trouvés sur place. La grange regorge de vieux bois et on pourrait envisager d’abattre quelques beaux sujets gênants.La dernière idée est d’en faire un vrai lieu de production efficace, et d’imaginer sa valorisation par la transformation sur site. On pense à une distillerie, mais un séchoir solaire pourrait également être envisagé.Nous rencontrons Jwu de nouveau, pleins d’entrain. Il est emballé par le projet, mais doit convaincre ses huit frères et soeurs, ce qui nous inquiète un peu...Il nous rassure très vite : ils lui ont délégué la gestion de ce terrain. Il est assez confiant sur la faisabilité, notamment avec nos idées de réutiliser les matériaux et de faire travailler des bénévoles en stage, mais reste néanmoins inquiet quant à la viabilité économique d’un tel projet. Il n’est pas agronome, ni agriculteur...et nous non plus!Il y aura donc ici une ferme, avec des enfants qui apprendront et qui réapprendront à leurs parents.Il nous laisse sur cette phrase magnifique qui nous scotche tous: “My path is long but easy, but yours is short and complicated”

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66Deux mois dans un village

En cette journée d’une chaleur écrasante, on décide d’aller voir Jim, notre américain, qui vit à l’extérieur du village.On a repéré depuis un moment le “Stars and Stripes” qui flotte fièrement au bout de son mât à l’entrée du village. Ça nous avait intrigué, mais on pensait qu’il s’agissait là d’un fan de la culture ricaine, pas d’un véritable américain.Nous avons rencontré sa femme, une belle dame d’une quarantaine d’années, au marché, il y a quelques jours.On lui a vendu les quelques légumes de Paa Tik, et c’était à peu près la seule qui parlait vraiment anglais à ce moment-là. Forcèment on a noué contact...Elle nous a gentiment invités à passer quand on le désirait, pour rencontrer son mari, en fait son ex-mari (mais nous ne l’apprendrons que bien plus tard). Nous savons d’avance la journée condamnée : sa femme nous a prévenus de ses penchants pour l’alcool et nous a conseillé de plutôt passer en matinée pour qu’il ait encore les idées claires.

- à Ban Paen -

- Comme un américain -

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67Deux mois dans un village

Nicolas et Maeva partis faire des photos des travaux dans les rizières, c’est donc Etienne et moi-même qui nous attelons à la tâche.Une belle maison, de facture occidentale, un joli jardin bien entretenu : on est loin des cabanes du village.Le panneau “beware to the savage dog” et le petit roquet qui jappe laborieusement en dessous pensant nous impressionner, nous renseignent d’emblée sur un point :L’homme a de l’humour.Il arrive, au loin, d’une démarche militaire, et comment dire...il a vraiment une tête d’américain.Cheveux en brosse, lunettes de soleil dernier cri, moustaches de texan, un ventre plus que proéminent sur des jambes maigrelettes: presqu’une caricature en somme.Ma main se souvient encore douloureusement de sa poigne, et, nous défiant presque, il nous gratifie d’un : “ What the hell you’re doing in here white trash? ”.Nous nous installons sous la tonnelle, à l’ombre, et il nous propose tout de suite une bière. Nous acceptons, on a vraiment très soif.Il se trouve que l’homme est vraiment sympathique, et on passe 3 heures, comme ça, à se raconter nos vies, nos projets...Ancien de la Navy, il nous raconte SA guerre du Vietnam, ses voyages, comment il a atterri ici, et son avis sur la Thaïlande. Installé là depuis presque 20 ans, il ne s’imagine nul part ailleurs pour passer ses vieux jours. Une belle maison, un 4X4, une glacière remplie, de l’ombre et son chien, il ne semble pas en falloir plus à ce personnage pour qu’il soit heureux.Il nous parle également (et là, ça nous intéresse vraiment) d’un projet qu’il avait essayé de monter avec les agriculteurs pour limiter le recours au brûlis, qui, comme chacun sait, détruit la faune et la flore du sol, en même temps que pollue les airs.Cette technique, si elle permet d’enrichir les sols sur le court terme, le détruit sûrement sur le long terme.Il nous raconte que, si on survole l’Asie à la fin de la récolte, on ne devrait apercevoir qu’un épais nuage de fumée noire. Malheureusement, son projet a avorté, faute de moyens, et de motivation de la part des agriculteurs. On le sent un peu découragé sur la question.Les paysans, selon lui, font au plus simple, au moins fatiguant, et au plus rentable. Et quelque part, ils ont bien raison.Nous lui glissons un appareil-photo, et l’on prend bien le temps de lui expliquer le pourquoi du comment. On aura rarement l’occasion de se faire aussi bien comprendre, et il nous promet de le faire passer à sa femme et son jardinier.A 10h du matin, nous le quittons avec la promesse de se revoir.Un chic type cet américain, dans le fond. Un peu rustre dans ses manières, mais lucide sur les problématiques de son pays d’adoption.

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68Deux mois dans un village

Le verdict est tombé ce matin.Ça ne fait pas plaisir à réaliser.Mais c’est comme ça : il ne nous reste plus que deux semaines à Ban Paen, et désormais plus qu’une pour Maeva.On pensait avoir plein de temps pour faire plein de choses...Et puis moi qui appréhendais un peu de m’ennuyer, et pensais trouver le temps long dans ce mignon mais si petit village...Je suis plutôt surpris, le temps a filé à une allure incroyable! On n’aura finalement eu que peu de répit pendant ce séjour.Deux semaines encore pour collecter des informations et des données. Après ce sera trop tard, et ça, ça nous met vraiment la pression.

- Short-timing -

- Prise de conscience -

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69Deux mois dans un village

A nos activités avec les habitants, nos fameuses “journées-types”, s’ajoute un quotidien auquel on n’était pas forcèment habitués.Les premiers magasins sont à une heure de route, la cuisine se fait exclusivement au barbecue, on n’a pas toujours d’eau ni d’électricité... Bref, tout prend plus de temps, mais quelque part, c’est très bien ainsi.Il n’empêche, il ne nous reste toujours plus que deux semaines pour expérimenter tout ce que l’on voulait expérimenter.Et nous prenons tous conscience que ca va être difficile à caler dans ce laps de temps.C’est le moment des choix, et de définir nos priorités :Est-il plus important d’aller passer du temps avec l’agriculteur bio que d’aller faire nos dernières photos?Quels sont les villages que l’on a pas encore visités? Et lesquels visiter en priorité?Quand aller dire au revoir aux parents d’Eve?Et au chef du village?Quand récupérer nos appareils-photo?Etienne propose qu’on fasse des équipes, un classique chez lui.Maeva aimerait bien que quelqu’un la raméne à Bangkok... Nicolas est pour faire de la photo, à fond. C’est un peu son truc ça aussi.Et puis moi je stresse, comme d’habitude, ce qui m’empêche de réfléchir, comme d’habitude.Bref, les débats sont passionnés et houleux comme on les aime et dont nous seuls avons le secret. On en appele à la morale, aux grands principes : “C’est scandaleux de ne pas passer plus d’une semaine avec l’agriculteur!” “Etienne t’es un vendu de pas vouloir retourner à Sakon Nakhon!”Parler, ça on sait faire.Mais le tableau Veleda remplit plutôt bien son office.On finit par poser les choses calmement (ou presque), une à une. Et on arriverait presqu’à un consensus! On va effectivement devoir se répartir en équipes, que l’on fera tourner pour ménager les susceptibilités, et en fonction des envies et des intérêts de chacun. L’idée est de se faire des petits bilans à chaque fin de journée pour que chacun profite du savoir engrangé dans la journée. On compose également avec le départ imminent de Maeva, qui a besoin de voir des choses avant de quitter Sakon Nakhon.Elle nous donne donc ses sept priorités pour les sept jours qui lui restent : sept lieux qu’elle n’aura plus l’occasion de visiter ensuite. Ça aussi ça met la pression.C’est Short, certes, mais ça devrait le faire! Non, ça VA le faire.

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70Deux mois dans un village

Aujourd’hui on a la patate.Aujourd’hui on est chaud.Aujourd’hui on va travailler avec l’agriculteur Bio!Cela fait un petit moment qu’on en parle, qu’on en a envie, mais notre planning serré nous en a empêché jusqu’à présent..Mais ça y est et on est tout excités. Nous allons enfin apprendre comment ça se passe dans les rizières : le vivre de l’intérieur, quoi. On ne connaît franchement pas grand chose aux méthodes agricoles alternatives... Quelques bouquins, quelques reportages nous ont déjà éclairés, mais aucun écrit précis sur la Thaïlande, et surtout sur l’Isaan. Or, lorsqu’il s’agit de bio, il faut parler local, et rien ne remplacera jamais l’expérience du lieu. C’est pour nous l’occasion de voir vraiment quelles sont les techniques utilisables ici pour limiter les intrants, respecter les bêtes et préserver les sols.

- Les limites de la patience et du reniement de soi -

- Une journée avec Kasemchai -

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71Deux mois dans un village

Lever à sept heures, donc, comme des comètes.On est devant chez lui, tout pimpants et motivés, bottes aux pieds, prêts à en découdre avec de la motte de riz ou du cochon.Kasemchai de son nom nous accueille d’un grand sourire. Le bonhomme est plutôt sympathique, mais ne parle pas un mot d’anglais. Qu’à cela ne tienne (et puis entre nous, on commence à en avoir l’habitude), on sort notre précieux petit dictionnaire, et on commence à le questionner sur ce qu’il va nous faire faire.Il nous emmène tout de suite sous un petit abri, et nous fait comprendre que l’on va préparer la nourriture des cochons grâce à une imitation plutôt réussie. On se met au boulot, on mélange la farine de manioc, avec de l’huile, et de drôles de mixtures qu’il est incapable de nous expliquer. On s’applique, on plaisante pas avec la nourriture des cochons!Et puis d’un coup, il nous fait nous arrêter, et nous propose de le suivre à Kalasin. On ne sait pas où c’est, mais on accepte, un peu surpris. On est là pour le suivre toute la journée, donc on le suit!Une fois installés à l’arrière de son camion, nous passons chercher deux copains à lui, tout aussi sympathiques, et nous nous mettons en route. Kalasin est en fait dans une autre province, à quelques 180 kilomètres de Ban Paen... mais ça on ne l’apprendra que 6 heures après, une fois arrivés.On passera en fait ce jour-là plus de 18 heures dans la voiture, nous arrêtant de temps en temps pour distribuer des enveloppes et des papiers de souscription. C’est grâce à un ami parlant un vague anglais que nous comprenons qu’il s’agit en fait de bulletins de souscription, pour subventionner sa ferme. On passe dans les restaurants, les bars, et enfin à la chambre d’agriculture (enfin ce qu’on imagine comme son pendant thailandais). On sent bien qu’il nous utilise un peu pour se faire mousser auprès des personnes rencontrées. Des étrangers s’intéressent à sa ferme!Bref, cette journée est une véritable épreuve pour le corps, mais surtout pour le mental. On a parfois très envie de lui crier dessus qu’on n’en peut plus, mais on continue de sourire, sans vraiment comprendre à ce qui nous arrive.Une sorte de cauchemar éveillé, en plus inconfortable encore.La journée se finit finalement autour d’un repas de scarabées et d’abats... assez reboutant, mais finalement assez sympathique. Une lumière dans une journée-tunnel bien sombre.Encore une fois, on s’est fait bizuter, et cette fois en beauté. Mais on retient une chose fondamentale de cette journée d’épreuves. Une ferme biologique est difficilement viable économiquement parlant. Sans ses subventions, le concept de Kasemchai n’a aucune chance de perdurer. Cette dépendance à l’apport de revenus extérieurs sous forme de dons, c’est sa fragilité. Cela nous interpelle pour le projet de chez Jwu : Comment penser écologie et économie en même temps?

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72Deux mois dans un village

Allez, avant de partir, on se décide à passer une dernière journée avec notre américain.C’est un peu un colon, mais il nous fait bien rigoler, malgré tout. Ses manières d’alcoolique, son accent américain à couper au couteau, ses expressions (“hey yo my ya-yoos!” “what a pair of knockers she got!”), il se dégage du personnage quelque chose de drôle, même si parfois il se montre un peu maladroit.Nous nous sentons un peu comme à la maison avec lui. Nous savons que l’on ne va pas apprendre grand chose sur le territoire (quoi que...), mais on envisagerait mal de partir sans lui dire au revoir décemment. Et puis on lui a donné un appareil-photo, qu’il a partagé avec sa femme, son jardinier et toute sa famille. Et c’est sans aucun doute la personne à qui on a eu la chance de pouvoir expliquer vraiment ce que l’on en attendait..On arrive donc devant sa proprieté sur le coup des onze heures. Et il est clairement déjà bien émeché.

- Au sanatorium -

- Comme une envie de vomir acide -

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73Deux mois dans un village

Il nous invite au restaurant, ce que l’on accepte et on grimpe à l’arrière de son énorme 4X4. Paysages qui défilent, enfants qui nous sourient, rizières à perte de vue, semées de buffles qui mâchonnent en prenant leur temps. C’est beau, mais presque devenu banal pour nous. Je me fais la réflexion que, à vivre deux mois ici, dans ce paysage grandiose, on en deviendrait presque blasés... en tous cas habitués. Une chose est sûre, ça va quand même nous manquer!On arrive dans un steak-house flambant neuf. On mange de la viande, beaucoup de viande.Il nous propose ensuite d’aller dans un bar à Sakon Nakhon, tenu par un de ses amis. On ferait bien une sieste, mais on n’est clairement pas en mesure de négocier quoi que ce soit.Le bar en question est tenu par un sale type, avec ses trois piliers de comptoirs, des sales types eux aussi. On les salue, du bout de la main. On n’a pas encore parlé avec eux, et c’est peut-être un jugement hâtif, mais on a comme l’impression d’avoir déjà eu à faire à ce type de pesonnes, parce que déjà beaucoup trop rencontrées lors de notre séjour en Thaïlande. Ce n’est pas la première fois, mais je me prends encore en pleine figure cette vérité , ce visage sombre de ce pourtant si joli pays.Un pays sali, presque violé, par tous ces hommes, venus ici mourir dans les bras de prostitués de l’âge de leurs petites filles. Ils s’assoient pourtant avec nous (il n’y a pas souvent des étrangers dans le coin...) et nous questionnent sur notre présence et notre projet en cours. On leur explique poliment, et la discussion dérive sur le pays et ses habitants. Je passe volontairement sur le nombre de propos racistes et outranciers que nous entendrons cette après-midi là. Ils finiront par nous avouer à demi-mot qu’ils sont tous mariés à de jeunes thailandaises ou laotiennes, qui ne doivent pas dépasser la trentaine. Et ils nous encouragent d’ailleurs à faire de même : “the best girls in the whole world, trust me!” Bah bien sûr!Le plus gros des quatre, une verrue énorme sur le nez, et des dents d’irlandais (qu’il est, en fait) nous quitte, il a envie d’aller voir un spectacle de lady-boy. C’est bien.J’ai comme envie de vomir sur eux, là tout de suite. Ils sont nombreux, les occidentaux qui, comme eux, viennent profiter ici de sexe facile et tarifé. Si nombreux, qu’il en devient difficile, dans le zones touristiques, de s’en démarquer. On demande un massage, et on nous propose immédiatement le “happy ending”. On cherche un bar sympa, on nous indique un bar à entraîneuses. C’est pénible, et entre nous, absolument révoltant.Rentrez chez vous , et allez mourir seuls, comme des éléphants!Eux au moins gardent un peu de dignité. Ils ne donnent pas, et loin de chez eux, le pathétique spectacle de leur décrépitude.

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74Deux mois dans un village

Bon ben finalement on l’aura notre petite semaine avec notre agriculteur bio.Deux jours après notre échec cuisant, on reste quand même (relativement) motivés. On se présente donc à 7h tapantes devant chez lui, chauds comme des barriquesVraiment, vraiment, le mec est sympathique. Il nous accueille d’un grand sourire, nous paye un petit café. On voit bien qu’il ne se sent pas bien pour la dernière fois.On ne laisse rien paraître.Mais bon... comment dire... on a un peu les boules, quoi.

- Pour de vrai ! -

- Avec Kasemchai -

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75Deux mois dans un village

On s’est sentis manipulés, utilisés, et ce n’est vraiment pas agréable comme sensation. On a pourtant compris qu’il a besoin de sponsors pour survivre, et ca nous fait nous poser plein de questions pour la parcelle de Jwu.Mais hop, au boulot!On prend les sacs de la dernière fois (on pense très fort que c’est de la farine de tapioca...ou de manioque, on ne saura finalement jamais!).Direction les cochons, où c’est déjà l’orgie, littéralement. Ils savent qu’ils vont être nourris, et ils se grimpent dessus les uns les autres. Et ça en fait du boucan! La bête a faim, et aime à le faire savoir.S’ensuivent les boucs, qu’il a installés sur les talus de deux grands bassins, pour reproduire leur habitat montagnard.Puis les vaches à grandes oreilles, les vaches de la coopérative (il en posséde deux), et enfin les canards.Tout le monde a droit à sa farine à la mélasse, et ils n’ont pas l’air de s’en plaindre, loin s’en faut.Notre agriculteur en profite pour nous faire visiter sa parcelle, qui est quand même relativement grande.Elle se déroule en longueur entre le village et le lac. Il pompe l’eau avec une machine qu’il a bricolée lui-même (comme tout ce que l’on verra d’ailleurs). Il la ramène ainsi au niveau du village et la laisse redescendre par gravité, dans une succesion de bassins jusqu’au lac.Il a ainsi développé de nombreux systèmes de filtration, par le riz, la jacynthe, les nénuphars,... L’eau dont il ne se sert pas, revient donc dans le lac mais purifiée. Une petite initiative locale, mais qui a le mérite d’exister.D’autre part, il récupére le purin de ses animaux, qu’il enferme dans une cuve scellée. Grâce à une machine (dont on n’a pas vraiment compris le concept...), il utilise le gaz qui s’en dégage pour alimenter une turbine, et ainsi produire de l’électricité. La ferme est ainsi absolument indépendante en électricité et en eau et ne dégage... que de l’eau (presque) pure.On passera finalement une petite semaine chez lui, à l’assister dans ses tâches quotidiennes. C’est un peu d’aide pour lui, et c’est pour nous une occasion d’apprendre les méthodes culturales durables sur ce territoire.Drôle de personnage ce Kasemchai. Sympathique, débrouillard comme pas deux, mais insaisissable. Il tient un beau concept, mais peine à le faire tourner au quotidien. Comment faire un beau projet et le rendre viable? Comment allier humanisme et consumerisme? Son exemple force le respect. Moqué par ses voisins qui le prennent un peu pour un fou, ou du moins un utopiste un peu allumé, il garde le cap, et continue d’essayer de nouvelles méthodes culturales. Kasemchai, on ne t’oubliera pas.

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76Deux mois dans un village

Aah le Big C...Ca fait un moment qu’on en parle, et qu’on débat au sujet de ce supermarché, cette verrue urbaine moderne.Implanté au coeur de la ville, il est devenu le point de ralliement d’à peu prés tout le monde. Tout le monde, ou presque, nous a avoué s’y rendre au moins une fois par semaine. Pour acheter ou faire du léche-vitrine, c’est le rendez-vous des jeunes de la ville.Quand on connaît le nombre et la richesse des petits marchands de rue, c’est vrai que ca fait un peu mal au coeur de voir tous ces gens se ruer sur des paquets de Frosties.Les plus radicaux (Etienne et Nicolas, désolé...) voudraient le voir brûler. Les plus modérés (moi, désolé..) trouvent que c’est quand même bien pratique, un supermarché pour faire ses courses.Et puis qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, c’est quand même là qu’on vient faire nos courses toutes les semaines, et bizarrement, personne ne lance de débats à ce moment-là...

- Comme un air de déjà-vu -

- Le Big C -

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77Deux mois dans un village

L’autre jour, entre un jambonneau allemand (ah ce wädele, ma petite madeleine de proust là-bas...) et de la lessive Ariel, j’ai bloqué sur un spectacle peu banal.Enfin si, en fait.Trois gamins, entre 6 et 12 ans, se disputaient les faveurs de leur grand-mère, pour le coup un peu dépassée.“Du chocolat, mamy!” “et du coca frais, s’il te plaît!”Je ne sais pas trop pourquoi, mais je me suis vu dans ces gamins, avec mes deux grands frères, 20 ans plus tôt, essayer de rendre dingue notre mamie, dans à peu près les mêmes circonstances.En fait, on est de la même génération avec ces gosses! Celle des céréales qui font Crac, des cartes à collectionner, et des Malabars fluo avec décalcomanies.La génération super-marché, quoi.Mais mes 20 ans d’écart d’avec mes nouveaux amis générationnels me font me poser la question suivante : “La Thaïlande aurait-t-elle 20 ans de retard, donc?”Il serait évidemment facile et idiot de répondre oui. J’irai même plus loin en affirmant qu’il est excessivement dangereux de trancher cette question. Parce que ce n’est tout simplement pas comparable.Ce pays est peut-être moins developpé (et encore, sur certains points, on s’entend..) que la France. Mais il vit un processus de développement radicalement différent. L’importation et l’exportation à l’heure des super-tankers et des frontières ouvertes, le marketing à l’heure de la télé pour tous, ... et puis et puis...une révolution culturelle (le rock’n’roll quoi!) à l’heure de l’Iphone et d’internet illimité.Les jeunes générations thailandaises font dans l’hyper-communication. Tout est sur Facebook, Twitter, et Instagram. Tout, et sur tout le monde.Tout va plus vite, plus fort, plus loin, désormais.Ca traverse le monde, ça s’accroche, ça repart, ça revient, c’est planéte, c’est le monde internet!Je ne suis ni économiste, ni statisticien, ni sociologue, mais clairement, le développement ici n’est pas le même que chez nous. Il est plus rapide et répond à des processus qui se sont adaptés à la culture. Il n’est pas rare, par exemple de voir un jeune adolescent tweeter son plat de nouilles traditionnel ou un moine tapoter son Iphone.Modernisme et respect des traditions composent désormais cette societé riche et aux multiples facettes.Donc non. On ne peut pas comparer. La mondialisation a certainement des millions de défauts, ça pollue, ça dénature et ça lisse.Mais si on laissait les thailandais en juger par eux-mêmes, plutôt que de se poser en donneurs de leçons?

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78Deux mois dans un village

- L’histoire des coconuts -

- La vie au village -

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79Deux mois dans un village

C’est bien, un village.C’est calme, un village.On a de la place, on respire.Tout le monde se connaît, se reconnaît.On se salue, on se tutoie, on s’invite, on se reçoit.On s’entraide, on se serre les coudes.C’est bien un village, c’est rassurant.En vrai, pour l’urbain que je suis, un village c’est presqu’un paradigme, un absolu, une image, un concept rêvé. Un truc que je n’ai jamais vécu, mais dont on m’a tant parlé, et dont j’ai tant parlé, sans jamais vraiment l’expérimenter, en vrai.J’y goûte, à l’occasion, chez mes amis alsaciens de Nierderschaeffolscheim, ou corréziens de Saint-Gimel-les-cascades.Les voisins, les amis, la nature toute proche, le calme, je l’apprécie, mais en vacances, voila. Je n’ai pas été forgé comme ça. Moi, c’est le bitume, l’agitation, les gens, cette foule anonyme, ce dynamisme, dont j’ai finalement le plus besoin.Parce que c’est énervant aussi, un village. Tout se sait, tout se voit et puis on n’a pas toujours envie de dire bonjour. Et preuve en a été faite aujourd’hui, dans ce petit bout de village qu’est Ban Paen.Hier soir, excité par je ne sais quelle raison, je me suis mis en tête de détacher une noix de coco du cocotier qui trône fièrement au milieu de notre jardin, avec un air de nous narguer.Casque de moto sur la tête (SAFETY FIRST...), et armé d’une longue canne de bambou, je m’escrime pendant une bonne heure, sans aucun résultat. Je suis nul, j’en conviens, mais franchement ce n’est pas facile. Les copains, rejoints par les enfants du village se moquent de moi, et je croise le regard méprisant et sévére d’un voisin. “Sacré Farang, tu t’y prends vraiment comme un manche” doit-il se dire.La tempête du soir, plutôt intense, finira tout de même par en faire s’en décrocher une, dans la nuit. “C’est moi qui l’ai fragilisée, c’est sûr!” Je me vante, mais personne n’y croit vraiment. Cochonnerie de nature.Mais aux aurores, notre propriétaire, sans doute alertée par nos voisins, nous en raméne deux, fraichement cueillies. C’est gentil, c’est prévenant, mais un peu perturbant. Et puis je n’aime pas la noix de coco, je faisais juste ça pour la gloire.En fait, tout se sait dans un village, tout se dit.Un village, c’est une communauté. On se reconnait, on se salue, on obéit aux même régles et parfois aussi, on s’épie les uns les autres, on s’observe.Cette force du lien entraîne solidarité et entraide et en même temps, on est surveillés, contrôlés.C’est bien un village, mais je crois vraiment que je préfère la ville et le confort de son moelleux manteau d’anonymat.

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80Deux mois dans un village

- Eat the road, Jack-

- Dernier tour de bécane -

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81Deux mois dans un village

C’est notre dernière soirée à Ban Paen et nous ne sommes plus que tous les trois dans cette maison presque vide.Demain, on part très tôt au village des fantômes, mais on a quand même envie de fêter ça, de marquer le coup.Nous nous décidons donc à aller manger un dernier barbecue dans un petit restaurant aux portes de Sakon Nakhon. C’est un peu loin, mais ce n’est pas grave, on a envie de rouler encore une dernière fois sur ces routes, voir une dernière fois ces villages, ces gens, ces rizières.Nos sacs faits, un premier ménage sommairement effectué, on ferme la maison et on enfourche les bécanes.C’est bon de faire de la moto.Le moteur qui vrombitLe vent qui vous fouette le visage.Les paysages qui coulent sous les yeux.Les courbes, les viragesEt puis les lignes droitesEt les lumières qui tirent des traits.Tout se mélange en moto.C’est avant tout une sensation de faire de la moto.Il y a nous, et puis le monde.On le traverse, on le coupe sur notre trajectoire.Il y a ce qu ‘il y a à gaucheIl y a ce qu’il y a à droiteEt puis il y a le devant, notre but, là où l’on vaLe derrière, on s’en fout un peu, finalement.A peine traversé, le paysage devient un lointain souvenir.Et puis on est fragiles sur une moto.Il y a nous, et le monde. Une erreur de trajectoire, un trou sur la route, une vache qui traverse.On en est conscients, mais c’est ça aussi, la moto.Il y a le danger, l’adrénalineÇa vous monte aux tempes, ça vous traverse.Le danger est là, on se cramponne au guidonOn freine, on ralentit, et on puis on accélère.Le corps entier participe dans cette danse.On se tend, on se détendOn se cramponne, on se relâcheOn se penche, on se redresseTout est confus, tout est flou, en motoMais tout est clair, simple, limpideLa concentration amène à se poser les vraies questionsOn fait le vide, ou on fait le pleinIl y a nous, et le mondeÇa va me manquer la moto.

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Dernier jour à Ban Paen.Maison rangée.Sacs faits.Adieux larmoyants aux villageois effectués.Spéciale dédicace à Paa Tik, notre logeuse, qui nous supplie de repasser la voir si on revient dans le coin. Elle nous en aura fait voir cette petite propriétaire, mais c’est vraiment émus que nous lui faisons nos adieux... On s’y était attaché à cette tête de mule!Mais bon, ça y est, on y est, c’est la fin.Pour fêter l’occasion, nous consacrons notre dernière matinée à fêter les fantômes (oui oui!), dans un village inconnu du nom de Bann Quelque chose (comme c’est étrange!).Nous étions venus déposer un appareil photo ici, dans ce lieu qui se trouve à une vingtaine de kilomètres du lac. L’idée était de voir comment, aussi éloignés du lac, et en plein massif forestier, les villages s’organisaient.Et puis je ne sais pas... Ca a l’air drôle cette fête de fantômes!On s’attend à un truc vaudou, mystique, on aurait presque peur.. en tous cas, on fait pas trop les malins ce matin-là, sur nos motos.On se détend très vite en arrivant. Vu de l’extérieur, il semble s’agir encore d’une fête de “mort-vivants” (c’est comme ca qu’on les appelle affectueusement entre nous), comme on a pu en voir au Songkran Festival et dont seuls les Thaïlandais ont le secret.

- Au village des fantômes... -

- C’est la fête ! -

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83Deux mois dans un village

Nous sommes tout de suite accueillis par un gars plutôt souriant du nom de IK. On comprend dans les premières secondes que l’homme est ivre-mort (il est 8h30 du matin). Il est très tactile, titube, mais parle néanmoins quelques bribes d’anglais et nous introduit dans la place.Nous nous installons à une petite table et on nous propose tout de suite du whisky ou de la bière. Nous déclinons, confus, et nous demandons poliment de l’eau ou du coca.On n’est pas super à l’aise. Tout le monde nous dévisage!De ce que l’on en voit, il y a clairement deux bandes à part :- Le groupe de musique traidtionelle, qui joue cette musique si particulière de l’Isaan, à la fois entêtante et entraînante, au centre de la piste. Faite de répétitions, et jouée avec une cornemuse étrange et un tambourin, elle est censée mener à la transe. Autour, ce sont les femmes, magnifiques dans leurs habits traditionnels, qui dansent en rond dans une grande procession, faisant de délicats mouvements des mains, et tapotant des pieds en ryhtme.- Les hommes du village, de l’autre côté. Regroupés avec nous sous la maison, ils picolent sévére, et regardent leurs femmes, mi-amoureux, mi-moqueurs. On sent bien que des fois ils aimeraient bien les rejoindre. Mais ça serait faire un truc de filles et ça, ce n’est pas tolérable.On nous propose de danser, mais on n’ose pas trop. Pas sûr qu’ils accrochent à nos déhanchés technoîdes.Nicolas se fait voler son appareil-photo par IK, notre meilleur ami du moment, qui se photographie avec à peu près tout le monde.On nous présente une jolie jeune fille, en fait la seule de l’assistance qui parle un peu anglais. Ca tombe bien, parce qu’on a plein de questions à lui poser! Elle nous explique qu’il existe les gentils et les méchants fantômes et que la cérémonie du jour consiste à repousser les méchants hors du village. Musique et danses sont censées les faire fuir, et inviter les gentils fantômes à rester pour veiller sur le village et surtout sur les enfants.Les femmes vont ainsi danser toute la matinée et l’après-midi, tout le monde se baignera.Nous devons vraiment partir et nous nous excusons, difficilement..C’est un peu la galère pour récupérer notre appareil-photo. Soit ils ne comprennent pas, soit ils font semblant de ne pas comprendre, pour que l’on reste plus longtemps! Il est en fait en train de tourner de main en main... On a un peu peur de n’avoir que des photos de la cérémonie, mais on est au moins sûr que les photos ont été prises par le plus grand nombre. On a vraiment hâte de voir les photos, même s’il y a des chances qu’elles ne soient pas toutes pertinentes.C’était vraiment chouette cette fête, en fait. C’était authentique, dans son jus. C’est important des moments comme ceux-là.

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84Deux mois dans un village

Vraiment, là, ça y est pour de vrai, notre temps à Sakon Nakhon est fini.On se retrouve une dernière fois face à ce si joli lac, un peu rêveurs et, quelque part un peu tristes. Pour ma part, je suis vraiment partagé entre deux sentiments. La mélancolie et l’envie. Mélancolie, parce que ce n‘est pas dit que l’on revienne un jour ici... Mais qui sait?Envie, parce que maintenant on va aller voir l’autre Thailande.On a compté, ça fera la quatrième fois que l’on vient ici, dans cette province.Presque 5 mois mis bout à bout. Et à part Bangkok et Koh Samed, on ne connait, en fait, pas la Thaïlande. Les étrangers et expats rencontrés ici ont tous été formels : ici, c’est la vraie Thaïlande. Cela voudrait-il dire qu’il en existe une fausse? C’est bien ce que l’on va voir!

- Maintenant, on va voir la Thailande -

- Au revoir joli lac -

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85Deux mois dans un village

Mais l’heure est aussi un peu au bilan et à la remise en question.9 semaines passées ici, entre la ville, les parents d’Eve, et notre petite maison du village.9 semaines à analyser, interroger, s’interroger, tenter de comprendre, pour essayer de projeter ce qui deviendra notre diplôme, et peut-être la première pierre de notre association.On pensait que ca serait long, et c’est passé trop vite.On pensait que ca serait difficile, et...ça a été difficile, pas de surprise là-dessus!On rentre chez nous avec une quantité hallucinante d’informations. Entre les rendez-vous officiels, les interviews des débuts, les journées passées à “Faire” avec les gens et les appareils-photo, on a un sérieux tri à faire..Il va s’agir de hiérarchiser, organiser, trier, ordonner...bref pas le travail le plus glamour que l’on puisse imaginer. Mais il est nécessaire.Et puis ce n’est pas comme si on n’en avait pas profité au maximum! Formaliser notre diplôme sera l’aboutissement de cette démarche longue et difficile, entreprise un an auparavant.Des deux grosses semaines qui nous restent, on a essayé de tirer deux grands objectifs. Le premier, c’est de re-rencontrer Eggarin et Jwu. On sent qu’on a besoin de les voir et d’avoir leur avis, une dernière fois, avant de partir. Encore une fois, on ne sait pas encore bien quand on pourra revenir, et ce sera peut-être la dernière occasion de les voir. Et Dieu sait qu’on a besoin d’informations précises!Le deuxième, c’est d’aller voir cette “autre” Thaïlande. Celle des cartes postales, des plages infinies, et des temples dorés.On va consciencieusement éviter Pattaya et Phuket, que l’on sait d’avance condammnés par le tourisme sexuel. Ok, du coup on ne pourra pas vraiment juger, mais on n’a pas du tout envie de se confronter à ça, cette vérité qui est de toutes façons présente un peu partout en Thaïlande. Mais pour avoir trop vu (et surtout trop jugé...) tous ces back-packers achetant leur plaisir au gré de leurs envies, on se fixe une régle.Chaque destination, doit recouvrir un intérêt pour le diplôme. Etre un exemple, ou un contre-exemple mais, en tous cas, nous aider à nous positionner. On se décide donc à aller sur Bangkok, puis Khao Sok, où, dit-on, il se pratique un vrai éco-tourisme. Koh Tao, et sa ferme aquacole auto-suffisante. Ou encore Koh Chang, et le projet que Jwu a monté, et qui nous fait un peu rêvé.On n’a pas beaucoup de temps, va falloir y aller à fond!C’est bien connu, les voyages forment la jeunesse. Et c’est ce à quoi on va essayer de s’employer ces prochains jours!

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86

Thaïlande

Cambodge

Malaisie

Vietnam

LaosBirmanie

Chine

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87Un petit tour en Thailande

Un petit tour en Thailande

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88Un petit tour en Thailande

- We are young, forever -

- In Koh Chang -

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89Un petit tour en Thailande

On retourne de façon assez naturelle à Koh Chang.On doit y retrouver Jwu dans sa ferme aux éléphants et on décide de se prendre quelques jours “OFF”.Et puis, après les scarabées, scorpions, soupes à la fourmi, clafoutis aux abeilles et autres bizarreries, on se dit qu’on a bien le droit à un bon burger, un peu d’agitation, de rock’n’roll et de farniente.On passe donc 4-5 jours au Siam Hut de Lonely Beach, une “Bungalow accomodation” sans prétention aucune, au bord d’une petite plage isolée.Une trentaine de petits bungalows disposés sous les palmiers, une grande hutte, constituée d’un plancher en bois brinqueballant, et d’un couvert de paille soutenu par des piliers en tronc mal dégrossi, une petite cuisine, un petit bar, et puis la plage juste à côté... Vraiment, l’ensemble ne paye pas de mine. Et pourtant on y est bien. Un petit air de paradis, ou de Robinson Crusoé, dont on avait finalement bien besoin. C’est un peu une institution cet endroit et peut-être qu’il y flotte encore l’esprit des premiers back-packers venus ici il y a plusieurs dizaines d’années. On s’y ennuie un peu et je me prends à dessiner le plan ci-à coté, pour tuer le temps. La tâche finie, je me retrouve à me demander quelles améliorations je pourrais apporter au lieu, si je devais le faire.Je n’en vois absolument aucune. Tout simplement parce que le lieu s’est construit avec le temps. Le plancher rapiécé est, en fait, dû aux agrandissement succesifs. On est venu rajouter un petit bar par-ci, un tattoo-shop par-là. Trop de monde? Allez, on défriche un peu la jungle et on rajoute 5 bungalows au Sud.Cette architecture presque spontanée dégage un sentiment d’harmonie. Peut-être parce que le programme du bâti a suivi à la lettre les Usages. Les constructions se sont adaptées, ont muté, en fonction des usagers, et pas l’inverse.Si demain me prenait l’envie de construire un Resort de ce type, je pense que je tomberais à côté. Ou que je ferais du toc, un semblant de naturel, auquel il manquerait cette chose indéfinissable qui fait le charme.Cela m’interpelle un peu pour le projet que l’on est en train de penser à Sakon Nakhon. Comment réussir à penser un bâti évolutif, adaptable aux usages, mais aussi capable d’évoluer en fonction du succés de l’entreprise? Cette question du programme et des usages liés est au coeur de nos discussions depuis le début et je pense que l’on n’a pas fini d’argumenter. La forme du projet doit être au service du sens, et pas l’inverse.Ici, c’est le temps qui a construit, et les habitudes qui ont généré le programme. Cette échelle de la lenteur, c’est l’échelle humaine. Alors oui, c’est rafistolé, et ça fait un peu bricolage, mais on sent que le lieu a une histoire, un vécu, et c’est ça qui fait sa force.Et vraiment, on y est bien à la hutte Siam.

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90Un petit tour en Thailande

Jwu n’étant pas sur l’île, on rencontre Junatip, son bras droit ici. L’homme a été contacté par téléphone, et nous accueile comme des princes. Repas, rafraîchissements, et explications pointues sur le biotope de la mangrove qui se déploie devant nous.Le pêcheur assure aujourd’hui le fonctionnement de la petite entreprise de location de kayaks créée puis léguée par Jwu à ce petit village de pêcheurs de l’île de Koh Chang, au sud-est de la Thaïlande. C’est aujourd’hui un moyen pour les habitants de ce petit coin de mer de compléter leurs faibles revenus de pêche traditionnelle par un tourisme intégré au village et respectueux de l’environnement. Au-delà de la possibilité de louer des kayaks, les villageois ont construit de petites embarcations sur lesquelles une table permet aux couples de touristes de manger un repas local au coucher de soleil. Lorsque l’on va de l’autre côté de l’île au milieu des hôtels avec piscine et des bungalows en front de mer, on est plutôt ravis de trouver un lieu tel que celui-là. On se sent dans le vrai. Un petit restaurant familial complète le tableau. Avec peu de moyens, Jwu et ses amis ont créé ici un lieu pour un tourisme intégré où l’on est tout aussi heureux de découvrir la mangrove que les gens qui l’exploitent pour toutes ses richesses (voir herbier en annexe). Les revenus de ce projet sont partagés entre les villageois qui accueillent l’arrivée des touristes avec un large sourire. Un petit budget pour une grande idée !

- Le projet de Jwu, allier tourisme et équité -

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91Un petit tour en Thailande

PSFA VU

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92Un petit tour en Thailande

- L’industrialisation du tourisme pour Back-Packers -

- La guerre du Bath -

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93Un petit tour en Thailande

Bientôt une semaine que l’on est sur Koh Chang. Une semaine à dessiner, écrire, se baigner, manger, se reposer,... Bref, ca fait une semaine et franchement, on s’ennuie à mourir.Oui le cadre est somptueux, cette longue plage quasi déserte, quelques Resorts qui dépassent à peine des palmiers, l’eau turquoise, le ciel bleu et puis ces îles au fond, qui cadrent l’horizon et le soleil qui, tous les soirs, vient y mourir tranquillement. Une semaine donc, et on a deja des fourmis dans les jambes et des envies plein la tête. Il nous reste deux semaines et on a vraiment envie de découvrir plein de choses. Il y a tant à voir et on connaît finalement si peu la Thailande!Ce qui va moins pourtant, c’est le portefeuille. On prend gentiment conscience que l’on a dépensé en une semaine l’équivalent d’un mois à Sakon Nakhon. Et pourtant, on n’a pas fait n’importe quoi.Quelques tensions apparaissent dans le groupe. C’est fou ça, le pouvoir que ça a, l’argent. On était une équipe soudée et sans problèmes, et c’est l’argent qui va nous causer notre seule source de tension du voyage entier! Faisant note commune, on essaye de se raisonner, on évite le petit déjeuner et surtout, on essaye de manger Thai, qui est grosso-modo deux à trois fois moins cher.Exit donc les burgers, et autres chicken sandwichs. L’heure est au serrage de ceinture...et de plusieurs crans, si l’on veut finir notre voyage dans des conditions décentes. On finit donc notre séjour sur l’île en ne dépensant que le strict minimum. Et force est de constater que l’on ne fait pas grand chose sans Jean-Luc (c’est comme qu’on appele affectueusement l’argent désormais) .Hormis les baignades dans la mer, tout est payant. Normal me direz-vous, mais du coup, les touristes que nous sommes, nous nous sentons un peu “vaches à lait”. Les gens sont moins sympas avec nous, les serveurs moins souriants.. J’exagère, mais c’est un peu ça. Et puis au moment de quitter l’île, me vient un sentiment assez désagréable, qui ne fera que se confirmer sur la suite du séjour. C’est ce sentiment d’être un peu téléguidés. En tant que Back-Packers, on se pense aventuriers. On se dit qu’on va faire des trucs que personne n’a jamais faits ou osés. On est en fait toujours le millième à avoir déjà eu la même idée. Les trajets vers les îles, même les plus petites, sont tous fléchés, normés. Les tarifs sont affichés. On n’a qu’à pointer du doigt sur la carte, et on y est. Tant mieux pour eux, mais franchement, c’est un peu tant pis pour nous.Voyager en Thailande, n’est en fait plus vraiment une aventure. On pense sortir des sentiers battus, mais on est, comme des centaines de milliers d’autres jeunes, venus d’Europe ou d’Amérique, cernés et téléguidés pour consommer, acheter et éventuellement s’émerveiller, si on a le temps.Le voyage devient ainsi une marchandise et les voyageurs des clients comme les autres.

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94Un petit tour en Thailande

- Rendez-vous professionnels à Bangkok -

- Suit up ! -

Après quelques jours passés sur Koh Chang, le retour sur Bangkok est vraiment difficile. Au bruit des vagues succède celui des klaxons, à l’odeur de marée, celle des pots d’échappement. Et puis, il faut remettre des chaussures... et d’ailleurs pas que!On a deux rendez-vous importants. On doit voir Eggarin, parce qu’on a vraiment besoin d’informations précises sur les projets de la ville de Sakon Nakhon, et puis on aimerait bien se faire préciser un certain nombre de données, notamment agricoles, histoire de savoir de quoi on parle. C’est malheureusement pour nous la seule source d’informations vraiment fiables que l’on ait. Et il faut en profiter!Et puis on doit retrouver Jwu, qui a parlé à sa famille, et qui veut que l’on se rencontre pour discuter des modalités de poursuite de notre travail collaboratif. On met les costards, c’est du sérieux !

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95Un petit tour en Thailande

Notre premier rendez-vous prend place à la Kasetsart University de Bangkok.Devant la porte, on croise Té, un architecte rencontré lors du premier workshop, et qui est maintenant professeur. Il nous conduit à travers le labyrinthe de l’école, où l’on croise pêle-mêle une fanfare, des étudiants qui se chamaillent, et des maquettes aux proportions hallucinantes. On arrive enfin devant le bureau d’Eggarin, sa photo sur la porte.L’homme est pressé mais, comme d’habitude, il prend le temps de nous recevoir. Vraiment un chic type. Doyen de la fac, professeur, architecte et urbaniste travaillant pour Bangkok ET Sakon Nakhon, il a clairement d’autres choses à faire que de s’occuper de nous.Mais il prend de son temps pour nous, et c’est vraiment appréciable. On en a vraiment besoin. Il dégage un coin de bureau et déroule une carte de la ville. On se fait réexpliquer les grands projets sur le territoire, notamment celui de contournement par les remparts, qui vient empiéter sur l’emprise du lac. ll nous explique les problématiques en place et surtout les calendriers. Si on veut proposer une alternative, il faut faire vite! On enchaîne le lendemain un rendez-vous avec Jwu. Celui-ci prend place dans un immense centre-commercial, dont seul Bangkok a le secret. Plutôt étrange connaissant le personnage... Mais c’est en fait un vrai point de rendez-vous ces usines à shopping!C’est toujours un plaisir de le retrouver et on échange sur Koh Chang, le projet qu’il a mené là-bas. Il veut un avis franc et honnête, afin d’améliorer le service pour les suivants.Mais on n’est pas là pour ça.Il a parlé à sa famille. Le stress monte d’un cran.Cette dernière est plutôt emballée par le projet, mais a pointé un fait important. Ni lui, ni nous, ne sommes spécialistes en agriculture. Il va donc falloir trouver quelqu’un qui s’y connait pour chapeauter le projet.Nos contacts avec des agronomes ne suffiront pas, il faut quelqu’un de là-bas, un local, qui sait de quoi il parle quand il s’agit de riz.D’autre part, ils doutent de la rentabilité économique du concept et proposent de couper le terrain en deux. Une partie sera remblayée et louée à un promoteur et ils nous laissent l’autre moitié pour développer notre concept.On est un peu déçus, mais quand même, 5 ha, c’est déjà pas mal!On se quitte après un bon repas et avec l’assurance de rester en contact.Ces deux rendez-vous en deux jours nous ont vraiment apporté. Eggarin par ses précisions et Jwu, par l’assurance que peut-être un vrai projet concret pourrait voir le jour. Et ça, c’est vraiment excitant! Notre intervention peut désormais être plus précise et on aborde la suite de façon beaucoup plus sereine.

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96Un petit tour en Thailande

On arrive par une matinée pluvieuse dans la réserve naturelle de Khao Sok. Il fait chaud, humide, lourd et avec nos gros sacs de routards, on n’est clairement pas au top.Au Nord de Krabi, le parc s’est constitué, il y a peu, avec la construction d’un barrage, créant le lac artificiel de Chew Lan. D’une superficie de 739 km2, c’est la plus grande forêt vierge de Thailande.Sous les conseils d’amis, nous installlons le campement au Green Moutain View, un petit Resort de quelques bungalows au pied de la montagne. On est accueillis par toute une petite famille qui gére ici le business...de façon familiale. La mamie et la belle-fille en cuisine, les deux fréres pour les papiers, les filles pour nous amener aux bungalows, et les plus jeunes pour assurer l’accueil des touristes en dansant la techno.Nos bagages posés, une douche prise et nous voilà dans le petit abri qui sert de cuisine, restaurant, accueil, salle de jeux,... avec les propriétaires.On passera ainsi la soirée à discuter avec eux et on écoute attentivement Jah, le “patron”, nous raconter les légendes de la création du lac. Comme la baie d’Halong, c’est encore un dragon qui a fait le coup, creusant rageusement ce relief carstrique si particulier. De sacrés aménageurs, ces dragons...Le moment n’en reste pas moins magique et on l’écoute, l’oeil brillant, nous raconter ses histoires envoûtantes...

- “ When I argue, I see shapes “ -

- A table avec Jah -

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97Un petit tour en Thailande

On part le lendemain avec notre nouvel ami pour un trek dans les montagnes. Il ne fait pas très beau, mais la brume ajoute une petite touche de surréalisme à l’aventure.Jah nous a prévenus, la route est longue, difficile et il ne faudra pas traîner si l’on veut rentrer avant la nuit : des animaux sauvages peuplent le parc et ne sont pas toujours d’une grande courtoisie et d’un accueil chaleureux.Le parc abrite en fait trois “Stars” : le lac en lui-même, consideré par certains comme plus beau que la baie d’Along (clairement les guides se sont légérement enflammés..), les gibbons, invisibles, mais dont on entendra les cris toute la journée, et la Rafflesia, la plus grosse fleur du monde, à l’odeur caractéristique de viande faisandée. Elle émet cette odeur pour attirer de petites proies, qu’elle piège dans son immense corrole, lui laissant le temps de déguster son repas. Les plus grosses peuvent s’en prendre à un chat!Les guides ont clairement oublié une star : les sangsues! On passe notre temps à se les enlever des mollets, avant-bras... Fait assez amusant, on croisera le tournage du “Fear Factor” sud-coréen et on se dit que, vraiment, la télé se moque de nous. Ils filment un pauvre quidam galérer dans les bambous... une équipe de tournage de 10 personnes autour, en talons aiguilles et script à la main. Je ne regarderai plus jamais Koh-Lanta, c’est décidé.

- In the jungle “ -

- “ With me, nobody never died -

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98Un petit tour en Thailande

- L’écotourisme, le vrai. -

- Khao Sok -

Née il y a une trentaine d’années, la notion d’écotourisme est finalement assez récente. La définition qu’en donne la Société Internationale de l’Écotourisme tient en une ligne : « L’écotourisme est un voyage responsable dans des environnements naturels où les ressources et le bien-être des populations sont préservés ».C’est bien, mais assez peu précis au final.On l’aura compris, cette dénomination est en fait un peu fourre-tout. On y injecte ce que l’on veut. Un peu à la manière du “Bio”, et du “durable”, chacun prend les critères comme il les entend, et proclame haut et fort son étiquette éco-durable. Ca permet de se dédouaner, ça a plein de côtés positifs, mais c’est un peu une goutte d’eau (et surtout en Thailande..) quand on le compare au tourisme de masse tel qu’il est pratiqué aujourd’hui.Des hôtels en béton sur la plage, des resorts de luxe, et des profits qui rentrent dans les poches de firmes internationales, délaissant les locaux, et les repoussant loin : Il ne faut surtout pas les voir!

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99Un petit tour en Thailande

On était assez excités avant d’arriver à Khao Sok.On était tombés sur un article dans un excellent Géo (hors-série spécial Thailande, Fèvrier 2013) et on s’était vraiment promis de venir ici.L’article parlait d’une réserve récente où le tourisme de masse n’avait pas encore tout saccagé et où la nature avait encore ses droits. Un havre de paix où il semblait bon de poser ses valises pour un temps.Et je dois bien admettre que le magazine avait vu juste.Un lac immense, un relief carstrique qui n’a rien à envier à la baie d’Halong, avec ses falaises qui plongent dans une eau turquoise. Une jungle dense, touffue, remplie de cris d’animaux parfois effrayants... Et puis il fait bon dans ce petit coin de Thailande. La vallée encaissée dispose ainsi d’un climat relativement doux par rapport au reste du pays.Mais plus que ça, Khao Sok est un site touristique durable.Seules les familles de la région ont le droit de tenir des hôtels ici et d’investir dans le tourisme. Et quand on dit famille, c’est au sens large. Dans notre cas, le petit hôtel était tenu par Jah et sa femme, et son père, et ses cousins, et les soeurs de sa femme, et les enfants de tout le monde.Les quelques bungalows accrochés à la falaise permettaient de faire vivre directement au moins une vingtaine de personnes.Alors certes, le site n’est pas encore envahi par des hordes de touristes chinois, ce qui explique l’accueil plus que chaleureux qui nous a été fait. Mais quand même, comme chez Barnaby au Laos, c’est dans l’échange avec les populations locales que ce type de tourisme peut mériter le titre d’écotourisme.Jouer avec les gamins, discuter de tout et de rien avec les gérants, aider en cuisine,... on se sent bien dans cette petite famille d’entrepreneurs touristiques.A Khao Sok, au-delà des paysages majestueux de ce lac pourtant artificiel, c’est la qualité de l’accueil, et notre immersion dans la culture ultra-locale du lieu qui m’ont séduit.Il n’y a pas de panneaux solaires, et le système de récuperation des eaux laisse peut-être un peu à désirer. Mais franchement, ce n’est pas le principal.Le principal, c’est l’échange, la rencontre.On est chez eux, ils nous le font bien comprendre et on est “invités” à partager leur quotidien. C’est à nous, touristes que nous sommes, de faire l’effort d’aller vers eux, et pas l’inverse.Mais ce n’est pas dit que tout le monde soit prêt à faire cet effort. Et pire que tout, ce n’est pas dit que Jah, sa famille, et toutes les familles qui habitent ce paradis d’Eden résistent bien longtemps aux sirènes du développement touristique.Et aux mannes financières qui l’accompagnent. A eux de décider, le destin leur appartient.

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100Un petit tour en Thailande

- Le Resort fantôme hanté -

- Toujours aller à l’opposé -

Partis de Khao Sok avec un minibus et après de tendres adieux à notre nouvelle famille d’accueil, nous pointons notre nouvelle destination : ce sera Koh Tao.Cela nous permet d’éviter Phuket et son lupanar à ciel ouvert pour européens avinés et nous met à une distance raisonnable de Bangkok, où le retour s’approche malheureusement à grands pas.Ce n’est pas pour nous déplaire, et on a un peu envie de voir une autre île avant de rentrer en France. Plus sauvage, moins touristique, paradis des plongeurs, le programme louché sur le guide du routard d’un ami s’annonce alléchant.Et on ne se trompe pas. Koh Tao est une île magnifique. C’est un peu cliché de dire ça, mais c’est la vérité. Une île minuscule, au milieu du golfe de Thailande. Un petit village de pêcheurs et une géologie hallucinante. On dirait qu’un Dieu conciliant a jeté des cailloux, comme une poignée de graviers, pour en recouvrir l’île. Ces énormes galets jonchent ainsi ses côtes, lui donnant un air chaotique, presque inhospitalier. On sort la tête du bateau, au réveil, et on est tout de suite charmés. On va être bien ici.

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101Un petit tour en Thailande

Ancien bagne pour les criminels politiques, anarchistes et insulteurs de Jean-Luc, l’île est surtout réputée pour ses spots de plongée, parmi les meilleurs de Thailande. Les petites baraques de pêcheurs se sont donc petit à petit métamorphosées en boutiques de scuba-diving. C’est moche, mais l’activité rapporte tellement plus et est tellement moins éprouvante, qu’on a du mal à leur en vouloir. L’île est clairement séparée en deux :- la côte Ouest, le port et son village, ses restaurants, et ses resorts qui s’étalent le long de la magnifique Sairee Beach. Tous les 20 mètres, une boutique vous propose une initiation à la plongée, à des prix défiant toute concurrence. C’est dommage, on est en fin de parcours et nos finances ne nous permettront pas d’en profiter. - à l’opposé, la côte Est, encore très sauvage. Quelques Resorts familiaux, installés sur de minuscules plages cernées par de gros galets.Entre les deux, des routes sinueuses grimpent à travers la jungle.Nous posons nos bagages du coté Ouest, là ou l’offre d’hébergement est encore la moins chère, en tous cas la plus variée.Mais fidèles à notre devise du “toujours aller à l’opposé des flots de touristes”, nous louons des bécanes, des masques de plongée et nous partons à l’assaut de la côte Est. Les routes sont vertigineuses de dénivelé et, à plusieurs reprises, nous sommes contraints de poser pied à terre. On arrive dans une petite crique isolée, et son petit resort de 3 bungalows et demi. Mais une moto créve, et un anglais nous prend en stop, la bécane dans le pick-up, jusqu’au premier garage. On repart à zéro, ce n’est pas grave, on a du temps. On prend cette fois une route qui s’enfonce plus au Nord, vers une crique du nom de Pirate Bay, tout un poème, et on est excités comme des gamins. Un arbre coupe la route et on laisse les motos pour continuer à pied. Une marche de 2 kilomètres plus tard et le spectacle est saisissant. Une petite presqu’île rocheuse a été colonisée par un petit resort, pour l’heure abandonné. On se balade ainsi dans les ruines de ce qui devait être à l’époque un vrai coin de paradis. Côté Est, une petite plage avec un petit restaurant en ruines. Un espagnol a planté ici la tente, et vit d’amour (seul) et d’eau fraîche (salée).A l’Ouest, des rochers en vrac, une eau turquoise et plein de sauts possibles. Entre les deux, des bungalows, qui devaient être plutôt luxueux, se disposent en fonction de la géographie et des arbres, s’accrochent aux rochers ou les surplombent. Comment un tel paradis a pu être ainsi déserté? On apprendra plus tard que l’hôtel n’était pas assez rentable, au vu des difficultés à s’approvisionner et de sa distance avec toutes infrastructures. L’activité s’est arrêtée en 2010, sans repreneur, et l’installation croupit depuis.On se prend à rêver de retaper l’endroit, on imagine les circulations, les arbres à abattre, à conserver. Bref on passe l’après-midi à rêver. Et ça fait du bien de rêver...

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102Un petit tour en Thailande

On rencontre Allan dans le ferry qui nous mène à Koh Tao, et qui restera dans les annales comme étant le transport le plus cool de tous les temps. Une vaste plate-forme recouverte de matelas et de coussins, et une nuit entière pour en profiter. Mais c’est sur le pont avant du bateau que nous faisons la rencontre de cet américain expatrié à Phuket. Agent immobilier de son métier, c’est un passioné d’écologie, et il se rend sur l’île dans un but précis. En contact mail avec le responsable d’une ferme aquacole, il nous parle de ce concept novateur avec ferveur. On se décide à le suivre dès le lendemain de notre arrivée, pour découvrir en vrai comment ça marche.

Le lieu est très connu donc, pour ses sites de plongée réputés comme parmis les plus beaux de Thaïlande. Alors cette chance de garder encore ici des fonds marins riches, les habitants par ailleurs très souvent étrangers, se battent pour la conserver. Presqu’une île d’écolos! On observera par exemple des journées dédiées au ramassage des déchets sur la plage en échange d’un casse-croûte offert par les associations locales. Mais nous sommes ici pour visiter un centre aquacole. Le principe est simple, mais n’est encore que peu développé. On éléve des poissons dans un bassin étanche (ici des poissons chats, qui se reproduisent à la vitesse de l’éclair). L’eau est récupérée par un système de pompes qui l’emmène vers un vaste potager hydroponique. Filtrée par les plantes, qui y puisent azote et éléments minéraux nécessaires à leur bonne croissance, l’eau repart dans les bassins, et ainsi de suite.L’installation fonctionne donc en circuit fermé et produit des légumes et des poissons eux aussi vendus pour la consommation (le poisson chat est ici consommé, et est même un plat de choix..). Un bel exemple d’une alternative aux amendements chimiques à retenir pour la suite.

- Ferme aquacole à Koh Tao -

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103Un petit tour en Thailande

PSFA VU

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104Un petit tour en Thailande

- La chiffonnière du pilier du pont -

- Bangkok to reality -

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105Un petit tour en Thailande

On finit notre séjour par deux jours à Bangkok. C’est pour nous l’occasion de dire au revoir à nos amis thaïs, et à la Thaïlande en général. Ce n’est pas le meilleur endroit, mais on fait avec.Nous ne savons pas encore si nous reviendrons un jour. On le souhaite de tout notre coeur, notamment pour mener notre projet à bien à Sakon Nakhon. Mais les incertitudes sont telles qu’on ne préfére pas s’avancer.On a voyagé encore une fois de nuit et on est plutôt fatigués. On s’autorise donc une sieste au Cozy Villa Hotel, qui constitue un peu notre base arrière quand on est sur Bangkok. On s’est lié d’amitié avec le réceptionniste et ça nous a permis, entre autres, de laisser nos gros bagages à l’abri durant notre petit périple. Et puis le quartier est vraiment sympa. Sukumvit, de son joli nom, est en fait le quartier musulmano-pakistano-indien et son atmosphère de village contraste vraiment avec les artères bruyantes et les quartiers de tours qui constituent le centre de Bangkok. Des bazars où tout brille et tout s’achète, des marchés aux odeurs de curry, des brochettes de Kebab. C’est un peu le quartier Saint-Michel de Bangkok, en fait.Et puis, on se refuse toujours à aller dormir à Koh San Road, l’antre des back-packers. On s’y est balladés lors de notre dernière visite et il se dégage vraiment quelque chose de malsain de cet endroit. On ne saurait l’expliquer, mais on s’y est vraiment senti mal, physiquement. Les dealers, prostituées, et vendeurs de faux permis de conduire à la sauvette, y côtoient la pire population touristique au monde : des russes avinés, des américains en marcel Chang (une vraie espéce à part, ces gens-là), des français en tongs-chaussettes, venus trouver ici la compagne de leurs vacances... Je m’enflamme un peu mais c’est vraiment perturbant, ce quartier.Bref, je me réveille plus tôt de la sieste, et vais à la fenêtre, qui donne sur les rails du train. Il y a cette petite mamie, qui en fait semble toujours avoir été là. Elle amasse une quantité hallucinante de tissus, chiffons, bouts de tapis, serpillières, qu’elle répare à l’aide d’une vieille machine à coudre. Vu d’en haut, ca paraît désordonné, mais en fait non. Son espace est clairement défini et identifiable. Une petite table pour la machine, un parasol pour s’abriter du soleil, une poubelle pour les déchets, un tabouret pour entreposer les tissus et une petite cagette pour les produits finis forment un petit carré de moins de 2 mètres carrés. Adossé à une pile du pont du sky-train, c’est un espace cohérent. Elle n’a pas besoin de plus, pas besoin de moins. L’essentiel est là.Elle n’a pas eu besoin d’un architecte pour créer son petit espace à elle. Il s’est construit avec le temps, simplement. Il n’y a rien de traditionnel dans son aménagement, mais je le qualifierais volontiers de vernaculaire.Est-ce que ce ne serait pas vers quoi on tend pour le projet, nous aussi?

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- C’est qu’il faut partir... -

- Quand rien ne te retient, -

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Je me retrouve devant le même horizon parisien que quelques mois auparavant. Même endroit, même heure, même lumière mais pas tout à fait le même sentiment. A la nervostié et au stress du départ a succédé une sorte d’apaisement, de tranquille sérénité. Un an d’un voyage qui aura éprouvé les corps et forgé les esprits.Et on ne revient pas tout à fait les mêmes qu’avant notre départ.Pouvoir voyager, en prenant le temps, est une opportunité que l’on aura sans doute plus. Toujours entourés d’amis, français ou locaux, qui nous ont fait découvrir leur pays, voilà surtout la chance que l’on a eue : celle de vivre les paysages de l’intérieur.Partir loin, donc, et les yeux grands ouverts... Partir, c’est déjà, d’une certaine manière, apprendre.Apprendre à rencontrer l’autre, à l’autre bout du monde, à l’approcher au plus près, à partager son quotidien, à comprendre ce qui le touche et le fait vivre.Partir, c’est aussi découvrir.Découvrir un paysage, le lire au travers de ses usages, comprendre ce qui l’a façonné et ce qui le transforme, s’émerveiller de sa richesse et de sa beauté.Partir, et sur un temps si long, c’est enfin se recréer des habitudes, une “nouvelle vie”. On oublie la France, son confort, son quotidien, pour se plonger dans l’aventure, tous les jours.L’”ordinaire extraordinaire”: en condensé, c’est vraiment ce que j’ai ressenti en traversant ces plaines et ces plateaux d’Asie, en vivant au rythme des cultures et des marchés, au contact de cette population accueillante et souriante.Un ordinaire peuplé de petites expériences uniques, de moments inoubliables et parfois de déceptions. Vivre cet ordinaire, c’est essayer tous les jours d’y déceler l’extraordinaire, l’unique.Des joies intenses et des galères, voilà ce qui fait un voyage, et c’est que j’ai essayé de vous transmettre au travers de ce carnet de voyage. En complément de notre diplôme de paysagiste, cette annexe vous aura raconté les “offs” d’une aventure humaine que nous avons voulu unique. Ses hauts et ses bas, ses certitudes et ses doutes.Ecrire, c’est essayer de s’en souvenir, pour garder présents dans nos mémoires ces moments parfois simples mais incroyables, ces rencontres aussi riches qu’inattendues, ces paysages grandioses ou intimes, ces lumières, ces couleurs et ces odeurs...“Quand rien ne te retient, c’est qu’il faut partir”, c’est ce que je me disais avant le départ. Mais partir loin, ou dans le champ d’à côté, c’est essayer de garder intacte sa capacité à s’émerveiller de tout et s’étonner d’un rien. Garder cette posture du voyageur qui s’interroge, et qui questionne ce qui l’entoure, voilà peut-être l’enseignement que je garde de ce voyage.

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