Cardiomyopathie dilatée liée à une infection à...

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Rev. méd. Madag. 2015 ; 5(2) : 600-602 Résumé La cardiomyopathie dilatée est fréquemment rencontrée chez les personnes infectées par le VIH et constitue une circonstance de sa décou- verte. Notre objectif est de rapporter un cas de cardiomyopathie dilatée liée à une infection au VIH et de souligner l importance dun dépistage systématique de cette infection chez les patients porteurs dune cardiomyopathie dilatée inexpliquée. Notre étude concerne un homme de 57 ans admis dans le service de Médecine Interne et des Maladies Cardiovasculaires du Centre Hospi- talier de Soavinandriana Antananarivo, pour dyspnée deffort stade II de NYHA avec orthopnée, devenue stade IV, accompagnée dune alté- ration de létat général, chez un diabétique. Lexamen clinique montrait des signes dinsuffisance cardiaque globale suivis dun déficit moteur gauche. Le scanner cérébral sans injection objectivait des lésions hypodenses en faveur dun accident vasculaire cérébral (AVC) isché- mique. Léchodoppler cardiaque montrait une dilatation des cavités cardiaques avec FEVG effondrée et un thrombus intra-ventriculaire gauche. Le BNP était à 452 ng/L. La sérologie VIH était positive avec taux de CD4 à 35 /mm 3 . Le diagnostic retenu était une décompensa- tion sur le mode global dune cardiomyopathie dilatée liée au VIH, compliquée de thrombus intra ventriculaire gauche et dun AVC isché- mique. Son traitement associait : mesures hygiéno-diététiques, oxygénothérapie, traitement de linsuffisance cardiaque, statine, antivitamine K, antirétroviraux et insuline. Le patient décédait deux semaines plus tard dans un tableau de détresse respiratoire et de choc cardiogénique. Le dépistage du VIH doit être systématique chez tout patient présentant une cardiomyopathie dilatée inexpliquée. Mots-clés: cardiomyopathie dilatée, VIH, thrombus, accident vasculaire cérébral ischémique Abstract The dilated cardiomyopathy is frequently met among the people infected by the HIV and constitutes a circumstance of its discovery. Our ob- jective is to report a case of dilated cardiomyopathy bound to an HIV infection, and to underline the importance of a systematic screening of this infection for all patients affected by an unexplained dilated cardiomyopathy. Our study concern a 57-year-old man, admitted in the Intenal Medecine and Cardiovascular Diseases unit of the Hospital Center of Soavinan- driana, Antananarivo, for exertional dyspnea class II of NYHA with orthopnea, increasing class IV, accompanied with a weakeness of general health, and diabetes in the background. The clinical examination showed signs of global heart failure followed by a left motor deficit. The cere- bral non contrast CT scan objectified loss of density evoking an ischemic stroke. The cardiac échodoppler showed a dilation of the cardiac cavities with collapsed FEVG and a thrombus in the left ventricule. BNP was 452 ng/L. The serology HIV was positive with rate of CD4 up to 35 /mm 3 . The final diagnosis was a decompensation on the global mode of a HIV-related dilated cardiomyopathy, complicated by ischemic stroke due to left intraventricular thrombus. The prescribed treatment included : hygiéno-dietary measures, oxygenotherapy, management of the heart failure, statine, antivitamin K, antiretrovirals and insulin. The patient died two weeks later, in a context of respiratory distress syn- drome and cardiogenic shock. The screening of the HIV must be systematic for every patient affected by an unexplained dilated cardiomyopathy. Keywords: dilated cardiomyopathy, HIV, thrombus, ischemic stroke Cardiomyopathie dilatée liée à une infection à VIH et ses complications : à propos d’un cas Dilated cardiomyopathy linked to HIV infection and complications: about a case M.R. Rakotonirina (1), R.M. Miandrisoa (1)*, S.N.J. Ratsimbazafy (1), S. Ralamboson (1), R.A. Rakotoarivelo(2), N. Rabearivony (3) (1) Service de Médecine Interne et des Maladies Cardiovasculaires, Centre Hospitalier de Soavinandriana (2) Service des Maladies Infectieuses, Centre Hospitalier Universitaire Joseph Raseta Befelatanana * Auteur correspondant: R.M. Miandrisoa ([email protected]) ISSN 2222-792X Cas clinique

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Rev. méd. Madag. 2015 ; 5(2) : 600-602

Résumé

La cardiomyopathie dilatée est fréquemment rencontrée chez les personnes infectées par le VIH et constitue une circonstance de sa décou-verte. Notre objectif est de rapporter un cas de cardiomyopathie dilatée liée à une infection au VIH et de souligner l’importance d’un dépistage systématique de cette infection chez les patients porteurs d’une cardiomyopathie dilatée inexpliquée. Notre étude concerne un homme de 57 ans admis dans le service de Médecine Interne et des Maladies Cardiovasculaires du Centre Hospi-talier de Soavinandriana Antananarivo, pour dyspnée d’effort stade II de NYHA avec orthopnée, devenue stade IV, accompagnée d’une alté-ration de l’état général, chez un diabétique. L’examen clinique montrait des signes d’insuffisance cardiaque globale suivis d’un déficit moteur gauche. Le scanner cérébral sans injection objectivait des lésions hypodenses en faveur d’un accident vasculaire cérébral (AVC) isché-mique. L’échodoppler cardiaque montrait une dilatation des cavités cardiaques avec FEVG effondrée et un thrombus intra-ventriculaire gauche. Le BNP était à 452 ng/L. La sérologie VIH était positive avec taux de CD4 à 35 /mm3. Le diagnostic retenu était une décompensa-tion sur le mode global d’une cardiomyopathie dilatée liée au VIH, compliquée de thrombus intra ventriculaire gauche et d’un AVC isché-mique. Son traitement associait : mesures hygiéno-diététiques, oxygénothérapie, traitement de l’insuffisance cardiaque, statine, antivitamine K, antirétroviraux et insuline. Le patient décédait deux semaines plus tard dans un tableau de détresse respiratoire et de choc cardiogénique. Le dépistage du VIH doit être systématique chez tout patient présentant une cardiomyopathie dilatée inexpliquée. Mots-clés: cardiomyopathie dilatée, VIH, thrombus, accident vasculaire cérébral ischémique Abstract

The dilated cardiomyopathy is frequently met among the people infected by the HIV and constitutes a circumstance of its discovery. Our ob-jective is to report a case of dilated cardiomyopathy bound to an HIV infection, and to underline the importance of a systematic screening of this infection for all patients affected by an unexplained dilated cardiomyopathy. Our study concern a 57-year-old man, admitted in the Intenal Medecine and Cardiovascular Diseases unit of the Hospital Center of Soavinan-driana, Antananarivo, for exertional dyspnea class II of NYHA with orthopnea, increasing class IV, accompanied with a weakeness of general health, and diabetes in the background. The clinical examination showed signs of global heart failure followed by a left motor deficit. The cere-bral non contrast CT scan objectified loss of density evoking an ischemic stroke. The cardiac échodoppler showed a dilation of the cardiac cavities with collapsed FEVG and a thrombus in the left ventricule. BNP was 452 ng/L. The serology HIV was positive with rate of CD4 up to 35 /mm3. The final diagnosis was a decompensation on the global mode of a HIV-related dilated cardiomyopathy, complicated by ischemic stroke due to left intraventricular thrombus. The prescribed treatment included : hygiéno-dietary measures, oxygenotherapy, management of the heart failure, statine, antivitamin K, antiretrovirals and insulin. The patient died two weeks later, in a context of respiratory distress syn-drome and cardiogenic shock. The screening of the HIV must be systematic for every patient affected by an unexplained dilated cardiomyopathy. Keywords: dilated cardiomyopathy, HIV, thrombus, ischemic stroke

Cardiomyopathie dilatée liée à une infection à VIH

et ses complications : à propos d’un cas

Dilated cardiomyopathy linked to HIV infection and complications: about a case

M.R. Rakotonirina (1), R.M. Miandrisoa (1)*, S.N.J. Ratsimbazafy (1),

S. Ralamboson (1), R.A. Rakotoarivelo(2), N. Rabearivony (3)

(1) Service de Médecine Interne et des Maladies Cardiovasculaires, Centre Hospitalier de Soavinandriana

(2) Service des Maladies Infectieuses, Centre Hospitalier Universitaire Joseph Raseta Befelatanana

* Auteur correspondant: R.M. Miandrisoa ([email protected]) ISSN 2222-792X

Cas clinique

La Revue Médicale de Madagascar 2015 ; 5(2)

M.R. Rakotonirina et al.

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Introduction

L’infection par le VIH est un problème majeur de

santé publique dans le monde. A Madagascar, 1,3%

de la population est touché par le VIH [1]. Environ

2,1% à 7,5% des infectées par le VIH souffrent d’une

atteinte cardiaque cliniquement significative et toutes

les tuniques cardiaques peuvent être touchées [2]. La

cardiomyopathie dilatée est fréquemment rencontrée

chez les personnes infectées par le VIH avec un taux

de CD4 inférieur à 400/mm3 [3]. Elle peut constituer

une circonstance de découverte d’une infection par le

VIH.

Notre objectif est de rapporter un cas de cardiomyopa-

thie dilatée liée à une infection au VIH et de souligner

l’importance d’un dépistage systématique de l’infection

par le VIH chez les patients porteurs d’une cardiomyo-

pathie dilatée inexpliquée même dans un contexte de

faible prévalence de la maladie.

Observation

Un homme de 57 ans a été admis dans le service

de Médecine Interne et des Maladies Cardiovascu-

laires du Centre Hospitalier de Soavinandriana, Anta-

nanarivo pour une dyspnée d’effort stade II de NYHA

évoluant depuis une semaine et d’aggravation progres-

sive avec orthopnée, et qui est devenu stade IV à son

admission. Elle est accompagnée d’une altération de

l’état général à type d’amaigrissement avec une perte

de poids de 3 kg en un mois. Il n’y avait pas de notion

de toux, ni de douleur thoracique, ni de fièvre.

Dans ses antécédents, il était diabétique connu de

type 2 traité par metformine, éthylique mais de façon

occasionnelle et tabagique sevré depuis 14 ans. Il était

allergique en pénicilline et au cotrimoxazole. Il était

hétérosexuel. Son père est hypertendu et diabétique.

L’examen clinique à l’entrée a montré un état hémody-

namique stable avec tension artérielle à 110/80 mmHg,

fréquence cardiaque à 102 battements/mn, fréquence

respiratoire à 31 cycles/mn, SaO2 à 90% à l’air am-

biant et une température à 36,4°C. L’examen de l’ap-

pareil cardiovasculaire et pulmonaire a trouvé des

bruits de galop protodiastolique (B3), des bruits du

cœur réguliers, un souffle systolique 2/6 au foyer mitral

irradiant vers l’aisselle, des râles crépitants au niveau

des deux bases pulmonaires. L’examen des autres

appareils était normal.

Quatre jours après son admission, il présentait de fa-

çon brutale une dysarthrie avec hémiparésie gauche

(force musculaire côté à 3/5) mais il n’y avait pas de

trouble de la sensibilité. Les réflexes ostéo-tendineux

étaient normaux.

Le scanner cérébral sans injection de produit de con-

traste a objectivé la présence de quatre lésions hypo-

denses frontale, capsulaire, pariétale et occipitale

droites compatible avec des lésions ischémiques cons-

tituées multifocales d’installation récente. L’échodop-

pler cardiaque objectivait une dilatation des cavités

cardiaques (VG incidence grand axe: diamètre télé

diastolique (DTD) : 69 mm (N<59 mm) ; diamètre télé

systolique (DTS) : 60 mm (N< 45 mm) ; VD incidence

grand axe : 31mm) avec une altération de fraction

d’éjection du ventricule gauche (FEVG) à 15%, une

hypokinésie globale, une élévation des pressions de

remplissage et un thrombus intra-ventriculaire gauche

(Fig. 1). L’électrocardiogramme a montré un axe QRS

normal, un trouble de la repolarisation en DI aVL et

V5V6. L’enregistrement de l’ECG de 24 heures ou Hol-

ter-ECG n’a pas trouvé des troubles du rythme car-

diaques paroxystiques.

Sur le plan biologique, le BNP était à 452 ng/L

(normale <100 ng/L). A l’hématologie, l’hémogramme a

montré une hyperleucocytose modérée à polynucléaire

neutrophile. Aux examens biochimiques, la glycémie à

jeun était à 1,85 g/L avec HbA1c à 7,3%, il n’y avait

pas de dyslipidémie, la créatininémie était élevée à

276 mol/L une clearance à 25 mL/mn, l’ionogramme

sanguin était normal et la troponine cardiaque était

négative. Le bilan inflammatoire a montré une CRP

élevée à 24 mg/L et une VSH accélérée. La sérologie

VIH était positive et le taux de CD4 à 35 /mm3. La sé-

rologie de l’hépatite B et C était négative. L’examen du

fond d’œil n’a pas trouvé la présence de rétinite à CMV

et la recherche d’une méningite à cryptococcose a été

Figure 1. Echocardiographie en incidence quatre cavités. Thrombus intra-ventriculaire gauche (flèche).

VD

OD

VG

OG

La Revue Médicale de Madagascar 2015 ; 5(2)

M.R. Rakotonirina et al.

négative. La radiographie du thorax en incidence de

face a montré une cardiomégalie avec rapport cardio-

thoracique à 0,58.

Nous avons retenu le diagnostic d’une décompensa-

tion sur le mode global à prédominance gauche d’une

cardiomyopathie dilatée liée à une infection par le VIH,

compliquée de thrombus intra-ventriculaire gauche et

d’accident vasculaire cérébral ischémique. Son traite-

ment comportait la mesure hygiéno-diététique, oxygé-

nothérapie, ramipril, aldactone, furosemide, atorvasta-

tine, enoxaparine, fluindione, ivabradine, fluconazole,

insulinothérapie et antirétroviraux combinés composés

de tenofovir, emtricitabine et efavirenz. L’évolution était

marquée par le décès du patient, après deux semaines

d’hospitalisation, sur un tableau de détresse respira-

toire et de choc cardiogénique.

Discussion

Une atteinte cardiaque au cours de l’infection à VIH

n’est pas une éventualité rare. Elle peut être observée

à tous les stades de l’infection, mais surtout au stade

C, selon la classification CDC d’Atlanta [4]. Tel était le

cas de notre malade. Le retard du diagnostic peut s’ex-

pliquer du fait que cette atteinte cardiaque au cours de

l’infection à VIH peut rester longtemps asymptoma-

tique, mais elle peut se traduire aussi par un tableau

d’insuffisance cardiaque le plus souvent global [5]. Il y

a deux mécanismes physiopathologiques de cette car-

diomyopathie dilatée spécifique du VIH. Le mécanisme

direct est expliqué par la myocardite virale due à une

infection par le VIH ou la coi-infection par d’autres virus

cardiotropes. A côté, il y a le mécanisme indirect com-

prenant le développement d’auto-anticorps cardiaques,

la carence alimentaire notamment en thiamine et sélé-

nium, et le rôle du traitement antirétroviral à savoir les

analogues nucléosidiques (AZT) et certains inhibiteurs

de protéase ont été également évoqués. Une étude

faite par Silver et al. a confirmé le rôle de myocardite

car elle constatait que 83% des patients ont fait l’objet

d’un diagnostic de myocardite sur la base d’examens

histologiques et la majorité de ces cas présentaient

une infiltration myocardique par le VIH [6]. Pour notre

patient, le mécanisme de cette cardiomyopathie pour-

rait être lié probablement à une myocardite active chro-

nique mais la biopsie endomyocardique en vue d’un

examen histologique et l’IRM cardiaque qui est le seul

examen permettant de poser le diagnostic de façon

non invasive, ne sont pas encore disponible à Mada-

gascar. La cardiomyopathie dilatée chez les patients

séropositifs pour le VIH est grave et associée à un

mauvais pronostic par rapport aux cardiomyopathies

d’autres étiologies [6]. Elle s’explique par le fait que

cette cardiomyopathie reste longtemps asymptoma-

tique et la plupart des patients sont diagnostiqués au

stade avancé de l’infection à VIH avec un taux de CD4

très bas, inférieur à 400 /mm3. L’échodoppler car-

diaque doit être systématique pour tous les patients

porteurs du VIH car il permet de détecter précocement

cette atteinte cardiaque par l’évaluation de la fonction

diastolique et systolique du ventricule gauche, et répé-

té tous les ans. A côté, devant une cardiomyopathie

dilatée inexpliquée, le dépistage de l’infection à VIH

doit être systématique car il reste encore faible malgré

l’augmentation de la prévalence mondiale de cette in-

fection.

Conclusion

La cardiomyopathie dilatée liée à une infection à

VIH constitue un mauvais pronostic du fait de la mani-

festation clinique tardive de cette pathologie. Dans un

pays à faible prévalence, le dépistage du VIH doit être

systématique chez tous patients portant de cardiomyo-

pathie dilatée sans facteurs de risque cardiovascu-

laires. Un d’échodoppler cardiaque systématique chez

les patients séropositifs pour VIH est indispensable

pour détecter précocement l’atteinte cardiaque.

Références 1. Rakotonirina J, Razanakoto H, Rasolofomanana L, et al. HIV

prevalence and diabetes prevalence among tuberculosis patients in Antananarivo city. Int J Res Med Sci 2014; 2(3): 834-7.

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6. Silver MA, Macher AM, Reichert CM, et al. Cardiac involvement by Kaposi’s sarcoma in acquired immune deficiency syndrome (AIDS). Am J Cardiol 1984; 53: 983-4.

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